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Victorin de Joncières : un autre critique compositeur


Alors que vient de paraître Dimitri sous l'égide du Palazzetto Bru Zane, un mot sur la symphonie de Victorin de Joncières, jouée dès avril 2011 et qui doit être publiée ultérieurement. Et quelques indications sur les prochains projets lyriques de la Fondation Bru Zane.

1. La « Symphonie Romantique » (1873)

Joncières est avant tout un critique musical (sous le nom de Jennius dans le journal La Liberté, pendant tout le dernier quart du XIXe siècle), wagnérien et franckiste, musicien amateur mais sérieusement formé. Ses œuvres scéniques (de l'opérette au grand opéra), quoique discutées, ont été plutôt bien accueillies en son temps.

Aujourd'hui, comme contemporain (1839-1903) de Bizet, Brahms et Tchaïkovski, il n'appartient pas à la phalange des compositeurs majeurs, mais Bru Zane l'a sélectionné, parmi tant d'autres choix possibles (dont beaucoup m'auraient paru plus judicieux) ; concernant la Symphonie Romantique, toutefois, cela s'explique assez bien : c'est un objet assez étrange, différent de ce qui s'écrivait à l'époque, très loin de tout style national.


Les deux derniers mouvements (scherzo et final) de la Symphonie romantique de Victorin de Joncières. Hervé Niquet et le Brussels Philharmonic en avril 2011 à la Scuola Drande di San Rocco.
Il faudra peut-être le réenregistrer pour le disque, parce que l'orchestre, capable pourtant de très belles choses dans un répertoire ultérieur plus exigeant techniquement, était en petite forme ce jour-là : bois très ternes, cordes pas très juste (manque d'habitude du non-vibrato ?). Le son et l'articulation évoquent davantage les formations de cacheton qu'une grande phalange européenne... avec une seconde session, le résultat pourrait avoir une tout autre allure. (Je retirerai la bande à ce moment-là... mais faute d'alternative, il est déjà merveilleux de pouvoir l'entendre !)


On y remarque le goût de Joncières pour les alliages, avec beaucoup de soli, d'essais de couleur (pas forcément fulgurants, mais la partition regorge de tentatives assez originales), de courts motifs très individualisés. L'œuvre ne constitue pas un monument incommensurable, mais les deux derniers mouvements sont intéressants, avec un scherzo d'atmosphère fantastique qui évoque Weber (danses du Freischütz), Czerny (Première Symphonie) et Mendelssohn (Songe d'une Nuit d'Été), qui culmine dans un climax orageux assez paroxystique, qui a peu d'équivalents. Le final est étonnant également, entièrement fondé sur un choral de vents accompagné par des descendes de cordes en trémolo, clairement inspiré de la procession de Tannhäuser (et, dans une moindre mesure, du final du Vaisseau Fantôme) ; musicalement, la substance du mouvement est simple, mais l'affirmation de sa simplicité diatonique et ses moyens d'orchestration amples le rendent très persuasifs.

À entendre, au moins une fois.

2. Les opéras

Outre quelques opérettes, l'ambition de ses titres sérieux ne laisse pas d'impressionner : musique de scène pour Hamlet, opéras sur Sardanapale, La Reine Berthe, Les Derniers Jours de Pompéi, Dimitri, son plus grand succès qui offre une autre vision de l'histoire de Boris Godounov et Grichka Otrepiev, et même un Lancelot du Lac, personnage finalement rare à l'opéra, toujours dans l'ombre d'Arthur. Un Lancelot composé par un critique wagnérien, créé (1900 !) exactement entre Fervaal de Vincent d'Indy (1897) et l'Arthus de Chausson (1903), même si les librettistes sont plus conventionnels (Louis Gallet et Édouard Blau, auteurs respectivement de Thaïs et Werther de Massenet), voilà qui intrigue.

Le 8 avril, on jouera à la Cité de la Musique des extraits du Dernier Jour de Pompéi. Couplage avec quelques-uns d'Herculanum de Félicien David, qui vient d'être joué à Versailles, où je ne l'ai pas entendu – mais la lecture de la partition ne m'avait vraiment pas ébloui, pas plus que l'écoute de la parution récente de Lalla-Roukh (Ryan Brown / Opera Lafayette) ni que ses œuvres plus célèbres de musique symphonique ou de chambre (même sans considérer qu'il s'agit de musique des années 1860, on ne peut pas dire que le manque d'audace soit compensé par une veine mélodique hors du commun).
Joncières est plus intrigant, mais à la lecture de la partition, les carrures rythmiques répétées à l'infini (et pas exactement sophistiquées, du type croche-croche-croche-croche) m'inquiètent un peu. Harmoniquement, la partition semble plus savoureuse que Dimitri qui ne m'a pas paru très aventureux. Mais je n'ai pas fini de lire l'un et l'autre, donc je réserve mon jugement après une lecture complète... et a fortiori après une écoute en action de ces musiques. Cela ressemble à du grand opéra pas très exaltant, mais parfaitement honnête, tout à fait de quoi se satisfaire lorsqu'on aime déjà le genre.

Dimitri, plus varié, semble aussi moins raffiné dans les couleurs. Mais j'en parlerai lorsque je l'aurai essayé au disque, dans les prochains jours.

3. Prospective et souhaits

Ce qui m'intéresserait le plus sort un peu des attributions romantiques de Bru Zane : pour en rester à ce que j'ai lu ou joué, Frédégonde de Saint-Saëns, La Dame de Monsoreau de Salvayre, les Bruneau inédits, Le Retour de Max d'Ollone, Hernani de Hirchmann, des Février, Ivan Le Terrible de Gunsbourg, L'Aigle de Nouguès...

Cependant il reste tout de même les premiers Reyer, Le Tribut de Zamora de Gounod (partition riche et trépidante, vraiment le bon côté de son auteur, et qui n'existe que sous le manteau avec accompagnement piano), Françoise de Rimini de Thomas (jouée à Metz il y a peu, mais qui mérite un enregistrement), Jeanne d'Arc de Mermet, Patrie ! de Paladilhe, et pas mal d'autres choses auxquelles je rêve... ou encore mieux, celles que je ne soupçonne même pas !

Je suppose que cela dépend aussi de compromis passés avec Hervé Niquet, qui est quasiment le seul collaborateur lyrique de leur entreprise.

À la lecture des partitions, ça ne me paraissait (de loin) pas le plus urgent, donc, mais je ne vais certainement pas cracher sur une véritable découverte en première mondiale.

4. Les projets de Bru Zane

Tandis que je me dis cela, un discret informateur de CSS me communique des titres assez congruents avec ces souhaits. Les œuvres de Dukas pour le Prix de Rome (dont deux cantates) sont en préparation. Déjà sérieusement considérés, Ascanio de Saint-Saëns et Saint-François d'Assise de Pierné (il existe déjà une bande radio de Fournet, qui révèle une œuvre magnifique dont on voudrait mieux entendre les détails orchestraux).

Parmi les œuvres importantes qui sont considérées, mais pas encore en projet, La Reine de Chypre d'Halévy (pas grandiose à mon avis, malgré quelques jolis ensembles), Cinq-Mars de Gounod (un manque considérable en effet), Dante de Godard (ses œuvres scéniques moins sérieuses sont déjà très bonnes), Kermaria d'Erlanger (un autre compositeur dramatique de qualité qu'il faudrait documenter), La Jacquerie de Lalo (à l'aune du Roi d'Ys et de Fiesque, on bout d'impatience), Jean de Nivelle de Delibes (son héritage côté grand opéra, assez populaire à l'époque comme en atteste la circulation importante de réductions pour piano et chant), Roland à Roncevaux de Mermet (meilleur que Jeanne, me semble-t-il).

Pas mal de bonnes choses, et vraiment rares, donc. Rien ne dit que tout cela sera joué, mais cela donne de la perspective sur le chemin que se trace le Palazzetto.

5. Un autre critique

En voyant ce critique professionnel léguer une œuvre musicale cohérente, difficile de ne pas songer à celui de l'Aftenposten... réellement génial, lui.

De nombreux liens ont été dispersés dans cette notule à propos des compositeurs concernés, souvent avec des extraits (parfois de qualité, d'autres fois 'maison' à différents degré de daubage). Et pour remettre tout cela en perspective : http://operacritiques.free.fr/css/index.php?2010/12/20/1637-histoire-de-l-opera-francais-essai-de-schema.

Bon voyage !


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Commentaires

1. Le vendredi 14 mars 2014 à , par malko

Longue vie au Palazzetto Bru Zane !

2. Le mardi 18 mars 2014 à , par Pierre

Merci pour les infos des suites des productions de Bru Zane...

J'imagine que les cantates de Dukas seront dans la superbe série sur le Prix de Rome. Un vrai gain en tout cas, surtout si les cantates sont du même niveau que sa Velléda!!
Et pour les opéras prévus, on ne sait que choisir dans ces titres... Bien sûr Cinq-Mars serait une immense nouvelle en effet! Et que dire des autres? Entendre ce que propose Delibes dans le Grand Opéra, un autre Saint-Saëns, Lalo dans une oeuvre médiévale, le Saint-François de Pierné... et tout plein de choses que donneront une porte d'entrée pour des compositeurs inconnus!

Comme le dit Malko : "Longue vie au Palazzetto" qui oeuvre depuis quelques années pour le répertoire français, lui donnant une vie nouvelle. Après que le baroque ait eu l'opportunité de sortir de l'ombre avec Christie ou Minkowski par exemple (et Niquet aussi en partie!), nous voilà dans la suite de la réhabilitation du répertoire romantique français. Une magnifique entreprise!

3. Le mardi 18 mars 2014 à , par DavidLeMarrec

Bonjour Pierre !

Oui, ce sera bien dans la collection du Prix de Rome. Il y aura quatre chœurs, deux cantates, plus quelques bricoles.

Tu n'as pas le Saint François de Pierné ? La bande de Fournet est très chouette, même si on n'entend pas parfaitement l'orchestre (et il y a quelques coupures).


Comme le dit Malko : "Longue vie au Palazzetto" qui oeuvre depuis quelques années pour le répertoire français, lui donnant une vie nouvelle. Après que le baroque ait eu l'opportunité de sortir de l'ombre avec Christie ou Minkowski par exemple (et Niquet aussi en partie!), nous voilà dans la suite de la réhabilitation du répertoire romantique français. Une magnifique entreprise!

Oui, Bru Zane remplit admirablement l'office de prolongation des compétences du CMBV, en ce qui concerne la mise à disposition de répertoire !

Amis de la musique française, shootez-vous à l'Efferalgan, c'est pour la bonne cause.

4. Le mercredi 19 mars 2014 à , par Pierre

Merci pour l'info sur le Prix de Rome. Un vrai bonheur en perspective donc!

Et pour le Saint-François, si je l'ai et j'avais trouvé ça très chouette malgré la prise de son pas optimale pour l'orchestre en effet...

5. Le lundi 31 mars 2014 à , par Pierre

Cinq Mars est maintenant plus qu'un projet : c'est prévu à Vienne au moins le 27 janvier 2015 en version de concert :
Direction : Ulf Schirmer
La princesse Marie de Gonzague : Véronique Gens
Le marquis de Cinq-Mars : Charles Castronovo
Le conseiller de Thou : Tassis Christoyannis
Père Joseph : Andrew Foster-Williams
Le vicomte de Fontrailles : André Heyboer
Le roi (Louis XIII) / Le Chancelier : Jean Teitgen
Ninon de l´Enclos : Marie Lenormand
Marion Delorme : Hélène Guilmette
Münchner Rundfunkorchester
Chor des Bayerischen Rundfunks

Et selon le site d'Andrew Foster-Williams, ce sera enregistré en disque!

6. Le lundi 31 mars 2014 à , par DavidLeMarrec

J'ai vu ça quelques secondes avant ton message... effectivement une bénédiction... enfin ! Et puis dans quelle distribution : Guilmette, Castronovo, Christoyannis, Heyboer, Teitgen, ça va envoyer du beau son ! Et tous des chanteurs (et acteurs) très impliqués.

Un petit DVD dans une mise en scène sympa, ce serait gentil, merci.

Seule réserve : je ne suis pas sûr que Schirmer, qui est très bon dans R. Strauss, soit le plus familier du style. S'ils pouvaient faire ça après avec les Talens Lyriques ou Mercier & Lorraine, ce serait parfait.

7. Le mardi 1 avril 2014 à , par Pierre

Oui, je suis assez surpris par l'orchestre, le choeur et le chef. Mais peut-être que l'enregistrement se fera avec d'autres ensembles (même si ça voudrait dire de refaire du travail à neuf!)

Mais clairement, le distribution est superbe!

8. Le mercredi 2 avril 2014 à , par DavidLeMarrec

J'espère surtout que ce ne sera pas trop dans le goût germain-opaque-mou, au point de faire sombrer tout le navire, comme pour le Jongleur de Diemecke.

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