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Question pratique


En regardant un peu les musiques mises à disposition, je revois que j'avais proposé celle-ci dans la série des Marseillaise étranges ou alternatives.

En voyant cette autre version, je me permets de partager avec les lecteurs de CSS un certain nombre d'incertitudes qui me troublent :


1) Une version traduite en hongrois de la Marseillaise justifie-t-elle qu'on se lève ? Est-ce à voir comme "fantaisie" (qu'on tolère parce qu'on est gentil) ou comme l'hymne lui-même ?

2) Plus généralement, la musique séparée de ses paroles constitue-t-elle l'hymne ? Elle peut s'il n'y a pas du tout de paroles et qu'il s'agit de la strophe entière, comme lors des grandes manifestations. Mais si on en entend un motif ou une phrase entière dans une symphonie ou à l'Opéra, doit-on se lever ?

3) Enfin, et plus profondément, le fait de jouer la Marseillaise en concert justifie-t-il de se lever ? La tradition dit oui, mais je m'interroge : lorsqu'elle est jouée comme morceau de musique, a-t-elle son statut sacré - au même titre que lâcher un Mon Dieu ! n'équivaut pas à une prière ? N'est-ce pas, d'une certaine façon, dénaturer son statut que de la traiter machinalement avec déférence alors qu'on n'est venu que pour en écouter la musique ?

C'est juste pour savoir si je dois me lever pendant les Deux Grenadiers (où elle est reprise en mineur, sacrilège), voire au milieu d'Hermann & Dorothée ou de l'Ouverture 1812.

J'en profite pour ajouter une dernière question, si un spécialiste est présent dans la salle. Du fait de la loi du 18 mars 2003 sur les outrages aux symboles nationaux, pourrait-on être puni (pure hypothèse bien sûr, personne ne s'embarrassera pour cela) pour outrage à l'hymne si l'on ne se levait pas pendant un concert Berlioz, par exemple ? Et si l'on est étranger ? A cela, on pourrait ajouter des questions plus purement juridiques : cette loi se limite-t-elle aux outrages (déchirer ou souiller le drapeau, huer l'hymne), ou couvre-t-elle également les dénigrements (« Rouget de Lisle harmonisait comme une moule hémiplégique ») et les parodies ? Vous imaginez aisément le risque d'incarcération pour tous les professeurs d'écriture et de composition.

Vous me direz que vous êtes de toute façon obligé de vous lever si vous voulez continuer à voir quelque chose, mais l'hypothèse assise demeure stimulante, de mon point de vue.

Mise à jour et réponses (partielles) :

Après avoir paisiblement regardé l'article 433-5-1 du Code Pénal (créé par la loi du 18 mars 2003), et rédigé la notule, je me dis que, finalement, je dispose d'une réponse : « Le fait, au cours d'une manifestation organisée ou réglementée par les autorités publiques, d'outrager publiquement l'hymne national ou le drapeau tricolore est puni de 7 500 euros d'amende. », un concert dans un théâtre (en tout cas un théâtre privé, à vérifier si on peut considérer une maison d'Opéra publique et / ou subventionnée comme un lieu "réglementé par les autorités publiques") ne tomberait pas sous le coup de la loi.
Je suis déçu. Même pas drôle.

Dans le cas d'une éventuelle restriction, ce serait donc avant tout le lieu qui ferait le délit ! Manquer de respect à la Marseillaise dans un concert subventionné, ce serait comme insulter son hôte, mais ailleurs, ce texte ne me paraît évoquer aucune limitation à nos aigreurs éventuelles.

On ne peut pas pour autant brûler le drapeau tricolore dans son jardin, à cause du décret n° 2010-835 du 21 juillet 2010 relatif à l'incrimination de l'outrage au drapeau tricolore, qui interdit expressément de le faire si l'on est vu.
Encore que la formulation en soit limitative et ambiguë :

[...] est puni de l'amende prévue pour les contraventions de la cinquième classe le fait, lorsqu'il est commis dans des conditions de nature à troubler l'ordre public et dans l'intention d'outrager le drapeau tricolore : « 1° De détruire celui-ci, le détériorer ou l'utiliser de manière dégradante, dans un lieu public ou ouvert au public ;
« 2° Pour l'auteur de tels faits, même commis dans un lieu privé, de diffuser ou faire diffuser l'enregistrement d'images relatives à leur commission.

Le jardin entouré d'un muret mais visible, par exemple, par quelques voisins, ou éventuellement par endroits de la rue à travers la haie est-il considéré comme « ouvert au public » - cela veut-il dire "dans lequel le public peut pénétrer", "ostensible" ou seulement "éventuellement visible" ? Dans les deux derniers cas, s'il n'y a ensuite pas de photos ou vidéos envoyées par les destructeurs, on ne pourrait leur imputer aucun délit, quand bien même leur manège serait tout à fait ostentatoire.
J'ose espérer que l'expression « ouvert au public » a un sens juridique défini, sinon le texte a vraiment été écrit avec les pieds, et je dis bon courage pour l'instabilité juridique, selon l'interprétation qu'une Cour ou l'autre en fera.

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Dans tous les cas de figure, en revanche, vous êtes libre de huer ostensiblement la Marseillaise dans la rue ou de la défigurer atrocement en la chantant faux ou avec des paroles paillardes, tant que vous ne vous approchez pas d'un cortège officiel.

Je vous accorde bien volontiers que cette information ne sert strictement à rien, mais considérant qu'on dispose d'une loi et d'un décret récents pour réprimer les outrages symboliques, les incertitudes et vides qui résultent de la parade peuvent légitimement faire sourire.

C'est toujours ça de gagné pour nous, tout le monde ne peut pas se vanter d'avoir des députés qui font rire.


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Commentaires

1. Le mercredi 12 septembre 2012 à , par klari :: site

"voire au milieu d'Hermann & Dorothée"

je ne me lève JA-MAIS pendant du Schumann, voyons !

(je sens que je vais remporter la palme du commentaire utile, moi..)

2. Le mercredi 12 septembre 2012 à , par DavidLeMarrec

Je parlais bien sûr du poème symphonique tripartite de Jenő Zbehy, enfin ! Nous n'écoutons pas ces scies plébéiennes.

Le pire est que tu dis la même chose de Manfred. :(

3. Le vendredi 14 septembre 2012 à , par Raphaël D.

Bonjour David !
Amusant de se poser ce genre de questions, je reconnais bien là ton plaisir pervers de fouiller jusque dans les entrailles du droit pour en dénicher les singularités, les failles ou les absurdités ! :)

En ce qui concerne la version de Kodaly, je ne pense pas qu'y entendre avant toute chose la Marseillaise dénature l'oeuvre. Le symbole s'impose de lui-même.
Et le contexte est bien différent des exemples que tu cites, où il ne viendrait à personne l'idée de se lever pour une citation de quelques mesures. Ici, il s'agit avant tout d'un arrangement fait par Kodaly. Je ne connais pas bien la genèse de la composition, mais la forme de l'hymne national est tout à fait préservée, certainement à dessein. On peut même se demander si le texte hongrois n'a pas été choisi par simple souci pratique, pour arranger les choeurs amateurs du bassin pannonien dans leurs répétitions plutôt que de les obliger à baragouiner du français.

Et dans ce concert filmé - hormis le fait que le public ne se soit certainement pas posé toutes ces questions durant l'intervalle de dix secondes qui sépare le début de la musique avec les premières génuflexions au parterre - le contexte peut modifier toute la perception. La représentation a lieu en France, il s'agit donc clairement d'un clin d'oeil adressé au public, et peut être même d'un bis en hommage à notre beau pays...

L'enquête est ouverte.

4. Le samedi 15 septembre 2012 à , par DavidLeMarrec

Bonjour Raphaël. :)

je reconnais bien là ton plaisir pervers

Pardon, je ne réponds pas aux insultes des décadents. (Pof.)

En ce qui concerne la version de Kodaly, je ne pense pas qu'y entendre avant toute chose la Marseillaise dénature l'oeuvre. Le symbole s'impose de lui-même.

Mon propos était inverse : est-ce qu'aller entendre avant tout la musique (et feindre l'hommage, alors que ce n'était pas notre but) n'est pas une sorte de démonétisation du patriotisme auquel on est censé rendre tribut en se levant ?
Je suppose qu'on peut répondre que faire l'effort de se lever pendant un concert, si, c'est un signe d'allégeance. Je cherche sans doute exagérément la discordance sur ce point, mais tout cela me paraît tout de même infiniment bizarre et exotique.

Sinon, ce que j'entends du texte hongrois est bien d'ordre patriotique (le titre le confirme de toute façon). Ensuite, s'agit-il d'une adaptation pour les hongrois, d'un détournement ou d'un hommage, je ne puis le dire avec certitude, il faudrait que je trouve les paroles écrites quelque part.

et peut être même d'un bis en hommage à notre beau pays...

Très probable, mais on a l'air d'autant plus empesé d'être au garde-à-vous parce que les hongrois nous font un bis-clin d'oeil. :)

hormis le fait que le public ne se soit certainement pas posé toutes ces questions durant l'intervalle de dix secondes qui sépare le début de la musique avec les premières génuflexions au parterre

Toutes, non, mais on voit bien l'hésitation : est-ce vraiment la même chose que la Marseillaise, est-il légitime de se lever pour une version pas en français, etc. Pour les gens qui vivent avec sérieux le rapport aux symboles nationaux, il y a certainement eu dix secondes d'assez violente tempête sous crâne. Et puis quand ils n'ont plus rien vu, ils se sont levés.

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