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mercredi 15 novembre 2023

Philippe d'Orléans, le compositeur le plus hardi de son temps – Penthée (1705)


dusapin macbeth

L'exécution de Penthée de Philippe d'Orléans par les Conservatoires d'Île-de-France (CMBV, CNSM, Pôle Sup' Boulogne-Billancourt, les CRR de Paris, Rueil-Malmaison et Versailles Grand Parc, CRD de Clamart) me donne d'occasion d'écrire la notule que je n'avais pas commise en 2018, lorsque j'avais assisté à de larges extraits de l'œuvre (actes III, IV, V !) jouée par les Chantres du CMBV à l'occasion d'un jeudi musical.


L'œuvre pré-Régence

Avant qu'il ne devienne régent du royaume, Philippe d'Orléans a reçu l'enseignement de Charpentier, peut-être Campra, puis Gervais et enfin Bernier, c'est-à-dire la fine fleur des compositeurs français novateurs / influencés par l'Italie. (Car le style italien tel qu'il est perçu par les Français et importé dans leur musique suppose plutôt la complexité du contrepoint et de l'harmonie que la superficialité virtuose qu'on lui attribue rétrospectivement.)
Il écrit ainsi trois opéras : Philomèle dans les années 1690, qui est perdu, puis vers 1704 Penthée et La suite d'Armide (pour lequel il existe déjà une notule).

Il existe toujours des spéculations sur la part de son professeur Gervais dans la partition – Gervais en a réutilisé deux tambourins, qui ont par ailleurs connu un grand succès, jusque dans les parodies grivoises – la parenté des styles est patente, mais l'un étant élève de l'autre, difficile de trancher sans meilleures sources. L'audace de la partition peut aussi bien faire douter qu'elle soit l'œuvre d'un amateur… que laisser penser que seul un amateur pouvait s'autoriser à bousculer aussi fort le cadre attendu par le public !

Je racontais cette anecdote dans la notule précédente :

Philippe d'Orléans n'a pas hésité, on le sait, à passer commande de motets (ou de parties intermédiaires de motets ?) à Gervais pour les signer de son nom. Un jour, un courtisan lui fait (respectueusement ou malicieusement, je ne sais plus) remarquer que son motet comporte des fautes. Philippe d'Orléans ne dit rien, descend voir Gervais, le giffle devant ses gens et lui dit en substance : « Lorsque je vous charge d'écrire un motet pour moi, j'attends que vous le fassiez en personne, et non que vous le laissiez à vos apprentis ! ». Ce témoignage rend donc d'autant plus vraisemblable la collaboration de Gervais, voire sa participation à l'essentiel de l'œuvre.

Le livret, que je trouve très bon, est dû à… son capitaine des gardes (et mauvais sujet !), le marquis de La Fare. Il culmine – et l'inspiration musicale aussi – dans la fête bachique de l'acte V – où le roi est massacré par sa propre mère.

Vous ne trouverez pas la partition en ligne dans vos crèmeries habituelles (IMSLP, Gallica, etc.) : Philippe d'Orléans avait refusé que l'œuvre soit donnée publiquement ou imprimée, si bien que le matériel a dû être refabriqué à l'occasion de ces représentations modernes.


La force de Penthée

J'ai été, lors des deux soirées, impressionné par le cinquième acte paroxystique, qui enchaîne les scènes emportées et les trouvailles musicales. Son ambiance festive crépusculaire manie le paradoxe émotionnel d'une façon rare avant des époques beaucoup plus tardives.
(Voyez sur cette captation de 2018 manifestement réalisée par les musiciens.)

Pour situer l'action : Penthée, petit-fils de Cadmus, est amoureux d'Érigone (invention du librettiste), ancienne amante de Bacchus mais qui le croit mort. Les fiançailles sont prévues (malgré une jalouse), mais Bacchus revient. Penthée le fait enfermer, ne croyant pas à sa naissance divine ou du moins à ses droits sur sa fiancée. Bacchus sort miraculeusement de prison, et frappe change la mère du roi, Agave, Agave, en ménade. Celle-ci tue son fils en croyant avoir vaincu un lion, et vient l'annoncer sur une musique de triomphe (et en chantant un arioso par-dessus, comme un air concertant à l'italienne, très rare avec trompettes et timbales !) ; son crime lui est révélé par son propre père, Cadmus (sur le modèle de la fin de Tancrède de Danchet & Campra), mais la musique et le livret demeurent complètement joyeux jusque là, subjectivité totale très troublante – le public partage le délire de la ménade.
S'ensuit une série de tirades désespérées des femmes coupables, très belles (celle d'Autonoé en particulier), qui se conclut abruptement, comme c'est l'usage (Didon de Desmarest, Callirhoé de Destouches, Pyrrhus de Royer… quand c'est fini c'est fini), sur les dernières paroles d'Agave qui se tue.

Dans le mythe d'origine, Penthée refuse simplement de rendre les hommages religieux à Bacchus, et Penthée est massacré par toutes les ménades ensemble, dont les femmes les plus proches de lui.

Comme il se doit, on rencontre dans la musique débauche d'effets étonnants – pas nécessairement frappants quand on pratique peu de le genre, mais nuances remarquables lorsqu'on est habitué au modèle LULLYste –, témoins de l'influence ultramontaine du duc d'Orléans.
Par exemple :
√ à l'acte II, tuilage contre-intuitif dans le duo d'amour, plus complexe que les duos habituels ;
√ notes de basse répétées, au moment de la révélation ;
√ fantaisie harmonique (chromatismes osés à la basse, mais aussi, plus étrange encore, à la mélodie, comme du madrigal du début du siècle précédent !) ;
√ accompagnement en trémolos à la fin du III, lorsque Agave appelle à la fête de Bacchus (rare, hors tempêtes, avant Rameau et surtout la génération gluckiste ; s'entend dans Atys par Christie, mais je n'ai pas vérifié dans les parties orchestrales complètes si c'était écrit ; j'en doute) ;
√ de même, beaucoup de batteries de cordes, typiquement italianisantes (cf. fureur de Corésus au II de Callirhoé de Destouches) ;
√  le merveilleux chœur des prisonniers, (Bacchus est en effet jeté en prison !), presque religieux, avec beaucoup de contrepoint expressif, écriture très inhabituelle à l'Opéra ;
√ autre moment particulièrement rare, un trio de vengeance, avec trois parties vraiment simultanées. Il ressemble au duo de Campra composé un peu plus tard (1712) pour Idoménée – mais précisément, ce n'est pas un trio.
√ à la fin de l'acte III, pour la célébration de Bacchus, c'est même un trio de femmes (bientôt rejointes par une quatrième !) avec des lignes individualisées (jamais vu ça dans ce répertoire, personnellement).
√ le basson est apparemment explicitement requis (comme chez son maître Charpentier) pour renforcer certains récitatifs ; et il est assurément très virtuose ! 


Interprétations d'étudiants

Malgré les voix peu puissantes, j'avais beaucoup aimé la version du CMBV dans la Galerie des Batailles, un véritable effort de phrasé (et une bonne élocution) chez les jeunes chantres, même si leur technique est davantage celle de choristes que de solistes pour apporter un impact sonore réel.


En dehors des Chantres du CMBV, très bien préparés (par le chef, Fabien Armengaud) et étagés dans les belles sections chorales qui évoquent la musique sacrée (dont ils sont spécialistes), j'ai été un peu plus mitigé sur la réalisation de la semaine dernière présentée au CRR de Paris. D'ordinaire les représentations de tragédie en musique (avec un orchestre formé de musiciens du CRR de Paris, Versailles, Cergy et du Pôle Sup' de Boulogne) sont, concernant l'orchestre, de niveau professionnel. Cette fois-ci, sans doute du fait de la diversité de recrutement, les décalages étaient nombreux, et la prudence / concentration n'était pas sans impact sur l'urgence dramatique.
De même pour les voix, je ne vais pas refaire mon couplet, mais lorsqu'un chanteur français interprète de la tragédie en musique sans que du deuxième rang on comprenne ce qu'il dit, ou utilise une émission lyrique et que sa voix est couverte par un orchestre sur instruments naturels… clairement il faut repenser quelque chose dans la technique. Mais ce sont encore des voix en formation, en l'occurrence ; ce qui m'alarme est qu'on entend aussi cela, et très souvent, chez des professionnels de ce répertoire.

On entend cependant quelques voix très bien faites, comme Gaël Lefèvre (Thirésie) et Martin Barigault (Cadmus), et je saluele soin du texte d'Alice Marzuola (Érigone), dont je n'aime pas beaucoup l'émission très ronde / en bouche mais qui sert impeccablement les vers (et c'est le plus important), Manon Sekfali (Agave), une véritable personnalité vocale lorsqu'elle fend l'armure passé les premières scènes. Kyungna Ko (Ino), malgré l'obstacle de la langue, se livre avec énergie, avec un instrument mieux projeté que les autres. Marcos Vinicius Almeida Costa (Arbas) a de très belles intentions verbales, la voix peut encore mûrir mais a beaucoup d'atouts.
J'ai moins aimé Antoine Ageorges en Bacchus, jolie voix équilibrée et diction limpide, mais tempérament dramatique à construire, il ne se passe rien, et dans un rôle qui est lui-même assez peu intéressant, tout paraît immobile. Quant à Sébastien Tonnel, son timbre et son expression sont très séduisants, mais il semble vraiment embarrassé dans ses graves et projette très peu, n'y aurait-il pas un baryton clair voire un ténor à tirer de cela pour pouvoir l'épanouir ?
En somme, j'ai apprécié l'investissement individuel dans les rôles ; c'est davantage le type de profil vocal commun à toutes ces voix qui me préoccupe pour leur carrière, l'avenir du chant et le répertoire de la tragédie en musique.

Cependant l'essentiel reste la contribution de ces représentations à la formation de ces jeunes d'une part, et d'autre part la mise au théâtre de l'œuvre entière peu ou prou pour la première fois ! Merci de laisser le public profiter de ces moments – gratuitement, qui plus est.


Envoi

Je termine en vous égayant par la citation de la note du musicotéléologue Olivier Schneebeli dans le programme de 2018 :

« Le sang suinte dans Penthée, jusque dans ses bacchanales, au sein même de ses danses aux rythmes disloqués, aux chorégraphies boiteuses, comme si, déjà, dans la folie des fêtes du Palais-Royal, dans leur démesure orgueilleuse et ricanante, se devinait l'issue d'un siècle à peine commencé. »

La phrase est jolie, mais il fallait oser la prophétie rétrospective – le rapport entre les deux échappe, surtout. Il est vrai en revanche que les danses de Penthée, pourtant écrit de façon plus traditionnelle, à cinq parties (à la française) et non à quatre (à l'italienne) comme La suite d'Armide, sont souvent assez dégingandées et surprenantes dans leurs appuis.
(J'admire beaucoup au demeurant le travail accompli par Schneebeli au CMBV !)

lundi 6 novembre 2023

Les nouveautés précieuses de l'automne 2023


Parmi les brassées de nouveautés de ces dernières semaines, et le nombre important de celles que j'ai écoutées, quelques pépites que je vous recommande tout particulièrement – que ma consommation déraisonnable soit au moins utile.

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J'évite autant que possible de prendre du temps de notule pour des remarques un peu éphémères, mais cela vous évitera de rater l'essentiel !

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1. Disques incontournables : les œuvres

Violon solo de Matteis père, Pisendel, Guillemain (avec des paraphrases de la Passacaille d'Armide de LULLY et de la Sicilienne de Pirame & Thisbé de Francœur & Rebel !), Vilsmayr et Biber par Isabelle Faust. Des bijoux, et toujours interprétés avec cette probité musicologique et cette intelligence artistique.

Deux opéras comiques de Duni : Le Peintre amoureux de son modèle et surtout Les deux Chasseurs et la Laitière par les meilleurs spécialistes du genre (Orkester Nord / Martin Wåhlberg). J'ai évoqué le sous-texte leste du second dans cette notule. La musique en est de plus fort plaisante ; tandis que le Peintre me paraît beaucoup plus conventionnel et conforme à ce que je connaissais jusqu'ici de Duni, sans saillances particulières du livret ni de la musique. On a le plaisir d'y retrouver quelques voix idéales pour ce répertoire – Pauline Texier et Jean-Gabriel Saint-Martin, en particulier.

« Sturm und Drang, volume 3 », par The Mozartists. Du Mozart (Adagio & Fugue) et du Haydn (Symphonie n°44 « Funèbre »), mais surtout une scène dramatique d'Annibale in Torino de Paisiello, une trépidante symphonie de Koželuch, et une page totalement éperdue de l'Alceste (en allemand) d'Anton Schweitzer !  Une très belle découverte, je n'avais pas vu passer les précédents volumes chez Signum !

Troisième volume de la série consacrée aux ténors historiques de la tragédie en musique par A Nocte Temporis ; ici Joseph Legros à la fin du XVIIIe siècle : La Borde, Gluck, Piccinni, (Johann Christian) Bach, Grétry, Legros lui-même, Berton, Trial… !  Passionnant parcours dans lequel Reinoud Van Mechelen (dont la voix assez couverte n'incarne pas a priori l'idéal d'époque) se coule avec beaucoup de talent.

Les Quatuors pour harpe et cordes d'Eugène Godecharle, compositeur belge de la seconde moitié du XVIIIe siècle, révélés par le groupe Société Lunaire : des œuvres pleines d'esprit, dont la variété et l'intérêt sans cesse soutenu m'ont impressionné. À mettre au côté des Quatuors avec hautbois de Gassmann ou des duos de violons de Lombardini-Sirmen.

La Messe à double chœur de Rheinberger, un chef-d'œuvre rarement donné, voluptueusement enregistré par PentaTone, et servi par l'inhabituelle texture mate du toujours excellent Chœur de la Radio des Pays-Bas, jamais épais ni désagréablement tendu. Couplage avec de très beaux motets de Mendelssohn.

The Nutcracker and the Mouse King, un pot-pourri Tchaïkovski pour servir une nouvelle version de Casse-Noisette, non pas en ballet, mais pour accompagner le récit inspiré cette fois non de Dumas mais de Hoffmann !  Œuvres sélectionnées par John Mauceri (à partir d'œuvres moins célèbres : Hamlet, The Tempest, Snegourotchka, etc.), en créant des leitmotive, en choisissant les meilleures parties récitatives et dramatiques… ça paraît du bidouillage sur le principe, mais c'est totalement réussi !  Très belle narration aussi par Alan Cumming.

Les œuvres pour violon & piano de Mel Bonis (par Sandrine Cantoreggi & Sheila Arnold), dévoilant une part assez ambitieuse de son legs, du calibre de sa Sonate pour violoncelle et piano.

Coup de foudre pour deux albums Reger, une anthologie Warner (apparemment version abrégée d'une précédente anthologie) qui permet un panorama très complet dans de très belles interprétations, et révèle un Reger bien plus divers et coloré qu'on n'en a l'image.

Et en nouveauté, trois lieder orchestraux qui révèlent un Reger romantique, mais pas postromantique épais comme ses poèmes symphoniques, vraiment un Reger qui verse l'expression à grands flots, à la frontière du décadentisme. Parmi ses toutes plus belles œuvres, et d'un style que je ne lui connaissais pas. De surcroît, articulé avec netteté sur instruments anciens avec Spering, et énoncés par deux excellents spécialistes, Anke Vondung et Tobias Berndt.

Les chants a cappella de Samuel Coleridge-Taylor, un idéal d'élégance évocatrice dans ce répertoire, par l'excellent Chœur du King's College de Londres.

Pour la suite de la série consacrée au Brésilien Claudio Santoro chez Naxos, la Symphonie n°8 est couplée avec le Concerto pour violoncelle. J'y entends beaucoup l'influence de la musique soviétique, et ce n'est pas nécessairement le meilleur volume de la série, mais il y a… les dix minutes des Interactions Asymptotiques, et là l'inventivité et la chaleur des timbres et des strates me ravit absolument, un bijou à chérir.

Quatuors à cordes de compositeurs japonais
: Yashiro, Nishimura, Miyoshi, et les deux « tubes », les Landscape de Takemitsu et Hosokawa – plutôt les pièces les moins abouties et adaptées à la formation. Coup de cœur en particulier pour les Pulses of Light de Nishimura, de l'atonalité très dynamique et conforme à son projet d'évocation !



2. Disques incontournables : les interprétations

Le Requiem de Campra particulièrement frémissant dans cette nouvelle version du Concert d'Astrée (à mon sens la meilleure version discographique à ce jour).

Un Haendel qui est un tube (Dixit Dominus), mais ici exécuté avec mordant (Chœur de la Radio Flamande, Il Giardellino), incroyablement animé.

Encore une version de Scylla & Glaucus de Leclair (la quatrième, et la troisième en moins de 10 ans…), par Vashegyi, et il faut admettre que c'est une proposition tout à fait électrisante, l'Orfeo Orchestra est animé et coloré comme il ne l'avait pas été depuis longtemps, le plateau rayonne (Wanroij, Gens, Dubois qui sont dans un très bon jour, tous très en voix et très en mots). Et l'œuvre, évidemment, très séduisante instrumentalement dans ses nombreux divertissements, et particulièrement saisissante dans l'invocation infernale de l'acte IV et le final rageur de l'acte V. Je ne suis pas partisan de dépenser des subventions et du mécénat pour réenregistrer une œuvre dont on disposait déjà de trois autres excellentes versions, mais quitte à le faire, faites-le avec ce niveau de finition !

Petits ensembles de Mozart avec vents solos par l'électrisant Ensemble MidtVest (leur intégrale Gade est fabuleuse).

Quatuor à cordes n°10
de Beethoven par le Chiaroscuro SQ, d'une intensité rarement entendue, et dont les coloris font honneur au nom de baptême !  Peut-être la plus belle version de ce quatuor que j'aie pu écouter. Le n°13 en couplage (sans la Grande Fugue) est moins singulier et moins superlatif, quoique excellent bien sûr.

Des Impromptus de Schubert épurés, droits et finalement vraiment neufs par Ronald Brautigam (sur pianoforte). Suprême élégance sur les pianofortés cristallins de l'époque de Schubert ; les limites techniques des instruments (par rapport aux Graf des années 1820, comme ceux utilisés par Peter Serkin pour les dernières sonates de Beethoven, parfaitement fonctionnels) permettent très peu d'amplitude dynamique, et donnent l'impression que tout est joué assez fort, mais Brautigam ménage un élan et des phrasés magnifiques, qui renouvellent vraiment l’écoute… (Autre suggestions sur piano d'époque, mais plus ancienne, Dähler, grand coloriste, poète, rhéteur…)

Suite de l'intégrale des Symphonies pour cordes de Mendelssohn, très vive et affûtée (Dogma Chamber Orchestra dirigé par Gurewitsch chez Gold MDG) : le meilleur des deux mondes (tradi / informé). Tempi vifs, attaques tranchantes, plénitude du sostenuto des cordes, ces œuvres de prime jeunesse paraîtraient issues de la meilleure maturité d'un grand compositeur.

Réédition
des Debussy à quatre mains de J.-Ph. Collard et Béroff, lectures claires et ciselées, avec en prime des arrangements orchestraux pour quatre mains (Symphonie en si) ou deux pianos (le Faune, les formidables deux premiers numéros des Nocturnes…).

Feu et couleurs que je trouvais remarquables dans la Phantasie pour trio de Bridge (qui ne m'avait jamais paru aussi passionnant), et feu d'artifice hallucinant dans le pourtant très couru Premier Trio de Mendelssohn !  C'est à tel point que je ne suis pas sûr qu'on ait entendu mieux au disque. Trio Laetitia, avec Deljavan au piano – chez Artalinna.



3. Pépites isolées

Certaines pistes, indépendamment de la sélection ci-dessus, font dresser l'oreille et fascinent durablement.

Je pense par exemple au Thésée de LULLY par les Talens Lyriques (œuvre inégale, mais qui comporte quelques très hauts sommets, tout son acte I en particulier, et le premier enregistrement officiel de qualité qu'on en ait – « ô Minerve savante » assez extraordinaire), à l'arrangement des Variations Goldberg pour violon concertant imaginée par Chad Kelly (interprétation Rachel Podger), aux délicieuses Sonates pour violon & clavecin de Johann Ernst Bach (dont c'était l'anniversaire en 2022), à la transcription du début du III de Siegfried pour piano solo par Juliette Journaux (disque Wanderer chez Alpha, il nous faut davantage de transcriptions de ce calibre !), à l'Ouverture Ein feste Burg de Raff (sa première œuvre orchestrale à me convaincre, il s'y passe beaucoup plus qu'à l'accoutumée) par le Philharmonique de Slovaquie, au Quatuor à cordes Op.11 de Nicolaï Tchénépnine par le Quatuor Michelangelo, ou encore Aux Étoiles, le recueil d'ouvertures françaises fin XIXe publié par le National de Lyon chez Bru Zane (Guiraud, Bonis, Bruneau, Holmès, Sohy, Joncières, Rabaud, et quelques versions extrêmement réussies des tubes de Franck, Duparc, Chabrier, Chausson, Dukas et d'Indy).

On a aussi quelques documents importants qu'il fallait absolument publier, mais qui ne m'ont pas forcément intéressé autant qu'espéré, comme Das Lied von der Glocke d'Andreas Romberg à Duisbourg (important de l'entendre, mais il existait déjà un enregistrement, le chœur est amateur et surtout le compositeur n'a clairement pas le génie de son cousin Bernhard), Ariane de Massenet (il faudra que je réécoute, j'en ai retiré peu d'impressions), et autres belles choses comme La Princesse de Trébizonde d'Offenbach, belle œuvre et belle réussite de l'équipe, mais qui ne me paraît pas aussi incontournable que d'autres disques, puisqu'il s'agit ici d'opérer une sélection…



4. Le goût du sang

Parce que je sais que si vous venez lire une telle notule, c'est moins pour être informés que pour vous repaître de remarques assassines – voici quelques déceptions.

À la vérité, comme je choisis les disques qui m'intéressent, je n'ai pas croisé d'immense ratage, de proposition totalement inintéressante, d'œuvres nulles, d'immondices, ou pis, de Philip Glass.

Néanmoins, quelques propositions n'étaient pas tout à fait à la hauteur des attentes.

Difficile pour les ensembles et chanteurs non spécialistes du répertoire français de réussir à bien l'interpréter, et le nouvel Acis & Galatée de LULLY par l'excellent Sardelli connaît quelques raideurs et monochromies en conséquence – difficile de passer juste après la publication extraordinaire des Talens Lyriques cette même année ; j'y remarque surtout Jean-François Lombard, chanteur exceptionnel qu'on entend trop peu à l'opéra, et dont la technique très singulière (voix mixte, mais avec une forte proportion d'émission de tête) sonne un peu étrangement au disque et en contexte dramatique, il est vrai.

Toujours pas très convaincu par la voix très couverte de Lea Desandre, qui ne correspond (malgré toute sa science du style) pas bien au cahier des charges de l'air de cour (évidemment une nouvelle pour Le doux silence de nos bois est toujours une bénédiction, surtout aussi bien accompagnée).

Vraie déception pour la Belle Meunière de Samuel Hasselhorn, que je suis et admire depuis ses études au Conservatoire. Il a fait évoluer sa technique vers un aspect plus barytonnant… et cela lui permet peut-être davantage de stabilité dans les œuvres avec orchestre, mais éteint aussi la singularité qui faisait son charme. J'en parle plus en détail dans cette notule.

Douloureuse surprise, le disque du Gewandhauschor n'est pas vraiment un arrangement pour chœur (ce qui m'aurait passionné), mais une version du Winterreise pour soliste et accompagnement d'accordéon parfois renforcé de chœurs (qui sonnent assez kitsch, façon chœurs en « hou-hou » de la Fiancée de Cadix). De surcroît le chœur, audiblement amateur, n'est pas le meilleur d'Allemagne… Restent la belle diction de Tobias Berndt et quelques réussites comme « Das Wirtshaus », qui semble vraiment sur le papier le lied le plus conforme à une écriture chorale. Et ici, pas d'accordéon, chœur d'hommes, c'est très beau.

Barbara Hendricks (je fais partie de ceux qui l'ont beaucoup aimée, y compris dans ses emplois les moins attendus comme la mélodie et le lied) a toujours de la voix (bientôt 75 ans !), même si le centre de gravité s'est fortement abaissé. En revanche, manifestement pas de répétiteur de français pour ces cantates et mélodies orchestrales de Berlioz… ça pique, et ça manque de direction, c'est bien dommage. (Alors qu'elle a proposé des enregistrements magnifiques en français, sa Leïla des Pêcheurs de perles avec Plasson par exemple.)

Nouvelle version du Trio de Chausson par le Trio Metral mais… si j'aime assez le piano, je suis frustré par le son des cordes, très « international ». Ce sont de grands musiciens, mais je n'aime pas ce son ample, patiné, homogène pour le répertoire français, où je me sens plus à l'aise avec des attaques franches et un timbre un peu plus acide (du type Stéphanie Moraly, Philippe Koch, Saskia Lethiec, Émeline Concé, Aitor Hevia, Anne Robert…). C'est un peu comme pour l'orgue, j'écouterais très volontiers tout le répertoire avec ce son à la française. Mais au moins pour le répertoire français fin-de-siècle, déjà écrit de façon nébuleuse, j'ai besoin de franchise dans les articulations. Ce n'est donc même pas un jugement sur l'interprétation proprement dite, j'ai vraiment eu peine à entrer dans la proposition pour des affaires de goût – et autant pour la voix je peux argumenter qu'il y a des problèmes de projection, que ce n'est pas efficace pour la diction, autant ici, pas de problème, Nathan Mierdl sait jouer du violon, très clairement…

Deuxième Symphonie de Mahler par Rouvali avec le Philharmonia. Écouté sans doute un peu distraitement, mais dans cette (tout à fait bonne) version, je n'ai pas retrouvé la singularité de ses Sibelius (où les ponts semblaient devenir les thèmes et les thèmes devenir des transitions), et au sein de cette discographie d'une quantité excessive, cela rend évidemment la proposition moins essentielle.

Les Concertos de Jan Novák, pas très saillants… mais je pensais écouter Vítězslav Novák, le grand postromantique tchèque très inspiré, né en 1870, pas ce jeunot né en 1921 !  Je le découvre à l'occasion, mais je l'ai méjugé à l'aune de l'autre. (On voit surtout Novák en gros sur la pochette, ce qui est trompeur. Imaginez qu'on fasse pareil pour Johann Ernst Bach ou Isidore Stravinski !)

La Symphonie « Bretagne » de Didier Squiban, très agréable, mais un peu lisse et consonante sur la durée.

Pas de mauvais disque à signaler, donc. Et quantité d'autres bons disques qui m'ont moins intéressé.



Vous pouvez retrouver ma sélection dans cette playlist, et encore davantage de sélections thématiques sur mon profil Spotify. À bientôt pour de nouvelles découvertes !

lundi 31 juillet 2023

[podcast] La musique populaire imprimée, matrice invisible des compositeurs établis


curious bards
The Curious Bards le 30 juillet 2023 au lavoir de Pimelles.

Micro-série de podcasts inspirés par la démarche de l'ensemble The Curious Bards, donnant à réentendre des pièces de musique populaire suédoise, norvégienne, écossaise et irlandaise qui ont été relevées sur papier (manuscrit ou imprimé) par leurs contemporains. Deux de leurs programmes étaient proposés dans le cadre du festival Musicancy à Ancy-le-Franc, qui met à l'honneur la voix à l'occasion de son vingtième anniversaire !

L'occasion de m'interroger sur ce que cette musique retrouvée nous apprend – notamment sur la musique que nous connaissons plus largement, celle des compositeurs établis et passés à la postérité au service de cours princières ou du public des grandes villes.

Épisode I – Musiques scandinaves
Épisode II – Instrumentarium
Épisode III – Musiques des îles britanniques
Épisode IV – Deux défis : instruire et faire danser


Vous pouvez retrouver tous les épisodes de la baladodiffusion par ici :

Le flux RSS (lien à copier dans votre application de podcast)
https://anchor.fm/s/c6ebb4c0/podcast/rss

ou sur :
Spotify (pour voir mes jolies vignettes)
Google
Deezer
Amazon
¶ etc.

Pour ceux qui veulent des extraits sonores, j'ai agencé cette série de podcasts en alternance avec des pistes de disques sur mon profil Spotify.

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Et comme d'habitude, pour ceux qui sont rétifs à l'oral, je laisse ci-après les notes brutes qui ont servi à la confection du podcast.

Suite de la notule.

vendredi 28 juillet 2023

Carl ORFF – musique pour enfants (nazis)


obikhod
Deuxième disque de la série Orff-Schulwerk chez Celestial Harmonies.

Comme tout le monde (même au Brésil), j'ai découvert Orff (1895-1982) par les disques d'extraits des Carmina burana (1937). Pas très séduit dans l'ensemble, mais quelques titres comme Fortune plango vulnera, Ecce gratum ou la danse qui ouvre la section « Uf dem Anger » (et immortalisée dans la mémoire collective française par le générique de l'émission nocturne de TF1 Histoires naturelles) m'ont tout de même frappé par leur force motorique. On est toujours un peu partagé entre l'aspect sommaire un peu vulgaire de cette musique massive, essentiellement rythmique (et des rythmes très identifiables, pas du tuilage richardstraussisant), et l'effet d'entraînement qu'elle peut avoir.

En somme, je n'écoutais pas beaucoup, mais j'aimais bien. Comme beaucoup de monde, je pense.

Et puis – c'était il y a plus de quinze ans, aux débuts de Carnets sur sol – j'ai découvert un peu le reste de son catalogue, en commençant par Der Mond (1938). Je m'attendais à découvrir un Orff plus traditionnel (postromantique sans doute ? décadent peut-être…), et j'ai été frappé d'entendre sensiblement le même langage. Un peu plus de variété dans les procédés, mais on retrouve l'organisation en séquence brèves et parfaitement indépendantes, qui tournent en boucle un motif simple, jamais développé, simplement remaquillé par des orchestrations de caractère différent – orchestrations où dominent sans surprise cuivres et percussions, pas toujours avec finesse, mais non sans efficacité.
    J'y avais même senti des points communs assez forts avec l'esprit minimaliste, ressassant un même matériau qui n'évolue pas vraiment, refusant le développement.
La principale plus-value résidait dans l'usage de mélodrames (c'est-à-dire de déclamation parlée accompagnée par l'orchestre). Le résultat restait personnel et plutôt réussi, mais l'impression de réentendre Carmina burana sur la durée d'un opéra était un peu lassante, et l'articulation du langage avec l'action dramatique paraissait assez lâche, comme si Orff ne parvenait pas, pris dans son système, à épouser réellement les affects des personnages.
    J'avais alors conclu, avec un sens de la formule qui révèle toute la cruauté de la jeunesse : « heureux de l'avoir entendu et soulagé de ne pas l'avoir acheté ».

Plus tard suivit Die Kluge (1943), son autre adptation de Grimm (écoutée en russe à l'époque je faisais le relevé-tour du monde des représentations d'opéra), un peu plus lyrique mais dans le même goût.

J'ai aussi entendu un entretien donné par le compositeur, d'une certitude de sa supériorité assez déconcertante, affirmant que la force des Carmina burana (qu'il considère comme une œuvre fondamentale du répertoire) tient à ce que « sa portée spirituelle dépasse sa valeur musicale ». Et de se vanter d'avoir trouvé là son style, assez génial, et qu'il n'en a plus démordu ensuite. C'est donc du très sérieux de son point de vue, et non un pastiche fantasmatique de chants d'étudiants comme je le croyais.

À ce stade, j'ai considéré que mon éducation était à peu près faite – j'ai eu l'occasion d'écouter les deux autres Trionfi bien sûr, donc je n'ai pas retiré grand'chose non plus. Orff était un vantard vaguement nazisant, assez peu lucide sur ses mérites, et assez limité dans ses moyens de composition.

Et puis les années ont passé.

J'ai quand même découvert des œuvres intéressantes, comme Antigonae (1949), sujet plus sérieux et ambitieux où l'on retrouve les psalmodies à nu interrompues ou soutenues par des percussions, pas plus intéressantes musicalement (vraiment des passages entiers psalmodiés, pas vraiment de mélodiques), mais l'œuvre a le mérite de tenter une recréation fantasmatique de l'esprit de la tragédie grecque, avec le texte premier, semi-chanté, et un instrumentarium sans doute un peu sec, pour un résultat pas du tout lyrique.
Mais on s'ennuie tout de même sévère à écouter cela sur la durée. (Il existe au disque plusieurs versions all-stars avec au choix Borkh, Mödl, Kuen, Haefliger, Greindl, Fricsay, Leitner, Sawallisch…)

Surtout, j'ai beaucoup ri en découvrant la musique pour les Jeux Olympiques de 1936, Entrée et Ronde des Enfants : « Non content d'être un compositeur majeur d'opéras inspirés et autres cantates subtiles, il était capable d'écrire des pièces entières dans un seul tétracorde défectif. » Et de souligner avec une perfidie manifestement satisfaite le petit côté BO du Gendarme de Saint-Tropez(Quelle mauvaise personne j'étais alors…)
Pour autant, c'était à date clairement ma pièce préférée de Carl Orff, grâce à cette Grèce antique stylisée, sa généreuse dose de coloration pastorale (plus beethovenienne que lullyste). « Un petit esquif de n'importe quoi jeté sur la grande mer de la rationalité organisatrice de ces gigantesques manifestations… »

Dernière découverte (merci CPO, toi qui prouves l'existence d'un Dieu juste et bon), Gisei – le sacrifice, absolument différent de tout le reste, opéra d'une heure, écrit à 18 ans, dans un style marqué par Debussy, mais assez décadent et âpre, comme rongé par le Wagner le plus désespéré, qui manifeste une maîtrise à peine croyable des moyens compositionnels les plus complexes. Mais c’est un langage qu’il abandonne tout à fait après sa propre épiphanie du style néo-tribal qui marque ensuite toutes ses compositions. (J'en ai parlé là.)

Je restais donc sur l'idée d'un talent gâché, dont l'ego surdimensionné avait causé cette pénible tendance à la répétition de formules plutôt pauvres – mais dont il semblait très généreusement autosatisfait.
Un profil à la Richard Strauss, le résultat en moins. Ah oui, je n'ai pas encore publié la notule sur Richard Strauss & les nazis (toute une histoire), mais Orff semble un peu le même type de profil : surtout obsédé par sa propre musique, indifférent à la politique mais pas insensible aux honneurs. Au demeurant son procès en dénazification l'a classé comme suiveur, et il a pu continuer à exercer.

Et puis ma vie a continué. J'ai vu quelques très beaux concerts, j'ai eu quelques enfants naturels, j'ai découvert l'existence de Pierre Rode (connaissez-vous notre Seigneur Pierre Rode ? avez-vous une minute pour en parler ?). J'ai joué des opéras dodécaphoniques danois. J'ai mangé des œufs mollets.

***

Jusqu'à ce jour.

Je voulais illustrer une story présentant des tombeaux mérovingiens décorés de quelques svastikas avec la bande son des Jeux de 1936 – parce que le bon goût, c'est comme la calvitie, on l'a dans nos gènes ou on ne l'a pas.

Impossible de rien trouver. Il existe bien des disques, mais tous épuisés, aucun n'est disponible dans la banque de son d'Instagram (le pseudo est Carnetsol, si vous aimez les paysages et objets d'art mis en musique), ni même sur les sites de flux où je fais mes recherches. Je dois donc me rabattre sur la fanfare de Richard Strauss, ce qui n'est pas si mal.
Mais, avec les mots-clefs Orff et Kinder, je suis tombé sur un résultat inattendu. (Non, bande de dégoûtants, pas ce à quoi je vous vois penser, safe search était activé.)

Cette série de trois disques, du label Celestial Harmonies, parus dans les années 90, sans doute racheté par un plus gros label, et enfin mis en ligne dans le cours de ces derniers mois. Orff-Schulwerk, car Orff était passionné de pédagogie, avait fondé une école, créé une méthode qui est encore utilisée de nos jours – vous en trouverez quantité d'exemples en vidéo ici, chez ses successeurs.
Je fais du titre provocateur et racoleur, mais en réalité en fait de nazisme, dans les années 1950, l'approche a même servi à des enfants en situation de handicap.

Comme je suis curieux, j'écoute… et que n'entends-je pas !  La même veine primesautière et naïve que sa musique pour les Jeux de 36 : ce que j'avais pris pour une imitation un peu ridicule de la musique grecque dans un ton qui se voulait solennel et paraissait au contraire très gentiment sautillant… était de la musique pour enfants !

Ces trois disques permettent de saisir l’étendue de son legs sur le sujet : beaucoup de musiques pour voix, piano, flûte à bec et/ou percussions, sur des rythmes simples et récurrents, mais avec un véritable caractère – archaïsant, comme une Grèce rêvée. Tellement plus convaincant que les grosses choucroutes bruyantes qui mobilisent beaucoup de monde pour un contenu musical particulièrement simple ; et surtout, quelle que soit votre dilection éventuelle pour les Carmina burana et autres Catulli Carmina, cela éclaire grandement le projet de trouver la voie d’une musique riche avec des moyens très épurés. (écouter des extraits ici)

La pédagogie d'Orff insiste sur la pratique, l'appropriation instinctive du geste, chacun à son niveau. Et ces pièces reflètent vraiment cette approche : tout entre bien dans l'oreille, tout est fondé sur des cellules courtes et simples, et pourtant ce sont de vrais morceaux, agréables à entendre, qui donnent envie d'être écoutés et joués. Je les trouve très touchants et émouvants, et la sorte de raréfaction du matériau qui peut être frustrante dans les grandes fresque d'Orff trouve ici un terrain assez idéal. De la musique de proximité, de la musique bienveillante, qui rejette la virtuosité mais pas la personnalité.

On y entend d'évidentes influences extrême-orientales – témoin les duos de xylophones n°16 & 17 du Troisième Livre –, mais il est probable que cette écriture très diatonique, qui répugne aux tensions et aux bifurcations, soit largement due à l'intérêt d'Orff pour la Renaissance. Il a par exemple orchestré (dans une version traduite en allemand, un peu réagencée et assez coupée, certes) L'Orfeo de Monteverdi (ça peut s'entendre chez CPO) et le Lamento d'Arianna (CPO…), et on comprend assez bien, en écoutant ses choix d'orchestration, ce qu'il a pu retirer de la Renaissance finissante et du jeune baroque.

***

Seconde découverte, plus anecdotique : la version originelle de la danse-interlude célébrissime des Carmina burana, issue d’un Klavier-Übung de 1934 (écouter), de son corpus pédagogique (dans le troisième disque). Et je trouve tout cela assez touchant, un compositeur qui met autant d’énergie à écrire des œuvres pour la jeunesse accessibles, pédagogiques et intéressantes – je vois peu d’instances où les trois parviennent à se conjuguer. Orff, que je trouvais assez prévisible, répétitif et pour tout dire plus ennuyeux (sorti de Gisei) est instantanément devenu à mes yeux un compositeur attachant et réellement stimulant.

Tout cela rend très curieux (et dubitatif) sur un éventuel quatuor à cordes qu'il aurait pu composer – jugez de ma perversité.

Mais, dans tous les cas, Orff m'est devenu, en à peine 24h, d'une fausse valeur un peu inoffensive que tous les amateurs de classique subissent un peu complaisamment dans les compilations de classiques favoris, une sorte de chouchou assez touchant, de personnalité à part dont le projet me touche assez.

C'est pourquoi je voulais aussi vous donner cette chance de pouvoir changer. D'être inspirés par des modèles nazis une pensée différente, dont je n'avais absolument pas compris les articulations – je pensais vraiment que son projet était uniquement issu d'un fantasme néo-païen un peu pompeux, à base de Grèce imaginaire et de chants d'ivrognes médiévaux. Mais, transposée dans un cadre pédagogique, oui, comme sa musique paraît évidente, facile d'accès, immédiatement satisfaisante, propre à faire comprendre les mécanismes fondamentaux de la pratique musicale.
(Et ces petits formats sont tellement plus beaux et touchants !)

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À bientôt, estimés lecteurs – car je dois prochainement vous entretenir de Loewe, de Carmen, du Champs-aux-bécasses, du Christ (de Rubinstein) et de notre Seigneur Pierre Rode (avez-vous un moment pour en parler ?).

Portez-vous bien. Ne buvez pas trop d'alcool, ne marchez pas tête nue au soleil cet été, ne faites pas trop de bisous aux veillards cet hiver, ne lancez pas d'opération spéciale de maintien de la paix et de formation au point-de-croix au printemps. S'il vous plaît.

samedi 4 février 2023

[podcast opéra] – Épisode 8 : Comment l’opéra italien a-t-il dominé le monde ? – b) L’hégémonie du seria


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Je poursuis mon aventure autour du format audio.

Je me suis surtout lancé dans une transcription en cours de la série musique ukrainienne, avec la contrainte, pour des raisons de droits d'auteurs (droits voisins plus exactement), d'enregistrer moi-même les extraits sonores. C'est beaucoup de travail, mais pour ceux qui consultent le format écrit de Carnets sur sol et n'hésitent pas à en suivre les recommandations sonores ou écouter les extraits, il n'y a pas encore beaucoup de nouveautés (j'en suis à Hulak-Artemovskiy et à la brève génération qui a pu exercer un art national ukrainien). Bien sûr, des précisions nouvelles ont été apportées, que je n'avais pas lorsque j'ai débuté cette série, et je vous invite à y jeter une oreille, mais dès que j'aborderai des compositeurs ou des sujets inédits, je le signalerai ici et en posterai les retranscriptions pour les fidèles de l'écrit.

Pour la suite de la baladodiffusion autour de la vulgarisation de certaines questions relatives à l'opéra en général (sobrement intitulée « L'opéra ? »), je me suis lancé dans une évocation des grandes tendances de l'opéra, à travers l'histoire de chaque nation lyrique. Je commence évidemment par les Italiens qui nous ont apporté toute cette corruption depuis le début.

Vous pouvez l'entendre par ici :

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Épisode 8 : Comment l’opéra italien a-t-il dominé le monde ? – b) L’hégémonie du seria

3. Le prestige de la voix et la conquête du seria

Malgré son projet à l’origine surtout littéraire, l’opéra entraîne un effet secondaire inattendu : la redécouverte de la voix humaine. Le fait de l’utiliser seule, le prestige croissant des chanteurs, les lieux de représentations plus vastes vont mettre en avant les voix puissantes, agiles, étendues… et les compositeurs vont progressivement devenir les grands lieutenants des chanteurs vedettes.

Le troisième tiers du XVIIe siècle est une période d'innovations riches – voyez par exemple les opéras de Legrenzi ou les oratorios de Falvetti. La forme des parties musicales reste assez libre, mais avec davantage de substance musicale, de diversité de ton, et surtout, ce qui a son importance pour la suite, une veine mélodique beaucoup plus présente et persuasive que le pur service du texte. On reste dans une visée essentiellement déclamatoire, mais ce faisant on voit tout de même se constituer peu à peu, dans les parties où la musique se met à dominer l'expression textuelle, une segmentation des moments musicaux, de plus en plus autonomes et détachables. Ces moments (airs, duos, choeurs, etc.) deviennent progressivement des formes closes (ce que l'on appelle les « numéros »).

C'est à mon avis l'une des périodes les plus intéressantes de l'histoire de l'opéra italien, sans doute la plus originale, devant celle qui se déroule au début du XXe siècle. Il y a fort à parier qu'on découvrira progressivement beaucoup de pépites dans cette période encore excessivement mal documentée au disque, si l'on se met à fouiner dans les inédits.

Mais cette progressive mise en avant de la musique (et de la voix agile) va aussi entraîner la Grande Bascule, moment terrible qui va changer l'histoire de l'opéra mondial pour toujours.

La fascination pour la voix, qui se découvre des possibilités pour l'agilité dans ce contexte où la musique est de plus en plus prédominante et le texte de moins en moins central, va créer les conditions de cette catastrophe.

L’opéra, qui était essentiellement un poème dramatique embelli par de la musique, assez nu, peu orné, devient le support privilégié de la virtuosité vocale – le support, pour ne pas dire le prétexte.


4. Structure de l’opéra seria

Car, à partir des années 1690, le genre-roi, qui domine toute l’Europe pour un siècle, c’est l’opéra seria, fruit d’une lente mutation au fil du XVIIe siècle vers un spectacle, où la musique et surtout la voix volent la vedette au texte.

Opera seria, c’est-à-dire « opéra sérieux ». Opera seria est féminin en italien, mais comme on emploie opéra au masculin en français, l’usage est d’utiliser opéra seria au masculin.

C’est le genre qu’ont illustré Albinoni, Haendel, Vivaldi, Porpora, Caldara, Hasse, Leo pour la période baroque, avec une époque de transition qui enrichit l’orchestre de quelques doublures de vents chez Graun, Pergolesi, Jommelli, avant de se couler dans le nouveau style classique avec Johann Christian Bach, Cimarosa, Haydn (Armida), Salieri, Mozart (Lucio Silla, Mitridate, même Idomeneo, quoique un peu tempéré par le modèle français).

Parmi les œuvres aisément disponibles qui ont de quoi impressionner et par lesquelles je vous conseillerais de commencer : Rinaldo de Haendel, Griselda de Vivaldi, Cleopatra e Cesare de Graun, Mitridate de Mozart (Minkowski)… mais on rencontre aussi de très beaux Jommelli, Johann Christian Bach ou Salieri…

Musicalement, l’opéra seria se caractérise par une alternance de deux modes d’expression.

Le premier, ce sont « récitatifs secs » (recitativi secchi), où l’on fait avancer l’action, sans y mettre de soin musical particulier : les chanteurs s’y expriment seulement accompagnés par la basse continue (un instrument grave à cordes frottées, un clavecin, éventuellement un archiluth). La mélodie reste très simple et suit l’accentuation des mots, mise en musique syllabe par syllabe. Pas de répétitions, pas d’ornements, pas d’aigus ou de graves, simplement une déclinaison musicale du texte. C’est la partie qui hérite des origines de l’opéra, mais il s’agit clairement, en l’occurrence, d’une relégation, qui n’intéresse pas du tout le public, concentré sur la plus grande séduction mélodique des airs, ses affects exacerbés… et surtout les qualités d’agilité ou de longueur de souffle des chanteurs.

En alternance avec ces récitatifs utilitaires, les « numéros » sont presque exclusivement des airs à da capo. Et, rarement, des duos ou des chœurs – on va dire que dans le meilleur des cas vous en trouverez deux par opéras, et toujours sensiblement plus courts que les airs. On parle alors des « numéros musicaux », car ils sont bel et bien numérotés pour pouvoir les retrouver (plus commode que « le deuxième air de Nicomedo à la cinquième scène de l’acte III »). À ce moment, l’action s’arrête et le personnage partage ses émotions : courage, tendresse, espoir, crainte, orgueil, dépit, fureur, déréliction… le nombre de ces affects archétypaux n’est pas très élevé, ce qui a permis la réutilisation abondante d’airs d’un opéra dans un autre – les droits d’auteur n’existant pas, les compositeurs n’hésitaient pas non plus à réutiliser des airs réussis de collègues dans leurs propres opéras.

J’ai parlé de da capo. « Da capo » signifie « avec une reprise depuis le début » : ces airs sont pour la plupart constitués, tout au long du XVIIIe siècle, de 8 vers. Un quatrain principal, longuement répété, suivi d’une section plus courte de 4 vers (et toujours contrastée, moment de fureur ou de confusion pour les airs extatiques, moment de brève émotion tendre pour les airs de bravoure…). Une fois qu’on a fait tout cela, on reprend intégralement la mise en musique du premier quatrain, en y ajoutant des variations vocales (on les appelle souvent « diminutions », car ce sont des formules de notes en général plus brèves, des ornements qui augmentent le nombre de notes exécutées). Ces ajouts étaient censés être improvisés, même si les chanteurs étudiaent bien sûr des formules réutilisables. Aujourd’hui, elles sont soigneusement écrites par les chefs ou les interprètes. Comme elles ne figuraient pas sur les partitions, on a longtemps, même dans le mouvement baroque, joué ces reprises sans ornements – ce qui les rend particulièrement fastidieuses, surtout dans les airs très longs du milieu et de la fin du XVIIIe siècle.

Un air à da capo fait dans les 4 à 6 minutes à l’époque de Haendel et Vivaldi, mais peut durer 9 minutes à partir des années 1740… sans reprise variée, ce peut être un peu ennuyeux si la mélodie n’est pas particulièrement inspirée ou si le chanteur n’est pas exceptionnel. Les da capo ornés sont aujourd’hui redevenus la norme, musicologie aidant. Dieu soit loué.


5. Le triomphe de la peste vocale

Ce type d’opéra, qui est moins dépendant de la compréhension du texte théâtral, obtient un succès fulgurant en Europe : la virtuosité de sa musique (il faut y voir l’équivalent des Quatre Saisons de Vivaldi), la déification des chanteurs-vedettes, le caractère stéréotypé et annexe de l’intrigue permettent de traverser les frontières. Il s’adapte très bien ensuite au style classique avec un orchestre qui inclut davantage les vents, cherche davantage de couleurs, étend la virtuosité sur des ambitus vocaux plus larges, cherche des lignes mélodiques plus vigoureuses (voire athlétiques).

Il est joué partout, en général en italien : de Lisbonne à Saint-Pétersbourg en passant par Londres, avec quelques adaptations linguistiques locales (en suédois à Stockholm, et à Hambourg des objets hybrides improbables en allemand pour les airs, en italien pour les récitatifs et en français pour les chœurs – voyez Orpheus de Telemann, par exemple).
Seule la France en reste au modèle déclamatoire de la tragédie en musique, tout en en important les innovations harmoniques et progressivement le goût de la virtuosité (très audible chez Rameau, par exemple). Mais l’accusation d’ultramontanisme est grave pour un compositeur, et tout le monde se défend d’importer quelque influence que ce soit. En tout état de cause, la dominante de l’opéra français reste textuelle (ou, pour l’opéra-ballet, la danse et la couleur locale soutiennent l’intérêt premier du public), et c’est la seule nation à conserver un modèle distinct du seria italien. Toutes les nations les plus fières ont servilement adopté le nouveau format musical à la mode, et pour un siècle.

Et encore, un siècle, c’est en restant modeste : il existe des opéras seria dès les années 1690, et le belcanto romantique n’est finalement qu’une adaptation au style romantique des formules du belcanto baroque et classique tel qu’il est pratiqué dans l’opéra seria (air répétitif virtuose orné avec récitatifs intercalés, de moindre importance). Mais la fin du XVIIIe siècle et surtout le début du XIXe siècle voient apparaître des opéras dans les langues locales, et parfois avec une réelle ambition, Weber et Schubert en Allemagne, Dupuy au Danemark, Arriaga en Espagne…


6. Catégories vocales

Cette époque est aussi celle des rôles travestis (des rôles masculins héroïques joués par des femmes, en l’occurrence) et des castrats. Je consacrerai peut-être un épisode aux castrats – ces pauvres diables auquels ont dérobait, dans leur jeune âge, les outils indispensables de leur succession. Ils disposaient ainsi d’un larynx d’enfant posé sur des poumons et des résonateurs d’homme, ce qui devait être particulièrement insolite et surprenant. Femme ou castrat, cela témoigne en tout cas d’une fascination pour les voix aiguës. Le goût des XXe et XXIe siècles en Occident représente l’homme viril avec une voix grave (voire rauque et peu sonore, façon Humphrey Bogart, James Earl Jones, Andrew Lincoln) – je peux témoigner, puisque je dispose d’une voix plutôt aiguë, qu’on est obligé d’utiliser beaucoup de stratégies extra-timbrales pour asseoir sa présence en public (le contenu de ce que l’on dit, les variations de ton, l’humour… alors que l’autorité naturelle d’une voix grave est immédiate). On le voit au demeurant à l’opéra, avec le nombre croissant de rôles principaux confiés à des barytons – le baryton, c’est le symbole l’homme véritable, dans toute sa complexité.

Au XVIIIe siècle, c’est tout le contraire : les héros ont souvent une ascendance surnaturelle, divine, et réalisent des exploits qui ne sont accessibles qu’à une âme hors du commun et à une généalogie du plus haut prestige. On les représente donc par des voix aiguës et agiles, qui planent au-dessus des aptitudes des simples humains. Le ténor devient progressivement utilisé dans la période classique (dernier quart du XVIIIe siècle), mais plutôt pour représenter les rois et les pères, pas toujours sympathiques (prenez Idoménée et Mithridate, chez Mozart) – en tout cas beaucoup plus humains et bien moins exemplaires que leurs équivalents chantés par des sopranos ou des altos, qu’ils soient masculins ou féminins. Les basses, elles, sont vraiment réservées aux personnages secondaires majestueux, les pères, les rois, les magiciens…

C’est ainsi que dans un opéra seria habituel de la période baroque, on ne croise quasiment que des voix de femmes (avec une basse en personnage secondaire pour varier un peu) ou de castrats.


7. Les limites du seria

Vous aurez peut-être remarqué, au gré de subtiles allusions à peine perceptibles, que je ne suis pas complètement enthousiaste devant la domination de ce genre en Europe. C’est mon goût personnel, il est vrai que le seria est probablement pour moi la période la moins enthousiasmante de l’histoire de l’opéra.

Mais cela mérite peut-être une explicitation. Pour moi qui apprécie en particulier le rapport au texte et à la dramaturgie, je me retrouve face à des airs dont le texte est répété à l’infini, peu intelligible sous les coloratures (toutes les figures agiles de la voix sur une voyelle unique o-o-o-o-o o-o-o-o-o), et pas traité de façon particulièrement expressive – en tout cas pas vis-à-vis de la prosodie. Les livrets y sont complètement stéréotypés, parfois même interchangeables – et interchangés par les compositeurs.

C’est possiblement la période où l’on a le plus produit d’opéra, mais aussi celle où l’on rencontrera le moins de diversité et de surprises, tant le modèle y est normé, et pas très riche ni contrasté en tant que tel.

Pour autant, musicalement, le genre recèle des pépites (qu’il faut vraiment écouter comme des concertos pour instruments vocaux !), et les atmosphères de certains airs sont absolument ineffables. Par ailleurs, si l’on rencontre des chanteurs qui nous émeuvent, les entendre dans le seria, c’est la certitude d’entendre toute leur voix complètement mise en valeur – rien à voir avec les airs de Verdi qui mettent en valeur un caractère du personnage ou un trait d’écriture du compositeur, ici tout est d’abord pensé pour magnifier la voix et lui donner le temps d’être goûtée par le public.

Et son importance est absolument centrale dans l’histoire de l’opéra. C’est pourquoi il n’était pas inutile de s’y arrêter un moment dans ce parcours autour de l’opéra italien.

mardi 11 octobre 2022

Gluck, Iphigénie en Aulide – à la source d'un style nouveau


Je profite du concert tout frais autour de l'œuvre pour rappeler quelques éléments et… poser quelques questions. 


(Pour ceux qui n'y étaient pas, autre version vidéo de l'œuvre, calée sur l'un de ses moments paroxystiques.)



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#ConcertSurSol n°11
Gluck, Iphigénie en Aulide, Chauvin

Judith van Wanroij | Iphigénie
Stéphanie D’Oustrac | Clytemnestre 
Cyrille Dubois | Achille
Tassis Christoyannis | Agamemnon
Jean-Sébastien Bou | Calchas
David Witczak | Patrocle / Arcas / Un Grec
Anne-Sophie Petit | La première Grecque
Jehanne Amzal | La deuxième Grecque
Marine Lafdal-Franc | La troisième Grecque

Les Chantres du Centre de musique baroque de Versailles
(direction artistique Fabien Armengaud)

Le Concert de la Loge

Julien Chauvin | direction


Lors de la représentation du premier opéra français de Gluck, en 1773, les témoins rapportent que tout le théâtre était en pleurs. Ce n’est plus tout à fait la façon dont nous percevons désormais cette situation dramatique et cette musique, mais elle éclaire le projet d’émotion directe soutenu par Gluck, en débarrassant le théâtre des ornements rocaille de la génération postramiste. 


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Iphigénie, le prequel


Contrairement à Iphigénie en Tauride, jouée régulièrement partout, Iphigénie en Aulide est très rarement donnée (l’a-t-elle été en France depuis Gardiner à Lyon, au début des années 90 ?), et conserve encore quelques empreintes du temps d’avant – comme l’air orné d’Achille, évoquant les ténors virtuoses ramistes.

L’œuvre contient pourtant quelques-unes des très belles pages de Gluck : le début formidable par l’invocation-plainte d’Agamemnon, le trio désespéré Iphigénie-Clytemnestre-Achille en apprenant la nouvelle, le duo de fureur paroxystique qui oppose Achille à Agamemnon, l’air de fureur de Clytemnestre, ou encore la très belle prière chorale du sacrifice, interrompue en pleine phrase par les éclats de la bataille menée contre les autels par le péléide !  Tout cela dans la langue épurée, où toute la musique s’efface pour magnifier la déclamation. 


Je suis beaucoup moins touché par l’autre moitié de l’œuvre (les scènes plaintives de l’obéissance noblement geignarde), mais il faut bien voir que pour le public du temps, c’était là une source d’exaltation émotionnelle d’intensité peut-être encore supérieure à celle des grands éclats. [Tout cela ne fait que renforcer ma conviction qu’il serait vraiment pertinent d’écrire des opéras calibrés pour les goûts d’aujourd’hui, avec des intrigues plus resserrées et des affects plus proches de nos perceptions du monde.]


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Iphigénie, la boloss


Le livret se situe donc dans la partie du mythe qui précède le départ à Troie et le sacrifice d’Iphigénie, calqué sur la trame de la tragédie homonyme d’Euripide (puis Racine – celle de Goethe est écrite seulement à la fin des années 1770). Il est centré autour d’une héroïne paradoxale, Iphigénie : aspirations toujours nobles et pures, caractère inébranlable, mais figure absolument immobile, qui n’ose rien pour elle-même et refuse obstinément de changer ou d’agir. C’est une figure résignée, mais admirable dans l’idéal d’alors, parce que pieuse, raisonnable, sensible avant tout à son devoir – et son honneur (là aussi, une valeur qui résonne de façon peut-être plus menaçante qu’enviable pour le spectateur européen de 2022, avec une perception beaucoup plus variable d’un spectateur l’autre qu’elle ne l’était en 1773).

On retrouve le même type d’idéal, mais plus actif (car confié à des hommes, des rois, des guerriers) dans Iphigénie en Tauride, lorsqu’Oreste et Pylade se disputent l’honneur de mourir pour sauver son ami. 


Quoique le livret du Roullet ne soit pas un chef-d’œuvre d’écriture poétique (« Fut-il jamais conçu / De projet plus affreux ? », et autres « oui » qui servent de cheville…), il n’est pas sans mérite. Il réutilise par exemple la technique grecque de certains stasima (chœurs de tragédie grecque, je pense en particulier à l’un de ceux d’Œdipe à Colone) en faisant décrire le sacrifice hors scène, mais au futur, par Clytmnestre. Procédé dramatique saisissant d’une part – le sacrifice n’aura pas lieu, mais on en a tout de même la saveur émotionnelle –, et qui ancre l’économie générale du côté des modèles antiques, de façon assez évocatrice. 


Par ailleurs, je suis assez admiratif de son jeu récurrent avec l’ironie tragique. Cela commence avec le « juste courroux » dès la première entrée de Clytemnestre – on sent bien le tempérament de feu, les instincts maternels sauvages et, dans une perception plus XXIe, la personnalité qui peut vite basculer du côté du déséquilibre et de l’outrance. 

Et les références s’empilent : Iphigénie la quittant pour l’autel du sacrifice lui demande le pardon de son père (« N’accusez point mon père ») et lui recommande son frère Oreste (« Puisse-t-il être, hélas ! / Moins funeste à sa mère ! »), dont tous les spectateurs savent qu’il sera chassé, jusqu’à tenter de l’assassiner chez Sophocle et Hofmannsthal… et qu’il reviendra en vengeur implacable. 

Peut-être encore plus glaçant, car moins fondé sur la vraisemblance psychologique de l’intrigue, et gratuitement glissé par l’auteur, Patrocle, dans les réjouissances du mariage, chante « Hector et les Troyens, par la honte pressés / En vain s’opposeront à sa valeur altière / Sous les murs d’Illion atteints et renversés, / Hector et les Troyens vont mordre la poussière. », forfanterie qui annonce en réalité la propre défaite mortelle de Patrocle face à Hector. On frémit en entendant la chanson, petite réplique qui n’aura pas de suite mais dont la promesse terrible demeure à notre esprit – car nous savons ce qu’il en sera, à l’épisode suivant.


Il était tout à fait licite, dans les tragédies classiques et plus encore les tragédies en musique, de ne conserver que les éléments essentiels d’un mythe (Achille ne peut pas être couard, troyen ou vieux) et d’ajouter des éléments externes, notamment des intérêts amoureux féminins (pour pouvoir faire des duos d’amour), s’ils ne perturbent pas trop l’équilibre du mythe. 

Mais je trouve tout de même que la résolution heureuse d’Iphigénie en Aulide – assez habituelle, même si l’on trouve aussi, un peu plus tard (Andromaque de Grétry, en 1780 !) des fins absolument sans espoir – pose quelques problèmes de cohérence mythologique. Que fait-on de l’épisode en Tauride si Iphigénie n’y est pas transportée ?  Que penser de l’amour d’Achille pour Briséis, absolument fondateur du mythe (c’est même le point de départ de L’Iliade, ces quelques vers que même aujourd’hui on continue de connaître par cœur chez toutes les générations… on ne fait pas plus source canonique que ça !) ?  Et comment pourrait-il se marier avec Polyxène s’il l’est déjà à la maison ?  Même le crime de Clytemnestre (qui, certes, peut tout de même nourrir de la rancœur et un amant…) paraît moins vraisemblable. 

Ce paraît un gros retournement du mythe, mais je suppose que le fait que cela ne se produise que dans les derniers instants, après le Calchas ex machina, rend le problème beaucoup moins fondamental que s’il innervait tout le drame. En tout cas je n’ai jamais rencontré de mention de réserves du public d’époque à ce sujet. 


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Iphigénie, la romantique


J’aurais aussi pu titre « Gluck ou la gloire du trémolo », tant le procédé (archet qui fait des allers-retours très rapides sur la même note), rarissime auparavant, est devenu la norme chez Gluck, servant (de façon toujours aussi saisissante 250 ans plus tard !) à tendre instantanément l’atmosphère dramatique, que ce soit pour la révélation murmurée d’un rêve prophétique ou pour soutenir des éclats guerriers. 


J’ai été frappé par le côté très verdien du chœur de réjouissance tandis que le soliste exprime son désespoir, vraiment un procédé typiquement romantique qui oppose les affects sombres du héros à ceux sans ombre de la foule. Bien sûr, procédé qui peut être considéré comme universel, mais il est rare que ce soit à ce point décorrélé dans les années 1770. 


Autre préfiguration, les deux airs d’Iphigénie et d’Achille qui deviennent de façon fluide un duo… typique de l’école française, où la segmentation en numéros n’est pas du tout aussi rigide qu’en italien, et où l’on peut glisser d’un récitatif accompagné par tout l’orchestre (c’est désormais toujours le cas, chez Gluck, alors que même chez Rameau il existait encore des moments uniquement accompagnés par la basse continue, certes de moins en moins nombreux) à un air, d’un air à un chœur ou à un ensemble, sans que la délimitation soit toujours nette ou assurée par des accords conclusifs. Dans l’acte III d’Armide de LULLY, passé le premier air… où est le récitatif ? où est l’air ? la scène entière est vraiment conçue comme un ensemble organique. 

C’est ce que Meyerbeer poussera à son paroxysme, avec des enchaînement très sophistiqués entre « numéros » qui restent vaguement identifiables, mais dont les frontières exactes sont complètement brouillées pour ne pas freiner l’avancée dramatique. 



Je dois partir visiter une collection princière et répéter de l’opéra provençal et russe, je reviendrai parler de l’interprétation (et la couvrir d’éloges) mais aussi, c’est un peu pour ça que je suis là, essayer de poser des questions sur ce qu’impliquent le diapason, les choix de tessitures et les techniques vocales actuelles sur l’interprétation de cette musique – et sur notre vision du monde ? 




– 


Le Concert de la Loge Olympique


Très impressionné par l’orchestre : résonance formidable des cordes, au son assez sombre pour un orchestre sur instruments anciens. Quand on les voit jouer, on comprend la tension imprimée – comme les violoncellistes et contrebassistes entrent dans la corde, avec quel entrain et quels sourires ils s’abandonnent à cette musique !


Sont ainsi magnifiés les beaux moments d’orchestration comme les superbes alliages flûte-hautbois par-dessus les cordes (réussis de façon particulièrement diaphane et surnaturelle), ou le plus classique cordes graves-basson… quelques moment aussi où c’est l’interprétation qui crée l’événement d’orchestration, comme pendant les très grands coups d’archet donnés pendant l’évocation des Euménides. 


Julien Chauvin, que j’avais plutôt vu jouer-diriger jusqu’ici, dirige sur le temps mais avec des gestes d’anticipation très clairs, et ses interventions révèlent une finesse de pensée sur chaque phrasé, une compréhension intime des dynamiques de cette musique. 


J’ai beaucoup entendu à la sortie du concert et lu sur la Toile que c’était « joué trop vite », en réalité on dispose de minutages pour certaines œuvres de la même esthétique à l’Académie Royale de Musique (Tarare, par Salieri, successeur officiel de Gluck à Paris, qu’un subterfuge avait même réussi à faire passer pour Gluck lui-même !). Et ils sont très rapides – l’enregistrement de Rousset se situe à peine au delà du minutage historique. 


En tout état de cause c’était d’une urgence, d’une précision et d’une qualité de finition assez superlatives.



Le plateau

Que des grands chanteurs, mais pas tous au même degré d’accomplissement : Jean-Sébastien Bou (Calchas), comme d’habitude, champion du raptus, à la fois au sommet de la déclamation française et d’une forme sauvagerie mordante dans ses interventions démiurgiques. 


Je me suis demandé au début si Cyrille Dubois (Achille) était un bon choix – technique XIXe de voix pleine qui essaie de s’alléger plutôt que technique intrinsèquement calibrée pour ce répertoire – me faisant même sursauté avec un bruit d’obturation glottique délibéré assez étonnant dans ce répertoire. Mais très vite, je suis séduit par la façon dont chaque facette de cet archétype du guerrier sensible est aboutie : tendre, agile, tempêtant, il réussit toutes les expressions, et fend totalement l’armure en seconde partie de soirée, où son trio et surtout le duo d’affrontement avec le Chef des Armées lui fait croquer les récitatifs avec une fureur que je ne pourrais comparer qu’à Siegmund Nimgern en Ruthven (Der Vampyr) ou Gianni Raimondi en Carlo Moor (I Masnadieri), les deux exemples les plus totalement possédés que je connaisse en matière de récitatif héroïque masculin. 

Ce qu'il livre ce soir-là est une leçon absolue en matière d’émission cinglante et d’expression à la fois ciselée et totalement emportée. Il n’a jamais si bien chanté que ce soir ; aucun ténor n’a jamais si bien chanté que ce soir. 


Même si Stéphanie d’Oustrac (Clytemnestre) a désormais totalement perdu ses attaques trompettantes (son squillo), son charisme ravageur fait des merveilles dans un rôle qui intervient peu mais dont l’interaction avec les intrigues à venir projette une ombre plus vaste sur l’ensemble de l’œuvre… Elle offre un luxe incroyable d’expression et d’incarnation (très bien chanté au demeurant !) dans ce qui devient soudain un rôle principal. 


Parmi les trois excellentes Grecques, j’été ravi de retrouver les prometteuses Marine Lafdal-Franc (la meilleure déclamation française dans Ariane et Bacchus de Marais en avril dernier !) et Jehanne Amzal (ronde de timbre et précise de verbe !).


J’en viens à deux micro-réserves. Judith van Wanroij (Iphigénie) a toujours pour elle cette jolie patine de timbre, cette connaissance du style, et elle était vraiment en verve vendredi soir, essayant même de jouer jusqu’au bout lorsqu’elle ne chantait pas. Je ne puis m’empêcher de penser, cependant, qu’une voix aux contours plus définis et une diction plus précise auraient pu porter Iphigénie hors de la seule composante passive / plaintive pour porter haut le vers et faire aussi d’elle une héroïne qui fait le choix délibéré de son destin, fût-ce en obéissant. 

Petite frustration aussi avec Tassis Christoyannis, qui peut être un diseur exceptionnel (témoin son Idoménée de Campra il y a un an !), mais semblait assez terne et introverti hier – le rôle est trop grave pour lui et il connaissait sa partition, mais le résultat était tant sur la réserve qu’il évoquait un déchiffrage avancé et prudent (même la couverture vocale était plus opaque que d’ordinaire), alors que sa partie contient peut-être les plus belles pages de la partition !  Je ne sais pourquoi, mais c’était décevant, lorsqu’on sait de quel bois il est fait. 



À qui confier le chant du XVIIIe siècle ? — Chanteurs récurrents


Comme souvent, je me demande si je ne vais pas d’abord au concert pour pouvoir mieux me poser des questions… J’en ai deux en tout cas. 


D’abord, la distribution : le CMBV et Bru Zane programment toujours les mêmes chanteurs. L’avantage est d’abord, je le devine, logistique : en disposant d’artistes qui se connaissent entre eux, et qui connaissent le style, on gagne un temps considérable en répétition, ce qui permet de limiter les coûts ou, à coût égal, d’optimiser le temps de répétition pour effectuer davantage de travail de détail. Lorsqu’on est simplement mélomane, on néglige parfois cet aspect : une production, ce sont aussi des conditions matérielles, et ce qui peut nous paraître une négligence peut simplement résultat du fait que le temps de répétition dévolu à des œuvres aussi longues est finalement assez réduit si l’on veut entrer finement dans le détail !  (Ne pas oublier aussi que leur rareté fait que personne, à part éventuellement le chef, n’a un long compagnonnage qui permette de griller les étapes de l’apprentissage et de donner une conception mûrie depuis des années…).

L’autre bienfait que cela permet d’entendre des voix soigneusement choisies, souvent dotées de belles qualités (de timbre, d’expression, parfois de diction), et de les retrouver avec plaisir – je ne connais pas grand’monde qui se plaigne d’entendre souvent Gens, d’Oustrac, Auvity, Dubois, Vidal, Mauillon, Christoyannis, Bou, Lécroart ou Courjal…


Je m’interroge cependant : si en tant que mélomane nous avons un désaccord esthétique avec ces choix, nous risquons de devoir vivre avec tout un pan du répertoire difficilement écoutable, pour des décennies avant que ce ne soit réenregistré. 

Pour ma part, Watson, Kalinine, Mechelen, Dolié, Witczak, même si leurs qualités d’artiste déjouent régulièrement mes craintes, n’incarnent vraiment pas mes idéaux pour ce répertoire – ni ne me paraissent cohérents avec ce que l’on peut supposer du chant XVIIIe, avec leur couverture au minimum XIXe. Je les cite à titre d’exemple, ce qui ne remet nullement en cause leur dévouement admirable envers ce répertoire, ni même leurs qualités d’artistes – je m’interroge plus largement sur l’adéquation de leur technique à ce répertoire, sur ce qu’ils peuvent apporter ou retirer aux œuvres et à cette esthétique, par sur leur bonne foi ni sur leur valeur intrinsèque de musicien (qui me paraît absolument indéniable).


On pourra m’objecter, et non sans raison, que si l’on changeait d’interprètes à chaque fois le résultat serait aléatoire et permettrait moins d’anticiper les adéquations et les réussites, surtout si les chanteurs ne sont pas spécialistes. C’est vrai. Mais cela varierait peut-être un peu les timbres et les incarnations. 

Je n’ai pas de réponse à cette question, c’est simplement un parti pris sur lequel je m’interroge : je ne sais pas si (indépendamment des questions pratiques) il est le meilleur artistiquement – considérant que globalement les chanteurs récurrents de ces productions sont vraiment excellents !



À qui confier le chant du XVIIIe siècle ? — Tessitures sans titulaires


Sur la seconde question, plus technique, j’ai davantage une opinion formée : pourquoi distribuer les rôles de Calchas et d’Agamemnon, qui disposent d’aigus mais dont le centre de gravité est vraiment bas, à d’authentiques barytons ?  Bou et Christoyannis étaient vraiment embarrassés, par moment, à râcler le plus élégamment possible le bas de la tessiture, ce qui rendait leur projection et leur expression plus difficiles. 

Idéalement, il aurait fallu des basses chantantes, pas nécessairement de l’ampleur de Teitgen (qui est de toute façon passé à autre chose) ou Courjal, mais plutôt de la typologie de Thibault de Damas ou d’Edwin Crossley-Mercer (que je n’aime pas beaucoup dans ce répertoire, mais ce n’est pas ici mon sujet), pour citer des noms qui ont déjà contribué à ces productions. 


En réalité je vois très bien pourquoi on les a choisis : on ne dispose pas, dans le circuit baroque français, de basses d’un charisme équivalent à Bou et Christoyannis. Elles existent bien sûr (sur le nombre de chanteurs professionnels, on ne trouverait pas deux pauvres basses pour tenir les quelques rares rôles d’ampleur de ce répertoire ?), mais elles ne sont pas en lumière – et celles formées au CMBV ont en général un timbre étroit et un petit volume qui ne les destine pas à de grands solos dramatiques d’opéra à projeter dans des salles de la taille des théâtres des XIXe / XXe siècles. 


Mais le résultat n’est pas tout à fait idéal ici. (Et ce, même si je donne tout pour entendre Jean-Sébastien Bou dans n’importe quel rôle où il n’a rien à faire, parce qu’il y sera quand même le meilleur en dépit de toutes les limitations vocales…)


J’ose alors la question que personne n’a eu le front de poser : si l’on n’a pas trouvé les barytons-basses éloquents pour chanter ces rôles (ou qu’ils sont trop chers et pris par d’autres répertoires), pourquoi ne pas jouer, au minimum, à un diapason plus favorable (440, voire un peu plus… à part Achille, ça ne rendrait vraiment pas les autres rôles très tendus) ?


Et là, on a le vertige : le chef et les musicologues du projet refuseront probablement cette compromission vis-à-vis de la promesse initiale de retour à l’authentique ; les instruments ne peuvent pas tous tenir ce changement-là (tension du chevillier pour les cordes, bois qui sont des copies d’originaux à diapason fixe, qu’on ne bâtit pas pour des diapasons à 440 Hz…). Voilà beaucoup d’obstacles. 


Donc le choix d’engager des chanteurs un peu à l’extérieur de la tessiture mais terriblement charismatiques se tient en réalité. 


Mais l’on s’écarte finalement de l’authenticité du profil vocal de ces rôles, ce qui pose aussi des questions sur l’ampleur des compromis nécessaires pour qu’un tel projet puisse aussi toucher un public et aboutir sur une représentation appréciée et un enregistrement commercialisable… 



À qui confier le chant du XVIIIe siècle ? — À des beuglards dix-neuvièmistes


Je reste toujours perplexe devant les techniques vocales des chanteurs qui interprètent le répertoire baroque – où les différents ensembles, quelle que soit la nation et la période concernée, prétendent tout de même revenir aux sources. Ils vont dégoter ou reconstruire des instruments originaux injouables, dont ils finissent par obtenir un résultat immaculé (tel qu’on n’en a probablement jamais eu à l’origine !)… mais ils travaillaent avec des chanteurs verdiens


Car la quasi-totalité des chanteurs du circuit (même ceux que j’adore) ont pour base une technique conçue pour chanter le répertoire du XIXe siècle : couverture vocale massive (qui unifie et protège le timbre lors de la montée dans les aigus), harmoniques très denses des formants (les réseaux d’harmoniques qui permettent de passer l’orchestre en surinvestissant des zones de fréquence que reçoit particulièrement bien l’oreille humaine)… ce sont des postures vocales tendues vers l’émission de médiums très robustes et d’aigus sonores, plutôt qu’à mettre en valeur le détail des inflexions d’un texte, car s’éloignant beaucoup de la clarté de l’émission parlée. 


Pourtant, on n’a pas besoin de voix aussi charpentées pour ce répertoire, aux orchestres peu épais (a fortiori accompagné avec des instruments naturels, qui créent une « barrière » sonore beaucoup moins serrée). 


La raison ?  Tout simplement, les chanteurs lyriques commencent tous par apprendre la technique XIXe (à la sauce XXIe, qui n’est en plus pas forcément la meilleure en matière de clarté et de naturel…), même ceux qui se spécialisent très vite dans le baroque. 


On n’a pas nécessairement de vue très claire de ce qu’était le chant des XVIIe-XVIIIe siècles – je veux dire, on a beaucoup de descriptions, mais l’écart entre une description verbale et le résultat sonore de ce qu’est un placement vocal est à peu près irréductible (imaginez devoir reproduire l’accent anglais rien qu’en lisant des descriptions dans des livres…) –, mais on sait qu’on utilisait le registre léger pour les aigus, que la déclamation prévalait en France (et que toutes les préoccupations concouraient à l’intelligibilité du chant), et qu’on n’avait pas du tout besoin de voix très unifiées et sonores. 


Je suis donc étonné qu’on n’ose pas des expérimentations de ce côté-là… le belting de Marco Beasley n’est pas plus authentique, mais en cherchant du côté de toutes les techniques d’émission, classiques ou non, connues aujourd’hui, on pourrait sans doute essayer des choses intéressantes. Mais c’est un dépaysement encore plus radical que l’introduction des instruments d’époque, dans la mesure où il faudrait travailler avec des musiciens de culture différente… à l’échelle d’une production à boucler avec un nombre de répétitions limitées, on mesure bien l’inconfort, voire l’impossibilité. 


Mais sur le temps long, qu’il y ait une classe spécialisée (comme le fut la classe de Rachel Yakar aux débuts des Arts Florissants, qui produisait pour le coup des voix très typées et adaptées au besoin de ce répertoire) qui essaie de promouvoir des émissions plus spécifiques et compatibles avec les enjeux de la tragédie en musique, ce serait vraiment bienvenu…


(Je n’espère plus, à la vérité, en constatant une évolution assez inverse des écoles de chant, toujours plus opaques dans tous les répertoires.)



Comme vous le voyez, cette représentation de haut niveau et absolument passionnante a un peu emballé mon imagination sur plusieurs étages – où il n’y a pas toujours la lumière, certes. 


Au plaisir de nouvelles aventures ! 


lundi 3 octobre 2022

Anniversaires 2022 – V – 1872 & 1922 : Hausegger, Halphen, Juon, Büsser, Perosi, Séverac, Vaughan Williams, Scriabine, Baines


Cinquième livraison

anniversaires compositeurs année 2022
Hausegger, Perosi, Baines,
Büsser, Halphen, Séverac,
Scriabine, Vaughan Williams, Juon.

Comme l'année a beaucoup avancé et que la série ukrainienne ainsi que l'augmentation de ma pratique de déchiffrage commenté ont occupé une grande part du temps prévu pour l'écriture de cette série sur les compositeurs de la saison, je reprends le fil en réduisant au maximum le détail : ce seront désormais moins des présentations que des évocations, pour que vous ayez une idée de ce qu'on aurait tout à fait pu programmer ou enregistrer cette année au lieu de Mozart, Schubert et Beethoven.



Né en 1872 (150 ans de la naissance)
 
Siegmund von Hausegger (1872-1948).
→ Grand chef d'orchestre (directeur musical du Philharmonique de Munich pendant dix ans à partir de 1924, prof de Jochum, etc.), auteur d'opéras qu'on n'a jamais remontés, il connaît un regain d'intérêt avec les quelques albums marquants que lui a consacrés CPO autour de ses lieder orchestraux et de ses poèmes symphoniques, d'un postromantisme particulirement élancé et inspiré.
● La Natursymphonie et le disque contenant la Dionysische Fantasie (♫ extrait) sont à connaître en priorité, mais les quatre monographies qui lui sont consacrées (toutes chez CPO), plus Wieland der Schmidt par l'American Symphony sont très réussis.
■ Même pas besoin de faire un effort : un contemporain de Mahler qui écrit une Symphonie Naturelle et des poèmes symphoniques dionysiaques, dans une langue sonore qui évoque largement notre culture filmique, ça s'imposerait assez facilement passé le premier concert nécessairement un peu vide.

Fernand Halphen (1872-1917).
→ Particulièrement mal connu malgré ses œuvres chambristes de grande qualité, sorte de Fauré – son maître – plus évident (mais pas moins raffiné), Halphen pourrait de surcroît être un objet de mémoire : d'une famille illustre, juif et fils de banquier, veuillez adresser vos plaintes au Bureau des Clichés, Prix de Rome, mort sur le champ de bataille en 1917, il ferait un sujet d'étude pertinent sous beaucoup d'angles, et pourrait être programmé au fil de nobreuses thématiques.
● Le disque de mélodies gravé par François Le Roux et Jeff Cohen, somptueux, est devenu très difficile à trouver en physique, mais je vois qu'il est désormais republié en flux. (♫ extrait)  On trouve aussi une symphonie en ut mineur, au disque, par… l'Orchestre du Campus d'Orsay !
■ Un destin aussi singulier pourrait aisément être mis en valeur, sans avancer de grands frais, à travers des récitals de mélodies… Que ce soit en tant que récital monographique, en tant que concert thématique  au format mixte (avec récitant, projections…), ou en forme d'hommage aux musiciens de la grande guerre. Typiquement le genre de choses qu'on pourrait programmer dans les amphis de la Cité de la Musique, de Bastille, à Cortot, etc.

Paul Juon (1872-1940).
→ Compositeur helvético-russe, élève de Taneïev et Arenski, qui écrit lui aussi de la belle musique de chambre, plus sobre et moins typiquement russe que ses modèles, pas aussi généreuse mélodiquement, mais écrite au cordeau.
● On trouve de beaux enregistrements du Trio piano-cordes, du Quatuor piano-cordes (anthologie de l'Ames Quartet chez Dorian Sono Luminus), du Sextuor piano-cordes (chez CPO évidemment). (♫ extrait)
■ On pourrait faire de beaux programmes thématiques en mêlant trois trios russes, par exemple la filiation prof-élève  Tchaïkovski-Taneïev-Juon… Mais vu que les programmes sont faits en suivant ce que les vedettes apportent, ce n'est pas gagné.

Henri Büsser (1872-1973).
(parfois graphié « Busser »)
→ Autre Prix de Rome, chef réputé (il nous reste un impressionnant Faust avec Vezzani et Journet !), nous le connaissons surtout pour ses orchestrations du Chant du Départ de Méhul, de la Petite suite de Debussy (sa version la plus couramment jouée) et récrit l'orchestration de Printemps, perdue, sous la supervision de Debussy. Il écrit par ailleurs de belles mélodies, mais l'on a aussi des opéras jamais enregistrés, comme une Vénus d'Ille qui rend très curieux. Comme il n'est toujours pas libre de droits, et pour longtemps (mort en 1973 !), cela ne facilite pas la diffusion de ses œuvres, évidemment.
● Quasiment rien pour lui-même au disque. Des bouts de choses dans des récitals de chanteurs du passé (Martial Singher par exemple) et quelques pièces brèves manifestement conçues pour les concours, guère davantage. (♫ extrait)
■ Je voudrais évidemment que le simple fait de son lien avec Debussy et sa présence importante dans le paysage musical de son temps le fasse rejouer, mais il serait sans doute plus raisonnable d'espérer que la célébrité de La Vénus d'Ille, lecture fréquente au collège, ne finisse par motiver un programmateur qui l'a relu récemment avec son ado…

Lorenzi Perosi (1872-1956).
→ Auteur d'oratorios à l'esthétique singulière – quelque part entre Parsifal, la simplicité italienne et l'épure du cécilianisme… – sur de nombreux sujets, en particulier du Nouveau Testament. Membre de la Giovane Scuola comme les véristes, il était du côté du mouvement cécilien et n'a pas composé d'opéra… Perosi tient à la fois la place de représentant principal du mouvement anti-théâtralité religieuse… et à avoir écrit beaucoup d'oratorios (dans une esthétique plus contemplative que dramatique en effet). Quoique d'abord compositeur, notamment auprès de Pie X, il finit par être ordonné prêtre (tout en continuant de composer). Son legs ne se limite pour autant pas à la musique sacrée : le catalogue contient aussi de beaux quatuors à cordes, dans la même esthétique apaisée mais raffinée.
● Beaucoup de choix chez Bongiovanni – pas toujours bien capté – pour les oratorios (♫ extrait) et la musique de chambre (♫ extrait). Côté musique de chambre, le Trio à cordes n°2 gravé avec le Roma Tre Orchestra Ensemble est particulièrement persuasif, dans des conditions techniques d'exécution et de captation très supérieures à celles des méritoires volumes Bongiovanni.
■ Ce n'est pas le plus évident à programmer, surtout pas en concert… mais on pourrait imaginer que des églises programment certains oratorios dans la période liturgique idoine, ou que des ensembles amateurs (ce n'a pas l'air très difficile, peu de figures rapides, de fugues, etc.) s'en emparent. (Cependant il faut ensuite remplir la salle à la seule force d'un nom méconnu…)

Déodat de Séverac (1872-1921).
→ Grand représentant du mouvement régional musical, il est l'auteur d'une thèse (critique) sur la centralisation musicale, et déplorait une forme d'uniformisation des références musicales en raison de la concentration des compositeurs à Paris, soit cherchant les commandes officielles, soit fréquentant les mêmes salons (d'indystes et debussystes).
→→ Son écriture se distingue bel et bien par son caractère savant issu de l'école d'indyste (études à la Schola Cantorum) mêlée à une recherche de simplicité et une référence permanente au terroir (très attaché au Lauragais et au Roussillon).
● Au disque, on trouve son piano et quelques mélodies (♫ extrait), qui constituent de toute façon l'essentiel de son legs, mais aussi une belle version (chez Timpani) du Cœur du Moulin, sorte de conte pastoral dont l'intrigue très fluette est prétexte à faire entendre une évocation de la nature – animaux et forces naturelle. Une très jolie chose, sans prétention de grandeur. (♫ extrait)
■ Ses œuvres auraient sans doute avant tout leur place dans les lieux qu'elle célèbre – parfait pour de petites églises avec un format voix-piano à écouter un soir d'été… Mais on est bien sûr très curieux de sa tragédie Héliogabale… créée à Béziers !

Ralph Vaughan Williams (1872-1958).
(son patronyme est bien Vaughan Williams, toute sa famille avait les deux noms)
→ Statut étrange, à la fois un grand classique incontournable, très abondamment servi au disque, et un compositeur relativement méconnu, fragmentairement donné en concert, même au Royaume-Uni. Il a pourtant servi tous les genres avec abondance. Parfois dénoncé pour son sirop figuratif, parfois admiré pour ses trouvailles purement musicales, c'est bel et bien un Anglais…
● Dans l'immensité des disques, difficile de recommander quelque chose en particulier. Si les opéras s'engluent dans une temporalité lente, des livrets bavards et un manque de sens du rebond dramatique, beaucoup de beautés dans les petits formats, mélodies (certaines pour voix & violon, très réussies !), musique de chambre…
●● Pour les symphonies, j'ai un faible pour l'épique Première (une gigantesque cantate sur du Whitman) et les tendres 3 & 5, plutôt que les symphonies « de guerre » 4 & 6, plus tourmentées mais moins inventives en climats et textures. Elder-Hallé, très bien pensé dans un son superbe, est sans doute l'intégrale la plus consensuelle possible, mais Hickox me paraît le sommet côté phrasés, malgré la prise de son plus floue de Chandos. Boult-New Philharmonia (sa version EMI) est remarquable aussi. J'aime moins les autres grands classiques disponibles dans la vaste discographie (Boult-LPO-Decca, Haitink, Previn, Thomson, Bakels…). (♫ extrait)
■ Clairement, niveau concerts, en France ce fut le calme plat. Même pas par le biais de la musique de scène ou de film, même pas un de ses poèmes symphoniques sirupeux ou sa symphonie à programme « Londres »… nadanichts.

Alexandre Scriabine (1872-1915)
→ Nul besoin de le présenter, celui-là, le pionnier, l'antifolkloriste, l'amoureux des quartes… mais son anniversaire aurait pu être l'occasion de programmer des portions entières et cohérentes de ses Préludes ou Études, un cycle de ses poèmes-symphonies, ou une intégrale de ses Sonates…
● Au disque, on a tout. Si vous n'avez pas encore essayé L'Acte Préalable, la très belle version Ashkenazy, captée avec clarté sur tous les plans et timbres, permet de profiter de ce projet dément qui ressemble, aussi bien dans l'ambition initiale que dans le résultat pléthorique et dégramenté, à un précurseur de Licht de Stockhausen. (♫ extrait)
■ Le concerto pour piano, d'un Chopin « augmenté », est revenu en grâce ces dernières années – œuvre magnifique, mais un peu complexe pour les amateurs de piano purement mélodique, et trop sentimental et accessible pour les mélomanes en recherche d'œuvres audacieuses (c'est un peu injuste, dans la mesure où l'œuvre est à la fois très généreusement lyrique et particulièrement sophistiquée…). (♫ version)
■■ Autrement, l'on n'a pas vu grand'chose pour l'instant. Les salles auraient vraiment pu oser des cycles de ses œuvres, pas si nombreuses, et qui mettent vraiment en valeur les pianistes. En regard, pourquoi pas, avec Roslavets (ou même Rachmaninov et Medtner). Les poèmes-symphonies sont joués d'ordinaire mais rien n'a été présenté comme un cycle complet ni cohérent.

Je ne peux pas parler de tous, mais 1872 est aussi l'année de naissance de :
Julius Fučik (le compositeur de marches !),
Eyvind Alnæs,
Sergey Vasilenko,
Joan Lamote de Grignon,
William Poststock,
Albert Seitz,
Bernhard Sekles,
Salvator Léonardi,
Emil Votoček,
Ezra Jenkinson,
Rubin Goldmark,
Frederic Austin,
Stanislav Binički,
Clara Mathilda Faisst,
Annette Thoma,
Louis Tunison,
Mabel Madison Watson,
Eliza Woods…



Mort en 1922 (100 ans du décès)

J'ai étrangement peu de monde à présenter en 1922.

William Baines (1899-1922).
→ Pianiste professionnel, auteur d'un assez vaste catalogue malgré sa courte vie (tuberculose), incluant une symphonie en ut mineur, des poèmes symphoniques de la musique de chambre et beaucoup de piao solo, il entrelace volontiers sa musique avec des sous-titres évocateurs, un peu à la façon des Clairs de lune d'Abel Decaux. Comme lui, il explore des chemins de traverse harmonique qui peuvent surprendre par leur sinuosité – beaucoup de parenté, pour un Anglais, avec les futuristes (peut-être l'influence de Scriabine, lis-je, mais sa musique est vraiment moins forme pure, davantage évocation).
● Très peu de choix. Mais sa symphonie existe, et quelques-unes de ses pièces pour piano marquantes (les ♫ 7 Préludes !) ont été couplées avec celles du grand Moeran sur un album Lyrita joué par Eric Parkin.
■ L'aspect « jeunesse maudite » pourrait créer un intérêt du public, en couplant par exemple avec Guillaume Lekeu, Lili Boulanger et le fils de Scriabine… Et puis le piano, ça ne coûte pas cher, n'importe qui peut en mettre une pièce dans un récital Chopin. (Mais le rêve de la plupart des pianistes semble être de rejouer les disques qu'ils ont écoutés et les pièces qu'ils ont travaillées pendant leurs études, alors…)

Je connais bien trop mal les autres pour en parler, mais ils sont nombreux :
Carl Michael Ziehrer,
František Ondriček,
Nikolai Sokolov,
Edwin Eugene Bagley,
Vittorio Monti,
Theodora Cormontan,
Florence Ashton Marshall,
Ika Peyron,
Alicia Van Buren,
Marian Arkwright,
Felipe Pedrell,
Luigi Denza,
Francis Chassaigne,
Antonio Scontrino,
Hans Sitt,
W. H. Jude,
Giacomo Orefice…




Nous resteront donc ceux nés ou morts en 1922 et 1972 !  Xenakis, Amirov, Grové, Serocki, Popov, Wolpe, Erkin, H. Brian, Grofé, Leibowitz, Bárta, Apostel, Levant, Puts… voilà encore quelques gens importants à présenter rapidement !

À très vite pour de nouvelles aventures !

samedi 25 juin 2022

[thriller] Comment les surtitres ont tué l'opéra


surtitres
Pourquoi l'on a besoin de surtitres – feat. Birgit Nilsson.

(Cette notule contient beaucoup de liens qui explicitent les allusions ou les notions que je ne peux pas toutes développer sans alourdir le texte. N'hésitez pas à y faire un tour pour mieux appréhender le propos, en particulier sur les aspects de technique vocale.)

De retour d’une production extraordinaire d’Elektra de Richard Strauss, je reste transi d'admiration devant le haut niveau, superlatif, des interprètes – parvenant à demeurer audibles, dans un son très élégant, par-dessus cet orchestre gigantesque, et dans tout le hangar à bateau de Bastille. Cette chose n'a jamais été demandée, dans l'histoire de la musique mondiale, à aucun interprète avant l'éclosion du drame wagnérien – plus soucieux de littérature et de musique que de la beauté du chant, ou même simplement de ses limites physiques – il y a cent cinquante ans, et de la construction de gigantesques salles de concert « démocratiques » dans les dernières années.

On ne peut que révérer l'accomplissement physique, technique, artistique pour y parvenir d'une part, et le faire suivre façon agréable à l'oreille (et tout en jouant la comédie !) d'autre part.

Cependant, et cela ne vous surprendra pas, cela me donne avant envie de discuter d'enjeux propres au théâtre lyrique.



[[]]
Début d'Elektra de Richard Strauss,
Mitropoulos à Vienne en 1957.
Même avec les dictions de Borkh et surtout Della Casa, ce n'est pas si évident…
et la situation ne s'est pas améliorée.




1. Le chant et l'amplification

Alors que l'ensemble de la création mondiale a très rapidement pris le tournant de l'amplification, une poignée de genres ont résisté.

Il est vrai que l'amplification permise par l'électricité et l'électronique ne manque pas d'avantages : elle permet d'être audible tout le temps dans tous les espaces.
    ∆ En plein air où la voix, sauf murs de renvoi, se perd très vite au delà des premiers mètres.
    ∆ Dans un milieu bruyant comme un café.
    ∆ Possibilité de faire de la chanson et plus généralement de la musique dans les immenses Palais des Congrès (opération beaucoup plus rentable pour les répertoires peu subventionnés).
    ∆ Élargir le spectre de qui peut chanter en public, même avec une petite voix.
    ∆ Rendre la méforme moins rédhibitoire pour les professionnels.
    ∆ Permettre des inflexions vocales très fines, pour un effet expressif maximum, qui n’est pas dilué par la distance.
    ∆ Ouvrir au maximum le champ des techniques vocales possibles (souffle dans les cordes, larynx haut ou bas, résonance métallique ou non, etc.) tout en restant audible.

Alors que pour chanter efficacement en plein air / devant une grande assemblée / dans une grande salle / avec un orchestre, la nature de la technique utilisée est contrainte – et son efficacité nécessaire –, le chant amplifié donne accès à une diversité incroyable d’esthétiques.

Bien sûr, mon ressenti, pour moi qui ai été biberonné à la musique acoustique depuis mes premiers émois musicaux, demeure toujours une frustration de ne pas entendre le grain de la voix directement (ce n’est clairement pas comparable, même avec le meilleur système de restitution du monde), et même presque une déception de principe d’être soumis à un truchement encore plus complexe et abstrait qu’une mécanique de piano ou d’orgue.
Mais il reste incontestable que ces moyens nouveaux ouvrent incroyablement le nombre d’esthétiques, de techniques, d’effets, de lieux où l’on peut se produire.



2. Les contraintes du chant lyrique

La grande caractéristique du chant lyrique est donc l’absence d’amplification. Ce n’est pas la seule, et je m’en tiens ici aux techniques XIXe-XXe – on a trop peu d’expérience directe sur les autres – et les attentes n’étaient pas du tout comparables auparavant, en particulier au XVIIe siècle. Dans le chant lyrique tel qu’on le pratique depuis 200 ans, donc, on utilise un larynx bas, ce qui ne va pas m’intéresser dans le cadre de cette notule, mais aussi la couverture vocale, qu’il nous sera nécessaire de convoquer.

a) En refusant toute aide à la production sonore, le chant lyrique suppose des techniques d’émission vocale particulièrement efficaces. Il faut des résonances dans les os de la face et les fosses nasales pour créer un réseau d’harmoniques dense (ce qu’on appelle le formant du chanteur), qui puisse être plus dense que celui d’un orchestre, pour demeurer audible même quand beaucoup d’instruments jouent simultanément. Cela suppose une forme d’alourdissement du son, qui peut masquer une partie de la pureté des voyelles d’origine, voire gommer les consonnes (dont la richesse harmonique est moindre).

b) Parallèlement, pour ne pas se blesser en chantant des notes aiguës émises à pleine voix, il est nécessaire d’accommoder un peu les voyelles pour ne pas serrer la gorge (avec le [i] à la française, par exemple) ou ne pas solliciter dangereusement les cordes vocales (avec le [a] ouvert…). C’est ce que l’on appelle la couverture vocale, qui a une histoire particulièrement riche depuis le XIXe siècle (et qui a dû être pratiquée en amont, elle est assez instinctive chez certains individus lorsqu’il faut s’exprimer fort en public), avec énormément de déclinaisons et de débats sur lesquels je ne vais pas insister ici.

c) Par-dessus le marché, il faut rappeler que le chant lyrique, par rapport à une très large part du répertoire amplifié (la chanson en particulier), tend à explorer les franges extrêmes de la voix, qui ont un impact spectaculaire, en particulier dans l’aigu… mais qui s’éloignent des hauteurs habituelles de la voix parlée.

d) Pour terminer cette liste (à laquelle on pourrait encore adjoindre quelques entrées), depuis Wagner, les compositeurs ont de moins en moins de pudeur à s’écarter de la prosodie naturelle de la langue, avec des excès bien connus dans la musique du XXe siècle (en particulier atonale, mais ce n’est pas intrinsèquement lié) : des intervalles entre notes qui n’ont absolument plus rien à voir avec la prosodie de la langue parlée, et qui rendent les mots et intonations expressives absolument méconnaissables.

Tous ces processus vont concourir à un fait bien connu : les textes du chant lyrique sont plus difficiles à comprendre que dans la plupart des musiques amplifiées. Avec un peu d’entraînement, on y parvient, mais c’est rarement évident. Ce fait cause, au demeurant, une part du rejet envers l’opéra chez la plupart des honnêtes citoyens : soit on ne comprend rien en première écoute (ce qui est inconcevable), soit on reconnaît les mots et cette discordance avec le français du quotidien apparaît si exorbitante qu’elle en devient monstrueuse, insupportable – énormément de mélomanes, y compris des mélomanes versés dans la musique classique, ressentent ceci. Le dégoût s’apprivoise avec l’habitude, et en constatant que la musique est réellement digne d’intérêt, on finit souvent par les convertir, y compris au plaisir des émissions lyriques. Mais ce n’a rien d’une évidence en tout cas.

(Je ne retrouve pas la notule où j'expliquais pourquoi il était légitime de détester l'opéra – et comment éventuellement surmonter cette juste répulsion –, mais il me semble bien l'avoir écrite…)



3. Surtitrage et état de l’opéra

J’en viens donc à mon sujet. Je suis allé voir Elektra, je connaissais des portions entières du livret par cœur, et pourtant je n’ai pas compris un mot de ce qui a été chanté.

Et pendant ce temps, le surtitrage nous faisait l'exégèse de ce que borborygmaient les grandes dames énervées sur le plateau.

Alors a germé cette question dans mon esprit : ne sommes-nous pas le témoins d’un état de l’art quelque part profondément dysfonctionnel, si nous allons voir du théâtre dont nous devons lire simultanément la transcription pour en ressentir l’émotion ?  La barrière de la langue est présente, bien sûr, mais elle peut aussi être vectrice d’émotion si les mots étrangers s’articulent audiblement au sens… Ce n’était pas le cas, puisque aucun phonème n’était identifiable.

Est-ce que le surtitrage n’a pas, au fond, en fait de rendre plus accessibles les opéras en langue étrangère, tout simplement entériné à jamais le fait que le sens passait par le texte affiché, et plus guère par les voix ? 

En réalité, je sais moi-même que les torts sont plus partagés que cela, et le surtitrage ne vient que poser la cerise sur le gâteau de processus simultanés à l’œuvre depuis au moins 150 ans… Je vous propose un petit tour du propriétaire ?



surtitres
Mesdames et Messieurs, devant vos yeux émerveillés, le fruit de quatre siècles d'évolution vocale.



4. Pourquoi ne comprend-on plus rien à l’Opéra ?

Le surtitrage n'arrive en réalité qu'en fin de course de tout le processus, comme pour ratifier le plus officiellement du monde un état de fait pourtant problématique.

À l'origine, comme spécifié supra, la nature même du chant lyrique, supposé surmonter les orchestres et remplir des théâtres, a joué son rôle. Dès le début du XVIIIe siècle, la nature du répertoire impose d'en rabattre sur la diction, qui ne constitue plus qu'un aspect secondaire : contrairement à l'opéra du XVIIe siècle, le seria n'est pas simplement soutenu par une basse continue (plus grave que la voix et donc aisée à surmonter pour une voix décemment formée, même peu puissante), le chanteur y est accompagné par tout le petit orchestre, parfois en furie ; on attend même, dans certains airs de bravoure, qu'il rivalise avec les instruments !  Quand c'est le violon, le hautbois ou les clavecins (« Vo' far guerra »), passe encore, mais avec trompette, cor ou basson, il faut un minimum d'éclat pour ne pas être ridicule.
Par ailleurs, l'esprit même de l'écriture seria implique une primauté à la voix pure, à la virtuosité, aux syllabes étirées le plus longtemps possible en coloratures – si bien qu'il faut souvent plusieurs prises de souffle pour un seul mot. À cela, il faut ajouter la prédilection pour les voix aiguës : à part les ténors qui sont de vieux pères abusifs et les basses des personnages d'autorité au rôle secondaire, uniquement des sopranos et des mezzo-sopranos (castrats de préférence, femmes sinon). Or, l'émission lyrique des voix aiguës se fait en voix de tête, dans un registre très éloigné de la voix parlée : l'aspect du timbre change radicalement, mais la hauteur aussi, ce qui rend les phonèmes moins identifiables. Effet aggravant, pour des raisons de physique acoustique, les consonnes, toujours plus aiguës que les voyelles, sont mécaniquement moins distinctes si la voix monte vers l'aigu.

Tous ces éléments tendent vers le même effet : pour obtenir une émission vocale efficace, et considérant toutes ces contraintes supplémentaires et cette évolution du goût du temps, il devait être vraiment difficile de privilégier la diction claire. Il n'était pas 1700 (opéras de Legrenzi, Albinoni, dès le dernier quart du XVIIe siècle…) que le ver était déjà dans le fruit.

Le XVIIIe siècle voit aussi, même si c’est encore marginalement, l’érection de très vastes théâtres (les 1400 places du San Carlo de Naples en 1737… et tout en hauteur !), qui rendent encore plus indispensable une émission efficace. Or, le chant est toujours fondé sur une série de compromis : équilibre entre la projection, le timbre, la diction, le confort (endurance) du chanteur… Si l’on place une tension maximale sur le volume sonore, l’ambitus et l’agilité, il ne restera plus beaucoup de place pour raffiner la diction.

Au fil du siècle, les orchestres s’élargissent, et l’expression dramatique (que ce soit chez Mozart ou chez Gluck) prend un tour plus solennel et plus éclatant, qui a là aussi beaucoup sollicité la puissance des instruments.

Puis c’est le XIXe siècle, pas besoin de faire un dessin : on a successivement le belcanto romantique, où la longueur de souffle et la qualité du lié des notes prévaut sur toute autre considération, et le romantique à panache de Weber, Meyerbeer et Verdi, où l’éclat vocal représente une composante non négociable. Dans le même temps, on invente l’aigu de poitrine, émis dans le même mécanisme que le centre de la voix, qui éloigne encore plus de la parole quotidienne (et renforce la nécessité de la couverture vocale).
Wagner arrive, et nous plonge dans un joyeux désordre… lignes de chant complètement défragmentées, avec de grands intervalles à l’intérieur même des mots, assez éloignés de la langue « naturelle », et orchestre tonitruant simultanément. L’enjeu premier est alors d’être entendu, pour se fondre dans un grand tout musical – le chanteur a rarement, passé les premiers ouvrages – jusqu’à Lohengrin –, la partie la plus intéressante. On peut même en retirer l’impression persistante – considérant son faible potentiel mélodique – que la voix n'est qu'une partie instrumentale intermédiaire de l'orchestre, tolérée uniquement dans le but de porter le texte.
Seulement, et là réside toute la beauté de la chose, transmettre le texte est particulièrement périlleux avec ces prérequis de puissance, de concurrence orchestrale et d'intervalles de vastes hauteurs entre les syllabes.

Le XXe siècle accentue ces enjeux : le répertoire se diversifie, mais pour les œuvres qui se voient comme ambitieuses, on retrouve (aussi bien chez les postromantiques, les décadents, les atonals…) les mêmes caractéristiques postwagnériennes, avec des orchestres encore plus sonores, des intervalles plus amples et fantaisistes, et même une science de la composition pour la voix qui se perd : clairement, au XXe siècle, beaucoup de compositeurs la traitent comme une contingence, en en repoussant les limites au gré de leur fantaisie comme s’il s’agissait d’un instrument – or, contrairement à la facture instrumentale, on ne peut pas réellement améliorer un corps vivant, en tout cas pas au gré d’une évolution délibérée de quelques décennies, et sa pratique intensive peut en détruire les qualités.
Ce n’est bien sûr pas général, et toute une école simultanée, qu’on présente moins dans les histoires de la musique, mais qui est très importante (y compris dans les quelques pays qui ont poussé le plus loin l’expérience atonale), a au contraire revendiqué un retour presque archaïsant à la consonance, à la voix harmonieuse. Des figures aussi disparates que Hahn, Rota, Damase, Orff, Floyd, toute une partie du legs soviétique et bien sûr l’écrasante majorité des nations qui n’ont jamais trop touché à l’atonalité (Parma en Slovénie, Hatze en Croatie, Paliashvili en Géorgie, Cihanov au Tatarstan…) sont concernés. Pour autant, dans les grandes maisons, les créations prestigieuses accentuent plutôt cette déconnexion entre la musique et la voix, et donc, pour les raisons déjà exposées, entre la voix et le texte.



5. Les derniers effets du XXe siècle

Une des choses rarement évoquées, car difficilement quantifiable, est la pression de la voix enregistrée – y compris et peut-être d’abord par le cinéma – sur la façon de chanter, et peut-être aussi les modes de vie plus urbains (où la voix tamisée est plus valorisée que la voix sonore). Sur les effets de ne plus recruter les chanteurs parmi les bergers (Tony Poncet) ou les garagistes (Robert Massard) – mais parmi les titulaires de diplômes universitaires en langues, littérature ou mathématiques –, sur les incidences de nos modes de vie, sur l’influence de la parole enregistrée et des micros envers l’art oratoire et la voix lyrique, voyez cette notule. Clairement, si le modèle de timbre idéal est Humphrey Bogart ou Andrew Clutterbuck, on va avoir des difficultés à se faire entendre en conditions réelles.

Nous en arrivons au dernier clou dans le cercueil de l'intelligibilité : l'apparition de la langue originale, quel que soit le public destinataire, à l'Opéra. Je n'ai pas réussi à en comprendre totalement, malgré mes lectures et mes questions aux hommes de l'art, la raison, mais à partir des années 60 s'impose progressivement l'utilisation de la langue d'origine des ouvrages représentés.
Les musiciens le défendent par le respect de la partition – dans laquelle ils n'hésitent pas, le cas échéant, à pratiquer de larges coupures –, mais on a rarement vu la vertu s'imposer d'elle-même pour vendre des billets de théâtre. Jusque dans les années 90 au moins, on a vécu les résistances farouches à l'arrivée des instruments d'époque et aux modes de jeu sans vibrato !  Or je ne trouve pas trace d'un tel débat. Et pourtant, cela a dû rendre incompréhensible toute une partie du répertoire !

Je me figure que le disque y est pour quelque chose : il est devenu la référence écoutée par tous les mélomanes, celle que l'on veut entendre ensuite en allant au théâtre. C'est aussi le moment de l'internationalisation des échanges, des recrutements : les grandes maisons veulent les vedettes qui ont enregistré les disques, justement – et qui ne vont pas réapprendre le rôle dans la langue de chaque pays qui les recrute. On se souvient ainsi de cas assez exotiques, comme cette Carmen au Bolchoï avec Arkhipova, où tout le monde chante en russe, langue vernaculaire – sauf Del Monaco, invité pour l’occasion, et qui le chante en italien !  Plus étonnant encore, les soirées où Ghiaurov, en pleine gloire, revenait chanter à l’Opéra de Sofia, tout le plateau chantait Verdi en bulgare… mais lui, qui avait appris et pratiqué son Philippe II en italien, continuait à le chanter comme sur les autres scènes (alors qu’il aurait pu sans dommage l’apprendre ou le réapprendre en bulgare, sans doute). On voit bien que le désir d’avoir la star chez soi entraîne une nécessaire normalisation du répertoire, qui varie moins d’une capitale à l’autre, d’une part, et d’autre part qui sera chanté dans la même langue partout.

Un temps, le public a donc dû survivre en écoutant les œuvres chantées dans des langues inconnues… et sans surtitres !  Je ne comprends pas comment il n’y a pas eu d’émeutes dans les théâtres et d'innombrables tribunes ulcérées dans les journaux. Imaginez si l’on diffusait soudain, dans les cinémas, les Bergman en suédois sans sous-titre – ou même les comédies sentimentales américaines. Il y aurait beaucoup, beaucoup de mécontents.



6. L’arrivée et les conséquences des surtitres

À partir de l'innovation de l'Elektra de Toronto, en 1983, les surtitres se sont partout répandus dans les institutions qui accueillent régulièrement de l'opéra, du théâtre en langue étrangère, etc., jusqu'à être présents quasiment partout depuis les années 2000. J'en ai déjà vu dans la cave de Nesles, comportant une jauge de 20 personnes, pour quelque chose d'aussi peu insolite qu'un Shakespeare en anglais !

Ce fut bien sûr une aide incroyable, qui permettait à un plus vaste public de découvrir les œuvres en salle sans en étudier d'abord le livret et sa traduction, assez en amont pour en mémoriser les moments-clefs. On a salué, et à juste titre, le gain en accessibilité, la possibilité pour tous de suivre – et même, pour les plus chevronnés, de ne pas être limités par leur temps de préparation ou leur mémoire dans leur compréhension de l'action et du détail.

Formidable invention, donc.

Mais, à la lumière de cette Elektra parisienne de 2022, où il était impossible d'identifier un mot (même en connaissant précisément le texte allemand), ou pis, de cette Phryné où les artistes, pourtant tous francophones et spécialistes acclamés de l'opéra français, réputés pour beaucoup pour leur diction… se sont révélés à moitié incompréhensibles en l'absence de surtitres !  On suivait vaguement, mais beaucoup de détails étaient perdus.

Et tout cela nourrit cette question, terrible, que je n'ose formuler qu'en tremblant : le surtitrage n'a-t-il pas rendu secondaire la maîtrise de la juste élocution ?  Les effets conjugués du disque, qui favorise les jolies patines (et discrédite les voix nasillardes, mieux audibles, surtout pour du français, articulé très en avant de la bouche et de la face), et du surtitrage,  qui supplée les dictions floues, n'ont-ils pas induit, dans l'apprentissage comme dans la pratique, une mise au second plan du soin de la diction ?  Qui arrêtera un chanteur, au sein de répétitions en temps limité, pour lui dire « ça ne va pas du tout, on ne te comprend pas » – si le public peut malgré suivre l’action ?  N'est-ce pas alors, en fin de compte, un enjeu secondaire, qui permet de laisser plus de place à la recherche du joli timbre phonogénique, à la couleur sombre (mais opaque) qui permet de prétendre aux rôles sérieux ?

On pourrait ajouter que, DVD aidant (bénéficiant, lui, de sous-titres), on sera davantage tenté de retenir le paramètre du physique « crédible » (quel horrible concept, mais je conserve le sujet pour une autre élégie…), puisque, là aussi, la clarté de la phonation devient redondante avec le texte qui défile sous les yeux du public.



surtitres
Joan Sutherland, perfection archétypale de la chanteuse pionnière des surtitres.



7. Nouveau paradigme

Je ne sais, à vrai dire, s’il faut se réjouir ou se désespérer de cette évolution. Il faudrait en dérouler chaque aspect.

1) Les surtitres permettent de goûter la saveur de la langue originale, qui est un plaisir en soi. Pour cela, il m’apparait plus pertinent de recruter des locuteurs natifs plutôt que des chanteurs occasionnels – même au Conservatoire Supérieur de Paris (CNSMDP), l’état de l’italien chanté par les élèves (pourtant de très, très grands artistes) est la plupart du temps assez épouvantable. Quoi qu’il en soit, découvrir une langue par la musique est à la fois très efficace, comme en atteste l’immense cohorte de ceux qui ont appris l’anglais par les chansons, et particulièrement plaisant et stimulant, instantanément utile car tout de suite relié au beau. C’est ainsi pour ma part que j’ai abordé l’italien, l’allemand, le russe, le bokmål, le tchèque, et j’en conserve des souvenirs particulièrement émus.

2) Corollaire : en chantant dans la langue originale, on respecte mieux la musique écrite (et évidemment le poème d’origine). La famille Wagner avait rouspété lorsque Victor Wilder avait altéré les rythmes des lignes chantées du Ring – pour épouser au plus près sa très belle prosodie française (qui vaut largement l’original). Ils préféraient Alfred Ernst, qui n’était pas en vers et pas tout à fait aussi poétique, mais avait respecté avec un scrupule absolu la musique écrite, tout en suivant de très près l’ordre des mots et le sens de l’original allemand.
 J’ai aussi vécu ce débat plus intimement, à propos du Rossignol de Berg (lien), lorsqu’en changeant à la marge quelques rythmes pour rendre la ligne mélodique plus proche de l’accentuation française, le pianiste-commanditaire me fit remarquer, embarrassé, que je rompais une symétrie rythmique qui était peut-être (on en savait rien, elle n’était pas totalement évidente, mais elle pouvait se deviner) voulue par le compositeur. Après avoir contesté l’argument (puisque mon inclination est de faire absolument primer le naturel de la parole sur le détail musical), j’ai trouvé la réserve si sérieuse que j’ai totalement récrit la partie centrale, en modifiant certes quelques rythmes, mais en tâchant de respecter ces récurrences rythmiques.
Jouer dans la langue originale, c’est donc être davantage assuré de ne pas dénaturer des beautés placées là par le compositeur, et qu’on pourrait ne pas percevoir en redéployant la partition dans une autre labngue. (Ce peuvent être tout simplement l’appui d’un mot sur tel instant de la musique, voire comme chez Verdi l’accentuation expressive hors de la prosodie naturelle, qu’on perd une fois traduit.)

3) Pour les œuvres en langue étrangère, la question ne se pose donc pas : les surtitres permettent d’inclure tout le public. Faut-il représenter à tout prix les œuvres en langue étrangère, surtout pour les faire chanter par des non-locuteurs, je n’en suis pas persuadé pour beaucoup de raisons liées au confort du public, à la qualité du chant et de l’expression, à la saveur même de la langue, mais ce serait l’objet d’une notule entière, sur un sujet déjà régulièrement abordé ici.

4) Le surtitre constitue aussi un confort appréciable pour les œuvres en langue française.  Dans les œuvres les plus anciennes (tragédie en musique), la moindre nécessité de la couverture vocale, de la puissance, l’absence de concurrence de l’orchestre permettent de mieux percevoir le détail du texte. Beaucoup sont également des spécialistes rompus à l’exercice de la mise en valeur du texte, ou des chanteurs extérieurs au sérail baroque mais recrutés sur leurs qualités de diction (Bernard Richter…). Par ailleurs les auteurs de livrets prenaient soin d’utiliser des formules toutes faites qui permettaient de rétablir le sens de l’expression si jamais l’on ne comprenait pas un mot – Philippe Quinault, le librettiste des premiers opéras de langue française, l’a théorisé de façon très claire dans ses écrits.
Pour le répertoire plus tardif (hors opéras comiques, bouffes, opérettes, où les dialogues parlés limitent les problèmes d’intelligibilité, et où l’écriture vocale exige moins d’extrêmes de l’instrument), romantique et XXe, la chose est beaucoup moins évidente, même avec de très bons chanteurs. Pour une œuvre légère comme Phryné et des francophones spécialistes de l’opéra français, ce n’était pas du tout évident. À cela il faut ajouter la taille des salles, qui a augmenté au fil des siècles. Du fond de Bastille, être audible est déjà un exploit athlétique, alors être compris, cela tient du divin miracle – et cependant cela advient quelquefois !

5) La certitude de la compréhension du chant et de l’action ouvre ainsi une extraordinaire voie pour explorer plus à loisir des œuvres lourdement orchestrées, à la pensée prosodique imparfaite, ou tout simplement dont le propos peut paraître confus : le texte se déroule simultanément sous les yeux du public. Bénédiction des dieux que ce surtitrage, moment inestimable où les techniques permettent d’amplifier l’émotion artistique et de magnifier la création traditionnelle.

Et cependant…

6) Ainsi qu’on l’avait craint initialement, il est vrai que lever la tête pour lire le texte peut créer une mise à distance, une disjonction d’avec le spectacle (a fortiori lorsque la mise en scène altère ou violente le livret). Il peut aussi exister une forme de paresse à ne plus chercher à comprendre les langues, puisqu’elles sont toutes traduites. Ce n’est plus du tout le même exercice exigeant que de préparer son livret italien ou allemand en apprenant par cœur le texte des airs, voire en étudiant pour l’occasion les idiomes concernés. (Ce fut mon cas, l’enjeu d’accéder au sens des opéras fut le moteur formidable – et primordial – de ma découverte des langues étrangères que j’ai le plus pratiquées dans ma vie…) 
C’est évidemment une préoccupation d’ordre réactionnaire : le progrès modifie nécessairement nos comportements. Le train et la voiture individuelle nous ont éloignés d’un abondant exercice physique quotidien, les adaptations télévisées ont rendu presque superflue la lecture des grands romans, etc. Rien n’empêche chacun de continuer à faire cet effort, mais vouloir empêcher le changement de la société et des arts est illusoire.
Pour autant, il est exact que le confort du surtitrage peut aller de pair avec une certaine mollesse de perception : on suit vaguement ce qui est raconté, plutôt que d’entrer dans un corps-à-corps (pas toujours vainqueur !) avec la langue. Mais qu’on ne se méprenne pas : même sans surtitrage, une partie non négligeable du public d’opéra vient pour les voix, la musique, les décors, pas forcément pour le drame, et cela a toujours été. Chaque usage est légitime de toute façon, tant que chacun y trouve sa satisfaction.

7) J’en reviens au point de départ de cette notule : cette sécurité des surtitres nourrit sans doute une forme d’indifférence face à la qualité de la diction. De même que Wagner délègue le sens et l’expression de ses drames à la partie orchestrale, le contenu littéraire des opéras peut être vécu comme dévolu aux surtitres, rendant le soin des chanteurs (pourtant très apprécié du public lorsqu’il s’agit de sa langue !) presque redondant. Ce n’est évidemment pas la seule cause, on a déjà un peu devisé de ce qui avait pu changer la donne (chanteurs étrangers qui chantent une autre langue devant un public d’une troisième langue, recherche de voix patinées ou sombres avec l’évolution des imaginaires, modes d’émission vocale changés par la vie urbaine et le recrutement de profils plus « intellectuels »…), mais le surtitrage rend le sujet moins urgent et moins prioritaire. Le chanteur qui rencontre des difficultés pourra préférer l’émission confortable, saine, belle, à la prononciation claire. Le recruteur aussi pourra privilégier l’interprète qui dispose de la plus sonore, la plus sombre, la plus agile (voire le meilleur comédien ou la plus belle plante) et ne pas disqualifier ces chanteurs si leur diction est mauvaise, en supposant que le surtitre y pourvoira le cas échéant.
Ce n’est donc pas tant un refus délibéré de travailler ce paramètre qu’une importance désormais secondaire en matière d’employabilité, qui pousse moins les chanteurs à parfaire cet aspect par rapport aux autres équilibres de leur voix, surtout s’ils rencontrent des difficultés techniques à tout obtenir à la fois (aigus, puissance, timbre, diction).

8) Le surtitrage, puisqu’on se repose sur lui, induit évidemment – à l’instar de l’amplification sonore pour la comédie musicale – une dépendance non négligeable. Il faut voir le dépit du public en cas de panne ! – et, de fait, si l’on va voir un opéra de Janáček qu’on ne connaît pas, chanté par des Britanniques dans Bastille, avec une mise en scène transposée pendant l’Occupation, ce n’est pas gagné.
Le regret est aussi que, conditionnant une certaine conception des voix – sans lui, la pression était forte, au moins dans la langue du pays d’accueil, de proposer une réelle clarté –, alors que l’émotion la plus forte à l’Opéra réside, pour moi (c’est loin d’être une généralité), dans les micro-inflexions du chant qui créent un sens nouveau dans le texte. (Pourquoi croyez-vous que je passe tout ce temps à collectionner inlassablement toutes les propositions de Pelléas ?)
Le surtitrage nous éloigne de cette préoccupation, et en tout cas n’élimine pas d’emblée ceux qui ne se conforment pas à cette attente première – dommage pour moi – Joan Sutherland a vaincu. 

9) Petite pensée supplémentaire : lorsque nous aurons épuisé la dernière goutte de pétrole et fait imploser une ou deux centrales nucléaires, que l’énergie devra être parcimonieusement économisée… l’opéra du futur se fera-t-il à nouveau sans surtitres ?  Nous ne serons certes pas les plus gênés… si l’électricité est rationnée, le rock et même le musical (du moins devant vaste public) ont des cheveux à se faire.




8. Envoi

Essayer de débrouiller mes pensées à ce sujet, pour une simple remarque (« tiens, j’aime beaucoup ce que font ces dames wagnéro-straussiennes, et pourtant je ne comprends rien ») m’aura pris quelques semaines de décantation, à zig-zaguer entre mon day job adoré, mes promenades botaniques, ornithologiques ou patrimoniales, ma contribution au festival Un Temps pour Elles (écrire quelques programmes, recruter du public, contribuer marginalement à la logistique) et les commentaires de disques et de spectacles que j’ai tâché de poursuivre scrupuleusement.

Je reprendrai prochainement à un meilleur rythme. Au programme, sans doute la suite du cycle ukrainien. Je vois que nous nous lassons tous à la longue de ce malheur, chaque jour renouvelé à l'identique, et j’aurai ainsi l’impression dérisoire de faire ma part – d’autant que la matière-première est déjà collectée et notée, essentiellement de la rédaction et de la mise en forme.

Puissiez-vous zig-zaguer (victorieusement) à votre tour entre les dangers du monde moderne, virus à gain de fonction, opérations spéciales de maintien de la paix et de dégustation de sfogliatelle-de-la-victoire à la pistache antinazie, burkinis sauvages des calanques…

Bonne lecture et bonne survie !

dimanche 24 avril 2022

Nouvelles saisons en Île-de-France : quels concerts immanquables ?


tce miroir

À présent que je dispose d'un agenda complété de toutes les grandes saisons 2023 qui viennent de paraître (Garnier, Bastille, Philharmonie, Champs-Élysées, Radio-France, Versailles, Seine Musicale…), on se plaint en me disant « mais il y a déjà trop de choix, comment choisir ? ».

Je tente donc de contribuer à votre bien-être avec cette petite sélection rapidement commentée de concerts qui me paraissent particulièrement prometteurs. Évidemment, je ne puis deviner ce que chacun a entendu, il y a donc quantité d'œuvres et de concerts au programme assez habituels qui seront très bien et auxquels vous pourrez prendre beaucoup de plaisir si vous ne les avez pas déjà entendus vingt fois…

J'ai tâché de l'organiser de la façon la plus claire possible, en classant les genres du plus grandiose au plus intime, et à l'intérieur de chacun, par ordre chronologique approximatif d'âge des compositeurs ou de composition des œuvres. Comme cela, vous pouvez ne chercher que le baroque ou le vingtième en regardant au début ou à la fin de chaque genre, ou bien vous limiter à l'opéra, au lied, etc.

Puisque vous me lisez, vous le savez déjà, mais les meilleurs concerts sont souvent les tout petits qui ne sont annoncés que deux semaines à l'avance et qui permettent, pour un tarif très modique, d'être tout près des interprètes dans une petite salle où l'on entend très bien, dans une atmosphère de communion particulier et avec des propositions souvent plus originales – on ne saurait trop recommander de tenter les soirées du CNSM, notamment les ateliers lyriques qui sont de véritables propositions scéniques souvent très supérieures aux mises en scène dispendieuses mais assez statiques qui prévalent aussi bien chez les tradi que chez les regie
Il vous faudra donc, pour en tirer le meilleur, jeter un œil régulier à l'agenda pour ne pas les manquer… je les inscris dès que possible, mais il m'arrive d'apprendre deux jours avant qu'un opéra inédit est joué dans tel conservatoire, par telle institution pas du tout musicale ou par telle micro-compagnie passée sous mon radar…



A. Opéra scénique

Sacrati, La Finta Pazza par la Cappella Mediterranea (3,4 décembre)
→ Opéra du XVIIe italien, donc primauté à la déclamation et action en général plutôt statique. Je ne suis pas encore allé entendre celui-ci, mais les critiques ont été absolument dithyrambiques.

LULLY, Armide par Pitoiset & Le Poème Harmonique (12,13,14 mai)

→ Le chef-d'œuvre de LULLY, avec prononciation restituée et mis en scène, par une très belle équipe.

Grétry, La Caravane du Caire par Pynkoski et Le Concert Spirituel (9,10,11 juin)

→ Pynkoski réussit à chaque fois des tours de force scéniques (rendre Richard Cœur de Lion palpitant !) ; ce Grétry-ci, dont Napoléon a fait donner un extrait lors de sa prise de Moscou, demande aussi à être mis en valeur et je suis très curieux. (Le Concert Spirituel était électrisant dans Richard, et la distribution reprend beaucoup de chanteurs en commun.)

Stravinski, Poulenc : Le Rossignol (en français !) et Les Mamelles de Tirésias par Les Siècles (mi-mars)

→ Version prévue par Stravinski, elle n'existe que dans un vieil enregistrement de la RTF, très bien chanté, mais où l'on entend mal l'orchestre. Et sur instruments d'époques !  Avec les rares Mamelles, une soirée de folie en perspective.

Britten, Peter Grimes à l'Opéra Garnier (février)
→ Pas donné depuis très longtemps à Paris, un drame original et prenant autour des rumeurs dans un village – avec en sous-main, comme dans Billy Budd, un propos sur l'homophobie. Privilégiez plutôt les dernières dates, le temps que l'orchestre se chauffe : ce n'est vraiment pas le même en fin qu'en début de série !

Stockhausen, Freitag par Le Balcon (14 novembre)
→ Suite du grand cycle Licht. Temporalités distendues, dispositifs dramatiques / scéniques / musicaux toujours surprenants, il y a toujours quelques longueurs, mais l'expérience marque très longtemps, et la musique n'est pas si difficile d'accès… c'est autre chose, et cela mérite complètement d'être essayé.


B. Ballet


Adès, The Dante Project, ballet de McGregor (mai)

→ Si l'on s'intéresse à la musique dans le ballet, il y a fort longtemps qu'on n'a plus trop de quoi se satisfaire à l'Opéra, où l'on a pourtant eu dans les périodes pré-Dupont des ballets sur des musiques de Franck, Copland, Rangström, Sauguet, Damase, Morton Gould… Cependant cette proposition-ci paraît bien tentante, par un compositeur syncrétique et souvent inspiré, auquel la forme variée et discontinue du ballet devrait très bien fonctionner. Sur un sujet a priori porteur de contrastes spectaculaires.
→ On remarque au passage qu'il faut désormais « Project » dans le nom pour vendre des musiques plus rares (Walton, Weinberg…), quand ce n'est pas du « Beethoven project » pour refourguer deux sonates à titre !


C. Opéra en concert

LULLY, Thésée par Les Talens Lyriques (22 mars)
→ L'opéra de LULLY qui a connu le plus grand succès jusqu'en 1730 !  Contre toute attente, car c'est probablement, après Psyché II, le moins inspiré de son auteur. Il a été plus souvent repris que, par ordre décroissant : Atys, Amadis, Roland, Armide, Phaëton, Cadmus et Alceste !
→ Il n'a pas été redonné en France depuis Le Concert d'Astrée il y a une quinzaine d'années (et auparavant, ce devait être le concert de fin de stage à Ambronay il y a un peu plus de 20 ans, dirigé par Christie, avec notamment Legay, d'Oustrac, Novelli et Immler dans la distribution !), et ce n'est pas non plus une œuvre inintéressante : son premier acte est une succession vertigineuse de combats audibles hors scène, de prières, de récits de guerre… une des pages les plus impressionnantes de toute l'histoire du genre !

Jacquet de La Guerre
, Céphale & Procris par A Nocte Temporis avec Cachet et Mauillon (22 janvier)
→ Une des plus belles tragédies en musique du XVIIe siècle : on attend avec une impatience ardente qu'elle soit remontée (prononciation restituée, ici ?  Mechelen la pratique avec son ensemble, certes dans une perspective moins exagérément archaïsante que Green-Lazar-Dumestre), le livret a un remarquable potentiel dramatique, et la sophistication de la musique rend son écoute passionnante et saisissante.

Charpentier, Médée par Le Concert Spirituel (27 mars)
→ Œuvre qui contient à la fois les plus beaux duos d'amour de l'histoire de l'opéra et la scène des Enfers la plus terrifiante de toute la tragédie en musique. Ici, avec la prise de rôle tant attendue de Véronique Gens ! (mais attention, le rôle est vraiment grave pour elle, ça ne la flattera pas à son maximum).

Mlle Duval, Les Génies par l'Ensemble Caravaggio (7 mars)
→ De Mlle Duval, on ne sait à peu près rien : aussitôt son opéra joué, elle disparaît de nos radars : s'est-elle mariée, tout simplement ?   Très curieux de l'entendre (tout début XVIIIe).

Philippe d'Orléans, La Suite d'Armide par la Cappella Mediterranea (2 juillet)
→ Formé et aidé par Gervais, Philippe d'Orléans écrit des opéras dans une veine hardie, qui doit beaucoup à l'influence italienne (tellement que l'on soupçonne des fautes d'harmonies ou de copie…). Pas aussi ébouriffant que Penthée (et livret bien plus sage, mais grand plaisir d'entendre pour la première fois une version intégrale !

Rameau, Castor & Pollux version 1737 par l'Orfeo Orchestra de Budapest (13 mai)
→ Version bien supérieure dans son économie dramatique (tout n'y est pas joué d'avance, Pollux hésite bel et bien) à la version de 1754 (qui dispose en sus de quelques moments musicaux très réussis), et qu'on entend très peu. L'occasion de profiter de récitatifs assez extraordinaires qui disparaissent en partie dans sa refonte. Le seul opéra de Rameau qui dispose d'une telle tension dramatique – le caractère décoratif ou indolent de ses livrets constituant la principale faiblesse de son catalogue pour le public d'aujourd'hui.

Rameau, Zoroastre, par Les Ambassadeurs (16 octobre)
→ Livret très désordonné, regorgeant de rebondissements exagérés, qui a la particularité de mettre en scène le panthéon zoroastro-mazdéen. Musicalement trépidant, très animé de bout en bout.

Gluck, Iphigénie en Aulide, par le Concert de la Loge Olympique (7 octobre)
→ À la création, tout le monde pleurait dans la salle. Moins tendu que son pendant de Tauride, de très beaux moments, un vrai sens mélodique, avant que Gluck ne radicalise encore son style dépouillé – qui conserve ici encore quelque chose des galanteries rococo de ses prédécesseurs.

Mozart, Così fan tutte par la Chambre de Bâle & Antonini (24 mars)
→ Mozart par cet orchestre et ce chef, voilà qui va ravir tous les amateurs de crincrins et pouêt-pouêts !

Bertin, Fausto par Les Talens Lyriques (20 juin)
→ Personne ne sait ce que cela vaut : Louise Bertin, fille du directeur du Journal des Débats, à qui Hugo voulut complaire en écrivant un livret (La Esmeralda) tiré de Notre-Dame de Paris, n'éblouit pas trop dans ce seul opéra publié (mais dans des circonstances imparfaites). On l'avait accusée ailleurs de laisser Berlioz écrire une partie de l'œuvre – apparemment il n'aurait fait qu'aider à l'orchestration, pas extraordinaire au demeurant. J'ignorais même qu'elle avait écrit d'autres opéras, et n'ai eu le temps de chercher aucune information sur ce Fausto. Quoi qu'il en soit, c'est du neuf absolu, par une compositrice de grand opéra à la française (il n'y en a pas beaucoup !).

Massenet, Hérodiade par Car, Borras, Semenchuk, Dupuis, l'Opéra de Lyon et Rustioni (25 novembre)
→ Réservoir d'airs très marquants pour toutes les tessitures (les airs de soprano, ténor, baryton et basse sont toujours programmés en récital depuis un siècle !), dans un opéra un peu démonstratif et statique, mais qui fouetté par Rustioni devrait être particulièrement séduisant.

Massenet, Grisélidis par le National de Montpellier (4 juillet)
→ Mon Massenet chouchou (avec Cendrillon, Thaïs et Amadis), peut-êter celui que j'aime le plus. Très récitatif, très dramatique, le Démon tente une femme vertueuse et se joue du mari. Tout cela avec un humour très français et une qualité mélodique qui se coule dans une forme libre qui évite l'air. Très animé, un des meilleurs opéras de langue française (et dans une très belle distribution).

Gilberto Gil, Amor azul (2,3,4 décembre)
→ L'opéra de Gilberto Gil est reprogrammé. Je n'ai aucune idée de l'angle par lequel il aborde le genre, mais ce sera du neuf, probablement imparfait et rafraîchissant.


D. Musique symphonique


Cherubini
, Mercadante et Boïeldieu symphoniques par la Chambre de Paris (17 octobre)
→ Symphonies (et concerto pour harpe !) de compositeurs du premier XIXe, très rarement donnés en concert, et par l'orchestre le plus à même de leur rendre justice !

Farrenc, Symphonie n°2 par Insula Orchestra (29-30 septembre)
→ Le disque des 1 & 3 avait été une révélation pour un peu tout le monde sur la qualité de ces œuvres (que je ne tenais pas en très haute estime). Précieux de disposer aussi de la 2, et pas sûr qu'il y ait une sortie de disque à la clef !

Bruckner (s4), Messiaen (Ascension) par l'OPRF & Chung (17 mars)
→ Chung m'a très profondément marqué dans la Sixième, je courrai l'entendre ici.

Holmès : Andromède, Pologne, Nuit & Amour… par le National de Metz (4 février)
→ Les grands poèmes symphoniques d'Augusta Holmès, d'une veine marquée par Wagner – à l'écoute, il y a pas mal de points commun avec les pages symphoniques de Lekeu.

Bertin, Farrenc, Holmès, Danglas, Bonis, Grandval, Jaëll : pièces symphoniques et concertantes par la Chambre de Paris (23 juin)
→ Programme de compositrices symphoniques : ce que j'en connais n'est pas le sommet du répertoire symphonique, mais ce sera assurément différent et stimulant.

Mahler 9 par Chung (9 décembre)

→ Mêmes raisons que précédemment : très envie d'entendre à nouveau la maîtrise de Chung dans de grandes pages symphoniques très architecturées.

Sibelius (s1), Salonen (cc violon), Lindberg (Feria) par l'ONDIF (14 mars)
→ Très beau programme original et au contenu musical dense, qui ira à merveille à l'un des orchestres les plus engagés et enthousiastes de la scène française.

R. Strauss : 4 interludes d'Intermezzo, Légende de Joseph, Monologue de Chrystothemis… par Asmik Grigorian / OPRF / Franck (1er avril)Weill : Symphonie n°2 par l'Orchestre de Paris (8-9 février)
→ Raretés de Richard Strauss : la Légende de Joseph n'est pas le chef-d'œuvre des chefs-d'œuvre, mais Intermezzo et Chrysothemis, je prends très volontiers. Comme tout ce qui est neuf. Et puis le décadentisme germanique est l'un des meilleurs répertoires du Philhar', où le luxe de ces cordes homogènes et lyriques fait merveille.

Bartók (Prince de Bois intégral), Brahms (cc piano 1) par Trifonov / ONF / Măcelaru
→ Măcelaru change tout en or, alors dans des œuvres aussi riches, d'un format plus ambitieux que celles qui sont traditionnellement jouées par le National, je suis très curieux.

N. Boulanger (violoncelle-piano), Copland (symphonie avec orgue), Piston (Prélude), Carter (Concerto flûte) : pièces symphoniques et chambristes rares par Pahud / OPRF / Franck (11 janvier)
→ Programme étrange, mais la Symphonie de Copland (remaniée ensuite en n°1 en réorchestrant les parties dévolues initialement à l'orgue), le concerto de Carter ou le Prélude de Piston sont très rarement donnés, et issues de gens qui savent écrire pour l'orchestre.

Stucky, Barber (cc violon), Sibelius (s5) par SFSO & Salonen (10 mars)
→ À nouveau un programme qui sort des sentiers battus, même si le concerto de Barber reste un concerto pour violon…

Rihm (Jagden und Formen) et Varèse (Déserts) avec vidéos de Viola, par l'EIC (22 janvier)
→ Deux pièces majeures du XXe siècle, le grand cycle motorique et très accessible de Rihm qui fait la part belle aux bois et les interludes avec cuivres varésiens de Déserts, de quoi se vautrer dans l'orgie de la virtuosité orchestrale et des tuilages atonals infinis…


E. Musique sacrée

Allegri Rossi A. Scarlatti, motets… par Alarcón (6 octobre)
→ Italiens qui couvrent tout le XVIIe siècle, dans des styles s'étageant de la fin de la Renaissance aux débuts du seria, par l'un des meilleurs (et plus inventifs !) spécialistes.

Antonio Draghi, Le Don de la vie éternelle par la Cappella Mediterranea (3 juillet)
→ Oratorio italien de la seconde moitié du XVIIe siècle (qu'entendra-t-on dans la Chapelle Royale, dont l'acoustique est mauvaise ?).

Lenzi, Boffi, Couperin & nos contemporains : Lamentations et Méditations par l'Escadron volant de la Reine (31 mars)
→ Italiens rares et Troisième Leçon de Couperin (pour le Mercredy) à l'occasion du Vendredi saint à Radio-France.

Charpentier, Méditations pour le Carême par Les Arts Florissants (31 mars)
→ L'une des œuvres les plus sidérantes de toute la musique sacrée. J'avais présenté la Deuxième ici, et Les Arts Florissants vont en donner l'intégralité !  Expérience toujours bouleversante, déjà vécue à l'Oratoire du Louvre en 2015 (par Le Poème Harmonique).

Gilles, Requiem par Helsinki BO et Chantres CMBV (8 décembre)
→ L'Introït absolument ineffable (avec ses pointés et ses silences) et le tuilage de l'Offertoire (parmi mes boucles favorites) rendent cette œuvre profondément marquante, parmi d'autres beautés. Il est rarement donné, il faut se précipiter.

Lalande, Campra, Bernier, Gervais : motets par Chantres CMBV & Haïm (17 novembre)
→ Très bel attelage de compositeurs sous influence ultramontaine (pour les trois derniers), sensibles au contrepoint et aux explorations harmoniques, et peu joués.

Gervais, grands motets par Les Ombres (23 novembre)
→ Le maître de chapelle et professeur de Philippe d'Orléans, programme dévolu à ses seuls grands motets (donc avec dialogues entre solistes et chœurs), un petit événement !

Beethoven, Missa Solemnis par Le Concert des Nations (22 mai)
→ Considérant le succès de leurs symphonies, assez enthousiaste d'entendre ce haut chef-d'œuvre dans une version crincrinnante avec un orchestre recruté parmi les meilleurs spécialistes.

Verdi, Requiem par Heever, Semenchuk, Tetelman, Teitgen, Orchestre de Paris, van Zweden (26-27 avril)
→ Ça, c'est souvent donné, mais le plateau est hallucinant, on a regroupé quatre des voix les plus insolentes du marché vocal actuel !  Et c'est payant ici. Avec en plus le Chœur de l'OP qui excelle dans cette œuvre avec sa douceur et sa netteté, et van Zweden qui paraît-il anime toujours de façon très convaincante cet orchestre, promesse de moments assez intenses !

F. Chœur


Reinecke & Schubert : pièces pour chœur et quelques instruments par le Chœur de Radio-France et Ruf en récitant (20 décembre)
→ Reinecke est connu pour ses pièces pour flûte d'un romantisme très apaisé, mais il a aussi commis des symphonies beaucoup plus tempêtueuses, dans un style très premier-XIXe quoiqu'elles soient contemporaines de Brahms !  (Il faut dire que l'histoire-bataille telle qu'on nous l'enseigne, en musique, néglige les œuvres qui représentaient les courants majoritaires, en général moins hardis. Tous les compositeurs du second XIXe ne sont pas wagnériens !)
→ Cette pièce a l'air très originale, renforcée d'instruments isolés, et bénéficiant d'un récitant.

Mendelssohn : Christus, Première Nuit de Walpurgis par Accentus et Insula Orchestra (16 mars)
→ Christus est une très belle cantate digne des grands Mendelssohn choraux, tandis que la Nuit de Walpurgis, mieux connue, est une sorte de messe profane, d'oratorio de théâtre qui ressemble assez, par ses aspects plus massifs que le Mendelssohn habituel, à un compromis avec l'univers schumannien. (Sur instruments anciens et avec un beau chœur, miam.)

Mendelssohn Schumann Reinberger Saint-Saëns par la Maîtrise de RF (14 octobre)
→ Quelques-uns des meilleurs compositeurs pour l'a cappella, dans des œuvres à chœurs multiples, et pas l'un des meilleurs chœurs d'enfants du monde.

Massenet, Farrenc, Paladilhe, Roussel, Chausson, Saint-Saëns, Chabrier, Sohy, Chaminade, Bonis par la Maîtrise de Radio-France (16 mai)
● Chœurs de Grandval, Guilmant, Saint-Saëns, Renié, Dubois, Bonis, Caplet, Duparc, La Tombelle, Labole, Boëllmann, Sohy, Delibes, Chaminade et Gounod par le Chœur de Radio-France (19 juin)
Duparc, Bonis, L. Boulanger, Schmitt, Fauré, Castagnet : chœurs et arrangements choraux par le Chœur de l'Orchestre de Paris (17 janvier)
→ Trois programmes français qui fréquentent à la fois la fin XIXe siècle et le début du XXe, avec des grands représentants de l'époque, donc un programme plutôt consacré aux arrangements pour chœur : ce sera la grande fête !

Poulenc (Assise), Villette, Britten : Motets par Accentus (30 juin)
→ Les plus beaux chœurs de Poulenc avec quelques autres vignettes toutes de dépouillement, par un chœur qui les connaît très bien. Beau cadeau !

Schnittke (Concerto pour chœur), Rachmaninov (Vêpres) par MusicAeterna (25 mars)

→ Peut-être les deux plus grands jalons du patrimoine choral russe, mais le concert est suspendu pour l'instant – MusicAeterna étant largement financé par une banque russe, ses fonds risquent de se tarir, et ses autorisations de déplacement risquent de se faire plus difficultueuses, de part et d'autre.

Tormis : chœurs par le Chœur de l'Orchestre de Paris (14 mars)
→ Tormis est le grand représentant letton d'une veine chorale qui puise aux sources du folklore : il était à la fois musicologue collecteur et compositeur, et sa musique, simple et dansante, reflète ces influences. Parfois des arrangements ou recréations de chansons existante. Très accessible, mais pas sans richesse, il est très rare non seulement de bénéficier d'un concert qui lui soit entièrement consacré, et de surcroît par un chœur français – sans doute une première !


G. Musique de chambre

Lassus, Gabrieli, Rossi, Bassano, Marini, Falconieri, Monteverdi, Merula… passacailles avec des membres de l'OCP (26 novembre)
→ Passacailles en folie du premier XVIIe siècle italien !

Lombardi Sirmen, Quatuor n°5 par des membres de l'OPRF, couplé avec des concertos pour piano de Haydn et Mozart (9 juin)
→ Compositrice passionnante dont les duos pour violon et les quatuors, à la fin du XVIIIe siècle, portent à leur sommet une sophistication inhabituelle dans le répertoire galant. Parmi les pièces de chambre les plus marquantes de cette période, à mon sens.
→ Couplage étrange, pourquoi jouer ceci dans un concert marketté comme à la gloire du pianiste Piotr Anderszewski ? (Ces fous vont me contraindre à aller entendre un concert de concertos pour piano classiques…)

Haas, Krása, Webern : quatuors par les meilleurs membres de l'OCP (Hughes, Parruitte, Cardoze…) (10 décembre)
→ Quatuors décadents très rarement entendus en France par des membres de l'Orchestre de Chambre de Paris, qui ont de véritables qualités de chambristes (Olivia Hughes est l'ancien violon 2 du Quatuor Ardeo) : à les entendre, on croirait un quatuor constitué !

Chostakovitch, Symphonie n°14 pour deux pianos et percussions (7 novembre)
→ Proposition très originale, qui fait fort envie (les deux solistes sont là également). C'est à la Philharmonie, mais Radio-France propose, du même arrangeur, la n°5 pour un effectif similaire (ce dont la nécessité m'apparaît moins impérieuse… qui aime la Quinzième de Chostakovitch ?).

Messiaen, Chants d'oiseaux par Boffard et… les chanteurs d'oiseaux (30 mars)
→ Dans le Musée de la Musique, idée stimulante de tisser les Catalogues d'oiseaux et autres intégrations de Messiaen… avec une évocation de leurs originaux.

Nancarrow & Ligeti par le Quatuor Béla (4 mars)
→ Les deux quatuors de Ligeti et un quatuor de Nancarrow (très fortement admiré de Ligeti, qui le mettait au niveau d'Ives et Webern…), promesse d'une soirée qui change des standards du répertoire et de leurs équilibres habituels.


H. Lied & mélodie

Airs de cour de Guédron, Boësset, Lambert, Le Camus par Les Arts Florissants (27 mai)
→ Le concert d'airs de cour annuel de la Cité de la Musique, par quelques-uns des meilleurs spécialistes.

Clérambault, Dandrieu, Dornel, Louis Antoine Lefebvre, Montgaultier et Louis Antoine Travenol, cantates par Le Consort (29 novembre)
→ Cantates françaises (inédites !) par le meilleur ensemble spécialiste.

Schubert, Der Schwanengesang par Boesch & Martineau (15 mars)
→ Au disque, la version que je trouve la plus marquante de ce cycle apocryphe. La voix de Boesch sonne bien en salle, il n'y a pas de raison que ce ne soit pas grand aussi en cocnert !

Schubert, lieder orchestrés (et extrait d'Alfonso und Estrella) par les Prégardien et l'OCP (9 février)
→ Le petit plus réside dans Alfonso, un chef-d'œuvre dont les airs et duos méritent le déplacement indépendamment du programme. Et puis, quitte à écouter du lied orchestré, autant le faire avec un orchestre agile et avec les meilleurs spécialistes du chant expressif allemand…

Lieder de Schubert, Schumann, Wagner, Loewe, Wieck, Brahms, Wolf, Reger, Pfitzner, Sommer, par Marlis Petersen (14 juin)
→ Programme très varié d'une très belle voix.

Beethoven Schubert Rihm par Nigl et Pashchenko, piano Gebauhr 1855 (15 février)
→ Le programme du disque paru chez Alpha : la voix si particulière (très mixée) de Nigl (qui sonne comme un ténor moelleux) lui permet une expressivité hors du commun. Bouleversé par sa Meunière, passionné par ses Schubert ; le cycle de Rihm ne me paraît pas le meilleur de ce qu'a produit le compositeur, mais c'est l'occasion d'entendre un récital varié, et accompli à un degré à peine concevable. Sur piano d'époque, pour ne rien gâcher.

Nadia & Lili Boulanger par Richardot & Fornel (20 mars)
→ L'une des voix les plus marquantes de notre temps dans ces mélodies ciselées et très peu données en concert.



J'espère que tout ceci vous fournira les repères nécessaires pour effectuer les bons choix de vie et ne pas être lassé à la fin de la saison en décrétant que, décidément, vous avez tout entendu et que les saisons sont toutes les mêmes. C'est largement vrai, mais… la multiplicité de l'offre permet, en glanant la marge de chaque salle, de s'amuser assez vivement !

Pour le reste (en particulier en musique de chambre et mélodies, mais aussi en symphonique avec les orchestres van Lauwe, Elektra, Ut5, COSU…), il faudra guetter les annonces tardives des petits ensembles et des conservatoires.

À bientôt pour de nouvelles aventures : expérimentations de tragédie en musique, nouvel épisode biblique, exploration des usages des thèmes patriotiques français, suite des anniversaires, ou du panorama des compositeurs ukrainiens tiennent la corde.

(On me réclame aussi une notule sur les représentations musicales du coït – ce qui constitue une occasion tentante de reparler de la terrible Mona Lisa de Schillings –, mais je ne suis pas tout à fait sûr d'obtempérer : la constitution, partition en main, des exemples musicaux assortis du visionnage des différentes positions traditionnelles pour le viol – car ne nous mentons pas, dans le théâtre lyrique, je ne vais pas rencontrer beaucoup de représentations sonores du consentement éclairé – risque d'occuper un peu trop inconfortablement mon loisir.)

Dans l'intervalle, j'ai été mandaté pour écrire le programme de mon festival préféré : mon rythme de publication en sera peut-être temporairement affecté, mais je tâcherai au moins de vous nourrir en matériau ukrainien. Et les commentaires d'écoutes restent complétés au quotidien.

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P.S. : Malgré tout le soin mis à la confection, le passage de mon éditeur à la version définitive a ménagé des sauts de ligne intempestifs. Je ne vais pas avoir le temps de tout corriger, il faudrait refaire la mise en forme manuellement pour chaque entrée (alors que j'y ai déjà passé beaucoup de temps). Mes excuses pour l'inconfort de lecture.

jeudi 27 janvier 2022

Anniversaires 2022 – IV – 1872 (a), Moniuszko, Carafa, Graener, Alfvén : Pologne, Campanie, Reich, Suède


Quatrième livraison

anniversaires compositeurs année 2022
À gauche : Moniuszko, Carafa.
À droite : Graener, Alfvén.


[[]]
Variations sur « Prinz Eugen » de Paul Graener.
Radiophilharmonie de la NDR de Hanovre (pas le Symphonique, sis à Hambourg, qui fut dirigé par Wand ou Hengelbrock),
une des plus belles discographies d'Allemagne.
W.A. Albert (CPO).


(Pour la démarche et la légende, vous pouvez vous reporter à la première partie (au bas de laquelle j'ai également servi cette nouvelle fournée de gourmandises.)




Mort en 1872 (150 ans du décès)

Stanisław Moniuszko.
→ Artiste majeur en Pologne, considéré comme le compositeur emblématique d'opéra. Pour le piano, il y a bien sûr Chopinski et Paderewski (en outre politiquement capital) ; pour la musique d'aujourd'hui Penderecki, mais pour les amateurs d'opéra, la figure majeure, c'est Moniuszko.
→ Pourtant, à l'écoute, je ne trouve pas ses œuvres les plus célèbres très passionnantes.
        → → Straszny dwór (« Le Manoir hanté ») est un opéra comique manifestement écrit sur le modèle d'Auber – et ce ne serait pas un très grand Auber, des ariettes à ploum-ploum, peu marquant mélodiquement dans l'ensemble. Le sujet, lui, est apparenté aux instrigues fantastiques un peu bouffonnes façon Boïeldieu (La Dame blanche) ou Adam (Le Farfadet)
        → → Halka est tout l'inverse : une hypertragédie. Une fille séduite descend, au fil de ses espoirs déçus, de la certitude de sa perte et de la méditation de sa vengeance, dans l'abîme suscité par la trahison la plus noire Tout est moche et tout finit très mal. C'est un peu Jenůfa, avec un côté emphatique comme les drames de Dumas ou Pixerécourt… et une musique qui s'apparente plutôt à du Weber sage (plutôt celui d'Abu Hassan ou du ventre mou d'Euryanthe). L'œuvre est plutôt convaincante, mais je vois mal, là aussi, comment faire triompher une musique qui n'est pas complètement exceptionnelle sur une scène dont ce n'est pas du tout la langue. (Ou alors il faudrait mobiliser des moyens exceptionnels côté chant et mise en scène – il ne se passe vraiment rien à l'acte II, elle se plaint sans écouter son autre soupirant qui se plaint aussi – mais à ce compte-là, pourquoi ne pas placer l'effort sur une œuvre qui pourrait réellement s'imposer au répertoire ?)
        → → Ses autres opéras, tel Paria, son opéra de jeunesse à sujet bouddhique, sis à Bénarès, écrit dans un goût italien pour s'introduire auprès du public européen, ne m'ont pas paru plus marquants…
● Je recommande donc plutôt des genres qui ne sont pas les plus célébrés chez lui :
        ●● Les seules œuvres que j'ai réellement trouvées hors du commun sont ses cantates, Milda et Nijoła (Philharmonique de Poznań dirigé par Borowicz chez DUX) : on y rencontre une superbe déclamation polonaise (et très bien mise en valeur, chantée et accompagnée), et doté d'une qualité mélodique toute particulière. Je recommande ceci très vivement !
        ●● la Messe en la et des motets (album « Sacred Music » chez DUX, par Łukaszewski), très recueillis et consonants, pas vraiment personnels mais réellement agréables au meilleur sens du terme (attention, il existe un autre disque, consacré aux Messes polonaises et chanté par le même chœur, qui m'y avait semblé de sensiblement moins bon niveau) ;
        ●● le Premier Quatuor, également d'un beau romantisme simple. Les Plawner chez CPO ne m'ont pas complètement emporté ; c'est mieux par le Quatuor Camerata chez DUX, donné avec son Deuxième et le Premier de Dobrzyński ; mais surtout, si vous pouvez le trouver, le disque issu de la compétition Moniuszko (il y a toute une série, passionnante), avec l'ãtma SQ (sur instruments anciens) et le Quartetto Nero, à nouveau chez DUX : ces jeunes musiciens surpassent toute la concurrence en tension, timbres, urgence, lisibilité, et haussent considérablement la réception de ces œuvres. (Toute cette série de la Compétition Moniuszko chez DUX mérite largement le détour, au passage : ainsi dans ce disque, on peut découvrir la prégnance mélodique hors du commun des œuvres de Henryk Melcer-Szczawiński, et il en va de même pour beaucoup d'autres découvertes sur les autres volumes.)
● Du côté de ses opéras célèbres : on trouve des vidéos, les deux ont été diffusés sur Operavision.eu (même deux versions différentes du Manoir !). Ce peut aider (si vous êtes patient).
■ Au disque, DUX est là pour nous, avec son travail exceptionnel en qualité, en quantité, en audace… Au concert, je ne suis pas persuadé qu'on puisse réellement produire des étincelles devant un public non polonais. Mais j'accueillerais avec grand plaisir une cantate !  On pourrait coupler ça avec une symphonie de Szymanowski ou Penderecki qui ferait déplacer un peu de monde sans être totalement téléphoné, et puis un petit concerto de Chopin avec Martha Argerich pour assurer le remplissage. (On pourrait aussi imaginer des programmes « Partage de la Pologne » ou « Pologne martyre », associée à un discours historique / pédagogique, qui entrerait assez bien dans les missions de la Philharmonie (et dans notre futur européen proche ? vu les opinions géopolitiques des candidats à la Présidence…).
■ C'est là où le principe de l'anniversaire trouve ses limites, parce que si l'on veut de la musique polonaise lyrique, il existe tout de même un certain nombre de chefs-d'œuvre considérables avec Żeleński, Nowowiejski, Różycki ou Penderecki !  Ceux-là pourrait remporter un véritables succès – en plus du Roi Roger de Szymanowski qu'on pourrait redonner un jour dans une production qui le laisse un minimum intelligible (coucou Warlikowski).

Michele Carafa.
Napolitain venu étudier à Paris avec Cherubini, auteur de 29 opéras, dont Jeanne d'Arc à Orléans et La Belle au bois dormant
● Au disque, on ne dispose semble-t-il d'aucun opéra intégral. Une cantate avec piano, Calisto (dans « Il Salotto » vol.2 chez Opera Rara), un air de Le Nozze di Lamermoor dans le récital « Stelle di Napoli » de Joyce DiDonato, et deux scènes de Gabriella di Vergy, l'une dans un récital Matteuzzi avec Bruce Ford (atrocement captés), l'autre dans un récital d'Yvonne Kenny (accompagné et mené avec beaucoup de présence par le même David Perry mou avec Matteuzzi !) qui est le meilleur témoignage qu'on puisse trouver de la musique de Carafa. Tout cela s'apparente à du belcanto bon teint, avec les mêmes formules que partout ailleurs. Plutôt joliment fait au demeurant (en particulier les introductions développées, ou certains récitatifs un peu rapides), mais absolument rien de singulier, pour le peu qu'on en puisse juger.
■ Je serais évidemment ravi qu'on reprenne l'une de ses œuvres, en particulier française, pour pouvoir se faire une idée sur pièce. À l'occasion d'un petit cycle Jeanne d'Arc où l'on pourrait jouer l'opéra de Mermet (qui se tient !), la cantate d'Ollone (plutôt bien faite également, même si peu spectaculaire) et bien sûr l'oratorio d'Honegger, voire l'opéra de Verdi ? Un petit partenariat entre salles parisiennes ?  Versailles et TCE reprennent Mermet avec Bru Zane, la Philharmonie fait d'Ollone et reprend son Honegger réussi, et l'Opéra de Paris se garde le Verdi parce qu'il ne sait rien faire d'autre, ça vous dit ?  Ce serait parfait pour brosser dans le sens du poil l'électorat du futur président de droite que nous aurons (lequel, je n'en sais rien, mais je ne cours pas grand risque à pronostiquer qu'il ne sera certainement pas de gauche), considérant l'Opéra de Paris pour lequel toute la France paie, que le Peuple de France en ait pour sa fierté, on célèbre Jeanne !  (et on joue plein d'opéras russes, cf. supra de toute façon Gergiev est le seul chef étranger à pouvoir venir quand le monde s'effondre)

Nikolaos Mantzaros.
Carlo Curti.




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Premier mouvement de la Troisième Symphonie d'Alfvén,
Philharmonique Royal de Stockholm,
dirigé par le compositeur (Phono Suecia).


Né en 1872 (150 ans de la naissance)

Alors là, 1872, c'est l'année de folie !  J'essaie de classer en commençant par ceux que j'ai le plus envie de voir reparaître !

Paul Graener.
→ Je commence par un cas difficile. Graener, né à Berlin, tôt orphelin, occupe de hautes responsabilités, professeur de composition au Conservatoire de Leipzig, de Vienne, directeur du Mozarteum de Salzbourg, du Conservatoire Stern de Berlin… et aussi membre de la Ligue de combat national-socialiste pour la culture allemande, du parti nazi, vice-président de la Reichsmusikkamer… il devient particulièrement joué à partir de 1933, quand le nouveau régime fait la place nette de tous les dégénérés dans le style, les idées ou la généalogie… La presse officielle lui est favorable, ses thématiques s'alignent aussi avec l'idéologie du parti, il a alors du succès. Il faut dire qu'il est plutôt bon élève : il participe activement à la cabale contre Michael Jary en désignant sa musique comme « babillage musical culturellement bolchévique de juif polonais ».
→ Comme il meurt en 1944, il n'a pas pu essayer de s'expliquer / se renouveler / se racheter / se karajaniser, et sa musique s'est tout naturellement tarie au concert – on avait assez d'efforts à dépender pour  réintégrer les nazis qui ne l'avaient pas fait exprès ou d'oublier qui étaient vraiment Böhm ou Schwarzkopf, sans s'occuper en plus des morts qui ne demandaient rien. Pas évident à brander pour un concert d'aujourd'hui, clairement. (Et cela nous renvoie vers l'épineuse question crime & musique, ou sous sa forme plus ludique, génie & vilenie.)
→ Néanmoins, si l'on peut passer sur ces questions (une large partie de sa musique est désormais dans le domaine public, et on n'est pas près de lui élever des statues), et découvrir (comme je le fis) sa musique sans avoir conscience de sa personnalité (il a adopté des enfants quand sa fille est morte, si ça peut aider et il souhaitait peut-être devenir éleveur de chats), il y a quelques pépites à découvrir.
● Bien qu'auteur de nombreux opéras et lieder, on ne trouve à peu près, hors le cycle des Neue Galgenlieder sur des poèmes de Morgenstern (Wallén & Randalu, chez Antes). On trouve également un lied par Schlusnus (poème d'un cycle de Munchhausen, chez Documents notamment, label japonais trouvable sur les sites de flux européens) et un autre par Prey (Der Rock, aussi sur un poème de Morgenstern, dans son anthologie « moderne » reconstituée par DGG). Vu l'expressivité de sa musique d'orchestre, je serais très curieux d'entendre ses opéras Don Juans letztes Abenteuer (1914) ou Der Prinz von Homburg (1935). Il a aussi commis un Friedemann Bach (1931), on voit l'écart d'inspiration avec une figure d'artiste comme celle de Johnny spielt auf (l'opéra de Křenek manifeste du zeitoper) !
● En musique de chambre, on ne trouve guère que les Trios (Hyperion Trio, chez CPO), qui m'ont semblé assez plats – une ligne mélodique vaguement brahmsienne, et assez peu de contenu stimulant dans les accompagnements, l'harmonie ou la forme.
● C'est donc surtout du côté symphonique que le legs est fourni, quoique peu vaste : Comedietta par Abendroth (chez Jube Classics par exemple), Die Flöte von Sansouci (suite de danses pseudo-baroque, d'une ambition limitée, avec le compositeur à la flûte accompagné par le Philharmonique de Berlin – publication CD par Archiphon sous le titre peu spécifique « 78 rpm rarities: Raw Transfers »)… et sinon les quatre volumes de CPO consacrés à sa musique orchestrale :
●● vol.1 : Comedietta, Variations sur un chant traditionnel russe (thème assez sommaire, mais variations faites avec beaucoup d'adresse orchestratoire), Musik am Abend, Sinfonietta. De belles œuvres, d'un postromantisme assumé (plus conservateur que celui de Schmidt, mais on entend clairement le contemporain de R. Strauss, ce n'est pas du Brahms !) ;
●● vol.2 : Symphonie en ré mineur « Le Forgeron Misère » (qu'il faut plutôt entendre comme un grand poème symphonique, assez séduisant, qu'y chercher une grande arche formelle étourdissante), Échos du Royaume de Pan (son œuvre la plus aventureuse parmi celles publiées, qui ,intègre des formules impressionnistes à son langage postromantique germanique, avec des harmonies riches et surprenantes, des couleurs inhabituelles), et ce qui est pour moi son chef-d'œuvre absolu : les Variations sur « Prinz Eugen ».
Variations sur « Prinz Eugen »
« Prinz Eugen, der edle Ritter » (« Le Prince Eugène, ce noble chevalier ») est une chanson traditionnelle écrite juste après le siège de Belgrade, victoire sur les Turcs du prince Eugène de Savoie en 1717 (première trace de la chanson, manuscrite, en 1719), restée dans l'imaginaire sonore collectif allemand.
Sur cette base, assez sommaire musicalement, Graener déploie toutes les possibilités d'un orchestre : discrète marche-choral aux vents, explosion de lyrisme aux cordes (augmentées d'énormément de contrechants de bois, de fusées aux cors !), fugato pépiant inspiré des Maîtres Chanteurs (l'une de ses influences majeures, j'ai l'impression)… Les pupitres, de la caisse claire aux trompettes, sont tous utilisés pour leur caractère, leur coloration, avec une rare science, et surtout une variété rare pour une variation : le thème, quoique toujours aisément identifiable, se transmute au fil des épisodes, et chaque itération, au lieu de paraître juxtaposée, semble découler tout naturellement d'une transition ou d'une rupture digne des progressions d'une grande symphonie à développement. Un bijou, absolument lumineux et jubilatoire, que je ne puis recommander trop vivement (l'œuvre que j'ai de loin le plus écouté ces trois dernières années, elle a donc mon assentiment…) ;
●● vol.3 : Concerto pour piano, Danses suédoises, Divertimento, une autre Sinfonietta. Des œuvres abouties mais dont la singularité me paraît moins évidente ;
●● vol.4 : Concertos pour flûte, pour violon, pour violoncelle. Très marquants, ici le concerto est vraiment conçu comme un tout organique et la virtuosité n'y paraît pas le but… le soliste joue beaucoup, certes, mais peu de traits sont mis en valeur, tout est intégré à l'orchestre, sans chercher à tout prix la mélodie non plus : je trouve le principe très rafraîchissant, il échappe à l'enflure habituelle de la forme concerto qui n'a pas toujours ma faveur. Une proposition très différente, que je serais ravi d'entendre en concert.
● Donc, à écouter, sans hésiter les volumes 2 & 4 de l'anthologie CPO.
■ Comment rejouer cela au concert ?  Clairement, pour du symphonique ou de l'opéra, il faut de gros moyens, et avec les sensibilités vives sur ce point (et la culture accrue de la protestation dans les milieux artistiques), il y a de grandes probabiités que le projet meure avant que d'aboutir. Un artiste qui avait projeté de remonter une de ses œuvres de chambre a expliqué que les musiciens avaient collectivement renoncé, trop mal à l'aise avec la personne du compositeur pour en faire la promotion, fût-ce indirectement.
Néanmoins, les Variations sur « Prinz Eugen », en début d'un concert dont ce ne serait pas le contenu principal, ou en conclusion de programme, je garantis que cela galvaniserait l'auditoire !  (Après tout ça ne semble poser de problème à personne de tresser des couronnes à Karajan, Schwarzkopf ou Böhm, de jouer à tout bout de champ Carmina Burana, alors pourquoi pas une ouverture de Graener – elle appartient désormais au domaine public, ses ayants droit, si par extraordinaire ils étaient solidaires des pensées de leur aïeul, ne toucheront pas un sou…) 

Hugo Alfvén.
→ Vous allez être déçu, je n'ai pas pu glaner d'anecdotes bien croustillantes sur Alfvén. Il a fait son tour d'Europe pendant dix ans, comme chef notamment, puis s'est installé à Stockholm et à l'Université d'Uppsala, a composé, a été le compositeur suédois du début du XXe a remporter le plus de succès – avec Stenhammar.
→ Sa musique est donc assez généreusement documentée, bien qu'on ne la joue jamais en France – l'anniversaire serait-il donc l'occasion ?
● La priorité, ce sont les symphonies. La 1 par Westerberg, la 3 par Svetlanov, la 4 par Willén… vous pouvez ainsi tirer le meilleur de ces pièces. Westerberg est plus âpre, Willén plus enveloppant et organique. N. Järvi, assez lumineux, n'est pas celui qui révèle le mieux les audaces de cette musique, mais sa fréquentation reste agréable. Quant aux versions par Alfvén lui-même, splendidement restaurées et publiées par Phono Suecia (on entend très bien le détail !), je crois qu'elles surpassent tout par leur caractère direct, net et emporté à la fois.
● Ses musiques de scène valent aussi le détour, comme Gustaf II Adolf ou Bergakungen.
● Même s'il n'a pas écrit d'opéra, sa musique chorale est très simple et très belle, et fait partie des corpus de référence du legs suédois. On le trouve dans des anthologies (le merveilleux Sköna Maj des Lunds Studentsångare) ou dans la monographie « OD sings Alfvén » (OD pour Orphei Drängar, les « serfs orphelins », l'ensemble vocal qu'a dirigé Alfvén).
● Sa longue vie nous permet de l'entendre diriger ses propres œuvres, et de profiter de l'humour avec lequel il dirige les danses du Fils prodigue, ou de la flamme qui habite son interprétation de sa cantate pour les 500 ans du Parlement Suédois, ce que vous trouverez chez lui de plus proche d'un opéra !  Il a aussi été capté dans ses symphonies (3 & 4) avec le Philharmonique Royal de Stockholm. Et je suis frappé de la vivacité de jeu, de la clarté du spectre, de l'exaltation du rebond et des références folkloriques dans la Troisième, avec une sorte d'emphase souriante et volontairement exagérée, comme un personnage d'opéra un peu grotesque qui chante sa chanson avec une pointe d'excès. Absolument délicieux, très différent, et réellement convaincant – probablement le compositeur à m'avoir le plus convaincu dans ses propres œuvres !  Quant à la Quatrième, très cursive (on croirait qu'il dirige Don Juan de R. Strauss, tant l'orchestre fulgure !), elle inclut la participation de la jeune… Birgit Nilsson !
■ Franchement, au concert, cela passerait tout seul !  Le folklorisme bigarré et très charpenté de la Troisième Symphonie, jubilatoire si on la joue en respectant cette composante, comme le font Svetlanov ou Alfvén lui-même, ou le grand monument plus farouche de la Quatrième, en un seul mouvement, avec ses voix solistes sans paroles, dont le programme se réfère à un rivage tourmenté – une œuvre très frappante, qui aurait tout pour plaire au public mahléro-sibélien !  Et si c'est trop, un poème symphonique, il y a beaucoup de très beaux, même si moins ambitieux : ce serait déjà ça de gagné !  Un petit effort Messieurs les programmateurs, une fois que le monde aura terminé de s'effondrer ?  L'accroche est facile en plus, avec les « Symphonies des rivages du Nord battus par les vents », faites-le avec des projections de vidéos de mer démontée si cela vous aide à remplir – ce serait-ce pas le type de format qui a en principe la faveur de la Philharmonie de Paris ?




1872 est particulièrement riche : je vous laisse avec ces quatre compositeurs, dont deux figures majeures, avant d'en venir à quelques autres géants également nés en 1872, dans les prochains épisodes : von Hausegger, Halphen, Juon, Büsser, Perosi, Séverac, Scriabine, Vaughan Williams… !

Prenez soin de vous. Carnets sur sol prend soin de vos oreilles.

jeudi 20 janvier 2022

Circé de DESMAREST – Que s'est-il passé lorsque, musicien, on rate son concert ?


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(Photos de l'Opéra Royal de Versailles prises par mes soins le soir du drame.)

Inspiré de faits réels (et récents).

Pour une fois, Carnets sur sol va mettre du sel sur les plaies : je vous mène au cœur de l'expérience d'un concert qui part dans le décor. À quoi ça ressemble du côté du spectateur ?  Qu'est-ce qui peut causer la catastrophe du côté des interprètes ?

Vous le verrez, sous les apprêts d'une anecdote censée vous divertir, il y a de quoi prendre conscience, pour les mélomanes, de la façon dont se construit l'exécution musicale, de ce qui se passe en amont du concert, des conditions pratiques de l'exercice de la musique, des dangers de ce glorieux état, de l'épaisseur de la glace sur laquelle dansent tous ces funambules de l'instant.




Tout commence par un petit récit. Je vous raconte l'aventure, que vous avez peut-être déjà pu découvrir grâce à ma glorieuse présence sur les réseaux de l'instant, puis nous entrerons dans les conjectures, les indiscrétions, les bruits de couloir… et surtout une petite porte d'entrée sur ce qui peut causer un tel accident industriel, et le danger qui est le pain quotidien – invisible aux yeux du spectateur – de ces métiers où tout se joue en un moment, sur des réflexes très précis.



#ConcertSurSol #66

Quelle expérience étrange !

Circé de Desmarest (1694) sur un livret de Madame de Saintonge, que j'espérais depuis près de 20 ans (et reportée deux fois à Versailles)… se révèle un décalque LULLYste un peu paresseux, et joué dans des conditions… inhabituelles.

♠ Je vous raconte ?



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Seul extrait disponible au disque, l'air d'Astérie qui ouvre l'acte II, ici par Véronique Gens, Les Surprises, Simon Bestion de Camboulas (dans son récital Alpha « Passion »).
(Superbe interprétation d'ailleurs, et récital qui contient la plus extraordinaire scène d'invocation de Médée qui soit !)





Avant la représentation

Projet des Nouveaux Caractères (l'ensemble de Sébastien d'Hérin) remettant au théâtre pour la première fois cette tragédie en musique, et incluant une restitution organologique (effectif et instruments des 24 Violons du Roy).

→ Reporté début 2020.

→ Reporté début 2021.

→ Donné ce 11 janvier 2022, un soir seulement, juste après les annulations des représentations de Georges Dandin dans ce même théâtre, trois jours auparavant.

Un petit miracle.

Laurent Brunner, directeur de Château de Versailles Spectacles, grimpe sur le proscenium et annonce : « Véronique Gens a tout donné pendant ces cinq jours d'enregistrement, mais à présent elle est souffrante et donnera seulement la réplique ».

(Finalement elle chanta très bien – mais à petit volume. Rien à avoir avec ce jour où, chantant la dernière réplique de Béatrix mourant, elle s'évanouit complètement sur scène, manquant de se fendre le crâne dans la fosse – soignez toujours vos relations avec la mezzo du pupitre d'à côté, ce peut vous sauver, sans exagération, la vie.)

L.B. poursuit : « J'ai eu la délicieuse surprise de découvrir que le synopsis du programme est faux, rien à voir avec l'œuvre à laquelle vous assisterez. Il vous raconte les amours de Circé avec le Tibre, rien à voir, c'est bien l'histoire avec Ulysse, tirée de L'Odyssée, dont parle l'opéra de ce soir. »

[Ce fut un soir, ce fut un matin. Pôle Emploi était riche d'un nouvel adhérent.]

J'ajoute, moi, que tous les chanteurs ne sont pas crédités dans le programme de salle (notamment des rôles courts mais capitaux comme Vénus) : ainsi ladite Vénus, excellente chanteuse issue du chœur, que j'espère réentendre plus en longueur, n'est pas mentionnée. Romain Bockler, qui chante Polite, l'amant du couple secondaire, se voit même attribué le rôle de Phaebetor (divinité des mauvais rêves) qui n'intervient que dans le Sommeil (chanté par Arnaud Richard)… C'était la pagaille au service documentation & communication, manifestement. (Mais par les temps qui courent, on sait bien que tout doit être bouclé sans que les personnes compétentes ne soient nécessairement disponibles.)



L'œuvre

Assister à la résurrection de témoignages sonores enfouis est toujours un privilège, on ne le répètera jamais assez. Même lorsqu'on ne les trouve finalement pas extraordinaires : on a le luxe de se faire un avis, l'expérience est formidable en soi.

Circé appartient à cette veine : beaucoup de quasi-plagiats de LULLY (exacte même écriture en beaucoup d'instances), comme les scènes de jalousie dont l'harmonie et les procédés rythmiques sont empruntés littéralement à Armide (ils viennent très précisément de l'Ouverture, d' « Enfin il est en ma puissance », du postlude du V), comme le Sommeil qui est un pur décdalque d'Atys, comme l'acte IV de torture dont le dispositif doit manifestement au IV de Thésée

Le livret de Madame de Saintonge, pourtant tout à fait réussi dans Didon, présente de réels défauts. Sa structure n'est pas très claire (beaucoup d'actions à cheval sur des actes), mais elle présente surtout des incohérences : Vénus annonce qu'Ulysse va aimer Circé, ce qui n'arrive pas ; Circé prépare un piège pour faire souffrir Ulysse et son amante à l'acte IV, mais à l'acte V les voilà libres sans plus d'explication (le piège n'a pas fonctionné, tout simplement). Ces annonces non suivies d'effet sont contraires à la grammaire dramatique la plus intuitive, tout de même, surtout que le reste du livret est, en particulier dans son vocabulaire et sa syntaxe, extrêmement conventionnel.

Et contrairement à Didon qui sublimait les emprunts LULLYstes (par ailleurs réussis dans ce cas, comme la Chaconne !) par une inspiration de première farine (et de pâté de foie supérieur), Circé donne davantage à entendre le Desmarest de la pastorale Vénus & Adonis : lisse, dénervé, très homogène, peu saillant en prosodie et mélodie.

Plutôt une déception, donc. Avec tout de même quelques très beaux moments :

✓ le chœur à fugato « Fais durer ses plaisirs » à la fin du II (d'un genre typique de la génération d'après LULLY, cf. les chants d'hyménée du I de Callirhoé de Destouches ou le Prologue de Pirame & Thisbé de Francœur & Rebel) ;

✓ l'air en chaconne des craintes d'Astérie au début de l'acte II (dans la lignée délicieuse du duo d'amour de Roland ou de l'air d'entrée de Callirhoé) ;

✓ le trio du Sommeil (le prélude est fade, mais le trio vocal splendide, beaucoup plus riche qu'Atys) ;

✓ la mort d'Elphénor, récitatif assez nu et plutôt saisissant (racontée en réalité à l'acte suivant, comme celle d'Athamas dans Philomèle) ;

✓ la petite chaconne d'accompagnement du duo amoureux Éolie-Ulysse, délicieuse ;

✓ et la grande scène finale de Circé, ébouriffante – où pour le coup la musique, tout en s'inspirant clairement du caractère d'Armide, est vraiment typique de Desmarest, et use des procédés plus libres de la nouvelle génération, avec une ligne de chant originale et très expressive. Un grand moment.



L'interprétation

De ce côté-là, c'était plus… étrange.

J'ai bien sûr beaucoup aimé Cécile Achille (Éolie, aimée d'Ulysse) – que je suis depuis le CNSM, belle voix bien faite et vraiment investie dans l'expression (expression qu'on voyait passer sur son visage, la façon d'émettre les sons avec sa bouche traduisait de façon étonnamment éloquente les émotions !) – et surtout Vénus (la voix la mieux projetée, une choriste non créditée), Véronique Gens (Circé) remarquablement timbrée, même si le volume sonore est beaucoup plus faible que d'ordinaire (de la méforme de grand luxe, j'ai entendu bien pire !).

Il faut s'habituer aux manières très XIXe de Nicolas Courjal (Elphénor) : couverture en [eu], rubato, allègements en soufflets… mais la présence vocale est tellement extraordinaire…
Dans sa mort et son apparition spectrale, le grave est tellement riche, soyeux et généreux qu'il donne l'impression de s'accompagner lui-même !

Caroline Mutel (Astérie) a énormément mûri et progressé (diction beaucoup plus incisive, timbre moins flottant, plus mordant) – peut-être est-ce aussi la tessiture beaucoup plus basse, qui flatte bien mieux ses qualités. En tout cas je n'avais jamais adoré ses aigus très flous, et ici, sans les aigus (le rôle doit culminer au sol4, et à un diapason de près d'un ton plus bas que le nôtre !), ce qu'elle faisait était véritablement remarquable. (Une nouvelle carrière de mezzo à creuser dans les années à venir ?)

Mathias Vidal (Ulysse), à l'inverse, paraît en général plus engoncé dans les rôles LULLYstes vraiment graves pour son profil de ténor élancé. Il a au demeurant tous les graves nécessaires (presque barytonnant), mais à cela s'ajoutent ses manières emportées, qui font merveille dans la tragédie post-gluckiste ou dans les opéras du XIXe s., mais qui sonnent un peu hachées et pas toujours pleinement aristocratiques dans les opéras du XVIIe.



L'exécution

Et c'est à présent que tout devient totalement lunaire.

L'orchestre ne parvenait pas à jouer ensemble ni à suivre les chanteurs !  À de multiples moments, ce n'était tout simplement pas la bonne partie qu'ils jouaient en même temps. Le chef cherchait bien évidemment à rattraper les choses mais ses gestes restaient sans effet, les musiciens et les chanteurs le regardaient perdus, sans en tirer l'aide espérée. On voyait dans les entrées les pupitres, konzertmeister inclus, le regarder, se tendre, tenter d'entrer au bon moment… et rater. C'est arrivé assez souvent, en particulier dans le Prologue et les actes I & V.

Ce n'était pas tout le temps non plus, le reste était en place ; et ce sont de très bons professionnels, ça ne ressemblait pas à du Schönberg. Mais chez des professionnels de ce niveau, je n'avais jamais vu un tel effondrement collectif.

Remarque semi-ingénue d'un camarade à l'entracte : « c'est une audace propre à Desmarest, autant de liberté dans la prosodie par rapport à l'accompagnement musical, c'était bien voulu ? ».

Cela se manifestait initialement par des décalages et des faux départs inhabituellement nombreux et audibles, et une façon, pour les chanteurs, de ne pas exactement respecter les valeurs écrites, de chanter un peu comme l'on parle, dans une globalité qui a son point d'arrivée et son point de départ, mais avec un détail rythme assez flou (des pointés qui ne sont pas exactement des 3/4 de valeur, des doubles croches qui traînent un peu, etc.). Rien  de très spectaculaire pour l'auditeur, on reconnaissait bien ce qu'on entendait.

Cependant la pagaille a tellement gagné en intensité à l'acte V que l'orchestre a dû s'interrompre au début d'une danse : ils ne jouaient pas du tout la même danse ou le même système dans la danse. Et ils ne l'ont pas fait sourire aux lèvres et en s'adressant au public comme cela advient quelquefois : « ah, ah, ça arrive, on s'est fait avoir, allez on reprend ».

Non, ils étaient abattus.

Et Gens, l'une des chanteuses les plus capées (et captées) depuis que l'on enregistre ce répertoire, totalement perdue dans son final de bravoure, le sommet de l'opéra, commence en même tmeps qu'une ritournelle (dix mesures en avance donc !) ; pourtant le violon est écrit sur sa partition, même si c'est une réduction, confusion très inhabituelle !
Elle aussi regardait le chef sans rien y comprendre. Et lui faisait des signes, qui n'étaient toujours pas compris, et faisaient plutôt rater davantage lorsqu'ils étaient suivis, créant un surcroît de flottement.

À ce moment (à cinq minutes de la fin), on a senti qu'ils lâchaient tous prise. Fatigue aidant, plus rien ne passait. Pour les ponctuations des récitatifs de cette grande scène finale, aucun accord n'était au bon endroit. Les musiciens ont essayé d'abord d'attendre les fins de phrase de la chanteuse, créant des blancs assez audibles, puis tous ont fini, résignés, par jouer au fil de l'eau, sans trop compter les temps : elle chante, ensuite on joue, etc. Véronique Gens, elle, a fini par chanter à mi-voix la fin de sa tirade, comme n'osant pas déclamer tout fort une ligne vocale erronée.

Malaise.



Problème

Soyons honnête : pour le spectateur, les décalages, ça se limite le plus souvent à frimer avec les copains en relevant telle erreur pour voir entre nous si on a une bonne oreille, comme un jeu des sept erreurs en comparant avec le disque (ou, pour les plus sérieux, la partition). C'est très bien, mais quelques fausses entrées, il ne faut pas pousser, ça ne gâche pas un spectacle, loin s'en faut.
Et on ne va surtout pas leur en tenir rigueur pour un inédit monté en temps de covid.

Ici, le problème réside dans le fait que ce n'était pas une erreur ponctuelle, ni même trop fréquente : on sentait que les musiciens (et même les chanteurs, par moment), marchaient sur des œufs.

Or, il s'agissait d'une œuvre que le public découvrait, et dont le livret n'était ni très clair (et le programme de salle était faux…), ni très palpitant (ses enjeux et coups de théâtre étant comme désamorcés par ses propres contradictions), écrit dans une langue assez prévisible et plate.
Musicalement aussi, beaucoup d'emprunts à LULLY, sans que cela ne dynamise véritablement la composition, qui recèle manifestement peu de fulgurances.

Et joué ainsi prudemment, avec les musiciens absorbés par les temps à compter et les entrées à réussir, le rubato des chanteurs à comprendre (manifestement, ils étaient décontenancés par la liberté de phrasés à certains moments, comme s'ils ne s'étaient pas concertés), l'œuvre ne pouvait bénéficier du coup de pouce nécessaire à prendre réellement vie. Vrai également pour les chanteurs, un travail de précision sur la prosodie aurait permis de faire claquer certaines répliques.
C'est là que ce situait la difficulté, plutôt que sur le détail de ce qui n'était pas en place et qui, honnêtement, n'aura gâché la vie (ni même la soirée) de personne.



Les Nouveaux Caractères

Je m'empresse de préciser qu'il ne s'agissait pas d'une erreur de casting. Les Nouveaux Caractères sont un ensemble de premier plan. Il suffit d'entendre ces extaits étourdissants de Grétry ou bien au disque, les couleurs formidables dans Les Surprises de l'Amour (Rameau), ou en la mise en valeur de l'écriture très violonistique de l'orchestre de Scylla & Glaucus – le compositeur Leclair était précisément virtuose du violon, et cet aspect très bien mis en valeur.

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Château de Versailles Spectacles n'a pas embauché n'importe qui au doigt mouillé.

On ne peut par ailleurs pas leur en vouloir : d'abord, il s'agit d'un inédit, et s'ils ne s'y étaient pas attelés courageusement (sachant qu'on a toujours moins de public et de couverture presse lorsqu'on fait un Desmarest plutôt qu'un Atys ou un Platée…), on ne l'aurait jamais entendu – et j'aurais en ce qui me concerne continué de regretter qu'on nous prive de ce probable bijou.

De surcroît, contrairement à beaucoup d'autres arts, la musique est un art de l'instant : on peut retoucher calmement un texte, une œuvre picturale ou plastique, une installation, une pellicule, même retravailler à froid une mise en scène… Mais pour la musique, il y a toujours un moment où il faut se frotter à l'instant. Et la chose est encore plus technique que la récitation d'un texte comme au théâtre, la précision requise doit se dérouler à des valeurs de temps inférieures à la seconde.
C'est pourquoi il est très difficile, à mon sens, de juger sévèrement des musiciens qui se trompent : ce n'est pas nécessairement qu'ils n'ont pas travaillé. On peut rater quelque chose dans une demi-seconde, une attention qui se détourne, un doigt qui glisse, une erreur de perception d'un geste… Et pas de retouche possible dans un concert.

Défoncez le disque, si vous tenez absolument à être méchant ; mais pour ce qui est du concert, il est vraiment difficile d'émettre un jugement moral sur le travail des musiciens, sauf à être réellement informé d'une désinvolture attestée. (Il y a tout de même certaines attitudes qui ne trompent pas les soirs de routine, coucou l'Opéra de Paris !) Mais je n'ai pas observé ce type d'insouciance mardi soir, du tout. Plutôt de la détresse et de l'abattement.

Car pour moi le spectateur d'un soir, c'est un fait insolite. Pour eux dont c'est le métier – et un métier assez peu rassérénant ces jours-ci – rater, ce doit être plutôt dur à vivre.
J'ai eu deux confirmations, de source interne, que le chef était particulièrement tendu dans la journée précédant le concert, disant même qu'il craignait un échec le soir. Ils avaient sans nul doute à cœur de faire du mieux possible.





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Pourquoi ?

Je tente quelques hypothèses plausibles et cumulables, en attendant l'arrivée de renseignements complémentaires. (J'ai commencé ma petite enquête, mais je n'ai pas encore tous les éléments. Si quelqu'un d'entre vous est au courant des véritables causes, je suis très intéressé.)

Comment est-il possible, lorsque l'on est des professionnels sérieux et bien formés, de s'effondrer lors d'une représentation publique ? 
Je pose la question non pour flétrir, mais pour tâcher de comprendre les mécanismes à l'œuvre : les plus informés savent évidemment tout cela, mais pour une partie du public plus mélomane-discophile ou mélomane-spectateur peu porté sur la coulisse, il y a peut-être de petites découvertes à la clef.

Je commence par ce qui est propre à ce concert.

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a) La nouveauté

Quand on propose une œuvre inédite, on ne peut pas prendre de raccourcis en écoutant le disque et en se disant qu'on va juste faire à l'oreille comme ça sonne, chacun écoute sa partie et reproduit un peu ce qu'il entend.
Si le temps de préparation individuelle ou de répétition collective s'avère trop court, il n'y a pas de parachute comme lorsqu'on joue Don Giovanni ou Carmen (chacun sait à peu près à quoi ça ressemble).

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b) Les reports

Il est possible que le nombre de répétitions alloué ait été en partie entamé par les précédentes annulations. Dans le même temps, les musiciens embauchés ne sont peut-être plus tout à fait les mêmes ; les présents auront tout oublié, et les nouveaux ont tout à apprendre. Tout cela rogne potentiellement sur le planning initial.

De fait, j'ai aperçu beaucoup de nouvelles têtes, de petits jeunes jamais vus auparavant dans d'autres ensembles, ni surtout ici – en réalité, si on compare à la vidéo de Grétry susmentionnée : personne en commun.

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c) La jeunesse

En dehors du continuo, où sévissaient quelques visages connus (parfois perdus aussi, mais beaucoup plus sûrs d'eux : les deux plus célèbres de l'orchestre, Benoît Hartouin au clavecin, Frédéric Baldassare à la basse de violon étaient clairement ceux qui tenaient la maison), les musiciens semblaient bien tendres, à peine sortis de leurs études. Dans des conditions adverses, ils avaient sans doute moins de ressources que les vieux routiers qui ont traversé toutes les surprises depuis des décennies.

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d) La lutherie

Le projet était couplé avec une recréation d'instruments anciens avec des luthiers en lien avec le CMBV : l'idée était de restituer l'instrumentarium des 24 Violons du Roy – avec leurs dessus de violon plus petits que les violons modernes, les hautes-contre de violon un peu plus grands, les tailles de violon proches de l'alto, les énormes quintes de violon et pour finir la basse de violon (un peu plus large que le violoncelle).

C'était évidemment un enjeu supplémentaire, il faut maîtriser ces instruments nouveaux, leur tenue, leurs écarts, et ils ne sont en général pas prêtés longtemps avant les répétitions : on m'a raconté (à l'occasion d'un autre concert) que pour des vents, de facture très inhabituelle, avec de nouveaux doigtés et tout… on les livrait une semaine avant le concert !

Sur une œuvre nouvelle et avec des musiciens moins expérimentés, c'est un degré de difficulté supplémentaire. (Quand je dis qu'on ne peut pas commencer par blâmer les musiciens avant de s'informer sur les conditions réelles des répétitions : apprendre une nouvelle spécialité professionnelle en une semaine tout en travaillant sur un sujet nouveau, voilà qui calme les velléités de vitupération.)

Jusque là, à peu près tous les ensembles sont susceptibles de vivre ce genre de contrainte sans sortie de route majeure.

Mais j'ajoute une hypothèse très crédible (que je n'ai pas pu faire confirmer pour l'instant), et bien dans l'air du temps.

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e) Covid superstar

(Je disais « la covid » bien sagement auparavant, mais j'aime trop voir l'Académie Française prophétiser la Fin de la Civilisation pour ne pas contribuer un peu à sa détresse quotidienne.)

Considérant les centaines de milliers de cas quotidiens, et l'exposition structurelle des musiciens (vie très communautaire, chanteurs et vents non masqués…), il serait étonnant qu'il n'y ait pas eu des musiciens empêchés.

Et là imaginez : des pupitres entiers manquent potentiellement à l'appel, peut-être dans des secteurs stratégiques du continuo ou des chefs de pupitre. On arrive le jour suivant, et les nouveaux débarquent sans avoir rien répété, ils découvrent même l'existence de l'œuvre (et une fois encore, pas d'enregistrement pour se mettre rapidement dans le bain, il faut lire sa partie, on n'a probablement pas trop le temps de se pencher sur celle des autres). Et cela a pu potentiellement advenir plusieurs fois pendant la semaine…

On mesure l'épuisement physique et nerveux de ceux qui voient le temps passer sans pouvoir avancer, ainsi que de ceux qui débarquent tout d'un coup. D'autant qu'il y a un disque à la clef, il ne faut pas se rater.

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f) Les temps de répétition

Laurent Brunner, le directeur de la programmation de l'Opéra Royal, a assuré que l'ensemble répétait depuis 5 jours, et qu'il y aurait encore quelques jours pour finir l'enregistrement du disque (notamment les traditionnelles retouches du concert, je suppose). En partant du principe qu'on ne nous a pas menti (et c'est très probablement vrai, puisque le disque ne va pas s'enregistrer tout seul !), ces cinq jours n'ont pas été suffisants.

On peut bien sûr supposer que le concert a été donné trop tôt dans le processus, pour pouvoir faire ensuite les retouches (cela arrive quelquefois, mais je n'ai jamais vu de cas où ça se percevait aussi palpablement).
Ou bien soupçonner le chef d'être peu efficace en répétition, les musiciens peu préparés… Mais tout cela, à vrai dire, on n'en sait rien – et ce que j'ai entendu jusqu'ici des Nouveaux Caractères ne me laisse pas penser qu'ils sont d'aimables fumistes qui se gobergent à la subvention.

C'est le moment de lever un coin du voile sur la répétition dans ce type de configuration. Pour monter une production de ce genre, il faut des finances. Celles-ci sont allouées par l'organisateur (ou la coproduction). Et c'est lui qui fixe les coûts, voire les durées s'il héberge les répétitions en son sein.

Concrètement : Château de Versailles Spectacles contacte Les Nouveaux Caractères (ou bien Les Nouveaux Caractères soumettent leur projet, tout dépend de qui vient l'impulsion). L'organisateur demande à l'ensemble combien de jours de répétitions sont nécessaires pour monter cette tragédie en musique de type post-LULLYste. Le chef d'ensemble fait une évaluation et communique proposition. En général (me souffle une source particulièrement bien informée), les organisateurs font une contre-proposition de l'ordre de 30 à 50% de l'enveloppe souhaitée. Il faut donc être très efficace !

À charge ensuite à l'ensemble musical de décider s'il accepte ou non. Mais il faut bien vivre, et sécuriser des engagements réguliers. En général, on accepte donc, tout en sachant que ce sera serré, et qu'on ne pourra pas avoir le degré de finition dont on rêve.

Vous voyez le tableau : vous savez que vous avez moins de temps que nécessaire pour tout boucler, mais le concert et le disque vous attendent au bout du chemin. Ajoutez un effectif un peu plus jeune que de coutume, des remplacements plus nombreux pour cause de couronnement viral, et vous tenez la petite frange de désorganisation qui peut faire la différence entre le succès (quitte à ce que les musiciens soient frustrés de ne pas avoir pu aller plus loin) et l'accident industriel.

Évidemment, plus un ensemble est célèbre (et peut faire remplir sur son nom, comme Les Arts Florissants ou Les Musiciens du Louvre, voire pour l'ultra-niche de la tragédie en musique Les Talens Lyriques), plus il peut négocier un nombre de services (sessions de répétition) élevé.
Comme d'habitude, la Victoire vole au secours du succès préexistant : plus un ensemble est aguerri, plus on lui propose des conditions favorables, ce qui assoit encore davantage son prestige lorsque le concert paraît si léché – forcément, il peut recruter les meilleurs instrumentistes avec un temps de répétition supérieur !

Vous comprenez à présent pourquoi Hervé Niquet (qui certes, comme beaucoup d'entre nous, ne devait pas adorer les Prologues) coupait dans les tragédies en musique ?  Cela fait moins de sections à travailler… et permet d'optimiser le temps passé, pour faire du meilleur boulot sur le reste.
Je fais partie de ceux qui ont râlé à l'époque (avant qu'il n'aille voir vers d'autres répertoires plus à son goût / où on lui fiche davantage la paix ?), parce qu'on enregistrait pour la première (et sans doute dernière) fois un inédit, et qu'on ne le donnait pas intégralement… mais d'un point de vue strictement économique et pratique, le procédé se défend totalement.

À cela s'ajoute qu'il est régulièrement d'usage de répéter, en particulier pour optimiser la présence du chœur et des solistes – aussi pour gagner du temps – dans le désordre. Ce peut produire de très beaux résultats cohérents : les opéras enregistrés à Versailles par Les Accents de Guy van Waas, dont La Vénitienne de Dauvergne, Thésée de Gossec et surtout le mirifique Céphale & Procris de Grétry… suivaient cette logique économique.

Si jamais les musiciens venaient d'arriver ou n'avaient pas une bonne vision d'ensemble, il a pu y avoir du flottement en enchaînant des numéros qu'on n'avait jamais (ou qu'une fois, j'espère qu'il y a eu une générale !) joués en les enchaînant. Et Dieu sait qu'il y en a, des petits morceaux de caractère très distincts qui s'enchaînent dans une tragédie en musique !

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g) Le métier de chef

C'est un sujet que j'ai déjà abordé dans la notule autour du métier de chef d'orchestre (les vrais, les faux…), et qui a manifestement eu son importance dans l'effondrement nerveux de mardi soir.

Pour les chefs d'orchestre traditionnels (formés par des cours spécialisés, virtuoses de la gestique, voyageant d'orchestre en orchestre), les chefs d'ensemble baroque, qui n'ont pas le même savoir, ne doivent pas être perçus comme de véritables chefs d'orchestre. Le chef d'ensemble connaît ses musiciens, a le temps de communiquer longuement avec eux. Il fait moins de programmes, et les produit souvent en tournées, si bien que tout a le temps de maturer en se parlant, sans avoir nécessairement de technique de direction hors norme – comme je le mentionnais dans la notule en question, il est extrêmement difficile pour un observateur extérieur (ou même intérieur) de juger de la qualité d'un chef d'orchestre, mais on peut lire de façon récurrente, et notamment de la part de musiciens d'orchestre, des critiques acerbes sur l'incompétence (au moins gestuelle) des chefs baroques reconvertis comme Minkowski, Niquet, etc.  

Pour résumer la problématique : il existe deux types de postes de chefs d'orchestre traditionnels.

a) Le directeur musical est présent tout au long de la saison et sur plusieurs années : il choisit (en accord avec la direction administrative) le programme, les solistes et autres chefs à inviter, fait travailler l'orchestre sur la durée (notamment sur l'identité sonore, les dominantes de répertoire…). Le chef d'ensemble spécialiste comme d'Hérin connaît ce travail, c'est celui qu'il mène au quotidien.

b) Chef invité est un tout autre type de statut : il travaille, l'espace d'un concert, avec un orchestre qu'il ne connaît pas forcément bien. Certains chefs invités reviennent souvent, mais ils n'ont pas la même tâche d'encadrement ni les mêmes responsabilités administratives. Il faut donc être capable, le temps de deux ou trois services, en général (un service est une session de répétition, 3h disons), d'avoir mis en place 1h30 de musique et, pour éviter le four, d'avoir transmis des souhaits esthétiques, mis en valeur détails, et quand c'est possible d'avoir bien habité l'essentiel des œuvres… Si vous vous êtes jamais demandé : « mais pourquoi l'ouverture / l'accompagnement du concerto sonne moins bien que la symphonie ? » ou « c'est incroyable, par moment le chef souligne des détails inédits, et à d'autres tout le monde semble en pilote automatique »… c'est très probablement lié à ce temps de répétition limité.

Les chefs très en vue ou les œuvres difficiles peuvent obtenir davantage de services – il y aura plus de répétitions pour Die Soldaten de B.-A. Zimmermann que pour une soirée, au hasard, Symphonie Pastorale & Triple Concerto… Mais vous voyez bien l'enjeu d'être efficace en répétition, et c'est pourquoi les musiciens d'orchestre jugent souvent assez sévèrement les chefs bavards. S'ils commencent à arrêter la musique à chaque fois qu'ils ont quelque chose à dire, on ne pourra pas faire beaucoup de travail de mise en place ni d'interprétation… Les chefs commentent donc pendant que l'orchestre joue, et surtout, ils doivent disposer d'une gestuelle suffisamment expressive pour faire comprendre le type de son ou d'articulation de phrasé qu'ils souhaitent, sans tout verbaliser mesure par mesure ! 

Et c'est spécifiquement pour ce rôle de chef invité, qui débarque quasiment le soir du concert (l'interprétation continue souvent à s'affiner pendant le concert !), et qui représente le cas de l'immense majorité des chefs – assez peu, en proportion, ont leur propre orchestre, ou alors c'est l'orchestre qu'ils ont fondé et la question de la gestique se pose beaucoup moins : ils se connaissent par cœur.

Vous voyez à présent où je veux vous mener : Sébastien d'Hérin, dont ce n'est pas la formation, n'a aucune raison, ne prétendant pas à diriger d'autres ensembles que le sien, d'avoir développé cette technique.

Mais l'autre soir, devant un orchestre profondément renouvelé, avec sans doute beaucoup de nouvelles recrues, voire d'arrivées de dernière minute pour sauver le concert… une belle technique de direction aurait peut-être pu limiter le désordre par moment. Cela lui a sans doute fait défaut ce soir-là, dans ces circonstances plutôt exceptionnelles.

Tout cela non pas pour le blâmer (qui aurait pu imaginer, il y a deux ans, l'effondrement du monde civilisé sous la pression d'armées microscopiques ?), mais pour expliquer les flottements qu'on a pu observer lorsque les musiciens cherchaient du regard les indications du chef, qui ne les donnait pas assez en avance (l'avance sur le temps, ça aide à réagir !), ou pas assez clairement, et le plantage était dans ces moments inévitable.




C'est pourquoi j'ai choisi de vous entretenir de ce concert. La tradition était déjà de toute façon d'évoquer les tragédies en musique inédites écoutées, mais j'ai profité ici des imperfections insolites pour essayer de remettre en perspective ce qui, dans un concert, paraît aller de soi mais est à surmonter à chaque production… aucun ensemble, aucun chef n'a jamais de temps illimité alloué… produire un bon résultat, beaucoup en sont capables, mais un bon résultat en un temps très court (voire insuffisant), c'est à chaque fois un défi, surtout si l'on a une haute idée de son art.

[Parce que je me souviens aussi, après une représentation de Vanessa de Barber par l'orchestre-atelier OstinatO, d'avoir pris le train auprès du pupitre de bois qui s'esclaffait d'avoir joué n'importe comment… Certains le vivent bien.]

Toutes mes pensées à Sébastien d'Hérin et aux Nouveaux Caractères : ce fut sans doute un moment difficile, et j'espère qu'il ne nuira pas à la carrière l'ensemble, qui a beaucoup à dire et à faire découvrir. Merci, avant toute chose, d'oser le répertoire inédit, moins payant, plus exigeant et… plus périlleux. Rien que pour cela, tout mon respect, et ma sincère gratitude.

Je suis prêt à retourner les entendre, surtout s'ils font Hippodamie, Philomèle ou Créüse l'Athénienne !

samedi 1 janvier 2022

2021 : Les 10 disques qu'il faut avoir écoutés


Comme point final à notre cycle de l'année autour des nouveautés discographiques (qui sait quelle forme l'entreprise prendra l'an prochain), le moment est venu d'une sélection très courte, qui contraste avec les tentations d'exhaustivité que vous avez pu observer dans l'année.

Mais comme 10, ce serait tellement peu et trop cruel… j'ai commis plusieurs tops 10. Pas un par genre, μηδὲν ἄγαν, vous ne vous y retrouveriez pas.

Ce top 10 général (versions fulgurantes d'œuvres pas trop rabâchées) se double ainsi d'un top 10 d'interprétations exceptionnelles d'œuvres couramment jouées. Après une petite liste par genre des disques ayant atteint la cotation maximale au cours de l'année, il sera triplé par par les 10 disques hors nouveautés que j'ai le plus écoutés en 2021.

C'est parti !




A. Le grand top 10

top 2021

(11, mais Alcione a en réalité paru en 2020, disponible par la suite en numérique, époque à laquelle je l'ai écoutée, début 2021.)

1. Interprétation extraordinaire d'Alcione, issu des représentations à l'Opéra-Comique (qui m'avaient, étrangement, un peu moins marqué). Orchestre composé de la fine fleur des musiciens spécialistes de la tragédie en musique – en fait du Concert des Nations, il y avait beaucoup de membres des principaux ensembles baroques français, Thomas Dunford à l'archiluth en étant le représentant le plus célèbre. Et surtout, Auvity et Mauillon dont la singularité de timbre et l'expressivité verbale suprême magnétisent chaque instant de leur présence.
Le commentaire que j'en avais fait :
Marais – Alcione – Desandre, Auvity, Mauillon ; Le Concert des Nations, Savall (Alia Vox 2021)
→ Issu des représentations à l'Opéra-Comique, enregistrement qui porte une marque stylistique française très forte : dans la fosse, sous l'étiquette Concert des Nations propre à Savall, en réa:lité énormément de musiciens français issus des meilleures institutions baroques, spécialistes de ce style), et un aboutissement déclamatoire très grand – en particulier chez Auvity et Mauillon (qui est proprement miraculeux de clarté et d'éloquence).
→ Le résultat est donc sans rapport avec l'équipe catalane du fameux enregistrement des suites de danses tirés de cet opéra (1993), non sans qualités mais pas du tout du même naturel et de la même qualité de finition (instrumentale comme stylistique).
→ Les moments forts de la partition (la chaconne initiale de Pélée, l'interruption du mariage, le naufrage, le duo de révélation Pélée-Alcione…) s'en trouvent formidablement mis en évidence, et permettent de goûter pleinement le génie mélodique et harmonique de Marais.
→ Le frémissement interne de l'orchestre, magnifié par la prise de son Alia Vox, parachève cet objet incontournable pour les amateurs de tragédie lyrique.
→ Sans comparaison avec le studio Minkowski, pas très bien chanté (Smith-Ragon-Huttenlocher-Le Texier, ce n'est pas la folie…), beaucoup moins coloré et mobile, même s'il s'y trouve de beaux moments de continuo très poétique.

2. Une nouvelle version de Drot og Marsk, opéra politique de Peter Heise, un sommet du romantisme mûr, très riche, aussi bien nourri du sens du drame verdien que de la recherche musicale germanique, un peu le meilleur des deux mondes. Et on ne croule pas sous les opéras en danois dans la discographie – Lulu de Kuhlau se trouve en ligne (bande radio sur YouTube), je ne saurais trop vous recommander cette merveille en attendant une incertaine parution discographique. Superbe version par ailleurs, meilleure que la précédente.
HEISE, P.A.: Drot og marsk (Royal Danish Opera Chorus and Orchestra, Schønwandt) (Dacapo 2021)
→ Superbe drame romantique, dans la descendance tardive de Kuhlau, remarquablement chanté et joué. Tout est fluide, vivant, inspiré, œuvre à découvrir absolument ! (il en existait déjà une version pas trop ancienne chez Chandos)

3. Tout à fait inattendus, ces motets d'un compositeur wallon, dans un goût quelque part entre le Mozart de jeunesse et le meilleur Grétry. L'air de ténor « Miles fortis », agile et épique (dans la veine de Fuor del mar ou de Se al impero, si vous voulez, mais dans une ambiance harmonique et mélodique plus proche des airs de Céphale ou Guessler), a tourné en boucle depuis sa découverte. Je ne m'attendais pas à entendre du simili-seria sacré dans une région secondaire d'Europe produire un résultat aussi jubilatoire !
Hamal – Motets – Scherzi Musicali, Achten (Musiques en Wallonie 2021)
→ Pour moi clairement plutôt du genre cantate.
→ Musique wallonne du milieu du XVIIIe siècle (1709-1778), très marquée par les univers italien et allemand, pas tout à fait oratorio façon seria ,pas tout à fait cantate luthérienne, avec de jolies tournures.
→ Côté dramatique post-gluckiste quelquefois, très réussi dans l'ensemble sous ses diverses influences.
→ Le sommet du disque : l'air héroïque de ténor « Miles fortis » qui clôt la cantate Astra Cœli, d'une agilité et d'une vaillance parfaitement mozartiennes (augmentées d'une grâce mélodique et harmonique très grétryste), et qui pénètre dans l'oreille comme un véritable tube, ponctué par ses éclats de cor et ses violons autour de notes-pivots…
→ Splendide interprétation des Scherzi Musicali, qui ravive de la plus belle façon ces pages oubliées. Mañalich remarquable dans les parties très exposées de ténor, à la fois doux, vaillant et solide.
→ Écouté 7 fois en quatre jours (pas très séduit en première écoute, puis de plus en plus enthousiaste). Comme quoi, il faut vraiment donner leur chance aux compositeurs moins connus, et ne pas se contenter d'une écoute distraite pour décréter leur inutilité.

4. Les Quatuors d'Henri Vieuxtemps, ce sont (certes un demi-siècle plus tard !) les quatuors égarés de Beethoven !  Sens remarquable de la forme, mélodies un peu sévères mais marquantes, c'est à découvrir absolument si l'on aime le gronchon idéaliste dont on a fêté l'anniversaire jusqu'à la mi-saison : il faudrait regarder les partitions de plus près, mais lors des premières écoutes, la qualité ne m'a pas paru sensiblement moindre…
Vieuxtemps – Les 3 Quatuors à cordes –  Élysée SQ (Continuo Classics)
→ Nouveauté fondamentale : trois nouveaux quatuors de Beethoven composés par Vieuxtemps.
→ Je n'aime pas trop le son un peu dépareillé de cet ensemble, mais peu importe vu ce qu'il document ici d'inestimable – il n'existait aucun quatuor de Vieuxtemps au disque. (Même sur YouTube, on pouvait trouver deux mouvements pour dans un concert de conservatoire. Pas davantage.) Merci les Élyséens !

5. L'intégrale de Svetlanov, très typée et d'apparence sale, ne donnait pas la pleine mesure de la singularité des symphonies de Miaskovski, très différentes les unes des autres. Après la réussite de la 21 en 2020, Vasily Petrenko récidive avec la 27, étonnamment intense et lumineuse, et traitée avec un sens du style remarquable – le tout servi par l'un des tout meilleurs orchestres du monde actuellement.
Miaskovski (Myaskovsky), Symphonie n°27 // Prokofiev, Symphonie n°6 – Oslo PO, V. Petrenko (LAWO 2021)
→ Saveur très postromantique (et des gammes typiquement russes, presque un folklore romantisé), au sein d'un langage qui trouve aussi ses couleurs propres, une rare symphonie soviétique au ton aussi « positif », et qui se pare des couleurs transparentes, acidulées et très chaleureuses du Philharmonique d'Oslo (de sa virtuosité aussi)… je n'en avais pas du tout conservé cette image avec l'enregistrement de Svetlanov, beaucoup plus flou dans la mise en place et les intentions…
→ Frappé par la sobriété d'écriture, qui parle si directement en mêlant les recettes du passé et une forme d'expression très naturelle qui semble d'aujourd'hui. L'adagio central est une merveille de construction, comme une gigantesque progression mahlérienne, mais avec les thématiques et couleurs russes, culminant dans un ineffable lyrisme complexe.
→ Bissé Miaskovski.

6. Chansons inspirées par la geste napoléoniennes, particulièrement abouties dans celles arrangées à trois voix. (Et le Tombeau de Joséphine, palimpsestant le Bon Pasteur de Romagnesi, quelle merveille !)
Sainte-Hélène, La légende napoléonienne – Sabine Devieilhe ; Ghilardi, Bouin, Buffière, Marzorati  ; Les Lunaisiens, Les Cuivres Romantiques, Laurent Madeuf, Patrick Wibart, Daniel Isoir (piano d'époque) (Muso 2021)
→ Chansons inspirées par la fièvre et la légende napoléoniennes, instrumentées avec variété et saveur.
→ Beaucoup de mélodies marquantes, de pastiches, d'héroï-comique (Le roi d'Yvetot bien sûr), et même d'hagiographie à la pomme de terre… Le meilleur album des Lunaisiens jusqu'ici, aussi bien pour l'intérêt des œuvres que pour la qualité des réalisations vocales.

7. La Princesse jaune révélée par cette nouvelle interprétation au sommet, mais l'album vaut surtout par les Mélodies persanes dans leur version orchestrale, avec l'excellente idée de mandater six chanteurs différents !  Je ne suis pas forcément convaincu par les techniques des uns et des autres (on entend des limites dans l'ambitus, le timbre, la diction…), mais l'investissement collectif et la beauté de la proposition orchestrale (qui transfigure ce qui est déjà un chef-d'œuvre au piano) réjouit totalement !  Beaucoup écouté.
Saint-Saëns – La Princesse jaune – Wanroij, Vidal ; Toulouse, Hussain (Bru Zane 2021)
+ Mélodies persanes (Constans, Fanyo, Pancrazi, Sargsyan, Estèphe, Boutillier…)
→ Ivresses. Des œuvres, des voix.
→ Révélation pour ce qui est de la Princesse, pas aussi bien servie jusqu'ici, et délices infinies de ces Mélodies dans une luxueuse version orchestrale, avec des chanteurs très différents, et chacun tellement pénétré de son rôle singulier !

8. Superbe orgue néerlandais dans du répertoire inédit du XVIIIe français. C'est un peu l'idéal de ce que j'attends de la vie.
Guillaume Lasceux – Simphonie concertante pour orgue solo –  St. Lambertuskerk Helmond, Jan van de Laar (P4Y JQZ 2020)
+ Jullien : suite n°5 du livre I, Couperin fantaisie en ré, Böhm, Vater unser, Jongen Improvisation-Caprice, Franck pièce héroïque
→ Le disque contenant le plus de Gilles Jullien, et une version extraordinairement saillante de la Pièce Héroïque de Franck.
→ Quel orgue fantastiquement savoureux !

9. Peut-être est-ce parce que j'ai une centaine d'heures sur le sujet entre la préparation de la notice du disque, puis celle de la notule, mais après une première écoute polie, j'ai été totalement fasciné par cet univers très différent de ce que l'on connaît du répertoire sacré allemand – ce chœur composé de deux chanteurs !  ces récits reconstitués au moyen de patchworks intertestamentaires !
Pfleger – Cantates « The Life and Passion of the Christ » – Vox Nidrosiensis, Orkester Nord, Martin Wåhlberg (Aparté 2021)
→ Musique du Nord de l'Allemagne au milieu du XVIIe siècle. Œuvres inédites (seconde monographie seulement pour ce compositeur.
→ Plus ascétique que ses motets latins (disque CPO, plus expansif), je vous promets cependant de l'animation, avec ses solos de psaltérion, ses évangélistes qui fonctionnent toujours à deux voix, ses structures mouvantes qui annoncent l'esthétique des Méditations pour le Carême de Charpentier.
→ Par ailleurs, curiosité d'entendre des textes aussi composites (fragments des Évangiles mais aussi beaucoup d'Ancien Testament épars), ou encore de voir Dieu s'exprimer en empruntant les mots d'Ézéchiel et en émettant des notes très graves (mi 1 - ut 1) sur des membres de phrase entiers.
→ On y rencontre des épisodes peu représentés d'ordinaire dans les mises en musique – ainsi la rencontre d'Emmaüs, ou la Cananéenne dont la fille est possédée – écrits en entrelaçant les sources des Évangiles, des portions des livres prophétiques, les gloses du XVIIe et les chants populaires de dévolution luthériens, parfois réplique à réplique…
→ De quoi s'amuser aussi avec le contexte (je vous en touche un mot dans la notice de ma main), avec ces duels à l'épée entre maîtres de chapelle à la cour de Güstrow (le dissipé Danielis !), ou encore lorsque Pfleger écarte sèchement une demande du prince, parce que lui sert d'abord la gloire de la musique et de Dieu. (Ça pique.)
→ Et superbe réalisation, conduite élancée, voix splendides et éloquentes.
https://www.deezer.com/fr/album/213997932

10. Baroque centre-américain de première qualité, tout est ravissant et entraînant ici !
Castellanos, Durón, García de Zéspedes, Quiros, Torres – « Archivo de Guatemalá » tiré des archives de la cathédrale de la ville de Guatemalá – Pièces vocales sacrées ou instrumentales profanes – El Mundo, Richard Savino (Naxos 2021)

→ Hymnes, chansons et chaconnes très prégnants. On y entend passer beaucoup de genres et d'influences, des airs populaires plaisants du milieu du XVIIe jusqu'aux premiers échos du style de l'opéra seria (ici utilisé dans des cantiques espagnols).
→ Quadrissé.

11. Une sorte de dernier Haendel (celui du Te Deum d'Utrecht, de The Ways of Zion, du Messie…), plein de contrepoint très éloquent et généreux – mais pragois.
Brixi – Messe en ré majeur, Litanies – Hana Blažiková, Nosek Jaromír ; Hipocondria Ensemble, Jan Hádek (Supraphon 2021)
→ Alterne les chœurs d'ascèse, finement tuilés, très beau contrepoint qui fleure encore bon le contrepoint XVIIe, voire XVIe… pour déboucher sur des airs façon Messie (vraiment le langage mélodique de Haendel !).
→ Splendides voix tranchantes et pas du tout malingres, orchestre fin et engagé, Blažiková demeure toujours aussi radieuse, jusque dans les aigus de soliste bien exposés !


… j'ai dû exclure d'excellents albums, comme la symphonie de Dobrzyński sur instruments d'époque, la Ferne Geliebte de Nigl, le Winterreise pour sax, théorbe et récitant (!), et j'aurais dû le faire pour Alcione et Lasceux-Jullien, car bien que numérisés (ou simplement écoutés par moi) en 2021, ils avaient été imprimés en 2020. Écoutez tout cela également (peut-être un peu moins le Winterreise, qui est aussi déviant que vous pouvez vous le figurer), ce sont des merveilles.

Je signale aussi ces splendeurs écoutées avec ravissement, mais issues de la Radio :
¶ Verdi, Boccanegra (Gerhaher, Luisi, Operavision)
¶ Wagner, Lohengrin (Pintscher, YT)
¶ Wagner, Rheingold (Ph. Jordan, France Mu)
¶ Wagner, Parsifal en version harmonium et trois solistes (Avro)
¶ Debussy, Pelléas (Roth, France Mu)
¶ Schmitt, Salomé intégrale Altinoglu (YT Radio de Francfort)
Et deux créations contemporaines géniales qui méritent l'inscription au répertoire :
¶ Connesson, Les Bains Macabres (France Mu)
¶ Hersant, Les Éclairs (Operavision)



B. 10 interprétations majeures du grand répertoire

top 2021

Là aussi, quelques exclus dignes d'un détour (les Goldberg de Lang Lang, que je n'attendais décidément pas là, ont été republiées en Deluxe avec des compléments début 2021 mais avaient déjà été publiées au milieu de 2020) pour parvenir à cette sélection.

1. Intégrale inégale, mais les 1,2,4 et Roméo & Juliette sont absolument électrisants, et assez neufs dans leurs choix (pas du tout russes).
Tchaïkovski – Symphonies n°2,4 – Tonhalle Zürich, Paavo Järvi (Alpha 2021)
→ La Cinquième par les mêmes ne m'avait pas du tout autant ébloui qu'en salle (avec l'Orchestre de Paris) – un peu tranquillement germanique, en résumé. Hé bien, ici, c'est étourdissant. D'une précision de trait, d'une énergie démentielles !
→ On entend un petit côté « baroqueux » issu de ses Beethoven, avec la netteté des cordes et l'éclat des explosions, mais on retrouve toute la qualité de construction, en particulier dans les transitions (la grande marche harmonique du final du 2, suffocante, qui semble soulever tout l'orchestre en apesanteur !), et au surplus une énergie, une urgence absolument phénoménales.
→ Gigantesque disque. Ce qu'on peut faire de mieux, à mon sens, dans une optique germanique – mais qui ne néglige pas la puissance de la thématique folklorique, au demeurant.

2. Moi qui pensais de Mitridate qu'il s'agissait d'une très belle œuvre de jeunesse où surnageaient surtout quelques coups de génie (« Nel grave tormento » !), me voilà totalement passionné par tout ce que j'entends dans cette version.
Mozart – Mitridate – Spyres, Fuchs, Dreisig, Bénos, Devieilhe, Dubois ; Les Musiciens du Louvre, Minkowski (Erato 2021)
→ Cet enregistrement ébouriffe complètement !   Distribution exceptionnelle – en particulier Bénos, mais les autres ne sont pas en reste ! – et surtout orchestre totalement haletant, le résultat ressemble plus aux Danaïdes qu'à un seria de jeunesse de Mozart !

3. Mendelssohn sacré à un-par-partie par Bernius. Ce n'est plus de la musique, c'est de la pornographie conçue pour DLM. Et ça tient ses promesses de netteté, de tension, d'inspiration, de séduction.
Mendelssohn – Te Deum à 8, Hora Est, Ave Maria Op.23 n°2 – Kammerchor Stuttgart, Bernius (Hänssler)
→ Bernius réenregistre quelques Mendelssohn a cappella ou avec discret accompagnement d'orgue, très marqués par Bach… mais à un chanteur par partie ! Très impressionnante clarté polyphonique, et toujours les voix extraordinaires (droites, pures, nettes, mais pleinement timbrées et verbalement expressives) du Kammerchor Stuttgart.

4. Nouvelle intégrale de référence pour Schumann. Il y a tout, Gerhaher excelle particulièrement dans cet univers, et les autres chanteurs sont aussi les meilleurs de leur génération (Rubens, Lehmkuhl…). Inégalé à ce jour.
Schumann – Alle Lieder – Gerhaher, Huber, Rubens, Landshammer, Kleiter, Lehmkuhl, Mitterrutzner… (Sony 2021)
→ Magnifique somme regroupant les cycles Schumann de Gerhaher, parmi les tout meilleurs qu'on puisse entendre et/ou espérer, et permettant de tout entendre, avec bon nombre de nouveautés (tout ce qui n'avait pas été enregistré, et même une nouvelle version de Dichterliebe).
→ Verbe au cordeau, variation des textures, mordant, tension, nuances, c'est la virtuosité d'une expression construite qui impressionne toujours autant chez lui !
→ Les artistes invités, ce n'est pas n'importe qui non plus, ces dames figurent parmi les meilleures liedersängerin de leur génération (Rubens, n'est-ce pas !). Les lieder prévus pour voix de femme sont ainsi laissés aux interprètes adéquates.
→ De surcroît le livret contient des introductions, un classement clair (même une annexe par poètes !) et les textes (monolingues, certes, mais c'est toujours une base de départ confortable pour ceux qui veulent ensuite des traductions).

5. Une interprétation fulgurante de Mahler 8 – Jurowski parvient à transmettre quelque chose de la typicité russe aux timbres du LPO, et Fomina en soprano principale, quelle volupté permanente !  (Elle ne cède sur rien…)
Mahler – Symphonie n°8 – Howarth, Schwanewilms, Fomina, Selinger, Bardon, Banks, Gadd, Rose ; LPO Choir, LSO Chorus, Clare College Choir, Tiffin Boys Choir ; LPO, Jurowski (LPO Live)
→ Quel bonheur d'avoir des sopranos de la qualité de timbre de Schwanewilms et Fomina pour cette symphonie où leurs aigus sont exposés en permanence ! Barry Banks aussi, dans la terrible partie de ténor, étrange timbre pharyngé, mais séduisant et attaques nettes, d'une impeccable tenue tout au long de la soirée.
→ Par ailleurs, le mordant de Jurowski canalise merveilleusement les masses – très beaux chœurs par ailleurs.

6. Approche très différente de l'ordinaire, pour un Schubert murmuré, net, sans épanchements un peu gras, qui met la beauté à nu comme un diamant taillé perd en masse mais gagne en irisation.
Schubert – Quintette à cordes – Tetzlaff, Donderer... (Alpha 2021)
→ Couplé avec le Schwanengesang de Julian Prégardien que je n'ai pas encore écouté.
→ Lecture d'une épure assez fabuleuse : absolument pas de pathos, cordes très peu vibrées, des murmures permanents (quel trio du scherzo ! ), et bien sûr une très grande musicalité.
→ Très atypique et pudique, aux antipodes de la grandiloquence mélodique qu'on y met assez naturellement.

7. La meilleure version du Quatuor de Messiaen que j'aie entendue, tout simplement. D'une simple éloquence, exactement dans le projet, échappant aux expressions un peu solistes des versions de prestige habituelles.
Messiaen – Quatuor pour la fin du Temps – Left Coast Ensemble (Avie 2021)
→ Captation proche et très vivante, interprétation très sensible à la danse et à la couleur, une merveille où la direction de l'harmonie, le sens du discours apparaissent avec une évidence rare !
+ Rohde: One wing
Presler, Anna; Zivian, Eric
→ Très plaisante piécette violon-piano, congruente avec Messiaen, écrite par l'altiste membre de cet ensemble centré autour de San Francisco.

8. Je ne m'attendais pas à trouver ce programme de salon, pas les œuvres qui me touchent le plus, dans ma propre sélection !  Mais le choix des instruments d'époque et la finesse des interprètes magnifie totalement ce répertoire, et l'illusion d'être invité à un petit événement privé est parfaite !
Couperin (Barricades mystérieuses) // Liszt-Wagner (Liebestod) // Chopin (Prélude n°15) // Fauré (Sonate n°1, Après un rêve, Nocturne n°6) // Hahn (À Chloris)… – « Proust, le concert retrouvé » – Théotime Langlois de Swarte, Tanguy de Williencourt (HM 2021)
→ Inclut des transcriptions de mélodies. Très beaux instruments d'époque, belle ambiance de salon. Je n'ai pas eu accès à la notice pour déterminer la proportion de musicologie / d'érudition pertinente dans le propos – souvenirs trop parcellaires de la Recherche pour le faire moi-même.
→ Langlois de Swarte « chante » remarquablement À Chloris ou Après un rêve, tandis que le surlié feint de Willencourt fait des miracles dans Les Barricades Mystérieuses. La Sonate de Fauré est menée avec une fraîcheur et un idiomatisme que je ne lui connaissais pas, aussi loin que possible des exécutions larges et poisseuses de grands solistes plutôt aguerris à Brahms et aux concertos.

9. À nouveau, un opéra que je tenais pour secondaire et qui révèle un potentiel dramatique insoupçonné (le final du II !) dans cette interprétation de feu – et la fête garantie pour tous les glottophiles, vraiment du grand chant d'aujourd'hui !  (Étrangement sur un petit label au réseau de distribution limité, il n'y a vraiment pas de quoi vendre aux admirateurs de Bellini, Rebeka et Camarena, souvent des collectionneurs pourtant ?)
Bellini – Il Pirata – Rebeka, Camarena, Vassallo ; Opéra de Catane, Carminati (Prima Classics)
→ Disque électrisant, capté avec les équilibres parfaits d'un studio (ça existe, une prise de studio pour Prima Classics ?), dirigé avec beaucoup de vivacité et de franchise (Carminati est manifestement marqué par les expérimentations des chefs « musicologiques »), et magnifiquement chanté par une distribution constituée des meilleurs titulaires actuels de rôles belcantistes, grandes voix singulières et bien faites, artistes rompus au style et particulièrement expressifs.
→ Dans ces conditions, on peut réévaluer l'œuvre, qui n'est pas seulement un réservoir à airs languides sur arpèges d'accords parfaits aux cordes, mais contient aussi de superbes ensembles et de véritables élans dramatiques dont la vigueur évoque le final du II de Norma (par exemple « Parti alfine, il tempo vola »).

10. Les pièces courtes post-debussystes de Stravinski regroupées dans une très grande interprétation, suivie par une lecture très marquante du Sacre… !
Stravinski – Feu d'artifice, Scherzo fantastique, Scherzo à la Russe, Chant Funèbre, Sacre du Printemps – NHK SO, Paavo Järvi (RCA 2021)
→ Splendide version très vivante, captée avec beaucoup de relief physique, contenant quelques-uns des chefs-d'œuvre de jeunesse de Stravinski (parmi ce qu'il a écrit de mieux dans toute sa carrière, Feu d'artifice et le Scherzo fantastique…), ainsi qu'une version extrêmement charismatique et immédiatement prenante du Sacre du Printemps.
→ Järvi semble avoir tiré le meilleur de la NHK, orchestre aux couleurs peu typées (même un brin gris, ai-je trouvé en salle), mais dont la discipine et la solidité permettent ici une insolence et un aplomb absolument idéaux pour ces pages.



C. Tour d'horizon par genre

Pour information, voici les nouveaux enregistrements qui ont obtenu la cotation maximale au cours de l'année, et que je recommande donc sans réserve.

OPÉRA
Marais Alcione – Savall
Mozart – Mitridate – Minkowski
Bellini – Il Pirata – Carminati
Verdi – Boccanegra – Auguin
Heise – Drot og marsk – Schønwandt
Saint-Saëns – La Princesse jaune – Hussain
Schreker – Ferne Klang – Weigle
Lattès – Le Diable à Paris – Les Frivolités Parisiennes

RÉCITALS
Salieri & Beethoven – « In Dialogue » – Heidelberg Symphoniker
LULLY, Charpentier, Desmarest, Rameau – « Passion » – Gens, Les Surprises, Camboulas

SACRÉ
Guatemalá
Hamal, motets, Achten
Brixi, Messe en ré
Pfleger
Montigny, Grands Motets
Mendelssohn, Te Deum à 8, Bernius

LIEDER ORCHESTRAUX
Mahler 8 LPO Jurowski
Saint-Saëns – Mélodies persanes – Hussain
Wagner, Mahler, Berg – Lieder – Harteros
Fried – Die verklärte Nacht – Gardner

POÈMES SYMPHONIQUES
Udbye, Thrane, Borgstrøm… Ouvertures d'opéras norvégiens
« Beethoven, si tu nous entends » (pot-pourri / recomposition)
Stravinski – Scherzos, Sacre – NHK, P. Järvi

SYMPHONIES
Mendelssohn Dausgaard
Tchaïkovski 2 & 4 P. Järvi
Saint-Saëns Măcelaru
Miaskovski 27 V. Petrenko
Maliszewski Symphonies

QUINTETTES
Schubert Quintette Tetzlaff Donderer
Lyatoshinsky, Silvestrov, Poleva – « Ukrainian Piano Quintets » – Pivnenko, Yaropud, Suprun, Pogoretskyi, Starodub (Naxos 2021)
Stanford, membres Rundfunk-Sinfonieorchester Berlin

QUATUORS
Vieuxtemps, Élysée SQ
Rubinstein, Reinhold SQ
Messiaen Fin du Temps, Left Coast Ensemble
Saint-Saëns 1 & 2 Tchalik SQ
Haydn 76 n°1-3 Chiaroscuro SQ

TRIOS
Lazzari & Kienzl
Alnar, Tüzün, Baran, Balcı – Trios piano-cordes (turcs) – Bosphorus Trio (Naxos)

VIOLON
Proust, le concert retrouvé

GUITARE
Roncalli, intégrale par Hofstotter

HARPE
Salzedo, « Christmas Harp » (X. de Maistre)

ORGUE
Arrangements de LULLY par Jarry à l'orgue de la Chapelle Royale
Lasceux-Jullien – « Robustelly » – Jan van de Laar
Karg-Elert – Intégrale pour orgue, vol.12 : 3 Impressions, Hommage à Haendel, Partita n°1 – Steinmeyer de la Marienkirche de Landau/Pfalz, Stefan Engels (Priory 2020)
Eben, Momenti d'organo, Ludger Lohmann

PIANO
Samazeuilh, Piboule
Bach Goldberg, Lang Lang
Chopin Polonaise-Fantaisie, Eckardtstein

LIEDER, MÉLODIES
Schumann, intégrale des lieder, Gerhaher-Huber
Schumann, Frauenliebe und Leben // Brahms, lieder – Garanča (DGG)
Beethoven, Schubert, Britten …– I Wonder as I Wander – James Newby, Joseph Middleton (BIS 2020)
Biarent, Berlioz, Gounod, Bizet, Saint-Saëns, Chausson – mélodies orientales « La chanson du vent » – Clotilde van Dieren, Katsura Mizumoto
Miaskovski – « Œuvres vocales vol. 1 » : Livre Lyrique, 12 Romances d'après Lermontov, Sonate violon-piano – Barsukova, Pakhomova, Dichenko, Solovieva (Toccata Classics 2021)

CHANSONS
Sainte-Hélène, la légende napoléonienne
« Heut' ist der schönste Tag - Tenor Hits of the 1930s »



D. Hors nouveautés, les 10 disques les plus écoutés de l'année

top 2021

Nouveautés
J'ai laissé de côté les nouveautés précédemment évoquées, mais Alcione de Marais, les motets d'Hamal, les Mélodies persanes orchestrales de Saint-Saëns, les chansons de l'album Sainte-Hélène et les motets de Pfleger comptent assurément parmi les albums les plus écoutés de l'année.

Notules et répétitions
Auraient aussi pu figurer les disques énormément écoutés pour écrire des notules (cantates de Pfleger, La mort d'Abel de Kreutzer, les symphonies de B. Romberg, Cristina regina di Svezia de Foroni, Mona Lisa de Schillings, Das Schloß Dürande de Schoeck) ou pour préparer du travail en répétition (Le Déluge de Jacquet de La Guerre, Le bon Pasteur de Romagnesi, Les Diamants de la Couronne d'Auber)… Je me suis dit que c'était une motivation annexe, et surtout que les notules vous avaient déjà laissé le loisir de prendre connaissance de ces œuvres et de ces disques.

Quatuors
Beaucoup de découvertes assez fondamentale cette fin d'année en matière de quatuors, que je vous recommande vivement au passage : Schillings (CPO), Kienzl (CPO), Gade (surtout ceux en ré majeur et mi mineur, CPO vol.5), Vieuxtemps (Quatuor Élysée chez un petit label), Kabalevsky (CPO), Rubinstein (CPO)…

Et voici donc un mot sur la sélection.

1. Le cycle Graener de CPO, en particulier ce volume, et en particulier les Variations sur la chanson populaire à propos de la victoire d'Eugène de Savoie contre les Turcs. Le miroitement instrumental et la motricité irrésisible de ces variations en rendent le procédé à la fois limpide et intriguant… Pour de la griserie pure de la force de la musique, je me le passe encore et encore, des dizaines de fois cette année…
Graener – Variations orchestrales sur « Prinz Eugen » – Philharmonique de la Radio de Hanovre, W.A. Albert (CPO 2013)
→ On ne fait pas plus roboratif… mon bonbon privilégié depuis deux ans que je l'ai découvert par hasard, en remontant le fil depuis le dernier volume de la grande série CPO autour du compositeur (concertos par ailleurs tout à fait personnels et réussis).

2. Parues l'an passé, une grande version des Méditations pour le Carême, chef d'œuvre absolu du XVIIe siècle français : fragments d'Évangiles et de textes vétérotestamentaires, en petites scènes incitant à l'identification, à la réflexion… À un par partie et non en chapelle ici ; les trois chanteurs sont merveilleux.
Charpentier – Méditations pour le Carême – García, Candela, Bazola ; Guignard, Galletier, Camboulas (Ambronay 2020)
→ Avec Médée, le fameux Te Deum et le Magnificat H.76, on tient là la plus belle œuvre de Charpentier, inestimable ensemble de dix épisodes de la passion racontés en latin (et s'achevant au miroir du sacrifice d'Isaac, sans sa résolution heureuse !) par des chœurs tantôt homorythmiques tantôt contrapuntiques, et ponctués de récitatifs de personnages (diversement sympathiques) des Écritures. Merveille absolue de l'harmonie, de la prosodie et de la poésie sonore.
→ Ce que font Les Surprises est ici merveilleux, sens du texte et des textures hors du commun, d'une noirceur et d'une animation dramatique inhabituelles dans les autres versions de cette œuvre, et servi au plus suprême niveau de naturel chanté. Un des disques majeurs du patrimoine sacré français.

3. La musique de chambre d'Arnold Krug, représentant méconnu de l'école allemande.
Arnold Krug – Sextuor à cordes, Quatuor piano-cordes – Linos Ensemble (CPO 2018)
→ Sextuor lumineux et enfiévré, une merveille ! Entre le dernier quatuor de Schoeck et le Souvenir de Florence de Tchaïkovski !
→ Quatuor piano-cordes tout aussi intensément lyrique, avec quelque chose de plus farouchement vital, d'un romantisme qui ne se cache pas. Splendidement tendu, une autre merveille qui vous empoigne, tendu comme un arc dans le plus grand des sourires !
→ Une des mes grandes découvertes chambristes récentes !

4. De même pour Koessler. Je me suis biberonné à ces deux disques de chambre pendant des semaines…
Koessler – String Quintet in D Minor / String Sextet (Frankfurt String Sextet) (CPO 2007)
→ Très bien écrit ! Riche contenu d'un romantisme assumé, qui peut rivaliser avec les grands représentants de second XIXe !

5. Le rondeau final du concerto de Hummel, le thème B du premier mouvement de Dupuy, en qui l'on sent immédiatement le compositeur dramatique… ineffables moments, qui ont fait plus d'un converti au basson ces derniers mois !  Le meilleur bassonniste vivant est accompagné par le meilleur orchestre de chambre actuel dirigé par le meilleur hautboïste vivant.
Édouard Dupuy – Concerto pour basson – van Sambeek, Swedish ChbO, Ogrintchouk (BIS 2020)
→ On peut donc faire ça avec un basson ! Cette finesse (changeante) de timbre, cette netteté des piqués, cette perfection du legato, j'ai l'impression de découvrir un nouvel instrument. J'aurais aimé la Chambre de Suède un peu moins tradi de son (comme avec Dausgaard), mais je suppose que le chef russe a été formé à un Mozart plus lisse (ça ploum-ploume un peu dans les basses…).
→ Quand au Dupuy, c'est une petite merveille mélodique et dramatique qui sent encore l'influence du drame gluckiste dans ses tutti trépidants en mineur, une très grande œuvre qui se compare sans peine aux deux autres ! Le thème B du premier mouvement (d'abord introduit à l'orchestre par un duo clarinette basson), quelle émotion en soi, et quel travail de construction au sein du mouvement – l'emplacement formel, l'effet de contraste des caractères…
→ Un des disques les plus écoutés en 2020, pour ma part ! Le thème lyrique et mélismatique du premier mouvement est une splendeur rare. Et ces musiciens sont géniaux (meilleur bassoniste du monde, meilleur orchestre de chambre du monde, dirigés par le meilleur hautboïste du monde…).

6. Cette chaconne en ut, à la française, mais développé avec une science allemande, a un pouvoir incroyable – elle est en réalité reconstituée par Michael Belotti, l'un des organistes de l'intégrale. Découverte en entrant pour la première fois à Saint-Robert de la Chaise-Dieu, cet été. Ce qui suscita une vaste notule.
Pachelbel – Complete Organ Works, Vol. 2 – Essl, Belotti, J.D. Christie (CPO 2016)

7. Là aussi, peut-être est-ce ma contribution à l'entreprise, mais Raoul Barbe-Bleue mûrit en moi, et ses tubes (comme Grétry écrit toujours magnifiquement pour les basses : Guessler, Céphale, Raoul !) résonnent de plus en plus fréquemment dans mes appartements.
Grétry – Raoul Barbe-Bleue – Wåhlberg (Aparté 2019)
→ Voyez la notule.

8. Grosse crise batave, et en particulier cycle Diepenbrock, dont beaucoup d'enregistrements ont été collectés chez Etcetera au moment de l'anniversaire, pour les 150 ans de sa naissance en 2012. Au sommet, cet Hymne aan Rembrandt (par Westbroek !).
Diepenbrock – Anniversary Edition, vol.4 – Westbroek, Beinum, Haitink, Spanjaard… (Etcetera 2021)

9. Le concert débute dans quelques instants. Je croise un visage connu. « Vous savez, j'ai enfin retrouvé la trace d'une très belle symphonie postclassique, d'un certain Jakub Goła̧bek. Je vous le recommande. » Écoute le soir même. Énorme coup de cœur, écriture très vivante par un ensemble sur instruments anciens très impliqué. Et couplé avec un des miraculeux concertos pour clarinette de Karol Kurpiński, dans sa meilleure version.
Golabek, Symphonies / Kurpinski, concerto pour clarinette – Lorenzo Coppola, Orkiestra Historyczna (Institut Polonais)
→ Absolument décoiffant, des contrastes qui évoquent Beethoven dans une langue classique déjà très émancipée.

10. & 11. Deux versions merveilleuses, l'une historique et l'une moderne, les deux complètement abouties, de ce chef-d'œuvre de lyrisme plein d'élan et de finesses – pourquoi ne joue-t-on que l'aimable Maskarade ?  Je ne peux plus m'en passer.
Nielsen – Saul og David – Jensen (Danacord)
Nielsen – Saul og David – N. Järvi (Chandos)

12. Une grande personnalité musicale découverte grâce aux judicieux conseils de l'insatiable Mefistofele. (Ne cherchez pas en ligne, Hyperion ne fait pas de diffusion en flux, « gratuite » comme payante.)
Cecil Coles – Fra Giacomo, 4 Verlaine, From the Scottish Highlands, Behind the lines – Sarah Fox, Paul Whelan, BBC Scottish O (Hyperion)
→ Belle générosité (Highlands à l'élan lyrico-rythmique réjouissant, qui doit pas mal à Mendelssohn), remarquable éloquence verbale aussi dans les pièces vocales. Bijoux.

13. Certes, on est en retard en Angleterre, mais en plus de ses très beaux opéras réunissants les différents goûts européens, Macfarren a aussi commis, au milieu du XIXe siècle, des symphonies très réussies qui doivent beaucoup à Beethoven et Weber.
Macfarren – Symphonies 4 & 7 – Queensland PO , W.A. Albert (CPO)
→ Écriture qui doit encore beaucoup à Beethoven et Weber, d'un très beau sens dramatique, trépidant !
→ Orchestre un peu casserole (timbres de la petite harmonie vraiment dépareillés), mais belle écriture romantique.




En attendant que les nouveautés refleurissent après cette brève trève, ou simplement pour vous nourrir du suc du meilleur, voilà qui devrait vous tenir occupés jusqu'à la prochaine publication !  La suite des anniversaires peut-être ?  L'écrasante génération 1872 nous attend !

En 2022 nous les fêterons dignement. Veuillez donc rester vivants, s'il vous plaît.

mardi 21 décembre 2021

Cap 2022 : l'agenda de tous les spectacles que vous n'espériez pas même voir (et qui seront de toute façon pour moitié annulés)


A. L'an 2022 (quoi de beau quoi de neuf)

        ► Vous êtes heureux d'avoir survécu à 2020 ?

        ► Extatiques d'avoir eu la permission de recommencer (un peu) à vivre en 2021 ?

        ►► Préparez-vous à exploser de bonheur : voici le programme des festivités en 2022 !

    Bien plus complet que Cadences (et mieux calibré pour vos goûts que l'Offi), voici le glorieux agenda de Carnets sur sol !

    Il sera enrichi au fil des semaines, mais les grandes salles et quelques chouchoutes (Athénée, conservatoires…) ont été remplies jusqu'à la mi-mars.

    Comme je suis seul à le constituer, le relevé est bien sûr partiel et subjectif (je relève en priorité ce qui peut m'intéresser…), mais tout de même assez vaste. De quoi vous donner, je n'en doute pas, grands fous que vous êtes, des idées à travers tout Paris – et quelquefois l'Île-de-France !  (Conseils randos / patrimoine afférents sur demande.)



B. Enfant, on a tout notre temps

    Les temps restant hautement incertains (on attend dès à présent le mutant combiné avec la variole et la fièvre hémorragique de Marburg pour relancer un peu la Saison 3), le relevé s'arrête un peu avant le printemps (mais j'ai d'ores et déjà mentionné quelques dates au delà).

    Comme promis, je reviens sur le format simplifié : je le trouve beaucoup plus commode, infiniment plus rapide (d'un facteur 3 à vue de nez…), on voit plus facilement jour par jour, et à charge ensuite à chacun de reporter dans son agenda personnel le concert pour telle date donnée. Il me permet aussi de le remplir tandis que je fais mes 3 à 6 heures de transports quotidiens, contrairement au format tableau, très fastidieux à manipuler sur téléphone.
    Mais je suis bien sûr preneur de retours, s'il y a des choses à ajuster ou des besoins à satisfaire. (Ou simplement des lauriers à jeter !)

    Le contenu sera progressivement complété au fil des prochaines semaines.




    TCE bernheim
La salle Jehan Alain du CRR de Paris, très bien représenté dans cette livraison.



C. Gratuit comme le soleil, l'amour, l'amitié

    Cette fois-ci, j'ai donc court-circuité la hiérarchie des salles pour relever en priorité le plus intéressant : les programmes des conservatoires, qui disposent d'avantages multiples comme la gratuité, l'engagement des interprètes et surtout l'originalité des répertoires. Le CRR de Paris, en particulier, fait vraiment l'effort, sous l'impulsion de ses professeurs, de documenter des pans entiers du répertoire français – de violon avec Stéphanie Moraly, de tragédie en musique et opéra comique avec Stéphane Fuget / Lisandro Nesis / Isabelle Poulenard / Howard Crook, de mélodie avec Philippe Biros, de musique de chambre avec Philippe Ferro, Marie-France Giret, Pascal Le Corre et Pascal Proust… et quelquefois même de la symphonie, avec cette saison Gaubert, Ibert, Murail…
    Quant au CNSM, c'est la garantie d'un niveau équivalent à celui que l'on entend dans les grandes salles parisiennes. Gratuitement. Depuis le premier rang. Dans des répertoires qu'on n'entend pas d'habitude.

    Les conservatoires d'arrondissement ou des communes franciliennes (Versailles, Cergy, Pantin, Saint-Maur, Choisy, Palaiseau…) méritent aussi la surveillance, de belles choses inédites s'y passent régulièrement. Le plus difficile est d'être suffisamment vigilant pour tout surveiller.
  
    (Et, souvent, des soirées plus marquantes que ce qu'on peut vivre au fond d'une grande salle avec des interprètes pour qui ce type de concert représente une forme d'habitude, et dans un répertoire que nous connaissons déjà tous par cœur.)



D. L'eau coule encore dessous le Pont-Neuf

Voici donc le fichier :
http://carnetsol.fr/agendacss.txt .

Si les caractères accentués sont déformés, n'hésitez pas à le télécharger et à l'ouvrir dans un bloc-note ou éditeur de texte. (Et à le signaler si le problème persiste.)

Je mets aussi le contenu en fin de notule, pour ceux qui rencontreraient des difficultés de ce genre, mais il ne sera pas mis à jour.



E. Chanter les mêmes chansons

    La signalétique reste la même que d'ordinaire :

*** capital, immanquable
** œuvre rare (et passionnante) et/ou interprétation qui fera date
* très intéressant
¤ intéressant, mais je n'ai pas prévu d'y aller (pas assez rare / trop cher / j'aime pas les interprètes, etc.)
(( début de série
)) fin de série
AV place à vendre
? programme inconnu
yy et ww sont des symboles personnels que je n'ai pas enlevés (j'ai une place / je dois acheter une place)

Les lignes débutent soit par l'horaire, soit par un tiret, afin que vous les repériez mieux. Le format texte rend l'ensemble moins immédiat qu'un tableau, mais si vous regardez simplement les jours dont vous avez besoin, c'est à mon sens encore plus pratique.



F. Le trajet Vénus-Junon-la Terre

    Comme je relève, dans l'immensité de l'offre, essentiellement ce qui me plaît pour moi-même, je vous fournis aussi la liste de salles dont je fais en général le tour (je ne puis le faire pour toutes à chaque fois !) avant de publier l'agenda.

Institutions lyriques :
Opéra de Paris, Opéra-Comique, Châtelet, Athénée, Opéra Royal de Versailles, Massy

Institutions symphoniques :
Philharmonie, Maison de la Radio, Théâtre des Champs-Élysées, Seine Musicale, Gaveau, Invalides, Colonne, Wagram

Institutions chambristes :
Cortot, Fondation Singher-Polignac, Auditorium du Louvre, Musée d'Orsay, La Scala Paris, Espace Bernanos, Espace Ararat (fermé pour 4 ans), Bal Blomet, Guimet (Les Pianissimes)

Conservatoires :
CNSM, CRR de Paris, PSPBB, CRR de Versailles, CRR de Cergy, Conservatoires du XVIIIe, de Choisy-le-Roi, Pantin, Saint-Maur…

Salles qui programment quelques opéras :
Bouffes du Nord, Marigny, BNF, Déjazet, Herblay, Saint-Quentin-en-Yvelines

Théâtres qui programment un peu de musique :
Théâtre Grévin, La Ferme du Buisson (Noisiel), Le Figuier Blanc (Argenteuil)

Festivals (hors été) :
Philippe Maillard, Festival Marin Marais, Jeunes Talents (Archives Nationales principalement), Concerts de la rue Bayard (fini), Forum Voix Étouffées, Les Concerts de Poche, Inventio, Les Pianissimes (Guimet principalement), Baroque de Pontoise, Royaumont, ProQuartet (Paris & 77)

Églises :
Église Américaine de Paris (chambre & vocal, souvent rare), The Scots Kirk (chambre rare, fini), Saint-Merry (symphonique, chambre, musiques du monde…), La Madeleine (concerts sacrés), Billettes, Val-de-Grâce (concerts thématiques « patriotiques »)

Orgues :
Oratoire du Louvre (avec écran !), Saint-Eustache, La Trinité, Saint-Louis de la Pitié-Salpêtrière, Temple de l'Étoile, Saint-Pierre-de-Montmartre, Saint-Gervais-Saint-Protais, La Madeleine, Saint-Sulpice, Saint-Roch, Saint-Antoine-des-Quinze-Vingts, Chapelle Royale de Versailles, Houdan, Brunoy, Mantes-la-Jolie, Orgue-en-France.org

Compagnies :
La Compagnie de L'Oiseleur, Les Frivolités Parisiennes, Orchestre de Chambre de Paris, Il Festino, Ensemble Poséidon, Faenza, Les Épopées, l'Orchestre d'Éric van Lauwe, Les Talens Lyriques, La Chanson Perpétuelle, Les Monts du Reuil, Ensemble Athénaïs…

Artistes :
Dagmar Šašková, Jean-Sébastien Bou, Marc Mauillon, Gérard Théruel, Claire-Élie Tenet, Sahy Ratianarinaivo, Kaëlig Boché, Trio Zeliha, Trio Zadig, Trio Sora, Cuarteto Quiroga, Quatuor Tchalik, Quatuor Akilone, Quatuor Hanson, Quatuor Arod, Le Consort, Patrick Cohën-Akenine, Sophie de Bardonnèche, Héloïse Luzzati, Gary Hoffman, Célia Oneto-Bensaid…

Autres styles :
La Huchette (comédie musicale), Sunside (jazz), Duc des Lombards (jazz), Quai Branly (musiques du monde)

Théâtre :
Comédie-Française, Odéon, Colline, Montansier, Gérard Philippe (Saint-Denis), Les Amandiers, L'Usine, L'Apostrophe

Auteurs :
Ibsen, Maeterlinck

Ballet :
Théâtre de la Ville, Chaillot

Sources transversales complémentaires :
Cadences.fr, Offi.fr, France-Orgue.fr


    (Rien qu'écrire la liste prend une heure… d'où la nécessité pour moi d'alléger le processus et de n'effectuer qu'un relevé sur un format rapide, du moins si vous voulez en profiter un peu en amont.)




G. Tu dors, je rêve éveillé

    Pour ceux qui se demandent d'où proviennent ces titres – d'une de mes chansons préférées. Suivez le lien.

    Voici pour l'une des dernières notules industrieuses de l'année, à l'heure où vous vous gobergez déjà – ne niez pas, on m'a tout dit.

    Profitez bien, protégez-vous, survivez, et revenez au concert pour la seconde partie de saison. Nous serons là – si nous avons survécu, ou si nous ne renonçons pas à revenir de notre province.

Suite de la notule.

mercredi 17 novembre 2021

Anniversaires 2022 : suggestions discographiques et concertantes – II – de 1722 à 1772





Seconde livraison

anniversaires compositeurs année 2022 anniversaires compositeurs année 2022 anniversaires compositeurs année 2022
anniversaires compositeurs année 2022 anniversaires compositeurs année 2022 anniversaires compositeurs année 2022
Effigies de Messieurs Benda, Mondonville, Daquin,
Cartellieri, Triebensee, Louis Ferdinand de Prusse.


(Pour la démarche et la légende, vous pouvez vous reporter à la première partie (au bas de la quelle j'ai également servi cette nouvelle fournée de gourmandises.)



Né en 1722 (300 ans de la naissance)

Jiří Antonín Benda.
→ Au service de Frédéric le Grand (de Prusse) puis du duc de Saxe-Gotha, Benda (souvent indiqué Georg) a écrit, comme ses contemporains, des sonates pour violon, pour flûte, pour clavecin, des symphonies (une trentaine) et des concertos classiques (11 pour violon, et même 1 pour alto dont l'attribution semble moins certaine).
→ Cependant sa notoriété provient de ses mélodrames (Ariadne auf Naxos, Medea, Pygmalion) – au sens musical : du texte déclamé (parlé) accompagné de musique. Pouvant durer jusqu'à 50 minutes (pour Médée), ce sont de véritables scènes théâtrales très riches, avec un accompagnement qui épouse au plus près l'action sans se découper en numéros obligés comme à l'opéra.
● Selon les goûts, on peut choisir la déclamation très actuelle, un peu criée, dans le récent disque Bosch, ou privilégier (c'est mon cas) la déclamation plus élevée et consonante, plus équiibrée aussi, dans les deux volumes de Christian Benda (avec l'Orchestre de Chambre de Prague) chez Naxos.
■ Ce serait évidemment à représenter en traduction… ce qui ne pose pas du tout les mêmes problèmes de rythme que pour l'opéra, celui-ci étant laissé à l'appréciation de l'interprète !  Il suffit de traduire par des phrases environ de la même amplitude, et le tour est joué !  Je rêve d'un couplage entre Ariane ou Médée d'une part, la Cassandre de Jarrell d'autre part.

Johann Ernst Bach II. (1722–1777)
→ Élève de Johann Sebastian Bach à Leipzig (il était le fils d'un cousin au second degré de Bach, compositeur égcalement), il ne doit pas être confondu avec Johann Ernst Bach I (1683-1739), qui était le fils du frère jumeau (compositeur toujours) du père (qui, comme vous le savez, composait) de Jean-Sébastien.
→ Dans son catalogue, de la musique sacrée (cantates, oratorios, pour partie perdus) et des sonates pour clavier, d'un style encore baroque, et même assez proche, je trouve, de la génération précédente, pas du tout de l'oratorio marqué par le seria en tout cas. J'en trouve la prosodie vraiment belle.
● Il existe très peu de disques où il est présent sur plus d'une piste.
●● Quoiqu'il n'y ait que deux pièces disponibles sur le disque (consacré à la famille Bach pour orgue, par Stefano Molardi chez Brilliant Classics, sur un orgue doux, très bien capté et très bien registré), ce que j'ai trouvé de plus intéressant chez lui sont ses Fantaisie & Fugue, très marquées par le modèle de J.-S. : on entend dans celle en fa majeur l'empreinte directe des traits et harmonies de la Toccata & Fugue en ré mineur, avec une couleur globalement plus lumineuse (pas seulement liée à la tonalité majeure, c'est encore plus flagrant pour la Fantaisie & Fugue en ré mineur), et un goût pour les épisodes opposés et discontinus (comme dans les Fantaisies de Mozart, si l'on veut, quoique le style n'ait évidemment rien en commun) – j'ai pensé à Bruckner quelquefois, cette opposition soudaine entre le monumental écrasant et l'apaisé presque galant. Vraiment des pièces intéressantes, très riches, surtout les Fantaisies – les fugues ressemblent à son professeur en plus appliqué et moins surprenant.
●● L'Oratorio de la Passion (1764) gravé par Hermann Max (chez Capriccio) permet de profiter sur la longueur de ses talents de compositeur, dans un très bel environnement vocal de surcroît (Schlick, Prégardien, Varcoe…).
■ Programmable dans un de ces concerts « famille Bach » évidemment. Quant à le marketer sur son anniversaire propre, je ne suis pas sûr que je m'y risquerais (remplissage) !  Mais pourquoi pas, dans un concert 50/50 avec son prof Jean-Séb' !

Lucile Grétry.
→ Seconde fille du compositeur et de sa femme peintre, Lucile exerce à la cour de Marie-Antoinette et écrit même de petites actions « mêlées d'ariettes » (Le mariage d'Antonio ; Toinette et Louis – lequel est perdu, texte et musique).
● Je n'ai pu mettre la main sur aucun disque comportant au moins une piste de sa main.

Sebastián Ramón de Albero y Añaños.

Pierto Nardini.

John Garth.



Mort en 1772 (250 ans du décès)

Jean-Joseph Cassanéa de Mondonville.
→ Représentant majeur du grand motet à la mode Louis XV (17 écrits, 9 conservés, désormais tous enregistrés), particulièrement admiré pour son écriture très élancée et son sens du figuralisme. Les cataractes vocales et orchestrales d' « Elevaverunt flumina » dans Dominus regnavit, la marche liminaire d'In exitu Israel, la plénitude de l'immobilité gorgée de soleil d' « In sole posuit tabernaculum suum »  dans Cœli enarrant gloriam Dei… Probablement les motets les plus marquants de toute la période post-Louis XIV.
→ Aussi l'auteur d'opéras de types pastoraux (2 pastorales héroïques, 2 ballets héroïques, 1 pastorale languedocienne…) que je ne trouve, pour les trois déjà enregistrés (Isbé, Titon & L'Aurore, Les Feſtes de Paphos), pas très exaltantes (sur des livrets d'une vacuité spectaculaire, de surcroît), et d'une tragédie en musique qui n'a jamais été remontée (Thésée, 1765). Et de musique instrumentale (pour clavier, de chambre…), que je ne trouve pas très saillante non plus, mais qui est bien documentée.
● En priorité, donc, les trois motets mentionnés, dans deux disques extraordinairement interprétés : la netteté du trait chez Christie pour Dominus regnavit et In exitu Israel, la poésie des couleurs chez Coin pour Cœli enarrant gloriam Dei, les deux pourvus des meilleurs solistes possibles (Correas dans « In sole posuit » !).
■ Se couple facilement avec d'autres motets, ou au sein d'une thématique (Babylone avec Dominus regnavit ?  fuite d'Égype avec In exitu Israel ?). Facile à présenter au public en plus, en mettant en avant l'aspect immédiatement figuratif de l'écriture : parcours du peuple d'Israël, description des flots déchaînés, ce devrait parler. Et l'on peut s'appuyer sur des disques de haute réputation (le Christie est extrêmement apprécié des amateurs de baroque français, et au delà).

Louis-Claude Daquin.
→ Élève de Louis Marchand, filleul d'Élisabeth-Claude Jacquet de La Guerre, titulaire de Saint-Paul-Saint-Louis à Paris (alors qu'il était en concurrence avec Rameau), successeur de Dandrieu à la Chapelle Royale… Daquin est une figure majeure des claviers français du XVIIIe siècle.
→→ Il a ainsi livré un Premier Livre de Pièces de clavecin (qui contient le fameux Coucou, quelquefois exécuté en bis par les pianistes d'antan…) et son Nouveau Livre de noëls, qui présente 12 thèmes et variations sur les noëls traditionnels (« À la venue de Noël », « Qu'Adam fut un pauvre homme », etc.).
→→ Il existe aussi deux messes, un Te Deum, des Leçons de Ténèbres, un Miserere et une cantate, parmi les œuvres qui nous sont parvenues (un certain nombre, pour la voix ou les instruments, étaient attestées mais perdues). Je n'ai jamais vu de disques ni entendu parler d'exécution, c'est étonnant.
● Je connais mal son clavecin, dans un genre décoratif (Louis XV) qui n'a pas trop ma faveur. En revanche, pour la part la plus célèbre de son legs, à savoir les noëls, je vous recommande très vivement Adriano Falcioni (Brilliant Classics 2017) qui a l'avantage de jouer sur les flûtes et anches très françaises, particulièrement nasillardes et typées, d'un orgue de la bonne époque (Saint-Guilhem-le-Désert), remarquablement registré, et de façon assez variée selon les pièces. Un délice à recommander à tous ceux qui n'aiment pas l'orgue monumental qui joue des choses abstraites et fait du bruit, façon Bach, Franck ou Widor.
■ Je suis sûr que les organistes en glissent déjà à Noël. Mais avec sa notoriété, n'y aurait-il pas l'occasion, pour le CMBV ou les ensembles baroques, d'exhumer ses œuvres vocales sacrées ?  Il y aurait un petit bonus de remplissage grâce au public qui a connu l'époque où le Coucou et ces noëls figuraient parmi les classiques favoris.

Pierre-Claude Foucquet.
→ Une des pièces d'Armand-Louis Couperin porte son nom. Je n'ai pu trouver aucune piste musicale incluant sa musique.

Francesco Barsanti.

Johann Peter Kellner.

Georg Reutter le Jeune.



Né en 1772 (250 ans de la naissance)

Antonio Casimir Cartellieri.
→ Né à Gdańsk de parents chanteurs (une mère lettonne de langue allemande, un père italien comme vous le voyez), Cartellieri étudie à Vienne (avec Albrechtsberger et peut-être Salieri), exerce en Pologne et en Bohême (auprès du prince Lobkowicz) – il connaissait bien Beethoven, personnellement et artistiquement : il fut le chef à la première du Triple Concerto et de la Troisième Symphonie !
→→ Cartellieri est à mon sens un musicien majeur de son temps. Ses 3 concertos pour clarinette (plus un double !) sont possiblement les meilleurs de la période classique et romantique, très virtuoses mais surtout d'une générosité mélodique – et même d'un sens dramatique – qui n'ont que peu d'exemple. Et plus encore, l'intensité des affects de sa tempêtueuse Première Symphonie doit absolument être vécue !
● Au disque, on a désormais un peu de choix :
●● de superbes divertimenti pour vents, quatuors clarinette-cordes et sextuors à vent (par le merveilleux Consortium Classicum, chez CPO et chez MDG). Les Quatuors avec clarinette sont d'une délicatesse poétique absolument merveilleuse ;
●●  deux oratorios : l'un sur la Nativité (La celebre Natività del Redentore) où l'on sent aussi bien passer Mozart que Méhul et Rossini (Spering chez Capriccio), l'autre plus opératique (Gioas, re di Giuda, Gernot Schmalfuss chez MDG… avec Thomas Quasthoff !) dans un style classique augmenté de tournures plus dramatiques issues plus gluckistes / beethoviennes, sur un livret de Metastasio (qui contient notamment la version en contexte de « Io tremo » / « Ah, l'aria d'intorno », l'air dramatique italien plus tard mis en musique par Schubert, auquel une notule avait été consacrée – la version de Cartellieri évoque beaucoup le duo Anna-Ottavio sur le corps du Commandeur) ;
●● et surtout les œuvres dont je parlais précédemment : les concertos pour clarinette répartis sur deux volumes chez MDG (captés avec beaucoup de naturel comme toujours), magnifiés par la merveilleuse rondeur du démiurge Dieter Klöcker, à mon sens l'un des meilleurs clarinettistes de tous les temps
●● et surtout et les 4 symphonies par l'Evergreen Orchestra et Gernot Schmalfuss (CPO), écoutez absolument la Première.
■ Les Quatuors avec clarinette composeraient un couplage très naturel et convaincant avec le Quintette clarinette-cordes de Mozart (mais si vous voulez plutôt le coupler avec ceux de Neukomm, Hoffmeister, Baermann ou Reger, je vous autorise à ne pas jouer les Cartellieri tout de suite),
■ Les concertos pour clarinette et plus encore la Première Symphonie feraient un triomphe en salle : ils sont immédiatement accessibles et jubilatoires, en plus d'être en réalité remarquablement écrits. Un concert qui vendrait « le chef qui a créé l'Héroïque était aussi un compositeur de génie » pourrait probablement fonctionner, quitte à jouer l'Héroïque en seconde partie pour assurer « le dialogue entre les œuvres » (en réalité le remplissage, mais c'est tout à fait légitime).
■■ Il existe aussi d'autres concertos qui n'ont pas été rejoués à ma connaissance et dont les nomenclatures font saliver : flûte, cor, basson, 2 flûtes, hautbois-basson (!), hautbois-basson-cor !  Quelle fête ce pourrait être !

Josef Triebensee.
→ Passé à la postérité pour ses arrangements des opéras de Mozart en octuor à vent – particulièrement Don Giovanni et quelquefois la Clémence de Titus, les arrangements des Noces et le plus souvent de la Clemenza étant le plus souvent dûs à son contemporain Johann Went ; pour Così, c'est en général le toujours très en vie Andreas Tarkmann, génie de l'arrangement, qui est choisi. Il a également composé ses propres œuvres pour ce même ensemble de huit souffleurs : 2 hautbois, 2 clarinette, 2 bassons, 2 cors. (Et également arrangé Médée de Cherubini ou la Symphonie n°92 « Oxford » de Haydn.)
→ Conception assez traditionnelle de l'arrangement, où des instruments tiennent le rôle des solistes (hautbois, dont il jouait, pour « Deh se piacer mi vuoi », clarinette pour « Vengo, aspettate », basson pour « Là ci darem la mano », « Deh vieni alla finestra », « Del più sublime soglio » ou « Parto, ma tu ben mio », cor pour « Ah, se fosse intorno al trono »), respectant de près les accompagnements écrits par Mozart, dans un résultat de sérénade lyrique très harmonieuse. Pas aussi inventif et ravivé que Tarkmann, mais toujours très réussi.
● Beaucoup de choix parmi les disques. J'en cite quelques-uns.
●● Pour le maximum de typicité, il faut écouter l'Oslo Kammerakademi dans La Clemenza di Tito (chez LAWO), saveur incroyable des timbres (ce cor phénoménal) et vivacité éloquente du théâtre. Le disque de l'Ensemble à vent du Philharmonique de Berlin reste assez indolent (et plutôt terne de timbres, étrangement), je ne vous le recommande pas.…
●● Le disque du Linos Ensemble pour Don Giovanni (Capriccio) permet d'entendre une très large sélection, couplée de surcroît avec le final du II virtuosement rendu par l'arrangeur du XXe siècle Andreas Tarkmann. L'Octuor à vent de Zürich, autre sélection très large pour un joli disque un peu plus sèchement capté chez Tudor, utilise la fin écrite par Triebensee, beaucoup plus concise : elle relie « Già la mensa è preparata » à « Quest'è il fin di chi fa mal », et boucle le tout en trois minutes !
●● L'Octuor à vent Amphion a aussi bien enregistré des extraits de Médée que les compositions de Triebensee, évidemment un peu moins jubilatoires que les arrangements de Mozart.
■ Les orchestres qui ont la tradition d'extraire des solistes pour des soirées de chambre (soit à peu près tous les orchestres parisiens de premier plan : Opéra, Philharmonique, National, Chambre, Orchestre de Paris…) pourraient tout à fait programmer sans grand risque les arrangements de l'ami Triebensee, avec l'argument Mozart. C'est un voyage absolument délectable, une façon différente de réinvestir ces musiques très bien connues, et une démarche respectueuse, en fin de compte, des traditions d'époque.

François-Louis Perne (1772–1832).
→ D'abord choriste (1792) et contrebassiste (1799) à l'Opéra de Paris, Perne est de 1816 à 1822 directeur du Conservatoire de Paris (« inspecteur général des Études de l'École royale de musique et de déclamation »), prédécesseur immédiat de Cherubini.
→→ Il a avant tout été un chercheur et essayiste, fasciné par la musique antique et le grégorien, réalisant un certain nombre d'éditions de textes théoriques anciens (sur le rythme antique, sur le rebec…), récrivant Iphigénie en Tauride de Gluck en notation grecque, s'intéressant aux liens entre la musique, les autres arts, la société… Outre son travail d'éditeur, la majorité de ses articles ont été publiées dans le périodique de Fétis, la Revue et gazette musicale de Paris.
→ Il n'est pas certain qu'il ait beaucoup produit, et la musique qu'il laisse est surtout formelle, très marquée par les formats anciens (fugue, canon…). Ses trois messes sont écrites dans un contrepoint archaïsant, témoin de la vogue pour le retour au plain-chant grégorien et à Palestrina dans les premières décennies du XIXe siècle. Avec toutes les controverses afférentes.
● Je n'ai pu mettre la main que sur trois pistes réparties sur deux disques, le Kyrie de la Messe des solennels mineurs chez Aparté (programme passionnant de l'ensemble Gilles Binchois consacré à ce renouveau XIXe du plain-chant, à faux-bourdon), et Sanctus & Agnus Dei non crédités en complément du disque Boëly de Ménissier dans la collection « Tempéraments » de Radio-France. On y entend pour l'un la simplicité archaïsante, pour l'autre la maîtrise contrapuntique de cette écriture. Rien de particulièrement saillant en soi, mais la démarche me paraît tout à fait fascinante, un écho à l'épopée de Félix Danjou – le disque de Ménissier est d'ailleurs le seul à ma connaissance où l'on puisse aussi entendre sa musique !
■ Je doute que l'on puisse faire entendre ce type de programme et fédérer un public nombreux (Niquet a bien joué ce type de pièces rétro, mais c'était avec des noms comme Gounod et Saint-Saëns !)… à moins d'en faire un concert narratif « Les Aventuriens du grégorien perdu », « La bataille de Paris » ou « Quand les femmes furent bannies des églises ». Ce serait assez réjouissant à entendre narrer. (S'il faut quelqu'un pour écrire le texte à titre gracieux, je suis là.)

Prince Louis Ferdinand de Prusse.
→ Neveu de Frédéric le Grand, il est avant tout soldat (et meurt au front), mais aussi un pianiste considéré de grande valeur. C'est pour lui que Rejcha écrit son monumental L'Art de varier, très vaste cycle (il se trouve au disque, mais je ne trouve vraiment pas que ce soit le sommet de l'art du compositeur… je vous recommanderais plutôt le Quatuor scientifique, pensé dans une démarche toute différente) ; c'est aussi le dédicataire du Troisième Concerto de Beethoven !
● On trouve au disque de la musique de chambre (octuor, trios piano-cordes, quatuor avec piano…) et des rondos pour piano et orchestre : autour de Horst Göbel (et son trio) chez Thorofon (trois volumes), du Trio parnassus pour SWR Music (parution uniquement en dématérialisé) et le Valentin piano Quartet chez Musicaphon. L'Octuor se défend joliment, mais quelle que soit l'œuvre, on demeure dans la convention du temps ; non pas que ce soit plat, mais on y rencontre assez peu de surprise et d'éclat, pas de thèmes très marquants non plus.
■ Pourquoi pas oser un concert consacré aux têtes couronnées compositrices… mais, à la vérité, j'aimerais mieux qu'on programme d'abord de la grande musique oubliée.

Johann Wilhelm Wilms (1772–1847).

Thomas Byström.

Maria Frances Parke (1772–1822). Comme Campanus, c'est aussi son double anniversaire cette année !




Voici pour cette livraison… Vous voyez combien non seulement on trouve énormément de choses au disque, même de ces figures semi-obscures ; mais de surcroît combien il ne serait pas si malcommode de glisser un petit Cartellieri, ou de bien remplir avec Mondonville ou les arrangements de Triebensee (petit format qui coûte moins cher de surcroît). Messieurs les programmateurs, il ne tient qu'à vous de nous égayer – et de nous éveiller au vaste monde au delà de l'horizon, certes pourvu des plus belles montagnes, du démiurge Beethoven.

Je ne m'attarde pas ici. Quelques très grandes figures, célèbres ou vraiment plus du tout au répertoire, nous attendent pour la prochaine livraison – la septième va vous étonner !

dimanche 7 novembre 2021

Anniversaires 2022 : suggestions discographiques et concertantes – I – de 1222 à 1672


2022


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(Pseudo) portrait de Franchinus Gaffurius (par Léonard), puis portraits de Claude Goudimel, Ercole Bernabei,
Denis Gaultier, Heinrich Schütz, Georg Caspar Schürmann,
Antoine Forqueray, Johann Kuhnau, Jan Adam Reincken.




Lettre ouverte

Chers programmateurs,

Veuillez trouver ci-après une liste sélective de quelques compositeurs que vous pourriez mettre en avant pour l'année à venir, en profitant de leurs anniversaires de vie et de mort.

Ne vous privez surtout pas de piller toutes idées à votre gré dans cette liste. 




Éthique de l'anniversaire

Je commence tout de suite par me disculper : je ne suis pas favorable au principe de l'anniversaire.

Dans l'idéal, on  devrait jouer les œuvres qui valent par leurs qualités intrinsèques ou qui entrent dans un dialogue cohérent avec d'autres, documentent des périodes ou des genres… pas les choisir parce que leur compositeur est né il y a deux cents ans (quel choix particulièrement arbitraire, extra-musical, et sans aucune plus-value !), était noir, était femme – dans ces deux cas, le volontarisme permet cependant d'exhumer des fonds qui restent autrement négligés –, était cycliste du dimanche amoureux des platanes ou champion régional du point-de-croix.

L'autre réserve tient à une simple question statistique : le génie n'est pas obligatoirement réparti de façon égale selon les dates. Cela signifie qu'on ne jouera peut-être pas tel compositeur de grand talent parce qu'il est mort une année trop riche, et qu'on jouera tel autre un peu moins intéressant parce que néà une date moins faste…
J'avoue que cette pensée me gêne toujours assez fortement – me dire que notre connaissance du répertoire est bridée ou déformée par des contraintes externes que nous nous imposons, sans grand lien avec la musique elle-même.

Pour autant je ne suis pas tout à fait naïf : pour remplir des salles et vendre des disques (ce qui, même hors de l'argument économique, reste le but de tout concert : être entendu !), avec des compositeurs moins célèbres, il faut bien raconter quelque chose.

Idéalement, un véritable récit (le concert des Lunaisiens hier proposait « comment la chanson a-t-elle nourri la légende napoléonienne ? »), quelque chose qui ait rapport avec la musique, soit par son programme (les représentations de la nature et de l'industrie dans la musique, on pourrait jouer du Knecht, du Mariotte et du Meisel ; ou les contes de Perrault & Grimm ?), soit concernant la musique elle-même – je rêve d'un cycle de concerts épousant le principe d' « Une décennie, un disque », permettant un parcours express de l'histoire de la musique dans un genre donné (le quatuor à cordes viennois, la musique a cappella russe, la tragédie en musique française ou que sais-je…). J'avais fait quelques suggestions dans cette notule.

Même si ce n'est pas l'angle le plus intéressant (ni, assurément, le plus inventif !), l'anniversaire reste un outil qui fonctionne. Notre espèce semble sensible aux symboles de la récursivité du temps, et les pratiques de fêtes à date fixe, de décompte des ans, quel que soit le sujet, paraissent partagées par la plupart des cultures et sur des sujets aussi différents que les créations d'entreprise ou les batailles du temps jadis.

Aussi, je m'y glisse pour suggérer par ce truchement ●quelques idées d'écoutes● aux mélomanes – et qui sait, ■quelques idées de répertoiremarketing inclusaux artistes. En vert les compositeurs que je présente (je suis obligé de faire des choix, il va sans dire !), en rouge ceux qui me paraissent fortement indiqués pour cette année 2022. Les grandes salles ont bouclé leur saison 2022 depuis fort longtemps, mais les petits ensembles itinérants ont peut-être encore un peu d'espace pour glisser un peu de Goudimel, de Certon, de Reincken ou de Perne.



L'an 2022

En relevant 250 noms à partir des centenaires et cinquantenaires de naissance et de décès, je croise quelques très grands noms très bien documentés (Schütz, Franck, Scriabine, Ralph Vaughan Williams…), mais pas de superstar susceptible de toucher le grand public comme Bach-Vivaldi-Mozart-Beethoven-Chopin-Liszt-Brahms-Ravel.

Aussi, il est probable que tout le monde laisse un peu tomber l'idée de l'anniversaire, celui-ci volant en général au secours de la victoire et servant à programmer et vendre encore plus de symphonies de Beethoven (et même pas de ses mélodies irlandaises, ni même de ses sonates avec violoncelle…).
À moins que ces brigands ne tentent l'astuce de compter en quarts de siècle, pour les 125 ans de la mort de Brahms,  les 175 de celle de Mendelssohn ou les 225 de la naissance de Schubert et Donizetti !

La voie étant donc à peu près libre, voici ma sélection (évidemment très incomplète) de compositeurs dont on pourra fêter un anniversaire en 100 ou 50. (Je commence bien sûr, chaque année, par les morts, puisqu'ils sont plus âgés par définition que ceux qui y naissent.) Je tâche de préciser un peu qui ils sont, quels disques écouter, quelles œuvres programmer.

Quoi qu'il en soit, qu'on se rassure : à la Philharmonie de Paris on fêtera bel et bien les 162 ans de la naissance de Gustav Mahler !




Mort en 1222 (800 ans du décès)

Heinrich von Morungen.
→ Auteur et compositeur de Minnelieder. Il sera un peu difficile de lui rendre justice : si les textes subsistent partiellement dans le Codex Manesse, toutes les mélodies ont été perdues. (Un objectif pour musicologue / arrangeur / compositeur contemporain ?)  Certes, sa faible notoriété dans le grand public rendra le concept invendable, mais fêter le plus vieil anniversaire de l'année, quel panache !



Mort en 1272 (750 ans du décès)

Jehan Bretel.

Gautier d'Épinal (1272 est en réalité la date à laquelle on sait qu'il était déjà mort).



Mort en 1372 (650 ans du décès)

Lorenzo da Firenze (peut-être mort en 1373).



Né en 1372 (650 ans de la naissance)

Johannes Cuvelier (aussi connu sous le nom de Jacquemart le Cuvelier, date de naissance approximative)



Mort en 1422 (600 ans du décès)

Henry V d'Angleterre.



Mort en 1522 (500 ans du décès)

Jean Mouton (ou Jehan Mouton – Jean de Hollingue de son vrai nom).
→ Ami de Josquin, compositeur également de grandes pièces sacrées. Sa renommée est telle qu'il est régulièrement cité par les auteurs du temps – jusque dans le prologue du Quart Livre de Rabelais !  Il a pour lui une fluidité très particulière, un sens de la consonance verticale en même temps que de la polyphonie qui le rendent particulièrement marquant – à mon sens.
→ À ne pas confondre avec Charles Mouton, luthiste important du XVIIe siècle.
● Fabuleux disque (motets et Messe Dictes moy toutes voz pensées), très organique, des Tallis Scholars (Gimell 2012), très loin de leurs approches autrefois plus désincarnées – basses rugissantes, contre-ténors caressants, entrées nettes, texte bien mis en valeur.
■ Comme pour Goudimel ci-après, plutôt destiné aux ensembles spécialistes, qu'on aimerait beaucoup entendre s'emparer de ce répertoire !  (Organum, Doulce Mémoire, Les Meslanges…)

Franchinus Gaffurius.
→ Compositeur, mais avant tout théoricien.



Mort en 1572 (450 ans du décès)

Claude Goudimel
.
→ Grand compositeur de Psaumes dans leur traduction française, à l'intention des Réformés. Dans une langue musicale simple, plutôt homorythmique, très dépouillée et poétique.
● Au disque, une version un peu fruste chez Naxos. La lecture de Corboz en revanche, pour chœur de chambre assez fourni, a très bien résisté au temps et permet de saisir les beautés de verbe et d'harmonie de la chose. (Couplé avec sa messe, très intéressante également.)
■ Au concert, un ensemble spécialiste pourrait coupler quelques Psaumes (ou toute messe) avec du Janequin ou du Josquin plus couramment programmés. (Mais même un chœur traditionnel pourrait très bien s'en charger. Sans doute pas trop difficile à mettre en place, et très immédiatement beau.)

Pierre Certon.
→ Auteur de chansons.
● Le disque de la Boston Camerata a un peu vieilli, mais permet de bénéficier de l'une des rares monographies.
■ Plus difficile à intégrer dans des programmes hors ensemble spécialiste qui ferait un programme de chansons Renaissance. Mais l'occasion pour eux de le faire !

Robert Parsons.

Christopher Tye.

Francisco Leontaritis (grec).



Né en 1572 (450 ans de la naissance)

Robert Ballard II (possiblement né en 1575).
→ De la dynastie qui des fameux éditeurs, Robert Ballard laisse une œuvre considérable pour le luth – à la vérité, mon corpus préféré ! –, remarquable par sa prégnance mélodique. Il faut dire que ses Suites contiennent surtout des airs de ballets transcrits (chants des ballets des contre-faits d'amour, ou des Insencez, ou encore de M. le Daufin), des courantes, des gaillardes, bransles de la cornemuse et bransles de village, pièces moins formelles que ce qui prévaut à l'ère Louis XIV…
● Formidable disque de Richard Kolb chez Centaur, très éloquent, capté de près sans réverbération parasite. Sélection de pièces de premier choix.
■ On peut espérer que les luthistes s'empareront de cette occasion pour diversifier leur répertoire !

Thomas Tomkins.

Melchior Borchgrevinck.

Johannes Vodnianus Campanus (dont c'est le double anniversaire, étant mort en 1622 !).

Moritz von Hessen-Kassel.

Edward Johnson.

Erasmus Widmann.

Daniel Bacheler.

Martin Peerson (peut-être le même que Martin Pearson).

Girolamo Conversi (date approximative de naissance).




Mort en 1622 (400 ans du décès)

Alfonso Fontanelli.

Giovanni Paolo Cima.

William Leighton.

Scipione Stella.

Giovanni Battista Grillo.

Johannes Vodnianus Campanus.

Salvatore Sacco.



Né en 1622 (400 ans de la naissance)

Ercole Bernabei.

Gaspar de Verlit.

Alba Trissina.

Jacques Lacquemant (DuBuisson, date approximative).



Mort en 1672 (350 ans du décès)

Orazio Benevolo (ou Benevoli).
→ Fils de Robert Bénevot, pâtissier français installé à Rome, il fréquente Saint-Louis-des-Français et finit par composer pour la Cappella Giulia (pour les offices publics de Saint-Pierre, par opposition à Cappella Sistina pour les offices privés du pape). Il pratique couramment les motets et messes à multiples chœurs et nombreuses voix réelles – l'un de ses Magnificat atteint ainsi 16 voix réparties dans quatre chœurs (qui étaient spatialisés, manière de pimenter le chose). De même pour la Messe « Si Deus pro nobis ».
→ Ce n'est pas nécessairement le compositeur polychoral que j'aime le plus – Legrenzi, Beretta, Merula et plus tard D. Scarlatti ont produit des œuvres plus immédiatements éloquentes et mélodiques –, mais ce serait l'occasion de l'exhumer un peu. Ou de le panacher, comme avait fait Daucé pour ses concerts et son disque autour des motets & messes à quatrechœurs.
● Essentiellement trois disques monographiques à ma connaissance : les deux Niquet (Missa Azzolina, Dixit Dominus et Magnificat chez Naxos ; puis Magnificat et la grande Missa « Si Deus pro nobis » chez Alpha), le second étant mieux capté et plus organiquement exécuté, avec de très belles voix de véritables solistes (Boudet, Wattiez, Marcq, Favier…). Et un disque de Cappella Musicale di Santa Maria in Campitelli di Roma dirigée par Vincenzo di Betta (chez Tactus), consacré à la Messe « In angustia pestilentiæ » (messe des tourments de la peste !), intéressant dans son propos, mais un peu laborieusement exécutée (voix pas toujours belles, captation pas très claire, rythmes très rectilignes comme si l'on jouait de la musique du XVe…).
■ Pas évident à remonter vu les forces en présence, mais un peu de neuf ne serait pas de refus. Pourquoi pas un petit programme sur les Messes polychorales, à spatialiser à la Philharmonie ou dans une prestigieuse église de l'hypercentre parisien ?  À tisser avec d'autres compositeurs plus fascinants (Legrenzi !), voire avec du contemporain (ou du Nono…), il faudrait juste le vendre comme l'événement vocal spatialisé du moment, chanté dans la pénombre, quelque chose qui fasse ressortir l'expérience sensorielle (de fait saisissante).
 
Denis Gaultier.
→ Cousin parisien d'Ennemond Gaultier de Lyon (qui était souvent appelé Vieux-Gaultier), il est lui aussi luthiste, et leurs partitions étaient parfois publiées avec le seul nom de famille, ce qui a mené à bien des confusions dans les attributions, même de leur vivant. Autant j'aime beaucoup Ennemond (et ses contemporains Gallot, Dufaut, Ch. Mouton…), autant je n'ai pas été très ému de ce que j'ai entendu de Denis.
● Très belle monographie de Hopkinson Smith, toujours engagé et poétique, même si le matériau ne me convainc pas ici.
■ Aisé à inclure dans un récital de luth solo, à supposer qu'on en fasse beaucoup, ou dans un intermède instrumental de concert baroque – si toutefois les interprètes veulent bien condescendre à laisser de côté Kapsberger, Piccinini et Bach… Pas du tout urgent à réentendre, à mon sens, comme Robert Ballard II (ou les autres noms cités).

Jacques Champion de Chambonnières.
→ Grand représentant du style Louis XIII de la suite pour clavecin, en quelque sorte le grand ancêtre de toutes les superstars louisquartoziennes. Le style en reste un peu rigide et sévère.
→ Outre les danses auxquelles on est acoutumé (allemandes, courantes, sarabandes, gigues), on y rencontre une gaillarde et deux pavanes !  Intéressant pour sa généalogie plus que pour sa musique – on est souvent frappé de la pauvreté du langage de la musique instrumentale du règne de Louis XIII.
● Kenneth Gilbert chez Orion a vieilli (et n'existe qu'en volumes séparés, difficiles à trouver), je recommande donc le double disque de Franz Silvestri, de très bonne facture et bien capté, chez Brilliant Classics.
■ Pour débuter en douceur un récital de clavecin français, en le replaçant dans sa généalogie ?

Heinrich Schütz.
→ L'un des quelques grands noms de cette année, mais comme les autres, sans doute insuffisamment starisé pour remplir sans un peu d'effort les salles de spectacle. Il est l'auteur du premier opéra en allemand, Dafne (1627), perdu, comme à peu près tout son legs profane, hormis ses madrigaux (très italianisants, mais plutôt dans le sens de la joliesse un peu plate que de la richesse chromatique) et quelques airs.
→ De nombreux motets subsistent, ainsi que plusieurs Passion. Son style s'étend de la monodie néo-grégorienne (Passion selon Matthieu !) et la modalité post-Renaissance (où l'harmonie n'est que le produit quasiment accidentel de la polyphonie) jusqu'à la rhétorique baroque, certes encore polyphonique, mais davantage fondée sur la progression verbale et harmonique.
● Dans l'immensité de son œuvre, entièrement (et plusieurs fois) enregistrée, deux propositions.
●● Le Musikalische Exequien, son chef-d'œuvre à mon sens, suite de tuilages d'une densité admirable, et d'une poésie intense, vraiment à cheval entre le monde de Lassus et celui de Buxtehude (avec un aspect plus avenant que les deux, façon Louis Le Prince plutôt que Frémart ou Formé…). Kuijken (chez Accent), en tout petit comité, est une merveille absolue. Mais les American Bach Soloists, Rademann, Akadêmia-Lasserre sont remarquables, Vox Luminis, Laplénie, Corboz, l'Asfelder Vocal Ensemble (Naxos) s'écoutent très bien. Herreweghe et The Sixteen m'ont déçu à la réécoute, une certaine mollesse tout de même par rapport à la tenue de la concurrence !
●● Côté Passion, je suis surtout familier de celle selon Matthieu, enregistrée avec des options très diverses (j'ai dû à peu près toutes les écouter). L'Ars Nova Copenhagen (København) chez Da Capo est la plus finement pensée et réalisée, au cordeau, pleine de vérité verbale et d'atmosphères. Celle de l'Opéra de Stuttgart (Kurz), parue chez divers labels économiques (Classica Licorne, Bella Musica…) offre un Évangéliste assez extraordinaire de moelleux et de présence, dans une acoustique sèche très troublante, comme extirpé de l'atmosphère terrestre.
■ On ne fera pas venir les foules avec un programme tout Schütz, musique assez exigeante – bien que la Philharmonie ait déjà proposé un programme scénique autour de Lassus, assez bien rempli d'ailleurs ! –, mais la demi-heure de l'Exequien ferait du bien auprès de motets de Bach, par exemple. Même les ensembles amateurs pourraient oser des choses. (Et les Passion, très nues, pourraient quasiment être programmées par les paroisses avec les moyens du bord.)

Nicolaus Hasse (pas le compositeur de seria !).



Né en 1672 (350 ans de la naissance)

Georg Caspar Schürmann (ou 1673).
→ Compositeur de Basse-Saxe et de Thuringe, auteur de plusieurs opéras en langue allemande et de quantité de musique sacrée.
● On trouve Die getreue Alceste chez CPO, du seria écrit comme de la cantate sacrée à l'allemande, augmentée de quelques chœurs dans le style français. J'aime bien davantage ses cantates (par les Bremen Weser-Renaissance, chez CPO à nouveau), dans une esthétique proche de Bach, et surtout sa Suite tirée de l'opéra Ludovicus Piùs, écrite dans un goût haendelien, mais avec une charpente musicale encore plus ambitieuse, pour un résultat assez jubilatoire et très nourrissant (Akademie für alte Musik Berlin chez Harmonia Mundi) !
■ Encore beaucoup de choses à découvrir, mais les ensembles baroques pourraient au moins glisser une petite cantate dans leurs programmes Bach : ça ne ferait pas un contraste très violent, et permettrait de voir un peu ailleurs. (J'aime davantage que la plupart des cantates de Bach, pour ma part, mais je ne dois certainement pas servir de mètre-étalon en la matière !)

Antoine Forqueray
.
→ Grand gambiste de son temps, considéré par Daquin comme l'égal de Marais. Son œuvre nous est parvenue par une double publication de son fils : comme pièces de violes et comme transcriptions pour clavecin – possiblement avec des ajouts voire quelques compositions de sa main.
→ Sa vie (et celle de sa famille) fut assez animée : sa femme, claveciniste, avait porté plainte à de multiples reprises pour violences conjugales, et lancé une procédure pour vivre hors du domicile, tandis que lui finit par l'accuser publiquement d'adultère… et par faire emprisonner leur fils à la prison de Bicêtre – qui en est libéré faute de fondement à la requête paternelle. Bref, un autre sale type qui compose, on a l'habitude – coucou Jean-Baptiste, coucou Richard.
● Grand classique, on croule sous les propositions des meilleurs interprètes.
●● À la viole de gambe, Vittorio Ghielmi chez Passacaille (très français, très engagé), Pandolfo & Friends chez Glossa (intégrale ; grande variété de textures et de couleurs), Ben-David & Baucher chez Alpha (très enrichi, sans aucune lourdeur, un véritable sens stylsitique, couplé avec du Couperin très réussi), Lucile Boulanger…  [Duftschmidt est un cran en-dessous, et Mattila (chez Alba) assez sec, je n'ai pas trop aimé.]
●● Au clavecin, Le Gaillard (superbe équilibre, altier, chantant et âpre, mais publié chez Mandala et donc introuvable), Rannou (captée de trop près, très orné et un peu arrangé, toujours d'une invraisemblable richesse), Borgstede chez Brilliant (riche son comme toujours, un peu régulier peut-être), Leonhardt, Beauséjour chez Naxos, Taylor chez Alpha…
■ Une mission pour le Festival Marin Marais et quelques concerts Philippe Maillard ?  Ou d'ensembles chambristes épars, d'ailleurs.

Francesco Mancini.



Mort en 1722 (300 ans du décès)

Johann Kuhnau.
→ Romancier, traducteur, juriste, théoricien de la musique et surtout compositeur, Kuhnau fut formé à Dresde puis à Leipzig, où il occupe le poste de Thomaskantor comme prédécesseur de Bach. Musique sacrée évidemment, mais aussi musique pour les claviers, et même des opéras – hélas je ne sache pas qu'aucun d'entre eux ait jamais été capté.
→ Ses cantates sont écrites dans le goût du temps, avec un véritable savoir-faire, et des sonorités parfois plus archaïsantes, mêlant un peu de Monteverdi (l'harmonie) et Purcell (le type de virtuosité vocale) à ses autres aspects davantage Buxtehude et Haendel.On y rencontre aussi de très beaux ensembles dans le goût de Steffani et Pfleger.
→ Son bijou le plus singulier réside dans ses étonnantes Sonates bibliques, qui évoquent à l'orgue seul, en plusieurs mouvements comme une cantate, des épisodes épiques de l'Ancien Testament : « Combat de David & Goliath », « Saül mélancolique et apaisé par le truchement de la Musique », « Ézéchias agonisant et revenu à la santé », « La tombe de Jacob »… Épisodes très animés, mélodiques et débordant de vie – ces longues réjouissances à la fin de la sonate de David !
● Il existe une intégrale des œuvres sacrées chantées chez CPO (Opella Musica & Camerata Lipsiensis, avec des couleurs particulièrement douces et chaudes) et une intégrale de l'orgue chez Brilliant Classics (Stefano Molardi, sur un bel orgue bien capté et très bien registré).

Jan Adam Reincken (ou Johann) (ou Reinken).
→ Clavériste et gambiste, cofondateur de l'Opéra de Hambourg (petite enclave où l'on jouait non seulement de l'opéra allemand, mais même multilingue !), c'est un grand représentant du stylus phantasticus en vogue au Nord de l'Allemagne – même si, à l'écoute de l'auditeur d'aujourd'hui, on est surtout frappé par la concentration formelle et harmonique de ses œuvres, où l'abstraction et l'exigence l'emportent plutôt sur les traits virtuoses ou figuratifs (qui ne sont certes pas absents de son œuvre).
→ En 1705, Bach fait le voyage à Hambourg pour l'entendre, et manifeste son admiration ; il est considéré comme l'une de ses influences importantes.
● Si vous le trouvez, le disque de Clément Geoffroy (chez L'Encelade) est une merveille d'intelligence discursive. À défaut, on trouve facilement l'intégrale de Simone Stella (clavecin et orgue, en séparé chez OnClassical puis réédité en coffret chez Brilliant Classics)). Je n'ai écouté que la partie clavecin, sur un instrument pas très beau et capté d'un peu trop près. Autre œuvre importante : Hortus musicus, des sonates pour 2 violons, viole de gambe et clavecin qui se trouve en diverses versions.
■ Là aussi, assez aisé pour les solistes (ou les chambristes baroques) d'en glisser un peu lors d'un concert. La densité et le caractère peu souriant de l'ensemble ne plaident pas nécessairement pour un concert tout-Reincken (j'ai déjà testé, le fonds est suffisamment varié pour s'y prêter très bien), mais en panachant avec du Bach à la sauce phantastica, l'astuce est toute trouvée.

Francesc Guerau (ou 1717).

Ruggiero Fedeli.

Jean-Conrad Baustetter.

Maria Frances Parke.




… le temps passé à rédiger les notices étant assez considérable… je vous donne donc rendez-vous pour la suite de la liste, jusqu'en 1972, pour les prochaines livraisons, que je tâche de réaliser au plus tôt !
Le temps aussi pour vous, studieux lecteurs, de commencer à écluser les univers qui se déversent incontinent sur vous.

Nous ferons ensuite, si vous le voulez bien, un petit bilan de la moisson – ce que ça révèle (aléatoirement, comme soulevé précédemment…) des pans enfouis de l'histoire de la musique, et ce qu'on peut peut-être en tirer pour une programmation 2022.

À très bientôt, estimés lecteurs. Puissiez-vous, dans l'intervalle, survivre aux frimas, aux covidages nouveaux et aux remugles vichyssois fantaisistes. Le slalom, c'est la santé.





Seconde livraison

anniversaires compositeurs année 2022 anniversaires compositeurs année 2022 anniversaires compositeurs année 2022
anniversaires compositeurs année 2022 anniversaires compositeurs année 2022 anniversaires compositeurs année 2022
Effigies de Messieurs Benda, Mondonville, Daquin,
Cartellieri, Triebensee, Louis Ferdinand de Prusse.




Né en 1722 (300 ans de la naissance)

Jiří Antonín Benda.
→ Au service de Frédéric le Grand (de Prusse) puis du duc de Saxe-Gotha, Benda (souvent indiqué Georg) a écrit, comme ses contemporains, des sonates pour violon, pour flûte, pour clavecin, des symphonies (une trentaine) et des concertos classiques (11 pour violon, et même 1 pour alto dont l'attribution semble moins certaine).
→ Cependant sa notoriété provient de ses mélodrames (Ariadne auf Naxos, Medea, Pygmalion) – au sens musical : du texte déclamé (parlé) accompagné de musique. Pouvant durer jusqu'à 50 minutes (pour Médée), ce sont de véritables scènes théâtrales très riches, avec un accompagnement qui épouse au plus près l'action sans se découper en numéros obligés comme à l'opéra.
● Selon les goûts, on peut choisir la déclamation très actuelle, un peu criée, dans le récent disque Bosch, ou privilégier (c'est mon cas) la déclamation plus élevée et consonante, plus équiibrée aussi, dans les deux volumes de Christian Benda (avec l'Orchestre de Chambre de Prague) chez Naxos.
■ Ce serait évidemment à représenter en traduction… ce qui ne pose pas du tout les mêmes problèmes de rythme que pour l'opéra, celui-ci étant laissé à l'appréciation de l'interprète !  Il suffit de traduire par des phrases environ de la même amplitude, et le tour est joué !  Je rêve d'un couplage entre Ariane ou Médée d'une part, la Cassandre de Jarrell d'autre part.

Johann Ernst Bach II. (1722–1777)
→ Élève de Johann Sebastian Bach à Leipzig (il était le fils d'un cousin au second degré de Bach, compositeur égcalement), il ne doit pas être confondu avec Johann Ernst Bach I (1683-1739), qui était le fils du frère jumeau (compositeur toujours) du père (qui, comme vous le savez, composait) de Jean-Sébastien.
→ Dans son catalogue, de la musique sacrée (cantates, oratorios, pour partie perdus) et des sonates pour clavier, d'un style encore baroque, et même assez proche, je trouve, de la génération précédente, pas du tout de l'oratorio marqué par le seria en tout cas. J'en trouve la prosodie vraiment belle.
● Il existe très peu de disques où il est présent sur plus d'une piste.
●● Quoiqu'il n'y ait que deux pièces disponibles sur le disque (consacré à la famille Bach pour orgue, par Stefano Molardi chez Brilliant Classics, sur un orgue doux, très bien capté et très bien registré), ce que j'ai trouvé de plus intéressant chez lui sont ses Fantaisie & Fugue, très marquées par le modèle de J.-S. : on entend dans celle en fa majeur l'empreinte directe des traits et harmonies de la Toccata & Fugue en ré mineur, avec une couleur globalement plus lumineuse (pas seulement liée à la tonalité majeure, c'est encore plus flagrant pour la Fantaisie & Fugue en ré mineur), et un goût pour les épisodes opposés et discontinus (comme dans les Fantaisies de Mozart, si l'on veut, quoique le style n'ait évidemment rien en commun) – j'ai pensé à Bruckner quelquefois, cette opposition soudaine entre le monumental écrasant et l'apaisé presque galant. Vraiment des pièces intéressantes, très riches, surtout les Fantaisies – les fugues ressemblent à son professeur en plus appliqué et moins surprenant.
●● L'Oratorio de la Passion (1764) gravé par Hermann Max (chez Capriccio) permet de profiter sur la longueur de ses talents de compositeur, dans un très bel environnement vocal de surcroît (Schlick, Prégardien, Varcoe…).
■ Programmable dans un de ces concerts « famille Bach » évidemment. Quant à le marketer sur son anniversaire propre, je ne suis pas sûr que je m'y risquerais (remplissage) !  Mais pourquoi pas, dans un concert 50/50 avec son prof Jean-Séb' !

Lucile Grétry.
→ Seconde fille du compositeur et de sa femme peintre, Lucile exerce à la cour de Marie-Antoinette et écrit même de petites actions « mêlées d'ariettes » (Le mariage d'Antonio ; Toinette et Louis – lequel est perdu, texte et musique).
● Je n'ai pu mettre la main sur aucun disque comportant au moins une piste de sa main.

Sebastián Ramón de Albero y Añaños.

Pierto Nardini.

John Garth.



Mort en 1772 (250 ans du décès)

Jean-Joseph Cassanéa de Mondonville.
→ Représentant majeur du grand motet à la mode Louis XV (17 écrits, 9 conservés, désormais tous enregistrés), particulièrement admiré pour son écriture très élancée et son sens du figuralisme. Les cataractes vocales et orchestrales d' « Elevaverunt flumina » dans Dominus regnavit, la marche liminaire d'In exitu Israel, la plénitude de l'immobilité gorgée de soleil d' « In sole posuit tabernaculum suum »  dans Cœli enarrant gloriam Dei… Probablement les motets les plus marquants de toute la période post-Louis XIV.
→ Aussi l'auteur d'opéras de types pastoraux (2 pastorales héroïques, 2 ballets héroïques, 1 pastorale languedocienne…) que je ne trouve, pour les trois déjà enregistrés (Isbé, Titon & L'Aurore, Les Feſtes de Paphos), pas très exaltantes (sur des livrets d'une vacuité spectaculaire, de surcroît), et d'une tragédie en musique qui n'a jamais été remontée (Thésée, 1765). Et de musique instrumentale (pour clavier, de chambre…), que je ne trouve pas très saillante non plus, mais qui est bien documentée.
● En priorité, donc, les trois motets mentionnés, dans deux disques extraordinairement interprétés : la netteté du trait chez Christie pour Dominus regnavit et In exitu Israel, la poésie des couleurs chez Coin pour Cœli enarrant gloriam Dei, les deux pourvus des meilleurs solistes possibles (Correas dans « In sole posuit » !).
■ Se couple facilement avec d'autres motets, ou au sein d'une thématique (Babylone avec Dominus regnavit ?  fuite d'Égype avec In exitu Israel ?). Facile à présenter au public en plus, en mettant en avant l'aspect immédiatement figuratif de l'écriture : parcours du peuple d'Israël, description des flots déchaînés, ce devrait parler. Et l'on peut s'appuyer sur des disques de haute réputation (le Christie est extrêmement apprécié des amateurs de baroque français, et au delà).

Louis-Claude Daquin.
→ Élève de Louis Marchand, filleul d'Élisabeth-Claude Jacquet de La Guerre, titulaire de Saint-Paul-Saint-Louis à Paris (alors qu'il était en concurrence avec Rameau), successeur de Dandrieu à la Chapelle Royale… Daquin est une figure majeure des claviers français du XVIIIe siècle.
→→ Il a ainsi livré un Premier Livre de Pièces de clavecin (qui contient le fameux Coucou, quelquefois exécuté en bis par les pianistes d'antan…) et son Nouveau Livre de noëls, qui présente 12 thèmes et variations sur les noëls traditionnels (« À la venue de Noël », « Qu'Adam fut un pauvre homme », etc.).
→→ Il existe aussi deux messes, un Te Deum, des Leçons de Ténèbres, un Miserere et une cantate, parmi les œuvres qui nous sont parvenues (un certain nombre, pour la voix ou les instruments, étaient attestées mais perdues). Je n'ai jamais vu de disques ni entendu parler d'exécution, c'est étonnant.
● Je connais mal son clavecin, dans un genre décoratif (Louis XV) qui n'a pas trop ma faveur. En revanche, pour la part la plus célèbre de son legs, à savoir les noëls, je vous recommande très vivement Adriano Falcioni (Brilliant Classics 2017) qui a l'avantage de jouer sur les flûtes et anches très françaises, particulièrement nasillardes et typées, d'un orgue de la bonne époque (Saint-Guilhem-le-Désert), remarquablement registré, et de façon assez variée selon les pièces. Un délice à recommander à tous ceux qui n'aiment pas l'orgue monumental qui joue des choses abstraites et fait du bruit, façon Bach, Franck ou Widor.
■ Je suis sûr que les organistes en glissent déjà à Noël. Mais avec sa notoriété, n'y aurait-il pas l'occasion, pour le CMBV ou les ensembles baroques, d'exhumer ses œuvres vocales sacrées ?  Il y aurait un petit bonus de remplissage grâce au public qui a connu l'époque où le Coucou et ces noëls figuraient parmi les classiques favoris.

Pierre-Claude Foucquet.
→ Une des pièces d'Armand-Louis Couperin porte son nom. Je n'ai pu trouver aucune piste musicale incluant sa musique.

Francesco Barsanti.

Johann Peter Kellner.

Georg Reutter le Jeune.



Né en 1772 (250 ans de la naissance)

Antonio Casimir Cartellieri.
→ Né à Gdańsk de parents chanteurs (une mère lettonne de langue allemande, un père italien comme vous le voyez), Cartellieri étudie à Vienne (avec Albrechtsberger et peut-être Salieri), exerce en Pologne et en Bohême (auprès du prince Lobkowicz) – il connaissait bien Beethoven, personnellement et artistiquement : il fut le chef à la première du Triple Concerto et de la Troisième Symphonie !
→→ Cartellieri est à mon sens un musicien majeur de son temps. Ses 3 concertos pour clarinette (plus un double !) sont possiblement les meilleurs de la période classique et romantique, très virtuoses mais surtout d'une générosité mélodique – et même d'un sens dramatique – qui n'ont que peu d'exemple. Et plus encore, l'intensité des affects de sa tempêtueuse Première Symphonie doit absolument être vécue !
● Au disque, on a désormais un peu de choix :
●● de superbes divertimenti pour vents, quatuors clarinette-cordes et sextuors à vent (par le merveilleux Consortium Classicum, chez CPO et chez MDG). Les Quatuors avec clarinette sont d'une délicatesse poétique absolument merveilleuse ;
●●  deux oratorios : l'un sur la Nativité (La celebre Natività del Redentore) où l'on sent aussi bien passer Mozart que Méhul et Rossini (Spering chez Capriccio), l'autre plus opératique (Gioas, re di Giuda, Gernot Schmalfuss chez MDG… avec Thomas Quasthoff !) dans un style classique augmenté de tournures plus dramatiques issues plus gluckistes / beethoviennes, sur un livret de Metastasio (qui contient notamment la version en contexte de « Io tremo » / « Ah, l'aria d'intorno », l'air dramatique italien plus tard mis en musique par Schubert, auquel une notule avait été consacrée – la version de Cartellieri évoque beaucoup le duo Anna-Ottavio sur le corps du Commandeur) ;
●● et surtout les œuvres dont je parlais précédemment : les concertos pour clarinette répartis sur deux volumes chez MDG (captés avec beaucoup de naturel comme toujours), magnifiés par la merveilleuse rondeur du démiurge Dieter Klöcker, à mon sens l'un des meilleurs clarinettistes de tous les temps
●● et surtout et les 4 symphonies par l'Evergreen Orchestra et Gernot Schmalfuss (CPO), écoutez absolument la Première.
■ Les Quatuors avec clarinette composeraient un couplage très naturel et convaincant avec le Quintette clarinette-cordes de Mozart (mais si vous voulez plutôt le coupler avec ceux de Neukomm, Hoffmeister, Baermann ou Reger, je vous autorise à ne pas jouer les Cartellieri tout de suite),
■ Les concertos pour clarinette et plus encore la Première Symphonie feraient un triomphe en salle : ils sont immédiatement accessibles et jubilatoires, en plus d'être en réalité remarquablement écrits. Un concert qui vendrait « le chef qui a créé l'Héroïque était aussi un compositeur de génie » pourrait probablement fonctionner, quitte à jouer l'Héroïque en seconde partie pour assurer « le dialogue entre les œuvres » (en réalité le remplissage, mais c'est tout à fait légitime).
■■ Il existe aussi d'autres concertos qui n'ont pas été rejoués à ma connaissance et dont les nomenclatures font saliver : flûte, cor, basson, 2 flûtes, hautbois-basson (!), hautbois-basson-cor !  Quelle fête ce pourrait être !

Josef Triebensee.
→ Passé à la postérité pour ses arrangements des opéras de Mozart en octuor à vent – particulièrement Don Giovanni et quelquefois la Clémence de Titus, les arrangements des Noces et le plus souvent de la Clemenza étant le plus souvent dûs à son contemporain Johann Went ; pour Così, c'est en général le toujours très en vie Andreas Tarkmann, génie de l'arrangement, qui est choisi. Il a également composé ses propres œuvres pour ce même ensemble de huit souffleurs : 2 hautbois, 2 clarinette, 2 bassons, 2 cors. (Et également arrangé Médée de Cherubini ou la Symphonie n°92 « Oxford » de Haydn.)
→ Conception assez traditionnelle de l'arrangement, où des instruments tiennent le rôle des solistes (hautbois, dont il jouait, pour « Deh se piacer mi vuoi », clarinette pour « Vengo, aspettate », basson pour « Là ci darem la mano », « Deh vieni alla finestra », « Del più sublime soglio » ou « Parto, ma tu ben mio », cor pour « Ah, se fosse intorno al trono »), respectant de près les accompagnements écrits par Mozart, dans un résultat de sérénade lyrique très harmonieuse. Pas aussi inventif et ravivé que Tarkmann, mais toujours très réussi.
● Beaucoup de choix parmi les disques. J'en cite quelques-uns.
●● Pour le maximum de typicité, il faut écouter l'Oslo Kammerakademi dans La Clemenza di Tito (chez LAWO), saveur incroyable des timbres (ce cor phénoménal) et vivacité éloquente du théâtre. Le disque de l'Ensemble à vent du Philharmonique de Berlin reste assez indolent (et plutôt terne de timbres, étrangement), je ne vous le recommande pas.…
●● Le disque du Linos Ensemble pour Don Giovanni (Capriccio) permet d'entendre une très large sélection, couplée de surcroît avec le final du II virtuosement rendu par l'arrangeur du XXe siècle Andreas Tarkmann. L'Octuor à vent de Zürich, autre sélection très large pour un joli disque un peu plus sèchement capté chez Tudor, utilise la fin écrite par Triebensee, beaucoup plus concise : elle relie « Già la mensa è preparata » à « Quest'è il fin di chi fa mal », et boucle le tout en trois minutes !
●● L'Octuor à vent Amphion a aussi bien enregistré des extraits de Médée que les compositions de Triebensee, évidemment un peu moins jubilatoires que les arrangements de Mozart.
■ Les orchestres qui ont la tradition d'extraire des solistes pour des soirées de chambre (soit à peu près tous les orchestres parisiens de premier plan : Opéra, Philharmonique, National, Chambre, Orchestre de Paris…) pourraient tout à fait programmer sans grand risque les arrangements de l'ami Triebensee, avec l'argument Mozart. C'est un voyage absolument délectable, une façon différente de réinvestir ces musiques très bien connues, et une démarche respectueuse, en fin de compte, des traditions d'époque.

François-Louis Perne (1772–1832).
→ D'abord choriste (1792) et contrebassiste (1799) à l'Opéra de Paris, Perne est de 1816 à 1822 directeur du Conservatoire de Paris (« inspecteur général des Études de l'École royale de musique et de déclamation »), prédécesseur immédiat de Cherubini.
→→ Il a avant tout été un chercheur et essayiste, fasciné par la musique antique et le grégorien, réalisant un certain nombre d'éditions de textes théoriques anciens (sur le rythme antique, sur le rebec…), récrivant Iphigénie en Tauride de Gluck en notation grecque, s'intéressant aux liens entre la musique, les autres arts, la société… Outre son travail d'éditeur, la majorité de ses articles ont été publiées dans le périodique de Fétis, la Revue et gazette musicale de Paris.
→ Il n'est pas certain qu'il ait beaucoup produit, et la musique qu'il laisse est surtout formelle, très marquée par les formats anciens (fugue, canon…). Ses trois messes sont écrites dans un contrepoint archaïsant, témoin de la vogue pour le retour au plain-chant grégorien et à Palestrina dans les premières décennies du XIXe siècle. Avec toutes les controverses afférentes.
● Je n'ai pu mettre la main que sur trois pistes réparties sur deux disques, le Kyrie de la Messe des solennels mineurs chez Aparté (programme passionnant de l'ensemble Gilles Binchois consacré à ce renouveau XIXe du plain-chant, à faux-bourdon), et Sanctus & Agnus Dei non crédités en complément du disque Boëly de Ménissier dans la collection « Tempéraments » de Radio-France. On y entend pour l'un la simplicité archaïsante, pour l'autre la maîtrise contrapuntique de cette écriture. Rien de particulièrement saillant en soi, mais la démarche me paraît tout à fait fascinante, un écho à l'épopée de Félix Danjou – le disque de Ménissier est d'ailleurs le seul à ma connaissance où l'on puisse aussi entendre sa musique !
■ Je doute que l'on puisse faire entendre ce type de programme et fédérer un public nombreux (Niquet a bien joué ce type de pièces rétro, mais c'était avec des noms comme Gounod et Saint-Saëns !)… à moins d'en faire un concert narratif « Les Aventuriens du grégorien perdu », « La bataille de Paris » ou « Quand les femmes furent bannies des églises ». Ce serait assez réjouissant à entendre narrer. (S'il faut quelqu'un pour écrire le texte à titre gracieux, je suis là.)

Prince Louis Ferdinand de Prusse.
→ Neveu de Frédéric le Grand, il est avant tout soldat (et meurt au front), mais aussi un pianiste considéré de grande valeur. C'est pour lui que Rejcha écrit son monumental L'Art de varier, très vaste cycle (il se trouve au disque, mais je ne trouve vraiment pas que ce soit le sommet de l'art du compositeur… je vous recommanderais plutôt le Quatuor scientifique, pensé dans une démarche toute différente) ; c'est aussi le dédicataire du Troisième Concerto de Beethoven !
● On trouve au disque de la musique de chambre (octuor, trios piano-cordes, quatuor avec piano…) et des rondos pour piano et orchestre : autour de Horst Göbel (et son trio) chez Thorofon (trois volumes), du Trio parnassus pour SWR Music (parution uniquement en dématérialisé) et le Valentin piano Quartet chez Musicaphon. L'Octuor se défend joliment, mais quelle que soit l'œuvre, on demeure dans la convention du temps ; non pas que ce soit plat, mais on y rencontre assez peu de surprise et d'éclat, pas de thèmes très marquants non plus.
■ Pourquoi pas oser un concert consacré aux têtes couronnées compositrices… mais, à la vérité, j'aimerais mieux qu'on programme d'abord de la grande musique oubliée.

Johann Wilhelm Wilms (1772–1847).

Thomas Byström.

Maria Frances Parke (1772–1822). Comme Campanus, c'est aussi son double anniversaire cette année !




Voici pour cette livraison… Vous voyez combien non seulement on trouve énormément de choses au disque, même de ces figures semi-obscures ; mais de surcroît combien il ne serait pas si malcommode de glisser un petit Cartellieri, ou de bien remplir avec Mondonville ou les arrangements de Triebensee (petit format qui coûte moins cher de surcroît). Messieurs les programmateurs, il ne tient qu'à vous de nous égayer – et de nous éveiller au vaste monde au delà de l'horizon, certes pourvu des plus belles montagnes, du démiurge Beethoven.

Je ne m'attarde pas ici. Quelques très grandes figures, célèbres ou vraiment plus du tout au répertoire, nous attendent pour la prochaine livraison – la septième va vous étonner !



1822 – Dupuy, Davaux, Hoffmann… : la perte des Reines du Nord, l'inventeur véritable du métronome, l'auteur de génie qui compose…


Troisième livraison

anniversaires compositeurs année 2022
Nos héros morts ou nés en cette année 2022 :
Dupuy au centre, puis de haut en bas Raff, Davaux, Hoffmann, Franck.




[[]]
Premier mouvement du Concerto pour basson en ut mineur d'Édouard Dupuy.
Sambeek, Chambre de Suède, Ogrintchouk (BIS 2019).


(Pour la démarche et la légende, vous pouvez vous reporter à la première partie (au bas de la quelle j'ai également servi cette nouvelle fournée de gourmandises.)




Mort en 1822 (200 ans du décès)

1822  Édouard Dupuy (1770–1822) (ou du Puy, ou Du Puy…)
→ Quel gaillard que ce Dupuy !  Il naît en Romandie, canton de Neuchâtel, élevé par un oncle musicien. De là, accrochez-vous : il part à Paris étudier le piano avec Dussek et le violon avec Chabran. Il est aussi un excellent chanteur, se produisant sur scène en Don Giovanni, un baryton assez léger pouvant tout de même tenir au besoin les rôles de ténor et de basse, voire chanter des parties en falsetto
        → → Il rencontre le frère de Frédéric de Prusse et c'est le début d'un tour d'Europe : le voilà musicien, puis chanteur au service de la chapelle du Prince. Mais il séduit, après les actrices, trop de dames de l'aristocratie – et il se présente à l'office du dimanche sans descendre de monture (non, je ne parle pas des duchesses, tenez-vous enfin !) –, si bien qu'il est expulsé du pays.
        → → Qu'à cela ne tienne, tournées en Pologne, en Allemagne, et notre bougre devient violoniste à l'orchestre de la Cour royale de Suède ; il y rencontre aussi un vif succès en chantant dans les opéras comiques traduits de Grétry et Gaveaux, alors très en vogue dans le pays – son accent français étant considéré comme un atout supplémentaire. Mais il fréquente de trop près (i.e. soulève) Sophie Hagman, la maîtresse royale officielle du prince Frederick Adolf, et chante des airs à la gloire du Premier Consul, assez peu goûtés en monarchie. Bannissement.
        → → Il faut bien se contenter du Danemark (où il se marie, mais qui s'en soucie ?), où il atteint la gloire à de multiples titres : succès retentissant pour son Ungdom og Galskab (« Jeunesse et folie »), opéra comique appuyé sur un livret de Bouilly pour Méhul ; triomphe dans le rôle-titre de Don Giovanni ; coqueluche des cercles mondains (ayant ses propres réceptions) ; carrière d'officier militaire dans les Chasseurs Danois, où il mène une résistance admirée face aux Anglais en 1807 ; enfin le dernier titre de notoriété, celui que vous attendiez, il est pris en flagrant délit de gros bisous avec la princesse héritière Charlotte Frederikke qui avait sollicité ses leçons de chant ! 
        → → Mais entre temps… le prince suédois est renversé et remplacé par Bernadotte, Dupuy peut retourner en Suède comme rien de moins que chef (sévère) de l'orchestre de la Cour. On pense même qu'il enseigna au jeune Berwald.
● Peu de choses au disque, mais beaucoup de marquantes. Voici par quoi commencer :
        ●● Le Concerto pour basson en ut mineur, retrouvé par Bram van Sambeek – l'histoire de sa résurrection est saisissante : le bassonniste avait demandé une copie du Quintette (basson & quatuor à cordes) en la mineur, qui existe aussi sous forme de concerto – ce quintette est sa seule œuvre un peu jouée et enregistrée avec le Concerto pour flûte n°1 et l'Ouverture d'Ungdom og Galskab. Il avait reçu par erreur ce concerto dont il ignorait l'existence !  L'univers sonore en est très dramatique (certaines mélodies sont peut-être empruntées à des opéras), on sent l'influence du drame d'école cherubinienne dans ses tournures à l'éclat farouche et sombre. Le thème B du premier mouvement est absolument ineffable, et son introduction très originale : le thème A est joué seulement à l'orchestre, pendant près de deux minutes, et le basson fait son entrée sur ce véritable thème B… mais caché sous la clarinette qui chante la ligne supérieure du thème !  Possiblement un clin d'œil du compositeur, puisque le beau-frère du commanditaire était Crusell, le grand clarinettiste de ces années, qui officiait dans lui aussi dans l'Orchestre de la Cour de Suède… leur entrée était ainsi commune. Cette liberté formelle et ce sent du contraste m'évoque beaucoup le premier mouvement du Concerto l'Empereur de Beethoven, pour rester dans les menus compliments… Splendide disque disponible chez BIS, parution de 2019 ou 2020, et l'un de ceux que j'ai le plus écoutés cette année toutes catégories confondues…
        ●● Son opéra comique à succès Ungdom og Galskab (d'après un livret pour Méhul par Bouilly, l'auteur de Léonore qui a servi à Gaveaux puis Beethoven) a été remarquablement enregistré chez Dacapo (la branche danoise de Naxos, très richement pourvue en raretés de qualité exceptionnelles, de Kunzen à Ruders en passant par Hamerik), avec notamment les superstars vocales et artistes de premier plan Elming, Cold et Schønwandt !  En bonus, le Concerto pour flûte n°1, lui aussi assez dramatique, qui reprend des tèmes de l'opéra.
■ Je peux comprendre que l'on ne représente pas d'opéras en danois (et je ne vais pas revenir dans cette notule sur l'intérêt majeur dans ce cas d'une version traduite…), mais les concertos remporteraient un vif succès auprès du public.
On pourrait imaginer, au choix :
■■ Une soirée « Dupuy le séducteur » avec un récitant qui raconte de façon plaisante ses aventures : Pauline Long des Clavières, Roger Cotte, Gorm Busk, Vincent Alettaz ont mené des recherches assez précises pour pouvoir soutenir une heure et demie de spectacle entrecoupée de musiques, pour peu qu'une plume un peu adroite le présente un peu savoureusement. Ce n'est pas mon idéal de spectacles, mais on a pu vendre du Saint-George avec ce concept, je ne vois pas pourquoi on ne pourrait pas vendre de la bonne musique avec la même idée !
■■ Une soirée « Concertos classiques / premiers romantiques pour vents », avec la flûte de Dupuy, le hautbois de Mozart (pour rassurer les gens), la clarinette de Cartellieri (ou Crusell, ou Krommer…), le basson de Hummel… On pourrait vraiment proposer un concept original, intriguant, délicieux et convaincant. (Pendant ce temps la Philharmonie invite La Scala pour jouer Pétrouchka et Oslo pour jouer Mahler…)


Jean-Baptiste Davaux (ou d'Avaux)
→ Figure tout à fait considérable et pourtant quasiment pas représentée au disque ni dans l'imaginaire collectif. Il se considérait lui-même comme amateur, mais a laissé des opéras comiques à succès, des symphonies très bien accueillies, et beaucoup de concertos et symphonies concertantes, souvent programmées au Concert Spirituel et largement fêtées par le public et la presse dans les années 1770-1790.
        → → Venu étudier le violon à Paris, Davaux fréquente les cercles littéraires, musicaux (notamment Martini et Saint-George), est membre de la loge maçonnique des Neuf Sœurs (celle de Voltaire et Franklin )… un garçon très inséré, et qui est aussi l'inventeur d'un « chronomètre » réalisé par Bréguet lui-même, en réalité un métronome visuel. On sélectionnait le nombre de temps par mesure, la vitesse de chaque temps avec la petite aiguille, et la grande indiquait alors la pulsation. On est trente ans environs avant Maelzel – qui, certes, est réputé avoir volé son propre système. Un honnête homme complet, donc.
● Pour autant, à ma connaissance, une seule œuvre est actuellement disponible au disque, la Symphonie concertante mêlée d’airs patriotiques pour deux violons principaux (1794). Dans deux excellentes versions couplées avec d'autres œuvres de la période, celle du Concerto Köln de 1989 (qui n'a pas du tout vieilli) et celle toute récente du Concert de la Loge Olympique, deux ensembles qui se sont illustrés parmi les meilleurs interprètes des compositeurs français de cette génération. On y entend, dans une veine primesautière, des citations d'airs patriotiques, à peine ornées de variations, qui ont l'avantage d'être aussi ceux que nous connaissons : La Marseillaise dans le premier mouvement, « Vous, qui d’amoureuse aventure » de Dalayrac (très populaire sous la Révolution et recyclé ensuite en « Veillons au salut de l'Empire ») dans l'adagio, la Carmagnole et Ça ira dans le final… Très réjouissant, aurait un énorme succès en concert, exactement comme à l'époque où ces thèmes connus garantissaient par avance la sympathie du public.
■ Sans même explorer plus avant le fonds du catalogue Davaux, imaginez un concert « patriotique » au moment judicieux, où l'on jouerait la Marseillaise de Berlioz, Hermann & Dorothée de Schumann (il existe aussi une version orchestrale des Deux Grenadiers), 1812 de Tchaïkovski, Feux d'artifice de Debussy, La nouvelle Babylone de Chostakovitch (une BO)… et bien sûr, si l'on veut, le 25e Concerto pour piano de Mozart… Cette symphonie concertante s'y glisserait avec beaucoup de succès, et nul doute qu'un 14 juillet ou un week-end d'élections, cela pourrait motiver un public beaucoup plus vaste que l'ordinaire.


  E.T.A. Hoffmann (en réalité E.T.W. Hoffmann)
→ On présente souvent Hoffmann comme un écrivain, à l'instar de Nietzsche ou Adorno, qui écrivait aussi un peu de musique. En réalité, une grande partie de sa vie, y compris professionnelle, y a été consacrée !  Il écrit au moins 13 œuvres pour la scène (et qui sont jouées), des cantates, de la musique sacrée, de la musique symphonique et chambriste, et il est même, à la fin des années 1800, chef d'orchestre au théâtre de Bamberg ! 
        → → Tout les commentateurs sont frappés par la sagesse de sa musique, en opposition avec son imagination fantastique dans ses écrits. Il admire Mozart, mais compose vraiment comme la génération d'après, d'un romantisme évident, et qui conserve cependant une partie de sa grammaire classique. Je concorde : même ses opéras sont assez paisibles.
● Il m'a fallu beaucoup de patience, et notamment à l'occasion de cette notule, pour rencontrer des œuvres qui méritent vraiment d'être entendues pour des raisons purement musicales, et non par seule et légitime curiosité d'entendre la musique pensée par le grand écrivain : la plupart de son catalogue ménage très peu de surprises, de la jolie musique du rang, bien faite, mais sans saillance qui traduise la singularité d'un esprit. Presque des devoirs d'étudiant, qui cherche à réutiliser habilement les tournures autorisées, et qui se fait progressivement un métier en imitant ses pairs et en respectant les règles.
        ●● Jolie Symphonie en mi bémol, plusieurs fois enregistrée, très bien réalisée par M.A. Willens chez CPO (très vivant)… mais la comparaison avec celle de Witt proposée en couplage (qui n'est pourtant pas la meilleure de sa génération) est cruelle : dans l'une, tout est à sa place, d'un bel équilibre, écrit en toute correction, tandis que l'autre propose des gestes plus singuliers, la marque d'un compositeur qui réfléchit sur la substance musicale et ne se contente pas de reproduire des formules préexistantes. Pour autant, la symphonie d'Hoffmann, ainsi jouée, mérite l'écoute.
        ●● Les opéras (ou le mélodrame Dirna) et la musique de chambre, qui figurent désormais assez largement au disque, m'ont paru moins marquants, vraiment la musique du rang de son temps : pas déshonorant, et même impressionnant pour quelqu'un d'aussi talentueux par ailleurs, mais assez peu de saillances pour justifier d'y passer beaucoup de temps alors que le disque offre tant de choix plus exaltants.
        ●● C'est sans doute la musique sacrée qui est la plus intéressante, la Messe et surtout le Miserere (plutôt la version Bamberg-Beck chez Koch/DGG que R.Cologne-R.Huber chez CPO). Le disque Beck permet de surcroît de disposer d'une bonne version de la symphonie, c'est-à-dire de faire le tour de l'essentiel en un disque. Mais je ne doute pas que vous ne soyez suffisamment curieux pour essayer les opéras tout de même…
■ Le nom d'Hoffmann étant lui-même vendeur, on peut imaginer tous les formats !
        ■■ Le concert-lecture bien sûr, par exemple avec sa musique de chambre entre ses écrits. Mais attention au contraste entre la précision évocatrice, les situations saisissantes de ses fictions, et la conformité un peu lisse de ses compositions.
        ■■ L'écho, par exemple sa Messe ou son Miserere en regards de bouts des Contes d'Hoffmann ou bien sûr de Don Giovanni.
        ■■ Un concert consacré aux écrivains célèbres qui étaient également compositeurs, il y en a quelques-uns (Nietzsche est tout à fait intéressant, Adorno pas vraiment).
        ■■ D'une manière générale, il ne serait pas très compliqué de glisser une piécette pour pimenter un programme de l'époque, suscité la curiosité du public « oh, un truc d'Hoffmann ».

Et aussi :
William Herschel (1738–1822).
Gaetano Valeri (1760–1822).
Maria Brizzi Giorgi.
Maria Frances Parke, dont c'est deux fois l'anniversaire cette année (1772-1822).
Maria Hester Park (1775–1822).



Né en 1822 (200 ans de la naissance)

César Franck
→ J'irai vite sur Franck également : figure majeure de la musique (de langue) française, le pont entre son auditoire parisien et le chromatisme wagnérien qu'il fait infuser sur toute une génération de compositeurs français dont les audaces nous fascinent ensuite. Je trouve frappant qu'on entende chez Franck à quel point c'est aussi un homme du monde qui a précédé : on entend ses années de formation dans certaines de ses œuvres, je veux dire par là qu'on entend qu'il n'a pas été, lui, éduqué par Franck, et que le socle de son art repose sur des formules plus simples que celles qu'il a adoptées et diffusées par la suite. Jusque dans les œuvres de maturité, il reste quelque chose d'un peu stable et nu quelquefois.
● Son catalogue est amplement servi, quelques pistes si vous êtes perdus.
●● Le plus décanté, dense et abouti, représentatif de sa pensée chromatique aux extérieurs simples, réside sans doute dans ses 3 Chorals pour orgue. Énormément de versions, parmi lesquelles j'aime beaucoup Guillou chez Dorian (la registration variée favorise la progression), M.-C. Alain 1976 chez Erato / Apex (registration peu éclatant, mais poussée constante), Latry (son brillant, respiration ample mais toujours tendu).
●● Dans le même goût, mais plus ouvertement retors et sinueux, bifurquant sans cesse entre les tonalités, que réellement décanté,  le Quatuor en ré. Par exemple par les Petersen chez Phoenix (si l'on aime le son un peu pincé et le vibrato généreux) ou par les Danel chez CPO (si l'on veut avant tout de la lisibilité et du mouvement plutôt que de la couleur).
●● La Symphonie en ré mineur est incontournable, mais attention aux versions lourdes et germanisées que l'on rencontre le plus souvent, y compris avec des orchestres français (Mikko Franck) ou même des chefs français (Monteux). On perd alors beaucoup de lisibilité et surtout d'intelligibilité… L'urgence de Cantelli, la transparence d'Otterloo, la franchise très française de Gendille (quel style !), la filiation française de Lombard et Langrée, ou plus germanique mais très réussi, la rondeur tendue d'Arming ou l'élan cursif de Neuhold… ce sont de bonnes adresses.
●● Pour disposer d'une idée de ce que produit l'éducation musicale de Franck, il faut plutôt se tourner vers l'opéra… Je n'ai pas vérifié si Stradella avait été publié en DVD, mais c'est un opéra qui donne à entendre tout un versant italien, beaucoup plus nu et méconnu, de Franck, et assez réussi. (Tandis que Hulda, enregistrée récemment et bientôt donnée par Bru Zane, me paraît receler assez peu de merveilles à la lecture comme à l'écoute…)
●● Peut-être plus abouti dans le genre du Franck-tradi, on peut aller écouter ses mélodies et ses chœurs, sacrés ou profanes. Par exemple avec le bel album paru l'année passée De l'autel au salon (Chœur de chambre de Namur, Lenaerts, Musiques en Wallonie), qui fait entendre des œuvres à la fois simples et manifestant une maîtrise précise des moyens musicaux.
■ La musique vocale, mélodies et musique chorale, est sans doute ce que l'on connaît le moins de lui. Ce serait l'occasion d'en mettre un peu au programme. Cette saison, Bru Zane va déjà nous offrir Hulda dans les meilleures conditions sonores imaginables (distribution et orchestre). Un petit concert plus chambriste serait très bienvenu aussi.

Josef Joachim Raff.
→ Je connais mal Raff, et ce que j'en connais ne m'a que modérément donné envie d'approfondir. Romantisme allemand assez épais, qui essaie d'échapper au formalisme par des programmes, mais auquel il manque à mon gré le sens de la surprise, du contraste, de l'orchestration, de la mélodie aussi. Tout ronronne bien joliment et je n'ai à ce jour pas été ébloui, en particulier par les symphonies, qui jouissent de la meilleure réputation. Le catalogue étant vaste et bien documenté, il m'aurait fallu plus de temps que je n'en ai pour chercher les pépites, dans un goût qui me passionne moins que les autres individus dont j'ai parlé ici.
→ Ce serait justement la tâche de l'anniversaire que de compter sur des musiciens qui auraient déniché la pépite, comme le font Héloïse Luzzati ou Francis Paraïso, et de leur laisser la place le temps d'une soirée thématique où ils sauraient sléectionner le meilleur !

Luigi Arditi.
Faustina Hasse Hodges.
Betty Boije




Vous le verrez, 1872 est encore plus concentré en grands noms – ou noms de moindre renommée mais au catalogue ébouriffant !  C'est 1922 qui est un peu décevant, alors que 1972 tient très bien son rang ! 

Mais si vous ne connaissez pas Dupuy et Davaux, ou si vous êtes un peu curieux des aspects méconnus d'Hoffmann et Franck, vous devriez avoir déjà de quoi vous émerveiller un peu, en attendant.




Quatrième livraison

anniversaires compositeurs année 2022
À gauche : Moniuszko, Carafa.
À droite : Graener, Alfvén.


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Variations sur « Prinz Eugen » de Paul Graener.
Radiophilharmonie de la NDR de Hanovre (pas le Symphonique, sis à Hambourg, qui fut dirigé par Wand ou Hengelbrock),
une des plus belles discographies d'Allemagne.
W.A. Albert (CPO).


(Pour la démarche et la légende, vous pouvez vous reporter à la première partie (au bas de laquelle j'ai également servi cette nouvelle fournée de gourmandises.)




Mort en 1872 (150 ans du décès)

Stanisław Moniuszko.
→ Artiste majeur en Pologne, considéré comme le compositeur emblématique d'opéra. Pour le piano, il y a bien sûr Chopinski et Paderewski (en outre politiquement capital) ; pour la musique d'aujourd'hui Penderecki, mais pour les amateurs d'opéra, la figure majeure, c'est Moniuszko.
→ Pourtant, à l'écoute, je ne trouve pas ses œuvres les plus célèbres très passionnantes.
        → → Straszny dwór (« Le Manoir hanté ») est un opéra comique manifestement écrit sur le modèle d'Auber – et ce ne serait pas un très grand Auber, des ariettes à ploum-ploum, peu marquant mélodiquement dans l'ensemble. Le sujet, lui, est apparenté aux instrigues fantastiques un peu bouffonnes façon Boïeldieu (La Dame blanche) ou Adam (Le Farfadet)
        → → Halka est tout l'inverse : une hypertragédie. Une fille séduite descend, au fil de ses espoirs déçus, de la certitude de sa perte et de la méditation de sa vengeance, dans l'abîme suscité par la trahison la plus noire Tout est moche et tout finit très mal. C'est un peu Jenůfa, avec un côté emphatique comme les drames de Dumas ou Pixerécourt… et une musique qui s'apparente plutôt à du Weber sage (plutôt celui d'Abu Hassan ou du ventre mou d'Euryanthe). L'œuvre est plutôt convaincante, mais je vois mal, là aussi, comment faire triompher une musique qui n'est pas complètement exceptionnelle sur une scène dont ce n'est pas du tout la langue. (Ou alors il faudrait mobiliser des moyens exceptionnels côté chant et mise en scène – il ne se passe vraiment rien à l'acte II, elle se plaint sans écouter son autre soupirant qui se plaint aussi – mais à ce compte-là, pourquoi ne pas placer l'effort sur une œuvre qui pourrait réellement s'imposer au répertoire ?)
        → → Ses autres opéras, tel Paria, son opéra de jeunesse à sujet bouddhique, sis à Bénarès, écrit dans un goût italien pour s'introduire auprès du public européen, ne m'ont pas paru plus marquants…
● Je recommande donc plutôt des genres qui ne sont pas les plus célébrés chez lui :
        ●● Les seules œuvres que j'ai réellement trouvées hors du commun sont ses cantates, Milda et Nijoła (Philharmonique de Poznań dirigé par Borowicz chez DUX) : on y rencontre une superbe déclamation polonaise (et très bien mise en valeur, chantée et accompagnée), et doté d'une qualité mélodique toute particulière. Je recommande ceci très vivement !
        ●● la Messe en la et des motets (album « Sacred Music » chez DUX, par Łukaszewski), très recueillis et consonants, pas vraiment personnels mais réellement agréables au meilleur sens du terme (attention, il existe un autre disque, consacré aux Messes polonaises et chanté par le même chœur, qui m'y avait semblé de sensiblement moins bon niveau) ;
        ●● le Premier Quatuor, également d'un beau romantisme simple. Les Plawner chez CPO ne m'ont pas complètement emporté ; c'est mieux par le Quatuor Camerata chez DUX, donné avec son Deuxième et le Premier de Dobrzyński ; mais surtout, si vous pouvez le trouver, le disque issu de la compétition Moniuszko (il y a toute une série, passionnante), avec l'ãtma SQ (sur instruments anciens) et le Quartetto Nero, à nouveau chez DUX : ces jeunes musiciens surpassent toute la concurrence en tension, timbres, urgence, lisibilité, et haussent considérablement la réception de ces œuvres. (Toute cette série de la Compétition Moniuszko chez DUX mérite largement le détour, au passage : ainsi dans ce disque, on peut découvrir la prégnance mélodique hors du commun des œuvres de Henryk Melcer-Szczawiński, et il en va de même pour beaucoup d'autres découvertes sur les autres volumes.)
● Du côté de ses opéras célèbres : on trouve des vidéos, les deux ont été diffusés sur Operavision.eu (même deux versions différentes du Manoir !). Ce peut aider (si vous êtes patient).
■ Au disque, DUX est là pour nous, avec son travail exceptionnel en qualité, en quantité, en audace… Au concert, je ne suis pas persuadé qu'on puisse réellement produire des étincelles devant un public non polonais. Mais j'accueillerais avec grand plaisir une cantate !  On pourrait coupler ça avec une symphonie de Szymanowski ou Penderecki qui ferait déplacer un peu de monde sans être totalement téléphoné, et puis un petit concerto de Chopin avec Martha Argerich pour assurer le remplissage. (On pourrait aussi imaginer des programmes « Partage de la Pologne » ou « Pologne martyre », associée à un discours historique / pédagogique, qui entrerait assez bien dans les missions de la Philharmonie (et dans notre futur européen proche ? vu les opinions géopolitiques des candidats à la Présidence…).
■ C'est là où le principe de l'anniversaire trouve ses limites, parce que si l'on veut de la musique polonaise lyrique, il existe tout de même un certain nombre de chefs-d'œuvre considérables avec Żeleński, Nowowiejski, Różycki ou Penderecki !  Ceux-là pourrait remporter un véritables succès – en plus du Roi Roger de Szymanowski qu'on pourrait redonner un jour dans une production qui le laisse un minimum intelligible (coucou Warlikowski).

Michele Carafa.
Napolitain venu étudier à Paris avec Cherubini, auteur de 29 opéras, dont Jeanne d'Arc à Orléans et La Belle au bois dormant
● Au disque, on ne dispose semble-t-il d'aucun opéra intégral. Une cantate avec piano, Calisto (dans « Il Salotto » vol.2 chez Opera Rara), un air de Le Nozze di Lamermoor dans le récital « Stelle di Napoli » de Joyce DiDonato, et deux scènes de Gabriella di Vergy, l'une dans un récital Matteuzzi avec Bruce Ford (atrocement captés), l'autre dans un récital d'Yvonne Kenny (accompagné et mené avec beaucoup de présence par le même David Perry mou avec Matteuzzi !) qui est le meilleur témoignage qu'on puisse trouver de la musique de Carafa. Tout cela s'apparente à du belcanto bon teint, avec les mêmes formules que partout ailleurs. Plutôt joliment fait au demeurant (en particulier les introductions développées, ou certains récitatifs un peu rapides), mais absolument rien de singulier, pour le peu qu'on en puisse juger.
■ Je serais évidemment ravi qu'on reprenne l'une de ses œuvres, en particulier française, pour pouvoir se faire une idée sur pièce. À l'occasion d'un petit cycle Jeanne d'Arc où l'on pourrait jouer l'opéra de Mermet (qui se tient !), la cantate d'Ollone (plutôt bien faite également, même si peu spectaculaire) et bien sûr l'oratorio d'Honegger, voire l'opéra de Verdi ? Un petit partenariat entre salles parisiennes ?  Versailles et TCE reprennent Mermet avec Bru Zane, la Philharmonie fait d'Ollone et reprend son Honegger réussi, et l'Opéra de Paris se garde le Verdi parce qu'il ne sait rien faire d'autre, ça vous dit ?  Ce serait parfait pour brosser dans le sens du poil l'électorat du futur président de droite que nous aurons (lequel, je n'en sais rien, mais je ne cours pas grand risque à pronostiquer qu'il ne sera certainement pas de gauche), considérant l'Opéra de Paris pour lequel toute la France paie, que le Peuple de France en ait pour sa fierté, on célèbre Jeanne !  (et on joue plein d'opéras russes, cf. supra de toute façon Gergiev est le seul chef étranger à pouvoir venir quand le monde s'effondre)

Nikolaos Mantzaros.
Carlo Curti.




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Premier mouvement de la Troisième Symphonie d'Alfvén,
Philharmonique Royal de Stockholm,
dirigé par le compositeur (Phono Suecia).


Né en 1872 (150 ans de la naissance)

Alors là, 1872, c'est l'année de folie !  J'essaie de classer en commençant par ceux que j'ai le plus envie de voir reparaître !

Paul Graener.
→ Je commence par un cas difficile. Graener, né à Berlin, tôt orphelin, occupe de hautes responsabilités, professeur de composition au Conservatoire de Leipzig, de Vienne, directeur du Mozarteum de Salzbourg, du Conservatoire Stern de Berlin… et aussi membre de la Ligue de combat national-socialiste pour la culture allemande, du parti nazi, vice-président de la Reichsmusikkamer… il devient particulièrement joué à partir de 1933, quand le nouveau régime fait la place nette de tous les dégénérés dans le style, les idées ou la généalogie… La presse officielle lui est favorable, ses thématiques s'alignent aussi avec l'idéologie du parti, il a alors du succès. Il faut dire qu'il est plutôt bon élève : il participe activement à la cabale contre Michael Jary en désignant sa musique comme « babillage musical culturellement bolchévique de juif polonais ».
→ Comme il meurt en 1944, il n'a pas pu essayer de s'expliquer / se renouveler / se racheter / se karajaniser, et sa musique s'est tout naturellement tarie au concert – on avait assez d'efforts à dépender pour  réintégrer les nazis qui ne l'avaient pas fait exprès ou d'oublier qui étaient vraiment Böhm ou Schwarzkopf, sans s'occuper en plus des morts qui ne demandaient rien. Pas évident à brander pour un concert d'aujourd'hui, clairement. (Et cela nous renvoie vers l'épineuse question crime & musique, ou sous sa forme plus ludique, génie & vilenie.)
→ Néanmoins, si l'on peut passer sur ces questions (une large partie de sa musique est désormais dans le domaine public, et on n'est pas près de lui élever des statues), et découvrir (comme je le fis) sa musique sans avoir conscience de sa personnalité (il a adopté des enfants quand sa fille est morte, si ça peut aider et il souhaitait peut-être devenir éleveur de chats), il y a quelques pépites à découvrir.
● Bien qu'auteur de nombreux opéras et lieder, on ne trouve à peu près, hors le cycle des Neue Galgenlieder sur des poèmes de Morgenstern (Wallén & Randalu, chez Antes). On trouve également un lied par Schlusnus (poème d'un cycle de Munchhausen, chez Documents notamment, label japonais trouvable sur les sites de flux européens) et un autre par Prey (Der Rock, aussi sur un poème de Morgenstern, dans son anthologie « moderne » reconstituée par DGG). Vu l'expressivité de sa musique d'orchestre, je serais très curieux d'entendre ses opéras Don Juans letztes Abenteuer (1914) ou Der Prinz von Homburg (1935). Il a aussi commis un Friedemann Bach (1931), on voit l'écart d'inspiration avec une figure d'artiste comme celle de Johnny spielt auf (l'opéra de Křenek manifeste du zeitoper) !
● En musique de chambre, on ne trouve guère que les Trios (Hyperion Trio, chez CPO), qui m'ont semblé assez plats – une ligne mélodique vaguement brahmsienne, et assez peu de contenu stimulant dans les accompagnements, l'harmonie ou la forme.
● C'est donc surtout du côté symphonique que le legs est fourni, quoique peu vaste : Comedietta par Abendroth (chez Jube Classics par exemple), Die Flöte von Sansouci (suite de danses pseudo-baroque, d'une ambition limitée, avec le compositeur à la flûte accompagné par le Philharmonique de Berlin – publication CD par Archiphon sous le titre peu spécifique « 78 rpm rarities: Raw Transfers »)… et sinon les quatre volumes de CPO consacrés à sa musique orchestrale :
●● vol.1 : Comedietta, Variations sur un chant traditionnel russe (thème assez sommaire, mais variations faites avec beaucoup d'adresse orchestratoire), Musik am Abend, Sinfonietta. De belles œuvres, d'un postromantisme assumé (plus conservateur que celui de Schmidt, mais on entend clairement le contemporain de R. Strauss, ce n'est pas du Brahms !) ;
●● vol.2 : Symphonie en ré mineur « Le Forgeron Misère » (qu'il faut plutôt entendre comme un grand poème symphonique, assez séduisant, qu'y chercher une grande arche formelle étourdissante), Échos du Royaume de Pan (son œuvre la plus aventureuse parmi celles publiées, qui ,intègre des formules impressionnistes à son langage postromantique germanique, avec des harmonies riches et surprenantes, des couleurs inhabituelles), et ce qui est pour moi son chef-d'œuvre absolu : les Variations sur « Prinz Eugen ».
Variations sur « Prinz Eugen »
« Prinz Eugen, der edle Ritter » (« Le Prince Eugène, ce noble chevalier ») est une chanson traditionnelle écrite juste après le siège de Belgrade, victoire sur les Turcs du prince Eugène de Savoie en 1717 (première trace de la chanson, manuscrite, en 1719), restée dans l'imaginaire sonore collectif allemand.
Sur cette base, assez sommaire musicalement, Graener déploie toutes les possibilités d'un orchestre : discrète marche-choral aux vents, explosion de lyrisme aux cordes (augmentées d'énormément de contrechants de bois, de fusées aux cors !), fugato pépiant inspiré des Maîtres Chanteurs (l'une de ses influences majeures, j'ai l'impression)… Les pupitres, de la caisse claire aux trompettes, sont tous utilisés pour leur caractère, leur coloration, avec une rare science, et surtout une variété rare pour une variation : le thème, quoique toujours aisément identifiable, se transmute au fil des épisodes, et chaque itération, au lieu de paraître juxtaposée, semble découler tout naturellement d'une transition ou d'une rupture digne des progressions d'une grande symphonie à développement. Un bijou, absolument lumineux et jubilatoire, que je ne puis recommander trop vivement (l'œuvre que j'ai de loin le plus écouté ces trois dernières années, elle a donc mon assentiment…) ;
●● vol.3 : Concerto pour piano, Danses suédoises, Divertimento, une autre Sinfonietta. Des œuvres abouties mais dont la singularité me paraît moins évidente ;
●● vol.4 : Concertos pour flûte, pour violon, pour violoncelle. Très marquants, ici le concerto est vraiment conçu comme un tout organique et la virtuosité n'y paraît pas le but… le soliste joue beaucoup, certes, mais peu de traits sont mis en valeur, tout est intégré à l'orchestre, sans chercher à tout prix la mélodie non plus : je trouve le principe très rafraîchissant, il échappe à l'enflure habituelle de la forme concerto qui n'a pas toujours ma faveur. Une proposition très différente, que je serais ravi d'entendre en concert.
● Donc, à écouter, sans hésiter les volumes 2 & 4 de l'anthologie CPO.
■ Comment rejouer cela au concert ?  Clairement, pour du symphonique ou de l'opéra, il faut de gros moyens, et avec les sensibilités vives sur ce point (et la culture accrue de la protestation dans les milieux artistiques), il y a de grandes probabiités que le projet meure avant que d'aboutir. Un artiste qui avait projeté de remonter une de ses œuvres de chambre a expliqué que les musiciens avaient collectivement renoncé, trop mal à l'aise avec la personne du compositeur pour en faire la promotion, fût-ce indirectement.
Néanmoins, les Variations sur « Prinz Eugen », en début d'un concert dont ce ne serait pas le contenu principal, ou en conclusion de programme, je garantis que cela galvaniserait l'auditoire !  (Après tout ça ne semble poser de problème à personne de tresser des couronnes à Karajan, Schwarzkopf ou Böhm, de jouer à tout bout de champ Carmina Burana, alors pourquoi pas une ouverture de Graener – elle appartient désormais au domaine public, ses ayants droit, si par extraordinaire ils étaient solidaires des pensées de leur aïeul, ne toucheront pas un sou…) 

Hugo Alfvén.
→ Vous allez être déçu, je n'ai pas pu glaner d'anecdotes bien croustillantes sur Alfvén. Il a fait son tour d'Europe pendant dix ans, comme chef notamment, puis s'est installé à Stockholm et à l'Université d'Uppsala, a composé, a été le compositeur suédois du début du XXe a remporter le plus de succès – avec Stenhammar.
→ Sa musique est donc assez généreusement documentée, bien qu'on ne la joue jamais en France – l'anniversaire serait-il donc l'occasion ?
● La priorité, ce sont les symphonies. La 1 par Westerberg, la 3 par Svetlanov, la 4 par Willén… vous pouvez ainsi tirer le meilleur de ces pièces. Westerberg est plus âpre, Willén plus enveloppant et organique. N. Järvi, assez lumineux, n'est pas celui qui révèle le mieux les audaces de cette musique, mais sa fréquentation reste agréable. Quant aux versions par Alfvén lui-même, splendidement restaurées et publiées par Phono Suecia (on entend très bien le détail !), je crois qu'elles surpassent tout par leur caractère direct, net et emporté à la fois.
● Ses musiques de scène valent aussi le détour, comme Gustaf II Adolf ou Bergakungen.
● Même s'il n'a pas écrit d'opéra, sa musique chorale est très simple et très belle, et fait partie des corpus de référence du legs suédois. On le trouve dans des anthologies (le merveilleux Sköna Maj des Lunds Studentsångare) ou dans la monographie « OD sings Alfvén » (OD pour Orphei Drängar, les « serfs orphelins », l'ensemble vocal qu'a dirigé Alfvén).
● Sa longue vie nous permet de l'entendre diriger ses propres œuvres, et de profiter de l'humour avec lequel il dirige les danses du Fils prodigue, ou de la flamme qui habite son interprétation de sa cantate pour les 500 ans du Parlement Suédois, ce que vous trouverez chez lui de plus proche d'un opéra !  Il a aussi été capté dans ses symphonies (3 & 4) avec le Philharmonique Royal de Stockholm. Et je suis frappé de la vivacité de jeu, de la clarté du spectre, de l'exaltation du rebond et des références folkloriques dans la Troisième, avec une sorte d'emphase souriante et volontairement exagérée, comme un personnage d'opéra un peu grotesque qui chante sa chanson avec une pointe d'excès. Absolument délicieux, très différent, et réellement convaincant – probablement le compositeur à m'avoir le plus convaincu dans ses propres œuvres !  Quant à la Quatrième, très cursive (on croirait qu'il dirige Don Juan de R. Strauss, tant l'orchestre fulgure !), elle inclut la participation de la jeune… Birgit Nilsson !
■ Franchement, au concert, cela passerait tout seul !  Le folklorisme bigarré et très charpenté de la Troisième Symphonie, jubilatoire si on la joue en respectant cette composante, comme le font Svetlanov ou Alfvén lui-même, ou le grand monument plus farouche de la Quatrième, en un seul mouvement, avec ses voix solistes sans paroles, dont le programme se réfère à un rivage tourmenté – une œuvre très frappante, qui aurait tout pour plaire au public mahléro-sibélien !  Et si c'est trop, un poème symphonique, il y a beaucoup de très beaux, même si moins ambitieux : ce serait déjà ça de gagné !  Un petit effort Messieurs les programmateurs, une fois que le monde aura terminé de s'effondrer ?  L'accroche est facile en plus, avec les « Symphonies des rivages du Nord battus par les vents », faites-le avec des projections de vidéos de mer démontée si cela vous aide à remplir – ce serait-ce pas le type de format qui a en principe la faveur de la Philharmonie de Paris ?




1872 est particulièrement riche : je vous laisse avec ces quatre compositeurs, dont deux figures majeures, avant d'en venir à quelques autres géants également nés en 1872, dans les prochains épisodes : von Hausegger, Halphen, Juon, Büsser, Perosi, Séverac, Scriabine, Vaughan Williams… !

Prenez soin de vous. Carnets sur sol prend soin de vos oreilles.

mardi 20 juillet 2021

Un jour, un opéra – Saison 2, épisode 11 : la République des Maris présente… la tragédie d'une infante aimée d'un conquistador russe, sous la forme d'un faux opéra-rock soviétique !


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🔵 Ce 2 juin,

à l'Opéra d'État mari « Sapaev » de Iochkar-Ola (Yoshkar-Ola en translittération anglophone), capitale de la République des Maris – au Nord de la Volga, 150 km au Nord-Ouest de Kazan –,

on donne Juno & Avos (1979) de Rybnikov, vendu comme un opéra-rock mais…

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… mais je ne suis pas certain qu'on ait réellement eu le droit de proposer du rock dans la Russie soviétique des années soixante-dix : l'œuvre est écrite pour des chanteurs lyriques (certes sonorisés), avec de beaux épanchements élancés de cordes très 'opéra', des chœurs travaillés et menaçants dans une tonalité élargie, des mélodrames que soutient une musique d'orchestre bien complète et modulante…

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Çà et là, quelques rythmes qui jouent avec le beat, un peu de guitare électrique ou de batterie, mais c'est tout.

Véritable opéra, et très bien écrit.

(Voyez cette version vidéo captée à Rostov.)

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Intrigue conçue d'après le poème Avos ! (du nom de l'un des bateaux), écrit par Voznesensky en 1970.

Argument :
En 1806, Nikolai Rezanov atteint la Californie. La fille du Gouverneur s'éprend de lui, mais il doit d'abord returner solliciter la permission de l'Empereur russe pour épouser une catholique.

Pendant son retour, il tombe malade et meurt à Krasnoïarsk.

La quasi-infante fait un vœu de silence et se retire chez les Dominicaines (pour du silence, vraiment la bonne adresse ?) jusqu'à sa mort.

Inspiré du journal de bord du personnage réel, avec quantité d'événements (un duel notamment…).

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Ioshkar-Ola, capitale du territoire mari (avec sa propre langue ouralique, hors du spectre indo-européen), est depuis l'ère soviétique un centre industriel et manufacturier important, bien que désormais en cours de dépopulation.

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La ville (260.000 habitants) dispose de 5 théâtres, dont cet Opéra d'État dont la troupe est fondée en 1968.

Son intérieur vert est particulièrement singulier.

(Vous noterez les orgues multiples dans la – petite – salle, dont l'un en majesté au centre et avec chamades !)

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Pour une ville qui n'est même pas dans le TOP 50 des plus peuplées de Russie, une population qui est l'équivalent de celle de Bordeaux !

(Mais son Opéra a l'air tout aussi petit !)

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Très séduit au demeurant par ses inhabituelles teintes vertes : en France il est supposé porter malheur au théâtre – il n'existait pas de teinture verte résistante, aussi les costumes étaient-ils peints, en vert-de-gris… tout à fait toxique par contact cutané. Mais si j'imagine que les problèmes techniques étaient comparables, la superstition n'a pas poussé jusqu'à Iochkar-Ola, ou en tout cas pas jusqu'aux murs de son théâtre.

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La troupe est formée en 1968, par des étudiants de Moscou, Léningrad, Kazan et Gorki pour la partie opéra, et Moscou, Léningrad et Perm pour la partie ballet. Le théâtre est inauguré en 1969 avec Akpatyr d'Eric Sapaev, le premier opéra de la nation mari. Le bâtiment porte désormais le nom du compositeur. 


dimanche 16 mai 2021

La création lyrique contemporaine à l'Opéra de Paris – le mystère Dalbavie


Avec la simultanéité de la reprise tardive des saisons musicales, l'annonce des festivals de l'été et de toute la prochaine saison, les concertivores sortent du trou où la prostration issue du sevrage les avait jetés, et la lecture des brochures suscite des pensées aussi soudaines que fulgurantes chez moi.

Et puis, ne nous mentons pas, une petite notule éditoriale suscite toujours davantage d'échanges que la mise en lumière d'œuvres inconnues que pas grand monde n'a encore écoutées : ça se pare ainsi d'un petit bonus interaction sociale très agréable par les temps qui courent – fût-ce à distance.

Situation aidant, j'en ai donc une petite ribambelle à écouler. Et ça tombe bien, c'est plus rapide à préparer et le travail avant l'été, les expositions, les concerts et les relations sociales vont sans doute aspirer une bonne partie du temps de notulage disponible.



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Pour accompagner votre lecture, La source d'un regard (Seattle Symphony, Ludovic Morlot).
On y entend assez bien ses différentes filiations : Messiaen (le Premier Chant d'amour de la Turangalîla n'est pas loin, au début !), les aplats progressivement évolutifs des spectraux, les cuivres varésiens (façon Déserts, au milieu de la pièce), une base harmonique relativement tonale (les cordes).



Programmation et distributions 2022

À tout seigneur, tout honneur, l'Opéra de Paris publie une belle saison, assez variée. Évidemment peu de titres rares hors Œdipe d'Enescu (qui ne me semble pas vraiment la partition la plus à même de saisir immédiatement l'adhésion d'un vaste public – quitte à jouer peu de choses rares, je mettrais des œuvres dignes de rester au répertoire, il me semble…), qui fera très plaisir à voir. Mais on y entendra Turandot qui n'y a pas été joué depuis longtemps, on retrouvera enfin Richard Strauss après une période de vaches maigres lissnérienne, il y aura beaucoup de langues (un en russe, deux en anglais, du français), un peu de baroque, des tubes. Le tout dans de très belles distributions. Certes peu de XXe.

Les plus glottophiles d'entre nous ont vite remarqué l'absence des stars les plus courues (Netrebko, Alagna, Kaufmann, en gros), mais les distributions n'en sont pas moins très prometteuses, que ce soit par l'arrivée d'autres vedettes (l'étonnant Calleja, pour la première fois dans un opéra complet en France, c'est pas trop tôt) ou par l'engagement de chanteurs moins célèbres mais très prometteurs (Angel Blue, concentration extrême du son, une sorte de Marina Rebeka à l'afro-américaine !).

Il est possible qu'il y ait un choix délibéré de changer les noms, une différence de goût chez le conseiller aux distributions, la volonté de certains chanteurs de ne pas multiplier les pays où se déplacer par les temps qui courent (mais pourquoi tant d'Américains et pas Alagna, à ce compte-là), voire tout simplement le fait renouvelé, pour Lissner – après avoir abandonné en pleine crise le jouet Opéra qu'il avait cassé et délibérément sabordé l'avenir de l'Athénée (par rivalité avec son directeur Martinet, de ce que je comprends) – de savonner la planche à son successeur, engageant toutes les vedettes pour lui à Naples et laissant Neef naviger à courte vue à son arrivée. Tout cela a peut-être été combiné, et je n'ai aucune idée si la situation est amenée à se renouveler ou si les prochaines saisons auront une allure toute différente.

Globalement, on note tout de même un souci de variété et d'équilibre plus agréable que dans les deux dernières saisons de Lissner, très monochromes dans la veine « reprises de tubes italiens » et « jouons Traviata deux fois par saison, une fois dans chaque salle ». On n'en est pas encore rendu à une salle qui aurait une ambition artistique cohérente (hors Œdipe et la création des 7 morts de Maria Callas, que des choses déjà présentées dans la maison), on ne voit pas trop les exhumations du patrimoine français promises, et la troupe annoncée n'est pas encore constituée. On comprend bien tous les obstacles qu'il y avait à programmer de l'ambitieux, du neuf, à réformer la maison en profondeur : je crois qu'en l'occurrence on ne peut pas honnêtement préjuger de l'avenir.

Disons que dans l'état actuel de l'Univers, une saison plus variée que d'ordinaire (par rapport à l'ère Lissner), avec de belles distributions adéquates (comme c'était le cas avec Ilias Tzempetonidis sous Lissner), on est plutôt content. De toute façon tout le monde est soulagé d'avoir le droit de rêver retourner peut-être un jour au concert, donc quel que soit le programme, ça fait subjectivement plaisir à lire, des titres, des propositions, du neuf, de l'avenir.



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La création contemporaine et Le Soulier de satin

Mais en ce qui concerne l'opéra contemporain, on n'est pas rendu. Lissner avait eu l'idée (intelligente) de passer l'ensemble de ses commandes avec un thème commun, la mise en valeur d'œuvres du patrimoine littéraire français : on a ainsi eu Trompe-la-Mort de Francesconi, Bérénice de Jarrell (pas une réussite, mais sur le papier, confier ce thème à ce compositeur avait une réelle pertinence), Le Soulier de satin de Dalbavie.

Ce dernier cas révèle néanmoins un cas d'école de la façon de traiter la création contemporaine d'une part comme la cinquième roue du carrosse, d'autre part sans même se soucier de ses spécificités.

Une création contemporaine à l'opéra, on est d'accord, fait moins déplacer, parce que le langage musical est en général plus difficile (et, puisque peu mélodique, procure tout simplement moins de plaisir à la plupart des spectateurs) – et, ne nous mentons pas, aussi parce que les livrets sont la plupart du temps si exécrables qu'ils entraînent dans leur chute même des partitions valeureuses qui, sises sur un texte décent, auraient pu se soutenir par elles-mêmes.

Lorsqu'on se lance dans la commande d'un création, il faut donc s'interroger sur ces paramètres afin de rendre l'œuvre d'une part suffisamment accessible au public une fois en salle, d'autre part suffisamment désirable avant même d'acheter une place – faire une œuvre géniale et jubilatoire, si personne ne réserve pour aller la voir, ça va pas non plus.

Et c'est là que nous allons observer l'enchaînement de décisions… énigmatiques.

1) Concept de départ, entrelacer composition d'opéra et patrimoine littéraire français. Excellent. Tout le monde a quelques noms de grands auteurs en tête (a fortiori le public d'opéra), ça peut permettre simultanément de renouveler le fonds d'œuvres du répertoire sur des œuvres géniales jamais encore mises en musique… et de faire des sujets dans les JTs avec un véritable angle d'accroche accessible : l'histoire racontée, le grand écrivain intemporel qui se réincarne dans une nouvelle création, etc.

2) Le choix de l'auteur. Je ne sais si Claudel a été suggéré par le commanditaire ou par le compositeur, mais il ne s'agit déjà pas de l'écrivain le plus célèbre. Il doit bien y avoir un contingent de catholiques cultivés et passionnés qui vont lâcher tout leur agenda pour courir aller entendre une mise en musique de Claudel, mais ce ne doit pas être avec ça que l'on doit remplir Bastille.

3) Le choix de l'œuvre. Le Soulier de satin : l'œuvre de langue française la plus longue du répertoire, n'est-ce pas ?  On va donc essayer de représenter, avec le débit de parole chantée (si l'on prend pour exemple les tragédies en musique de l'ère Louis XIV, elles font 3 fois moins de vers que les tragédies déclamées, et durent 30% plus longtemps…), une œuvre qu'il faut déjà comprimer pour la rendre représentable, avec une cadence de déclamation bien plus lente. Soit on dénature l'original – a fortiori si, langue française aidant, on voulait en inclure des morceaux non modifiés dans le livret… –, soit on produit quelque chose de beaucoup trop long, propre à décourager le public de bonne volonté.

4) On se retrouve ainsi avec un opéra de six heures. Avec le couvre-feu, il commence à 14h (même en semaine !). Il faut vraiment vouloir poser une demi-journée de congés pour s'enfermer, en juin, dans un théâtre inconfortable pour écouter de la musique inconnue et peut-être difficile / ennuyeuse / pas à notre goût. Foi en la création vivante hautement requise – surtout quand les autres salles (y compris l'autre de l'Opéra National de Paris), à côté, programment L'Orfeo, La Sonnambula ou Tosca, opéras de moins de deux heures aux lignes vocales généreuses et à l'harmonie familière, qui commencent à 18 ou 19h…

5) Le choix du compositeur. J'aime beaucoup la musique de Marc-André Dalbavie, ce n'est donc pas une mauvaise nouvelle ; cependant j'ai le souvenir de la série du festival Présences de Radio-France qui lui avait été consacrée (certes, il doit y avoir 15 ans), où il avait été difficile de réunir suffisamment d'œuvres pour nourrir chaque concert… Donc un compositeur pas particulièrement prolixe (ou bien était-il simplement jeune, dans sa toute petite quarantaine), à qui l'on confie un opéra très long – mais cette prévention s'efface ici, les délais ont été tenus.
    En revanche, en termes de langage, je me suis interrogé : sa façon, avec de belles couleurs orchestrales, ne se caractérise pas par le contraste dans le temps mais plutôt dans l'immédiateté de strates simultanées, évoluant peu au cours de ses pièces – mais je ne connais que superficiellement son catalogue pour en juger. Est-ce vraiment une valeur sûre pour écrire un opéra très long ? 
    Il a cependant déjà écrit deux opéras pour de grandes maisons, Gesualdo (en français, Zürich 2010) et Charlotte Salomon (en allemand, Salzbourg 2014), que je trouve très beaux mais que je n'ai pas pu écouter en intégralité. Si je m'attarde sur l'opéra français, on retrouve tout à fait sa manière orchestrale avec ses cuivres varésiens (l'attaque est à la fin du son et non au début comme c'est naturellement le cas), son écriture en couches. La prosodie est bonne, l'élocution naturelle… je m'interroge juste sur la variété du discours sur la durée – dans Gesualdo, il s'en était tiré astucieusement en incluant des portions de madrigaux.
    À tester donc : ça me paraissait initialement aventureux (je n'avais pas connaissance de ses deux opéras, et je craignais qu'il ne parvienne pas du jour au lendemain à domestiquer son langage au service de l'exercice très spécifique du drame chanté), mais il s'agit finalement d'un compositeur expérimenté (troisième opéra en dix ans), à la prosodie saine (pas d'intervalles délirants ni d'appuis musicaux indifférents à ceux de la langue), capable de belles ponctuations orchestrales. Reste simplement à éprouver s'il trouve la variété de ton (que je ne lui connais pas vraiment) pour habiter de façon suffisamment renouvelée quasiment six heures de musique. Mais je suis assez confiant que ce sera beau, en tout cas.

6) Les interprètes. C'est là le grand point fort de la proposition : le plateau vocal est assez affolant : Hubeaux, Beuron, Bou, Pisaroni dans les rôles principaux, et C. Poul, Santoni, Uria-Monzon, Čenčić, Dran, Huchet, Labonnette, Cavallier aux alentours, voilà qui promet en termes de beauté vocale, de diction exemplaire et de tempérament extraverti !
    Grand soin apporté à la distribution, donc ; pas du tout des spécialistes de la création contemporaines sortis d'une niche trop spécialisée, mais des artistes connus du public, de grandes voix même.
    Seule surprise, Dalbavie dirige lui-même, ce qui est inhabituel à l'Opéra de Paris pour les créations, généralement confiées à des chefs de renom.

Seconde partie : réalisation concrète du projet en 2021.

7) Le lieu de création. Contrairement aux habitudes de réserver la création contemporaine à Garnier, il était prévu que ce soit joué à Bastille, permettant de faire entendre plus confortablement et à un plus vaste public (plus loin du drame, aussi). Mais voilà qu'à l'occasion de la réouverture de la maison, nous apprenons que toutes les places vendues sont remboursées et que Garnier abritera la production !  Remplir à nouveau une salle, en deux semaines à partir de l'ouverture des ventes, pour de l'opéra contemporain d'un compositeur pas particulièrement starisé, voilà qui paraît aventureux. Surtout que l'inconfort de Garnier n'incite pas nécessairement à prendre le même type de risque : 6 heures n'importe où à Bastille (même dans les galeries latérales où il faut se plier pour voir), ce n'est pas du tout équivalent à 6 heures sur un siège à Garnier, où seul le parterre est réellement confortable – pour le coup, plus qu'à Bastille, dont les dossiers sont mal conçus.
    J'imagine que le but était de libérer de la place à Bastille pour des productions plus grand public, et satisfaire le plus grand nombre – mais j'ai l'impression que, bien que Bastille puisse en accueillir deux simultanément, il n'y a pas de production en alternance de Tosca ?
    Je me suis aussi demandé ce que cela produisait sur la partition, composée dans la perspective d'être jouée au besoin par très grand orchestre et dans une salle immense, qui se retrouve dans un théâtre à l'italienne… est-ce que tout le monde tient dans la fosse ?  Est-ce que ça ne va pas sonner trop bruyant ?

8) Les tarifs. Là aussi, un revirement incompréhensible. Alors que, pour remplir Bastille et inciter à la découverte de la création, ils étaient particulièrement bas – dès l'ouverture des réservations, une offre spéciale proposait des places de première catégorie à 40€ aux moins de 40 ans (de mémoire) –, les voici revenus à la normale. Ce qui est particulièrement cruel, considérant que toutes les places ont été remboursées, et qu'à Garnier, pour 45€, on a soit l'amphithéâtre – très étroit et inconfortable, avec ses dossiers ornés de moulures en métal (!), pas sûr qu'on ait le surtitrage non plus –, soit les côtés tout en haut ou plus bas en fond de loge. Bref, soit il est physiquement impossible d'y tenir six heures, soit on y voit mal. Pour 45€. Contre un premier rang de premier balcon à Bastille pour le même prix. Il faut donc clairement dépenser plus, au moins pour les petits budgets, pour obtenir un degré de confort comparable.
    Dans les seules places à 45€ d'où l'on voit bien sans aller s'entasser à l'amphi, seulement deux étaient à la vente (une de chaque côté !).
    Pour une œuvre nouvelle, qui arrive après des expériences de créations pas toujours probantes (Bérénice ou, plus loin, L'Espace dernier, avaient été fort mal reçus), c'est demander un sens de la Foi (pour ne pas dire de la Providence) assez important chez des spectateurs qui ne sont peut-être pas assez nombreux pour espérer remplir 5 dates.

9) La réservation. Dernière trouvaille géniale, les places à 25€, qui contiennent quelques sièges potables (et qui constituent un tarif un peu plus attractif pour les petits budgets prêts à prendre le risque d'une création)… ne sont cette année vendues qu'au guichet. Elles ouvrent donc le 19 pour la première représentation le 21 !  Et vont donc susciter une queue serrée sur le trottoir, un attroupement dans la zone billetterie – ce qui est exactement le choix raisonnable à faire en temps de pandémie.
    (Sans compter que cette politique de réserver aux Parisiens les places les moins chères, alors qu'il s'agit d'un opéra national, co-financé par la Nation, me paraît parfaitement discriminatoire : si vous habitez en banlieue lointaine ou plus encore en Province, hé bien vous ne pouvez pas avoir une bonne place à moins de 45€.)



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Gouvernance

Je ne comprends donc pas très bien, de l'extérieur, la rationalité des choix opérés dans les deux étapes d'élaboration de cette création.

a) La commande : quelle idée saugrenue de choisir une œuvre excessivement longue, sachant que la mise en opéra distend nécessairement les durées, et qu'il faudrait multiplier par trois (ou couper au tiers) la pièce d'origine si l'on voulait la jouer in extenso avec orchestre et chants ?  Même avec les six heures de spectacle (trop longue pour l'endurance physique dans un fauteuil et l'attention requise par de la musique nouvelle), il y aura beaucoup de raccourcis dans l'intrigue, ce qui risque apauvrir les situations ou rendre la compréhension plus difficile.

b) La mise en œuvre : pourquoi ces changements soudains, cette augmentation des tarifs, ce remboursement des places vendues, cette mise en vente partielle… alors qu'il s'agit de la seule soirée un peu difficile à vendre de la saison ?  L'Opéra de Paris est assis sur le tas d'or de sa réputation, de son rayonnement historique… quoi qu'il programme, tout est complet (sauf pour les reprises multiples de productions d'œuvres moins courues, clairement Cardillac #2, Wozzeck-Marthaler #3 ou  Rusalka-Carsen #4 n'étaient pas les plus grandes réussites de box-office de l'histoire de la maison).
    Lorsque par extraordinaire (parce que la création contemporaine est inscrite dans les statuts, tout simplement…) on met à l'affiche une œuvre moins célèbre, qui inspire moins confiance… pourquoi s'acharner à tout rendre plus difficile ?  En rendant les places vendues !  En augmentant les prix !  En réservant les places attractives au guichet !

J'ai une hypothèse pour la partie mise en œuvre : Dalbavie a peut-être, lors d'un dîner, médit – devant un peu trop de témoins – de l'élégance ou des mœurs de la femme de Neef. Celui-ci a donc juré de l'humilier, de le briser en faisant jouer sa création devant une salle totalement vide. (Je m'attends à ce qu'un mystérieux acquérer m'offre avec insistance de racheter ma place au double de son prix, à présent.)

Pour l'instant, je n'ai pas d'autre interprétation qui résiste aussi bien au rasoir d'Ockham. Je prends volontiers vos suggestions.



Annexes

Je vous joins ici quelques vidéos pour éclairer les descriptions abstraites figurant dans cette notule :

→ Entretien et extraits à propos de son premier opéra Gesualdo (Zürich 2010, en français).

→ Reportage (en allemand) sur son deuxième opéra (écrit en allemand) Charlotte Salomon (Salzbourg 2010, ici lors de la création allemande en 2017 à Bielefeld).

→ Entretien avec le compositeur à propos du Soulier de satin.
(Attention, vous entendez en fond ses Sonnets de Louise Labé, pas son opéra.)

Au disque, il existe de beaux échantillons de son art symphonique, notamment avec le Symphonique de Seattle (Seattle SO Media), l'Orchestre de Paris (Naïve) et le Philharmonique de Radio-France (Radio-France).
Aussi sa contribution, très caractéristique de son style, au Requiem de Reconciliation (paru chez Hänssler) avec son « Domine J » en guise d'Offertoire – aux côtés de Berio, Cerha, Nordheim, Rands, Penderecki, Rihm, Kurtág…



À bientôt pour un nouvel épisode de la fin de la fin-du-monde ! 
(Est-ce la fin-renouveau ou la fin-définitive, je ne m'avancerai guère sur ce point.)

mardi 6 avril 2021

Le grand tour 2021 des nouveautés – épisode 4 : cycles Pfleger, Cherubini, Schubert 13, Kreutzer, Dupuy, jeune Verdi, meilleurs Offenbach, Mahler-Tennstedt, Tapiola, femmes, Polonais, concertos pour violon, duos de piano, quatuors avec harmonium…


Toujours la brève présentation des nouveautés (et autres écoutes et réécoutes) du mois écoulé. Je laisse une trace pour moi, autant vous donner des idées d'écoutes…

heise

Conseils

Opéra

Trois opéras très peu présents au disque :
Les Feſtes d'Hébé de Rameau dans leur version révisée de 1747 ;
Drot og marsk de Heise, généreux opéra romantique suédois ;
Constellations d'Efrain Amaya d'après la vie de Miró (2012).

Hors nouveautés, retour aux fondamentaux : Isis de LULLY, La mort d'Abel de Kreutzer (six fois…), les meilleurs Verdi de jeunesse dans leurs meilleures versions (Oberto, Nabucco, Alzira, Stiffelio et sa refonte Aroldo… ne manquait qu'Il Corsaro !), Tristan de Wagner dans une version ultime (C. Kleiber, Scala 1978), les deux meilleurs Offenbach comiques (Barbe-Bleue et Le roi Carotte), Barbe-Bleue de Bartók en japonais, Saint François d'Assise de Messiaen dans la souple version Nagano !


Récitals


♦ Romances, Ballades & Duos, parmi les œuvres les plus touchantes de Schumann, par les excellents spécialistes Metzer, Vondung, Bode et Eisenlohr.
♦ Un autre cycle de Jake Heggie : Songs for Murdered Sisters.
♦ Yoncheva – disque au répertoire très varié, culminant dans Dowland et surtout une chaconne vocale de Strozzi éblouissante.
♦ Piau – grands classiques du lied symphonique décadent (dont les R. Strauss).

Hors nouveautés : j'ai découvert le récital composite de Gerald Finley avec le LPO et Gardner, tout y est traduit en anglais.


Sacré

♦ Cantates de la vie de Jésus par Pfleger, objet musical (et textuel) très intriguant.
♦ Couplage de motets de M.Haydn et Bruckner par la MDR Leipzig.

Hors nouveautés : Motets latins de Pfleger (l'autre disque), motets latins de Danielis (merveilles à la française), Cherubini (Messe solennelle n°2 par Bernius, aussi l'étonnant Chant sur la mort de Hayndn qui annonce… Don Carlos !), Messe Solennelle de Berlioz (par Gardiner), Service de la Trinité et Psaumes de Stuttgart de Mantyjärvi.


Orchestral

Hors nouveautés : Cherubini (Symphonie en ré), Mahler par Tennstedt (intégrale EMI et prises sur le vif), Tapiola de Sibelius (par Kajanus, Ansermet, Garaguly, plusieurs Berglund…), Pejačević (Symphonie en fa dièse)


Concertant

Hors nouveautés : concertos pour violon de Kreutzer, Halvorsen, Moeran, Harris, Adams, Rihm, Dusapin, Mantovani. Concertos pour hautbois de Bach par Ogrintchouk. Concerto pour basson de Dupuy par van Sambeek.


Chambre

♦ Trios de Rimski et Borodine, volume 3 d'une anthologie du trio en Russie.
♦ Pour deux pianos : Nocturnes de Debussy et Tristan de Wagner arrangé par Reger.
♦ Meilleure version de ma connaissance pour le Quatuor pour la fin du Temps de Messiaen par le Left Coast Ensemble (musiciens de la région de San Francisco).

Hors nouveautés : Matteis (disque H. Schmitt et disque A. Bayer), Bach (violon-clavecin par Glodeanu & Haas, souplesse garantie), Rondo alla Krakowiak de Chopin avec Quintette à cordes, disques d'arrangements du Quatuor Romantique (avec harmonium !) absolument merveilleux, Messiaen (Quatuor pour la fin du Temps par Chamber Music Northwest).
Et pas mal de quatuors à cordes bien évidemment : d'Albert, Smyth (plus le Quintette à cordes), Weigl, Andreae, Korngold, Ginastera (intégrale des quatuors dans la meilleure version disponible)…


Solo

♦ Récital de piano : Samazeuilh, Decaux, Ferroux, L. Aubert par Aline Piboule.

Hors nouveautés : clavecin de 16 pieds de Buxtehude à C.P.E. Bach.


La légende
Du vert au violet, mes recommandations…
→ * Vert : réussi !
→ ** Bleu : jalon considérable.
→ *** Violet : écoute capitale.
→ ¤ Gris : pas convaincu.
(Les disques sans indication particulière sont à mon sens de très bons disques, simplement pas nécessairement prioritaires au sein de la profusion de l'offre.)


piboule

Liste brute suit :




Nouveautés : œuvres

Rameau – Les Feſtes d'Hébé (version de 1747) – Santon, Perbost, Mechelen, Estèphe, Orfeo Orchestra, Vashegyi (radio hongroise)
→ Premier enregistrement de la version remaniée de 1747, très vivement animée par Vashegyi (davantage tourné vers l'énergie cinétique que la couleur). Des réserves fortes sur Santon ici (vibrato vraiment trop large, instrument surdimensionné), en revanche Estèphe (mordant haut et verbe clair) exhibe l'un des instruments les mieux faits de toute la scène francophone.
Audible sur la radio hongroise avant parution CD dans quelques mois…

Rimski-Korsakov, Cui, Borodine – Trios piano-cordes (« Russian Trio History vol.3 ») – Brahms Piano Trio (Naxos 2021)
→ Élan formidable du Rimski. Très beau mouvement lent lyrique de Borodine.

Brahms, Sonate à deux pianos // Wagner-Reger, Prélude et mort d'Isolde // Debussy, Nocturnes – « Remixed » –  Grauschumacher Piano Duo (Neos 2021)
→ Splendides timbres, textures et couleurs du duo. Ainsi transcrits, Tristan et les Nocturnes constituent une approche originale, et marquante.

Koželuch : Concertos and Symphony par Sergio Azzolini, Camerata Rousseau, Leonardo Muzii (Sony 2021)
→ Avec un son de basson très terroir.

Pfleger – Cantates « The Life and Passion of the Christ » – Vox Nidrosiensis, Orkester Nord, Martin Wåhlberg (Aparté 2021)
→ Musique du Nord de l'Allemagne au milieu du XVIIe siècle. Œuvres inédites (seconde monographie seulement pour ce compositeur.
→ Plus ascétique que ses motets latins (disque CPO, plus expansif), je vous promets cependant de l'animation, avec ses solos de psaltérion, ses évangélistes qui fonctionnent toujours à deux voix, ses structures mouvantes qui annoncent l'esthétique des Méditations pour le Carême de Charpentier.
→ Par ailleurs, curiosité d'entendre des textes aussi composites (fragments des Évangiles mais aussi beaucoup d'Ancien Testament épars), ou encore de voir Dieu s'exprimer en empruntant les mots d'Ézéchiel et en émettant des notes très graves (mi 1 - ut 1) sur des membres de phrase entiers.
→ On y rencontre des épisodes peu représentés d'ordinaire dans les mises en musique – ainsi la rencontre d'Emmaüs, ou la Cananéenne dont la fille est possédée – écrits en entrelaçant les sources des Évangiles, des portions des livres prophétiques, les gloses du XVIIe et les chants populaires de dévolution luthériens, parfois réplique à réplique…
→ De quoi s'amuser aussi avec le contexte (je vous en touche un mot dans la notice de ma main), avec ces duels à l'épée entre maîtres de chapelle à la cour de Güstrow (le dissipé Danielis !), ou encore lorsque Pfleger écarte sèchement une demande du prince, parce que lui sert d'abord la gloire de la musique et de Dieu. (Ça pique.)
→ Et superbe réalisation, conduite élancée, voix splendides et éloquentes.

SCHUMANN, R.: Lied Edition, Vol. 10 - Romanzen und Balladen / Duets (Melzer, Vondung, Bode, Eisenlohr)
→ Superbe attelage pour les lieder en duo de Schumann, de petits bijoux trop peu pratiqués.

Michael Haydn, Bruckner – Motets – MDR Leipzig, Philipp Ahmann (PentaTone 2021)
→ La parenté entre les deux univers sonores (calmes homorythmies, harmonies simples) est frappante. La couleur « Requiem de Mozart » reste prégnante chez M. Haydn. Très beau chœur rond et tendre.

Monteverdi, Ferrabosco, Cavalli, Strozzi, Stradella, Gibbons, Dowland, Torrejón, Murcia, traditionnel bulgare… – « Rebirth » – Yoncheva, Cappella Medeiterranea, García Alarcón (Sony 2021)
→ La voix est certes devenue beaucoup plus ronde et moins focalisée, mais le style demeure de façon impressionnante, pas le moindre hors-style ici.
→ Accompagnement splendide de la Cappella Mediterranea, parcourant divers climats – l'aspect « ethnique » un peu carte postale de certaines pistes, façon Arpeggiata, étant probablement le moins réussi de l'ensemble.
→ Le disque culmine assurément dans l'ineffable chaconne de l'Eraclito amoroso de Mlle Strozzi, petite splendeur. . Come again de Dowland est aussi particulièrement frémissant (chaque verbe est coloré selon son sens)… !

Samazeuilh, Le Chant de la Mer // Decaux, Clairs de lune // Ferroud, Types // Aubert, Sillages – Aline Piboule (Printemps des Arts de Monte-Carlo 2021)
→ Déjà célébrée par deux fois dans des programmes français ambitieux chez Artalinna (Flothuis, Arrieu, Smit, Fauré, Prokofiev, Dutilleux !), grand retour du jeu plein d'angles d'Aline Piboule dans quatre cycles pianistiques français de très haute volée :
→ le chef-d'œuvre absolu de Decaux (exploration radicale et approche inédite de l'atonalité en 1900),
→ première gravure (?) du Ferroud toujours inscrit dans la ville,
→ lecture ravivée de Samazeuilh (qui m'avait moins impressionné dans la version ATMA), et
→ scintillements argentés, balancements et mélodies exotiques fabuleuses des Sillages de Louis Aubert  !
→ bissé

PÄRT, A.: Miserere + A Tribute to Cæsar + The Deer's Cry, etc. – BayRSO, œsterreichisches ensemble fuer neue musik, Howard Arman (BR-Klassik 2021)
→ Belle version de belles œuvres de Pärt – pas nécessairement le Balte le plus vertigineux en matière de musique chorale, mais sa célébrité permet de profiter souvent de ses très belles œuvres, servies ici par ce superbe chœur.

Michał BERGSON – Piano Concerto / Mazurkas, Polonaise héroïque, Polonia!, Il Ritorno,  Luisa di Montfort [Opera] (excerpts) – Jonathan Plowright au piano, Drygas, Kubas-Kruk ;  Poznan PO, Borowicz (DUX 2020)
→ Le père d'Henri – principale raison d'enregistrer ces œuvres pas majeures.
→ Concerto très chopinien (en beaucoup moins intéressant). La Grande Polonaise Héroïque, c'est même du pillage de certaines tournures de celle de Chopin… (en beaucoup, beaucoup moins singulier)
→ L'Introduction de Luisa di Montfort est écrite sur le thème « Vive Henri, vive ce roi galant », plus original et amusant. Mais ensuite : cabalette transcrite pour clarinette, on garde donc juste la musique belcantiste pas très riche et la virtuosité extérieure, sans le théâtre.
→ Il Ritorno, une petite pièce vocale en français, galanterie ornementale virtuose parfaitement banale de 4 minutes. Pas enthousiaste.
→ Première déception chez DUX !  (mais au moins c'est rarissime et plutôt bien joué… donc toujours une découverte agréable)

Efrain AMAYA – Constellations [2012] – Young, Kempson, Shafer ; Arts Crossing Chb O, Amaya (Albany 2020)
→ Très tonal, sur jolis ostinatos, déclamation sobre pour trois personnages, un opéra inspiré par la vie (et les opinions) de Joan Miró. Il y discute de ses ressentis d'artiste (sur Dieu, dans le premier tableau…)  avec sa femme, parfois en présence de sa fille silencieuse. Également quelques échanges avec un oiseau, muse du peintre (incarné par la chanteuse qui fait l'épouse), et entre l'épouse et l'esprit de la maison.
→ Même le final, lorsque la famille fuit tandis que les bombes se mettent à pleuvoir sur le village, sonne plutôt « oh, regarde la télé, c'est absolument dément ce qu'ils font, tu y crois toi ? ».
→ Ce n'est pas du drame très brûlant, mais tout ça est très joli et délicat, assez réussi. À tout prendre beaucoup plus satisfaisant que ces opéras qui, en voulait être simultanément un laboratoire musical ou poétique, ne sont tout simplement pas opérants prosodiquement et dramatiquement – devenant vite mortellement ennuyeux. Choix peu ambitieux ici, mais plutôt séduisant.

STANCHINSKY : Piano Music (A Journey Into the Abyss) (Witold Wilczek) (DUX 2021)
→ Impressionnant pianiste, très découpé et enveloppant à la fois !
→ Le corpus en est ravivé (pièces polyphoniques, nocturne, mazurkas). Mais le plus intéressant demeure les Fragments, absents ici.

STANCHINSKY : Piano Works (Peter Jablonski) (Ondine 2021)
→ A beaucoup écouté Chopin... Très similaire dans les figures et l'harmonie, à la rigueur augmenté de quelques effets retors typés premier Scriabine.
→ Les Fragments sont plus intéressants que les Sonates et Préludes ; beaucoup plus originaux et visionnaires, plus scriabiniens, voire futuristes.
→ Pianiste assez lisse.

HEISE, P.A.: Drot og marsk (Royal Danish Opera Chorus and Orchestra, Schønwandt) (Dacapo 2021)
→ Superbe drame romantique, dans la veine de Kuhlau, remarquablement chanté et joué. Tout est fluide, vivant, inspiré, œuvre à découvrir absolument !  (il en existait déjà une version pas trop ancienne chez Chandos)

HEGGIE, J.: Songs for Murdered Sisters (J. Hopkins, J. Heggie)
→ Toujours dans le style fluide et très bien pensé rhétoriquement de Heggie. Songs très bien chantées.



Nouveautés : versions

Bach: 'Meins Lebens Licht' - Cantatas BWV 45-198 & Motet BWV 118 – Collegium Vocale Gent, Philippe Herreweghe (Phi 2021)
→ Approche très douce et caressante, comme voilée… Agréable, mais on peut faire tellement plus de ce corpus !
→ (Déçu, j'ai beaucoup lu que c'était ultime…)

Messiaen – Quatuor pour la fin du Temps – Left Coast Ensemble (Avie 2021)
→ Captation proche et très vivante, interprétation très sensible à la danse et à la couleur, une merveille où la direction de l'harmonie, le sens du discours apparaissent avec une évidence rare !
+ Rohde:  One wing (Presler, Anna; Zivian, Eric)
→ Très plaisante piécette violon-piano, congruente avec Messiaen, écrite par l'altiste membre de cet ensemble centré autour de San Francisco.

R. Strauss, Berg, Zemlinsky – Lieder orchestraux : Vier letzte Lieder, Morgen, Frühe-Lieder, Waldesgespräch – Piau, O Franche-Comté, Verdier (Alpha 2021)
→ Beau grain de cordes (pas du tout un fondu « grand orchestre », j'aime beaucoup), cuivres moins élégants.
→ Piau se tire très bien de l'exercice, même si captée de près (et pour ce format de voix, j'aime une articulation verbale plus acérée), très élégante et frémissante.

Verdi – Falstaff – Raimondi, OR Liège, Arrivabeni (Dynamic)
→ Raimondi vieillissant et éraillé, mais toujours charismatique. En revanche, tout est capté (y compris le très bon orchestre) atrocement, comme rarement chez ce label pourtant remarquable par ses prises de son ratées : on entend tout comme depuis une boîte sous la fosse, les chanteurs sont trop loin l'orchestre étouffé, c'est un carnage.
→ À entendre pour la qualité des interprètes, mais très peu agréable à écouter.

Beethoven:  König Stephan (King Stephen), Op. 117 (revised spoken text by K. Weßler) – Czech Philharmonic Choir, Brno; Cappella Aquileia; Bosch, Marcus (CPO 2021)
+ ouvertures de Fidelio
→ Version très informée et sautillante, avec un récitant (à défaut du texte d'origine) ce qui est rarement le cas.


heise




Autres nouvelles écoutes : œuvres

Offenbach – Le roi Carotte – Pelly, Lyon (vidéo France 3)
→ Les sous-entendus grivois les plus osés que j'aie entendus sur une scène d'opéra… Formidable composition étonnamment libre pour du Offenbach, livret d'une ambition bigarrée assez folle, une petite merveille servie au plus haut niveau (Mortagne, Beuron, Bou !).
→ Grand concertato des armures qui évoque Bénédiction des Poignards, superbe quatuor suspendu d'arrivée à Pompéi, impressionnante figuration des chemins de fer…

Danielis – Motets – Ensemble Pierre Robert, Desenclos (Alpha)
→ Petites merveilles à la française de ce compositeur wallon ayant exercé en Allemagne du Nord, où – à Güstrow notamment – il s'est illustré par ses frasques, insultes, caprices, chantages au départ…
→ Interprétation à la française également, d'une sobre éloquence, comme toujours avec Desenclos.
→ Bissé.

Buxtehude, Böhm, Weckmann, J.S. Bach, C.Ph. Bach, W.F. Bach – Vom Stylus phantasticus zur freien Fantasie – Magdalena Hasibeder sur clavecin 16’ de Matthias Kramer (2006) d’après un clavecin hambourgois (vers 1750) (Raumklang 2013)
→ Impressionnante majesté du clavecin doté d'un jeu de seize pieds (au lieu du huit-pieds traditionnel), capté de façon un peu trouble. Mais la superbe articulation de M. Hasibeder compense assez bien ces limites. Un pont entre deux esthétiques de l'affect différentes, sur un rare modèle reconstitué.

Moeran – Concerto pour violon – (Lyrita)
→ Lyrique, atmosphérique, dansant, très réussi. Mouvements lents encadrant un mouvement rapide très entraînant et bondissant.
+ Rhapsodie en fa# avec piano (aux formules digitales très rachmaninoviennes)
+ Rhapsodie en mim pour orchestre, très belle rêverie !

Roy Harris & John Adams: Violin Concertos – Tamsin Waley-Cohen, BBC Symphony Orchestra, Andrew Litton (Signum)
→ Deux concertos très vivants et colorés, où l'orchestre jou sa part.
→ Bissé.

Halvorsen – Concerto pour violon  – Henning Kraggerud, Malmö SO (Naxos 2017)
→ Très violonistique, mais beaucoup des cadences simples et sens de la majesté qui apportent de grandes satisfactions immédiates.

Rihm, Gedicht des Malers – R. Capuçon, Wiener Symphoniker, Ph. Jordan
+ Dusapin, Aufgang – R. Capuçon, OPRF, Chung
+ Mantovani, Jeux d'eau  – R. Capuçon, Opéra de Paris, Ph. Jordan
→ Mantovani chatoyant et plein de naturel, Rihm lyrique et privilégiant l'ultrasolo et le suraigu, Dusapin plus élusif.

Svendsen: Violin Concerto in A major, Op. 6 / Symphony No. 1 in D major, Op. 4 – Arve Tellefsen, Oslo PO, Karsten Andersen (ccto), Miltiades Caridis (symph) (Universal 1988)
→ Timbre d'une qualité surnaturelle… Sinon belle plénitude paganino-mendelssohnienne, et plus d'atmosphères que d'épate.
→ Symphonie plus naïve, en bonne logique vu le langage.

Matteis – False Consonances of Melancholy – A. Bayer,  Gli Incogniti, A. Bayer (ZZT / Alpha 2009)
→ Très beau disque également, mais de consonance plus lisse.

Matteis – Ayrs for the Violin – Hélène Schmitt (Alpha 2009)
→ Œuvres magnifiques, déjà tout un art consommé de doubles cordes notamment, mais toujours avec poésie.

Saint-Saëns – Suite pour violoncelle et orchestre – Camille Thomas, ON Lille, A. Bloch (DGG 2017)
→ Suite d'inspiration archaïsante mais extrêmement romantisée, très réussie.
+ des Offenbach arrangés

Boccherini, Couperin-Bazelaire, Frescobaldi-Toister, Monn-Schönberg – Concertos pour violoncelleJian Wang, Camerata Salzburg (DGG 2003)
→ Boccherini G. 482 en si bémol, plein de vie. Le reste du corpus est moins marquant, surtout Monn, assez terne. Très belle interprétation tradi-informée.

PabstTrio piano-cordes (« Russian Trio History vol.2 ») – Brahms Piano Trio (Naxos)
→ Bissé. Beau Trio à la mémoire d'A. Rubinstein, bien fait, mais je n'ai pas été particulièrement saisi.

Dupuy:  Flute Concerto No. 1 in D Minor – Petrucci, Ginevra; Pomeriggi Musicali, I; Ciampi, Maurizio (Brilliant Classics 2015)
→ On y retrouve les belles harmonies contrastées et expressives propres à Dupuy, mais l'expression galante et primesautière induite par la flûte n'est pas passionnante.

Édouard Dupuy – Bassoon Concerto in A Major – van Sambeek, Sinfonia Rotterdam, Conrad van Alphen (Brilliant 2012)
→ Orchestre hélas tradi-mou. Belle œuvre qui mériterait mieux, quoique en deçà du gigantesque concerto en ut mineur…

KreutzerViolin Concerto No. 14 in E Major – Peter Sheppard Skærved, Philharmonie Slovaque de Košice ; Andrew Mogrelia (Naxos 2007)
→ Quelle grâce, on pense à Du Puy ! 
+ n°15, Davantage classicisme standard, mais interprétation très belle (quel son de violon, quelle délicatesse de cet orchestre tradi !) qui permet de se régaler dans les moments les plus lyriques.
(Arrêtez un peu de nous casser les pieds avec Saint-George et faites-nous entendre du Clément et du Kreutzer, les gars !)

Kreutzer:  42 Etudes ou caprices – Masayuki Kino (Exton 2010)
→ Vraiment des études de travail, certes plutôt musicales, mais rien de bien passionnant à l'écoute seule, si l'on n'est pas dans une perspective technique. Un disque pour se donner des objectifs plutôt que pour faire l'expérience de délices musicales…
→ (mieux qu'Aškin et E. Wallfisch, paraît vraiment difficile à timbrer)

Marschner ouv Vampyr, Korngold fantaisie Tote Stadt, R. Strauss Ariadne Fantaisie, Meyerbeer fantaisie Robert le Diable – « Opera Fantasias from the Shadowlands » – Le Quatuor Romantique (violon, violoncelle, piano, harmonium) (Ars Produktion 2010)
→ Arrangements passionnants qui ne se limitent pas aux moments instrumentaux les plus évidents mais parcourent l'œuvre (le pot-pourri d'Ariadne est particulièrement exaltant !), et dans un effectif typique de la musique privée de la fin du XIXe siècle, un ravissement – qui change radicalement des disques qu'on a l'habitude d'entendre.
→ Trissé.

Wagner – Wesendonck, extraits de Rienzi, Lohengrin, Meistersinger,  Parsifal – « Operatic Chamber Music » – Suzanne McLeod, Le Quatuor Romantique (violon, violoncelle, piano, harmonium) (Ars Produktion 2013)
→ À nouveau des arrangements qui (échappent un peu moins aux grands tubes mais) renouvellent les équilibres sans déformer l'esprit ni l'impact des œuvres. Très persuasif !

Tchaïkovski, Casse-Noisette (extraits), Waldteufel Patineurs, Humperdinck ouverture Hänsel & Noëls traditionnels allemands – « CHRISTMAS MUSIC - A Late Romantic Christmas Eve » – (Elena Fink, Le Quatuor Romantique) (Arsk Produktion 2010)
→ Encore un délice…

BRAHMS, J.: Piano Quintet become String Quintet, Op. 34 (reconstructed by S. Brown) / WEBER, J.M.: String Quintet in D Major (Divertimenti Ensemble) (Cello Classics 2007)
→ Belle œuvre de Weber (Joseph Miroslav).
→ Transformation réussie du Quintette avec piano en quintette à cordes, les contrastes et les effets rythmiques demeurent vraiment de façon convaincante – davantage que dans la version Sonate pour deux pianos, pourtant de la main de Brahms !

Mantyjärvi – Service de la Trinité, Psaumes de Stuttgart et autres motets – Trinity College Cambridge, Layton
→ Excellent exemple de la belle écriture chorale de la baltique, avec une progression harmonique simple, des accords riches, un rapport éttroit au texte, une lumière intense.

Smyth – Quatuor en mi mineur – Mannheim SQ (CPO)
+ quintette à cordes
→ Œuvres remarquablement bâties, avec une belle veine mélodico-harmonique de surcroît. Le Quintette (de jeunesse) plus marqué par une forme de folklore un peu rustique, le quatuor plus sophistiqué (peut-être encore meilleur).

Bosmans – Quatuor –
→ Bien bâti, particulièrement court.

Honneur à la patrie (Collection "Chansons de France") – Chants patriotiques – Thill, Lucien Lupi, Dens, Arlette Deguil, Legros, Roux, Michèle Dorlan… (Marianne Melodie 2011)

Cherubini, Galuppi, Clementi, Bonazzi, Busi, Canneti… – Sonatas for two organs – Luigi Celeghin, Bianka Pezić (Naxos 2004)
→ Cherubini avec des marches harmoniques alla Bach, Galuppi tout bondissant en basses d'Alberti… quelles étranges choses. Assez sinistre sur ces pleins-jeux blanchâtres (pourtant des orgues italiens de 1785), pièces pas passionnantes…   et l'effet de dialogue est complètement perdu au disque (la matière musicale seule ne paraît pas justifier l'emploi de deux organistes.
→ Seul Cherubini m'a un peu intéressé, par sa tenue et son décalage avec l'habitude. Sinon, l'arrangement par Francesco Canneti du grand concertato à la fin du Triomphe d'Aida est un peu divertissant et tuilé, à défaut de subtil.

CherubiniSciant gentes – Keohane, Maria; Oitzinger, Margot; Hobbs, Thomas; Noack, Sebastian; Stuttgart Chamber Choir; Hofkapelle Stuttgart; Bernius, Frieder (Carus 2013)
→ Gentil motet sans éclat particulier, bien joué sans électricité excessive non plus.

CherubiniChant sur la mort de Haydn, Symphonie en ré – Cappella Coloniensis, Gabriele Ferro (Phoenix 2009)
→ Début de la mort de Haydn contient pas mal d'éléments du début de l'acte V de Don Carlos !  Culture sacrée commune aux deux, ou souvenir de Verdi ?

Cherubini
Pimmalione – Adami, Berghi, Carturan, Ligabue, RAI Milano, Gerelli (libre de droits 1955)

Cherubini – Les Abencérages – Rinaldi, Dupouy, Mars ; RAI Milan, Maag (Arts)
→ Quelques variations (orchestrales !) sur la Follia en guise de danses de l'acte I.
→ Ne semble pas génialissime (récitatifs médiocres en particulier), mais joué ainsi à la tradi-mou avec une majorité de chanteurs à fort accent et plutôt capté, on ne se rend pas forcément compte des beautés réelles… M'a évoqué le Cherubini-eau-tiède d'Ali Baba et de Médée, eux aussi très mal servis au disque…

Cherubini – Messe Solennelle n°3 en mi (1818) // 9 Antifona sul canto fermo 8 tona // Nemo gaudeat  – Ziesak, Pizzolato, Lippert, Abdrazakov ; BayRSO, Muti (EMI)
→ Mollissime. Il y a l'air d'y avoir de jolies choses, mais Muti, pourtant sincère amoureux de cette musique, noie tout sous une mélasse hors style.
→ Quand même la très belle découverte du motet Nemo gaudeat, très belles figures chorale, curieux de réentendre cela en de meilleures circonstances…

Bartók, Le Château de Barbe-Bleue (en japonais) – Ito, Nakayama, NHK Symphony, Rosenstock (1957, édité par Naxos)
→ Pas très typé idiomatiquement en dehors du Prologue, mais très bien chanté et joué, beaucoup d'esprit !

Górecki:  String Quartet No. 3, Op. 67, "Pieśni śpiewają" ( … Songs Are Sung) – DAFÔ String Quartet (DUX 2017)
→ Aplats et répétitions, pas aussi détendant que son Miserere ou sa Troisième Symphonie, clairement, mais dans le même genre à temporalité lente et au matériau raréfié.
→ Premier mouvement un peu sombre, le deuxième est au contraire un largo en majeur, en grands accords lumineux et apathiques, les deux scherzos intermédiaires apportant un brin de vivacité, jusqu'au final largo, plus sérieux et prostré. Assez bel ensemble, plutôt bien fait (mais très long pour ce type de matière : 50 minutes !).

CHOPIN : Rondo alla Krakowiak (Paleczny, Prima Vista Quartet, Marynowski) (DUX 2015)
→ Réjouissante version accompagnée par un quintette à cordes, pleine de saveur et de tranchant par rapport aux versions orchestrales forcément plus étales et arrondies – et ce même du côté du piano !



Autres nouvelles écoutes : interprétations

Chabrier, ouverture de Gwendoline, España, Bourrée fantasque, Danse villageoise / Bizet, Suite de l'Arlésienne  / Lalo Ys ouverture / Berlioz extraits Romé / Debussy Faune / Franck Psyché extts / Pierné Cydalise extts, Ramuntcho extts, Giration, Sonata da Camera – Orchestre Colonne, Pierné (Malibran)
→ Quelle vivacité, quel élan !  Et le son est franchement bon pour son temps.

Berlioz – Messe Solennelle (Resurrexit) – ORR, Gardiner (vidéo 1993)
→ La folie pure.

Messiaen – Saint François d'Assise – Hallé O, Nagano (DGG)
→ Quel naturel par rapport à Ozawa !  On sent que la partition fait désormais partie du patrimoine et que son discours coule de source.

Walton – Concerto pour violon – Suwanai (Decca)
→ Toujours son très beau son, mais l'œuvre me laissant assez froid…

Mahler – Symphonie n°5 – LPO, Tennstedt  (EMI)
→ Tourbillon dément.  Même l'Adagietto est d'une tension à peine soutenable.

MONN, G.M.: Cello Concerto in G Minor (arr. A. Schoenberg) (Queyras, Freiburg Baroque Orchestra, Müllejans) (Harmonia Mundi)
→ Un peu aigre comme son d'orchestre pour du classicisme, serait sans doute très bien dans une œuvre intéressante mais ici…

Saint-Saëns, Berlioz – « French Showpieces (Concert Francais)  » – James Ehnes, Orchestre symphonique de Québec, Yoav Talmi (Analekta 2001)

Bach – Oboe Concertos – Alexei Ogrintchouk, Swedish ChbO (BIS 2010)
→ Quel son incroyable, et quel orchestre aussi…

Verdi Oberto (version originale), acte I – Guleghina, Stuart Neil, Ramey ; Saint-Martin-in-the-Fields, Marriner (Philips)
→ Tire beaucoup plus, joué ainsi, vers Norma et le belcanto plus traditionnel. Plus formel, moins stimulant.
→ Avec Marriner, les formules d'accompagnement restent de l'accompagnement. Et même Ramey semble un peu prudent, composé. (Manque d'habitude de ces rôles en scène, probablement aussi : la plupart n'ont dû faire que ce studio.)

Verdi – Oberto – Dimitrova, Bergonzi, Panerai ; Gardelli (Orfeo)
→ Grande inspiration mélodique et dramatique pour ce premier opéra. Distribution qui domine ses rôles !  Et des ensembles furibonds étourdissants !

♥  Verdi – Alzira – Cotrubas, Araiza, Bruson, Gardelli (Orfeo)
→ De très très beaux ensembles… Un des Verdi les moins joués, et vraiment sous-estimé.

Sibelius – Symphonie n°2 – Suisse Romande, Ansermet (Decca 1962)
→ Belle version pleine d'ardeur, avec des timbres toutefois très aigrelets. Tout ne fonctionne pas à égalité (le mouvement lent manque peut-être un peu de plénitude et de fondu ?), mais la toute fin est assez incroyable de généreuse intensité.

Sibelius – Tapiola – Helsinki PO, Berglund
→ Un peu rond, mais rapide et contrasté, extrêmement vivant !
+ Kajanus
→ Orchestre limité et problématique (justesse, disparité de timbres), mais élan irrésistible, conduite organique du tempo, saveur des timbres !

Messiaen – Quatuor pour la fin du Temps – Chamber Music Northwest (Delos 1986)

Messiaen – Quatuor pour la fin du Temps
– Jansen, Fröst, Thedéen, Debargue (Sony)
→ Très soliste, manque un peu de cette fièvre commune (trop facile pour eux ?). Même Thedéen, mon idole d'éloquence élégance dans Brahms, paraît un peu forcer son timbre.

Verdi – Nabucco (extraits en allemand) – Liane Synek, Lear, Kónya, Stewart, Talvela ; Deutsche Oper Berlin, H. Stein (DGG)
→ Version très bien chantée (en particulier le ferme mordant de Stewart et la tendreté de Lear).
→ Les extraits sont étrangement choisis (pas d'ensembles, pas d'Abigaille hors sa mort !).

Verdi – Aroldo – Vaness, Shicoff, Michaels-Moore ; Maggio Firenze, Luisi (Philips 2001)
→ Distribution, orchestre, captation de luxe pour  cette refonte de Stiffelio, dans le contexte plus consensuel des croisades. Les meilleurs morceaux (le grand ensemble du duel à l'acte II, l'air du père au début du III…)  sont cependant conservés, à l'exception du prêche final, hélas. (La version Aroldo de la fin Deest non seulement musicalement fade, mais aussi dramatiquement totalement ratée.)
→ Meilleure version disponible au disque pour Aroldo, à mon sens.
→ bissé

Schubert – Quatuor n°13 – Diogenes SQ
+ Engegård (plus vivant)
+ Ardeo (un peu gentil)
+ Takacs (vrai relief, son grand violon)
+ Terpsycorde réécoute (instruments anciens)
+ Mandelring (belle mélncolie)
+ Chilingirian SQ (autant leur Quintette est fabuleux, autant ce quatuor, épais et mou me déçoit de leur part)

Sibelius – Tapiola – Suisse Romande, Ansermet
→ Ce grain incroyable, cette verdeur, cette clarté des timbres et du discours !
(+ Davis LSO, très bien)
(+ Berglund Radio Finlandaise, contrastes incroyables !)

Cherubini – Medea acte I – Forte, Antonacci, Filianoti ; Regio Torino, Pidò
→ Toujours aussi mortellement ennuyeux… et malgré Pidò (il faut dire que la distribution n'aide guère…).

Debussy, œuvres à deux pianos  –  Grauschumacher Piano Duo (Neos 2021)

récital : Weber (Euryanthe), Wagner (Tannhäuser, Meistersinger), Verdi (Otello), Tchaïkovski (Iolanta), Bizet (Carmen), Adams (Doctor Atomic), Turnage (The Silver Tassie)… en anglaisFinley, LPO, Gardner (Chandos 2010)
→ Très beau récital très varié et original, splendidement chanté sur toute l'étendue des tessitures et des styles…
+ réécoute de l'air d'Adams avec BBCSO & Adams (Nonesuch 2018)
Quel tube immortel !

Haendel – Jephtha (disco comparée)
Gardiner, c'est plutôt un de ses disques tranquilles (mous). Pas du niveau de son Penseroso par exemple.
Biondi est très bien mais attention, il utilise un orchestre moderne, les cordes sont en synthétique et très ronde même si ça vibre peu, couleurs des vents plutôt blanches aussi, et on entend que les archets sont modernes, ça n'a pas le même tranchant à l'attaque : c'est très bien pour un orchestre pas du tout spécialiste, mais vu qu'on a du choix au disque, n'en attends pas un truc comparable à ses enregistrements de Vivaldi.
Budday sonne un peu écrasé, Grunert plutôt triste. Même Christophers n'est pas très électrique.
Creed reste un peu tranquille, mais un des plus animés et équilibrés en fin de compte.
Harnoncourt a un peu vieilli, mais ça a le grain extraordinaire et l'engagement du Concentus des débuts… Il faut voir sur la longueur ce que ça donne, mais l'effet Saül n'est pas à exclure !  En tout cas, c'est nettement la plus habitée, je trouve. (Avec Biondi, mais instruments modernes…)

Schumann – Szene aus Goethes Faust, « Mitternacht » – Jennifer, Vyvyan Fischer-Dieskau ;  ECO, Britten (Decca)
+ réécoute Harding-BayRSO <3
+ réécoute Abbado-Terfel
+ réécoute Wit-Kortekangas
+ réécoute Harnoncourt-Concertgebouw
(avec partition d'orchestre)

Smetana:  Má vlast – Bamberg SO, Hrůša (Tudor 2016)
→ Beaux cuivres serrés, superbes cordes, grand orchestre assurément et par la légèreté de touche d'un habitué du folklore. Ensuite, je trouve toujours cette œuvre aussi univoque, faite de grands aplats affirmatifs, sans discours très puissant, une suite de grands instantanés grandioses. À tout prendre, dans le domaine du mauvais goût pas toujours souverainement inspiré, l'Alpestre de Strauss m'amuse autrement !




Réécoutes : œuvres

LULLY – Isis (actes III, IV) – Rousset

Pierné – Cydalise & le Chèvre-pied – Luxembourg PO, Shallon (Timpani)
→ Très joli, dans le genre de Dapnis (en plus rond). Le sujet versaillais n'induit pas vraiment d'archaïsmes. Très beau ballet galant et apaisé.

Pierné – La Croisade des Enfants (en anglais) – Toronto SO, Walter Susskind
→ Un peu lisse, en tout cas joué / chanté ainsi.

Pierné – L'An Mil – Peintre, ON Lorraine, Mercier (Timpani)
→ Aplats vraiment pauvres des mouvements extrêmes, mais ce scherzo de la Fête des Fous et de l'Âne est absolument extraordinaire, et illustre de façon éclatante le génie orchestratoire de Pierné – certains éléments, comme l'usage des harmoniques de violon pour créer des résonances dynamiques, sont abondamment réutilisés dans L'Oiseau de feu de Stravinski…

Moulinié: Le Cantique de Moÿse – par les Arts Florissants, William Christie (HM)
→ Toujours pas convaincu par cet corpus qui regarde bien plus vers la Renaissance et la polyphonie assez austère que vers les talents extraordinaires de mélodiste que manifesta par ailleurs Moulinié.

Pfleger – Motets latins – CPO

Kreutzer – La mort d'Abel – Droy, Bou, Pruvot ; Les Agrémens, van Waas (Singulares 2012)
→ six fois

Édouard Dupuy – Concerto pour basson – van Sambeek, Swedish ChbO, Ogrintchouk (BIS 2020)
→ Un des disques les plus écoutés en 2020, pour ma part !  Le thème lyrique et mélismatique du premier mouvement est une splendeur rare. Et ces musiciens sont géniaux (meilleur bassoniste du monde, meilleur orchestre de chambre du monde, dirigés par le meilleur hautboïste du monde…).

Ginastera – Quatuors 1,2,3 – Cuarteto Latinoamericano (Brilliant)
→ Folklore et audace de l'harmonie, des figures… du Bartók à l'américaine (australe).

ANDREAE : String Quartets Nos. 1 and 2 / Divertimento (Locrian Ensemble) (Guild)

Weigl – Quatuors 7 & 8 – Johann Christian Ensemble (CPO)

d'Albert – Quatuors – Sarastro SQ (Christophorus)

Joni Mitchell – Blue (1975)
→ La parenté avec la pensée du lied schubertien me frappe à chaque fois…

PEJACEVIC, D.: Symphony in F-Sharp Minor, Op. 41 / Phantasie concertante (Banfield, Rheinland-Pfalz State Philharmonic, Rasilainen)
→ Symphonie expansive et persuasive, riche !  Pas du tout une musique galante.

Cherubini Messe solennelle n°2 en ré (1811) – Ziesak, Bauer ; Stuttgart Klassische Ph, Bernius (Carus)
Qui tollis a l'aspect de volutes du début du Songe d'Hérode chez Berlioz (source de sa parodie). Et puis marche harmonique très impressionnante.
→ Dans le Sanctus / Benedictus, Hosanna en contraste, façon Fauré, très réussi.
→ Spectre orchestral qui respire beaucoup, réussite de Bernius.

BACULEWSKI, K.: String Quartets Nos. 1-4 (Tana String Quartet) https://www.nml3.naxosmusiclibrary.com/catalogue/item.asp?cid=DUX1238

DOBRZYŃSKI, I.F.: String Quartet No. 1 / MONIUSZKO, S.: String Quartets Nos. 1 and 2 (Camerata Quartet) (DUX 2006)
→ Beau romantisme simple, où se distingue surtout le Premier de Moniuszko.



Réécoutes : versions

Offenbach – Barbe-Bleue (duos de l'assassinat au II, entrée et duel de BB au III)
versions Pelly (Beuron), Cariven (Sénéchal), (Legay), Campellone (Vidal), Harnoncourt
« Le ciel, c'est mon affaire » (Zampa)
« Non dans un vain tournoi, mais au combat mortel » (Robert Le Diable)
« Le ciel juge entre nous » (Les Huguenots)

Mahler – Symphonie n°3 – LPO, Tennstedt (Ica, concert de 1986)

Verdi – La Forza del Destino (adieux et duel de l'acte III) – Del Monaco, Bastianini, Santa Cecilia, Molinari-Pradelli (Decca)
→ Quel verbe, quelles voix, quel feu !
→ (bissé)

Bach – Sonates violon-clavecin – Glodeanu, Haas (Ambronay 2007)
→ Merveille de souplesse, d'éloquence, la pureté et la chair à la fois.

Mahler – Das Lied von der Erde – K. König, Baltsa, LPO, Tennstedt  (EMI)
→ Un peu plus terne, manque de cinétique, un peu décevant. Les couleurs mordorées de Baltsa sont un peu inhibées par son allemand qui paraît moins ardent que son italien ou son français.

Offenbach – Barbe-Bleue (acte III) – Collart, Sénéchal, Peyron… Cariven

Mahler – Symphonie n°2 – Soffel, LPO, Tennstedt  (EMI)
→ Très très bien, mais pas aussi singulier / tendu / abouti que le reste de l'intégrale. Quand même le plaisir de profiter des frémissements de Soffel dans un tempo d'Urlicht ultra-lent.
→ On entend tout de même remarquablement les détails, les doublures, l'ardeur individuelle aussi (quelles contrabasses !). Le chœur chante avec naturel aussi, voix assez droites qui sonnent à merveille ici.

Mahler – Symphonie n°1 – LPO, Tennstedt  (EMI)

Mahler – Symphonie n°4 – Popp, LPO, Tennstedt  (EMI)
→ Excellent aussi.

Mahler – Symphonie n°3 – Wenkel, LPO, Tennstedt  (EMI)
→ Tellement tendu de bout en bout, et très bien capté !

Verdi – Nabucco – Souliotis, Prevedi, Gobbi ; Opéra de Vienne, Gardelli (Decca)
→ Chœur superbement articulé. Splendide distribution. Pas l'accompagnement le plus ardent, mais un sens du pittoresque qui n'est pas dépourvu de délicatesse.

Verdi – Nabucco – Theodossiou, Chiuri, Ribeiro, Nucci, Zanellato ; Regio Parma, Mariotti (C Major)
→ La version moderne idéale de l'œuvre, fouettée et dansante à l'orchestre (vraiment conçue sèche comme un os, aucune raison d'empâter ces harmonies sommaires conçues pour le rebond), chantée avec un luxe et une personnalité très convaincants.

Verdi – Stiffelio – Regio Parma, Battistoni (C Major)
→ La version sans faute de ce bijou trop peu joué.  Comme Traviata, un drame de mœurs contemporain  (l'adultère de la femme d'un pasteur).

Rott  – Symphonie en mi – Radio de Francfort, P. Järvi (RCA)
→ La superposition des deux thèmes du I est vraiment génialissime… et que de traits qui tirent le meilleur de Bruckner et annoncent le meilleur de Mahler !

Korngold – Quatuor n°3 – Flesch SQ (ASV / Brilliant)
Korngold – Quatuor n°2 – Brodsky SQ ()
Korngold – Quatuor n°1 – Franz Schubert SQ (Nimbus)

Verdi:  Aida: Act II Scene 2: O re pei sacri numi (Il Re, Popolo) – Hillebrand, Nikolaus; Bavarian State Orchestra; Muti, Riccardo (Orfeo)

Wagner – Tristan, acte III – Ligendza, Baldani, Wenkoff, Nimsgern, Moll ; Kleiber Scala 1978 (MYTO)






Autres nouvelles parutions à écouter

Suite de la notule.

mardi 23 mars 2021

Découvrir la Bible par la musique – n°1b : Rolle, Kreutzer, l'assassin dépressif, « mais faites danser Caïn ! »


La première partie, qui couvre les mises en musique de l'épisode depuis le grégorien jusqu'à l'oratorio baroque du milieu du XVIIIe siècle, se trouve ici.

Je reproduis, pour plus de commodité, l'introduction – avec, notamment, les degrés d'éloignement de la liturgie (niveaux 1 à 7) et le texte-source.




The Bible Project

Nouvelle année, nouveau projet.

Bien que les séries «  une décennie, un disque » (1580-1830 jusqu'ici, et on inclura jusqu'à la décennie 2020 !), « les plus beaux débuts de symphonie » (déjà fait Gilse 2, Sibelius 5, Nielsen 1…) et « au secours, je n'ai pas d'aigus » ne soient pas tout à fait achevées… je conserve l'envie de débuter ce nouveau défi au (très) long cours.

L'idée de départ : proposer une découverte de la Bible à travers ses mises en musique. Le but ultime (possiblement inaccessible) serait de couvrir l'ensemble des épisodes ou poèmes bibliques jamais mis en musique. Il ne serait évidemment pas envisageable d'inclure l'ensemble des œuvres écrites pour un épisode donné, mais plutôt de proposer un parcours varié stylistiquement qui permette d'approcher ce corpus par le biais musical – et éventuellement de s'interroger sur ce que cela altère du rapport à l'original.

Quelques avantages :
    ♦ incarner certains textes ou poèmes un peu arides en les ancrant dans la musique (ce qui devrait satisfaire le lobby chrétien) ;
♦ observer différentes approches possibles de cette matière-première (pour les musiqueux).

Sur ce second point, beaucoup peut être appris :

D'une part le nécessaire équilibre entre
♦ le langage musical du temps,
♦  les formes liturgiques décidées par les autorités religieuses,
♦  la nature même de l'épisode narré.
Sur certains épisodes qui ont traversé les périodes (« Tristis est anima mea » !), il y aurait tant à dire sur l'évolution des usages formels…

D'autre part le positionnement plus ou moins distant du culte religieux :
niveau 1 → utilisé pour toutes les célébrations (l'Ordinaire des catholiques),
niveau 2 → pour certaines fêtes ou moments spécifiques de l'année liturgique (le Propre),
niveau 3 → en complément de la messe proprement dite (comme les cantates),
niveau 4 → en forme de concert sacré mais distinct du culte (les oratorios),
niveau 5 → sous forme œuvres destinées à édifier le public mais représentées dans les théâtres (oratorios hors églises ou opéras un peu révérencieux),
niveau 6 → de libres adaptations (typiquement à l'opéra, lorsque Adam, Joseph ou Moïse deviennent des héros un peu plus complexes)
niveau 7 → ou même de relectures critiques (détournements d'Abraham ou de Caïn au XXe siècle…).

À cette fin, j'ai commencé un tableau qui devrait, à terme, viser l'exhaustivité – non pas, encore une fois, des mises en musique, mais des épisodes bibliques. Il s'avère déjà que, même pour les tubes de la Genèse, certains épisodes sont très peu représentés – l'Ivresse de Noé, pourtant abondamment iconographiée, est particulièrement peu répandue dans les adaptations musicales.

Mais en plus du tableau, de petits épisodes détachés avec un peu de glose ne peuvent pas faire de mal. (Comme ils seront dans le désordre, ils pourront ensuite être recensés dans le tableau ou une notule adéquate.) Nous verrons combien je réussis à produire, et si cela revêt quelque pertinence.




Abel & Caïn
(Épisode 2)


Rappel : la source


1.     Or Adam connut Eve sa femme, laquelle conçut, et enfanta Caïn; et elle dit : J'ai acquis un homme de par l'Eternel.
2.     Elle enfanta encore Abel son frère; et Abel fut berger, et Caïn laboureur.
3.     Or il arriva, au bout de quelque temps, que Caïn offrit à l'Eternel une oblation des fruits de la terre ;
4.     Et qu'Abel aussi offrit des premiers-nés de son troupeau, et de leur graisse ; et l'Eternel eut égard à Abel, et à son oblation.
5.     Mais il n'eut point d'égard à Caïn, ni à son oblation ; et Caïn fut fort irrité, et son visage fut abattu.
6.     Et l'Eternel dit à Caïn : Pourquoi es-tu irrité ? et pourquoi ton visage est-il abattu ?
7.     Si tu fais bien, ne sera-t-il pas reçu ? mais si tu ne fais pas bien, le péché est à la porte ; or ses désirs se [rapportent] à toi, et tu as Seigneurie sur lui.
8.     Or Caïn parla avec Abel son frère, et comme ils étaient aux champs, Caïn s'éleva contre Abel son frère, et le tua.
9.     Et l'Eternel dit à Caïn : Où est Abel ton frère ? Et il lui répondit : Je ne sais, suis-je le gardien de mon frère, moi ?
10.     Et Dieu dit : Qu'as-tu fait ? La voix du sang de ton frère crie de la terre à moi.
11.     Maintenant donc tu [seras] maudit, [même] de la part de la terre, qui a ouvert sa bouche pour recevoir de ta main le sang de ton frère.
12.     Quand tu laboureras la terre, elle ne te rendra plus son fruit, et tu seras vagabond et fugitif sur la terre.
13.     Et Caïn dit à l'Eternel : Ma peine est plus grande que je ne puis porter.
14.     Voici, tu m'as chassé aujourd'hui de cette terre-ci, et je serai caché de devant ta face, et serai vagabond et fugitif sur la terre, et il arrivera que quiconque me trouvera, me tuera.
15.     Et l'Eternel lui dit : C'est pourquoi quiconque tuera Caïn sera puni sept fois davantage. Ainsi l'Eternel mit une marque sur Caïn, afin que quiconque le trouverait, ne le tuât point.
16.     Alors Caïn sortit de devant la face de l'Eternel, et habita au pays de Nod, vers l'Orient d'Héden.
17.     Puis Caïn connut sa femme, qui conçut et enfanta Hénoc ; et il bâtit une ville, et appela la ville Hénoc, du nom de son fils.

Genèse 4:1-17, traduction de Martin (1744).




Les adaptations musicales

Après avoir évoqué la mise en musique grégorienne, Resinarius, Kropstein, Lemlin, Hollander, Lassus, Carissimi, Pasquini, A. Scarlatti et Caldara, voici le moment d'aborder les transformations du mythe chez les Classiques et au delà…



1771

Johann Heinrich ROLLEDer Tod Abels


[[]]
Le sacrifice rejeté.

Musique

¶ À nouveau un oratorio qui interprète la scène suggérée par les Écritures, tout à fait dans la lignée stylistique de ce qui précède. Le langage musical, malgré la date tardive, demeure largement baroque, mais le drame prévaut, les numéros épousent volontiers l'action et les airs n'atteignent pas les longueurs extravagantes du baroque tardif de Caldara, Graun ou Jommelli. Les récitatifs restent plutôt nus mais leurs lignes mélodiques sont tournées vers l'expression, avec des intervalles assez variés, comme dans les Passions.
    Ce style conservateur explique probablement que Rolle n'ait pas atteint grande célébrité pour la postérité, mais sa vie également, échouant à se faire embaucher à Hambourg face à Telemann – qui n'a déjà pas bonne presse pour le grand public (pour d'absurdes ressentiments de nature salérienne, comme rival d'un compositeur devenu intouchable dans les siècles suivants). Sa vie musicale se déroule essentiellement à Magdebourg, où il a grandi.

Livret

¶ Le livret, comme les précédents, a ses originalités : il faut bien habiter ces très courtes et très factuelles mentions de la Genèse. Ici, Abel est le préféré de la famille. Le « Chœur des enfants d'Adam » (petits-enfants inclus ?  autres fils non nommés ?) décrit son offrande, puis l'orage qui suit celle de Caïn, dans une scène pas nécessairement très dramatique dans son traitement musical, mais qui a la force d'incarner dans un jeu en-scène / hors-scène le moment de bascule de l'épisode, au lieu de le suggérer seulement par des récits et des résumés.
    La découverte du corps d'Abel se fait hors scène, sans transition avec l'air de l'épouse de Caïn, Meala, qui dispose d'une large place dans cette version et commente le désespoir de son mari, redoutant l'accomplissement de ce qui a été annoncé – Caïn lui a confié, tout à sa frustration, « Voici le jour qui doit remplir mon vœu ». Ce sont Ève et Adam qui révèlent le crime par leur affliction, dans un simple récitatif. S'ensuit la confrontation avec Caïn et sa fuite, perclus de remords : le traitement du personnage n'est pas à charge, le librettiste présente très clairement les causes de son mal-être et l'horreur de lui-même que lui inspire son geste. Malgré son refus, femme et enfants le suivent.
    Le chœur final est un choral, invitant roses et cyprès à pousser sur la tombe d'Abel, afin de pouvoir pleurer la première victime. Il est assez intéressant, car ce ne sont manifestement plus les enfants d'Adam qui parlent ; probablement, comme c'est l'usage, le choral incarne-t-il l'assemblée des fidèles chrétiens d'aujourd'hui, mais il semble assez tard pour espérer la floraison de la tombe issue du premier meurtre… Le contour de ces locuteurs choraux reste assez flou, de même que le message, pas du tout moralisant, qui assume seulement l'affliction (ainsi qu'une pointe de tendresse ?).

Conclusions

¶ J'avais noté niveau 5, mais je ne retrouve plus les textes attestant d'une interprétation hors des temples. Possiblement niveau 4, donc. (La documentation est rare sur Rolle et je ne puis matériellement opérer une recherche complète sur chaque œuvre illustrant la série, navré.)

¶ Ce n'est clairement pas le chef-d'œuvre musical de son siècle, mais reste joliment écrit. J'avoue avoir été assez intéressé par cette approche assez compréhensive, incluant au récit la détresse de Caïn, qui ne constitue plus un repoussoir, symbole absolu du mal (comme une continuation du Serpent d'Éden), mais plutôt le témoignage d'un autre aspect de ce qu'est la souffrance humaine. Je ne dis pas que Caïn y devienne sympathique, mais il n'y est en rien un avatar de Satan, ni même le jouet de Lucifer. Autant la forme musicale reste celle de l'oratorio baroque, autant le propos du livret semble davantage placer l'homme comme mesure du drame – l'ambiance du XVIIe italien semble bien lointaine.


Une belle version en existe par Hermann Max chez Capriccio (avec notamment Mammel et van der Kamp).




1810
Rodolphe K
REUTZERLa mort d'Abel

a) Une nouvelle approche : la fiction biblique

[[]]
Adam à l'aurore du drame (Pierre-Yves Pruvot).

cain_kreutzer_abel_adam_entree.png

¶ L'une des raisons du choix de Caïn comme premier épisode de cette série tenait dans l'étendue des propositions – non seulement dans le temps, avec des premières mises en musique dès le XVIe siècle – mais aussi dans la variété de leur nature, depuis la mise en musique littérale de la Genèse, encastrée dans la cérémonie cultuelle même (les répons de Lassus et ses contemporains) jusqu'à l'opéra profane, irrévérencieux et critique (on y viendra, avec Rudi Stephan). Avec cette Mort d'Abel, nous rencontrons un premier exemple d'œuvre de niveau 6, soit une libre adaptation fictionnelle de la matière biblique.
    Ce n'est même plus une question d'exécution à l'église ou au théâtre, c'est la conception même du rôle de l'épisode qui fait toute la différence. Ici, l'œuvre, commandée à François-Benoît Hoffmann, librettiste de renom, emprunte à la Bible comme matière thématique, mais n'entend en rien édifier ni prolonger le culte. Le mythe connu sert avant tout de support à une libre invention dramatique, conçue pour un divertissement scénique, au même titre que les matières antiques ou orientales qui avaient alors la faveur de la scène française…



b) Un peu de contexte : l'oratorio français

¶ Ce choix n'a rien d'anodin : il est le fruit d'une longue histoire et a suscité beaucoup de débats en son temps, au plus haut niveau. [Ce qui va suivre ne concerne que la France, l'évolution des genres musicaux y est spécifique.]

L'oratorio français avant 1800

    L'oratorio (action sur sujet sacré, généralement de format plus ample que la cantate – laquelle n'a pas trop cours en France dans son format sacré) s'épanouit très fort et très tôt en Italie, au cours du XVIIe siècle – notamment, on en a parlé à propos de Pasquini, comme un contournement décent de l'interdiction des spectacles lors du Carême dans les États Pontificaux.

    En France, il demeure rare (Charpentier, très influencé par l'Italie, en a laissé quelques-uns, comme sa Judith). On lui préfère la cantate à sujet sacré (en France de même format que les cantates profanes, abordant simplement un sujet biblique sous forme d'une paraphrase galante des textes sacrés, destinées au divertissement) ou le grand apparat du culte en latin.

    À partir de 1758, cependant, l'association musicale du Concert Spirituel commande une cinquantaine de courts oratorios (vers 1759, ce sont Les Fureurs de Saül de Mondonville, autre exaltation des souffrances d'un méchant) à des figures considérables de la scène lyrique du temps comme Gossec (sa jolie Nativité, dont vient justement de paraître une version discographique il y a deux semaines, fut un immense succès public), F.A.D. Philidor, Sacchini, Salieri, mais aussi Giroust (compositeur de la messe du Sacre de Louis XVI), Rigel (que nous connaissons mieux pour ses oratorios, justement, ainsi que ses symphonies) et même Cambini (dont les quatuors à cordes classiques de style « international » méritent grandement le détour). Beaucoup de ces petits oratorios sont tirés de l'Ancien Testament. Tout cela concourait à l'exploitation de la matière biblique dans une démarche de divertissement largement musical.

Le nouvel âge de l'oratorio français

    La marche suivante se franchit sous l'impulsion de la création de la… Création de Haydn à l'Opéra, le 24 décembre 1800, dans une (belle) traduction française. Le choc est incommensurable sur les contemporains, et ouvre la voie à la représentation d'actions bibliques conçues pour la scène de l'Opéra, avec pompe et décors… ainsi qu'une liberté grandissante quant au respect du texte d'origine. [Je suppose que le passage par la période révolutionnaire a pu altérer aussi les sentiments d'interdit qui auraient préalablement prévalu ?] 

    L'engouement suscite ainsi d'abord des pastiches (Saül en 1803 et la Prise de Jéricho en 1805, des pots-pourris où Kalkbrenner et Lachnith – l'arrangeur des Mystères d'Isis d'après la Flûte enchantée – empruntent beaucoup à Mozart), puis diverses expérimentations : Joseph du grand compositeur d'élans révolutionnaires Méhul (un opéra comique tout à fait sérieux, respectueux et édifiant) au Théâtre Feydeau (le futur Opéra-Comique) en 1807, puis deux évocations des premiers hommes.
    D'abord La mort d'Adam de Le Sueur, réformateur de la musique sacrée sous Napoléon, et son protégé (également grand pourvoyeur de la matière d'Ossian) – en 1809, mais en réalité composé en 1802, les cabales dans les institutions musicales faisant alterner grâces et disgrâces. De même, l'opéra de Kreutzer qui le suit en 1810, Abel (renommé La mort d'Abel à sa reprise en 1825), était dès longtemps écrit.



c) Le débat et les controverses autour d'Abel

[[]]
Espoirs d'Adam, la suite (Pruvot).

¶ Toutefois le développement des oratorios prévus pour la scène profane de l'Académie Impériale de Musique – ou, suivant comment on veut l'appeler, de la matière biblique au sein des opéras – ne se fait pas sans protestations. Elles sont intéressantes car elles ne recouvrent pas exactement ce que le citoyen du XXIe siècle pourrait imaginer.

1) Il y a bien sûr la désapprobation – inévitable, logique, légitime – des autorités ecclésiastiques et d'une partie de l'opinion conservatrice : est-il bienséant de représenter des épisodes sacrés dans un but de divertissement ?  Non pas que ça n'ait pas déjà été le cas par le passé dans les mises en musique (il n'est que de penser à l'événement mondain qu'étaient devenues les offices de Ténèbres de la Semaine Sainte sous Louis XIV, conduisant au déplacement du culte la veille au soir, afin de permettre à la bonne société de s'y rendre plus confortablement !), mais le fait de le produire à l'Opéra empêche toute excuse hypocrite, et affiche sans ambiguïté la primauté du plaisir dans la démarche.

    À cela s'ajoute bien sûr la mauvaise réputation du lieu, peuplé de ces acteurs dont la mauvaise vie n'est pas seulement une légende urbaine. Même sous l'Ancien Régime, amourettes, rapts (Sophie Arnould !), prostitution animent la gazette des théâtres.

    Surtout, le sujet, qui est pourtant la matière même de la Foi (à une époque où les libres penseurs et les fidèles non chrétiens sont en quantité assez négligeable en France), est traité comme une matière fictionnelle. Avec deux implications graves : d'abord on enjolive, ajoute, déforme, contredit le texte sacré. Ensuite on le traite avec une certaine légèreté, on l'habille de stéréotypes – en somme, on le désacralise.

    Cette opposition du clergé à l'intrusion des acteurs dans le périmètre du sacré va culminer dans les années 1840 avec la déprogrammation de plusieurs Requiem (Cherubini et même Mozart…) et l'interdiction des femmes profanes dans la musique des cérémonies à Paris, jusqu'à ce que finisse par s'imposer, sorte de compromis accepté par tous, l'oratorio d'église de la seconde moitié du XIXe siècle. (Œuvre extérieure au culte, où l'épisode biblique est enjolivé pour le rendre plus vivant ; cependant conçue pour être jouée dans un lieu de culte et en respectant globalement l'interprétation admise par l'Église. Par exemple les oratorios de Saint-Saëns et Massenet.)


2) Napoléon lui-même, averti trop tard de la mise au théâtre du sujet, laisse les répétitions aller à leur terme (mobilisant l'étonnant argument économique, à savoir que beaucoup d'argent avait déjà été investi dans la production) mais regrette explicitement, dans une instruction préfet du Palais, le choix du sujet :
« Puisque l’opéra de la Mort d’Abel est monté, je consens qu’on le joue. Désormais, j’entends qu’aucun opéra ne soit donné sans mon ordre. Si l’ancienne administration a laissé à la nouvelle mon approbation écrite, on est en règle, sinon non. Elle soumettait à mon approbation, non seulement la réception des ouvrages, mais encore le choix. En général, je n’approuve pas qu’on donne aucun ouvrage tiré de l’Écriture sainte; il faut laisser ces sujets pour l’Église. Le chambellan chargé des spectacles fera immédiatement connaître cela aux auteurs, pour qu’ils se livrent à d’autres sujets. Le ballet de Vertumne et Pomone est une froide allégorie sans goût. Le ballet de l’Enlèvement des Sabines est historique; il est plus convenable. Il ne faut donner que des ballets mythologiques et historiques, jamais d’allégorie. Je désire qu’on monte quatre ballets cette année. Si le sieur Gardel est hors d’état de le faire, cherchez d’autres personnes pour les présenter. Outre la Mort d’Abel, je désirerais un autre ballet historique plus analogue aux circonstances que l’Enlèvement des Sabines. »
Son premier objet relève clairement de la maîtrise des sujets par une censure a priori, mais y transparaît aussi son goût personnel qu'il entend imposer – pour l'« historique » et l'épique plutôt que pour le galant et le philosophique, sans grande surprise.
Son opposition à la représentation de sujets religieux n'est pas très claire : s'agit-il d'un respect religieux de principe (ça ne se fait pas) ou au contraire du désir de maintenir le clergé dans son pré carré et de ne pas le laisser se mêler de la société hors des églises ?  Peut-être est-ce même simplement le prétexte au rappel de son autorité : monter une pièce sans son aval fait courir le risque de lui déplaire.

Pour autant, les censeurs n'avaient pas laissé passé ces sujets à la légère, et pouvaient penser que l'analogie entre la noble figure d'Adam et la réalité de l'Empereur était désormais acquise. Ainsi pour La mort d'Adam de Le Sueur, l'année précédente, le rapport préalable de censure note avec satisfaction l'analogie entre l'apothéose d'Adam montant au ciel joint par Abel… et « l'âme de l'Empereur telle qu'il la suppose exister depuis six mille ans ». Il est vrai que le livret de Guillard s'en donne à cœur joie, parsemant d'accipitridés ses superlatifs astraux, qui ne laissent que peu de doute à ce sujet :
CHŒUR GÉNÉRAL
Un homme, un Dieu consolateur,
Doit rendre à l'homme un jour sa dignité première,
La foule des méchans fuira son œil vengeur,
Ils rentreront dans la poussière.
Ivres d'un vain ogueil, peuples ambitieux
Pensez-vous l'arrêter dans sa vaste carrière ?
Devant son astre radieux, que deviendra votre pâle lumière ?
Autant que l'aigle impérieux,
Plane au-dessus du séjour du tonnerre,
Autant, dans son vol glorieux,
Il domine en vainqueur sur votre tête altière.
[Ce fut le dernier livret de Guillard, au terme d'une carrière riche en œuvres qui marquèrent leur temps : Iphigénie en Tauride (Gluck), Électre (Lemoyne), Chimène (Sacchini), Les Horaces (Salieri), Proserpine (refonte de Quinault pour Paisiello.]


On rencontre cependant considérations plus inattendues que la foi, la bienséance ou la censure politique.


3) Étrangement, la critique a beaucoup réagi au sujet un peu triste : l'aspect religieux rend l'ensemble moins divertissant. De surcroît, il s'agit d'un épisode très sombre. On y regrette par exemple l'épopée plus lumineuse de Fernand Cortez de Spontini, à une époque où le goût pour l'exotisme s'incarne notamment dans le succès, la même année, des Bayadères de Catel. Peut-être faut-il y voir aussi une révérence pour le sujet sacré : contrairement à Robert le Diable, qui n'avait guère choqué (peut-être parce qu'il était davantage perçu comme un conte, ou une œuvre fantastique de pure fantaisie ?), cette Mort d'Abel a pu être prise plus au sérieux.


4) Mais le plus amusant (et le plus récurrent), qu'on trouve dans presque tous les papiers : le manque de ballets. « Oui Kreutzer a écrit une partition marquante et magnifique, mais quand même ça manque de jarret, il aurait pu mettre un peu moins d'Enfers et un peu plus de gargouillades », lit-on en substance un peu partout. (Et cela me divertit fort, tant notre goût majoritaire actuel, qui mise tout sur l'action, se situe aux antipodes de ces reproches : « drame trop fluide, on veut des temps morts qui servent à rien juste pour faire joli ».)  Le début du XIXe siècle est encore tellement XVIIIe, n'est-ce pas… foin des beaux vers, on veut des galanteries visuelles. [En réalité, Hoffmann a aussi été vertement tancé pour sa langue et sa versification, jugées trop relâchées. Mais le manque de détail sur ce point chez les critiques laisse penser que, de même qu'aujourd'hui, ils ne savaient pas forcément trop ce qu'ils racontaient…]


5) Plus anecdotique sur le fond comme dans la quantité de remarques dans la presse, la gêne visuelle (qui rejoint la réticence n°1) : le déguisement de nos ancêtres selon les textes sacrés, habillés à la mode des stéréotypes d'opéra, a plutôt provoqué scepticisme – et même, semble-t-il, sonore hilarité. Louis Nourrit, qui devient dès l'année suivante Premier Ténor de l'Opéra, y apparaît en Abel affublé d'une perruque blonde à bouclettes, ce qui paraît un cliché scénique peu adapté au contexte du sujet, et même assez incongru, assimilant cette première figure – tragique – de la victime expiatoire (et donc du Christ) à un petit Amour d'opéra-ballet.
    Ainsi, dans le Journal de l'Empire :
La frisure d'Abel qui paraît à la seconde scène a mis tout le monde en belle humeur ; de grands éclats de rire ont accueilli cette perruque blonde qui faisait un chérubin du fils d'Adam, et le rendait encore plus féminin, quoiqu'il ne soit pas de lui-même très mâle. […]
Je ne répéterai point ici ce que j'ai déjà dit sur la mauvaise figure que font nos premiers parents déguisés en héros d'opéra.
[Louis Nourrit, ancien quincailler formé à Montpellier, devient en 1811 premier ténor de l'Opéra. Ses fils, Adolphe et Auguste, firent aussi carrire de ténors. Tous les glottophiles connaissent le nom de Nourrit (surtout pour Adolphe), le grand ténor du temps (créateur de Robert, Raoul, Éléazar chez Meyerbeer et Halévy… suppléé puis remplacé par Duprez, qui apporte de Naples la technique nouvelle de l'ut de poitrine), à la fin tragique marquée par sa démission à l'arrivée de Duprez, la perte de sa voix lors de ses tournées en province, sa paranoïa (véritablement, au sens clinique), son suicide par défenestration en Italie où il connaissait à nouveau le succès.]


6) Enfin, un certain nombre d'autres polémiques (notamment l'accusation de plagiat de La mort d'Adam par Le Sueur) ont animé la réception d'Abel en 1810, puis de sa reprise en 1825 sous le titre La mort d'Abel. Elles concernent moins directement notre sujet autour de l'adaptation vétérotestamentaire et je les laisse de côté – les accusations de Le Sueur en particulier paraissent peu compatible avec la genèse séparée (et très antérieure aux représentations) des deux ouvrages. Mais quantité de papier a été noirci et d'inimitiés affirmées pendant ces débats.



d) Les choix du livret d'Abel

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Rejet des offrandes (Jean-Sébastien Bou).

Le livret de F.-B. Hoffmann présente plusieurs particularités dans le traitement de l'épisode.

L'épouse
    L'importance du rôle de son épouse Méala, qu'on avait déjà perçue comme angulaire chez Rolle, dans une esthétique toute autre, où elle avait cependant le même rôle : communiquer le point de vue de Caïn, assurer un pont compatissant entre le spectateur et l'assassin.

Les démons
    Le rôle des forces démoniaques dans ce premier crime est développé, on l'a vu dans l'épisode précédent, dès le XVIIe siècle, mais il prend ici une ampleur supplémentaire.
   
    On pourrait croire, à lecture du livret de 1823 – qui a fait l'objet d'une (splendide) version discographique – qu'en supprimant Satan / Lucifer, et le remplaçant par le démoneau Anamalec, le librettiste s'autorise une plus grande liberté de mouvement, et peut gloser dans les grandes largeurs le plan infernal de convaincre Caïn de tuer son frère.
    En réalité Anamalec – son nom, plutôt sous la forme Anamélech, est issu d'une divinité assyrienne mentionnée en 2 Rois 17:31 comme récipiendaire de sacrifices humains – n'est que l'envoyé sur terre des démons qui, au grand complet, se réunissent à l'acte II – supprimé à la reprise de 1823 car jugé trop uniforme. Hoffmann et Kreutzer font ainsi chanter Satan, Moloch, Bélial, Béelzébuth [sic] et « tous les démons ». On ne lésine pas. Et le public, comme pour Robert (cf. encadré infra), n'en fut pas très indigné – il a surtout protesté de l'uniformité musicale de cet acte « barbare » et du manque général de ballets.

    L'idée est la suivante : l'acte I voit les frères (brouillés avant le début de l'acte) se réconcilier, mais Anamalec trouble le sacrifice de Caïn (en renversant l'autel), qui se croit rejeté de Dieu. À l'acte II, le démoneau métèque vient raconter sa mésaventure à ses compagnons, qui lui mettent une ambiance d'Enfer. À l'acte III, Anamalec souffle à Caïn, déjà troublé, de mauvaises pensées, qui aboutissent au crime.

    On se trouve donc plus proche de l'esprit des Sorcières de Dido and Æneas, où les mortels vertueux sont induits en erreur par des sortilèges mesquins, que dans la grande explication du mystère de l'injustice divine et de la révolte humaine.

Caïn ou le tourment romantique
    La nouveauté la plus marquante ici est l'apparition d'un Caïn parfaitement romantique. Brouillé dès avant le rideau avec son frère, il exprime dès son entrée (après le tableau tendre entre Adam et Abel) un mal-être profond, une véritable haine de vivre, se plaint « de toute la Nature », reproche à ses parents leur préférence pour Abel ; sa femme rapporte ses nuits agitées, ses levers blessés par le soleil naissant… C'est une souffrance personnelle, liée à sa propre identité qui s'exprime, un sentiment de ne pas être bienvenu en ce monde, ni adapté aux sociétés qui l'accueillent.

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    Le drame infernal se greffe sur ce point de départ d'un détail psychologique impressionnant, se répandant en explicitations subjectives d'une souffrance dont la cause semble évanescente – chacune des dénégations tendres de sa mère, de son frère sont vécues comme de nouvelles affirmations de leur distance, de leur mépris.

    Je trouve ce point de vue assez marquant (et convaincant), une explication par l'identité de Caïn qui, cependant, ne le présente pas comme un être mauvais, mais souffrant – et attachant.

Une fin contredisant l'Écriture
    Le crime s'exécute à la massue, nous disent les didascalies, et pour la première fois, ce me semble, en scène, à la vue du public. La massue, le fragment d'arbre, est un motif couramment représenté comme moyen du crime – rien ne l'indique pourtant dans le texte d'origine, et le caillou, l'étranglement auraient pu paraître plus naturels, surtout dans un champ. (Évidemment, il existe d'autres traditions encore plus bizarres, comme la bêche ou la mâchoire de chameau, mais dans les mises en musique, quand l'instrument est précisé, j'ai surtout croisé la massue.)

    Face à sa famille, Caïn s'enfuit, défendant à quiconque de le suivre. Sa femme part cependant le retrouver, accompagnée de ses fils. Déploration générale sur Abel – et sur le sort qui attend tous les hommes, mortels.

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    Au lieu de la malédiction de Dieu sur Caïn (Genèse 4:11-12), Adam, implorant de ne pas punir davantage le coupable que son terrible remords, obtient d'un Ange la promesse de la montée bienheureuse au ciel d'Abel (pour qui l'on inaugure le Paradis) ainsi que le pardon de Caïn – les soins de son épouse et son repentir propre lui obtiendront le pardon céleste. Ce choix est cohérent avec le ton général du texte. Et très éloigné de la souffrance sans fin suggérée par la Bible hébraïque.

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    On atteint donc le sommet du processus de fictionnalisation qui, de même que pour les fins multiples qu'on essaie pour des opéras à succès, utilise la matière biblique comme une trame supposée assurer l'accueil favorable du public – le respect des Textes, et encore moins de leur message supposé, semble totalement facultatif.

    On est frappé, dans ce cadre, du débat très limité sur la question (les autorités religieuses n'étaient pas ravies, mais les journaux n'ont pas paru très outrés, tout au plus amusés de quelques incongruités dans l'apparence ou le verbe de ces Premiers Hommes).

    Ceci rejoint l'accueil uniment enthousiaste de Robert le Diable au début des années 1830, qui me laisse tellement perplexe – dans un cloître, le héros, fils d'un démon, culbute une nonne damnée sur un autel tout en dérobant la relique d'une sainte… !  Et tout ce que la presse retient, c'est la beauté des voix, le mystère de la musique, l'accomplissement de la danse, la force générale du tableau…  Je suppose que l'opéra était vraiment mis à distance comme une boîte à mythes, pour qu'il suscite aussi peu d'indignation sur des sujets par ailleurs aussi sensibles – on est alors à l'exacte époque où les femmes furent bannies des cérémonies funèbres parisiennes !  Malgré mes lectures, je n'ai jamais trouvé de réponse formelle à cette question.
    Si quelqu'un d'entre vous a un conseil de lecture pour trouver des réponses à cette perplexité, je lui en rends grâces avec transport !

Traitement personnel du sujet, donc, et le début d'une période où les adaptations feront passer au second plan la part édifiante et le lien à la cérémonie, voire à la foi !



e) La musique

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Strette du final de l'acte I (Jean-Sébastien Bou).

L'acte infernal est coupé à la reprise de 1823 (qui, seule, a fait l'objet d'une parution discographique). On lui reprochait son uniformité de caractère (vindicatif). Il faut dire qu'en y réunissant Anamélech, Satan, Moloch, Bélial, Bélzébuth et « tous les démons », le choix d'une musique dramatique pugnace s'imposait probablement.

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¶ Pour le reste, on est frappé au contraire par la grâce du début de l'œuvre, ce lever de soleil où Adam rêve à la réconciliation de ses fils, puis ménage un duo tendre avec Abel. Le personnage de Caïn, au contraire, tourmenté d'emblée, est forgé à la trempe gluckiste, s'ébrouant en récitatifs rageurs – mais tire aussi sur le romantisme naissant lorsque, seul face à la foule des premiers représentants de l'espèce, il éclate en imprécations beaucoup plus lyriques et élancées, qui contrastent avec la solennité du moment (les offrandes sacrées) et la terreur de l'assemblée.
    Cet ensemble final de l'acte I constitue peut-être le sommet de virtuosité musicale et émotionnelle de la partition. C'est aussi, dramatiquement, le terrible moment où se cristallise le futur, connu de tous les spectateurs. Dans ce grand concertato, la grammaire demeure très postgluckiste, tandis que l'usage des masses (orchestrale, chorale) et des contrastes avec les solistes, tandis que les émotions aussi, tendent clairement vers Fidelio. Saisissant.

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    Remarquables aussi, le mélodique sommeil de Caïn (bientôt troublé par les démons, à la façon d'Oreste chez Gluck), puis le duo discordant de l'acte III où Abel proclame son amour fraternel alors que Caïn l'implore de s'éloigner, tandis qu'il se sent en proie à une fureur croissante – les deux lignes s'entrelaçant simultanément.

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¶ Une très belle œuvre pour sa musique, pas toujours au même degré d'inspiration : je ne suis pas très impressionné par les interventions infernales du I et du III, qui n'atteignent pas les meilleurs modèles du genre, et refusent de se mélanger à l'action et au style musical des autres personnages. En revanche, tout le personnage de Caïn est servi par une musique électrisante, tandis que d'Adam émane une constante poésie. Réellement un jalon à découvrir.

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La version raccourcie de 1823 peut être entendue grâce à cette luxueuse parution du Palazzetto Bru Zane, riche appareil critique, et interprétation hors du commun sur instruments d'époque (Les Agrémens / van Waas), avec une équipe de chanteurs-déclamateurs exceptionnelle (Bou, Pruvot, Droy, Buet, Velletaz…).



Un peu au delà de mon sujet, je partage avec vous un peu de contexte sur les deux auteurs, figures importantes de leur temps dont la notoriété n'est peut-être pas telle qu'elle ne mérite un petit détour en ces pages.

f) Hoffmann

François-Benoît Hoffmann tire son nom (parfois graphié Hoffman) de son grand-père qui avait voulu, alors au service du duc de Lorraine, germaniser son patronyme Ébrard. Ni ascendances germaniques, ni nom d'auteur.

Renonçant à des études de droits à cause de son bégaiement, il marque un quart de siècle (1786-1810) par ses drames de natures assez variées.

Révélé par son adaptation de Phèdre pour Lemoyne (1786), ce sont en effet surtout ses grands drames à l'antique, brillant moins par un verbe particulièrement acéré que par violence crue de ses situations (Adrien puis Ariodant de Méhul, Médée de Cherubini), qui sont restés dans les esprits.
    Beaucoup de collaborations avec Méhul, dans tous les genres : la tragédie postgluckiste avec Adrien, l'opéra-comique très sérieux avec Stratonice et Ariodant, la comédie ambitieuse avec Euphronise ou le Tyran corrigé, la comédie plus légère avec Le jeune sage et le vieux fou, Bion, Lisistrata ou les Athéniennes, Le Trésor supposé ou le danger d'écouter aux portes…
    Pour Dalayrac, il adapte Radcliffe avec Léon ou le Château de Monténéro (drame lyrique) et La Boucle de cheveux (comédie en un acte mêlée d'ariettes).
    Pour Kreutzer, il écrit Le Brigand (opéra-comique en trois actes, 1795) et Grimaldi (comédie en trois actes, 1810), en plus de cet Abel dont le poème fut jugé peu gracieux par la critique.

Le garçon était réputé pour son indépendance, refusant de modifier Adrien (très favorable à la monarchie, en 1792), se retirant de la vie publique pour ne pas être influencé en écrivant ses critiques de livres à partir de 1807 (pour le Journal de l'Empire, futur Journal des Débats), et refusant de briguer l'Académie française.



g) Les accomplissements de Kreutzer

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Duo fratricide, l'avertissement (Sébastien Droy, Jean-Sébastien Bou).
Entendez la prémonition des basses agitées lorsque Caïn cherche à s'exprimer.


    Rodolphe Kreutzer (1766-1831), à ne pas confondre avec Conradin Kreutzer (compositeur d'opéras allemands, un peu plus jeune), est le fils d'un musicien (Fétis dit d'un violoniste de la chapelle royale, David Charlton – qui a sans doute raison – d'un souffleur des Gardes Suisses du duc de Choiseul, certes professeur de violon à Versailles mais pas employé à la chapelle). Violoniste prodige formé par Stamitz, il se produit au Concert Spirituel dès l'âge de treize ans, où il fait sensation. Il devient premier violon de la chapelle royale, puis en 1789 violon solo pour le Théâtre Italien.

    Sa carrière de compositeur en découle logiquement : on lui commande d'abord un concerto pour violon pour le Concert Spirituel en 1784, puis des opéras. Fétis le décrit comme un autodidacte de la composition très inspiré – et progressivement affadi, à l'époque d'Abel donc, par la science qu'il acquiert tardivement.

    Il compose ainsi sur des sujets très divers :

♦ 1790 ♦ Jeanne d'Arc à Orléans (drame historique mêlé d'ariettes, Comédie-Italienne), étonnant sujet à la fois sacré et patriotique, en 1790 (quel temps plein de surprises) ;

♦ 1791 ♦ Paul & Virginie (comédie en prose mêlée d'ariettes, Comédie-Italienne), son premier succès (avant Lesueur sur le même sujet au Théâtre Feydeau en 1794) ;

♦ 1792 ♦ Charlotte & Werther (comédie en un acte, Comédie-Italienne), un Werther assez précoce donc (pas autant que Pugnani), et manifestement comique (?), que je serais bien curieux de lire ou d'entendre ;

♦ 1792 ♦ Lodoïska ou les Tartares (comédie en prose mêlée d'ariettes, Comédie-Italienne), sujet (tiré du Chevalier Faublas) où s'est également illustré Cherubini l'année précédente ;

♦ 1792 ♦ Le Siège de Lille (comédie en prose mêlée de chants, Théâtre Feydeau), sur un sujet d'actualité tout frais ;
→ en effet quelques jours après Valmy, à la toute fin de septembre 1792, les troupes du Saint-Empire (à qui l'Assemblée législative, sur proposition de Louis XVI, avait déclaré guerre, en avril) mettent le siège devant Lille – qui s'achève le 5 octobre. L'opéra de Kreutzer est créé le 14 novembre !  Je n'ai pas eu accès à la partition et j'ignore si, comme dans l'opérette ultérieure de Francosi (1858), le Barbier Maes – resté célèbre pour son flegme, continuant à raser ses clients dans la rue avec l'éclat d'obus qui venait de ruiner sa maison – y joue déjà un rôle.

♦ 1792 ♦ Le franc Breton (comédie en un acte, Comédie-Italienne) ;

♦ 1792 ♦ La journée de Marathon (musique de scène) ;

♦ 1793 ♦ Le déserteur de la montagne de Ham (« fait historique », Comédie-Italienne) ;

♦ date ? ♦ La Prise de Toulon par les Français (opéra, jamais représenté) ;

♦ 1794 ♦ Encore une victoire ou Les Déserteurs liégois (impromptu en un acte, Opéra-Comique), encore une œuvre de circonstance ;

♦ 1794 ♦ Le congrès des rois (Comédie-Italienne), grande collaboration collective de 12 compositeurs, à composer en 2 jours, commandée et ordonnée par le Comité de Salut Public. Y contribuent Grétry, Devienne, Méhul, Dalayrac, Cherubini, Berton, L.-E. Jadin, Trial, mais aussi les moins illustres Blasius, Deshayes et Solié. L'argument raconte une rencontre imaginaire des rois d'Europe pour se partager la France, mais Cagliostro, envoyé du Pape, prend secrètement le parti de la France et terrorise les tyrans grâce à des jeux d'ombres (oui…) ;

♦ 1794 ♦ Le Lendemain de la bataille de Fleurus (impromptu, Théâtre Égalité) ;

♦ 1795 ♦ Le Brigand (drame en prose mêlé de musique, Opéra-Comique), une première collaboration avec F.-B. Hoffmann ;

♦ 1795 ♦ La Journée du 10 août 1792 ou La Chute du dernier tyran (opéra en quatre actes, Opéra), première commande, là encore de circonstance, pour l'Opéra ; on remarque la proximité temporelle extrême des commandes, même si un certain nombre contenaient peu de musique ;

♦ 1795 ♦ On respire (comédie mêlée d'ariettes, Comédie-Italienne) ;

♦ 1796 ♦ Imogène, ou La gageure inscriète (comédie mêlée d'ariettes, Comédie-Italienne) ;

Ici s'inscrit une césure (j'ignore s'il existe ici des ouvrages recensés que je n'ai pas aperçus, ou bien une raison dans sa carrière pour laquelle, par volonté personnelle ou faute de commande, rien n'a été proposée aux scènes parisiennes ni européennes).

♦ 1800 ♦ Le Petit Page ou La Prison d'État (comédie mêlée d'ariettes, Théâtre Feydeau), musique écrite en collaboration avec son ami Isouard – sur un livret de Pixerécourt, le grand maître du mélodrame (et plus tard directeur de l'Opéra-Comique dans les années 1820) ;

♦ 1801 ♦ Astianax (opéra en trois actes, Opéra), première œuvre du plus haut genre, issu de la tragédie gluckiste à l'antique ;

♦ 1801 ♦ Flaminius à Corinthe (opéra en un acte, Opéra), à nouveau partagé avec Isouard. Abel a été écrit juste après Flaminius, mais comme pour La mort d'Adam de Le Sueur, les intrigues courtisanes d'Empire ont longtemps suspendu l'exécution de ces œuvres ;

♦ 1803 ♦ Le baiser et la quittance ou Une aventure de garnison (opéra comique, Théâtre Feydeau) ;

♦ 1804 ♦ Harmodius et Aristogiton (tragédie lyrique, jamais représentée), dont la partition est perdue ;

♦ 1806 ♦ Les Surprises ou L'Étourdi en voyage (Théâtre Feydeau) ;

♦ 1807 ♦ François Ier ou La fête mystérieuse (comédie mêlée d'ariettes, Théâtre Feydeau) ;

♦ 1808 ♦ Jadis et aujourd'hui (opéra-bouffon, Théâtre Feydeau) ;

♦ 1808 ♦ Aristippe (comédie lyrique, Théâtre Feydeau) ;

♦ 1810 ♦ Abel (tragédie lyrique en trois actes, Opéra) ;

♦ 1810 ♦ Grimaldi (comédie en trois actes), à nouveau un livret dû à Hoffmann ;

♦ 1811 ♦ Le Triomphe du mois de mars (opéra-ballet en un acte, Opéra) ;

♦ 1812 ♦ L'Homme sans façon ou Les Contrariétés (comédie mêlée d'ariettes, Opéra-Comique)

♦ 1813 ♦ Le camp de Sobieski, ou Le triomphe des femmes (comédie mêlée de chants, Théâtre Feydeau) ;

♦ 1813 ♦ Constance et Théodore, ou La prisonnière (opéra comique, Théâtre Feydeau) ;

♦ 1815 ♦ La perruque et la redingote (opéra comique, Théâtre Feydeau), sur un livret de Scribe ;

♦ 1815 ♦ La Princesse de Babylone (opéra, Opéra) ;

♦ 1814 ♦ Le camp de Sobieski, ou Le triomphe des femmes (comédie mêlée de chants, Théâtre Feydeau) ;

♦ 1814 ♦ Les Béarnais, ou Henri IV en voyage (comédie mêlée de chants, Théâtre Feydeau) ;

♦ 1814 ♦ L'Oriflamme (opéra en un acte, pour l'Opéra), dont la musique est co-écrite avec Méhul, Paër et Berton ;

♦ 1816 ♦ Les dieux rivaux (opéra-ballet, Opéra), en collaboration avec Berton, Spontini et Persuis ;

♦ 1816 ♦ Le Maître et le Valet (opéra comique, Théâtre Feydeay) ;

♦ 1821 ♦ Blanche de Provence, ou La Cour des Fées (opéra en un acte, Palais des Tuileries) en collaboration avec Cherubini, Paër, Berton et Boïeldieu ;

♦ 1822 ♦ Le Paradis de Mahomet (opéra comique, Théâtre Feydeau), en collaboration avec Kreubé. Sur un livre co-écrit par Scribe et Mélesville (le librettiste de Zampa !), voilà qui rend très curieux ;

♦ 1823 ♦ La mort d'Abel, refonte d'Abel en 1823, toujours à l'Opéra, où l'acte II (entièrement infernal, ce qui fut très critiqué en son temps pour sa monotonie, quoique spectaculaire) est supprimé.

♦ 1824 ♦ Ipsiboé (opéra, Opéra) ;

♦ 1824 ♦ Pharamond (opéra, Opéra) avec Berton et Boïeldieu ;

♦ 1827 ♦ Matilde (jamais représenté).

Également plusieurs ballets-pantomimes : Paul et Virginie (1806, Théâtre Impérial de Saint-Cloud – réutilise des fragments de son opéra, et le succès est tel que l'œuvre reste 15 ans à l'affiche), Les Amours d'Antoine et Cléopâtre (1808, à l'Opéra), L'heureux retour (1815, à l'Opéra) ; La Servante justifiée ou La Fête de Mathurine (« ballet villageois » de 1818, à l'Opéra), Le Carnaval de Venise ou la Constance à l'épreuve (1816, à l'Opéra ; refonte en 1817), Clari ou la Promesse de mariage (1820, à l'Opéra).

Pièces très légères, œuvres de circonstance, productions collectives, tragédies à l'antique, comédies d'Histoire, adaptations de succès littéraires (Bernardin, Goethe…), son spectre couvre un très large éventail de sujets. Pourquoi ce tour d'horizon ?  On voit qu'il n'était en tout cas pas spécialisé dans la musique sacrée, et que son approche du livret, fût-il tiré de l'Écriture, était nécessairement marquée par son expérience de la scène la plus quotidienne et profane qui soit. Changement d'approche considérable par rapport aux compositeurs des siècles précédents, qui avaient beaucoup fourni pour l'église, et pour lesquels l'oratorio entrait dans la démarche de compléter le culte, de remplir une fonction de représentation plus vivante d'épisodes sacrés, ou dans le cas le plus osé, de divertissement édifiant. Ce n'était pas pour eux une matière autonome et indifférenciée au même titre que les événements historiques de la Grèce et du Moyen-Âge, les romans, les événements de l'actualité…



h) La notoriété de Kreutzer

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Duo fratricide, le dénouement (Droy, Bou).

    Sa postérité fut faite, étrangement, non par ses œuvres, mais par ses relations. Bien que violoniste admiré de tous, co-auteur de la Méthode de violon du Conservatoire (avec Baillot et Rode), professeur de violon au Conservatoire de Paris sous l'Empire, Maître de la chapelle du Roi sous la Restauration, directeur de la musique à l'Opéra (1824-1826), auteur d'une quarantaine d'études pour son instrument, de concertos, fournisseur prolifique de drames musicaux pour les opéras parisiens (je lis qu'on atteindrait la quarantaine de titres)… ce n'est pas ainsi que son nom est demeuré dans l'histoire, mais plutôt grâce à son bon caractère.

    Ainsi Spohr écrit-il que les frères Kreutzer sont les plus cultivés de tous les violonistes parisiens… Mais surtout, Kreutzer a la bonne idée de se rendre à Vienne dans les bagages de Bernadotte en 1798. Il y est chargé de récupérer des manuscrits de musique italienne pour les ramener à Paris.

    Parmi ses rencontres à cette occasion : Beethoven. Celui-ci écrit à son éditeur Simrock « Ce Kreutzer, est un bon cher homme ; il m'a causé beaucoup de plaisir pendant son séjour ici. Sa simplicité et son naturel me sont plus chers que tout l'extérieur sans intérêt de la plupart des virtuoses. »
    Il l'a aussi entendu jouer, et lui dédie à sa publication en 1805 sa sonate violon-piano n°9, devenue l'une de ses plus célèbres, et commercialisée ensuite sous le nom de Sonate à Kreutzer. Il est amusant de noter que ce fut manifestement fait sans le mentionner au dédicataire, qui ne joua probablement jamais l'œuvre en question – il est de retour à Paris dès 1798, et les deux hommes n'ont pas correspondu.

    À partir de là, la gloire appelle la gloire. Tolstoï fait jouer cette sonate à l'un des personnages d'un de ses romans, qui en prend le titre. À son tour, Janáček, écrivant un quatuor inspiré de Tolstoï, sous-titre son premier quatuor à cordes « Sonate à Kreutzer ».

    Quarante opéras pour être finalement célébré à travers le nom d'une sonate qu'on n'a jamais seulement lue… ainsi va la notoriété.




Je n'ai guère trouvé mon compte avec Caïn par la suite du XIXe siècle, mais il nous faudra au moins un épisode pour évoquer sa réapparition (beaucoup plus prolifique) au vingtième siècle, davantage comme symbole, on s'en doute, qu'en tant que sujet liturgique ou même édifiant.

À très bientôt, donc ! 

samedi 6 mars 2021

Le grand tour 2021 des nouveautés – épisode 3 : LULLY, Biber, Rameau, Cherubini, Meyerbeer, Dubois, Karnavičius, Hahn, Tauber, Pejačević, Schmitt, Heggie…


À nouveau, brève présentation, communication de mon tableau d'écoutes commenté, et en texte brut son contenu en corps de notule. (Je vous renvoie donc au tableau pour la mise en page la plus lisible.)

Le fichier est ici : format ODS (Open Office) ou XLS (Microsoft Office).

Que retenir des parutions de février ?  (Et de quelques découvertes personnelles hors actualité.)

cherubini faniska borowicz DUX

Opéra
→ Sacrée surprise de la versatile Faniska de Cherubini ;
→ parution moderne (et réussie) d'Ô mon bel inconnu de Hahn ;
→ coffret Orfeo d'opéras rares (Don Giovanni de Gazzaniga, Djamileh de Bizet, Armida de Dvořak, Šarká de Fibich, Thérèse de Massenet, La Bohème de Leoncavallo…) dans des versions pas ultimes mais qui restent abouties ;
Dardanus de Rameau dans une nouvelle version Vashegyi étonnamment stimulante (peut-être la meilleure parue pour cet opéra) ;
Aida parisienne de Verdi sur Arte (remarquablement jouée-chantée, avec Radva Regina) ;
Alimelek de Meyerbeer (certes une déception quant à l'ambition très limitée de la partition, un peu son Abu Hassan à lui).
♦ Hors nouveautés, je me suis régalé en découvrant enfin le Sigurd de Reyer intégral (autrement que sur mon piano), sans coupures : grâce à Nancy (Chaslin, avec notamment Bou en Gunther !), capté sur les genoux et transmis par un amis.
♦ Et réécouté quelques indémodables classiques personnels : Céphale & Procris de Grétry (van Waas), Léonore de Gaveaux (R. Brown), Les Diamants de la Couronne chef-d'œuvre de tout Auber (Colomer), L'Aiglon d'Ibert-Honegger (Nagano).

Récitals
Deux disques incluant des cycles de Jake Heggie qui paraissent à quelques semaines d'intervalle (Songs from the Violins of Hope, Songs for Murdered Sisters), peu après le cycle statuaire avec Jamie Barton.
Remarquable pot-pourri de sucreries tudesques des années 1930, interprétées splendidement (c'est radieux, mais c'est sobre) Mitterrutzner et Poppen.

Sacré
Motets funèbres de LULLY dans la luxueuse interprétation de Fuget, essayant une tension installée dans un fondu orchestral. (Réécoute dans la foulée de García-Alarcón, dont le caractère expansif, déclamatoire et contrasté me séduit considérablement plus.)
Aussi réécouté le Requiem de Foulds et la deuxième Missa Solemnis de Cherubini (par Rilling), deux petites merveilles de l'art sacré.

Orchestral
Tout le monde a loué avec raison la Neuvième de Beethoven par Pittsburgh & Honeck. Parution également sur la chaîne YouTube de la Radio de Francfort de la version originale (deux fois plus longue) de la Tragédie de Salomé de Schmitt, chaleureusement exécutée par Altinoglu.
    Hors nouveautés, je me suis plongé dans la Symphonie en fa dièse de Pejačević, compositrice qui sait charpenter un discours, petite merveille. Et puis je me suis émerveillé de l'art de Hannu Lintu que je connaissais mal (aussi bien dans Vieuxtemps que dans Sibelius), j'ai totalement réévalué les Nielsen de Kuchar (en réalité très vivants et d'une très bonne finition), et ai découvert quelques versions marquantes de Tapiola (A. Davis & Bergen, Lintu & Radio Finlandaise, Rosbaud & Berlin…).
    Et quelques réécoutes de bijoux : Beethoven 9 par Mackerras et l'Age of Enlightenment (on ne fait pas plus net et ardent), Nielsen par Jensen (première intégrale enregistrée, mais d'une ardeur et d'une fermeté d'exécution qu'on n'atteint à nouveau que dans les versions les plus récentes !), les 3 symphonies de Madetoja, Älven (« Le Fleuve ») d'Atterberg (pendant à l'Alpestre de R. Strauss), et la grisante monographie Cecil Coles, pleine de beautés subtiles et très diverses.

Chambre
Simples et beaux Quatuors de Karnavičius. Parution d'un trio avec piano de Pejačević, pas très marquant en soi, mais l'occasion d'aller retrouver dans le fonds CPO son Quintette avec piano et son Quatuor piano-cordes, des merveilles qui ne sonnent en rien galants / mélodiques / limités au divertissement de salon ; de la musique formellement ambitieuse, quoique généreuse mélodiquement. Bijoux.
Autres belles publications, une nouvelle version du Quintette avec hautbois de Dubois (avec Triendl – un peu sérieuse, mais réussie) et une anthologie Santiago de Murcia qui étonne par son choix de pousser l'aspect « improvisé », paraissant réalisé au débotté comme une séance de flamenco.
    Hors nouveautés, plongée dans les sonates pour deux violons, originales et denses, de Leclair (car…) et dans le cycle du Rosaire de Biber par Manze & Egarr, version musicologiquement respectueuse, mais très confortable, sans recherches extrêmes sur le son, et remarquablement phrasée. Très confortable quand on n'est pas d'emblée dans son univers parmi la musique instrumentale baroque d'Europe centrale.

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La légende
Du vert au violet, mes recommandations…
→ * Vert : réussi !
→ ** Bleu : jalon considérable.
→ *** Violet : écoute capitale.
→ ¤ Gris : pas convaincu.
(Les disques sans indication particulière sont à mon sens de très bons disques, simplement pas nécessairement prioritaires au sein de la profusion de l'offre.)

Liste brute :




Nouveautés : œuvres

** HEGGIE, J.: Songs for Murdered Sisters (J. Hopkins, J. Heggie)
→ En cours d'écoute.

** KARNAVIČIUS, J.: String Quartets Nos. 1 and 2 (Vilnius String Quartet) (Ondine 2021)
→ De la tonalité très stable, mais remarquablement écrite, un peu la suite logique des quatuors de Stenhammar. Je ne sais si ça conservera sa fraîcheur à la réécoute, mais grisant (et très accessible) à la découverte !  (1913-1917)
→ Le Quatuor de Vilnius se montre assez fulgurant ici – et généreusement capté.

** Cherubini – Faniska – K. Adam, Poznan PO, Borowicz (DUX 2021)
→ L'œuvre débute comme de l'opéra belcantiste, avec ses rigidités… mais du Cherubini, donc un sens véritable de la déclamation (incluant grands ensembles et mélodrame !), des chœurs très marquants et personnels (le renforcement des cors dans « Di queste selve » !), des efforts d'orchestration patents… Et quand on arrive au final de l'acte I, qui évoque très fortement Fidelio (Faniska a été commandée en 1805, l'année de la première représentation du Beethoven), on se dit qu'on n'a pas commis beaucoup d'opéra italien aussi personnel, composite et exaltant que celui-ci, puisant à toutes les inspirations nationales simultanément !  Les cavatines belcantistes, la grande déclamation à la française, le soin tout germanique de l'orchestration et de la matière musicale pure (l'Introduction du II !) …
→ Comme toujours chez Dux ou avec Borowicz, interprétation pleine de style et de vie, au plus haut niveau. (DUX est l'un des meilleurs labels au monde, peut-être même celui dont la qualité, aussi bien des œuvres retenues que de l'exécution, n'est jamais prise en défaut).

* Thalberg –  L'art du chant appliqué au piano, Op. 70 – Paul Wee (BIS 2021)
→ Belle initiative de graver plutôt l'ensemble que des morceaux choisis comme souvent. Beau son de piano bien timbré et lyrique.
→ Thalberg, ici comme ailleurs, fait plutôt dans la transcription littérale : les mélodies sont utilisées en entier, les répétitions de l'original respectées, un thème accompagné reste un thème accompagné, il ne faut pas du tout en attendre les mutations opérées par Liszt. Dans ce cadre, c'est bien écrit pour le piano et tout à fait plaisant à entendre – mais écouter ça au disque quand on peut avoir les opéras entiers (ou quelquefois des arrangements originaux), ça paraît moins indispensable que lorsque c'était le sel moyen de découvrir ou de faire écho à une soirée.
[Par ailleurs, quand on peut jouer pour soi les réductions piano de ces opéras, le bénéfice d'écouter quelqu'un d'autre jouer les réductions de Thalberg n'a pas un intérêt incommensurable.]

* PEJAČEVIĆ – Trio en ut – trioW (Stefan Welsch, Ingrid Wendel, Katharina Wimmer) (Naxos 2020)
(tiré du disque « Unerhörte Schätze, Musik von Komponistinnen », pas encore écouté)
→ Très vivant postromantisme, très réussi. Mais il faut surtout découvrir le Quatuor avec piano (et le Quintette) chez CPO !

*** Schmitt – La Tragédie de Salomé, version complète originale – Radio Francfort, Altinoglu (YT HRSO)
→ Version pour petit orchestre, qui contient deux fois plus de musique (notamment tout le liant dramatique entre les danses). Œuvre majeure, interprétée ici avec chaleur et couleur.
(Au disque, on n'a que la belle version Davin chez Marco Polo, mais avec le moins chatoyant Philharmonique de Rhénanie-Palatinat).
https://www.youtube.com/watch?v=fmRCZQ2vID4

Biber, Bernhard, JM Nicolai, Fux – Requiem, motets, Sonates – Vox Luminis, Freiburg Baroque Consort, Meunier (Alpha 2021)
→ Cordes rares et très étroites, ce n'est pas fabuleusement chaleureux à écouter, pour mon goût. Le contraste avec le beau chœur (pour autant pas dans son meilleur répertoire / jour) est un peu frustrant.

* Eklund:  Symphony No. 3, "Sinfonia rustica", 5 « Quadri », 11 « Piccola »  –Norrköping SO, H. Bäumer (CPO 2020)
→ 3 : Postromantisme sombre, quelque part entre entre les aplats simples de Schjelderup, les bizarres tintements de la Sixième de Nielsen, les menaces de Chostakovitch (on y entend très clairement le début et la fin de la Cinquième…). Il ne faut pas s'attendre à du pastoralisme ici
→ 5 : Sensiblement même esprit (avec des bouts de la folie d'Hérode chez R. Strauss, mêmes lignes ascendantes bancales de trompettes folles ).

Alfano – Risurrezione – (Dynamic)
→ Opéra vraiment peu exaltant, bâti de façon très prévisible, peu de contrastes ni de couleurs orchestrales. Quand on compare aux symphonies (et encore davantage à la musique de chambre d'Alfano), tout ceci paraît particulièrement incompréhensible.
→ Sans avoir jamais été convaincu qu'il s'agissait d'un chef-d'œuvre, je trouve cette dernière version, quoique très bien chantée, particulièrement peu colorée orchestralement.

Respighi – transcriptions de Bach (Prélude & Fugue, Passacaille & Fugue en utm, Chorals) et Rachmaninov (Études-tableaux) – OPR Liège, Neschling (BIS 2021)
→ Pas très subtilement orchestré, orchestre pas splendide non plus… mais le Choral du Veilleur fonctionne très bien.

** Hahn – Ô mon bel inconnu – Gens, Dubruque, Dolié ; ON Avignon-Provence, Samuel Jean (Bru Zane 2021)
→ Interprétation orchestrale pleine de d'élan, naturel général des interactions, prise de son extrêmement confortable… une œuvre-légère délicieuse qui fonctionne parfaitement ici, ravivée avec esprit.
→ Belles voix pas complètement idéales : l'émission de Gens paraît vraiment  molle pour le registre comique, Dubruque n'a pas énormément de séduction timbrale, Dolié couvre toujours beaucoup trop (toutes les voyelles sont modifiées, fermées, le timbre artificiellement assombri) – pour autant, c'est lui qui manifeste le plus de sensibilité dans l'incarnation de son texte, très réussie.

* MEYERBEER : Wirth und Gast, oder Aus Scherz Ernst [Opera] (Alimelek) (Kobow, Woldt, Stallmeister, Württembergische Philharmonie Reutlingen, Rudner) (Sterling 2021)
→ Un nouveau Meyerbeer en allemand, comme on n'en entend guère, par une superbe équipe (Reutlingen !) et le librettiste du Vampyr ! 
→ Sympathique Singspiel (dont l'ambiance a quelque chose d'une Zauberflöte ou d'un Oberon de Weber qui aurait entendu Rossini et Boïeldieu). C'est agréable, mais rien à voir, jusque dans la langue proprement musicale (les harmonies, les rythmes, l'orchestration, les mélodies, la prosodie…) avec ce qu'il produit pour l'Italie (qui est moins bien) et pour la France (qui est infiniment plus personnel).



Nouveautés : versions

* Liszt – Réminiscences de Norma
(+ Sonate en si + Sonnets des Années de Pélerinage, non écoutes) – Grosvenor (Decca 2021)
→ Très ferme toucher, traits très bien articulés… Capté avec un peu de dureté. Manque un peu de couleur pour mon goût. La maîtrise technique fait toutefois la différence dans le final, absolument flamboyant, où l'abondance de traits ne rallentit en rien l'énonciation de la mélodie du bûcher. Bravo.

*** Tauber, Hans May, Carste, Grothe, Ernst Fischer, Winkler, Cottrau, Stolz, Sieczynski, Kalman, De Curtis, Ralph Erwin, Spolianski, Karl Böhm, Marini, Tosti, Capua – « Heut' ist der schönste Tag - Tenor Hits of the 1930s »Martin Mitterrutzner, German Radio Saarbrücken-Kaiserslautern Philharmonic. C. Poppen (SWR Classic 2021)
→ Sobre (malgré tout) accompagnement de l'excellent Poppen, et voix splendide de cet élégant ténor ferme, plutôt léger mais assez glorieux, ne négligeant pas l'art (sacrilège) du fading !  Superbe album dans ce genre, si l'on n'a pas peur du sirop (moi un peu, on se lasse vite).

* Weber – Der Freischütz (extraits !) – van Oostrum, Barbeyrac, Baykov ; Skerath, Immler ; Insula Orchestra, Équilbey (Erato)
→ Quelle étrange chose, un disque de 80 minutes qui ne contient que les moments de bravoure (ouverture, pantomime de la fonderie, airs), pas de dialogues et très peu d'ensembles… mais complété par un DVD documentaire sur la production. Pourquoi faire ?
→ Dommage, production très réussie (incluant la magie, très adéquate ici), couleurs superbes (et individualités musiciennes !) de l'orchestre sur instruments, très beau plateau (Agathe en particulier). Cela méritait une diffusion de l'intégrale…

* MURCIA, S. de: Baroque Guitar Music (Entre dos almas) (Stefano Maiorana) (Arcana 2021)
→ Jeu très généreux et mélismatique, évoquant davantage une improvisation de flamenco. Accord surprenant (quel tempérament utilisé ?), jeux de distorsion, bruits de caisse…

** Verdi – Aida – Radvanovsky, Kaufmann, Tézier ; Opéra de Paris, Mariotti (Arte Concert 2021)
→ Amants absolument merveilleux, souples et nuancés tout en restant glorieux. Orchestre très bien mis en valeur par Mariotti. Entourage impeccable. Un plaisir.

** Rameau – Dardanus version de 1744 – Wanroij, Santon, Dubois, Christoyannis, Dolié ; Orfeo O, Vashegyi (Glossa 2021)
→ Vocalement, vraiment pas ce que je voudrais entendre ici (Dolié outrageusement couvert, Christoyannis en petite forme, peut-être à cause de la tessiture basse du rôle), à l'exception de Dubois qui, avec son timbre grêle et perçant, rayonne à sa façon.
→ Mais l'excellente surprise vient de Vashegyi qui, malgré des couleurs un peu grises, insuffle une véritable animation, même aux récitatifs plus convenus et aux airs longs. Contrairement à ses autres Rameau et aux pastorales un peu dénervées qu'il a faites ces dernières années, un véritable sens dramatique se déploie. Peut-être bien la meilleure version de Dardanus à ce jour, si l'on considère l'effet d'ensemble !

** Beethoven – Symphonie n°9 – Pittsburgh SO, Honeck (Reference Classics 2021)
→ Très allégé et informé, extrêmement vif dans le premier mouvement, interprétation très tendue, pleine de détails d'orchestration, d'explosions, de fièvre !  Du vrai Beethoven.
→ Le final est très beau, mais m'accroche moins, trop de timbre, de maîtrise peut-être.

* LULLY – Dies iræ, De Profundis, O Lachrymae – Les Épopées, Fuget (Château de Versailles)
→ Captation également disponible en vidéo chez Arte. → Son très profond d'un vaste orchestre, solistes ***** (Lefilliâtre, Auvity, Goubioud, Mauillon, Arnould, Brès…). Sur le choix esthétique, un peu difficile de passer après les mêmes motets l'an dernier par Millenium Orchestra et García Alarcón : chez Fuget tout est très fondu (et poisse un brin, acoustique de la Chapelle Royale aidant), là où la respiration, la discontinuité, l'éclat, la déclamation triomphante prévalaient de façon saisissante chez Alarcón (de loin le plus beau disque de grands motets de LULLY, il faut dire – qui avait marqué le millésime 2020).
→ La vidéo, très bien filmée, apporte un supplément en voyant tout ce monde frémis à l'unisson !




Nouveautés : rééditions

** Gazzaniga (DG), Bizet (Djamileh), Dvořák (Armida), Fibich (Šarká), Massenet (Thérèse), Leoncavallo (La Bohème) – « Opera Rarities » – (Orfeo)
→ Coffret contenant ces œuvres intégrales (passionnantes) dans de belles versions (pas les meilleures, certes). Il doit cependant manquer les livrets, certains se trouvent en ligne (mais pas sûr pour La Bohème et à peu près sûr que non, hors monolingue, pour Armida.





Autres nouvelles écoutes : œuvres

** PEJACEVIC, D.: Symphony in F-Sharp Minor, Op. 41 / Phantasie concertante (Banfield, Rheinland-Pfalz State Philharmonic, Rasilainen)
→ Symphonie expansive et persuasive, riche !  Pas du tout une musique galante.

* VIEUXTEMPS, H.: Violin Concerto No. 4 (Hahn, Bremen Deutsche Kammerphilharmonie, P. Järvi) (DGG 2015)
→ Final exceptionnellement virtuose. Un peu plus superficiel musicalement aussi, trouvé-je.

*** Pejačević – Quintette piano-cordes, Quatuor en ut, Quatuor piano-cordes  – Sine Nomine SQ, Triendl (CPO 2012)
→ Quintette : Belles modulations, beau lyrisme du mouvement lent, dernier mouvement virevoltant !  Postromantisme enrichi de recherches début XXe chez cette compositrice croate.
→ Beau quatuor à cordes apollinien.
→ Quatuor piano-cordes : très marqué par Debussy et Fauré, une petite merveille très frémissante et prenante, à rapprocher par exemple de ceux de Chausson et Fauré (n°1).
→ Cordes du Sine Nomine pas fabuleuses (manquent vraiment de fermeté et de mordant, grincent un peu).

*** Reyer – Sigurd (version intégrale) –  Bou ; Opéra National de Lorraine Nancy, Chaslin (bande pirate sur les genoux)
→ Première présentation de l'œuvre sans coupures ! 

* Cherubini:  Mass in A Major de 1825 pour le Couronnement de Charles X – Cologne Radio Chorus; Cappella Coloniensis; , Gabriele Ferro (Capriccio)

* Emilie Mayer – Quatuor piano-cordes – Mariani PiaQ (CPO 2017)
→ Chouette. Manque quand même d'un petit quelque chose de marquant.

* Foulds – Le cabaret Overture // Pasquinades symphoniques // April-England // Hellas // 3 Mantras – LPO, Wordsworth (Lyrita 2006)
→ Des choses sympathiques, mais globalement surtout marquant du côté des Mantras.

Rangström – Symphonies n°3 & 4  – Norrköping SO, Mikhaïl Jurowski (CPO)
→ La 3 : sombre ostinato et structure simple favorisant la mélodie simple, je pense à Libertas venit de Hendrik Andriessen, petite merveille… mais en moins prégnant.
→ La 4 : là encore de grands aplats pas très complexes structurellement malgré une harmonie travaillée. Pas totalement séduit par cette alternance de blocs en pleins et en creux, un brin sommaire (et en tout cas, dans ses effets de contraste, peu propice au disque).

* Rangström – Intermezzo Drammatico – Norrköping SO, Mikhaïl Jurowski (CPO)
→ Simple mais persuasif et personnel. Par moment un côté danses de Salomé chez Schmitt…

FOULDS, J.: Dynamic Triptych / April England / April England / The Song of Ram Dass (Donohoe, City of Birmingham Symphony, Oramo)
→ Aimable, galant, moins nourrissant que l'autre monographie.

** LECLAIR, J.-M.: Sonatas for 2 Violins (Complete) - Opp. 3 and 12 (Ewer, LaMotte) (Dorian Sono Luminus 2014)
→ L'opus 3 n°1 est celui qui figure, sur la gravure-portrait de Leclair tirée d'un pastel… Après avoir passé en revue ses partitions, j'ai fini par trouver l'extrait assez substantiel qui apparaissait dans ses mains…
→ Ce n'est pas la seule raison pour laquelle écouter ces duos qui font figure de sonates en trio sans basse continue !

LECLAIR,
J.-M.: Sonatas for 2 Violins, Op. 3, Nos. 1-6 (Hoebig, Stobbe) (Analekta 2018)
→ Un peu lourd.

* Rangström – Symphonie n°1 – Norrköping SO, MIkhaïl Jurowski

** FOULDS, J.: 3 Mantras / Mirage / Lyra Celtica / Apotheosis (City of Birmingham Symphony, Oramo)
→ Très varié et réussi. Les Mantras en particulier, ou la Lyra qui inclut un soprano sans texte. Même la concertante (avec violon) Apotheosis me touche beaucoup (l'élan majestueux au centre de son Andante !).

*** Foulds – World Requiem – BBC SO, Botstein (Chandos)
→ Très varié et expansif, remarquable écho (moins idiosyncrasique, certes) au War Requiem.



Autres nouvelles écoutes : interprétations

** Cherubini – Missa solemnis n°2 en ré mineur – Rilling (Hänssler)
→ Très bel ensemble remarquablement écrit, comparable au style de ses requiems (riches en prosodie, travaillés sur la déclamation et au besoin le contrepoint), mais avec des solistes très bien mis en valeur. Le tout joué avec la rondeur et la rhétorique dramatique formidable de Riling.
* Meyerbeer – « Meyerbeer in France » – Thébault, Pruvot, Sofia PO, Talpain (Brilliant 2016)
→ Très beau disque (cette précision d'articulation orchestrale dans du Meyerbeer, c'est pas tous les jours !). Pruvot magnifique, Thébault plus problématique (timbre peu dense, aigus un peu criaillés).
→ Les extraits choisis sont pour large part de l'ordre décoratif, pas nécessairement le meilleur du compositeur, mais joli voyage néanmoins, atypique !:

* Leroy Anderson, Typewriter Concerto
→ Dans le style Wolf-Ferrari…

* Vieuxtemps:  Violin Concerto No. 5 in A Minor, Op. 37, "Gretry": –  Corey Cerovsek ; Lausanne Chamber Orchestra :  Lintu, Hannu (Claves 2008)
→ L'Adagio cite le duo d'amour Isabelle-Alonze de l'acte II ?  D'où le nom ?
→ Superbe version pleine de vie.

* Sibelius 5, Radio Finlandaise, Lintu (DVD)
→ Très beau, remarquable progression, mais quelques moments qui manquent d'angle, d'ampleur, de relance épique – en particulier les appels de cor du dernier mouvement, étrangement allentis et lissés, ce qui ne manque pas de grâce, mais un peu d'apothéose comme ce l'est usuellement… Néanmoins, splendide final sur le bout des pieds, très étonnant.

* BIBER – Sonates du Rosaire – Manze, Egarr (HM 2004)
→ Superbement phrasé, version HIP sans trop d'acidité / aridité, assez confortable pour moi qui ne suis pas toujours à l'aise avec cette ensemble monumental que j'ai peut-être tort d'écouter d'une traite… Variations et traits de virtuosité (écrits par Biber) impressionnants.
→ La Présentation au Temple, le jeune Jésus préchant, le Christ au Pilier, Crucifixion me touchent tout particulièrement… Version ou maturation de ma part, l'impression d'enfin accéder à l'œuvre !
 
*** Sibelius:  Tapiola – Radio Finlandaise, Berlin, Rosbaud (Ondine)
 
* Sibelius:  Tapiola – Radio Finlandaise, Lintu (Ondine)

* Williams – Star Wars VII – CD de la BO
→ La qualité a bien baissé. Hors le thème de Rey, très réussi, vraiment de la tapisserie sage et de la fanfare pétaradante. Dommage, quelle distance avec l'art consommé des IV et V.

CHERUBINI, L.: Mass No. 2, "Messe Solennelle" en ré mineur (Wiebe, Jungwirth, Orrego, Friedrich, Munich Motet Choir, Munich Symphony, Zobeley)
 
** Sibelius:  Tapiola, Op. 112 – Royal Stockholm Philharmonic Orchestra; Davis, Andrew (Finlandia)
 → Très belle surprise, très belle couleur. Toujours un peu extérieur à l'œuvre répétitive et très cordée.

** Nielsen – Symphonie n°2 – Janáček PO Ostrava, Kuchar (Brilliant)
→ En réalité vraiment très bien, nerveux, belle finition, j'avais beaucoup sous-estimé cette intégrale je crois.

Nielsen
– Symphonie n°1 – Stockholm RPO, Tor Mann (fin 40s début 50s)
→ Pas en place, orchestre dépareillé, tout le monde joue comme il peut cette musique hautement inusuelle, sous l'étiquette « Nielsen's Prophet in Sweden »… Je ne suis pas sûr de détester complètement (quelle typicité des bois, tout de même !), mais c'est clairement très loin des standards professionnels qu'on attend désormais (voire des bons amateurs d'aujourd'hui…).

* Sibelius – Symphonie n°7, Tapiola – Atlanta SO, Spano (ASO Media)
→ Étonnante lecture frontale et voluptueuse, avec un sens dramatique primaire, un côté verdien – qui rappelle l'énergie communicative de ses incroyables récentes symphonies de Bruch. Dans Sibelius, c'est exotique mais pas du tout inopérant.

* Sibelius – Symphonie n°5 – Berliner Philharmoniker,  Rattle (Berliner Philharmoniker)
→ Très vivant. Un excellent souvenir de la version vidéo (assez ultime), assez étonné par les timbres plus étroits ici (cordes délibérément sèches, mais trompettes un peu nasillardes, étonnant). Bois toujours aussi vertigineux.
+ final Maazel Pittsburgh, Karajan Philharmonia, Karajan Berlin, Bernstein Vienne

* Sibelius – Symphonie n°4 – Berliner Philharmoniker,  Rattle (Berliner Philharmoniker)
→ Étrangement, je ressens un petit manque de soyeux des cordes ici. Mais l'ascétisme, la transparence, les couleurs, sont magnifiques.

* Sibelius – Symphonie n°7, Océanides, Symphonie n°5 – LSO, C. Davis (LSO Live)
→ Tiré de la troisième intégrale de Colin Davis, la seconde avec le LSO.
→ La Septième, malgré des cuivres un peu massifs par endroit, se distingue par sa remarquable suspension et sa cinétique permanente. Son large, typiquement du dernier Davis. La Cinquième manque un peu de folklore à mon gré, évidemment, mais sans comparaison avec ses deux précédentes intégrales plutôt conformistes et ternes.

* Sibelius – Symphonie n°6 – Berliner Philharmoniker,  Rattle (Berliner Philharmoniker)
→ Cordes droites, peu vibrées, étonnant début très résonant quoique soyeux. Manque un peu de tension sur la durée pour moi, j'en avais un meilleur souvenir (d'après la version vidéo : je découvre sa déclinaison CD).

Sibelius – Symphonies n°3 – Stockholm RPO, Ashkenazy (Exton)
→ Oh, un peu décevant ici, niveau plus juste de l'orchestre que ce qu'il est habituellement, ou que la concurrence.

Sibelius – Symphonies n°2,3 + Night Ride & Sunrise – Radio Finlandaise, Saraste (RCA)
→ Intégrale de studio antérieure à l'intégrale Finlandia, elle vient d'être rééditée après une longue indisponibilité.
→ Autant je trouvais la version Finlandia structurellement singulière, exaltant les transitions en une sorte de nuage permanent (plutôt que d'appuyer sur la mélodie), autant je trouve cette lecture beaucoup plus traditionnelle et assez peu grisante : comme pour Salonen, les timbres captés par RCA paraissent vraiment mats et sans résonance. À côté de l'explosion des couleurs dans les grandes versions récentes (Oramo, Rattle, Storgårds…), c'est un peu frustrant, et en tout cas pas vraiment indispensable.

* Lully – Dies iræ, Te Deaum – Allabastrina, E. Sartori (Brilliant)
→ Spectre sonore à l'italienne (peu de corps dans les parties intermédiaires, respiration du spectre), qui fonctionne très bien, avec beaucoup d'élan et de solennité.




Réécoutes : œuvres

** Kreutzer – La mort d'Abel – Droy, Bou, Pruvot ; Les Agrémens, van Waas (Singulares 2012)
→ trissé

*** Coles – Fra Giacomo…

*** HONEGGER, A. / IBERT, J.: Aiglon (L') [Operetta] (Gillet, Barrard, E. Dupuis, Guilmette, Lemieux, Sly, Montréal Symphony, Kent Nagano) (Decca 2016)

*** Foulds – World Requiem – Charbonnet, Wyn-Rodgers, Skelton, Finley ; Hickox (Chandos)

*** Auber – Les Diamants de la Couronne – Colomer (Mandala)
→ Sommet du livret haletant (merci Scribe) et d'une musique divertissante pourtant pleine de modulations, d'ensembles travaillés, de surprises… Un des plus beaux opéras comiques jamais écrits. (Peut-être même le plus beau en langue française…)  Distribution fabuleuse et orchestre audiblement passionné. Mise en scène tradi pleine de vie.

** Gaveaux – Léonore ou l'amour conjugal – Mc Laren, Richer, Côté, Lavoie ; Opéra Lafayette, Ryan Brown (bande-son du DVD Naxos 2019)

*** Grétry – Céphale & Procris (actes I & II) – van Waas (Ricercar)

** Madetoja – Symphonies 1 & 3 + Suite Okon Fuoko – Helsinki PO, Storgårds (Ondine)
→ Bissé.

*** Madetoja – Symphonie n°2 – Helsinki PO, Storgårds (Ondine)

** Atterberg – älven – Hanovre, rasilainen (CPO)



Réécoutes : versions

* Rameau – Dardanus – Edda-Pierre, Gautier, van Dam, Soyer ; Leppard (Erato)

* Rameau – Dardanus – Arquez, Richter, Buet, Fernandes, Devieilhe, De Negri ; Pygmalion, Pichon (Alpha)

*** Beethoven – Symphonie n°9 – Enlightenment Mackerras (Signum)

* Sibelius – Symphonie n°5 – NZSO, Inkinen (Naxos)
→ Vraiment une très belle exécution, le meilleur volume de cette excellente intégrale. Dernier mouvement très réussi (à part la perte de tension à la fin du mouvement), premier mouvement doté de très belles couleurs et de très beaux équilibres, même si certains accompagnements paraissent un peu plats et certaines syncopes un peu inconfortables.

* Nielsen – Symphonie n°3 – Ireland NSO, Leaper (Naxos 1995)
→ Intégrale que j'adore, parmi les moins luxueuses orchestralement, mais d'un esprit et d'une tension assez fous, parmi les meilleurs. Pas à son sommet dans la Troisième plus étale, qui appelle davantage la volupté sonore, mais toujours ces merveilleuses qualité.

Nielsen – Symphonie n°3 – BBCPO, Storgårds (Chandos)
→ Contrairement à son Sibelius, je trouve leur Nielsen beau mais assez froid, cherchant plus la maîtrise et la chatoyance que l'esprit. Même un peu frustré par cette Troisième.

** Nielsen – Symphonie n°1 – Radio Danoise, Jensen (Naxos, remastering 1952)
→ Splendide restauration pour une version remarquablement maîtrisée, au trait fin et nerveux, bâtie avec grande clarté et sens des progressions, pourvue de belles couleurs… parmi les plus convaincantes de la discographie, malgré son âge vénérable (sachant que les propositions réellement satisfaisantes pour Nielsen sont presques toutes arrivées à partir de la fin des années 90…).
→ Je n'en avais pas du tout un souvenir aussi enthousiaste !

Nielsen – Symphonie n°1 – LSO, Ole Schmidt
→ Bien, mais vraiment en deçà du potentiel de cette musique.

*** LULLY – Dies iræ, De Profundis, Te Deum – Junker, Wanroij, Auvity, Lenaerts, Buet ; Millenium O, Alarcón (Alpha 2019)




Autres nouvelles parutions à écouter

→ GRAUPNER, C.: Easter Cantatas (Jerlitschka, S. Hübner, J. Hill, Capella Vocalis Boys Choir, Pulchra Musica Baroque Orchestra, Bonath)
→ Schulhoff Intégrale des Lieder. Sunhae Im, soprano ; Tanja Ariane Baumgartner, mezzo-soprano ; Hans Christoph Begemann, baryton ; Britta Stallmeister, soprano; Klaus Simon, piano ; Delphine Roche, flute ; Myvanwy Ella Penny, violon ; Filomena Felley, alto ; Philipp Schiemenz, violoncelle .
→ clarinette copland bernstein rozsa orchid
→ étienne richard fabien armengaud
→ Jake Heggie: Songs for Murdered Sisters Joshua Hopkins
→ HEISE, P.A.: Drot og marsk (Royal Danish Opera Chorus and Orchestra, Schønwandt)
→ frid quintet
→ beethoven aquileia
→ breath angels
→ Stanchinsky: Piano Works Peter Jablonski
→ Antti Auvinen & Sampo Haapamäki: Choral Works Helsinki Chamber Choir 
→ Michael Jarrell: Orchestral Works Tabea Zimmermann
→ John Mayer & Jonathan Mayer: Orchestral Works Sasha Rozhdestvens
→ kontski piano sonatas anna parkita
→ daniel jones symphs 3 5 lyrita thomson
→ Bergson: Orchestral Works Jonathan Plowright
→ vlagiderov cctos
→ Holmboe quats vol. 1 nightingale SQ
→ carte postale royaumont bunel
→ tempesta di passaggio : solo pour cornetto
→ gál 'hidden treasures' lieder inédits immler deutsch
→ british music strings I pforzheim
→ schnittke daniel hope
→ kalafati piano
→ respighi transcriptions
→ eccles semele
→ maconchy , lefanu, swayne « relationships » violon piano
→ alex freemann, requiem (BIS)
→ Cesti, La Dori
→ hasse enea in caonia
→ ruders, nørgård, violoncelle solo
→ Grigory Krein piano
→ F.G. Scott piano
→ worgan harpsichord julian perkis chez toccata
→ Goldmark vol 2, mokranjac piano, the laundy grondahl legacy, graun orchestral, trattamento dell'harmonia, platti chamber, marx mosè
→ farkas chamber, braga santos, chamber 3, telemann christmas cantatas CPO, jenner piano
→ Johan Nepomuk David : intégrale des trios à cordes (David-Trio), chez CPO.
→ fra diavolo strade napoli
→ Schulhoff Flammen very vermillion billy
→ stikhina salomé  https://www.youtube.com/watch?v=YU0jlgd9Pas
→ clair-obscur piau
→ kopatchinskaja (plaisir illuminés)
→ ballades vinnitskaya
→ fanciulla foster
→ musicalische exequien
→ haydn 76 chiaroscuro
→ buxtehude par Les Timbres
→ locatelli concertos violon gringolts helsinki baroque
→ catoire chambre & concerto, triendl
→ messiaen 20 regards chen
→ beethoven solemnis jacobs
→ ariadne botha schmeckebecher
→ telemann ouvertures, orfeo barockorchester
→ telemann concerti camerata köln
→ josquin 7e livre, visse
→ weinberg 2,5,6 arcadia SQ
→ nouvel an 2021 muti
→ bagatelles beethoven feltsman
→ boffard beethoven berg boulez
→ krieger 12 sonates en trio
→ pettersson symph 12 lindberg



Projets d'écoutes ou réécoutes pour les semaines à venir

tout DUX, tout CPO

Jēkabs Jančevskis - Chœurs
Mäntyjärvi - Chœurs
Foulds - Quatuors
SEHS

heggie violins of hope
pejavevic symph réécoute

vieuxtemps cctos vcl CPO
vieuxtemps cctos vln davin

nielsen jensen
nielsen kuchar
nielsen bernstein

« Flury. Son quatuor No. 5 est bien ficelé dans une optique assez traditionnelle, le No. 6 possède un II d'une grande mélancolie et déploie un cœur suspendu dans le III à fondre. Le No. 7 est peut-être le plus intéressant, qui démarre en fugue à quatre voix avant de virer à une pièce romantique tout en pizzicatti. Ces deux derniers sont couplés avec une suite pour orchestre à cordes assez déconcertante (III), variée (Atterberg dans le II, marche instable dans le IV) qui ne manque pas de sel. Le quintette pour piano, bien que souvent d'un sentimentalisme parfois caricatural, n'aura pas dépareillé avec les pièces ultra-lyriques écoutées récemment. Plaisir sûrement coupable mais plaisir malgré tout. »

« Plus ancien et susceptible de te plaire, Bargiel. Le deux premiers quatuors évoquent Beethoven, respectivement opus 18 et 59, les troisièmes et quatrièmes sont plutôt d'obédience Schumann/Brahms/Mendelssohn (même si j'ai pensé aux gémissements utilisés par Onslow au début du No. 4). Plus sophistiqués, moins immédiats en ce qui me concerne, avec un pathos un peu forcé parfois, mon goût désordonné ne doit pas empêcher d'y trouver maintes satisfactions. Mais c'est bien son octuor, d'une noirceur incroyable, qui m'a cueilli et que j'enjoins d'essayer sans attendre. Sa symphonie est au menu prochainement, je ne saurais rien en dire à l'heure actuelle.  »

« Blackford, des choses passionnantes dans tous les registres. En musique de chambre, ses Hokusai Miniatures aux atmosphères variées et particulièrement évocatrices. À l'orchestre, outre sa réorchestration du Carnaval de Saint-Saëns et sa propre symphonie pour animaux qui mange à tous les râteliers (de Rautavaara à Williams), son concerto pour violon Niobe avec des vrais morceaux de Banks et de Szymanowski m'a fortement convaincu. »

(vous aurez reconnus les conseils personnalisés de Mefistofele)

hausegger, graener

cherubini messes

lintu

goetz quintette triendl

wolf-ferrari (segreto, etc.)

respighi vetrata, metamorphoseon
Den Utvalda rangström nylund schirmer

cctos violon : st-sns, godard, vieuxtemps, graener goetz, børresen

vieux temps hahn, vcl cctos

scriabine symph 1

FOULDS, J.: Dynamic Triptych (Shelley, Royal Philharmonic, Handley)

foulds chambre quartetto intimo

nielsen bo holten vocal

leclair

kirchner quatuor piano

CHAYNES, C.: Visions concertantes / 4 Poèmes de Sappho (Mesplé, Ponce, Trio à cordes Français, Toulouse Chamber Orchestra, Armand)
Rangström : Havet sjunger, Bön till natten, Partita

RANGSTRÖM, T.: Sånger (Hagegard, Scheja)

elisir : dalla benetta De Marchi, valletti bruscantini gavazzeni, bonney winbergh panerai ferro, gigli taddei gavazzeni,
Jules Massenet (1842-1912) :

Le Carillon, ballet ; Richard Bonynge, National Philharmonic Orchestra (Decca, avril 1983)

Opéra Oleg Prostitov "Ermak"
stanford R. Williams
gubaidulina quat 1
tichtchenko 4,3
schnittke rubackyte
Lokshin - Variations for piano - Maria Grinberg, piano
schoeck piano ritornelle
jacques mercier sony
adamek https://www.youtube.com/watch?v=xOPdjCxHJ8A
requiem verdi, gounod (+ mors et vita)
krug https://www.youtube.com/results?search_query=arnold+krug
lully alarcón
hartmann rickenbacher nimsgern n°2
bax avec pttn, rott avec pttn
Jekabs Jančevskis : Aeternum and other works (Jurģis Cābulis /Riga Cathedral Choir School Mixed Choir)
Jaakko Mäntyjärvi : Choral music (Stephen Layton / Choir of Trinity College Cambridge)
→ boutsko : i]Nuits blanches[/i] ([i]Белые ночи[/i]
lebendig begraben nagy
ina boyle
diamants couronne paul paray
zaderatski : sonates, préludes
→ keuris laudi, michelangelo, antologia…
→ roy harris symph 3, symph 5, ccto violon
→ Alexander KASTALSKY (1856-1926), Requiem for Fallen Brothers (1914-1917)
→ Musgrave Helios, ina boyle
Tournemire : Symphonie Sacrée (van der Ploeg)
→ børresen ccto vln par garaguly
→ weber : mélodies italiennes, lieder
diogenes SQ
CPO
kalliwoda 2, kalliwoda 5 spering
kallstenius 1
kozeluch moisè in egitto
Maconchy, compositrice Symphony for double string orchestra
Lajtha: Symphonie n°1/Pasquet
→ reinecke dornröschen
→ Let There Be Cello
→ Bainton 3, Ruth Gippz 4
→ consortium classicum (moscheles, tribensee)
→ DUSSEK, J.L.: Piano Sonata, Op. 43 / MOSCHELES, I. / CRAMER, J.B. / HUMMEL, J.N. / KALKBRENNER, F.: Variations on Rule Britannia (M. MacDonald)




(Notule réalisée les yeux pleins de roman auvergnat et provençal. Parce que la vie de certains a du style.)

lundi 18 janvier 2021

Marais – Bacchus & Ariane – Naxos surpeuplée ou le piège du français restitué


Un projet

Le CRR de Paris, c'est l'école supérieure pour étudier le baroque français – Eugénie Lefebvre, Hasnaa Bennani et beaucoup d'autres y sont passés, étudiant notamment, pour les chanteurs, auprès d'Isabelle Poulenard et Howard Crook, deux des membres les plus accomplis de la première génération de résurrecteurs dans les années 80…

En fait de CRR (conservatoire de niveau régional), il tient lieu de CNSM officieux (conservatoire national, il en existe deux, à Paris et à Lyon) lorsqu'il s'agit de baroque. Partenariats avec le Centre de Musique Baroque de Versailles, masterclasses avec les meilleurs représentants qui font vivre le répertoire (en particulier français), prêts d'instruments spécialisés (dessus / hautes-contre / tailles / quintes de violon, spécifiques au répertoire français pré-ramiste)…

Leurs productions sont toujours attendues avec beaucoup d'impatience, explorant des rivages peu (Psyché II de LULLY) ou pas documentés (Médée & Jason de Salomon), avec des instrumentistes déjà professionnellement mûrs et des chanteurs encore verts mais déjà sensibilisés à la déclamation spécifique (expérimentations de Stéphane Fuget autour du recitar cantando pour les œuvres italiennes du XVIIe, essayant vraiment de changer le chant en parole, avec des succès divers mais de façon très stimulante), aux techniques de jeu scénique baroque et… à la prononciation restituée.

Malgré l'absence de public (et le foyer infectieux qui s'y est déclaré quelques jours après), le CRR a réussi à monter et capter Bacchus & Ariane de Marais, dont la résurrection a longtemps été repoussée (au milieu des années 2000, Le Concert Spirituel devait le reprogrammer, me semble-t-il, avant d'y renoncer).


Une œuvre

https://www.recithall.com/events/194/live
(Inscription gratuite. Visible jusqu'au vendredi 22 janvier.)

http://operacritiques.free.fr/css/images/marais_bacchus_ariane_fuget.png

Seul le très bel air d'entrée d'entrée d'Ariane à l'acte I m'était connu, suite à un concert autour de cette héroïne par l'Ensemble Zaïs, en 2016 à Joinville. J'avais même présenté ici même, partition en main, la structure de l'air, ainsi que celle de Mouret.

Je ne suis pas un inconditionnel de Marais à l'Opéra, dont les petites sophistications musicales ne compensent pas réellement les livrets faibles et la prégnance mélodique assez limitée. On est loin de l'impact direct que peuvent avoir, dans cette génération, Desmarest, Campra ou Destouches, à mon sens (et même La Coste et Gervais), mais à chaque fois servis par de de meilleurs librettistes, il faut le concéder.

Cette tragédie en musique le confirme un peu : il y a de belles basses sophistiquées, des chromatismes (et quelques belles mélodies ciselées tout de même !)… mais je ne suis pas totalement ému.

(Notule écrite après l'écoute du Prologue et de l'acte I seulement, mon avis s'amendera probablement, j'ai aperçu en particulier de superbes divertissements, comme toujours le point fort chez Marais – que ce soient danses instrumentales ou plaintes chantées…)

Le livret de Saint-Jean (écrivain non identifié…) m'a beaucoup amusé : on est habitué à se figurer l'abandon d'Ariane dans des lieux déserts, or le premier acte, quoique situé dans « une grotte terminée par une mer à perte de vue », voit se succéder une infinité de personnages : Ariane, négligée par Thésée au profit de sa sœur Phèdre, est entourée d'une confidente, d'un soupirant prince d'Ithaque (lui-même accompagné d'un confident magicien), qui est fiancé à la sœur du roi de « Naxe », tout ce beau monde étant présent autour d'un prêtre sacrificateur et des chœurs rituels. Pas tout à fait l'ambiance île déserte, donc. En fait de couleur locale et de grotte sauvage, une intrigue circulaire d'amours de palais assez stéréotypée, chacun aimant l'autre maillon (indisponible) de la chaîne.

Cela se découvre tout de même avec plaisir, d'autant que quelques-uns des chanteurs (les hommes en particulier) se révèlent extrêmement talentueux. (Leurs noms ne sont pas donnés dans la vidéo, j'irai me renseigner pour les ajouter.)

Mais.

Tout est chanté en prononciation restituée. Dont je ne suis pourtant pas un détracteur, même dans ses versions archaïsantes (et inexactes) de l'école Green.


Enjeux de la prononciation restituée


Les avantages, pour la déclamation parlée, sont assez nombreux : réactiver certaines rimes, faire entendre la couleur d'époque, favoriser une forme d'emphase qui permet à la voix de mieux se placer (les fameuses courbes ascendantes qui caractérisent ce type de déclamation), bref fournir un relief nouveau et des teintes oubliées à un répertoire qui mérite d'être servi avec chaleur.
Je n'en suis donc surtout pas un détracteur – qu'elle soit exacte ou non au demeurant.

Pour le chant, j'y vois en revanche de grands obstacles… qui s'incarnent très bien dans cette vidéo.

a) Le chant lyrique est déjà un artifice. Faire chanter une langue que personne ne parle entraîne une mise à distance supplémentaire, néfaste pour la compréhension du public et pour la qualité du chant.

b) La tragédie en musique fonde sa force sur son lien très étroit entre texte et musique, qui se nourrissent et se dynamisent l'un l'autre. En chantant dans une langue étrange, distante, avec des accents diversement maîtrisés, on diminue considérablement l'impact émotionnel propre au genre.
Si l'on veut vraiment rendre justice à l'esprit de ce qui s'entendait à l'époque, il faut chanter dans la langue qui nous est proche, pas dans celle que nous ne pratiquons plus. Bref, chercher non pas l'exactitude de la restitution, mais la congruence de l'émotion reçue (ce qui reste quand même un peu le but).  On peut être conscient de cette divergence de prononciation sans l'imposer à écouter à un public.

c) Faute de référentiel (personne ne parle cette langue, les jeunes chanteurs sont contraints d'inventer l'aperture exacte des voyelles), les interprètes (pas seulement dans cette production) tendent à trop couvrir, c'est-à-dire à assombrir / fermer / boucher leurs voyelles, avec des résultats opaques et finalement… tout à fait hors-style !  Les jeunes femmes souffrent un peu dans cette production – certaines se mettent même à chanter trop bas, et je soupçonne que ce serait assez différent avec la liberté et la clarté du français prononcé à la moderne / contemporaine.

d) Plus prosaïquement, même en se concentrant, on ne comprend ici que la moitié des mots (ce n'est pas pareil dans toutes les productions, mais véritablement un handicap ici). Et quand je le dis, c'est venant d'un auditeur qui a écouté l'intégralité des tragédies en musique disponibles… Donc un mélomane qui pratiquerait peu l'opéra serait sans doute totalement perdu. Tellement dommage lorsqu'on dispose justement de chanteurs aguerris à cette esthétique, et tous francophones !  L'émotion directe qu'on a gaspillée en vain sur une question de principe !

Je comprends très bien l'enjeu de former de jeunes chanteurs sur cette question, puisque certains ensembles l'appliquent systématiquement. Et ce n'est pas absurde partout – pour l'air de cour, le poème n'a pas tout à fait le même enjeu d'intelligibilité directe, il est en général plus distendu, plus atmosphérique, et la prononciation restituée peut se défendre. Mais pour maintenir l'illusion théâtrale avec ce qui sonne à nos oreilles comme de l'accent gascon imité par des germains, bon courage.

Aussi, de grâce, épargnez-nous, dans les productions lyriques, cette punition qui n'apporte vraiment rien aux auditeurs et compromet jusqu'à la bonne tenue du chant !
Certains parviennent tout de même à limiter les dégâts, comme le Poème Harmonique qui fait plutôt du très bon travail sur la question… mais la perte de lien direct avec le texte reste très évidente. Et d'autres ensembles font carrément un peu n'importe quoi, chacun adaptant comme il le peut… En particulier difficiles pour les jeunes chanteurs qui n'ont pas tout à fait fini d'équilibrer leur voix.

--

Voici pour ces impressions mêlées, malgré l'intense gratitude d'avoir mené jusqu'au bout ce très beau projet de résurrection du dernier opéra encore inconnu d'un compositeur majeur – on avait déjà monté Alcide, le bijou Sémélé et bien sûr Alcione –, le sentiment qu'un choix de principe a grandement altéré l'ensemble du résultat artistique, malgré l'enthousiasme et la qualité des forces mises en présence (quatre théorbes, en plus !)

mardi 22 décembre 2020

Le défi 2020 des nouveautés – épisode 16, l'ultime livraison : ferne Geliebte, Lysistrata, la relève du chant, CoViD fan tutte, symphonistes japonais, Kevlar


Je suppose peu de nouveautés le jour même de Noël, et elles sont donc pour cette dernière bordée, vendredi dernier, quasiment à l'arrêt hors quelques millièmes réenregistrements beethoveniens.

Du fait de l'enfermement et du délai un peu plus long de publication, la liste est devenue un peu épaisse. J'essaie de la subdiviser mais espère qu'elle demeurera lisible (suivez le rouge pour les nouveautés, les 2 ou 3 cœurs pour les albums exceptionnels).

winterreise_nawak.jpg

Du vert au violet, mes recommandations… en ce moment remplacées par des .
♦ Vert : réussi !
♦ Bleu : jalon considérable.
♦ Violet : écoute capitale.
♦ Gris : pas convaincu. ♠
(Les disques sans indication particulière sont à mon sens de très bons disques, simplement pas nécessairement prioritaires au sein de la profusion de l'offre.)

En rouge, les nouveautés 2020 (et plus spécifiquement de l'automne).
Je laisse en noir les autres disques découverts.
En gris, les réécoutes de disques.




1. OPÉRA

nouveautés CD

OPÉRA ITALIEN


♥♥ Monteverdi – Orfeo – Boden, Pass à Amsterdam (YT)

♥♥ Monteverdi – Orfeo – Auvity, Wilder, Arts Flo, Agnew (YT)

♥♥♥ Rossi – Orfeo, acte I – Pichon
→ Tellement étonnant qu'en salle, Bridelli marque plus qu'Aspromonte !

Vivaldi – Farnace « Gelido in ogni vena » – Maggio Musicale, Sardelli (Dynamic)

♥♥ Graun – Cleopatra e Cesare (acte I) – Jacobs

Salieri – Armida (air) – Rousset (Aparté 2021)
→ En avant-première en flux… Juste deux pistes, l'Ouverture et un air. Jolie écriture dramatique. Évidemment loin du ravissement de ses opéras français… ou même de ses délicieux bouffes – mais pour du seria, on sent tout de même l'empreinte de Gluck et du goût français, ce qui est un avantage pour garantir un peu de ma patience. Exécution pleine d'ardeur des Talens Lyriques, tout de même bien hâte de découvrir cela (à défaut d'avoir entendu le concert de mai).

Mozart – Il Sogno di Scipione – Boncompagni, Fenice, Sardelli (Operavision 2020)
→ Mozart seria de jeunesse : statique et ennuyeux. Sardelli apporte un peu de tranchant à l'orchestre de la Fenice, qui reste toujours assez terne et à la peine, depuis tant d'années… (je ne l'ai jamais entendu vraiment bon, je crois)

Mozart – Le Nozze di Figaro – McLaughlin, Mattila, Gallo, Pertusi ; Mehta (Sony)
→ Tradi un peu lisse, mais duo comtal chouette.

Mozart – DG – Fuchs, Leonard, Sly, Nahuel Di Pierro ; Rhorer (YT)

♥♥ Mozart – Così – Behle, Priante, Lhote, Lyon, Montanari (YT)

Verdi – La Traviata, « Fragment » (acte III jusqu'à Addio del passato) – MusicAeterna, Currentzis
→ Tout à fait lunaire : récitatifs totalement étirés comme s'ils étaient des airs en largo, voix artificiellement réverbérées et gonflées, un délire très révélateur de sa conception purement musicale (et narcissique…) de l'opéra.
→ Ce n'est pas moche du tout, mais ça ne ressemble plus à grand'chose, en tout cas pas à un opéra de Verdi (mais j'aime assez).
→ Je ne comprends pas le quart d'heure (du moins bon passage de l'opéra, en plus). Vendu en dématérialisé ?  Teasing pour une intégrale qui prend son temps ?  Chute d'une intégrale avortée mais monétisable ? « Single long » ? Marché numérique ?

♥♥♥ Verdi – Simone Boccanegra – Homoki ; Rowley, Jorijikia, Nicholas Brownlee, Gerhaher, Fischesser ; Zürich, Luisi (Arte 2020)
→ Direction d'acteurs formidable, et l'usage de ce simple décor tournant qui nous mène de coursive en antichambre… Homoki à un sommet de maturité.
→ Orchestre mordant, N. Brownlee fabuleux. Rowley assez pharyngée mais expressive comme une actrice au temps du Code Hays.
→ Très content d'entendre chanter Verdi comme Gerhaher.

Verdi – Aida, début inédit de l'acte III – Scala, Chailly (euroradio)
→ 100 mesures coupées avant la création. Moment suspendu de prières douces aux registres étagés, très réussi, à comparer à l'ambiance du temple avant « Nume custode e vindice ». Méritait d'être entendu, et mériterait d'être systématiquement joué.
→ (en revanche, vocalement, quoique tout à fait honnête, ça laisse vraiment entendre la crise du chant verdien – alors que dans les autres répertoires, l'opéra se porte vraiment bien…)

♥♥ Verdi – Otello – Torsten Ralf & Stella Roman - Dio ti giocondi (Met, 1946)



OPÉRA FRANÇAIS

♥♥♥ Lully – Isis – Rousset

♥♥♥ Lully – Armide (acte I) – Herreweghe II (HM)

♥♥♥ Lully – Armide (actes I, III, IV & V) – Rousset (Aparté)


♥♥ Mozart – La Flûte enchantée en français – M. Vidal, Scoffoni, Lécroart, Lavoie ; Le Concert Spirituel, Niquet (France 5)
→ Très vivante version raccourcie et en français, dans une distribution française de très grand luxe.

Rossini – Le Barbier de Séville (en français) – Berton, Giraudeau, Dens, Lovano, Depraz, Betti, Pruvost ; Opéra-Comique, Gressier (EMI 1955)

♥♥ Boïeldieu – La Dame Blanche – Jestaedt, Buendia, Ratianarinaivo, Hyon, (Yannis) François, Les Siècles, Nicolas Simon (France 3)
→ Les qualités de charisme vocal de Buendia et Ratia souffrent de la retransmission (un peu proche des voix, on entend les aspérités, les micro-défauts), mais quand on les connaît, on mesure le bonheur incommensurable qu'aurait été cette série de représentations itinérantes… Voix franches (superbe découverte de Yannis François également, baryton-basse clair et avec de vrais graves riches !), chaleur des instruments d'époque… La mise en scène n'est pas passionnante, mais le bonbon est très apprécié !

♥♥ Offenbach – M. Choufleuri – Mesplé, Rosenthal (EMI)
→ Avec des citations de Nonnes qui reposez, de bouts de Verdi, thème du premier numéro du Freischütz…

♥♥ Offenbach – Ba-ta-clan – avec Corazza
→ Très bonne musique, même si d'une certaine façon sans texte !

♥♥♥ Bizet – Carmen – Angelici, Michel, Jobin, Dens ; Opéra-Comique, Cluytens (réédition The Art Of Singing 2014)
♥♥♥ Bizet – Carmen – Horne, McCracken Bernstein (DGG)



OPÉRA ALLEMAND

Mozart – Zauberflöte – Della Casa, Simoneau, Berry ; Opéra de Vienne, Szell
→ Orchestre très imprécis et hésitant, peu frémissant. Della Casa un peu surdimensionnée dans le legato. Berry alors très clair. 

♥♥♥ Wagner – Lohengrin – Bieito ; Miknevičiute, Gubanova, Alagna, Gantner, Pape, Berliner Staatsoper, Pintscher (Arte Concert)
→ Splendide orchestre et chœurs (et surpris par le lyrisme et la tension de Pintscher dont j'avais un très mauvais souvenir dans le « grand répertoire »), splendide distribution.
→ J'attendais évidemment Martin Gantner, l'une des voix les mieux projetées du marché (ça paraît nasal et étroit en captation, mais en salle, c'est une proximité et d'une expressivité miraculeuses). Telramund pas du tout noir, très clair et concentré, très convaincant dans un genre absolument pas canonique.
→ Roberto Alagna chante un allemand de grande qualité ; toutes les voyelles sont un peu trop ouvertes, mais ceci va de pair avec la clarté caractéristique de son timbre et la générosité jamais en défaut de son médium. Un régal de bout en bout, élocution limpide et splendeur vocale. Le second tableau de l'acte iII le voit se fatiguer, et les aigus deviennent vraiment blancs et métalliques, le médium un peu plus aigre. Tout le reste se montre à la fois original et très marquant.
→ La mise en scène de Bieito m'a paru laide, sans propos clair ni animation scénique, sans cohérence psychologique ni lien avec le sujet. Sans parler de son tic de faire trembler ses personnages pendant vingt minutes , récupéré de la pire idée de son Boccanegra… Dire que ce fut un si grand metteur en scène… Trop d'engagements. Trop d'empâtement.

Wagner – Götterdämmerung, Janowski I : prologue.
→ assez scolairement égrené, mais super prise de son. chanteurs valeureux mais déjà un côté « déclin ».

Schoeck – Vom Fischer un syner Fru, Op. 43 – Harnisch, Dürmüller, Shanaham , Winterthur, Venzago (Claves 2018)
Harnisch en-dessous de ses standards, Dürmüller un peu dépassé, Venzago un peu froid, version décevante d'une œuvre qui a déjà bien moins de saillances que le Schoeck habituel (son principal intérêt étant d'être composée directement sur le vieux dialecte allemand).La version Kempe-Nimsgern est à privilégier.

♥♥ Schoeck – Massimilia Doni – Edith Mathis, G. Albrecht
→ Décadentisme consonant dans le goût de Venus et Das Schloß Dürande, en plus lyrique et plus basiquement dramatique, comme mâtiné de Verdi.

Dusapin – Faustus – Nigl (extrait)



OPÉRAS D'AUTRES LANGUES

♥♥ Mozart & Minna Lindgren – Covid fan tutte – Mattila, Hakkala, Opéra de Helsinki, Salonen (Operavision 2020)
→ Così (plus Prélude de Walküre et air du Catalogue) en très condensé (1h30), sur un texte finnois inspiré de nos mésaventures pandémiques. Point de départ dramaturgique : Salonen vient diriger la Walkyrie et la situation sanitaire impose le changement de programme.
→ Tout y passe : les opinions rassurantes ou cataclysmiques, les avis contradictoires, les (inter)minables visios, la détresse de la mauvaise cuisinière, la doctrine des masques, les artistes désœuvrés… Parfois avec beaucoup d'esprit (« Bella vita militar » pour la mission papier hygiénique), par moment de façon confuse ou un peu plate (la vie des sopranos).
→ Les récitatifs sont changés en dialogues menés par « l'interface utilisateur », sorte de directrice de la communication hors sol.
→ Hakkala (Alfonso) fantastique, Mattila remarquablement sa propre caricature, avec toujours un sacré brin de voix (les poitrinés rauques en sus).
→ Globalement, un jalon de notre histoire s'est écrit – on aurait pu creuser davantage quelque chose de cohérent, avec les mêmes éléments, ménager une arche qui soit un peu moins une suite de moments dépareillés… Pour autant, le résultat est la plupart du temps très amusant, et marquera le souvenir artistique de la Grande Pandémie des années 2020 pour les archéologues du futur – du moins si notre éphémère technologie numérique n'a pas tout laissé disparaître…

Moniuszko – Halka – Paweł Passini ; Mych-Nowika, Piotr Fiebe, Golinski ; Poznan, Gabriel Chmura  (Operavision 2020)
→ Pas fabuleux vocalement (aigus blancs de la soprano et du ténor, bon baryton). Superbes scènes de ténor, mais œuvre vraiment ennuyeuse dramatiquement : Halka reste debout trahie, son comparse le lui explique longuement, et c'est l'essentiel, malgré le terrible condensé de tragédie contenu dans la pièce.
→ Musicalement peu fulgurant aussi, quoique moins gentillet que le Manoir hanté.

♥♥ Hatze – Adel i Mara – Zagreb 2009 (YT)

Britten – A Midsummer Night's Dream – M.-A. Henry, Montpellier (Operavision 2020)
→ Belle version d'une œuvre aux belles intuitions mais qui patine un peu, à mon sens, dans le formalisme de ses duos et ensembles intérieurs (livret très bavard, également).




2. MUSIQUE DE SCÈNE / BALLETS

nouveautés CD

Marais – Suites à joüer d'Alcione – Savall (Alia Vox)
→ Bien mieux que le concert. (Mais ces suites ont-elle un grand intérêt isolées?)

♥♥♥ Rameau – Hippolyte (Prélude du III) dans « Tragédiennes » #1 – Talens, Rousset

Piron
– Vasta – Almazis (Maguelone 2020)
→ Pas très séduit, ni par le texte (vraiment plat, comparé aux pièces grivoises de Grandval qui m'amusent assez), ni par les musiques (pas passionnantes, et textes assez pesants aussi).
→ Musicalement, pas séduit non plus par les timbres instrumentaux. Dommage, c'était très intriguant.
→ Il existe une lecture très vivante de la Comtesse d'Olonne de Grandval en complément d'un disque de ses cantates, je recommande plutôt cela pour se frotter à ce type de théâtre leste.

Cannabich – Electra – Hofkapelle Stuttgart, Bernius (Hänssler 2020)
→ Mélodrame dans le style classique, très réussi et ici très bien joué et dit (par Sigrun Bornträger).

Wagner – Die Meistersinger, ouverture – Vienne, Solti

Tchaikovsky –  The Tempest, Op. 18 – Orchestra of St. Luke's; Heras-Casado (HM 2016)

♥♥ Humperdinck – « Music for the Stage » : Das Wunder, Kevlar, Lysistrata…  – Opéra de Malmö, Dario Salvi (Naxos)
→ Très belle sélection de scènes d'opéras et autres œuvres dramatiques, variées, pleines de la naïveté et de l'emphase pleine de simplicité propres à Humperdinck. Extrêmement persuasif, délicieux, très bien joué. Hâte de découvrir ces œuvres intégrales désormais, une très belle ouverture vers cet univers encore chichement documenté !  (Et la générosité accessible de cette musique plairait à un vaste public, a fortiori en Allemagne dont l'imaginaire populaire est une référence récurrente…)




3. RÉCITALS VOCAUX

nouveautés CD

Haendel, Vivaldi… – « Queen of Baroque » – Cecilia Bartoli (Decca 2020)
→ Pot-pourri de différents disques. Très bons, mais autant profiter des programmes cohérents. Si jamais vous voulez comparer les orchestres et les répertoires, pourquoi pas.

Salieri, Strictly private, Heidelberg SO (Hänssler)
→ Lecture nerveuse d'airs et duos très spirituels, qui évoquent les Da Ponte mozartiens, un délice.

Rossini – « Amici e Rivali » – Brownlee, Spyres, I Virtuosi Italiani, Corrado Rovaris (Erato 2020)
→ Impressionnant Spyres en baryton et bien sûr en ténor (même si le coach d'italien devait être covidé, à en juger par certains titres). Brownlee a perdu de son insolence, mais pas de sa clarté et de son moelleux.
Superbe attelage, pour un répertoire purement glottique qui n'a pas forcément ma prédilection d'ordinaire, accompagné par un orchestre très fin (instruments d'époque ?) et discret, petit effectif, cordes sans vibrato.

Gounod, Bizet, Tchaïkovski, Puccini – « Hymnes of Love » – Dmytro Popov
→ Pas fini, ça a l'air bien. Mais la rondeur de la voix est davantage conçue pour le répertoire slave que pour l'éclat des spinti.

Massenet par ses créateurs (Malibran 2020)
→ Scindia par Jean Lasalle
→ Salomé par Emma Calvé
(ouille)





4. MUSIQUE SACRÉE

nouveautés CD

Un disque mystérieux (Aparté 2021)…
… de cantates luthériennes du Schleswig, totalement inédites – pour lesquelles je viens d'écrire une notice le nez plongé dans des interpolations vétérotestamentaires tirées de la Bible de Luther, et qui devraient paraître en fin d'année prochaine. (Avec des textes d'époque très denses, des chanteurs très éloquents et un continuo imaginatif, pour ne rien gâcher.)

Pfleger – Cantates sacrées en latin & allemand – Bremen Weser-Renaissance, Cordes) (CPO)
→ Splendide !  Entre Monteverdi et Bach, un côté très Steffani… Airs quasiment tous à deux voix !

♥♥♥ Steffani – Duetti di camera – Mazzucato, Watkinson, Esswood, Elwes, Curtis… (Archiv)

Legrenzi  – Compiete con le letanie e antifone della Beata Vergine – Nova Ars Cantandi, Giovanni Acciai (Naxos 2020)
→ Un des plus grands compositeurs du XVIIe siècle, Legrenzi excelle dans toutes formes d'audace, un contrepoint riche et libre, une harmonie mouvante, une agilité qui préfigure le seria du XVIIIe siècle…
→ Première gravure discographique de ces Complies Op. 7, la dernière prière du jour. Superbes voix franches et articulées… sauf le soprano masculin, très engorgé, vacillant, inintelligible, qui tranche totalement avec le reste et distrait assez désagréablement. Étant la partie la plus exposée, le plaisir est hélas un peu gâché.

Bach – Cantates format chambre – Nigl

Haendel – Dixit Dominus – Scholars Baroque (Naxos)
→ Première fois cette version en entier. Génial 1PP.

Haendel – Dixit Dominus
Réécoutes et nouvelles écoutes : Gardiner-Erato, Scholars Baroque, haïm, Toll, Fasolis, Creed Alte Musik, Öhrwall Drottningholm, Zoroastre Rochefort, Meunier, Parrott, Minkowski, Chistophers-Chandos, Christophers-Coro, Rademann, Dijkstra, Gardiner-Decca, Bates, Preston.

du baroque à Satie – « War & Peace, 1618-1918 » – Lautten Compagney (DHM 2018)
→ Amusant mélange (avec la Gnossienne n°3 revisitée par cet ensemble baroque), plaisant et bien interprété (avec une soprano au fort accent britannique).

Pergolesi – Stabat Mater – Galli, Richardot ; Silete venti, Toni (La Bottega Discantica, 2016)

Borodine – Requiem (arr. Stokowski) – BBC Symphony Chorus, Philharmonia Orchestra, Geoffrey Simon (Signum 2020, réédition)
→ Cinq minutes de paraphrase sur le thème grégorien, avec des harmonies typiques de l'avant-garde russe du second XIXe. Les doublures pizz-bois alla Godounov sont incroyables !
+ Suite Prince Igor, Petite Suite…




5. CONCERTOS

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Rejcha – Symphonies concertantes flûte-violon, puis 2 violoncelles  – Kossenko, Stranossian, Coin, Melknonyan ; Gli Angeli Genève, MacLeod (Claves 2020)
→ Flûte-violon : aimable. Entre le son un peu aigrelet des solos sur instruments d'époque (pas faute d'aimer ces quatre artistes pourtant) et la progression harmonique très traditionnelle, les mélodies vraiment banales, je n'y trouve pas le grand Rejcha que j'aime. Joli mouvement lent tout de, qui débute par violon et flûte seuls.
→ La symphonie à deux violoncelles est bien plus intéressante, en particulier le premier mouvement inhabituellement varié (dont le premier fragment thématique est similaire à celui de Credeasi misera) et le final assez foisonnant. Mais pour cette œuvre, le disque Goebel-WDR (aux couplages passionnants) de cette même année 2020 m'avait davantage convaincu.

B. Romberg – Cello Concertos Nos. 1 and 5 (Melkonyan, Kölner Akademie, Willens) (CPO 2016)
→ Décevant, du gentil concerto décoratif et virtuose, rien à voir avec ses duos de violoncelle, très musicaux et variés !

Lalo, Ravel  – Symphonie espagnole ; La Valse, Tzigane & Bolero – Deborah Nemtanu, Pierre Cussac, La Symphonie de Poche, Nicolas Simon (Pavane 2017)
→ Sympathique, mais la partie concertante et le mixage permettent moins d'apprécier l'exercice que dans le disque Beethoven.

Elgar – Concerto pour violoncelle – Johannes Moser, Suisse Romande, Manze (PentaTone 2020)
→ Très sérieux et dense, nullement sirupeux, avec un orchestre à la belle finesse de touche, qui fait entendre le contrechant avec netteté.
→ Parution du seul concerto, uniquement en numérique (avant un futur couplage en disque physique ?).

♥♥♥ Schmidt, Stephan – Symphonie n°4, Musique pour violon & orchestre – Berlin PO, K. Petrenko (Berliner Philharmoniker 2020)
→ Interprétations très fluides et cursives, dans la veine transparente du nouveau Berlin issu de Rattle, vision assez lumineuse de ces œuvres à la taciturnité tourmentée.

Hisatada Otaka : Concerto pour flûte (version orchestre) – Cheryl Lim, Asian Cultural SO, Adrian Chiang (YT 2018)
→ Décevante orchestration : les harmonies sont noyées dans des jeux de cordes très traditionnels (et un peu mous), on perd beaucoup de la saveur de la verison Op.30b avec accompagnement de piano, à mon sens.

♥♥ Mossolov, Concerto pour harpe, Symphonie n°5 – Moscou SO (Naxos)
→ Très festif, très décoratif, très « Noël », cet étonnant concerto pour harpe que je n'aurais jamais imaginé une seconde attribuer à Mossolov !
→ Dans la Symphonie, on entend surtout des chants populaires traités en grands accords. Joli, mais pas très fulgurant par rapport à sa période futuriste.

♠ Lubor Barta – Concerto pour violon n°2 1969 – Ivan Straus, Otakar Trhlik (1969)




6. SYMPHONIES & POÈMES ORCHESTRAUX

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SYMPHONISTES GERMANIQUES

♥♥ Beethoven / Robin Melchior  – « Beethoven, si tu nous entends » – La Symphonie de Poche, Nicolas Simon (Klarthe 2020)
→ Jubilatoire blind-test pot-pourri dont les développements sont (très bien !) récrits. Le tout étant joué pour quatuor, contrebasse, flûte, clarinette, clarinette basse, saxhhorn baryton, accordéon, harpe et percussions… !
→ Il m'a fallu quelques secondes pour retrouver le fantastique mouvement lent du Concerto n°5 ainsi transfiguré… dont la cadence de harpe débouche sur les pointés du mouvement lent de la Quatrième Symphonie !  Mazette.
→ Ou encore la fin sur une boucle minimaliste autour du thème de l'Ode à la Joie.
→ Par des musiciens de très très haute volée, la densité sonore et l'engagement individuel comme collectifs sont exceptionnels.
→ La fièvre de la nouveauté s'empare de nous en réécoutant Beethoven pour la millième fois.

Haydn – les Symphonies Parisiennes – Orchestre de Chambre de Paris, Boyd (NoMadMusic 2020)
→ Petite frustration en première écoute : attentivement, j'y retrouve tout l'esprit (quel sens de la structure !) de cette association formidable, mille fois admirée en concert… Mais à l'écoute globale, j'entends plutôt l'épaisseur des timbres d'instruments modernes, comme une petite inertie – alors qu'ils jouent sans vibrato, et pas du tout selon le style tradi !
→ Quelque chose s'est perdu via le micro, la prise de son, l'ambiance du studio… Pincement au cœur, je les adore en concert, mais à côté des nombreuses autres propositions discographiques « musicologiques », ce n'est pas un premier choix.

A. Romberg – Symphony No. 4, "Alla turca" – Collegium Musicum Basel, K. Griffiths (CPO 2018)

♥♥♥ B. Romberg – Symphonies Nos. 2 and 3 / Trauer-Symphonie (Kolner Akademie, Willens) (Ars Produktion 2007)
→ Symphonies contemporaines de Beethoven (1811, 1813, 1830), qui en partagent les qualités motoriques et quelques principes d'orchestration (ballet des violoncelles, traitement thématique et en bloc de la petite harmonie, sonneries de cor qui excèdent Gluck et renvoient plutôt à la 7e…).
→ Je n'avais encore jamais entendu de symphonies de l'époque de Beethoven qui puissent lui être comparées, dans le style (et bien sûr dans l'aboutissement). En voici – en particulier la Troisième, suffocante de beethovenisme du meilleur aloi !

Brahms
– Symphonies – Pittsburgh SO, Janowski (PentaTone 2020)
→ Très tradi, sans doute impressionnant en vrai connaissant l'orchestre et le chef, mais pas très prenant au disque par rapport à la pléthore et à l'animation enthousiasmante des grandes versions. Assez massif, peu contrasté et coloré, pas très convaincu (vu l'offre) même si tout reste cohérent structurellement et inattaquable techniquement.
→ Tout de même très impressionné par la virtuosité de l'orchestre : rarement entendu des traits de violon aussi fluides, les cuivres sont glorieux, la flûte singulièrement déchirante…

Brahms – Symphonie n°3, lieder de Schubert orchestrés, Rhapsodies hongroises, Rhapsodie pour alto – Larsson, Johnson, SwChbO, Dausgaard (BIS)

Mahler – Totenfeier – ONDIF, Sinaisky (ONDIF live)
→ Cet entrain, ces cordes graves !

Nielsen – Symphonie n°1 – LSO, Ole Schmidt (alto)
→ Très énergique, mais trait gras.

Nielsen – Symphonie n°1 – LSO, C. Davis (LSO Live)

♥♥ Nielsen – Symphonie n°1 – BBC Scottish SO, Vänskä (BIS)

♥♥♥ Nielsen – Symphonie n°1 – Ireland NSO, Leaper  (Naxos)

♥♥♥ Nielsen – Symphonies n°1,2,3,4,5,6 – Stockholm RPO, Oramo (BIS)
→ Lyrisme, énergie mordante, couleurs, aération de la prise… une merveille, qui magnifie tout particulièrement la difficile Sixième Symphonie !

Mahler – Symphonie n°5 – Boulez Vienne (DGG)
→ Un peu terne et mou, du moins capté ainsi.

Schmidt – Symphonies – Frankfurt RSO, Paavo Järvi (DGG)
→ Au sein de ce corpus extraordinaire, voire majeur, le plaisir d'entendre une version qui s'impose d'emblée comme colorée, frémissante, captée avec profondeur et détails, par un orchestre de première classe, et surtout articulée avec ce sens incroyable des transitions qui caractérise l'art de Järvi. Chacune des symphonies en sort grandie. Indispensable.

Graener – Variations orchestrales sur « Prinz Eugen » – Philharmonique de la Radio de Hanovre, W.A. Albert (CPO 2013) → On ne fait pas plus roboratif… mon bonbon privilégié depuis deux ans que je l'ai découvert par hasard, en remontant le fil depuis le dernier volume de la grande série CPO autour du compositeur (concertos par ailleurs tout à fait personnels et réussis).




SYMPHONISTES SLAVES

Tchaïkovski – Symphonie n°5, Francesca da Rimini – Tonhalle Zürich, Paavo Järvi (Alpha 2020)
→ Ébloui en salle par le génial sens des transitions organiques de Järvi, où chaque thème semblait se verser dans l'autre (avec l'Orchestre de Paris), je le trouve ici plus corseté, plus raide. Je ne sais quelle est la part de la différence de culture des orchestres (Zürich a toujours eu un maintien assez ferme) et d'écoute un peu distraite au disque au lieu de l'attention indivisée en salle sur tous les détails splendides. Peut-être la prise de son un peu lointaine et mate, aussi ?  Mais ce fonctionnait très bien avec les Mahler de Bloch…
→ Très belle lecture pas du tout expansive, très sobre et détaillée, en tout état de cause.
→ Francesca da Rimini confirme cette impression d'interprétation très carrée – on y entend encore l'orchestre de Bringuier !

Borodine – Symphonie n°1 – URSS SO, Svetlanov
→ Là aussi, des thèmes populaires, quoique plus tourmentés. Pas très développé mais grand caractère.
→ bissé

Borodine – Symphonie n°2 – Royal PO, Ashkenazy (Decca 1994)

Balakirev, Kalinnikov – Symphonies n°1 – Moscou PO, Kondrachine (Melodiya)
→ Foisonnement de thèmes folkloriques !  Interprétation pas si typée…

Kalinnikov – Cedar and Palm - Bylina - Intermezzos - Serenade & Nymphs –
The Ussr Symphony Orchestra, Evgeniy Svetlanov, (Svetlanov 1988)

Novák – Suite de la Bohême méridionale + Toman & la Nymphe des Bois – Moravian PO Olomouc, Marek Štilec (Naxos 2020)
→ Généreux slavisme qui a entendu Wagner. Le grand poème Toman de 25 minutes est une très belle réussite, qui culmine dans des élans richardstraussiens irrésistibles.
→ Bissé.

Vladigerov – Symphonies 1 & 2 – Radio de Bulgarie, Vladigerov (Capriccio)
→ Le partenariat Capriccio avec les Bulgares se poursuit !  J'avais beaucoup aimé ses concertos pour piano…



SYMPHONISTES BRITANNIQUES & IRLANDAIS

Bax – Symphonie n°2 – LPO, Myer Fredman (Lyrita)

Scott – Symphonie n°3 « The Muses » – BBCPO, Brabbins (Chandos)
→ Debussyste en diable (le chœur de Sirènes…), de bout en bout, et très beau.
+ Neptune
→ Très debussyste aussi, remarquablement riche (un côté Daphnis moins contemplatif et plus tendu). Splendide.

Scott – Symphonie n°4 – BBCPO, Brabbins (Chandos)

Kinsella – Symphonies Nos. 3 and 4 – Ireland NSO, Duinn (Marco Polo 1997)
→ étagements brucknériens à certains endroits.

♥♥ Kinsella :
Symphony No. 5, "The 1916 Poets":  – Bill Golding, Gerard O'Connor, ; Ireland RTÉ National Symphony Orchestra; Colman Pearce
Symphony No. 10 – Irish ChbO, Gábor Takács-Nagy (Toccata Classics)
→ n°5 : avec basse et partie déclamée. Très vivant.
→ n°10 : Néoclassicisme avec pizz et percussions prédominantes, très dansant. Vrai caractère, très beaux mouvements mélodiques ni sirupeux ni cabossés.



SYMPHONISTES JAPONAIS

Hisatada Otaka – Sinfonietta pour cordes 1937 – Sendai PO, Yuzo Toyama
→ Assez lisse.

Hisatada Otaka – Suite japonaise (1936, orch. 1938) –  Shigenobu Yamaoka
→ Orchestration de la suite piano.

Hisatada Otaka – Midare pour orchestre – NHK, Niklaus Aeschbacher (1956)
→ Un peu néo, du xylophone, du romantique un peu univoque, avec un côté mauvaise imitation occidentale du japin, à la fin de la pièce. Mitigé.

Akira Ifukube - Symphonie concertante avec piano (1941)  –Izumi Tateno, Japon PO, Naoto Otomo
→ Du planant sirupeux fade, pas trop mon univers.

Akira Ifukube – Ballata Sinfonica (1943)  – Tokyo SO, Kazuo Yamada (1962)
→ Entre Turandot et l'Oiseau de feu, en plus simple (tire sur Orff).
→ (bissé par curiosité trois jours plus tard)

♥ Yasushi Akutagawa – Prima Sinfonia 1955 – Tokyo SO, Akutagawa
→ Étonnant, et très riche, pas du tout sirupeux (pas mal de Mahler et de Proko, mais dans un assortiment personnel). J'aime beaucoup.
→ Pas du tout dans le genre du symphonisme japonais post-debussyste ou, horresco referens, post-chopinien.




7. MUSIQUE DE CHAMBRE

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SONATES
♥♥♥ J. & H. Eccles, Matteis, Daniel Purcell – « The Mad Lover » – Langlois de Swarte, Dunford (HM 2020)
→ Les Matteis et (Henry) Eccles sont fulgurants !  Quelle musique rare, sophistiquée et jubilatoire ! Dunford improvise avec une richesse inouïe et la musicalité de Swarte emporte tout.

Rossini, Castelnuovo-Tedesco… – « Rossiniana » (pour violoncelle & piano) – Elena Antongirolami (Dynamic 2020)
→ Toutes sortes de variations & paraphrases, très sympa.

Mendelssohn – Les 3 Sonates violon-piano – Shlomo Mintz, Roberto Prosseda (Decca 2020)
→ Violon très baveux, dont le timbre s'altère au fil des phrasés, je n'aime pas du tout. Et conception générale assez figée… voyage dans le passé (et pas forcément chez les meilleurs). Pas du tout aimé.

♥♥♥ Gédalge, Marsick, Enescu – Sonate violon-piano n°1 / Poème d'été / Sonates 1 & 2 – Julien Szulman, Pierre-Yves Hodique
→ Œuvres très rares, incluant celles des professeurs d'Enescu, lui dédiant leurs nouvelles œuvres alors qu'il n'a que seize ans ! 
→ Martin-Pierre Marsick, son professeur de violon, écrit clairement de la « musique d'instrument ».
→ En revanche André Gedalge, assistant (et véritable professeur officieux) de la classe de composition de Massenet puis Fauré, nous livre un vrai bijou, écrit dans une veine mélodique un peu convenue, mais où tout effet est pesé – et pèse –, avec un sens de la structure remarquable (quels développements !). La superposition en décalé des thèmes, dans le faux scherzo, est un coup de maître assurément.
→ Pas très séduit par la Sonate n°2 d'Enescu : trop de complexités, une expression contournée qui déborde de partout dans l'harmonie ultra-enharmonique, le rythme (premier mouvement en 9/4, à quoi bon), sa fin nue anticlimactique. Plus de complexité pour moins d'effet…
→ Car la n°1, au contraire (à 16 ans !) manifeste une générosité mélodique et un lyrisme très emportés, certes pas du tout subversifs, mais focalisés dans une forme maîtrisée qui en accentue le caractère profusif, jusqu'aux bouts de contrepoint du final !
→ Interprètes de premier choix (Julien Szulman, qui finit une thèse sur Enescu au CNSM, vient d'être nommé violon solo au Philharmonique de Radio-France), avec un violon au son assez international, dense, d'une virtuosité immaculée et chaleureuse, sise sur la musicalité attentive, exacte et subtile de Pierre-Yves Hodique.

Dupuis  – Sonate violon-piano – Prouvost, Reyes (En Phases)

♥ Hisatada Otaka – Concerto pour flûte version avec piano – Miki Yanagida, Takenori Kawai (YT 2016)
→ Captation sèche qui ne fait pas épanouir toute la poésie de la pièce. Mais plus convaincant qu'à l'orchestre, clairement, avec ses très belles couleurs debussystes.



DUOS

♥♥ Rameau – Suites à deux clavecins tirées des Indes, Zoroastre… – Hantaï, Sempé (Mirare)

♥♥ A. Romberg & B. Romberg – Duos for violin and cello – Barnabás Kelemen, Kousay Kadduri (Hungaroton 2002)
→ Interprétation très tradi, pas très exaltante, de ces duos remarquablement écrits, quoique moins fascinants que ceux pour violoncelle.
→ Les variations finales du troisième duo Op.1 sont écrites sur le premier air d'Osmin de l'Enlèvement au Sérail !
→ Quant au premier duo d'Andreas Romberg, il se fonde sur « Se vuol ballare » des Noces de Figaro ; le second, sur « Bei Männerm », le duo Pamina-Papageno…

A. Romberg & B. Romberg – Duo for Violin and Cello in E Minor, Op. 3, No. 3 – Duo Tartini (Muso 2019)

Wagner – Götterdämmerung final par Tal & Groethuysen sur deux pianos (Sony)
→ Chouette initiative, mais manque un peu de fièvre.

Fauré, Widor, Dupré, D. Roth, Falcinelli, Mathieu Guillou, J.-B. Robin – « L'Orgue chambriste, du salon à la salle de concert » –Thibaut Reznicek, Quentin Guérillot (Initiale 2020)
→ Beau programme (en particulier Roth, intéressé aussi par l'inattendue Sonate de Dupré), beau projet, où je découvre un violoncelliste au grain extraordinaire, Thibaut Reznicek, sacré charisme sonore !

Hisatada Otaka – Midare capriccio pour deux pianos – Shoko Kawasaki, Jakub Cizmarović (YT 2015)



TRIOS

Beethoven – Trios Op.1 n°3 et Op.11, arrangement anonyme pour hautbois, basson et piano – Trio Cremeloque (Naxos, octobre 2019)
→ On perd clairement en conduite des lignes et en nuances, avec les bois. Mais très agréable de changer d'atmosphère.

♥♥ B. Romberg:  3 Trios, Op. 38:  – Dzwiza, Gerhard; Fukai, Hirofumi; Stoppel, Klaus (Christophorus 2007)
→ Étonnant effet symphonique de ces trois cordes graves !

Tchaïkovski-Goedicke – Les Saisons – Varupenne, Trio Zadig (Fuga Libera 2020)
→ La redistribution de la matière pour piano seul à trois instruments (dont le piano…) n'est pas la chose la plus exaltante du monde (mélodies au violon, piano simplifié…), mais c'est une occasion d'entendre un des meilleurs trios de l'histoire de l'enregistrement dans un répertoire qu'ils servent merveilleusement – hâte qu'ils gravent le Trio de Tchaïkovski, qu'ils jouent mieux que personne.
→ Et en effet, (Ian) Barber particulièrement en forme, Borgolotto toujours d'une présence sonore impérieuse, Girard-García un peu sous-servi par l'encloisonnement dans un disque, mais on sent toute son élégance néanmoins. D'immenses musiciens à l'œuvre, on l'entend.

Saint-Saëns – Violin Sonata No. 1, Cello Sonata No. 1 & Piano Trio No. 2 – Capuçon, Moreau, Chamayou (Erato 2020)
→ Surtout impressionné par le grain et la présence de Moreau, saisissants. Le son très rond / vibré de Capuçon convient un peu moins bien à Saint-Saëns (surtout la Sonate) qu'aux Brahms et Fauré où il a fait merveille avec sa bande !

♥♥ Magnard – Piano Trio in F Minor / Violin Sonata in G Major – Laurenceau, Hornung, Triendl (CPO) 
→ Merveille, et à quel niveau !  (lyrisme de Laurenceau, et comme Hornung rugit !)

♥♥♥ Clarke – 3 Mvts for 2 violins & piano / Sonates violon-piano : en ré, fragments en sol / Trio Dumka / Quatuor– Lorraine McAslan, Flesch SQ, David Juriz, Michael Ponder, Ian Jones… (Dutton Epoch 2003)
→ Le trio à deux violons et surtout la Sonate en ré sont des sommets de la musique de chambre mondiale, d'une générosité incroyable, et sises sur une très belle recherche harmonique qui doit tout à l'école française.

♥♥ Graener – Trios avec piano – Hyperion Trio (CPO 2011)
→ Lyrique et simple pour la musique aussi tardive, ce fait remarquablement mouche !  (Plus proche de Taneïev que des décadents allemands.)



QUATUORS À CORDES

Beethoven, Quatuor n°1 / Bridge, Novelettes / Chin, Parametastrings – « To Be Loved » – Esmé SQ (Alpha)
→ Très vivante version de l'excellent n°1 (enfin, dans l'ordre d'édition) de Beethoven. (Testées en salle : énergie folle dans le n°11.)
→ Pépiements sympas de Chin.

♥♥♥ Beethoven, Quatuor n°3, Orford SQ (Delos)
→ Superbe détail.
+ Cremona, Takács, Bartók, Jerusalem, Belcea

♥♥♥ Beethoven, Quatuor n°4, Orford SQ (Delos)
→ Pas très tendu, mais remarquablement articulé !
+ Quatuor n°15 : là aussi pas un sommet émotionnel, mais j'aime beaucoup certe individualisation extrême des voix !

♥♥ Arriaga – Quatuors – La Ritirata (Glossa 2014)
→ Très belle lecture sur instruments anciens. Reste un corpus bien plus mineur que ses œuvres orchestrales, d'un jeune romantisme encore assez poliment classique.
→ Le rare Tema variado en cuarteto est en revanche une petite merveille !

♥♥♥ Stenhammar : Quatuors 3 & 4 – Stenhammar SQ (BIS)

♥♥♥ d'Albert – Quatuors – Sarastro SQ (Christophorus)

♥♥ Weigl String Quartet No. 3 // Berg Op.3 – Artis SQ (Orfeo)
→ Richesse et véhémence remarquables de ce corpus sans comparaison avec les pâles symphonies !  Parmi les très grands quatuors du premier XXe siècle.
→ Le Berg est vraiment très beau, d'une tonalité tourmentée.

Weigl
– 5 Lieder pour soprano & quatuor Op.44, Quatuor n°5 – Patricia Brooks, Iowa SQ (NWCRI 2010)
→ Son ancien.

♥♥ Weigl String Quartets Nos. 1 and 5 (Artis Quartet) (Nimbus)
→ Richesse et véhémence remarquables de ce corpus sans comparaison avec les pâles symphonies !  Parmi les très grands quatuors du premier XXe siècle.

♥♥ Weigl – String Quartets Nos. 7 & 8 – Thomas Christian Ensemble (CPO 2017, parution en dématérialisé le 3 juillet 2020)
→ Weigl est donc un grand compositeur… mais certainement pas de symphonies !  Ces quatuors, plus sombres, mieux bâtis, d'une veine mélodique très supérieure et d'une belle recherche harmonique, s'inscrivent dans la veine d'un postromantisme dense, sombre, au lyrisme intense mais farouche, à l'harmonie mouvante et expressive. Des bijoux qui contredisent totalement ses jolies symphonies toutes fades. (On peut songer en bien des endroits au jeune Schönberg, à d'autres à un authentique postromantisme limpide mais sans platitude.)
→ Aspect original, le spectre général est assez décalé vers l'aigu : peu de lignes de basses graves, et les frottements harmoniques eux-mêmes sont très audibles aux violons, assez haut. avec pour résultat un aspect suspendu (le Quatuor de Barber dans le goût des décadents autrichiens…) qui n'est pas si habituel dans ce répertoire.

♥♥ Weingartner – Quatuor n°5, Quintette à cordes –  Sarastro SQ, Petra Vahle (CPO)
→ Rien trouvé de très saillant, à réessayer encore ?
→ trissé. toujours rien.

♥♥♥ Hahn – Quatuors à cordes, Quintette piano-cordes – Tchalik SQ, Dania Tchalik (Alkonost 2020)
→ Encore un coup de maître pour l'élargissement répertoire avec le Quatuor Tchalik !  La sophistication souriante de la musique de chambre de Hahn, où le compositeur a clairement laissé le meilleur de sa production (particulièrement dans ces œuvres, ainsi que dans le Quatuor piano-cordes qui manque ici), se trouve servie avec une ardeur communicative.
→ Le déséquilibre antérieurement noté entre violon I & violoncelle très solistes d'une part (les frères), petite harmonie très discrète d'autre part (les sœurs) s'estompe au fil des années vers un équilibre de plus en plus convaincant. Et toujours cette prise de risque maximale, au mépris des dangers.
→ Grandes œuvres serives de façon très différente des Parisii :(qui étaient plus étales et contemplatifs, plus voilés, moins solistes, très réussis aussi).
→ Saint-Saëns, Hahn, Escaich… en voilà qui ne perdent pas leur temps à rabâcher le tout-venant !  (Merci.)
→ Bissé.

Novák – Quatuor n°3 – Novák SQ (SWR Classic Archive, parution 2017)
→ Très folklorisant et en même temps pas mal de sorties de route harmoniques, sorte de Bartók gentil. On sent la préoccupation commune du temps.

♥♥♥ Scott – Quatuors 1,2,4 – Archeus SQ (Dutton Epoch 2019)
→ Très marqués par l'empreinte française (on y entend beaucoup Debussy, le Ravel de Daphnis également), des bijoux pudiques, d'une sophistication discrète et avenante. Un régal absolu !

♥♥ Bridge, Holst, Goossens, Howells, Holbrooke, Hurlstone –  « Phantasy » – Bridge SQ (EM Records)
→ Goossens impressionnant. Howells frémissant…



AUTRES QUATUORS

Ritter – Quatuors avec basson – Paolo Cartini, Virtuosi Italiani (Naxos 2007)
→ Très joliment mélodique. Moins riche et virtuose que Michl.

B. Romberg:  Variations and Rondo, Op. 18 – Mende, Trinks, Pank & piano (Raumklang 2012)
→  Très beau postclassique.



QUINTETTE

Bax – Quintette avec piano – Naxos

♥♥♥ Scott, Bridge – Quintette avec piano n°1 / en ré mineur – Bingham SQ, Raphael Terroni (Naxos 2015)
→ Beau Quintette de Bridge, splendide de Scott, avec son premier mouvement très… koechlinien-2 !
→ Bissé Scott.



SEXTUOR ET AU DELÀ

♥♥♥ Weingartner – Sextuor pour quatuor, contrebasse & piano / Octuor pour clarinette, cor, basson, quatuor & piano – Triendl (CPO)
→ Complètement fasciné par le Sextuor pour piano et cordes (la pochette dit Septuor à tort). Un lyrisme extraordinaire.
→ bissé

Chabrier – Souvenirs de Munich (arrangement David Matthews pour ensemble) – Membres du Berlin PO, Michael Hasel (Col Legno 2009)
→ Doublures étranges qui accentuent le côté foire de ces réminiscences de Tristan façon quadrille.

Roussel, Koechlin, Taffanel, d'Indy, Messager, Françaix, Chabrier, Bozza, Tansman – musique française pour vents et piano – V. Lucas, Gattet, Ph. Berrod, Trenel, Cazalet (solistes de l'Orcheste de Paris), Wagschal (Indésens 2020)
→ Joli ensemble, pas le meilleur de la production chambriste française (excepté les extraits de la Suite de d'Indy), avec des timbres assez blancs, il existe plus exaltant ailleurs même si le projet est très beau et mérite d'être salué !



HORS DES FRONTIÈRES

♥♥ de Mey – Musique de table – James Cromer, Corey Robinson, Gregory Messa (vidéo culte d'Evan Chapman)




8. SOLOS

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Froberger – Œuvres pour orgue – Temple Saint-Martin de Montbéliard, Coudurier (BNL)

Folías par Frédéric Muñoz à l'orgue de Guimiliau –  https://www.youtube.com/watch?v=EX8OSpPboz4 (YT 2017)
→ Superbe orgue XVIIe en état de jeu. Pourquoi ne s'en sert-on pas davantage pour les enregistrements, plutôt que des instruments contemporains de la composition (qu'il y avait moins de probabilité de pouvoir jouer à l'époque, car en petit nombre), voire postérieurs ?

Gabrielli, Biber, Young – « Jacob Stainers Instrumente » – Maria Bader-Kubizek, Anita Mitterer, Christophe Coin (Paladino 2020)
→ La Partita 6 de l'Harmonia artificiosa-ariosa est marquante par son vaste air à variations de 13 minutes et son langage un peu original.
→ La parenté des traits de (Domenico) Gabrielli avec les figures des Suites pour violoncelle de Bach reste toujours aussi frappante. (Coin fait merveille dans ce grand solo.)  Elles sont assez bien documentées au disque, ce sont des bijoux.

♥♥ Gabrielli – Œuvres complètes pour violoncelle – Hidemi Suzuki, Balssa, Otsuka (Arte dell'arco 2012)
→ Quels solos bachiens, en plus rayonnants !
→ Bissé.

♥♥ Giuliani – Le Rossiniane – Goran Krivokapić, guitare (Naxos 2020)
→ Réellement des arrangements (virtuoses) de grands airs rossiniens, en particulier comiques (Turco, Cenerentola…), très bien écrits (quel symphonisme !) et exécutés avec une rare qualité de timbre et de phrasé.

Bach, Chorals / Elgar, Sonate 1 / Lefébure-Wély Boléro / Karg-Elert 3 Impressions / John Williams, 3 arrangements de Star Wars – Nouvel orgue de la cathédrale Saint-Stéphane de Vienne, Konstantin Reymaier (DGG 2020)
→ Splendides Bach pudiques sur jeux de fonds, une transcription de Williams réussie, les frémissements du trop rare Karg-Elert, un joli Elgar sérieux inattendu… Superbe récital.





9. MADRIGAL, AIR DE COUR, LIED & MÉLODIE

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MADRIGAL & AIR DE COUR

♥♥♥ Monteverdi – Combattimento – Beasley & Regenc'hips en concert (YT)

Lanier, Ramsey, Jenkis, Banister, Lawes, Webb, Hilton… – « Perpetual Night » – Richardot, Correspondances, Daucé (HM 2018)
→ Ni les œuvres ni la manière ne me font dresser l'oreille, je l'avoue. Très rond, confortable, contemplatif, le tout manque vraiment d'arêtes, d'événements.

♥♥ Jacquet de La Guerre – Le Déluge – Poulenard, Verschaeve, Giardelli, Guillard (Arion)

Monteverdi, Purcell, Haendel – « Guerra amorosa » – Nigl, Pianco, Ghielmi (Passacaille 2012)

♥♥ Cerutti, Auletta, Tartini, Mayr, anonymes – « Il Gondoliere veneziano » – Holger Falk, Nuovo Aspetto (WDR 2020)
→ Varié et réjouissant, chanté avec verve !

Steffani, Vivaldi, Hahn, Satie… – « Eternity » Kermes & Gianluca Geremia, théorbe (Simone Kermes 2020)
→ Très joli album planant et délicat, sur son propre label. 30 minutes de musique, un format uniquement dématérialisé je suppose.



LIEDER ORCHESTRAUX

♥♥♥ Schubert – An Schwager Kronos (orchestration Brahms)
→ Monteverdi Choir ♥
→ Schroeder, AMSO, Botstein (horriblement engorgé)
→ Steffeb Lachenmann, Brandenburger Pkr, gernot Schulz (mou et pas ensemble)
→ Johan Reuter, SwChbO Dausgaard (orch en folie) ♥♥♥

♥♥♥ Schubert – «  Nacht und Träume » (orchestrations de Berlioz, Liszt, Reger, R. Strauss, Britten) – Lehmkuhl, Barbeyrac, Insula O, Equilbey (Warner 2017)
→ Splendidement chanté, accompagné sur instruments d'époque, un régal.
→ bissé

♥♥ Schubert – Lieder orchestrés par Max Reger – Ina Stachelhaus, Dietrich Henschel, Stuttgarter Kammerorchester, Dennis Russell Davies (MDG 1998)

Schubert – Lieder orchestrés (Liszt, Brahms, Offenbach, Reger, Webern, Britten…) – von Otter, Quasthoff, COE, Abbado (DGG 2003)
→ Orchestrations pas nécessairement passionnantes en tant que telles, même si entendre Schubert dans ce contexxte dramatisé fait plaisir. (Les Webern sont franchement décevants.) 
→ Splendide orchestre (même si direction un peu hédoniste), von Otter un peu fatiguée mais fine, Quashoff à son faîte.
→ Étonnement : les attaques de l'orchestre sont de façon récurrente désynchronisées des chanteurs (pas mal de retards, quelques-fois de l'avance). Typiquement, Die Forelle, Ellens Gesang…
On parle d'Abbado, du COE, de von Otter qui a chanté du R. Strauss à la scène, je ne sais pas trop comment / pourquoi c'est possible. (Je ne vois pas à quoi ça sert si c'est volontaire, pour moi ça ressemble au chef qui attend le phrasé de la chanteuse mais qui réagit un peu tard.)
Peut-être est-ce que l'attaque est au bon endroit mais que le gros du son parvient plus tard. (Mais justement, en principe c'est anticipé par les musiciens, les contrebasses attaquent toujours avec un peu d'avance pour cette raison.)

♥♥♥ Fried – Die verklärte Nacht – Ch. Rice, Skelton, BBCSO, Gardner (Chandos 2021)
Chef-d'œuvre absolu du lied orchestral décadent, tout en vapeurs, demi-teintes et éclats aveuglants, cette Nuit transfigurée bénéficie à présent d'une seconde version, aux voix très différentes (Rice plus charnue et timbrée, Skelton plus sombre) et à la direction très lyrique. Je conserve ma tendresse pour Foremny qui privilégie le mystère initiatique plutôt que les couleurs orchestrales (et la clarté éclatante de Rügamer dans la transfiguration est un bonheur sans exemple !), mais disposer d'un second enregistrement, et de niveau aussi superlatif, est absolument inespéré – et quoique dès longtemps attendu.
→ Parution en janvier 2021, mais les chanteurs ont déjà fait fuiter sur les comptes YouTube respectif la plupart des pistes vocales…
→ (déjà écouté une dizaine de fois)

♥♥♥ Fried – Die verklärte Nacht – Foremny
→ (réécouté à peu près autant de fois le mois passé…)

♥♥ Schoeck – Nachhall – Arthur Loosli, ChbEns Radio de Berne, Theo Loosli –  (Jecklin 2015)
→ Tout est plus clair, l'orchestre (moins dramatique, certes), le chant…

♥♥ Schoeck – Nachhall – Hancock, AmSO, Botstein (AmSO)
→ Splendide ambiance de fin du monde mélancolique.

♥♥♥  Fefeu & Gérard Demaizière – L'An 1999 – François Juno (RGR 1979)
→ et diverses parodies (version metal, version symphonique, version épique…), voire son interprétation imaginaire de Quelque chose en nous de Tennessee…



LIED & MÉLODIE

Schubert, Spohr, Weber, Giuliani – Lieder arrangés  avec guitare – Olaf Bär, Jan Začek (Musicaphon 2007)

♥♥ Beethoven – Lieder (An die ferne Geliebte) – Bär, Parsons (EMI 1993)

♥♥♥ Beethoven, Schubert, Britten… – « I Wonder as I Wander » – James Newby, Joseph Middleton (BIS 2020)
→ Splendide voix de baryton-basse, mordante, clairement dite, sensible aux enjeux dramatiques, aussi à l'aise dans la demi-teinte a cappella des Britten que dans la gloire mordante des poèmes les plus expansifs. Grand liedersänger très à son aise ici, et une fois de plus très bien capté par BIS.

♥♥♥ Beethoven ferne Geliebte, Schubert, Rihm – « Vanitas » – Nigl, Pashchenko (Alpha)
→ Accompagné sur piano d'époque.
→ Emporté d'emblée par les mots et le phrasé de cette ferne Geliebte ; splendeur de cette voix claire et souple, adroitement mixée et extraordinairement expressive (Beethoven !).
→ Concentration et la clarté de cette voix assez incroyables, on dirait un représentation de l'époque glorieuse des années 50-60, j'entends la concentration du son des très grands ténors d'autrefois (quelque part entre Cioni et Tino Rossi pour l'allègement délicat).
→ (Mais je ne comprends pas pourquoi il est noté baryton, c'est assez clairement un ténor pour moi, même s'il chante dans des tessitures centrales… Peut-être l'équilibre harmonique de la voix est-il différent en personnel.)
→ Et tout cela lui permet une finesse d'expression assez extraordinaire. (Rihm très réussis, je ne suis pas sûr que cet univers un peu raréfié m'aurait autant séduit sinon !)

♥♥ Schubert – Die junge Nonne
→ Ameling, Baldwin ♥♥
→ Ludwig, Gage

♥♥ Mahler – Wundherhorn – Gerhaher, Huber (RCA)

Mahler – Ruckert-Lieder / Des Knaben Wunderhorn– Bauer, Hielscher (Ars Musici 2003)
→ Voix vraiment claire, manque d'assise et d'incarnation pour une fois !

♥♥ Schoeck – Notturno – Gerhaher, Rosamunde SQ
→ Gerhaher très peu vibré, un peu sophistiqué, mais remarquable. Le grain du quatuor est fantastique.

Mitterer – Im Sturm – Nigl, Mitterer (col legno 2013)
→ Très mélodique (et le naturel de Nigl !), sur poèmes romantiques, avec bidouillages acousmatiques un peu stridents (trop proches dans la captation, on reçoit tout dans les oreilles sans distance) mais pas déplaisants.
→ Beaucoup de citations (Ungeduld de la Meunière), quasiment de l'a cappella avec des effets atmosphériques autour… Fonctionne très bien grâce à l'incarnation exceptionnelle de Nigl !




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LISTE D'ÉCOUTES à faire – nouveautés

→ reich eight lines
→ philippe leroux : nous par delangle (BIS)
→ Ch Lindberg
→ kontogiorgos, kaleidoscope pour guitare
→ adiu la rota
→ australian music two pianos « the art of agony »
→ elisabetta brusa ulster O
→ rossini matilde di shabran passionart O
→ haydn messe st tolentini naxos

→ vivaldi argippo eura galante
→ fürchtet euch nicht
→ letters chamber choir ireland
→ stanford chamber somm
→ alcione Marais
→ arte scordatura
→ trios alayabiev glinka rubinstein, brahms Trio (naxos)
→ martynov : utopia
→ boesmans & cornet à bouquin

→ asperen louis couperin
→ tabarro puccini janowski jagde
→ quartetto cremona : italian postcards
→ dmytro popov hymns of love
→ gurrelieder thielemann
→ Schubert: Lieder (orchestrations de Mottl, Britten, Liszt, Brahms, Berlioz, Strauss, Reger, Webern...)/Barbeyrac, Lehmkuhl, Equilbey
→ mahler lied erde bloch

(plus tous les autres des listes précédentes…)



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LISTE D'ÉCOUTES à (re)faire – autres

→ Christie Combattimento
→ symphs Romberg
→ Bruch symphs
→ legrenzi sedecia
→ legrenzi missa lauretana
→ LEGRENZI, G.: Concerti musical per uso di chiesa, Op. 1 (Oficina Musicum Chorus, Favero)

→ GOOSENS, E.: Violin Sonata No. 1 / HURLSTONE, W.: Violin Sonata in D Major / TURNBULL, P.: Violin Sonata in E Minor (Mitchell, Ball)
→ Chamber Music - LALLIET, C.-T. / POULENC, F. / RACHMANINOV, S. / RAVEL, M. (Trio Cremeloque)
→ BACH, C.P.E.: Oboe Concerto, Wq. 164 and 165 / Solo, Wq. 135 (Ebbinge, Amsterdam Baroque Orchestra, Koopman)
→ wellesz symph 1
→ alwyn symph 3
→ křenek symph 2
→ oratorium fanny
→ farrenc sextuor & trio
→ schoeck notturno bär
→ froberger moroney org robert-dallam de lanvellec

→ lebendig begraben

→ bax 2 lloyd ou lyrita

→ rééd rückert minton boulez
→ coin
→ mosaïques SQ der Beeth

→ Blancrocher - L’Offrande. Pièces de Froberger, Couperin, Dufaut et Gaultier:
→ forqueray intégral devérité & friends, rannou…

→ schoeck nathan berg griffiths) + opéras
→ lalande laudate
→ bär gelibte

→ Lamia de Dorothy Howell

→ vivaldi baiano cctos clvcn
→ holger falk + nigl + newby

→ Lugansky franck debussy

→ Rawsthorne McCabe, Hoddinott,  Mathias.   Bate et Benjamin, coles. swayers.
→ Solemnis gardiner

→ A. Rawsthorne, Symphony No. 2
→ reutter op.58,56,jahreszeiten
→ Robert Simpson, Symphonie n°9, Bournemouth SO, Vernon Handley.
→ rubbra ccto pia
→ Coles : je réécoute les Four Verlaine Songs pour la dixième fois aujourd'hui, c'est véritablement renversant.
→ e préfère moi aussi la No. 2 de Boughton et pas qu'un peu,

→ stephan sieben saiteninstrumente, horenstein ensemble ( et suite pour quatuor de butterworth)
→ Michel dens
→ Goublier - Mélodies lyriques populaires (6) : baryton, choeurs, et Orchestre - Michel Dens - HD

→ The Primrose Piano Quartet : Hurlstone, Quilter, Dunhill, Bax
→ BRITISH PIANO QUARTETS : Mackenzie, Howells, Bridge, Howells, Stanford, Jacob, Walton (The Ames Piano Quartet)
→ Viola Sonatas, Idylls & Bacchanals : McEwen, Maconchy, Bax, Jacobs, Rawsthorne, Milford, Leighton (Williams/Norris)

(plus tous les autres des listes précédentes…)




… et voici pour la dernière livraison de l'année 2020, deux ans complets de traque aux pépites nouvelles – et il y en a beaucoup, même en mettant l'accent sur les répertoires délaissés ou les interprétations hors du commun !

Je n'ai pas encore décidé si je poursuivais l'aventure en 2021 : je fais ce repérage pour moi-même, mais la mise en forme lisible prend à chaque fois plusieurs heures, et j'ai plusieurs séries de notules que j'aimerais davantage achever, poursuivre ou débuter. Je me disais que ce pouvait être utile, puisque j'écoute beaucoup et laisse des traces écrites, mais en fin de compte, devant la masse, je crains de noyer mes lecteurs plus que de les éclairer. Et cela suppose aussi que mon agenda soit gouverné par les parutions plutôt que par ma fantaisie (ce qui n'est pas bien).

Ce qui est sûr, c'est que je n'aurai pas le temps de faire la remise des prix des disques de l'année. Ce serait absurde de toute façon : même en choisissant un disque par genre et par époque, je serais obligé de trancher de façon parfaitement arbitraire. Il y a beaucoup de choses à découvrir, avec leurs commentaires à chaque fois, aussi je vous invite, si vous souhaitez façonner votre propre bouquet, à remonter la piste du chapitre correspondant dans CSS, et à faire votre choix parmi les disques mentionnés en bleu-violet ou 2-3 cœurs !

Si jamais vous vous interrogiez sur la conclusion l'année Beethoven, j'ai ici commis une petite suite de tweets où je relève ce qui m'a paru marquant, en classant par genre – et en incluant les disques traitant des contemporains, puisqu'il y a eu beaucoup de parutions majeures autour de Salieri / Rejcha / B. Romberg / Hummel / Moscheles que vous seriez fort avisés de ne pas négliger… (En revanche, il y eut extrêmement peu de raretés du catalogue de Beethoven à proprement parler.)

Belles explorations à vous, et à bientôt, sous d'autres formats sans doute !

mardi 17 novembre 2020

Le défi 2020 des nouveautés – épisode 15 : trios de référence, cycle RVW, Garanča apprivoisée, diamants brésiliens, Charpentier ultramontain, Verdi gallican


L'enfermement favorisant l'exploration discographie, une nouvelle et prompte livraison s'imposait.

winterreise_nawak.jpg

Du vert au violet, mes recommandations… en ce moment remplacées par des .
♦ Vert : réussi !
♦ Bleu : jalon considérable.
♦ Violet : écoute capitale.
♦ Gris : pas convaincu. ♠
(Les disques sans indication particulière sont à mon sens de très bons disques, simplement pas nécessairement prioritaires au sein de la profusion de l'offre.)

En rouge, les nouveautés 2020 (et plus spécifiquement de l'automne).
Je laisse en noir les autres disques découverts.
En gris, les réécoutes de disques.



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OPÉRA


Haendel – Rinaldo – Aspromonte, Galou, Luigi De Donato ; Accademia Bizantina, Dantone
→ Déçu par cette lecture assez terne d'un des plus beaux seria de Haendel : Dantone a toujours été  un accompagnateur probe qu'un inventeur de textures, mais ici, sans le renfort du drame, c'est assez frustrant. D'autant plus qu'Aspromonte blanchit terriblement dans le seria (c'est dans le XVIIe déclamatoire qu'elle fait merveille), que Galou est dans un jour peu propice (ou bien est-ce l'aspect héroîque du rôle, à rebours de sa personnalité vocale ?)… il n'y a que Luigi De Donato qui, comme d'habitude (cf. le récent Samson d'Alarcón dans la livraison précédente, n°14), impose présence et mordant charismatiques. Dommage, l'œuvre mérite vraiment une discographie abondante et il y a encore de la place pour de nouvelles propositions…

[vidéo en direct de l'Opéra-Comique] : Rameau, Hippolyte & Aricie, Pichon (avec Elsa Benoit, Mechelen, Brunet…)
→ Orchestre splendide (ampleur, couleurs, énergie), œuvre toujours aussi peu passionnante pour moi, livret misérable, et voix qui vibrent quand même beaucoup pour ce répertoire (Benoit était fulgurante dans la Dame Blanche).

♥♥♥ Auber – Les Diamants de la Couronne – Raphanel, Einhorn, Arapian, Médioni ; Colomer (Mandala)
♥♥♥ Auber – Les Diamants de la Couronne – Raphanel, Einhorn, Arapian, Médioni ; Colomer (vidéo de la même production, Compiègne)
→ Sommet du livret haletant (merci Scribe) et d'une musique divertissante pourtant pleine de modulations, d'ensembles travaillés, de surprises… Un des plus beaux opéras comiques jamais écrits. (Peut-être même le plus beau en langue française…)  Distribution fabuleuse et orchestre audiblement passionné. Mise en scène tradi pleine de vie.

♥♥ Donizetti – Lucia di Lammermoor (Sextuor) – Rost, Ford, Michaels-Moore, Miles, Hanover Band, Mackerras
→ Ma version chouchoute (instruments anciens, vivacité)… version française exceptée évidemment.
Autres écoutes :
López-Cobos (Caballé, Carreras, Ramey)
Bonynge (Sutherland, Pavarotti, Milnes)

♥♥♥ Verdi – Rigoletto (extraits en français) – Robin, Michel, Maurice Blondel, Dens, Depraz, Noguera ; Opéra de Paris, Dervaux (Marianne Mélodie publication 2013)
→ Des fulgurances et des étrangetés dans la traduction… étonnant comme le mot juste qui éblouit alterne avec les laborieuses maladresses prosodiques (ou affadissements inutiles du sens). Exécution foudroyante.
→ trissé

♥♥ Verdi – Traviata (extraits en français) – Robin, Finel, Dens ; Opéra de Paris, Dervaux (Marianne Mélodie publication 2013)
→ Le livret est assez mutilé par les pudibonderies fadissimes de la traduction, mais entendre cette qualité de chant et d'incarnation demeure inestimable, et dans un français sublime.
→ trissé

Verdi – Le Trouvère (extraits en français) –  Juyol, Laure Tessandra, Poncet, Dens ; divers orchestres, Delfosse / Etcheverry / Dervaux (Marianne Mélodie publication 2013)
→ bissé

Verdi – Aida – Milanov, Thebom, Del Monaco, London, Hines ; Met, Cleva (Pristine)
→ Surtout remarquable par l'ardeur orchestrale (et bien disciplinée pour le Met de l'époque !). Mais si l'on veut le Del Monaco le plus sonore et glorieux, clairement la bonne adresse – je l'aime davantage, plus fragile et approfondi, plus tard.

Verdi – Aida (extraits en français) – Irène Jaumillot, Élise Kahn, Poncet, Borthayre (x2), Koberl ; Orchestre inconnu, Robert Wagner (Marianne Mélodie publication 2013)
→ bissé

♥♥ Verdi – Otello (extraits en français) – Jeanne Segala, Thill, José Beckmans ; Opéra de Paris, François Ruhlmann (Marianne Mélodie publication 2013)
→ trissé

♥♥ Offenbach – Barbe-Bleue – Séchaye, Vidal, Félix… ;  Opéra de Rennes, Campellone (plan fixe d'archives)

♥♥♥ Offenbach – Barbe-Bleue – Mas, Beuron, Mortagne ; Pelly, Opéra de Lyon (vidéo France 2, diffusion 2020)

Prokofiev – Guerre & Paix – Markov, Stanislavsky… (vidéo du Stanislavsky 2020)
→ Pas la soirée la plus voluptueuse musicalement ni inspirée scéniquement, mais très belles voix des jeunes premiers.



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MUSIQUE DE SCÈNE / BALLETS

Delibes – Ballets Sylvia, La Source, Coppélia – N. Järvi (Chandos)
→ Pas le plus marquant de Delibes, mais contenu de ploum-ploum plutôt magnifié par le grand geste unifiant de Järvi.

Grieg – Peer Gynt, les 2 Suites – Bergen PO, Ruud (BIS)
→ Un peu déçu à la réécoute, pas aussi singulier et coloré – ou bien était-ce davantage le cas dans la musique de scène totale par les mêmes ?

♥♥ Schmitt – Oriane & le Prince d'Amour, Tragédie de Salomé, Musique sur l'eau, Légende – Susan Platts, Nikki Chooi ; Buffalo PO, Falletta (Naxos 2020)
→ Passionnant ensemble de raretés (des premières ?) de Schmitt. Outre l'incontournable suite de Salomé (les pas d'action sont supprimés et le tout réorchestré pour très grand orchestre), que je trouve admirablement interprétée par Buffalo-Falletta, dont je n'avais pas de tels souvenirs d'excellence et de style (plus massifs et moins finement articules), on y rencontre la précieuse Oriane, une mélodie avec orchestre qui tire un réel profit des qualités de sophistication et de naturel conjugués dont peut faire preuve Schmitt !

Vaughan Williams – Job – Bergen PO, Andrew Davis (Chandos 2017)
→ Moins intéressé dans cette version (par rapport à Hallé-Elder présenté dans la livraison n°14), plus lisse, plans moins détaillés pour une œuvre déjà étale et homogène.



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MUSIQUE SACRÉE

Beretta, Merula, Cazzatti, Giambelli, Benevolo, Cavalli, Charpentier – Messes à chœurs multiples – Correspondances, Daucé (HM)
→ Il manque hélas les deux plus belles pièces de la tournée de concerts (de Legrenzi, évidemment), mais pour le reste, ce tour de la moitié Nord de l'Italie autour des messes et motets à chœurs multiples est un enchantement : découverte de traitements variés, du plus hiératique (Cavalli évidemment, toujours le dernier de la classe celui-là) aux irisations de Beretta. Rarissime, passionnant, très convaincant.
→ Le résultat semble avoir beaucoup mûri depuis les concerts de 2017 (entendu pour ma part dans l'acoustique peu favorable de la Seine Musicale) : j'avais été frustré par le choix de Daucé de magnifier les coloris au détriment de la danse dans ce Charpentier (qui n'est déjà le meilleur de son auteur en termes d'audace et de personnalité)… alors qu'ici, avec encore plus de chatoyances (infinies, réellement), l'impression de mobilité n'est jamais prise en défaut. Grand disque, même pour la version du Charpentier.

♥♥♥ Charpentier – Méditations pour le Carême – Camboulas (Ambronay)
→ Déjà présenté. Et notule en préparation.

♥♥♥ Campra – Exaudiat te Dominus, De Profundis – Christie (Erato)
→ Tantôt guerrier, tantôt tendrement méditatif, un chef-d'œuvre servi par les meilleurs !

♥♥♥ Beethoven – Missa Solemnis – Hanover Band, Kvam (Nimbus)

Berlioz – L'Enfance du Christ, arrivée à Saïs – Graham, Le Roux ; OSM, Dutoit (Decca)
→ Sympa, mais il existe tellement mieux.

Mendelssohn – Church Music, Vol. 2 - Vom Himmel hoch / Ave maris stella / Te Deum in D Major (Bernius) (Carus)
→ Un peu servilement du néo-Bach, sur cet album. Chœur et orchestre de Bernius un peu plus ternes qu'à l'habitude aussi.

♥♥ Mendelssohn – Church Music, Vol. 3 - 3 Psalms / Christus / Kyrie in D Minor / Jube Domine / Jesus, meine Zuversicht (Stuttgart Chamber Choir) (Carus)

Mendelssohn – Church Music, Vol. 6 - Psalm 115 / O Haupt voll Blut und Wunden / Wer nur den lieben Gott lasst walten (Bernius) (Carus)

♥♥♥ Mendelssohn – Chœurs sacrés Op. 39, 115, 116, Te Deum, Herr sei gnädig… Vol.7 – Bernius (Carus 2006)
→ Collection de merveilles riches et épurées… un sérieux candidat pour la livraison 1830 d' « Une décennie, un disque ».

Bruckn