Le majeur triste
Par DavidLeMarrec, mercredi 12 octobre 2011 à :: Opéras de l'ère classique - Discourir - Musicontempo - Pédagogique - Andromaque de Grétry (1780) - Opéras des écoles du vingtième siècle :: #1843 :: rss
Les farfadets de céans avaient déjà évoqué ce sujet à l'occasion de l'éloge d'un duo de l'Idoménée de Campra.
[Précision à l'usage des mélomanes non-pratiquants : la gamme mineur a une tierce (troisième note) plus basse que dans la gamme majeure, ce qui lui confère un aspect, pour l'auditeur "occidental" (hors folklores spécifiques), spontanément plus sombre.]
On lit quelquefois le reproche, sous la plume d'amateurs du vingtième siècle, envers Mozart ou Verdi, de superficialité émotive et dramatique, en raison de leur usage immodéré des tonalités majeures dans les moments tempêtueux ou tristes - pour le dire simplement, au moment où l'on est censé éprouver des émotions "négatives".
Il ne s'agit pourtant que du pendant inversé de l'habituelle caricature mineur-triste / majeur-gai. Tous les mélomanes admettent généralement que le mineur n'est pas du tout mécaniquement sinistre - il n'est que d'écouter certaines sonates de Domenico Scarlatti ! Mais le préjugé inverse semble plus tenace, même chez les mélomanes raffinés qui goûtent les complexités du vingtième siècle musical.
Contre Verdi, on voit citer le final de l'acte II de Rigoletto, "Sì, vendetta" - où le désir féroce de vengeance du livret passe par une cabalette en la bémol majeur très lyrique. Pourtant ici, le majeur exprime l'éclat, une forme de jubilation sauvage - et on pourrait même ajouter, mais ce n'est assurément pas le dessein de Verdi, que c'est sans réelle menace pour le Duc que vise Rigoletto. Ce qui fait parfaitement sens.
Et il existe encore plus impressionnant :
à la fin du XVIIIe siècle, les compositeurs développement une grammaire qui nous paraît aujourd'hui absolument primesautière, mais qui leur permet (efficacement) d'exprimer le plus grand désespoir sur des ariettes en majeur. Et ce n'est pas seulement ce qu'on appelle le style galant, il y a aussi de grands tragédiens, admirés par les romantiques, qui y figurent. Par exemple chez Gluck, on pourrait mentionner, rien que dans Iphigénie en Tauride : "Dieux qui me poursuivez", "Ah, cet affreux devoir"... Une façon différente d'exprimer le désespoir, tout simplement. Oui, plus esthétisée, plus éclatante que dans le Thrène sans apprêt de Penderecki, qui cherche davantage à mimer le cri qu'à musicaliser l'émotion. Néanmoins cela n'enlève rien ni à l'une, ni à l'autre des formes d'expression - bien au contraire, leur coexistence grâce à la magie de la gravure sonore permet d'accroître la richesse des émotions musicales et dramatiques possibles.
Evidemment, si on les regarde sous l'angle de l'harmonie du vingtième siècle, tout cela est tellement prévisible, presque dérisoire... de la même façon que vu depuis Lully, Szymanowski représente un capharnaüm épouvantable.
En somme, si ce type d'argument pour disqualifier la musique baroque, classique ou romantique italienne et française me paraît tout à fait recevable sur le plan personnel (par contraste, ces musiques paraissent terriblement raides et naïves en venant depuis le vingtième siècle !), mais n'a aucune valeur pour juger de façon plus générale de la qualité dramatique de ces musiques.
Je suis d'ailleurs moi-même étonné de la puissance "sombre" de certains airs de désespoir en majeur, en particulier chez Grétry.
Commentaires
1. Le mercredi 19 octobre 2011 à , par antoine
2. Le mercredi 19 octobre 2011 à , par DavidLeMarrec
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