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Gioconda fa ritorno

Après avoir fait parler d'elle, ou plutôt après avoir parlé sous la torture, Mona Lisa revient sous une autre forme. Et ce n'est pas de l'opéra - on est sérieux, ici.

(Ambiance musicale de la note [1] :

)

--

Une des plus belles bêtises entendues ces dernières années. On a donc reconstitué la voix de la Joconde. En analysant ses caractéristiques anatomiques.

he estimated her height at 168cm (5' 6"), giving her "a relatively low tone for a woman".

Déduire d'un portrait, en établissant une échelle, une hauteur probable, cela paraît tout à fait envisageable. De cette hauteur, estimer une tessiture "naturelle", c'est également possible, quoique toujours hasardeux. Etant estimée relativement grande - je n'ai pas cette impression, mais mon métier ne consiste pas dans l'évaluation de la taille des gens assis, j'en conviens volontiers -, la conjecture d'une voix raisonnablement grave se soutient.

--

Mais voici le résultat :

Oui, franchement synthétique.

En réalité, le problème est triple. Le premier, que nous osons à peine poser : quel est l'intérêt de ce genre de recherche ? Sans doute de faire une publicité suffisante au laboratoire pour obtenir des fonds qui serviront à développer des technologies potentiellement utiles. Bien.
La deuxième question est plus difficile.

Ms Lisa also get a nasal tone "because of her relatively large nose".

Une énormité, évidemment. Autant l'on peut déterminer des caractéristiques physiques, autant il est impossible de connaître la façon qu'a l'individu de les employer. D'un tableau, on ne peut pas plus inférer une gestuelle qu'un timbre. La largeur du nez n'a rien à voir avec la nasalité : tout dépend de l'usage que fait le locuteur de sa luette (qui occulte le passage de l'air vers le nez) dans ses prises de parole. Cela dépend donc plutôt de la langue, de la région, du timbre des parents, des habitudes de parole, du métier, des éventuels cours de théâtre ou de chant...

A partir du moment où le lièvre est levé, on comprend bien que cette reconstitution est nécessairement, sauf erreur de ma part, une imposture (ou à tout le moins une conjecture hasardeuse). La voix ne peut sonner que selon l'usage que fait le locuteur de ses paramètres naturels. On pourrait ainsi, en regardant un violon, imaginer un son, mais selon qu'il soit joué par Repin ou par le musicien itinérant du coin, il n'aura pas du tout le même profil sonore... On voit bien le problème : ce n'est donc qu'un infime possible (et encore, fondé sur des extrapolations physiques plus ou moins justes).

--

Précisément, il s'agit d'un possible, mais un possible de quoi ? Voilà la troisième question, aussi fondamentale.

Tout d'abord, il ne s'agit pas d'un être humain, mais d'une représentation d'être humain , avec une stylisation et une esthétisation artistiques. Tout au plus, nous obtiendrons la voix du portrait, et pas de la dame inconnue qui y figure.

Mais plus encore. Sachant que Vinci peignait des visages similaires, avec son style propre, quel degré de réalisme faut-il attribuer à ce portrait ?


Quelle individualité peut-on lui accorder ?

En d'autres termes, on a rendu une voix (déjà largement hypothétique selon les usages de sa locutrice) à un morceau de peinture, et qui ne représente de surcroît pas réellement un être humain.

Peut-être une prouesse technique, mais franchement du bricolage épistémologique...

--

En fin de compte, pourquoi ces prolégomènes (inter)minables ?

Juste parce que les farfadets avaient mauvaise conscience d'avoir promis une série sur André Lhote que, dans le tourbillon des projets de note qui s'accumulent chaque jour plus vite que leur traitement, il n'a pas été possible de tenir.

[Oui, il reste aussi la fin de la série sur la tragédie grecque du point de vue de l'opéra, la suite de l'histoire du récitatif, des notes sur Alma Schindler-Mahler, l'évocation du cinéma hollywoodien au travers du prisme opératique, une balade dans Faust dont les extraits sont prêts depuis des mois, ou encore la suite de l'exploration de l'Ulysse de Rebel à travers un parallèle illustré avec l'Armide de Lully qu'il ne reste plus qu'à rédiger, etc.]

Voici donc notre autre Gioconde :

Il s'agit de Madame. Il n'y avait pas que Leonardo qui ne savait pas peindre les sourires...

(ni que Mona qui posait avec un rictus de cruche)

--

Il s'agit en réalité d'une variation charmante aux couleurs moins crues (même la tenture est plus soignée), avec cette délicate moue.

Dans la part la plus réaliste du travail de Lhote, où persiste seulement une pensée des contours un peu anguleuse, comme un après-midi de fièvre, où tout un environnement semble pouvoir se toucher du doigt, donner prise à la pensée et aux sens. C'est là à peu près tout ce qui est visible de ses influences cubistes dans ce tableau.
On perçoit mal sur cette reproduction maison la technique assez épatante du coloriste pour créer le mouvement : autour des angles, une fine bande de couleur franchement opposée à l'ensemble de l'aplat.

--

Bonne journée aux lecteurs de CSS !

(Et aux autres, mais ils ne pourront pas le savoir.)

Notes

[1] Le lien est facile à trouver. Et ne se limite pas à la distribution de gifles qui va suivre.


--

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Commentaires

1. Le samedi 22 mars 2008 à , par Morloch

Oh, elle a un peu la voix parlée de John Tomlinson, en plus grave :p

C'est super crédible.

2. Le samedi 22 mars 2008 à , par DavidLeMarrec :: site

Attention Morloch, Jemmy Legs is down on you.

3. Le dimanche 23 mars 2008 à , par Leonardo

Expérience intéressante, qui confirme que l'homme est un microcosme et respire comme une mer de sang.

Pour donner de la grâce à la voix de cette machine à parler, je recommanderais de combiner les timbres de plusieurs voix dont la beauté est reconnue de tous, sans se fier à leur propre jugement. Il est en effet facile de se tromper en choisissant une voix qui ressemble à la votre, car il semble que cette ressemblance nous soit agréable, et donc si vous avez une voix laide, au lieu de choisir une belle voix, vous en choisirez une bien laide.

J'avais moi-même tenté de mettre au point une telle machine à parler, mais ces jeunes faquins de la cour du roi de France qui ne pensent qu'à s'amuser l'ont détérioré en jouant à faire peur au léopard du roi. Le son n'en était pas agréable, il est vrai.

4. Le lundi 24 mars 2008 à , par F. Melzi :: site

Au contraire, on est généralement rebuté par sa propre voix, carissimo maestro.

A propos, je n'oublie pas de rebondir sur les guérillas des Indes, j'ai d'ailleurs écouté un nouveau rapport de spécialistes angéliques.

5. Le jeudi 19 février 2009 à , par vartan

Et comme tout le monde sait que la Joconde était un homme, voici encore une démonstration qui tombe à l'eau !

6. Le jeudi 19 février 2009 à , par Morloch :: site

Ralala cette obsession d'explications psychanalytiques des tableaux de Leonard...

Tiens, est-ce que tu as lu " Moi, Leonard de Vinci" de Ralph Steadman ? Un bijou qui devrait te plaire !

(et pour ceux qui préfèrent l'époque d'Alma et de ses contemporains, il a aussi écrit un " Moi, Sigmund Freud" qui est très bon aussi).

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