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Stephen Sondheim - Sunday in the Park with George, le spectaculaire à tous les étages


Après avoir assisté à la représentation du 25 avril 2013 au Châtelet.

Typiquement l'univers qui m'est cher dans la comédie musicale : très déclamatoire et spirituel, où l'on échappe au lyrisme parfois plat du genre (en somme, je me sens infiniment plus proche de The Frogs que de Sweeney Todd). La liberté d'invention du livret de James Lapine force l'admiration : à partir d'un seul tableau, non seulement il invente l'intrigue qui prévaut sa création, mais fait aussi parler les personnages en tant que membres du tableau, puis nous projette dans l'avenir au musée, et fait dialoguer le nouvel artiste avec un spectre du tableau (de surcroît relié par une vague filiation). Rien de tout cela ne se rapproche des habituelles normes du théâtre - le maintien de la tension, par exemple, n'a que peu à voir avec l'intrigue...

Musicalement aussi, l'objet est étrange : énormément de mélodrames, c'est-à-dire de répliques parlées accompagnées par l'orchestre, des chansons qui se développent sur le mode conversationnel, et des ensembles d'une science digne des grands opéras du répertoire. L'harmonie emprunte beaucoup au jazz (ou à Ravel, comme on veut), mais avec une évidence qui évite l'impression d'un musical d'art & d'essai un peu prétentieux.

Le premier acte est largement structuré par un motif récurrent... pas particulièrement beau, mais en tout point pointilliste. Il est vrai que le second acte n'a pas la puissance évocatrice du premier - et qu'il ne s'y passe finalement pas grand'chose de nouveau, ni dans l'intrigue (dont le principe reste néanmoins assez piquant), ni surtout dans la musique, qui recycle essentiellement les trouvailles du premier acte.


« Air d'entrée » de Dot, maîtresse de George (forcément !).
Sophie-Louise Dann, le 25 avril 2013.


Le succès de la soirée doit beaucoup

à son décor (William Dudley) hautement spectaculaire, en particulier le tableau panoramique, sous forme de projections remarquablement réalistes, qui évoluent en temps réel, au fil de l'avancement de la peinture ; ou encore la cavité-tableau du musée, qui donne réellement l'illusion de voir les acteurs rapetissés et maintenus dans un cadre. Mais aussi et surtout à ses musiciens de haute volée (à commencer par le Philharmonique de Radio-France, rien que ça).

Julian Ovenden assure une belle plasticité vocale tout au long de la représentation, capable d'incarner de façon autonome les deux artistes successifs, aussi bien dans la voix que dans le maintien. La concentration du timbre sur le point de démultiplication permet une vraie densité et un tranchant appréciables. Et l'aigu, dans les rares moments où il est sollicité, paraît glorieux (mixé et projeté, beaucoup plus rond qu'un belting pur).

Mais la palme de la soirée revient à Sophie-Louise Dann, une hallucination sur pattes. Elle maîtrise absolument tous les types d'émission : déclamée façon musical, poitrinés naturels et belting, émission acide de caractère, flottante, lyrique, mixte et même saturée... Ses [i] sont aussi bien timbrés que ses [a], chose devenue rarissime dans son genre vocal, et malgré sa jeunesse son grain évoque l'assurance des grandes figures anglaises mûres. L'actrice est tout aussi remarquable, et surtout, surtout : ces différents modes vocaux se succèdent à un rythme effréné, jamais ostentatoires, toujours au service de l'expression la plus tranchante.
Une des chanteuses les plus impressionnantes, tous répertoires confondus, qu'il m'ait jamais été donné d'entendre.

J'aimais bien l'oeuvre, mais la voir vivre en salle est une expérience assez intense. Qui rehausse grandement l'intérêt pour cette partition.

Par ailleurs, c'était aussi l'occasion d'en entendre la nouvelle orchestration, cette fois pour grand orchestre (Michael Starobin), qui n'apporte cela dit pas une plus-value particulièrement spectaculaire, les couleurs de l'original étant respectées - quitte à verser dans la maladresse d'orchestration.

Cette soirée reste audible pendant un mois sur France Musique. Et pour ceux qui veulent thésauriser les concerts de la station, une astuce...


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Commentaires

1. Le samedi 27 avril 2013 à , par Julian Ovenden :: site

Bonsoir !
Merci de ne pas me confondre avec Jeremy Ovenden. Moi je chante dans Sunday in the Park, et je serais bien incapable de chanter Monteverdi LOL Mais si vous nous avez confondu, c'est flatteur sans doute pour moi

2. Le samedi 27 avril 2013 à , par David Le Marrec

Miséricorde ! Voilà des semaines que je lis partout "Jeremy" - alors qu'il y avait de toute évidence partout écrit "Julian".

Je vous présente mes plus sincères excuses, et je m'empresse de rectifier dans la notule.


et je serais bien incapable de chanter Monteverdi

Pourtant, avec une voix aussi bien 'focalisée' et aussi nette, dans le baroque (Ulysse ?) ou dans le lied, je serais intéressé. Chose rare chez les spécialistes de musiques amplifiées, on perçevait à la fois de la projection et des aigus. Toutes choses qui rendaient crédibles la double compétence.

Merci d'avoir rectifié ma grossière erreur.

3. Le dimanche 28 avril 2013 à , par Ouf1er

J'allais faire la correction, mais vous m'avez devancé. J'en profite pour vous adresser toutes mes félicitations pour votre magnifique prestation dans ce rôle dont on aurait pu penser que Mandy Patinkin serait quasiment indétronable. Vous avez (largement) tenu le pari, scéniquement et vocalement, en évitant de surcroit les manierismes de Patinkin qui, à la réecoute (et surtout aprés l'écoute de la parodie de Forbidden Broadway), deviennent un peu penibles.

Tres content que tu aies aimé, David, autant que moi. J'y étais dimanche dernier (avec, en guise de prologue, un trés réjouissant "Concertôt de 11h" dédié à Sondheim, par des musiciens et chanteurs du CNSM. J'ai adoré ce dispositif en tournettes multiples sur fond de cyclo circulaire, qui donnait une profondeur étonnante au tableau.... Génial aussi ce "panoramique" qui nous fait découvrir, dans la continuité la scéne de baignade sous le pont, et dans l'autre sens, le petit resto bucolique...

C'est marrant, ce 2nd acte parait à beaucoup de gens moins réussi que le 1er. Or, quand on prend la peine de le réécouter, il est bien plus dense qu'il n'y parait : la grande scene du "Putting it together" (dans la galerie) est assez intense et d'une grande richesse musicale, je trouve, ainsi que le finale "move on".

J'ai vu le mois dernier Follies, à Toulon, et c'était aussi une grande reussite pour un chef-d'oeuvre totalement différent dans l'esprit et la forme. On attend maintenant impatiemment la suite des aventures Sondheimesques avec INTO THE WOODS, prévu la saison prochaine, si j'en crois les rumeurs....

4. Le lundi 29 avril 2013 à , par malko

Il existe unimport un blu ray du spectacle donné au Lincoln Center pour les quatre-vingt ans de Sondheim qui réunit en sa présence la fine fleur de BROADWAY : Patti Lupone, Bernadette Peters, Elaine Sritch, Donna Murphy ... et offre un florilège plutôt complet de son œuvre.

L'orchestre comme la direction sont anthologiques.

Ces artistes l'ont tous chantés sur scène; cela se voit et s'entend.

Je me figure souvent que l'enthousiasme, l'énergie, le plaisir dispensés et ressentis à Broadway est ce qui s'apparente le plus à ce que devait éprouver le public d'afficionados du lyrique aux siècles derniers.


5. Le mercredi 1 mai 2013 à , par David Le Marrec

@ Ouf 1er :
Oui, j'aimais bien, mais à la scène, j'ai vraiment été conquis, une de mes meilleures soirées de la saison. La baisse d'intensité tient aussi au livret, le principe même d'aller vers un univers plus prosaïque et banal affadit forcément l'impression générale. Mais ça ne s'arrête pas là, à force de réentendre les motifs, il s'émoussent. Et même "Move on", je ne trouve pas ça ultimement inspiré - très beau, mais assez banal dans l'univers du musical, ça ressemble d'ailleurs à beaucoup de choses qui se sont fait depuis (encore plus qu'avant...).

Non, le jeu de parlé-chanté, les jeux astucieux entre niveaux de perception, tout cela s'estompe après la scène du tableau dans la galerie. Ce n'est pas grave non plus, hein, ça fait trente minutes moins bonnes sur deux heures de spectacle enthousiasmant.

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@ Malko :

La parenté entre les deux genres est évidente de toute façon. Mais oui, le public très mêlé, le côté événementiel (avec de véritables stars dont le chant lyrique n'a plus d'exemple depuis très, très longtemps, même à l'échelle Pavarotti, Domingo, Alagna ou Kaufmann), la plasticité du genre selon les modes musicales, la tentative de rester grand public, l'interaction revendiquée avec le spectateur, la tolérance au bruit (grâce à l'amplification) rapprochent considérablement le musical de ce que fut l'opéra autrefois.

A ceci près qu'il n'y a plus vraiment de dimension sociale (répartition, loges réservées...), et que ce n'est plus du tout le spectacle dominant, remplacé depuis longtemps par le cinéma (qui n'est pas sans points communs non plus) puis la télévision.

6. Le dimanche 5 mai 2013 à , par malko

Je viens de voir sur MEZZO et c'est effectivement mémorable.

En dehors de l'exquis discours musical attendu, pointe, grâce aux deux interprètes principaux comme tu l'as dit, une réflexion émouvante et sur l'art et sur l'amour.

7. Le lundi 6 mai 2013 à , par David Le Marrec

Oh, merci, je n'avais pas l'info de la vidéodiffusion, grande nouvelle, le spectacle fonctionne formidablement comme un tout. Je me suis déjà beaucoup réécouté la captation France Mu - et particulièrement cet "air" d'entrée.

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David Le Marrec

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