"Brand" (Ibsen) et ses effets
Par DavidLeMarrec, dimanche 1 mai 2005 à :: Littérature - D'Oehlenschläger à Ibsen :: #11 :: rss
__ { Ceci n'est pas un compte-rendu circonstancié et commenté du contenu de la pièce d'Ibsen. J'aurai peut-être l'occasion de revenir plus précisément sur les moyens employés par le dramaturge, de détailler plus à loisir les constructions à l'oeuvre ;
ici, il ne s'agit que d'exposer ce à quoi Brand nous renvoie sans cesse. } __
"Je n'aurais pas dû aller voir Brand (Ibsen) la semaine passée... Déjà qu'on est pétri de..."
Je n'aurais pas dû aller voir Brand (Ibsen) la semaine passée... Déjà qu'on est pétri de ces réflexes quasiment dualistes (la dialectique de Hegel me semble en être l'héritage direct, en tentant de rationnaliser un réflexe de la pensée occidentale), alors s'infliger quatre heures de torture, qui nous met sans cesse le nez dans les contradictions de cet héritage, dans les corollaires épouvantables de cette tournure d'esprit... On a beau jeu de montrer du doigt les religions pour se garder de ce qu'elles nous transmettraient de figé, nous sommes inévitablement imbibés de ces systèmes.
Pour ceux qui n'y avaient jamais songé, ce peut être un choc de se trouver accusé, en toute innocence. Surtout avec la légitimité spontanée que prend un texte "en action".
Car Brand, pour vivre la conviction qui rayonne en lui, dont il est spontanément pétri, va immoler tour à tour tout ce qui est cher à ceux qui lui sont chers, immolant du même coup ceux qui lui sont chers, se condamnant lui-même, et pour quoi ? Pour l'incertitude, pour l'absurdité. Pour l'ingratitude et peut-être pour le crime. Même pas pour avoir sauvé son âme à lui.
En se plongeant dans la quête d'absolu, il se plonge dans l'absurdité. Ce qu'il voit partout, ce à quoi il obéit, ce qui lui promet le meilleur produisent les effets les plus abominables.
Pourquoi, en plus, Dieu qu'il sert avec tant de zèle, ajoute-t-il à tous les sacrifices qu'il lui fait, au contraire de ses contemporains dépravés, le malheur ?
Plus qu'une réflexion sur la bonté présumée de Dieu et le mal, plus qu'une réflexion sur la démesure (à laquelle aujourd'hui on substitue, dans le sens inverse, le fanatisme), c'est véritablement un questionnement ontologique, non pas théorique, mais ancré dans le réel de ces réflexes de pensée dont on reçoit l'errance en plein visage, à tout moment, sans pitié.
Le plus terrifiant ? Ibsen a déclaré que Brand, c'était lui-même lorsqu'il était à son meilleur. L'auteur se sent proche de son personnage, malgré toute son horreur, comme nous, malgré nos efforts, sommes trop souvent englués dans une culture pré-acquise dont nous ne sommes pas maîtres, que nous suivons trop souvent en dépit de notre défiance.
Terrassant.
Après avoir ainsi éprouvé plus d'écoeurement et d'anéantissement que la catharsis peut-être voulue, les spectateurs que j'ai croisés ont eu comme moi besoin d'une bonne catharsis de la catharsis, eux aussi.
Et, finalement, on a beau ressortir perplexe et gêné, voire déçu et meurtri, d'un texte à la présence stylistique assez relâchée, à l'expression commune, bien peu captivante, qui attire le dégoût par son sujet mais jamais l'admiration par son expression ; on a beau en sortir sans enthousiasme, ce texte finit par habiter, par donner des clefs, par rétablir le sens véritable de tous ces objets qui nous entourent et que l'acculturation a recouvert d'un voile erronné, finit par éclairer notre place, qui n'est pas d'attendre.
Qui eût cru que le rigorisme du pasteur Brand aboutît à nourrir les Lumières ?
Finalement, j'ai bien fait d'y aller.
David - âmesensible
P.S. : Brand serait un fameux sujet d'opéra ! Une telle tension, qui ménage des situations aux paroxysmes d'une durée infinie, avec pour une fois des monologues tout autant épanchement qu'argumentation. On peut penser à l'Elektra de Hofmannsthal, même si l'écriture d'Ibsen en elle-même n'est pas véritablement captivante et en tout cas très loin de cette qualité littéraire-là. Sans doute un très grand sujet. Et puis la musique rendrait plus digeste la complaisante gifflée qui est sans cesse administrée, avec beaucoup de générosité, au spectateur.
Niels Rosing-Schow, grand compositeur danois vivant, a déjà écrit un Brand, mais il est indisponible (une création et hop!) et traite de l'histoire d'un pompier... (Brand signifie "feu".)
Ses Sonnets de Borges, donné au Festival Présences 2004, ou Archipel Solitudes, publié par Naxos, font valoir sa grande maîtrise de la prosodie, son langage musical libre, varié, mais intelligible... il aurait pu ! (quoique la variété ne soit pas indispensable à ce genre d'oeuvre)
Commentaires
1. Le vendredi 27 mai 2005 à , par Philippe[s] :: site
2. Le jeudi 2 juin 2005 à , par DavidLeMarrec
3. Le mercredi 8 juin 2005 à , par Philippe[s] :: site
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