Andromaque de... Grétry - (Niquet, TCE 2009) - IV - La musique : une oeuvre de la quatrième école
Par DavidLeMarrec, lundi 2 novembre 2009 à :: Baroque français et tragédie lyrique - Saison 2009-2010 - Andromaque de Grétry (1780) :: #1399 :: rss
Et musicalement ? On en viendra en dernier lieu à l'exécution de haute volée, avec sans doute un petit manque d'abandon de la part des chanteurs, mieux vaut aborder la qualité musicale de l'oeuvre elle-même, c'est le plus urgent.
Pour accompagner votre lecture, un extrait saisissant du Thésée de François-Joseph Gossec, dont il sera question en fin de notule. Duo de manipulation entre Médée et Egée.
Capté à Versailles par France Musique[s] le 29 novembre 2006.
On entend le merveilleux grain vocal et verbal de Hjördis Thébault (à qui je dois des excuses) et l'enthousiasme toujours communicatif de Pierre-Yves Pruvot, qui a beaucoup fait pour ce répertoire. Accompagnement exemplaire du Parlement de Musique dirigé comme il se doit par Martin Gester.
4. La musique
4.1. La quatrième école
On renvoie, pour cette question de genre, les lecteurs à nos présentations sur les écoles de tragédie lyrique, et en particulier à cette notule consacrée à la quatrième école, qui n'appartient plus à la sphère du baroque musical.
Pour résumer tout de même la situation :
- La tragédie lyrique naît du désir du roi (Louis XIV) de posséder son propre théâtre à machines, et son propre opéra, en français. D'où procèdent les contraintes du genre, en opposition avec la tragédie classique (divertissements dansés, changements de décor, parfois à vue, omniprésence du surnaturel).
- La première école est celle qu'on peut attacher à Lully, très proche du texte, solennelle dans son maintien.
- La deuxième est celle de l'épanouissement : toujours très proche de la prosodie, mais avec plus de fluidité, plus d'airs, plus de coquetteries, plus de contrepoint. Plus de variété musicale aussi, et plus de spectaculaire.
- La troisième, attachée à Rameau, s'éloigne de la primauté du texte pour favoriser la musique, et particulière les effets spectaculaires. C'est le triomphe aussi bien des orages spectaculaires que des mignardises galantes. Les livrets s'affadissent considérablement.
- La quatrième école est à concevoir en rupture avec la précédente : sous l'impulsion de Gluck en particulier, la tragédie lyrique s'épure, mais à l'extrême : non seulement on revient à une harmonie et des rythmes très simples, mais en plus en reserre l'action, on écarte autant que possible les dieux, on diminue les ballets. On se recentre sur le texte (pas toujours excellent pour autant), et surtout sur les sentiments des personnages, beaucoup plus subjectifs que grandioses.
Il convient de rappeler ici que cette classification n'a rien d'officiel, et qu'elle se prête mal aux genres vocaux et instrumentaux non scéniques (musique religieuse, musique de salon) des XVIIe et XVIIIe siècles français. Elle est juste une proposition de repères que je fais sur Carnets sur sol, et qui me paraît relativement opérante.
Sans être formulée de façon aussi systématisée à ma connaissance, on la retrouve tout de même, dans l'esprit, dans les travaux savants.
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4.2. Appartenance, parentés et personnalité
Sans discussion possible, Andromaque appartient à cette quatrième école. Son langage épuré est tout classique. Ses harmonies ne sont plus baroques, elles sont déjà le fondement du langage "naturel" qui est culturellement le nôtre (la grammaire de Haydn et Mozart, en somme : qui va se romantiser progressivement via Beethoven).
C'est ce qui explique que cette musique nous paraisse à la fois si proche et si nue : elle est un peu le point de départ d'un certain "naturel harmonique", pour les auditeurs du début du XXIe siècle.
Comme toujours lorsqu'on découvre quelque chose de nouveau, comme on a pu le faire pour Hjalmar Borgstrøm ou André Cardinal Destouches, il est utile de dresser des comparaisons pour se situer - et pour situer le lecteur qui n'aurait pas encore entendu (extraits musicaux en préparation, qu'on se rassure). Néanmoins, parfois, l'oeuvre est si puissamment originale, comme dans ces deux cas (particulièrement Callirhoé, en fait), et comme dans Andromaque, qu'on en viendra bientôt, au moins en ces pages, à considérer cette oeuvre elle-même comme l'étalon d'un style, voire comme son aboutissement.
Car l'oeuvre est à rapprocher, pour sa vérité et son emphase déclamatoires, de l'Amadis de Gaule de Johann Christian Bach, lui aussi d'après un modèle illustre du siècle passé : Philippe Quinault, simplement remanié ! Il est vrai que ce modèle-là, prêtait moins à la controverse, car il appartenait bel et bien au genre du livre de tragédie lyrique, avec ses codes - contrairement à Jean Racine -, et l'on avait pris l'habitude de rhabiller la musique (voire de restructurer comme dans ce cas) les grands livrets, pour remettre au goût du jour la musique mais conserver les grands textes.
Les commentaires d'époque sont à ce titre éclairants, où l'on regrette que des morceaux de Lully ou de Destouches, très respectés mais vieillis, demeurent au milieu de musiques plus actuelles (que pourtant nous, aujourd'hui, trouvons infiniment plus superficielles, ce qui n'était pas vraiment nié par les chroniqueurs du second dix-huitième, qui influencés par le goût italien n'aimaient plus le récitatif et préféraient au demeurant le ton galant).
Mais finalement, Andromaque, par ses innovations, outrepasse largement la très belle homogénéité dramatique d'Amadis. En inspiration musicale, elle passe aussi les Danaïdes de Salieri. Hors Mozart, comme on le soulignait le soir même, c'est sans doute l'oeuvre la plus dense musicalement de son temps. La plus moderne, c'est certain, seul Don Giovanni peut lui disputer la place.
Et surtout l'une des plus inspirées. Hors Mozart effectivement, et hors peut-être le Thésée de Gossec (fondé sur le même sujet de l'exil de Médée à Athènes que le Thésée de Quinault, et non sur Racine comme Hippolyte et Aricie) dont nous connaissons quelques extraits très prometteurs en termes de vérité dramatique [1], rien ne peut se comparer à cette Andromaque, qui est proprement quelque chose d'inouï.
On me souffle que vous brûlez d'entrer dans les détails. A votre guise, mais c'est assez long pour l'heure, souffrez que nous préparions une nouvelle notule pour ce faire.
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Bonne journée à tous.
Notes
[1] Le ton du Thésée est celui, transposé en tragédie lyrique, des meilleures pages du Déserteur de Monsigny. Cependant, malgré des duos paroxystiques très réussis, les divertissements paraissent si fades qu'on peut difficilement imaginer une conduite globale aussi souveraine que chez Grétry.
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