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Augustin PFLEGER – Duels à l'épée entre maîtres de chapelle, défis au prince, patchworks vétéro-testamentaires, cantates luthériennes de la vie du Christ dans le Schleswig


Des maîtres de chapelle qui se battent à l'épée, ou qui renvoient le prince commanditaire à sa place – soit très loin après le service de la musique et la gloire de Dieu, sachez-le.

Mais aussi Jésus qui meurt deux fois sur la croix. Dieu qui s'exprime en personne, sur des notes extraordinairement basses, aux limites extrêmes de la possibilité humaine en chant occidental. Des duos de ténors ou de sopranos qui servent à la fois de chœur et de narrateurs. D'étranges patchworks, un mélange permanent de cantiques hébraïques et d'extraits d'Évangiles pour proposer de courtes scènes reconstituées, pas tout à fait fidèles à la littéralité des écritures.

Tout cela au sein d'une Europe morcelée entre cultes chrétiens ennemis, à peine pacifiée depuis la fin de la guerre de Trente Ans, traversée par un maître de chapelle de Bohême septentrionale, dont les influences italiennes procèdent de sa formation franconienne.

Voici à peu près à quel voyage nous convie la découverte de l'œuvre d'Augustin Pfleger, exerçant – après des études à Nuremberg, ville libre luthérienne, – auprès d'une cour catholique en Bohême, puis dans des châteaux luthériens en Mecklembourg et au Schleswig-Holstein…

(début de la notice)


Il n'existait qu'une seule monographie consacrée à Pfleger (chez CPO bien sûr), partagée entre motets latins et allemands.

Cette seconde parution se concentre exclusivement sur des cantates en langue allemande, conçues pour être incluses à l'intérieur même du culte luthérien.

J'ai eu le plaisir de passer quelques dizaines d'heures à en écrire la notice, aussi je partage volontiers quelques pistes d'écoute assez étonnamment stimulantes pour un compositeur du milieu du XVIIe siècle dans le Schleswig luthérien…

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« Concert sacré » de l'Ascension, tiré du disque Aparté.



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1. Musique et bon son

Plus ascétiques que les motets latins (en bonne logique plus purement « musicaux » et exubérants), ces « concerts sacrés » en allemand ne manquent pas de séductions.

Les épisodes y sont très différenciés, les personnages caractérisés par des profils vocaux : deux chanteurs (figurant deux disciples, deux fidèles, deux commentateurs façon Évangéliste…) font office de chœur, l'Archange Gabriel exécute des volutes ascendantes très mélodiques ; Marie a au contraire une ligne assez trapue, presque bourrue, comme une fille du peuple (accentué par le choix de Luther de mettre du discours direct dans sa relation de l'Annonciation) ; Dieu et Jésus exécutent des phrases entières en bas de la clef de fa (entre le sol 1 et l'ut 1 !)…

Les pièces sont accompagnées par des dessus de viole qui exécutent des ritournelles assez raffinées. Martin Wåhlberg a aussi inclus le psaltérion dans la première cantate – qui était attesté dans cette partie de l'Europe au milieu du XVIIe siècle, semble-t-il.

La veine mélodique n'en est pas du tout médiocre, et certaines tirades demeurent bien dans l'oreille (« il est le second Salomon », « le Seigneur accomplit des miracles »…).

Je n'ai encore rien dit de l'interprétation, qui est de toute première eau : Natalie Pérez, Gunhild Alsvik, Samuel Boden, Victor Sordo Vicente, Håvard Stensvold, des voix d'un grand naturel, calibrées pour la déclamation, et pour autant sur des timbres superbes (certains, comme Pérez, Boden et Stensvold, font déjà de très belles carrières solo). Quelques infra-graves écrits ont dû être supprimés, mais pour autant Stensvold (famille de Terje, un des plus grands Wotan de ces dernières années ?), qui a déjà proposé un Winterreise en bokmål, manifeste une majesté certaine et un rapport frémissant au verbe, que ne dépare pas un timbre charismatique.
La poussée imprimée par Martin Wåhlberg équilibre toujours remarquablement la fluidité musicale et le poids des mots, servi par des musiciens qui réussissent de très belles transparences, avec une souplesse générale très appréciable dans ce répertoire potentiellement ascétique.



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Le disque Aparté qui vient de paraître (2 avril 2021).



2. Évangiles et macédoine

Les épisodes traités sont pour certains rarement mis en musique : les miracles de Jésus hors Lazare (ici la Cananéenne dont la fille est possédée, le Lépreux, le Centurion…), l'apparition d'Emmaüs…

Alors que ces œuvres sont conçues pour rythmer l'année liturgique, et être exécutées au sein même de la messe, elles manifestent des libertés assez surprenantes dans l'agencement des  textes.

Alternance de sources d'abord :

4 Évangiles (très peu Marc),
→ autres portions du Nouveau Testament (Épître aux Romains),

Ancien Testament en abondance (Genèse, II Samuel, II Rois, Psaumes, Cantique des Cantiques, Ésaïe, Ézéchiel) ;

→ grandes hymnes luthériennes célèbres (O Lamm Gottes unschuldig) ;
poèmes de dévotion en vers qui circulent alors. Ces derniers sont difficiles à identifier, il faudrait une véritable étude historique et littéraire des sources, que je n'avais pas le temps (deux semaines avant livraison) ni le matériel (bibliothèques fermées en temps de confinement) pour réaliser.

Ce qui est intéressant est que ces textes ne sont pas nécessairement utilisés pour représenter l'épisode auxquels ils appartiennent

Bien sûr, les Évangiles sont (en général…) attachés à leur moment propre ; les hymnes luthériennes servent de conclusion « collective » – peut-être reprise par l'assemblée ?  les contrepoints sont diversement techniques selon les œuvres, je n'ai pas assez de connaissances sur la maîtrise musicale des fidèles luthériens du rang dans le Schleswig des années 1660.
Les poèmes de dévotion servent d'explicitation des enjeux des textes, de conseils, de méditation, en bonne logique.

Mais pour ce qui est des portions des deux Testaments hors Évangiles, c'est la folie !  Ils alternent de réplique à réplique, par exemple :

→ pour l'Annonciation, l'Ange s'exprime à base de 2 Rois (la « bonne nouvelle » est celle de la fuite de l'armée araméenne devant les remparts de Samarie, et ce sont des lépreux pillards qui disent la réplique !) et Marie répond avec Luc, puis avec une prière de louange empruntée à Ésaïe !
Dieu lui-même s'exprime, à la première personne, en citant successivement Ésaïe (45:8 où il s'adresse à Cyrus, futur reconstructeur du Temple, en y affirmant sa puissance, puis 7:14 où est annoncée la vierge qui doit concevoir l'Emmanuel), Jérémie (dans deux chapitres différents à nouveau, 23 et 33, promettant la venue du roi sauveur qui achèvera l'exil d'Israël), et 2 Samuel (où Dieu annonce à David la naissance de Salomon, futur bâtisseur du premier Temple). Et pour le chant final, il se chante à lui-même un Psaume de louange (CXVIII), avant d'être rejoint par l'Ange, Marie et les deux narrateurs-évangélistes, pour un bœuf final…

→ pour la Cananéenne dont la fille est possédée, l'épisode tiré de Mathieu est conclu par une demande de bénédiction empruntée de la Genèse (celle de Jacob à l'Ange !) ;

→ pour les guérisons miraculeuses du Lépreux et du Centurion, tirés de Matthieu, Jésus s'exprime par le truchement du livre d'Ézéchiel – sa phrase de réconfort « Moi-même je ferai paître mon troupeau […] » est en réalité tirée, hors contexte, d'un discours qui constitue plutôt une imprécation contre les « mauvais bergers » que sont les dirigeants d'Israël ;

→ pour Emmaüs, le récit est à base de Luc, mais Jésus énonce une parole citée par Matthieu et qui se trouve beaucoup plus tôt dans son enseignement (« Car, là où deux ou trois se trouvent réunis en mon nom, je suis au milieu d’eux. », Matthieu 18), ce à quoi les disciples répondent par Ésaïe (Ésaïe 53, les souffrances d'un sauveur qui prendra sur lui les péchés d'Israël) et surtout Matthieu 27:42 (la dérision du larron sur la croix : « Il en a sauvé d'autres et ne peut pas se sauver lui-même ! ») ;

→ pour les apparitions après la Résurrection, racontées par Luc (et incluant la réplique de Matthieu, répétée par le « chœur » à deux voix : « c'est un fantôme »), le personnage allégorique de l'Âme puise aux deux extrémités du corpus, dans le Cantique de Salomon aussi bien que dans l'Épître aux Romains de Paul…

Quel mélange !  Au cœur même d'une réplique unique, Ancien et Nouveau Testament peuvent se mêler (témoin Dieu dans l'Annonciation)… Jusqu'au sein des Évangiles, il est possible de dérober une phrase attribuée à un autre épisode pour compléter une réplique (cf. les enseignements du Christ dans Emmaüs).

On trouve aussi quelques ajustements grammaticaux marginaux pour permettre l'intégration de l'extrait (pour les dialogues de la Passion en particulier), mais ceci paraît beaucoup plus bénin – et on le rencontre plus couramment que ce degré de patchwork très précisément cousu.

Toujours est-il que tout en respectant globalement la littéralité des textes sacrés, quantité de leurs occurrences sont en réalité détournées de leur usage premier, dans des contextes parfois tout à fait différents – pour ne pas dire opposés, comme lorsque le Christ utilise une partie douce des menaces d'Ézéchiel pour accompagner ses guérisons miraculeuses

Quelques autres petits détails, qui ne sont pas spécifiques à Pfleger (on ne sait d'ailleurs pas, à ma connaissance, qui a préparé ces textes), m'ont amusé en replongeant mon nez dans les textes :

    ◊ Luther fait parler Marie au discours direct et à la première personne dans la scène de l'Annonciation, pour la rendre plus vivante et accessible ai-je supposé, ce qui crée un décalage presque comique pour le lecteur moderne lorsqu'elle rétorque à l'Ange : « qu'est-ce que c'est que cette manière de dire bonjour ? » ou encore « mais c'est pas possible j'ai pas connu d'homme enfin, laissez-moi tranquille ou j'appelle ».
Je n'ai pas eu le temps, au sein de mes recherches / rédactions / corrections en toute hâte pour une parution express, d'aller vérifier si le texte grec était bien au discours indirect comme la plupart des traductions anciennes et modernes, mais Luther est vraiment l'exception dans la vingtaine de traductions de toutes langues que j'ai consultées.

    ◊ Les récits musicaux de la Passion, au delà de celui de Pfleger, pour étoffer la mort de Jésus (en particulier les Sept Dernières Paroles du Christ en Croix), ont tendance à le faire mourir… deux fois. Car chez Jean, Jésus meurt ainsi : « — Tout est consommé. Et, baissant la tête, il rendit l'esprit. ». Tandis que chez Luc : « — Père, entre tes mains, je remets mon esprit. Et, en disant ces paroles, il expira. ».
Pfleger (comme d'autres de son temps) encadre les dernières paroles de Luc par l'épisode de Jean. « — Tout est consommé. Père, entre tes mains, je remets mon esprit. Et, baissant la tête, il rendit l'esprit. ». Après on se moquera des mourants d'opéra qui mettent un récitatif-cantilène-cabalette entier à mourir d'une balle d'arquebuse (coucou Posa !), mais eux au moins – même s'il ressuscitent aussi de temps à autre (coucou Hippolyte !) – ne meurent qu'une fois.



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Le disque CPO, où se mélangent latin et allemand (voir ci-après).



3. Contexte historique électrisant

    Parler de façon la moins désinformée que possible de ce type d'œuvre, c'est aussi se replonger dans un état de l'Europe (et particulièrement de la pagailleuse pré-Allemagne) assez foisonnant, qu'on peut facilement oublier en observant la (relative) homogénéité de la production musicale. Car, globalement, le baroque musical (au XVIIe siècle) conserve quelques traits communs à toutes les aires européennes : basse continue (ligne de basse à habiller selon les instruments présents et le goût des accompagnateurs-improvisateurs), structure musicale qui épouse la déclamation, structure à variations…
    Et cela même alors que, religieusement, le continent est tout à fait divisé en une kyrielle d'églises, de tendances…

    À l'époque où exerce Pfleger, le traité de Westphalie (1648) apporte un peu de stabilité politique à une Europe en guerre sur de multiples fronts (guerre de Trente Ans dans le Saint-Empire, guerre de Quatre-Vingts Ans aux Provinces-Unies), et permet l'application des principes des Paix de Passau (liberté de culte pour les protestants, 1552) et d'Augsbourg (la religion officielle d'un État est celle de son prince, 1555).

    Un des effets musicaux des guerres de religion porte sur la formation et l'exercice des maîtres de chapelle : lorsqu'on vit au centre de l'Europe parmi les principautés germaniques et slaves, on est appelé à changer régulièrement de maître… et parfois à composer pour des cultes concurrents, sous des formes assez différentes. Dans le catalogue des mêmes compositeurs, on rencontre ainsi des ordinaires de messe latine pour des paroisses catholiques (ou luthériennes) et des motets en langue allemande pour des cités calvinistes (ou des cours luthériennes…).
    C'est ce qui arrive à Pfleger :
    ◊ formé à Nuremberg (ville libre luthérienne) auprès de Kindermann (influencé par les Italiens) ;
    ◊ prenant non premier poste à Schlackenwerth (sa ville natale, actuelle Ostrov, Nord-Ouest de la République Tchèque actuelle) en Bohême catholique (quoique fortement tiraillée en interne : son seigneur, lui-même papiste récent, en avait réprimé les soulèvements protestants aux côtés de Wallenstein) ;
    ◊ partant exercer à Güstrow (Mecklembourg-Güstrow, duché luthérien), d'où nous proviennent une grande part des informations sur sa vie, issues du registre du personnel de la cour qui nous est parvenu ;
    ◊ poursuivant à Gottorf (Schleswig-Holstein-Gottorf), autre duché protestant, et Kiel (pour l'Université luthérienne qui s'y ouvre alors), d'où nous provient une grosse proportion des compositions conservées à ce jour. (On perd ensuite sa trace jusqu'à son retour dans sa ville natale où il meurt.

    À cela, il faut ajouter que Luther, tout en prônant comme l'on sait la traduction des textes sacrés, considérait le décorum du culte comme secondaire dans sa mission de Réforme. Aussi, ses écrits admettent explicitement, pour les étudiants en théologie, ou bien dans les zones où les résistances populaires étaient fortes, qu'on conserve l'apparat du culte catholique, et en tout cas une certaine souplesse dans l'adaptation du rite. C'est pourquoi les commandes de paroisses luthériennes ou de chapelles de princes protestants pouvaient parfaitement inclure des compositions en latin.
    C'est le cas, emblématique, du « Sanctus » de la Messe en si mineur de J.-S. Bach, exécuté pour le culte luthérien à Leipzig – tandis que la Messe elle-même, dans sa première version, tenait lieu de lettre de motivation ou brochure promotionnelle pour entrer à la cour du Roi de Pologne & Électeur de Saxe (ce qui se fait de plus catholique, donc). Dans ce cas, non seulement les cultes incluent du latin, mais les attentes en matière d'écriture musicale ne diffèrent même pas.

La musique a vraiment manifesté, à cette époque, une forme de communion extra-géographique qui échappait tout à fait à la politique, et un peu plus, tout de même, aux autres arts.


 
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La petite liste de Noël d'Augustin Pfleger au duc de Güstrow-Mecklenburg,
telle que citée par Clemens MEYER dans
Geschichte der Güstrower Hofkapelle –
Darstellung der Musikverhältnisse am Güstrower Fürstenhofe im 16. und 17. Jahrhundert
.




4. Anecdotes pour les dîners clandestins

Lorsqu'on me passa la commande, ceci advint par surprise – au détour d'une conversation en forêt. Je soulève le rideau du secret pour vous.

— Au fait, connaissez-vous Pfleger ?
— Qui ?
— C'est quelque chose pour vous je crois, vous adorerez, parfaitement inconnu. Il a écrit des concerts sacrés au XVIIe, avec des textes empruntés on ne sait pas trop où, probablement des poèmes populaires…
— Mais ce n'est pas un peu technique ?  J'aurai un peu de temps au moins ?
— Oui, bien sûr, vous aurez du temps, on imprime votre texte et sa traduction dans quinze jours.
(Évanouissement. Ellipse d'un quart d'heure.)

(Le mystérieux commanditaire de la forêt, remettant ses sels dans sa poche, reprend.)

— On ne veut pas quelque chose de trop musico, voyez-vous, plutôt des anecdotes croustillantes, quelque chose qui fasse rêver, ou dresser le sourcil…

Mais bien sûr, ben voyons, des anecdotes croustillantesd'un maître de chapelle luthérien du XVIIe siècle sur lequel on ne dispose guère que d'une notice du Grove et d'un paragraphe sur le site web d'un ensemble spécialisé, qui en a joué une fois un motet…
Je suis sûr qu'on doit pouvoir trouver des recettes de cuisine de Pierre Boulez ou des histoires de fesses de Philip Glass, mais un maître de chapelle en territoire protestant, sans documentation, qui passe sa vie à écrire des louanges à Jésus, où je peux trouver de l'anecdote ?

Je n'ai rien promis, je me suis tout de suite mis au travail, et je suis un bon élève, j'ai cherché… Et eu la grande chance de trouver !  À tel point que j'ai immédiatement mis un contrat de détective privé sur ma femme et mes maîtresses, c'est suspect ce genre de coup de pot.

    Ainsi, le fameux registre de Güstrow… J'y découvre d'abord que Pfleger a travaillé sous l'autorité du tempêtueux wallon Danielis, à lui seul un sujet de roman !  Buveur, querelleur, il qualifiait les compositions des autres musiciens de la cour de « vols », de « singeries d'enfants », et tirait volontiers son épée lorsqu'il était contredit – ce qui arrive régulièrement dans les sources à notre disposition… (Un peu comme les histoires de fesses de Philip Glass.)
    Lorsque Danielis menace de quitter la cour parce que ses ennemis le tourmentent (collègues ?  créanciers ?  ce n'était pas tout à fait clair et, rappelez-vous, je n'ai eu que quinze jours en même temps que mon day job pour fureter dans des registres techniques allemands, remonter la source des citations bibliques éclatées et rédiger mon texte…), il obtient, alors qu'il a déjà obtenu solde de tout compte, empoché l'argent donné pour son voyage et fait ses adieux à la cour, de négocier une reprise de son contrat si jamais le Duc recrutait des musiciens supplémentaires !  Il effectue d'ailleurs plusieurs va-et-vient à la cour de Güstrow, soit parce qu'il est suspendu pour inconduite, soit parce qu'il essaie d'autres mécènes, et Pfleger le remplace pendant ces périodes de vacance, jusqu'au départ définitif du capricieux wallon. Qui ne se déroule pas sans éclat, rassurez-vous : il refuse absolument de remettre à Pfleger les travaux qu'il avait amorcés pour la cour, clamant que sa musique était sa propriété. (Quel homme moderne !) 
    [Danielis revient d'ailleurs après ce départ « définitif », pour prendre la place de Pfleger lorsque celui-ci part à Gottorf.]

    Ne croyez pas pour autant que le calme revienne tout à fait à Güstrow. Le style social de Pfleger était beaucoup plus convenable, mais on le voit lui aussi essayer d'accroître son importance, ou en tout cas celle de la chapelle, établissant une nouvelle nomenclature pour l'orchestre de la cour, avec un chiffrage très précis, et une proposition de période d'essai sur un an, après laquelle le Duc pourrait revenir à l'état antérieur s'il le souhaite. Étrange négociation dans des termes très entrepreneuriaux, où se perçoivent l'enthousiasme de Pfleger pour sa tâche et un réel sens pratique.
    La liste des profils à recruter stupéfie par leur polyvalence (et la spécificité des souhaits !) : «  un bassiste qui joue du violon et si nécessaire de la douçaine [ancêtre du basson] et de la flûte piccolo », «  un autre violoniste qui sache le cornet à bouquin et joue de la viole de gambe »… Voilà qui laisse rêveur quand à la dextérité virtuose des profils recherchés. (Un peu comme dans les histoires de fesses de Philip Glass.)

    Autre épisode qui démontre la détermination de Pfleger, et surtout son dévouement à sa tâche musicale : lorsque son protecteur leur demande d'inclure la chorale des lycéens dans la musique de sa chapelle… Pfleger refuse tout net : a) il est trop tard pour leur apprendre à bien chanter – b) le résultat serait mauvais – c) son rôle de maître de chapelle est avant tout de promouvoir la gloire de Dieu. Désolé Duc-mécène, ça va pas le faire.

    Et il y a en pour croire que c'est en 2021 que le respect est décédé…

    Cette impudence récurrente des musiciens s'explique peut-être (en partie du moins) par l'existence de plaintes nombreuses à propos de salaires non versés (et de la mauvaise qualité de la nourriture servie, ce qui exaspérait tout particulièrement Daniel Danielis, comme vous vous en doutez) : ce défaut de l'employeur leur donnait peut-être davantage d'aplomb dans leurs relations hiérarchiques.




Pour toutes ces raisons, musicales, culturelles, mondaines, je ne puis trop vous inciter à découvrir ce disque – qui contient aussi les textes traduits, ainsi qu'un guide d'écoute qui détaille les effets musicaux et les emprunts textuels, cantate par cantate.

Ainsi que celui, très différent (plus exubérant, moins étrange aussi) de CPO – je n'ai pas eu accès à sa notice, je ne sais pas ce qu'elle apporte comme éléments (sûrement pas les mêmes, du coup !). Les deux disques méritent le détour pour les amateurs de musique sacrée germanique XVIIe et pour les curieux en général.

En espérant vous avoir amusés, je vous souhaite, estimés lecteurs, de belles découvertes sonores dans les jours à venir, pour garder l'âme en joie tandis que Rome brûle !


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Commentaires

1. Le dimanche 18 avril 2021 à , par Diablotin :: site

Pour l'anecdote, Handel se battit également en duel à l'épée contre Johann Matteshon, à Hambourg en 1704, et sa carrière aurait pu être très largement raccourcie, n'eût-il été sauvé par l'un des larges boutons dorés qui ornait sa redingote !

2. Le dimanche 18 avril 2021 à , par DavidLeMarrec

Bonjour Diablotin !

De toute façon, les artistes sont des benêts. Tiens, Pouchkine qui joue – et perd – le quatrième chapitre d'Onéguine aux cartes, avant de perdre tout de bon la vie dans une affaire d'honneur dont la nécessité n'était pas évidente…

Et Mozart qui mange de la viande avariée en pleine rue, hein ! Schubert qui couche avec n'importe qui… Surveillez-vous les gars !

Ils ne pourraient pas faire attention à un peu moins vivre, pour nous ménager un peu de leur œuvre ? (Surtout que ces gaillards sont en général particulièrement emplis du sentiment de leur propre valeur, coucou Ludwig van B. et Richard W. !)

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