Enregistrements, domaine public - XXVII - Antonín DVOŘÁK, Concerto pour violoncelle (Leonard Rose, Artur Rodziński, NYPO)
Par DavidLeMarrec, jeudi 20 décembre 2007 à :: Musique, domaine public :: #802 :: rss
CSS imagine à présent qu'ayant digéré l'ensemble des oeuvres de Mahler et Wagner proposées à l'écoute, on trouvera nos lecteurs tout disposés à souffrir quelques nouvelles friandises.
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Le concerto pour violoncelle de Dvořák représente un petit bijou rhapsodique, dont les mérites sont bien connus, pilier incontournable du répertoire de l'instrument.
Des thématiques folkloriques s'y enfilent, s'y prolongent, tout à tour sur le mode lyrique, le mode dansant, le mode élégiaque.
De ce point de vue, le premier et le troisième mouvement semblent se répondre - ce dernier semblant un écho animé et dansant de l'esprit plus mélancoliquement contemplatif d'un premier mouvement comme abîmé dans la contemplation de paysages démesurés et inviolés.
La richesse de la section initiale est sans doute supérieure aux deux autres, par sa variété de ton, qui produit avec un sens stupéfiant de la transition les mutations du thème, exposé sans ostentation au travers d'un grand nombre d'affects différents. On ne s'étend pas sur le dernier mouvement qui est son pendant évident, en légèrement plus bref (hélas) et plus vif.
Le deuxième mouvement se montre, contrairement à ce qu'on pourrait imaginer, d'une grande pudeur de ton, malgré les épanchements écrits. Son discours si modeste semblerait même, lors de l'écoute rapide, étonnamment discret, presque insaisissable thématiquement - ce que l'écoute attentive dément vigoureusement, bien entendu. Sans doute sera-ce en raison du partage très généreux avec l'orchestre - le soliste s'y trouve constamment soutenu par des contrechants très audibles, notamment aux bois. Ou peut-être également par contraste avec l'expansivité exceptionnelle des deux autres parties - ce qui semblerait un mouvement lent éloquent ou émouvant dans un autre concerto pourrait alors paraître dans celui-ci comme doté d'une honnête réserve.
Chef-d'oeuvre, donc. Que les lutins de CSS livreront ainsi avant Noël.
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D'un point de vue technique, l'oeuvre présente de grandes difficultés ; outre la grande virtuosité qu'on devine très vite à l'agilité des traits, ce concerto réclame plusieurs vertus essentielles, comme la beauté de l'aigu, la qualité du legato [1] (avec de pair, d'un point de vue stylistique, la pertinence des détachés) ou la projection du son. Bien entendu, un sens de la danse aiguisé n'est pas superflu - ainsi, les meilleurs interprètes des suites de Bach pourront se tirer avec succès de l'exercice.
Les écueils qu'on rencontre régulièrement dans la discographie sont donc, fort logiquement :
- chez le soliste, un aigu parfois tiré, ou terriblement sec, ou trop peu sonore (souvent happé par la richesse orchestrale) ;
- un traitement trop « germanique » de cette écriture, qui peut devenir opaque à force de fondu et pesante à force d'exactitude métronomique.
Le contre-exemple type de ce qu'on peut faire dans ce concerto se trouvera par exemple chez Decroos / Zinman (vinyle EMI), avec une masse un peu hédoniste et paresseuse côté orchestre (prélude splendide au demeurant), et un peu d'esprit de sérieux chez le soliste.
Nos références sont plutôt à chercher du côté de Queyras pour l'invention, ou de Fournier / Szell pour le superbe lyrisme élégiaque. Et, en dehors du disque, pour le Symphonique de Prague avec Gaetano Delogu en 1997 - le son corsé et ample, la présence des bois, la clarté de l'ensemble, la souplesse du mouvement de danse... en somme les qualités bien connues des orchestres pragois. [2]
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La version proposée par CSS réunit donc, le 7 janvier 1945 au Carnegie Hall de New York :
- Leonard Rose au violoncelle ;
- le Philharmonique de la même ville ;
- Artur Rodziński comme chef.
La voici sur nos serveurs.
Version très séduisante et réussie. Leonard Rose ne s'y montre pas aussi discret que dans ses collaborations en musique de chambre avec Stern et Istomin, où le violoncelle est structurellement désavantagé et où le son doux de Rose peine souvent à dominer. Ici, le son s'épanouit pleinement, sans être couvert par l'orchestre, et l'aigu se montre d'une sûreté irréprochable.
Côté interprétation, c'est le choix d'une lecture qui privilégie le lyrisme, avec un legato très développé, très enveloppant - mais avec des phrasés très déterminés cependant. Un panache très admirable aussi dans l'abord des difficultés.
Bien que la restauration de très bonne qualité autorise une audition tout à fait confortable, le son de l'orchestre reste un peu dur et compact, il faut bien le reconnaître - le niveau de qualité sonore se révèle assez comparable aux enregistrements américains de Toscanini : clairs, mais un peu raides.
Rodziński y met toujours en valeur les qualités qu'on lui connaît [3], pour une lecture cursive, très allante. Si le détail de l'orchestre n'est pas toujours sensible, on ne peut guère en imputer la faute qu'à la prise de son.
En somme, une véritable réussite d'une oeuvre majeure parmi les concertos, que CSS se félicite d'être autorisé à placer à disposition.
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CSS dispose également, côté libre de droits, de la version Tortelier / Ackermann de 1948. [Le son y est plus sec, le propos âpre, sans concession. Une version qui reflète une esthétique qu'on ne chercherait plus de cette façon aujourd'hui.] Si d'aventure un lecteur se trouve intéressé, on peut la proposer aussi.
Notes
[1] C'est-à-dire du caractère lié des phrasés.
[2] A ce propos, il faut absolument entendre le son de l'Orchestre du Théâtre National de Prague, qui a largement progressé depuis les années cinquante et hérité du son magique de la radio tchèque.
[3] Pour cela, il faut goûter les élans constants, les bois, la légèreté du ton de son Tannhäuser, de son Tristan und Isolde, de son Elektra.
Commentaires
1. Le jeudi 20 décembre 2007 à , par sk†ns
2. Le lundi 3 septembre 2012 à , par Martin
3. Le lundi 3 septembre 2012 à , par DavidLeMarrec
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