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Andromaque de... Grétry - (Niquet, TCE 2009) - I - Grétry, les attentes et l'ouverture


Comme on l'indiquait déjà dimanche, la re-création de cette oeuvre était porteuse d'une révélation d'ampleur réellement inattendue.

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1. Quelles attentes ?

Grétry semblait peu connu du public, y compris du public du Théâtre des Champs-Elysées. En discutant avec quelques représentants de ce qu'on considère comme la 'classe cultivée', je me suis aperçu également qu'en dehors des amateurs de cette période ou de ce genre, jusqu'à son nom et jusqu'à la fortune de Richard Coeur de Lion étaient mal connus.

On débute donc en deux mots une petite présentation pour les lecteurs de CSS, même si bon nombre doivent connaître le bonhomme, avant d'évoquer l'oeuvre elle-même.

1.1. Grétry

André Ernest Modeste Grétry (1741-1813) était un compositeur liégeois, venu à Paris chercher la gloire dès la fin de ses études, à la fin de l'année 1767 (après un bref séjour genevois en 1766-7). Fils de violoniste, sa vocation ne lui naît pourtant qu'à l'écoute des opéras bouffes italiens qui enchantaient alors l'Europe, y compris la France. Ce goût explique beaucoup de choses dans la parenté d'inclination qu'il manifeste avec l'évolution des préférences musicales à Paris.

Grâce à la Fondation Darchis (une institution liégeoise), il peut effectuer ses études musicales à Rome à partir de 1761.


Le fameux portrait par Elisabeth Louise Vigée-Le Brun.


Si Grétry, encore joué assez avant dans le XIXe siècle, et bénéficiant de quelques enregistrements (contrairement à Monsigny par exemple, dont l'oeuvre comique me paraît pourtant de plus grande valeur), a connu ce succès durable, c'est à ses opéras-comiques qu'il le doit.
En particulier, Richard Coeur de Lion sur le livret de Michel-Jean Sedaine, a connu une célébrité historique : le texte relate la recherche fructueuse de son maître par le trouvère Blondel, et le grand air héroïque de fidélité, le seul moment un peu vigoureux de la partition, était devenu sous la Révolution un signe de ralliement des royalistes, un étendard sonore.

O Richard, ô mon roi,
L'univers t'abandonne,
Sur la terre il n'est donc que moi
Qui s'intéresse à ta personnne ! [1]

On comprend aisément la valeur symbolique qu'on pouvait en tirer... Grétry a d'ailleurs perdu sa place après la disgrâce de Louis XVI, et ce fut cinq jours après une représentation houleuse de Richard Coeur de Lion que la famille royale dut définitivement quitter Versailles.

Chez le Grétry qui nous est parvenu, on trouvera surtout des textes très faibles, et une musique d'une simplicité extrême, aux confins de l'indigence, dont la naïveté passe Rousseau. Le style Marie-Antoinette, en somme : des airs strophiques très simples, aux émotions bonnes et primitives.

Blondel a même le temps d'éprouver la charité des habitants sur le pauvre aveugle qu'il feint d'être, et de conseiller la bonne Laurette qui se montre un peu pressée de croire un chevalier entreprenant. C'est à ce conseil que répond la petite par cette ariette reprise à tempo plus lent par la Comtesse de la Dame de Pique de Tchaïkovsky :

Je crains de lui parler la nuit,
J'écoute trop tout ce qu'il dit.
Il me dit "Je vous aime" - et je sens malgré moi,
Je sens mon coeur qui bat - je ne sais pas pourquoi.

1.2. Pronostics d'avant-concert

Bref, des bons sentiments, de pair avec de la musique furieusement gentille. Tel on connaissait Grétry.

On pouvait donc attendre - n'étaient quelques propos informés dont les lutins avaient pu bénéficier en un autre lieu - d'une tragédie lyrique un caractère très lissé, plus policé encore que du Sacchini, une tragédie perpétuellement en majeur qui, malgré elle, semble toujours redire une histoire légère et badine. Quelque chose qui ressemble plus à Paul et Virginie de Le Sueur qu'à la danse certes allante, mais toujours très en phase avec le drame de Lully.
Bref, une tragédie au delà de la quatrième école qui est pourtant la dernière (celle où le baroque laisse la place au néoclassicisme glucko-piccinnien) : une tragédie qui ne serait plus qu'une exposition de jolie formules aussi agréables que creuses.

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2. L'Ouverture

La présence d'Hervé Niquet et d'une très belle distribution nous rassuraient tout de même un peu, ou du moins faisaient naître l'espoir d'une exécution convaincante. Mais on n'en attendait certes pas un bouleversement.

Et l'Ouverture nous fit frémir - nous allions avoir raison, au delà même de nos espérances. Si Niquet n'en faisait que cela, c'est qu'assurément Andromaque, coup d'essai et coup d'arrêt de la tragédie lyrique chez Grétry, s'apparentait réellement à de la soupe.

Toute l'Ouverture, en effet, tient d'un très galant Louis XVI, farcie de formules plates répétées sans variation, avec quelques pépiements joyeux d'oiseaux en prime chez les bois. Bref, un magnifique hors sujet vu la teneur du livret, un peu comme ces ouvertures de Rossini qui ouvrent aussi bien le Barbier que la tragédie d'Elisabeth Ière (Elisabetta Regina d'Inghilterra [2]).

Ce fut la suite qui changea radicalement. Et progressivement nous fûmes descillé, en particulier au cours d'un acte II dont la fureur imaginative ne peut être comparée, on l'a déjà dit, qu'à Don Giovanni parmi les opéras du second XVIIIe. Et en plus moderne de surcroît.

On soutiendra plus précisément ce point de vue dans une prochaine notule, mais ce point n'a pas été contesté par nos camarades présents, assez étonnés eux aussi.

Notes

[1] En principe, aujourd'hui, il faudrait d'ailleurs noter qui m'intéresse.

[2] Inutile d'écouter, l'Ouverture a été reprise pour le Barbier sans changement, et l'opéra seria en question est l'un des pires nanars de l'histoire de l'opéra, avec moins de modulations et moins de recherche dans le récitatif que le pire Donizetti.


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Commentaires

1. Le mardi 20 octobre 2009 à , par Moander

"O Richard, ô mon roi", le seul moment vigoureux de Richard... Tu es quand même très sévère.

Tout l'Acte 2 (le plus court certes) se tient très bien avec notamment l'air de Richard : "Si l'univers entier m'oublie" et le duo Richard/Blondel : "Une fièvre brûlante", ce me semble au même niveau. Certes, je t'accorde que c'est quasiment le même air mais il me semble que cela est fait exprès!!
Après c'est plus hétérogène mais l'introduction, l'air de Laurette et la fin de l'acte III ne sont pas indigents non plus.

Finalement, je ne serais pas surpris qu'à l'époque, l'opéra-comique se doit d'être gentil... et que Richard soit parmi ce qui sort le plus du lot!!


Sinon, oui l'ouverture d'Andromaque ne me paraît pas très intéressante, mais y en a-t'il une à cette époque? Gluck, Mozart, c'est un peu pareil dans le genre pas passionnant.

2. Le mardi 20 octobre 2009 à , par DavidLeMarrec :: site

Je n'ai pas dit que le reste était mauvais je l'ai pensé par contre, mais que c'était le seul moment qui échappe vraiment aux galanteries.

Oui, à l'époque l'opéra-comique EST gentil, un divertissement familial et moral, mais Sedaine a écrit d'autres livrets infiniment plus profonds, à commencer par le Déserteur de Monsigny dont la musique est, elle aussi, autrement plus consistante.
Donc, non, Grétry n'est pas le sommet de de l'opéra-comique, ou en tout cas pas ceux qui nous sont parvenus avec des témoignages sonores...


Pour les ouvertures, oui, je te réponds : il y en a d'intéressantes. Exemples ? Orphée de Gluck, Les Danaïdes de Salieri (dont s'est largement inspiré Mozart pour Don Giovanni)... On en trouve des tas en fait.

3. Le mercredi 21 octobre 2009 à , par Regards curieux :: site

J'ai pu assister à la représentation bruxelloise et j'ai beaucoup aimé, un vrai petit bijou. Certaines sonorités sont d'une rare beauté. Je reste marquée par l'air d'Andromaque (au II acte) accompagné de flûtes traversières.
Quelques impressions de plus dans mon petit billet:
http://regards-curieux.blog.lemonde.fr/2009/10/21/andromaque-de-gretry-un-opera-ressuscite-sous-la-direction-dherve-niquet/

4. Le jeudi 22 octobre 2009 à , par DavidLeMarrec :: site

Oui, le deuxième acte est stupéfiant. Grétry parle d'ailleurs de ces récitatifs (mais c'est aussi le cas dans cet air) accompagnés par un trio de flûtes formant harmonie dans ses Mémoires publiées au début de la Révolution.

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