L'exécution de Penthée de
Philippe d'Orléans par les Conservatoires d'Île-de-France (CMBV, CNSM,
Pôle Sup' Boulogne-Billancourt, les CRR de Paris, Rueil-Malmaison et
Versailles Grand Parc, CRD de Clamart) me donne d'occasion d'écrire la
notule que je n'avais pas commise en 2018, lorsque j'avais assisté à de
larges extraits de l'œuvre (actes III, IV, V !) jouée par les Chantres
du CMBV à l'occasion d'un jeudi musical.
L'œuvre pré-Régence
Avant qu'il ne devienne régent du royaume, Philippe d'Orléans a reçu
l'enseignement de Charpentier, peut-être Campra, puis Gervais et enfin
Bernier, c'est-à-dire la fine fleur des compositeurs français novateurs
/ influencés par l'Italie. (Car le style italien tel qu'il est perçu
par les Français et importé dans leur musique suppose plutôt la complexité du contrepoint et de
l'harmonie que la superficialité virtuose qu'on lui attribue
rétrospectivement.)
Il écrit ainsi trois opéras : Philomèle
dans les années 1690, qui est perdu, puis vers 1704 Penthée et La suite d'Armide
(pour lequel il existe déjà une notule).
Il existe toujours des spéculations sur la part de son professeur
Gervais dans la partition – Gervais en a réutilisé deux tambourins, qui
ont par ailleurs connu un grand succès, jusque dans les parodies
grivoises – la parenté des styles est patente, mais l'un étant élève de
l'autre, difficile de trancher sans meilleures sources. L'audace de la
partition peut aussi bien faire douter qu'elle soit l'œuvre d'un
amateur… que laisser penser que seul un amateur pouvait s'autoriser à
bousculer aussi fort le cadre attendu par le public !
Je racontais cette anecdote dans la notule précédente :
Philippe
d'Orléans n'a pas hésité, on le sait, à passer commande de motets (ou
de parties intermédiaires de motets ?) à Gervais pour les signer de son
nom. Un jour, un courtisan lui fait (respectueusement ou
malicieusement, je ne sais plus) remarquer que son motet comporte des
fautes. Philippe d'Orléans ne dit rien, descend voir Gervais, le giffle
devant ses gens et lui dit en substance : « Lorsque je vous charge
d'écrire un motet pour moi, j'attends que vous le fassiez en personne,
et non que vous le laissiez à vos apprentis ! ». Ce témoignage rend
donc d'autant plus vraisemblable la collaboration de Gervais, voire sa
participation à l'essentiel de l'œuvre.
Le livret, que je trouve très bon, est dû à… son capitaine des gardes
(et mauvais sujet !), le marquis de La Fare. Il culmine – et
l'inspiration musicale aussi – dans la fête bachique de l'acte V – où
le roi est massacré par sa propre mère.
Vous ne trouverez pas la partition en ligne dans vos crèmeries
habituelles (IMSLP, Gallica, etc.) : Philippe d'Orléans avait refusé
que l'œuvre soit donnée
publiquement ou imprimée, si bien que le matériel a dû être refabriqué
à l'occasion de ces représentations modernes.
La force de Penthée
J'ai été, lors des deux soirées, impressionné par le cinquième acte
paroxystique, qui enchaîne les scènes emportées et les trouvailles
musicales. Son ambiance festive crépusculaire manie le paradoxe
émotionnel d'une façon rare avant des époques beaucoup plus tardives.
(Voyez sur cette captation de 2018 manifestement réalisée par
les musiciens.)
Pour situer l'action : Penthée, petit-fils de Cadmus, est amoureux
d'Érigone (invention du librettiste), ancienne amante de Bacchus mais
qui le croit mort. Les fiançailles sont prévues (malgré une jalouse),
mais Bacchus revient. Penthée le fait enfermer, ne croyant pas à sa
naissance divine ou du moins à ses droits sur sa fiancée. Bacchus sort
miraculeusement de prison, et frappe change la mère du roi, Agave,
Agave, en ménade. Celle-ci tue son fils en croyant avoir vaincu un
lion, et vient l'annoncer sur une musique de
triomphe (et en chantant un arioso par-dessus, comme un air concertant
à l'italienne, très rare avec trompettes et timbales !) ; son crime lui
est révélé par son propre père, Cadmus (sur le modèle de la fin de Tancrède de Danchet & Campra),
mais la musique et le livret demeurent complètement joyeux
jusque là, subjectivité totale très troublante – le public partage le
délire de la ménade.
S'ensuit une série de tirades désespérées des femmes coupables, très
belles (celle d'Autonoé en particulier), qui se conclut abruptement,
comme c'est l'usage (Didon de
Desmarest, Callirhoé de
Destouches,
Pyrrhus de Royer… quand c'est
fini c'est fini), sur les dernières paroles d'Agave qui se tue.
Dans le mythe d'origine, Penthée refuse simplement de rendre les
hommages religieux à Bacchus, et Penthée est massacré par toutes les
ménades ensemble, dont les femmes les plus proches de lui.
Comme il se doit, on rencontre dans la musique débauche d'effets
étonnants – pas nécessairement frappants quand on pratique peu de le
genre, mais nuances remarquables lorsqu'on est habitué au modèle LULLYste
–, témoins de l'influence
ultramontaine du duc d'Orléans.
Par exemple :
√ à l'acte II, tuilage contre-intuitif
dans le duo d'amour, plus complexe que les duos habituels ;
√ notes de basse répétées, au moment de la révélation ;
√ fantaisie harmonique (chromatismes osés à la basse, mais aussi, plus
étrange encore, à la mélodie, comme du madrigal du début du siècle
précédent !) ;
√ accompagnement en trémolos à la fin du III, lorsque Agave appelle à
la fête de Bacchus (rare, hors tempêtes, avant Rameau et surtout la
génération gluckiste ; s'entend dans Atys
par Christie, mais je
n'ai pas vérifié dans les parties orchestrales complètes si c'était
écrit ; j'en doute) ;
√ de même, beaucoup de batteries de cordes, typiquement italianisantes
(cf. fureur de Corésus au II de
Callirhoé de Destouches) ;
√ le merveilleux chœur des prisonniers, (Bacchus est en effet
jeté en
prison !), presque religieux, avec beaucoup de contrepoint expressif,
écriture très inhabituelle à l'Opéra ;
√ autre moment particulièrement rare, un trio de vengeance, avec trois
parties vraiment simultanées. Il ressemble au duo de Campra composé un peu plus tard (1712)
pour Idoménée – mais
précisément, ce n'est pas un trio.
√ à la fin de l'acte III, pour la célébration de Bacchus, c'est même un
trio de femmes (bientôt rejointes par une quatrième !) avec des lignes
individualisées (jamais vu ça dans ce répertoire, personnellement).
√ le basson est apparemment explicitement requis (comme chez son maître
Charpentier) pour renforcer certains récitatifs ; et il est assurément
très virtuose !
Interprétations
d'étudiants
Malgré les voix peu puissantes, j'avais beaucoup aimé la version du
CMBV dans la Galerie des Batailles, un véritable effort de phrasé (et
une bonne élocution) chez les jeunes chantres, même si leur technique
est davantage celle de choristes que de solistes pour apporter un
impact sonore réel.
Résurrection
d'extraits de Penthée de Philippe d'Orléans (certes aidé de Gervais,
mais semble-t-il auteur de la plupart de l'ouvrage), sur un livret de
son capitaine aux gardes, le marquis de La Fare.
En dehors des Chantres du CMBV, très bien préparés (par le chef, Fabien Armengaud) et étagés dans les belles sections chorales qui évoquent la musique sacrée (dont ils sont spécialistes), j'ai été un peu plus mitigé sur la réalisation de la semaine dernière
présentée au CRR de Paris. D'ordinaire les représentations de tragédie
en musique (avec un orchestre formé de musiciens du CRR de Paris,
Versailles, Cergy et du Pôle Sup' de Boulogne) sont, concernant
l'orchestre, de niveau professionnel. Cette fois-ci, sans doute du fait
de la diversité de recrutement, les décalages étaient nombreux, et la
prudence / concentration n'était pas sans impact sur l'urgence
dramatique.
De même pour les voix, je ne vais pas refaire mon couplet, mais
lorsqu'un chanteur français interprète de la tragédie en musique sans
que du deuxième rang on comprenne ce qu'il dit, ou utilise une émission
lyrique et que sa voix est couverte par un orchestre sur instruments naturels… clairement il
faut repenser quelque chose dans la technique. Mais ce sont encore des
voix en formation, en l'occurrence ; ce qui m'alarme est qu'on entend
aussi cela, et très souvent, chez des professionnels de ce répertoire.
On entend cependant quelques voix très bien faites, comme Gaël Lefèvre (Thirésie) et Martin Barigault (Cadmus),
et je saluele soin du texte d'Alice
Marzuola (Érigone), dont je n'aime pas beaucoup l'émission très
ronde / en bouche mais qui sert impeccablement les vers (et c'est le
plus important), Manon
Sekfali (Agave), une véritable personnalité vocale lorsqu'elle
fend l'armure passé les premières scènes. Kyungna Ko (Ino), malgré
l'obstacle de la langue, se livre avec énergie, avec un instrument
mieux projeté que les autres. Marcos
Vinicius Almeida Costa (Arbas) a de très belles intentions
verbales, la voix peut encore mûrir mais a beaucoup d'atouts.
J'ai moins aimé Antoine
Ageorges en Bacchus, jolie voix équilibrée et diction limpide,
mais tempérament dramatique à construire, il ne se passe rien, et dans
un rôle qui est lui-même assez peu intéressant, tout paraît immobile.
Quant à Sébastien Tonnel,
son timbre et son expression sont très séduisants, mais il semble
vraiment embarrassé dans ses graves et projette très peu, n'y aurait-il
pas un baryton clair voire un ténor à tirer de cela pour pouvoir
l'épanouir ?
En somme, j'ai apprécié l'investissement individuel dans les rôles ;
c'est davantage le type de profil vocal commun à toutes ces voix qui me
préoccupe pour leur carrière, l'avenir du chant et le répertoire de la
tragédie en musique.
Cependant l'essentiel reste la contribution de ces représentations à la formation de ces jeunes d'une part, et d'autre part la mise au théâtre de l'œuvre entière peu ou prou pour la première fois ! Merci de laisser le public profiter de ces moments – gratuitement, qui plus est.
Envoi
Je termine en vous égayant par la citation de la note du
musicotéléologue Olivier Schneebeli dans le programme de 2018 :
«
Le sang suinte dans Penthée, jusque dans ses bacchanales, au sein même
de ses danses aux rythmes disloqués, aux chorégraphies boiteuses, comme
si, déjà, dans la folie des fêtes du Palais-Royal, dans leur démesure
orgueilleuse et ricanante, se devinait l'issue d'un siècle à peine
commencé. »
La phrase est jolie, mais il fallait oser la prophétie rétrospective –
le rapport entre les deux échappe, surtout. Il est vrai en revanche que
les danses de Penthée,
pourtant écrit de façon plus traditionnelle, à cinq parties (à la
française) et non à quatre (à l'italienne) comme La suite d'Armide, sont souvent
assez dégingandées et surprenantes dans leurs appuis.
(J'admire beaucoup au demeurant le travail accompli par Schneebeli au
CMBV !)
Parmi les brassées de nouveautés de ces dernières semaines,
et le nombre important de celles que j'ai écoutées, quelques pépites que je vous recommande
tout particulièrement – que ma consommation déraisonnable soit au moins
utile.
[[]]
J'évite autant que possible de prendre du temps de notule pour des
remarques un peu éphémères, mais cela vous évitera de rater l'essentiel
!
1. Disques
incontournables : les œuvres
Violon solo de Matteis père, Pisendel,
Guillemain (avec des paraphrases de la Passacaille d'Armide de LULLY et
de la Sicilienne de Pirame &
Thisbé de Francœur & Rebel !), Vilsmayr et Biber par Isabelle Faust. Des bijoux,
et toujours interprétés avec cette probité musicologique et cette
intelligence artistique.
Deux opéras comiques de Duni :
Le Peintre amoureux de son modèle et
surtout Les deux
Chasseurs et la Laitière par les meilleurs spécialistes du genre
(Orkester Nord / Martin Wåhlberg). J'ai
évoqué le sous-texte leste du second dans cette notule. La musique en est de plus fort
plaisante ; tandis que le Peintre
me paraît beaucoup plus conventionnel et conforme à ce que je
connaissais jusqu'ici de Duni, sans saillances particulières du livret
ni de la musique. On a le plaisir d'y retrouver quelques voix idéales
pour ce répertoire – Pauline
Texier et Jean-Gabriel
Saint-Martin, en particulier.
« Sturm und Drang, volume 3 »,
par The Mozartists.
Du Mozart (Adagio & Fugue) et du Haydn (Symphonie n°44 « Funèbre
»), mais surtout une scène dramatique d'Annibale in Torino de Paisiello, une trépidante symphonie
de Koželuch, et une page
totalement éperdue de l'Alceste
(en allemand) d'Anton Schweitzer
! Une très belle découverte, je n'avais pas vu passer les
précédents volumes chez Signum !
Troisième volume de la série consacrée aux ténors historiques de la tragédie en musique
par A Nocte Temporis
; ici Joseph Legros à
la fin du XVIIIe siècle : La Borde, Gluck, Piccinni, (Johann Christian)
Bach, Grétry, Legros lui-même, Berton, Trial… ! Passionnant
parcours dans lequel Reinoud
Van Mechelen (dont la voix assez couverte n'incarne pas a priori l'idéal d'époque) se coule
avec beaucoup de talent.
Les Quatuors pour harpe et cordes
d'Eugène Godecharle, compositeur belge de la seconde moitié du
XVIIIe siècle, révélés par le groupe Société Lunaire : des
œuvres pleines d'esprit, dont la variété et l'intérêt sans cesse
soutenu m'ont impressionné. À mettre au côté des Quatuors avec hautbois de Gassmann
ou des duos de violons de Lombardini-Sirmen.
La Messe
à double chœur de Rheinberger,
un chef-d'œuvre rarement donné, voluptueusement enregistré par
PentaTone, et servi par l'inhabituelle texture mate du toujours
excellent Chœur de la Radio
des Pays-Bas, jamais épais ni désagréablement tendu. Couplage
avec de très beaux motets de Mendelssohn.
The Nutcracker and
the Mouse King, un pot-pourri
Tchaïkovski pour servir une nouvelle version de Casse-Noisette, non pas en ballet,
mais pour accompagner le récit inspiré cette fois non de Dumas mais de
Hoffmann ! Œuvres sélectionnées par John Mauceri (à partir
d'œuvres moins célèbres : Hamlet, The Tempest, Snegourotchka, etc.), en
créant des leitmotive, en
choisissant les meilleures parties récitatives et dramatiques… ça
paraît du bidouillage sur le principe, mais c'est totalement réussi
! Très belle narration aussi par Alan Cumming.
Les œuvres pour violon & piano de
Mel Bonis (par Sandrine
Cantoreggi & Sheila
Arnold), dévoilant une part assez ambitieuse de son legs, du
calibre de sa Sonate pour violoncelle
et piano.
Coup de foudre pour deux albums Reger,
une anthologie Warner (apparemment
version abrégée d'une précédente anthologie) qui permet un panorama
très complet dans de très belles interprétations, et révèle un Reger
bien plus divers et coloré qu'on n'en a l'image.
Et en nouveauté, trois lieder
orchestraux qui révèlent un
Reger
romantique, mais pas postromantique épais comme ses poèmes
symphoniques, vraiment un Reger qui verse l'expression à grands flots,
à la frontière du décadentisme. Parmi ses toutes plus belles œuvres, et
d'un style que je ne lui connaissais pas. De surcroît, articulé avec
netteté sur instruments anciens avec Spering, et énoncés par
deux excellents spécialistes, Anke
Vondung et Tobias Berndt.
Les chants a cappella de Samuel Coleridge-Taylor, un
idéal d'élégance évocatrice dans ce répertoire, par l'excellent Chœur du King's College de Londres.
Pour la suite de la série consacrée au Brésilien Claudio Santoro chez
Naxos, la Symphonie n°8 est couplée avec le Concerto pour violoncelle.
J'y entends beaucoup l'influence de la musique soviétique, et ce n'est
pas nécessairement le meilleur volume de la série, mais il y a… les dix
minutes des Interactions
Asymptotiques, et là l'inventivité et la chaleur des timbres et
des strates me ravit absolument, un bijou à chérir.
Quatuors à cordes de compositeurs japonais : Yashiro, Nishimura,
Miyoshi, et les deux « tubes », les Landscape
de Takemitsu et Hosokawa – plutôt les pièces les moins abouties et
adaptées à la formation. Coup de cœur en particulier pour les Pulses of Light de Nishimura, de l'atonalité très
dynamique et conforme à son projet d'évocation !
2. Disques
incontournables : les interprétations
Le Requiem deCampra
particulièrement frémissant dans cette nouvelle version du Concert d'Astrée (à mon
sens la meilleure version discographique à ce jour).
Un Haendel qui est un tube (Dixit Dominus),
mais ici exécuté avec mordant (Chœur
de la Radio Flamande, Il Giardellino), incroyablement animé.
Encore une version deScylla & Glaucus de Leclair (la quatrième, et la
troisième en moins de 10 ans…), par Vashegyi, et il faut
admettre que c'est une proposition tout à fait électrisante, l'Orfeo Orchestra est animé
et coloré comme il ne l'avait pas été depuis longtemps, le plateau
rayonne (Wanroij, Gens, Dubois
qui sont dans un très bon jour, tous très en voix et très en mots). Et
l'œuvre, évidemment, très séduisante instrumentalement dans ses
nombreux divertissements, et particulièrement saisissante dans
l'invocation infernale de l'acte IV et le final rageur de l'acte V. Je
ne suis pas partisan de dépenser des subventions et du mécénat pour
réenregistrer une œuvre dont on disposait déjà de trois autres
excellentes versions, mais quitte à le faire, faites-le avec ce niveau
de finition !
Petits ensembles de Mozart avec vents
solos par l'électrisant Ensemble MidtVest (leur
intégrale Gade est fabuleuse).
Quatuor à cordes n°10 de
Beethoven par le Chiaroscuro
SQ,
d'une intensité rarement entendue, et dont les coloris font honneur au
nom de baptême ! Peut-être la plus belle version de ce quatuor
que j'aie pu écouter. Le n°13 en couplage (sans la Grande Fugue) est
moins singulier et moins superlatif, quoique excellent bien sûr.
Des Impromptus de Schubert épurés, droits et
finalement vraiment neufs par Ronald
Brautigam (sur pianoforte).
Suprême élégance sur les pianofortés cristallins de l'époque de
Schubert ; les limites techniques des instruments (par rapport aux Graf
des années 1820, comme ceux utilisés par Peter Serkin pour les
dernières sonates de Beethoven, parfaitement fonctionnels) permettent
très peu d'amplitude dynamique, et donnent l'impression que tout est
joué assez fort, mais Brautigam ménage un élan et des phrasés
magnifiques, qui renouvellent vraiment l’écoute… (Autre suggestions sur
piano d'époque, mais plus ancienne, Dähler, grand coloriste, poète,
rhéteur…)
Suite de l'intégrale des Symphonies
pour cordesde Mendelssohn,
très vive et affûtée (Dogma
Chamber Orchestra dirigé par Gurewitsch chez Gold MDG) :
le meilleur des deux mondes (tradi / informé). Tempi vifs, attaques tranchantes,
plénitude du sostenuto des
cordes, ces œuvres de prime jeunesse paraîtraient issues de la
meilleure maturité d'un grand compositeur.
Réédition des Debussyà quatre mains de J.-Ph. Collard et Béroff, lectures claires et
ciselées, avec en prime des arrangements orchestraux pour quatre mains (Symphonie en si) ou deux pianos (le
Faune, les formidables deux
premiers numéros des Nocturnes…).
Feu et couleurs que je trouvais
remarquables dans la Phantasie pour
trio de Bridge (qui ne
m'avait jamais paru aussi
passionnant), et feu d'artifice hallucinant dans le pourtant très couru
Premier Trio
de Mendelssohn ! C'est à
tel point que je ne suis pas sûr qu'on ait
entendu mieux au disque. Trio
Laetitia, avec Deljavan
au piano – chez Artalinna.
3. Pépites isolées
Certaines pistes, indépendamment de la sélection ci-dessus, font
dresser l'oreille et fascinent durablement.
Je pense par exemple au Thésée de LULLY par les Talens Lyriques
(œuvre inégale, mais qui comporte quelques très hauts sommets, tout son
acte I en particulier, et le premier enregistrement officiel de qualité
qu'on en ait – « ô Minerve savante » assez extraordinaire), à l'arrangement des Variations Goldberg pour violon concertant imaginée par
Chad Kelly (interprétation Rachel
Podger), aux délicieuses
Sonates pour violon & clavecin de Johann Ernst Bach (dont
c'était l'anniversaire en 2022), à la transcription du début du III de Siegfried pour
piano solo par Juliette
Journaux (disque Wanderer
chez Alpha, il nous faut davantage de transcriptions de ce calibre !),
à l'Ouverture Ein feste Burg de Raff (sa première œuvre
orchestrale à me convaincre, il s'y passe beaucoup plus qu'à
l'accoutumée) par le Philharmonique
de Slovaquie, au Quatuor à
cordes Op.11 deNicolaï
Tchénépnine par le Quatuor
Michelangelo, ou encore Aux Étoiles, le
recueil d'ouvertures françaises fin XIXe publié par le National de Lyon
chez Bru Zane (Guiraud, Bonis, Bruneau, Holmès, Sohy, Joncières,
Rabaud, et quelques versions extrêmement réussies des tubes de Franck,
Duparc, Chabrier, Chausson, Dukas et d'Indy).
On a aussi quelques documents importants qu'il fallait absolument
publier, mais qui ne m'ont pas forcément intéressé autant qu'espéré,
comme Das Lied
von der Glocke d'Andreas
Romberg à Duisbourg (important de l'entendre, mais il existait
déjà un enregistrement, le chœur est amateur et surtout le compositeur
n'a clairement pas le génie de son cousin Bernhard), Ariane de Massenet (il faudra que je
réécoute, j'en ai retiré peu d'impressions), et autres belles choses
comme La
Princesse de Trébizonde
d'Offenbach, belle œuvre et belle réussite de l'équipe, mais qui
ne me paraît pas aussi incontournable que d'autres disques, puisqu'il
s'agit ici d'opérer une sélection…
4. Le goût du sang
Parce que je sais que si vous venez lire une telle notule, c'est moins
pour être informés que pour vous repaître de remarques assassines –
voici quelques déceptions.
À la vérité, comme je choisis les disques qui m'intéressent, je n'ai
pas croisé d'immense ratage, de proposition totalement inintéressante,
d'œuvres nulles, d'immondices, ou pis, de Philip Glass.
Néanmoins, quelques propositions n'étaient pas tout à fait à la hauteur
des attentes.
Difficile pour les ensembles et chanteurs non spécialistes du
répertoire français de réussir à bien l'interpréter, et le nouvel Acis & Galatéede LULLY
par l'excellent Sardelli connaît quelques raideurs et monochromies en
conséquence – difficile de passer juste après la publication
extraordinaire des Talens
Lyriques cette même année ; j'y remarque surtout Jean-François Lombard,
chanteur exceptionnel qu'on entend trop peu à l'opéra, et dont la
technique très singulière (voix mixte, mais avec une forte proportion
d'émission de tête) sonne un peu étrangement au disque et en contexte
dramatique, il est vrai.
Toujours pas très convaincu par la voix très couverte de Lea Desandre, qui ne
correspond (malgré toute sa science du style) pas bien au cahier des
charges de l'air de cour
(évidemment une nouvelle pour Le
doux silence de nos bois est toujours une bénédiction, surtout
aussi bien accompagnée).
Vraie déception pour la Belle Meunière
de Samuel Hasselhorn,
que je suis et admire depuis ses études au Conservatoire. Il a fait
évoluer sa technique vers un aspect plus barytonnant… et cela lui
permet peut-être davantage de stabilité dans les œuvres avec orchestre,
mais éteint aussi la singularité qui faisait son charme. J'en parle plus en détail dans cette notule.
Douloureuse surprise, le disque du
Gewandhauschor n'est pas vraiment un arrangement pour chœur (ce
qui m'aurait passionné), mais une version du Winterreise
pour soliste et accompagnement d'accordéon parfois renforcé de chœurs
(qui sonnent assez kitsch, façon chœurs en « hou-hou » de la Fiancée de
Cadix). De surcroît le chœur, audiblement amateur, n'est pas le
meilleur d'Allemagne… Restent la belle diction de Tobias Berndt et
quelques réussites comme « Das Wirtshaus », qui semble vraiment sur le
papier le lied le plus conforme à une écriture chorale. Et ici, pas
d'accordéon, chœur d'hommes, c'est très beau.
Barbara Hendricks (je
fais partie de ceux qui l'ont beaucoup aimée, y compris dans ses
emplois les moins attendus comme la mélodie et le lied) a toujours de
la voix (bientôt 75 ans !), même si le centre de gravité s'est
fortement abaissé. En revanche, manifestement pas de répétiteur de
français pour ces cantates et
mélodies orchestrales de Berlioz…
ça pique, et ça manque de direction, c'est bien dommage. (Alors qu'elle
a proposé des enregistrements magnifiques en français, sa Leïla des Pêcheurs de perles avec Plasson
par exemple.)
Nouvelle version du Trio de Chausson par
le Trio Metral
mais… si j'aime assez le piano, je suis frustré par le son des cordes,
très « international ». Ce sont de grands musiciens, mais je n'aime pas
ce son ample, patiné, homogène pour le répertoire français, où je me
sens plus à l'aise avec des attaques franches et un timbre un peu plus
acide (du type Stéphanie Moraly, Philippe Koch, Saskia Lethiec, Émeline
Concé, Aitor Hevia, Anne Robert…). C'est un peu comme pour l'orgue,
j'écouterais très volontiers tout le répertoire avec ce son à la
française. Mais au moins pour le répertoire français fin-de-siècle,
déjà écrit de façon nébuleuse, j'ai besoin de franchise dans les
articulations. Ce n'est donc même pas un jugement sur l'interprétation
proprement dite, j'ai vraiment eu peine à entrer dans la proposition
pour des affaires de goût – et autant pour la voix je peux argumenter
qu'il y a des problèmes de projection, que ce n'est pas efficace pour
la diction, autant ici, pas de problème, Nathan Mierdl sait jouer du
violon, très clairement…
Deuxième Symphonie de Mahler
par Rouvali avec le
Philharmonia.
Écouté sans doute un peu distraitement, mais dans cette (tout à fait
bonne) version, je n'ai pas retrouvé la singularité de ses Sibelius (où
les ponts semblaient devenir les thèmes et les thèmes devenir des
transitions), et au sein de cette discographie d'une quantité
excessive, cela rend évidemment la proposition moins essentielle.
Les Concertos de Jan Novák, pas très saillants…
mais je pensais écouter Vítězslav Novák, le grand postromantique
tchèque très inspiré, né en 1870, pas ce jeunot né en 1921 ! Je
le découvre à l'occasion, mais je l'ai méjugé à l'aune de l'autre. (On
voit surtout Novák en gros sur la pochette, ce qui est trompeur.
Imaginez qu'on fasse pareil pour Johann Ernst Bach ou Isidore
Stravinski !)
La Symphonie « Bretagne » de Didier
Squiban, très agréable, mais un peu lisse et consonante sur la
durée.
Pas de mauvais disque à signaler, donc. Et quantité d'autres bons
disques qui m'ont moins intéressé.
Vous pouvez retrouver ma sélection dans cette playlist,
et encore davantage de sélections thématiques sur mon profil Spotify. À bientôt pour de
nouvelles découvertes !
The Curious Bards le 30 juillet 2023 au lavoir de
Pimelles.
Micro-série de podcasts inspirés par la démarche de l'ensemble The Curious Bards,
donnant à réentendre des pièces de musique populaire suédoise,
norvégienne, écossaise et irlandaise qui ont été relevées sur papier
(manuscrit ou imprimé) par leurs contemporains. Deux de leurs
programmes étaient proposés dans le cadre du festival Musicancy
à Ancy-le-Franc, qui met à l'honneur la voix à l'occasion de son
vingtième anniversaire !
L'occasion de m'interroger sur ce que cette musique retrouvée nous
apprend – notamment sur la musique que nous connaissons plus largement,
celle des compositeurs établis et passés à la postérité au service de
cours princières ou du public des grandes villes.
Épisode I – Musiques scandinaves
Épisode II – Instrumentarium
Épisode III – Musiques des îles britanniques
Épisode IV – Deux défis : instruire et faire danser
Vous pouvez retrouver tous les épisodes de la baladodiffusion par ici :
Deuxième disque de la série Orff-Schulwerk chez Celestial Harmonies.
Comme tout le monde (même au Brésil), j'ai découvert Orff (1895-1982)
par les disques d'extraits des Carmina burana
(1937). Pas très séduit dans l'ensemble, mais quelques titres comme Fortune plango vulnera, Ecce gratum ou la danse qui ouvre
la section « Uf dem Anger »
(et immortalisée dans la mémoire collective française par le générique
de l'émission nocturne de TF1 Histoires
naturelles) m'ont tout de même frappé par leur force motorique.
On est toujours un peu partagé entre l'aspect sommaire un peu vulgaire
de cette musique massive, essentiellement rythmique (et des rythmes
très identifiables, pas du tuilage richardstraussisant), et l'effet
d'entraînement qu'elle peut avoir.
En somme, je n'écoutais pas beaucoup, mais j'aimais bien. Comme
beaucoup de monde, je pense.
Et puis – c'était il y a plus de quinze ans, aux débuts de Carnets sur sol– j'ai découvert un peu le
reste de son catalogue, en commençant par Der Mond(1938). Je m'attendais à découvrir
un Orff plus traditionnel (postromantique sans doute ? décadent peut-être…), et j'ai été
frappé d'entendre sensiblement le même langage. Un peu plus de variété
dans les procédés, mais on retrouve l'organisation en séquence brèves
et parfaitement indépendantes, qui tournent en boucle un motif simple,
jamais développé, simplement remaquillé par des orchestrations de
caractère différent – orchestrations où dominent sans surprise cuivres
et percussions, pas toujours avec finesse, mais non sans efficacité.
J'y avais même senti des points communs assez forts
avec l'esprit minimaliste, ressassant un même matériau qui n'évolue pas
vraiment, refusant le développement.
La principale plus-value résidait dans l'usage de mélodrames (c'est-à-dire de
déclamation parlée accompagnée par l'orchestre). Le résultat restait
personnel et plutôt réussi, mais l'impression de réentendre Carmina burana sur la durée d'un
opéra était un peu lassante, et l'articulation du langage avec l'action
dramatique paraissait assez lâche, comme si Orff ne parvenait pas, pris
dans son système, à épouser réellement les affects des personnages.
J'avais alors conclu, avec un sens de la formule qui
révèle toute la cruauté de la jeunesse : « heureux de l'avoir entendu
et soulagé de ne pas l'avoir acheté ».
Plus tard suivit Die
Kluge (1943), son autre adptation de Grimm (écoutée en russe à
l'époque je faisais le relevé-tour du monde des représentations d'opéra),
un peu plus lyrique mais dans le même goût.
J'ai aussi entendu un entretien donné
par le compositeur, d'une certitude de sa supériorité assez
déconcertante, affirmant que la force des Carmina burana (qu'il considère
comme une œuvre fondamentale du répertoire) tient à ce que « sa portée
spirituelle dépasse sa valeur musicale ». Et de se vanter d'avoir
trouvé là son style, assez génial, et qu'il n'en a plus démordu
ensuite. C'est donc du très sérieux de son point de vue, et non un
pastiche fantasmatique de chants d'étudiants comme je le croyais.
À ce stade, j'ai considéré que mon éducation était à peu près faite –
j'ai eu l'occasion d'écouter les deux autres Trionfi bien sûr, donc je n'ai pas
retiré grand'chose non plus. Orff
était un vantard vaguement nazisant, assez peu lucide sur ses mérites,
et assez limité dans ses moyens de composition.
Et puis les années ont passé.
J'ai quand même découvert des œuvres intéressantes, comme Antigonae(1949), sujet plus
sérieux et ambitieux où l'on retrouve les psalmodies à nu interrompues
ou soutenues par des percussions, pas plus intéressantes musicalement
(vraiment des passages entiers psalmodiés, pas vraiment de mélodiques),
mais l'œuvre a le mérite de tenter une recréation
fantasmatique de l'esprit de la tragédie grecque, avec le texte
premier, semi-chanté, et un instrumentarium sans doute un peu sec, pour
un résultat pas du tout lyrique.
Mais on s'ennuie tout de même sévère à écouter cela sur la durée. (Il
existe au disque plusieurs versions all-stars
avec au choix Borkh, Mödl, Kuen, Haefliger, Greindl, Fricsay, Leitner,
Sawallisch…)
Surtout, j'ai beaucoup ri en découvrant la musique pour les Jeux Olympiques de 1936, Entrée et Ronde des
Enfants : « Non content d'être un compositeur majeur d'opéras inspirés et autres
cantates subtiles,
il était capable d'écrire des pièces entières dans un seul tétracorde
défectif. » Et de souligner avec une perfidie manifestement satisfaite
le petit côté BO du Gendarme de
Saint-Tropez… (Quelle mauvaise personne j'étais alors…)
Pour autant, c'était à date clairement ma pièce préférée de Carl Orff,
grâce à cette Grèce antique stylisée, sa généreuse dose de coloration
pastorale (plus beethovenienne que lullyste). « Un petit esquif de
n'importe quoi jeté sur la grande mer de la rationalité organisatrice
de ces gigantesques manifestations… »
Dernière découverte (merci CPO, toi qui prouves l'existence
d'un Dieu juste et bon), Gisei – le sacrifice,
absolument différent de tout le reste, opéra d'une heure, écrit à 18
ans, dans un style marqué par Debussy, mais assez décadent et âpre,
comme rongé par le Wagner le plus désespéré, qui
manifeste une maîtrise à peine croyable des moyens compositionnels les
plus complexes. Mais c’est un langage qu’il abandonne tout à
fait après sa propre épiphanie du style néo-tribal qui marque ensuite
toutes ses compositions. (J'en ai parlé là.)
Je restais donc sur l'idée d'un talent
gâché, dont l'ego
surdimensionné avait causé cette pénible tendance à la répétition de
formules plutôt pauvres – mais dont il semblait très généreusement
autosatisfait.
Un profil à la Richard Strauss, le résultat en moins. Ah oui, je n'ai
pas encore publié la notule sur Richard Strauss & les nazis (toute
une histoire), mais Orff semble un peu le même type de profil : surtout
obsédé par sa propre musique, indifférent à la politique mais pas
insensible aux honneurs. Au demeurant son procès en dénazification l'a
classé comme suiveur, et il a
pu continuer à exercer.
Et puis ma vie a continué. J'ai vu quelques très beaux concerts, j'ai
eu quelques enfants naturels, j'ai découvert l'existence de Pierre Rode
(connaissez-vous notre Seigneur
Pierre Rode?avez-vous une minute pour en parler ?).
J'ai joué des opéras dodécaphoniques danois. J'ai mangé des œufs
mollets.
***
Jusqu'à ce jour.
Je voulais illustrer une story
présentant des tombeaux mérovingiens décorés de quelques svastikas avec
la bande son des Jeux de 1936 – parce que le bon goût, c'est comme la
calvitie, on l'a dans nos gènes ou on ne l'a pas.
Impossible de rien trouver. Il existe bien des disques, mais tous
épuisés, aucun n'est disponible dans la banque de son d'Instagram (le
pseudo est Carnetsol, si vous
aimez les paysages et objets d'art mis en musique), ni même sur
les sites de flux où je fais mes recherches. Je dois donc me rabattre
sur la fanfare de Richard Strauss, ce qui n'est pas si mal.
Mais, avec les mots-clefs Orff et Kinder, je suis tombé sur un résultat
inattendu. (Non, bande de dégoûtants, pas ce à quoi je vous vois
penser, safe search était
activé.)
Cette série de trois disques, du
label Celestial Harmonies, parus dans les années 90, sans doute
racheté par un plus gros label, et enfin mis en ligne dans le cours de
ces derniers mois. Orff-Schulwerk,
car Orff était passionné de pédagogie, avait fondé une école, créé une
méthode qui est encore utilisée de nos jours – vous en trouverez quantité
d'exemples en vidéo ici, chez ses successeurs.
Je fais du titre provocateur et racoleur, mais en réalité en fait de nazisme, dans les années 1950, l'approche a même servi à des enfants en situation de handicap.
Comme je suis curieux, j'écoute… et que n'entends-je pas ! La
même veine primesautière et naïve que sa musique pour les Jeux de 36 :
ce que j'avais pris pour une imitation un peu ridicule de la musique
grecque dans un ton qui se voulait solennel et paraissait au contraire
très gentiment sautillant… était de la musique pour enfants !
Ces trois disques permettent de saisir l’étendue de
son legs sur le sujet : beaucoup de musiques pour voix, piano, flûte à
bec et/ou percussions, sur des rythmes simples et récurrents, mais avec
un véritable caractère – archaïsant, comme une Grèce rêvée. Tellement
plus convaincant que les grosses choucroutes bruyantes qui mobilisent
beaucoup de monde pour un contenu musical particulièrement simple ; et
surtout, quelle que soit votre dilection éventuelle pour les Carmina burana et autres Catulli Carmina, cela éclaire
grandement le projet de trouver la voie d’une musique riche avec des
moyens très épurés. (écouter des extraits ici)
La pédagogie d'Orff insiste sur la pratique, l'appropriation
instinctive du geste, chacun à
son niveau. Et ces pièces reflètent vraiment cette approche : tout
entre bien dans l'oreille, tout est fondé sur des cellules courtes et
simples, et pourtant ce sont de vrais morceaux, agréables à entendre,
qui donnent envie d'être écoutés et joués. Je les trouve très touchants
et émouvants, et la sorte de raréfaction du matériau qui peut être
frustrante dans les grandes fresque d'Orff trouve ici un terrain assez
idéal. De la musique de proximité, de la musique bienveillante, qui
rejette la virtuosité mais pas la personnalité.
On y entend d'évidentes influences extrême-orientales – témoin les duos
de xylophones n°16 & 17 du Troisième Livre –, mais il est probable
que cette écriture très diatonique, qui répugne aux tensions et aux
bifurcations, soit largement due à l'intérêt d'Orff pour la Renaissance. Il a par exemple
orchestré (dans une version traduite en allemand, un peu réagencée et
assez coupée, certes) L'Orfeo de
Monteverdi (ça peut s'entendre chez CPO) et le Lamento d'Arianna (CPO…), et on comprend
assez bien, en écoutant ses choix d'orchestration, ce qu'il a pu
retirer de la Renaissance finissante et du jeune baroque.
***
Seconde découverte, plus anecdotique : la version originelle de la danse-interlude célébrissime des Carmina burana,
issue d’un Klavier-Übung de 1934 (écouter), de son corpus pédagogique (dans le
troisième disque). Et je trouve tout cela assez touchant, un
compositeur qui met autant d’énergie à écrire des œuvres pour la
jeunesse accessibles, pédagogiques et intéressantes – je vois peu
d’instances où les trois parviennent à se conjuguer. Orff, que je
trouvais assez prévisible, répétitif et pour tout dire plus ennuyeux
(sorti de Gisei) est
instantanément devenu à mes yeux un compositeur attachant et réellement
stimulant.
Tout cela rend très curieux (et dubitatif) sur un éventuel quatuor à
cordes qu'il aurait pu composer – jugez de ma perversité.
Mais, dans tous les cas, Orff m'est devenu, en à peine 24h, d'une
fausse valeur un peu inoffensive que tous les amateurs de classique
subissent un peu complaisamment dans les compilations de classiques favoris, une sorte de
chouchou assez touchant, de personnalité à part dont le projet me
touche assez.
C'est pourquoi je voulais aussi vous donner cette chance de pouvoir
changer. D'être inspirés par des modèles nazis une
pensée différente, dont je n'avais absolument pas compris les
articulations – je pensais vraiment que son projet était uniquement
issu d'un fantasme néo-païen un peu pompeux, à base de Grèce imaginaire
et de chants d'ivrognes médiévaux. Mais, transposée dans un cadre
pédagogique, oui, comme sa musique paraît évidente, facile d'accès,
immédiatement satisfaisante, propre à faire comprendre les mécanismes
fondamentaux de la pratique musicale.
(Et ces petits formats sont tellement plus beaux et touchants !)
--
À bientôt, estimés lecteurs – car je dois prochainement vous entretenir
de Loewe, de Carmen, du Champs-aux-bécasses, du Christ (de Rubinstein)
et de notre Seigneur Pierre Rode (avez-vous
un moment pour en parler ?).
Portez-vous bien. Ne buvez pas trop d'alcool, ne marchez pas tête nue
au soleil cet été, ne faites pas trop de bisous aux veillards cet
hiver, ne lancez pas d'opération
spéciale de maintien de la paix et de formation au point-de-croix
au printemps. S'il vous plaît.
Ce billet, écrit à par DavidLeMarrec dans la catégorie Portraits a suscité :
Je me suis surtout lancé dans une transcription en cours de la série musique ukrainienne, avec la contrainte, pour des
raisons de droits d'auteurs (droits
voisins
plus exactement), d'enregistrer moi-même les extraits sonores. C'est
beaucoup de travail, mais pour ceux qui consultent le format écrit de Carnets sur sol
et n'hésitent pas à en suivre les recommandations sonores ou écouter
les extraits, il n'y a pas encore beaucoup de nouveautés (j'en suis à
Hulak-Artemovskiy et à la brève génération qui a pu exercer un art
national
ukrainien). Bien sûr, des précisions nouvelles ont été apportées, que
je n'avais pas lorsque j'ai débuté cette série, et je vous invite à y
jeter une oreille, mais dès que j'aborderai des compositeurs ou des
sujets inédits, je le signalerai ici et en posterai les
retranscriptions pour les fidèles de l'écrit.
Pour la suite de la baladodiffusion autour de la vulgarisation de
certaines questions relatives à l'opéra en général (sobrement intitulée
« L'opéra ? »), je me suis lancé dans une évocation des grandes
tendances de l'opéra, à travers l'histoire de chaque nation lyrique. Je
commence évidemment par les Italiens qui nous ont apporté toute cette
corruption depuis le début.
Épisode 8 : Comment
l’opéra italien a-t-il dominé le monde ? – b) L’hégémonie du seria
3. Le prestige de la
voix et
la conquête du seria
Malgré son projet à l’origine surtout littéraire, l’opéra entraîne un
effet secondaire inattendu : la redécouverte de la voix humaine. Le
fait de l’utiliser seule, le prestige croissant des chanteurs, les
lieux de représentations plus vastes vont mettre en avant les voix
puissantes, agiles, étendues… et les compositeurs vont progressivement
devenir les grands lieutenants des chanteurs vedettes.
Le troisième tiers du XVIIe siècle est une période d'innovations riches
– voyez par exemple les opéras de Legrenzi ou les oratorios de
Falvetti. La forme des parties musicales reste assez libre, mais avec
davantage de substance musicale, de diversité de ton, et surtout, ce
qui a son importance pour la suite, une veine mélodique beaucoup plus
présente et persuasive que le pur service du texte. On reste dans une
visée essentiellement déclamatoire, mais ce faisant on voit tout de
même se constituer peu à peu, dans les parties où la musique se met à
dominer l'expression textuelle, une segmentation des moments musicaux,
de plus en plus autonomes et détachables. Ces moments (airs, duos,
choeurs, etc.) deviennent progressivement des formes closes (ce que
l'on appelle les « numéros »).
C'est à mon avis l'une des périodes les plus intéressantes de
l'histoire de l'opéra italien, sans doute la plus originale, devant
celle qui se déroule au début du XXe siècle. Il y a fort à parier qu'on
découvrira progressivement beaucoup de pépites dans cette période
encore excessivement mal documentée au disque, si l'on se met à fouiner
dans les inédits.
Mais cette progressive mise en avant de la musique (et de la voix
agile) va aussi entraîner la Grande
Bascule, moment terrible qui va changer l'histoire de l'opéra
mondial pour toujours.
La fascination pour la voix, qui se découvre des possibilités pour
l'agilité dans ce contexte où la musique est de plus en plus
prédominante et le texte de moins en moins central, va créer les
conditions de cette catastrophe.
L’opéra, qui était essentiellement un poème dramatique embelli par de
la musique, assez nu, peu orné, devient le support privilégié de la
virtuosité vocale – le support, pour ne pas dire le prétexte.
4. Structure de l’opéra seria
Car, à partir des années 1690, le genre-roi, qui domine toute l’Europe
pour un siècle, c’est l’opéra seria,
fruit d’une lente mutation au fil du XVIIe siècle vers un spectacle, où
la musique et surtout la voix volent la vedette au texte.
Opera seria, c’est-à-dire «
opéra sérieux ». Opera seria
est féminin en italien, mais comme on emploie opéra au masculin en
français, l’usage est d’utiliser opéra seria au masculin.
C’est le genre qu’ont illustré Albinoni, Haendel, Vivaldi, Porpora,
Caldara, Hasse, Leo pour la période baroque, avec une époque de
transition qui enrichit l’orchestre de quelques doublures de vents chez
Graun, Pergolesi, Jommelli, avant de se couler dans le nouveau style
classique avec Johann Christian Bach, Cimarosa, Haydn (Armida), Salieri, Mozart (Lucio Silla, Mitridate, même Idomeneo, quoique un peu tempéré
par le modèle français).
Parmi les œuvres aisément disponibles qui ont de quoi impressionner et
par lesquelles je vous conseillerais de commencer : Rinaldo de Haendel, Griselda de Vivaldi, Cleopatra e Cesare de Graun, Mitridate de Mozart (Minkowski)…
mais on rencontre aussi de très beaux Jommelli, Johann Christian Bach
ou Salieri…
Musicalement, l’opéra seria se caractérise par une alternance de deux
modes d’expression.
Le premier, ce sont « récitatifs secs
» (recitativi secchi),
où l’on fait avancer l’action, sans y mettre de soin musical
particulier : les chanteurs s’y expriment seulement accompagnés par la
basse continue (un instrument grave à cordes frottées, un clavecin,
éventuellement un archiluth). La mélodie reste très simple et suit
l’accentuation des mots, mise en musique syllabe par syllabe. Pas de
répétitions, pas d’ornements, pas d’aigus ou de graves, simplement une
déclinaison musicale du texte. C’est la partie qui hérite des origines
de l’opéra, mais il s’agit clairement, en l’occurrence, d’une
relégation, qui n’intéresse pas du tout le public, concentré sur la
plus grande séduction mélodique des airs, ses affects exacerbés… et
surtout les qualités d’agilité ou de longueur de souffle des chanteurs.
En alternance avec ces récitatifs utilitaires, les « numéros » sont presque
exclusivement des airs à da capo. Et,
rarement, des duos ou des chœurs – on va dire que dans le meilleur des
cas vous en trouverez deux par opéras, et toujours sensiblement plus
courts que les airs. On parle alors des « numéros musicaux », car ils
sont bel et bien numérotés pour pouvoir les retrouver (plus commode que
« le deuxième air de Nicomedo à la cinquième scène de l’acte III »). À
ce moment, l’action s’arrête et le personnage partage ses émotions :
courage, tendresse, espoir, crainte, orgueil, dépit, fureur,
déréliction… le nombre de ces affects archétypaux n’est pas très élevé,
ce qui a permis la réutilisation abondante d’airs d’un opéra dans un
autre – les droits d’auteur n’existant pas, les compositeurs
n’hésitaient pas non plus à réutiliser des airs réussis de collègues
dans leurs propres opéras.
J’ai parlé de da capo. « Da
capo » signifie « avec une reprise depuis le début » : ces airs sont
pour la plupart constitués, tout au long du XVIIIe siècle, de 8 vers.
Un quatrain principal, longuement répété, suivi d’une section plus
courte de 4 vers (et toujours contrastée, moment de fureur ou de
confusion pour les airs extatiques, moment de brève émotion tendre pour
les airs de bravoure…). Une fois qu’on a fait tout cela, on reprend
intégralement la mise en musique du premier quatrain, en y ajoutant des
variations vocales (on les appelle souvent « diminutions », car ce sont
des formules de notes en général plus brèves, des ornements qui
augmentent le nombre de notes exécutées). Ces ajouts étaient censés
être improvisés, même si les chanteurs étudiaent bien sûr des formules
réutilisables. Aujourd’hui, elles sont soigneusement écrites par les
chefs ou les interprètes. Comme elles ne figuraient pas sur les
partitions, on a longtemps, même dans le mouvement baroque, joué ces
reprises sans ornements – ce qui les rend particulièrement
fastidieuses, surtout dans les airs très longs du milieu et de la fin
du XVIIIe siècle.
Un air à da capo fait dans
les 4 à 6 minutes à l’époque de Haendel et Vivaldi, mais peut durer 9
minutes à partir des années 1740… sans reprise variée, ce peut être un
peu ennuyeux si la mélodie n’est pas particulièrement inspirée ou si le
chanteur n’est pas exceptionnel. Les da capo ornés sont aujourd’hui
redevenus la norme, musicologie aidant. Dieu soit loué.
5. Le triomphe de la
peste
vocale
Ce type d’opéra, qui est moins dépendant de la compréhension du texte
théâtral, obtient un succès fulgurant en Europe : la virtuosité de sa
musique (il faut y voir l’équivalent des Quatre Saisons de Vivaldi), la
déification des chanteurs-vedettes, le caractère stéréotypé et annexe
de l’intrigue permettent de traverser les frontières. Il s’adapte très
bien ensuite au style classique avec un orchestre qui inclut davantage
les vents, cherche davantage de couleurs, étend la virtuosité sur des
ambitus vocaux plus larges, cherche des lignes mélodiques plus
vigoureuses (voire athlétiques).
Il est joué partout, en général en italien : de Lisbonne à
Saint-Pétersbourg en passant par Londres, avec quelques adaptations
linguistiques locales (en suédois à Stockholm, et à Hambourg des objets
hybrides improbables en allemand pour les airs, en italien pour les
récitatifs et en français pour les chœurs – voyez Orpheus de Telemann, par exemple).
Seule la France en reste au modèle déclamatoire de la tragédie en
musique, tout en en important les innovations harmoniques et
progressivement le goût de la virtuosité (très audible chez Rameau, par
exemple). Mais l’accusation d’ultramontanisme est grave pour un
compositeur, et tout le monde se défend d’importer quelque influence
que ce soit. En tout état de cause, la dominante de l’opéra français
reste textuelle (ou, pour l’opéra-ballet, la danse et la couleur locale
soutiennent l’intérêt premier du public), et c’est la seule nation à
conserver un modèle distinct du seria
italien. Toutes les nations les plus fières ont servilement adopté le
nouveau format musical à la mode, et pour un siècle.
Et encore, un siècle, c’est en restant modeste : il existe des opéras
seria dès les années 1690, et le belcanto romantique n’est finalement
qu’une adaptation au style romantique des formules du belcanto baroque
et classique tel qu’il est pratiqué dans l’opéra seria (air répétitif
virtuose orné avec récitatifs intercalés, de moindre importance). Mais
la fin du XVIIIe siècle et surtout le début du XIXe siècle voient
apparaître des opéras dans les langues locales, et parfois avec une
réelle ambition, Weber et Schubert en Allemagne, Dupuy au Danemark,
Arriaga en Espagne…
6. Catégories vocales
Cette époque est aussi celle des rôles travestis (des rôles masculins
héroïques joués par des femmes, en l’occurrence) et des castrats. Je
consacrerai peut-être un épisode aux castrats – ces pauvres diables
auquels ont dérobait, dans leur jeune âge, les outils indispensables de
leur succession. Ils disposaient ainsi d’un larynx d’enfant posé sur
des poumons et des résonateurs d’homme, ce qui devait être
particulièrement insolite et surprenant. Femme ou castrat, cela
témoigne en tout cas d’une fascination pour les voix aiguës. Le goût
des XXe et XXIe siècles en Occident représente l’homme viril avec une
voix grave (voire rauque et peu sonore, façon Humphrey Bogart, James
Earl Jones, Andrew Lincoln) – je peux témoigner, puisque je dispose
d’une voix plutôt aiguë, qu’on est obligé d’utiliser beaucoup de
stratégies extra-timbrales pour asseoir sa présence en public (le
contenu de ce que l’on dit, les variations de ton, l’humour… alors que
l’autorité naturelle d’une voix grave est immédiate). On le voit au
demeurant à l’opéra, avec le nombre croissant de rôles principaux
confiés à des barytons – le baryton, c’est le symbole l’homme
véritable, dans toute sa complexité.
Au XVIIIe siècle, c’est tout le contraire : les héros ont souvent une
ascendance surnaturelle, divine, et réalisent des exploits qui ne sont
accessibles qu’à une âme hors du commun et à une généalogie du plus
haut prestige. On les représente donc par des voix aiguës et agiles,
qui planent au-dessus des aptitudes des simples humains. Le ténor
devient progressivement utilisé dans la période classique (dernier
quart du XVIIIe siècle), mais plutôt pour représenter les rois et les
pères, pas toujours sympathiques (prenez Idoménée et Mithridate, chez
Mozart) – en tout cas beaucoup plus humains et bien moins exemplaires
que leurs équivalents chantés par des sopranos ou des altos, qu’ils
soient masculins ou féminins. Les basses, elles, sont vraiment
réservées aux personnages secondaires majestueux, les pères, les rois,
les magiciens…
C’est ainsi que dans un opéra seria
habituel de la période baroque, on ne croise quasiment que des voix de
femmes (avec une basse en personnage secondaire pour varier un peu) ou
de castrats.
7. Les limites du seria
Vous aurez peut-être remarqué, au gré de subtiles allusions à peine
perceptibles, que je ne suis pas complètement enthousiaste devant la
domination de ce genre en Europe. C’est mon goût personnel, il est vrai
que le seria est probablement pour moi la période la moins
enthousiasmante de l’histoire de l’opéra.
Mais cela mérite peut-être une explicitation. Pour moi qui apprécie en
particulier le rapport au texte et à la dramaturgie, je me retrouve
face à des airs dont le texte est répété à l’infini, peu intelligible
sous les coloratures (toutes les figures agiles de la voix sur une
voyelle unique o-o-o-o-o o-o-o-o-o), et pas traité de façon
particulièrement expressive – en tout cas pas vis-à-vis de la prosodie.
Les livrets y sont complètement stéréotypés, parfois même
interchangeables – et interchangés par les compositeurs.
C’est possiblement la période où l’on a le plus produit d’opéra, mais
aussi celle où l’on rencontrera le moins de diversité et de surprises,
tant le modèle y est normé, et pas très riche ni contrasté en tant que
tel.
Pour autant, musicalement, le genre recèle des pépites (qu’il faut
vraiment écouter comme des concertos pour instruments vocaux !), et les
atmosphères de certains airs sont absolument ineffables. Par ailleurs,
si l’on rencontre des chanteurs qui nous émeuvent, les entendre dans le
seria, c’est la certitude d’entendre toute leur voix complètement mise
en valeur – rien à voir avec les airs de Verdi qui mettent en valeur un
caractère du personnage ou un trait d’écriture du compositeur, ici tout
est d’abord pensé pour magnifier la voix et lui donner le temps d’être
goûtée par le public.
Et son importance est absolument centrale dans l’histoire de l’opéra.
C’est pourquoi il n’était pas inutile de s’y arrêter un moment dans ce
parcours autour de l’opéra italien.
Ce billet, écrit à par DavidLeMarrec dans la catégorie Pédagogique a suscité :
Je
profite du concert tout frais autour de l'œuvre pour rappeler quelques
éléments et… poser quelques questions.
(Pour
ceux qui n'y étaient pas, autre version
vidéo de l'œuvre, calée sur l'un de ses moments paroxystiques.)
--
#ConcertSurSol
n°11 Gluck,
Iphigénie en Aulide, Chauvin
Judith van Wanroij | Iphigénie Stéphanie D’Oustrac | Clytemnestre Cyrille Dubois | Achille Tassis Christoyannis | Agamemnon Jean-Sébastien Bou | Calchas David Witczak | Patrocle / Arcas / Un Grec Anne-Sophie Petit | La première Grecque Jehanne Amzal | La deuxième Grecque Marine Lafdal-Franc | La troisième Grecque
–
Les Chantres du Centre de musique baroque de Versailles (direction artistique Fabien Armengaud)
Le Concert de la Loge
Julien Chauvin | direction
Lors de la représentation du premier opéra français de Gluck, en 1773, les témoins rapportent que tout le théâtre était en pleurs. Ce n’est plus tout à fait la façon dont nous percevons désormais cette situation dramatique et cette musique, mais elle éclaire le projet d’émotion directe soutenu par Gluck, en débarrassant le théâtre des ornements rocaille de la génération postramiste.
--
Iphigénie, le prequel
Contrairement
à Iphigénie en Tauride,
jouée régulièrement partout, Iphigénie en Aulide
est très rarement donnée (l’a-t-elle été en France depuis Gardiner à
Lyon, au début des années 90 ?), et conserve encore quelques empreintes
du temps d’avant – comme l’air orné d’Achille, évoquant les ténors
virtuoses ramistes.
L’œuvre
contient pourtant quelques-unes des très belles pages de Gluck : le
début formidable par l’invocation-plainte d’Agamemnon, le trio
désespéré Iphigénie-Clytemnestre-Achille en apprenant la nouvelle, le
duo de fureur paroxystique qui oppose Achille à Agamemnon, l’air de
fureur de Clytemnestre, ou encore la très belle prière chorale du
sacrifice, interrompue en pleine phrase par les éclats de la bataille
menée contre les autels par le péléide ! Tout cela dans la langue
épurée, où toute la musique s’efface pour magnifier la
déclamation.
Je
suis beaucoup moins touché par l’autre moitié de l’œuvre (les scènes
plaintives de l’obéissance noblement geignarde), mais il faut bien voir
que pour le public du temps, c’était là une source d’exaltation
émotionnelle d’intensité peut-être encore supérieure à celle des grands
éclats. [Tout cela ne fait que renforcer ma conviction qu’il serait
vraiment pertinent d’écrire des opéras calibrés pour les goûts
d’aujourd’hui, avec des intrigues plus resserrées et des affects plus
proches de nos perceptions du monde.]
--
Iphigénie, la boloss
Le livret se situe donc dans la partie du mythe qui précède le départ à
Troie et le sacrifice d’Iphigénie, calqué sur la trame de la tragédie
homonyme d’Euripide (puis Racine – celle de Goethe est écrite seulement
à la fin des années 1770). Il est centré autour d’une héroïne
paradoxale, Iphigénie : aspirations toujours nobles et pures, caractère
inébranlable, mais figure absolument immobile, qui n’ose rien pour
elle-même et refuse obstinément de changer ou d’agir. C’est une figure
résignée, mais admirable dans l’idéal d’alors, parce que pieuse,
raisonnable, sensible avant tout à son devoir – et son honneur (là
aussi, une valeur qui résonne de façon peut-être plus menaçante
qu’enviable pour le spectateur européen de 2022, avec une perception
beaucoup plus variable d’un spectateur l’autre qu’elle ne l’était en
1773).
On retrouve le même type d’idéal, mais plus actif (car confié à des
hommes, des rois, des guerriers) dans Iphigénie en Tauride, lorsqu’Oreste et Pylade se disputent l’honneur de mourir pour sauver
son ami.
Quoique
le livret du Roullet ne soit pas un chef-d’œuvre d’écriture poétique
(« Fut-il jamais conçu / De projet plus affreux ? », et
autres « oui » qui servent de cheville…), il n’est pas sans
mérite. Il réutilise par exemple la technique grecque de certains stasima
(chœurs de tragédie grecque, je pense en particulier à l’un de ceux d’Œdipe à Colone)
en faisant décrire le sacrifice hors scène, mais au futur, par
Clytmnestre. Procédé dramatique saisissant d’une part – le sacrifice
n’aura pas lieu, mais on en a tout de même la saveur émotionnelle –, et
qui ancre l’économie générale du côté des modèles antiques, de façon
assez évocatrice.
Par
ailleurs, je suis assez admiratif de son jeu récurrent avec l’ironie
tragique. Cela commence avec le « juste courroux » dès la
première entrée de Clytemnestre – on sent bien le tempérament de feu,
les instincts maternels sauvages et, dans une perception plus XXIe, la
personnalité qui peut vite basculer du côté du déséquilibre et de
l’outrance.
Et
les références s’empilent : Iphigénie la quittant pour l’autel du
sacrifice lui demande le pardon de son père (« N’accusez point mon
père ») et lui recommande son frère Oreste (« Puisse-t-il
être, hélas ! / Moins funeste à sa mère ! »), dont tous les
spectateurs savent qu’il sera chassé, jusqu’à tenter de l’assassiner
chez Sophocle et Hofmannsthal… et qu’il reviendra en vengeur
implacable.
Peut-être
encore plus glaçant, car moins fondé sur la vraisemblance psychologique
de l’intrigue, et gratuitement glissé par l’auteur, Patrocle, dans les
réjouissances du mariage, chante « Hector et les Troyens, par la
honte pressés / En vain s’opposeront à sa valeur altière / Sous les
murs d’Illion atteints et renversés, / Hector et les Troyens vont
mordre la poussière. », forfanterie qui annonce en réalité la
propre défaite mortelle de Patrocle face à Hector. On frémit en
entendant la chanson, petite réplique qui n’aura pas de suite mais dont
la promesse terrible demeure à notre esprit – car nous savons ce qu’il
en sera, à l’épisode suivant.
Il
était tout à fait licite, dans les tragédies classiques et plus encore
les tragédies en musique, de ne conserver que les éléments essentiels
d’un mythe (Achille ne peut pas être couard, troyen ou vieux) et
d’ajouter des éléments externes, notamment des intérêts amoureux
féminins (pour pouvoir faire des duos d’amour), s’ils ne perturbent pas
trop l’équilibre du mythe.
Mais
je trouve tout de même que la résolution heureuse d’Iphigénie en Aulide
– assez habituelle, même si l’on trouve aussi, un peu plus tard (Andromaque
de Grétry, en 1780 !) des fins absolument sans espoir – pose quelques
problèmes de cohérence mythologique. Que fait-on de l’épisode en
Tauride si Iphigénie n’y est pas transportée ? Que penser de
l’amour d’Achille pour Briséis, absolument fondateur du mythe (c’est
même le point de départ de L’Iliade, ces quelques vers que même aujourd’hui on continue de connaître par
cœur chez toutes les générations… on ne fait pas plus source canonique
que ça !) ? Et comment pourrait-il se marier avec Polyxène s’il
l’est déjà à la maison ? Même le crime de Clytemnestre (qui,
certes, peut tout de même nourrir de la rancœur et un amant…) paraît
moins vraisemblable.
Ce
paraît un gros retournement du mythe, mais je suppose que le fait que
cela ne se produise que dans les derniers instants, après le Calchas ex machina,
rend le problème beaucoup moins fondamental que s’il innervait tout le
drame. En tout cas je n’ai jamais rencontré de mention de réserves du
public d’époque à ce sujet.
--
Iphigénie, la romantique
J’aurais
aussi pu titre « Gluck ou la gloire du trémolo », tant le
procédé (archet qui fait des allers-retours très rapides sur la même
note), rarissime auparavant, est devenu la norme chez Gluck, servant
(de façon toujours aussi saisissante 250 ans plus tard !) à tendre
instantanément l’atmosphère dramatique, que ce soit pour la révélation
murmurée d’un rêve prophétique ou pour soutenir des éclats
guerriers.
J’ai
été frappé par le côté très verdien du chœur de réjouissance tandis que
le soliste exprime son désespoir, vraiment un procédé typiquement
romantique qui oppose les affects sombres du héros à ceux sans ombre de
la foule. Bien sûr, procédé qui peut être considéré comme universel,
mais il est rare que ce soit à ce point décorrélé dans les années
1770.
Autre
préfiguration, les deux airs d’Iphigénie et d’Achille qui deviennent de
façon fluide un duo… typique de l’école française, où la segmentation
en numéros n’est pas du tout aussi rigide qu’en italien, et où l’on
peut glisser d’un récitatif accompagné par tout l’orchestre (c’est
désormais toujours le cas, chez Gluck, alors que même chez Rameau il
existait encore des moments uniquement accompagnés par la basse
continue, certes de moins en moins nombreux) à un air, d’un air à un
chœur ou à un ensemble, sans que la délimitation soit toujours nette ou
assurée par des accords conclusifs. Dans l’acte III d’Armide de LULLY,
passé le premier air… où est le récitatif ? où est l’air ? la scène
entière est vraiment conçue comme un ensemble organique.
C’est
ce que Meyerbeer poussera à son paroxysme, avec des enchaînement très
sophistiqués entre « numéros » qui restent vaguement
identifiables, mais dont les frontières exactes sont complètement
brouillées pour ne pas freiner l’avancée dramatique.
–
Je
dois partir visiter une collection princière et répéter de l’opéra
provençal et russe, je reviendrai parler de l’interprétation (et la
couvrir d’éloges) mais aussi, c’est un peu pour ça que je suis là,
essayer de poser des questions sur ce qu’impliquent le diapason, les
choix de tessitures et les techniques vocales actuelles sur
l’interprétation de cette musique – et sur notre vision du monde ?
–
–
Le Concert de la Loge Olympique
Très
impressionné par l’orchestre : résonance formidable des cordes, au son
assez sombre pour un orchestre sur instruments anciens. Quand on les
voit jouer, on comprend la tension imprimée – comme les violoncellistes
et contrebassistes entrent dans la corde,
avec quel entrain et quels sourires ils s’abandonnent à cette musique !
Sont
ainsi magnifiés les beaux moments d’orchestration comme les superbes
alliages flûte-hautbois par-dessus les cordes (réussis de façon
particulièrement diaphane et surnaturelle), ou le plus classique cordes
graves-basson… quelques moment aussi où c’est l’interprétation qui crée
l’événement d’orchestration, comme pendant les très grands coups
d’archet donnés pendant l’évocation des Euménides.
Julien Chauvin, que j’avais plutôt vu jouer-diriger jusqu’ici, dirige sur le temps mais
avec des gestes d’anticipation très clairs, et ses interventions
révèlent une finesse de pensée sur chaque phrasé, une compréhension
intime des dynamiques de cette musique.
J’ai
beaucoup entendu à la sortie du concert et lu sur la Toile que c’était
« joué trop vite », en réalité on dispose de minutages pour
certaines œuvres de la même esthétique à l’Académie Royale de Musique
(Tarare, par Salieri, successeur officiel de Gluck à Paris, qu’un
subterfuge avait même réussi à faire passer pour Gluck lui-même !). Et
ils sont très rapides – l’enregistrement de Rousset se situe à peine au
delà du minutage historique.
En
tout état de cause c’était d’une urgence, d’une précision et d’une
qualité de finition assez superlatives.
–
Le plateau
Que
des grands chanteurs, mais pas tous au même degré d’accomplissement : Jean-Sébastien Bou (Calchas),
comme d’habitude, champion du raptus,
à la fois au sommet de la déclamation française et d’une forme
sauvagerie mordante dans ses interventions démiurgiques.
Je
me suis demandé au début si Cyrille Dubois
(Achille) était un bon choix – technique XIXe de voix pleine qui essaie
de s’alléger plutôt que technique intrinsèquement calibrée pour ce
répertoire – me faisant même sursauté avec un bruit d’obturation
glottique délibéré assez étonnant dans ce répertoire. Mais très vite,
je suis séduit par la façon dont chaque facette de cet archétype du guerrier sensible
est aboutie : tendre, agile, tempêtant, il réussit toutes les
expressions, et fend totalement l’armure en seconde partie de soirée,
où son trio et surtout le duo d’affrontement avec le Chef des Armées
lui fait croquer les récitatifs avec une fureur que je ne pourrais
comparer qu’à Siegmund Nimgern en Ruthven (Der Vampyr)
ou Gianni Raimondi en Carlo Moor (I
Masnadieri),
les deux exemples les plus totalement possédés que je connaisse en
matière de récitatif héroïque masculin.
Ce qu'il livre ce soir-là est une leçon absolue en matière d’émission
cinglante et d’expression à la fois ciselée et totalement emportée. Il
n’a jamais si bien chanté que ce soir ; aucun ténor n’a jamais si bien
chanté que ce soir.
Même
si Stéphanie d’Oustrac (Clytemnestre)a désormais totalement perdu ses attaques trompettantes (son squillo),
son charisme ravageur fait des merveilles dans un rôle qui intervient
peu mais dont l’interaction avec les intrigues à venir projette une
ombre plus vaste sur l’ensemble de l’œuvre… Elle offre un luxe
incroyable d’expression et d’incarnation (très bien chanté au demeurant
!) dans ce qui devient soudain un rôle principal.
Parmi
les trois excellentes Grecques, j’été ravi de retrouver les
prometteuses Marine Lafdal-Franc (la
meilleure déclamation française dans Ariane et Bacchus de
Marais en avril dernier !) et
Jehanne Amzal
(ronde de timbre et précise de verbe !).
J’en
viens à deux micro-réserves. Judith van Wanroij (Iphigénie)
a toujours pour elle cette jolie patine de timbre, cette connaissance
du style, et elle était vraiment en verve vendredi soir, essayant même
de jouer jusqu’au bout lorsqu’elle ne chantait pas. Je ne puis
m’empêcher de penser, cependant, qu’une voix aux contours plus définis
et une diction plus précise auraient pu porter Iphigénie hors de la
seule composante passive / plaintive pour porter haut le vers et faire
aussi d’elle une héroïne qui fait le choix délibéré de son destin,
fût-ce en obéissant.
Petite
frustration aussi avec Tassis Christoyannis,
qui peut être un diseur exceptionnel (témoin son Idoménée de Campra il
y a un an !), mais semblait assez terne et introverti hier – le rôle
est trop grave pour lui et il connaissait sa partition, mais le
résultat était tant sur la réserve qu’il évoquait un déchiffrage avancé
et prudent (même la couverture
vocale
était plus opaque que d’ordinaire), alors que sa partie contient
peut-être les plus belles pages de la partition ! Je ne sais
pourquoi, mais c’était décevant, lorsqu’on sait de quel bois il est
fait.
–
À
qui confier le chant du XVIIIe siècle ? — Chanteurs récurrents
Comme
souvent, je me demande si je ne vais pas d’abord au concert pour
pouvoir mieux me poser des questions… J’en ai deux en tout cas.
D’abord,
la distribution : le CMBV et Bru Zane programment toujours les mêmes chanteurs.
L’avantage est d’abord, je le devine, logistique : en disposant
d’artistes qui se connaissent entre eux, et qui connaissent le style,
on gagne un temps considérable en répétition, ce qui permet de limiter
les coûts ou, à coût égal, d’optimiser le temps de répétition pour
effectuer davantage de travail de détail. Lorsqu’on est simplement
mélomane, on néglige parfois cet aspect : une production, ce sont aussi
des conditions matérielles, et ce qui peut nous paraître une négligence
peut simplement résultat du fait que le temps de répétition dévolu à
des œuvres aussi longues est finalement assez réduit si l’on veut
entrer finement dans le détail ! (Ne pas oublier aussi que leur
rareté fait que personne, à part éventuellement le chef, n’a un long
compagnonnage qui permette de griller les étapes de l’apprentissage et
de donner une conception mûrie depuis des années…).
L’autre
bienfait que cela permet d’entendre des voix soigneusement choisies,
souvent dotées de belles qualités (de timbre, d’expression, parfois de
diction), et de les retrouver avec plaisir – je ne connais pas
grand’monde qui se plaigne d’entendre souvent Gens, d’Oustrac, Auvity,
Dubois, Vidal, Mauillon, Christoyannis, Bou, Lécroart ou Courjal…
Je
m’interroge cependant : si en tant que mélomane nous avons un désaccord
esthétique avec ces choix, nous risquons de devoir vivre avec tout un
pan du répertoire difficilement écoutable, pour des décennies avant que
ce ne soit réenregistré.
Pour
ma part, Watson, Kalinine, Mechelen, Dolié, Witczak, même si leurs
qualités d’artiste déjouent régulièrement mes craintes, n’incarnent
vraiment pas mes idéaux pour ce répertoire – ni ne me paraissent
cohérents avec ce que l’on peut supposer du chant XVIIIe, avec leur couverture
au minimum XIXe. Je les cite à titre d’exemple, ce qui ne remet
nullement en cause leur dévouement admirable envers ce répertoire, ni
même leurs qualités d’artistes – je m’interroge plus largement sur
l’adéquation de leur technique à ce répertoire, sur ce qu’ils peuvent
apporter ou retirer aux œuvres et à cette esthétique, par sur leur
bonne foi ni sur leur valeur intrinsèque de musicien (qui me paraît
absolument indéniable).
On
pourra m’objecter, et non sans raison, que si l’on changeait
d’interprètes à chaque fois le résultat serait aléatoire et permettrait
moins d’anticiper les adéquations et les réussites, surtout si les
chanteurs ne sont pas spécialistes. C’est vrai. Mais cela varierait
peut-être un peu les timbres et les incarnations.
Je
n’ai pas de réponse à cette question, c’est simplement un parti pris
sur lequel je m’interroge : je ne sais pas si (indépendamment des
questions pratiques) il est le meilleur artistiquement – considérant
que globalement les chanteurs récurrents de ces productions sont
vraiment excellents !
–
À qui confier le chant du XVIIIe siècle ? — Tessitures sans titulaires
Sur
la seconde question, plus technique, j’ai davantage une opinion formée
: pourquoi distribuer les rôles de Calchas et d’Agamemnon,
qui disposent d’aigus mais dont le centre de gravité est vraiment bas, à
d’authentiques barytons
? Bou et Christoyannis étaient vraiment embarrassés, par moment,
à râcler le plus élégamment possible le bas de la tessiture, ce qui
rendait leur projection et leur expression plus difficiles.
Idéalement,
il aurait fallu des basses chantantes, pas nécessairement de l’ampleur
de Teitgen (qui est de toute façon passé à autre chose) ou Courjal,
mais plutôt de la typologie de Thibault de Damas ou d’Edwin
Crossley-Mercer (que je n’aime pas beaucoup dans ce répertoire, mais ce
n’est pas ici mon sujet), pour citer des noms qui ont déjà contribué à
ces productions.
En
réalité je vois très bien pourquoi on les a choisis : on ne dispose
pas, dans le circuit baroque français, de basses d’un charisme
équivalent à Bou et Christoyannis. Elles existent bien sûr (sur le
nombre de chanteurs professionnels, on ne trouverait pas deux pauvres
basses pour tenir les quelques rares rôles d’ampleur de ce répertoire
?), mais elles ne sont pas en lumière – et celles formées au CMBV ont
en général un timbre étroit et un petit volume qui ne les destine pas à
de grands solos dramatiques d’opéra à projeter dans des salles de la
taille des théâtres des XIXe / XXe siècles.
Mais
le résultat n’est pas tout à fait idéal ici. (Et ce, même si je donne
tout pour entendre Jean-Sébastien Bou dans n’importe quel rôle où il
n’a rien à faire, parce qu’il y sera quand même le meilleur en dépit de
toutes les limitations vocales…)
J’ose
alors la question que personne n’a eu le front de poser : si l’on n’a
pas trouvé les barytons-basses éloquents pour chanter ces rôles (ou
qu’ils sont trop chers et pris par d’autres répertoires), pourquoi ne
pas jouer, au minimum, à un diapason plus favorable (440, voire un peu
plus… à part Achille, ça ne rendrait vraiment pas les autres rôles très
tendus) ?
Et
là, on a le vertige : le chef et les musicologues du projet refuseront
probablement cette compromission vis-à-vis de la promesse initiale de
retour à l’authentique ; les instruments ne peuvent pas tous tenir ce
changement-là (tension du chevillier pour les cordes, bois qui sont des
copies d’originaux à diapason fixe, qu’on ne bâtit pas pour des
diapasons à 440 Hz…). Voilà beaucoup d’obstacles.
Donc
le choix d’engager des chanteurs un peu à l’extérieur de la tessiture
mais terriblement charismatiques se tient en réalité.
Mais
l’on s’écarte finalement de l’authenticité du profil vocal de ces
rôles, ce qui pose aussi des questions sur l’ampleur des compromis
nécessaires pour qu’un tel projet puisse aussi toucher un public et
aboutir sur une représentation appréciée et un enregistrement
commercialisable…
–
À qui confier le chant du XVIIIe siècle ? — À des beuglards
dix-neuvièmistes
Je
reste toujours perplexe devant les techniques vocales des chanteurs qui
interprètent le répertoire baroque – où les différents ensembles,
quelle que soit la nation et la période concernée, prétendent tout de
même revenir aux sources. Ils vont dégoter ou reconstruire des
instruments originaux injouables, dont ils finissent par obtenir un
résultat immaculé (tel qu’on n’en a probablement jamais eu à l’origine
!)… mais ils travaillaent avec des chanteurs verdiens !
Car
la quasi-totalité des chanteurs du circuit (même ceux que j’adore) ont
pour base une technique conçue pour chanter le répertoire du XIXe
siècle : couverture vocale massive (qui unifie et protège le timbre
lors de la montée dans les aigus), harmoniques très denses des formants
(les réseaux d’harmoniques qui permettent de passer l’orchestre en
surinvestissant des zones de fréquence que reçoit particulièrement bien
l’oreille humaine)… ce sont des postures vocales tendues vers
l’émission de médiums très robustes et d’aigus sonores, plutôt qu’à
mettre en valeur le détail des inflexions d’un texte, car s’éloignant
beaucoup de la clarté de l’émission parlée.
Pourtant,
on n’a pas besoin de voix aussi charpentées pour ce répertoire, aux
orchestres peu épais (a fortiori
accompagné avec des instruments naturels, qui créent une
« barrière » sonore beaucoup moins serrée).
La
raison ? Tout simplement, les chanteurs lyriques commencent tous
par apprendre la technique XIXe (à la sauce XXIe, qui n’est en plus pas
forcément la meilleure en matière de clarté et de naturel…), même ceux
qui se spécialisent très vite dans le baroque.
On
n’a pas nécessairement de vue très claire de ce qu’était le chant des
XVIIe-XVIIIe siècles – je veux dire, on a beaucoup de descriptions,
mais l’écart entre une description verbale et le résultat sonore de ce
qu’est un placement vocal est à peu près irréductible (imaginez devoir
reproduire l’accent anglais rien qu’en lisant des descriptions dans des
livres…) –, mais on sait qu’on utilisait le registre léger pour les
aigus, que la déclamation prévalait en France (et que toutes les
préoccupations concouraient à l’intelligibilité du chant), et qu’on
n’avait pas du tout besoin de voix très unifiées et sonores.
Je
suis donc étonné qu’on n’ose pas des expérimentations de ce côté-là… le
belting
de Marco Beasley n’est pas plus authentique, mais en cherchant du côté
de toutes les techniques d’émission, classiques ou non, connues
aujourd’hui, on pourrait sans doute essayer des choses intéressantes.
Mais c’est un dépaysement encore plus radical que l’introduction des
instruments d’époque, dans la mesure où il faudrait travailler avec des
musiciens de culture différente… à l’échelle d’une production à boucler
avec un nombre de répétitions limitées, on mesure bien l’inconfort,
voire l’impossibilité.
Mais
sur le temps long, qu’il y ait une classe spécialisée (comme le fut la
classe de Rachel Yakar aux débuts des Arts Florissants, qui produisait
pour le coup des voix très typées et adaptées au besoin de ce
répertoire) qui essaie de promouvoir des émissions plus spécifiques et
compatibles avec les enjeux de la tragédie en musique, ce serait
vraiment bienvenu…
(Je
n’espère plus, à la vérité, en constatant une évolution assez inverse
des écoles de chant, toujours plus opaques dans tous les répertoires.)
–
Comme
vous le voyez, cette représentation de haut niveau et absolument
passionnante a un peu emballé mon imagination sur plusieurs étages – où
il n’y a pas toujours la lumière, certes.
Comme l'année a beaucoup avancé et que la série ukrainienne ainsi que
l'augmentation de ma pratique de déchiffrage commenté ont occupé une
grande part du temps prévu pour l'écriture de cette série sur les
compositeurs de la saison, je reprends le fil en réduisant au maximum
le détail : ce seront désormais moins des présentations que des
évocations, pour que vous ayez une idée de ce qu'on aurait tout à fait
pu programmer ou enregistrer cette année au lieu de Mozart, Schubert et
Beethoven.
Né en 1872
(150 ans de la naissance)
Siegmund von Hausegger(1872-1948).
→ Grand chef d'orchestre (directeur musical du Philharmonique de Munich
pendant dix ans à partir de 1924, prof de Jochum, etc.), auteur
d'opéras qu'on n'a jamais remontés, il connaît un regain d'intérêt avec
les quelques albums marquants que lui a consacrés CPO autour de ses
lieder orchestraux et de ses poèmes symphoniques, d'un postromantisme
particulirement élancé et inspiré.
● La Natursymphonie
et le disque contenant la Dionysische
Fantasie (♫ extrait) sont à connaître en priorité, mais les
quatre monographies qui lui sont consacrées (toutes chez CPO), plus Wieland der Schmidt par l'American
Symphony sont très réussis.
■ Même pas besoin de faire un effort : un contemporain de Mahler qui
écrit une Symphonie Naturelle et des poèmes symphoniques dionysiaques,
dans une langue sonore qui évoque largement notre culture filmique, ça
s'imposerait assez facilement passé le premier concert nécessairement
un peu vide.
Fernand Halphen(1872-1917).
→ Particulièrement mal connu malgré ses œuvres chambristes de grande
qualité, sorte de Fauré – son maître – plus évident (mais pas moins
raffiné), Halphen pourrait de surcroît être un objet de mémoire : d'une
famille illustre, juif et fils de banquier, veuillez adresser
vos plaintes au Bureau des Clichés, Prix de Rome, mort sur le
champ de bataille en 1917, il ferait un sujet d'étude pertinent sous
beaucoup d'angles, et pourrait être programmé au fil de nobreuses
thématiques.
● Le disque de mélodies gravé par François Le Roux et Jeff Cohen,
somptueux, est devenu très difficile à trouver en physique, mais je
vois qu'il est désormais republié en flux. (♫ extrait)
On trouve aussi une symphonie en ut mineur, au disque, par… l'Orchestre
du Campus d'Orsay !
■ Un destin aussi singulier pourrait aisément être mis en valeur, sans
avancer de grands frais, à travers des récitals de mélodies… Que ce
soit en tant que récital monographique, en tant que concert
thématique au format mixte (avec récitant, projections…), ou en
forme d'hommage aux musiciens de la grande
guerre.
Typiquement le genre de choses qu'on pourrait programmer dans les
amphis de la Cité de la Musique, de Bastille, à Cortot, etc.
Paul Juon(1872-1940).
→ Compositeur helvético-russe, élève de Taneïev et Arenski, qui écrit
lui
aussi de la belle musique de chambre, plus sobre et moins typiquement
russe que ses modèles, pas aussi généreuse mélodiquement, mais écrite
au
cordeau.
● On trouve de beaux enregistrements du Trio piano-cordes, du Quatuor
piano-cordes (anthologie de l'Ames Quartet chez Dorian Sono Luminus),
du Sextuor piano-cordes (chez CPO évidemment). (♫ extrait)
■ On pourrait faire de beaux programmes thématiques en mêlant trois
trios russes, par exemple la filiation prof-élève
Tchaïkovski-Taneïev-Juon… Mais vu que les programmes sont faits en
suivant ce que les vedettes apportent, ce n'est pas gagné.
Henri Büsser(1872-1973).
(parfois graphié « Busser »)
→ Autre Prix de Rome, chef réputé (il nous reste un impressionnant Faust avec Vezzani et Journet !),
nous le connaissons surtout pour ses orchestrations du Chant du Départ
de Méhul, de la Petite suite de
Debussy (sa version la plus couramment jouée) et récrit l'orchestration
de Printemps,
perdue, sous la supervision de Debussy. Il écrit par ailleurs de belles
mélodies, mais l'on a aussi des opéras jamais enregistrés, comme une Vénus d'Ille
qui rend très curieux. Comme il n'est toujours pas libre de droits, et
pour longtemps (mort en 1973 !), cela ne facilite pas la diffusion de
ses œuvres, évidemment.
● Quasiment rien pour lui-même au disque. Des bouts de choses dans des
récitals de chanteurs du passé (Martial Singher par exemple) et
quelques pièces brèves manifestement conçues pour les concours, guère
davantage. (♫ extrait)
■ Je voudrais évidemment que le simple fait de son lien avec Debussy et
sa présence importante dans le paysage musical de son temps le fasse
rejouer, mais il serait sans doute plus raisonnable d'espérer que la
célébrité de La Vénus d'Ille,
lecture fréquente au collège, ne finisse par motiver un programmateur
qui l'a relu récemment avec son ado…
Lorenzi Perosi(1872-1956).
→ Auteur d'oratorios à l'esthétique singulière – quelque part entre Parsifal,
la simplicité italienne et l'épure du cécilianisme… – sur de nombreux
sujets, en particulier du Nouveau Testament. Membre de la Giovane Scuola comme
les véristes, il était du côté du mouvement cécilien et n'a pas composé
d'opéra… Perosi tient à la fois la place de représentant principal du
mouvement anti-théâtralité religieuse… et à avoir écrit beaucoup
d'oratorios (dans une esthétique plus contemplative que dramatique en
effet). Quoique d'abord compositeur, notamment auprès de Pie X, il
finit par être ordonné prêtre (tout en continuant de composer). Son
legs ne se limite pour autant pas à la musique sacrée : le catalogue
contient aussi de beaux quatuors à cordes, dans la même esthétique
apaisée mais raffinée.
● Beaucoup de choix chez Bongiovanni – pas toujours bien capté – pour
les oratorios (♫ extrait) et la musique de chambre (♫ extrait).
Côté musique de chambre, le
Trio à cordes n°2 gravé avec le Roma Tre Orchestra Ensemble est
particulièrement persuasif, dans des conditions techniques d'exécution
et de captation très supérieures à celles des méritoires volumes
Bongiovanni.
■ Ce n'est pas le plus évident à programmer, surtout pas en concert…
mais on pourrait imaginer que des églises programment certains
oratorios dans la période liturgique idoine, ou que des ensembles
amateurs (ce n'a pas l'air très difficile, peu de figures rapides, de
fugues, etc.) s'en emparent. (Cependant il faut ensuite remplir la
salle à la seule force d'un nom méconnu…)
Déodat de Séverac(1872-1921).
→ Grand représentant du mouvement régional musical, il est l'auteur
d'une thèse (critique) sur la centralisation musicale, et déplorait une
forme d'uniformisation des références musicales en raison de la
concentration des compositeurs à Paris, soit cherchant les commandes
officielles, soit fréquentant les mêmes salons (d'indystes et
debussystes).
→→ Son écriture se distingue bel et
bien par son caractère savant issu de l'école d'indyste (études à la
Schola Cantorum) mêlée à une recherche de simplicité et une référence
permanente au terroir (très attaché au Lauragais et au Roussillon).
● Au disque, on trouve son piano et quelques mélodies (♫ extrait),
qui constituent de toute façon l'essentiel de son legs, mais aussi une
belle version (chez Timpani) du Cœur
du Moulin, sorte de conte pastoral dont l'intrigue très fluette
est prétexte à faire entendre une évocation de la nature – animaux et
forces naturelle. Une très jolie chose, sans prétention de grandeur. (♫
extrait)
■ Ses œuvres auraient sans doute avant tout leur place dans les lieux
qu'elle célèbre – parfait pour de petites églises avec un format
voix-piano à écouter un soir d'été… Mais on est bien sûr très curieux
de sa tragédie Héliogabale…
créée à Béziers !
Ralph Vaughan Williams (1872-1958).
(son patronyme est bien Vaughan Williams, toute sa famille avait les
deux noms)
→ Statut étrange, à la fois un grand classique incontournable, très
abondamment servi au disque, et un compositeur relativement méconnu,
fragmentairement donné en concert, même au Royaume-Uni. Il a pourtant
servi tous les genres avec abondance. Parfois dénoncé pour son sirop
figuratif, parfois admiré pour ses trouvailles purement musicales,
c'est bel et bien un Anglais…
● Dans l'immensité des disques, difficile de recommander quelque chose
en particulier. Si les opéras s'engluent dans une temporalité lente,
des livrets bavards et un manque de sens du rebond dramatique, beaucoup
de beautés dans les petits formats, mélodies (certaines pour voix &
violon, très réussies !), musique de chambre…
●● Pour les symphonies, j'ai un faible
pour l'épique Première (une gigantesque cantate sur du Whitman) et les
tendres 3 & 5, plutôt que les symphonies « de guerre » 4 & 6,
plus tourmentées mais moins inventives en climats et textures.
Elder-Hallé, très bien pensé dans un son superbe, est sans doute
l'intégrale la plus consensuelle possible, mais Hickox me paraît le
sommet côté phrasés, malgré la prise de son plus floue de Chandos.
Boult-New Philharmonia (sa version EMI) est
remarquable aussi. J'aime moins les autres grands classiques
disponibles dans la vaste discographie (Boult-LPO-Decca, Haitink,
Previn, Thomson, Bakels…). (♫ extrait)
■ Clairement, niveau concerts, en France ce fut le calme plat. Même pas
par le biais de la musique de scène ou de film, même pas un de ses
poèmes symphoniques sirupeux ou sa symphonie à programme « Londres »…
nadanichts.
Alexandre Scriabine (1872-1915)
→ Nul besoin de le présenter, celui-là, le pionnier, l'antifolkloriste,
l'amoureux des quartes… mais son anniversaire aurait pu être l'occasion
de programmer des portions entières et cohérentes de ses Préludes ou
Études, un cycle de ses poèmes-symphonies, ou une intégrale de ses
Sonates…
● Au disque, on a tout. Si vous n'avez pas encore essayé L'Acte Préalable, la très belle
version Ashkenazy, captée avec clarté sur tous les plans et timbres,
permet de profiter de ce projet dément qui ressemble, aussi bien dans
l'ambition initiale que dans le résultat pléthorique et dégramenté, à
un précurseur de Licht de
Stockhausen. (♫ extrait)
■ Le concerto pour piano, d'un Chopin « augmenté », est revenu en grâce
ces dernières années – œuvre magnifique, mais un peu complexe pour les
amateurs de piano purement mélodique, et trop sentimental et accessible
pour les mélomanes en recherche d'œuvres audacieuses (c'est un peu
injuste, dans la mesure où l'œuvre est à la fois très généreusement
lyrique et particulièrement sophistiquée…). (♫ version)
■■ Autrement, l'on n'a pas vu grand'chose pour l'instant. Les salles
auraient vraiment pu oser des cycles de ses œuvres, pas si nombreuses,
et qui mettent vraiment en valeur les pianistes. En regard, pourquoi
pas, avec Roslavets (ou même Rachmaninov et Medtner). Les
poèmes-symphonies sont joués d'ordinaire mais rien n'a été présenté
comme un cycle complet ni cohérent.
Je ne peux pas parler de tous, mais 1872 est aussi l'année de naissance
de :
Julius Fučik (le compositeur de marches !),
Eyvind Alnæs,
Sergey Vasilenko,
Joan Lamote de Grignon,
William Poststock,
Albert Seitz,
Bernhard Sekles,
Salvator Léonardi,
Emil Votoček,
Ezra Jenkinson,
Rubin Goldmark,
Frederic Austin,
Stanislav Binički,
Clara Mathilda Faisst,
Annette Thoma,
Louis Tunison,
Mabel Madison Watson,
Eliza Woods…
Mort en 1922
(100 ans du décès)
J'ai étrangement peu de monde à présenter en 1922.
William Baines (1899-1922).
→ Pianiste professionnel, auteur d'un assez vaste catalogue malgré sa
courte vie (tuberculose), incluant une symphonie en ut mineur, des
poèmes symphoniques de la musique de chambre et beaucoup de piao solo,
il entrelace volontiers sa musique avec des sous-titres évocateurs, un
peu à la façon des Clairs de lune
d'Abel Decaux. Comme lui, il explore des chemins de traverse harmonique
qui peuvent surprendre par leur sinuosité – beaucoup de parenté, pour
un Anglais, avec les futuristes (peut-être l'influence de Scriabine,
lis-je, mais sa musique est vraiment moins forme pure, davantage
évocation).
● Très peu de choix. Mais sa symphonie existe, et quelques-unes de ses
pièces pour piano marquantes (les ♫ 7
Préludes !) ont été couplées avec celles du grand Moeran sur un
album Lyrita joué par Eric Parkin.
■ L'aspect « jeunesse maudite » pourrait créer un intérêt du public, en
couplant par exemple avec Guillaume Lekeu, Lili Boulanger et le fils de
Scriabine… Et puis le piano, ça ne coûte pas cher, n'importe qui peut
en mettre une pièce dans un récital Chopin. (Mais le rêve de la plupart
des pianistes semble être de rejouer les disques qu'ils ont écoutés et
les pièces qu'ils ont travaillées pendant leurs études, alors…)
Je connais bien trop mal les autres pour en parler, mais ils sont
nombreux :
Carl Michael Ziehrer,
František Ondriček,
Nikolai Sokolov,
Edwin Eugene Bagley,
Vittorio Monti,
Theodora Cormontan,
Florence Ashton Marshall,
Ika Peyron,
Alicia Van Buren,
Marian Arkwright,
Felipe Pedrell,
Luigi Denza,
Francis Chassaigne,
Antonio Scontrino,
Hans Sitt,
W. H. Jude,
Giacomo Orefice…
Nous resteront donc ceux nés ou morts en 1922 et 1972 ! Xenakis,
Amirov, Grové, Serocki, Popov, Wolpe, Erkin, H. Brian, Grofé,
Leibowitz, Bárta, Apostel, Levant, Puts… voilà encore quelques gens
importants à présenter rapidement !
À très vite pour de nouvelles aventures !
Ce billet, écrit à par DavidLeMarrec dans la catégorie Portraits a suscité :
Pourquoi l'on a besoin de
surtitres – feat. Birgit Nilsson.
(Cette notule contient beaucoup de liens qui explicitent les
allusions ou les notions que je ne peux pas toutes développer
sans alourdir le texte. N'hésitez pas à y faire un tour pour mieux
appréhender le propos, en particulier sur les aspects de technique
vocale.)
De retour d’une production extraordinaire d’Elektra de
Richard Strauss, je reste transi d'admiration devant le haut niveau,
superlatif, des interprètes – parvenant à demeurer audibles, dans un son très élégant,
par-dessus cet orchestre gigantesque, et dans tout le hangar à bateau
de Bastille. Cette chose n'a jamais été demandée, dans l'histoire de la
musique mondiale, à aucun interprète avant l'éclosion du drame
wagnérien – plus soucieux de littérature et de musique que de la beauté
du chant, ou même simplement de ses limites physiques – il y a cent
cinquante ans, et de la construction de gigantesques salles de concert
« démocratiques » dans les dernières années.
On ne peut que révérer l'accomplissement
physique, technique, artistique pour y parvenir d'une part, et le faire
suivre façon agréable à l'oreille (et tout en jouant la comédie !)
d'autre part.
Cependant, et cela ne vous surprendra pas, cela me donne avant envie de
discuter d'enjeux propres au théâtre lyrique.
[[]]
Début d'Elektra de
Richard Strauss,
Mitropoulos à Vienne en 1957.
Même avec les dictions de Borkh et surtout Della Casa, ce n'est pas si
évident…
et la situation ne s'est pas améliorée.
1. Le chant et
l'amplification
Alors que l'ensemble de la création mondiale a très rapidement pris le
tournant de l'amplification, une poignée de genres ont résisté.
Il est vrai que l'amplification
permise par l'électricité et l'électronique ne manque pas d'avantages :
elle permet d'être audible tout le temps dans tous les espaces.
∆ En plein air où la
voix, sauf murs de renvoi, se perd très vite au delà des premiers
mètres.
∆ Dans un milieu bruyant comme un café.
∆ Possibilité de faire de la chanson et plus
généralement de la musique dans les immenses Palais des Congrès
(opération beaucoup plus rentable pour les répertoires peu
subventionnés).
∆ Élargir le spectre de qui peut chanter en public,
même avec une petite voix.
∆ Rendre la méforme moins rédhibitoire pour les
professionnels.
∆ Permettre des inflexions vocales très fines, pour
un effet expressif maximum, qui n’est pas dilué par la distance.
∆ Ouvrir au maximum le champ des techniques vocales
possibles (souffle dans les cordes, larynx haut ou bas, résonance métallique ou non, etc.) tout en restant audible.
Alors que pour chanter efficacement en plein air / devant une grande
assemblée / dans une grande salle / avec un orchestre, la nature de la
technique utilisée est contrainte – et son efficacité nécessaire –, le
chant amplifié donne accès à une diversité
incroyable d’esthétiques.
Bien sûr, mon ressenti, pour moi qui ai été biberonné à la musique
acoustique depuis mes premiers émois musicaux, demeure toujours une
frustration de ne pas entendre le grain de la voix directement (ce
n’est clairement pas comparable, même avec le meilleur système de
restitution du monde), et même presque une déception de principe d’être
soumis à un truchement encore plus complexe et abstrait qu’une
mécanique de piano ou d’orgue.
Mais il reste incontestable que ces moyens nouveaux ouvrent
incroyablement le nombre d’esthétiques, de techniques, d’effets, de
lieux où l’on peut se produire.
2. Les contraintes du
chant lyrique
La grande caractéristique du chant lyrique est donc l’absence d’amplification.
Ce n’est pas la seule, et je m’en tiens ici aux techniques XIXe-XXe –
on a trop peu d’expérience directe sur les autres – et les attentes
n’étaient pas du tout comparables auparavant, en particulier au XVIIe
siècle. Dans le chant lyrique tel qu’on le pratique depuis 200 ans,
donc, on utilise un larynx bas, ce qui ne va pas m’intéresser dans le
cadre de cette notule, mais aussi la couverture vocale, qu’il nous
sera nécessaire de convoquer.
a) En refusant toute aide à la production sonore, le chant lyrique
suppose des techniques d’émission vocale particulièrement efficaces. Il
faut des résonances dans les
os de la face et les fosses nasales pour créer un réseau d’harmoniques
dense (ce qu’on appelle le formant du chanteur),
qui puisse être plus dense que celui d’un orchestre, pour demeurer
audible même quand beaucoup d’instruments jouent simultanément. Cela
suppose une forme d’alourdissement
du son, qui peut masquer une
partie de la pureté des voyelles d’origine, voire gommer les consonnes (dont la
richesse harmonique est moindre).
b) Parallèlement, pour ne pas se blesser en chantant des notes aiguës
émises à pleine voix, il est nécessaire d’accommoder un peu les voyelles
pour ne pas serrer la gorge (avec le [i] à la française, par exemple)
ou ne pas solliciter dangereusement les cordes vocales (avec le [a]
ouvert…). C’est ce que l’on appelle la couverture vocale,
qui a une histoire particulièrement riche depuis le XIXe siècle (et qui
a dû être pratiquée en amont, elle est assez instinctive chez certains
individus lorsqu’il faut s’exprimer fort en public), avec énormément de
déclinaisons et de débats sur lesquels je ne vais pas insister ici.
c) Par-dessus le marché, il faut rappeler que le chant lyrique, par
rapport à une très large part du répertoire amplifié (la chanson en
particulier), tend à explorer les franges
extrêmes de la voix, qui ont un impact spectaculaire, en
particulier dans l’aigu… mais qui s’éloignent des hauteurs habituelles de la voix
parlée.
d) Pour terminer cette liste (à laquelle on pourrait encore adjoindre
quelques entrées), depuis Wagner, les compositeurs ont de moins en
moins de pudeur à s’écarter de la
prosodie naturelle de la langue, avec des excès bien connus dans la musique du XXe siècle
(en particulier atonale, mais ce n’est pas intrinsèquement lié) : des intervalles
entre notes qui n’ont absolument plus rien à voir avec la prosodie de
la langue parlée, et qui rendent les mots et intonations expressives
absolument méconnaissables.
Tous ces processus vont concourir à un fait bien connu : les textes du chant lyrique sontplus difficiles à comprendre
que dans la plupart des musiques amplifiées. Avec un peu
d’entraînement, on y parvient, mais c’est rarement évident. Ce fait
cause, au demeurant, une part du rejet envers l’opéra chez la plupart
des honnêtes citoyens : soit on ne
comprend rien en première écoute (ce qui est inconcevable), soit
on reconnaît les mots et cette discordance
avec le français du quotidien apparaît si exorbitante qu’elle en
devient monstrueuse, insupportable – énormément de mélomanes, y compris
des mélomanes versés dans la musique classique, ressentent ceci. Le
dégoût s’apprivoise avec l’habitude, et en constatant que la musique
est réellement digne d’intérêt, on finit souvent par les convertir, y
compris au plaisir des émissions lyriques. Mais ce n’a rien d’une
évidence en tout cas.
(Je ne retrouve pas la notule où j'expliquais pourquoi il était
légitime de détester l'opéra – et comment éventuellement surmonter
cette juste répulsion –, mais il me semble bien l'avoir écrite…)
3. Surtitrage et état de
l’opéra
J’en viens donc à mon sujet. Je suis allé voir Elektra, je connaissais des
portions entières du livret par cœur, et pourtant je n’ai pas compris
un mot de ce qui a été chanté.
Et pendant ce temps, le surtitrage nous faisait l'exégèse de ce que
borborygmaient les grandes dames énervées sur le plateau.
Alors a germé cette question dans mon esprit : ne sommes-nous pas le
témoins d’un état de l’art quelque part profondément dysfonctionnel, si
nous allons voir du théâtre dont nous devons lire simultanément la transcription
pour en ressentir l’émotion ? La barrière de la langue est
présente, bien sûr, mais elle peut aussi être vectrice d’émotion si les
mots étrangers s’articulent audiblement au sens… Ce n’était pas le cas,
puisque aucun phonème n’était identifiable.
Est-ce que le surtitrage n’a pas, au fond, en fait de rendre plus
accessibles les opéras en langue étrangère, tout simplement entériné à
jamais le fait que le sens passait par le texte affiché, et plus guère
par les voix ?
En réalité, je sais moi-même que les torts sont plus partagés que cela,
et le surtitrage ne vient que poser la cerise sur le gâteau de
processus simultanés à l’œuvre depuis au moins 150 ans… Je vous propose
un petit tour du propriétaire ?
Mesdames et Messieurs, devant
vos yeux émerveillés, le fruit de quatre siècles d'évolution vocale.
4. Pourquoi ne
comprend-on plus rien à l’Opéra ?
Le surtitrage n'arrive en réalité qu'en fin de course de tout le
processus, comme pour ratifier le plus officiellement du monde un état
de fait pourtant problématique.
À l'origine, comme spécifié supra,
la nature même du chant lyrique, supposé surmonter les orchestres et
remplir des théâtres, a joué son rôle. Dès le début du XVIIIe siècle,
la nature du répertoire impose d'en rabattre sur la diction, qui ne
constitue plus qu'un aspect secondaire : contrairement à l'opéra du
XVIIe siècle, le seria n'est
pas simplement soutenu par une basse continue (plus grave que la voix
et donc aisée à surmonter pour une voix décemment formée, même peu
puissante), le chanteur y est accompagné par tout le petit orchestre, parfois en furie ; on
attend même, dans certains airs de bravoure, qu'il rivalise avec les instruments
! Quand c'est le violon, le hautbois ou les clavecins (« Vo' far
guerra »), passe encore, mais avec trompette, cor ou basson, il faut un
minimum d'éclat pour ne pas être ridicule.
Par ailleurs, l'esprit même de l'écriture seria implique une primauté à la voix pure,
à la virtuosité, aux syllabes étirées le plus longtemps possible en
coloratures – si bien qu'il faut souvent plusieurs prises de souffle
pour un seul mot. À cela, il faut ajouter la prédilection pour les voix aiguës
: à part les ténors qui sont de vieux pères abusifs et les basses des
personnages d'autorité au rôle secondaire, uniquement des sopranos et
des mezzo-sopranos (castrats de préférence, femmes sinon). Or,
l'émission lyrique des voix aiguës se fait en voix de tête,
dans un registre très éloigné de la voix parlée : l'aspect du timbre
change radicalement, mais la hauteur aussi, ce qui rend les phonèmes
moins identifiables. Effet aggravant, pour des raisons de physique
acoustique, les consonnes, toujours plus aiguës que les voyelles, sont
mécaniquement moins distinctes si la voix monte vers l'aigu.
Tous ces éléments tendent vers le même effet : pour obtenir une
émission vocale efficace, et considérant toutes ces contraintes
supplémentaires et cette évolution du goût du temps, il devait être
vraiment difficile de privilégier la diction claire. Il n'était pas
1700 (opéras de Legrenzi, Albinoni, dès le dernier quart du XVIIe
siècle…) que le ver était déjà dans le fruit.
Le XVIIIe siècle voit aussi, même si c’est encore marginalement,
l’érection de très vastes théâtres
(les 1400 places du San Carlo de Naples en 1737… et tout en hauteur !),
qui rendent encore plus indispensable une émission efficace. Or, le chant est toujours fondé sur une série
de compromis
: équilibre entre la projection, le timbre, la diction, le confort
(endurance) du chanteur… Si l’on place une tension maximale sur le
volume sonore, l’ambitus et l’agilité, il ne restera plus beaucoup de
place pour raffiner la diction.
Au fil du siècle, les orchestres
s’élargissent, et l’expression
dramatique
(que ce soit chez Mozart ou chez Gluck) prend un tour plus solennel et
plus éclatant, qui a là aussi beaucoup sollicité la puissance des
instruments.
Puis c’est le XIXe siècle, pas besoin de faire un dessin : on a
successivement le belcanto romantique,
où la longueur de souffle et la qualité du lié des notes prévaut sur
toute autre considération, et le
romantique à panache de Weber, Meyerbeer et Verdi, où l’éclat
vocal représente une composante non négociable. Dans le même temps, on
invente l’aigu de poitrine,
émis dans le même mécanisme que le centre de la voix, qui éloigne
encore plus de la parole quotidienne (et renforce la nécessité de la
couverture vocale). Wagner arrive, et nous plonge
dans un joyeux désordre… lignes de
chant
complètement défragmentées, avec de grands intervalles à l’intérieur
même des mots, assez éloignés de la langue « naturelle », et orchestre
tonitruant simultanément. L’enjeu premier est alors d’être entendu,
pour se fondre dans un grand tout musical – le chanteur a rarement,
passé les premiers ouvrages – jusqu’à Lohengrin –, la partie la plus
intéressante. On peut même en retirer l’impression persistante –
considérant son faible potentiel mélodique – que la voix n'est qu'une
partie instrumentale intermédiaire de l'orchestre, tolérée uniquement
dans le but de porter le texte.
Seulement, et là réside toute la beauté de la chose, transmettre le
texte est particulièrement périlleux avec ces prérequis de puissance,
de concurrence orchestrale et d'intervalles de vastes hauteurs entre
les syllabes.
Le XXe siècle accentue ces enjeux : le répertoire se diversifie, mais
pour les œuvres qui se voient comme ambitieuses, on retrouve (aussi
bien chez les postromantiques, les décadents, les atonals…) les mêmes
caractéristiques postwagnériennes, avec des orchestres encore plus sonores, des intervalles plus amples
et fantaisistes, et même une science de la composition pour la voix qui
se perd : clairement, au XXe siècle, beaucoup de compositeurs la
traitent comme une contingence,
en en repoussant les limites au gré de leur fantaisie comme s’il
s’agissait d’un instrument – or, contrairement à la facture
instrumentale, on ne peut pas réellement améliorer un corps vivant, en
tout cas pas au gré d’une évolution délibérée de quelques décennies, et
sa pratique intensive peut en détruire les qualités.
Ce n’est bien sûr pas général, et toute
une école simultanée,
qu’on présente moins dans les histoires de la musique, mais qui est
très importante (y compris dans les quelques pays qui ont poussé le
plus loin l’expérience atonale), a au contraire revendiqué un retour
presque archaïsant à la consonance, à la voix harmonieuse. Des figures
aussi disparates que Hahn, Rota, Damase, Orff, Floyd, toute une partie
du legs soviétique et bien sûr l’écrasante majorité des nations qui
n’ont jamais trop touché à l’atonalité (Parma en Slovénie, Hatze en
Croatie, Paliashvili en Géorgie, Cihanov au Tatarstan…) sont concernés.
Pour autant, dans les grandes maisons, les créations prestigieuses
accentuent plutôt cette déconnexion entre la musique et la voix, et
donc, pour les raisons déjà exposées, entre la voix et le texte.
5. Les derniers
effets du XXe siècle
Une des choses rarement évoquées, car difficilement quantifiable, est
la pression de la voix enregistrée
– y compris et peut-être d’abord par le cinéma – sur la façon de
chanter, et peut-être aussi les modes de vie plus urbains (où la voix
tamisée est plus valorisée que la voix sonore). Sur les effets de ne
plus recruter les chanteurs parmi les bergers (Tony Poncet) ou les
garagistes (Robert Massard) – mais parmi les titulaires de diplômes
universitaires en langues, littérature ou mathématiques –, sur les
incidences de nos modes de vie, sur l’influence de la parole
enregistrée et des micros envers l’art oratoire et la voix lyrique, voyez cette notule.
Clairement, si le modèle de timbre idéal est Humphrey Bogart ou Andrew
Clutterbuck, on va avoir des difficultés à se faire entendre en
conditions réelles.
Nous en arrivons au dernier clou dans le cercueil de l'intelligibilité
: l'apparition de la langue originale,
quel que soit le public destinataire, à l'Opéra. Je n'ai pas réussi à en comprendre totalement, malgré mes
lectures et mes questions aux hommes de l'art, la raison, mais à partir des années 60 s'impose
progressivement l'utilisation de la langue d'origine des ouvrages
représentés.
Les musiciens le défendent par le respect de la partition – dans
laquelle ils n'hésitent pas, le cas échéant, à pratiquer de larges
coupures –, mais on a rarement vu la vertu s'imposer d'elle-même pour
vendre des billets de théâtre. Jusque dans les années 90 au moins, on a
vécu les résistances farouches à l'arrivée des instruments d'époque et
aux modes de jeu sans vibrato
! Or je ne trouve pas trace d'un tel débat. Et pourtant, cela a
dû rendre incompréhensible toute une partie du répertoire !
Je me figure que le disque y
est pour quelque chose : il est devenu la référence écoutée par tous
les mélomanes, celle que l'on veut entendre ensuite en allant au
théâtre. C'est aussi le moment de l'internationalisation
des échanges, des recrutements : les grandes maisons veulent les
vedettes qui ont enregistré les disques, justement – et qui ne vont pas
réapprendre le rôle dans la langue de chaque pays qui les recrute. On
se souvient ainsi de cas assez exotiques, comme cette Carmen au Bolchoï
avec Arkhipova, où tout le monde chante en russe, langue vernaculaire –
sauf Del Monaco, invité pour l’occasion, et qui le chante en italien
! Plus étonnant encore, les soirées où Ghiaurov, en pleine
gloire, revenait chanter à l’Opéra de Sofia, tout le plateau chantait
Verdi en bulgare… mais lui, qui avait appris et pratiqué son Philippe
II en italien, continuait à le chanter comme sur les autres scènes
(alors qu’il aurait pu sans dommage l’apprendre ou le réapprendre en
bulgare, sans doute). On voit bien que le désir d’avoir la star chez
soi entraîne une nécessaire normalisation du répertoire, qui varie
moins d’une capitale à l’autre, d’une part, et d’autre part qui sera
chanté dans la même langue partout.
Un temps, le public a donc dû survivre en écoutant les œuvres chantées
dans des langues inconnues… et sans surtitres ! Je ne comprends
pas comment il n’y a pas eu d’émeutes dans les théâtres et
d'innombrables tribunes ulcérées dans les journaux. Imaginez si l’on
diffusait soudain, dans les cinémas, les Bergman en suédois sans
sous-titre – ou même les comédies sentimentales américaines. Il y
aurait beaucoup, beaucoup de mécontents.
6. L’arrivée et les
conséquences des surtitres
À partir de l'innovation de l'Elektra
de Toronto, en 1983, les surtitres se sont partout répandus
dans les institutions qui accueillent régulièrement de l'opéra, du
théâtre en langue étrangère, etc., jusqu'à être présents quasiment
partout depuis les années 2000. J'en ai déjà vu dans la cave de Nesles,
comportant une jauge de 20 personnes, pour quelque chose d'aussi peu
insolite qu'un Shakespeare en anglais !
Ce fut bien sûr une aide incroyable,
qui permettait à un plus vaste public de découvrir les œuvres en salle
sans en étudier d'abord le livret et sa traduction, assez en amont pour
en mémoriser les moments-clefs. On a salué, et à juste titre, le gain
en accessibilité, la possibilité pour tous de suivre – et même, pour
les plus chevronnés, de ne pas être limités par leur temps de
préparation ou leur mémoire dans leur compréhension de l'action et du
détail.
Formidable invention, donc.
Mais, à la lumière de cette Elektra parisienne
de 2022, où il était impossible d'identifier un mot (même en
connaissant précisément le texte allemand), ou pis, de cette Phryné
où les artistes, pourtant tous francophones et spécialistes acclamés de
l'opéra français, réputés pour beaucoup pour leur diction… se sont
révélés à moitié incompréhensibles en l'absence de surtitres ! On
suivait vaguement, mais beaucoup de détails étaient perdus.
Et tout cela nourrit cette question, terrible, que je n'ose formuler
qu'en tremblant : le surtitrage n'a-t-il pas rendu secondaire la maîtrise de la juste élocution ? Les effets conjugués du disque,
qui favorise les jolies patines (et discrédite les voix nasillardes,
mieux audibles, surtout pour du français, articulé très en avant de la
bouche et de la face), et du surtitrage,
qui supplée les dictions floues, n'ont-ils pas induit, dans
l'apprentissage comme dans la pratique, une mise au second plan du soin
de la diction ? Qui arrêtera un chanteur, au sein de répétitions
en temps limité, pour lui dire « ça ne va pas du tout, on ne te
comprend pas » – si le public peut malgré suivre l’action ?
N'est-ce pas alors, en fin de compte, un enjeu secondaire, qui permet
de laisser plus de place à la recherche du joli timbre phonogénique, à
la couleur sombre (mais opaque) qui permet de prétendre aux rôles
sérieux ?
On pourrait ajouter que, DVD aidant (bénéficiant, lui, de sous-titres),
on sera davantage tenté de retenir le paramètre du physique « crédible
» (quel horrible concept, mais je conserve le sujet pour une autre
élégie…), puisque, là aussi, la clarté de la phonation devient
redondante avec le texte qui défile sous les yeux du public.
Joan Sutherland, perfection
archétypale de la chanteuse pionnière des surtitres.
7. Nouveau paradigme
Je ne sais, à vrai dire, s’il faut se réjouir ou se désespérer de cette
évolution. Il faudrait en dérouler chaque aspect.
1) Les surtitres permettent de goûter la saveur de la langue originale, qui
est un plaisir en soi. Pour cela, il m’apparait plus pertinent de
recruter des locuteurs natifs plutôt que des chanteurs
occasionnels – même au Conservatoire Supérieur de Paris (CNSMDP),
l’état de l’italien chanté par les élèves (pourtant de très, très
grands artistes) est la plupart du temps assez épouvantable. Quoi qu’il
en soit, découvrir une langue par la musique est à la fois très
efficace, comme en atteste l’immense cohorte de ceux qui ont appris
l’anglais par les chansons, et particulièrement plaisant et stimulant,
instantanément utile car tout de suite relié au beau. C’est
ainsi pour ma part que j’ai abordé l’italien, l’allemand, le russe, le bokmål, le tchèque, et j’en conserve des souvenirs
particulièrement émus.
2) Corollaire : en chantant dans la langue originale, on respecte mieux la musique écrite
(et évidemment le poème d’origine). La famille Wagner avait rouspété
lorsque Victor Wilder avait altéré les rythmes des lignes chantées du Ring
– pour épouser au plus près sa très belle prosodie française (qui vaut
largement l’original). Ils préféraient Alfred Ernst, qui n’était pas en
vers et pas tout à fait aussi poétique, mais avait respecté avec un
scrupule absolu la musique écrite, tout en suivant de très près l’ordre
des mots et le sens de l’original allemand.
J’ai aussi vécu ce débat plus intimement, à propos du Rossignol de
Berg
(lien), lorsqu’en changeant à la marge quelques rythmes pour rendre la
ligne mélodique plus proche de l’accentuation française, le
pianiste-commanditaire me fit remarquer, embarrassé, que je rompais une
symétrie rythmique qui était peut-être (on en savait rien, elle n’était
pas totalement évidente, mais elle pouvait se deviner) voulue par le
compositeur. Après avoir contesté l’argument (puisque mon inclination
est de faire absolument primer le naturel de la parole sur le détail
musical), j’ai trouvé la réserve si sérieuse que j’ai totalement récrit
la partie centrale, en modifiant certes quelques rythmes, mais en
tâchant de respecter ces récurrences rythmiques.
Jouer dans la langue originale, c’est donc être davantage assuré de ne
pas dénaturer des beautés placées là par le compositeur, et qu’on
pourrait ne pas percevoir en redéployant la partition dans une autre
labngue. (Ce peuvent être tout simplement l’appui d’un mot sur tel
instant de la musique, voire comme chez Verdi l’accentuation expressive
hors de la prosodie naturelle, qu’on perd une fois traduit.)
3) Pour les œuvres en langue étrangère,
la question ne se pose donc pas : les
surtitres permettent d’inclure tout le public. Faut-il
représenter à tout prix les
œuvres en langue étrangère,
surtout pour les faire chanter par des non-locuteurs, je n’en suis pas
persuadé pour beaucoup de raisons liées au confort du public, à la
qualité du chant et de l’expression, à la saveur même de la langue,
mais ce serait l’objet d’une notule entière, sur un sujet déjà régulièrement abordé ici.
4) Le surtitre constitue aussi un confort
appréciable pour les œuvres en langue
française. Dans les œuvres les plus anciennes (tragédie en
musique), la moindre nécessité de la couverture vocale, de la puissance,
l’absence de concurrence de l’orchestre permettent de mieux percevoir
le détail du texte. Beaucoup sont également des spécialistes rompus à
l’exercice de la mise en valeur du texte, ou des chanteurs extérieurs
au sérail baroque mais recrutés sur leurs qualités de diction (Bernard
Richter…). Par ailleurs les auteurs de livrets prenaient soin
d’utiliser des formules toutes faites qui permettaient de rétablir le
sens de l’expression si jamais l’on ne comprenait pas un mot – Philippe
Quinault, le librettiste des premiers opéras de langue française, l’a
théorisé de façon très claire dans ses écrits.
Pour le répertoire plus tardif (hors opéras comiques, bouffes,
opérettes, où les dialogues parlés limitent les problèmes
d’intelligibilité, et où l’écriture vocale exige moins d’extrêmes de
l’instrument), romantique et XXe, la chose est beaucoup moins évidente,
même avec de très bons chanteurs. Pour une œuvre légère comme Phryné
et des francophones spécialistes de l’opéra français, ce n’était pas du
tout évident. À cela il faut ajouter la taille des salles, qui a
augmenté au fil des siècles. Du fond de Bastille, être audible est déjà
un exploit athlétique, alors être compris, cela tient du divin miracle
– et cependant cela advient quelquefois !
5) La certitude de la compréhension
du chant et de l’action ouvre ainsi une extraordinaire voie pour
explorer plus à loisir des œuvres
lourdement orchestrées, à la pensée
prosodique imparfaite,
ou tout simplement dont le propos peut paraître confus : le texte se
déroule simultanément sous les yeux du public. Bénédiction des dieux
que ce surtitrage, moment inestimable où les techniques permettent
d’amplifier l’émotion artistique et de magnifier la création
traditionnelle.
Et cependant…
6) Ainsi qu’on l’avait craint initialement, il est vrai que lever la
tête pour lire le texte peut créer une mise
à distance, une disjonction d’avec le spectacle (a fortiori lorsque la mise en scène
altère ou violente le livret). Il peut aussi exister une forme de paresse
à ne plus chercher à comprendre les langues, puisqu’elles sont toutes
traduites. Ce n’est plus du tout le même exercice exigeant que de
préparer son livret italien ou allemand en apprenant par cœur le texte
des airs, voire en étudiant pour l’occasion les idiomes concernés. (Ce
fut mon cas, l’enjeu d’accéder au sens des opéras fut le moteur
formidable – et primordial – de ma découverte des langues étrangères
que j’ai le plus pratiquées dans ma vie…)
C’est évidemment une préoccupation d’ordre réactionnaire : le progrès
modifie nécessairement nos comportements. Le train et la voiture
individuelle nous ont éloignés d’un abondant exercice physique
quotidien, les adaptations télévisées ont rendu presque superflue la
lecture des grands romans, etc. Rien n’empêche chacun de continuer à
faire cet effort, mais vouloir empêcher le changement de la société et
des arts est illusoire.
Pour autant, il est exact que le confort du surtitrage peut aller de
pair avec une certaine mollesse de
perception
: on suit vaguement ce qui est raconté, plutôt que d’entrer dans un
corps-à-corps (pas toujours vainqueur !) avec la langue. Mais qu’on ne
se méprenne pas : même sans surtitrage, une partie non négligeable du
public d’opéra vient pour les voix, la musique, les décors, pas
forcément pour le drame, et cela a toujours été. Chaque usage est
légitime de toute façon, tant que chacun y trouve sa satisfaction.
7) J’en reviens au point de départ de cette notule : cette sécurité des
surtitres nourrit sans doute une forme d’indifférence face à la qualité de la diction.
De même que Wagner délègue le sens et l’expression de ses drames à la
partie orchestrale, le contenu littéraire des opéras peut être vécu
comme dévolu aux surtitres,
rendant le soin des chanteurs (pourtant très apprécié du public
lorsqu’il s’agit de sa langue !) presque redondant. Ce n’est évidemment
pas la seule cause, on a déjà un peu devisé de ce qui avait pu changer
la donne (chanteurs étrangers qui chantent une autre langue devant un
public d’une troisième langue, recherche de voix patinées ou sombres
avec l’évolution des imaginaires, modes d’émission vocale changés par
la vie urbaine et le recrutement de profils plus « intellectuels »…),
mais le surtitrage rend le sujet moins urgent et moins prioritaire. Le
chanteur qui rencontre des difficultés pourra préférer l’émission
confortable, saine, belle, à la prononciation claire. Le recruteur
aussi pourra privilégier l’interprète qui dispose de la plus sonore, la
plus sombre, la plus agile (voire le meilleur comédien ou la plus belle
plante) et ne pas disqualifier ces chanteurs si leur diction est
mauvaise, en supposant que le surtitre y pourvoira le cas échéant.
Ce n’est donc pas tant un refus délibéré de travailler ce paramètre qu’une importance
désormais secondaire en matière
d’employabilité,
qui pousse moins les chanteurs à parfaire cet aspect par rapport aux
autres équilibres de leur voix, surtout s’ils rencontrent des
difficultés techniques à tout obtenir à la fois (aigus, puissance,
timbre, diction).
8) Le surtitrage, puisqu’on se repose sur lui, induit évidemment – à
l’instar de l’amplification sonore pour la comédie musicale – une dépendance
non négligeable. Il faut voir le dépit du public en cas de panne ! –
et, de fait, si l’on va voir un opéra de Janáček qu’on ne connaît pas,
chanté par des Britanniques dans Bastille, avec une mise en scène
transposée pendant l’Occupation, ce n’est pas gagné.
Le regret est aussi que, conditionnant une certaine conception des voix
– sans lui, la pression était forte, au moins dans la langue du pays
d’accueil, de proposer une réelle clarté –, alors que l’émotion la plus forte à l’Opéra
réside, pour moi (c’est loin d’être une généralité), dans les micro-inflexions du chant
qui créent un sens nouveau dans le texte. (Pourquoi croyez-vous que je
passe tout ce temps à collectionner inlassablement toutes les
propositions de Pelléas ?)
Le surtitrage nous éloigne de cette préoccupation, et en tout cas
n’élimine pas d’emblée ceux qui ne se conforment pas à cette attente
première – dommage pour moi – Joan Sutherland a vaincu.
9) Petite pensée supplémentaire : lorsque nous aurons épuisé la
dernière goutte de pétrole et fait imploser une ou deux centrales
nucléaires, que l’énergie devra
être parcimonieusement économisée…
l’opéra du futur se fera-t-il à nouveau sans surtitres ? Nous ne
serons certes pas les plus gênés… si l’électricité est rationnée, le
rock et même le musical (du
moins devant vaste public) ont des cheveux à se faire.
8. Envoi
Essayer de débrouiller mes pensées à ce sujet, pour une simple remarque
(« tiens, j’aime beaucoup ce que font ces dames wagnéro-straussiennes,
et pourtant je ne comprends rien ») m’aura pris quelques semaines de
décantation, à zig-zaguer entre mon day
job adoré, mes promenades botaniques, ornithologiques ou
patrimoniales, ma contribution au festival Un Temps pour Elles
(écrire quelques programmes, recruter du public, contribuer
marginalement à la logistique) et les commentaires de disques et de spectacles que j’ai tâché de poursuivre
scrupuleusement.
Je reprendrai prochainement à un meilleur rythme. Au programme, sans
doute la suite du cycle ukrainien. Je vois que nous nous lassons tous à
la longue de ce malheur, chaque jour renouvelé à l'identique, et
j’aurai ainsi l’impression dérisoire de faire ma part – d’autant que la
matière-première est déjà collectée et notée, essentiellement de la
rédaction et de la mise en forme.
Puissiez-vous zig-zaguer (victorieusement) à votre tour entre les
dangers du monde moderne, virus à gain de fonction, opérations
spéciales de maintien de la paix et de dégustation de sfogliatelle-de-la-victoire à la
pistache antinazie, burkinis sauvages des calanques…
Bonne lecture et bonne survie !
Ce billet, écrit à par DavidLeMarrec dans la catégorie Discourir a suscité :
À présent que je dispose d'un agenda complété de toutes les grandes saisons 2023
qui viennent de paraître (Garnier, Bastille, Philharmonie,
Champs-Élysées, Radio-France, Versailles, Seine Musicale…), on se
plaint en me disant « mais il y a déjà trop de choix, comment choisir ?
».
Je tente donc de contribuer à votre bien-être avec cette petite
sélection rapidement commentée de concerts qui me paraissent
particulièrement prometteurs. Évidemment, je ne puis deviner ce que
chacun a entendu, il y a donc quantité d'œuvres et de concerts au
programme assez habituels qui seront très bien et auxquels vous pourrez
prendre beaucoup de plaisir si vous ne les avez pas déjà entendus vingt
fois…
J'ai tâché de l'organiser de la façon la plus claire possible, en
classant les genres du plus grandiose au plus intime, et à l'intérieur
de chacun, par ordre chronologique approximatif d'âge des compositeurs
ou de composition des œuvres. Comme cela, vous pouvez ne chercher que
le baroque ou le vingtième en regardant au début ou à la fin de chaque
genre, ou bien vous limiter à l'opéra, au lied, etc.
Puisque vous me lisez, vous le savez déjà, mais les meilleurs concerts
sont souvent les tout petits qui ne sont annoncés que deux semaines à
l'avance et qui permettent, pour un tarif très modique, d'être tout
près des interprètes dans une petite salle où l'on entend très bien,
dans une atmosphère de communion particulier et avec des propositions
souvent plus originales – on ne saurait trop recommander de tenter les
soirées du CNSM, notamment les ateliers lyriques qui sont de véritables
propositions scéniques souvent très supérieures aux mises en scène
dispendieuses mais assez statiques qui prévalent aussi bien chez les tradi que chez les regie…
Il vous faudra donc, pour en tirer le meilleur, jeter un œil régulier à
l'agenda pour ne pas les manquer… je les inscris dès que possible, mais
il m'arrive d'apprendre deux jours avant qu'un opéra inédit est joué
dans tel conservatoire, par telle institution pas du tout musicale ou
par telle micro-compagnie passée sous mon radar…
A.
Opéra scénique
Sacrati, La Finta Pazza par la
Cappella Mediterranea (3,4 décembre)
→ Opéra du XVIIe italien, donc primauté à la déclamation et action en
général plutôt statique. Je ne suis pas encore allé entendre celui-ci,
mais les critiques ont été absolument dithyrambiques. LULLY, Armide par Pitoiset
& Le Poème Harmonique (12,13,14 mai)
→ Le chef-d'œuvre de LULLY, avec prononciation restituée et mis en
scène, par une très belle équipe. Grétry, La Caravane du
Caire par Pynkoski et Le Concert Spirituel (9,10,11 juin)
→ Pynkoski réussit à chaque fois des tours de force scéniques (rendre Richard Cœur de Lion palpitant !) ;
ce Grétry-ci, dont Napoléon a fait donner un extrait lors de sa prise
de Moscou, demande aussi à être mis en valeur et je suis très curieux.
(Le Concert Spirituel était électrisant dans Richard, et la distribution reprend
beaucoup de chanteurs en commun.) Stravinski, Poulenc : Le
Rossignol (en français !) et Les Mamelles de Tirésias par Les Siècles
(mi-mars)
→ Version prévue par Stravinski, elle n'existe que dans un vieil
enregistrement de la RTF, très bien chanté, mais où l'on entend mal
l'orchestre. Et sur instruments d'époques ! Avec les rares Mamelles, une soirée de folie en
perspective.
Britten, Peter Grimes à l'Opéra
Garnier (février)
→ Pas donné depuis très longtemps à Paris, un drame original et prenant
autour des rumeurs dans un village – avec en sous-main, comme dans Billy Budd, un propos sur
l'homophobie. Privilégiez plutôt les dernières dates, le temps que
l'orchestre se chauffe : ce n'est vraiment pas le même en fin qu'en
début de série !
Stockhausen, Freitag par Le
Balcon (14 novembre)
→ Suite du grand cycle Licht.
Temporalités distendues, dispositifs dramatiques / scéniques / musicaux
toujours surprenants, il y a toujours quelques longueurs, mais
l'expérience marque très longtemps, et la musique n'est pas si
difficile d'accès… c'est autre chose,
et cela mérite complètement d'être essayé.
B. Ballet Adès, The Dante Project,
ballet de McGregor (mai)
→
Si l'on s'intéresse à la musique dans le ballet, il y a fort longtemps
qu'on n'a plus trop de quoi se satisfaire à l'Opéra, où l'on a pourtant
eu dans les périodes pré-Dupont des ballets sur des musiques de Franck,
Copland, Rangström, Sauguet, Damase, Morton Gould… Cependant cette
proposition-ci paraît bien tentante, par un compositeur syncrétique et
souvent inspiré, auquel la forme variée et discontinue du ballet
devrait très bien fonctionner. Sur un sujet a priori porteur de contrastes
spectaculaires.
→ On remarque au passage qu'il faut désormais « Project » dans le nom
pour vendre des musiques plus rares (Walton, Weinberg…), quand ce n'est
pas du « Beethoven project » pour refourguer deux sonates à titre !
C. Opéra en concert
LULLY, Thésée par Les Talens
Lyriques (22 mars)
→ L'opéra de LULLY qui a connu le plus grand succès jusqu'en 1730 ! Contre
toute attente, car c'est probablement, après Psyché II, le moins inspiré de son
auteur. Il a été plus souvent repris que, par ordre décroissant : Atys, Amadis, Roland, Armide, Phaëton,
Cadmus et Alceste !
→ Il n'a pas été redonné en France depuis Le Concert d'Astrée il y a
une quinzaine d'années (et auparavant, ce devait être le concert de fin
de stage à Ambronay il y a un peu plus de 20 ans, dirigé par Christie,
avec notamment Legay, d'Oustrac, Novelli et Immler dans la distribution
!), et ce n'est pas non plus une œuvre inintéressante : son premier
acte est une succession vertigineuse de combats audibles hors scène, de prières, de récits de guerre… une des pages les plus impressionnantes de toute
l'histoire du genre !
Jacquet de La Guerre, Céphale & Procris par A Nocte Temporis
avec Cachet et Mauillon (22 janvier) → Une des plus belles tragédies en musique du XVIIe siècle :
on attend avec une impatience ardente qu'elle soit remontée
(prononciation restituée, ici ? Mechelen la pratique avec son
ensemble, certes dans une perspective moins exagérément archaïsante que
Green-Lazar-Dumestre), le livret a un remarquable potentiel dramatique,
et la sophistication de la musique rend son écoute passionnante et
saisissante.
Charpentier, Médée par Le
Concert Spirituel (27 mars)
→ Œuvre qui contient à la fois les plus beaux duos d'amour de
l'histoire de l'opéra et la scène des Enfers la plus terrifiante de
toute la tragédie en musique. Ici, avec la prise de rôle tant attendue
de Véronique Gens ! (mais attention, le rôle est vraiment grave pour
elle, ça ne la flattera pas à son maximum).
Mlle Duval, Les Génies par
l'Ensemble Caravaggio (7 mars) → De Mlle Duval, on ne sait à peu près rien : aussitôt son
opéra joué, elle disparaît de nos radars : s'est-elle mariée, tout
simplement ? Très curieux de l'entendre (tout début
XVIIIe). Philippe d'Orléans, La Suite
d'Armide par la Cappella Mediterranea (2 juillet)
→ Formé et aidé par Gervais, Philippe d'Orléans écrit des opéras dans
une veine hardie, qui doit beaucoup à l'influence italienne (tellement
que l'on soupçonne des fautes d'harmonies ou de copie…). Pas aussi
ébouriffant que Penthée (et
livret bien plus sage, mais grand plaisir d'entendre pour la première
fois une version intégrale !
Rameau, Castor & Pollux
version 1737 par l'Orfeo Orchestra de Budapest (13 mai)
→ Version bien supérieure dans son économie dramatique (tout n'y est
pas joué d'avance, Pollux hésite bel et bien) à la version de 1754 (qui
dispose en sus de quelques moments musicaux très réussis), et qu'on
entend très peu. L'occasion de profiter de récitatifs assez
extraordinaires qui disparaissent en partie dans sa refonte. Le seul
opéra de Rameau qui dispose d'une telle tension dramatique – le
caractère décoratif ou indolent de ses livrets constituant la
principale faiblesse de son catalogue pour le public d'aujourd'hui.
Rameau, Zoroastre, par Les
Ambassadeurs (16 octobre) → Livret très désordonné, regorgeant de rebondissements
exagérés, qui a la particularité de mettre en scène le panthéon
zoroastro-mazdéen. Musicalement trépidant, très animé de bout en bout. Gluck, Iphigénie en
Aulide, par le Concert de la Loge Olympique (7 octobre) → À la création, tout le monde pleurait dans la salle. Moins
tendu que son pendant de Tauride, de très beaux moments, un vrai sens
mélodique, avant que Gluck ne radicalise encore son style dépouillé –
qui conserve ici encore quelque chose des galanteries rococo de ses
prédécesseurs.
Mozart, Così fan tutte par la
Chambre de Bâle & Antonini (24 mars)
→ Mozart par cet orchestre et ce chef, voilà qui va ravir tous les
amateurs de crincrins et pouêt-pouêts !
Bertin, Fausto par Les Talens
Lyriques (20 juin)
→ Personne ne sait ce que cela vaut : Louise Bertin, fille du directeur
du Journal des Débats, à qui Hugo voulut complaire en écrivant un
livret (La Esmeralda) tiré de Notre-Dame de Paris, n'éblouit pas
trop dans ce seul opéra publié (mais dans des circonstances
imparfaites). On l'avait accusée ailleurs de laisser Berlioz écrire une
partie de l'œuvre – apparemment il n'aurait fait qu'aider à
l'orchestration, pas extraordinaire au demeurant. J'ignorais même
qu'elle avait écrit d'autres opéras, et n'ai eu le temps de chercher
aucune information sur ce Fausto.
Quoi qu'il en soit, c'est du neuf absolu, par une compositrice de grand
opéra à la française (il n'y en a pas beaucoup !).
Massenet, Hérodiade par Car,
Borras, Semenchuk, Dupuis, l'Opéra de Lyon et Rustioni (25 novembre) → Réservoir d'airs très marquants pour toutes les tessitures
(les airs de soprano, ténor, baryton et basse sont toujours programmés
en récital depuis un siècle !), dans un opéra un peu démonstratif et
statique, mais qui fouetté par Rustioni devrait être particulièrement
séduisant. Massenet, Grisélidis par le
National de Montpellier (4 juillet)
→ Mon Massenet chouchou (avec Cendrillon, Thaïs et Amadis), peut-êter
celui que j'aime le plus. Très récitatif, très dramatique, le Démon
tente une femme vertueuse et se joue du mari. Tout cela avec un humour
très français et une qualité mélodique qui se coule dans une forme
libre qui évite l'air. Très animé, un des meilleurs opéras de langue
française (et dans une très belle distribution).
Gilberto Gil, Amor azul (2,3,4 décembre) →
L'opéra de Gilberto Gil est reprogrammé. Je n'ai aucune idée de l'angle
par lequel il aborde le genre, mais ce sera du neuf, probablement
imparfait et rafraîchissant.
D. Musique symphonique
Cherubini, Mercadante
et Boïeldieu symphoniques
par la Chambre de Paris (17 octobre) → Symphonies (et concerto pour harpe !) de compositeurs du
premier XIXe, très rarement donnés en concert, et par l'orchestre le
plus à même de leur rendre justice !
Farrenc, Symphonie
n°2 par
Insula Orchestra (29-30 septembre)
→ Le disque des 1 & 3 avait été une révélation pour un peu tout le
monde sur la qualité de ces œuvres (que je ne tenais pas en très haute
estime). Précieux de disposer aussi de la 2, et pas sûr qu'il y ait une
sortie de disque à la clef !
Bruckner (s4), Messiaen (Ascension) par l'OPRF
& Chung (17 mars)
→ Chung m'a très profondément marqué dans la Sixième, je courrai
l'entendre ici.
Holmès : Andromède, Pologne,
Nuit & Amour… par le National de Metz (4 février)
→ Les grands poèmes symphoniques d'Augusta Holmès, d'une veine marquée
par Wagner – à l'écoute, il y a pas mal de points commun avec les pages
symphoniques de Lekeu.
Bertin, Farrenc, Holmès, Danglas,
Bonis, Grandval, Jaëll : pièces symphoniques et concertantes par
la Chambre de Paris (23 juin)
→ Programme de compositrices symphoniques : ce que j'en connais n'est
pas le sommet du répertoire symphonique, mais ce sera assurément
différent et stimulant. Mahler 9 par Chung (9
décembre)
→ Mêmes raisons que précédemment : très envie d'entendre à nouveau la
maîtrise de Chung dans de grandes pages symphoniques très
architecturées.
Sibelius (s1), Salonen (cc violon), Lindberg (Feria) par l'ONDIF
(14 mars)
→ Très beau programme original et au contenu musical dense, qui ira à
merveille à l'un des orchestres les plus engagés et enthousiastes de la
scène française.
R. Strauss : 4 interludes d'Intermezzo, Légende de Joseph,
Monologue de Chrystothemis… par Asmik Grigorian / OPRF / Franck (1er
avril)Weill :
Symphonie n°2 par l'Orchestre de Paris (8-9 février)
→ Raretés de Richard Strauss : la Légende de Joseph n'est pas le
chef-d'œuvre des chefs-d'œuvre, mais Intermezzo et Chrysothemis, je
prends très volontiers. Comme tout ce qui est neuf. Et puis le
décadentisme germanique est l'un des meilleurs répertoires du Philhar',
où le luxe de ces cordes homogènes et lyriques fait merveille.
Bartók (Prince de Bois
intégral), Brahms (cc
piano 1) par Trifonov / ONF / Măcelaru
→ Măcelaru change tout en or, alors dans des œuvres aussi riches, d'un
format plus ambitieux que celles qui sont traditionnellement jouées par
le National, je suis très curieux.
N. Boulanger
(violoncelle-piano), Copland
(symphonie avec orgue), Piston
(Prélude), Carter
(Concerto flûte) : pièces symphoniques et chambristes rares par Pahud /
OPRF / Franck (11 janvier)
→ Programme étrange, mais la Symphonie de Copland (remaniée ensuite en
n°1 en réorchestrant les parties dévolues initialement à l'orgue), le
concerto de Carter ou le Prélude de Piston sont très rarement donnés,
et issues de gens qui savent écrire pour l'orchestre.
Stucky, Barber (cc violon), Sibelius (s5) par SFSO &
Salonen (10 mars)
→ À nouveau un programme qui sort des sentiers battus, même si le
concerto de Barber reste un concerto pour violon…
Rihm (Jagden und Formen) et Varèse (Déserts) avec vidéos de
Viola, par l'EIC (22 janvier)
→ Deux pièces majeures du XXe siècle, le grand cycle motorique et très
accessible de Rihm qui fait la part belle aux bois et les interludes
avec cuivres varésiens de Déserts, de quoi se vautrer dans l'orgie de
la virtuosité orchestrale et des tuilages atonals infinis…
E.
Musique sacrée
Allegri Rossi A. Scarlatti, motets… par
Alarcón (6 octobre) → Italiens qui couvrent tout le XVIIe siècle, dans des
styles s'étageant de la fin de la Renaissance aux débuts du seria, par l'un des meilleurs (et
plus inventifs !) spécialistes.
AntonioDraghi, Le Don de la vie
éternelle par la Cappella Mediterranea (3 juillet)
→ Oratorio italien de la seconde moitié du XVIIe siècle
(qu'entendra-t-on dans la Chapelle Royale, dont l'acoustique est
mauvaise ?).
Lenzi, Boffi, Couperin & nos contemporains :
Lamentations et Méditations par l'Escadron volant de la Reine (31 mars)
→ Italiens rares et Troisième Leçon de Couperin (pour le Mercredy) à
l'occasion du Vendredi saint à Radio-France.
Charpentier, Méditations pour
le Carême par Les Arts Florissants (31 mars)
→ L'une des œuvres les plus sidérantes de toute la musique sacrée.
J'avais présenté la Deuxième ici, et Les Arts Florissants vont en
donner l'intégralité ! Expérience toujours bouleversante, déjà
vécue à l'Oratoire du Louvre en 2015 (par Le Poème Harmonique).
Gilles, Requiem par Helsinki BO
et Chantres CMBV (8 décembre) → L'Introït absolument ineffable (avec ses pointés et ses
silences) et le tuilage de l'Offertoire (parmi mes boucles favorites) rendent cette œuvre
profondément marquante, parmi d'autres beautés. Il est rarement donné,
il faut se précipiter. Lalande, Campra, Bernier, Gervais
: motets par Chantres CMBV & Haïm (17 novembre) → Très bel attelage de compositeurs sous influence
ultramontaine (pour les trois derniers), sensibles au contrepoint et
aux explorations harmoniques, et peu joués.
Gervais, grands motets par Les
Ombres (23 novembre) → Le maître de chapelle et professeur de Philippe d'Orléans,
programme dévolu à ses seuls grands motets (donc avec dialogues entre
solistes et chœurs), un petit événement ! Beethoven, Missa Solemnis par
Le Concert des Nations (22 mai)
→ Considérant le succès de leurs symphonies, assez enthousiaste
d'entendre ce haut chef-d'œuvre dans une version crincrinnante avec un
orchestre recruté parmi les meilleurs spécialistes.
Verdi, Requiem par Heever,
Semenchuk, Tetelman, Teitgen, Orchestre de Paris, van Zweden (26-27
avril)
→ Ça, c'est souvent donné, mais le plateau est hallucinant, on a
regroupé quatre des voix les plus insolentes du marché vocal actuel
! Et c'est payant ici. Avec en plus le Chœur de l'OP qui excelle
dans cette œuvre avec sa douceur et sa netteté, et van Zweden qui
paraît-il anime toujours de façon très convaincante cet orchestre,
promesse de moments assez intenses !
F. Chœur
Reinecke & Schubert :
pièces pour chœur et quelques instruments par le Chœur de
Radio-France et Ruf en récitant (20 décembre)
→ Reinecke est connu pour ses pièces pour flûte d'un romantisme très
apaisé, mais il a aussi commis des symphonies beaucoup plus
tempêtueuses, dans un style très premier-XIXe quoiqu'elles soient
contemporaines de Brahms ! (Il faut dire que l'histoire-bataille
telle qu'on nous l'enseigne, en musique, néglige les œuvres qui
représentaient les courants majoritaires, en général moins hardis. Tous
les compositeurs du second XIXe ne sont pas wagnériens !)
→ Cette pièce a l'air très originale, renforcée d'instruments isolés,
et bénéficiant d'un récitant.
Mendelssohn : Christus,
Première Nuit de Walpurgis par Accentus et Insula Orchestra (16 mars)
→ Christus est une très belle cantate digne des grands Mendelssohn
choraux, tandis que la Nuit de Walpurgis, mieux connue, est une sorte
de messe profane, d'oratorio de théâtre qui ressemble assez, par ses
aspects plus massifs que le Mendelssohn habituel, à un compromis avec
l'univers schumannien. (Sur instruments anciens et avec un beau chœur,
miam.)
Mendelssohn Schumann Reinberger
Saint-Saëns par la Maîtrise de RF (14 octobre) → Quelques-uns des meilleurs compositeurs pour l'a cappella, dans des œuvres à
chœurs multiples, et pas l'un des meilleurs chœurs d'enfants du monde.
●Massenet, Farrenc, Paladilhe, Roussel,
Chausson, Saint-Saëns, Chabrier, Sohy, Chaminade, Bonis par la
Maîtrise de Radio-France (16 mai)
● Chœurs de
Grandval, Guilmant, Saint-Saëns,
Renié, Dubois, Bonis, Caplet, Duparc, La Tombelle, Labole, Boëllmann,
Sohy, Delibes, Chaminade et Gounod par le Chœur de Radio-France
(19 juin)
● Duparc, Bonis, L. Boulanger, Schmitt,
Fauré, Castagnet : chœurs et arrangements choraux par le Chœur
de l'Orchestre de Paris (17 janvier)
→ Trois programmes français qui fréquentent à la fois la fin XIXe
siècle et le début du XXe, avec des grands représentants de l'époque,
donc un programme plutôt consacré aux arrangements pour chœur : ce sera
la grande fête !
Poulenc (Assise), Villette, Britten : Motets par Accentus
(30 juin)
→ Les plus beaux chœurs de Poulenc avec quelques autres vignettes
toutes de dépouillement, par un chœur qui les connaît très bien. Beau
cadeau ! Schnittke (Concerto pour
chœur), Rachmaninov
(Vêpres) par MusicAeterna (25 mars)
→ Peut-être les deux plus grands jalons du patrimoine choral russe,
mais le concert est suspendu pour l'instant – MusicAeterna étant
largement financé par une banque russe, ses fonds risquent de se tarir,
et ses autorisations de déplacement risquent de se faire plus
difficultueuses, de part et d'autre.
Tormis : chœurs par le Chœur de
l'Orchestre de Paris (14 mars)
→ Tormis est le grand représentant letton d'une veine chorale qui puise
aux sources du folklore : il était à la fois musicologue collecteur et
compositeur, et sa musique, simple et dansante, reflète ces influences.
Parfois des arrangements ou recréations de chansons existante. Très
accessible, mais pas sans richesse, il est très rare non seulement de
bénéficier d'un concert qui lui soit entièrement consacré, et de
surcroît par un chœur français – sans doute une première !
G.
Musique de chambre Lassus, Gabrieli, Rossi, Bassano,
Marini, Falconieri, Monteverdi, Merula… passacailles avec des
membres de l'OCP (26 novembre)
→ Passacailles en folie du premier XVIIe siècle italien !
Lombardi Sirmen, Quatuor n°5
par des membres de l'OPRF, couplé avec des concertos pour piano de
Haydn et Mozart (9 juin)
→ Compositrice passionnante dont les duos pour violon et les quatuors,
à la fin du XVIIIe siècle, portent à leur sommet une sophistication
inhabituelle dans le répertoire galant. Parmi les pièces de chambre les
plus marquantes de cette période, à mon sens.
→ Couplage étrange, pourquoi jouer ceci dans un concert marketté comme
à la gloire du pianiste Piotr Anderszewski ? (Ces fous vont me
contraindre à aller entendre un concert de concertos pour piano
classiques…)
Haas, Krása, Webern : quatuors
par les meilleurs membres de l'OCP (Hughes, Parruitte, Cardoze…) (10
décembre) → Quatuors décadents très rarement entendus en France par
des membres de l'Orchestre de Chambre de Paris, qui ont de véritables
qualités de chambristes (Olivia Hughes est l'ancien violon 2 du Quatuor
Ardeo) : à les entendre, on croirait un quatuor constitué ! Chostakovitch, Symphonie n°14
pour deux pianos et percussions (7 novembre) → Proposition très originale, qui fait fort envie (les deux
solistes sont là également). C'est à la Philharmonie, mais Radio-France
propose, du même arrangeur, la n°5 pour un effectif similaire (ce dont
la nécessité m'apparaît moins impérieuse… qui aime la Quinzième de
Chostakovitch ?). Messiaen, Chants d'oiseaux par
Boffard et… les chanteurs d'oiseaux (30 mars)
→ Dans le Musée de la Musique, idée stimulante de tisser les Catalogues
d'oiseaux et autres intégrations de Messiaen… avec une évocation de
leurs originaux.
Nancarrow & Ligeti par le
Quatuor Béla (4 mars) → Les deux quatuors de Ligeti et un quatuor de Nancarrow
(très fortement admiré de Ligeti, qui le mettait au niveau d'Ives et
Webern…), promesse d'une soirée qui change des standards du répertoire
et de leurs équilibres habituels.
H.
Lied & mélodie
Airs de
cour de Guédron, Boësset,
Lambert, Le Camus par Les Arts Florissants (27 mai)
→ Le concert d'airs de cour annuel de la Cité de la Musique, par
quelques-uns des meilleurs spécialistes.
Clérambault,
Dandrieu, Dornel, Louis Antoine Lefebvre, Montgaultier et Louis Antoine
Travenol, cantates par Le Consort (29 novembre)
→ Cantates françaises (inédites !) par le meilleur ensemble
spécialiste.
Schubert, Der Schwanengesang
par Boesch & Martineau (15 mars)
→ Au disque, la version que je trouve la plus marquante de ce cycle
apocryphe. La voix de Boesch sonne bien en salle, il n'y a pas de
raison que ce ne soit pas grand aussi en cocnert !
Schubert, lieder orchestrés (et
extrait d'Alfonso und Estrella) par les Prégardien et l'OCP (9 février)
→ Le petit plus réside dans Alfonso,
un chef-d'œuvre dont les airs et duos méritent le déplacement
indépendamment du programme. Et puis, quitte à écouter du lied
orchestré, autant le faire avec un orchestre agile et avec les
meilleurs spécialistes du chant expressif allemand…
Lieder de
Schubert, Schumann, Wagner,
Loewe, Wieck, Brahms, Wolf, Reger, Pfitzner, Sommer, par Marlis
Petersen (14 juin)
→ Programme très varié d'une très belle voix.
Beethoven Schubert Rihm par
Nigl et Pashchenko, piano Gebauhr 1855 (15 février) → Le programme du disque paru chez Alpha : la voix si
particulière (très mixée) de Nigl (qui sonne comme un ténor moelleux)
lui permet une expressivité hors du commun. Bouleversé par sa Meunière,
passionné par ses Schubert ; le cycle de Rihm ne me paraît pas le
meilleur de ce qu'a produit le compositeur, mais c'est l'occasion
d'entendre un récital varié, et accompli à un degré à peine concevable.
Sur piano d'époque, pour ne rien gâcher.
Nadia & Lili Boulanger par
Richardot & Fornel (20 mars)
→ L'une des voix les plus marquantes de notre temps dans ces mélodies
ciselées et très peu données en concert.
J'espère que tout ceci vous fournira les repères nécessaires pour
effectuer les bons choix de vie et ne pas être lassé à la fin de la
saison en décrétant que, décidément, vous avez tout entendu et que les
saisons sont toutes les mêmes. C'est largement vrai, mais… la
multiplicité de l'offre permet, en glanant la marge de chaque salle, de
s'amuser assez vivement !
Pour le reste (en particulier en musique de chambre et mélodies, mais
aussi en symphonique avec les orchestres van Lauwe, Elektra, Ut5,
COSU…), il faudra guetter les annonces tardives des petits ensembles et
des conservatoires.
À
bientôt pour de nouvelles aventures : expérimentations de tragédie en
musique, nouvel épisode biblique, exploration des usages des thèmes
patriotiques français, suite des anniversaires, ou du panorama des compositeurs ukrainiens tiennent la corde.
(On me réclame aussi une notule sur les
représentations musicales du coït – ce qui constitue une occasion
tentante de reparler de la terrible Mona Lisa
de Schillings –, mais je ne suis pas tout à fait sûr d'obtempérer : la
constitution, partition en main, des exemples musicaux assortis du
visionnage des différentes positions traditionnelles pour le viol – car
ne nous mentons pas, dans le théâtre lyrique, je ne vais pas rencontrer
beaucoup de représentations sonores du consentement éclairé – risque
d'occuper un peu trop inconfortablement mon loisir.)
Dans l'intervalle, j'ai été mandaté pour écrire le programme
de mon festival préféré : mon rythme de publication en sera peut-être
temporairement affecté, mais je tâcherai au moins de vous nourrir en
matériau ukrainien. Et les commentaires d'écoutes restent complétés au
quotidien.
--
P.S. : Malgré tout le soin mis à la confection, le passage de mon éditeur à la version définitive a ménagé des sauts de ligne intempestifs. Je ne vais pas avoir le temps de tout corriger, il faudrait refaire la mise en forme manuellement pour chaque entrée (alors que j'y ai déjà passé beaucoup de temps). Mes excuses pour l'inconfort de lecture.
Ce billet, écrit à par DavidLeMarrec dans la catégorie Saison 2022-2023 a suscité :
À gauche : Moniuszko, Carafa.
À droite : Graener, Alfvén.
[[]]
Variations sur « Prinz Eugen » de Paul Graener.
Radiophilharmonie de la NDR de Hanovre (pas le Symphonique, sis
à Hambourg, qui fut dirigé par Wand ou Hengelbrock),
une des plus belles discographies d'Allemagne.
W.A. Albert (CPO).
(Pour la démarche et la légende, vous pouvez vous reporter à lapremière partie(au bas de laquelle
j'ai également servi cette nouvelle fournée de gourmandises.)
Mort en 1872
(150 ans du décès)
Stanisław Moniuszko.
→ Artiste majeur en Pologne,
considéré comme le compositeur
emblématique d'opéra. Pour le piano, il y a bien sûr Chopinski
et Paderewski (en outre politiquement capital) ; pour la musique
d'aujourd'hui Penderecki, mais pour les amateurs d'opéra, la figure
majeure, c'est Moniuszko.
→ Pourtant, à l'écoute, je ne trouve pas ses œuvres les plus célèbres
très passionnantes.
→
→ Straszny
dwór(« Le Manoir hanté ») est un opéra comique
manifestement écrit sur le modèle d'Auber – et ce ne serait pas un très
grand Auber, des ariettes à ploum-ploum, peu marquant mélodiquement
dans l'ensemble. Le sujet, lui, est apparenté aux instrigues
fantastiques un peu bouffonnes façon Boïeldieu (La Dame blanche) ou Adam (Le Farfadet).
→ → Halkaest tout l'inverse : une
hypertragédie. Une fille séduite descend, au fil de ses espoirs déçus,
de la certitude de sa perte et de la méditation de sa vengeance, dans
l'abîme suscité par la trahison la plus noire Tout est moche et tout
finit très mal. C'est un peu Jenůfa,
avec un côté emphatique comme les drames de Dumas ou Pixerécourt… et
une musique qui s'apparente plutôt à du Weber sage (plutôt celui d'Abu Hassan ou du ventre mou d'Euryanthe). L'œuvre est plutôt
convaincante, mais je vois mal, là aussi, comment faire triompher une
musique qui n'est pas complètement exceptionnelle sur une scène dont ce
n'est pas du tout la langue. (Ou alors il faudrait mobiliser des moyens
exceptionnels côté chant et mise en scène – il ne se passe vraiment
rien à l'acte II, elle se plaint sans écouter son autre soupirant qui
se plaint aussi – mais à ce compte-là, pourquoi ne pas placer l'effort
sur une œuvre qui pourrait réellement s'imposer au répertoire ?)
→ → Ses autres opéras, tel Paria, son opéra de jeunesse à
sujet bouddhique, sis à Bénarès, écrit dans un goût italien pour
s'introduire auprès du public européen, ne m'ont pas paru plus
marquants…
● Je recommande donc plutôt des genres qui ne sont pas les plus
célébrés chez lui :
●● Les seules œuvres que j'ai réellement trouvées hors du commun sont
ses cantates, Milda et Nijoła (Philharmonique de Poznań
dirigé par Borowicz chez DUX) : on y rencontre une superbe déclamation
polonaise (et très bien mise en valeur, chantée et accompagnée), et
doté d'une qualité mélodique toute particulière. Je recommande ceci
très vivement !
●● la Messe en laet des motets (album « Sacred Music » chez
DUX, par Łukaszewski), très recueillis et consonants, pas vraiment
personnels mais réellement agréables
au meilleur sens du terme (attention, il existe un autre disque,
consacré aux Messes polonaises
et chanté par le même chœur, qui m'y avait semblé de sensiblement moins
bon niveau) ;
●● le Premier Quatuor, également d'un beau
romantisme simple. Les Plawner chez CPO ne m'ont pas complètement
emporté ; c'est mieux par le Quatuor Camerata chez DUX, donné avec son
Deuxième et le Premier de Dobrzyński ; mais surtout, si vous pouvez le
trouver, le disque issu de la compétition Moniuszko (il y a toute une
série, passionnante), avec l'ãtma SQ (sur instruments anciens) et le
Quartetto Nero, à nouveau chez DUX : ces jeunes musiciens surpassent
toute la concurrence en tension, timbres, urgence, lisibilité, et
haussent considérablement la réception de ces œuvres. (Toute cette
série de la Compétition Moniuszko chez DUX mérite largement le détour,
au passage : ainsi dans ce disque, on peut découvrir la prégnance
mélodique hors du commun des œuvres de Henryk Melcer-Szczawiński, et il
en va de même pour beaucoup d'autres découvertes sur les autres
volumes.)
● Du côté de ses opéras célèbres : on trouve des vidéos, les deux ont
été diffusés sur Operavision.eu (même deux versions différentes du Manoir !). Ce peut aider (si vous
êtes patient).
■ Au disque, DUX est là pour nous, avec son travail exceptionnel en
qualité, en quantité, en audace… Au concert, je ne suis pas persuadé
qu'on puisse réellement produire des étincelles devant un public non
polonais. Mais j'accueillerais avec grand plaisir une cantate !
On pourrait coupler ça avec une symphonie de Szymanowski ou Penderecki
qui ferait déplacer un peu de monde sans être totalement téléphoné, et
puis un petit concerto de Chopin avec Martha Argerich pour assurer le
remplissage. (On pourrait aussi imaginer des programmes « Partage de la
Pologne » ou « Pologne martyre », associée à un discours historique /
pédagogique, qui entrerait assez bien dans les missions de la
Philharmonie (et dans notre futur européen proche ? vu les
opinions géopolitiques des candidats à la Présidence…).
■ C'est là où le principe de l'anniversaire trouve ses limites, parce
que si l'on veut de la musique polonaise lyrique, il existe tout de
même un certain nombre de chefs-d'œuvre considérables avec Żeleński,
Nowowiejski, Różycki ou Penderecki ! Ceux-là pourrait remporter
un véritables succès – en plus du Roi
Roger de Szymanowski qu'on pourrait redonner un jour dans une
production qui le laisse un minimum intelligible (coucou Warlikowski).
Michele Carafa.
→ Napolitain venu étudier à Paris avec Cherubini, auteur de 29
opéras, dont Jeanne d'Arc à Orléans
et La Belle au bois dormant
!
● Au disque, on ne dispose semble-t-il d'aucun opéra intégral. Une cantate avec piano, Calisto (dans « Il Salotto »vol.2 chez Opera Rara), un air deLe Nozze di Lamermoordans le récital « Stelle di Napoli
» de Joyce DiDonato,
et deux scènes de Gabriella
di Vergy, l'une dans un récital Matteuzzi avec Bruce Ford
(atrocement captés), l'autre dans un récital d'Yvonne Kenny (accompagné et mené
avec beaucoup de présence par le même David Perry mou avec Matteuzzi !)
qui est le meilleur témoignage qu'on puisse trouver de la musique de
Carafa. Tout cela s'apparente à du belcanto bon teint, avec les mêmes
formules que partout ailleurs. Plutôt joliment fait au demeurant (en
particulier les introductions développées, ou certains récitatifs un
peu rapides), mais absolument rien de singulier, pour le peu qu'on en
puisse juger.
■ Je serais évidemment ravi qu'on reprenne l'une de ses œuvres, en
particulier française, pour pouvoir se faire une idée sur pièce. À
l'occasion d'un petit cycle Jeanne d'Arc où
l'on pourrait jouer l'opéra de Mermet (qui se tient !), la
cantate d'Ollone
(plutôt bien faite également, même si peu spectaculaire) et bien sûr
l'oratorio d'Honegger,
voire l'opéra de Verdi
? Un petit partenariat entre salles parisiennes ? Versailles et
TCE reprennent Mermet avec Bru Zane, la Philharmonie fait d'Ollone et
reprend son Honegger réussi, et l'Opéra de Paris se garde le Verdi parce
qu'il ne sait rien faire d'autre, ça vous dit ? Ce serait
parfait pour brosser dans le sens du poil l'électorat du futur
président de droite que nous aurons (lequel, je n'en sais rien,
mais je ne cours pas grand risque à pronostiquer qu'il ne sera
certainement pas de gauche), considérant l'Opéra de Paris pour
lequel toute la France paie, que le Peuple de France en ait pour sa
fierté, on célèbre Jeanne ! (et on joue plein d'opéras russes,
cf. supra – de toute
façon Gergiev est le seul chef étranger à pouvoir venir quand le monde
s'effondre)
Nikolaos Mantzaros.
Carlo Curti.
[[]]
Premier mouvement de la Troisième Symphonie d'Alfvén,
Philharmonique Royal de Stockholm,
dirigé par le compositeur (Phono Suecia).
Né en 1872
(150 ans de la naissance)
Alors là, 1872, c'est l'année de folie ! J'essaie de classer en
commençant par ceux que j'ai le plus envie de voir reparaître !
Paul Graener.
→ Je commence par un cas difficile. Graener, né à Berlin, tôt orphelin,
occupe de hautes responsabilités,
professeur de composition au Conservatoire de Leipzig, de Vienne,
directeur du Mozarteum de Salzbourg, du Conservatoire Stern de Berlin…
et aussi membre de la Ligue de
combat national-socialiste pour la culture allemande, du parti
nazi, vice-président de la Reichsmusikkamer…
il devient particulièrement joué à
partir de 1933, quand le nouveau régime fait la place nette de
tous les dégénérés dans le
style, les idées ou la généalogie… La presse officielle lui est
favorable, ses thématiques s'alignent aussi avec l'idéologie du parti,
il a alors du succès. Il faut dire qu'il est plutôt bon élève : il
participe activement à la cabale contre Michael Jary en désignant sa
musique comme « babillage musical culturellement bolchévique de juif
polonais ».
→ Comme il meurt en 1944, il n'a pas pu essayer de s'expliquer / se
renouveler / se racheter / se karajaniser, et sa musique s'est tout
naturellement tarie au concert – on avait assez d'efforts à dépender
pour réintégrer les nazis qui
ne l'avaient pas fait exprès ou d'oublier qui étaient vraiment
Böhm ou Schwarzkopf, sans s'occuper en plus des morts qui ne
demandaient rien. Pas évident à brander
pour un concert d'aujourd'hui, clairement. (Et cela nous renvoie vers
l'épineuse question crime & musique, ou sous sa forme plus
ludique, génie & vilenie.)
→ Néanmoins, si l'on peut passer sur ces questions (une large partie de
sa musique est désormais dans le domaine public, et on n'est pas près
de lui élever des statues), et découvrir (comme je le fis) sa musique
sans avoir conscience de sa personnalité (il a adopté des enfants quand
sa fille est morte, si ça peut aider et il souhaitait peut-être
devenir éleveur de chats), il y a quelques pépites à découvrir.
● Bien qu'auteur de nombreux opéras
et lieder, on ne trouve à peu près, hors le cycle des Neue Galgenlieder sur des poèmes de
Morgenstern (Wallén & Randalu, chez Antes). On trouve également un
lied par Schlusnus (poème d'un cycle de Munchhausen, chez Documents
notamment, label japonais trouvable sur les sites de flux européens) et
un autre par Prey (Der Rock,
aussi sur un poème de Morgenstern, dans son anthologie « moderne »
reconstituée par DGG). Vu l'expressivité de sa musique d'orchestre, je
serais très curieux d'entendre ses opéras Don Juans letztes Abenteuer (1914)
ou Der Prinz von Homburg
(1935). Il a aussi commis un Friedemann
Bach (1931), on voit l'écart d'inspiration avec une figure
d'artiste comme celle de Johnny
spielt auf (l'opéra de Křenek manifeste du zeitoper) !
● En musique de chambre, on ne
trouve guère que les Trios (Hyperion Trio, chez CPO), qui m'ont semblé
assez plats – une ligne mélodique vaguement brahmsienne, et assez peu
de contenu stimulant dans les accompagnements, l'harmonie ou la forme.
● C'est donc surtout du côté symphonique
que le legs est fourni, quoique peu vaste : Comedietta par Abendroth (chez
Jube Classics par exemple), Die
Flöte von Sansouci (suite de danses pseudo-baroque, d'une
ambition limitée, avec le compositeur à la flûte accompagné par le
Philharmonique de Berlin – publication CD par Archiphon sous le titre
peu spécifique « 78 rpm rarities: Raw Transfers »)… et sinon les quatre
volumes de CPO consacrés à sa musique orchestrale :
●● vol.1 : Comedietta, Variations sur un chant
traditionnel russe (thème assez sommaire, mais variations faites avec
beaucoup d'adresse orchestratoire), Musik am Abend, Sinfonietta. De
belles œuvres, d'un postromantisme assumé (plus conservateur que celui
de Schmidt, mais on entend clairement le contemporain de R. Strauss, ce
n'est pas du Brahms !) ;
●● vol.2 : Symphonie en ré mineur
« Le Forgeron Misère » (qu'il faut plutôt entendre comme un grand poème
symphonique, assez séduisant, qu'y chercher une grande arche formelle
étourdissante), Échos
du Royaume de Pan(son
œuvre la plus aventureuse parmi celles publiées, qui ,intègre des
formules impressionnistes à son langage postromantique germanique, avec
des harmonies riches et surprenantes, des couleurs inhabituelles), et
ce qui est pour moi son chef-d'œuvre absolu : les Variations sur « Prinz
Eugen ».
Variations
sur « Prinz Eugen »
« Prinz Eugen, der edle Ritter »
(« Le Prince Eugène, ce noble
chevalier ») est une chanson traditionnelle écrite juste après le siège
de Belgrade, victoire sur les Turcs du prince Eugène de Savoie en 1717
(première trace de la chanson, manuscrite, en 1719), restée dans
l'imaginaire sonore collectif allemand.
Sur cette base, assez sommaire
musicalement, Graener déploie toutes les possibilités d'un orchestre :
discrète marche-choral aux vents, explosion de lyrisme aux cordes
(augmentées d'énormément de contrechants de bois, de fusées aux cors
!), fugato pépiant inspiré
des Maîtres Chanteurs
(l'une de ses influences majeures, j'ai l'impression)… Les pupitres, de
la caisse claire aux trompettes, sont tous utilisés pour leur
caractère, leur coloration, avec une rare science, et surtout une
variété rare pour une variation : le thème, quoique toujours aisément
identifiable, se transmute au fil des épisodes, et chaque itération, au
lieu de paraître juxtaposée, semble découler tout naturellement d'une
transition ou d'une rupture digne des progressions d'une grande
symphonie à développement. Un bijou, absolument lumineux et
jubilatoire, que je ne puis recommander trop vivement (l'œuvre que j'ai
de loin le plus écouté ces trois dernières années, elle a donc mon
assentiment…) ;
●● vol.3 : Concerto pour piano,
Danses suédoises, Divertimento,
une autre Sinfonietta. Des
œuvres abouties mais dont la singularité me paraît moins évidente ;
●● vol.4 : Concertos pour flûte, pour
violon, pour violoncelle. Très marquants, ici le concerto est
vraiment conçu comme un tout organique et la virtuosité n'y paraît pas
le but… le soliste joue beaucoup, certes, mais peu de traits sont mis
en valeur, tout est intégré à l'orchestre, sans chercher à tout prix la
mélodie non plus : je trouve le principe très rafraîchissant, il
échappe à l'enflure habituelle de la forme concerto qui n'a pas
toujours ma faveur. Une proposition très différente, que je serais ravi
d'entendre en concert.
● Donc, à écouter, sans hésiter les volumes 2 & 4 de l'anthologie
CPO.
■ Comment rejouer cela au concert ? Clairement, pour du
symphonique ou de l'opéra, il faut de gros moyens, et avec les
sensibilités vives sur ce point (et la culture accrue de la
protestation dans les milieux artistiques), il y a de grandes
probabiités que le projet meure avant que d'aboutir. Un artiste qui
avait projeté de remonter une de ses œuvres de chambre a expliqué que
les musiciens avaient collectivement renoncé, trop mal à l'aise avec la
personne du compositeur pour en faire la promotion, fût-ce
indirectement.
Néanmoins, les Variations sur «
Prinz Eugen », en début d'un concert dont ce ne serait pas le
contenu principal, ou en conclusion de programme, je garantis que cela
galvaniserait l'auditoire ! (Après tout ça ne semble poser de
problème à personne de tresser des couronnes à Karajan, Schwarzkopf ou
Böhm, de jouer à tout bout de champ Carmina
Burana, alors pourquoi pas une ouverture de Graener – elle
appartient désormais au domaine public, ses ayants droit, si par
extraordinaire ils étaient solidaires des pensées de leur aïeul, ne
toucheront pas un sou…)
Hugo Alfvén.
→ Vous allez être déçu, je n'ai pas pu glaner d'anecdotes bien
croustillantes sur Alfvén. Il a fait son tour d'Europe pendant dix ans,
comme chef notamment, puis
s'est installé à Stockholm et à l'Université d'Uppsala, a composé, a
été le compositeur suédois du début du XXe a remporter le plus de succès – avec Stenhammar.
→ Sa musique est donc assez généreusement documentée, bien qu'on ne la
joue jamais en France – l'anniversaire serait-il donc l'occasion ?
● La priorité, ce sont les symphonies.
La 1 par Westerberg, la 3 par Svetlanov, la 4 par Willén… vous pouvez
ainsi tirer le meilleur de ces pièces. Westerberg est plus âpre, Willén
plus enveloppant et organique. N. Järvi, assez lumineux, n'est pas
celui qui révèle le mieux les audaces de cette musique, mais sa
fréquentation reste agréable. Quant aux versions par Alfvén lui-même,
splendidement restaurées et publiées par Phono Suecia (on entend très
bien le détail !), je crois qu'elles surpassent tout par leur caractère
direct, net et emporté à la fois.
● Ses musiques de scène valent
aussi le détour, comme Gustaf II
Adolf ou Bergakungen.
● Même s'il n'a pas écrit d'opéra, sa
musique chorale est très simple et très belle, et fait partie
des corpus de référence du legs suédois. On le trouve dans des
anthologies (le merveilleux Sköna Maj
des Lunds Studentsångare) ou dans la monographie « OD sings Alfvén »
(OD pour Orphei Drängar, les « serfs orphelins », l'ensemble vocal qu'a
dirigé Alfvén).
● Sa longue vie nous permet de l'entendre diriger ses propres œuvres, et de
profiter de l'humour avec lequel il dirige les danses du Fils prodigue, ou de la flamme qui
habite son interprétation de sa cantate pour les 500 ans du Parlement
Suédois, ce que vous trouverez chez lui de plus proche d'un opéra
! Il a aussi été capté dans ses symphonies (3 & 4) avec le
Philharmonique Royal de Stockholm. Et je suis frappé de la vivacité de
jeu, de la clarté du spectre, de l'exaltation du rebond et des
références folkloriques dans la Troisième,
avec une sorte d'emphase souriante et volontairement exagérée, comme un
personnage d'opéra un peu grotesque qui chante sa chanson avec une
pointe d'excès. Absolument délicieux, très différent, et réellement
convaincant – probablement le compositeur à m'avoir le plus convaincu
dans ses propres œuvres !
Quant à la Quatrième, très
cursive (on croirait qu'il dirige Don
Juan de R. Strauss, tant l'orchestre fulgure !), elle inclut la
participation de la jeune… Birgit Nilsson !
■ Franchement, au concert, cela passerait tout seul ! Le
folklorisme bigarré et très charpenté de la Troisième Symphonie, jubilatoire si
on la joue en respectant cette composante, comme le font Svetlanov ou
Alfvén lui-même, ou le grand monument plus farouche de la Quatrième, en un seul mouvement,
avec ses voix solistes sans paroles, dont le programme se réfère à un
rivage tourmenté – une œuvre très frappante, qui aurait tout pour
plaire au public mahléro-sibélien ! Et si c'est trop, un poème symphonique, il y a beaucoup
de très beaux, même si moins ambitieux : ce serait déjà ça de gagné
! Un petit effort Messieurs les programmateurs, une fois que le
monde aura terminé de s'effondrer ? L'accroche est facile en
plus, avec les « Symphonies des rivages du Nord battus par les vents »,
faites-le avec des projections
de vidéos de mer démontée si cela vous aide à remplir – ce serait-ce
pas le type de format qui a en principe la faveur de la Philharmonie de
Paris ?
1872 est particulièrement riche : je vous laisse avec ces quatre
compositeurs, dont deux figures majeures, avant d'en venir à quelques
autres géants également nés en 1872, dans les prochains épisodes : von
Hausegger, Halphen, Juon, Büsser, Perosi, Séverac, Scriabine, Vaughan
Williams… !
Prenez soin de vous. Carnets sur sol
prend soin de vos oreilles.
Ce billet, écrit à par DavidLeMarrec dans la catégorie Portraits a suscité :
(Photos de l'Opéra Royal de Versailles prises par mes soins le
soir du drame.)
Inspiré de faits réels (et récents).
Pour une fois, Carnets sur sol va
mettre du sel sur les plaies : je vous mène au cœur de l'expérience
d'un concert qui part dans le décor.
À quoi ça ressemble du côté du spectateur ? Qu'est-ce qui peut
causer la catastrophe du côté des interprètes ?
Vous le verrez, sous les apprêts d'une anecdote censée vous divertir,
il y a de quoi prendre conscience, pour les mélomanes, de la façon dont
se construit l'exécution musicale, de ce qui se passe en amont du
concert, des conditions pratiques de l'exercice de la musique, des
dangers de ce glorieux état, de l'épaisseur de la glace sur laquelle
dansent tous ces funambules de l'instant.
Tout commence par un petit récit. Je vous raconte l'aventure, que vous
avez peut-être déjà pu découvrir grâce à ma glorieuse présence sur les réseaux de l'instant, puis nous entrerons dans
les conjectures, les indiscrétions, les bruits de couloir… et surtout
une petite porte d'entrée sur ce qui peut causer un tel accident
industriel, et le danger qui est le pain quotidien – invisible aux yeux
du spectateur – de ces métiers où tout se joue en un moment, sur des
réflexes très précis.
#ConcertSurSol #66 …
Quelle expérience étrange !
Circé de Desmarest
(1694) sur
un livret de Madame de Saintonge,
que j'espérais depuis près de 20 ans
(et reportée deux fois à Versailles)… se révèle un décalque LULLYste un
peu paresseux, et joué dans des conditions… inhabituelles.
♠ Je vous raconte ?
[[]]
Seul extrait disponible au disque, l'air d'Astérie qui ouvre
l'acte II, ici par Véronique Gens, Les Surprises, Simon Bestion de
Camboulas (dans son récital Alpha « Passion »).
(Superbe interprétation d'ailleurs, et récital qui contient la plus
extraordinaire scène d'invocation de Médée
qui soit !)
Avant la
représentation
Projet des Nouveaux Caractères
(l'ensemble de Sébastien d'Hérin) remettant au théâtre pour la première
fois cette tragédie en musique, et incluant une restitution
organologique (effectif et instruments des 24 Violons du Roy).
→ Reporté début 2020.
→ Reporté début 2021.
→ Donné ce 11 janvier 2022, un soir seulement, juste après les
annulations des représentations de Georges Dandin dans ce même théâtre,
trois jours auparavant.
Un petit miracle.
Laurent Brunner, directeur de
Château de Versailles Spectacles, grimpe sur le proscenium et annonce :
« Véronique Gens a tout donné pendant ces cinq jours d'enregistrement,
mais à présent elle est souffrante et donnera seulement la réplique ».
(Finalement elle chanta très bien – mais à petit volume. Rien à avoir
avec ce jour où, chantant la dernière réplique de Béatrix mourant, elle
s'évanouit complètement sur scène, manquant de se fendre le crâne dans
la fosse – soignez toujours vos relations avec la mezzo du pupitre d'à
côté, ce peut vous sauver, sans exagération, la vie.)
L.B. poursuit : « J'ai eu la
délicieuse surprise de découvrir que le synopsis du programme est faux,
rien à voir avec l'œuvre à laquelle vous assisterez. Il vous raconte
les amours de Circé avec le Tibre, rien à voir, c'est bien l'histoire
avec Ulysse, tirée de L'Odyssée,
dont parle l'opéra de ce soir. »
[Ce fut un soir, ce fut un matin. Pôle Emploi était riche d'un nouvel
adhérent.]
J'ajoute, moi, que tous les chanteurs ne sont pas crédités dans le
programme de salle (notamment des rôles courts mais capitaux comme
Vénus) : ainsi ladite Vénus, excellente chanteuse issue du chœur, que
j'espère réentendre plus en longueur, n'est pas mentionnée. Romain
Bockler, qui chante Polite, l'amant du couple secondaire, se voit même
attribué le rôle de Phaebetor (divinité des mauvais rêves) qui
n'intervient que dans le Sommeil (chanté par Arnaud Richard)… C'était
la pagaille au service documentation & communication,
manifestement. (Mais par les temps qui courent, on sait bien que tout
doit être bouclé sans que les personnes compétentes ne soient
nécessairement disponibles.)
L'œuvre
Assister à la résurrection de témoignages sonores enfouis est toujours
un privilège, on ne le répètera jamais assez. Même lorsqu'on ne les
trouve finalement pas extraordinaires : on a le luxe de se faire un
avis, l'expérience est formidable en soi.
Circé appartient à cette veine
: beaucoup de quasi-plagiats de LULLY (exacte même écriture en
beaucoup d'instances), comme les scènes de jalousie dont l'harmonie et
les procédés rythmiques sont empruntés littéralement à Armide (ils viennent très
précisément de l'Ouverture, d' « Enfin il est en ma puissance », du
postlude du V), comme le Sommeil qui est un pur décdalque d'Atys, comme l'acte IV de torture
dont le dispositif doit manifestement au IV de Thésée…
Le livret de Madame de
Saintonge, pourtant tout à fait réussi dans Didon, présente de réels défauts.
Sa structure n'est pas très claire (beaucoup d'actions à cheval sur des
actes), mais elle présente surtout des incohérences
: Vénus annonce qu'Ulysse va aimer Circé, ce qui n'arrive pas ; Circé
prépare un piège pour faire souffrir Ulysse et son amante à l'acte IV,
mais à l'acte V les voilà libres sans plus d'explication (le piège n'a
pas fonctionné, tout simplement). Ces annonces
non suivies d'effet sont contraires à la grammaire dramatique la
plus intuitive, tout de même, surtout que le reste du livret est, en
particulier dans son vocabulaire et sa syntaxe, extrêmement
conventionnel.
Et contrairement à Didon qui
sublimait les emprunts LULLYstes (par ailleurs réussis dans ce cas,
comme la Chaconne !) par une inspiration de première farine (et de pâté
de foie supérieur), Circé
donne davantage à entendre le Desmarest de la pastorale Vénus & Adonis
: lisse, dénervé, très homogène, peu saillant en prosodie et mélodie.
Plutôt une déception, donc. Avec tout de même quelques très beaux moments :
✓ le chœur à fugato « Fais
durer ses plaisirs » à la fin du II (d'un genre typique de la
génération d'après LULLY, cf. les chants d'hyménée du I
de Callirhoé de Destouches ou
le Prologue de Pirame & Thisbé
de Francœur & Rebel) ;
✓ l'air en chaconne des
craintes d'Astérie au début de l'acte II (dans la lignée délicieuse du
duo d'amour de Roland ou de
l'air d'entrée de Callirhoé) ;
✓ le trio du Sommeil (le
prélude est fade, mais le trio vocal splendide, beaucoup plus riche
qu'Atys) ;
✓ la mort d'Elphénor, récitatif
assez nu et plutôt saisissant (racontée
en réalité à l'acte suivant, comme celle d'Athamas dans Philomèle) ;
✓ la petite chaconne
d'accompagnement du duo amoureux Éolie-Ulysse, délicieuse ;
✓ et la grande scène finale de
Circé, ébouriffante – où pour le coup la musique, tout en s'inspirant
clairement du caractère d'Armide,
est vraiment typique de Desmarest, et use
des procédés plus libres de la nouvelle génération, avec une ligne de
chant originale et très expressive. Un grand moment.
L'interprétation
De ce côté-là, c'était plus… étrange.
J'ai bien sûr beaucoup aimé Cécile
Achille(Éolie, aimée d'Ulysse)
– que je suis depuis le CNSM, belle voix bien faite et vraiment
investie dans l'expression (expression qu'on voyait passer sur son
visage, la façon d'émettre les sons avec sa bouche traduisait de façon
étonnamment éloquente les émotions !) – et surtout Vénus (la voix la mieux projetée,
une choriste non créditée), Véronique
Gens (Circé) remarquablement timbrée, même si le volume sonore
est beaucoup plus faible que d'ordinaire (de la méforme de grand luxe,
j'ai entendu bien pire !).
Il faut s'habituer aux manières très XIXe de Nicolas Courjal (Elphénor): couverture en [eu], rubato, allègements en soufflets…
mais la présence vocale est tellement extraordinaire…
Dans sa mort et son apparition spectrale, le grave est tellement riche,
soyeux et généreux qu'il donne l'impression de s'accompagner lui-même !
Caroline Mutel(Astérie) a énormément mûri et
progressé (diction beaucoup plus incisive, timbre moins flottant, plus
mordant) – peut-être est-ce aussi la tessiture beaucoup plus basse, qui
flatte bien mieux ses qualités. En tout cas je n'avais jamais adoré ses
aigus très flous, et ici, sans les aigus (le rôle doit culminer au
sol4, et à un diapason de près d'un ton plus bas que le nôtre !), ce
qu'elle faisait était véritablement remarquable. (Une nouvelle carrière
de mezzo à creuser dans les années à venir ?)
Mathias Vidal(Ulysse), à l'inverse, paraît en
général plus engoncé dans les rôles LULLYstes vraiment
graves pour son profil de ténor élancé. Il a au demeurant tous les
graves nécessaires (presque barytonnant), mais à cela s'ajoutent ses
manières emportées, qui font merveille dans la tragédie post-gluckiste
ou dans les opéras du XIXe s., mais qui sonnent un peu hachées et pas
toujours pleinement aristocratiques dans les opéras du XVIIe.
L'exécution
Et c'est à présent que tout devient totalement lunaire.
L'orchestre ne parvenait pas à jouer ensemble ni à suivre les chanteurs
! À de multiples moments, ce n'était tout simplement pas la bonne
partie qu'ils jouaient en même temps. Le chef cherchait bien évidemment
à rattraper les choses mais ses gestes restaient sans effet, les
musiciens et les chanteurs le regardaient perdus, sans en tirer l'aide
espérée. On voyait dans les entrées les pupitres, konzertmeister inclus, le regarder,
se tendre, tenter d'entrer au bon moment… et rater. C'est arrivé assez
souvent, en particulier dans le Prologue et les actes I & V.
Ce n'était pas tout le temps non plus, le reste était en place ; et ce
sont de très bons professionnels, ça ne ressemblait pas à du Schönberg.
Mais chez des professionnels de ce niveau, je n'avais jamais vu un tel
effondrement collectif.
Remarque semi-ingénue d'un camarade à l'entracte : « c'est une
audace propre à Desmarest, autant de liberté dans la prosodie par
rapport à l'accompagnement musical, c'était bien voulu ? ».
Cela se manifestait initialement par des décalages et des faux départs
inhabituellement nombreux et audibles, et une façon, pour les
chanteurs, de ne pas exactement respecter les valeurs écrites, de
chanter un peu comme l'on parle, dans une globalité qui a son point
d'arrivée et son point de départ, mais avec un détail rythme assez flou
(des pointés qui ne sont pas exactement des 3/4 de valeur, des doubles
croches qui traînent un peu, etc.). Rien de très spectaculaire
pour l'auditeur, on reconnaissait bien ce qu'on entendait.
Cependant la pagaille a tellement gagné en intensité à l'acte V que
l'orchestre a dû s'interrompre au début d'une danse : ils ne jouaient
pas du tout la même danse ou le même système dans la danse. Et ils ne
l'ont pas fait sourire aux lèvres et en s'adressant au public comme
cela advient quelquefois : « ah, ah, ça arrive, on s'est fait
avoir, allez on reprend ».
Non, ils étaient abattus.
Et Gens, l'une des chanteuses les plus capées (et captées) depuis
que l'on enregistre ce répertoire, totalement perdue dans son final de
bravoure, le sommet de l'opéra, commence en même tmeps qu'une
ritournelle (dix mesures en avance donc !) ; pourtant le violon est
écrit sur sa partition, même si c'est une réduction, confusion très
inhabituelle !
Elle aussi regardait le chef sans rien y comprendre. Et lui faisait des
signes, qui n'étaient toujours pas compris, et faisaient plutôt rater
davantage lorsqu'ils étaient suivis, créant un surcroît de flottement.
À ce moment (à cinq minutes de la fin), on a senti qu'ils lâchaient
tous prise. Fatigue aidant, plus rien ne passait. Pour les ponctuations
des récitatifs de cette grande scène finale, aucun accord n'était au
bon endroit. Les musiciens ont essayé d'abord d'attendre les fins de
phrase de la chanteuse, créant des blancs assez audibles, puis tous ont
fini, résignés, par jouer au fil de l'eau, sans trop compter les temps
: elle chante, ensuite on joue, etc. Véronique Gens, elle, a fini par
chanter à mi-voix la fin de sa tirade, comme n'osant pas déclamer tout
fort une ligne vocale erronée.
Malaise.
Problème
Soyons honnête : pour le spectateur, les décalages, ça se limite le
plus souvent à frimer avec les copains en relevant telle erreur pour
voir entre nous si on a une bonne oreille, comme un jeu des sept
erreurs en comparant avec le disque (ou, pour les plus sérieux, la
partition). C'est très bien, mais quelques fausses entrées, il ne faut
pas pousser, ça ne gâche pas un spectacle, loin s'en faut.
Et on ne va surtout pas leur en tenir rigueur pour un inédit monté en
temps de covid.
Ici, le problème réside dans le fait que ce n'était pas une erreur
ponctuelle, ni même trop fréquente : on sentait que les musiciens (et
même les chanteurs, par moment), marchaient sur des œufs.
Or, il s'agissait d'une œuvre que le public découvrait, et dont le
livret n'était ni très clair (et le programme de salle était faux…), ni
très palpitant (ses enjeux et coups de théâtre étant comme désamorcés
par ses propres contradictions), écrit dans une langue assez prévisible
et plate.
Musicalement aussi, beaucoup d'emprunts à LULLY, sans
que cela ne dynamise véritablement la composition, qui recèle
manifestement peu de fulgurances.
Et joué ainsi prudemment, avec
les musiciens absorbés par les temps à compter et les entrées à
réussir, le rubato des
chanteurs à comprendre (manifestement, ils étaient décontenancés par la
liberté de phrasés à certains moments, comme s'ils ne s'étaient pas
concertés), l'œuvre ne pouvait
bénéficier du coup de pouce nécessaire à prendre réellement vie.
Vrai également pour les chanteurs, un travail de précision sur la
prosodie aurait permis de faire claquer
certaines répliques.
C'est là que ce situait la difficulté, plutôt que sur le détail de ce
qui n'était pas en place et qui, honnêtement, n'aura gâché la vie (ni
même la soirée) de personne.
Les Nouveaux Caractères
Je m'empresse de préciser qu'il ne s'agissait pas d'une erreur de
casting. Les Nouveaux Caractères sont un
ensemble de premier plan. Il
suffit d'entendre ces extaits étourdissants de Grétry ou bien au
disque, les
couleurs formidables dans Les
Surprises de l'Amour (Rameau), ou en la mise
en valeur de l'écriture très violonistique de l'orchestre de Scylla
& Glaucus – le compositeur Leclair était précisément
virtuose du violon, et cet aspect très bien mis en valeur.
[[]]
Château de Versailles Spectacles n'a pas embauché n'importe qui au
doigt mouillé.
On ne peut par ailleurs pas leur en vouloir : d'abord, il s'agit d'un
inédit, et s'ils ne s'y étaient pas attelés courageusement (sachant
qu'on a toujours moins de public et de couverture presse lorsqu'on fait
un Desmarest plutôt qu'un Atys ou un Platée…), on ne l'aurait jamais
entendu – et j'aurais en ce qui me concerne continué de regretter qu'on
nous prive de ce probable bijou.
De surcroît, contrairement à beaucoup d'autres arts, la musique est un
art de l'instant : on peut
retoucher calmement un texte, une œuvre
picturale ou plastique, une installation, une pellicule, même
retravailler à froid une mise en scène… Mais pour la musique, il y a
toujours un moment où il faut se frotter à l'instant. Et la chose est
encore plus
technique que la récitation d'un texte comme au théâtre, la précision
requise doit se dérouler à des valeurs de temps inférieures à la
seconde.
C'est pourquoi il est très difficile, à mon sens, de juger sévèrement
des musiciens qui se trompent : ce n'est pas nécessairement qu'ils
n'ont pas travaillé. On peut rater quelque chose dans une demi-seconde,
une attention qui se détourne, un doigt qui glisse, une erreur de
perception d'un geste… Et pas de retouche possible dans un concert.
Défoncez le disque, si vous tenez absolument à être méchant ; mais pour
ce qui est du concert, il est vraiment difficile d'émettre un jugement
moral sur le travail des musiciens, sauf à être réellement informé
d'une désinvolture attestée. (Il
y a tout de même certaines attitudes qui ne trompent pas les soirs de
routine, coucou l'Opéra de Paris !) Mais je n'ai pas
observé ce type d'insouciance mardi soir, du tout. Plutôt de la
détresse et de
l'abattement.
Car pour moi le spectateur d'un soir, c'est un fait insolite. Pour eux
dont c'est le métier – et un métier assez peu rassérénant ces jours-ci
–
rater, ce doit être plutôt dur à vivre.
J'ai eu deux confirmations, de source interne, que le chef était
particulièrement tendu dans la journée précédant le concert, disant
même qu'il craignait un échec le soir. Ils avaient sans nul doute à
cœur de faire du mieux possible.
Pourquoi ?
Je tente quelques hypothèses plausibles et cumulables, en attendant
l'arrivée de renseignements complémentaires. (J'ai commencé ma petite
enquête, mais je n'ai pas encore tous les éléments. Si quelqu'un
d'entre vous est au
courant des véritables causes, je suis très intéressé.)
Comment est-il possible, lorsque l'on est des professionnels sérieux et
bien formés, de s'effondrer lors d'une représentation publique ?
Je pose la question non pour flétrir, mais pour tâcher de comprendre
les mécanismes à l'œuvre : les plus informés savent évidemment tout
cela, mais pour une partie du public plus mélomane-discophile ou
mélomane-spectateur peu porté sur la coulisse, il y a peut-être de
petites découvertes à la clef.
Je commence par ce qui est propre à ce concert.
--
a) La nouveauté
Quand on propose une œuvre inédite, on ne peut pas prendre de
raccourcis en écoutant le disque et en se disant qu'on va juste faire à
l'oreille comme ça sonne, chacun écoute sa partie et reproduit un peu
ce qu'il entend.
Si le temps de préparation individuelle ou de répétition collective
s'avère trop court, il n'y a pas de parachute comme lorsqu'on joue Don
Giovanni ou Carmen (chacun sait à peu près à quoi ça ressemble).
--
b) Les reports
Il est possible que le nombre de répétitions alloué ait été en partie
entamé par les précédentes annulations. Dans le même temps, les
musiciens embauchés ne sont peut-être plus tout à fait les mêmes ; les
présents auront tout oublié, et les nouveaux ont tout à apprendre. Tout
cela
rogne potentiellement sur le planning initial.
De fait, j'ai aperçu beaucoup de nouvelles têtes, de petits jeunes
jamais vus auparavant dans d'autres ensembles, ni surtout ici – en
réalité, si on compare à la vidéo de Grétry susmentionnée : personne
en commun.
--
c) La jeunesse
En dehors du continuo, où sévissaient quelques visages connus (parfois
perdus aussi, mais beaucoup plus sûrs d'eux : les deux plus célèbres de
l'orchestre, Benoît Hartouin au clavecin, Frédéric Baldassare à la
basse de violon étaient clairement ceux qui tenaient la maison), les
musiciens semblaient bien tendres, à peine sortis de leurs études. Dans
des conditions adverses, ils avaient sans doute moins de ressources que
les vieux routiers qui ont traversé toutes les surprises depuis des
décennies.
--
d) La lutherie
Le projet était couplé avec une recréation d'instruments anciens avec
des luthiers en lien avec le CMBV : l'idée était de restituer
l'instrumentarium des 24 Violons du
Roy – avec leurs dessus de violon
plus petits que les violons modernes, les hautes-contre de violon un
peu plus grands, les tailles de violon proches de l'alto, les énormes
quintes de violon et pour finir la basse de violon (un peu plus large
que le violoncelle).
C'était évidemment un enjeu supplémentaire, il faut maîtriser ces
instruments nouveaux, leur tenue, leurs écarts, et ils ne sont en
général pas prêtés longtemps avant les répétitions : on m'a raconté (à
l'occasion d'un autre concert) que pour
des vents, de facture très inhabituelle, avec de nouveaux doigtés et
tout… on les livrait une semaine
avant le concert !
Sur une œuvre nouvelle et avec des musiciens moins expérimentés, c'est
un degré de difficulté supplémentaire. (Quand je dis qu'on ne peut pas
commencer par blâmer les musiciens avant de s'informer sur les
conditions réelles des répétitions : apprendre une nouvelle spécialité
professionnelle en une semaine tout en travaillant sur un sujet
nouveau, voilà qui calme les velléités de vitupération.)
Jusque là, à peu près tous les ensembles sont susceptibles de vivre ce
genre de contrainte sans sortie de route majeure.
Mais j'ajoute une hypothèse très crédible (que je n'ai pas pu faire
confirmer pour l'instant), et bien dans l'air du temps.
--
e) Covid superstar
(Je disais « la covid » bien sagement auparavant, mais
j'aime
trop voir l'Académie Française prophétiser la Fin de la Civilisation
pour ne pas contribuer un peu à sa détresse quotidienne.)
Considérant les centaines de milliers de cas quotidiens, et
l'exposition structurelle des
musiciens (vie très communautaire, chanteurs et vents non masqués…), il
serait étonnant qu'il n'y ait pas eu des musiciens empêchés.
Et là imaginez : des pupitres entiers manquent potentiellement à
l'appel, peut-être dans des secteurs stratégiques du continuo ou des
chefs de pupitre. On arrive le jour suivant, et les nouveaux débarquent
sans avoir rien répété, ils découvrent même l'existence de l'œuvre (et
une fois encore, pas d'enregistrement pour se mettre rapidement dans le
bain, il faut lire sa partie, on n'a probablement pas trop le temps de
se pencher sur celle des autres). Et cela a pu potentiellement advenir
plusieurs fois pendant la semaine…
On mesure l'épuisement physique et nerveux de ceux qui voient le temps
passer sans pouvoir avancer, ainsi que de ceux qui débarquent tout d'un
coup. D'autant qu'il y a un disque à la clef, il ne faut pas se rater.
--
f) Les temps de répétition
Laurent Brunner, le directeur de la programmation de l'Opéra Royal, a
assuré que l'ensemble répétait depuis 5 jours, et qu'il y aurait encore
quelques jours pour finir l'enregistrement du disque (notamment les
traditionnelles retouches du concert, je suppose). En partant du
principe qu'on ne nous a pas menti (et c'est très probablement vrai,
puisque le disque ne va pas s'enregistrer tout seul !), ces cinq jours
n'ont pas été suffisants.
On peut bien sûr supposer que le concert a été donné trop tôt dans le
processus, pour pouvoir faire ensuite les retouches (cela arrive
quelquefois, mais je n'ai jamais vu de cas où ça se percevait aussi
palpablement).
Ou bien soupçonner le chef d'être peu
efficace en répétition, les
musiciens peu préparés… Mais tout cela, à vrai dire, on n'en sait rien
– et ce que j'ai entendu jusqu'ici des Nouveaux Caractères ne me laisse
pas penser qu'ils sont d'aimables fumistes qui se gobergent à la
subvention.
C'est le moment de lever un coin du voile sur la répétition dans ce
type de configuration. Pour monter une production de ce genre, il faut
des finances. Celles-ci sont
allouées par l'organisateur (ou la
coproduction). Et c'est lui qui fixe les coûts, voire les durées s'il
héberge les répétitions en son sein.
Concrètement : Château de Versailles Spectacles contacte Les Nouveaux
Caractères (ou bien Les Nouveaux Caractères soumettent leur projet,
tout dépend de qui vient l'impulsion). L'organisateur demande à
l'ensemble combien de jours de répétitions sont nécessaires pour monter
cette tragédie en musique de type post-LULLYste. Le chef
d'ensemble
fait une évaluation et communique proposition. En général (me souffle
une
source particulièrement bien informée), les organisateurs font une
contre-proposition de l'ordre de 30 à
50% de l'enveloppe souhaitée. Il faut donc être très efficace !
À charge ensuite à l'ensemble musical de décider s'il accepte ou non.
Mais il faut bien vivre, et sécuriser des engagements réguliers. En
général, on
accepte donc, tout en sachant que ce sera serré, et qu'on ne pourra pas
avoir le degré de finition dont on rêve.
Vous voyez le tableau : vous savez que vous avez moins de temps que
nécessaire pour tout boucler, mais le concert et le disque vous
attendent au bout du chemin. Ajoutez un effectif un peu plus jeune que
de coutume, des remplacements plus nombreux pour cause
de couronnement viral, et vous tenez la petite frange de
désorganisation qui peut faire la différence entre le succès (quitte à
ce que les musiciens soient frustrés de ne pas avoir pu aller plus
loin) et l'accident industriel.
Évidemment, plus un ensemble est
célèbre (et peut faire remplir sur son
nom, comme Les Arts Florissants ou Les Musiciens du Louvre, voire pour
l'ultra-niche de la tragédie en musique Les Talens Lyriques), plus il
peut négocier un nombre de services (sessions de répétition) élevé.
Comme d'habitude, la Victoire vole au secours du succès préexistant :
plus un ensemble est aguerri, plus on lui propose des conditions
favorables, ce qui assoit encore davantage son prestige lorsque le
concert paraît si léché – forcément, il peut recruter les meilleurs
instrumentistes avec un temps de répétition supérieur !
Vous comprenez à présent pourquoi Hervé
Niquet (qui certes, comme
beaucoup d'entre nous, ne devait pas adorer les Prologues) coupait dans
les tragédies en musique ? Cela fait moins de sections à
travailler… et permet d'optimiser le temps passé, pour faire du
meilleur boulot sur le reste.
Je fais partie de ceux qui ont râlé à l'époque (avant qu'il n'aille
voir vers d'autres répertoires plus à son goût / où on lui fiche
davantage la paix ?), parce qu'on enregistrait pour la première (et
sans doute dernière) fois un inédit, et qu'on ne le donnait pas
intégralement… mais d'un point de vue strictement économique et
pratique, le procédé se défend totalement.
À cela s'ajoute qu'il est régulièrement d'usage de répéter, en
particulier pour optimiser la présence du chœur et des solistes – aussi
pour gagner du temps – dans le
désordre. Ce peut produire de très beaux
résultats cohérents : les opéras enregistrés à Versailles par Les
Accents de Guy van Waas, dont La
Vénitienne de Dauvergne, Thésée de
Gossec et surtout le mirifique Céphale & Procris
de Grétry…
suivaient cette logique économique.
Si jamais les musiciens venaient d'arriver ou n'avaient pas une bonne
vision d'ensemble, il a pu y avoir du flottement en enchaînant des
numéros qu'on n'avait jamais (ou qu'une fois, j'espère qu'il y a eu une
générale !) joués en les enchaînant. Et Dieu sait qu'il y en a, des
petits morceaux de caractère très distincts qui s'enchaînent dans une
tragédie en musique !
Pour les chefs d'orchestre traditionnels (formés par des cours
spécialisés, virtuoses de la gestique, voyageant d'orchestre en
orchestre), les chefs d'ensemble baroque, qui n'ont pas le même savoir,
ne doivent pas être perçus comme de véritables chefs d'orchestre. Le
chef d'ensemble connaît
ses musiciens, a le temps de communiquer longuement avec eux. Il fait
moins de programmes, et les produit souvent en tournées, si bien que
tout a le temps de maturer en se parlant, sans avoir nécessairement de
technique de direction hors norme – comme je le mentionnais dans la
notule en question, il est extrêmement difficile pour un observateur
extérieur (ou même intérieur) de juger de la qualité d'un chef
d'orchestre, mais on peut lire de façon récurrente, et notamment de la
part de musiciens d'orchestre, des critiques acerbes sur l'incompétence
(au moins gestuelle) des chefs baroques reconvertis comme Minkowski,
Niquet, etc.
Pour résumer la problématique :
il existe deux types de postes de chefs
d'orchestre traditionnels.
a) Le directeur musical est
présent tout au long de la saison et sur
plusieurs années : il choisit (en accord avec la direction
administrative) le programme, les solistes et autres chefs à inviter,
fait travailler l'orchestre sur la durée (notamment sur l'identité
sonore, les dominantes de répertoire…). Le chef d'ensemble spécialiste
comme d'Hérin connaît ce travail, c'est celui qu'il mène au quotidien.
b) Chef invité
est un tout autre type de statut : il travaille,
l'espace d'un concert, avec un orchestre qu'il ne connaît pas forcément
bien. Certains chefs invités reviennent souvent, mais ils n'ont pas la
même tâche d'encadrement ni les mêmes responsabilités administratives.
Il faut donc être capable, le temps de deux ou trois services, en
général (un service est une session de répétition, 3h disons), d'avoir
mis en place 1h30 de musique et, pour éviter le four, d'avoir transmis
des souhaits esthétiques, mis en valeur détails, et quand c'est
possible d'avoir bien habité l'essentiel des œuvres… Si vous vous êtes
jamais demandé : « mais pourquoi l'ouverture / l'accompagnement du
concerto sonne moins bien que la symphonie ? » ou « c'est
incroyable, par moment le chef souligne des détails inédits, et à
d'autres tout le monde semble en pilote automatique »… c'est très
probablement lié à ce temps de répétition limité.
Les chefs très en vue ou les œuvres difficiles peuvent obtenir
davantage de services – il y
aura plus de répétitions pour Die
Soldaten de B.-A.
Zimmermann que pour une soirée, au hasard, Symphonie Pastorale & Triple Concerto… Mais
vous voyez bien l'enjeu d'être efficace en
répétition, et c'est pourquoi les musiciens d'orchestre jugent souvent
assez sévèrement les chefs bavards. S'ils commencent à arrêter la
musique à chaque fois qu'ils ont quelque chose à dire, on ne pourra pas
faire beaucoup de travail de mise en place ni d'interprétation… Les
chefs commentent donc pendant que l'orchestre joue, et surtout, ils
doivent disposer d'une gestuelle suffisamment expressive pour faire
comprendre le type de son ou d'articulation de phrasé qu'ils
souhaitent, sans tout verbaliser mesure par mesure !
Et c'est spécifiquement pour ce rôle de chef invité, qui débarque
quasiment le soir du concert (l'interprétation continue souvent à
s'affiner pendant le concert
!), et qui représente le cas de
l'immense majorité des chefs – assez peu, en proportion, ont leur
propre
orchestre, ou alors c'est l'orchestre qu'ils ont fondé et la question
de la gestique se pose beaucoup moins : ils se connaissent par cœur.
Vous voyez à présent où je veux vous mener : Sébastien d'Hérin, dont ce
n'est pas la formation, n'a aucune raison, ne prétendant pas à diriger
d'autres ensembles que le sien, d'avoir développé cette technique.
Mais l'autre soir, devant un orchestre profondément renouvelé, avec
sans doute beaucoup de nouvelles recrues, voire d'arrivées de dernière
minute pour sauver le concert… une belle technique de direction aurait
peut-être pu limiter le désordre par moment. Cela lui a sans
doute fait défaut ce soir-là, dans ces circonstances plutôt
exceptionnelles.
Tout cela non pas pour le blâmer (qui aurait pu imaginer, il y a deux
ans, l'effondrement du monde civilisé sous la pression d'armées
microscopiques ?), mais pour expliquer les flottements qu'on a pu
observer
lorsque les musiciens cherchaient du regard les indications du chef,
qui ne les donnait pas assez en avance (l'avance sur le temps, ça aide
à réagir !), ou pas assez clairement, et le plantage était dans ces
moments
inévitable.
C'est pourquoi j'ai choisi de vous entretenir de ce concert. La
tradition était déjà de toute façon d'évoquer les tragédies en musique
inédites écoutées, mais j'ai profité ici des imperfections insolites
pour essayer de remettre en perspective ce qui, dans un concert, paraît
aller de soi mais est à surmonter à chaque production… aucun ensemble,
aucun chef n'a jamais de temps illimité alloué… produire un bon
résultat, beaucoup en sont capables, mais un bon résultat en un temps
très court (voire insuffisant), c'est à chaque fois un défi, surtout si
l'on a une haute idée de son art.
[Parce que je me souviens aussi, après une représentation de Vanessa
de Barber par l'orchestre-atelier OstinatO, d'avoir pris le train
auprès du pupitre de bois qui s'esclaffait d'avoir joué n'importe
comment… Certains le vivent bien.]
Toutes mes pensées à Sébastien d'Hérin et aux Nouveaux Caractères : ce
fut sans doute un moment difficile, et j'espère qu'il ne nuira pas à
la carrière l'ensemble, qui a beaucoup à dire et à faire découvrir.
Merci, avant
toute chose, d'oser le répertoire inédit, moins payant, plus exigeant
et… plus périlleux. Rien que pour cela, tout mon respect, et ma sincère
gratitude.
Je suis prêt à retourner les entendre, surtout s'ils font Hippodamie,
Philomèle
ou
Créüse l'Athénienne !
Comme point final à notre cycle de l'année autour des nouveautés discographiques (qui sait quelle forme
l'entreprise prendra l'an prochain), le moment est venu d'une sélection
très courte, qui contraste avec les tentations d'exhaustivité que vous
avez pu observer dans l'année.
Mais comme 10, ce serait tellement peu et trop cruel… j'ai commis
plusieurs tops 10. Pas un par
genre, μηδὲν ἄγαν, vous ne vous y retrouveriez pas.
Ce top 10 général (versions fulgurantes d'œuvres pas trop rabâchées) se
double ainsi d'un top 10 d'interprétations exceptionnelles d'œuvres
couramment jouées. Après une petite liste par genre des disques ayant
atteint la cotation maximale au cours de l'année, il sera triplé par
par les 10
disques hors nouveautés que j'ai le plus écoutés en 2021.
C'est parti !
A. Le grand top 10
(11, mais Alcione a en
réalité paru en 2020, disponible par la suite en numérique, époque à
laquelle je l'ai écoutée, début 2021.)
1. Interprétation extraordinaire d'Alcione,
issu des représentations à l'Opéra-Comique (qui m'avaient, étrangement,
un peu moins marqué). Orchestre composé de la fine fleur des musiciens
spécialistes de la tragédie en musique – en fait du Concert des
Nations, il y avait beaucoup de membres des principaux ensembles
baroques français, Thomas Dunford à l'archiluth en étant le
représentant le plus célèbre. Et surtout, Auvity et Mauillon dont la
singularité de timbre et l'expressivité verbale suprême magnétisent
chaque instant de leur présence.
Le commentaire que j'en avais fait : Marais – Alcione – Desandre, Auvity,
Mauillon ; Le Concert des Nations, Savall (Alia Vox 2021)
→ Issu des représentations à l'Opéra-Comique, enregistrement qui porte
une marque stylistique française très forte : dans la fosse, sous
l'étiquette Concert des Nations propre à Savall, en réa:lité énormément
de musiciens français issus des meilleures institutions baroques,
spécialistes de ce style), et un aboutissement déclamatoire très grand
– en particulier chez Auvity et Mauillon (qui est proprement miraculeux
de clarté et d'éloquence).
→ Le résultat est donc sans rapport avec l'équipe catalane du fameux
enregistrement des suites de danses tirés de cet opéra (1993), non sans
qualités mais pas du tout du même naturel et de la même qualité de
finition (instrumentale comme stylistique).
→ Les moments forts de la partition (la chaconne initiale de Pélée,
l'interruption du mariage, le naufrage, le duo de révélation
Pélée-Alcione…) s'en trouvent formidablement mis en évidence, et
permettent de goûter pleinement le génie mélodique et harmonique de
Marais.
→ Le frémissement interne de l'orchestre, magnifié par la prise de son
Alia Vox, parachève cet objet incontournable pour les amateurs de
tragédie lyrique.
→ Sans comparaison avec le studio Minkowski, pas très bien chanté
(Smith-Ragon-Huttenlocher-Le Texier, ce n'est pas la folie…), beaucoup
moins coloré et mobile, même s'il s'y trouve de beaux moments de
continuo très poétique.
2. Une nouvelle version de Drot og
Marsk, opéra politique de Peter Heise, un sommet du romantisme
mûr, très riche, aussi bien nourri du sens du drame verdien que de la
recherche musicale germanique, un peu le meilleur des deux mondes. Et
on ne croule pas sous les opéras en danois dans la discographie – Lulu de Kuhlau se trouve en ligne
(bande radio sur YouTube), je ne saurais trop vous recommander cette
merveille en attendant une incertaine parution discographique. Superbe
version par ailleurs, meilleure que la précédente. HEISE, P.A.: Drot og marsk (Royal
Danish Opera Chorus and Orchestra, Schønwandt) (Dacapo 2021)
→ Superbe drame romantique, dans la descendance tardive de Kuhlau,
remarquablement chanté et joué. Tout est fluide, vivant, inspiré, œuvre
à découvrir absolument ! (il en existait déjà une version pas trop
ancienne chez Chandos)
3. Tout à fait inattendus, ces motets d'un compositeur wallon, dans un
goût quelque part entre le Mozart de jeunesse et le meilleur Grétry.
L'air de ténor « Miles fortis », agile et épique (dans la veine de Fuor del mar ou de Se al impero, si vous voulez, mais
dans une ambiance harmonique et mélodique plus proche des airs de
Céphale ou Guessler), a tourné en boucle depuis sa découverte. Je ne
m'attendais pas à entendre du simili-seria
sacré dans une région secondaire d'Europe produire un résultat aussi
jubilatoire ! Hamal – Motets – Scherzi Musicali,
Achten (Musiques en Wallonie 2021)
→ Pour moi clairement plutôt du genre cantate.
→ Musique wallonne du milieu du XVIIIe siècle (1709-1778), très marquée
par les univers italien et allemand, pas tout à fait oratorio façon
seria ,pas tout à fait cantate luthérienne, avec de jolies tournures.
→ Côté dramatique post-gluckiste quelquefois, très réussi dans
l'ensemble sous ses diverses influences.
→ Le sommet du disque : l'air héroïque de ténor « Miles
fortis » qui clôt la cantate Astra Cœli, d'une agilité et d'une
vaillance parfaitement mozartiennes (augmentées d'une grâce mélodique
et harmonique très grétryste), et qui pénètre dans l'oreille comme un
véritable tube, ponctué par ses éclats de cor et ses violons autour de
notes-pivots…
→ Splendide interprétation des Scherzi Musicali, qui ravive de la plus
belle façon ces pages oubliées. Mañalich remarquable dans les parties
très exposées de ténor, à la fois doux, vaillant et solide.
→ Écouté 7 fois en quatre jours (pas très séduit en première écoute,
puis de plus en plus enthousiaste). Comme quoi, il faut vraiment donner
leur chance aux compositeurs moins connus, et ne pas se contenter d'une
écoute distraite pour décréter leur inutilité.
4. Les Quatuors d'Henri Vieuxtemps, ce sont (certes un demi-siècle plus
tard !) les quatuors égarés de Beethoven ! Sens remarquable de la
forme, mélodies un peu sévères mais marquantes, c'est à découvrir
absolument si l'on aime le gronchon idéaliste dont on a fêté
l'anniversaire jusqu'à la mi-saison : il faudrait regarder les
partitions de plus près, mais lors des premières écoutes, la qualité ne
m'a pas paru sensiblement moindre… Vieuxtemps – Les 3 Quatuors à cordes
– Élysée SQ (Continuo Classics)
→ Nouveauté fondamentale : trois nouveaux quatuors de Beethoven
composés par Vieuxtemps.
→ Je n'aime pas trop le son un peu dépareillé de cet ensemble, mais peu
importe vu ce qu'il document ici d'inestimable – il n'existait aucun
quatuor de Vieuxtemps au disque. (Même sur YouTube, on pouvait trouver
deux mouvements pour dans un concert de conservatoire. Pas davantage.)
Merci les Élyséens !
5. L'intégrale de Svetlanov, très typée et d'apparence sale,
ne donnait pas la pleine mesure de la singularité des symphonies de
Miaskovski, très différentes les unes des autres. Après la réussite de
la 21 en 2020, Vasily Petrenko récidive avec la 27, étonnamment intense
et lumineuse, et traitée avec un sens du style remarquable – le tout
servi par l'un des tout meilleurs orchestres du monde actuellement. Miaskovski (Myaskovsky), Symphonie
n°27 // Prokofiev, Symphonie n°6 – Oslo PO, V. Petrenko (LAWO 2021)
→ Saveur très postromantique (et des gammes typiquement russes, presque
un folklore romantisé), au sein d'un langage qui trouve aussi ses
couleurs propres, une rare symphonie soviétique au ton aussi
« positif », et qui se pare des couleurs transparentes,
acidulées et très chaleureuses du Philharmonique d'Oslo (de sa
virtuosité aussi)… je n'en avais pas du tout conservé cette image avec
l'enregistrement de Svetlanov, beaucoup plus flou dans la mise en place
et les intentions…
→ Frappé par la sobriété d'écriture, qui parle si directement en mêlant
les recettes du passé et une forme d'expression très naturelle qui
semble d'aujourd'hui. L'adagio central est une merveille de
construction, comme une gigantesque progression mahlérienne, mais avec
les thématiques et couleurs russes, culminant dans un ineffable lyrisme
complexe.
→ Bissé Miaskovski.
6. Chansons inspirées par la geste napoléoniennes, particulièrement
abouties dans celles arrangées à trois voix. (Et le Tombeau de
Joséphine, palimpsestant le Bon Pasteur de Romagnesi, quelle merveille
!) Sainte-Hélène, La légende
napoléonienne – Sabine Devieilhe ; Ghilardi, Bouin, Buffière,
Marzorati ; Les Lunaisiens, Les Cuivres Romantiques, Laurent
Madeuf, Patrick Wibart, Daniel Isoir (piano d'époque) (Muso 2021)
→ Chansons inspirées par la fièvre et la légende napoléoniennes,
instrumentées avec variété et saveur.
→ Beaucoup de mélodies marquantes, de pastiches, d'héroï-comique (Le
roi d'Yvetot bien sûr), et même d'hagiographie à la pomme de terre… Le
meilleur album des Lunaisiens jusqu'ici, aussi bien pour l'intérêt des
œuvres que pour la qualité des réalisations vocales.
7. La Princesse jaune révélée
par cette nouvelle interprétation au sommet, mais l'album vaut surtout
par les Mélodies persanes
dans leur version orchestrale, avec l'excellente idée de mandater six
chanteurs différents ! Je ne suis pas forcément convaincu par les
techniques des uns et des autres (on entend des limites dans l'ambitus,
le timbre, la diction…), mais l'investissement collectif et la beauté
de la proposition orchestrale (qui transfigure ce qui est déjà un
chef-d'œuvre au piano) réjouit totalement ! Beaucoup écouté. Saint-Saëns – La Princesse jaune –
Wanroij, Vidal ; Toulouse, Hussain (Bru Zane 2021) + Mélodies persanes (Constans, Fanyo,
Pancrazi, Sargsyan, Estèphe, Boutillier…)
→ Ivresses. Des œuvres, des voix.
→ Révélation pour ce qui est de la Princesse, pas aussi bien servie
jusqu'ici, et délices infinies de ces Mélodies dans une luxueuse
version orchestrale, avec des chanteurs très différents, et chacun
tellement pénétré de son rôle singulier !
8. Superbe orgue néerlandais dans du répertoire inédit du XVIIIe
français. C'est un peu l'idéal de ce que j'attends de la vie. Guillaume Lasceux – Simphonie
concertante pour orgue solo – St. Lambertuskerk Helmond, Jan van
de Laar (P4Y JQZ 2020)
+ Jullien : suite n°5 du livre I, Couperin fantaisie en ré, Böhm,
Vater unser, Jongen Improvisation-Caprice, Franck pièce héroïque
→ Le disque contenant le plus de Gilles Jullien, et une version
extraordinairement saillante de la Pièce Héroïque de Franck.
→ Quel orgue fantastiquement savoureux !
9. Peut-être est-ce parce que j'ai une centaine d'heures sur le sujet
entre la préparation de la notice du disque, puis celle de la notule, mais après une première écoute polie, j'ai
été totalement fasciné par cet univers très différent de ce que l'on
connaît du répertoire sacré allemand – ce chœur composé de deux
chanteurs ! ces récits reconstitués au moyen de patchworks
intertestamentaires ! Pfleger – Cantates « The Life and
Passion of the Christ » – Vox Nidrosiensis, Orkester Nord, Martin
Wåhlberg (Aparté 2021)
→ Musique du Nord de l'Allemagne au milieu du XVIIe siècle. Œuvres
inédites (seconde monographie seulement pour ce compositeur.
→ Plus ascétique que ses motets latins (disque CPO, plus expansif), je
vous promets cependant de l'animation, avec ses solos de psaltérion,
ses évangélistes qui fonctionnent toujours à deux voix, ses structures
mouvantes qui annoncent l'esthétique des Méditations pour le Carême de
Charpentier.
→ Par ailleurs, curiosité d'entendre des textes aussi composites
(fragments des Évangiles mais aussi beaucoup d'Ancien Testament épars),
ou encore de voir Dieu s'exprimer en empruntant les mots d'Ézéchiel et
en émettant des notes très graves (mi 1 - ut 1) sur des membres de
phrase entiers.
→ On y rencontre des épisodes peu représentés d'ordinaire dans les
mises en musique – ainsi la rencontre d'Emmaüs, ou la Cananéenne dont
la fille est possédée – écrits en entrelaçant les sources des
Évangiles, des portions des livres prophétiques, les gloses du XVIIe et
les chants populaires de dévolution luthériens, parfois réplique à
réplique…
→ De quoi s'amuser aussi avec le contexte (je vous en touche un mot
dans la notice de ma main), avec ces duels à l'épée entre maîtres de
chapelle à la cour de Güstrow (le dissipé Danielis !), ou encore
lorsque Pfleger écarte sèchement une demande du prince, parce que
lui sert d'abord la gloire de la musique et de Dieu. (Ça pique.)
→ Et superbe réalisation, conduite élancée, voix splendides et
éloquentes.
→ https://www.deezer.com/fr/album/213997932
10. Baroque centre-américain de première qualité, tout est ravissant et
entraînant ici !
Castellanos, Durón, García de Zéspedes, Quiros, Torres –
« Archivo de Guatemalá » tiré des archives de la cathédrale
de la ville de Guatemalá – Pièces vocales sacrées ou instrumentales
profanes – El Mundo, Richard Savino (Naxos 2021)
→ Hymnes, chansons et chaconnes très prégnants. On y entend passer
beaucoup de genres et d'influences, des airs populaires plaisants du
milieu du XVIIe jusqu'aux premiers échos du style de l'opéra seria (ici
utilisé dans des cantiques espagnols).
→ Quadrissé.
11. Une sorte de dernier Haendel (celui du Te Deum d'Utrecht, de The
Ways of Zion, du Messie…), plein de contrepoint très éloquent et
généreux – mais pragois. Brixi – Messe en ré majeur, Litanies –
Hana Blažiková, Nosek Jaromír ; Hipocondria Ensemble, Jan Hádek
(Supraphon 2021)
→ Alterne les chœurs d'ascèse, finement tuilés, très beau contrepoint
qui fleure encore bon le contrepoint XVIIe, voire XVIe… pour déboucher
sur des airs façon Messie (vraiment le langage mélodique de Haendel !).
→ Splendides voix tranchantes et pas du tout malingres, orchestre fin
et engagé, Blažiková demeure toujours aussi radieuse, jusque dans les
aigus de soliste bien exposés !
… j'ai dû exclure d'excellents albums, comme la symphonie de Dobrzyński
sur instruments d'époque, la Ferne
Geliebte de Nigl, le Winterreise
pour sax, théorbe et récitant (!), et j'aurais dû le faire pour Alcione et Lasceux-Jullien, car
bien que numérisés (ou simplement écoutés par moi) en 2021, ils avaient
été imprimés en 2020. Écoutez tout cela également (peut-être un peu
moins le Winterreise, qui est
aussi déviant que vous pouvez vous le figurer), ce sont des merveilles.
Je signale aussi ces
splendeurs écoutées avec ravissement, mais issues de la Radio :
¶ Verdi, Boccanegra (Gerhaher, Luisi,
Operavision)
¶ Wagner, Lohengrin (Pintscher, YT)
¶ Wagner, Rheingold (Ph. Jordan, France Mu)
¶ Wagner, Parsifal en version harmonium et trois solistes (Avro)
¶ Debussy, Pelléas (Roth, France Mu)
¶ Schmitt, Salomé intégrale Altinoglu (YT Radio de Francfort)
Et deux créations contemporaines géniales qui méritent l'inscription au
répertoire :
¶ Connesson, Les Bains Macabres (France
Mu)
¶ Hersant, Les Éclairs (Operavision)
B. 10
interprétations majeures du grand répertoire
Là aussi, quelques exclus dignes d'un détour (les Goldberg de Lang Lang, que je
n'attendais décidément pas là, ont été republiées en Deluxe avec des
compléments début 2021 mais avaient déjà été publiées au milieu de
2020) pour parvenir à cette sélection.
1. Intégrale inégale, mais les 1,2,4 et Roméo & Juliette sont
absolument électrisants, et assez neufs dans leurs choix (pas du tout
russes). Tchaïkovski – Symphonies n°2,4 –
Tonhalle Zürich, Paavo Järvi (Alpha 2021)
→ La Cinquième par les mêmes ne m'avait pas du tout autant ébloui qu'en
salle (avec l'Orchestre de Paris) – un peu tranquillement germanique,
en résumé. Hé bien, ici, c'est étourdissant. D'une précision de trait,
d'une énergie démentielles !
→ On entend un petit côté « baroqueux » issu de ses
Beethoven, avec la netteté des cordes et l'éclat des explosions, mais
on retrouve toute la qualité de construction, en particulier dans les
transitions (la grande marche harmonique du final du 2, suffocante, qui
semble soulever tout l'orchestre en apesanteur !), et au surplus une
énergie, une urgence absolument phénoménales.
→ Gigantesque disque. Ce qu'on peut faire de mieux, à mon sens, dans
une optique germanique – mais qui ne néglige pas la puissance de la
thématique folklorique, au demeurant.
2. Moi qui pensais de Mitridate qu'il
s'agissait d'une très belle œuvre de jeunesse où surnageaient surtout
quelques coups de génie (« Nel grave tormento » !), me voilà totalement
passionné par tout ce que j'entends dans cette version. Mozart – Mitridate – Spyres, Fuchs,
Dreisig, Bénos, Devieilhe, Dubois ; Les Musiciens du Louvre,
Minkowski (Erato 2021)
→ Cet enregistrement ébouriffe complètement ! Distribution
exceptionnelle – en particulier Bénos, mais les autres ne sont pas en
reste ! – et surtout orchestre totalement haletant, le résultat
ressemble plus aux Danaïdes qu'à un seria de jeunesse de Mozart !
3. Mendelssohn sacré à un-par-partie par Bernius. Ce n'est plus de la
musique, c'est de la pornographie conçue pour DLM. Et ça tient ses
promesses de netteté, de tension, d'inspiration, de séduction. Mendelssohn – Te Deum à 8, Hora Est,
Ave Maria Op.23 n°2 – Kammerchor Stuttgart, Bernius (Hänssler)
→ Bernius réenregistre quelques Mendelssohn a cappella ou avec discret
accompagnement d'orgue, très marqués par Bach… mais à un chanteur par
partie ! Très impressionnante clarté polyphonique, et toujours les
voix extraordinaires (droites, pures, nettes, mais pleinement timbrées
et verbalement expressives) du Kammerchor Stuttgart.
4. Nouvelle intégrale de référence pour Schumann. Il y a tout, Gerhaher
excelle particulièrement dans cet univers, et les autres chanteurs sont
aussi les meilleurs de leur génération (Rubens, Lehmkuhl…). Inégalé à
ce jour. Schumann – Alle Lieder – Gerhaher,
Huber, Rubens, Landshammer, Kleiter, Lehmkuhl, Mitterrutzner… (Sony
2021)
→ Magnifique somme regroupant les cycles Schumann de Gerhaher, parmi
les tout meilleurs qu'on puisse entendre et/ou espérer, et permettant
de tout entendre, avec bon nombre de nouveautés (tout ce qui n'avait
pas été enregistré, et même une nouvelle version de Dichterliebe).
→ Verbe au cordeau, variation des textures, mordant, tension, nuances,
c'est la virtuosité d'une expression construite qui impressionne
toujours autant chez lui !
→ Les artistes invités, ce n'est pas n'importe qui non plus, ces dames
figurent parmi les meilleures liedersängerin de leur génération
(Rubens, n'est-ce pas !). Les lieder prévus pour voix de femme sont
ainsi laissés aux interprètes adéquates.
→ De surcroît le livret contient des introductions, un classement clair
(même une annexe par poètes !) et les textes (monolingues, certes, mais
c'est toujours une base de départ confortable pour ceux qui veulent
ensuite des traductions).
5. Une interprétation fulgurante de Mahler 8 – Jurowski parvient à
transmettre quelque chose de la typicité russe aux timbres du LPO, et
Fomina en soprano principale, quelle volupté permanente ! (Elle
ne cède sur rien…) Mahler – Symphonie n°8 – Howarth,
Schwanewilms, Fomina, Selinger, Bardon, Banks, Gadd, Rose ; LPO
Choir, LSO Chorus, Clare College Choir, Tiffin Boys Choir ; LPO,
Jurowski (LPO Live)
→ Quel bonheur d'avoir des sopranos de la qualité de timbre de
Schwanewilms et Fomina pour cette symphonie où leurs aigus sont exposés
en permanence ! Barry Banks aussi, dans la terrible partie de
ténor, étrange timbre pharyngé, mais séduisant et attaques nettes,
d'une impeccable tenue tout au long de la soirée.
→ Par ailleurs, le mordant de Jurowski canalise merveilleusement les
masses – très beaux chœurs par ailleurs.
6. Approche très différente de l'ordinaire, pour un Schubert murmuré,
net, sans épanchements un peu gras, qui met la beauté à nu comme un
diamant taillé perd en masse mais gagne en irisation. Schubert – Quintette à cordes –
Tetzlaff, Donderer... (Alpha 2021)
→ Couplé avec le Schwanengesang de Julian Prégardien que je n'ai pas
encore écouté.
→ Lecture d'une épure assez fabuleuse : absolument pas de pathos,
cordes très peu vibrées, des murmures permanents (quel trio du
scherzo ! ), et bien sûr une très grande musicalité.
→ Très atypique et pudique, aux antipodes de la grandiloquence
mélodique qu'on y met assez naturellement.
7. La meilleure version du Quatuor de Messiaen que j'aie entendue, tout
simplement. D'une simple éloquence, exactement dans le projet,
échappant aux expressions un peu solistes des versions de prestige
habituelles. Messiaen – Quatuor pour la fin du
Temps – Left Coast Ensemble (Avie 2021)
→ Captation proche et très vivante, interprétation très sensible à la
danse et à la couleur, une merveille où la direction de
l'harmonie, le sens du discours apparaissent avec une évidence rare ! + Rohde: One wing
Presler, Anna; Zivian, Eric
→ Très plaisante piécette violon-piano, congruente avec Messiaen,
écrite par l'altiste membre de cet ensemble centré autour de San
Francisco.
8. Je ne m'attendais pas à trouver ce programme de salon, pas les
œuvres qui me touchent le plus, dans ma propre sélection ! Mais
le choix des instruments d'époque et la finesse des interprètes
magnifie totalement ce répertoire, et l'illusion d'être invité à un
petit événement privé est parfaite ! Couperin (Barricades mystérieuses) //
Liszt-Wagner (Liebestod) // Chopin (Prélude n°15) // Fauré (Sonate n°1,
Après un rêve, Nocturne n°6) // Hahn (À Chloris)… – « Proust, le
concert retrouvé » – Théotime Langlois de Swarte, Tanguy de
Williencourt (HM 2021)
→ Inclut des transcriptions de mélodies. Très beaux instruments
d'époque, belle ambiance de salon. Je n'ai pas eu accès à la notice
pour déterminer la proportion de musicologie / d'érudition pertinente
dans le propos – souvenirs trop parcellaires de la Recherche pour le
faire moi-même.
→ Langlois de Swarte « chante » remarquablement À Chloris ou
Après un rêve, tandis que le surlié feint de Willencourt fait des
miracles dans Les Barricades Mystérieuses. La Sonate de Fauré est menée
avec une fraîcheur et un idiomatisme que je ne lui connaissais pas,
aussi loin que possible des exécutions larges et poisseuses de grands
solistes plutôt aguerris à Brahms et aux concertos.
9. À nouveau, un opéra que je tenais pour secondaire et qui révèle un
potentiel dramatique insoupçonné (le final du II !) dans cette
interprétation de feu – et la fête garantie pour tous les glottophiles,
vraiment du grand chant d'aujourd'hui ! (Étrangement sur un petit
label au réseau de distribution limité, il n'y a vraiment pas de quoi
vendre aux admirateurs de Bellini, Rebeka et Camarena, souvent des
collectionneurs pourtant ?) Bellini – Il Pirata – Rebeka,
Camarena, Vassallo ; Opéra de Catane, Carminati (Prima Classics)
→ Disque électrisant, capté avec les équilibres parfaits d'un studio
(ça existe, une prise de studio pour Prima Classics ?), dirigé avec
beaucoup de vivacité et de franchise (Carminati est manifestement
marqué par les expérimentations des chefs
« musicologiques »), et magnifiquement chanté par une
distribution constituée des meilleurs titulaires actuels de rôles
belcantistes, grandes voix singulières et bien faites, artistes rompus
au style et particulièrement expressifs.
→ Dans ces conditions, on peut réévaluer l'œuvre, qui n'est pas
seulement un réservoir à airs languides sur arpèges d'accords parfaits
aux cordes, mais contient aussi de superbes ensembles et de véritables
élans dramatiques dont la vigueur évoque le final du II de Norma (par
exemple « Parti alfine, il tempo vola »).
10. Les pièces courtes post-debussystes de Stravinski regroupées dans
une très grande interprétation, suivie par une lecture très marquante
du Sacre… ! Stravinski – Feu d'artifice, Scherzo
fantastique, Scherzo à la Russe, Chant Funèbre, Sacre du Printemps –
NHK SO, Paavo Järvi (RCA 2021)
→ Splendide version très vivante, captée avec beaucoup de relief
physique, contenant quelques-uns des chefs-d'œuvre de jeunesse de
Stravinski (parmi ce qu'il a écrit de mieux dans toute sa carrière, Feu
d'artifice et le Scherzo fantastique…), ainsi qu'une version
extrêmement charismatique et immédiatement prenante du Sacre du
Printemps.
→ Järvi semble avoir tiré le meilleur de la NHK, orchestre aux couleurs
peu typées (même un brin gris, ai-je trouvé en salle), mais dont la
discipine et la solidité permettent ici une insolence et un aplomb
absolument idéaux pour ces pages.
C. Tour d'horizon
par genre
Pour information, voici les nouveaux enregistrements qui ont obtenu la
cotation maximale au cours de l'année, et que je recommande donc sans
réserve.
OPÉRA
Marais – Alcione – Savall
Mozart – Mitridate – Minkowski
Bellini – Il Pirata – Carminati
Verdi – Boccanegra – Auguin
Heise – Drot og marsk – Schønwandt
Saint-Saëns – La Princesse jaune – Hussain
Schreker – Ferne Klang – Weigle
Lattès – Le Diable à Paris – Les Frivolités Parisiennes
RÉCITALS
Salieri & Beethoven – « In Dialogue » – Heidelberg Symphoniker
LULLY, Charpentier, Desmarest, Rameau – « Passion » –
Gens, Les Surprises, Camboulas
SACRÉ
Guatemalá
Hamal, motets, Achten
Brixi, Messe en ré
Pfleger
Montigny, Grands Motets
Mendelssohn, Te Deum à 8, Bernius
ORGUE
Arrangements de LULLY par Jarry à l'orgue de la Chapelle
Royale
Lasceux-Jullien – « Robustelly » – Jan van de Laar
Karg-Elert – Intégrale pour orgue, vol.12 : 3 Impressions, Hommage
à Haendel, Partita n°1 – Steinmeyer de la Marienkirche de Landau/Pfalz,
Stefan Engels (Priory 2020)
Eben, Momenti d'organo, Ludger Lohmann
PIANO
Samazeuilh, Piboule
Bach Goldberg, Lang Lang
Chopin Polonaise-Fantaisie, Eckardtstein
LIEDER, MÉLODIES
Schumann, intégrale des lieder, Gerhaher-Huber
Schumann, Frauenliebe und Leben // Brahms, lieder – Garanča (DGG)
Beethoven, Schubert, Britten …– I Wonder as I Wander – James Newby,
Joseph Middleton (BIS 2020)
Biarent, Berlioz, Gounod, Bizet, Saint-Saëns, Chausson – mélodies
orientales « La chanson du vent » – Clotilde van Dieren,
Katsura
Mizumoto
Miaskovski – « Œuvres vocales vol. 1 » : Livre Lyrique,
12 Romances
d'après Lermontov, Sonate violon-piano – Barsukova, Pakhomova,
Dichenko, Solovieva (Toccata Classics 2021)
CHANSONS
Sainte-Hélène, la légende napoléonienne
« Heut' ist der schönste Tag - Tenor Hits of the 1930s »
D. Hors nouveautés,
les 10 disques les plus écoutés de l'année
Nouveautés
J'ai laissé de côté les nouveautés précédemment évoquées, mais Alcione de Marais, les motets d'Hamal, les Mélodies persanes
orchestrales de Saint-Saëns,
les chansons de l'album
Sainte-Hélène et les motets de Pfleger
comptent assurément parmi les albums les plus écoutés de l'année.
Notules et répétitions
Auraient aussi pu figurer les disques énormément écoutés pour écrire
des notules (cantates de Pfleger,
La mort d'Abel de Kreutzer, les symphonies de B. Romberg, Cristina regina di Svezia de Foroni, Mona Lisa de Schillings, Das Schloß Dürande de Schoeck) ou pour préparer du travail
en répétition (Le Déluge de Jacquet de La Guerre, Le bon Pasteur de Romagnesi, Les Diamants de la Couronne d'Auber)… Je me suis dit que c'était
une motivation annexe, et
surtout que les notules vous avaient déjà laissé le loisir de prendre
connaissance de ces œuvres et de ces disques.
Quatuors
Beaucoup de découvertes assez fondamentale cette fin d'année en matière
de quatuors, que je vous recommande vivement au passage : Schillings (CPO), Kienzl (CPO), Gade (surtout ceux en ré majeur et
mi mineur, CPO vol.5), Vieuxtemps
(Quatuor Élysée chez un petit label), Kabalevsky
(CPO), Rubinstein (CPO)…
Et voici donc un mot sur la sélection.
1. Le cycle Graener de CPO, en particulier ce volume, et en particulier
les Variations sur la chanson populaire à propos de la victoire
d'Eugène de Savoie contre les Turcs. Le miroitement instrumental et la
motricité irrésisible de ces variations en rendent le procédé à la fois
limpide et intriguant… Pour de la griserie pure de la force de la
musique, je me le passe encore et encore, des dizaines de fois cette
année… Graener – Variations orchestrales sur
« Prinz Eugen » – Philharmonique de la Radio de Hanovre, W.A. Albert
(CPO 2013)
→ On ne fait pas plus roboratif… mon bonbon privilégié depuis deux ans
que je l'ai découvert par hasard, en remontant le fil depuis le dernier
volume de la grande série CPO autour du compositeur (concertos par
ailleurs tout à fait personnels et réussis).
2. Parues l'an passé, une grande version des Méditations pour le Carême, chef
d'œuvre absolu du XVIIe siècle français : fragments d'Évangiles et de
textes vétérotestamentaires, en petites scènes incitant à
l'identification, à la réflexion… À un par partie et non en chapelle
ici ; les trois chanteurs sont merveilleux. Charpentier – Méditations pour le
Carême – García, Candela, Bazola ; Guignard, Galletier, Camboulas
(Ambronay 2020)
→ Avec Médée, le fameux Te Deum et le Magnificat H.76, on tient là la
plus belle œuvre de Charpentier, inestimable ensemble de dix épisodes
de la passion racontés en latin (et s'achevant au miroir du sacrifice
d'Isaac, sans sa résolution heureuse !) par des chœurs tantôt
homorythmiques tantôt contrapuntiques, et ponctués de récitatifs de
personnages (diversement sympathiques) des Écritures. Merveille absolue
de l'harmonie, de la prosodie et de la poésie sonore.
→ Ce que font Les Surprises est ici merveilleux, sens du texte et des
textures hors du commun, d'une noirceur et d'une animation dramatique
inhabituelles dans les autres versions de cette œuvre, et servi au plus
suprême niveau de naturel chanté. Un des disques majeurs du patrimoine
sacré français.
3. La musique de chambre d'Arnold Krug, représentant méconnu de l'école
allemande. Arnold Krug – Sextuor à cordes,
Quatuor piano-cordes – Linos Ensemble (CPO 2018)
→ Sextuor lumineux et enfiévré, une merveille ! Entre le dernier
quatuor de Schoeck et le Souvenir de Florence de Tchaïkovski !
→ Quatuor piano-cordes tout aussi intensément lyrique, avec quelque
chose de plus farouchement vital, d'un romantisme qui ne se cache pas.
Splendidement tendu, une autre merveille qui vous empoigne, tendu
comme un arc dans le plus grand des sourires !
→ Une des mes grandes découvertes chambristes récentes !
4. De même pour Koessler. Je me suis biberonné à ces deux disques de
chambre pendant des semaines… Koessler – String Quintet in D Minor /
String Sextet (Frankfurt String Sextet) (CPO 2007)
→ Très bien écrit ! Riche contenu d'un romantisme assumé, qui peut
rivaliser avec les grands représentants de second XIXe !
5. Le rondeau final du concerto de Hummel, le thème B du premier
mouvement de Dupuy, en qui l'on sent immédiatement le compositeur
dramatique… ineffables moments, qui ont fait plus d'un converti au
basson ces derniers mois ! Le meilleur bassonniste vivant est
accompagné par le meilleur orchestre de chambre actuel dirigé par le
meilleur hautboïste vivant. Édouard Dupuy – Concerto pour basson –
van Sambeek, Swedish ChbO, Ogrintchouk (BIS 2020)
→ On peut donc faire ça avec un basson ! Cette finesse
(changeante) de timbre, cette netteté des piqués, cette perfection du
legato, j'ai l'impression de découvrir un nouvel instrument. J'aurais
aimé la Chambre de Suède un peu moins tradi de son (comme avec
Dausgaard), mais je suppose que le chef russe a été formé à un Mozart
plus lisse (ça ploum-ploume un peu dans les basses…).
→ Quand au Dupuy, c'est une petite merveille mélodique et dramatique
qui sent encore l'influence du drame gluckiste dans ses tutti
trépidants en mineur, une très grande œuvre qui se compare sans peine
aux deux autres ! Le thème B du premier mouvement (d'abord
introduit à l'orchestre par un duo clarinette basson), quelle émotion
en soi, et quel travail de construction au sein du mouvement –
l'emplacement formel, l'effet de contraste des caractères…
→ Un des disques les plus écoutés en 2020, pour ma part ! Le thème
lyrique et mélismatique du premier mouvement est une splendeur rare. Et
ces musiciens sont géniaux (meilleur bassoniste du monde, meilleur
orchestre de chambre du monde, dirigés par le meilleur hautboïste du
monde…).
6. Cette chaconne en ut, à la française, mais développé avec une
science allemande, a un pouvoir incroyable – elle est en réalité
reconstituée par Michael Belotti, l'un des organistes de l'intégrale.
Découverte en entrant pour la première fois à Saint-Robert de la
Chaise-Dieu, cet été. Ce qui suscita une vaste notule. Pachelbel – Complete Organ Works, Vol.
2 – Essl, Belotti, J.D. Christie(CPO 2016)
7. Là aussi, peut-être est-ce ma contribution à l'entreprise, mais Raoul Barbe-Bleue mûrit en moi, et
ses tubes (comme Grétry écrit toujours magnifiquement pour les basses :
Guessler, Céphale, Raoul !) résonnent de plus en plus fréquemment dans
mes appartements. Grétry – Raoul Barbe-Bleue – Wåhlberg
(Aparté 2019)
→ Voyez la notule.
8. Grosse crise batave, et en particulier cycle Diepenbrock, dont
beaucoup d'enregistrements ont été collectés chez Etcetera au moment de
l'anniversaire, pour les 150 ans de sa naissance en 2012. Au sommet,
cet Hymne aan Rembrandt (par
Westbroek !). Diepenbrock – Anniversary Edition,
vol.4 – Westbroek, Beinum, Haitink, Spanjaard… (Etcetera 2021)
9. Le concert débute dans quelques instants. Je croise un visage connu.
« Vous savez, j'ai enfin retrouvé la trace d'une très belle symphonie
postclassique, d'un certain Jakub Goła̧bek. Je vous le recommande. »
Écoute le soir même. Énorme coup de cœur, écriture très vivante par un
ensemble sur instruments anciens très impliqué. Et couplé avec un des
miraculeux concertos pour clarinette de Karol Kurpiński, dans sa
meilleure version. Golabek, Symphonies / Kurpinski,
concerto pour clarinette – Lorenzo Coppola, Orkiestra Historyczna
(Institut Polonais)
→ Absolument décoiffant, des contrastes qui évoquent Beethoven dans une
langue classique déjà très émancipée.
10. & 11. Deux versions merveilleuses, l'une historique et l'une
moderne, les deux complètement abouties, de ce chef-d'œuvre de lyrisme
plein d'élan et de finesses – pourquoi ne joue-t-on que l'aimable Maskarade ? Je ne peux plus
m'en passer. Nielsen – Saul og David – Jensen
(Danacord) Nielsen – Saul og David – N. Järvi
(Chandos)
12. Une grande personnalité musicale découverte grâce aux judicieux
conseils de l'insatiable Mefistofele. (Ne
cherchez pas en ligne, Hyperion ne fait pas de diffusion en flux, «
gratuite » comme payante.) Cecil Coles – Fra Giacomo, 4 Verlaine,
From the Scottish Highlands, Behind the lines – Sarah Fox, Paul Whelan,
BBC Scottish O (Hyperion)
→ Belle générosité (Highlands à l'élan lyrico-rythmique réjouissant,
qui doit pas mal à Mendelssohn), remarquable éloquence verbale aussi
dans les pièces vocales. Bijoux.
13. Certes, on est en retard en Angleterre, mais en plus de ses très
beaux opéras réunissants les différents goûts européens, Macfarren a
aussi commis, au milieu du XIXe siècle, des symphonies très réussies
qui doivent beaucoup à Beethoven et Weber. Macfarren – Symphonies 4 & 7 –
Queensland PO , W.A. Albert (CPO)
→ Écriture qui doit encore beaucoup à Beethoven et Weber, d'un très
beau sens dramatique, trépidant !
→ Orchestre un peu casserole (timbres de la petite harmonie vraiment
dépareillés), mais belle écriture romantique.
En attendant que les nouveautés refleurissent après cette brève trève,
ou simplement pour vous nourrir du suc du meilleur, voilà qui devrait
vous tenir occupés jusqu'à la prochaine publication ! La suite
des anniversaires peut-être ? L'écrasante génération 1872 nous
attend !
En 2022 nous les fêterons dignement. Veuillez donc rester vivants, s'il
vous plaît.
► Extatiques d'avoir eu la
permission de recommencer (un peu) à vivre en 2021 ?
►► Préparez-vous à exploser de
bonheur : voici le programme des festivités en 2022 !
Bien plus complet que Cadences (et mieux calibré pour vos
goûts que l'Offi), voici le
glorieux agenda de Carnets sur sol
!
Il sera enrichi au fil des semaines, mais les
grandes salles et quelques chouchoutes (Athénée, conservatoires…) ont
été remplies jusqu'à la mi-mars.
Comme je suis seul à le constituer, le relevé est
bien sûr partiel et subjectif (je relève en priorité ce qui peut
m'intéresser…), mais tout de même assez vaste. De quoi vous donner, je
n'en doute pas, grands fous que vous êtes, des idées à travers tout
Paris – et quelquefois l'Île-de-France ! (Conseils randos /
patrimoine afférents sur demande.)
B. Enfant, on a tout notre temps
Les temps restant hautement incertains (on attend
dès à présent le mutant combiné avec la variole et la fièvre
hémorragique de Marburg pour relancer un peu la Saison 3), le relevé
s'arrête un peu avant le printemps (mais j'ai d'ores et déjà mentionné
quelques dates au delà).
Comme promis, je reviens sur le format simplifié :
je le trouve beaucoup plus commode, infiniment plus rapide (d'un
facteur 3 à vue de nez…), on voit plus facilement jour par jour, et à
charge ensuite à chacun de reporter dans son agenda personnel le
concert pour telle date donnée. Il me permet aussi de le remplir tandis
que je fais mes 3 à 6 heures de transports quotidiens, contrairement au
format tableau, très fastidieux à manipuler sur téléphone.
Mais je suis bien sûr preneur de retours, s'il y a
des choses à ajuster ou des besoins à satisfaire. (Ou simplement des
lauriers à jeter !)
Le contenu sera progressivement complété au fil des
prochaines semaines.
La salle Jehan Alain du CRR de
Paris, très bien représenté dans cette livraison.
C. Gratuit comme le
soleil, l'amour, l'amitié
Cette fois-ci, j'ai donc court-circuité la
hiérarchie des salles pour relever en priorité le plus intéressant :
les programmes des conservatoires, qui disposent d'avantages multiples
comme la gratuité, l'engagement des interprètes et surtout
l'originalité des répertoires. Le CRR de Paris, en particulier, fait
vraiment l'effort, sous l'impulsion de ses professeurs, de documenter
des pans entiers du répertoire français – de violon avec Stéphanie
Moraly, de tragédie en musique et opéra comique avec Stéphane Fuget /
Lisandro Nesis / Isabelle Poulenard / Howard Crook, de mélodie avec
Philippe Biros, de musique de chambre avec Philippe Ferro, Marie-France
Giret, Pascal Le Corre et Pascal Proust… et quelquefois même de la
symphonie, avec cette saison Gaubert, Ibert, Murail…
Quant au CNSM, c'est la garantie d'un niveau
équivalent à celui que l'on entend dans les grandes salles parisiennes.
Gratuitement. Depuis le premier rang. Dans des répertoires qu'on
n'entend pas d'habitude.
Les conservatoires d'arrondissement ou des communes
franciliennes (Versailles, Cergy, Pantin, Saint-Maur, Choisy,
Palaiseau…) méritent aussi la surveillance, de belles choses inédites
s'y passent régulièrement. Le plus difficile est d'être suffisamment
vigilant pour tout surveiller.
(Et, souvent, des soirées plus marquantes que ce
qu'on peut vivre au fond d'une grande salle avec des interprètes pour
qui ce type de concert représente une forme d'habitude, et dans un
répertoire que nous connaissons déjà tous par cœur.)
Si les caractères accentués sont déformés, n'hésitez pas à le
télécharger et à l'ouvrir dans un bloc-note ou éditeur de texte. (Et à
le signaler si le problème persiste.)
Je mets aussi le contenu en fin de notule, pour ceux qui
rencontreraient des difficultés de ce genre, mais il ne sera pas mis à
jour.
E. Chanter les
mêmes chansons
La signalétique reste la même que d'ordinaire :
*** capital, immanquable
** œuvre rare (et passionnante) et/ou interprétation qui fera date
* très intéressant
¤ intéressant, mais je n'ai pas prévu d'y aller (pas assez rare / trop
cher / j'aime pas les interprètes, etc.)
(( début de série
)) fin de série
AV place à vendre
? programme inconnu yy et ww sont des symboles personnels que
je n'ai pas enlevés (j'ai une place / je dois acheter une place)
Les lignes débutent soit par l'horaire, soit par un tiret, afin que
vous les repériez mieux. Le format texte rend l'ensemble moins immédiat
qu'un tableau, mais si vous regardez simplement les jours dont vous
avez besoin, c'est à mon sens encore plus pratique.
F. Le trajet
Vénus-Junon-la Terre
Comme je relève, dans l'immensité de l'offre,
essentiellement ce qui me plaît pour moi-même, je vous fournis aussi la
liste de salles dont je fais en général le tour (je ne puis le faire
pour toutes à chaque fois !) avant de publier l'agenda.
Institutions lyriques :
Opéra de Paris, Opéra-Comique, Châtelet, Athénée, Opéra Royal de
Versailles, Massy
Institutions symphoniques :
Philharmonie, Maison de la Radio, Théâtre des Champs-Élysées, Seine
Musicale, Gaveau, Invalides, Colonne, Wagram
Institutions chambristes :
Cortot, Fondation Singher-Polignac, Auditorium du Louvre, Musée
d'Orsay, La Scala Paris, Espace Bernanos, Espace Ararat (fermé pour 4
ans), Bal Blomet, Guimet (Les Pianissimes)
Conservatoires :
CNSM, CRR de Paris, PSPBB, CRR de Versailles, CRR de
Cergy, Conservatoires du XVIIIe, de Choisy-le-Roi, Pantin, Saint-Maur…
Salles qui programment quelques
opéras :
Bouffes du Nord, Marigny, BNF, Déjazet, Herblay,
Saint-Quentin-en-Yvelines
Théâtres qui programment un peu de
musique :
Théâtre Grévin, La Ferme du Buisson (Noisiel), Le Figuier Blanc
(Argenteuil)
Festivals (hors été) :
Philippe Maillard, Festival Marin Marais, Jeunes Talents (Archives
Nationales principalement), Concerts de la rue Bayard (fini), Forum
Voix Étouffées, Les Concerts de Poche, Inventio,
Les
Pianissimes (Guimet principalement), Baroque de Pontoise, Royaumont,
ProQuartet (Paris & 77)
Églises :
Église Américaine de Paris (chambre & vocal, souvent rare), The
Scots Kirk (chambre rare, fini), Saint-Merry (symphonique, chambre,
musiques du monde…), La Madeleine (concerts sacrés), Billettes,
Val-de-Grâce (concerts thématiques « patriotiques »)
Orgues :
Oratoire du Louvre (avec écran !), Saint-Eustache, La Trinité,
Saint-Louis de la Pitié-Salpêtrière, Temple de l'Étoile,
Saint-Pierre-de-Montmartre, Saint-Gervais-Saint-Protais, La Madeleine,
Saint-Sulpice, Saint-Roch, Saint-Antoine-des-Quinze-Vingts, Chapelle
Royale de Versailles, Houdan, Brunoy, Mantes-la-Jolie,
Orgue-en-France.org
Compagnies :
La Compagnie de L'Oiseleur, Les Frivolités Parisiennes, Orchestre de
Chambre de Paris, Il Festino, Ensemble Poséidon, Faenza, Les Épopées,
l'Orchestre d'Éric van Lauwe, Les Talens Lyriques, La Chanson
Perpétuelle, Les Monts du Reuil, Ensemble Athénaïs…
Artistes :
Dagmar Šašková, Jean-Sébastien Bou, Marc Mauillon, Gérard Théruel,
Claire-Élie Tenet, Sahy Ratianarinaivo, Kaëlig Boché, Trio Zeliha, Trio
Zadig, Trio Sora, Cuarteto Quiroga, Quatuor Tchalik, Quatuor Akilone,
Quatuor Hanson, Quatuor Arod, Le Consort, Patrick Cohën-Akenine, Sophie
de Bardonnèche, Héloïse Luzzati, Gary Hoffman, Célia Oneto-Bensaid…
Autres styles :
La Huchette (comédie musicale), Sunside (jazz), Duc des Lombards
(jazz), Quai Branly (musiques du monde)
Théâtre :
Comédie-Française, Odéon, Colline, Montansier, Gérard Philippe
(Saint-Denis), Les Amandiers, L'Usine, L'Apostrophe
(Rien qu'écrire la liste prend une heure… d'où la
nécessité pour moi d'alléger le processus et de n'effectuer qu'un
relevé sur un format rapide, du moins si vous voulez en profiter un peu
en amont.)
G. Tu dors, je rêve
éveillé
Pour ceux qui se demandent d'où proviennent ces titres – d'une de mes chansons
préférées. Suivez le lien.
Voici pour l'une des dernières notules industrieuses
de l'année, à l'heure où vous vous gobergez déjà – ne niez pas, on m'a
tout dit.
Profitez bien, protégez-vous, survivez, et revenez
au concert pour la seconde partie de saison. Nous serons là – si nous
avons survécu, ou si nous ne renonçons pas à revenir de notre province.
Effigies de Messieurs Benda, Mondonville, Daquin,
Cartellieri, Triebensee, Louis Ferdinand de Prusse.
(Pour la démarche et la légende, vous pouvez vous reporter à la première partie (au bas de la quelle j'ai également servi cette nouvelle fournée de gourmandises.)
Né en 1722
(300 ans de la naissance)
Jiří Antonín Benda.
→
Au service de Frédéric le Grand (de Prusse) puis du duc de Saxe-Gotha,
Benda (souvent indiqué Georg) a écrit, comme ses contemporains, des
sonates pour violon, pour flûte, pour clavecin, des symphonies (une
trentaine) et des concertos classiques (11 pour violon, et même 1 pour
alto dont l'attribution semble moins certaine).
→ Cependant sa notoriété provient de ses mélodrames (Ariadne auf Naxos, Medea, Pygmalion)
– au sens musical : du texte déclamé (parlé) accompagné de musique.
Pouvant durer jusqu'à 50 minutes (pour Médée),
ce sont de véritables scènes théâtrales très riches, avec un
accompagnement qui épouse au plus près l'action sans se découper en
numéros obligés comme à l'opéra.
● Selon les goûts, on peut choisir la déclamation très actuelle, un peu
criée, dans le récent disque Bosch, ou privilégier (c'est mon cas) la
déclamation plus élevée et consonante, plus équiibrée aussi, dans les
deux volumes de Christian Benda
(avec l'Orchestre de Chambre de Prague) chez Naxos.
■ Ce serait évidemment à représenter en traduction… ce qui ne pose pas
du tout les mêmes problèmes de rythme que pour l'opéra, celui-ci étant
laissé à l'appréciation de l'interprète ! Il suffit de traduire
par des phrases environ de la même amplitude, et le tour est joué
! Je rêve d'un couplage entre Ariane
ou Médée d'une part,
la Cassandre de Jarrell
d'autre part.
Johann Ernst Bach II.
(1722–1777)
→ Élève de Johann Sebastian Bach à Leipzig (il était le fils d'un
cousin au second degré de Bach, compositeur égcalement), il ne doit pas
être confondu avec Johann Ernst Bach I (1683-1739), qui était le fils
du frère jumeau (compositeur toujours) du père (qui, comme vous le
savez, composait) de Jean-Sébastien.
→ Dans son catalogue, de la musique sacrée (cantates, oratorios, pour
partie perdus) et des sonates pour clavier, d'un style encore baroque,
et même assez proche, je trouve, de la génération précédente, pas du
tout de l'oratorio marqué par le seria
en tout cas. J'en trouve la prosodie vraiment belle.
● Il existe très peu de disques où il est présent sur plus d'une piste.
●● Quoiqu'il n'y ait que deux pièces
disponibles sur le disque (consacré à la famille Bach pour orgue, par
Stefano Molardi chez Brilliant Classics, sur un orgue doux, très bien
capté et très bien registré), ce que j'ai trouvé de plus intéressant
chez lui sont ses Fantaisie
& Fugue, très marquées par le modèle de J.-S. : on entend
dans celle en fa majeur l'empreinte directe des traits et harmonies de
la Toccata & Fugue en
ré mineur, avec une couleur globalement plus lumineuse (pas seulement
liée à la tonalité majeure, c'est encore plus flagrant pour la Fantaisie & Fugue
en ré mineur), et un goût pour les épisodes opposés et discontinus
(comme dans les Fantaisies de Mozart, si l'on veut, quoique le style
n'ait évidemment rien en commun) – j'ai pensé à Bruckner quelquefois,
cette opposition soudaine entre le monumental écrasant et l'apaisé
presque galant. Vraiment des pièces intéressantes, très riches, surtout
les Fantaisies – les fugues ressemblent à son professeur en plus
appliqué et moins surprenant.
●● L'Oratorio de la Passion
(1764) gravé par Hermann Max (chez
Capriccio) permet de profiter sur la longueur de ses talents de
compositeur, dans un très bel environnement vocal de surcroît (Schlick,
Prégardien, Varcoe…).
■ Programmable dans un de ces concerts « famille Bach » évidemment.
Quant à le marketer sur son anniversaire propre, je ne suis pas sûr que
je m'y risquerais (remplissage) ! Mais pourquoi pas, dans un
concert 50/50 avec son prof Jean-Séb' !
Lucile Grétry.
→ Seconde fille du compositeur et de sa femme peintre, Lucile exerce à
la cour de Marie-Antoinette et écrit même de petites actions « mêlées
d'ariettes » (Le mariage d'Antonio
; Toinette et Louis – lequel
est perdu, texte et musique).
● Je n'ai pu mettre la main sur aucun disque comportant au moins une
piste de sa main.
Sebastián Ramón de Albero y Añaños.
Pierto Nardini.
John Garth.
Mort en 1772
(250 ans du décès)
Jean-Joseph Cassanéa de Mondonville.
→ Représentant majeur du grand motet
à la mode Louis XV
(17 écrits, 9 conservés, désormais tous enregistrés), particulièrement
admiré pour son écriture très élancée et son sens du figuralisme. Les
cataractes vocales et orchestrales d' « Elevaverunt flumina » dans Dominus regnavit,
la marche liminaire d'In exitu Israel,
la plénitude de l'immobilité gorgée de soleil d' « In sole posuit
tabernaculum suum » dans Cœli enarrant gloriam
Dei… Probablement les motets les plus marquants de toute la
période post-Louis XIV.
→ Aussi l'auteur d'opéras de types pastoraux (2 pastorales héroïques, 2
ballets héroïques, 1 pastorale languedocienne…) que je ne trouve, pour
les trois déjà enregistrés (Isbé,
Titon & L'Aurore, Les Feſtes de Paphos),
pas très exaltantes (sur des livrets d'une vacuité spectaculaire, de
surcroît), et d'une tragédie en musique qui n'a jamais été remontée (Thésée,
1765). Et de musique instrumentale (pour clavier, de chambre…), que je
ne trouve pas très saillante non plus, mais qui est bien documentée.
● En priorité, donc, les trois motets mentionnés, dans deux disques
extraordinairement interprétés : la netteté du trait chez Christie pour
Dominus regnavit et In exitu Israel, la poésie des
couleurs chez Coin pour Cœli
enarrant gloriam Dei, les deux pourvus des meilleurs solistes
possibles (Correas dans « In sole posuit » !).
■ Se couple facilement avec d'autres motets, ou au sein d'une
thématique (Babylone avec Dominus
regnavit ? fuite d'Égype avec In exitu Israel
?). Facile à présenter au public en plus, en mettant en avant l'aspect
immédiatement figuratif de l'écriture : parcours du peuple d'Israël,
description des flots déchaînés, ce devrait parler. Et l'on peut
s'appuyer sur des disques de haute réputation (le Christie est
extrêmement apprécié des amateurs de baroque français, et au delà).
Louis-Claude Daquin.
→ Élève de Louis Marchand, filleul d'Élisabeth-Claude Jacquet de La
Guerre, titulaire de Saint-Paul-Saint-Louis à Paris (alors qu'il était
en concurrence avec Rameau), successeur de Dandrieu à la Chapelle
Royale… Daquin est une figure majeure
des claviers français du XVIIIe siècle.
→→ Il a ainsi livré un Premier Livre de Pièces de clavecin
(qui contient le fameux Coucou,
quelquefois exécuté en bis par les pianistes d'antan…) et son Nouveau Livre de noëls,
qui présente 12 thèmes et variations sur les noëls traditionnels (« À
la venue de Noël », « Qu'Adam fut un pauvre homme », etc.).
→→ Il existe aussi deux messes, un Te Deum, des Leçons de Ténèbres, un
Miserere et une cantate, parmi les œuvres qui nous sont parvenues (un
certain nombre, pour la voix ou les instruments, étaient attestées mais
perdues). Je n'ai jamais vu de disques ni entendu parler d'exécution,
c'est étonnant.
● Je connais mal son clavecin, dans un genre décoratif (Louis XV) qui
n'a pas trop ma faveur. En revanche, pour la part la plus célèbre de
son legs, à savoir les noëls,
je vous recommande très vivement Adriano
Falcioni (Brilliant Classics 2017) qui a l'avantage de jouer
sur les flûtes et anches très françaises,
particulièrement nasillardes et typées, d'un orgue de la bonne époque
(Saint-Guilhem-le-Désert), remarquablement registré, et de façon assez
variée selon les pièces. Un délice à recommander à tous ceux qui
n'aiment pas l'orgue monumental qui joue des choses abstraites et fait
du bruit, façon Bach, Franck ou Widor.
■ Je suis sûr que les organistes en glissent déjà à Noël. Mais avec sa
notoriété, n'y aurait-il pas l'occasion, pour le CMBV ou les ensembles
baroques, d'exhumer ses œuvres vocales sacrées ? Il y aurait un
petit bonus de remplissage grâce au public qui a connu l'époque où le Coucou et ces noëls figuraient
parmi les classiques favoris.
Pierre-Claude Foucquet.
→ Une des pièces d'Armand-Louis Couperin porte son nom. Je n'ai pu
trouver aucune piste musicale incluant sa musique.
Francesco Barsanti.
Johann Peter Kellner.
Georg Reutter le Jeune.
Né en 1772
(250 ans de la naissance)
Antonio Casimir Cartellieri.
→ Né à Gdańsk de parents chanteurs (une mère lettonne de langue
allemande, un père italien comme vous le voyez), Cartellieri étudie à
Vienne (avec Albrechtsberger et peut-être Salieri), exerce en Pologne
et en Bohême (auprès du prince Lobkowicz) – il connaissait bien
Beethoven, personnellement et artistiquement : il fut le chef à la première du Triple Concerto et de la Troisième Symphonie !
→→ Cartellieri est à mon sens un
musicien majeur de son temps. Ses 3
concertos pour clarinette (plus un double !) sont possiblement
les meilleurs de la période classique et romantique,
très virtuoses mais surtout d'une générosité mélodique – et même d'un
sens dramatique – qui n'ont que peu d'exemple. Et plus encore,
l'intensité des affects de sa tempêtueuse Première Symphonie doit absolument
être vécue !
● Au disque, on a désormais un peu de choix :
●● de superbes divertimenti pour vents, quatuors
clarinette-cordes et sextuors à vent (par le merveilleux Consortium
Classicum, chez CPO et chez MDG). Les Quatuors
avec clarinette sont d'une délicatesse poétique absolument
merveilleuse ;
●● deux oratorios : l'un sur la Nativité (La celebre Natività del Redentore)
où l'on sent aussi bien passer Mozart que Méhul et Rossini (Spering
chez Capriccio), l'autre plus opératique (Gioas, re di Giuda,
Gernot Schmalfuss chez MDG… avec Thomas Quasthoff !) dans un style
classique augmenté de tournures plus dramatiques issues plus gluckistes
/ beethoviennes, sur un livret de Metastasio (qui contient notamment la
version en contexte de « Io tremo » / « Ah, l'aria d'intorno », l'air dramatique italien plus tard mis en
musique par Schubert,
auquel une notule avait été consacrée – la version de Cartellieri
évoque beaucoup le duo Anna-Ottavio sur le corps du Commandeur) ;
●● et surtout les œuvres dont je parlais précédemment : les concertos pour clarinette
répartis sur deux volumes chez MDG (captés avec beaucoup de naturel
comme toujours), magnifiés par la merveilleuse rondeur du démiurge
Dieter Klöcker, à mon sens l'un des meilleurs clarinettistes de tous
les temps
●● et surtout et les 4 symphonies par l'Evergreen
Orchestra et Gernot Schmalfuss (CPO), écoutez absolument la Première.
■ Les Quatuors avec clarinette
composeraient un couplage très naturel et convaincant avec le Quintette
clarinette-cordes de Mozart (mais si vous voulez plutôt le coupler avec
ceux de Neukomm, Hoffmeister, Baermann ou Reger, je vous autorise à ne
pas jouer les Cartellieri tout de suite),
■ Les concertos pour clarinette
et plus encore la Première Symphonie
feraient un triomphe en salle : ils sont immédiatement accessibles et
jubilatoires, en plus d'être en réalité remarquablement écrits. Un
concert qui vendrait « le chef qui a créé l'Héroïque était aussi un
compositeur de génie » pourrait probablement fonctionner, quitte à
jouer l'Héroïque en seconde partie pour assurer « le dialogue entre les
œuvres » (en réalité le remplissage, mais c'est tout à fait légitime).
■■ Il existe aussi d'autres concertos
qui
n'ont pas été rejoués à ma connaissance et dont les nomenclatures font
saliver : flûte, cor, basson, 2 flûtes, hautbois-basson (!),
hautbois-basson-cor ! Quelle fête ce pourrait être !
Josef Triebensee.
→ Passé à la postérité pour ses arrangements des opéras de Mozart en
octuor à vent – particulièrement Don
Giovanni et quelquefois la Clémence
de Titus, les arrangements des Noces
et le plus souvent de la Clemenza
étant le plus souvent dûs à son contemporain Johann Went ; pour Così,
c'est en général le toujours très en vie Andreas Tarkmann, génie de
l'arrangement, qui est choisi. Il a également composé ses propres
œuvres pour ce même ensemble de huit souffleurs : 2 hautbois, 2
clarinette, 2 bassons, 2 cors. (Et également arrangé Médée de Cherubini ou la Symphonie
n°92 « Oxford » de Haydn.)
→ Conception assez traditionnelle de l'arrangement, où des instruments
tiennent le rôle des solistes (hautbois, dont il jouait, pour « Deh se
piacer mi vuoi »,
clarinette pour « Vengo, aspettate », basson pour « Là ci darem la mano
», « Deh vieni alla finestra », « Del più sublime soglio » ou « Parto,
ma tu ben mio », cor pour « Ah, se fosse intorno al trono »),
respectant de près les accompagnements écrits par Mozart, dans un
résultat de sérénade lyrique très harmonieuse. Pas aussi inventif et
ravivé que Tarkmann, mais toujours très réussi.
● Beaucoup de choix parmi les disques. J'en cite quelques-uns.
●● Pour le maximum de typicité, il faut
écouter l'Oslo Kammerakademi
dans La Clemenza di Tito
(chez LAWO), saveur incroyable des timbres (ce cor phénoménal) et
vivacité éloquente du théâtre. Le disque de l'Ensemble à vent du
Philharmonique de Berlin reste assez indolent (et plutôt terne de
timbres, étrangement), je ne vous le recommande pas.…
●● Le disque du Linos Ensemble pour
Don Giovanni
(Capriccio) permet d'entendre une très large sélection, couplée de
surcroît avec le final du II virtuosement rendu par l'arrangeur du XXe
siècle Andreas Tarkmann. L'Octuor à vent de Zürich, autre sélection
très large pour un joli disque un peu plus sèchement capté chez Tudor,
utilise la fin écrite par Triebensee, beaucoup plus concise : elle
relie « Già la mensa è preparata » à « Quest'è il fin di chi fa mal »,
et boucle le tout en trois minutes !
●● L'Octuor à vent Amphion a
aussi bien enregistré des extraits de
Médée que les compositions de Triebensee, évidemment un peu moins
jubilatoires que les arrangements de Mozart.
■ Les orchestres qui ont la tradition d'extraire des solistes pour des
soirées de chambre (soit à peu près tous les orchestres parisiens de
premier plan : Opéra, Philharmonique, National, Chambre, Orchestre de
Paris…) pourraient tout à fait programmer sans grand risque les
arrangements de l'ami Triebensee, avec l'argument Mozart. C'est un
voyage absolument délectable, une façon différente de réinvestir ces
musiques très bien connues, et une démarche respectueuse, en fin de
compte, des traditions d'époque.
François-Louis Perne
(1772–1832).
→
D'abord choriste (1792) et contrebassiste (1799) à l'Opéra de Paris,
Perne est de 1816 à 1822 directeur du Conservatoire de Paris («
inspecteur général des Études de l'École royale de musique et de
déclamation »), prédécesseur immédiat de Cherubini.
→→ Il a avant tout été un chercheur et
essayiste, fasciné par la musique antique et le grégorien, réalisant un
certain nombre d'éditions de textes théoriques anciens (sur le rythme
antique, sur le rebec…), récrivant Iphigénie
en Tauride de
Gluck en notation grecque, s'intéressant aux liens entre la musique,
les autres arts, la société… Outre son travail d'éditeur, la majorité
de ses articles ont été publiées dans le périodique de Fétis, la Revue et gazette musicale de Paris.
→ Il n'est pas certain qu'il ait beaucoup produit, et la musique qu'il
laisse est surtout formelle, très marquée par les formats anciens
(fugue, canon…). Ses trois messes sont écrites dans un contrepoint
archaïsant, témoin de la vogue pour le retour au plain-chant grégorien
et à Palestrina dans les premières décennies du XIXe siècle. Avec toutes les controverses afférentes.
● Je n'ai pu mettre la main que sur trois
pistes réparties sur deux disques, le Kyrie de la Messe des solennels mineurs
chez Aparté (programme passionnant de l'ensemble Gilles Binchois
consacré à ce renouveau XIXe du plain-chant, à faux-bourdon), et
Sanctus & Agnus Dei non crédités en complément du disque Boëly de
Ménissier dans la collection « Tempéraments » de Radio-France. On y
entend pour l'un la simplicité archaïsante, pour l'autre la maîtrise
contrapuntique de cette écriture. Rien de particulièrement saillant en
soi, mais la démarche me paraît tout à fait fascinante, un écho à l'épopée de Félix Danjou – le disque de
Ménissier est d'ailleurs le seul à ma connaissance où l'on puisse aussi
entendre sa musique !
■ Je doute que l'on puisse faire entendre ce type de programme et
fédérer un public nombreux (Niquet a bien joué ce type de pièces rétro,
mais c'était avec des noms comme Gounod et Saint-Saëns !)… à moins d'en
faire un concert narratif « Les Aventuriens du grégorien perdu », « La
bataille de Paris » ou « Quand les femmes furent bannies des églises ».
Ce serait assez réjouissant à entendre narrer. (S'il faut quelqu'un
pour écrire le texte à titre gracieux, je suis là.)
Prince Louis Ferdinand de Prusse.
→ Neveu de Frédéric le Grand, il est avant tout soldat (et meurt au
front), mais aussi un pianiste
considéré de grande valeur. C'est pour lui que Rejcha écrit son
monumental L'Art de varier,
très vaste cycle (il se trouve au disque, mais je ne trouve vraiment
pas que ce soit le sommet de l'art du compositeur… je vous
recommanderais plutôt le Quatuor
scientifique, pensé dans une démarche toute différente) ; c'est
aussi le dédicataire du Troisième
Concerto de Beethoven !
● On trouve au disque de la musique de chambre (octuor, trios
piano-cordes, quatuor avec piano…) et des rondos pour piano et
orchestre : autour de Horst Göbel (et son trio) chez Thorofon (trois
volumes), du Trio parnassus pour SWR Music (parution uniquement en
dématérialisé) et le Valentin piano Quartet chez Musicaphon. L'Octuor
se défend joliment, mais quelle que soit l'œuvre, on demeure dans la
convention du temps ; non pas que ce soit plat, mais on y rencontre
assez peu de surprise et d'éclat, pas de thèmes très marquants non
plus.
■ Pourquoi pas oser un concert consacré aux têtes couronnées
compositrices… mais, à la vérité, j'aimerais mieux qu'on programme
d'abord de la grande musique oubliée.
Johann Wilhelm Wilms (1772–1847).
Thomas Byström.
Maria Frances Parke (1772–1822). Comme Campanus, c'est aussi son double
anniversaire cette année !
Voici pour cette livraison… Vous voyez combien non seulement on trouve
énormément de choses au disque, même de ces figures semi-obscures ;
mais de surcroît combien il ne serait pas si malcommode de glisser un
petit Cartellieri, ou de bien remplir avec Mondonville ou les
arrangements de Triebensee (petit format qui coûte moins cher de
surcroît). Messieurs les programmateurs, il ne tient qu'à vous de nous
égayer – et de nous éveiller au vaste monde au delà de l'horizon,
certes pourvu des plus belles montagnes, du démiurge Beethoven.
Je ne m'attarde pas ici. Quelques très grandes figures, célèbres ou
vraiment plus du tout au répertoire, nous attendent pour la prochaine
livraison – la septième va vous
étonner !
Ce billet, écrit à par DavidLeMarrec dans la catégorie Portraits a suscité :
(Pseudo) portrait de Franchinus
Gaffurius (par Léonard), puis portraits de Claude Goudimel, Ercole
Bernabei,
Denis Gaultier, Heinrich Schütz, Georg Caspar Schürmann,
Antoine Forqueray, Johann Kuhnau, Jan Adam Reincken.
Lettre ouverte
Chers programmateurs,
Veuillez trouver ci-après une liste
sélective de quelques compositeurs que vous pourriezmettre en avant pour l'année à venir, en
profitant de leurs anniversaires de vie et de mort.
Ne vous privez surtout pas de piller toutes idées à votre gré dans
cette liste.
Éthique de l'anniversaire
Je commence tout de suite par me disculper : je ne suis pas favorable
au principe de l'anniversaire.
Dans l'idéal, on devrait jouer les œuvres qui valent par leurs qualités intrinsèques
ou qui entrent dans un dialogue cohérent avec d'autres, documentent des
périodes ou des genres… pas les choisir parce que leur compositeur est
né il y a deux cents ans (quel choix particulièrement arbitraire,
extra-musical, et sans aucune plus-value !), était noir, était femme –
dans ces deux cas, le volontarisme permet cependant d'exhumer des fonds
qui restent autrement négligés –, était cycliste du dimanche amoureux
des platanes ou champion régional
du point-de-croix.
L'autre réserve tient à une simple question statistique : le génie
n'est pas obligatoirement réparti de
façon égale
selon les dates. Cela signifie qu'on ne jouera peut-être pas tel
compositeur de grand talent parce qu'il est mort une année trop riche,
et qu'on jouera tel autre un peu moins intéressant parce que néà une
date moins faste…
J'avoue que cette pensée me gêne toujours assez fortement – me dire que
notre connaissance du répertoire est bridée ou déformée par des
contraintes externes que nous
nous imposons, sans grand lien avec la
musique elle-même.
Pour autant je ne suis pas tout à fait naïf : pour remplir des salles
et vendre des disques (ce qui, même hors de l'argument économique,
reste le but de tout concert : être entendu !), avec des compositeurs
moins célèbres, il faut bien raconter
quelque chose.
Idéalement, un véritable récit
(le concert des Lunaisiens hier proposait « comment la chanson a-t-elle
nourri la légende napoléonienne ? »), quelque chose qui ait rapport avec la musique, soit par sonprogramme (les représentations de
la nature et de l'industrie dans la musique, on pourrait jouer du Knecht, du Mariotte et du Meisel ; ou les contes de Perrault & Grimm ?),
soit concernant la musique elle-même –
je rêve d'un cycle de concerts épousant le principe d' « Une décennie, un disque », permettant un parcours
express de l'histoire de la musique dans un genre donné (le quatuor à
cordes viennois, la musique a
cappella russe, la tragédie en musique française ou que
sais-je…). J'avais fait quelques suggestions dans cette notule.
Même si ce n'est pas l'angle le plus intéressant (ni, assurément, le
plus inventif !), l'anniversaire
reste un outil qui fonctionne. Notre espèce semble sensible aux
symboles de la récursivité du temps, et les pratiques de fêtes à date
fixe, de décompte des ans, quel que soit le sujet, paraissent partagées
par la plupart des cultures et sur des sujets aussi différents que les
créations d'entreprise ou les batailles du temps jadis.
Aussi, je m'y glisse pour suggérer par ce truchement ●quelques idées d'écoutes● aux
mélomanes – et qui sait, ■quelques
idées de répertoire■ marketing
inclusaux
artistes. En vert les
compositeurs que je présente (je suis obligé de
faire des choix, il va sans dire !), en rouge ceux qui me paraissent
fortement indiqués pour cette année 2022. Les grandes salles ont
bouclé
leur saison 2022 depuis
fort longtemps, mais les petits ensembles itinérants ont peut-être
encore un peu d'espace pour glisser un peu de Goudimel, de Certon, de
Reincken ou de Perne.
L'an 2022
En relevant 250 noms à partir
des centenaires et cinquantenaires de naissance et de décès, je croise
quelques très grands noms très bien documentés (Schütz, Franck,
Scriabine, Ralph Vaughan Williams…), mais pas de superstar susceptible
de toucher le grand public comme
Bach-Vivaldi-Mozart-Beethoven-Chopin-Liszt-Brahms-Ravel.
Aussi, il est probable que tout le monde laisse un peu tomber l'idée de
l'anniversaire, celui-ci volant en général au secours de la victoire et
servant à programmer et vendre encore plus de symphonies de Beethoven
(et même pas de ses mélodies irlandaises, ni même de ses sonates avec
violoncelle…).
À moins que ces brigands ne tentent l'astuce de compter en quarts de
siècle, pour les 125 ans de la mort de Brahms, les 175 de celle
de Mendelssohn ou les 225 de la naissance de Schubert et Donizetti !
La voie étant donc à peu près libre, voici ma sélection (évidemment
très incomplète) de compositeurs dont on pourra fêter un anniversaire
en 100 ou 50. (Je commence bien sûr, chaque année, par les morts,
puisqu'ils sont plus âgés par définition que ceux qui y naissent.) Je
tâche de préciser un peu qui ils sont, quels disques écouter, quelles
œuvres programmer.
Quoi qu'il en soit, qu'on se rassure : à la Philharmonie de Paris on
fêtera bel et bien les 162 ans de la naissance de Gustav Mahler !
Mort en 1222
(800 ans du décès)
Heinrich von Morungen.
→ Auteur et compositeur de Minnelieder. Il sera un peu difficile de lui
rendre justice : si les textes subsistent partiellement dans le Codex
Manesse, toutes les mélodies ont été perdues. (Un objectif pour
musicologue / arrangeur / compositeur contemporain ?) Certes, sa
faible notoriété dans le grand public rendra le concept invendable,
mais fêter le plus vieil anniversaire de l'année, quel panache !
Mort en 1272
(750 ans du décès)
Jehan Bretel.
Gautier d'Épinal (1272 est en réalité la date à laquelle on sait qu'il
était déjà mort).
Mort en 1372
(650 ans du décès)
Lorenzo da Firenze (peut-être mort en 1373).
Né en 1372
(650 ans de la naissance)
Johannes Cuvelier (aussi connu sous le nom de Jacquemart le Cuvelier,
date de naissance approximative)
Mort en 1422
(600 ans du décès)
Henry V d'Angleterre.
Mort en 1522
(500 ans du décès)
Jean Mouton (ou Jehan
Mouton – Jean de Hollingue de son vrai nom).
→ Ami de Josquin, compositeur également de grandes pièces sacrées. Sa
renommée est telle qu'il est régulièrement cité par les auteurs du
temps – jusque dans le prologue du Quart
Livre de
Rabelais ! Il a pour lui une fluidité très particulière, un sens
de la consonance verticale en même temps que de la polyphonie qui le
rendent particulièrement marquant – à mon sens.
→ À ne pas confondre avec Charles Mouton, luthiste important du XVIIe
siècle.
● Fabuleux disque (motets et Messe Dictes
moy toutes voz pensées),
très organique, des Tallis Scholars (Gimell 2012), très loin de leurs
approches autrefois plus désincarnées – basses rugissantes,
contre-ténors caressants, entrées nettes, texte bien mis en valeur.
■ Comme pour Goudimel ci-après, plutôt destiné aux ensembles
spécialistes, qu'on aimerait beaucoup entendre s'emparer de ce
répertoire ! (Organum, Doulce Mémoire, Les Meslanges…)
Franchinus Gaffurius.
→ Compositeur, mais avant tout théoricien.
Mort en 1572
(450 ans du décès)
Claude Goudimel.
→ Grand compositeur dePsaumes
dans leur traduction française, à l'intention des Réformés. Dans une
langue musicale simple, plutôt homorythmique, très dépouillée et
poétique.
● Au disque, une version un peu fruste chez Naxos. La lecture de Corboz
en revanche, pour chœur de chambre assez fourni, a très bien résisté au
temps et permet de saisir les beautés de verbe et d'harmonie de la
chose. (Couplé avec sa messe,
très intéressante également.)
■ Au concert, un ensemble spécialiste pourrait coupler quelques Psaumes
(ou toute messe) avec du Janequin ou du Josquin plus couramment
programmés. (Mais même un chœur traditionnel pourrait très bien s'en
charger. Sans doute pas trop difficile à mettre en place, et très
immédiatement beau.)
Pierre Certon.
→ Auteur de chansons.
● Le disque de la Boston Camerata a un peu vieilli, mais permet de
bénéficier de l'une des rares monographies.
■ Plus difficile à intégrer dans des programmes hors ensemble
spécialiste qui ferait un programme de chansons Renaissance. Mais
l'occasion pour eux de le faire !
Robert Parsons.
Christopher Tye.
Francisco Leontaritis (grec).
Né en 1572
(450 ans de la naissance)
Robert Ballard II
(possiblement né en 1575).
→ De la dynastie qui des fameux éditeurs, Robert Ballard laisse une
œuvre considérable pour le luth – à la vérité, mon corpus préféré ! –,
remarquable par sa prégnance mélodique. Il faut dire que ses Suites contiennent surtout des airs
de ballets transcrits (chants des ballets des contre-faits d'amour, ou des Insencez, ou encore de M. le Daufin),
des courantes, des gaillardes, bransles de la cornemuse et bransles de
village, pièces moins formelles que ce qui prévaut à l'ère Louis XIV…
● Formidable disque de Richard Kolb chez Centaur, très éloquent, capté
de près sans réverbération parasite. Sélection de pièces de premier
choix.
■ On peut espérer que les luthistes s'empareront de cette occasion pour
diversifier leur répertoire !
Thomas Tomkins.
Melchior Borchgrevinck.
Johannes Vodnianus Campanus (dont c'est le double anniversaire, étant
mort en 1622 !).
Moritz von Hessen-Kassel.
Edward Johnson.
Erasmus Widmann.
Daniel Bacheler.
Martin Peerson (peut-être le même que Martin Pearson).
Girolamo Conversi (date approximative de naissance).
Mort en 1622
(400 ans du décès)
Alfonso Fontanelli.
Giovanni Paolo Cima.
William Leighton.
Scipione Stella.
Giovanni Battista Grillo.
Johannes Vodnianus Campanus.
Salvatore Sacco.
Né en 1622
(400 ans de la naissance)
Ercole Bernabei.
Gaspar de Verlit.
Alba Trissina.
Jacques Lacquemant (DuBuisson, date approximative).
Mort en 1672
(350 ans du décès)
Orazio Benevolo (ou Benevoli).
→ Fils de Robert Bénevot, pâtissier français installé à Rome, il
fréquente Saint-Louis-des-Français et finit par composer pour la
Cappella Giulia (pour les offices publics de Saint-Pierre, par
opposition à Cappella Sistina pour les offices privés du pape). Il
pratique couramment les motets et messes à multiples chœurs et
nombreuses voix réelles – l'un de ses Magnificat atteint ainsi 16 voix réparties dans quatre chœurs (qui étaient
spatialisés, manière de pimenter le chose). De même pour la Messe « Si
Deus pro nobis ».
→ Ce n'est pas nécessairement le compositeur polychoral que j'aime le
plus – Legrenzi, Beretta, Merula et plus tard D. Scarlatti ont produit
des œuvres plus immédiatements éloquentes et mélodiques –, mais ce
serait l'occasion de l'exhumer un peu. Ou de le panacher, comme avait
fait Daucé pour ses concerts et son disque autour des motets &
messes à quatrechœurs.
● Essentiellement trois disques monographiques à ma connaissance : les deux Niquet (Missa Azzolina, Dixit
Dominus et Magnificat chez Naxos
; puis Magnificat et la grande Missa « Si Deus pro nobis » chez Alpha),
le second étant mieux capté et plus organiquement exécuté, avec de très
belles voix de véritables solistes (Boudet, Wattiez, Marcq, Favier…).
Et un disque de Cappella Musicale di Santa Maria in Campitelli di Roma
dirigée par Vincenzo di Betta
(chez Tactus),
consacré à la Messe « In angustia pestilentiæ » (messe des tourments de
la peste !), intéressant dans son propos, mais un peu laborieusement
exécutée (voix pas toujours belles, captation pas très claire, rythmes
très rectilignes comme si l'on jouait de la musique du XVe…).
■ Pas évident à remonter vu les forces en présence, mais un peu de neuf
ne serait pas de refus. Pourquoi pas un petit programme sur les Messes
polychorales, à spatialiser à la Philharmonie ou dans une prestigieuse
église de l'hypercentre parisien ? À tisser avec d'autres
compositeurs plus fascinants (Legrenzi !), voire avec du contemporain
(ou du Nono…), il faudrait juste le vendre comme l'événement vocal
spatialisé du moment, chanté dans la pénombre, quelque chose qui fasse
ressortir l'expérience sensorielle (de fait saisissante).
Denis Gaultier.
→ Cousin parisien d'Ennemond Gaultier de Lyon (qui était souvent appelé
Vieux-Gaultier), il est lui aussi luthiste, et leurs partitions étaient
parfois publiées avec le seul nom de famille, ce qui a mené à bien des
confusions dans les attributions, même de leur vivant. Autant j'aime
beaucoup Ennemond (et ses contemporains Gallot, Dufaut, Ch. Mouton…),
autant je n'ai pas été très ému de ce que j'ai entendu de Denis.
● Très belle monographie de Hopkinson Smith, toujours engagé et
poétique, même si le matériau ne me convainc pas ici.
■
Aisé à inclure dans un récital de luth solo, à supposer qu'on en
fasse beaucoup, ou dans un intermède instrumental de concert baroque –
si toutefois les interprètes veulent bien condescendre à laisser de
côté Kapsberger, Piccinini et Bach… Pas du tout urgent à réentendre, à
mon sens, comme Robert Ballard II (ou les autres noms cités).
Jacques Champion de Chambonnières.
→ Grand représentant du style Louis XIII de la suite pour clavecin, en
quelque sorte le grand ancêtre de toutes les superstars
louisquartoziennes. Le style en reste un peu rigide et sévère.
→ Outre les danses auxquelles on est acoutumé (allemandes, courantes,
sarabandes, gigues), on y rencontre une gaillarde et deux pavanes
! Intéressant pour sa généalogie plus que pour sa musique – on
est souvent frappé de la pauvreté du langage de la musique
instrumentale du règne de Louis XIII.
● Kenneth Gilbert chez Orion a vieilli (et n'existe qu'en volumes
séparés, difficiles à trouver), je recommande donc le double disque de
Franz Silvestri, de très bonne facture et bien capté, chez Brilliant
Classics.
■ Pour débuter en douceur un récital de clavecin français, en le
replaçant dans sa généalogie ?
Heinrich Schütz.
→ L'un des quelques grands noms de cette année, mais comme les autres,
sans doute insuffisamment starisé pour remplir sans un peu d'effort les
salles de spectacle. Il est l'auteur du premier opéra en allemand, Dafne
(1627), perdu, comme à peu près tout son legs profane, hormis ses
madrigaux (très italianisants, mais plutôt dans le sens de la joliesse
un peu plate que de la richesse chromatique) et quelques airs.
→ De nombreux motets subsistent, ainsi que plusieurs Passion. Son style s'étend de la
monodie néo-grégorienne (Passion selon
Matthieu !) et la modalité post-Renaissance (où l'harmonie n'est que le
produit quasiment accidentel de la polyphonie) jusqu'à la rhétorique
baroque, certes encore polyphonique, mais davantage fondée sur la
progression verbale et harmonique.
● Dans l'immensité de son œuvre, entièrement (et plusieurs fois)
enregistrée, deux propositions.
●● Le Musikalische
Exequien,
son chef-d'œuvre à mon sens, suite de tuilages d'une densité admirable,
et d'une poésie intense, vraiment à cheval entre le monde de Lassus et
celui de Buxtehude (avec un aspect plus avenant que les deux, façon
Louis Le Prince plutôt que Frémart ou Formé…). Kuijken (chez Accent), en tout petit
comité, est une merveille absolue. Mais les American Bach Soloists, Rademann,
Akadêmia-Lasserre sont
remarquables, Vox Luminis, Laplénie, Corboz, l'Asfelder Vocal Ensemble
(Naxos) s'écoutent très bien. Herreweghe et The Sixteen m'ont déçu à la
réécoute, une certaine mollesse tout de même par rapport à la tenue de
la concurrence !
●● Côté Passion, je suis surtout familier de celle
selon Matthieu, enregistrée
avec des options très diverses (j'ai dû à peu près toutes les écouter).
L'Ars Nova Copenhagen
(København) chez Da Capo est la plus finement pensée et réalisée, au
cordeau, pleine de vérité verbale et d'atmosphères. Celle de l'Opéra de Stuttgart
(Kurz), parue chez divers labels économiques (Classica Licorne, Bella
Musica…) offre un Évangéliste assez extraordinaire de moelleux et de
présence, dans une acoustique sèche très troublante, comme extirpé de
l'atmosphère terrestre.
■ On ne fera pas venir les foules avec un programme tout Schütz,
musique assez exigeante – bien que la Philharmonie ait déjà proposé un
programme scénique autour de
Lassus, assez bien rempli d'ailleurs ! –, mais la demi-heure de l'Exequien ferait du bien auprès de
motets de Bach, par exemple. Même les ensembles amateurs pourraient
oser des choses. (Et les Passion,
très nues, pourraient quasiment être programmées par les paroisses avec
les moyens du bord.)
Nicolaus Hasse (pas le compositeur de seria
!).
Né en 1672
(350 ans de la naissance)
Georg Caspar Schürmann (ou 1673).
→ Compositeur de Basse-Saxe et de Thuringe, auteur de plusieurs opéras
en langue allemande et de quantité de musique sacrée.
● On trouve Die getreue Alceste chez
CPO, du seria écrit
comme de la cantate sacrée à l'allemande, augmentée de quelques chœurs
dans le style français. J'aime bien davantage ses cantates (par les
Bremen Weser-Renaissance, chez CPO à nouveau), dans une esthétique
proche de Bach, et surtout sa Suite
tirée de l'opéra Ludovicus Piùs,
écrite dans un goût haendelien, mais avec une charpente musicale encore
plus ambitieuse, pour un résultat assez jubilatoire et très nourrissant
(Akademie für alte Musik Berlin chez Harmonia Mundi) !
■ Encore beaucoup de choses à découvrir, mais les ensembles baroques
pourraient au moins glisser une petite cantate dans leurs programmes
Bach : ça ne ferait pas un contraste très violent, et permettrait de
voir un peu ailleurs. (J'aime davantage que la plupart des cantates de
Bach, pour ma part, mais je ne dois certainement pas servir de
mètre-étalon en la matière !)
Antoine Forqueray.
→ Grand gambiste de son temps, considéré par Daquin comme l'égal de
Marais. Son œuvre nous est parvenue par une double publication de son
fils : comme pièces de violes et comme transcriptions pour clavecin –
possiblement avec des ajouts voire quelques compositions de sa main.
→ Sa vie (et celle de sa famille) fut assez animée :
sa femme, claveciniste, avait porté plainte à de multiples reprises
pour violences conjugales, et lancé une procédure pour vivre hors du
domicile, tandis que lui finit par l'accuser publiquement d'adultère…
et par faire emprisonner leur fils à la prison de Bicêtre – qui en est
libéré faute de fondement à la requête paternelle. Bref, un autre sale
type qui compose, on a l'habitude – coucou Jean-Baptiste, coucou
Richard.
● Grand classique, on croule sous les propositions des meilleurs
interprètes.
●● À la viole de gambe, Vittorio Ghielmi
chez Passacaille (très français,
très engagé), Pandolfo & Friends chez Glossa (intégrale ; grande
variété de textures et de couleurs), Ben-David & Baucher chez Alpha
(très enrichi, sans aucune lourdeur, un véritable sens stylsitique,
couplé avec du Couperin très réussi), Lucile Boulanger…
[Duftschmidt est un cran en-dessous, et Mattila (chez Alba) assez
sec, je n'ai pas trop aimé.]
●● Au clavecin, Le Gaillard
(superbe équilibre, altier, chantant et
âpre, mais publié chez Mandala et donc introuvable), Rannou (captée de
trop près, très orné et un peu arrangé, toujours d'une invraisemblable
richesse), Borgstede chez Brilliant (riche son comme toujours, un peu
régulier peut-être), Leonhardt, Beauséjour chez Naxos, Taylor chez
Alpha…
■ Une mission pour le Festival Marin Marais et quelques concerts
Philippe Maillard ? Ou d'ensembles chambristes épars, d'ailleurs.
Francesco Mancini.
Mort en 1722
(300 ans du décès)
Johann Kuhnau.
→ Romancier, traducteur, juriste, théoricien de la musique et surtout
compositeur, Kuhnau fut formé à Dresde puis à Leipzig, où il occupe le
poste de Thomaskantor comme prédécesseur de Bach. Musique sacrée
évidemment, mais aussi musique pour les claviers, et même des opéras –
hélas je ne sache pas qu'aucun d'entre eux ait jamais été capté.
→ Ses cantates sont écrites
dans le goût du temps, avec un véritable savoir-faire, et des sonorités
parfois plus archaïsantes, mêlant un peu de Monteverdi (l'harmonie) et
Purcell (le type de virtuosité vocale) à ses autres aspects davantage
Buxtehude et Haendel.On y rencontre aussi de très beaux ensembles dans
le goût de Steffani et Pfleger.
→ Son bijou le plus singulier réside dans ses étonnantes Sonates bibliques,
qui évoquent à l'orgue seul, en
plusieurs mouvements comme une cantate,
des épisodes épiques de l'Ancien Testament : « Combat de David &
Goliath », « Saül mélancolique et apaisé par le truchement de la
Musique », « Ézéchias agonisant et revenu à la santé », « La tombe de
Jacob »… Épisodes très animés, mélodiques et débordant de vie – ces
longues réjouissances à la fin de la sonate de David !
● Il existe une intégrale des œuvres sacrées chantées chez CPO (Opella
Musica & Camerata Lipsiensis, avec des couleurs particulièrement
douces et chaudes) et une intégrale de l'orgue chez Brilliant Classics
(Stefano Molardi, sur un bel orgue bien capté et très bien registré).
Jan Adam Reincken (ou Johann) (ou Reinken).
→ Clavériste et gambiste, cofondateur de l'Opéra de Hambourg (petite
enclave où l'on jouait non seulement de l'opéra allemand, mais même
multilingue !), c'est un grand représentant du stylus phantasticus
en vogue au Nord de l'Allemagne – même si, à l'écoute de l'auditeur
d'aujourd'hui, on est surtout frappé par la concentration formelle et
harmonique de ses œuvres, où l'abstraction et l'exigence l'emportent
plutôt sur les traits virtuoses ou figuratifs (qui ne sont certes pas
absents de son œuvre).
→ En 1705, Bach fait le voyage à Hambourg pour l'entendre, et manifeste
son admiration ; il est considéré comme l'une de ses influences
importantes.
● Si vous le trouvez, le disque de Clément Geoffroy (chez L'Encelade)
est une merveille d'intelligence discursive. À défaut, on trouve
facilement l'intégrale de Simone Stella (clavecin et orgue, en séparé
chez OnClassical puis réédité en coffret chez Brilliant Classics)). Je
n'ai écouté que la partie clavecin, sur un instrument pas très beau et
capté d'un peu trop près. Autre œuvre importante : Hortus musicus, des sonates pour 2
violons, viole de gambe et clavecin qui se trouve en diverses versions.
■ Là aussi, assez aisé pour les solistes (ou les chambristes baroques)
d'en glisser un peu lors d'un concert. La densité et le caractère peu
souriant de l'ensemble ne plaident pas nécessairement pour un concert
tout-Reincken (j'ai déjà testé, le fonds est suffisamment varié pour
s'y prêter très bien), mais en panachant avec du Bach à la sauce phantastica, l'astuce est toute
trouvée.
Francesc Guerau (ou 1717).
Ruggiero Fedeli.
Jean-Conrad Baustetter.
Maria Frances Parke.
… le temps passé à rédiger les notices étant assez considérable… je
vous donne donc rendez-vous pour la suite de la liste, jusqu'en 1972,
pour les prochaines livraisons, que je tâche de réaliser au plus tôt !
Le temps aussi pour vous, studieux lecteurs, de commencer à écluser les
univers qui se déversent incontinent sur vous.
Nous ferons ensuite, si vous le voulez bien, un petit bilan de la
moisson – ce que ça révèle (aléatoirement, comme soulevé précédemment…)
des pans enfouis de l'histoire de la musique, et ce qu'on peut
peut-être en tirer pour une programmation 2022.
À très bientôt, estimés lecteurs. Puissiez-vous, dans l'intervalle,
survivre aux frimas, aux covidages nouveaux et aux remugles vichyssois
fantaisistes. Le slalom, c'est la santé.
Seconde livraison
Effigies de Messieurs Benda, Mondonville, Daquin,
Cartellieri, Triebensee, Louis Ferdinand de Prusse.
Né en 1722
(300 ans de la naissance)
Jiří Antonín Benda.
→
Au service de Frédéric le Grand (de Prusse) puis du duc de Saxe-Gotha,
Benda (souvent indiqué Georg) a écrit, comme ses contemporains, des
sonates pour violon, pour flûte, pour clavecin, des symphonies (une
trentaine) et des concertos classiques (11 pour violon, et même 1 pour
alto dont l'attribution semble moins certaine).
→ Cependant sa notoriété provient de ses mélodrames (Ariadne auf Naxos, Medea, Pygmalion)
– au sens musical : du texte déclamé (parlé) accompagné de musique.
Pouvant durer jusqu'à 50 minutes (pour Médée),
ce sont de véritables scènes théâtrales très riches, avec un
accompagnement qui épouse au plus près l'action sans se découper en
numéros obligés comme à l'opéra.
● Selon les goûts, on peut choisir la déclamation très actuelle, un peu
criée, dans le récent disque Bosch, ou privilégier (c'est mon cas) la
déclamation plus élevée et consonante, plus équiibrée aussi, dans les
deux volumes de Christian Benda
(avec l'Orchestre de Chambre de Prague) chez Naxos.
■ Ce serait évidemment à représenter en traduction… ce qui ne pose pas
du tout les mêmes problèmes de rythme que pour l'opéra, celui-ci étant
laissé à l'appréciation de l'interprète ! Il suffit de traduire
par des phrases environ de la même amplitude, et le tour est joué
! Je rêve d'un couplage entre Ariane
ou Médée d'une part,
la Cassandre de Jarrell
d'autre part.
Johann Ernst Bach II.
(1722–1777)
→ Élève de Johann Sebastian Bach à Leipzig (il était le fils d'un
cousin au second degré de Bach, compositeur égcalement), il ne doit pas
être confondu avec Johann Ernst Bach I (1683-1739), qui était le fils
du frère jumeau (compositeur toujours) du père (qui, comme vous le
savez, composait) de Jean-Sébastien.
→ Dans son catalogue, de la musique sacrée (cantates, oratorios, pour
partie perdus) et des sonates pour clavier, d'un style encore baroque,
et même assez proche, je trouve, de la génération précédente, pas du
tout de l'oratorio marqué par le seria
en tout cas. J'en trouve la prosodie vraiment belle.
● Il existe très peu de disques où il est présent sur plus d'une piste.
●● Quoiqu'il n'y ait que deux pièces
disponibles sur le disque (consacré à la famille Bach pour orgue, par
Stefano Molardi chez Brilliant Classics, sur un orgue doux, très bien
capté et très bien registré), ce que j'ai trouvé de plus intéressant
chez lui sont ses Fantaisie
& Fugue, très marquées par le modèle de J.-S. : on entend
dans celle en fa majeur l'empreinte directe des traits et harmonies de
la Toccata & Fugue en
ré mineur, avec une couleur globalement plus lumineuse (pas seulement
liée à la tonalité majeure, c'est encore plus flagrant pour la Fantaisie & Fugue
en ré mineur), et un goût pour les épisodes opposés et discontinus
(comme dans les Fantaisies de Mozart, si l'on veut, quoique le style
n'ait évidemment rien en commun) – j'ai pensé à Bruckner quelquefois,
cette opposition soudaine entre le monumental écrasant et l'apaisé
presque galant. Vraiment des pièces intéressantes, très riches, surtout
les Fantaisies – les fugues ressemblent à son professeur en plus
appliqué et moins surprenant.
●● L'Oratorio de la Passion
(1764) gravé par Hermann Max (chez
Capriccio) permet de profiter sur la longueur de ses talents de
compositeur, dans un très bel environnement vocal de surcroît (Schlick,
Prégardien, Varcoe…).
■ Programmable dans un de ces concerts « famille Bach » évidemment.
Quant à le marketer sur son anniversaire propre, je ne suis pas sûr que
je m'y risquerais (remplissage) ! Mais pourquoi pas, dans un
concert 50/50 avec son prof Jean-Séb' !
Lucile Grétry.
→ Seconde fille du compositeur et de sa femme peintre, Lucile exerce à
la cour de Marie-Antoinette et écrit même de petites actions « mêlées
d'ariettes » (Le mariage d'Antonio
; Toinette et Louis – lequel
est perdu, texte et musique).
● Je n'ai pu mettre la main sur aucun disque comportant au moins une
piste de sa main.
Sebastián Ramón de Albero y Añaños.
Pierto Nardini.
John Garth.
Mort en 1772
(250 ans du décès)
Jean-Joseph Cassanéa de Mondonville.
→ Représentant majeur du grand motet
à la mode Louis XV
(17 écrits, 9 conservés, désormais tous enregistrés), particulièrement
admiré pour son écriture très élancée et son sens du figuralisme. Les
cataractes vocales et orchestrales d' « Elevaverunt flumina » dans Dominus regnavit,
la marche liminaire d'In exitu Israel,
la plénitude de l'immobilité gorgée de soleil d' « In sole posuit
tabernaculum suum » dans Cœli enarrant gloriam
Dei… Probablement les motets les plus marquants de toute la
période post-Louis XIV.
→ Aussi l'auteur d'opéras de types pastoraux (2 pastorales héroïques, 2
ballets héroïques, 1 pastorale languedocienne…) que je ne trouve, pour
les trois déjà enregistrés (Isbé,
Titon & L'Aurore, Les Feſtes de Paphos),
pas très exaltantes (sur des livrets d'une vacuité spectaculaire, de
surcroît), et d'une tragédie en musique qui n'a jamais été remontée (Thésée,
1765). Et de musique instrumentale (pour clavier, de chambre…), que je
ne trouve pas très saillante non plus, mais qui est bien documentée.
● En priorité, donc, les trois motets mentionnés, dans deux disques
extraordinairement interprétés : la netteté du trait chez Christie pour
Dominus regnavit et In exitu Israel, la poésie des
couleurs chez Coin pour Cœli
enarrant gloriam Dei, les deux pourvus des meilleurs solistes
possibles (Correas dans « In sole posuit » !).
■ Se couple facilement avec d'autres motets, ou au sein d'une
thématique (Babylone avec Dominus
regnavit ? fuite d'Égype avec In exitu Israel
?). Facile à présenter au public en plus, en mettant en avant l'aspect
immédiatement figuratif de l'écriture : parcours du peuple d'Israël,
description des flots déchaînés, ce devrait parler. Et l'on peut
s'appuyer sur des disques de haute réputation (le Christie est
extrêmement apprécié des amateurs de baroque français, et au delà).
Louis-Claude Daquin.
→ Élève de Louis Marchand, filleul d'Élisabeth-Claude Jacquet de La
Guerre, titulaire de Saint-Paul-Saint-Louis à Paris (alors qu'il était
en concurrence avec Rameau), successeur de Dandrieu à la Chapelle
Royale… Daquin est une figure majeure
des claviers français du XVIIIe siècle.
→→ Il a ainsi livré un Premier Livre de Pièces de clavecin
(qui contient le fameux Coucou,
quelquefois exécuté en bis par les pianistes d'antan…) et son Nouveau Livre de noëls,
qui présente 12 thèmes et variations sur les noëls traditionnels (« À
la venue de Noël », « Qu'Adam fut un pauvre homme », etc.).
→→ Il existe aussi deux messes, un Te Deum, des Leçons de Ténèbres, un
Miserere et une cantate, parmi les œuvres qui nous sont parvenues (un
certain nombre, pour la voix ou les instruments, étaient attestées mais
perdues). Je n'ai jamais vu de disques ni entendu parler d'exécution,
c'est étonnant.
● Je connais mal son clavecin, dans un genre décoratif (Louis XV) qui
n'a pas trop ma faveur. En revanche, pour la part la plus célèbre de
son legs, à savoir les noëls,
je vous recommande très vivement Adriano
Falcioni (Brilliant Classics 2017) qui a l'avantage de jouer
sur les flûtes et anches très françaises,
particulièrement nasillardes et typées, d'un orgue de la bonne époque
(Saint-Guilhem-le-Désert), remarquablement registré, et de façon assez
variée selon les pièces. Un délice à recommander à tous ceux qui
n'aiment pas l'orgue monumental qui joue des choses abstraites et fait
du bruit, façon Bach, Franck ou Widor.
■ Je suis sûr que les organistes en glissent déjà à Noël. Mais avec sa
notoriété, n'y aurait-il pas l'occasion, pour le CMBV ou les ensembles
baroques, d'exhumer ses œuvres vocales sacrées ? Il y aurait un
petit bonus de remplissage grâce au public qui a connu l'époque où le Coucou et ces noëls figuraient
parmi les classiques favoris.
Pierre-Claude Foucquet.
→ Une des pièces d'Armand-Louis Couperin porte son nom. Je n'ai pu
trouver aucune piste musicale incluant sa musique.
Francesco Barsanti.
Johann Peter Kellner.
Georg Reutter le Jeune.
Né en 1772
(250 ans de la naissance)
Antonio Casimir Cartellieri.
→ Né à Gdańsk de parents chanteurs (une mère lettonne de langue
allemande, un père italien comme vous le voyez), Cartellieri étudie à
Vienne (avec Albrechtsberger et peut-être Salieri), exerce en Pologne
et en Bohême (auprès du prince Lobkowicz) – il connaissait bien
Beethoven, personnellement et artistiquement : il fut le chef à la première du Triple Concerto et de la Troisième Symphonie !
→→ Cartellieri est à mon sens un
musicien majeur de son temps. Ses 3
concertos pour clarinette (plus un double !) sont possiblement
les meilleurs de la période classique et romantique,
très virtuoses mais surtout d'une générosité mélodique – et même d'un
sens dramatique – qui n'ont que peu d'exemple. Et plus encore,
l'intensité des affects de sa tempêtueuse Première Symphonie doit absolument
être vécue !
● Au disque, on a désormais un peu de choix :
●● de superbes divertimenti pour vents, quatuors
clarinette-cordes et sextuors à vent (par le merveilleux Consortium
Classicum, chez CPO et chez MDG). Les Quatuors
avec clarinette sont d'une délicatesse poétique absolument
merveilleuse ;
●● deux oratorios : l'un sur la Nativité (La celebre Natività del Redentore)
où l'on sent aussi bien passer Mozart que Méhul et Rossini (Spering
chez Capriccio), l'autre plus opératique (Gioas, re di Giuda,
Gernot Schmalfuss chez MDG… avec Thomas Quasthoff !) dans un style
classique augmenté de tournures plus dramatiques issues plus gluckistes
/ beethoviennes, sur un livret de Metastasio (qui contient notamment la
version en contexte de « Io tremo » / « Ah, l'aria d'intorno », l'air dramatique italien plus tard mis en
musique par Schubert,
auquel une notule avait été consacrée – la version de Cartellieri
évoque beaucoup le duo Anna-Ottavio sur le corps du Commandeur) ;
●● et surtout les œuvres dont je parlais précédemment : les concertos pour clarinette
répartis sur deux volumes chez MDG (captés avec beaucoup de naturel
comme toujours), magnifiés par la merveilleuse rondeur du démiurge
Dieter Klöcker, à mon sens l'un des meilleurs clarinettistes de tous
les temps
●● et surtout et les 4 symphonies par l'Evergreen
Orchestra et Gernot Schmalfuss (CPO), écoutez absolument la Première.
■ Les Quatuors avec clarinette
composeraient un couplage très naturel et convaincant avec le Quintette
clarinette-cordes de Mozart (mais si vous voulez plutôt le coupler avec
ceux de Neukomm, Hoffmeister, Baermann ou Reger, je vous autorise à ne
pas jouer les Cartellieri tout de suite),
■ Les concertos pour clarinette
et plus encore la Première Symphonie
feraient un triomphe en salle : ils sont immédiatement accessibles et
jubilatoires, en plus d'être en réalité remarquablement écrits. Un
concert qui vendrait « le chef qui a créé l'Héroïque était aussi un
compositeur de génie » pourrait probablement fonctionner, quitte à
jouer l'Héroïque en seconde partie pour assurer « le dialogue entre les
œuvres » (en réalité le remplissage, mais c'est tout à fait légitime).
■■ Il existe aussi d'autres concertos
qui
n'ont pas été rejoués à ma connaissance et dont les nomenclatures font
saliver : flûte, cor, basson, 2 flûtes, hautbois-basson (!),
hautbois-basson-cor ! Quelle fête ce pourrait être !
Josef Triebensee.
→ Passé à la postérité pour ses arrangements des opéras de Mozart en
octuor à vent – particulièrement Don
Giovanni et quelquefois la Clémence
de Titus, les arrangements des Noces
et le plus souvent de la Clemenza
étant le plus souvent dûs à son contemporain Johann Went ; pour Così,
c'est en général le toujours très en vie Andreas Tarkmann, génie de
l'arrangement, qui est choisi. Il a également composé ses propres
œuvres pour ce même ensemble de huit souffleurs : 2 hautbois, 2
clarinette, 2 bassons, 2 cors. (Et également arrangé Médée de Cherubini ou la Symphonie
n°92 « Oxford » de Haydn.)
→ Conception assez traditionnelle de l'arrangement, où des instruments
tiennent le rôle des solistes (hautbois, dont il jouait, pour « Deh se
piacer mi vuoi »,
clarinette pour « Vengo, aspettate », basson pour « Là ci darem la mano
», « Deh vieni alla finestra », « Del più sublime soglio » ou « Parto,
ma tu ben mio », cor pour « Ah, se fosse intorno al trono »),
respectant de près les accompagnements écrits par Mozart, dans un
résultat de sérénade lyrique très harmonieuse. Pas aussi inventif et
ravivé que Tarkmann, mais toujours très réussi.
● Beaucoup de choix parmi les disques. J'en cite quelques-uns.
●● Pour le maximum de typicité, il faut
écouter l'Oslo Kammerakademi
dans La Clemenza di Tito
(chez LAWO), saveur incroyable des timbres (ce cor phénoménal) et
vivacité éloquente du théâtre. Le disque de l'Ensemble à vent du
Philharmonique de Berlin reste assez indolent (et plutôt terne de
timbres, étrangement), je ne vous le recommande pas.…
●● Le disque du Linos Ensemble pour
Don Giovanni
(Capriccio) permet d'entendre une très large sélection, couplée de
surcroît avec le final du II virtuosement rendu par l'arrangeur du XXe
siècle Andreas Tarkmann. L'Octuor à vent de Zürich, autre sélection
très large pour un joli disque un peu plus sèchement capté chez Tudor,
utilise la fin écrite par Triebensee, beaucoup plus concise : elle
relie « Già la mensa è preparata » à « Quest'è il fin di chi fa mal »,
et boucle le tout en trois minutes !
●● L'Octuor à vent Amphion a
aussi bien enregistré des extraits de
Médée que les compositions de Triebensee, évidemment un peu moins
jubilatoires que les arrangements de Mozart.
■ Les orchestres qui ont la tradition d'extraire des solistes pour des
soirées de chambre (soit à peu près tous les orchestres parisiens de
premier plan : Opéra, Philharmonique, National, Chambre, Orchestre de
Paris…) pourraient tout à fait programmer sans grand risque les
arrangements de l'ami Triebensee, avec l'argument Mozart. C'est un
voyage absolument délectable, une façon différente de réinvestir ces
musiques très bien connues, et une démarche respectueuse, en fin de
compte, des traditions d'époque.
François-Louis Perne
(1772–1832).
→
D'abord choriste (1792) et contrebassiste (1799) à l'Opéra de Paris,
Perne est de 1816 à 1822 directeur du Conservatoire de Paris («
inspecteur général des Études de l'École royale de musique et de
déclamation »), prédécesseur immédiat de Cherubini.
→→ Il a avant tout été un chercheur et
essayiste, fasciné par la musique antique et le grégorien, réalisant un
certain nombre d'éditions de textes théoriques anciens (sur le rythme
antique, sur le rebec…), récrivant Iphigénie
en Tauride de
Gluck en notation grecque, s'intéressant aux liens entre la musique,
les autres arts, la société… Outre son travail d'éditeur, la majorité
de ses articles ont été publiées dans le périodique de Fétis, la Revue et gazette musicale de Paris.
→ Il n'est pas certain qu'il ait beaucoup produit, et la musique qu'il
laisse est surtout formelle, très marquée par les formats anciens
(fugue, canon…). Ses trois messes sont écrites dans un contrepoint
archaïsant, témoin de la vogue pour le retour au plain-chant grégorien
et à Palestrina dans les premières décennies du XIXe siècle. Avec toutes les controverses afférentes.
● Je n'ai pu mettre la main que sur trois
pistes réparties sur deux disques, le Kyrie de la Messe des solennels mineurs
chez Aparté (programme passionnant de l'ensemble Gilles Binchois
consacré à ce renouveau XIXe du plain-chant, à faux-bourdon), et
Sanctus & Agnus Dei non crédités en complément du disque Boëly de
Ménissier dans la collection « Tempéraments » de Radio-France. On y
entend pour l'un la simplicité archaïsante, pour l'autre la maîtrise
contrapuntique de cette écriture. Rien de particulièrement saillant en
soi, mais la démarche me paraît tout à fait fascinante, un écho à l'épopée de Félix Danjou – le disque de
Ménissier est d'ailleurs le seul à ma connaissance où l'on puisse aussi
entendre sa musique !
■ Je doute que l'on puisse faire entendre ce type de programme et
fédérer un public nombreux (Niquet a bien joué ce type de pièces rétro,
mais c'était avec des noms comme Gounod et Saint-Saëns !)… à moins d'en
faire un concert narratif « Les Aventuriens du grégorien perdu », « La
bataille de Paris » ou « Quand les femmes furent bannies des églises ».
Ce serait assez réjouissant à entendre narrer. (S'il faut quelqu'un
pour écrire le texte à titre gracieux, je suis là.)
Prince Louis Ferdinand de Prusse.
→ Neveu de Frédéric le Grand, il est avant tout soldat (et meurt au
front), mais aussi un pianiste
considéré de grande valeur. C'est pour lui que Rejcha écrit son
monumental L'Art de varier,
très vaste cycle (il se trouve au disque, mais je ne trouve vraiment
pas que ce soit le sommet de l'art du compositeur… je vous
recommanderais plutôt le Quatuor
scientifique, pensé dans une démarche toute différente) ; c'est
aussi le dédicataire du Troisième
Concerto de Beethoven !
● On trouve au disque de la musique de chambre (octuor, trios
piano-cordes, quatuor avec piano…) et des rondos pour piano et
orchestre : autour de Horst Göbel (et son trio) chez Thorofon (trois
volumes), du Trio parnassus pour SWR Music (parution uniquement en
dématérialisé) et le Valentin piano Quartet chez Musicaphon. L'Octuor
se défend joliment, mais quelle que soit l'œuvre, on demeure dans la
convention du temps ; non pas que ce soit plat, mais on y rencontre
assez peu de surprise et d'éclat, pas de thèmes très marquants non
plus.
■ Pourquoi pas oser un concert consacré aux têtes couronnées
compositrices… mais, à la vérité, j'aimerais mieux qu'on programme
d'abord de la grande musique oubliée.
Johann Wilhelm Wilms (1772–1847).
Thomas Byström.
Maria Frances Parke (1772–1822). Comme Campanus, c'est aussi son double
anniversaire cette année !
Voici pour cette livraison… Vous voyez combien non seulement on trouve
énormément de choses au disque, même de ces figures semi-obscures ;
mais de surcroît combien il ne serait pas si malcommode de glisser un
petit Cartellieri, ou de bien remplir avec Mondonville ou les
arrangements de Triebensee (petit format qui coûte moins cher de
surcroît). Messieurs les programmateurs, il ne tient qu'à vous de nous
égayer – et de nous éveiller au vaste monde au delà de l'horizon,
certes pourvu des plus belles montagnes, du démiurge Beethoven.
Je ne m'attarde pas ici. Quelques très grandes figures, célèbres ou
vraiment plus du tout au répertoire, nous attendent pour la prochaine
livraison – la septième va vous
étonner !
1822 – Dupuy, Davaux, Hoffmann… :
la perte des Reines du Nord, l'inventeur véritable du métronome,
l'auteur de génie qui compose…
Troisième livraison
Nos héros morts ou nés en cette année 2022 :
Dupuy au centre, puis de haut en bas Raff, Davaux, Hoffmann, Franck.
[[]]
Premier mouvement du Concerto pour basson en ut mineur d'Édouard
Dupuy.
Sambeek, Chambre de Suède, Ogrintchouk (BIS 2019).
(Pour la démarche et la légende, vous pouvez vous reporter à lapremière partie(au bas de la quelle
j'ai également servi cette nouvelle fournée de gourmandises.)
Mort en 1822
(200 ans du décès)
1822 Édouard Dupuy
(1770–1822) (ou du Puy, ou Du Puy…)
→ Quel gaillard que ce Dupuy ! Il naît en Romandie, canton de Neuchâtel, élevé par un
oncle musicien. De là, accrochez-vous : il part à Paris
étudier le piano avec Dussek et le violon avec Chabran. Il est aussi un
excellent chanteur, se produisant sur scène en Don Giovanni, un baryton
assez léger pouvant tout de même tenir au besoin les rôles de ténor et
de basse, voire chanter des parties en falsetto !
→
→ Il rencontre le frère de Frédéric de Prusse
et c'est le début d'un tour d'Europe : le voilà musicien, puis chanteur
au service de la chapelle du Prince. Mais il séduit, après les
actrices, trop de dames de l'aristocratie – et il se présente à
l'office du dimanche sans descendre de monture (non, je ne
parle pas des duchesses, tenez-vous enfin !) –, si bien qu'il
est expulsé du pays.
→ → Qu'à cela ne tienne, tournées
en Pologne, en Allemagne, et notre bougre
devient violoniste à l'orchestre de la Cour royale de Suède
; il y rencontre aussi un vif succès en chantant dans les opéras
comiques traduits de Grétry et Gaveaux, alors très en vogue dans le
pays – son accent français étant considéré comme un atout
supplémentaire. Mais il fréquente de trop près (i.e. soulève)
Sophie Hagman, la maîtresse royale officielle du prince Frederick
Adolf, et chante des airs à la gloire du Premier Consul, assez peu
goûtés en monarchie. Bannissement.
→ → Il faut bien se contenter du Danemark (où il se marie,
mais qui s'en soucie ?), où il atteint la gloire à de multiples titres
: succès retentissant pour son Ungdom
og Galskab (« Jeunesse et folie »), opéra comique appuyé sur un
livret de Bouilly pour Méhul ; triomphe dans le rôle-titre de Don Giovanni
; coqueluche des cercles mondains (ayant ses propres réceptions) ;
carrière d'officier militaire dans les Chasseurs Danois, où il mène une
résistance admirée face aux Anglais en 1807 ; enfin le dernier titre de
notoriété, celui que vous attendiez, il est pris en flagrant délit de
gros bisous avec la princesse héritière Charlotte Frederikke qui avait
sollicité ses leçons de chant !
→ → Mais entre temps… le prince
suédois est renversé et remplacé par Bernadotte, Dupuy peut retourner
en Suède comme rien
de moins que chef (sévère) de l'orchestre de la
Cour. On pense même qu'il enseigna au jeune Berwald.
● Peu de choses au disque, mais beaucoup de marquantes. Voici par quoi
commencer :
●● Le Concerto pour basson en ut
mineur, retrouvé par Bram van Sambeek – l'histoire de sa
résurrection est saisissante : le bassonniste avait demandé une copie
du Quintette (basson & quatuor à cordes) en la mineur, qui existe
aussi sous forme de concerto – ce quintette est sa seule œuvre un peu
jouée et enregistrée avec le Concerto pour flûte n°1 et l'Ouverture d'Ungdom og Galskab. Il avait reçu
par erreur ce concerto dont il ignorait l'existence ! L'univers
sonore en est très dramatique (certaines mélodies sont peut-être
empruntées à des opéras), on sent l'influence du drame d'école
cherubinienne dans ses tournures à l'éclat farouche et sombre. Le thème
B du premier mouvement est absolument ineffable, et son introduction
très originale : le thème A est joué seulement à l'orchestre, pendant
près de deux minutes, et le basson fait son entrée sur ce véritable
thème B… mais caché sous la clarinette qui chante la ligne supérieure
du thème ! Possiblement un clin d'œil du compositeur, puisque le
beau-frère du commanditaire était Crusell, le grand clarinettiste de
ces années, qui officiait dans lui aussi dans l'Orchestre de la Cour de
Suède… leur entrée était ainsi commune. Cette liberté formelle et ce
sent du contraste m'évoque beaucoup le premier mouvement du Concerto
l'Empereur de Beethoven, pour rester dans les menus compliments…
Splendide disque disponible chez BIS, parution de 2019 ou 2020, et l'un
de ceux que j'ai le plus écoutés cette année toutes catégories
confondues…
●● Son opéra comique à succès Ungdom og Galskab(d'après un livret pour Méhul par
Bouilly, l'auteur de Léonore
qui a servi à Gaveaux puis Beethoven) a été remarquablement enregistré
chez Dacapo (la branche danoise de Naxos, très richement pourvue en
raretés de qualité exceptionnelles, de Kunzen à Ruders en passant par
Hamerik), avec notamment les superstars vocales et artistes de premier
plan Elming, Cold et Schønwandt ! En bonus, le Concerto pour
flûte n°1, lui aussi assez dramatique, qui reprend des tèmes de
l'opéra.
■ Je peux comprendre que l'on ne représente pas d'opéras en danois (et
je ne vais pas revenir dans cette notule sur l'intérêt majeur dans ce
cas d'une version traduite…), mais les concertos remporteraient un vif
succès auprès du public.
On pourrait imaginer, au choix :
■■ Une soirée « Dupuy le séducteur » avec un récitant qui raconte de
façon plaisante ses aventures : Pauline Long des Clavières, Roger
Cotte, Gorm Busk, Vincent Alettaz ont mené des recherches assez
précises pour pouvoir soutenir une heure et demie de spectacle
entrecoupée de musiques, pour peu qu'une plume un peu adroite le
présente un peu savoureusement. Ce n'est pas mon idéal de spectacles,
mais on a pu vendre du Saint-George avec ce concept, je ne vois pas
pourquoi on ne pourrait pas vendre de la bonne musique avec la même
idée !
■■ Une soirée « Concertos classiques / premiers romantiques pour vents
», avec la flûte de Dupuy, le hautbois de Mozart (pour rassurer les
gens), la clarinette de Cartellieri (ou Crusell, ou Krommer…), le
basson de Hummel… On pourrait vraiment proposer un concept original,
intriguant, délicieux et convaincant. (Pendant ce temps la Philharmonie
invite La Scala pour jouer Pétrouchka et Oslo pour jouer Mahler…)
Jean-Baptiste Davaux (ou
d'Avaux)
→ Figure tout à fait considérable et pourtant quasiment pas représentée
au disque ni dans l'imaginaire collectif. Il se considérait lui-même
comme amateur, mais a laissé des opéras comiques à succès, des
symphonies très bien accueillies, et beaucoup de concertos et
symphonies concertantes, souvent programmées au Concert Spirituel et largement
fêtées par le public et la presse dans les années 1770-1790.
→
→ Venu étudier le violon à Paris, Davaux fréquente les cercles
littéraires, musicaux (notamment Martini et Saint-George), est membre
de la loge maçonnique des Neuf Sœurs (celle de Voltaire et Franklin )…
un garçon très inséré, et qui est aussi l'inventeur d'un « chronomètre » réalisé par Bréguet
lui-même, en réalité un métronome visuel. On sélectionnait le nombre de
temps par mesure, la vitesse de chaque temps avec la petite aiguille,
et la grande indiquait alors la pulsation. On est trente ans environs
avant Maelzel – qui, certes, est réputé avoir volé son propre système.
Un honnête homme complet, donc.
● Pour autant, à ma connaissance, une seule œuvre est actuellement
disponible au disque, la Symphonie concertante
mêlée d’airs patriotiques pour deux violons principaux (1794).
Dans deux excellentes versions couplées avec d'autres œuvres de la
période, celle du Concerto Köln de 1989 (qui n'a pas du tout vieilli)
et celle toute récente du Concert de la Loge Olympique, deux ensembles
qui se sont illustrés parmi les meilleurs interprètes des compositeurs
français de cette génération. On y entend, dans une veine
primesautière, des citations d'airs patriotiques, à peine ornées de
variations, qui ont l'avantage d'être aussi ceux que nous connaissons :
La Marseillaise dans le
premier mouvement, « Vous, qui d’amoureuse aventure » de Dalayrac (très
populaire sous la Révolution et recyclé ensuite en « Veillons au salut
de l'Empire ») dans l'adagio, la Carmagnole
et Ça ira dans le final… Très
réjouissant, aurait un énorme succès en concert, exactement comme à
l'époque où ces thèmes connus garantissaient par avance la sympathie du
public.
■ Sans même explorer plus avant le fonds du catalogue Davaux, imaginez
un concert « patriotique » au
moment judicieux, où l'on jouerait la Marseillaise
de Berlioz, Hermann & Dorothée
de Schumann (il existe aussi une version orchestrale des Deux Grenadiers), 1812 de Tchaïkovski, Feux d'artifice de Debussy, La nouvelle Babylone de
Chostakovitch (une BO)… et bien sûr, si l'on veut, le 25e Concerto pour
piano de Mozart… Cette symphonie concertante s'y glisserait avec
beaucoup de succès, et nul doute qu'un 14 juillet ou un week-end
d'élections, cela pourrait motiver un public beaucoup plus vaste que
l'ordinaire.
E.T.A. Hoffmann (en
réalité E.T.W. Hoffmann)
→ On présente souvent Hoffmann comme un écrivain, à l'instar de
Nietzsche ou Adorno, qui écrivait aussi un peu de musique. En réalité,
une grande partie de sa vie, y compris professionnelle, y a été
consacrée ! Il écrit au moins 13 œuvres pour la scène (et qui
sont jouées), des
cantates, de la musique sacrée, de la musique symphonique et
chambriste,
et il est même, à la fin des années 1800, chef d'orchestre au théâtre
de Bamberg !
→
→ Tout les commentateurs sont frappés par la sagesse de sa musique, en
opposition avec son imagination fantastique
dans ses écrits. Il admire Mozart, mais compose vraiment comme la
génération d'après, d'un romantisme évident, et qui conserve cependant
une partie de sa grammaire classique. Je concorde : même ses opéras
sont assez paisibles.
● Il m'a fallu beaucoup de patience, et notamment à l'occasion de cette
notule, pour rencontrer des œuvres qui méritent vraiment d'être
entendues pour des raisons purement musicales, et non par seule et
légitime curiosité d'entendre la musique pensée par le grand écrivain :
la plupart de son catalogue ménage très peu de surprises, de la jolie
musique du rang, bien faite, mais sans saillance qui traduise la
singularité d'un esprit. Presque des devoirs d'étudiant, qui cherche à
réutiliser habilement les tournures autorisées, et qui se fait
progressivement un métier en imitant ses pairs et en respectant les
règles.
●● Jolie Symphonie en mi bémol,
plusieurs fois enregistrée,
très bien réalisée par M.A. Willens chez CPO (très vivant)… mais la
comparaison avec
celle de Witt proposée en couplage (qui n'est pourtant pas la meilleure
de sa génération) est cruelle : dans l'une, tout est à sa place, d'un
bel équilibre, écrit en toute correction, tandis que l'autre propose
des gestes plus singuliers, la marque d'un compositeur qui réfléchit
sur la substance musicale et ne se contente pas de reproduire des
formules préexistantes. Pour autant, la symphonie d'Hoffmann, ainsi
jouée, mérite l'écoute.
●● Les opéras (ou le mélodrame Dirna) et la musique de chambre, qui figurent
désormais assez largement au disque, m'ont paru moins marquants,
vraiment la musique du rang de son temps : pas déshonorant, et même
impressionnant pour quelqu'un d'aussi talentueux par ailleurs, mais
assez peu de saillances pour justifier d'y passer beaucoup de temps
alors que le disque offre tant de choix plus exaltants.
●● C'est sans doute la musique
sacrée qui est la plus intéressante, la Messe et surtout le Miserere (plutôt la version
Bamberg-Beck chez Koch/DGG que R.Cologne-R.Huber chez CPO). Le disque
Beck permet de surcroît de disposer d'une bonne version de la
symphonie, c'est-à-dire de faire le tour de l'essentiel en un disque.
Mais je ne doute pas que vous ne soyez suffisamment curieux pour
essayer les opéras tout de même…
■ Le nom d'Hoffmann étant lui-même vendeur, on peut imaginer tous les
formats !
■■ Le concert-lecture bien sûr, par exemple avec sa musique de chambre
entre ses écrits. Mais attention au contraste entre la précision
évocatrice, les situations saisissantes de ses fictions, et la
conformité un peu lisse de ses compositions.
■■ L'écho, par exemple sa Messe
ou son Miserere en regards de bouts des Contes d'Hoffmann ou bien sûr de Don Giovanni.
■■ Un concert consacré aux
écrivains célèbres qui étaient également compositeurs, il y en a
quelques-uns (Nietzsche est tout à fait intéressant, Adorno pas
vraiment).
■■ D'une manière générale, il ne
serait pas très compliqué de glisser une piécette pour pimenter un
programme de l'époque, suscité la curiosité du public « oh, un truc
d'Hoffmann ».
Et aussi :
William Herschel (1738–1822).
Gaetano Valeri (1760–1822).
Maria Brizzi Giorgi.
Maria Frances Parke, dont c'est deux fois l'anniversaire cette année
(1772-1822).
Maria Hester Park (1775–1822).
Né en 1822
(200 ans de la naissance)
César Franck
→ J'irai vite sur Franck également : figure majeure de la musique (de
langue) française, le pont entre son auditoire parisien et le
chromatisme wagnérien qu'il fait infuser sur toute une génération de
compositeurs français dont les audaces nous fascinent ensuite. Je
trouve frappant qu'on entende chez Franck à quel point c'est aussi un
homme du monde qui a précédé : on entend ses années de formation dans
certaines de ses œuvres, je veux dire par là qu'on entend qu'il n'a pas
été, lui, éduqué par Franck, et que le socle de son art repose sur des
formules plus simples que celles qu'il a adoptées et diffusées par la
suite. Jusque dans les œuvres de maturité, il reste quelque chose d'un
peu stable et nu quelquefois.
● Son catalogue est amplement servi, quelques pistes si vous êtes
perdus.
●● Le plus décanté, dense et abouti,
représentatif de sa pensée chromatique aux extérieurs simples, réside
sans doute dans ses 3 Chorals
pour orgue. Énormément de versions, parmi lesquelles j'aime beaucoup
Guillou chez Dorian (la registration variée favorise la progression),
M.-C. Alain 1976 chez Erato / Apex (registration peu éclatant, mais
poussée constante), Latry (son brillant, respiration ample mais
toujours tendu).
●● Dans le même goût, mais plus ouvertement retors et sinueux,
bifurquant sans cesse entre les tonalités, que réellement décanté, le Quatuor en ré. Par exemple par les
Petersen chez Phoenix (si l'on aime le son un peu pincé et le vibrato
généreux) ou par les Danel chez CPO (si l'on veut avant tout de la
lisibilité et du mouvement plutôt que de la couleur).
●● La Symphonieen ré mineur est incontournable,
mais attention aux versions lourdes et germanisées que l'on rencontre
le plus souvent, y compris avec des orchestres français (Mikko Franck)
ou même des chefs français (Monteux). On perd alors beaucoup de
lisibilité et surtout d'intelligibilité… L'urgence de Cantelli, la
transparence d'Otterloo, la franchise très française de Gendille (quel
style !), la filiation française de Lombard et Langrée, ou plus
germanique mais très réussi, la rondeur tendue d'Arming ou l'élan
cursif de Neuhold… ce sont de bonnes adresses.
●● Pour disposer d'une idée de ce que produit l'éducation musicale de
Franck, il faut plutôt se tourner vers l'opéra… Je n'ai pas vérifié si Stradella avait
été publié en DVD, mais c'est un opéra qui donne à entendre tout un
versant italien, beaucoup plus nu et méconnu, de Franck, et assez
réussi. (Tandis que Hulda,
enregistrée récemment et bientôt donnée par Bru Zane, me paraît receler
assez peu de merveilles à la lecture comme à l'écoute…)
●● Peut-être plus abouti dans le genre du Franck-tradi, on peut aller
écouter ses mélodies et ses chœurs,
sacrés ou profanes. Par exemple avec le bel album paru l'année passée De l'autel au salon (Chœur de
chambre de Namur, Lenaerts, Musiques en Wallonie), qui fait entendre
des œuvres à la fois simples et manifestant une maîtrise précise des
moyens musicaux.
■ La musique vocale, mélodies et musique chorale, est sans doute ce que
l'on connaît le moins de lui. Ce serait l'occasion d'en mettre un peu
au programme. Cette saison, Bru Zane va déjà nous offrir Hulda dans les meilleures
conditions sonores imaginables (distribution et orchestre). Un petit
concert plus chambriste serait très bienvenu aussi.
Josef Joachim Raff.
→ Je connais mal Raff, et ce que j'en connais ne m'a que modérément
donné envie d'approfondir. Romantisme allemand assez épais, qui essaie
d'échapper au formalisme par des programmes, mais auquel il manque à
mon gré le sens de la surprise, du contraste, de l'orchestration, de la
mélodie aussi. Tout ronronne bien joliment et je n'ai à ce jour pas été
ébloui, en particulier par les symphonies, qui jouissent de la
meilleure réputation. Le catalogue étant vaste et bien documenté, il
m'aurait fallu plus de temps que je n'en ai pour chercher les pépites,
dans un goût qui me passionne moins que les autres individus dont j'ai
parlé ici.
→ Ce serait justement la tâche de l'anniversaire que de compter sur des
musiciens qui auraient déniché la pépite, comme le font Héloïse Luzzati
ou Francis Paraïso, et de leur laisser la place le temps d'une soirée
thématique où ils sauraient sléectionner le meilleur !
Luigi Arditi.
Faustina Hasse Hodges.
Betty Boije
Vous le verrez, 1872 est encore plus concentré en grands noms – ou noms
de moindre renommée mais au catalogue ébouriffant ! C'est 1922
qui est un peu décevant, alors que 1972 tient très bien son rang
!
Mais si vous ne connaissez pas Dupuy et Davaux, ou si vous êtes un peu
curieux des aspects méconnus d'Hoffmann et Franck, vous devriez avoir
déjà de quoi vous émerveiller un peu, en attendant.
Quatrième livraison
À gauche : Moniuszko, Carafa.
À droite : Graener, Alfvén.
[[]]
Variations sur « Prinz Eugen » de Paul Graener.
Radiophilharmonie de la NDR de Hanovre (pas le Symphonique, sis
à Hambourg, qui fut dirigé par Wand ou Hengelbrock),
une des plus belles discographies d'Allemagne.
W.A. Albert (CPO).
(Pour la démarche et la légende, vous pouvez vous reporter à lapremière partie(au bas de laquelle
j'ai également servi cette nouvelle fournée de gourmandises.)
Mort en 1872
(150 ans du décès)
Stanisław Moniuszko.
→ Artiste majeur en Pologne,
considéré comme le compositeur
emblématique d'opéra. Pour le piano, il y a bien sûr Chopinski
et Paderewski (en outre politiquement capital) ; pour la musique
d'aujourd'hui Penderecki, mais pour les amateurs d'opéra, la figure
majeure, c'est Moniuszko.
→ Pourtant, à l'écoute, je ne trouve pas ses œuvres les plus célèbres
très passionnantes.
→
→ Straszny
dwór(« Le Manoir hanté ») est un opéra comique
manifestement écrit sur le modèle d'Auber – et ce ne serait pas un très
grand Auber, des ariettes à ploum-ploum, peu marquant mélodiquement
dans l'ensemble. Le sujet, lui, est apparenté aux instrigues
fantastiques un peu bouffonnes façon Boïeldieu (La Dame blanche) ou Adam (Le Farfadet).
→ → Halkaest tout l'inverse : une
hypertragédie. Une fille séduite descend, au fil de ses espoirs déçus,
de la certitude de sa perte et de la méditation de sa vengeance, dans
l'abîme suscité par la trahison la plus noire Tout est moche et tout
finit très mal. C'est un peu Jenůfa,
avec un côté emphatique comme les drames de Dumas ou Pixerécourt… et
une musique qui s'apparente plutôt à du Weber sage (plutôt celui d'Abu Hassan ou du ventre mou d'Euryanthe). L'œuvre est plutôt
convaincante, mais je vois mal, là aussi, comment faire triompher une
musique qui n'est pas complètement exceptionnelle sur une scène dont ce
n'est pas du tout la langue. (Ou alors il faudrait mobiliser des moyens
exceptionnels côté chant et mise en scène – il ne se passe vraiment
rien à l'acte II, elle se plaint sans écouter son autre soupirant qui
se plaint aussi – mais à ce compte-là, pourquoi ne pas placer l'effort
sur une œuvre qui pourrait réellement s'imposer au répertoire ?)
→ → Ses autres opéras, tel Paria, son opéra de jeunesse à
sujet bouddhique, sis à Bénarès, écrit dans un goût italien pour
s'introduire auprès du public européen, ne m'ont pas paru plus
marquants…
● Je recommande donc plutôt des genres qui ne sont pas les plus
célébrés chez lui :
●● Les seules œuvres que j'ai réellement trouvées hors du commun sont
ses cantates, Milda et Nijoła (Philharmonique de Poznań
dirigé par Borowicz chez DUX) : on y rencontre une superbe déclamation
polonaise (et très bien mise en valeur, chantée et accompagnée), et
doté d'une qualité mélodique toute particulière. Je recommande ceci
très vivement !
●● la Messe en laet des motets (album « Sacred Music » chez
DUX, par Łukaszewski), très recueillis et consonants, pas vraiment
personnels mais réellement agréables
au meilleur sens du terme (attention, il existe un autre disque,
consacré aux Messes polonaises
et chanté par le même chœur, qui m'y avait semblé de sensiblement moins
bon niveau) ;
●● le Premier Quatuor, également d'un beau
romantisme simple. Les Plawner chez CPO ne m'ont pas complètement
emporté ; c'est mieux par le Quatuor Camerata chez DUX, donné avec son
Deuxième et le Premier de Dobrzyński ; mais surtout, si vous pouvez le
trouver, le disque issu de la compétition Moniuszko (il y a toute une
série, passionnante), avec l'ãtma SQ (sur instruments anciens) et le
Quartetto Nero, à nouveau chez DUX : ces jeunes musiciens surpassent
toute la concurrence en tension, timbres, urgence, lisibilité, et
haussent considérablement la réception de ces œuvres. (Toute cette
série de la Compétition Moniuszko chez DUX mérite largement le détour,
au passage : ainsi dans ce disque, on peut découvrir la prégnance
mélodique hors du commun des œuvres de Henryk Melcer-Szczawiński, et il
en va de même pour beaucoup d'autres découvertes sur les autres
volumes.)
● Du côté de ses opéras célèbres : on trouve des vidéos, les deux ont
été diffusés sur Operavision.eu (même deux versions différentes du Manoir !). Ce peut aider (si vous
êtes patient).
■ Au disque, DUX est là pour nous, avec son travail exceptionnel en
qualité, en quantité, en audace… Au concert, je ne suis pas persuadé
qu'on puisse réellement produire des étincelles devant un public non
polonais. Mais j'accueillerais avec grand plaisir une cantate !
On pourrait coupler ça avec une symphonie de Szymanowski ou Penderecki
qui ferait déplacer un peu de monde sans être totalement téléphoné, et
puis un petit concerto de Chopin avec Martha Argerich pour assurer le
remplissage. (On pourrait aussi imaginer des programmes « Partage de la
Pologne » ou « Pologne martyre », associée à un discours historique /
pédagogique, qui entrerait assez bien dans les missions de la
Philharmonie (et dans notre futur européen proche ? vu les
opinions géopolitiques des candidats à la Présidence…).
■ C'est là où le principe de l'anniversaire trouve ses limites, parce
que si l'on veut de la musique polonaise lyrique, il existe tout de
même un certain nombre de chefs-d'œuvre considérables avec Żeleński,
Nowowiejski, Różycki ou Penderecki ! Ceux-là pourrait remporter
un véritables succès – en plus du Roi
Roger de Szymanowski qu'on pourrait redonner un jour dans une
production qui le laisse un minimum intelligible (coucou Warlikowski).
Michele Carafa.
→ Napolitain venu étudier à Paris avec Cherubini, auteur de 29
opéras, dont Jeanne d'Arc à Orléans
et La Belle au bois dormant
!
● Au disque, on ne dispose semble-t-il d'aucun opéra intégral. Une cantate avec piano, Calisto (dans « Il Salotto »vol.2 chez Opera Rara), un air deLe Nozze di Lamermoordans le récital « Stelle di Napoli
» de Joyce DiDonato,
et deux scènes de Gabriella
di Vergy, l'une dans un récital Matteuzzi avec Bruce Ford
(atrocement captés), l'autre dans un récital d'Yvonne Kenny (accompagné et mené
avec beaucoup de présence par le même David Perry mou avec Matteuzzi !)
qui est le meilleur témoignage qu'on puisse trouver de la musique de
Carafa. Tout cela s'apparente à du belcanto bon teint, avec les mêmes
formules que partout ailleurs. Plutôt joliment fait au demeurant (en
particulier les introductions développées, ou certains récitatifs un
peu rapides), mais absolument rien de singulier, pour le peu qu'on en
puisse juger.
■ Je serais évidemment ravi qu'on reprenne l'une de ses œuvres, en
particulier française, pour pouvoir se faire une idée sur pièce. À
l'occasion d'un petit cycle Jeanne d'Arc où
l'on pourrait jouer l'opéra de Mermet (qui se tient !), la
cantate d'Ollone
(plutôt bien faite également, même si peu spectaculaire) et bien sûr
l'oratorio d'Honegger,
voire l'opéra de Verdi
? Un petit partenariat entre salles parisiennes ? Versailles et
TCE reprennent Mermet avec Bru Zane, la Philharmonie fait d'Ollone et
reprend son Honegger réussi, et l'Opéra de Paris se garde le Verdi parce
qu'il ne sait rien faire d'autre, ça vous dit ? Ce serait
parfait pour brosser dans le sens du poil l'électorat du futur
président de droite que nous aurons (lequel, je n'en sais rien,
mais je ne cours pas grand risque à pronostiquer qu'il ne sera
certainement pas de gauche), considérant l'Opéra de Paris pour
lequel toute la France paie, que le Peuple de France en ait pour sa
fierté, on célèbre Jeanne ! (et on joue plein d'opéras russes,
cf. supra – de toute
façon Gergiev est le seul chef étranger à pouvoir venir quand le monde
s'effondre)
Nikolaos Mantzaros.
Carlo Curti.
[[]]
Premier mouvement de la Troisième Symphonie d'Alfvén,
Philharmonique Royal de Stockholm,
dirigé par le compositeur (Phono Suecia).
Né en 1872
(150 ans de la naissance)
Alors là, 1872, c'est l'année de folie ! J'essaie de classer en
commençant par ceux que j'ai le plus envie de voir reparaître !
Paul Graener.
→ Je commence par un cas difficile. Graener, né à Berlin, tôt orphelin,
occupe de hautes responsabilités,
professeur de composition au Conservatoire de Leipzig, de Vienne,
directeur du Mozarteum de Salzbourg, du Conservatoire Stern de Berlin…
et aussi membre de la Ligue de
combat national-socialiste pour la culture allemande, du parti
nazi, vice-président de la Reichsmusikkamer…
il devient particulièrement joué à
partir de 1933, quand le nouveau régime fait la place nette de
tous les dégénérés dans le
style, les idées ou la généalogie… La presse officielle lui est
favorable, ses thématiques s'alignent aussi avec l'idéologie du parti,
il a alors du succès. Il faut dire qu'il est plutôt bon élève : il
participe activement à la cabale contre Michael Jary en désignant sa
musique comme « babillage musical culturellement bolchévique de juif
polonais ».
→ Comme il meurt en 1944, il n'a pas pu essayer de s'expliquer / se
renouveler / se racheter / se karajaniser, et sa musique s'est tout
naturellement tarie au concert – on avait assez d'efforts à dépender
pour réintégrer les nazis qui
ne l'avaient pas fait exprès ou d'oublier qui étaient vraiment
Böhm ou Schwarzkopf, sans s'occuper en plus des morts qui ne
demandaient rien. Pas évident à brander
pour un concert d'aujourd'hui, clairement. (Et cela nous renvoie vers
l'épineuse question crime & musique, ou sous sa forme plus
ludique, génie & vilenie.)
→ Néanmoins, si l'on peut passer sur ces questions (une large partie de
sa musique est désormais dans le domaine public, et on n'est pas près
de lui élever des statues), et découvrir (comme je le fis) sa musique
sans avoir conscience de sa personnalité (il a adopté des enfants quand
sa fille est morte, si ça peut aider et il souhaitait peut-être
devenir éleveur de chats), il y a quelques pépites à découvrir.
● Bien qu'auteur de nombreux opéras
et lieder, on ne trouve à peu près, hors le cycle des Neue Galgenlieder sur des poèmes de
Morgenstern (Wallén & Randalu, chez Antes). On trouve également un
lied par Schlusnus (poème d'un cycle de Munchhausen, chez Documents
notamment, label japonais trouvable sur les sites de flux européens) et
un autre par Prey (Der Rock,
aussi sur un poème de Morgenstern, dans son anthologie « moderne »
reconstituée par DGG). Vu l'expressivité de sa musique d'orchestre, je
serais très curieux d'entendre ses opéras Don Juans letztes Abenteuer (1914)
ou Der Prinz von Homburg
(1935). Il a aussi commis un Friedemann
Bach (1931), on voit l'écart d'inspiration avec une figure
d'artiste comme celle de Johnny
spielt auf (l'opéra de Křenek manifeste du zeitoper) !
● En musique de chambre, on ne
trouve guère que les Trios (Hyperion Trio, chez CPO), qui m'ont semblé
assez plats – une ligne mélodique vaguement brahmsienne, et assez peu
de contenu stimulant dans les accompagnements, l'harmonie ou la forme.
● C'est donc surtout du côté symphonique
que le legs est fourni, quoique peu vaste : Comedietta par Abendroth (chez
Jube Classics par exemple), Die
Flöte von Sansouci (suite de danses pseudo-baroque, d'une
ambition limitée, avec le compositeur à la flûte accompagné par le
Philharmonique de Berlin – publication CD par Archiphon sous le titre
peu spécifique « 78 rpm rarities: Raw Transfers »)… et sinon les quatre
volumes de CPO consacrés à sa musique orchestrale :
●● vol.1 : Comedietta, Variations sur un chant
traditionnel russe (thème assez sommaire, mais variations faites avec
beaucoup d'adresse orchestratoire), Musik am Abend, Sinfonietta. De
belles œuvres, d'un postromantisme assumé (plus conservateur que celui
de Schmidt, mais on entend clairement le contemporain de R. Strauss, ce
n'est pas du Brahms !) ;
●● vol.2 : Symphonie en ré mineur
« Le Forgeron Misère » (qu'il faut plutôt entendre comme un grand poème
symphonique, assez séduisant, qu'y chercher une grande arche formelle
étourdissante), Échos
du Royaume de Pan(son
œuvre la plus aventureuse parmi celles publiées, qui ,intègre des
formules impressionnistes à son langage postromantique germanique, avec
des harmonies riches et surprenantes, des couleurs inhabituelles), et
ce qui est pour moi son chef-d'œuvre absolu : les Variations sur « Prinz
Eugen ».
Variations
sur « Prinz Eugen »
« Prinz Eugen, der edle Ritter »
(« Le Prince Eugène, ce noble
chevalier ») est une chanson traditionnelle écrite juste après le siège
de Belgrade, victoire sur les Turcs du prince Eugène de Savoie en 1717
(première trace de la chanson, manuscrite, en 1719), restée dans
l'imaginaire sonore collectif allemand.
Sur cette base, assez sommaire
musicalement, Graener déploie toutes les possibilités d'un orchestre :
discrète marche-choral aux vents, explosion de lyrisme aux cordes
(augmentées d'énormément de contrechants de bois, de fusées aux cors
!), fugato pépiant inspiré
des Maîtres Chanteurs
(l'une de ses influences majeures, j'ai l'impression)… Les pupitres, de
la caisse claire aux trompettes, sont tous utilisés pour leur
caractère, leur coloration, avec une rare science, et surtout une
variété rare pour une variation : le thème, quoique toujours aisément
identifiable, se transmute au fil des épisodes, et chaque itération, au
lieu de paraître juxtaposée, semble découler tout naturellement d'une
transition ou d'une rupture digne des progressions d'une grande
symphonie à développement. Un bijou, absolument lumineux et
jubilatoire, que je ne puis recommander trop vivement (l'œuvre que j'ai
de loin le plus écouté ces trois dernières années, elle a donc mon
assentiment…) ;
●● vol.3 : Concerto pour piano,
Danses suédoises, Divertimento,
une autre Sinfonietta. Des
œuvres abouties mais dont la singularité me paraît moins évidente ;
●● vol.4 : Concertos pour flûte, pour
violon, pour violoncelle. Très marquants, ici le concerto est
vraiment conçu comme un tout organique et la virtuosité n'y paraît pas
le but… le soliste joue beaucoup, certes, mais peu de traits sont mis
en valeur, tout est intégré à l'orchestre, sans chercher à tout prix la
mélodie non plus : je trouve le principe très rafraîchissant, il
échappe à l'enflure habituelle de la forme concerto qui n'a pas
toujours ma faveur. Une proposition très différente, que je serais ravi
d'entendre en concert.
● Donc, à écouter, sans hésiter les volumes 2 & 4 de l'anthologie
CPO.
■ Comment rejouer cela au concert ? Clairement, pour du
symphonique ou de l'opéra, il faut de gros moyens, et avec les
sensibilités vives sur ce point (et la culture accrue de la
protestation dans les milieux artistiques), il y a de grandes
probabiités que le projet meure avant que d'aboutir. Un artiste qui
avait projeté de remonter une de ses œuvres de chambre a expliqué que
les musiciens avaient collectivement renoncé, trop mal à l'aise avec la
personne du compositeur pour en faire la promotion, fût-ce
indirectement.
Néanmoins, les Variations sur «
Prinz Eugen », en début d'un concert dont ce ne serait pas le
contenu principal, ou en conclusion de programme, je garantis que cela
galvaniserait l'auditoire ! (Après tout ça ne semble poser de
problème à personne de tresser des couronnes à Karajan, Schwarzkopf ou
Böhm, de jouer à tout bout de champ Carmina
Burana, alors pourquoi pas une ouverture de Graener – elle
appartient désormais au domaine public, ses ayants droit, si par
extraordinaire ils étaient solidaires des pensées de leur aïeul, ne
toucheront pas un sou…)
Hugo Alfvén.
→ Vous allez être déçu, je n'ai pas pu glaner d'anecdotes bien
croustillantes sur Alfvén. Il a fait son tour d'Europe pendant dix ans,
comme chef notamment, puis
s'est installé à Stockholm et à l'Université d'Uppsala, a composé, a
été le compositeur suédois du début du XXe a remporter le plus de succès – avec Stenhammar.
→ Sa musique est donc assez généreusement documentée, bien qu'on ne la
joue jamais en France – l'anniversaire serait-il donc l'occasion ?
● La priorité, ce sont les symphonies.
La 1 par Westerberg, la 3 par Svetlanov, la 4 par Willén… vous pouvez
ainsi tirer le meilleur de ces pièces. Westerberg est plus âpre, Willén
plus enveloppant et organique. N. Järvi, assez lumineux, n'est pas
celui qui révèle le mieux les audaces de cette musique, mais sa
fréquentation reste agréable. Quant aux versions par Alfvén lui-même,
splendidement restaurées et publiées par Phono Suecia (on entend très
bien le détail !), je crois qu'elles surpassent tout par leur caractère
direct, net et emporté à la fois.
● Ses musiques de scène valent
aussi le détour, comme Gustaf II
Adolf ou Bergakungen.
● Même s'il n'a pas écrit d'opéra, sa
musique chorale est très simple et très belle, et fait partie
des corpus de référence du legs suédois. On le trouve dans des
anthologies (le merveilleux Sköna Maj
des Lunds Studentsångare) ou dans la monographie « OD sings Alfvén »
(OD pour Orphei Drängar, les « serfs orphelins », l'ensemble vocal qu'a
dirigé Alfvén).
● Sa longue vie nous permet de l'entendre diriger ses propres œuvres, et de
profiter de l'humour avec lequel il dirige les danses du Fils prodigue, ou de la flamme qui
habite son interprétation de sa cantate pour les 500 ans du Parlement
Suédois, ce que vous trouverez chez lui de plus proche d'un opéra
! Il a aussi été capté dans ses symphonies (3 & 4) avec le
Philharmonique Royal de Stockholm. Et je suis frappé de la vivacité de
jeu, de la clarté du spectre, de l'exaltation du rebond et des
références folkloriques dans la Troisième,
avec une sorte d'emphase souriante et volontairement exagérée, comme un
personnage d'opéra un peu grotesque qui chante sa chanson avec une
pointe d'excès. Absolument délicieux, très différent, et réellement
convaincant – probablement le compositeur à m'avoir le plus convaincu
dans ses propres œuvres !
Quant à la Quatrième, très
cursive (on croirait qu'il dirige Don
Juan de R. Strauss, tant l'orchestre fulgure !), elle inclut la
participation de la jeune… Birgit Nilsson !
■ Franchement, au concert, cela passerait tout seul ! Le
folklorisme bigarré et très charpenté de la Troisième Symphonie, jubilatoire si
on la joue en respectant cette composante, comme le font Svetlanov ou
Alfvén lui-même, ou le grand monument plus farouche de la Quatrième, en un seul mouvement,
avec ses voix solistes sans paroles, dont le programme se réfère à un
rivage tourmenté – une œuvre très frappante, qui aurait tout pour
plaire au public mahléro-sibélien ! Et si c'est trop, un poème symphonique, il y a beaucoup
de très beaux, même si moins ambitieux : ce serait déjà ça de gagné
! Un petit effort Messieurs les programmateurs, une fois que le
monde aura terminé de s'effondrer ? L'accroche est facile en
plus, avec les « Symphonies des rivages du Nord battus par les vents »,
faites-le avec des projections
de vidéos de mer démontée si cela vous aide à remplir – ce serait-ce
pas le type de format qui a en principe la faveur de la Philharmonie de
Paris ?
1872 est particulièrement riche : je vous laisse avec ces quatre
compositeurs, dont deux figures majeures, avant d'en venir à quelques
autres géants également nés en 1872, dans les prochains épisodes : von
Hausegger, Halphen, Juon, Büsser, Perosi, Séverac, Scriabine, Vaughan
Williams… !
Prenez soin de vous. Carnets sur sol
prend soin de vos oreilles.
Ce billet, écrit à par DavidLeMarrec dans la catégorie Portraits a suscité :
à l'Opéra
d'État mari « Sapaev » de Iochkar-Ola
(Yoshkar-Ola en translittération anglophone), capitale
de la République des Maris – au Nord de la Volga, 150 km au
Nord-Ouest de Kazan –,
on donne Juno
& Avos (1979) de Rybnikov,
vendu comme un
opéra-rock mais…
… mais je ne suis pas certain qu'on ait réellement eu le droit de
proposer du rock dans la Russie soviétique des années soixante-dix :
l'œuvre est écrite pour des chanteurs lyriques (certes sonorisés), avec
de beaux épanchements élancés de cordes très 'opéra', des chœurs
travaillés et menaçants dans une tonalité élargie, des mélodrames que
soutient une musique d'orchestre bien complète et modulante…
Çà et là, quelques rythmes qui jouent avec le beat, un peu de guitare
électrique ou de batterie, mais c'est tout.
Intrigue conçue d'après le poème Avos
! (du nom de l'un des bateaux),
écrit par Voznesensky en 1970.
Argument :
En 1806, Nikolai Rezanov atteint la Californie. La fille du Gouverneur
s'éprend de lui, mais il doit d'abord returner solliciter la permission
de
l'Empereur russe pour épouser une catholique.
Pendant son retour, il tombe malade et meurt à Krasnoïarsk.
La quasi-infante fait un vœu de silence et se retire chez les
Dominicaines (pour du silence, vraiment la bonne adresse ?)
jusqu'à sa mort.
Inspiré du journal de bord du personnage réel, avec quantité
d'événements
(un duel notamment…).
Ioshkar-Ola,
capitale du territoire mari (avec sa propre langue ouralique, hors du
spectre indo-européen), est
depuis l'ère soviétique un centre industriel et manufacturier
important, bien que désormais en cours de dépopulation.
La ville (260.000 habitants) dispose de 5 théâtres, dont cet Opéra
d'État dont la troupe est fondée en 1968.
Son intérieur vert est particulièrement singulier.
(Vous noterez les orgues multiples dans la – petite – salle, dont l'un
en majesté au centre et avec chamades !)
Pour une ville qui n'est même pas dans le TOP 50 des plus peuplées de
Russie, une population qui est l'équivalent de celle de Bordeaux !
(Mais son Opéra a l'air tout aussi petit !)
Très séduit au demeurant par ses inhabituelles teintes vertes : en
France il est supposé porter malheur au théâtre – il n'existait pas de
teinture verte résistante, aussi les costumes étaient-ils peints, en vert-de-gris… tout à
fait toxique par contact cutané. Mais si j'imagine que les problèmes
techniques étaient comparables, la superstition n'a pas poussé jusqu'à
Iochkar-Ola, ou en tout cas pas jusqu'aux murs de son théâtre.
La troupe est formée en 1968, par des étudiants de Moscou, Léningrad,
Kazan et Gorki pour la partie opéra, et Moscou, Léningrad et Perm pour
la partie ballet. Le théâtre est inauguré en 1969 avec Akpatyr d'Eric Sapaev, le premier
opéra de la nation mari. Le bâtiment porte désormais le nom du
compositeur.
Ce billet, écrit à par DavidLeMarrec dans la catégorie 1 jour, 1 opéra a suscité :
Avec la simultanéité de la reprise tardive des saisons musicales,
l'annonce des festivals de l'été et de toute la prochaine saison, les
concertivores sortent du trou où la prostration issue du sevrage les
avait jetés, et la lecture des brochures suscite des pensées aussi
soudaines que fulgurantes chez moi.
Et puis, ne nous mentons pas, une petite notule éditoriale suscite
toujours davantage d'échanges que la mise en lumière d'œuvres inconnues
que pas grand monde n'a encore écoutées : ça se pare ainsi d'un petit
bonus interaction sociale
très agréable par les temps qui courent – fût-ce à distance.
Situation aidant, j'en ai donc une petite ribambelle à écouler. Et ça
tombe bien, c'est plus rapide à préparer et le travail avant l'été, les
expositions, les concerts et les relations sociales vont sans doute
aspirer une bonne partie du temps de notulage disponible.
[[]]
Pour accompagner votre lecture,
La source d'un regard (Seattle
Symphony, Ludovic Morlot).
On y entend assez bien ses différentes filiations : Messiaen (le
Premier Chant d'amour de la Turangalîla
n'est pas loin, au début !), les aplats progressivement
évolutifs des spectraux, les cuivres varésiens (façon Déserts, au milieu de la pièce),
une base harmonique relativement tonale (les cordes).
Programmation et distributions 2022
À tout seigneur, tout honneur, l'Opéra de Paris publie une belle
saison, assez variée. Évidemment peu
de titres rares hors Œdipe
d'Enescu (qui ne me semble pas vraiment la partition la plus à même de
saisir immédiatement l'adhésion d'un vaste public – quitte à jouer peu
de choses rares, je mettrais des œuvres dignes de rester au répertoire,
il me semble…), qui fera très plaisir à voir. Mais on y entendra Turandot qui n'y a pas été joué
depuis longtemps, on retrouvera enfin Richard Strauss après une période
de vaches maigres lissnérienne, il y aura beaucoup de langues (un en russe,
deux en anglais, du français), un peu de baroque, des tubes. Le tout
dans de très belles distributions.
Certes peu de XXe.
Les plus glottophiles d'entre nous ont vite remarqué l'absence des stars les plus courues (Netrebko, Alagna,
Kaufmann, en gros), mais les distributions
n'en sont pas moins très prometteuses,
que ce soit par l'arrivée d'autres vedettes (l'étonnant Calleja, pour
la première fois dans un opéra complet en France, c'est pas trop tôt)
ou par l'engagement de chanteurs moins célèbres mais très prometteurs
(Angel Blue, concentration extrême du son, une sorte de Marina Rebeka à
l'afro-américaine !).
Il est possible qu'il y ait un choix délibéré de changer les noms, une
différence de goût chez le conseiller aux distributions, la volonté de
certains chanteurs de ne pas multiplier les pays où se déplacer par les
temps qui courent (mais pourquoi tant d'Américains et pas Alagna, à ce
compte-là), voire tout simplement le fait renouvelé, pour Lissner –
après avoir abandonné en pleine crise le jouet Opéra qu'il avait cassé
et délibérément sabordé l'avenir de l'Athénée (par rivalité avec son
directeur Martinet, de ce que je comprends) – de savonner la planche à
son successeur, engageant toutes les vedettes pour lui à Naples et
laissant Neef naviger à courte vue à son arrivée. Tout cela a peut-être
été combiné, et je n'ai aucune idée si la situation est amenée à se
renouveler ou si les prochaines saisons auront une allure toute
différente.
Globalement, on note tout de même un souci
de variété et d'équilibre plus agréable que dans les deux
dernières saisons de Lissner, très monochromes dans la veine « reprises
de tubes italiens » et « jouons Traviata deux fois par saison, une fois
dans chaque salle ». On n'en est pas encore rendu à une salle qui
aurait une ambition artistique cohérente (hors Œdipe et la création des 7 morts de Maria Callas, que des
choses déjà présentées dans la maison), on ne voit pas trop les exhumations du patrimoine français promises, et la troupe annoncée n'est pas encore
constituée. On comprend bien tous les obstacles qu'il y avait à
programmer de l'ambitieux, du neuf, à réformer la maison en profondeur
: je crois qu'en l'occurrence on ne peut pas honnêtement préjuger de
l'avenir.
Disons que dans l'état actuel de l'Univers, une saison plus variée que
d'ordinaire (par rapport à l'ère Lissner), avec de belles distributions
adéquates (comme c'était le cas avec Ilias Tzempetonidis sous Lissner),
on est plutôt content. De toute façon tout le monde est soulagé d'avoir
le droit de rêver retourner peut-être un jour au concert, donc quel que
soit le programme, ça fait subjectivement plaisir à lire, des titres,
des propositions, du neuf, de l'avenir.
La création contemporaine et Le Soulier de satin
Mais en ce qui concerne l'opéra contemporain, on n'est pas rendu.
Lissner avait eu l'idée (intelligente) de passer l'ensemble de ses commandes avec un thème commun, la mise en valeur
d'œuvres du patrimoine littéraire
français : on a ainsi eu Trompe-la-Mort
de Francesconi, Bérénice de
Jarrell (pas une réussite, mais sur le papier, confier ce thème à ce
compositeur avait une réelle pertinence), Le Soulier de satin de Dalbavie.
Ce dernier cas révèle néanmoins un cas d'école de la façon de traiter la création contemporaine d'une
part comme la cinquième roue du carrosse, d'autre part sans même se
soucier de ses spécificités.
Une création contemporaine à l'opéra, on est d'accord, fait moins
déplacer, parce que le langage
musical est en général plus difficile (et, puisque peu
mélodique, procure tout simplement moins de plaisir à la plupart des
spectateurs) – et, ne nous mentons pas, aussi parce que les livrets sont la plupart du
temps si exécrables qu'ils entraînent dans leur chute même des
partitions valeureuses qui, sises sur un texte décent, auraient pu se
soutenir par elles-mêmes.
Lorsqu'on se lance dans la commande d'un création, il faut donc
s'interroger sur ces paramètres afin de rendre l'œuvre d'une part suffisamment accessible au public
une fois en salle, d'autre part suffisamment
désirableavantmême d'acheter une place – faire
une œuvre géniale et jubilatoire, si personne ne réserve pour aller la
voir, ça va pas non plus.
Et c'est là que nous allons observer l'enchaînement de décisions…
énigmatiques.
1) Concept
de départ, entrelacer composition d'opéra et patrimoine
littéraire français. Excellent. Tout le monde a quelques noms de grands
auteurs en tête (a fortiori le
public d'opéra), ça peut permettre simultanément de renouveler le fonds
d'œuvres du répertoire sur des œuvres géniales jamais encore mises en
musique… et de faire des sujets dans les JTs avec un véritable angle
d'accroche accessible : l'histoire
racontée, le grand écrivain intemporel qui se réincarne dans une
nouvelle création, etc.
2) Le choix de l'auteur. Je ne
sais si Claudel a été suggéré par le commanditaire ou par le
compositeur, mais il ne s'agit déjà pas de l'écrivain le plus célèbre.
Il doit bien y avoir un contingent de catholiques cultivés et
passionnés qui vont lâcher tout leur agenda pour courir aller entendre
une mise en musique de Claudel, mais ce ne doit pas être avec ça que
l'on doit remplir Bastille.
3) Le choix de l'œuvre. LeSoulier de satin : l'œuvre de
langue française la plus longue du répertoire, n'est-ce pas ? On
va donc essayer de représenter, avec le débit de parole chantée (si
l'on prend pour exemple les tragédies en musique de l'ère Louis XIV,
elles font 3 fois moins de vers que les tragédies déclamées, et durent
30% plus longtemps…), une œuvre qu'il faut déjà comprimer pour la
rendre représentable, avec une cadence de déclamation bien plus lente.
Soit on dénature l'original – a
fortiori si, langue française aidant, on voulait en inclure des
morceaux non modifiés dans le livret… –, soit on produit quelque chose
de beaucoup trop long, propre à décourager le public de bonne volonté.
4) On se retrouve ainsi avec un opéra
de six heures. Avec le couvre-feu, il commence à 14h (même en
semaine !). Il faut vraiment vouloir poser une demi-journée de congés
pour s'enfermer, en
juin, dans un théâtre inconfortable pour écouter de la musique
inconnue et peut-être difficile / ennuyeuse / pas à notre goût. Foi en
la création vivante hautement requise – surtout quand les autres salles
(y compris l'autre de l'Opéra National de Paris), à côté, programment L'Orfeo, La Sonnambula ou Tosca, opéras de moins de deux
heures aux lignes vocales généreuses et à l'harmonie familière, qui
commencent à 18 ou 19h…
5) Le choix du compositeur.
J'aime beaucoup la musique de Marc-André Dalbavie, ce n'est donc pas
une mauvaise nouvelle ; cependant j'ai le souvenir de la série du
festival Présences de Radio-France qui lui avait été consacrée (certes,
il doit y avoir 15 ans), où il avait été difficile de réunir
suffisamment d'œuvres pour nourrir chaque concert… Donc un compositeur
pas particulièrement prolixe (ou bien était-il simplement jeune, dans
sa toute petite quarantaine), à qui l'on confie un opéra très long –
mais cette prévention s'efface ici, les délais ont été tenus.
En revanche, en termes de langage, je me suis
interrogé : sa façon, avec de belles couleurs orchestrales, ne se
caractérise pas par le contraste dans le temps mais plutôt dans l'immédiateté de strates simultanées,
évoluant peu au cours de ses pièces – mais je ne connais que
superficiellement son catalogue pour en juger. Est-ce vraiment une
valeur sûre pour écrire un opéra très long ?
Il a cependant déjà écrit deux opéras pour de grandes
maisons, Gesualdo (en
français, Zürich 2010) et Charlotte
Salomon (en allemand, Salzbourg 2014), que je trouve très beaux
mais que je n'ai pas pu écouter en intégralité. Si je m'attarde sur
l'opéra français, on retrouve tout à fait sa manière orchestrale avec
ses cuivres varésiens (l'attaque est à la fin du son et non au début
comme c'est naturellement le cas), son écriture en couches. La prosodie
est bonne, l'élocution naturelle… je m'interroge juste sur la variété
du discours sur la durée – dans Gesualdo,
il s'en était tiré astucieusement en incluant des portions de
madrigaux.
À tester donc : ça me paraissait initialement
aventureux (je n'avais pas connaissance de ses deux opéras, et je
craignais qu'il ne parvienne pas du jour au lendemain à domestiquer son
langage au service de l'exercice très spécifique du drame chanté), mais
il s'agit finalement d'un compositeur expérimenté (troisième opéra en
dix ans), à la prosodie saine (pas d'intervalles délirants ni d'appuis
musicaux indifférents à ceux de la langue), capable de belles
ponctuations orchestrales. Reste simplement à éprouver s'il trouve la
variété de ton (que je ne lui connais pas vraiment) pour habiter de
façon suffisamment renouvelée quasiment six heures de musique. Mais je
suis assez confiant que ce sera beau, en tout cas.
6) Les interprètes. C'est là
le grand point fort de la proposition : le plateau vocal est assez
affolant : Hubeaux, Beuron, Bou, Pisaroni dans les rôles principaux, et
C. Poul, Santoni, Uria-Monzon, Čenčić, Dran, Huchet, Labonnette,
Cavallier aux alentours, voilà qui promet en termes de beauté vocale,
de diction exemplaire et de tempérament extraverti !
Grand soin apporté à la distribution, donc ; pas du
tout des spécialistes de la création contemporaines sortis d'une niche
trop spécialisée, mais des artistes connus du public, de grandes voix
même.
Seule surprise, Dalbavie dirige lui-même, ce qui est
inhabituel à l'Opéra de Paris pour les créations, généralement confiées
à des chefs de renom.
Seconde partie : réalisation concrète du projet en 2021.
7) Le
lieu de création. Contrairement aux habitudes de réserver la
création contemporaine à Garnier, il était prévu que ce soit joué à
Bastille, permettant de faire entendre plus confortablement et à un
plus vaste public (plus loin du drame, aussi). Mais voilà qu'à
l'occasion de la réouverture de la maison, nous apprenons que toutes
les places vendues sont remboursées et que Garnier abritera la
production ! Remplir à nouveau une
salle, en deux semaines à
partir de l'ouverture des ventes, pour de l'opéra contemporain d'un
compositeur pas particulièrement starisé, voilà qui paraît aventureux.
Surtout que l'inconfort de Garnier n'incite pas nécessairement à
prendre le même type de risque : 6 heures n'importe où à Bastille (même
dans les galeries latérales où il faut se plier pour voir), ce n'est
pas du tout équivalent à 6 heures sur un siège à Garnier, où seul le
parterre est réellement confortable – pour le coup, plus qu'à Bastille,
dont les dossiers sont mal conçus.
J'imagine que le but était de libérer de la place à
Bastille pour des productions plus grand public, et satisfaire le plus
grand nombre – mais j'ai l'impression que, bien que Bastille puisse en
accueillir deux simultanément, il n'y a pas de production en alternance
de Tosca ?
Je me suis aussi demandé ce que cela produisait sur
la partition, composée dans la perspective d'être jouée au besoin par
très grand orchestre et dans une salle immense, qui se retrouve dans un
théâtre à l'italienne… est-ce que tout le monde tient dans la fosse
? Est-ce que ça ne va pas sonner trop bruyant ?
8) Les tarifs. Là aussi, un
revirement incompréhensible. Alors que, pour remplir Bastille et
inciter à la découverte de la création, ils étaient particulièrement
bas – dès l'ouverture des réservations, une offre spéciale proposait
des places de première catégorie à 40€ aux moins de 40 ans (de mémoire)
–, les voici revenus à la normale. Ce qui est particulièrement cruel,
considérant que toutes les places ont été remboursées, et qu'à Garnier,
pour 45€, on a soit l'amphithéâtre – très étroit et inconfortable, avec
ses dossiers ornés de moulures en métal (!), pas sûr qu'on ait le
surtitrage non plus –, soit les côtés tout en haut ou plus bas en fond
de loge. Bref, soit il est physiquement impossible d'y tenir six
heures, soit on y voit mal. Pour 45€. Contre un premier rang de premier
balcon à Bastille pour le même prix. Il faut donc clairement dépenser
plus, au moins pour les petits budgets, pour obtenir un degré de
confort comparable.
Dans les seules places à 45€ d'où l'on voit bien
sans aller s'entasser
à l'amphi, seulement deux étaient à la vente (une de chaque
côté !).
Pour une œuvre nouvelle, qui arrive après des
expériences de créations pas toujours probantes (Bérénice ou, plus loin, L'Espace dernier, avaient été fort
mal reçus), c'est demander un sens de la Foi (pour ne pas dire de la
Providence) assez important chez des spectateurs qui ne sont peut-être
pas assez nombreux pour espérer remplir 5 dates.
9) La réservation. Dernière
trouvaille géniale, les places à 25€, qui contiennent quelques sièges
potables (et qui constituent un tarif un peu plus attractif pour les
petits budgets prêts à prendre le risque d'une création)… ne sont cette
année vendues qu'au guichet. Elles ouvrent donc le 19 pour la première
représentation le 21 ! Et vont donc susciter une queue serrée sur
le trottoir, un attroupement dans la zone billetterie – ce qui est
exactement le choix raisonnable à faire en temps de pandémie.
(Sans compter que cette politique de réserver aux
Parisiens les places les moins chères, alors qu'il s'agit d'un opéra national, co-financé par la Nation,
me paraît parfaitement discriminatoire : si vous habitez en banlieue
lointaine ou plus encore en Province, hé bien vous ne pouvez pas avoir
une bonne place à moins de 45€.)
Gouvernance
Je ne comprends donc pas très bien, de l'extérieur, la rationalité des
choix opérés dans les deux étapes d'élaboration de cette création.
a) La commande : quelle idée
saugrenue de choisir une œuvre excessivement longue, sachant que la
mise en opéra distend nécessairement les durées, et qu'il faudrait
multiplier par trois (ou couper au tiers) la pièce d'origine si l'on
voulait la jouer in extenso avec
orchestre et chants ? Même avec les six heures de spectacle (trop
longue pour l'endurance physique dans un fauteuil et l'attention
requise par de la musique nouvelle), il y aura beaucoup de raccourcis
dans l'intrigue, ce qui risque apauvrir les situations ou rendre la
compréhension plus difficile.
b) La mise en œuvre : pourquoi
ces changements soudains, cette augmentation des tarifs, ce
remboursement des places vendues, cette mise en vente partielle… alors
qu'il s'agit de la seule soirée un peu difficile à vendre de la saison
? L'Opéra de Paris est assis sur le tas d'or de sa réputation, de
son rayonnement historique… quoi qu'il programme, tout est complet
(sauf pour les reprises multiples de productions d'œuvres moins
courues, clairement Cardillac #2,
Wozzeck-Marthaler #3 ou Rusalka-Carsen #4 n'étaient pas les
plus grandes réussites de box-office de l'histoire de la maison).
Lorsque par extraordinaire (parce que la création
contemporaine est inscrite dans les statuts, tout simplement…) on met à
l'affiche une œuvre moins célèbre, qui inspire moins confiance…
pourquoi s'acharner à tout rendre plus difficile ? En rendant les
places vendues ! En augmentant les prix ! En réservant les
places attractives au guichet !
J'ai une hypothèse pour la partie mise
en œuvre : Dalbavie a peut-être, lors d'un dîner, médit – devant
un peu trop de témoins – de l'élégance ou des mœurs de la femme de
Neef. Celui-ci a donc juré de l'humilier, de le briser en faisant jouer
sa création devant une salle totalement vide. (Je m'attends à ce qu'un
mystérieux acquérer m'offre avec insistance de racheter ma place au
double de son prix, à présent.)
Pour l'instant, je n'ai pas d'autre interprétation qui résiste aussi
bien au rasoir d'Ockham. Je prends volontiers vos suggestions.
Annexes
Je vous joins ici quelques vidéos pour éclairer les descriptions
abstraites figurant dans cette notule :
→ Entretien et extraits à propos de son premier opéra Gesualdo (Zürich 2010, en
français).
→ Reportage (en allemand) sur son deuxième opéra (écrit en allemand) Charlotte Salomon
(Salzbourg 2010, ici lors de la création allemande en 2017 à Bielefeld).
→ Entretien avec le compositeur à propos du Soulier de satin.
(Attention, vous entendez en fond ses Sonnets
de Louise Labé, pas son opéra.)
Au disque, il existe de beaux échantillons de son art symphonique,
notamment avec le Symphonique de Seattle (Seattle SO Media),
l'Orchestre de Paris (Naïve) et le Philharmonique de Radio-France
(Radio-France).
Aussi sa contribution, très caractéristique de son style, au Requiem de Reconciliation (paru
chez Hänssler) avec son « Domine J » en guise d'Offertoire – aux côtés
de Berio, Cerha, Nordheim, Rands, Penderecki, Rihm, Kurtág…
À bientôt pour un nouvel épisode de la fin de lafin-du-monde !
(Est-ce la fin-renouveau ou la fin-définitive, je ne m'avancerai
guère sur ce point.)
Ce billet, écrit à par DavidLeMarrec dans la catégorie Discourir a suscité :
Toujours la brève présentation des nouveautés (et autres écoutes et
réécoutes) du mois écoulé. Je laisse une trace pour moi, autant vous
donner des idées d'écoutes…
Conseils
Opéra
Trois opéras très peu présents au disque :
♦ Les
Feſtes d'Hébé de Rameau
dans leur version révisée de 1747 ;
♦ Drot og marsk de Heise, généreux opéra romantique
suédois ;
♦ Constellations d'Efrain Amaya d'après la vie de Miró (2012).
Hors nouveautés, retour aux fondamentaux : Isis de LULLY,
La mort d'Abel de Kreutzer (six fois…), les meilleurs Verdi de jeunesse dans leurs
meilleures versions (Oberto, Nabucco, Alzira, Stiffelio et sa refonte
Aroldo… ne manquait qu'Il Corsaro !), Tristan
de Wagner dans une version
ultime (C. Kleiber, Scala 1978), les deux meilleurs Offenbach comiques (Barbe-Bleue et
Le roi Carotte), Barbe-Bleue de Bartók
en japonais, Saint François
d'Assise de Messiaen dans
la souple version Nagano !
Récitals
♦ Romances, Ballades & Duos, parmi
les œuvres les plus touchantes de Schumann,
par les excellents spécialistes Metzer, Vondung, Bode et Eisenlohr.
♦ Un autre cycle de Jake Heggie
: Songs for Murdered Sisters.
♦ Yoncheva – disque au répertoire très varié, culminant dans Dowland et surtout une chaconne
vocale de Strozzi
éblouissante.
♦ Piau – grands classiques du lied symphonique décadent (dont les R. Strauss).
Hors nouveautés : j'ai découvert le récital composite de Gerald Finley
avec le LPO et Gardner, tout y est traduit en anglais.
Sacré
♦ Cantates de la vie de Jésus par Pfleger, objet musical (et textuel)
très intriguant.
♦ Couplage de motets de M.Haydn et
Bruckner par la MDR Leipzig.
Hors nouveautés : Motets latins de Pfleger
(l'autre disque), motets latins de Danielis
(merveilles à la française), Cherubini
(Messe solennelle n°2 par Bernius, aussi l'étonnant Chant sur la
mort de Hayndn qui annonce… Don
Carlos !), Messe Solennelle de
Berlioz (par Gardiner), Service de la Trinité et Psaumes de
Stuttgart de Mantyjärvi.
Orchestral
Hors nouveautés : Cherubini (Symphonie
en ré), Mahler par Tennstedt
(intégrale EMI et prises sur le vif), Tapiola
de Sibelius (par Kajanus,
Ansermet, Garaguly, plusieurs Berglund…), Pejačević (Symphonie en fa dièse)
Concertant
Hors nouveautés : concertos pour violon de Kreutzer, Halvorsen, Moeran, Harris, Adams, Rihm,
Dusapin, Mantovani. Concertos pour hautbois de Bach par Ogrintchouk. Concerto pour
basson de Dupuy par van
Sambeek.
Chambre
♦ Trios de Rimski et Borodine, volume 3
d'une anthologie du trio en Russie.
♦ Pour deux pianos : Nocturnes de Debussy
et Tristan de Wagner arrangé
par Reger.
♦ Meilleure version de ma connaissance pour le Quatuor pour la fin du
Temps de Messiaen par le Left
Coast Ensemble (musiciens de la région de San Francisco).
Hors nouveautés : Matteis (disque
H. Schmitt et disque A. Bayer), Bach (violon-clavecin
par Glodeanu & Haas, souplesse garantie), Rondo alla Krakowiak de Chopin avec Quintette à cordes,
disques d'arrangements du Quatuor
Romantique (avec harmonium !) absolument merveilleux, Messiaen (Quatuor pour la fin du
Temps par Chamber Music Northwest).
Et pas mal de quatuors à cordes bien évidemment : d'Albert, Smyth (plus le Quintette à cordes), Weigl, Andreae, Korngold, Ginastera (intégrale des quatuors
dans la meilleure version disponible)…
Solo
♦ Récital de piano : Samazeuilh, Decaux, Ferroux, L. Aubert
par Aline Piboule.
Hors nouveautés : clavecin de 16 pieds
de Buxtehude à C.P.E. Bach.
La légende
Du vert au violet, mes recommandations…
→ * Vert : réussi !
→ ** Bleu : jalon considérable.
→ *** Violet : écoute capitale.
→ ¤ Gris : pas convaincu.
(Les disques sans indication particulière sont à mon sens de très bons
disques, simplement pas nécessairement prioritaires au sein de la
profusion de l'offre.)
Liste brute suit :
Nouveautés : œuvres
♥♥
Rameau – Les Feſtes d'Hébé
(version de 1747) – Santon, Perbost, Mechelen, Estèphe, Orfeo
Orchestra, Vashegyi (radio hongroise)
→ Premier enregistrement de la version remaniée de 1747, très vivement
animée par Vashegyi (davantage tourné vers l'énergie cinétique que la
couleur). Des réserves fortes sur Santon ici (vibrato vraiment trop
large, instrument surdimensionné), en revanche Estèphe (mordant haut et
verbe clair) exhibe l'un des instruments les mieux faits de toute la
scène francophone.
→ Audible sur la radio hongroise avant parution CD
dans quelques mois…
♥♥
Rimski-Korsakov, Cui, Borodine
– Trios piano-cordes (« Russian Trio History vol.3 »)
– Brahms Piano Trio (Naxos 2021)
→ Élan formidable du Rimski. Très beau mouvement lent lyrique de
Borodine.
♥♥
Brahms, Sonate à deux pianos //
Wagner-Reger, Prélude et mort d'Isolde // Debussy, Nocturnes –
« Remixed » –
Grauschumacher Piano Duo (Neos 2021)
→ Splendides timbres, textures et couleurs du duo. Ainsi transcrits,
Tristan et les Nocturnes constituent une approche originale, et
marquante.
♥
Koželuch : Concertos and Symphony par Sergio
Azzolini, Camerata Rousseau, Leonardo Muzii (Sony 2021)
→ Avec un son de basson très terroir.
♥♥♥
Pfleger – Cantates « The
Life and Passion of the Christ » – Vox Nidrosiensis,
Orkester Nord, Martin Wåhlberg (Aparté 2021)
→ Musique du Nord de l'Allemagne au milieu du XVIIe siècle. Œuvres
inédites (seconde monographie seulement pour ce compositeur.
→ Plus ascétique que ses motets latins (disque CPO, plus expansif), je
vous promets cependant de l'animation, avec ses solos de psaltérion,
ses évangélistes qui fonctionnent toujours à deux voix, ses structures
mouvantes qui annoncent l'esthétique des Méditations pour le Carême de
Charpentier.
→ Par ailleurs, curiosité d'entendre des textes aussi composites
(fragments des Évangiles mais aussi beaucoup d'Ancien Testament épars),
ou encore de voir Dieu s'exprimer en empruntant les mots d'Ézéchiel et
en émettant des notes très graves (mi 1 - ut 1) sur des membres de
phrase entiers.
→ On y rencontre des épisodes peu représentés d'ordinaire dans les
mises en musique – ainsi la rencontre d'Emmaüs, ou la Cananéenne dont
la fille est possédée – écrits en entrelaçant les sources des
Évangiles, des portions des livres prophétiques, les gloses du XVIIe et
les chants populaires de dévolution luthériens, parfois réplique à
réplique…
→ De quoi s'amuser aussi avec le contexte (je vous en touche un mot
dans la notice de ma main), avec ces duels à l'épée entre maîtres de
chapelle à la cour de Güstrow (le dissipé Danielis !), ou encore
lorsque Pfleger écarte sèchement une demande du prince, parce que
lui sert d'abord la gloire de la musique et de Dieu. (Ça pique.)
→ Et
superbe réalisation, conduite élancée, voix splendides et
éloquentes.
♥♥
SCHUMANN, R.: Lied Edition,
Vol. 10 - Romanzen und Balladen / Duets (Melzer, Vondung, Bode,
Eisenlohr)
→ Superbe attelage pour les lieder en duo de Schumann, de petits bijoux
trop peu pratiqués.
♥♥
Michael Haydn, Bruckner – Motets
– MDR Leipzig, Philipp Ahmann (PentaTone 2021)
→ La parenté entre les deux univers sonores (calmes homorythmies,
harmonies simples) est frappante. La couleur « Requiem de
Mozart » reste prégnante chez M. Haydn. Très beau chœur rond et
tendre.
♥
Monteverdi, Ferrabosco,
Cavalli, Strozzi, Stradella, Gibbons, Dowland, Torrejón, Murcia,
traditionnel bulgare… – « Rebirth » – Yoncheva, Cappella Medeiterranea,
García Alarcón (Sony 2021)
→ La voix est certes devenue beaucoup plus ronde et moins focalisée,
mais le style demeure de façon impressionnante, pas le moindre
hors-style ici.
→ Accompagnement splendide de la Cappella Mediterranea, parcourant
divers climats – l'aspect « ethnique » un peu carte postale
de certaines pistes, façon Arpeggiata, étant probablement le moins
réussi de l'ensemble.
→ Le disque culmine assurément dans l'ineffable chaconne de l'Eraclito
amoroso de Mlle Strozzi, petite splendeur. . Come again de Dowland est
aussi particulièrement frémissant (chaque verbe est coloré selon son
sens)… !
♥♥♥
Samazeuilh, Le Chant de la Mer
// Decaux, Clairs de lune // Ferroud, Types // Aubert, Sillages
– Aline Piboule (Printemps des Arts de Monte-Carlo 2021)
→ Déjà célébrée par deux fois dans des programmes français ambitieux
chez Artalinna (Flothuis, Arrieu, Smit, Fauré, Prokofiev,
Dutilleux !), grand retour du jeu plein d'angles d'Aline
Piboule dans quatre cycles pianistiques français de très haute
volée :
→ le chef-d'œuvre absolu de Decaux (exploration radicale et approche
inédite de l'atonalité en 1900),
→ première gravure (?) du Ferroud toujours inscrit dans la ville,
→ lecture ravivée de Samazeuilh (qui m'avait moins impressionné dans la
version ATMA), et
→ scintillements argentés, balancements et mélodies exotiques
fabuleuses des Sillages de Louis Aubert !
→ bissé
♥
PÄRT, A.: Miserere + A Tribute
to Cæsar + The Deer's Cry, etc. – BayRSO, œsterreichisches
ensemble fuer neue musik, Howard Arman (BR-Klassik 2021)
→ Belle version de belles œuvres de Pärt – pas nécessairement le Balte
le plus vertigineux en matière de musique chorale, mais sa célébrité
permet de profiter souvent de ses très belles œuvres, servies ici par
ce superbe chœur.
Michał BERGSON – Piano
Concerto / Mazurkas, Polonaise héroïque, Polonia!, Il Ritorno,
Luisa di Montfort [Opera] (excerpts) – Jonathan Plowright au piano,
Drygas, Kubas-Kruk ; Poznan PO, Borowicz (DUX 2020)
→ Le père d'Henri – principale raison d'enregistrer ces œuvres pas
majeures.
→ Concerto très chopinien (en beaucoup moins intéressant). La Grande
Polonaise Héroïque, c'est même du pillage de certaines tournures de
celle de Chopin… (en beaucoup, beaucoup moins singulier)
→ L'Introduction de Luisa di Montfort est écrite sur le thème
« Vive Henri, vive ce roi galant », plus original et amusant.
Mais ensuite : cabalette transcrite pour clarinette, on garde donc
juste la musique belcantiste pas très riche et la virtuosité
extérieure, sans le théâtre.
→ Il Ritorno, une petite pièce vocale en français, galanterie
ornementale virtuose parfaitement banale de 4 minutes. Pas
enthousiaste.
→ Première déception chez DUX ! (mais au moins c'est
rarissime et plutôt bien joué… donc toujours une découverte agréable)
♥♥
Efrain AMAYA – Constellations [2012]
– Young, Kempson, Shafer ; Arts Crossing Chb O, Amaya (Albany 2020)
→ Très tonal, sur jolis ostinatos, déclamation sobre pour trois
personnages, un opéra inspiré par la vie (et les opinions) de Joan
Miró. Il y discute de ses ressentis d'artiste (sur Dieu, dans le
premier tableau…) avec sa femme, parfois en présence de sa fille
silencieuse. Également quelques échanges avec un oiseau, muse du
peintre (incarné par la chanteuse qui fait l'épouse), et entre l'épouse
et l'esprit de la maison.
→ Même le final, lorsque la famille fuit tandis que les bombes se
mettent à pleuvoir sur le village, sonne plutôt « oh, regarde la
télé, c'est absolument dément ce qu'ils font, tu y crois
toi ? ».
→ Ce n'est pas du drame très brûlant, mais tout ça est très joli et
délicat, assez réussi. À tout prendre beaucoup plus satisfaisant que
ces opéras qui, en voulait être simultanément un laboratoire musical ou
poétique, ne sont tout simplement pas opérants prosodiquement et
dramatiquement – devenant vite mortellement ennuyeux. Choix peu
ambitieux ici, mais plutôt séduisant.
♥♥
STANCHINSKY : Piano
Music (A Journey Into the Abyss) (Witold Wilczek) (DUX 2021)
→ Impressionnant pianiste, très découpé et enveloppant à la fois !
→ Le corpus en est ravivé (pièces polyphoniques, nocturne, mazurkas).
Mais le plus intéressant demeure les Fragments, absents ici. ♥
STANCHINSKY : Piano
Works (Peter Jablonski) (Ondine 2021)
→ A beaucoup écouté Chopin... Très similaire dans les figures et
l'harmonie, à la rigueur augmenté de quelques effets retors typés
premier Scriabine.
→ Les Fragments sont plus intéressants que les Sonates et Préludes
; beaucoup plus originaux et visionnaires, plus scriabiniens, voire
futuristes.
→ Pianiste assez lisse.
♥♥♥HEISE, P.A.: Drot og marsk
(Royal Danish Opera Chorus and Orchestra, Schønwandt) (Dacapo 2021)
→ Superbe drame romantique, dans la veine de Kuhlau, remarquablement
chanté et joué. Tout est fluide, vivant, inspiré, œuvre à découvrir
absolument ! (il en existait déjà une version pas trop
ancienne chez Chandos) ♥♥HEGGIE, J.: Songs for Murdered
Sisters (J. Hopkins, J. Heggie)
→ Toujours dans le style fluide et très bien pensé rhétoriquement de
Heggie. Songs très bien
chantées.
Nouveautés : versions
Bach: 'Meins Lebens Licht' -
Cantatas BWV 45-198 & Motet BWV 118 – Collegium Vocale Gent,
Philippe Herreweghe (Phi 2021)
→ Approche très douce et caressante, comme voilée… Agréable, mais on
peut faire tellement plus de ce corpus !
→ (Déçu, j'ai beaucoup lu que c'était ultime…)
♥♥♥Messiaen – Quatuor pour
la fin du Temps – Left Coast Ensemble
(Avie 2021)
→ Captation proche et très vivante, interprétation très sensible à la
danse et à la couleur, une merveille où la direction de
l'harmonie, le sens du discours apparaissent avec une évidence rare !
+ Rohde: One wing
(Presler, Anna; Zivian, Eric)
→ Très plaisante piécette violon-piano, congruente avec Messiaen,
écrite par l'altiste membre de cet ensemble centré autour de San
Francisco.
♥
R. Strauss, Berg, Zemlinsky –
Lieder orchestraux : Vier letzte Lieder, Morgen,
Frühe-Lieder, Waldesgespräch – Piau,
O Franche-Comté, Verdier (Alpha 2021)
→ Beau grain de cordes (pas du tout un fondu « grand
orchestre », j'aime beaucoup), cuivres moins élégants.
→ Piau se tire très bien de l'exercice, même si captée de près (et pour
ce format de voix, j'aime une articulation verbale plus acérée), très
élégante et frémissante.
Verdi – Falstaff – Raimondi, OR
Liège, Arrivabeni (Dynamic)
→ Raimondi vieillissant et éraillé, mais toujours charismatique. En
revanche, tout est capté (y compris le très bon orchestre) atrocement,
comme rarement chez ce label pourtant remarquable par ses prises de son
ratées : on entend tout comme depuis une boîte sous la fosse, les
chanteurs sont trop loin l'orchestre étouffé, c'est un carnage.
→ À entendre pour la qualité des interprètes, mais très peu agréable à
écouter.
♥
Beethoven: König Stephan (King
Stephen), Op. 117 (revised spoken text by K. Weßler) – Czech
Philharmonic Choir, Brno; Cappella Aquileia; Bosch, Marcus (CPO 2021)
+ ouvertures de Fidelio
→ Version très informée et sautillante, avec un récitant (à défaut du
texte d'origine) ce qui est rarement le cas.
Autres nouvelles écoutes : œuvres
♥♥♥
Offenbach – Le roi Carotte –
Pelly, Lyon (vidéo France 3)
→ Les sous-entendus grivois les plus osés que j'aie entendus sur une
scène d'opéra… Formidable composition étonnamment libre pour du
Offenbach, livret d'une ambition bigarrée assez folle, une petite
merveille servie au plus haut niveau (Mortagne, Beuron, Bou !).
→ Grand concertato des armures qui évoque Bénédiction des Poignards,
superbe quatuor suspendu d'arrivée à Pompéi, impressionnante figuration
des chemins de fer…
♥♥♥Danielis – Motets –
Ensemble Pierre Robert, Desenclos (Alpha)
→ Petites merveilles à la française de ce compositeur wallon ayant
exercé en Allemagne du Nord, où – à Güstrow notamment – il s'est
illustré par ses frasques, insultes, caprices, chantages au départ…
→ Interprétation à la française également, d'une sobre éloquence, comme
toujours avec Desenclos.
→ Bissé.
♥♥
Buxtehude, Böhm, Weckmann, J.S.
Bach, C.Ph. Bach, W.F. Bach – Vom Stylus phantasticus zur freien
Fantasie – Magdalena Hasibeder sur
clavecin 16’ de Matthias Kramer (2006) d’après un clavecin
hambourgois (vers 1750) (Raumklang 2013)
→ Impressionnante majesté du clavecin doté d'un jeu de seize pieds (au
lieu du huit-pieds traditionnel), capté de façon un peu trouble. Mais
la superbe articulation de M. Hasibeder compense assez bien ces
limites. Un pont entre deux esthétiques de l'affect différentes, sur un
rare modèle reconstitué.
♥♥
Moeran – Concerto pour violon
– (Lyrita)
→ Lyrique, atmosphérique, dansant, très réussi. Mouvements lents
encadrant un mouvement rapide très entraînant et bondissant.
+ Rhapsodie en fa# avec piano (aux formules digitales très
rachmaninoviennes)
+ Rhapsodie en mim pour orchestre, très belle rêverie !
♥♥
Roy Harris & John Adams: Violin Concertos – Tamsin
Waley-Cohen, BBC Symphony Orchestra, Andrew Litton (Signum)
→ Deux concertos très vivants et colorés, où l'orchestre jou sa part.
→ Bissé.
♥♥
Halvorsen – Concerto pour
violon – Henning Kraggerud, Malmö SO (Naxos 2017)
→ Très violonistique, mais beaucoup des cadences simples et sens de la
majesté qui apportent de grandes satisfactions immédiates.
♥♥
Rihm, Gedicht des Malers
– R. Capuçon, Wiener Symphoniker, Ph. Jordan + Dusapin, Aufgang – R.
Capuçon, OPRF, Chung + Mantovani, Jeux d'eau –
R. Capuçon, Opéra de Paris, Ph. Jordan
→ Mantovani chatoyant et plein de naturel, Rihm lyrique et privilégiant
l'ultrasolo et le suraigu, Dusapin plus élusif.
♥♥
Svendsen: Violin
Concerto in A major, Op. 6 / Symphony No. 1 in D major, Op. 4 – Arve
Tellefsen, Oslo PO, Karsten Andersen (ccto), Miltiades Caridis (symph)
(Universal 1988)
→ Timbre d'une qualité surnaturelle… Sinon belle plénitude
paganino-mendelssohnienne, et plus d'atmosphères que d'épate.
→ Symphonie plus naïve, en bonne logique vu le langage.
♥
Matteis – False
Consonances of Melancholy – A. Bayer, Gli Incogniti, A. Bayer (ZZT / Alpha 2009)
→ Très beau disque également, mais de consonance plus lisse. ♥♥
Matteis – Ayrs for the
Violin – Hélène Schmitt (Alpha
2009)
→ Œuvres magnifiques, déjà tout un art consommé de doubles cordes
notamment, mais toujours avec poésie.
♥
Saint-Saëns – Suite pour
violoncelle et orchestre – Camille Thomas, ON Lille, A. Bloch (DGG 2017)
→ Suite d'inspiration archaïsante mais extrêmement romantisée, très
réussie.
+ des Offenbach arrangés
♥
Boccherini, Couperin-Bazelaire, Frescobaldi-Toister,
Monn-Schönberg – Concertos pour
violoncelle – Jian Wang,
Camerata Salzburg (DGG 2003)
→ Boccherini G. 482 en si bémol, plein de vie. Le reste du corpus est
moins marquant, surtout Monn, assez terne. Très belle interprétation
tradi-informée.
Pabst – Trio piano-cordes (« Russian Trio
History vol.2 ») – Brahms Piano Trio (Naxos)
→ Bissé. Beau Trio à la mémoire d'A. Rubinstein, bien fait, mais je
n'ai pas été particulièrement saisi.
Dupuy: Flute Concerto No.
1 in D Minor – Petrucci, Ginevra; Pomeriggi Musicali, I; Ciampi,
Maurizio (Brilliant Classics 2015)
→ On y retrouve les belles harmonies contrastées et expressives propres
à Dupuy, mais l'expression galante et primesautière induite par la
flûte n'est pas passionnante.
♥
Édouard Dupuy – Bassoon
Concerto in A Major – van Sambeek, Sinfonia Rotterdam, Conrad van
Alphen (Brilliant 2012)
→ Orchestre hélas tradi-mou. Belle œuvre qui mériterait mieux, quoique
en deçà du gigantesque concerto en ut mineur…
♥♥
Kreutzer – Violin Concerto No. 14 in E Major –
Peter Sheppard Skærved, Philharmonie Slovaque de Košice ; Andrew
Mogrelia (Naxos 2007)
→ Quelle grâce, on pense à Du Puy !
+ n°15, Davantage classicisme standard, mais interprétation très belle
(quel son de violon, quelle délicatesse de cet orchestre tradi !) qui
permet de se régaler dans les moments les plus lyriques.
(Arrêtez un peu de nous casser les pieds avec Saint-George et
faites-nous entendre du Clément et du Kreutzer, les gars !)
Kreutzer: 42 Etudes ou caprices –
Masayuki Kino (Exton 2010)
→ Vraiment des études de travail, certes plutôt musicales, mais rien de
bien passionnant à l'écoute seule, si l'on n'est pas dans une
perspective technique. Un disque pour se donner des objectifs plutôt
que pour faire l'expérience de délices musicales…
→ (mieux qu'Aškin et E. Wallfisch, paraît vraiment difficile à timbrer)
♥♥♥
Marschner ouv Vampyr, Korngold fantaisie Tote Stadt, R. Strauss Ariadne Fantaisie, Meyerbeer fantaisie Robert le Diable
– « Opera Fantasias from the Shadowlands » – Le Quatuor Romantique (violon, violoncelle,
piano, harmonium) (Ars Produktion 2010)
→ Arrangements passionnants qui ne se limitent pas aux moments
instrumentaux les plus évidents mais parcourent l'œuvre (le pot-pourri
d'Ariadne est particulièrement exaltant !), et dans un effectif
typique
de la musique privée de la fin du XIXe siècle, un ravissement – qui
change radicalement des disques qu'on a l'habitude d'entendre.
→ Trissé.
♥♥
Wagner – Wesendonck,
extraits de Rienzi, Lohengrin, Meistersinger, Parsifal –
« Operatic Chamber Music » – Suzanne McLeod, Le Quatuor Romantique (violon,
violoncelle, piano, harmonium) (Ars Produktion 2013)
→ À nouveau des arrangements qui (échappent un peu moins aux grands
tubes mais) renouvellent les équilibres sans déformer l'esprit ni
l'impact des œuvres. Très persuasif !
♥♥
Tchaïkovski,
Casse-Noisette (extraits), Waldteufel
Patineurs, Humperdinck
ouverture Hänsel & Noëls
traditionnels allemands – « CHRISTMAS MUSIC - A Late
Romantic Christmas Eve » – (Elena Fink, Le Quatuor Romantique) (Arsk
Produktion 2010)
→ Encore un délice…
♥
BRAHMS, J.: Piano
Quintet become String Quintet, Op. 34 (reconstructed by S. Brown) / WEBER, J.M.: String Quintet in D
Major (Divertimenti Ensemble) (Cello Classics 2007)
→ Belle œuvre de Weber (Joseph Miroslav).
→ Transformation réussie du Quintette avec piano en quintette à cordes,
les contrastes et les effets rythmiques demeurent vraiment de façon
convaincante – davantage que dans la version Sonate pour deux pianos,
pourtant de la main de Brahms !
♥♥
Mantyjärvi – Service de
la Trinité, Psaumes de Stuttgart et autres motets – Trinity College
Cambridge, Layton
→ Excellent exemple de la belle écriture chorale de la baltique, avec
une progression harmonique simple, des accords riches, un rapport
éttroit au texte, une lumière intense.
♥♥
Smyth – Quatuor en mi mineur
– Mannheim SQ (CPO)
+ quintette à cordes
→ Œuvres remarquablement bâties, avec une belle veine
mélodico-harmonique de surcroît. Le Quintette (de jeunesse) plus marqué
par une forme de folklore un peu rustique, le quatuor plus sophistiqué
(peut-être encore meilleur).
♥
Bosmans – Quatuor –
→ Bien bâti, particulièrement court.
♥♥
Honneur à la patrie (Collection "Chansons de France") – Chants patriotiques – Thill, Lucien
Lupi, Dens, Arlette Deguil, Legros, Roux, Michèle Dorlan… (Marianne
Melodie 2011)
Cherubini, Galuppi, Clementi, Bonazzi, Busi, Canneti… – Sonatas for two organs – Luigi
Celeghin, Bianka Pezić (Naxos 2004)
→ Cherubini avec des marches harmoniques alla Bach, Galuppi tout
bondissant en basses d'Alberti… quelles étranges choses. Assez sinistre
sur ces pleins-jeux blanchâtres (pourtant des orgues italiens de 1785),
pièces pas passionnantes… et l'effet de dialogue est
complètement perdu au disque (la matière musicale seule ne paraît pas
justifier l'emploi de deux organistes.
→ Seul Cherubini m'a un peu intéressé, par sa tenue et son décalage
avec l'habitude. Sinon, l'arrangement par Francesco Canneti du grand
concertato à la fin du Triomphe d'Aida est un peu divertissant et
tuilé, à défaut de subtil.
Cherubini: Sciant gentes – Keohane, Maria;
Oitzinger, Margot; Hobbs, Thomas; Noack, Sebastian; Stuttgart Chamber
Choir; Hofkapelle Stuttgart; Bernius, Frieder (Carus 2013)
→ Gentil motet sans éclat particulier, bien joué sans électricité
excessive non plus. ♥♥
Cherubini – Chant sur la mort de Haydn, Symphonie en ré
– Cappella Coloniensis, Gabriele Ferro (Phoenix 2009)
→ Début de la mort de Haydn contient pas mal d'éléments du début de
l'acte V de Don Carlos ! Culture sacrée commune aux deux, ou
souvenir de Verdi ?
Cherubini – Pimmalione
– Adami, Berghi, Carturan, Ligabue, RAI Milano, Gerelli (libre de
droits 1955)
Cherubini – Les Abencérages –
Rinaldi, Dupouy, Mars ; RAI Milan, Maag (Arts)
→ Quelques variations (orchestrales !) sur la Follia en guise de
danses de l'acte I.
→ Ne semble pas génialissime (récitatifs médiocres en particulier),
mais joué ainsi à la tradi-mou avec une majorité de chanteurs à fort
accent et plutôt capté, on ne se rend pas forcément compte des beautés
réelles… M'a évoqué le Cherubini-eau-tiède d'Ali Baba et de Médée, eux
aussi très mal servis au disque…
♥
Cherubini – Messe Solennelle
n°3 en mi (1818) // 9 Antifona sul canto fermo 8 tona // Nemo
gaudeat – Ziesak, Pizzolato, Lippert, Abdrazakov ; BayRSO,
Muti (EMI)
→ Mollissime. Il y a l'air d'y avoir de jolies choses, mais Muti,
pourtant sincère amoureux de cette musique, noie tout sous une mélasse
hors style.
→ Quand même la très belle découverte du motet Nemo gaudeat, très
belles figures chorale, curieux de réentendre cela en de meilleures
circonstances…
♥♥
Bartók, Le Château de Barbe-Bleue (en japonais) – Ito, Nakayama, NHK
Symphony, Rosenstock (1957, édité par Naxos)
→ Pas très typé idiomatiquement en dehors du Prologue, mais très bien
chanté et joué, beaucoup d'esprit ! ♥
Górecki: String
Quartet No. 3, Op. 67, "Pieśni śpiewają" ( … Songs Are Sung) – DAFÔ
String Quartet (DUX 2017)
→ Aplats et répétitions, pas aussi détendant que son Miserere ou sa
Troisième Symphonie, clairement, mais dans le même genre à temporalité
lente et au matériau raréfié.
→ Premier mouvement un peu sombre, le deuxième est au contraire un
largo en majeur, en grands accords lumineux et apathiques, les deux
scherzos intermédiaires apportant un brin de vivacité, jusqu'au final
largo, plus sérieux et prostré. Assez bel ensemble, plutôt bien fait
(mais très long pour ce type de matière : 50 minutes !).
♥♥
CHOPIN : Rondo alla
Krakowiak (Paleczny, Prima Vista Quartet, Marynowski) (DUX 2015)
→ Réjouissante version accompagnée par un quintette à cordes, pleine de
saveur et de tranchant par rapport aux versions orchestrales forcément
plus étales et arrondies – et ce même du côté du piano !
Autres nouvelles écoutes : interprétations
♥
Chabrier, ouverture de Gwendoline, España, Bourrée fantasque,
Danse
villageoise / Bizet, Suite de l'Arlésienne / Lalo Ys ouverture /
Berlioz extraits Romé / Debussy Faune / Franck Psyché extts / Pierné
Cydalise extts, Ramuntcho extts, Giration, Sonata da Camera – Orchestre
Colonne, Pierné (Malibran)
→ Quelle vivacité, quel élan ! Et le son est franchement bon
pour son temps.
♥♥
Messiaen – Saint François
d'Assise – Hallé O, Nagano (DGG)
→ Quel naturel par rapport à Ozawa ! On sent que la
partition fait
désormais partie du patrimoine et que son discours coule de source.
Walton – Concerto pour violon –
Suwanai (Decca)
→ Toujours son très beau son, mais l'œuvre me laissant assez froid…
♥♥♥
Mahler – Symphonie n°5 – LPO, Tennstedt (EMI)
→ Tourbillon dément. Même l'Adagietto est d'une tension à peine
soutenable.
MONN, G.M.: Cello Concerto in G Minor (arr. A.
Schoenberg) (Queyras, Freiburg Baroque Orchestra, Müllejans) (Harmonia
Mundi)
→ Un peu aigre comme son d'orchestre pour du classicisme, serait sans
doute très bien dans une œuvre intéressante mais ici…
Saint-Saëns, Berlioz – « French Showpieces (Concert
Francais) » –
James Ehnes, Orchestre symphonique de Québec, Yoav Talmi (Analekta 2001)
♥♥
Bach – Oboe Concertos –
Alexei Ogrintchouk, Swedish ChbO (BIS 2010)
→ Quel son incroyable, et quel orchestre aussi…
Verdi – Oberto (version originale), acte I
– Guleghina, Stuart Neil, Ramey ; Saint-Martin-in-the-Fields,
Marriner (Philips)
→ Tire beaucoup plus, joué ainsi, vers Norma et le belcanto plus
traditionnel. Plus formel, moins stimulant.
→ Avec Marriner, les formules d'accompagnement restent de
l'accompagnement. Et même Ramey semble un peu prudent, composé. (Manque
d'habitude de ces rôles en scène, probablement aussi : la plupart
n'ont
dû faire que ce studio.)
♥♥
Verdi – Oberto –
Dimitrova, Bergonzi, Panerai ; Gardelli (Orfeo)
→ Grande inspiration mélodique et dramatique pour ce premier opéra.
Distribution qui domine ses rôles ! Et des ensembles
furibonds
étourdissants !
♥♥ Verdi – Alzira – Cotrubas,
Araiza, Bruson, Gardelli (Orfeo)
→ De très très beaux ensembles… Un des Verdi les moins joués, et
vraiment sous-estimé.
♥Sibelius – Symphonie n°2 –
Suisse Romande, Ansermet
(Decca 1962)
→ Belle version pleine d'ardeur, avec des timbres toutefois très
aigrelets. Tout ne fonctionne pas à égalité (le mouvement lent manque
peut-être un peu de plénitude et de fondu ?), mais la toute fin
est assez incroyable de généreuse intensité.
♥♥
Sibelius – Tapiola –
Helsinki PO, Berglund
→ Un peu rond, mais rapide et contrasté, extrêmement vivant ! ♥♥
+ Kajanus
→ Orchestre limité et problématique (justesse, disparité de timbres),
mais élan irrésistible, conduite organique du tempo, saveur des
timbres !
♥♥
Messiaen – Quatuor pour la fin
du Temps – Chamber Music Northwest (Delos 1986)
Messiaen – Quatuor pour la fin du Temps – Jansen, Fröst,
Thedéen, Debargue (Sony)
→ Très soliste, manque un peu de cette fièvre commune (trop facile pour
eux ?). Même Thedéen, mon idole d'éloquence élégance dans Brahms,
paraît un peu forcer son timbre.
♥
Verdi – Nabucco (extraits en
allemand) – Liane Synek, Lear, Kónya, Stewart, Talvela ;
Deutsche Oper Berlin, H. Stein (DGG)
→ Version très bien chantée (en particulier le ferme mordant de Stewart
et la tendreté de Lear).
→ Les extraits sont étrangement choisis (pas d'ensembles, pas
d'Abigaille hors sa mort !).
♥♥♥
Verdi – Aroldo – Vaness,
Shicoff, Michaels-Moore ; Maggio Firenze, Luisi (Philips 2001)
→ Distribution, orchestre, captation de luxe pour cette refonte
de Stiffelio, dans le contexte plus consensuel des croisades. Les
meilleurs morceaux (le grand ensemble du duel à l'acte II, l'air du
père au début du III…) sont cependant conservés, à l'exception du
prêche final, hélas. (La version Aroldo de la fin Deest non seulement
musicalement fade, mais aussi dramatiquement totalement ratée.)
→ Meilleure version disponible au disque pour Aroldo, à mon sens.
→ bissé
Schubert – Quatuor n°13 –
Diogenes SQ
+ Engegård (plus vivant)
+ Ardeo (un peu gentil)
+ Takacs (vrai relief, son grand violon)
+ Terpsycorde réécoute (instruments anciens)
+ Mandelring (belle mélncolie)
+ Chilingirian SQ (autant leur Quintette est fabuleux, autant ce
quatuor, épais et mou me déçoit de leur part)
♥♥♥
Sibelius – Tapiola –
Suisse Romande, Ansermet
→ Ce grain incroyable, cette verdeur, cette clarté des timbres et du
discours ! (+ Davis LSO, très bien) ♥♥ (+ Berglund Radio Finlandaise, contrastes incroyables !) ♥♥♥
Cherubini – Medea acte I –
Forte, Antonacci, Filianoti ; Regio Torino, Pidò
→ Toujours aussi mortellement ennuyeux… et malgré Pidò (il faut dire
que la distribution n'aide guère…).
♥
Debussy, œuvres à deux
pianos – Grauschumacher Piano Duo (Neos 2021)
♥
récital : Weber
(Euryanthe), Wagner (Tannhäuser, Meistersinger), Verdi (Otello),
Tchaïkovski (Iolanta), Bizet (Carmen), Adams (Doctor Atomic), Turnage
(The Silver Tassie)… en anglais
– Finley, LPO, Gardner
(Chandos 2010)
→ Très beau récital très varié et original, splendidement chanté sur
toute l'étendue des tessitures et des styles…
+ réécoute de l'air d'Adams avec BBCSO & Adams (Nonesuch 2018) ♥♥
Quel tube immortel !
Haendel – Jephtha (disco
comparée) Gardiner, c'est plutôt un de
ses disques tranquilles (mous). Pas du niveau de son Penseroso par exemple. Biondi est très bien mais
attention, il utilise un orchestre moderne, les cordes sont en
synthétique et très ronde même si ça vibre peu, couleurs des vents
plutôt blanches aussi, et on entend que les archets sont modernes, ça
n'a pas le même tranchant à l'attaque : c'est très bien pour un
orchestre pas du tout spécialiste, mais vu qu'on a du choix au disque,
n'en attends pas un truc comparable à ses enregistrements de Vivaldi. Budday sonne un peu écrasé, Grunert plutôt triste. Même Christophers n'est pas très
électrique. Creed reste un peu tranquille,
mais un des plus animés et équilibrés en fin de compte. Harnoncourt a un peu vieilli,
mais ça a le grain extraordinaire et l'engagement du Concentus des
débuts… Il faut voir sur la longueur ce que ça donne, mais l'effet Saül n'est pas à exclure ! En
tout cas, c'est nettement la plus habitée, je trouve. (Avec Biondi,
mais instruments modernes…)
♥
Smetana: Má vlast
– Bamberg SO, Hrůša (Tudor 2016)
→ Beaux cuivres serrés, superbes cordes, grand orchestre assurément et
par la légèreté de touche d'un habitué du folklore. Ensuite, je trouve
toujours cette œuvre aussi univoque, faite de grands aplats
affirmatifs, sans discours très puissant, une suite de grands
instantanés grandioses. À tout prendre, dans le domaine du mauvais goût
pas toujours souverainement inspiré, l'Alpestre de Strauss m'amuse
autrement !
Réécoutes : œuvres
♥♥♥
LULLY – Isis (actes III, IV)
– Rousset
♥
Pierné – Cydalise & le
Chèvre-pied – Luxembourg PO, Shallon (Timpani)
→ Très joli, dans le genre de Dapnis (en plus rond). Le sujet
versaillais n'induit pas vraiment d'archaïsmes. Très beau ballet galant
et apaisé.
Pierné – La Croisade des Enfants (en
anglais) – Toronto SO, Walter Susskind
→ Un peu lisse, en tout cas joué / chanté ainsi.
♥♥
Pierné – L'An Mil –
Peintre, ON Lorraine, Mercier (Timpani)
→ Aplats vraiment pauvres des mouvements extrêmes, mais ce scherzo de
la Fête des Fous et de l'Âne est absolument extraordinaire, et illustre
de façon éclatante le génie orchestratoire de Pierné – certains
éléments, comme l'usage des harmoniques de violon pour créer des
résonances dynamiques, sont abondamment réutilisés dans L'Oiseau de feu
de Stravinski…
Moulinié: Le Cantique de Moÿse –
par les Arts Florissants, William Christie (HM)
→ Toujours pas convaincu par cet corpus qui regarde bien plus vers la
Renaissance et la polyphonie assez austère que vers les talents
extraordinaires de mélodiste que manifesta par ailleurs Moulinié.
♥♥
Pfleger – Motets latins
– CPO
♥♥♥
Kreutzer – La mort d'Abel
– Droy, Bou, Pruvot ; Les Agrémens, van Waas (Singulares 2012)
→ six fois
♥♥♥
Édouard Dupuy – Concerto
pour basson – van Sambeek, Swedish ChbO, Ogrintchouk (BIS 2020)
→ Un des disques les plus écoutés en 2020, pour ma part ! Le
thème lyrique et mélismatique du premier mouvement est une splendeur
rare. Et ces musiciens sont géniaux (meilleur bassoniste du monde,
meilleur orchestre de chambre du monde, dirigés par le meilleur
hautboïste du monde…).
♥♥
Ginastera – Quatuors 1,2,3
– Cuarteto Latinoamericano (Brilliant)
→ Folklore et audace de l'harmonie, des figures… du Bartók à
l'américaine (australe).
♥♥♥
Joni Mitchell – Blue
(1975)
→ La parenté avec la pensée du
lied schubertien me frappe à chaque fois…
♥♥
PEJACEVIC, D.: Symphony
in F-Sharp Minor, Op. 41 / Phantasie concertante (Banfield,
Rheinland-Pfalz State Philharmonic, Rasilainen)
→ Symphonie expansive et persuasive, riche ! Pas du tout une
musique galante.
♥♥
Cherubini – Messe solennelle n°2 en ré (1811) –
Ziesak, Bauer ; Stuttgart Klassische Ph, Bernius (Carus)
→ Qui tollis a l'aspect de
volutes du début du Songe d'Hérode chez Berlioz (source de sa parodie).
Et puis marche harmonique très impressionnante.
→ Dans le Sanctus / Benedictus, Hosanna en contraste, façon Fauré, très
réussi.
→ Spectre orchestral qui respire beaucoup, réussite de Bernius.
♥DOBRZYŃSKI, I.F.: String
Quartet No. 1 / MONIUSZKO, S.:
String Quartets Nos. 1 and 2 (Camerata Quartet) (DUX 2006)
→ Beau romantisme simple, où se distingue surtout le Premier de
Moniuszko.
Réécoutes : versions
♥♥♥
Offenbach – Barbe-Bleue
(duos de l'assassinat au II, entrée et duel de BB au III)
versions Pelly (Beuron), Cariven (Sénéchal), (Legay), Campellone
(Vidal), Harnoncourt
« Le ciel, c'est mon affaire » (Zampa)
« Non dans un vain tournoi, mais au combat mortel » (Robert Le Diable)
« Le ciel juge entre nous » (Les Huguenots)
♥♥♥
Verdi – La Forza del Destino
(adieux et duel de l'acte III) – Del Monaco, Bastianini, Santa Cecilia,
Molinari-Pradelli (Decca)
→ Quel verbe, quelles voix, quel feu !
→ (bissé)
♥♥♥
Bach – Sonates violon-clavecin
– Glodeanu, Haas (Ambronay 2007)
→ Merveille de souplesse, d'éloquence, la pureté et la chair à la fois.
Mahler – Das Lied von der Erde
– K. König, Baltsa, LPO, Tennstedt (EMI)
→ Un peu plus terne, manque de cinétique, un peu décevant. Les couleurs
mordorées de Baltsa sont un peu inhibées par son allemand qui paraît
moins ardent que son italien ou son français.
♥
Mahler – Symphonie n°2 –
Soffel, LPO, Tennstedt (EMI)
→ Très très bien, mais pas aussi singulier / tendu / abouti que le
reste de l'intégrale. Quand même le plaisir de profiter des
frémissements de Soffel dans un tempo d'Urlicht ultra-lent.
→ On entend tout de même remarquablement les détails, les doublures,
l'ardeur individuelle aussi (quelles contrabasses !). Le chœur
chante avec naturel aussi, voix assez droites qui sonnent à merveille
ici.
♥♥♥
Mahler – Symphonie n°3 –
Wenkel, LPO, Tennstedt (EMI)
→ Tellement tendu de bout en bout, et très bien capté !
♥♥
Verdi – Nabucco –
Souliotis, Prevedi, Gobbi ; Opéra de Vienne, Gardelli (Decca)
→ Chœur superbement articulé. Splendide distribution. Pas
l'accompagnement le plus ardent, mais un sens du pittoresque qui n'est
pas dépourvu de délicatesse.
♥♥♥
Verdi – Nabucco –
Theodossiou, Chiuri, Ribeiro, Nucci, Zanellato ; Regio Parma,
Mariotti (C Major)
→ La version moderne idéale de l'œuvre, fouettée et dansante à
l'orchestre (vraiment conçue sèche comme un os, aucune raison d'empâter
ces harmonies sommaires conçues pour le rebond), chantée avec un luxe
et une personnalité très convaincants.
♥♥♥
Verdi – Stiffelio –
Regio Parma, Battistoni (C Major)
→ La version sans faute de ce bijou trop peu joué. Comme
Traviata, un drame de mœurs contemporain (l'adultère de la femme
d'un pasteur).
♥♥♥
Rott – Symphonie en mi
– Radio de Francfort, P. Järvi (RCA)
→ La superposition des deux thèmes du I est vraiment génialissime… et
que de traits qui tirent le meilleur de Bruckner et annoncent le
meilleur de Mahler !
La première partie, qui couvre les mises en musique de l'épisode
depuis le grégorien jusqu'à l'oratorio baroque du milieu du XVIIIe
siècle, se trouve ici.
Je reproduis, pour plus de commodité, l'introduction – avec, notamment,
les degrés d'éloignement de la liturgie (niveaux 1 à 7) et le
texte-source.
L'idée de départ : proposer une découverte de la Bible à travers ses
mises en musique. Le but ultime (possiblement inaccessible) serait de
couvrir l'ensemble des épisodes ou poèmes bibliques jamais mis en
musique. Il ne serait évidemment pas envisageable d'inclure l'ensemble
des œuvres écrites pour un épisode donné, mais plutôt de proposer un
parcours varié stylistiquement qui permette d'approcher ce corpus par
le biais musical – et éventuellement de s'interroger sur ce que cela
altère du rapport à l'original.
Quelques avantages :
♦ incarner certains textes ou poèmes
un peu arides en les ancrant dans la musique (ce qui devrait satisfaire
le lobby chrétien) ;
♦ observer différentes approches possibles de cette matière-première
(pour les musiqueux).
Sur ce second point, beaucoup peut être appris :
D'une part le nécessaire
équilibreentre
♦ le langage
musical du temps,
♦
les formes liturgiques décidées
par les autorités religieuses,
♦
la nature même de l'épisode narré.
Sur certains épisodes qui ont traversé les périodes (« Tristis est
anima mea » !), il y aurait tant à dire sur l'évolution des usages
formels…
D'autre part le positionnement plus
ou moins distant du culte religieux :
niveau 1 → utilisé pour toutes les célébrations (l'Ordinaire des catholiques),
niveau 2 → pour certaines fêtes
ou moments spécifiques de l'année liturgique (le Propre),
niveau 3 → en complément de la messe proprement
dite (comme les cantates),
niveau 4 → en forme de concert sacré mais
distinct du culte (les oratorios),
niveau 5 → sous forme œuvres destinées à édifier le public mais représentées dans
les théâtres (oratorios hors églises ou opéras un peu
révérencieux),
niveau 6 → de libres adaptations
(typiquement à l'opéra, lorsque Adam, Joseph ou Moïse deviennent des
héros un peu plus complexes)
niveau 7 → ou même de relectures
critiques (détournements d'Abraham ou de Caïn au XXe siècle…).
À cette fin, j'ai commencé un tableau
qui devrait, à terme, viser l'exhaustivité – non pas, encore une fois,
des mises en musique, mais des épisodes bibliques. Il s'avère déjà que,
même pour les tubes de la
Genèse, certains épisodes sont très peu représentés – l'Ivresse de Noé,
pourtant abondamment iconographiée, est particulièrement peu répandue
dans les adaptations musicales.
Mais en plus du tableau, de petits épisodes détachés avec un peu de
glose ne peuvent pas faire de mal. (Comme ils seront dans le désordre,
ils pourront ensuite être recensés dans le tableau ou une notule
adéquate.) Nous verrons combien je réussis à produire, et si cela revêt
quelque pertinence.
Abel & Caïn
(Épisode 2)
Rappel : la
source
1. Or Adam connut
Eve sa femme, laquelle conçut, et enfanta Caïn; et elle dit : J'ai
acquis un homme de par l'Eternel.
2. Elle enfanta encore Abel son frère; et Abel fut
berger, et Caïn laboureur.
3. Or il arriva, au bout de quelque temps, que Caïn
offrit à l'Eternel une oblation des fruits de la terre ;
4. Et qu'Abel aussi offrit des premiers-nés de son
troupeau, et de leur graisse ; et l'Eternel eut égard à Abel, et à son
oblation.
5. Mais il n'eut point d'égard à Caïn, ni à son
oblation ; et Caïn fut fort irrité, et son visage fut abattu.
6. Et l'Eternel dit à Caïn : Pourquoi es-tu irrité ?
et pourquoi ton visage est-il abattu ?
7. Si tu fais bien, ne sera-t-il pas reçu ? mais si
tu ne fais pas bien, le péché est à la porte ; or ses désirs se
[rapportent] à toi, et tu as Seigneurie sur lui.
8. Or Caïn parla avec Abel son frère, et comme ils
étaient aux champs, Caïn s'éleva contre Abel son frère, et le tua.
9. Et l'Eternel dit à Caïn : Où est Abel ton frère ?
Et il lui répondit : Je ne sais, suis-je le gardien de mon frère, moi ?
10. Et Dieu dit : Qu'as-tu fait ? La voix du sang de
ton frère crie de la terre à moi.
11. Maintenant donc tu [seras] maudit, [même] de la
part de la terre, qui a ouvert sa bouche pour recevoir de ta main le
sang de ton frère.
12. Quand tu laboureras la terre, elle ne te rendra
plus son fruit, et tu seras vagabond et fugitif sur la terre.
13. Et Caïn dit à l'Eternel : Ma peine est plus
grande que je ne puis porter.
14. Voici, tu m'as chassé aujourd'hui de cette
terre-ci, et je serai caché de devant ta face, et serai vagabond et
fugitif sur la terre, et il arrivera que quiconque me trouvera, me
tuera.
15. Et l'Eternel lui dit : C'est pourquoi quiconque
tuera Caïn sera puni sept fois davantage. Ainsi l'Eternel mit une
marque sur Caïn, afin que quiconque le trouverait, ne le tuât point.
16. Alors Caïn sortit de devant la face de
l'Eternel, et habita au pays de Nod, vers l'Orient d'Héden.
17. Puis Caïn connut sa femme, qui conçut et enfanta
Hénoc ; et il bâtit une ville, et appela la ville Hénoc, du nom de son
fils.
Genèse 4:1-17, traduction de Martin (1744).
Les
adaptations musicales
Après avoir évoqué la mise en musique grégorienne, Resinarius,
Kropstein, Lemlin, Hollander, Lassus, Carissimi, Pasquini, A. Scarlatti
et Caldara, voici le moment d'aborder les transformations du mythe chez
les Classiques et au delà…
1771 Johann
Heinrich ROLLE – Der Tod Abels
[[]]
Le sacrifice rejeté.
Musique
¶
À nouveau un oratorio qui interprète la scène suggérée par les
Écritures, tout à fait dans la lignée stylistique de ce qui précède. Le
langage musical, malgré la date tardive, demeure largement baroque, mais
le drame prévaut, les numéros
épousent volontiers l'action et les airs
n'atteignent pas les longueurs extravagantes du baroque tardif de
Caldara, Graun ou Jommelli. Les récitatifs
restent plutôt nus mais leurs lignes mélodiques sont tournées vers
l'expression, avec des intervalles assez variés, comme dans les Passions.
Ce style
conservateur explique
probablement que Rolle n'ait pas atteint grande célébrité pour la
postérité, mais sa vie également, échouant à se faire embaucher à
Hambourg face à Telemann – qui n'a déjà pas bonne presse pour le grand
public (pour d'absurdes ressentiments de nature salérienne, comme rival
d'un compositeur devenu intouchable dans les siècles suivants). Sa vie
musicale se déroule essentiellement à Magdebourg, où il a grandi.
Livret
¶ Le livret, comme les précédents, a ses originalités : il faut bien
habiter ces très courtes et très factuelles mentions de la Genèse. Ici, Abel est le préféré de la famille.
Le « Chœur des enfants d'Adam » (petits-enfants inclus ? autres
fils non nommés ?) décrit son
offrande, puis l'orage
qui suit celle de Caïn, dans une scène pas nécessairement très
dramatique dans son traitement musical, mais qui a la force d'incarner
dans un jeu en-scène / hors-scène le moment de bascule de l'épisode, au
lieu de le suggérer seulement par des récits et des résumés.
La découverte du corps d'Abel se fait hors scène,
sans transition avec l'air de l'épouse de Caïn, Meala, qui dispose
d'une large place dans cette version et commente le désespoir de son
mari, redoutant l'accomplissement de ce qui a été annoncé – Caïn lui a
confié, tout à sa frustration, « Voici le jour qui doit remplir mon vœu
». Ce sont Ève et Adam qui révèlent
le crime par leur affliction, dans un simple récitatif.
S'ensuit la confrontation avec Caïn
et sa fuite,
perclus de remords : le traitement du personnage n'est pas à charge, le
librettiste présente très clairement les causes de son mal-être et
l'horreur de lui-même que lui inspire son geste. Malgré son refus,
femme et enfants le suivent.
Le chœur final
est un choral, invitant roses et cyprès à pousser sur la tombe d'Abel,
afin de pouvoir pleurer la première victime. Il est assez intéressant,
car ce ne sont manifestement plus les enfants d'Adam qui parlent ;
probablement, comme c'est l'usage, le choral incarne-t-il l'assemblée des fidèles chrétiens
d'aujourd'hui,
mais il semble assez tard pour espérer la floraison de la tombe issue
du premier meurtre… Le contour de ces locuteurs choraux reste assez
flou, de même que le message, pas du tout moralisant, qui assume
seulement l'affliction (ainsi qu'une pointe de tendresse ?).
Conclusions
¶ J'avais noté niveau 5, mais
je ne retrouve plus les textes attestant d'une interprétation hors des
temples. Possiblement niveau 4,
donc. (La documentation est rare sur Rolle et je ne puis matériellement
opérer une recherche complète sur chaque œuvre illustrant la série,
navré.)
¶ Ce n'est clairement pas le chef-d'œuvre musical de son siècle, mais
reste joliment écrit. J'avoue avoir été assez intéressé par cette
approche assez compréhensive, incluant au récit la détresse de Caïn,
qui ne constitue plus un repoussoir,
symbole absolu du mal (comme une continuation du Serpent d'Éden), mais
plutôt le témoignage d'un autre aspect de ce qu'est la souffrance
humaine. Je ne dis pas que Caïn y devienne sympathique, mais il n'y est
en rien un avatar de Satan, ni même le jouet de Lucifer. Autant la forme musicale reste celle de l'oratorio
baroque, autant le propos du livret
semble davantage placer l'homme comme
mesure du drame – l'ambiance du XVIIe italien semble bien
lointaine.
Une belle version en existe par Hermann
Max chez Capriccio (avec
notamment Mammel et van der Kamp).
1810
Rodolphe KREUTZER – La mort d'Abel
a) Une nouvelle approche : la fiction biblique
[[]]
Adam à l'aurore du drame (Pierre-Yves Pruvot).
¶ L'une des raisons du choix de Caïn comme premier épisode de cette
série tenait dans l'étendue des propositions – non seulement dans le
temps, avec des premières mises en musique dès le XVIe siècle – mais
aussi dans la variété de leur nature, depuis la mise en musique
littérale de la Genèse,
encastrée dans la cérémonie cultuelle même (les répons de Lassus et ses
contemporains) jusqu'à l'opéra profane, irrévérencieux et critique (on
y viendra, avec Rudi Stephan). Avec cette Mort d'Abel, nous rencontrons un
premier exemple d'œuvre de niveau 6,
soit une libre adaptation fictionnelle de
la matière biblique.
Ce n'est même plus une question d'exécution à
l'église ou au théâtre, c'est la conception même du rôle de l'épisode
qui fait toute la différence. Ici, l'œuvre, commandée à François-Benoît Hoffmann,
librettiste de renom, emprunte à la Bible comme matière thématique,
mais n'entend en rien édifier ni prolonger le culte. Le mythe connu
sert avant tout de support à une libre invention dramatique, conçue
pour un divertissement scénique, au même titre que les matières
antiques ou orientales qui avaient alors la faveur de la scène
française…
b) Un peu de contexte : l'oratorio français
¶ Ce choix n'a rien d'anodin : il est le fruit d'une longue histoire et
a suscité beaucoup de débats en son temps, au plus haut niveau. [Ce qui
va suivre ne concerne que la France, l'évolution des genres musicaux y
est spécifique.]
L'oratorio français avant 1800
L'oratorio
(action sur sujet sacré, généralement de
format plus ample que la
cantate – laquelle n'a pas trop cours en France dans son format sacré)
s'épanouit très fort et très tôt en
Italie, au cours du XVIIe siècle –
notamment, on en a parlé à propos de Pasquini,
comme un contournement décent
de l'interdiction des
spectacles lors du Carême dans les États Pontificaux.
En France, il
demeure rare (Charpentier, très
influencé par l'Italie, en a laissé
quelques-uns, comme sa Judith).
On lui préfère la cantate à
sujet sacré (en France de même format que
les cantates profanes, abordant simplement un sujet biblique sous forme
d'une paraphrase galante des textes sacrés, destinées au
divertissement) ou le grand apparat du culte en latin.
À partir de
1758, cependant, l'association musicale du Concert Spirituel commande
une cinquantaine de courts oratorios (vers 1759, ce sont Les Fureurs de Saül de Mondonville,
autre exaltation des souffrances d'un méchant)
à des figures considérables de la scène lyrique du temps comme Gossec
(sa jolie Nativité, dont
vient justement de paraître une version discographique il y a deux
semaines, fut un immense succès public), F.A.D. Philidor, Sacchini, Salieri, mais aussi Giroust (compositeur de la messe du
Sacre de Louis
XVI), Rigel (que nous
connaissons mieux pour ses oratorios, justement,
ainsi que ses symphonies) et même Cambini
(dont les quatuors à cordes
classiques de style « international » méritent grandement le détour).
Beaucoup de ces petits oratorios sont tirés de l'Ancien Testament. Tout
cela concourait à l'exploitation de la matière biblique dans une
démarche de divertissement largement musical.
Le nouvel âge de l'oratorio
français
La marche suivante se franchit sous l'impulsion de
la création de la… Création
de Haydn à l'Opéra, le 24
décembre 1800, dans une (belle) traduction
française. Le choc est incommensurable sur les contemporains, et ouvre
la voie à la représentation d'actions bibliques conçues pour la scène
de l'Opéra, avec pompe et décors… ainsi qu'une liberté grandissante
quant au respect du texte d'origine. [Je suppose que le passage par la
période révolutionnaire a pu altérer
aussi les sentiments d'interdit qui auraient préalablement prévalu
?]
L'engouement suscite ainsi d'abord des pastiches (Saül en 1803 et la Prise de Jéricho en 1805, des
pots-pourris où Kalkbrenner et
Lachnith – l'arrangeur
des Mystères d'Isis d'après
la Flûte enchantée –
empruntent
beaucoup à Mozart), puis diverses expérimentations : Joseph du grand compositeur d'élans
révolutionnaires Méhul (un
opéra comique tout à fait sérieux,
respectueux et édifiant) au Théâtre Feydeau (le futur Opéra-Comique) en
1807, puis deux évocations des premiers hommes.
D'abord La mort
d'Adam de Le Sueur,
réformateur de la musique sacrée sous Napoléon, et son protégé
(également grand pourvoyeur de la matière
d'Ossian) – en 1809, mais en réalité composé en 1802, les cabales
dans les institutions musicales faisant alterner grâces et disgrâces.
De même, l'opéra de Kreutzer
qui le suit en 1810, Abel
(renommé La mort d'Abel à sa
reprise en
1825), était dès longtemps écrit.
c) Le débat et les controverses autour d'Abel
[[]]
Espoirs d'Adam, la suite (Pruvot).
¶ Toutefois le développement des oratorios prévus pour la scène profane
de l'Académie Impériale de Musique – ou, suivant comment on veut
l'appeler, de la matière biblique au sein des opéras – ne se fait pas
sans protestations. Elles sont intéressantes car elles ne recouvrent
pas exactement ce que le citoyen du XXIe siècle pourrait imaginer.
1) Il y a bien sûr la désapprobation –
inévitable, logique, légitime – des
autorités ecclésiastiques et d'une
partie de l'opinion conservatrice : est-il bienséant de représenter des
épisodes sacrés dans un but de divertissement ? Non pas
que ça
n'ait pas déjà été le cas par le passé dans les mises en musique (il
n'est que de penser à l'événement mondain qu'étaient devenues les offices de Ténèbres de la Semaine Sainte
sous Louis XIV, conduisant au déplacement du culte la veille au soir,
afin de permettre à la bonne société de s'y rendre plus confortablement
!), mais le fait de le produire à l'Opéra empêche toute excuse
hypocrite, et affiche sans ambiguïté la primauté du plaisir dans la
démarche.
À cela s'ajoute bien sûr la mauvaise réputation du
lieu, peuplé de ces acteurs dont la mauvaise vie n'est pas seulement
une légende urbaine. Même sous l'Ancien Régime, amourettes, rapts (Sophie Arnould !), prostitution animent
la gazette des théâtres.
Surtout, le sujet, qui est pourtant la matière même
de la Foi (à une époque où les libres penseurs et les fidèles non
chrétiens sont en quantité assez négligeable en France), est traité
comme une matière fictionnelle. Avec deux implications graves :
d'abord
on enjolive, ajoute, déforme, contredit le texte sacré. Ensuite on le
traite avec une certaine légèreté, on l'habille de stéréotypes – en
somme, on le désacralise.
Cette opposition du clergé à l'intrusion des acteurs
dans le périmètre du sacré va culminer dans les années 1840 avec la
déprogrammation de plusieurs Requiem
(Cherubini et même Mozart…) et l'interdiction
des femmes profanes dans la musique des cérémonies à Paris, jusqu'à
ce que finisse par s'imposer, sorte de compromis accepté par tous,
l'oratorio d'église de la seconde moitié du XIXe siècle. (Œuvre
extérieure au culte, où l'épisode biblique est enjolivé pour le rendre
plus vivant ; cependant conçue pour être jouée dans un lieu de culte et
en respectant globalement l'interprétation admise par l'Église. Par
exemple les oratorios de Saint-Saëns et Massenet.)
2) Napoléon lui-même, averti
trop tard de la mise au théâtre du sujet,
laisse les répétitions aller à leur terme (mobilisant l'étonnant
argument économique, à savoir que beaucoup d'argent avait déjà été
investi dans la production) mais regrette
explicitement, dans une
instruction préfet du Palais, le choix du sujet :
«
Puisque l’opéra de la Mort d’Abel est monté, je consens qu’on le joue.
Désormais, j’entends qu’aucun opéra ne soit donné sans mon ordre. Si
l’ancienne administration a laissé à la nouvelle mon approbation
écrite, on est en règle, sinon non. Elle soumettait à mon approbation,
non seulement la réception des ouvrages, mais encore le choix. En
général, je n’approuve pas qu’on donne aucun ouvrage tiré de l’Écriture
sainte; il faut laisser ces sujets pour l’Église. Le chambellan chargé
des spectacles fera immédiatement connaître cela aux auteurs, pour
qu’ils se livrent à d’autres sujets. Le ballet de Vertumne et Pomone
est une froide allégorie sans goût. Le ballet de l’Enlèvement des
Sabines est historique; il est plus convenable. Il ne faut donner que
des ballets mythologiques et historiques, jamais d’allégorie. Je désire
qu’on monte quatre ballets cette année. Si le sieur Gardel est hors
d’état de le faire, cherchez d’autres personnes pour les présenter.
Outre la Mort d’Abel, je désirerais un autre ballet historique plus
analogue aux circonstances que l’Enlèvement des Sabines. »
Son premier objet relève clairement de la maîtrise des sujets par une
censure a priori, mais y
transparaît aussi son goût personnel qu'il entend imposer – pour l'«
historique » et l'épique plutôt que pour le galant et le philosophique,
sans grande surprise.
Son opposition à la représentation de sujets religieux n'est pas très
claire : s'agit-il d'un respect religieux de principe (ça ne se fait pas) ou au contraire
du désir de maintenir le clergé dans son pré carré et de ne pas le
laisser se mêler de la société hors des églises ? Peut-être
est-ce même simplement le prétexte au rappel de son autorité : monter
une pièce sans son aval fait courir le risque de lui déplaire.
Pour autant, les censeurs n'avaient pas laissé passé ces sujets à la
légère, et pouvaient penser que l'analogie entre la noble figure d'Adam
et la réalité de l'Empereur était désormais acquise. Ainsi pour La mort d'Adam
de Le Sueur, l'année précédente, le rapport préalable de censure note
avec satisfaction l'analogie entre l'apothéose d'Adam montant au ciel
joint par Abel… et « l'âme de l'Empereur telle qu'il la suppose exister
depuis six mille ans ». Il est vrai que le livret de Guillard s'en
donne à cœur joie, parsemant d'accipitridés ses superlatifs astraux,
qui ne laissent que peu de doute à ce sujet :
CHŒUR
GÉNÉRAL
Un homme, un Dieu consolateur,
Doit rendre à l'homme un jour sa dignité première,
La foule des méchans fuira son œil vengeur,
Ils rentreront dans la poussière.
Ivres d'un vain ogueil, peuples ambitieux
Pensez-vous l'arrêter dans sa vaste carrière ?
Devant son astre radieux, que deviendra votre pâle lumière ?
Autant que l'aigle impérieux,
Plane au-dessus du séjour du tonnerre,
Autant, dans son vol glorieux,
Il domine en vainqueur sur votre tête altière.
[Ce fut le dernier livret de Guillard, au terme d'une carrière riche en
œuvres qui marquèrent leur temps : Iphigénie
en Tauride (Gluck), Électre
(Lemoyne), Chimène
(Sacchini), Les Horaces
(Salieri), Proserpine
(refonte de Quinault pour Paisiello.]
On rencontre cependant considérations plus inattendues que la foi, la
bienséance ou la censure politique.
3) Étrangement, la critique a
beaucoup réagi au sujet un peu triste
:
l'aspect religieux rend l'ensemble moins divertissant. De surcroît, il
s'agit d'un épisode très sombre. On y regrette par exemple l'épopée
plus
lumineuse de Fernand Cortez
de Spontini, à une époque où le goût pour l'exotisme s'incarne
notamment dans le succès, la même année, des Bayadères de Catel. Peut-être
faut-il y voir aussi une révérence pour le sujet sacré : contrairement
à Robert
le Diable, qui n'avait guère choqué (peut-être parce qu'il
était davantage perçu comme un conte, ou une œuvre fantastique de pure
fantaisie ?), cette Mort d'Abel a
pu être prise plus
au sérieux.
4) Mais le plus amusant (et le plus
récurrent), qu'on trouve dans
presque tous les papiers : le manque
de ballets. « Oui Kreutzer a écrit
une partition marquante et magnifique, mais quand même ça manque de
jarret, il aurait pu mettre un peu moins d'Enfers et un peu plus de
gargouillades », lit-on en substance un peu partout. (Et cela me
divertit fort, tant notre goût majoritaire actuel, qui mise tout sur
l'action, se situe aux antipodes de ces reproches : « drame trop
fluide, on veut des temps morts qui servent à rien juste pour faire
joli ».) Le début du XIXe siècle est encore tellement XVIIIe,
n'est-ce pas… foin des beaux vers, on veut des galanteries visuelles.
[En réalité, Hoffmann a aussi été vertement tancé pour sa langue et sa
versification, jugées trop relâchées. Mais le manque de détail sur ce
point chez les critiques laisse penser que, de même qu'aujourd'hui, ils
ne savaient pas forcément trop ce qu'ils racontaient…]
5) Plus anecdotique sur le fond
comme dans la quantité de remarques
dans la presse, la gêne visuelle
(qui rejoint la réticence n°1) : le
déguisement de nos ancêtres selon
les textes sacrés, habillés à la mode des stéréotypes d'opéra, a plutôt
provoqué scepticisme – et même, semble-t-il, sonore hilarité. Louis
Nourrit, qui devient dès l'année suivante Premier Ténor de l'Opéra, y
apparaît en Abel affublé d'une perruque blonde à bouclettes, ce qui
paraît un cliché scénique peu adapté au contexte du sujet, et même
assez incongru, assimilant cette première figure – tragique – de la
victime expiatoire (et donc du Christ) à un petit Amour d'opéra-ballet.
Ainsi, dans le Journal
de l'Empire :
La frisure
d'Abel
qui paraît à la seconde scène a mis tout le monde en belle humeur ; de
grands éclats de rire ont accueilli cette perruque blonde qui faisait
un chérubin du fils d'Adam, et le rendait encore plus féminin,
quoiqu'il ne soit pas de lui-même très mâle. […]
Je ne répéterai point ici ce que j'ai déjà dit sur la mauvaise figure
que font nos premiers parents déguisés en héros d'opéra.
[Louis Nourrit, ancien quincailler formé à Montpellier, devient en 1811
premier ténor de l'Opéra. Ses fils, Adolphe et Auguste, firent aussi
carrire de ténors. Tous les glottophiles connaissent le nom de Nourrit
(surtout pour Adolphe), le grand ténor du temps (créateur de Robert,
Raoul, Éléazar chez Meyerbeer et Halévy… suppléé puis remplacé par
Duprez, qui apporte de Naples la technique nouvelle de l'ut de
poitrine), à la fin tragique marquée par sa démission à l'arrivée de
Duprez, la perte de sa voix lors de ses tournées en province, sa
paranoïa (véritablement, au sens clinique), son suicide par
défenestration en Italie où il connaissait à nouveau le succès.]
6) Enfin, un certain nombre d'autres
polémiques (notamment l'accusation
de plagiat de La mort d'Adam
par Le Sueur) ont animé la réception d'Abel
en 1810, puis de sa reprise en 1825 sous le titre La mort d'Abel. Elles concernent
moins directement notre sujet autour de l'adaptation
vétérotestamentaire et je les laisse de côté – les accusations de Le
Sueur en particulier paraissent peu compatible avec la genèse séparée
(et très antérieure aux représentations) des deux ouvrages. Mais
quantité de papier a été noirci et d'inimitiés affirmées pendant ces
débats.
d) Les choix du livret d'Abel
[[]]
Rejet des offrandes (Jean-Sébastien Bou).
Le livret de F.-B. Hoffmann présente plusieurs particularités dans le
traitement de l'épisode.
L'épouse
L'importance du rôle de son épouse Méala, qu'on
avait déjà perçue comme angulaire chez Rolle, dans une esthétique toute
autre, où elle avait cependant le même rôle : communiquer le point de
vue de Caïn, assurer un pont compatissant entre le spectateur et
l'assassin.
Les démons
Le rôle des forces démoniaques dans ce premier crime
est développé, on l'a vu dans l'épisode précédent, dès le XVIIe siècle,
mais il prend ici une ampleur supplémentaire.
On pourrait croire, à lecture du livret de 1823 –
qui a fait l'objet d'une (splendide) version discographique – qu'en
supprimant Satan / Lucifer, et le remplaçant par le démoneau Anamalec,
le librettiste s'autorise une plus grande liberté de mouvement, et peut
gloser dans les grandes largeurs le plan infernal de convaincre Caïn de
tuer son frère.
En réalité Anamalec
– son nom, plutôt sous la forme Anamélech, est issu d'une divinité
assyrienne mentionnée en 2 Rois
17:31 comme récipiendaire de sacrifices humains – n'est que l'envoyé
sur terre des démons qui, au grand complet, se réunissent à l'acte II –
supprimé à la reprise de 1823 car jugé trop uniforme. Hoffmann et
Kreutzer font ainsi chanter Satan, Moloch, Bélial, Béelzébuth [sic] et « tous les démons ». On ne
lésine pas. Et le public, comme pour Robert
(cf. encadré infra),
n'en fut pas très indigné – il a surtout protesté de l'uniformité
musicale de cet acte « barbare » et du manque général de ballets.
L'idée est la suivante : l'acte I voit les frères
(brouillés avant le début de l'acte) se réconcilier, mais Anamalec
trouble le sacrifice de Caïn (en renversant l'autel), qui se croit
rejeté de Dieu. À l'acte II, le démoneau métèque vient raconter sa
mésaventure à ses compagnons, qui lui mettent une ambiance d'Enfer. À
l'acte III, Anamalec souffle à Caïn, déjà troublé, de mauvaises
pensées, qui aboutissent au crime.
On se trouve donc plus proche de l'esprit des
Sorcières de Dido and Æneas,
où les mortels vertueux sont induits en erreur par des sortilèges
mesquins, que dans la grande explication du mystère de l'injustice
divine et de la révolte humaine.
Caïn ou le
tourment romantique
La nouveauté la plus marquante ici est l'apparition
d'un Caïn parfaitement romantique. Brouillé dès avant le rideau avec
son frère, il exprime dès son entrée (après le tableau tendre entre
Adam et Abel) un mal-être profond, une véritable
haine de vivre, se plaint « de toute la Nature », reproche à ses
parents leur préférence pour Abel ; sa femme rapporte ses nuits
agitées, ses levers blessés par le soleil naissant… C'est une
souffrance personnelle, liée à sa propre identité qui s'exprime, un
sentiment de ne pas être bienvenu en ce monde, ni adapté aux sociétés
qui l'accueillent.
Le drame infernal se greffe sur ce point de départ
d'un détail psychologique impressionnant, se répandant en
explicitations subjectives d'une souffrance dont la cause semble
évanescente – chacune des dénégations tendres de sa mère, de son frère
sont vécues comme de nouvelles affirmations de leur distance, de leur
mépris.
Je trouve ce point de vue assez marquant (et
convaincant), une explication par l'identité de Caïn qui, cependant, ne
le présente pas comme un être mauvais, mais souffrant – et attachant.
Une fin
contredisant l'Écriture
Le crime s'exécute à
la massue, nous disent les didascalies, et pour la première
fois, ce me semble,en scène, à la
vue du public. La massue, le fragment d'arbre, est un motif couramment
représenté comme moyen du crime – rien ne l'indique pourtant dans le
texte d'origine, et le caillou, l'étranglement auraient pu paraître
plus naturels, surtout dans un champ. (Évidemment, il existe d'autres
traditions encore plus bizarres, comme la bêche ou la mâchoire de
chameau, mais dans les mises en musique, quand l'instrument est
précisé, j'ai surtout croisé la massue.)
Face à sa famille, Caïn s'enfuit, défendant à
quiconque de le suivre. Sa femme part cependant le retrouver,
accompagnée de ses fils. Déploration générale sur Abel – et sur le sort
qui attend tous les hommes, mortels.
Au lieu de la
malédiction de Dieu sur Caïn (Genèse 4:11-12), Adam, implorant
de ne pas punir davantage le coupable que son terrible remords, obtient
d'un Ange la promesse de la montée
bienheureuse au ciel d'Abel (pour qui l'on inaugure le Paradis)
ainsi que le pardon de Caïn –
les soins de son épouse et son repentir propre lui obtiendront le
pardon céleste. Ce choix est cohérent avec le ton général du texte. Et
très éloigné de la souffrance sans fin suggérée par la Bible hébraïque.
On atteint donc le sommet du processus de fictionnalisation qui,
de même que pour les fins multiples qu'on essaie pour des opéras à
succès, utilise la matière biblique comme une trame supposée assurer
l'accueil favorable du public – le respect des Textes, et encore moins
de leur message supposé, semble totalement facultatif.
On est frappé, dans ce cadre, du débat très limité sur la question
(les autorités religieuses n'étaient pas ravies, mais les journaux
n'ont pas paru très outrés, tout au plus amusés de quelques
incongruités dans l'apparence ou le verbe de ces Premiers Hommes).
Ceci rejoint l'accueil uniment enthousiaste de Robertle Diable
au début des années 1830, qui me laisse tellement perplexe – dans un
cloître, le héros, fils d'un démon, culbute une nonne damnée sur un
autel tout en dérobant la relique d'une sainte… ! Et tout ce que
la
presse retient, c'est la beauté des voix, le mystère de la musique,
l'accomplissement de la danse, la force générale du tableau… Je
suppose que l'opéra était vraiment mis à distance comme une boîte à
mythes, pour qu'il suscite aussi peu d'indignation sur des sujets par
ailleurs aussi sensibles – on est alors à l'exacte époque où les femmes furent bannies des cérémonies
funèbres parisiennes ! Malgré mes lectures, je n'ai jamais trouvé
de réponse formelle à cette question.
Si quelqu'un d'entre vous a un conseil de lecture
pour trouver des réponses à cette perplexité, je lui en rends grâces
avec transport !
Traitement personnel du sujet, donc, et le début d'une période où les
adaptations feront passer au second plan la part édifiante et le lien à
la cérémonie, voire à la foi !
e) La musique
[[]]
Strette du final de l'acte I (Jean-Sébastien Bou).
¶ L'acte infernal est coupé à
la reprise de 1823 (qui, seule, a fait l'objet d'une parution
discographique). On lui reprochait son uniformité de caractère
(vindicatif). Il faut dire qu'en y réunissant Anamélech, Satan, Moloch,
Bélial, Bélzébuth et « tous les démons », le choix d'une musique
dramatique pugnace s'imposait probablement.
¶ Pour le reste, on est frappé au contraire par la grâce du début de l'œuvre, ce lever de soleil où Adam rêve à la
réconciliation de ses fils, puis ménage un duo tendre avec Abel. Le
personnage de Caïn, au
contraire, tourmenté d'emblée,
est forgé à la trempe gluckiste, s'ébrouant en récitatifs rageurs – mais tire aussi
sur le romantisme naissant
lorsque, seul face à la foule des premiers représentants de l'espèce,
il éclate en imprécations beaucoup plus lyriques et élancées, qui
contrastent avec la solennité du moment (les offrandes sacrées) et la
terreur de l'assemblée.
Cet ensemble final
de l'acte I constitue peut-être le sommet de virtuosité
musicale et émotionnelle de la partition. C'est aussi, dramatiquement,
le terrible moment où se cristallise le futur, connu de tous les
spectateurs. Dans ce grand concertato,
la grammaire demeure très postgluckiste, tandis que l'usage des masses
(orchestrale, chorale) et des contrastes avec les solistes, tandis que
les émotions aussi, tendent clairement vers Fidelio. Saisissant.
Remarquables aussi, le mélodique sommeil de Caïn (bientôt troublé par
les démons, à la façon d'Oreste chez Gluck), puis le
duo discordant de l'acte III où Abel proclame son amour
fraternel alors que Caïn l'implore de s'éloigner, tandis qu'il se sent
en proie à une fureur croissante – les deux lignes s'entrelaçant
simultanément.
¶ Une très belle œuvre pour sa musique, pas toujours au même degré
d'inspiration : je ne suis pas très impressionné par les interventions
infernales du I et du III, qui n'atteignent pas les meilleurs modèles
du genre, et refusent de se mélanger à l'action et au style musical des
autres personnages. En revanche, tout le personnage de Caïn est servi par une musique
électrisante, tandis que d'Adam
émane une constante poésie. Réellement un jalon à découvrir.
La version raccourcie de 1823 peut être entendue grâce à cette
luxueuse parution du Palazzetto Bru Zane, riche appareil critique, et
interprétation hors du commun sur instruments d'époque (Les Agrémens /
van Waas), avec une équipe de chanteurs-déclamateurs exceptionnelle
(Bou, Pruvot, Droy, Buet, Velletaz…).
Un peu au delà de mon sujet, je partage avec vous un peu de contexte
sur les deux auteurs, figures importantes de leur temps dont la
notoriété n'est peut-être pas telle qu'elle ne mérite un petit détour
en ces pages.
f) Hoffmann
François-Benoît Hoffmann tire son nom (parfois graphié Hoffman)
de son grand-père qui avait voulu, alors au service du duc de Lorraine,
germaniser son patronyme Ébrard. Ni ascendances germaniques, ni nom
d'auteur.
Renonçant à des études de droits à cause de son bégaiement, il marque
un quart de siècle (1786-1810) par ses drames de natures assez variées.
Révélé par son adaptation de Phèdre
pour Lemoyne (1786), ce sont en effet surtout ses grands drames à
l'antique, brillant moins par un
verbe particulièrement acéré que par violence crue de ses situations (Adrien puis Ariodant de Méhul,
Médée de Cherubini),
qui sont restés dans les esprits.
Beaucoup de
collaborations avec Méhul,
dans tous les genres : la tragédie postgluckiste avec Adrien, l'opéra-comique très
sérieux avec Stratonice et Ariodant, la comédie ambitieuse
avec Euphronise ou le Tyran corrigé,
la comédie plus légère avec Le jeune
sage et le vieux fou, Bion, Lisistrata
ou les Athéniennes, Le Trésor
supposé ou le danger d'écouter aux portes…
Pour Dalayrac,
il adapte Radcliffe avec Léon ou le
Château de Monténéro (drame lyrique) et La Boucle de cheveux (comédie en un
acte mêlée d'ariettes).
Pour Kreutzer,
il écrit Le Brigand (opéra-comique
en trois actes, 1795) et Grimaldi (comédie
en trois actes, 1810), en plus de cet Abel
dont le poème fut jugé peu gracieux par la critique.
Le garçon était réputé pour son indépendance, refusant de modifier Adrien
(très favorable à la monarchie, en 1792), se retirant de la vie
publique pour ne pas être influencé en écrivant ses critiques de livres
à partir de 1807 (pour le Journal de
l'Empire, futur Journal des
Débats), et refusant de
briguer l'Académie française.
g) Les accomplissements de Kreutzer
[[]]
Duo fratricide, l'avertissement (Sébastien Droy, Jean-Sébastien
Bou).
Entendez la
prémonition des basses agitées lorsque Caïn cherche à s'exprimer.
Rodolphe Kreutzer (1766-1831),
à ne pas confondre
avec Conradin Kreutzer (compositeur d'opéras allemands, un peu plus
jeune), est le fils d'un musicien (Fétis dit d'un violoniste de la
chapelle royale, David Charlton – qui a sans doute raison – d'un
souffleur des Gardes Suisses du duc de Choiseul, certes professeur de
violon à Versailles mais pas employé à la chapelle). Violoniste prodige
formé par Stamitz, il se produit au Concert Spirituel dès l'âge de
treize ans, où il fait sensation. Il devient premier violon de la
chapelle royale, puis en 1789 violon solo pour le Théâtre Italien.
Sa carrière de compositeur
en découle logiquement :
on lui commande d'abord un concerto pour violon pour le Concert
Spirituel en 1784, puis des opéras. Fétis le décrit comme un
autodidacte de la composition très inspiré – et progressivement affadi,
à l'époque d'Abel donc, par la
science qu'il acquiert tardivement.
Il compose ainsi sur des sujets très divers :
♦ 1790 ♦Jeanne d'Arc à
Orléans
(drame historique mêlé d'ariettes, Comédie-Italienne), étonnant
sujet à la fois sacré et patriotique, en 1790 (quel temps plein de
surprises) ;
♦ 1791 ♦ Paul
& Virginie(comédie
en prose mêlée d'ariettes, Comédie-Italienne), son premier succès (avant Lesueur sur le même sujet au Théâtre Feydeau
en 1794) ;
♦ 1792 ♦ Charlotte
& Werther (comédie en un acte, Comédie-Italienne), un Werther assez précoce donc (pas
autant que Pugnani), et manifestement
comique (?), que je serais bien curieux de lire ou d'entendre ;
♦ 1792 ♦ Lodoïska ou les Tartares (comédie en
prose mêlée d'ariettes, Comédie-Italienne), sujet (tiré du Chevalier Faublas) où s'est
également illustré Cherubini l'année précédente ;
♦ 1792 ♦ Le
Siège de Lille(comédie
en prose mêlée de chants, Théâtre Feydeau), sur un sujet d'actualité
tout frais ;
→ en effet quelques jours après
Valmy,
à la toute fin de septembre 1792, les troupes du Saint-Empire (à qui
l'Assemblée législative, sur proposition de Louis XVI, avait déclaré
guerre, en avril) mettent le siège devant Lille – qui s'achève le 5
octobre. L'opéra de Kreutzer est créé le 14 novembre ! Je n'ai
pas eu
accès à la partition et j'ignore si, comme dans l'opérette ultérieure
de Francosi (1858), le Barbier Maes – resté célèbre pour son flegme,
continuant à raser ses clients dans la rue avec l'éclat d'obus qui
venait de ruiner sa maison – y joue déjà un rôle.
♦ 1792 ♦
Le franc Breton (comédie en un acte, Comédie-Italienne) ;
♦ 1792 ♦
La journée de Marathon (musique de scène) ;
♦ 1793 ♦ Le déserteur de
la montagne de Ham(« fait historique »,
Comédie-Italienne) ;
♦ date ? ♦
La Prise de Toulon par les Français (opéra, jamais représenté) ;
♦ 1794 ♦ Encore
une victoire ou Les Déserteurs liégois (impromptu en un acte,
Opéra-Comique), encore une œuvre de circonstance ;
♦ 1794 ♦ Le
congrès des rois (Comédie-Italienne), grande collaboration
collective de 12 compositeurs, à composer en 2 jours,
commandée et ordonnée par le Comité de Salut Public. Y contribuent
Grétry, Devienne, Méhul, Dalayrac, Cherubini, Berton, L.-E. Jadin,
Trial, mais aussi les moins illustres Blasius, Deshayes et Solié.
L'argument raconte une rencontre imaginaire des rois d'Europe pour se
partager la France, mais Cagliostro, envoyé du Pape, prend secrètement
le parti de la France et terrorise les tyrans grâce à des jeux d'ombres
(oui…) ;
♦ 1794 ♦ Le
Lendemain de la bataille de Fleurus (impromptu, Théâtre Égalité)
;
♦ 1795 ♦ Le
Brigand(drame
en prose mêlé de musique, Opéra-Comique), une première collaboration
avec F.-B. Hoffmann ;
♦ 1795 ♦ La
Journée du 10 août 1792 ou La Chute du dernier tyran (opéra en
quatre actes, Opéra), première commande, là encore de circonstance,
pour l'Opéra ; on remarque la proximité temporelle extrême des
commandes, même si un certain nombre contenaient peu de musique ;
♦ 1795 ♦ On
respire (comédie mêlée d'ariettes, Comédie-Italienne) ;
♦ 1796 ♦
Imogène, ou La gageure inscriète (comédie mêlée d'ariettes,
Comédie-Italienne) ;
Ici s'inscrit une césure (j'ignore s'il existe ici des ouvrages
recensés que je n'ai pas aperçus, ou bien une raison dans sa carrière
pour laquelle, par volonté personnelle ou faute de commande, rien n'a
été proposée aux scènes parisiennes ni européennes).
♦ 1800 ♦ Le
Petit Page ou La Prison d'État (comédie mêlée d'ariettes,
Théâtre Feydeau), musique écrite en collaboration avec son ami Isouard
– sur un livret de Pixerécourt, le grand maître du mélodrame (et plus
tard directeur de l'Opéra-Comique dans les années 1820) ;
♦ 1801 ♦ Astianax
(opéra en trois actes, Opéra), première œuvre du plus haut genre, issu
de la tragédie gluckiste à l'antique ;
♦ 1801 ♦ Flaminius
à Corinthe (opéra en un acte, Opéra), à nouveau partagé avec
Isouard. Abel a été écrit
juste après Flaminius, mais
comme pour La mort d'Adam de
Le Sueur, les intrigues courtisanes d'Empire ont longtemps suspendu
l'exécution de ces œuvres ;
♦ 1803 ♦ Le
baiser et la quittance ou Une aventure de garnison (opéra
comique, Théâtre Feydeau) ;
♦ 1804 ♦ Harmodius
et Aristogiton (tragédie lyrique, jamais représentée), dont la
partition est perdue ;
♦ 1806 ♦ Les
Surprises ou L'Étourdi en voyage (Théâtre Feydeau) ;
♦ 1807 ♦ François
Ier ou La fête mystérieuse (comédie mêlée d'ariettes, Théâtre
Feydeau) ;
♦ 1808 ♦ Jadis et aujourd'hui(opéra-bouffon,
Théâtre Feydeau) ;
♦ 1810 ♦ Abel
(tragédie lyrique en trois actes, Opéra) ;
♦ 1810 ♦ Grimaldi
(comédie en trois actes), à nouveau un livret dû à Hoffmann ;
♦ 1811 ♦ Le
Triomphe du mois de mars (opéra-ballet en un acte, Opéra) ;
♦ 1812 ♦ L'Homme
sans façon ou Les Contrariétés (comédie mêlée d'ariettes,
Opéra-Comique)
♦ 1813 ♦ Le
camp de Sobieski, ou Le triomphe des femmes (comédie mêlée de
chants, Théâtre Feydeau) ;
♦ 1813 ♦ Constance
et Théodore, ou La prisonnière (opéra comique, Théâtre Feydeau)
;
♦ 1815 ♦
La perruque et la redingote (opéra comique, Théâtre Feydeau),
sur un livret de Scribe ;
♦ 1815 ♦ La
Princesse de Babylone (opéra, Opéra) ;
♦ 1814 ♦ Le
camp de Sobieski, ou Le triomphe des femmes (comédie mêlée de
chants, Théâtre Feydeau) ;
♦ 1814 ♦ Les
Béarnais, ou Henri IV en voyage (comédie mêlée de chants,
Théâtre Feydeau) ;
♦ 1814 ♦L'Oriflamme(opéra en un acte, pour
l'Opéra), dont la musique est co-écrite avec Méhul, Paër et Berton ;
♦ 1816 ♦ Les
dieux rivaux (opéra-ballet, Opéra), en collaboration avec
Berton, Spontini et Persuis ;
♦ 1816 ♦ Le
Maître et le Valet (opéra comique, Théâtre Feydeay) ;
♦ 1821 ♦ Blanche
de Provence, ou La Cour des Fées (opéra en un acte,
Palais des Tuileries) en collaboration avec Cherubini, Paër, Berton et
Boïeldieu ;
♦ 1822 ♦ Le
Paradis de Mahomet (opéra comique, Théâtre Feydeau), en
collaboration avec Kreubé. Sur un livre co-écrit par Scribe et
Mélesville (le librettiste de Zampa !),
voilà qui rend très curieux ;
♦ 1823 ♦La
mort d'Abel, refonte d'Abel
en 1823, toujours à l'Opéra, où l'acte II (entièrement infernal, ce qui
fut très critiqué en son temps pour sa monotonie, quoique
spectaculaire) est supprimé.
♦ 1824 ♦ Ipsiboé
(opéra, Opéra) ;
♦ 1824 ♦ Pharamond
(opéra, Opéra) avec Berton et Boïeldieu ;
♦ 1827 ♦ Matilde(jamais
représenté).
Également plusieurs ballets-pantomimes : Paul
et Virginie (1806, Théâtre Impérial de Saint-Cloud – réutilise
des fragments de son opéra, et le succès est tel que l'œuvre reste 15
ans à l'affiche), Les
Amours d'Antoine et Cléopâtre (1808, à l'Opéra), L'heureux retour(1815,
à l'Opéra) ; La
Servante justifiée ou La Fête de Mathurine (« ballet villageois
» de 1818, à l'Opéra), Le
Carnaval de Venise ou la Constance à l'épreuve (1816, à l'Opéra
; refonte en 1817), Clari
ou la Promesse de mariage (1820, à l'Opéra).
Pièces très légères, œuvres de circonstance, productions collectives,
tragédies à l'antique, comédies d'Histoire, adaptations de succès
littéraires (Bernardin, Goethe…), son spectre couvre un très large
éventail de sujets. Pourquoi ce tour d'horizon ? On voit qu'il
n'était en tout cas pas spécialisé dans la musique sacrée, et que son
approche du livret, fût-il tiré de l'Écriture, était nécessairement
marquée par son expérience de la scène la plus quotidienne
et profanequi soit. Changement d'approche considérable
par rapport aux compositeurs des siècles précédents, qui avaient
beaucoup fourni pour l'église, et pour lesquels l'oratorio entrait dans
la démarche de compléter le culte, de remplir une fonction de
représentation plus vivante d'épisodes sacrés, ou dans le cas le plus
osé, de divertissement édifiant. Ce n'était pas pour eux une matière
autonome et indifférenciée au même titre que les événements historiques
de la Grèce et du Moyen-Âge, les romans, les événements de l'actualité…
h) La notoriété de Kreutzer
[[]]
Duo fratricide, le dénouement (Droy, Bou).
Sa postérité fut faite, étrangement, non par ses œuvres, mais par ses
relations. Bien que violoniste admiré de tous, co-auteur de la Méthode de violon du Conservatoire
(avec Baillot et Rode), professeur de violon au Conservatoire de Paris
sous l'Empire, Maître de la chapelle du Roi sous la Restauration,
directeur de la musique à l'Opéra (1824-1826), auteur d'une quarantaine
d'études pour son instrument, de concertos, fournisseur prolifique de
drames musicaux pour les opéras parisiens (je lis qu'on atteindrait la
quarantaine de titres)… ce n'est pas ainsi que son nom est demeuré dans
l'histoire, mais plutôt grâce à son
bon caractère.
Ainsi Spohr écrit-il que les frères Kreutzer sont
les plus cultivés de tous les violonistes parisiens… Mais surtout,
Kreutzer a la bonne idée de se rendre à Vienne dans les bagages de
Bernadotte en 1798. Il y est chargé de récupérer des manuscrits de
musique italienne pour les ramener à Paris.
Parmi ses rencontres à cette occasion : Beethoven. Celui-ci écrit à son
éditeur Simrock « Ce Kreutzer, est un bon cher homme ; il m'a
causé beaucoup de plaisir pendant son séjour ici. Sa simplicité et son
naturel me sont plus chers que tout l'extérieur sans intérêt de la
plupart des virtuoses. »
Il l'a aussi entendu jouer, et lui dédie à sa
publication en 1805 sa sonate violon-piano n°9, devenue l'une de ses
plus célèbres, et commercialisée ensuite sous le nom de Sonate à Kreutzer. Il est amusant
de noter que ce fut manifestement fait sans le mentionner au
dédicataire, qui ne joua probablement jamais l'œuvre en question – il
est de retour à Paris dès 1798, et les deux hommes n'ont pas
correspondu.
À partir de là, la gloire appelle la gloire. Tolstoï fait jouer cette sonate à
l'un des personnages d'un de ses romans, qui en prend le titre. À son
tour, Janáček, écrivant un
quatuor inspiré de Tolstoï, sous-titre son premier quatuor à cordes «
Sonate à Kreutzer ».
Quarante opéras pour être finalement célébré à
travers le nom d'une sonate qu'on n'a jamais seulement lue… ainsi va la
notoriété.
Je n'ai guère trouvé mon compte avec Caïn par la suite du XIXe siècle,
mais il nous faudra au moins un
épisode pour évoquer sa réapparition (beaucoup plus prolifique) au
vingtième siècle, davantage comme symbole, on s'en doute, qu'en tant
que sujet liturgique ou même édifiant.
À nouveau, brève présentation, communication de mon tableau
d'écoutes commenté, et en texte brut son contenu en corps de notule.
(Je vous renvoie donc au tableau pour la mise en page la plus lisible.)
Le fichier est ici : format ODS (Open Office) ou XLS (Microsoft Office).
Que retenir des parutions de février ? (Et de quelques
découvertes personnelles hors actualité.)
Opéra
→ Sacrée surprise de la versatile Faniska
de Cherubini ;
→ parution moderne (et réussie) d'Ô
mon bel inconnu de Hahn
;
→ coffret Orfeo d'opéras rares (Don
Giovanni de Gazzaniga,
Djamileh de Bizet, Armida de Dvořak, Šarká de Fibich, Thérèse de Massenet, La Bohème de Leoncavallo…) dans des versions pas
ultimes mais qui restent abouties ;
→ Dardanus de Rameau dans une nouvelle version
Vashegyi étonnamment stimulante (peut-être la meilleure parue pour cet
opéra) ;
→ Aida parisienne de Verdi sur Arte (remarquablement
jouée-chantée, avec Radva Regina) ;
→ Alimelek de Meyerbeer (certes une déception
quant à l'ambition très limitée de la partition, un peu son Abu Hassan à lui).
♦ Hors nouveautés, je me suis régalé en
découvrant enfin le Sigurd de
Reyer
intégral (autrement que sur mon piano), sans coupures : grâce à Nancy
(Chaslin, avec notamment Bou en Gunther !), capté sur les genoux et
transmis par un amis.
♦ Et réécouté quelques indémodables classiques personnels : Céphale & Procris de Grétry (van Waas), Léonore de Gaveaux (R. Brown), Les Diamants de la Couronne chef-d'œuvre
de tout Auber (Colomer), L'Aiglon d'Ibert-Honegger (Nagano).
Récitals
Deux disques incluant des cycles de Jake
Heggie qui paraissent à quelques semaines d'intervalle (Songs from the Violins of Hope, Songs for Murdered Sisters), peu
après le cycle statuaire avec Jamie Barton.
Remarquable pot-pourri de sucreries
tudesques des années 1930, interprétées splendidement (c'est
radieux, mais c'est sobre) Mitterrutzner et Poppen.
Sacré
Motets funèbres de LULLY
dans la luxueuse interprétation de Fuget, essayant une tension
installée dans un fondu orchestral. (Réécoute dans la foulée de
García-Alarcón, dont le caractère expansif, déclamatoire et contrasté
me séduit considérablement plus.)
Aussi réécouté le Requiem de Foulds et la deuxième Missa Solemnis de Cherubini (par Rilling), deux
petites merveilles de l'art sacré.
Orchestral
Tout le monde a loué avec raison la Neuvième
de Beethoven
par Pittsburgh & Honeck. Parution également sur la chaîne YouTube
de la Radio de Francfort de la version originale (deux fois plus
longue) de la Tragédie de Salomé
de Schmitt, chaleureusement
exécutée par Altinoglu.
Hors nouveautés, je me suis plongé dans la Symphonie en fa dièse de Pejačević, compositrice qui sait
charpenter un discours, petite merveille. Et puis je me suis émerveillé
de l'art de Hannu Lintu
que je connaissais mal (aussi bien dans Vieuxtemps que dans Sibelius), j'ai totalement réévalué
les Nielsen de Kuchar (en
réalité très vivants et d'une très bonne finition), et ai découvert
quelques versions marquantes de Tapiola (A.
Davis & Bergen, Lintu & Radio Finlandaise, Rosbaud &
Berlin…).
Et quelques réécoutes de bijoux : Beethoven 9 par Mackerras et l'Age
of Enlightenment (on ne fait pas plus net et ardent), Nielsen
par Jensen (première intégrale enregistrée, mais d'une ardeur et d'une
fermeté d'exécution qu'on n'atteint à nouveau que dans les versions les
plus récentes !), les 3 symphonies de Madetoja,
Älven (« Le Fleuve ») d'Atterberg (pendant à l'Alpestre de R. Strauss), et la
grisante monographie Cecil Coles,
pleine de beautés subtiles et très diverses.
Chambre
Simples et beaux Quatuors de Karnavičius.
Parution d'un trio avec piano de Pejačević,
pas très marquant en soi, mais l'occasion d'aller retrouver dans le
fonds CPO son Quintette avec piano et son Quatuor piano-cordes, des
merveilles qui ne sonnent en rien galants / mélodiques / limités au
divertissement de salon ; de la musique formellement ambitieuse,
quoique généreuse mélodiquement. Bijoux.
Autres belles publications, une nouvelle version du Quintette avec hautbois de Dubois (avec Triendl – un peu
sérieuse, mais réussie) et une anthologie Santiago de Murcia qui étonne par son choix de
pousser l'aspect « improvisé », paraissant réalisé au débotté comme une
séance de flamenco.
Hors nouveautés, plongée dans les sonates pour deux
violons, originales et denses, de Leclair
(car…) et dans le cycle du Rosaire de Biber
par Manze & Egarr, version musicologiquement respectueuse, mais
très confortable, sans recherches extrêmes sur le son, et
remarquablement phrasée. Très confortable quand on n'est pas d'emblée
dans son univers parmi la musique instrumentale baroque d'Europe
centrale.
Le fichier est ici : format ODS (Open Office) ou XLS (Microsoft Office). J'espère qu'il vous sera
lisible et utile.
La légende
Du vert au violet, mes recommandations…
→ * Vert : réussi !
→ ** Bleu : jalon considérable.
→ *** Violet : écoute capitale.
→ ¤ Gris : pas convaincu.
(Les disques sans indication particulière sont à mon sens de très bons
disques, simplement pas nécessairement prioritaires au sein de la
profusion de l'offre.)
Liste brute :
Nouveautés : œuvres
** HEGGIE, J.: Songs for
Murdered Sisters (J. Hopkins, J. Heggie)
→ En cours d'écoute.
** KARNAVIČIUS, J.: String
Quartets Nos. 1 and 2 (Vilnius String Quartet) (Ondine 2021)
→ De la tonalité très stable, mais remarquablement écrite, un peu la
suite logique des quatuors de Stenhammar. Je ne sais si ça conservera
sa fraîcheur à la réécoute, mais grisant (et très accessible) à la
découverte ! (1913-1917)
→ Le Quatuor de Vilnius se montre assez fulgurant ici – et
généreusement capté.
** Cherubini – Faniska – K.
Adam, Poznan PO, Borowicz (DUX 2021)
→ L'œuvre débute comme de l'opéra belcantiste, avec ses rigidités… mais
du Cherubini, donc un sens véritable de la déclamation (incluant grands
ensembles et mélodrame !), des chœurs très marquants et personnels
(le renforcement des cors dans « Di queste selve » !), des
efforts d'orchestration patents… Et quand on arrive au final de l'acte
I, qui évoque très fortement Fidelio (Faniska a été commandée en 1805,
l'année de la première représentation du Beethoven), on se dit qu'on
n'a pas commis beaucoup d'opéra italien aussi personnel, composite et
exaltant que celui-ci, puisant à toutes les inspirations nationales
simultanément ! Les cavatines belcantistes, la grande
déclamation à la française, le soin tout germanique de l'orchestration
et de la matière musicale pure (l'Introduction du II !) …
→ Comme toujours chez Dux ou avec Borowicz, interprétation pleine de
style et de vie, au plus haut niveau. (DUX est l'un des meilleurs
labels au monde, peut-être même celui dont la qualité, aussi bien des
œuvres retenues que de l'exécution, n'est jamais prise en défaut).
* Thalberg – L'art du
chant appliqué au piano, Op. 70 – Paul Wee (BIS 2021)
→ Belle initiative de graver plutôt l'ensemble que des morceaux choisis
comme souvent. Beau son de piano bien timbré et lyrique.
→ Thalberg, ici comme ailleurs, fait plutôt dans la transcription
littérale : les mélodies sont utilisées en entier, les répétitions
de l'original respectées, un thème accompagné reste un thème
accompagné, il ne faut pas du tout en attendre les mutations opérées
par Liszt. Dans ce cadre, c'est bien écrit pour le piano et tout à fait
plaisant à entendre – mais écouter ça au disque quand on peut avoir les
opéras entiers (ou quelquefois des arrangements originaux), ça paraît
moins indispensable que lorsque c'était le sel moyen de découvrir ou de
faire écho à une soirée.
[Par ailleurs, quand on peut jouer pour soi les réductions piano de ces
opéras, le bénéfice d'écouter quelqu'un d'autre jouer les réductions de
Thalberg n'a pas un intérêt incommensurable.]
* PEJAČEVIĆ – Trio en ut –
trioW (Stefan Welsch, Ingrid Wendel, Katharina Wimmer) (Naxos 2020)
(tiré du disque « Unerhörte Schätze, Musik von
Komponistinnen », pas encore écouté)
→ Très vivant postromantisme, très réussi. Mais il faut surtout
découvrir le Quatuor avec piano (et le Quintette) chez CPO !
*** Schmitt – La Tragédie de
Salomé, version complète originale – Radio Francfort, Altinoglu (YT
HRSO)
→ Version pour petit orchestre, qui contient deux fois plus de musique
(notamment tout le liant dramatique entre les danses). Œuvre majeure,
interprétée ici avec chaleur et couleur.
(Au disque, on n'a que la belle version Davin chez Marco Polo, mais
avec le moins chatoyant Philharmonique de Rhénanie-Palatinat).
https://www.youtube.com/watch?v=fmRCZQ2vID4
Biber, Bernhard, JM Nicolai, Fux –
Requiem, motets, Sonates – Vox Luminis, Freiburg Baroque Consort,
Meunier (Alpha 2021)
→ Cordes rares et très étroites, ce n'est pas fabuleusement chaleureux
à écouter, pour mon goût. Le contraste avec le beau chœur (pour autant
pas dans son meilleur répertoire / jour) est un peu frustrant.
* Eklund: Symphony No.
3,
"Sinfonia rustica", 5 « Quadri », 11
« Piccola » –Norrköping SO, H. Bäumer (CPO 2020)
→ 3 : Postromantisme sombre, quelque part entre entre les aplats
simples de Schjelderup, les bizarres tintements de la Sixième de
Nielsen, les menaces de Chostakovitch (on y entend très clairement le
début et la fin de la Cinquième…). Il ne faut pas s'attendre à du
pastoralisme ici
→ 5 : Sensiblement même esprit (avec des bouts de la folie
d'Hérode chez R. Strauss, mêmes lignes ascendantes bancales de
trompettes folles ).
Alfano – Risurrezione –
(Dynamic)
→ Opéra vraiment peu exaltant, bâti de façon très prévisible, peu de
contrastes ni de couleurs orchestrales. Quand on compare aux symphonies
(et encore davantage à la musique de chambre d'Alfano), tout ceci
paraît particulièrement incompréhensible.
→ Sans avoir jamais été convaincu qu'il s'agissait d'un chef-d'œuvre,
je trouve cette dernière version, quoique très bien chantée,
particulièrement peu colorée orchestralement.
Respighi – transcriptions de
Bach (Prélude & Fugue, Passacaille & Fugue en utm, Chorals) et
Rachmaninov (Études-tableaux) – OPR Liège, Neschling (BIS 2021)
→ Pas très subtilement orchestré, orchestre pas splendide non plus…
mais le Choral du Veilleur fonctionne très bien.
** Hahn – Ô mon bel inconnu –
Gens, Dubruque, Dolié ; ON Avignon-Provence, Samuel Jean (Bru Zane
2021)
→ Interprétation orchestrale pleine de d'élan, naturel général des
interactions, prise de son extrêmement confortable… une œuvre-légère
délicieuse qui fonctionne parfaitement ici, ravivée avec esprit.
→ Belles voix pas complètement idéales : l'émission de Gens paraît
vraiment molle pour le registre comique, Dubruque n'a pas
énormément de séduction timbrale, Dolié couvre toujours beaucoup trop
(toutes les voyelles sont modifiées, fermées, le timbre
artificiellement assombri) – pour autant, c'est lui qui manifeste le
plus de sensibilité dans l'incarnation de son texte, très réussie.
* MEYERBEER : Wirth und Gast,
oder Aus Scherz Ernst [Opera] (Alimelek) (Kobow, Woldt, Stallmeister,
Württembergische Philharmonie Reutlingen, Rudner) (Sterling 2021)
→ Un nouveau Meyerbeer en allemand, comme on n'en entend guère, par une
superbe équipe (Reutlingen !) et le librettiste du
Vampyr !
→ Sympathique Singspiel (dont l'ambiance a quelque chose d'une
Zauberflöte ou d'un Oberon de Weber qui aurait entendu Rossini et
Boïeldieu). C'est agréable, mais rien à voir, jusque dans la langue
proprement musicale (les harmonies, les rythmes, l'orchestration, les
mélodies, la prosodie…) avec ce qu'il produit pour l'Italie (qui est
moins bien) et pour la France (qui est infiniment plus personnel).
Nouveautés : versions
* Liszt – Réminiscences de
Norma
(+ Sonate en si + Sonnets des Années de Pélerinage, non écoutes) –
Grosvenor (Decca 2021)
→ Très ferme toucher, traits très bien articulés… Capté avec un peu de
dureté. Manque un peu de couleur pour mon goût. La maîtrise technique
fait toutefois la différence dans le final, absolument flamboyant, où
l'abondance de traits ne rallentit en rien l'énonciation de la mélodie
du bûcher. Bravo.
*** Tauber, Hans May, Carste,
Grothe, Ernst Fischer, Winkler, Cottrau, Stolz, Sieczynski, Kalman, De
Curtis, Ralph Erwin, Spolianski, Karl Böhm, Marini, Tosti, Capua – « Heut' ist der schönste Tag - Tenor
Hits of the 1930s » – Martin Mitterrutzner,
German Radio Saarbrücken-Kaiserslautern Philharmonic. C. Poppen (SWR Classic 2021)
→ Sobre (malgré tout) accompagnement de l'excellent Poppen, et voix
splendide de cet élégant ténor ferme, plutôt léger mais assez glorieux,
ne négligeant pas l'art (sacrilège) du fading ! Superbe
album dans ce genre, si l'on n'a pas peur du sirop (moi un peu, on se
lasse vite).
* Weber – Der Freischütz
(extraits !) – van Oostrum, Barbeyrac, Baykov ; Skerath,
Immler ; Insula Orchestra, Équilbey (Erato)
→ Quelle étrange chose, un disque de 80 minutes qui ne contient que les
moments de bravoure (ouverture, pantomime de la fonderie, airs), pas de
dialogues et très peu d'ensembles… mais complété par un DVD
documentaire sur la production. Pourquoi faire ?
→ Dommage, production très réussie (incluant la magie, très adéquate
ici), couleurs superbes (et individualités musiciennes !) de
l'orchestre sur instruments, très beau plateau (Agathe en particulier).
Cela méritait une diffusion de l'intégrale…
* MURCIA, S. de: Baroque
Guitar Music (Entre dos almas) (Stefano Maiorana) (Arcana 2021)
→ Jeu très généreux et mélismatique, évoquant davantage une
improvisation de flamenco. Accord surprenant (quel tempérament utilisé
?), jeux de distorsion, bruits de caisse… ** Verdi – Aida –
Radvanovsky, Kaufmann, Tézier ; Opéra de Paris, Mariotti (Arte
Concert 2021)
→ Amants absolument merveilleux, souples et nuancés tout en restant
glorieux. Orchestre très bien mis en valeur par Mariotti. Entourage
impeccable. Un plaisir.
** Rameau – Dardanus version
de 1744 – Wanroij, Santon, Dubois, Christoyannis, Dolié ; Orfeo O,
Vashegyi (Glossa 2021)
→ Vocalement, vraiment pas ce que je voudrais entendre ici (Dolié
outrageusement couvert, Christoyannis en petite forme, peut-être à
cause de la tessiture basse du rôle), à l'exception de Dubois qui, avec
son timbre grêle et perçant, rayonne à sa façon.
→ Mais l'excellente surprise vient de Vashegyi qui, malgré des couleurs
un peu grises, insuffle une véritable animation, même aux récitatifs
plus convenus et aux airs longs. Contrairement à ses autres Rameau et
aux pastorales un peu dénervées qu'il a faites ces dernières années, un
véritable sens dramatique se déploie. Peut-être bien la meilleure
version de Dardanus à ce jour, si l'on considère l'effet
d'ensemble !
** Beethoven – Symphonie n°9 –
Pittsburgh SO, Honeck (Reference Classics 2021)
→ Très allégé et informé, extrêmement vif dans le premier mouvement,
interprétation très tendue, pleine de détails d'orchestration,
d'explosions, de fièvre ! Du vrai Beethoven.
→ Le final est très beau, mais m'accroche moins, trop de timbre, de
maîtrise peut-être.
* LULLY – Dies
iræ, De Profundis, O Lachrymae – Les Épopées, Fuget (Château de
Versailles)
→ Captation également disponible en vidéo chez Arte. → Son très profond
d'un vaste orchestre, solistes ***** (Lefilliâtre, Auvity, Goubioud,
Mauillon, Arnould, Brès…). Sur le choix esthétique, un peu difficile de
passer après les mêmes motets l'an dernier par Millenium Orchestra et
García Alarcón : chez Fuget tout est très fondu (et poisse un
brin, acoustique de la Chapelle Royale aidant), là où la respiration,
la discontinuité, l'éclat, la déclamation triomphante prévalaient de
façon saisissante chez Alarcón (de loin le plus beau disque de grands
motets de LULLY, il faut dire – qui avait marqué le millésime 2020).
→ La vidéo, très bien filmée, apporte un supplément en voyant tout ce
monde frémis à l'unisson !
Nouveautés : rééditions
** Gazzaniga (DG), Bizet (Djamileh), Dvořák (Armida), Fibich (Šarká), Massenet (Thérèse), Leoncavallo (La Bohème) –
« Opera Rarities » – (Orfeo)
→ Coffret contenant ces œuvres intégrales (passionnantes) dans de
belles versions (pas les meilleures, certes). Il doit cependant manquer
les livrets, certains se trouvent en ligne (mais pas sûr pour La Bohème
et à peu près sûr que non, hors monolingue, pour Armida.
Autres nouvelles écoutes : œuvres
** PEJACEVIC, D.: Symphony in
F-Sharp Minor, Op. 41 / Phantasie concertante (Banfield,
Rheinland-Pfalz State Philharmonic, Rasilainen)
→ Symphonie expansive et persuasive, riche ! Pas du tout une
musique galante.
*VIEUXTEMPS, H.: Violin Concerto No.
4 (Hahn, Bremen Deutsche Kammerphilharmonie, P. Järvi) (DGG 2015)
→ Final exceptionnellement virtuose. Un peu plus superficiel
musicalement aussi, trouvé-je.
***Pejačević – Quintette piano-cordes,
Quatuor en ut, Quatuor piano-cordes – Sine Nomine SQ, Triendl
(CPO 2012)
→ Quintette : Belles modulations, beau lyrisme du mouvement lent,
dernier mouvement virevoltant ! Postromantisme enrichi de
recherches début XXe chez cette compositrice croate.
→ Beau quatuor à cordes apollinien.
→ Quatuor piano-cordes : très marqué par Debussy et Fauré, une
petite merveille très frémissante et prenante, à rapprocher par exemple
de ceux de Chausson et Fauré (n°1).
→ Cordes du Sine Nomine pas fabuleuses (manquent vraiment de fermeté et
de mordant, grincent un peu).
***Reyer
– Sigurd (version intégrale) – Bou ; Opéra National de Lorraine
Nancy, Chaslin (bande pirate sur les genoux)
→ Première présentation de l'œuvre sans coupures !
*Cherubini:
Mass in A Major de 1825 pour le Couronnement de Charles X – Cologne
Radio Chorus; Cappella Coloniensis; , Gabriele Ferro (Capriccio)
*Emilie Mayer – Quatuor piano-cordes –
Mariani PiaQ (CPO 2017)
→ Chouette. Manque quand même d'un petit quelque chose de marquant.
*Foulds – Le cabaret Overture //
Pasquinades symphoniques // April-England // Hellas // 3 Mantras – LPO,
Wordsworth (Lyrita 2006)
→ Des choses sympathiques, mais globalement surtout marquant du côté
des Mantras.
Rangström – Symphonies n°3
& 4 – Norrköping SO, Mikhaïl Jurowski (CPO)
→ La 3 : sombre ostinato et structure simple favorisant la mélodie
simple, je pense à Libertas venit de Hendrik Andriessen, petite
merveille… mais en moins prégnant.
→ La 4 : là encore de grands aplats pas très complexes
structurellement malgré une harmonie travaillée. Pas totalement séduit
par cette alternance de blocs en pleins et en creux, un brin sommaire
(et en tout cas, dans ses effets de contraste, peu propice au disque).
*Rangström – Intermezzo Drammatico –
Norrköping SO, Mikhaïl Jurowski (CPO)
→ Simple mais persuasif et personnel. Par moment un côté danses de
Salomé chez Schmitt…
FOULDS, J.: Dynamic Triptych /
April England / April England / The Song of Ram Dass (Donohoe, City of
Birmingham Symphony, Oramo)
→ Aimable, galant, moins nourrissant que l'autre monographie.
**LECLAIR, J.-M.: Sonatas for 2
Violins (Complete) - Opp. 3 and 12 (Ewer, LaMotte) (Dorian Sono Luminus
2014)
→ L'opus 3 n°1 est celui qui figure, sur la gravure-portrait de Leclair
tirée d'un pastel… Après avoir passé en revue ses partitions, j'ai fini
par trouver l'extrait assez substantiel qui apparaissait dans ses mains…
→ Ce n'est pas la seule raison pour laquelle écouter ces duos qui font
figure de sonates en trio sans basse continue !
LECLAIR, J.-M.: Sonatas for 2 Violins, Op. 3, Nos. 1-6 (Hoebig,
Stobbe) (Analekta 2018)
→ Un peu lourd.
*Rangström – Symphonie n°1 –
Norrköping SO, MIkhaïl Jurowski
**FOULDS,
J.: 3 Mantras / Mirage / Lyra Celtica / Apotheosis (City of Birmingham
Symphony, Oramo)
→ Très varié et réussi. Les Mantras en particulier, ou la Lyra qui
inclut un soprano sans texte. Même la concertante (avec violon)
Apotheosis me touche beaucoup (l'élan majestueux au centre de son
Andante !).
*** Foulds – World Requiem –
BBC SO, Botstein (Chandos)
→ Très varié et expansif, remarquable écho (moins idiosyncrasique,
certes) au War Requiem.
Autres nouvelles écoutes : interprétations
** Cherubini – Missa solemnis n°2 en ré mineur – Rilling (Hänssler)
→ Très bel ensemble remarquablement écrit, comparable au style de ses
requiems (riches en prosodie, travaillés sur la déclamation et au
besoin le contrepoint), mais avec des solistes très bien mis en valeur.
Le tout joué avec la rondeur et la rhétorique dramatique formidable de
Riling.
* Meyerbeer – « Meyerbeer in France » – Thébault, Pruvot,
Sofia PO, Talpain (Brilliant 2016)
→ Très beau disque (cette précision d'articulation orchestrale dans du
Meyerbeer, c'est pas tous les jours !). Pruvot magnifique, Thébault
plus problématique (timbre peu dense, aigus un peu criaillés).
→ Les extraits choisis sont pour large part de l'ordre décoratif, pas
nécessairement le meilleur du compositeur, mais joli voyage néanmoins,
atypique !:
* Leroy Anderson, Typewriter
Concerto
→ Dans le style Wolf-Ferrari…
* Vieuxtemps: Violin
Concerto No. 5 in A Minor, Op. 37, "Gretry": – Corey Cerovsek ;
Lausanne Chamber Orchestra : Lintu, Hannu (Claves 2008)
→ L'Adagio cite le duo d'amour Isabelle-Alonze de l'acte II ?
D'où le nom ?
→ Superbe version pleine de vie.
* Sibelius 5, Radio
Finlandaise, Lintu (DVD)
→ Très beau, remarquable progression, mais quelques moments qui
manquent d'angle, d'ampleur, de relance épique – en particulier les
appels de cor du dernier mouvement, étrangement allentis et lissés, ce
qui ne manque pas de grâce, mais un peu d'apothéose comme ce l'est
usuellement… Néanmoins, splendide final sur le bout des pieds, très
étonnant.
* BIBER – Sonates du Rosaire –
Manze, Egarr (HM 2004)
→ Superbement phrasé, version HIP sans trop d'acidité / aridité, assez
confortable pour moi qui ne suis pas toujours à l'aise avec cette
ensemble monumental que j'ai peut-être tort d'écouter d'une traite…
Variations et traits de virtuosité (écrits par Biber) impressionnants.
→ La Présentation au Temple, le jeune Jésus préchant, le Christ au
Pilier, Crucifixion me touchent tout particulièrement… Version ou
maturation de ma part, l'impression d'enfin accéder à l'œuvre !
*** Sibelius: Tapiola –
Radio Finlandaise, Berlin, Rosbaud (Ondine)
* Sibelius: Tapiola –
Radio Finlandaise, Lintu (Ondine) * Williams – Star Wars
VII – CD de la BO
→ La qualité a bien baissé. Hors le thème de Rey, très réussi, vraiment
de la tapisserie sage et de la fanfare pétaradante. Dommage, quelle
distance avec l'art consommé des IV et V.
CHERUBINI, L.: Mass No. 2,
"Messe Solennelle" en ré mineur (Wiebe, Jungwirth, Orrego, Friedrich,
Munich Motet Choir, Munich Symphony, Zobeley)
** Sibelius: Tapiola, Op.
112 – Royal Stockholm Philharmonic Orchestra; Davis, Andrew (Finlandia)
→ Très belle surprise, très belle couleur. Toujours un peu
extérieur à l'œuvre répétitive et très cordée.
** Nielsen – Symphonie n°2 –
Janáček PO Ostrava, Kuchar (Brilliant)
→ En réalité vraiment très bien, nerveux, belle finition, j'avais
beaucoup sous-estimé cette intégrale je crois.
Nielsen – Symphonie n°1 – Stockholm RPO, Tor Mann (fin 40s début
50s)
→ Pas en place, orchestre dépareillé, tout le monde joue comme il peut
cette musique hautement inusuelle, sous l'étiquette « Nielsen's
Prophet in Sweden »… Je ne suis pas sûr de détester complètement
(quelle typicité des bois, tout de même !), mais c'est clairement très
loin des standards professionnels qu'on attend désormais (voire des
bons amateurs d'aujourd'hui…).
* Sibelius – Symphonie n°7,
Tapiola – Atlanta SO, Spano (ASO Media)
→ Étonnante lecture frontale et voluptueuse, avec un sens dramatique
primaire, un côté verdien – qui rappelle l'énergie communicative de ses
incroyables récentes symphonies de Bruch. Dans Sibelius, c'est exotique
mais pas du tout inopérant.
* Sibelius – Symphonie n°5 –
Berliner Philharmoniker, Rattle (Berliner Philharmoniker)
→ Très vivant. Un excellent souvenir de la version vidéo (assez
ultime), assez étonné par les timbres plus étroits ici (cordes
délibérément sèches, mais trompettes un peu nasillardes, étonnant).
Bois toujours aussi vertigineux.
+ final Maazel Pittsburgh, Karajan Philharmonia, Karajan Berlin,
Bernstein Vienne
* Sibelius – Symphonie n°4 –
Berliner Philharmoniker, Rattle (Berliner Philharmoniker)
→ Étrangement, je ressens un petit manque de soyeux des cordes ici.
Mais l'ascétisme, la transparence, les couleurs, sont magnifiques.
* Sibelius – Symphonie n°7,
Océanides, Symphonie n°5 – LSO, C. Davis (LSO Live)
→ Tiré de la troisième intégrale de Colin Davis, la seconde avec le
LSO.
→ La Septième, malgré des cuivres un peu massifs par endroit, se
distingue par sa remarquable suspension et sa cinétique permanente. Son
large, typiquement du dernier Davis. La Cinquième manque un peu de
folklore à mon gré, évidemment, mais sans comparaison avec ses deux
précédentes intégrales plutôt conformistes et ternes.
* Sibelius – Symphonie n°6 –
Berliner Philharmoniker, Rattle (Berliner Philharmoniker)
→ Cordes droites, peu vibrées, étonnant début très résonant quoique
soyeux. Manque un peu de tension sur la durée pour moi, j'en avais un
meilleur souvenir (d'après la version vidéo : je découvre sa
déclinaison CD).
Sibelius – Symphonies n°3 –
Stockholm RPO, Ashkenazy (Exton)
→ Oh, un peu décevant ici, niveau plus juste de l'orchestre que ce
qu'il est habituellement, ou que la concurrence.
Sibelius – Symphonies n°2,3 +
Night Ride & Sunrise – Radio Finlandaise, Saraste (RCA)
→ Intégrale de studio antérieure à l'intégrale Finlandia, elle vient
d'être rééditée après une longue indisponibilité.
→ Autant je trouvais la version Finlandia structurellement singulière,
exaltant les transitions en une sorte de nuage permanent (plutôt que
d'appuyer sur la mélodie), autant je trouve cette lecture beaucoup plus
traditionnelle et assez peu grisante : comme pour Salonen, les
timbres captés par RCA paraissent vraiment mats et sans résonance. À
côté de l'explosion des couleurs dans les grandes versions récentes
(Oramo, Rattle, Storgårds…), c'est un peu frustrant, et en tout cas pas
vraiment indispensable.
* Lully – Dies iræ, Te Deaum –
Allabastrina, E. Sartori (Brilliant)
→ Spectre sonore à l'italienne (peu de corps dans les parties
intermédiaires, respiration du spectre), qui fonctionne très bien, avec
beaucoup d'élan et de solennité.
Réécoutes : œuvres
** Kreutzer – La mort d'Abel –
Droy, Bou, Pruvot ; Les Agrémens, van Waas (Singulares 2012)
→ trissé
*** Coles – Fra Giacomo…
*** HONEGGER, A. / IBERT, J.: Aiglon (L') [Operetta]
(Gillet, Barrard, E. Dupuis, Guilmette, Lemieux, Sly, Montréal
Symphony, Kent Nagano) (Decca 2016)
*** Auber – Les Diamants de la
Couronne – Colomer (Mandala)
→ Sommet du livret haletant (merci Scribe) et d'une musique
divertissante pourtant pleine de modulations, d'ensembles travaillés,
de surprises… Un des plus beaux opéras comiques jamais écrits.
(Peut-être même le plus beau en langue française…) Distribution
fabuleuse et orchestre audiblement passionné. Mise en scène tradi
pleine de vie.
** Gaveaux – Léonore ou
l'amour conjugal – Mc Laren, Richer, Côté, Lavoie ; Opéra
Lafayette, Ryan Brown (bande-son du DVD Naxos 2019)
*** Grétry – Céphale &
Procris (actes I & II) – van Waas (Ricercar)
** Madetoja – Symphonies 1
& 3 + Suite Okon Fuoko – Helsinki PO, Storgårds (Ondine)
→ Bissé.
*** Madetoja – Symphonie n°2 –
Helsinki PO, Storgårds (Ondine)
*** Beethoven – Symphonie n°9
– Enlightenment Mackerras (Signum)
* Sibelius – Symphonie n°5 –
NZSO, Inkinen (Naxos)
→ Vraiment une très belle exécution, le meilleur volume de cette
excellente intégrale. Dernier mouvement très réussi (à part la perte de
tension à la fin du mouvement), premier mouvement doté de très belles
couleurs et de très beaux équilibres, même si certains accompagnements
paraissent un peu plats et certaines syncopes un peu inconfortables.
* Nielsen – Symphonie n°3 –
Ireland NSO, Leaper (Naxos 1995)
→ Intégrale que j'adore, parmi les moins luxueuses orchestralement,
mais d'un esprit et d'une tension assez fous, parmi les meilleurs. Pas
à son sommet dans la Troisième plus étale, qui appelle davantage la
volupté sonore, mais toujours ces merveilleuses qualité.
Nielsen – Symphonie n°3 –
BBCPO, Storgårds (Chandos)
→ Contrairement à son Sibelius, je trouve leur Nielsen beau mais assez
froid, cherchant plus la maîtrise et la chatoyance que l'esprit. Même
un peu frustré par cette Troisième.
** Nielsen – Symphonie n°1 –
Radio Danoise, Jensen (Naxos, remastering 1952)
→ Splendide restauration pour une version remarquablement maîtrisée, au
trait fin et nerveux, bâtie avec grande clarté et sens des
progressions, pourvue de belles couleurs… parmi les plus convaincantes
de la discographie, malgré son âge vénérable (sachant que les
propositions réellement satisfaisantes pour Nielsen sont presques
toutes arrivées à partir de la fin des années 90…).
→ Je n'en avais pas du tout un souvenir aussi enthousiaste !
Nielsen – Symphonie n°1 – LSO,
Ole Schmidt
→ Bien, mais vraiment en deçà du potentiel de cette musique.
*** LULLY –
Dies iræ, De Profundis, Te Deum – Junker, Wanroij, Auvity, Lenaerts,
Buet ; Millenium O, Alarcón (Alpha 2019)
Autres nouvelles parutions à écouter
→ GRAUPNER, C.: Easter Cantatas (Jerlitschka, S. Hübner, J. Hill,
Capella Vocalis Boys Choir, Pulchra Musica Baroque Orchestra, Bonath)
→ Schulhoff Intégrale des Lieder. Sunhae Im, soprano ; Tanja Ariane
Baumgartner, mezzo-soprano ; Hans Christoph Begemann, baryton ; Britta
Stallmeister, soprano; Klaus Simon, piano ; Delphine Roche, flute ;
Myvanwy Ella Penny, violon ; Filomena Felley, alto ; Philipp Schiemenz,
violoncelle .
→ clarinette copland bernstein rozsa orchid
→ étienne richard fabien armengaud
→ Jake Heggie: Songs for Murdered Sisters Joshua Hopkins
→ HEISE, P.A.: Drot og marsk (Royal Danish Opera Chorus and Orchestra,
Schønwandt)
→ frid quintet
→ beethoven aquileia
→ breath angels
→ Stanchinsky: Piano Works Peter Jablonski
→ Antti Auvinen & Sampo Haapamäki: Choral Works Helsinki Chamber
Choir
→ Michael Jarrell: Orchestral Works Tabea Zimmermann
→ John Mayer & Jonathan Mayer: Orchestral Works Sasha Rozhdestvens
→ kontski piano sonatas anna parkita
→ daniel jones symphs 3 5 lyrita thomson
→ Bergson: Orchestral Works Jonathan Plowright
→ vlagiderov cctos
→ Holmboe quats vol. 1 nightingale SQ
→ carte postale royaumont bunel
→ tempesta di passaggio : solo pour cornetto
→ gál 'hidden treasures' lieder inédits immler deutsch
→ british music strings I pforzheim
→ schnittke daniel hope
→ kalafati piano
→ respighi transcriptions
→ eccles semele
→ maconchy , lefanu, swayne « relationships » violon piano
→ alex freemann, requiem (BIS)
→ Cesti, La Dori
→ hasse enea in caonia
→ ruders, nørgård, violoncelle solo
→ Grigory Krein piano
→ F.G. Scott piano
→ worgan harpsichord julian perkis chez toccata
→ Goldmark vol 2, mokranjac piano, the laundy grondahl legacy, graun
orchestral, trattamento dell'harmonia, platti chamber, marx mosè
→ farkas chamber, braga santos, chamber 3, telemann christmas cantatas
CPO, jenner piano
→ Johan Nepomuk David : intégrale des trios à cordes (David-Trio), chez
CPO.
→ fra diavolo strade napoli
→ Schulhoff Flammen very vermillion billy
→ stikhina salomé https://www.youtube.com/watch?v=YU0jlgd9Pas
→ clair-obscur piau
→ kopatchinskaja (plaisir illuminés)
→ ballades vinnitskaya
→ fanciulla foster
→ musicalische exequien
→ haydn 76 chiaroscuro
→ buxtehude par Les Timbres
→ locatelli concertos violon gringolts helsinki baroque
→ catoire chambre & concerto, triendl
→ messiaen 20 regards chen
→ beethoven solemnis jacobs
→ ariadne botha schmeckebecher
→ telemann ouvertures, orfeo barockorchester
→ telemann concerti camerata köln
→ josquin 7e livre, visse
→ weinberg 2,5,6 arcadia SQ
→ nouvel an 2021 muti
→ bagatelles beethoven feltsman
→ boffard beethoven berg boulez
→ krieger 12 sonates en trio
→ pettersson symph 12 lindberg
Projets d'écoutes ou réécoutes pour les semaines à venir
« Flury. Son quatuor No. 5 est bien ficelé dans une optique assez
traditionnelle, le No. 6 possède un II d'une grande mélancolie et
déploie un cœur suspendu dans le III à fondre. Le No. 7 est peut-être
le plus intéressant, qui démarre en fugue à quatre voix avant de virer
à une pièce romantique tout en pizzicatti. Ces deux derniers sont
couplés avec une suite pour orchestre à cordes assez déconcertante
(III), variée (Atterberg dans le II, marche instable dans le IV) qui ne
manque pas de sel. Le quintette pour piano, bien que souvent d'un
sentimentalisme parfois caricatural, n'aura pas dépareillé avec les
pièces ultra-lyriques écoutées récemment. Plaisir sûrement coupable
mais plaisir malgré tout. »
« Plus ancien et susceptible de te plaire, Bargiel. Le deux premiers
quatuors évoquent Beethoven, respectivement opus 18 et 59, les
troisièmes et quatrièmes sont plutôt d'obédience
Schumann/Brahms/Mendelssohn (même si j'ai pensé aux gémissements
utilisés par Onslow au début du No. 4). Plus sophistiqués, moins
immédiats en ce qui me concerne, avec un pathos un peu forcé parfois,
mon goût désordonné ne doit pas empêcher d'y trouver maintes
satisfactions. Mais c'est bien son octuor, d'une noirceur incroyable,
qui m'a cueilli et que j'enjoins d'essayer sans attendre. Sa symphonie
est au menu prochainement, je ne saurais rien en dire à l'heure
actuelle. »
« Blackford, des choses passionnantes dans tous les registres. En
musique de chambre, ses Hokusai Miniatures aux atmosphères variées et
particulièrement évocatrices. À l'orchestre, outre sa réorchestration
du Carnaval de Saint-Saëns et sa propre symphonie pour animaux qui
mange à tous les râteliers (de Rautavaara à Williams), son concerto
pour violon Niobe avec des vrais morceaux de Banks et de Szymanowski
m'a fortement convaincu. »
(vous aurez reconnus les conseils personnalisés de Mefistofele)
hausegger, graener
cherubini messes
lintu
goetz quintette triendl
wolf-ferrari (segreto, etc.)
respighi vetrata, metamorphoseon
Den Utvalda rangström nylund schirmer
Le CRR de Paris, c'est l'école
supérieure pour étudier le baroque français – Eugénie Lefebvre, Hasnaa
Bennani et beaucoup d'autres y sont passés, étudiant notamment, pour
les chanteurs, auprès d'Isabelle Poulenard et Howard Crook, deux des
membres les plus accomplis de la première génération de résurrecteurs
dans les années 80…
En fait de CRR (conservatoire de niveau régional), il tient lieu de
CNSM officieux (conservatoire national, il en existe deux, à Paris et à
Lyon) lorsqu'il s'agit de baroque. Partenariats avec le Centre de Musique Baroque de Versailles,
masterclasses avec les meilleurs représentants qui font vivre le
répertoire (en particulier français), prêts d'instruments spécialisés
(dessus / hautes-contre / tailles / quintes de violon, spécifiques au
répertoire français pré-ramiste)…
Leurs productions sont toujours attendues avec beaucoup d'impatience,
explorant des rivages peu (Psyché II de
LULLY) ou pas documentés (Médée & Jason de Salomon), avec des instrumentistes
déjà professionnellement mûrs et des chanteurs encore verts mais déjà
sensibilisés à la déclamation spécifique (expérimentations de Stéphane Fuget autour du recitar cantandopour les œuvres italiennes du XVIIe, essayant vraiment de
changer le
chant en parole, avec des succès divers mais de façon très stimulante),
aux techniques de jeu scénique baroque et… à la prononciation
restituée.
Malgré l'absence de public (et le foyer infectieux qui s'y est déclaré
quelques jours après), le CRR a réussi à monter et capter Bacchus
& Ariane de Marais,
dont la résurrection a longtemps été repoussée (au milieu des années
2000, Le Concert Spirituel devait le reprogrammer, me semble-t-il,
avant d'y renoncer).
Seul le très bel air d'entrée
d'entrée d'Ariane à l'acte I m'était connu, suite à un concert
autour de cette héroïne par l'Ensemble Zaïs, en 2016 à Joinville.
J'avais même présenté ici même, partition en main, la structure
de l'air, ainsi que celle de Mouret.
Je ne suis pas un inconditionnel de Marais
à l'Opéra, dont les petites sophistications musicales ne compensent pas
réellement les livrets faibles et la prégnance mélodique assez limitée.
On est loin de l'impact direct que peuvent avoir, dans cette
génération, Desmarest, Campra ou Destouches, à mon sens (et même LaCoste
et Gervais), mais à chaque
fois servis par de de meilleurs librettistes, il faut le concéder.
Cette tragédie en musique le confirme un peu : il y a de belles basses
sophistiquées, des chromatismes (et quelques belles mélodies ciselées
tout de même !)… mais je ne suis pas totalement ému.
(Notule écrite après l'écoute du Prologue et de l'acte I seulement, mon
avis s'amendera probablement, j'ai aperçu en particulier de superbesdivertissements, comme toujours le
point fort chez Marais – que ce soient danses instrumentales ou
plaintes chantées…)
Le livret de Saint-Jean
(écrivain non identifié…) m'a beaucoup amusé : on est habitué à se
figurer l'abandon d'Ariane dans des lieux déserts, or le premier acte,
quoique situé dans « une grotte terminée par une mer à perte de vue »,
voit se succéder une infinité de personnages : Ariane, négligée par
Thésée au profit de sa sœur Phèdre, est entourée d'une confidente, d'un
soupirant prince d'Ithaque (lui-même accompagné d'un confident
magicien), qui est fiancé à la sœur du roi de « Naxe », tout ce beau monde étant
présent autour d'un prêtre sacrificateur et des chœurs rituels. Pas
tout à fait l'ambiance île déserte, donc. En fait de couleur locale et
de grotte sauvage, une intrigue circulaire d'amours de palais assez
stéréotypée, chacun aimant l'autre maillon (indisponible) de la chaîne.
Cela se découvre tout de même avec plaisir, d'autant que quelques-uns
des chanteurs (les hommes en particulier) se révèlent extrêmement
talentueux. (Leurs noms ne sont pas donnés dans la vidéo, j'irai me
renseigner pour les ajouter.)
Mais.
Tout est chanté en prononciation
restituée. Dont je ne suis pourtant pas un détracteur, même dans
ses versions archaïsantes (et inexactes) de l'école Green.
Enjeux de la prononciation restituée
Les avantages, pour la déclamation parlée, sont assez
nombreux : réactiver certaines rimes, faire entendre la couleur
d'époque, favoriser une forme d'emphase qui permet à la voix de mieux
se placer (les fameuses courbes ascendantes qui caractérisent ce type
de déclamation), bref fournir un relief nouveau et des teintes oubliées
à un répertoire qui mérite d'être servi avec chaleur.
Je n'en suis donc surtout pas un détracteur – qu'elle soit exacte ou
non au demeurant.
Pour le chant, j'y vois en
revanche de grands obstacles… qui s'incarnent très bien dans cette
vidéo.
a) Le chant lyrique est déjà un
artifice. Faire chanter une langue que personne ne parle
entraîne une mise à distance supplémentaire, néfaste pour la
compréhension du public et pour la qualité du chant.
b) La tragédie en musique fonde sa force sur son lien très étroit entre texte et musique,
qui se nourrissent et se dynamisent l'un l'autre. En chantant dans une
langue étrange, distante, avec des accents diversement maîtrisés, on
diminue considérablement l'impact émotionnel propre au genre.
Si l'on veut vraiment rendre justice à l'esprit de ce qui s'entendait à
l'époque, il faut chanter dans la langue qui nous est proche, pas dans
celle que nous ne pratiquons plus. Bref, chercher non pas l'exactitude
de la restitution, mais la congruence de l'émotion reçue (ce qui reste
quand même un peu le but). On peut être conscient de cette
divergence de prononciation sans l'imposer à écouter à un public.
c) Faute de référentiel
(personne ne parle cette langue, les jeunes chanteurs sont contraints
d'inventer l'aperture exacte des voyelles), les interprètes (pas
seulement dans cette production) tendent
à trop couvrir,
c'est-à-dire à assombrir / fermer / boucher leurs voyelles, avec des
résultats opaques et finalement… tout à fait hors-style ! Les
jeunes femmes souffrent un peu dans cette production – certaines se
mettent même à chanter trop bas, et je soupçonne que ce serait assez
différent avec la liberté et la clarté du français prononcé à la
moderne / contemporaine.
d) Plus prosaïquement, même en se concentrant, on ne comprend ici que la moitié des
mots (ce n'est pas pareil dans toutes les productions, mais
véritablement un handicap ici). Et quand je le dis, c'est venant d'un
auditeur qui a écouté l'intégralité des tragédies en musique
disponibles… Donc un mélomane qui pratiquerait peu l'opéra serait sans
doute totalement perdu. Tellement dommage lorsqu'on dispose justement
de chanteurs aguerris à cette esthétique, et tous francophones !
L'émotion directe qu'on a gaspillée en vain sur une question de
principe !
Je comprends très bien l'enjeu de
former de jeunes chanteurs sur cette question, puisque certains
ensembles l'appliquent systématiquement. Et ce n'est pas absurde
partout – pour l'air de cour, le poème n'a pas tout à fait le même
enjeu d'intelligibilité directe, il est en général plus distendu, plus
atmosphérique, et la prononciation restituée peut se défendre. Mais
pour maintenir l'illusion théâtrale
avec ce qui sonne à nos oreilles comme de l'accent gascon imité par des
germains, bon courage.
Aussi, de grâce, épargnez-nous, dans les productions lyriques, cette
punition qui n'apporte vraiment rien aux auditeurs et compromet jusqu'à
la bonne tenue du chant !
Certains parviennent tout de même à limiter les dégâts, comme le Poème
Harmonique qui fait plutôt du très bon travail sur la question… mais la
perte de lien direct avec le texte reste très évidente. Et d'autres
ensembles font carrément un peu n'importe quoi, chacun adaptant comme
il le peut… En particulier difficiles pour les jeunes chanteurs qui
n'ont pas tout à fait fini d'équilibrer leur voix.
--
Voici pour ces impressions mêlées, malgré l'intense gratitude d'avoir
mené jusqu'au bout ce très beau projet de résurrection du dernier opéra
encore inconnu d'un compositeur majeur – on avait déjà monté Alcide,
le bijou Sémélé et
bien sûrAlcione –, le sentiment qu'un choix de
principe a grandement altéré l'ensemble du résultat artistique, malgré
l'enthousiasme et la qualité des forces mises en présence (quatre
théorbes, en plus !).
Je suppose peu de nouveautés le jour même de Noël, et elles sont
donc pour cette dernière bordée, vendredi dernier, quasiment à l'arrêt hors quelques millièmes réenregistrements beethoveniens.
Du fait de l'enfermement et du délai un peu plus long de publication, la liste est
devenue un peu épaisse. J'essaie de la subdiviser mais espère qu'elle
demeurera lisible (suivez le rouge pour les nouveautés, les 2 ou 3
cœurs pour les albums exceptionnels).
Du vert au violet, mes recommandations… en ce moment remplacées par des
♥.
♦ Vert : réussi ! ♥
♦ Bleu : jalon considérable. ♥♥
♦ Violet : écoute capitale. ♥♥♥
♦ Gris : pas convaincu. ♠
(Les disques sans indication particulière sont à mon sens de très bons
disques, simplement pas nécessairement prioritaires au sein de la
profusion de l'offre.)
En rouge, les nouveautés
2020 (et plus spécifiquement de l'automne).
Je laisse en noir les
autres disques découverts.
En gris, les réécoutes
de disques.
1.
OPÉRA
OPÉRA ITALIEN
♥♥ Monteverdi – Orfeo – Boden,
Pass à Amsterdam (YT)
♥♥♥ Rossi – Orfeo, acte I – Pichon
→ Tellement étonnant qu'en salle, Bridelli marque plus
qu'Aspromonte !
♥ Vivaldi – Farnace
« Gelido in ogni vena » – Maggio Musicale, Sardelli (Dynamic)
♥♥ Graun – Cleopatra e Cesare
(acte I) – Jacobs
Salieri
– Armida (air) – Rousset (Aparté 2021)
→ En avant-première en flux… Juste deux pistes, l'Ouverture et un air.
Jolie écriture dramatique. Évidemment loin du ravissement de ses opéras
français… ou même de ses délicieux bouffes – mais pour du seria,
on sent tout de même l'empreinte de Gluck et du goût français, ce qui
est un avantage pour garantir un peu de ma patience. Exécution pleine
d'ardeur des Talens Lyriques, tout de même bien hâte de découvrir cela
(à défaut d'avoir entendu le concert de mai).
Mozart
– Il Sogno di Scipione – Boncompagni, Fenice, Sardelli (Operavision
2020)
→ Mozart seria de jeunesse : statique et ennuyeux. Sardelli
apporte un peu de tranchant à l'orchestre de la Fenice, qui reste
toujours assez terne et à la peine, depuis tant d'années… (je ne l'ai
jamais entendu vraiment bon, je crois)
♥ Mozart – Le Nozze di Figaro
– McLaughlin, Mattila, Gallo, Pertusi ; Mehta (Sony)
→ Tradi un peu lisse, mais duo comtal chouette.
♥ Verdi – La Traviata,
« Fragment » (acte III jusqu'à Addio del passato) –
MusicAeterna, Currentzis
→ Tout à fait lunaire : récitatifs totalement étirés comme s'ils
étaient des airs en largo, voix artificiellement réverbérées et
gonflées, un délire très révélateur de sa conception purement musicale
(et narcissique…) de l'opéra.
→ Ce n'est pas moche du tout, mais ça ne ressemble plus à grand'chose,
en tout cas pas à un opéra de Verdi (mais j'aime assez).
→ Je ne comprends pas le quart d'heure (du moins bon passage de
l'opéra, en plus). Vendu en dématérialisé ? Teasing pour une intégrale qui
prend son temps ? Chute d'une intégrale
avortée mais monétisable ? « Single
long » ? Marché numérique ?
♥♥♥ Verdi – Simone Boccanegra – Homoki ;
Rowley, Jorijikia, Nicholas Brownlee, Gerhaher, Fischesser ;
Zürich, Luisi (Arte 2020)
→ Direction d'acteurs formidable, et l'usage de ce simple décor
tournant qui nous mène de coursive en antichambre… Homoki à un sommet
de maturité.
→ Orchestre mordant, N. Brownlee fabuleux. Rowley assez pharyngée mais
expressive comme une actrice au temps du Code Hays.
→ Très content d'entendre chanter Verdi comme Gerhaher.
♥ Verdi – Aida, début inédit de l'acte III
– Scala, Chailly (euroradio)
→ 100 mesures coupées avant la création. Moment suspendu de prières
douces aux registres étagés, très réussi, à comparer à l'ambiance du
temple avant « Nume custode e vindice ». Méritait d'être
entendu, et mériterait d'être systématiquement joué.
→ (en revanche, vocalement, quoique tout à fait honnête, ça laisse
vraiment entendre la crise du chant verdien – alors que dans les autres
répertoires, l'opéra se porte vraiment bien…)
♥♥ Verdi – Otello – Torsten
Ralf & Stella Roman - Dio ti giocondi (Met, 1946)
♥♥♥ Lully – Armide (actes I, III, IV &
V) – Rousset (Aparté)
♥♥ Mozart – La Flûte enchantée en français –
M. Vidal, Scoffoni, Lécroart, Lavoie ; Le Concert Spirituel, Niquet
(France 5)
→ Très vivante version raccourcie et en français, dans une distribution
française de très grand luxe.
Rossini – Le Barbier de Séville
(en français) – Berton, Giraudeau, Dens, Lovano, Depraz, Betti,
Pruvost ; Opéra-Comique, Gressier (EMI 1955)
♥♥Boïeldieu – La Dame Blanche – Jestaedt,
Buendia, Ratianarinaivo, Hyon, (Yannis) François, Les Siècles, Nicolas
Simon (France 3)
→ Les qualités de charisme vocal de Buendia et Ratia souffrent de la
retransmission (un peu proche des voix, on entend les aspérités, les
micro-défauts), mais quand on les connaît, on mesure le bonheur
incommensurable qu'aurait été cette série de représentations
itinérantes… Voix franches (superbe découverte de Yannis François
également, baryton-basse clair et avec de vrais graves riches !),
chaleur des instruments d'époque… La mise en scène n'est pas
passionnante, mais le bonbon est très apprécié !
♥♥ Offenbach – M. Choufleuri –
Mesplé, Rosenthal (EMI)
→ Avec des citations de Nonnes qui
reposez, de bouts de Verdi, thème du premier numéro du
Freischütz…
♥♥ Offenbach – Ba-ta-clan –
avec Corazza
→ Très bonne musique, même si d'une certaine façon sans texte !
♥♥♥ Bizet – Carmen – Angelici, Michel,
Jobin, Dens ; Opéra-Comique, Cluytens (réédition The Art Of
Singing 2014)
♥♥♥ Bizet – Carmen – Horne, McCracken
Bernstein (DGG)
OPÉRA ALLEMAND
Mozart – Zauberflöte – Della
Casa, Simoneau, Berry ; Opéra de Vienne, Szell
→ Orchestre très imprécis et hésitant, peu frémissant. Della Casa un
peu surdimensionnée dans le legato. Berry alors très clair.
♥♥♥ Wagner – Lohengrin – Bieito ;
Miknevičiute, Gubanova, Alagna, Gantner, Pape, Berliner Staatsoper,
Pintscher (Arte Concert)
→ Splendide orchestre et chœurs (et surpris par le lyrisme et la
tension de Pintscher dont j'avais un très mauvais souvenir dans le
« grand répertoire »), splendide distribution.
→ J'attendais évidemment Martin Gantner, l'une des voix les mieux
projetées du marché (ça paraît nasal et étroit en captation, mais en
salle, c'est une proximité et d'une expressivité miraculeuses).
Telramund pas du tout noir, très clair et concentré, très convaincant
dans un genre absolument pas canonique.
→ Roberto Alagna chante un allemand de grande qualité ; toutes les
voyelles sont un peu trop ouvertes, mais ceci va de pair avec la clarté
caractéristique de son timbre et la générosité jamais en défaut de son
médium. Un régal de bout en bout, élocution limpide et splendeur
vocale. Le second tableau de l'acte iII le voit se fatiguer, et les
aigus deviennent vraiment blancs et métalliques, le médium un peu plus
aigre. Tout le reste se montre à la fois original et très marquant.
→ La mise en scène de Bieito m'a paru laide, sans propos clair ni
animation scénique, sans cohérence psychologique ni lien avec le sujet.
Sans parler de son tic de faire trembler ses personnages pendant vingt
minutes , récupéré de la pire idée de son Boccanegra… Dire que ce fut
un si grand metteur en scène… Trop d'engagements. Trop d'empâtement.
♥ Wagner – Götterdämmerung, Janowski
I : prologue.
→ assez scolairement égrené, mais super prise de son. chanteurs
valeureux mais déjà un côté « déclin ».
Schoeck – Vom Fischer un syner
Fru, Op. 43 – Harnisch, Dürmüller, Shanaham , Winterthur, Venzago
(Claves 2018)
Harnisch en-dessous de ses standards, Dürmüller un peu dépassé, Venzago
un peu froid, version décevante d'une œuvre qui a déjà bien moins de
saillances que le Schoeck habituel (son principal intérêt étant d'être
composée directement sur le vieux dialecte allemand).La version
Kempe-Nimsgern est à privilégier.
♥♥ Schoeck – Massimilia Doni –
Edith Mathis, G. Albrecht
→ Décadentisme consonant dans le goût de Venus et Das Schloß Dürande, en plus lyrique
et plus basiquement dramatique, comme mâtiné de Verdi.
♥ Dusapin – Faustus – Nigl
(extrait)
OPÉRAS D'AUTRES LANGUES
♥♥ Mozart & Minna Lindgren – Covid
fan tutte – Mattila, Hakkala, Opéra de Helsinki, Salonen (Operavision
2020)
→ Così (plus Prélude de Walküre et air du Catalogue) en très condensé
(1h30), sur un texte finnois inspiré de nos mésaventures pandémiques.
Point de départ dramaturgique : Salonen vient diriger la Walkyrie
et la
situation sanitaire impose le changement de programme.
→ Tout y passe : les opinions rassurantes ou cataclysmiques, les
avis
contradictoires, les (inter)minables visios, la détresse de la mauvaise
cuisinière, la doctrine des masques, les artistes désœuvrés… Parfois
avec beaucoup d'esprit (« Bella vita militar » pour la
mission papier
hygiénique), par moment de façon confuse ou un peu plate (la vie des
sopranos).
→ Les récitatifs sont changés en dialogues menés par « l'interface
utilisateur », sorte de directrice de la communication hors sol.
→ Hakkala (Alfonso) fantastique, Mattila remarquablement sa propre
caricature, avec toujours un sacré brin de voix (les poitrinés rauques
en sus).
→ Globalement, un jalon de notre histoire s'est écrit – on aurait pu
creuser davantage quelque chose de cohérent, avec les mêmes éléments,
ménager une arche qui soit un peu moins une suite de moments
dépareillés… Pour autant, le résultat est la plupart du temps très
amusant, et marquera le souvenir artistique de la Grande Pandémie des
années 2020 pour les archéologues du futur – du moins si notre éphémère
technologie numérique n'a pas tout laissé disparaître…
Moniuszko – Halka – Paweł Passini ;
Mych-Nowika, Piotr Fiebe, Golinski ; Poznan, Gabriel Chmura
(Operavision 2020)
→ Pas fabuleux vocalement (aigus blancs de la soprano et du ténor, bon
baryton). Superbes scènes de ténor, mais œuvre vraiment ennuyeuse
dramatiquement : Halka reste debout trahie, son comparse le lui
explique longuement, et c'est l'essentiel, malgré le terrible condensé
de tragédie contenu dans la pièce.
→ Musicalement peu fulgurant aussi, quoique moins gentillet que le
Manoir hanté.
♥♥ Hatze – Adel i Mara –
Zagreb 2009 (YT)
Britten – A Midsummer Night's Dream – M.-A.
Henry, Montpellier (Operavision 2020)
→ Belle version d'une œuvre aux belles intuitions mais qui patine un
peu, à mon sens, dans le formalisme de ses duos et ensembles intérieurs
(livret très bavard, également).
2. MUSIQUE
DE SCÈNE / BALLETS
Marais – Suites à joüer d'Alcione –
Savall (Alia Vox)
→ Bien mieux que le concert. (Mais ces suites ont-elle un grand intérêt
isolées?)
♥♥♥ Rameau – Hippolyte (Prélude du III) dans
« Tragédiennes » #1 – Talens, Rousset
Piron – Vasta – Almazis
(Maguelone 2020)
→ Pas très séduit, ni par le texte (vraiment plat, comparé aux pièces
grivoises de Grandval qui m'amusent assez), ni par les musiques (pas
passionnantes, et textes assez pesants aussi).
→ Musicalement, pas séduit non plus par les timbres instrumentaux.
Dommage, c'était très intriguant.
→ Il existe une lecture très vivante de la Comtesse d'Olonne de
Grandval en complément d'un disque de ses cantates, je recommande
plutôt cela pour se frotter à ce type de théâtre leste.
♥Cannabich – Electra – Hofkapelle Stuttgart,
Bernius (Hänssler 2020)
→ Mélodrame dans le style classique, très réussi et ici très bien joué
et dit (par Sigrun Bornträger).
♥ Wagner – Die Meistersinger, ouverture –
Vienne, Solti
♥ Tchaikovsky – The
Tempest, Op. 18 – Orchestra of St. Luke's; Heras-Casado (HM 2016)
♥♥ Humperdinck – « Music for the Stage
» : Das Wunder, Kevlar, Lysistrata… – Opéra de Malmö, Dario Salvi
(Naxos)
→ Très belle sélection de scènes d'opéras et autres œuvres dramatiques,
variées, pleines de la naïveté et de l'emphase pleine de simplicité
propres à Humperdinck. Extrêmement persuasif, délicieux, très bien
joué. Hâte de découvrir ces œuvres intégrales désormais, une très belle
ouverture vers cet univers encore chichement documenté ! (Et la
générosité accessible de cette musique plairait à un vaste public, a fortiori en Allemagne dont
l'imaginaire populaire est une référence récurrente…)
3. RÉCITALS VOCAUX
Haendel,
Vivaldi… – « Queen
of Baroque » – Cecilia Bartoli (Decca 2020)
→ Pot-pourri de différents disques. Très bons, mais autant profiter des
programmes cohérents. Si jamais vous voulez comparer les orchestres et
les répertoires, pourquoi pas.
♥ Salieri, Strictly private, Heidelberg SO
(Hänssler)
→ Lecture nerveuse d'airs et duos très spirituels, qui évoquent les Da
Ponte mozartiens, un délice.
♥ Rossini – « Amici e Rivali » –
Brownlee, Spyres, I Virtuosi Italiani, Corrado Rovaris (Erato 2020)
→ Impressionnant Spyres en baryton et bien sûr en ténor (même si le
coach d'italien devait être covidé, à en juger par certains titres).
Brownlee a perdu de son insolence, mais pas de sa clarté et de son
moelleux.
Superbe attelage, pour un répertoire purement glottique qui n'a pas
forcément ma prédilection d'ordinaire, accompagné par un orchestre très
fin (instruments d'époque ?) et discret, petit effectif, cordes sans
vibrato.
Gounod,
Bizet, Tchaïkovski, Puccini – « Hymnes of Love » –
Dmytro Popov
→ Pas fini, ça a l'air bien. Mais la rondeur de la voix est davantage
conçue pour le répertoire slave que pour l'éclat des spinti.
Massenet par ses créateurs (Malibran
2020)
→ Scindia par Jean Lasalle
→ Salomé par Emma Calvé
(ouille)
4. MUSIQUE SACRÉE
Un
disque mystérieux (Aparté 2021)…
… de cantates luthériennes du Schleswig, totalement inédites – pour
lesquelles je viens d'écrire une notice le nez plongé dans des
interpolations vétérotestamentaires tirées de la Bible de Luther, et
qui devraient paraître en fin d'année prochaine. (Avec des textes
d'époque très
denses, des chanteurs très éloquents et un continuo imaginatif, pour ne
rien gâcher.)
Pfleger – Cantates sacrées en
latin & allemand – Bremen Weser-Renaissance, Cordes) (CPO)
→ Splendide ! Entre Monteverdi et Bach, un côté très Steffani…
Airs quasiment tous à deux voix !
♥♥♥ Steffani – Duetti di camera – Mazzucato,
Watkinson, Esswood, Elwes, Curtis… (Archiv)
♥ Legrenzi – Compiete con le
letanie e antifone della Beata Vergine – Nova Ars Cantandi, Giovanni
Acciai (Naxos 2020)
→ Un des plus grands compositeurs du XVIIe siècle, Legrenzi excelle
dans toutes formes d'audace, un contrepoint riche et libre, une
harmonie mouvante, une agilité qui préfigure le seria du XVIIIe siècle…
→ Première gravure discographique de ces Complies Op. 7, la dernière
prière du jour. Superbes voix franches et articulées… sauf le soprano
masculin, très engorgé, vacillant, inintelligible, qui tranche
totalement avec le reste et distrait assez désagréablement. Étant la
partie la plus exposée, le plaisir est hélas un peu gâché.
Bach – Cantates format chambre
– Nigl
Haendel – Dixit Dominus –
Scholars Baroque (Naxos)
→ Première fois cette version en entier. Génial 1PP.
du baroque à Satie – « War
& Peace, 1618-1918 » – Lautten Compagney (DHM 2018)
→ Amusant mélange (avec la Gnossienne n°3 revisitée par cet ensemble
baroque), plaisant et bien interprété (avec une soprano au fort accent
britannique).
♥ Pergolesi – Stabat Mater –
Galli, Richardot ; Silete venti, Toni (La Bottega Discantica, 2016)
♥♥♥
Borodine
– Requiem (arr. Stokowski) – BBC Symphony Chorus, Philharmonia
Orchestra, Geoffrey Simon (Signum 2020, réédition)
→ Cinq minutes de paraphrase sur le thème grégorien, avec des harmonies
typiques de l'avant-garde russe du second XIXe. Les doublures pizz-bois
alla Godounov sont incroyables !
+ Suite Prince Igor, Petite Suite…
5. CONCERTOS
♥Rejcha
– Symphonies concertantes flûte-violon, puis 2 violoncelles –
Kossenko, Stranossian, Coin, Melknonyan ; Gli Angeli Genève,
MacLeod (Claves 2020)
→ Flûte-violon : aimable. Entre le son un peu aigrelet des solos
sur instruments d'époque (pas faute d'aimer ces quatre artistes
pourtant) et la progression harmonique très traditionnelle, les
mélodies vraiment banales, je n'y trouve pas le grand Rejcha que
j'aime. Joli mouvement lent tout de, qui débute par violon et flûte
seuls.
→ La symphonie à deux violoncelles est bien plus intéressante, en
particulier le premier mouvement inhabituellement varié (dont le
premier fragment thématique est similaire à celui de Credeasi misera)
et le final assez foisonnant. Mais pour cette œuvre, le disque
Goebel-WDR (aux couplages passionnants) de cette même année 2020
m'avait davantage convaincu.
B. Romberg – Cello Concertos
Nos. 1 and 5 (Melkonyan, Kölner Akademie, Willens) (CPO 2016)
→ Décevant, du gentil concerto décoratif et virtuose, rien à voir avec
ses duos de violoncelle, très musicaux et variés !
Lalo, Ravel
– Symphonie espagnole ; La Valse, Tzigane & Bolero – Deborah
Nemtanu, Pierre Cussac, La Symphonie de Poche, Nicolas Simon (Pavane
2017)
→ Sympathique, mais la partie concertante et le mixage permettent moins
d'apprécier l'exercice que dans le disque Beethoven.
♥ Elgar – Concerto pour violoncelle –
Johannes Moser, Suisse Romande, Manze (PentaTone 2020)
→ Très sérieux et dense, nullement sirupeux, avec un orchestre à la
belle finesse de touche, qui fait entendre le contrechant avec netteté.
→ Parution du seul concerto, uniquement en numérique (avant un futur
couplage en disque physique ?).
♥♥♥ Schmidt, Stephan – Symphonie n°4,
Musique pour violon & orchestre – Berlin PO, K. Petrenko (Berliner
Philharmoniker 2020)
→ Interprétations très fluides et cursives, dans la veine transparente
du nouveau Berlin issu de Rattle, vision assez lumineuse de ces œuvres
à la taciturnité tourmentée.
Hisatada Otaka : Concerto
pour flûte (version orchestre) – Cheryl Lim, Asian Cultural SO, Adrian
Chiang (YT 2018)
→ Décevante orchestration : les harmonies sont noyées dans des
jeux de cordes très traditionnels (et un peu mous), on perd beaucoup de
la saveur de la verison Op.30b avec accompagnement de piano, à mon
sens.
♥♥ Mossolov, Concerto pour harpe, Symphonie n°5
– Moscou SO (Naxos)
→ Très festif, très décoratif, très « Noël », cet étonnant
concerto
pour harpe que je n'aurais jamais imaginé une seconde attribuer à
Mossolov !
→ Dans la Symphonie, on entend surtout des chants populaires traités en
grands accords. Joli, mais pas très fulgurant par rapport à sa période
futuriste.
♠ Lubor Barta – Concerto pour violon n°2 1969 – Ivan Straus, Otakar
Trhlik (1969)
6. SYMPHONIES & POÈMES
ORCHESTRAUX
SYMPHONISTES
GERMANIQUES
♥♥Beethoven / Robin Melchior – « Beethoven, si tu nous
entends » – La Symphonie de Poche, Nicolas Simon (Klarthe 2020)
→ Jubilatoire blind-test pot-pourri dont les développements sont (très
bien !) récrits. Le tout étant joué pour quatuor, contrebasse,
flûte,
clarinette, clarinette basse, saxhhorn baryton, accordéon, harpe et
percussions… !
→ Il m'a fallu quelques secondes pour retrouver le fantastique
mouvement lent du Concerto n°5 ainsi transfiguré… dont la cadence de
harpe débouche sur les pointés du mouvement lent de la Quatrième
Symphonie ! Mazette.
→ Ou encore la fin sur une boucle minimaliste autour du thème de l'Ode
à la Joie.
→ Par des musiciens de très très haute volée, la densité sonore et
l'engagement individuel comme collectifs sont exceptionnels.
→ La fièvre de la nouveauté s'empare de nous en réécoutant Beethoven
pour la millième fois.
♥ Haydn – les Symphonies Parisiennes –
Orchestre de Chambre de Paris, Boyd (NoMadMusic 2020)
→ Petite frustration en première écoute : attentivement, j'y
retrouve tout l'esprit (quel sens de la structure !) de cette
association formidable, mille fois admirée en concert… Mais à l'écoute
globale, j'entends plutôt l'épaisseur des timbres d'instruments
modernes, comme une petite inertie – alors qu'ils jouent sans vibrato,
et pas du tout selon le style tradi !
→ Quelque chose s'est perdu via le micro, la prise de son, l'ambiance
du studio… Pincement au cœur, je les adore en concert, mais à côté des
nombreuses autres propositions discographiques
« musicologiques », ce n'est pas un premier choix.
♥ A. Romberg – Symphony No.
4, "Alla turca" – Collegium Musicum Basel, K. Griffiths (CPO 2018)
♥♥♥ B. Romberg – Symphonies
Nos. 2 and 3 / Trauer-Symphonie (Kolner Akademie, Willens) (Ars
Produktion 2007)
→ Symphonies contemporaines de Beethoven (1811, 1813, 1830), qui en
partagent les qualités motoriques et quelques principes d'orchestration
(ballet des violoncelles, traitement thématique et en bloc de la petite
harmonie, sonneries de cor qui excèdent Gluck et renvoient plutôt à la
7e…).
→ Je n'avais encore jamais entendu de symphonies de l'époque de
Beethoven qui puissent lui être comparées, dans le style (et bien sûr
dans l'aboutissement). En voici – en particulier la Troisième,
suffocante de beethovenisme du meilleur aloi !
Brahms – Symphonies –
Pittsburgh SO, Janowski (PentaTone 2020)
→ Très tradi, sans doute impressionnant en vrai connaissant l'orchestre
et le chef, mais pas très prenant au disque par rapport à la pléthore
et à l'animation enthousiasmante des grandes versions. Assez massif,
peu contrasté et coloré, pas très convaincu (vu l'offre) même si tout
reste cohérent structurellement et inattaquable techniquement.
→ Tout de même très impressionné par la virtuosité de
l'orchestre : rarement entendu des traits de violon aussi fluides,
les cuivres sont glorieux, la flûte singulièrement déchirante…
♥ Brahms – Symphonie n°3,
lieder de Schubert orchestrés, Rhapsodies hongroises, Rhapsodie pour
alto – Larsson, Johnson, SwChbO, Dausgaard (BIS)
Mahler – Totenfeier – ONDIF,
Sinaisky (ONDIF live)
→ Cet entrain, ces cordes graves !
♥ Nielsen – Symphonie n°1 – LSO, Ole Schmidt
(alto)
→ Très énergique, mais trait gras.
♥ Nielsen – Symphonie n°1 – LSO, C. Davis
(LSO Live)
♥♥ Nielsen – Symphonie n°1 – BBC Scottish SO,
Vänskä (BIS)
♥♥♥ Nielsen – Symphonies n°1,2,3,4,5,6 –
Stockholm RPO, Oramo (BIS)
→ Lyrisme, énergie mordante, couleurs, aération de la prise… une
merveille, qui magnifie tout particulièrement la difficile Sixième
Symphonie !
♥ Mahler – Symphonie n°5 – Boulez Vienne
(DGG)
→ Un peu terne et mou, du moins capté ainsi.
♥♥♥ Schmidt – Symphonies – Frankfurt RSO,
Paavo Järvi (DGG)
→ Au sein de ce corpus extraordinaire, voire majeur, le plaisir
d'entendre une version qui s'impose d'emblée comme colorée,
frémissante, captée avec profondeur et détails, par un orchestre de
première classe, et surtout articulée avec ce sens incroyable des
transitions qui caractérise l'art de Järvi. Chacune des symphonies en
sort grandie. Indispensable.
♥♥♥ Graener – Variations orchestrales sur «
Prinz Eugen » – Philharmonique de la Radio de Hanovre, W.A. Albert
(CPO 2013) → On ne fait pas plus roboratif… mon bonbon privilégié
depuis deux ans que je l'ai découvert par hasard, en remontant le fil
depuis le dernier volume de la grande série CPO autour du compositeur
(concertos par ailleurs tout à fait personnels et réussis).
SYMPHONISTES SLAVES
Tchaïkovski – Symphonie n°5, Francesca da
Rimini – Tonhalle Zürich, Paavo Järvi (Alpha 2020)
→ Ébloui en salle par le génial sens des transitions organiques de
Järvi, où chaque thème semblait se verser dans l'autre (avec
l'Orchestre de Paris), je le trouve ici plus corseté, plus raide. Je ne
sais quelle est la part de la différence de culture des orchestres
(Zürich a toujours eu un maintien assez ferme) et d'écoute un peu
distraite au disque au lieu de l'attention indivisée en salle sur tous
les détails splendides. Peut-être la prise de son un peu lointaine et
mate, aussi ? Mais ce fonctionnait très bien avec les Mahler
de Bloch…
→ Très belle lecture pas du tout expansive, très sobre et détaillée, en
tout état de cause.
→ Francesca da Rimini confirme cette impression d'interprétation très
carrée – on y entend encore l'orchestre de Bringuier !
♥♥ Borodine – Symphonie n°1 – URSS SO,
Svetlanov
→ Là aussi, des thèmes populaires, quoique plus tourmentés. Pas très
développé mais grand caractère.
→ bissé
♥♥ Balakirev, Kalinnikov – Symphonies
n°1 – Moscou PO, Kondrachine (Melodiya)
→ Foisonnement de thèmes folkloriques ! Interprétation pas
si typée…
♥♥ Kalinnikov – Cedar and Palm - Bylina
- Intermezzos - Serenade & Nymphs –
The Ussr Symphony Orchestra, Evgeniy Svetlanov, (Svetlanov 1988)
♥♥ Novák – Suite de la Bohême méridionale +
Toman & la Nymphe des Bois – Moravian PO Olomouc, Marek Štilec
(Naxos 2020)
→ Généreux slavisme qui a entendu Wagner. Le grand poème Toman de 25 minutes est une très
belle réussite, qui culmine dans des élans richardstraussiens
irrésistibles.
→ Bissé.
♥ Vladigerov – Symphonies 1 & 2 – Radio de
Bulgarie, Vladigerov (Capriccio)
→ Le partenariat Capriccio avec les Bulgares se poursuit !
J'avais beaucoup aimé ses concertos pour piano…
♥♥ Scott – Symphonie n°3 « The
Muses » – BBCPO, Brabbins (Chandos)
→ Debussyste en diable (le chœur de Sirènes…), de bout en bout, et très
beau.
+ Neptune
→ Très debussyste aussi, remarquablement riche (un côté Daphnis moins
contemplatif et plus tendu). Splendide.
♥ Scott – Symphonie n°4
– BBCPO, Brabbins (Chandos)
Kinsella – Symphonies Nos. 3
and 4 – Ireland NSO, Duinn (Marco Polo 1997)
→ étagements brucknériens à certains endroits.
♥♥ Kinsella :
Symphony No. 5, "The 1916 Poets":
– Bill Golding, Gerard O'Connor, ; Ireland RTÉ National Symphony
Orchestra; Colman Pearce
Symphony No. 10 – Irish ChbO, Gábor
Takács-Nagy (Toccata Classics)
→ n°5 : avec basse et partie déclamée. Très vivant.
→ n°10 : Néoclassicisme avec
pizz et percussions prédominantes, très dansant. Vrai caractère, très
beaux mouvements mélodiques ni sirupeux ni cabossés.
Hisatada Otaka – Suite
japonaise (1936, orch. 1938) – Shigenobu Yamaoka
→ Orchestration de la suite piano.
Hisatada Otaka – Midare
pour orchestre – NHK, Niklaus Aeschbacher (1956)
→ Un peu néo, du xylophone, du romantique un peu univoque, avec un côté
mauvaise imitation occidentale du japin, à la fin de la pièce. Mitigé.
♠Akira Ifukube -
Symphonie concertante avec piano (1941) –Izumi Tateno, Japon PO,
Naoto Otomo
→ Du planant sirupeux fade, pas trop mon univers.
Akira Ifukube – Ballata
Sinfonica (1943) – Tokyo SO, Kazuo Yamada (1962)
→ Entre Turandot et l'Oiseau de feu, en plus simple (tire sur Orff).
→ (bissé par curiosité trois jours plus tard)
♥♥ Yasushi Akutagawa – Prima Sinfonia 1955 –
Tokyo SO, Akutagawa
→ Étonnant, et très riche, pas du tout sirupeux (pas mal de Mahler et
de Proko, mais dans un assortiment personnel). J'aime beaucoup.
→ Pas du tout dans le genre du symphonisme japonais post-debussyste ou,
horresco referens, post-chopinien.
7. MUSIQUE DE CHAMBRE
SONATES
♥♥♥ J. & H. Eccles, Matteis, Daniel Purcell – « The Mad Lover » –
Langlois de Swarte, Dunford (HM 2020)
→ Les Matteis et (Henry) Eccles sont fulgurants ! Quelle musique
rare, sophistiquée et jubilatoire ! Dunford improvise avec une richesse
inouïe et la musicalité de Swarte emporte tout.
♥ Rossini, Castelnuovo-Tedesco… –
« Rossiniana » (pour violoncelle & piano) – Elena
Antongirolami (Dynamic 2020)
→ Toutes sortes de variations & paraphrases, très sympa.
♠Mendelssohn – Les 3 Sonates violon-piano –
Shlomo Mintz, Roberto Prosseda (Decca 2020)
→ Violon très baveux, dont le timbre s'altère au fil des phrasés, je
n'aime pas du tout. Et conception générale assez figée… voyage dans le
passé (et pas forcément chez les meilleurs). Pas du tout aimé.
♥♥♥ Gédalge,
Marsick, Enescu – Sonate
violon-piano n°1 / Poème d'été / Sonates 1 & 2 – Julien Szulman,
Pierre-Yves Hodique
→ Œuvres très rares, incluant celles des professeurs d'Enescu, lui
dédiant leurs nouvelles œuvres alors qu'il n'a que seize
ans !
→ Martin-Pierre Marsick, son professeur de violon, écrit clairement de
la « musique d'instrument ».
→ En revanche André Gedalge, assistant (et véritable professeur
officieux) de la classe de composition de Massenet puis Fauré, nous
livre un vrai bijou, écrit dans une veine mélodique un peu convenue,
mais où tout effet est pesé – et pèse –, avec un sens de la structure
remarquable (quels développements !). La superposition en décalé des
thèmes, dans le faux scherzo, est un coup de maître assurément.
→ Pas très séduit par la Sonate n°2 d'Enescu : trop de complexités, une
expression contournée qui déborde de partout dans l'harmonie
ultra-enharmonique, le rythme (premier mouvement en 9/4, à quoi bon),
sa fin nue anticlimactique. Plus de complexité pour moins d'effet…
→ Car la n°1, au contraire (à 16 ans !) manifeste une générosité
mélodique et un lyrisme très emportés, certes pas du tout subversifs,
mais focalisés dans une forme maîtrisée qui en accentue le caractère
profusif, jusqu'aux bouts de contrepoint du final !
→ Interprètes de premier choix (Julien Szulman, qui finit une thèse sur
Enescu au CNSM, vient d'être nommé violon solo au Philharmonique de
Radio-France), avec un violon au son assez international, dense, d'une
virtuosité immaculée et chaleureuse, sise sur la musicalité attentive,
exacte et subtile de Pierre-Yves Hodique.
♥ Dupuis – Sonate
violon-piano – Prouvost, Reyes (En Phases)
♥ Hisatada Otaka – Concerto
pour flûte version avec piano – Miki Yanagida, Takenori Kawai (YT 2016)
→ Captation sèche qui ne fait pas épanouir toute la poésie de la pièce.
Mais plus convaincant qu'à l'orchestre, clairement, avec ses très
belles couleurs debussystes.
DUOS
♥♥ Rameau – Suites à deux clavecins tirées
des Indes, Zoroastre… – Hantaï, Sempé (Mirare)
♥♥ A. Romberg & B. Romberg – Duos for violin and
cello – Barnabás Kelemen, Kousay Kadduri (Hungaroton 2002)
→ Interprétation très tradi, pas très exaltante, de ces duos
remarquablement écrits, quoique moins fascinants que ceux pour
violoncelle.
→ Les variations finales du troisième duo Op.1 sont écrites sur le
premier air d'Osmin de l'Enlèvement au Sérail !
→ Quant au premier duo d'Andreas Romberg, il se fonde sur « Se
vuol ballare » des Noces de Figaro ; le second, sur
« Bei Männerm », le duo Pamina-Papageno…
A. Romberg & B. Romberg – Duo for Violin and
Cello in E Minor, Op. 3, No. 3 – Duo Tartini (Muso 2019)
♥ Wagner – Götterdämmerung
final par Tal & Groethuysen sur deux pianos (Sony)
→ Chouette initiative, mais manque un peu de fièvre.
♥Fauré, Widor, Dupré, D. Roth,
Falcinelli, Mathieu Guillou, J.-B. Robin
– « L'Orgue chambriste, du salon à la salle de concert »
–Thibaut
Reznicek, Quentin Guérillot (Initiale 2020)
→ Beau programme (en particulier Roth, intéressé aussi par l'inattendue
Sonate de Dupré), beau projet, où je découvre un violoncelliste au
grain extraordinaire, Thibaut Reznicek, sacré charisme sonore !
Hisatada Otaka – Midare
capriccio pour deux pianos – Shoko Kawasaki, Jakub Cizmarović (YT 2015)
TRIOS
Beethoven – Trios Op.1 n°3 et Op.11,
arrangement anonyme pour hautbois, basson et piano – Trio Cremeloque
(Naxos, octobre 2019)
→ On perd clairement en conduite des lignes et en nuances, avec les
bois. Mais très agréable de changer d'atmosphère.
♥♥ B. Romberg: 3 Trios,
Op. 38: – Dzwiza, Gerhard; Fukai, Hirofumi; Stoppel, Klaus
(Christophorus 2007)
→ Étonnant effet symphonique de ces trois cordes graves !
♥Tchaïkovski-Goedicke
– Les Saisons – Varupenne, Trio Zadig (Fuga Libera 2020)
→ La redistribution de la matière pour piano seul à trois instruments
(dont le piano…) n'est pas la chose la plus exaltante du monde
(mélodies au violon, piano simplifié…), mais c'est une occasion
d'entendre un des meilleurs trios de l'histoire de l'enregistrement
dans un répertoire qu'ils servent merveilleusement – hâte qu'ils
gravent le Trio de Tchaïkovski, qu'ils jouent mieux que personne.
→ Et en effet, (Ian) Barber particulièrement en forme, Borgolotto
toujours d'une présence sonore impérieuse, Girard-García un peu
sous-servi par l'encloisonnement dans un disque, mais on sent toute son
élégance néanmoins. D'immenses musiciens à l'œuvre, on l'entend.
Saint-Saëns – Violin Sonata No. 1, Cello Sonata
No. 1 & Piano Trio No. 2 – Capuçon, Moreau, Chamayou (Erato 2020)
→ Surtout impressionné par le grain et la présence de Moreau,
saisissants. Le son très rond / vibré de Capuçon convient un peu moins
bien à Saint-Saëns (surtout la Sonate) qu'aux Brahms et Fauré où il a
fait merveille avec sa bande !
♥♥ Magnard – Piano Trio in F
Minor / Violin Sonata in G Major – Laurenceau, Hornung, Triendl
(CPO)
→ Merveille, et à quel niveau ! (lyrisme de Laurenceau, et
comme Hornung rugit !)
♥♥♥ Clarke – 3 Mvts for 2
violins
& piano / Sonates violon-piano : en ré, fragments en
sol / Trio
Dumka / Quatuor– Lorraine McAslan, Flesch SQ, David Juriz, Michael
Ponder, Ian Jones… (Dutton Epoch 2003)
→ Le trio à deux violons et surtout la Sonate en ré sont des sommets de
la musique de chambre mondiale, d'une générosité incroyable, et sises
sur une très belle recherche harmonique qui doit tout à l'école
française.
♥♥ Graener – Trios avec piano
– Hyperion Trio (CPO 2011)
→ Lyrique et simple pour la musique aussi tardive, ce fait
remarquablement mouche ! (Plus proche de Taneïev que des
décadents allemands.)
QUATUORS À CORDES
♥ Beethoven, Quatuor n°1 / Bridge, Novelettes / Chin, Parametastrings – « To Be
Loved » – Esmé SQ (Alpha)
→ Très vivante version de l'excellent n°1 (enfin, dans l'ordre
d'édition) de Beethoven. (Testées en salle : énergie folle dans le
n°11.)
→ Pépiements sympas de Chin.
♥♥♥ Beethoven, Quatuor n°4, Orford SQ
(Delos)
→ Pas très tendu, mais remarquablement articulé !
+ Quatuor n°15 : là aussi pas un sommet émotionnel, mais j'aime
beaucoup certe individualisation extrême des voix !
♥♥ Arriaga – Quatuors – La
Ritirata (Glossa 2014)
→ Très belle lecture sur instruments anciens. Reste un corpus bien plus
mineur que ses œuvres orchestrales, d'un jeune romantisme encore assez
poliment classique.
→ Le rare Tema variado en cuarteto est en revanche une petite
merveille !
♥♥ Weigl String Quartet No. 3
// Berg Op.3 – Artis SQ (Orfeo)
→ Richesse et véhémence remarquables de ce corpus sans comparaison avec
les pâles symphonies ! Parmi les très grands quatuors du
premier XXe siècle.
→ Le Berg est vraiment très beau, d'une tonalité tourmentée.
Weigl – 5 Lieder pour soprano & quatuor Op.44, Quatuor n°5 –
Patricia Brooks, Iowa SQ (NWCRI 2010)
→ Son ancien.
♥♥ Weigl –String Quartets Nos. 1 and 5 (Artis
Quartet) (Nimbus)
→ Richesse et véhémence remarquables de ce corpus sans comparaison avec
les pâles symphonies ! Parmi les très grands quatuors du
premier XXe siècle.
♥♥ Weigl – String Quartets Nos. 7 & 8 –
Thomas Christian Ensemble (CPO 2017, parution en dématérialisé le 3
juillet 2020)
→ Weigl est donc un grand compositeur… mais certainement pas de
symphonies ! Ces quatuors, plus sombres, mieux bâtis, d'une
veine mélodique très supérieure et d'une belle recherche harmonique,
s'inscrivent dans la veine d'un postromantisme dense, sombre, au
lyrisme intense mais farouche, à l'harmonie mouvante et expressive. Des
bijoux qui contredisent totalement ses jolies symphonies toutes fades.
(On peut songer en bien des endroits au jeune Schönberg, à d'autres à
un authentique postromantisme limpide mais sans platitude.)
→ Aspect original, le spectre général est assez décalé vers
l'aigu : peu de lignes de basses graves, et les frottements
harmoniques eux-mêmes sont très audibles aux violons, assez haut. avec
pour résultat un aspect suspendu (le Quatuor de Barber dans le goût des
décadents autrichiens…) qui n'est pas si habituel dans ce répertoire.
♥♥ Weingartner – Quatuor n°5, Quintette à cordes
– Sarastro SQ, Petra Vahle (CPO)
→ Rien trouvé de très saillant, à réessayer encore ?
→ trissé. toujours rien.
♥♥♥ Hahn – Quatuors à cordes, Quintette
piano-cordes – Tchalik SQ, Dania Tchalik (Alkonost 2020)
→ Encore un coup de maître pour l'élargissement répertoire avec le
Quatuor Tchalik ! La sophistication souriante de la musique
de chambre de Hahn, où le compositeur a clairement laissé le meilleur
de sa production (particulièrement dans ces œuvres, ainsi que dans le
Quatuor piano-cordes qui manque ici), se trouve servie avec une ardeur
communicative.
→ Le déséquilibre antérieurement noté entre violon I & violoncelle
très solistes d'une part (les frères), petite harmonie très discrète
d'autre part (les sœurs) s'estompe au fil des années vers un équilibre
de plus en plus convaincant. Et toujours cette prise de risque
maximale, au mépris des dangers.
→ Grandes œuvres serives de façon très différente des
Parisii :(qui étaient plus étales et contemplatifs, plus voilés,
moins solistes, très réussis aussi).
→ Saint-Saëns, Hahn, Escaich… en voilà qui ne perdent pas leur temps à
rabâcher le tout-venant ! (Merci.)
→ Bissé.
♥ Novák – Quatuor n°3 – Novák
SQ (SWR Classic Archive, parution 2017)
→ Très folklorisant et en même temps pas mal de sorties de route
harmoniques, sorte de Bartók gentil. On sent la préoccupation commune
du temps.
♥♥♥ Scott – Quatuors 1,2,4 – Archeus SQ
(Dutton Epoch 2019)
→ Très marqués par l'empreinte française (on y entend beaucoup Debussy,
le Ravel de Daphnis également), des bijoux pudiques, d'une
sophistication discrète et avenante. Un régal absolu !
♥ Ritter – Quatuors avec
basson – Paolo Cartini, Virtuosi Italiani (Naxos 2007)
→ Très joliment mélodique. Moins riche et virtuose que Michl.
♥ B. Romberg: Variations
and Rondo, Op. 18 – Mende, Trinks, Pank & piano (Raumklang 2012)
→ Très beau postclassique.
QUINTETTE
♥
Bax – Quintette avec piano – Naxos
♥♥♥ Scott, Bridge – Quintette avec piano
n°1 / en ré mineur – Bingham SQ, Raphael Terroni (Naxos 2015)
→ Beau Quintette de Bridge, splendide de Scott, avec son premier
mouvement très… koechlinien-2 !
→ Bissé Scott.
SEXTUOR ET
AU DELÀ
♥♥♥ Weingartner – Sextuor pour quatuor,
contrebasse & piano / Octuor pour clarinette, cor, basson, quatuor
& piano – Triendl (CPO)
→ Complètement fasciné par le Sextuor pour piano et cordes (la pochette
dit Septuor à tort). Un lyrisme extraordinaire.
→ bissé
♥ Chabrier – Souvenirs de
Munich (arrangement David Matthews pour ensemble) – Membres du Berlin
PO, Michael Hasel (Col Legno 2009)
→ Doublures étranges qui accentuent le côté foire de ces réminiscences
de Tristan façon quadrille.
Roussel,
Koechlin, Taffanel, d'Indy, Messager, Françaix, Chabrier, Bozza, Tansman –
musique française pour vents et piano – V. Lucas, Gattet, Ph. Berrod,
Trenel, Cazalet (solistes de l'Orcheste de Paris), Wagschal (Indésens
2020)
→ Joli ensemble, pas le meilleur de la production chambriste française
(excepté les extraits de la Suite de d'Indy), avec des timbres assez
blancs, il existe plus exaltant ailleurs même si le projet est très
beau et mérite d'être salué !
HORS DES FRONTIÈRES
♥♥ de Mey – Musique de table – James Cromer,
Corey Robinson, Gregory Messa (vidéo culte d'Evan Chapman)
8.
SOLOS
Froberger –
Œuvres pour orgue – Temple Saint-Martin de Montbéliard, Coudurier (BNL)
Folías par Frédéric Muñoz à
l'orgue de Guimiliau – https://www.youtube.com/watch?v=EX8OSpPboz4
(YT 2017)
→ Superbe orgue XVIIe en état de jeu. Pourquoi ne s'en sert-on pas
davantage pour les enregistrements, plutôt que des instruments
contemporains de la composition (qu'il y avait moins de probabilité de
pouvoir jouer à l'époque, car en petit nombre), voire
postérieurs ?
♥ Gabrielli,
Biber, Young –
« Jacob Stainers Instrumente » – Maria Bader-Kubizek, Anita
Mitterer, Christophe Coin (Paladino 2020)
→
La Partita 6 de l'Harmonia artificiosa-ariosa est marquante par son
vaste air à variations de 13 minutes et son langage un peu original.
→ La parenté des traits de (Domenico) Gabrielli avec les figures des
Suites pour violoncelle de Bach reste toujours aussi frappante. (Coin
fait merveille dans ce grand solo.) Elles sont assez bien
documentées
au disque, ce sont des bijoux.
♥♥ Gabrielli – Œuvres
complètes pour violoncelle – Hidemi Suzuki, Balssa, Otsuka (Arte
dell'arco 2012)
→ Quels solos bachiens, en plus rayonnants !
→ Bissé.
♥♥ Giuliani – Le Rossiniane – Goran Krivokapić,
guitare (Naxos 2020)
→ Réellement des arrangements (virtuoses) de grands airs rossiniens, en
particulier comiques (Turco, Cenerentola…), très bien écrits (quel
symphonisme !) et exécutés avec une rare qualité de timbre et de
phrasé.
♥ Bach, Chorals / Elgar, Sonate 1 / Lefébure-Wély Boléro / Karg-Elert 3 Impressions / John Williams, 3 arrangements de Star Wars –
Nouvel orgue de la cathédrale Saint-Stéphane de Vienne, Konstantin
Reymaier (DGG 2020)
→ Splendides Bach pudiques sur jeux de fonds, une transcription de
Williams réussie, les frémissements du trop rare Karg-Elert, un joli
Elgar sérieux inattendu… Superbe récital.
Lanier, Ramsey, Jenkis, Banister, Lawes,
Webb, Hilton… – « Perpetual Night » – Richardot,
Correspondances, Daucé (HM 2018)
→ Ni les œuvres ni la manière ne me font dresser l'oreille, je l'avoue.
Très rond, confortable, contemplatif, le tout manque vraiment d'arêtes,
d'événements.
♥♥ Jacquet
de La Guerre – Le
Déluge – Poulenard, Verschaeve, Giardelli, Guillard (Arion)
♥♥Cerutti,
Auletta, Tartini, Mayr, anonymes – « Il Gondoliere
veneziano » – Holger Falk, Nuovo Aspetto (WDR 2020)
→ Varié et réjouissant, chanté avec verve !
♥ Steffani,
Vivaldi, Hahn, Satie… –
« Eternity » Kermes & Gianluca Geremia, théorbe (Simone
Kermes 2020)
→ Très joli album planant et délicat, sur son propre label. 30 minutes
de musique, un format uniquement dématérialisé je suppose.
LIEDER ORCHESTRAUX
♥♥♥ Schubert – An Schwager
Kronos (orchestration Brahms)
→ Monteverdi Choir ♥
→ Schroeder, AMSO, Botstein (horriblement engorgé)
→ Steffeb Lachenmann, Brandenburger Pkr, gernot Schulz (mou et pas
ensemble)
→ Johan Reuter, SwChbO Dausgaard (orch en folie) ♥♥♥ ♥♥♥ Schubert – «
Nacht
und Träume » (orchestrations de Berlioz, Liszt, Reger, R. Strauss,
Britten) – Lehmkuhl, Barbeyrac, Insula O, Equilbey (Warner 2017)
→ Splendidement chanté, accompagné sur instruments d'époque, un régal.
→ bissé
♥♥ Schubert – Lieder
orchestrés
par Max Reger – Ina Stachelhaus, Dietrich Henschel, Stuttgarter
Kammerorchester, Dennis Russell Davies (MDG 1998)
♥ Schubert – Lieder orchestrés (Liszt,
Brahms, Offenbach, Reger, Webern, Britten…) – von Otter, Quasthoff,
COE, Abbado (DGG 2003)
→ Orchestrations pas nécessairement passionnantes en tant que telles,
même si entendre Schubert dans ce contexxte dramatisé fait plaisir.
(Les Webern sont franchement décevants.)
→ Splendide orchestre (même si direction un peu hédoniste), von Otter
un peu fatiguée mais fine, Quashoff à son faîte.
→ Étonnement : les attaques de l'orchestre sont de façon récurrente
désynchronisées des chanteurs (pas mal de retards, quelques-fois de
l'avance). Typiquement, Die Forelle, Ellens Gesang…
On parle d'Abbado, du COE, de von Otter qui a chanté du R. Strauss à la
scène, je ne sais pas trop comment / pourquoi c'est possible. (Je ne
vois pas à quoi ça sert si c'est volontaire, pour moi ça ressemble au
chef qui attend le phrasé de la chanteuse mais qui réagit un peu tard.)
Peut-être est-ce que l'attaque est au bon endroit mais que le gros du
son parvient plus tard. (Mais justement, en principe c'est anticipé par
les musiciens, les contrebasses attaquent toujours avec un peu d'avance
pour cette raison.)
♥♥♥ Fried – Die verklärte Nacht – Ch. Rice,
Skelton, BBCSO, Gardner (Chandos 2021)
→ Chef-d'œuvre absolu du lied orchestral décadent,
tout en vapeurs, demi-teintes et éclats aveuglants, cette Nuit transfigurée
bénéficie à présent d'une seconde version, aux voix très différentes
(Rice plus charnue et timbrée, Skelton plus sombre) et à la direction
très lyrique. Je conserve ma tendresse pour Foremny qui privilégie le
mystère initiatique plutôt que les couleurs orchestrales (et la clarté
éclatante de Rügamer dans la transfiguration est un bonheur sans
exemple !), mais disposer d'un second enregistrement, et de niveau
aussi superlatif, est absolument inespéré – et quoique dès longtemps
attendu.
→ Parution en janvier 2021, mais les chanteurs ont déjà fait fuiter sur
les comptes YouTube respectif la plupart des pistes vocales…
→ (déjà écouté une dizaine de fois)
♥♥♥ Fried – Die verklärte Nacht – Foremny
→ (réécouté à peu près autant de fois le mois passé…)
♥♥ Schoeck – Nachhall – Arthur Loosli, ChbEns
Radio de Berne, Theo Loosli – (Jecklin 2015)
→ Tout est plus clair, l'orchestre (moins dramatique, certes), le chant…
♥♥ Schoeck – Nachhall –
Hancock, AmSO, Botstein (AmSO)
→ Splendide ambiance de fin du monde mélancolique.
♥♥♥ Fefeu & Gérard
Demaizière – L'An 1999
– François Juno(RGR
1979)
→ et diverses parodies (version metal, version symphonique, version
épique…), voire son interprétation imaginaire de Quelque chose en nous
de Tennessee…
LIED & MÉLODIE
Schubert, Spohr, Weber, Giuliani
– Lieder arrangés avec guitare – Olaf Bär, Jan Začek (Musicaphon
2007)
♥♥ Beethoven – Lieder (An die
ferne Geliebte) – Bär, Parsons (EMI 1993)
♥♥♥ Beethoven, Schubert, Britten… – « I
Wonder as I Wander » – James Newby, Joseph Middleton (BIS 2020)
→ Splendide voix de baryton-basse, mordante, clairement dite, sensible
aux enjeux dramatiques, aussi à l'aise dans la demi-teinte a cappella des Britten que dans la
gloire mordante des poèmes les plus expansifs. Grand liedersänger très à son aise ici,
et une fois de plus très bien capté par BIS.
♥♥♥ Beethoven ferne Geliebte, Schubert, Rihm – « Vanitas » – Nigl, Pashchenko
(Alpha)
→ Accompagné sur piano d'époque.
→ Emporté d'emblée par les mots et le phrasé de cette ferne Geliebte ; splendeur de
cette voix claire et souple, adroitement mixée et extraordinairement
expressive (Beethoven !).
→ Concentration et la clarté de cette voix assez incroyables, on dirait
un représentation de l'époque glorieuse des années 50-60, j'entends la
concentration du son des très grands ténors d'autrefois (quelque part
entre Cioni et Tino Rossi pour l'allègement délicat).
→ (Mais je ne comprends pas pourquoi il est noté baryton, c'est assez
clairement un ténor pour moi, même s'il chante dans des tessitures
centrales… Peut-être l'équilibre harmonique de la voix est-il différent
en personnel.)
→ Et tout cela lui permet une finesse d'expression assez
extraordinaire. (Rihm très réussis, je ne suis pas sûr que cet univers
un peu raréfié m'aurait autant séduit sinon !)
♥ Mahler – Ruckert-Lieder /
Des Knaben Wunderhorn– Bauer, Hielscher (Ars Musici 2003)
→ Voix vraiment claire, manque d'assise et d'incarnation pour une
fois !
♥♥ Schoeck – Notturno – Gerhaher, Rosamunde
SQ
→ Gerhaher très peu vibré, un peu sophistiqué, mais remarquable. Le
grain du quatuor est fantastique.
♥ Mitterer – Im Sturm – Nigl,
Mitterer (col legno 2013)
→ Très mélodique (et le naturel de Nigl !), sur poèmes romantiques,
avec bidouillages acousmatiques un peu stridents (trop proches dans la
captation, on reçoit tout dans les oreilles sans distance) mais pas
déplaisants.
→ Beaucoup de citations (Ungeduld de la Meunière), quasiment de l'a
cappella avec des effets atmosphériques autour… Fonctionne très bien
grâce à l'incarnation exceptionnelle de Nigl !
LISTE D'ÉCOUTES à
faire – nouveautés
→ reich eight lines
→ philippe leroux : nous par delangle (BIS)
→ Ch Lindberg
→ kontogiorgos, kaleidoscope pour guitare
→ adiu la rota
→ australian music two pianos « the art of agony »
→ elisabetta brusa ulster O
→ rossini matilde di shabran passionart O
→ haydn messe st tolentini naxos
→ A. Rawsthorne, Symphony No. 2
→ reutter op.58,56,jahreszeiten
→ Robert Simpson, Symphonie n°9, Bournemouth SO, Vernon Handley.
→ rubbra ccto pia
→ Coles : je réécoute les Four Verlaine Songs pour la dixième fois
aujourd'hui, c'est véritablement renversant.
→ e préfère moi aussi la No. 2 de Boughton et pas qu'un peu,
→ stephan sieben saiteninstrumente, horenstein ensemble ( et suite pour
quatuor de butterworth)
→ Michel dens
→ Goublier - Mélodies lyriques populaires (6) : baryton, choeurs, et
Orchestre - Michel Dens - HD
→ The Primrose Piano Quartet : Hurlstone, Quilter, Dunhill, Bax
→ BRITISH PIANO QUARTETS : Mackenzie, Howells, Bridge, Howells,
Stanford, Jacob, Walton (The Ames Piano Quartet)
→ Viola Sonatas, Idylls & Bacchanals : McEwen, Maconchy, Bax,
Jacobs, Rawsthorne, Milford, Leighton (Williams/Norris)
(plus tous les autres des listes précédentes…)
… et voici pour la dernière livraison de l'année 2020, deux ans
complets de traque aux pépites nouvelles – et il y en a beaucoup, même
en mettant l'accent sur les répertoires délaissés ou les
interprétations hors du commun !
Je n'ai pas encore décidé si je poursuivais l'aventure en 2021 : je
fais ce repérage pour moi-même, mais la mise en forme lisible prend à
chaque fois plusieurs heures, et j'ai plusieurs séries de notules que
j'aimerais davantage achever, poursuivre ou débuter. Je me disais que
ce pouvait être utile, puisque j'écoute beaucoup et laisse des traces
écrites, mais en fin de compte, devant la masse, je crains de noyer mes
lecteurs plus que de les éclairer. Et cela suppose aussi que mon agenda
soit gouverné par les parutions plutôt que par ma fantaisie (ce qui
n'est pas bien).
Ce qui est sûr, c'est que je n'aurai pas le temps de faire la remise des prix des disques de
l'année. Ce serait absurde de toute façon : même en choisissant un
disque par genre et par époque, je serais obligé de trancher de façon
parfaitement arbitraire. Il y a beaucoup de choses à découvrir, avec
leurs commentaires à chaque fois, aussi je vous invite, si vous
souhaitez façonner votre propre bouquet, à remonter la piste du chapitre correspondant dans CSS, et à faire votre
choix parmi les disques mentionnés en bleu-violet ou 2-3 cœurs !
Si jamais vous vous interrogiez sur la conclusion l'année Beethoven, j'ai ici commis
une petite suite de tweets où je relève ce qui m'a paru
marquant, en classant par genre – et en incluant les disques traitant
des contemporains, puisqu'il y a eu beaucoup de parutions majeures
autour de Salieri / Rejcha / B. Romberg / Hummel / Moscheles que vous
seriez fort avisés de ne pas négliger… (En revanche, il y eut extrêmement peu de raretés du catalogue de Beethoven à proprement parler.)
Belles explorations à vous, et à bientôt, sous d'autres formats sans
doute !
L'enfermement favorisant l'exploration discographie, une nouvelle et
prompte livraison s'imposait.
Du vert au violet, mes recommandations… en ce moment remplacées par des
♥.
♦ Vert : réussi ! ♥
♦ Bleu : jalon considérable. ♥♥
♦ Violet : écoute capitale. ♥♥♥
♦ Gris : pas convaincu. ♠
(Les disques sans indication particulière sont à mon sens de très bons
disques, simplement pas nécessairement prioritaires au sein de la
profusion de l'offre.)
En rouge, les nouveautés
2020 (et plus spécifiquement de l'automne).
Je laisse en noir les
autres disques découverts.
En gris, les réécoutes
de disques.
OPÉRA
Haendel – Rinaldo – Aspromonte, Galou,
Luigi De Donato ; Accademia Bizantina, Dantone
→ Déçu par cette lecture assez terne d'un des plus beaux seria de
Haendel : Dantone a toujours été un accompagnateur probe
qu'un
inventeur de textures, mais ici, sans le renfort du drame, c'est assez
frustrant. D'autant plus qu'Aspromonte blanchit terriblement dans le
seria (c'est dans le XVIIe déclamatoire qu'elle fait merveille), que
Galou est dans un jour peu propice (ou bien est-ce l'aspect héroîque du
rôle, à rebours de sa personnalité vocale ?)… il n'y a que Luigi De
Donato qui, comme d'habitude (cf. le récent Samson d'Alarcón dans la livraison
précédente, n°14), impose
présence et mordant charismatiques. Dommage, l'œuvre mérite vraiment
une discographie abondante et il y a encore de la place pour de
nouvelles propositions…
[vidéo en direct de
l'Opéra-Comique] : Rameau,
Hippolyte & Aricie, Pichon (avec Elsa Benoit, Mechelen, Brunet…)
→ Orchestre splendide (ampleur, couleurs, énergie), œuvre toujours
aussi peu passionnante pour moi, livret misérable, et voix qui vibrent
quand même beaucoup pour ce répertoire (Benoit était fulgurante dans la
Dame Blanche).
♥♥♥ Auber – Les Diamants de la Couronne –
Raphanel, Einhorn, Arapian, Médioni ; Colomer (Mandala)
♥♥♥ Auber – Les Diamants de la Couronne –
Raphanel, Einhorn, Arapian, Médioni ; Colomer (vidéo de la même
production, Compiègne)
→ Sommet du livret haletant (merci Scribe) et d'une musique
divertissante pourtant pleine de modulations, d'ensembles travaillés,
de surprises… Un des plus beaux opéras comiques jamais écrits.
(Peut-être même le plus beau en langue française…) Distribution
fabuleuse et orchestre audiblement passionné. Mise en scène tradi
pleine de vie.
♥♥ Donizetti – Lucia di Lammermoor (Sextuor) –
Rost, Ford, Michaels-Moore, Miles, Hanover Band, Mackerras
→ Ma version chouchoute (instruments anciens, vivacité)… version
française exceptée évidemment.
Autres écoutes :
♥♥♥ Verdi – Rigoletto
(extraits en français) – Robin, Michel, Maurice Blondel, Dens, Depraz,
Noguera ; Opéra de Paris, Dervaux (Marianne Mélodie publication
2013)
→ Des fulgurances et des étrangetés dans la traduction… étonnant comme
le mot juste qui éblouit alterne avec les laborieuses maladresses
prosodiques (ou affadissements inutiles du sens). Exécution foudroyante.
→ trissé
♥♥ Verdi – Traviata (extraits
en français) – Robin, Finel, Dens ; Opéra de Paris, Dervaux
(Marianne Mélodie publication 2013)
→ Le livret est assez mutilé par les pudibonderies fadissimes de la
traduction, mais entendre cette qualité de chant et d'incarnation
demeure inestimable, et dans un français sublime.
→ trissé
♥ Verdi – Le Trouvère
(extraits en français) – Juyol, Laure Tessandra, Poncet, Dens ;
divers orchestres, Delfosse / Etcheverry / Dervaux (Marianne Mélodie
publication 2013)
→ bissé
♥ Verdi – Aida – Milanov,
Thebom, Del Monaco, London, Hines ; Met, Cleva (Pristine)
→ Surtout remarquable par l'ardeur orchestrale (et bien disciplinée
pour le Met de l'époque !). Mais si l'on veut le Del Monaco le plus
sonore et glorieux, clairement la bonne adresse – je l'aime davantage,
plus fragile et approfondi, plus tard.
♥ Verdi – Aida (extraits en
français) – Irène Jaumillot, Élise Kahn, Poncet, Borthayre (x2), Koberl
; Orchestre inconnu, Robert Wagner (Marianne Mélodie publication 2013)
→ bissé
♥♥ Verdi – Otello (extraits en
français) – Jeanne Segala, Thill, José Beckmans ; Opéra de Paris,
François Ruhlmann (Marianne Mélodie publication 2013)
→ trissé
♥♥♥ Offenbach – Barbe-Bleue – Mas, Beuron,
Mortagne ; Pelly, Opéra de Lyon (vidéo France 2, diffusion 2020)
♥ Prokofiev – Guerre & Paix – Markov,
Stanislavsky… (vidéo du Stanislavsky 2020)
→ Pas la soirée la plus voluptueuse musicalement ni inspirée
scéniquement, mais très belles voix des jeunes premiers.
MUSIQUE DE SCÈNE
/ BALLETS
♥ Delibes – Ballets Sylvia, La Source,
Coppélia – N. Järvi (Chandos)
→ Pas le plus marquant de Delibes, mais contenu de ploum-ploum plutôt
magnifié par le grand geste unifiant de Järvi.
Grieg – Peer Gynt, les 2 Suites – Bergen
PO, Ruud (BIS)
→ Un peu déçu à la réécoute, pas aussi singulier et coloré – ou bien
était-ce davantage le cas dans la musique de scène totale par les
mêmes ?
♥♥ Schmitt – Oriane & le Prince
d'Amour, Tragédie de Salomé, Musique sur l'eau, Légende – Susan Platts,
Nikki Chooi ; Buffalo PO, Falletta (Naxos 2020)
→ Passionnant ensemble de raretés (des premières ?) de Schmitt. Outre
l'incontournable suite de Salomé (les pas d'action sont supprimés et le
tout réorchestré pour très grand orchestre), que je trouve
admirablement interprétée par Buffalo-Falletta, dont je n'avais pas de
tels souvenirs d'excellence et de style (plus massifs et moins finement
articules), on y rencontre la précieuse Oriane, une mélodie avec
orchestre qui tire un réel profit des qualités de sophistication et de
naturel conjugués dont peut faire preuve Schmitt !
Vaughan
Williams – Job – Bergen
PO, Andrew Davis (Chandos 2017)
→ Moins intéressé dans cette version (par rapport à Hallé-Elder
présenté dans la livraison n°14), plus lisse, plans moins détaillés
pour une œuvre déjà étale et homogène.
MUSIQUE SACRÉE
♥♥ Beretta, Merula,
Cazzatti, Giambelli, Benevolo, Cavalli, Charpentier – Messes à chœurs multiples –
Correspondances, Daucé (HM)
→ Il manque hélas les deux plus belles pièces de la tournée de concerts
(de Legrenzi, évidemment), mais pour le reste, ce tour de la moitié
Nord de l'Italie autour des messes et motets à chœurs multiples est un
enchantement : découverte de traitements variés, du plus
hiératique (Cavalli évidemment, toujours le dernier de la classe
celui-là) aux irisations de Beretta. Rarissime, passionnant, très
convaincant.
→ Le résultat semble avoir beaucoup mûri depuis les concerts de 2017
(entendu pour ma part dans l'acoustique peu favorable de la Seine
Musicale) : j'avais été frustré par le choix de Daucé de magnifier
les coloris au détriment de la danse dans ce Charpentier (qui n'est
déjà le meilleur de son auteur en termes d'audace et de personnalité)…
alors qu'ici, avec encore plus de chatoyances (infinies, réellement),
l'impression de mobilité n'est jamais prise en défaut. Grand disque,
même pour la version du Charpentier.
♥♥♥ Charpentier – Méditations pour le Carême –
Camboulas (Ambronay)
→ Déjà présenté. Et notule en préparation.
♥♥♥ Campra – Exaudiat te Dominus, De
Profundis – Christie (Erato)
→ Tantôt guerrier, tantôt tendrement méditatif, un chef-d'œuvre servi
par les meilleurs !
♥♥♥ Beethoven – Missa Solemnis – Hanover Band,
Kvam (Nimbus)
Berlioz – L'Enfance du Christ,
arrivée à Saïs – Graham, Le Roux ; OSM, Dutoit (Decca)
→ Sympa, mais il existe tellement mieux.
Mendelssohn – Church Music, Vol. 2 - Vom
Himmel hoch / Ave maris stella / Te Deum in D Major (Bernius) (Carus)
→ Un peu servilement du néo-Bach, sur cet album. Chœur et orchestre de
Bernius un peu plus ternes qu'à l'habitude aussi.
♥♥ Mendelssohn – Church Music, Vol. 3 - 3 Psalms
/ Christus / Kyrie in D Minor / Jube Domine / Jesus, meine Zuversicht
(Stuttgart Chamber Choir) (Carus)
♥ Mendelssohn – Church Music, Vol. 6 - Psalm 115
/ O Haupt voll Blut und Wunden / Wer nur den lieben Gott lasst walten
(Bernius) (Carus)
♥♥♥ Mendelssohn – Chœurs sacrés Op. 39, 115, 116,
Te Deum, Herr sei gnädig… Vol.7 – Bernius (Carus 2006)
→ Collection de merveilles riches et épurées… un sérieux candidat pour
la livraison 1830 d' « Une décennie, un disque ».