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Philomèle de Pierre-Charles Roy : le tragique rugueux - II - le sujet, ses ajustements, son Prologue



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C. Le sujet de Philomèle et ses ajustements

Malgré la radicalité assez redoutable de cette pièce multipliant les tableaux d'exaction, Pierre-Charles Roy fut contraint, pour des raisons évidentes de bienséance, d'édulcorer le mythe, ou plus exactement, de façon habile, d'en transposer les horreurs de façon plus regardable.
Il faut bien considérer que le mythe de Philomèle serait difficile à présenter sous forme de film, aujourd'hui - ou alors quelque chose d'éloigné du grand public, sous forme de film d'horreur ou avec une représentation elliptique et psychologisante. Bref, si on voulait le faire au cinéma, on éloignerait les enfants et les ingénus.

Alors, à plus forte raison dans le cadre très codifié de la tragédie en musique...



Ainsi le viol de Philomèle et sa mutilation buccale sont-ils supprimés. L'iniquité de Térée est caractérisée par une forme symbolique de violence amoureuse : l'assassinat de l'amant de Philomèle - ce qui permet de représenter, de façon très avisée, la violence de Térée sous une forme plus féconde dramatiquement. Elle dure sur plusieurs actes, elle prend forme humaine, dialogue avec les autres psychologies : Roy a en quelque sorte rendu vivante une action.
Cet épisode constitue ainsi une forme de viol par la négative : au lieu d'imposer de façon insoutenable un amant à Philomèle, il la prive de son amant légitime. C'est aussi la façon symbolique d'exprimer la mutilation dans le mythe originel.

De la même façon, le repas fait d'Itys, fils de Procné et Térée, est remplacé par un meurtre "simple", façon Médée, réalisé par la mère devenue insensée et qui le regrette immédiatement - comme dans l'Idoménée de Danchet quelques années plus tard.

En revanche, quelques événements spectaculaires comme le siège des Bacchantes ou l'incendie du palais de Térée sont ajoutés, de façon à redonner à l'intrigue le caractère expansif qu'on lui a ôté.

Bref, une adaptation originale, mais pas affadie.

Voyons à présent le détail.

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D. Le Prologue

Dès le Prologue, ce poème dramatique se révèle une éclatante réussite. C'est sans doute le plus abouti écrit depuis Atys, dont il reprend le modèle : au lieu de chanter seulement la gloire du souverain, avec éventuellement la petite ambiguïté sur "le héros que j'attends" (Alceste) ou "l'auguste héros que j'aime" (Armide), on a ici simultanément l'éloge du roi et l'annonce de la couleur du drame.

La flatterie n'en est pas moins vigoureuse :

MARS
Le Vainqueur qui m'oblige à voler sur ses pas
Permet enfin que je respire ;
Il me laissait moi-même au milieu des combats,
A peine à son ardeur la mienne a pu suffire ;
Mais content de l'effroi que son nom seul inspire,
Il laisse reposer mon bras ;
Et la Paix va me rendre à vos charmants appas.

On s'amusera au passage de cette exaltation de l'adultère (Vénus étant mariée à Vulcain, n'est-ce pas...). Dès cette deuxième scène, le roi est enseveli sous les lauriers, sa bravoure épuise Mars lui-même.

Pourtant cette entrée triomphale est préparée dans la première scène par un tableau plus sombre sur les afflictions de la guerre, qui évoque la défaite du Temps et la tristesse de l'hiver dans Atys :

VENUS, assise
Ah ! quand reviendront nos beaux jours ?
Les fureurs de la guerre
En ont assez troublé le cours.
Ah ! quand reviendront nos beaux jours ?
L'impitoyable Mars qui règne sur la Terre
Se plaît à voit languir Venus et les Amours.
Ah ! quand reviendront nos beaux jours ?

(Venus se lève, et parcourt le Théâtre.)

Toute ma Cour est en allarmes,
Je n'y reconnais plus les Grâces et les Ris ;
De tristes larmes
Ont éteint tous leurs charmes.
Quels funestes débris ?
Carquois, Flambeau, Traits de mon Fils,
Est-ce vous douces Armes,
Dont le charmant pouvoir soumettait autrefois
Tant de Coeurs à mes lois ?

Cette humeur sombre fait écho à l'impact des dévastations de la guerre sur ceux qui n'y participent pas. Ainsi le Prologue consitue-t-il, d'une certaine façon, la prolongation de l'action de l'acte V, lorsque la Thrace voit les résultats de la fureur de Philomèle et Progné.
Sans lien explicite avec l'action à venir, le Prologue en développe la couleur.

Vestige de la tragédie galante, les bergers s'avancent dans la troisième scène. Et comme pour Atys, après avoir vanté le souverain par les plus grands superlatifs, après avoir fourni la couleur du drame à venir, on annonce nommément et solennellement l'histoire que l'on va raconter - procédé finalement très rare dans la tragédie en musique.

LA BERGERE
Ecoutez dans nos bois la tendre Philomèle,
Elle se plaint encor de son cruel Amant.
Entendez ses regrets... malgré son changement,
Sa douleur est toujours la même.
Elle perdit le jour par de barbares lois ;
Et le Ciel lui rendit une nouvelle voix,
Pour déplorer les maux qu'on souffre quand on aime.

LE BERGER
Qu'ils sont doux ses gémissements !
Ils charment tout ce qui respire ;
Tout plaît dans l'amoureux empire,
Jusques aux plaintes des Amants.

ENSEMBLE
Que l'amoureuse Philomèle
Par de nouveaux accents attendrisse nos coeurs ;
Plaignons ses funestes malheurs,
Célébrons son amour fidèle.

LE CHOEUR
Aimons, ne craignons point de tourments rigoureux,
L'Amour ne fera plus que des Amants heureux.

(Fin du Prologue et reprise de l'Ouverture.)

L'évocation de la transformation de Philomèle, qui n'est pas rapportée dans les cinq actes de la tragédie, confirme clairement notre hypothèse d'un Prologue qui se situe après le cinquième acte.

La langue est belle, les fonctions des épisodes sont variées, et ce Prologue crée comme rarement un beau climat qui pourrait être exploité en le jouant à part même du reste du drame.

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Suite à venir...


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