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Zampa ou la fiancée de marbre : comique mais ambitieux


Passionnés depuis longtemps, comme en témoignent ces pages, par Zampa, les lutins qui peuplent ces augustes lieux se sont enfin plongés, tout récemment, dans la partition.


Le final de l'acte II (dont nous allons tirer beaucoup d'exemples) dans son entier, afin de juger sur pièces.


Mais tout d'abord, qu'on se rappelle :

  • Structure de Zampa.
  • La place de la clarinette dans la partition et la parodie de Don Giovanni. (On en avait déjà observé une dans le Vampire de Marschner, voir à l'acte IIa.)
  • L'humour dans cette parodie.


Et, à la lecture, donc, on est frappé par maint détail. Non pas que l'oeuvre soit novatrice évidemment, mais elle témoigne d'un raffinement véritablement rare à cette époque, qui la rapproche grandement de l'esprit de Meyerbeer, son contemporain (1831 pour Zampa).

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1. Le livret

La gentille dérision du librettiste Mélesville sur ses personnages, bien sûr, en particulier le jeune premier (chose fréquente chez Scribe), qui a toujours quelque chose d'un peu maladroit, de presque gracieux par sa candeur malhabile. C'est ici difficile à justifier par le livret, c'est plus en sentiment diffus que pour Raoul qui se ridiculise devant la reine ou Jean de Leyde qui s'égare dans ses engagements politiques ; mais tout de même, le malheureux Alphonse qui se méprend sur l'amour qu'on lui porte et insiste comme un niais en acculant l'aimée à l'aveu bien franc, manière de compenser l'incapacité absolue de son amant à décrypter des allusions limpides - c'est assez amusant. Et dans un contexte qui n'est pas tragique comme dans Callirhoé (où Agénor semble aussi quelque peu enrhumé du cerveau), on en sourit gentiment ici, ainsi qu'en quelques autres occasions, surtout si les dialogues parlés favorisent un peu la bonne humeur.


Camille Roqueplan (1803-1855), Valentine et Raoul, représentation du duo de l'acte IV. Conservé au Musée des Beaux-Arts de Bordeaux, mais je n'ai étrangement jamais pu le voir... Autant dire que ce chef-d'oeuvre n'est pas vraiment l'image de marque la plus prestigieuse qui puisse être.


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2. Rythmes, harmonies, orchestration

Et surtout la qualité d'écriture musicale. Hérold écrit une musique très modulante et expressive. Les carrures rythmiques régulières n'empêche pas d'oser, comme chez Mozart, des choses un peu décalées, du procurent du rebond ou du caractère aux différentes sections : un certain nombre de figures ne débutent pas sur le temps par exemple.
Et plus que tout, de pair avec l'évolution des sentiments, Hérold ménage sans cesse des modulations (c'est-à-dire des changements de tonalité de référence, donc de couleur), ce qui n'était pas utilisé à l'époque à ce rythme effréné. Cela explique la variété de ce que l'on entend, et qui ne lasse pas comme peuvent le faire d'autres oeuvres du même caractère, mais beaucoup plus linéaires (on en trouve chez Grétry, Spontini, Rossini, Cherubini notamment).

On allie ainsi le rythme virevoltant à la progression émotive, ce qui est très exaltant à l'arrivée.

En tout cela, on rejoint grandement le souci d'écriture de Meyerbeer. Le Pré aux clercs, le seul autre opéra de Hérold à peu près disponible (au moins en partitions, on en trouve facilement en occasion - parce que pour les disques, c'est franchement une autre histoire), dispose de qualités semblables et d'un soin tout particulier au climat des accompagnements à l'orchestration pourtant excessivement simple, mais n'a pas l'envergure musicale, il me semble, de l'écriture de Zampa (qui, précisément, est plus complexe dans ses figures d'accompagnement et plus soigné dans le choix des couleurs orchestrales).

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3. La bizarrerie de l'orgue

L'acte II se termine par une longue séquence d'orgue (une à deux minutes), seul, des accords ad libitum et sans mesure mais de plus en plus brefs, avec des couleurs harmoniques assez étonnantes, pas vraiment consonantes, vraiment menaçant comme peut l'être l'union d'une jeune amante forcée au mariage par le terrible corsaire. L'orchestre se contente de conclure très brièvement ensuite.

Ce passage solo constitue une rupture assez inacoutumée. Autant Verdi pourra trente ans plus tard lui faire débuter un acte dans La Force du Destin, autant lui faire conclure brutalement un acte, et avec ce degré d'instabilité dans le discours musical, c'est vraiment étonnant.



Cela entre de toute façon dans la logique d'une imbrication assez meyerbeerienne des différents "numéros" normalement bien isolés. La structure des morceaux canoniques (l'air de Zampa du début de l'acte II par exemple) est d'ailleurs assez fantaisiste, avec beaucoup de sous-parties et d'évolutions, sans nécessairement les habituelles reprises destinées à équilibrer le tout.

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4. La voix de Zampa

Enfin, l'écriture même du rôle-titre a quelque chose de très surprenant, que je ne crois pas avoir vu dans aucun autre opéra. Selon les moments, et au sein du même "numéro" si nécessaire, la portée peut être en clef de sol (pour ténor, donc jouée à l'octave inférieure) ou en clef de fa !


Où l'on voit que Zampa, dans cet opéra où les quatre rôles masculins importants sont tous ténors, peut tenir la ligne qui est harmoniquement la basse de l'accord. Tout cela pourrait pourtant être noté aisément en clef de sol. Pour les lignes les plus basses, Hérold prévoit qu'un choriste peut tenir dans certains ensembles réduits le rôle d'un Corsaire basse.



On peut même rencontrer ces changements de clef pour des airs, comme ici à la fin de l'acte I.


Le rôle lui-même est extrêmement exigeant, évoluant du sol grave (sol 1, la limite basse pour un baryton), au contre-ut (ut 4, la limite haute pour un ténor, à part formats vraiment léger), et un contre-ut qui doit être aisé, exécuté au fil d'une vocalise. On trouve même deux mesures contiguës où les deux notes extrêmes sont sollicitées !



A l'acte II.


Ce n'est donc pas un baryténor (le ténor grave de Licinius dans la Vestale, chantable par un baryton), mais bien un véritable ténor avec une extention grave hors du commun - beaucoup de moments expressifs se trouvent sous l'ut 2 (la limite basse pour un ténor est le si bémol 1, et l'ut 2 est déjà peu audible en règle générale).

Mais la démarche d'alterner les clefs est vraiment surprenante, signe d'une réflexion plus que superficielle sur la composition - c'est une initiative que les aligneurs de notes n'auraient pas forcément songer à appliquer.

Bref, ceux qui ont sifflé Richard Troxell lors des premières représentations de la production à l'Opéra-Comique, parce que son timbre était un peu métallique et pas celui d'un oiselet bellâtre (ce qui était, on l'aura compris, aussi absurde dramatiquement qu'impossible vu la typologie du rôle), ceux-là étaient non seulement des goujats, mais en plus des imbéciles.

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En somme, la lecture de la partition réservait encore quelques surprises très favorables sur le soin d'écriture de ce petit bijou. Il faudra bien un jour publier un disque de cela, tout de même. Lorsqu'on songe qu'on a quelques Adam pas tous prioritaires, tellement de Messager en doublon, et toujours pas un Hérold ! (Je ne vais même pas parler des intégrales des Sonates pour piano de Beethoven, ce serait déloyal.)

N.B. : Bien que nous disposions de plusieurs versions, pour des raisons pratiques tous les extraits sont tirés de la version Christie radiodiffusée lors de la première série (mars 2008) de représentations à l'Opéra-Comique, dont voici la distribution commentée. (Une seconde série, avec Jaël Azzaretti remplaçant Patricia Petibon et Noël Lee remplaçant Bernard Richter, a eu lieu au même endroit en décembre 2008, mais n'a pas été captée pour la radio.)
C'est en tout état de cause une version superlative, ce qui ne nous laisse pas trop de regrets sur ce choix dicté par la logistique.


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Commentaires

1. Le vendredi 30 avril 2010 à , par DavidLeMarrec

J'ai prévu d'ajouter d'autres exemples visuels et surtout des extraits sonores pour que tout le monde puisse profiter de la partition, mais ce sera beaucoup pour aujourd'hui, donc c'est à venir, un peu plus tard.

2. Le mardi 4 mai 2010 à , par Moander

La recréation de mars 2008 est curieusement disponible gratuitement dans son intégralité sur le site de l'INA.
Inscrire Zampa+Hérold+INA sur le détestable gogole.

Toujours aussi bon!! Je me demande si ce n'est pas tout simplement un des meilleurs ouvrages lyriques de la période (meilleur opéra-comique en tout cas, avec le Domino Noir peut-être). Tout est excellent et plein d'esprit.

Juste une question, peut-il vraiment exister des chanteurs qui peuvent convenablement tenir la tessiture du rôle de Zampa? Parce que Ut 4, il faut déjà un ténor léger mais Sol 1, c'est plutôt pour les barytons-basse... Comme tu dis, je pense que c'est un miracle que Troxell sorte les notes!!

3. Le mercredi 5 mai 2010 à , par DavidLeMarrec

Côté opéra-comique, ça a peu de concurrence effectivement, plus je réécoute Hérold, plus je lui trouve vraiment une densité d'inspiration peu commune. (Et vraiment sans comparaison avec le Domino Noir qui est certes un Auber très réussi, mais ça reste du drame agrémenté de musique, du Auber en somme...).

Il faudrait simplement le Chris Merrit de la grande période (mais il y aurait déséquilibre avec les autres chanteurs de format plus modeste).

Mais pour être tout à fait honnête (mais ça, les siffleurs ne s'en étaient pas aperçu évidemment, et ça ne change rien à mon commentaire), à deux reprises, Troxell escamote un sol 1 en émettant à la place un petit cri expressif. Ca se justifie dans la mesure où sa phrase deviendrait plate et peu audible avec l'orchestre qui joue en même temps. Il fait en revanche la note lorsqu'elle est tenue et à découvert, ce n'est donc pas un évitement systématique, mais plutôt une façon prragmatique de négocier le rôle.

Il est d'ailleurs frappant comme la version Christie prend des libertés (ornementations ajoutées sur certaines reprises, aigus extrapolés par Petibon - jusqu'à ajouter des montées à l'octave sur une note écrite tenue dans le médium, que Petibon envoie ensuite dans les hauteurs : "je ferai mon devoiiiiiiiii-iiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiir").

Le résultat étant ce qu'il est, je me contente de jubiler sans rien reprocher. :-)


Merci pour l'info INA, pour une fois que ce site est accessible... et surtout c'est une possibilité inestimable d'accéder à ce bijou autrement introuvable (jamais d'intégrale éditée, et même côté extraits, à part l'Ouverture : néant).
En ce qui me concerne j'ai déjà au moins trois versions de la captation radio de ces représentations, plus deux autres productions, mais pour les lecteurs, c'est merveilleux ! :-o

Il a dû y avoir un accord, donc. :o

4. Le jeudi 20 mai 2010 à , par Paulette

Noël Lee remplaçant Bernard Richter, bigre bigre... ça fait quelques années qu'il se faisait discret comme pianiste, mais si c'était pour préparer sa reconversion en ténor, tout s'explique !

5. Le jeudi 20 mai 2010 à , par DavidLeMarrec

C'est pas beau de faire du mauvais esprit.

Bien, j'étais à mille lieues de vouloir faire du tort à Colin.

6. Le dimanche 28 novembre 2010 à , par joachim

Salut David,

C'est en recherchant des commentaires sur Zampa que je suis arrivé sur ton site (via Google). Je viens d'écouter l'opéra mais comme c'est un téléchargement, je n'ai ni livret et ni même un résumé ! Et comme toujours dans l'opéra, même français, on ne comprend pas toujours les paroles, c'est donc pourquoi je recherchais des renseignements. Heureusement, il y a des parties parlées !
Je vois que tu es enthousiasmé par cette oeuvre dont on n'écoute d'habitude que l'ouverture (et d'ailleurs, à part la Fille mal gardée et deux ou trois ouvertures, c'est tout ce qu'on entend de Hérold). Moi aussi ! Voici enfin un opéra français qui a l'air de revenir à l'honneur puisque l'on trouve un enregistrement (Christie). J'espère qu'on en restera pas là, Hérold me semble très bien.

7. Le dimanche 28 novembre 2010 à , par DavidLeMarrec

Salut Joachim :)

(Parties parlées qui sont bien sûr abondamment coupées... et un peu remaniées.)

Oui, je suis vraiment enthousiasmé, c'est encore bien plus fort que le Pré aux clercs ! J'ai réussi à en collectionner trois versions tout de même, ce qui pour un opéra inédit n'est pas si mal. Il y en a encore plus du Pré qui circulent.

Pour le livret, je n'ai eu aucune difficulté à suivre la version Christie, y compris dans les ensembles. Mais si tu ne le trouves pas en ligne, je dispose de la partition au format numérisé, dans une édition libre de droits en France. Donc je peux te la faire passer au besoin, comme ça tu disposeras du texte manquant.

Quant à ce qui est de trouver un enregistrement, c'est juste la captation de France Musique|s| lors de la première série de représentations à l'Opéra-Comique. Il n'existe actuellement aucun disque pour aucun opéra de Hérold, sauf des extraits du Pré dans la collection Gaîté-Lyrique, moyennement interprétés et de toute façon épuisés depuis quelque chose comme une vingtaine d'années ! :lol:

C'est vraiment une pitié, parce qu'en plus de représenter un jalon historique considérable, c'est de la bien meilleure musique que Boïeldieu, Adam ou Auber.

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David Le Marrec

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