Tout comprendre du vibrato : définition et catégories
Par DavidLeMarrec, dimanche 6 décembre 2009 à :: Pédagogique - Glottologie :: #1426 :: rss
Avec quantité d'exemples sonores pour tout saisir concrètement.
Le vibrato est un facteur déterminant dans l'appréhension de la voix chantée, puisque la tenue d'un son, contrairement à la voix parlée, entraîne la perception d'une oscillation. Il est pour beaucoup dans l'adhésion ou la répulsion à une voix (ou un style de chant). La même voix vibrée ou non vibrée peut être à proprement parler transfigurée.
[On vous passe l'hymne versifié au vibrato écrit dans notre folle jeunesse , où Mireille rime avec treille.]Exemple :
[[]]Wiegenlied D.498 de Schubert par Gundula Janowitz et Irwin Gage. Dans ses Schubert, Janowitz réduit volontairement le vibrato pour donner un aspect plus sec, plus populaire à la voix, comme la berceuse d'une femme du peuple (un brin sublimée tout de même). Elle perd du coup en générosité et bonne partie de sa beauté, mais c'est un choix assez logique et tout à fait pertinent sur le principe : le lied à cette date est encore connecté à un imaginaire de la chanson populaire.
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La même interprète avec Herbert von Karajan et le Philharmonique de Berlin dans la gravure légendaire des Vier Letzte Lieder de Richard Strauss (ici, Beim Schlafengehen). Ici, du fait de l'ampleur de l'orchestre, du lyrisme de la ligne, de la tessiture aérienne, Janowitz utilise à plein son vibrato très particulier.
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Le vibrato est propre à une voix détendue. Il est dû au fait que l'appareil phonatoire a du jeu (en particulier les cordes vocales qui bougent), et n'est donc pas rigidement maintenu, vibre en harmonie avec le son émis. C'est donc plutôt un signe de bonne santé vocale. Un son ample et sain sera vibré, et tout l'instrument (le corps, donc) entrera en sympathie, en résonance avec le son produit.
Cependant, il existe deux paramètres fondamentaux pour comprendre le vibrato, avec des implications à la fois vocales et stylistiques.
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1. Vitesse de battement
Le vibrato est une oscillation autour d'une note : le son va alternativement plus haut et plus bas que la note écrite. La répétition de cette note centrale se produit à distance plus ou moins rapprochée.
Vibrato rapide (la note centrale est souvent répétée) :
[[]]Magdalena Kožená dans l'extrait le plus célèbre d'Ariodante de Haendel, le fameux Scherza infida. Ce n'est pas sa version discographique, mais un concert mémorable avec le Kammerorchester Basel (Orchestre de Chambre de Bâle) dirigé par Paul Goodwin. Sur les notes tenues, on entend nettement la répétition du son central, à une fréquence très rapprochée.
Vibrato lent (le mouvement est plus espacé, on peut compter le nombre de répétitions de la note centrale) :
L'air de confiance patriotique de Koutouzov dans Guerre et Paix de Prokofiev, dans la version extrêmement coupée de Valery Gergiev au Met de New York. A cette date (2002), on perçoit très bien le vibrato de Samuel Ramey, et on pourrait compter, lors de l'émission d'un son, le nombre de fois que la vibration s'entend.
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2. Amplitude des hauteurs
L'amplitude est le second paramètre toujours cité dans la littérature (même si cela me paraît insuffisant, ce sont tout de même les deux essentiels).
Il s'agit tout simplement de la distance parcourue par le vibrato autour de la note écrite. Ce peut parfois aller jusqu'à atteindre les notes adjacentes.
Vibrato de faible amplitude :
[[]]Jeanette MacDonald dans... Meyerbeer ! Le page Urbain à la fin du premier acte des Huguenots : le récitatif Nobles seigneurs, salut ! et sa cavatine Une dame noble et sage. On connaît l'histoire extraordinaire de cette chanteuse de revue qui, repérée par Lubitsch, va se produire dans son premier parlant avec Maurice Chevalier, et finir par chanter les héroïnes de Gounod (Marguerite et Juliette) à travers toute l'Amérique. Ici, la bande son du film Maytime de Robert Z. Leonard (1937).
Dans ses films, elle alterne avec une rare inspiration chansons de cabaret et performances opératiques. J'avoue ne pas avoir entendu beaucoup mieux que sa Marguerite en particulier, avec un excellent français et une expression délicate et fine que peu de 'concurrentes' ont ainsi maîtrisé. Car elle a hérité de ses expériences de cabaret une forme d'expression directe, qui ne se préoccupe pas que de la qualité du legato, Dieu merci.
Son Urbain est moins célèbre, c'est pourquoi on l'a privilégié même si la vocalisation est imparfaite. Le petit retard au début de la cavatine est demandé par le réalisateur, elle aperçoit son amant dans la salle.
On entend nettement sur les notes tenues que la voix ne parcourt que des zones très rapproches du son de départ, que la vibration se fait de façon très adjacente au son (qui reste parfois fixe), comme une surface aquatique liquide qu'on effleure.
Vibrato de grande amplitude :
Kristine Ciesinski à la fin du premier acte des Gezeichneten de Franz Schreker (Metzmacher 2007). Ici, le vibrato parcourt un bon demi-ton, on pourrait écrire plusieurs notes, ce n'est pas seulement une note qui se déforme, on parcourt vraiment une grande distance. Dans son cas, ce n'est pas beau, mais c'est souvent le cas avec les 'grands' vibratos.
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3. Régularité
La plupart des vibratos sont réguliers, mais d'autres sont plus anarchiques en apparence, vont et viennent à leur guise. Cela s'entend particulièrement pour des voix d'une époque assez ancienne.
[[]]Dans Lohengrin de Wagner, Victoria de los Ángeles chante Einsam in trüben Tagen, et l'on remarquera aisément que les vibrations de la voix reviennent d'une façon irrégulière (ou plutôt avec une régularité qui n'est pas symétrique). C'est typique d'une époque depuis longtemps révolue, dont on peut la considérer comme la dernière représentante.
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4. Caractère audible du vibrato
La plupart des voix vibrent en réalité, mais dans certaines, il peut être très audible et dans d'autres très discrets. Ce n'est pas forcément lié aux paramètres précédents.
[[]]Lucia Popp, avec un vibrato très équilibré (légèrement rapide peut-être, mais ni ample ni réduit), pourrait être un symbole du vibrato (avec Barbara Hendricks par exemple) : à peu près toutes ses notes sont vibrées, et elle a besoin de cela pour laisser son timbre d'épanouir (sans acidité). Il est en tout cas très audible dans sa voix, comme une sorte de grelot.
Ici, la cavatine d'entrée de la Comtesse Almaviva dans Le Nozze di Figaro de Mozart, dans la très belle version de Marriner (malgré une direction un peu molle), récemment rééditée de Philips chez Decca (la licence concédée par Philips expire ces jours-ci et Universal doit tout faire reparaître sous son étiquette propre).
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5. Autres caractéristiques
Il existe aussi des vibratos dont la consistance s'apparente au trille, ou qui peuvent volontairement le remplacer :
[[]]Anna-Maria Panzarella en Erinice dans le ''Zoroastre'' de Rameau (version Christie, on entend Nathan Berg en Abramane). On ne parvient pas toujours à décider s'il s'agit d'ornementations (non écrites) ou de l'effet d'un vibrato rapide (et - relativement - ample).
On pourrait aussi créer d'autres catégories, comme la capacité de moduler le vibrato : on pourrait en effet distinguer le vibrato stylistique qu'on adopte selon le répertoire d'un soir, le vibrato structurel qui fait 'fonctionner' telle ou telle voix, et le vibrato maladif, par vieillesse ou par difficulté technique. Dans ce dernier cas, il faudrait distinguer le vibratello qui est dû à une surpression du grand vibrato 'sinusoïdal' qui apparaît sur les voix de grand formal et se développe désagréablement avec l'âge et la fatigue vocale.
La littérature phoniatrique doit en fournir quantité d'autres. Nous, nous nous en arrêterons là, les trois ou quatre critères différents que nous avons fournis permettent déjà d'avoir une idée assez 'opérante' de ce qui se passe dans la question du vibrato, du point de vue artistique sinon technique.
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6. Problèmes de vocabulaire
Le vibrato souffre peut-être d'incompréhension avant tout à cause d'un vocabulaire très flou.
Le mot 'fréquence' est ambigu, parce qu'il peut recouvrir aussi bien la vitesse de battement que l'amplitude de la hauteur parcourue (la 'fréquence' étant aussi le mot pour désigner le nombre de battements d'un son par minute, ce qui détermine sa hauteur), et on l'évitera pour cette raison. Car le problème réside grandement dans des questions de vocabulaire flou. On en propose un choix, mais il est évident que personne n'est tenu de la respecter, c'est simplement pour clarifier et essayer de pousser dans le sens d'une terminologie un peu rigoureuse et claire.
De la même façon, on parle de vibrato 'large' aussi bien pour un vibrato lent que pour un vibrato de grande amplitude. 'Serré' est un peu plus clair : c'est à la fois un vibrato rapide et de faible amplitude ; on parle aussi de 'vibratello' lorsqu'il est très rapide, de façon assez péjorative, pour indiquer que la voix semble trembler (ce que les critiques appellent parfois et souvent à tort une voix trémulante).
On est prudent sur le sujet parce qu'il existe des vibratos rapides de grande amplitude :
[[]]Gabriel Sadé en 2007 dans les Gezeichneten de Franz Schreker ; le chanteur est toujours impliqué et intelligent, mais la fréquentation de rôles exigeants a abîmé la voix. Dans l'aigu ''forte'', on peut ainsi entendre ce qu'on peut appeller avec une certaine malice discourtoise le ''syndrome Tarzan'', une expression qui a cependant le mérite d'être immédiatement parlante : un vibrato rapide mais de très large amplitude. J'aime beaucoup son Alviano Salvago quoi qu'il en soit, même à cette date ; le timbre n'est pas laid et l'interprète très concerné.
L'inverse est moins facile à trouver (des vibratos lents avec une faible amplitude), et pour tout dire je n'en ai pas d'exemple à l'esprit.
Quoi qu'il en soit, en règle générale, la rapidité du vibrato et son amplitude vont de pair, d'où les confusions fréquentes dans le vocabulaire.
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7. Implications morales
L'absence de vibrato (voix 'droite', voix 'blanche') est souvent considérée comme négative en chant classique (sauf en baroque), alors qu'elle nécessite une plus grande justesse des attaques pour tomber nettement sur la note. Tout simplement parce que le vibrato est le résultat naturel d'une voix bien placée et détendue (l'ensemble des mécanismes du larynx ont un peu de jeu et d'élasticité).
Le vibrato de grande amplitude est très mal vu : il est associé au vieillissement dans les répertoires les plus prestigieux et les plus lourds (Verdi / Wagner pour faire vite) ; certains chanteurs en effet en perdent le contrôle avec les progrès de la fatigue vocale et de l'âge. Il affecte beaucoup la justesse de la note et crée un son de sirène d'incendie (sinusoïdal) assez désagréable. Il mange aussi le texte, la ligne mélodique...
Pour preuve, on a immédiatement pensé à des voix laides pour l'illustrer de façon claire, ce qui n'est pas le cas de nos autres extraits.
Le vibrato très rapide (et de faible amplitude), ou vibratello, est souvent moqué, mais dérange moins. Finalement, on en rit, mais on ne le blâme pas tant que cela, parce qu'il n'affecte pas la justesse ; il a juste un côté désuet - bien que beaucoup de voix actuelles en disposent. Une telle voix, chez un jeune chanteur, peut aussi être le signe d'une pression subglottique excessive.
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8. Implications stylistiques
La quantité et la qualité du vibrato sont étroitement liées au répertoire abordé.
- Pour la musique ancienne (jusqu'à la première moitié du XVIIe siècle), il est prohibé. On chante avec des voix 'droites', pour assurer la justesse parfaite dans les polyphonies. Les lignes simples et courtes de ces oeuvres, avec de petits ambitus, n'ont pas besoin d'alourdissement.
- Pour la musique baroque, il est utilisé, mais de façon parcimonieuse. Il sert uniquement à des fins expressives.
- À partir du XIXe siècle, il est davantage utilisé à des fins expressives ou même pour servir la puissance, mais connaît des allers et retours assez nombreux jusqu'au début du XXe siècle – ce n'est qu'à partir des années 30-40 qu'il devient une norme de plus en plus incontournable du chant lyrique, sans retour.
- À partir des années 1970, néanmoins, le renouveau du répertoire baroque et les recherches musicologiques vont conduire à réhabiliter le chant sans vibrato – jusqu'à inspirer très audiblement, aujourd'hui, les chanteurs de lieder par exemple. Les voix vibrées (et très vibrées) demeurent pourtant très nettement majoritaires, mais désormais certains artistent osent régulièrement, miroir inversé des temps passés, le non-vibrato comme un ornement !
Il est bien sûr question des pratiques instrumentales d'aujourd'hui, pas de chercher l'authenticité (et encore moins la légitimité) de ces postures, ce qui serait un travail de bien plus vaste ampleur qu'un résumé de trois lignes.
Plus le répertoire est lourd, plus l'orchestre est vaste, plus les vibratos deviennent importants, audibles, de grande amplitude (et généralement plus lents). Tout simplement parce qu'il faut utiliser la capacité maximale de résonance de l'instrument pour pouvoir tenir des tessitures acrobatiques et rivaliser avec des puissances d'orchestre déchaîné.
La musique contemporaine, dans son souci un peu intrusif de contrôler tous les paramètres d'interprétation, a réintroduit certaines obligations d'interrompre le vibrato.
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9. Postérité instrumentale
Le vibrato chez les instruments à cordes ou à vents à le même rôle (rendre sonore, expressif, masquer les errances de justesse), et doit beaucoup à l'imitation de la voix humaine bien évidemment. Désir qui s'est parfois renversé, certains chanteurs pouvant rêver d'obtenir un timbre violoncellistique.
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Rien qu'avec les deux premiers chapitres de cette description (et peut-être aussi le sixième), vous devriez désormais être en mesure de braver avec constance toutes les questions épineuses de vibrato.
Une bonne journée et une bonne semaine à vous !
Commentaires
1. Le mardi 8 décembre 2009 à , par lou :: site
2. Le mardi 8 décembre 2009 à , par DavidLeMarrec :: site
3. Le mercredi 9 décembre 2009 à , par donescamillo
4. Le mercredi 9 décembre 2009 à , par DavidLeMarrec :: site
5. Le dimanche 10 février 2013 à , par Pierre Guillard
6. Le dimanche 10 février 2013 à , par David Le Marrec
7. Le vendredi 23 août 2013 à , par vahn :: site
8. Le dimanche 2 août 2015 à , par Euryanthe
9. Le dimanche 2 août 2015 à , par David Le Marrec
10. Le lundi 3 août 2015 à , par Euryanthe
11. Le lundi 3 août 2015 à , par David Le Marrec
12. Le mardi 30 avril 2019 à , par jean-jacques simon
13. Le mardi 30 avril 2019 à , par DavidLeMarrec
14. Le dimanche 14 février 2021 à , par David
15. Le lundi 15 février 2021 à , par DavidLeMarrec
16. Le vendredi 19 février 2021 à , par DavidLeMarrec
17. Le dimanche 21 février 2021 à , par David
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19. Le lundi 1 mars 2021 à , par DavidLeMarrec
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21. Le mercredi 3 mars 2021 à , par DavidLeMarrec
22. Le dimanche 14 mars 2021 à , par Wranitzky
23. Le mercredi 17 mars 2021 à , par DavidLeMarrec
24. Le samedi 20 mars 2021 à , par Wranitzky
25. Le dimanche 21 mars 2021 à , par DavidLeMarrec
26. Le mercredi 19 octobre 2022 à , par Olivier :: site
27. Le samedi 22 octobre 2022 à , par DavidLeMarrec
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