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Découvrir le lied : essai de discographie réduite et essentielle

Lied et lieder, une discographie essentielle (essential discography)

(Remarques pratiques : Si le texte vous paraît trop petit, vous pouvez utiliser sous Windows la commande "Ctrl" + "+". Ou bien le zoom de votre butineur préféré. Par ailleurs, cet article se trouve également ici pour que vous puissiez, si cela vous paraît plus pratique, le télécharger sur votre disque dur pour consultation ultérieure... ou impression pour faire les courses ! Il apparaît en pleine page, beaucoup plus agréable à lire.)

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Pour prolonger notre série d'initiation au lied, on tente ici un essai de discographie très sélective, équilibrée autant que possible entre les époques, différents types de voix et d'interprétation, et tâchant de recouvrir aussi bien les incontournables célébrités du répertoire que les raretés souvent encore plus passionnantes.
Avec ces quelques disques, on peut estimer bien connaître l'essentiel du lied et bon nombre de ses meilleurs interprètes, chanteurs et pianistes. 

On a fait le calcul : si vous utilisez notre guide au plus serré, vous disposez de l'essentiel en 23 disques !


Quelques remarques formelles :

1) On a séparé les oeuvres que tout amateur de lied doit connaître de celles que nous estimons incontournables, mais qui ne sont pas forcément très connues (voire extrêmement peu, comme les lieder de Reger et Holl ou le cycle de Gurlitt...).

2) Le fond jaune indique qu'il s'agit d'un cycle de lieder avec orchestre (ou d'une interprétation avec orchestre). Cela n'a rien à voir avec une quelconque mise en valeur : souvent, les cycles orchestraux de lieder sont quasiment plus des poèmes symphoniques avec voix, plus musicaux que réellement une mise en musique d'un texte révéré.

3) On a essayé de diversifier les interprètes recommandés pour couvrir un spectre d'interprétations à la fois irréprochable et varié.

4) On adopte l'ordre chronologique d'exercice des compositeurs. (Entre parenthèses figurent les poètes et les labels.)

5) Lorsqu'on propose le choix entre plusieurs interprétations assez différentes et difficiles à départager, on essaie de placer la référence qui nous paraît la plus recommandable en premier.

Poèmes et traductions :

Dans le cas où il manquerait les textes (indispensables pour apprécier pleinement le genre), pas de panique, il faut consulter le site formidable d'Emily Ezust qui en contient énormément de traduits. Et s'ils y figurent non traduits, Google Traduction dégrossit un peu l'affaire. On essaie de préciser tout cela, mais nous n'avons pas tous ces disques sous la main à l'instant où nous rédigeons ces lignes...

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Compositeur

Oeuvre

Version

Commentaires

Indispensables célèbres

Première période : romantisme

Schubert

Die Winterreise

« Le Voyage d’Hiver »

(Müller)

Fischer-Dieskau / Moore

Prades 1955 (INA)

- Cycle fondamental, une marche dans et vers l'anéantissement.
- DFD dans ses meilleures années et dans un bon son, avec Moore concerné, la quadrature du cercle entre lyrisme et expression. Attention, pas de livret, il faut utiliser le site d'Emily Ezust, ou alors acheter plutôt la version Goerne / Johnson (Hyperion) avec traduction anglaise, ou pour une traduction française Fischer-Dieskau / Demus (très, trop lyrique). Goerne / Brendel, peut-être préférable à cette dernière, devrait logiquement comporter une version française.

Schubert

Intégrale

G. Johnson (Hyperion)

Une somme immense, à pricorer au gré des volumes disponibles séparément à la vente (l'intégrale existe d'un seul tenant, mais présentée de façon moins pratique - en mélangeant les interprètes et les sujets au profit de la chronologie - et surtout en ôtant les commentaires musicologiques et littéraires remarquables des notices de Graham Johnson). Traductions anglaises des textes allemands.

Schubert

Lieder (épiques et antiques)
(Schiller, Mayrhofer...)

Rolfe-Johnson / Johnson (Hyperion)

Deux volumes particulièrement aboutis de l'intégrale. Ils ont l'avantage d'être extrêmement convaincants tant au niveau des pièces que des interprètes, de ne pas être contemporains du Winterreise pour changer un peu les atmosphères, et de ne comporter qu'un nombre réduit de tubes, ce qui laisse ensuite toute latitude ensuite pour écouter ses interprètes favoris dans les standards dont on ne parvient pas à se débarrasser dans les récitals les plus courants... 

Schubert

Lieder (nocturnes)
(Goethe, Schiller, Ossian...)

Hampson / Johnson (Hyperion)

 

Schumann

Liederkreis Op.39

« Cycle de lieder » (Eichendorff)

Goerne / Schneider (Decca)

- Une sorte d'idéal romantique, sur des poèmes parmi les plus beaux de langue allemande, avec des teintes crépusculaires et mélancoliques, jubilatoires parfois aussi...
- Si l'on privilégie une version féminine, peut-être moins prenante mais tout aussi bien dite (quelques petites imperfections ici ou là, notamment au niveau de l'accent gallois), M. Price / Johnson chez Hyperion est également un excellent choix.

Schumann

Dichterliebe Op.48 

« L’amour du poète »

(Heine)

Fassbaender / Reiman (EMI)

- Une suite de miniatures ironiques sur l'amour déçu. 

- Fassbaender en accentue particulièrement la dérision amère ; le disque RCA, lui, contient en complément l'opus 90 et plusieurs lieder majeurs de Schumann. Enfin, la version disponible sur Carnets sur sol est tout aussi bonne et légalement gratuite, puisque ses droits d'auteur patrimoniaux et voisins sont arrivés à expiration.

 

ou Gerhaher / Huber (RCA)

ou libre de droits disponible sur CSS : Souzay / Cortot

Deuxième période : romantisme tardif
 

Wagner

Wesendonck-Lieder

« Lieder sur des poèmes de Mathide Wesendonck »

Minton / Boulez (Sony)

- Cycle de lieder sur les poèmes de la maîtresse de Wagner, épouse de son mécène d'alors. Ce sont largement des esquisses de Tristan und Isolde, également inspiré par leur relation. Le dernier lied a été orchestré seulement pour une sérénade d'orchestre de chambre sous les fenêtres de Mathilde, à l'occasion de son anniversaire. Les autres orchestrations (pas bien meilleures...) sont dues à Felix Mottl (l'assistant de Hans Richter pour la création du Ring). Cependant, l'oeuvre sonne mieux avec orchestre - au piano, on entend des silences et des redondances, un déséquilibre voix-piano aussi.
- Le problème réccurent est que la diction est totalement incompréhensible, ou alors avec peu de relief, chez la plupart des interprètes. La notre y échappe tout à fait, même s'il y a plus précis (Crespin / Prêtre chez EMI) ; la direction de Boulez fait de surcroît de l'orchestration là où il n'y en pas vraiment d'écrite.
- Le disque Sony est couplé avec de bons Rückert-Lieder, qui ne dispensent peut-être pas d'une version plus frémissante.

Brahms

Volkslieder

S. Genz / Vignoles (Apex)

Parmi les oeuvres très homogènes de Brahms (entre elles, et même à l'intérieur de chaque pièce), c'est là sans doute le corpus le plus avenant. Version très bien dite et chantée.

Troisième période : les mouvements décadents (postpostromantiques ou novateurs violents ou raffinés)

Wolf

Lieder
(Mörike)

Bär / Parsons (EMI)

- Les lieder les plus célèbres de Wolf, interprétés par une voix très claire (qui tient depuis des emplois parfois voisins du baryton dramatique, voire du baryton-basse !), très raffinée, idéal équilibre entre la simplicité et la sophistication. C'est précisément cette simultanéité bizarre qui est le propre de Wolf.
- Epuisé ou en voie d'épuisement, auquel cas on peut adopter le disque Goethe-Mörike de Kirchschlager / Deutsch Anakreons Grab (paru sous forme de livre-CD et sous forme CD).

Wolf

Spanisches Liederbuch

« Livre de lieder espagnol »

(Heyse & von Geibel)

von Otter / Bär / Parsons (EMI)

- Deux heures de lied sous sa forme populaire et joyeuse, mais toujours très travaillée chez Wolf. Sans doute le plus accessible de son corpus.
- Ce disque, un petit bijou vocal et verbal, est aussi épuisé ou en voie d'épuisement, auquel cas le disque Schwarzkopf / Fischer-Dieskau / Moore (EMI) est excellent... sauf en ce qui concerne les interventions de Schwarzkopf, pourtant d'habitude plutôt à son aise dans Wolf.

Mahler

Des Knaben Wunderhorn

« Le Cor merveilleux de l’enfant »

(Arnim & Brentano)

Bonney, Goerne (Fulgoni, Winbergh) / Chailly (Decca)

- Des Knaben Wunderhorn, fondé sur le recueil de poèmes populaires d'Arnim & Brentano, est aussi un recueil de chants au ton badin ou insolent, écrits et orchestrés brillamment par Mahler.
- Cette version est la plus complète du marché (car aucune ne contient absolument tous les numéros), soit un lied de plus qu'Abbado. C'est aussi l'une des plus spectaculaires orchestralement et des plus vivantes tout court. 

Mahler

Trois cycles :
- Lieder eines fahrenden Gesellen

« Chants d’un compagnon errant » 

(Mahler)

 - Rückert-Lieder 

« Lieder sur des poèmes de Friedrich Rückert »

(Rückert)
- Kindertotenlieder 

« Chants sur les enfants morts » (Rückert)

Hampson / Bernstein

(DG, existe également en DVD)

- Trois éléments indispensables de l'histoire du lied orchestral, conçu comme tel dès l'origine, même si Mahler est passé par une particelle (= version piano non destinée à publication), alors que la plupart des exemples précédents sont des orchestrations a posteriori, une fois la carrière des partitions faite en piano / voix.
- Il y a de surcroît quantité d'anecdotes attachées à leur composition dans la vie personnelle de Mahler, ce qui contribue d'autant plus à leur célébrité.
- Interprétation extrêmement incarnée, difficile de trouver beaucoup mieux.
- Moins cher, Henschel / Nagano, assez dans le même genre et avec le même programme, a paru chez Apex. Les petites budgets peuvent y aller voir aussi (sans attendre les textes qui sont chez DG...). On peut aussi citer, dans des cycles dépareillés, Siegfried Lorenz, Waltraud Meier, Dietrich Fischer-Dieskau, Brigitte Fassbaender, etc. Mais on préfère s'en tenir au plus petit nombre de disques possible, pour constituer cette discothèque 'essentielle'.
Mahler Das Lied von der Erde
"Le Chant de la Terre"
(Poètes chinois massacrés)
Thorborg / Öhman (parfois graphié Öhmann) / Schuricht
(domaine public, disponible sur CSS)
- Mahler rechignait à écrire une dixième symphonie, du fait de l'image de la malédiction qui pesait dessus depuis Beethoven et Schubert ; aussi, après sa Huitième, il imagine de présenter autrement sa prochaine grande fresque chantée, sous le titre de Lied, alors qu'il s'agit bien dans son esprit d'une symphonie - c'est au demeurant amplement autant une symphonie que la Huitième (pas moins en tout cas...).
Il utilise l'adaptation allemande de poèmes chinois assez méconnaissables, pour certains à partir d'une traduction française... avec de surcroît des ajouts de sa propre fantaisie ici et là.
- La version Schuricht dispose d'une atmosphère extraordinaire,  et le son est tout à fait bon pour l'époque (à part pour l'incident fameux de l'exaltée néerlandaise probablement nazifiante qui vient prononcer un petit slogan près du micro avant de sortir : on l'entend à peine, ce n'est absolument pas une gêne à l'écoute).
Pour les oreilles sensibles ou les âmes délicates, Klemperer, dans un tout autre genre, plus charnu mais sans sa lourdeur coutumière, est un enchantement.
[pour ceux qui n'aiment pas les versions anciennes :
Ludwig / Wunderlich / Klemperer (EMI)]
R. Strauss Vier Letzte Lieder
« Quatre derniers lieder »
(3 Hesse et 1 Eichendorff)
Te Kanawa / Soli (Decca) - Dans le versant ultralyrique et assez sirupeux du Chevalier à la Rose et d'Arabella, le grand classique du lied orchestral. D'une beauté hors du commun, il faut bien le reconnaître.
- Parmi les pléthoriques excellentes versions (Grümmer / R. Kraus, Stemme / Pappano, Janowitz / Karajan, Norman / Masur, Popp / Tennstedt, Della Casa / Böhm, Mattila / Abbado, Fleming /  Thielemann, Pollet / Weise, etc.), on a choisi celle-ci comme le meilleur équilibre entre la diction (secondaire mais appréciable), l'expression, la ductilité - et la présence de l'orchestre. De surcroît, le couplage avec d'autres lieder orchestrés de Strauss (nettement moins essentiels) correspondait mieux à notre projet que les autres couplages. Mais chacun peut aller voir ses chouchous et ne manquera pas de le faire s'il en a.
Berg Sieben Frühe Lieder
« Sept lieder de jeunesse »
(divers poètes)
von Otter / Forsberg (DG)
(version piano)
- Les Frühe Lieder sont encore dans un ton très décadent à la façon de Schreker ou du jeune Webern, tarabiscoté mais tout à fait dans une logique tonale. On préfère recommander la version piano, pour mieux goûter les délicieuses alternances tension-détente de l'harmonie, et tout l'intimisme sophistiqué de leur ton, mais ils ont été orchestrés par Berg vingt ans plus tard (très belle chose également).
- Les Altenberg-Lieder, eux, sont déjà du côté des recherches d'avant-garde de Berg, et appartiennent vraiment au coeur du vingtième siècle (les strates alla Schreker se font de plus en plus libres et inquiétantes). Le texte chanté est très bref, et l'orchestre tient la première place (souvent l'introduction, les ponctuations et la conclusion sont plus longues cumulées que la partie chantée...). Le travail orchestral tient véritablement de l'orfèvrerie, mais l'on n'est finalement plus dans le lied. [C'est d'ailleurs une constante : après Wolf, le texte, même s'il est très soigneusement choisi, devient de plus en plus prétexte à une expression essentiellement musicale. C'est aussi lié aux langages musicaux de plus en plus libres qui s'accommodent mal des inflexions naturelles de la voix parlée. Et à la prédominance au fil du temps du lied orchestral - un contresens d'une certaine façon par rapport à la nature initiale du lied.]
- On a choisi deux versions superlatives, mais qui ont le défaut d'être séparées, pour deux cycles assez court. Il est donc possible, pour économiser, d'acquérir en un seul volume Banse (Frühe) / Marc (Altenberg) / Sinopoli  (Teldec, avant que ce soit épuisé...), avec une direction extraordinairement précise et intense de Sinopoli, mais Marc vraiment en difficulté vocalement (ça criaille, même si ce n'est pas grave ici - mais on est loin de la magie de Price) ou Balleys / Ashkenazy (Decca), très détaillé, assez sombre et un peu froid (mais peut-être plus préférable car plus équilibré). Tout cela est excellent et, pour le coup, ce sont les versions orchestrales des Frühe Lieder, moins essentielles, on l'a dit, mais c'est une économie possible.
Berg Altenberg-Lieder
« Lieder sur des poèmes de Peter Altenberg »
M. Price / Abbado (DG)
Quatrième période : modernités et contemporanéité
Cycles contemporains Il existe bien sûr des cycles intéressants plus récents (en particulier Rihm), mais ils nous paraissent moins essentiels, aussi bien du point de vue de la célébrité que de leur intérêt intrinsèque. Il faudrait plutôt aller chercher du côté de la mélodie française symphonique : Poèmes pour mi de Messiaen, La Geôle & Deux Sonnets de Jean Cassou de Dutilleux, Pli selon pli (voire Le Soleil des eaux) de Boulez pour rencontrer des choses vraiment indispensables. Et qui, esthétiquement, doivent bien plus au lied que de la mélodie française. 
Au moins aussi indispensables, mais moins connus et commentés
(donc moins utiles pour nourrir la conversation, et peut-être moins urgents pour le néophyte qui voudrait pouvoir échanger)
Première période : romantisme
Wieck-Schumann Lieder Högman / Pöntinen (BIS) - Entre Schubert et Schumann, et certainement pas inférieure, inspiration et poésie au sommet. - Version superlative pour l'investissement des deux partenaires, la poésie et l'évidence du tout : peut-être le plus beau disque de lied du marché. Couplé avec d'autres indispensables de Fanny Mendelssohn-Hensel et Alma Schindler-Mahler, donc très économique.
- Pour aller plus loin : intégrale Gritton / Loges / Asti (Hyperion) ou  Craxton / Djeddikar  (Naxos). 
Deuxième période : romantisme tardif
On pourrait sans doute parler des lieder de Liszt, mais faute de disques vraiment monographiques (il n'y en a presque pas !), et surtout faute que le corpus soit totalement majeur (même s'il est passionnant !)... on s'abstiendra, en le mentionnant simplement pour mémoire.
Troisième période : les mouvements décadents (postpostromantiques ou novateurs violents et raffinés)
Reger Duos Op.14
(divers poètes dont Eichendorff)
Klepper / M. Borst / Deutsch (Capriccio) - Attention, cela dure à peine un quart d'heure, mais c'est un sommet de délicatesse, le cycle de duos à connaître dans le répertoire du lied.
- Version remarquable avec pianiste remarquable. Couplé avec d'autres duos (intéressants) dans le domaine du lied également.
Reger Lieder May / Renzikowski (Arte Nova) - Ce disque parcourt l'ensemble de la production de Reger, de puis la jeunesse jusqu'à la maturité, et révèle un raffinement décadent dont on n'imaginerait pas capable l'auteur des poèmes symphoniques rondement et tristounettement postromantiques. Un corpus majeur, tout un monde ; dans le même goût que Wolf si l'on veut, mais infiniment plus travaillé et personnel.
- Excellente interprétation, sobre mais habitée.
Schindler-Mahler Lieder
(dont
Novalis et Dehmel)
Högman / Pöntinen (BIS) - Un corpus vertigineux, dont on ne connaît malheureusement que très peu de titres, ceux publiés par Alma de son vivant (on se rappelle que son mari lui avait défendu la composition). C'est véritablement l'une des fulgurances les plus étonnantes de l'histoire de la musique, en pointe de la modernité et de l'invention chez les décadents, bien plus moderne (et, disons-le, plus génial) que Mahler dans les mêmes années, par exemple. A connaître absolument, quasiment tous ceux qui l'ont découvert ont été conquis... 
- Disque superlatif décrit plus haut (Clara Wieck-Schumann) et qui contient aussi du Fanny Mendelssohn-Hensel, donc un véritable achat économique et forcément enthousiasmant.
- Pour aller plus loin : intégrale (de ce qui était alors publié) Ziesak / Vermillion / Elsner / Garben chez CPO.
Langgaard Lieder Dahl / Stærk (Da Capo) - Un corpus étrange, avec une sorte d'hypertophie du discours, quelque chose d'assez véhément et épique, dans un langage qui reste relativement postromantique. Assez insolite, cette manière de traiter la petite forme avec les moyens de la grande, y compris sur la durée assez étendue des pièces.
- Belle interprétation pour pas cher (la seule au disque).
Webern Intégrale Oelze / Schneider (DG) - Dans le coffret de la seconde intégrale Boulez de Webern, la véritable intégrale qui contient (à peu près) tout en deçà des numéros d'opus, on trouve cette intégrale des lieder, par un couple de rêve (ductilité et naturel... surnaturels d'Oelze dans cette musique si difficile, et rondeur très assurée chez Schneider). Les premières oeuvres sont les plus intéressantes, de la tonalité stricte des Frühe Lieder à l'atonalisme libre des autres premiers cycles. Le sens de l'atmosphère de Webern, sans s'attacher plus que cela au mot en tant qu'unité, est proprement exceptionnel. Peut-être l'ensemble le plus émouvant, le plus prenant depuis Schubert... Rien de sombre dans ces premières pièces, juste une sorte de lassitude chaleureuse, comme accablée sous un été gorgé de soleil. A connaître absolument.
Gurlitt Vier dramatische Gesänge
« Quatre chants dramatiques »
(Hardt, Goethe, Gerhart Hauptmann)
Oelze / Beaumont (Phoenix) - Ici aussi, peut-être l'exemple le plus réussi de lieder orchestraux, car le texte est au coeur du traitement de Gurlitt, qui choisi quatre extraits fondamentaux du théâtre allemand pour en faire un traitement relativement récitatif, mais toujours lyrique.
- Oelze participe bien entendu largement à la réussite de l'entreprise par la justesse de son ton mélancolique mais détaillé. (On se souvient qu'Antony Beaumont avait écrit une fin alternative à celle de Philipp Jarnach pour le Doktor Faust de Busoni...)
Schreker Vom ewigen Leben
« De la vie éternelle »
(sur traduction allemande de Whitman)
Barainsky / Ruzicka (Koch) - Dans le versant purement instrumental du lied avec orchestre, un complément très bienvenu au Vier Letzte Lieder, bien plus sinueux et sophistiqué, moins direct aussi. Une orgie orchestrale du meilleur Schreker. [Il s'agit en réalité de l'orchestration de ses deux derniers lieder.]
- Peu de versions disponibles (déjà rares) sont satisfaisantes, celle-ci l'est pleinement.
Korngold Lieder Kirchschlager / Deutsch (Sony) - Beaucoup de poèmes anglais en VO (y compris du Shakespeare) dans les deux cycles proposés dans ce disque, mais Korngold mérite tout de même d'être mentionné, vu son esthétique, en tant que compositeur de lied. Extrêmement tonal, se fondant sur la plénitude des harmonies et des tensions-détentes, il serait assez à comparer à Mahler sans les grincements ou à R. Strauss sans le sirop, pour ces oeuvres-là.  (Leur date de composition est très tardive - années 40, et la conception de ces cycles a donc eu lieu en Amérique où Korngold s'installe comme compositeur de film dès 1934.)
- Magnifique interprétation, ronde, fruité, très dite, très maîtrisée aussi ; avec un piano présent et inspiré.  Il s'agit du premier récital discographique de Kirchschlager - son meilleur au demeurant, et d'une audace programmatique plus que notable, puisque ces Korngold sont couplés avec le premier cycle d'Alma Schindler-Mahler et des extraits de Des Knaben Wunderhorn de Gustav Mahler en version piano. 
Quatrième période : modernités et contemporanéité
Holl Lieder Holl / Jansen (Sonder) Robert Holl est surtout connu comme chanteur (encore en activité), mais son inspiration comme compositeur apparaît bien supérieure à celle de sa (bonne) qualité d'interprète. C'est une lecture très noire du lied, extrêmement tourmentée et qui reste cependant tonale ; cela se rapproche beaucoup de la couleur de KÅ™enek (en mieux), ou du Berg des pièces orchestrales Op.6 et des Altenberg. En réalité, il s'agit d'un héritage direct de la décadence radicale, et ce n'est pas véritablement de la musique typée XXIe siècle que l'on entend là (encore qu'il y ait aujourd'hui beaucoup de courants postmodernes, néotonals ou syncrétiques - majoritaires d'ailleurs sur la stricte atonalité). Il n'empêche que pour le coup, on dispose d'un traitement étroit du texte et non pas de volutes abstraites ou d'une succession d'effets, et par conséquent, cela marche bien mieux pour le lied.
En tout état de cause, il s'agit d'un très bel ensemble. On peut s'en faire une idée sonore sur son site personnel (les CDs ne sont de toute façon pas faciles à trouver dans le commerce) ; et pour en savoir plus... on peut lire CSS. Ceci, par exemple.
Jalons historiques
(Pour comprendre les origines du lied, mais pas majeur du tout.
On s'est limité aux très célèbres, mais C.P.E. Bach, Zelter et Loewe peuvent permettre de comprendre également des choses.)
Mozart Intégrale Ameling (Philips) - Des miniatures très naïves, vraiment sous forme de romances. On se trouve vraiment au moment où la chanson populaire fusionne avec la bluette de salon (ou plutôt juste avant, puisqu'on est encore dans quelque chose de galant).
- Très belle interprétation souple et gracieuse d'Ameling, mais la version de l'intégrale Brilliant Classics (avec Claron McFadden pour moitié), de surcroît pour partie avec pianoforte (ce qui devrait procurer un brin plus de relief) devait tout à fait faire l'affaire, inutile de se mettre en dépense.
Beethoven An die ferne Geliebte
(Jeitteles)
Goerne / Brendel (Decca) - La première oeuvre expérimentale du lied : le ton est très simple, sans affèteries, mais il s'agit d'un cycle continu où chaque lied s'enchaîne directement aux autres (la partition ne marque d'ailleurs aucune discontinuité), comme un tout. De surcroît, le travail malicieux (mais pas drôle non plus, entendons-nous bien, c'est Beethoven), presque expérimental, sur le matériau musical, le retour de thèmes, la manière de variations sur les motifs déjà énoncés, l'unité générale, tout cela fait véritablement de la chanson légère une oeuvre à part entière, destinée à ceux qui sont capable de l'apprécier - et non plus l'importation de thématiques populaires, même s'il en est encore question.
L'oeuvre en elle-même n'est pas d'une beauté bouleversante, mais sa modernité presque insolente est vraiment impressionnante - et fondamentale pour la suite.
- On propose une excellente version, profonde et intériorisée, couplée qui plus est au Schwanengesang de Schubert, autre morceau majeur du répertoire - une économie de plus !

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Mais... à part l'allemand ?

On a  délibérément écarté les autres langues germaniques, scandinaves et nordiques du corpus, pour des raisons de vastitude de l'entreprise, de documentation disponible moindre... et surtout de nature. Le ton des mélodies nordiques est extrêmement différent du lied ; on parle d'ailleurs de mélodies scandinaves...  Et à juste titre, car il s'agit plus de miniatures rondes et un peu populaires. On pourrait presque parler de chansons (en conservant la mélodie pour le salon poétique à la française). 

Pour ceux qui sont intéressés, on peut déjà indiquer quelques pistes, comme Toivo Kuula pour la part finnoise et la remarquable anthologie Aulin / Rangström / Nystroem / Alfvén / Larsson (et accessoirement Alqvist /  Frumerie / Linde) d'Anne Sofie von Otter et Bengt Forsberg, extrêmement représentative de la meilleure école suédoise (récital « Watercolours  » chez DG). Grieg et Sibelius nous paraissent moins urgents. 

Il manque bien entendu, au sein même des compositeurs de langue allemande, un nombre important de corpus, mais nous les détaillerons plus volontiers dans un autre tableau en préparation, qui tentera de rassembler tous les excellents enregistrements de lieder de notre connaissance, tous compositeurs confondus, destiné donc à ceux qui connaissent déjà le répertoire, ou qui veulent partir à l'aventure, collectionner, etc. 

On a aussi remarqué non sans une indicible horreur, à l'heure de publier ce petit récapitulatif, qu'il nous manquait Erwartung et Pierrot Lunaire de Schönberg. Faute d'avoir été séduits par le premier en quelque circonstance que ce soit, les lutins ne citeront pas de versions pour l'heure, et chercheront. Pour Pierrot Lunaire, la version DeGaetani / Weisberg (Nonesuch) s'impose absolument : les autres versions, trop parlées, trop chantées, trop minaudées, ne nous ont jamais convaincu, alors qu'ici tout prend évidence et poésie.
On tâchera de mettre le tableau à jour en conséquence, mais pour l'heure, il se peut que nous n'en ayons pas le loisir.

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La recommandation des lutins ?

Voici à  à notre gré, sans considération de célébrité, les corpus les plus intéressants, par ordre chronologique : Schubert / Schumann / Wieck / Reger / Schindler / Gurlitt / Webern  / Holl. 


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Pour aller plus loin qu'une discographie ?

Un certain nombre de ces oeuvres et la plupart de ces compositeurs ont été abordés sur Carnets sur sol ;  on peut y accéder : 

- par l'index (pratique, mais encore incomplet) ; 

- dans la série d'introduction au lied

- dans la catégorie indépendante, consacrée à la mélodie et au lied

- en effectuant une recherche dans le petit moteur de la colonne de droite ('Fouiner').

N'hésitez pas, parce qu'il y a très probablement du matériel autour du corpus qui vous intéressera. Et amusez-vous bien. 


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Autres notules

Index classé (partiel) de Carnets sur sol.

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Commentaires

1. Le jeudi 20 août 2009 à , par Au fait

Evidemment, je ne l'ai pas précisé, mais ça appelle bien évidemment les ajouts, les propositions personnelles et les contestations de toutes sortes.

J'attends en particulier quelques protestations de mauvaise foi avec tout le matériel de guerre nécessaire...

2. Le vendredi 21 août 2009 à , par Xavier

Dans les moins connus, tu aurais pu citer Szymanowski qui a écrit pas mal de lieder allemands dans sa première période post-romantique. L'opus 13 au moins!

Et pour Liszt, le disque Behrens!! (assez introuvable il est vrai, mais en médiathèque...)
Il y a Fassbaender aussi avec du Strauss.

3. Le vendredi 21 août 2009 à , par DavidLeMarrec

Merci pour le rebond, Xavier. ;)

Le disque Liszt / Behrens est très bien, mais la diction est un peu floue pour la recommander en premier choix. J'aurais aimé plutôt un Hampson, il en a beaucoup chanté en concert ces dix dernières années, mais manifestement, on peut toujours attendre pour la publication... Déçu par le disque de Konrad Jarnot, aussi. J'ai fait le choix un peu arbitraire d'écarter Liszt du corpus réduit, mais comme je le disais, je prépare quelque chose de plus costaud qui incluera un maximum de corpus.

Concernant Szyma, ça me bouleverse moins que, dans le même genre Reger / Schindler / Webern, mais il est vrai qu'on est dans les mêmes eaux. C'est plus mélodique, presque répétitif mélodiquement, avec des ostinati rythmiques aussi, ça me paraît moins essentiel. Mais cette partie 'moins connus' est bien sûr plus perméable à la subjectivité, puisque c'est le conseil de la maison.

Là où je te rejoins, c'est que ces lieder méritent clairement le coup d'oreille quand on aime cette esthétique qui va de Wolf à Berg, disons. Ce n'est pas du tout maladroitement écrit pour l'allemand, et il y a dans les harmonies des choses absolument délicieuses.

4. Le samedi 22 août 2009 à , par jerome

"Un corpus vertigineux, dont on ne connaît malheureusement que très peu de titres, ceux publiés par Alma de son vivant (on se rappelle que son mari lui avait défendu la composition)."

Connaît-on les raisons de cette interdiction ? C'est aberrant... rien que d'y penser on a envie de lui mettre des claques.

5. Le samedi 22 août 2009 à , par DavidLeMarrec

Merci de ton soutien Jérôme. :-) On ira déterrer son cadavre un de ces quatre.

Oui, la raison est assez simple. Mahler a fait sa demande (il faudrait vérifier si c'est juste avant ou juste après que le mariage a déjà été un peu consommé, mais enfin, c'était bien le projet de se marier) en glissant un lied sur un poème de Rückert composé pour elle (Liebst du um Schönheit) dans la partition de Siegfried qu'elle déchiffrait quotidiennement (au point de s'être gâté la voix, dit-on).
Alma n'y touchait plus depuis quelques jours, il l'a donc enjointe à faire un peu de déchiffrage. Et là, évidemment, grand moment d'émotion, tout ça.

Il se trouve par ailleurs qu'Alma était très attachée à Alexander Zemlinsky, son professeur de compositeur (beau boulot !) et aussi son ami, au point d'avoir pu écrire dans son journal, quelques mois auparavant, qu'elle avait manqué d'être perdue. Mais Zemlinsky n'en savait trop rien, elle soufflait le chaud et le froid, et elle avait une fascination mêlée de dégoût pour sa (toute relative) laideur. Zemlinsky l'a ressenti de façon si violente qu'il a ensuite été absolument obsédé par L'Anniversaire de l'Infante de Wilde, qui est le sujet de son opéra Der Zwerg, et qu'il a aussi refourgué avec insistance à Schreker qui a écrit une pantomime, puis s'est servi du thème pour en faire ses Gezeichneten. (Eh oui, le rayonnement esthétique d'Alma est plus vaste qu'on pourrait le penser de prime abord !)

Lorsqu'elle rencontre Mahler, elle doit faire un choix, déchirant, et elle choisit la nouveauté, l'attrait étrange qu'elle éprouve pour Mahler, son génie aussi. Au moment où elle fait donc ce choix - et c'est une femme qui n'aime pas renoncer à quelque chose -, Mahler, juste après cette demande, lui écrit une lettre absolument hallucinante dans laquelle il lui explique qu'en tant que génie, il a besoin qu'on le dorlote, qu'il ne faudra pas se plaindre s'il est absent de la maison ou s'il a envi d'être seul pour être inspiré, et que par conséquent, il est hors de question que son toit abrite plus d'un compositeur. Il tient au passage quelques propos profondément condescendants sur l'amateurisme d'Alma qui de toute façon ne peut pas l'amener bien loin.

Alma en est assez ébranlée, elle écrit des choses assez tourmentées dans son journal intime. Malheureusement pour elle et pour nous, elle a trop lu de Wagner, et elle fait le choix du sacrifice rédempteur de l'amour : elle va se consacrer tout entière à servir le Génie... de son mari.
Elle renonce donc de son plein gré mais un peu sous la contrainte quand même à ses activités artistiques, et en particulier musicales.

Dans la réalité, ça a été moins absolu que ça, puisque le premier cahier de lieder est publié par Alma du vivant de Mahler et avec son assentiment. Mais ça a considérablement freiné son élan créateur bien entendu.

Il faut savoir qu'il existerait tout de même une centaine de lieder, certains sans doute égarés ou détruits, mais plus que ce que nous avons. D'ailleurs, aux quatorze publiés se sont ajoutés deux Rilke inédits en 2000, et il semblerait qu'un autre ait été retrouvé. A ce rythme-là, on n'est pas rendu (surtout qu'il faut payer une nouvelle partition à chaque fois...), mais enfin, petit à petit...

On manque cruellement d'un travail de spécialiste sur Alma, c'est certain, qui puisse un peu nous mettre en lumière les corpus égarés (elle avait ébauché un opéra !) et qui permette ensuite de publier des choses un peu plus nombreuses qu'une quinzaine de lieder.


Voilà.

6. Le samedi 22 août 2009 à , par Sylvain

Bonjour David,

Superbe billet !

Une remarque quand même sur Kathleen Ferrier, dont je suis surpris de ne pas lire une seule fois le nom, même dans les versions alternatives pour le Chant de la terre ou Kindertotenlieder. C'est dur dur quand même ! La barre est vraiment très très haute ;-)

Sinon il y a tellement à lire depuis que je suis revenu... avec une mise à jour de Schreker en plus. Tiens d'ailleurs j'en profite pour vous signaler un bouquin paru en mars 2009 sur un thème un peu inhabituel (je ne sais pas s'ils vont en vendre beaucoup) "Aspects de l'opéra français de Meyerbeer à Honegger". C'est une courte compilation d'articles tirés d'un colloque qui s'est déroulé à Yale il y a quelques années. Certains articles sont tout à fait passionnants, même si ca reste très inégal. Je recommande tout de même. Peut être d'ailleurs qu'il faudrait l'offir au "critique sous plumitif" de Classica dont parlait Morloch dans sa chronique passionnante sur les fées au Chatelet et qui pensait que Meyerbeer avait eu une influence néfaste sur Wagner lors de la composition des fées.

Sylvain

7. Le samedi 22 août 2009 à , par DavidLeMarrec

Bonjour Sylvain !

Merci pour l'annonce de la parution, j'étais passé à côté. C'est suffisamment rare comme sujets de publication pour s'y intéresser !

Quant à Ferrier, c'est vrai, c'est un manque, mais pour le Chant de la Terre, c'est quand même très flou sur les intentions, uniquement de l'empathie dans la manière de chanter, assez imprécise sur le texte. Ca reste extrêmement touchant, mais il faut supporter Walter, et on perd vraiment, entre la prise de son et les manières du chef, sur l'écriture orchestrale.
Sinon, il n'est pas douteux que côté formation culturelle, ça fait partie des disques-cultes qu'il faut connaître !

8. Le samedi 22 août 2009 à , par jerome

Merci pour ces détails :)

"le premier cahier de lieder est publié par Alma du vivant de Mahler et avec son assentiment."

A-t-il commenté ces lieder ? Toujours le même mépris ?
Il est vraiment sureprenant qu'un tel musicien averti n'ait pas perçu tout la valeur des oeuvres de sa femme. Peut-être la liberté de ses harmonies lui paraissait-elle relever du bricolage, d'une fantaisie excessive ?
Et sait-on comment ces lieder furent reçus dans le monde musical de l'époque ?

9. Le samedi 22 août 2009 à , par Sylvain

Je viens d'écouter les "Quatre derniers lieder" version Te Kanawa / Solti sur musicme et le dernier mouvement est vraiment somptueux. Peut être un peu trop propre, et on frise la perfection même dans la prise de son qui laisse vraiment tout entendre: http://tinyurl.com/ktnaan

Je ne sais pas si c'est un hasard que vous parliez d'elle ici, mais Kiri Te Kanawa a annoncé la fin de sa carrière il y a 10 jours alors qu'il était prévu qu'elle fasse un Rosenkavalier à Cologne en 2010 (http://kirionline.net84.net/kol/?p=287). Dommage ! (lien sur article du Telegraph: http://tinyurl.com/ko3jo3)

Elle a du lire CSS sur la version Marelli de Hambourg et elle a jeté l'éponge la pauvre...

10. Le samedi 22 août 2009 à , par Sylvain

Il semble que j'ai parlé trop vite et que justement, ce ne soit pas annulé...

11. Le samedi 22 août 2009 à , par DavidLeMarrec

Je n'ai plus les détails en tête, il me semble que c'est lui-même qui a aidé à l'édition, donc avec une forme de bienveillance, on peut supposer. Je crois que c'était une exigence de départ, mais à partir du moment où elle ne courait pas le monde comme compositrice, ça devait lui être égal qu'elle continue à bricoler. A présent, il faut que je vérifie tout cela, parce qu'elle en a aussi publié avec Werfel, je ne voudrais pas me mélanger les pinceaux.

A-t-il commenté ces lieder ? Toujours le même mépris ?

Il me semble qu'effectivement, il regardait ça avec une bienveillance qui restait un peu condescendante. Les seuls éléments qu'on doit avoir doivent se trouver dans le journal d'Alma, j'irai vérifier.
Une chose est sûre, il ne l'a jamais considérée comme un compositeur sérieux.


Et sait-on comment ces lieder furent reçus dans le monde musical de l'époque ?


Ca a été reçu de façon très confidentielle, par les cercles d'amis. Donc pas de critiques en nombre pour se faire une idée.


Il est vraiment sureprenant qu'un tel musicien averti n'ait pas perçu tout la valeur des oeuvres de sa femme. Peut-être la liberté de ses harmonies lui paraissait-elle relever du bricolage, d'une fantaisie excessive ?

Question fondamentale, j'y vois plusieurs réponses.

=> Misogynie traditionnelle bien sûr : sa femme est là pour le servir, pas pour faire l'artiste. Et même pour un esprit aussi libre, insolent et idéaliste que la jeune Alma, l'aboutissement était de servir le petit déjeuner du génie, et pas de voler de ses propres ailes. C'est aussi, d'une certaine façon, le drame de Clara Wieck-Schumann, qui a arrêté de composé, à l'exception de quelques jeux avec des emprunts de thèmes à Schumann, etc. Elle aussi par conviction que son mari était le seul vrai génie. Il faut dire qu'elle avait pas mal de petiots à élever !
Donc, d'une certaine façon, il n'était pas même pas pensable que la composition puisse être plus qu'un passe-temps, un peu comme un lapin qui ferait de la musique géniale en courant sur un xylophone : ce pourrait être merveilleux que personne ne songerait à l'éditer...

=> A-t-il vraiment trouvé ces oeuvres médiocres, ou s'assurait-il une position de supériorité en assurant une protection condescendante (ce qu'il lui écrit avant leur mariage est même assez abominable) ? C'était aussi lui le compositeur établi, et il ne pouvait pas tomber en extase n'importe comment, il avait un rang à tenir, et on ne saura jamais véritablement ce qu'il en pensait.

=> Je crois cela dit que très sincèrement il n'aimait pas ce que faisait Alma. D'un point de vue formel, c'est totalement le bazar. Prends In meines Vaters Garten, par exemple, avec cet épisode consonant très plat qui intervient au milieu de choses très travaillées, avec des contrechants riches ou des harmonies subversives. Ou encore Hymne, avec un passage subitement fait de petits motifs chromatiques, sans aucun rapport avec ce qui précède ou ce qui suit.
Mahler est un novateur, certes, mais son langage demeure pleinement ancré dans la tradition classique, il développe, il fait retourner des thèmes, il écrit dans une langue qui emprunte à la musique populaire, qui a une certaine évidence. Donc le côté tarabiscoté de l'harmonie et surtout très rhapsodique des épisodes de ses pièces avaient tout pour lui déplaire. Ce sont clairement deux versants totalement opposés de la création d'avant-garde de ces années-là.
Mahler est du côté des maîtres de la forme (d'une certaine façon, même s'il est harmoniquement bien plus proche d'Alma, on pourrait penser à Berg, ou bien Zemlinsky), Alma du côté des inventeurs de formes, avec des fulgurances plus ou moins décousues (plus sur le version Schreker / Schulhoff). Harmoniquement, Mahler est plus du côté du Strauss de salon (Rosenkavalier, Arabella, Capriccio) et des poèmes symphoniques, quelque chose de tendu mais de très consonant, alors qu'Alma se situe vraiment du côté des pionniers (beaucoup de points communs avec Schreker et Berg).

Pas si étonnant donc qu'ils ne se soient pas entendus musicalement. Les premiers temps, Alma, tout en admirant le chef d'orchestre et la stature qu'elle sentait géniale de Gustav, avouait ne rien comprendre à... la Quatrième Symphonie ! Qu'elle trouvait très moderne. Encore une fois, elle était dans une optique qui excluait la forme, elle avait cette lacune-là, et sans doute que Mahler ne le lui a pas laissé passer dans ses compositions.

J'espère que ça répond un peu à tes questions.

J'irai chercher, à propos de la publication des lieder, des informations plus précises.

12. Le samedi 22 août 2009 à , par DavidLeMarrec

Sylvain :
Je viens d'écouter les "Quatre derniers lieder" version Te Kanawa / Solti sur musicme et le dernier mouvement est vraiment somptueux. Peut être un peu trop propre, et on frise la perfection même dans la prise de son qui laisse vraiment tout entendre: http://tinyurl.com/ktnaan

Ce n'est pas la prise de son (très bonne au demeurant), c'est vraiment Solti qui détaille tout, et c'est effectivement impressionnant, parce que c'est en plus avec un son très creusé, pas du tout transparent. J'ai justement fait une écoute comparée d'Im Abendrot hier (sur invitation, je précise, de coutume je ne fais pas ce genre d'exercice profondément pervers). Grümmer fait peut-être encore mieux dans l'équilibre musique / texte, et Jurinac sensiblement aussi bien, avec des orchestres sensiblement moins intéressants, surtout pour Jurinac (j'ai écouté la version Sargent).
Côté orchestre, c'est Pappano qu'il faut écouter : Stemme est relativement standard, mais alors les couleurs et les textures qu'il invente sont proprement inédites, tout se passe dans l'orchestre, vraiment vertigineux, sans commune mesure même avec Tennstedt et Solti.

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Non, rien à voir avec l'arrêt de sa carrière, je pensais qu'il avait déjà eu lieu à vrai dire, puisqu'elle était censée faire une tournée d'adieu en Vanessa de Barber, et que ça a eu lieu quelques années déjà. Mais j'ai peut-être pris des commentaires sur un rôle (tout de même sacrément costaud) de fin de carrière pour une annonce de retrait qu'il n'était pas.

En Maréchale, de toute façon, ce ne sont pas franchement les manières que j'attends (on entend beaucoup son accent et ses manières un peu minaudantes, à la rigueur Arabella passe mieux). Etonnamment, sans qu'il soit inaudible, l'accent est très maîtrisé dans ses Quatre Derniers Lieder avec Solti. [Mais alors, Werdenberg avec Haitink...]

13. Le samedi 22 août 2009 à , par Jérôme

Merci encore pour tout ça. Effectivement ça mériterait d'être encore détaillé, il y a tout un roman à faire !

Je suis juste un peu surpris par ton rapprochement entre les sens harmoniques de Mahler et du Strauss du Rosenkavalier. Je trouve Strauss bien plus fouillé - je ne parle pas de l'orchestration. Mais peut-être que mon aversion pour Mahler m'aveugle.
Ce Journal doit être une lecture intéressante, malheureusement ça a l'air épuisé ?

14. Le samedi 22 août 2009 à , par DavidLeMarrec

Oui, Strauss est indéniablement plus fouillé (le nombre de modulations à la --minute-- mesure est sans commune mesure, mais au niveau du rapport consonance-dissonance, c'est assez proche, on est dans quelque chose qui 'sonne' en permanence, sans les aspérités des lieder d'Alma. Mahler est de toute façon assez unique en son genre, à la fois très conservateur, postromantique dans sa conservation des standards brahmsiens, et en même temps capable d'inventer beaucoup dans ce cadre, de le faire totalement éclater par l'hypertrophie et l'ironie.
En revanche, le parallèle entre le Strauss de Zarathustra, Alpestre & Cie et Mahler me paraît relativement opérant sur le plan harmonique. (Sur le plan formel, c'est une autre histoire !)

Non, il est en vente libre (seuls les chapitres parlant de Kokoschka sont interdits au mineurs). Et j'ai regardé, il se trouve dans une dizaine de bibliothèques parisiennes (je n'ai même pas compté la version originale allemande...).

15. Le samedi 22 août 2009 à , par Papageno :: site

Pas si réduite que ça la discographie, une véritable bible du lied au format poche ! merci pour ce beau tableau où je vois surtout une invitation à combler quelques lacunes côté Gurlitt, Schreker, Korngold et autres

16. Le dimanche 23 août 2009 à , par DavidLeMarrec

Merci beaucoup Patrick, le compliment me comble. C'est pourtant bien le minimum pour avoir une petite idée de la question, mais j'espère qu'avec ce minimum il y a de quoi disposer d'une bonne vue d'ensemble.

S'il vous reste ces cycles de Gurlitt et Schreker à découvrir, c'est que vous avez encore en réserve quelques Fanfares Célestes à déguster. :)

17. Le dimanche 30 août 2009 à , par DavidLeMarrec

Alors, à propos d'Alma et de ses publications. Je suis allé voir dans Ma vie, qui n'est qu'un condensé assez médiocrement récrit et franchement superficiel de son journal intime (qui n'est manifestement pas publié). Ca rejoint du coup ce que nous disait Vartan sur l'affabulation : sa manière de raconter est franchement suspecte, en citant des bouts de son journal quand ça l'arrange. A la lire, on dirait un parangon de vertu (et qui aurait adulé Mahler jusqu'au bout - je n'ai pas vu dans ce que j'ai parcouru qu'elle ait raconté qu'elle avait demandé le divorce juste avant sa mort).

En réalité, elle survole tous les faits intéressants (sa psychologie, et surtout sur son versant créateur, ou à la rigueur son commerce détaillé avec les grands hommes qui l'entouraient) pour ne produire qu'un carnet mondain, où elle semble chercher à prouver qu'elle a connu tout le monde... et personne ne trouve grâce à ses yeux (sauf lorsque ça l'arrange comme pour Mahler, mais dans ce cas ce n'est même pas vrai...).

Elle met clairement le 'grand homme' au sommet des priorités, aussi bien dans sa conception du monde (le décès de Curie bien plus tragique que le tremblement de terre de San Francisco, parce que c'est un homme supérieur) que dans son choix de vie (sorte de muse infidèle et touche-à-tout).
On comprend mieux la répulsion au personnage (comme les leçons de morale de Françoise Giroud) chez ceux qui ont lu sa vie et pas écouté sa musique - qui ne traduit pas du tout la même chose.

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Est significatif à cet égard le portrait qu'elle fait de Schreker. Pas parce que c'est Schreker, mais parce qu'elle traite le personnage avec une condescendance vertigineuse... tandis qu'en fin de compte elle ne lui reproche strictement rien (contrairement aux autres qui sont précipités dans ces pages). Apparemment, celui-là ne lui aurait pas fait d'avances, mais elle le qualifie de poète doué mais très inabouti (quand on compare Schreker à Werfel, pourtant...), et se flatte de s'être séparée de son chemin à temps (?). Apparemment, le fait qu'il appartienne à la "classe pauvre" (son père et sa mère, de bonne famille, s'étant enfuis pour s'épouser) nourrit un peu son dédain.

Elle raconte même un peu n'importe quoi en parlant d'une dégénérescence de l'inspiration après son chef-d'oeuvre Der Ferne Klang (alors que Die Gezeichneten ont ensuite été très bien reçus, de même que Der Schatzgräber, même si le niveau d'inspiration n'est pas franchement identique passé le court Prologue). Elle parle, pour ces pièces postérieures à Ferne Klang, de charmants opéras, ce qui est quand même un qualificatif bizarre pour qualifier ce type de théâtre...

Toujours dans la même veine fielleuse et vaguement prétentieuse, elle rapporte qu'il aurait voulu lui dédier Der Spielwerk und die Prinzessin et que Kokoschka l'aurait défendu ; et surtout qu'il aurait supplié (!) Franz Werfel (le troisième mari d'Alma, donc) de lui écrire le livre d'Irrelohe. Requête rejetée en raison de la morbidité du sujet, berk.

A mon grand effroi, ça rejoint assez l'image donnée par Elias Canetti, d'une collectionneuse de trophées manipulatrice et aigrie... Bref, il vaut mieux lire la jeune Alma directement dans son journal, à l'époque où elle pouvait hésiter entre 'Alex' Zemlinsky et l'étranger fascinant Gustav Mahler, en se jugeant et sans les juger...

Donc La Grange est infiniment plus objectif - pas du tout complaisant avec Mahler d'ailleurs, contrairement à Alma - et instructif, notamment grâce à ses citations du journal intime d'Alma, en faisant même un crochet par ses compositions... Il manque bien sûr des choses puisque son sujet est Gustav, mais ce dont on dispose est précis, évocateur, relativement abondant... et plus sympathique que ce qu'elle donne elle-même à connaître !

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Pour ce qui nous concerne, sur les lieder. Pas de mention sur l'accueil de ses publications (manifestement, elle fait un choix délibéré pour se faire une place dans l'Histoire qui n'est pas celui de la compositrice géniale...).

En revanche, ce qu'elle raconte est saisissant. A Toblach, en 1910 (année de la parution du premier des trois cahiers publiés), elle entend Mahler jouer ses lieder, et il vient lui dire en prenant sa part de culpabilité que c'est absolument merveilleux (elle cite ceci : "Qu'ai-je fait ! Ce que tu as composé est excellent !"), qu'il faut chercher dans ses archives pour en publier un petit groupe. C'est donc bien lui qui lance l'affaire (on se doutait bien qu'il fallait son assentiment, vu l'engagement pris), mais pas simplement par complaisance en sachant qu'elle ne deviendrait plus compositrice, c'est apparement, si on la croit (et sur ce sujet elle n'a pas spécialement lieu de mentir vu sa stratégie générale), par réel enthousiasme.

Ce qui est très intéressant, c'est que cela signifie que les lieder de 1910 sont vraiment des lieder de prime jeunesse, composés avant son mariage ! Quand on voit leur modernité - et, concernant Die stille Stadt et Laue Sommernacht, la densité ininterrompue de leur inspiration, ça laisse rêveur sur ce que nous avons perdu...

Alma est peut-être bien le seul compositeur, avec Schubert, où l'arrêt de la composition me fait vraiment miroiter une tragédie pour l'histoire du patrimoine musical. Il y en a certains sur lesquels on peut spéculer, comme Rott, Lekeu ou Lili Boulanger, mais sans disposer réellement d'une envergure décisive à l'heure où leur mort les a interrompus ; il y en a d'autres dont on sait qu'ils auraient poursuivi une carrière exceptionnelle, comme Mozart (c'est vrai que Mozart en 1805, on donnerait cher pour entendre ça...). Mais de ceux dont on a la certitude que quelques jours d'écriture de plus auraient produit une avalanche d'Everest musicaux nouveaux, même Chopin, finalement, il n'est pas sûr qu'il aurait encore tellement dépassé le point où il avait amené l'innovation musicale...

Voilà pour les nouvelles du front schindlerien !

18. Le jeudi 24 septembre 2009 à , par Inconnu

J'approuve la mention de Szymanowski, dont je trouve certains cycles de lieder parmi les plus grands et les plus personneles de la période, et assez largement supérieurs à ceux d'Alma Schindler-Mahler qui me semblent dans une lignée Zemlinskienne plutôt réussis mais assez loin du génie tant loué ici. Mais étant donné que Die Gezeichneten est l'une des plus grandes déceptions de ma vie d'auditeur, il y a sans doute dans ces eaux-là quelque chose à quoi je suis définitivement imperméable.

Ceci étant dit, l'exercice reste réussi, aura-t-on droit à la même chose pour la mélodie française?

19. Le jeudi 24 septembre 2009 à , par DavidLeMarrec :: site

Bienvenue Inconnu !

Et merci pour ces commentaires.

Die Gezeichneten, une des plus grandes déceptions, tout de bon ? Pourrait-on savoir pourquoi (et avec quel support), c'est le plus intéressant en réalité. :-)

Sinon, oui, techniquement, Szymanowski est infiniment supérieur à Almschi, et ça peut se sentir à l'écoute, c'est certain. Mais notre Schindler locale a pour elle une qualité de climat, un pouvoir d'évocation et d'adhésion qui me semblent nettement moins prégnants chez Szymanowski. Tout cela est éminemment subjectif, et dépend amplement de la façon dont tel ou tel univers harmonique chatouille notre imaginaire. Il n'empêche que les lieder d'Alma sont puissamment originaux (quoique décousus), et Zemlinsky y affleure seulement dans la grammaire, pas du tout dans le style. Ce serait plutôt du Zemlinsky tardif, au demeurant, loin de ce qui est à mon avis le meilleur du catalogue de lieder de Zemlinsky, les premiers opus précisément.

Pour ce qui est de la mélodie, j'avais débuté un petit tour d'horizon discographique, mais c'était un peu diffus.
Surtout, le corpus est plus éclaté, avec des écoles très différentes simultanément, et des tas de petits corpus passionnants. On pourrait recommander, finalement, de suivre fidèlement la collection Timpani : peu de ratages, et quasiment exclusivement des ensembles majeurs.

A l'occasion, pourquoi pas, mais il faudra prendre le temps ici aussi !

Bonne soirée !

20. Le vendredi 23 octobre 2009 à , par Inconnu

Pour Die Gezeichneten, outre l'insupportable style mélodique sirupeux au possible de Schreker (surtout le premier acte), c'est de la musique de pacotille, de la babiole qui brille de loin mais sans contenu musical, où l'on sent en permanence le côté factice et fabriqué, où tout est superficiel et consensuel. C'est au mieux du "joli", très tarte à la crème, ca n'est pas aussi détestable que du Schmidt mais ca n'a pour moi aucune authenticité et ça m'est profondément insupportable sur la longueur. Pour ce qui est de la version, c'est surtout Zagrosek, j'ai entendu de Waart aussi.
C'est toujours la même impression avec tout ce que j'ai entendu de Schreker (et ca représente pas mal de choses) : du faux, du fabriqué, du kitsch mais pas dans ce que le kitsch peut avoir de plaisant et d'amusant mais dans ce qu'il a de mensonger et d'artificiel.
Vraiment, Schreker j'ai laissé tombé et je ne compte pas y revenir.

21. Le vendredi 23 octobre 2009 à , par DavidLeMarrec :: site

Bonsoir Inconnu !

Je conçois tout à fait que l'aspect sirupeux des élans de Schreker rebute, et c'est souvent le reproche que j'ai pu lire.

Néanmoins, c'est à mon humble avis - et sans vouloir le moins du monde porter atteinte à vos facultés de jugement - faire fausse route et passer à côté du contenu réel de cette musique. Les élans de Schreker, de même que ceux de Strauss sont toujours interrompus (dans les opéras, pas dans les poèmes symphoniques, qui, eux...), sont toujours contredits par un 'tricot' assez tourmenté à l'arrière-plan.

Si on considère par exemple le début très lyrique du Prélude des Gezeichneten, piano et célesta jouent en arrière plan des arpèges de ré majeur et si bémol mineur, simultanément, ce qui procure un trouble presque menaçant au grand élan puccinien.

De la même façon, dans Ferne Klang, l'ultramoderne voisine avec la musique de cirque.

La lecture des partitions, et avant tout pour Gezeichneten, révèle d'ailleurs des complexités totalement à la pointe du progrès harmonique, et de ce point de vue, l'accusation de musique superficielle ne tient pas, c'est vraiment pesé de bout en bout.

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Après ça, dans les oeuvres symphoniques, dans les opéras mineurs, il y a des pièces postromantiques un peu inoffensives (Tanzspiel par exemple, ou même la Symphonie en la mineur).

Effectivement, Schreker sonne très sophistiqué, très fabriqué, très kitsch, mais c'est une position totalement assumée, puisqu'il réfléchit en permanence au statut de l'oeuvre d'art, c'est le sujet de chacun de ses opéras. On peut ne pas l'apprécier, mais le lui reprocher, ce serait comme blâmer Offenbach de se prêter à l'humour pesant ou Rossini d'écrire des roulades : c'est un peu le projet, auquel on peut au demeurant ne pas du tout adhérer.

C'est pourquoi le procès en superfialité décorative me paraît tomber tout à fait à côté de ce qu'est cette musique. Après ça, oui, elle est artificielle, régulièrement kitsch ; et pourtant extrêmement fine, assez profonde (lorsqu'on considère les opéras en entier, pas les préludes qui peuvent induire en erreur), et assurément originale.

Disons que j'ai un peu l'impression de lire une critique très sévère de Korngold, qui, lui, n'a pas ces contreparties, plutôt que celle de Schreker. :)

Mais c'est sans doute parce que je suis un misérable qui se délecte des symphonies et même de la musique de chambre de Schmidt. :) [Le reste est chouette aussi.]


Bonne soirée !

22. Le vendredi 23 octobre 2009 à , par Inconnu

Je crois que vous m'avez mal compris : je ne fais pas le reproche d'un style mélodique sirupeux, que je suis à même de tolérer très bien chez d'autres compositeurs. Non, contredire avec de subtilités récurrentes mais ponctuelles (parce qu'elles n'affectent pas la forme ni le système qui restent dans les codes la tonalité) cette bravade mélodique permanente, c'est précisément ce qui est factice pour moi ici, quand on fabrique du "trouble" avec des procédés d'orchestrateur. J'entends à chaque instant l'intention musicale, la machinerie harmonico-mélodique, les "trucs" mais je n'entends pas la construction formelle d'un système et d'une oeuvre. Le fait que ce soit le sujet des opéras est plutôt un défaut : Schreker dit une chose par le texte, et la redit avec la musique. De ce point de vue, Christophorus est assez énervant : je ne crois pas avoir entendu un autre opéra dont la "modernité" me paraisse aussi plaquée et factice, le système musical employé forcé et l'écriture réduite à des "trucs" virtuoses mais très répétitifs sur la durée, alors même que l'ensemble est "bien écrit". C'est en cela que sa musique est superficielle : une adjonction et accumulation de procédés, chacun avec sa fonction (faire du sublime, du trouble, de l'érotisme, de la contradiction...). C'est précisément pour moi la définition du kitsch en un sens négatif, une musique qui peut être par ailleurs brillante mais d'où est absente la liberté nécessaire qui me permet à moi de respirer et de trouver de la beauté dans une oeuvre (et si je sonne comme Adorno, tant pis, parce que quand j'écoute du Schreker, je comprends ce que veut dire Adorno, ce qui est finalement peut être à quoi sert la musique de Schreker).
Ce n'est pas une musique incarnée, c'est une musique fabriquée.

Le fait que cela soit assumé ne constitue nullement un argument : on est en droit de reprocher à Offenbach la grossièreté de son humour et à Rossini les roulades, si tant on est qu'on est prêt à assumer une critique du "projet" - et cette critique est possible et même nécessaire, sinon on est bon pour tout considérer comme égal à partir du moment où c'est intentionnel.

D'autant que, si je ne m'abuse, ce que le public apprécie dans ces oeuvres d'après ce que j'ai pu lire (pas forcément vous), c'est la beauté immédiate, ce qui me semble contradictoire et un peu petit bourgeois sur les bords, sans vouloir être méchant : on apprécie le "Puccinisme" mélodique et on savoure encore plus les petites sinuosités harmoniques qui font passer la sauce du dit "Puccinisme". Au fond, on s'aime bien en écoutant Schreker, c'est facile à écouter mais on se sent quand même "dans l'art" parce qu'il y a l'apparence de l'art partout (le texte, l'orchestration, les harmonies...). Je trouve ca désagréable, et je préfère les compositeurs qui assument leur sensiblerie et ne se cachent pas derrière la préciosité des harmonies faussement provocatrices et le maniérisme des mises en abymes et des trucs d'orchestrateurs.
Pour moi, la question de l'authenticité se pose très clairement avec la musique de Schreker.

Mais bon, comme je l'ai dit, ce n'est pas pour moi (alors qu'à priori c'était parfait...).

23. Le samedi 24 octobre 2009 à , par DavidLeMarrec :: site

Bonjour Inconnu !

Non, contredire avec de subtilités récurrentes mais ponctuelles (parce qu'elles n'affectent pas la forme ni le système qui restent dans les codes la tonalité) cette bravade mélodique permanente, c'est précisément ce qui est factice pour moi ici, quand on fabrique du "trouble" avec des procédés d'orchestrateur. J'entends à chaque instant l'intention musicale, la machinerie harmonico-mélodique, les "trucs" mais je n'entends pas la construction formelle d'un système et d'une oeuvre.

La construction formelle se fait sur le livret, remarquablement bâti, lui. Sinon, oui, c'est une collection de trouvailles d'orchestration ou d'harmonie, qui ne cherche pas l'organisation structurelle rigoureuse, c'est l'évidence.
C'est le projet, ça ne me dérange pas.

Ce n'est pas une musique incarnée, c'est une musique fabriquée.

Hm. Sans doute, dans la mesure où elle réfléchit sur ses propres codes, ne serait-ce qu'à cause des livrets. Mais je ne vois pas ça du tout comme une musique poseuse ou 'réflexive', en miroir, ça s'écoute très bien en musique pure.


Le fait que cela soit assumé ne constitue nullement un argument : on est en droit de reprocher à Offenbach la grossièreté de son humour et à Rossini les roulades, si tant on est qu'on est prêt à assumer une critique du "projet" - et cette critique est possible et même nécessaire, sinon on est bon pour tout considérer comme égal à partir du moment où c'est intentionnel.

Si, si, c'est un argument dans la mesure où on ne peut pas considérer une oeuvre médiocre lorsqu'elle atteint son projet dans le cadre des codes qui lui sont fixées. On peut critiquer le projet, ce que vous faites au demeurant et que je comprends très bien : cette musique est tellement expansive, tellement typée et tellement excessive qu'on peut tout à fait y être violemment allergique.
Cet argument s'élève simplement contre le fait de présenter ces oeuvres comme une mécanique mal agencée : la lecture des partitions révèle tout le contraire. Mais on peut trouver ça brouillon ou kitsch, c'est tout à fait légitime. (Je ne peux donc que vous engager à ne pas acheter quatre versions de Schindler d'un coup, parce que c'est dans ce type d'esprit délibérément artificiel, même si moins tape-à-l'oeil).

D'autant que, si je ne m'abuse, ce que le public apprécie dans ces oeuvres d'après ce que j'ai pu lire (pas forcément vous), c'est la beauté immédiate, ce qui me semble contradictoire et un peu petit bourgeois sur les bords, sans vouloir être méchant : on apprécie le "Puccinisme" mélodique et on savoure encore plus les petites sinuosités harmoniques qui font passer la sauce du dit "Puccinisme". Au fond, on s'aime bien en écoutant Schreker, c'est facile à écouter mais on se sent quand même "dans l'art" parce qu'il y a l'apparence de l'art partout (le texte, l'orchestration, les harmonies...). Je trouve ca désagréable, et je préfère les compositeurs qui assument leur sensiblerie et ne se cachent pas derrière la préciosité des harmonies faussement provocatrices et le maniérisme des mises en abymes et des trucs d'orchestrateurs.

Vu le nombre de gens au concert Schreker d'il y a quelques semaines, en un lieu furieusement prestigieux de Paris, je ne crois pas qu'on puisse parler de schrekermania de la part d'un vaste public...
Mon expérience a plutôt été contraire : j'ai dû en forcer quelques uns à prêter attention aux contrechants et à pousser plus loin dans l'oeuvre parce qu'ils étaient rebutés par la facilité des thèmes lyriques puccino-straussiens. Tout dépend du profil de départ. Ca ne me gêne pas qu'on aime Schreker pour son aspect facile (même si de ce point de vue, ça s'use). D'ailleurs, dans ses meilleures oeuvres, j'aime à peu près tout, et je ne cherche pas à dissimuler l'exaltation que me procure les entrées les plus ostentibles du motif de Tamare. :)

En revanche, il y a un détail sur lequel vous avez tort, sans équivoque : ces harmonies-là ne sont pas faussement provocatrices. Schreker débute la composition des Gezeichneten (et je ne parle même pas de Ferne Klang !) en 1911. Il est vraiment parmi les plus modernes de son temps, juste dans la foulée de Decaux, Debussy, Strauss, et précédant Ravel et Schulhoff. Techniquement, il y a souvent plusieurs modulations par mesures. A vrai dire, des compositeurs qui modulent plus et plus radicalement, à part Szymanowski, je n'en ai pas lu souvent.

Oui, chez Schreker, ça se fait discrètement, sans ostentation justement... (Je serais curieux du jugement atroce que vous devez avoir sur Szymanowski qui, pour le coup, me paraît beaucoup plus précieux et visible dans son surraffinement. Sans facilités il est vrai.)


Pour moi, la question de l'authenticité se pose très clairement avec la musique de Schreker.

Ca n'est pas une question fondamentale pour moi. J'ai aussi déjà lu que Chostakovitch n'était pas authentique, et on peut effectivement l'appuyer sur certaines données objectivables ; je le ressens plus fortement que chez Schreker, mais ce n'est pas ça qui m'empêche d'apprécier les oeuvres que j'aime chez lui et de rester peu touché par d'autres.


Bonne journée !

24. Le samedi 24 octobre 2009 à , par Inconnu

Bonjour,

Quand je dis faussement provocatrice pour les harmonies, c'est bien dans leur usage, dans le fait que le système reste toujours très stable malgré l'harmonie, pas dans leur construction interne - encore que vous oubliez Schönberg ou Berg dans votre liste, pourquoi? Sans parler de Bartok et de quelques autres... Du reste, la composition de "des Gezeichneten" s'étale sur 4 ans, et si Schreker fait partie des modernes il reste assez loin des plus avancés, dans une conception encore très tonale.
Du reste, je n'ai jamais dit que c'était une mécanique mal agencée : je trouve au contraire que c'est remarquablement fait. C'est le fait que ca soit une "mécanique" qui me déplait...

Quand à Szymanowski, j'aime sa musique, précisément parce que j'y trouve ce qu'y est absent chez Schreker : l'authenticité. Son surraffinnement comme vous dîtes a une source complètement différente et ils ne sont pour moi comparables qu'en surface. Au-delà du fait que Szymanowski est beaucoup plus "premier degré" que Schreker, ce sont deux manières de penser l'harmonie, de traiter leurs thèmes littéraires et de concevoir la forme. Le fait que ca soit, "de coeur", un compositeur pour piano alors que Schreker est un homme de théâtre n'y est sans doute pas étranger. Et encore, l'ostentation chez Szymanowski, où est-elle? Les oeuvres les plus lourdes et ostentatoires, ce sont justement celles où il était encore sous l'influence de Schreker et de Strauss. Après, en dehors de certaines pièces orchestrales, elle disparait assez nettement. La musique pour piano est complexe et dense, pas précieuse. Le quatuor n°2 ou Slopiewnie sont à la limite de l'ascétisme. Et on aura bien du mal à trouver de le Stabat Mater précieux - c'est même à mon sens dans toute la production "post-impressioniste" de cette époque une des oeuvres les plus humbles et précise dans ses choix musicaux. C'est un compositeur qu'on ne peut réduire à une ostentation qui n'existe que dans une partie de son oeuvre. Ce qui me marque chez lui, c'est bien plutôt la radicalité de l'harmonie et la densité du propos strictement musical qui empêche toute facilité (notamment mélodique). "Masques", qui oeuvre à priori dans des thèmes assez proches de Schreker, marque assez bien la différence, dans la mise en danger de l'harmonie et la manière d''investir les idées musicales. Que faire de la "sérénade de Don Juan" par exemple? C'est complètement insaisissable sur le plan de l'expression, sans en passer par des trucs orchestraux ou le théâtre mais uniquement par l'idée musicale et formelle - il y a une sorte de programme expressif et pourtant on est quasiment dans la musique pure. C'est beaucoup plus debussyste que schrekerien, beaucoup plus évanescent, dans un tout autre rapport entre la forme, la conduite mélodique et l'harmonie...
Après je ne dis pas qu'il n'y a pas des choses plus précieuses et plus ratées, surtout avant 1910, mais ce sont vraiment deux compositeurs totalement différents à mes yeux. D'ailleurs, le fait que son oeuvre la plus "post-straussienne" et Schrekerienne sur les bords, Hagith, soit aussi sans doute sa plus ratée, en dit long à mon sens sur l'art de Szymanowski, qui est bien plus proche de la musique pure, essentiellement formelle, qu'une approche superficielle pourrait le faire croire.

25. Le samedi 24 octobre 2009 à , par DavidLeMarrec :: site

Quand je dis faussement provocatrice pour les harmonies, c'est bien dans leur usage, dans le fait que le système reste toujours très stable malgré l'harmonie,

Ben oui, il faut être atonal pour être moderne ? Il y a plein d'autres façons, Scriabine, Roslavets et Szymanowski ne sont pas spécialement des rétrogrades...

encore que vous oubliez Schönberg ou Berg dans votre liste, pourquoi?

Je n'ai pas cherché à être exhaustif. :) On peut tout à fait compter Schönberg, à peu près au même degré de modernité (il procède comme Schreker des expérimentations des années 1900 qu'on trouve nettement dans Elektra).

Berg, en revanche, c'est plus tard, plutôt génération Schulhoff.

Sans parler de Bartok et de quelques autres...


Bartók n'est pas si radical que ça en fin de compte... Mais pourquoi pas. Disons qu'il n'est pas prioritaire à mon sens dans une telle liste, c'est plutôt sa manière, sa conception qui est nouvelle.

Du reste, la composition de "des Gezeichneten" s'étale sur 4 ans, et si Schreker fait partie des modernes il reste assez loin des plus avancés, dans une conception encore très tonale.

Tout dépend ce qu'on appelle les plus avancés et la modernité. Il est quand même (je dis bien dans cette oeuvre, le reste du temps beaucoup moins) dans le petit nombre des pionniers.
Après cela, oui, comparé à ce que fait Decaux en 1900, Debussy en 1902, Strauss en 1908 et Stravinsky en 1913, oui, les Gezeichneten n'apportent rien de radical. Comme toutes les autres oeuvres de n'importe quel compositeur documenté, au demeurant...

Mais si on prend ce postulat, que doit-on dire de Zemlinsky et Busoni, qui sont tout de même nettement moins avancés dans leur langage, malgré leur réputation de chef de file ?


Du reste, je n'ai jamais dit que c'était une mécanique mal agencée : je trouve au contraire que c'est remarquablement fait. C'est le fait que ca soit une "mécanique" qui me déplait...

Ca suit pourtant très précisément le texte, quand on y regarde de près, chaque situation, quand ce n'est pas chaque membre de phrase, est soulignée par une texture et une modulation spéciales.


Son surraffinnement comme vous dîtes a une source complètement différente et ils ne sont pour moi comparables qu'en surface. Au-delà du fait que Szymanowski est beaucoup plus "premier degré" que Schreker, ce sont deux manières de penser l'harmonie, de traiter leurs thèmes littéraires et de concevoir la forme.

Oui, tout à fait. Ai-je suggéré le contraire ? :)

Ce qui me marque chez lui, c'est bien plutôt la radicalité de l'harmonie et la densité du propos strictement musical qui empêche toute facilité (notamment mélodique).

Hm. Je crois mieux voir où vous voulez en venir. C'est la facilité, vraiment, qui vous indispose ? Je ne vois pas bien en quoi l'évidence mélodique est un problème, à moins de rejeter une très large partie de la production musicale. Mais effectivement, dans cette perspective d'éloque de l'abstraction, il est évident que Szymanowski est bien plus "authentique", c'est-à-dire non compromis par les enjeux extérieurs de plaire, de servir un propos extérieur (un texte par exemple...), un théâtre.
De ce point de vue, oui, Szymanowski est plus pur. Mais là, on est quasiment à faire une bizarre hiérarchie morale où la fréquentation d'autres enjeux (fussent-ils artistiques) corromprait irrémédiablement la musique, non ?

D'ailleurs, le fait que son oeuvre la plus "post-straussienne" et Schrekerienne sur les bords, Hagith, soit aussi sans doute sa plus ratée, en dit long à mon sens sur l'art de Szymanowski, qui est bien plus proche de la musique pure, essentiellement formelle, qu'une approche superficielle pourrait le faire croire.

Tout le monde n'est pas d'accord sur cette évaluation. :)

Formelle, je ne dirais pas cela, au contraire, Szymanowski est tellement dans la musique pure que la forme en devient secondaire, c'est presque uniquement du flux de substance musicale. C'est cela qui finit par être ostentatoire en un certain sens, à force d'empiler les modulations et les recherches pures de tout mélange.


Tout votre propos est passionnant, mais j'avoue que la moralisation plus ou moins afférente de la musique me laisse assez perplexe. Surtout si c'est pour exclure le théâtre, parce que mon attente personnelle dans la musique est très liée aux textes en général. Et on trouve là une limite objective, de toute façon, à l'évaluation des corpus tant qu'on n'a pas mentionné ses propres attentes.

26. Le samedi 24 octobre 2009 à , par Inconnu

Pour ce qui est de la modernité harmonique, c'est en effet une question d'importance secondaire. Mais c'est encore une fois lié au rapport avec la mélodie... Quand vous dîtes que Bartok n'est pas radical mais que ce qui compte c'est sa manière, c'est tout à fait ce que j'ai en tête : ce n'est pas une question du nombre d'appogiatures non résolues et de notes étrangères dans chaque harmonie, mais du rôle de l'harmonie dans la forme globale et par rapport aux idées musicales.

"Ca suit pourtant très précisément le texte, quand on y regarde de près, chaque situation, quand ce n'est pas chaque membre de phrase, est soulignée par une texture et une modulation spéciales." (désolé, je ne sais pas quoter ici!)

Ce qui est bien... une mécanique, qui impose un certain nombre de procédés qui peuvent être brillants, mais qui limitent la liberté musicale. Et cela pose encore plus problème quand il n'y a plus de texte, je ne trouve pas que Schreker comble du point de vu du sens l'absence de texte dans ses oeuvres non-théâtrales.
Après, j'avoue que la musique pour moi doit faire sens par elle-même. Ou en tout cas, le texte ne doit pas contraindre la musique. Evidemment, de ce côté là, un amateur de lied tel que vous trouvera forcément plus de satisfaction à la musique Schreker que moi.
La question du rapport entre texte et musique n'est pas du reste quelque chose de réglé pour moi... je trouve, et c'est une thèse qui m'est sans doute personnelle, qu'on est dans ce domaine dans un échec quasi-perpétuel qui n'est pas sans poser de questions. Mais disons que les formes de réalisations dont vous parlez régulièrement et avec finesse sur ce site ne me satisfont pas. C'est là effectivement une limite objective.

"De ce point de vue, oui, Szymanowski est plus pur. Mais là, on est quasiment à faire une bizarre hiérarchie morale où la fréquentation d'autres enjeux (fussent-ils artistiques) corromprait irrémédiablement la musique, non ?"

Je ne suis pas pour les hiérarchies à priori. J'encense bien Szymanowski, ou Schulhoff et Schönberg, qui ne sont pas avares en références extra-musicales. Je respecte beaucoup Weill aussi. Ce n'est pas le principe qui est en jeu, mais la méthode ou la manière, comment on réalise dans la musique l'extra-musical.

"Formelle, je ne dirais pas cela, au contraire, Szymanowski est tellement dans la musique pure que la forme en devient secondaire, c'est presque uniquement du flux de substance musicale."

Mais c'est ce que j'entends par formel... pas au sens de Schönberg ou des constructions intellectuelles post-Weberniennes, mais quand la musique n'est plus qu'un flux, même si c'est une forme qui ne peut plus être contrainte dans un format donné, elle n'est plus que forme qui se confond avec elle-même si j'ose dire. Il n'y a plus de distinction entre un fond/une idée et une forme qui la réalise, il n'y a plus qu'un donné, un mouvement. C'est comme quand j'entends que la musique de Debussy est "amorphe", rien ne me parait plus faux.
Et la "facilité mélodique" ne me pose pas de problème en soi... c'est toujours une question de rapport entre harmonie et mélodie, et au-delà avec la forme, et une question de sens musical - mais strictement musical, en dehors de tout rapport avec le texte...

Et sérieusement, vous aimez Hagith?

27. Le samedi 24 octobre 2009 à , par DavidLeMarrec :: site

(Pour citer, il suffit d'employer les balises phpBB de type [ quote] [ /quote]. :) )

Je commence par la fin :

Et sérieusement, vous aimez Hagith?

Je ne peux pas dire, ça ne se trouve qu'en DVD il me semble (il y a bien une vieille trace, mais épuisée depuis longtemps), et je n'aime pas trop ce genre d'objet. C'est pour ça que je disais que certains szymanowskiens de ma connaissance, assez modérément schrekeriens, étaient très clients. Pour moi-même, je ne puis dire.

Ce qui est bien... une mécanique, qui impose un certain nombre de procédés qui peuvent être brillants, mais qui limitent la liberté musicale. Et cela pose encore plus problème quand il n'y a plus de texte, je ne trouve pas que Schreker comble du point de vu du sens l'absence de texte dans ses oeuvres non-théâtrales.

Oui, ça limite la liberté musicale, et cette chose étrange s'appelle l'opéra (du moins après Vivaldi :-) ). Et sa façon de ponctuer est tout sauf mécanique, ce n'est pas du Donizetti ni même du Wagner d'avant Tristan.

Après ça, je suis d'accord, sa musique instrumentale pure (il y en finalement peu de disponible), si l'on excepte la Symphonie de Chambre et quelques beaux moments de l'Anniversaire de l'Infante, est moins convaincante, plus banale disons.

Cela dit, il nous manque beaucoup de maillons ici, et c'est de toute façon la même chose que pour Richard Strauss : Schreker considérait essentiellement sa place au théâtre. Ses lieder non orchestrés ne sont d'ailleurs pas forcément génialissimes.


Après, j'avoue que la musique pour moi doit faire sens par elle-même. Ou en tout cas, le texte ne doit pas contraindre la musique. Evidemment, de ce côté là, un amateur de lied tel que vous trouvera forcément plus de satisfaction à la musique Schreker que moi.

Je pense qu'on est au coeur du problème en effet : c'est justement ce qui fait que de mon côté je suis moins client de Szymanowski que j'admire cependant : c'est trop "en soi-même", comme vertu musicale.


La question du rapport entre texte et musique n'est pas du reste quelque chose de réglé pour moi... je trouve, et c'est une thèse qui m'est sans doute personnelle, qu'on est dans ce domaine dans un échec quasi-perpétuel qui n'est pas sans poser de questions. Mais disons que les formes de réalisations dont vous parlez régulièrement et avec finesse sur ce site ne me satisfont pas.

Ce n'est pas forcément une thèse toute personnelle, c'est relativement répandu (de même que l'inverse d'ailleurs), mais en tout cas c'est effectivement une explication de cette divergence radicale : Schreker sans le théâtre n'est plus grand'chose, j'en conviens tout à fait. Comme sa musique puise tout son sens dans les textes qu'elle met en action, si on retire le texte, elle paraît désarticulée et vaine, assurément.

Mais c'est ce que j'entends par formel... pas au sens de Schönberg ou des constructions intellectuelles post-Weberniennes, mais quand la musique n'est plus qu'un flux, même si c'est une forme qui ne peut plus être contrainte dans un format donné, elle n'est plus que forme qui se confond avec elle-même si j'ose dire. Il n'y a plus de distinction entre un fond/une idée et une forme qui la réalise, il n'y a plus qu'un donné, un mouvement. C'est comme quand j'entends que la musique de Debussy est "amorphe", rien ne me parait plus faux.


Elle l'est (celle de Debussy) du point de vue technique (enfin, selon les normes germaniques dominantes), mais pas dans le sens que vous décrivez, assurément ! [/ quote]

28. Le jeudi 30 janvier 2014 à , par Mélomaniac

Très cher Monsieur LeMarrec,

c'est bien confus que, au delà d'une bien légitime admiration, j'ose exprimer quelque surprise face à votre fort intéressante revue discographique de l'art du Lied.

Une anthologie assume un choix subjectif, mais s'il s'agit de dresser une liste d' « oeuvres que tout amateur de lied doit connaître », certains piliers du répertoire auraient certainement mérité de figurer dans ce florilège.

On penserait bien sûr en premier lieu à La Belle Meunière, au Chant du Cygne, à l'Amour et la Vie d'une Femme, à la Belle Maguelone.

Les lieder de Mendelssohn ne figurent pas parmi les plus profonds mais leur séduction mélodique offre assurément son lot de charmes pour séduire le néophyte.

Quant aux Ballades de Carl Loewe, elles constituent un pan qui me semble essentiel à la compréhension de l'esprit narratif du romantisme germanique.

Croyez bien que c'est le rouge au front que je permets d'ainsi apporter un éclairage complémentaire à votre si louable entreprise de vulgarisation.

29. Le vendredi 31 janvier 2014 à , par DavidLeMarrec

Bien estimé sieur Mélomaniac,

Une liste d'œuvres qu'il faut écouter n'implique pas de citer toutes celles qui sont dignes de l'être, ni même celles qui sont indispensables. Ma liste fait le choix d'être la plus chiche possible, en essayant de traverser différents genres, tout en proposant des œuvres que je serais moi-même prêt à défendre.

Évidemment que les deux autres cycles de maturité de Schubert (on pourrait y ajouter les Faust et les Dame du Lac !) doivent être écoutés, particulièrement la Belle Meunière qui a l'usage se révèle plus cohérente que le Winterreise : moins vertigineuse musicalement, mais pas forcément moins attachante. Quant au Schwanengesang, il contient tout de même des pièces parmi les plus audicieuses et vertigineuses de tout Schubert.

Je serais moins catégorique sur Frauenliebe et Magelone, qui sont importants en matière de culture du lied, mais à mon sens mineurs sur le plan du contenu musical (et plus encore poétique, même si le cycle Tieck bénéficie d'une cohérence formelle indiscutable).

Plutôt que les ballades de Loewe, j'aurais envie de recommander Zelter et Reichhardt, mais j'admets qu'ils n'ont pas la même place dans l'histoire du genre, ni la même ambition musicale.

Merci pour cette contribution bienvenue !


Bref, je suis d'accord... mais ce type de faille est inhérent même à l'exercice de sélection réduite, et j'ai le sentiment d'avoir écarté des pièces réputées, mais moins fondamentales c(Mendelssohn et Brahms, par exemple, ne sont vraiment pas essentiels avant d'avoir découvert les grands jalons).

Bref, [strike]soit dit sans fatuité,[/strike] je suis assez content de moi.

30. Le vendredi 31 janvier 2014 à , par DavidLeMarrec

En me relisant, c'est vraiment parce que je n'ai choisi quasiment qu'un disque par esthétique... Ce qui explique les manques (mais j'ai quand même mentionné l'intégrale Schubert et certains Brahms...).

31. Le vendredi 31 janvier 2014 à , par Mélomaniac

Je m'explique difficilement l'absence de Liszt, mais ne doute pas que vous avez vos raisons. Peut-être même la tendre excuse de la jeunesse et de la candeur, qui rend d'autant méritoire l'admirable qualité de vos contributions.

Mes plus humbles salutations.

32. Le vendredi 31 janvier 2014 à , par DavidLeMarrec

Raison pratique : comme il fallait conseiller un disque (depuis la préparation / publication de cette notule en 2009, l'offre en ligne s'est tellement développée que cette contrainte n'a sans doute plus le même sens), et qu'il y a finalement relativement peu d'œuvres majeures chez Liszt (les plus célèbres, en fait : Im Rhein, Thule, Lorelei...), ça m'a probablement paru une dissipation de forces.

Mais, oui, clairement, son corpus est divers et original, vraiment dommage que les intégrales (aucune véritable incluant les mélodies en langues hongroise ou anglaise, me semble-t-il) soient si rares et mal distribuées dans les bacs.


la tendre excuse de la jeunesse et de la candeur

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