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Théodore Dubois : le (fabuleux et mirifique) quintette pour violon, hautbois, alto, violoncelle et piano


1. Hors panthéon

Théodore Dubois est typiquement le genre de compositeur qui ne peut plus être joué aujourd'hui. La représentation de l'histoire musicale - du moins celle dispensée aux mélomanes et aux musiciens, je ne parle évidemment pas de la recherche - est en effet assez en retard sur les méthodes des historiens. On en est toujours à l'histoire-batailles, où la musique n'avance que par le génie d'individus novateurs.


Si bien que, bizarrement, on ne joue dans les salles de concert quasiment que les compositeurs qui sont en rupture ou très en avance sur leur temps - alors qu'on n'a jamais la production de leurs contemporains pour comparer le pourquoi de leur originalité !
Certes, leur gloire n'est pas du tout infondée, bien au contraire... mais elle occule des compositeurs dont le mérite n'est pas mineur.

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2. La situation de Dubois

C'est exactement le cas de Théodore Dubois, qui écrivait lui-même en 1922 (à l'âge de quatre-vingt cinq ans) ces lignes un brin désabusées dans son journal intime :

Je ne crois pas que l'on eût été toujours juste et équitable à mon égard. - Je ne suis pas vaniteux, mais je crois pourtant que certaines de mes oeuvres méritent mieux que l'espèce de froid dédain avec lesquel elles ont été accueillies. Je ne sais si je me trompe ; cependant j'ai comme une certitude que si plus tard, après moi, elles tombent sous les yeux de musiciens et de critiques non prévenus, un revirement se fera en ma faveur !

Auteur d'un célèbre traité de contrepoint et de fugue qui fait toujours autorité (et également d'un traité d'harmonie), Théodore Dubois représente le courant académique de la fin du XIXe siècle, sans aucune nuance péjorative, bien au contraire. Sa musique, sans chercher les audaces, est toujours riche et solidement construite. Elle n'a peut-être pas de fulgurances ou de flamboyances comme les grands phénix qui ont fait l'histoire de la musique, mais elle n'est pas moins touchante et même, dans certains cas, tout à fait passionnante.

On reviendra sur son cas, mais je souhaitais m'arrêter sur sa plus belle oeuvre, son Quintette pour violon, hautbois, alto, violoncelle et piano.

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3. Spécificités de l'oeuvre

Ce Quintette est prévu pour être joué avec un hautbois en guise de second violon, mais Dubois précise, sans doute pour être joué plus aisément, qu'on peut le remplacer par un second violon ou par une clarinette.
Il convient de préciser cependant que le hautbois apporte réellement une couleur très spécifique, surtout qu'il est utilisé inhabituellement dans le grave, avec une chaleur très particulière (et un son moins acide), et qu'il n'est pas soliste. Cela permet en outre de différencier très aisément les lignes musicales, qui se mêlent souvent et ne se distingueraient pas aussi poétiquement si les timbres se mêlaient complètement.

Le piano, quant à lui, vient clairement en soutien ou en réponse du groupe des instruments monodiques.

L'oeuvre est construite rigoureusement mais sans complexité formelle particulière. On est surtout frappé par la beauté des climats en mode majeur, par le soin de l'harmonie (pas débridée, mais très mobile), et surtout la qualité extrême, chaque instrument disposant de sa propre ligne autonome. De surcroît, la répartition des solos mélodiques se fait de façon tout à fait équitable, même l'alto a de nombreux moments de gloire.

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4. Oeuvre

Dans le premier mouvement allegro, on admire surtout l'usage de deux motifs opposés comme le veut la tradition, mais ici de façon spectaculaire. L'un simple, une mélodie conjointe (les notes se suivent) et très lyrique ; l'autre détaché et saccadé. Dubois, au lieu de ménager des transitions, juxtapose les sections, et les thématiques s'entrechoquent, jusqu'à la fusion des deux thèmes pendant le dernier tiers du mouvement.

La canzonetta du deuxième mouvement distille les mêmes charmes d'une simplicité avenante, avec une écriture musicale raffinée, hésitant sans cesse entre la majeur et la mineur (la ligne mélodique du thème comportant à la fois le do naturel et le do dièse...). Clairement un moment d'allègement, sans rien lâcher dans la beauté des textures ou la rigueur des réponses d'un pupitre à l'autre.

Le sommet se trouve dans l'adagio non troppo (en ré bémol majeur), dans lequel cette grande variété de modes de jeu, d'effets, toujours au service du discours musical, se poursuit. Le lyrisme intense et contemplatif de ces lignes qui s'entrelacent (réellement une mélodie simultanément par partie) produit un effet suprême avec de belles harmonies qui maintiennent la tension sans jamais atteindre la dissonance. Une forme d'apesanteur, l'un des plus beaux mouvements lents écrits en musique de chambre, de mon point de vue.

Le quatrième mouvement Allegro con fuoco (fa mineur, alors que la tonalité de départ du premier est fa majeur), est d'une rage qui évoque assez la tradition du mouvement final à cavalcade, quelque part entre le sérieux de Brahms et le folklorisme de Le Flem. Il est certain que le contenu musical n'en est pas extrêmement dense, mais il s'écoute avec plaisir malgré sa relative faiblesse.

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5. Que faire ?

Tout simplement courir acheter le disque Atma autour du trio Hochelaga, couplé avec le Quatuor avec piano en la mineur, oeuvre un peu moins éverestique, et cependant remarquable.

Il est de plus remarquablement capté (on entend très bien tout), et interprété avec énormément d'inspiration et de style. Le piano de Stéphane Lemelin du trio est délicat mais fermement timbré, le violon d'Anne Robert séduisant toute la tessiture (avec un grave à fondre), l'alto de Jean-Luc Plourde d'une très belle rondeur, le violoncelle de Paul Marleyn discret mais toujours soyeux, et plus que tout le hautbois de Philippe Magnan absolument extraordinaire, ménageant des demi-teintes et des moiteurs que je ne pensais pas possibles au hautbois.

Par ailleurs, la courte notice de Stéphane Lemelin est très bien faite (c'est d'elle que j'ai tiré la citation de Dubois en début de notule).

Ite notula est. Atmae gratias.


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Commentaires

1. Le vendredi 4 février 2011 à , par Papageno :: site

Pas sûr qu'on ne joue que "les compositeurs qui sont en rupture ou très en avance sur leur temps". D'abord on joue tout le temps les passéistes (Bach, Brahms, Tchaïkowski, Rachmaninoff), ensuite, avec la distance, les oppositions comme Wagner vs Brahms ou encore Schönberg vs Strawinsky ont tendance à s'estomper.

Quant à Dubois, le peu que j'ai entendu de sa musique était de bonne facture, mais totalement dénué de personnalité et d'audace. Du Fauré avec la couleur fauréenne en moins. Mais il y a tellement de musique insipide qu'on nous sert à longueur d'année dans les programmes de concerts qu'on pourrait aussi bien programmer Dubois.

2. Le vendredi 4 février 2011 à , par DavidLeMarrec

On peut discuter de la notion de modernité en effet, ma formulation est sans doute contestable ; en revanche ce sont presque toujours des compositeurs qui apportent quelque chose de très personnel et d'assez nouveau. Par exemple, Brahms représente véritablement une nouveauté, même s'il le fait dans l'esprit d'une continuité : il suffit de comparer avec Raff pour voir ce qu'il apporte de nouveau depuis l'époque de Czerny, Mendelssohn et Schumann.
Je ne visais pas les positionnements des compositeurs à leur époque, mais ce que rétrospectivement ils marquent de singulier.

Néanmoins : Monteverdi, Lully, Bach, Mozart, Haydn, Beethoven, Chopin, Schumann, Verdi, Wagner, R. Strauss, Mahler, Debussy, Ravel, Stravinsky... sont tous des précurseurs de langages à venir, quoi qu'on pense par ailleurs de leurs musiques respectives. [Mais il n'y a de toute façon aucun imposteur dans cette liste.]
Effectivement, pour Tchaïkovsky, c'est un peu différent, il est pleinement de son époque pour son pays, et il y a même plus audacieux que lui. Et Rachmaninov, je le mets à part, l'un des rares compositeurs très célébrés dont je me dis qu'il prend peut-être la place de meilleur que lui, même si sa musique est d'excellente qualité. L'un des rares compositeurs imposés par le public sans doute plus que par les musiciens.

Les oeuvres insipides programmées à longueur d'années, je ne les vois d'ailleurs pas : la postérité néglige des compositeurs absolument majeurs (faute de place, ou pour de mauvaises raisons plus pratiques ou plus idéologiques), mais ceux qui sont au pinacle le sont quasiment tous avec raison...

Enfin, concernant Dubois, tout n'est pas immense (mais à peu près tout m'a paru très bon), je parlais d'une oeuvre précise qui m'a particulièrement frappé.
Non, ce n'est pas audacieux, jamais, c'est bien pour cela qu'on parle de musique académique. Mais tout simplement, c'est beau, intense, abouti... et même si ce peut paraître lisse, c'est tout à fait personnel, avec un vrai style.
Le fait que la maîtrise de son art lui permettre de produire d'aussi belles oeuvres, fussent-elles peu bouleversantes pour l'histoire de la musique (et ça, c'est certain !), ça suffit amplement à m'enchanter. :-)

3. Le samedi 8 octobre 2011 à , par Valentin Fiumefreddo

Il n'y aurait pas de honte pour Dubois à ce qu'il ne survive au filtre du temps que pour son seul traité d'harmonie. C'est dans ce traité que j'ai tout appris, jusqu'à le savoir presque par coeur. Tout le monde ne peut pas se vanter d'une telle survie et d'une telle utilité par dessus un siècle.

Quant à sa musique, il n'est pas étonnant qu'il y ait une mode qui consiste à ressortir de l'oubli infligé par leur contemporains des compositeurs qui paraissaient plats et conventionnels en 1910 et ne nous paraissent soudain plus si mauvais (Rheinberger, Rheinecke, Auber, etc.). Dubois ressemble aux belles façades de nos immeubles haussmanniens : pompiers et répétitif pour nos grands-parents qui ne connaissaient pas leur chance, magnifiques pour un parisien actuel dont l'ordinaire est le Front de Seine et l'épouvantable laideur du paysage urbain contemporain. Dubois, comme tous les pompiers, avait un métier, un savoir faire qui nous émerveille comme toute les belles choses qu'on ne fait plus...

4. Le dimanche 9 octobre 2011 à , par DavidLeMarrec

Bonjour Valentin,

Et bienvenue !

J'ai déjà eu l'occasion de lire votre site très plaisant et d'y passer un certain temps. :)

Effectivement, la comparaison est bien vue, c'est de l'artisanat qu'on qualifierait aujourd'hui d'art. Mais en plus de cela, Dubois a bel et bien sa singularité propre, ce que tous les académiques n'ont pas eu.

Pour les noms que vous citez, oui pour certaines bonnes choses de Rheinberger, mais Reinecke et Auber ne sont pas forcément les meilleurs représentants de leur genre. Certes, ils illustrent assez bien (et de façon agréable !) l'académisme, mais n'ont pas l'envergure musicale de Dubois, à mon sens.

Je ne leur consacrerais pas forcément une notule, en somme - sauf [ur=http://operacritiques.free.fr/css/index.php?2007/11/21/776-daniel-francois-esprit-auber-la-ballade-des-enfants-de-la-nuit-les-diamants-de-la-couronne-edmon-colomer-compiegne-raphanel-arapian-einhorn-lemoine]cas particulier.

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