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L'apparition de la 'musique subjective'


On poursuit donc notre périple à peine débuté autour de ce thème.

Par musique subjective, on entend ici une musique liée à une action qui au lieu d'être écrite comme les personnages sont censés l'entendre, est écrite telle qu'ils la perçoivent. C'est un procédé qui apparaît bien avant le vingtième siècle, et même avant les romantiques. On se propose ici, extraits et au besoin partition en main, d'en observer les deux premières apparitions que nous ayons pu relever, dans deux chefs-d'oeuvre de la littérature musicale du dernier quart du XVIIIe siècle.

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1. Don Giovanni de Mozart (1787)

C'est en réalité le second exemple par ordre chronologique, on s'occupe du premier ensuite, qui est moins connu.

En plus d'être pour de nombreuses raisons un chef-d'oeuvre, Don Giovanni est l'un de ces premiers exemples. Son mélange de comique et de tragique, son sujet révolté, sa sympathie musicale pour l'anti-héros, la continuité du discours de longs finals, la musique de scène exécutée sur la scène, le final spectaculaire ne sont pas les seuls éléments originaux qui ont marqué les romantiques.

Dans le final du premier acte, à la fête donnée au château de Don Giovanni, quelques musiciens jouent sur scène ce fameux menuet connu de tous (et même jadis présent en orchestre orchestrale dans des compilations classiques).


Mozart prévoit trois orchestres différents sur la scène, ce qui est déjà extrêmement original et tout à fait inédit.


Or, au moment où Zerline va être enlevée par Don Giovanni, la musique s'emballe : Mozart conserve exactement le même matériau, mais écrit soudain en triolets. Il y a même des jeux de changement de mesure décalés qui sont extrêmement inhabituels pour l'époque. Lully changeait beaucoup de mesure dans ses récitatifs les plus dramatiques, mais sur toutes les parties à la fois. Le résultat n'est pas forcément audacieux, mais c'est tout de même une démarche d'esprit qui montre que l'on est au delà du paradigme classique (pas dans le romantisme pour autant, qu'on ne me prête pas de vilaines pensées).


Le premier changement de mesure intervient lorsque Leporello éloigne Masetto en essayant de lui faire danser une allemande (d'où l'altération rythmique, puisque sur un menuet, c'est compliqué...). On voit que les orchestres jouent alors en décalé.


Mais le plus important, ce que l'on entend, ce sont les triolets (et les appoggiatures en demi-tons sur la ligne la plus aiguë, qui donnent ce côté un peu hésitant et 'sale'). Certains chefs en profitent même (ici Neville Marriner) pour faire grincer un peu plus les violoneux embauchés par le seigneur.


Les triolets sont en réalité matérialisés par un second changement de mesure que joue le troisième orchestre. Mais ils contaminent la partie de cor du premier orchestre, plus bas sur la partition, qui tout en restant en 3/4, joue des triolets !


L'effet peut passer inaperçu à l'écoute ingénue, mais il crée clairement un trouble qu'on remarque, lui.

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On peut toujours imaginer que les musiciens, absorbés par le petit jeu de don Juan, se mettent à perdre les pédales - ce serait d'ailleurs une idée de mise en scène. Mais c'est une interprétation orientée, voire forcée.
Cette musique se déforme pour rendre le trouble qui saisit Zerline et toute l'assistance, au moment de la commission du méfait - tout tournoie, tout s'accélère.

Ce peut donc être considéré soit comme un effet pour faire discrètement ressentir ce changement au spectateur, soit pour traduire l'impression des personnages (d'une réalité déformée, puisque les musiciens n'ont pas lieu de se mettre à jouer en triolets ou à changer de mesure).

Ce peut être un premier exemple de musique subjective.


Bien que l'effet psychologique des triolets soit indéniable, on pourrait aussi travailler sur l'hypothèse de l'humour, parce que le second orchestre entre, nous précise la partition, ''en s'accordant'', et on voit très bien ici les quintes à vide de l'instrumentiste qui se prépare - comme quoi le début de la ''Neuvième'' de Beethoven, contrairement à ce qu'on raconte souvent, n'a pas inventé cet humour !
On pourrait même interpréter les changements de mesure, de ce fait, comme la parodie de musiciens de seconde zone jouant chacun à leur propre battue. Cela coïncide aussi avec la danse absurde et décalée de l'allemande par Leporello et Masetto sur une musique de menuet.


Cependant le précédent exemple dont nous disposons, sept ans auparavant, est encore de façon plus indubitable une façon de déformer la réalité de la musique censément jouée.

Et c'est...

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2. Andromaque de Grétry (1780)

Ce qui m'a peut-être le plus impressionné dans tout Andromaque est ce moment.

Hermione a lancé Oreste aux trousses de Pyrrhus pour venger ses mépris - c'est la version du mythe où il se marie un peu avec tout le monde (dans certaines versions, il se marie en deux temps avec les deux princesses, en changeant de lieu de séjour) et où Oreste amant d'Hermione est son meurtrier.

Hermione, toujours éprise de Pyrrhus, regrette son geste et s'agite. On entend les choeurs d'hyménée destinés à Pyrrhus et Andromaque, et les agitations d'Hermione, dus à la jalousie et à la peur de la vengeance.

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Maria Riccarda Wesseling en Hermione, choeurs et orchestre du Concert Spirituel, dirigés par Hervé Niquet le 19 octobre 2009 au Bozar de Bruxelles (le lendemain du concert parisien). Captation de la radio belge.


A un moment de son monologue, vous avez entendu ce hautbois hurler ? Hermione est en proie à une hallucination, elle voit déjà Pyrrhus frappé d'un coup mortel. Et elle entend son cri.

Or, ce hautbois est l'instrument traditionnel de la musette, et l'on enchaîne immédiatement sur une danse joyeuse. Comme si le hautbois était, plus qu'un cri imaginaire (qui serait déjà de la musique subjective), un écho des danses du mariage sur lequel elle se méprend - soit qu'il lui paraisse menaçant, soit qu'elle le confonde avec une voix humaine.

Concevoir ce type d'effet en 1780, c'est tout de même vertigineux, surtout si on considère l'esthétique très lisse et mignarde dans laquelle s'inscrit Andromaque en principe.

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3. Une condition

Il faut peut-être souligner que la musique subjective peut revêtir deux formes :

  • une musique entendue par le personnage et qui n'existe pas ;
  • une musique réelle entendue par le personnage, mais déformée par sa perception.


Dans le second cas, la condition est bien sûr de disposer d'une musique de scène quelque part, une musique dans la musique que sont censés écouter les personnages.

Ce type de jeu qui adapte Shakespeare au traitement musical sera bien plus fréquent à partir du romantisme, mais pour l'ère classique, on est bel et bien en face des deux opéras les plus novateurs de tout le second XVIIIe siècle, pour ne pas dire de tout le siècle.

Il y aurait par ailleurs beaucoup à dire sur les audaces rythmiques de Don Giovanni ou sur l'imagination de l'orchestration et des modulations dans Andromaque. Les deux sont au programme des lutins, lorsqu'on en aura l'occasion, mais vous en avez déjà un petit avant-goût avec cette notule-ci.

Les lutins locaux vous souhaitent une excellente journée.


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Commentaires

1. Le lundi 4 janvier 2010 à , par Morloch

Aaaaaaaah tout cela pour caser du Gretry ? Au fait, cette saison de l'Opera comique tient ses promesses ? On s'attendait a voir les lutins transis d'extase mais aucun echo pour l'instant, d'ou une inquietude legitime.

Est-ce que certaines expressions des passions des personnages dans l‘opera seria ne peuvent pas etre aussi une forme de subjectivisme, par exemple le battement du coeur d’Alcina dans “ Mio Cor ”, ou bien est-ce encore trop descriptif ?

2. Le lundi 4 janvier 2010 à , par DavidLeMarrec :: site

Je réponds tout de suite pour Alcina : c'est du figuralisme, ça, c'est encore autre chose. Personne ne prétend que le personnage perçoit une musique de façon déformée. Alors que dans les deux cas que je cite, il y a vraiment de la musique sur scène qui est déformée selon ce que l'on suppose de la réception des personnages.

Et je te prie de ne pas parler de Grétry comme cela ! Andromaque, ça n'a rien de la bibine, ce n'est pas par hasard que je cite les deux opéras les plus novateurs du second dix-huitième siècle, voire du dix-huitième siècle tout court...
Toi, forcément, tu songes à Richard Coeur de Lion et à Zémire & Azor, qui ne sont pas tout à fait du même tonneau...

3. Le lundi 4 janvier 2010 à , par DavidLeMarrec :: site

Pour l'Opéra-Comique, je n'y suis encore rien allé voir, j'ai juste vu la production de L'Amant Jaloux déjà donnée à Versailles (par la captation vidéo, Versailles c'est cher).

J'en parlais il y a quelque temps dans un lieu de ta connaissance : je trouve que la programmation de l'Opéra-Comique, à force de vouloir être dans le goût opéra-comique, finit un peu par enchaîner, ces deux dernières saisons, des oeuvres secondaires dans la même esthétique inoffensive, servies par des voix miniatures et des mises en scène peu ambitieuses.
Du coup, on s'en lasse, même quand on aime ça. Alors qu'il y aurait tant de merveilles à exhumer.

Cela dit, je serai peut-être chez Aperghis, et assurément pour le Pelléas de Braunschweig (Philip Addis + Stéphane Braunschweig, ça promet !).

Si, j'irai aussi voir très prochainement La Fiera di Farfa mise en parallèle avec le Combattimento par Dumestre, ce devrait être passionnant.

Il y a pas mal de récitals sympathiques, mais quand c'est salle Bizet, c'est beaucoup trop petit pour le son, c'est extrêmement désagréable en fait. Et pour le reste, l'offre est déjà tellement riche par ailleurs... Et j'ai beaucoup de théâtre prévu pour la suite de la saison...

Bref, rien pour l'heure.

Je te mets copie de mes récents propos sur la question, ça m'évitera de radoter et ça te donnera une petite idée de l'état de mes pensées sur la programmation de l'O-C. D'autant plus que c'est cher et que j'avais été très déçu de l'acoustique.

DLM, le 16 décembre :
Je commence à me faire du souci (depuis la saison dernière, déjà) pour cette maison : Jérôme Deschamps, sans doute sous l'impulsion de Maryvonne de Saint-Pulgent, se limite strictement à sa mission de recréation du répertoire historique de l'Opéra-Comique. C'est passionnant pour la première saison, où ils en ont ressorti les chefs-d'oeuvre, mais limiter tout un théâtre à la même esthétique mignonnette chaque saison, de surcroît avec des mises en scène également d'époque, ça risque de tourner court au niveau de la fréquentation. C'est plus du concept que de la programmation, d'une certaine façon.

Autre problème, les ensembles invités manquent souvent de chair, et les chanteurs sont pour certains de tout petits formats à peine audibles (Figueroa en Alonze, ce devait être un peu éprouvant...).

J'avais entendu dire que Minkowski n'était pas forcément le meilleur gestionnaire pour cette institution, mais je regrette qu'il n'ait pas été choisi, on aurait tout de même eu une programmation plus ambitieuse qu'une restitution d'un répertoire passé de mode avec quelque raison.

Et c'est le zélateur de Monsigny, Hérold et Pierné qui le dit.



DLM le 17 décembre :
Deux Grétry, alors qu'il n'y a aucun premier dix-neuvième, et surtout toujours le même type d'ouvrage, avec le même type d'orchestre et de chanteurs, le même type de mise en scène... on risque s'en lasser. Même s'il est normal que ce théâtre soit spécialisé.

En fait, ce qui m'étonne surtout, qu'on ne joue pas les chefs-d'oeuvre du répertoire... Où sont Le Déserteur, La Caverne, La Dame Blanche, Le Farfadet, Falstaff (Adam), Le Pré aux Clercs, l'Etoile du Nord, La Basoche, Sophie Arnould, On ne badine pas avec l'amour (Pierné), La Coupe enchantée, La Fille de Tabarin, Le Pauvre Matelot, Médée (Milhaud), La mère coupable, Cantegril, Eurydice (Damase), La Contrebasse, Les Caprices de Marianne, La Princesse de Clèves et pourquoi pas les Auber ?

Et je m'en tiens aux auteurs un minimum célèbres... Autant dire qu'on donne une image de ce genre qui n'est pas très positive, alors qu'en y réfléchissant un peu plus, on pourrait donner de véritables bijoux...
Je n'ai même pas évoqué les opérettes qu'on pourrait jouer (Lecocq, Audran et compagnie).

Et qu'on ne me dise pas que Pierné n'est pas assez célèbre, lui au moins a une réputation de bon orchestrateur, alors que la réputation qui précède Grétry (très bon orchestrateur au demeurant...) n'est pas tout à fait de la même nature...



Je relevais aussi le peu de baroque, avec l'alibi Purcell. Le choix des compositeurs pour les créations est en revanche très audacieux vu le reste (Dusapin et surtout Eötvös et Aperghis, c'est pas tout à fait de l'easy listening !).

Bref, j'attends de voir la saison prochaine, parce qu'il y a de quoi faire, mais si la première m'avait enthousiasmé, je reste un peu sur ma faim ces temps-ci, parce que des oeuvres relativement peu ambitieuses sont choisies, et traitées toujours de la même façon (ensembles baroques, petites voix, mises en scène bien littérales).

4. Le lundi 4 janvier 2010 à , par Simon

Je ne suis pas sûr de bien suivre. Effectivement, tu parles de cas particuliers où les personnages entendent la musique - celle-ci est "réelle" pour eux. Mais est-ce que ce constat est réellement nécessaire pour que la musique soit subjective? Je demande en toute naïveté, je le précise, et il se peut bien que cela soit la définition exhaustive de la musique subjective. J'en viendrais presque à te demander si les personnages entendent vraiment la musique d'une manière générale - j'ai toujours pensé qu'en dehors de quelques cas particulier, ce n'était pas vrai. Cela limite donc énormément la musique subjective, qui serait assez rare et ponctuelle?

5. Le lundi 4 janvier 2010 à , par DavidLeMarrec :: site

C'est une bonne question. :-)

En fait, j'ai pris ce mot, qui n'est peut-être pas idéal, pour désigner effectivement un type de nature chez la musique jouée dans une action théâtrale mise en musique. Ce sont effectivement des exceptions, parce qu'il est effectivement pas si fréquent que les personnages écoutent de la musique.

Mais lorsque celle qui est mise sur le papier par le compositeur diffère sensiblement de celle qu'ils sont censés entendre, parce que le compositeur reflète directement leurs émotions auditives pour le spectateur, ça produit quelque chose d'assez particulier, et c'est à cela que j'ai voulu m'attacher.

Lorsqu'on voit l'académisme qui sévit dans la musique à proprement parler 'classique' (seconde moitié du XVIIIe, pour faire vite), rencontrer des compositeurs qui osent ce genre de chose, c'est tout de même assez impressionnant. Et particulièrement de la part de Grétry qui peut être par ailleurs si gentillet.

Ca n'a pas plus d'ambition que cela, mais il est vrai que le mot de 'musique subjective' pourrait être appliqué à bien d'autres situations. Je l'ai avancé parce que c'est vraiment le cas : la musique composée ne reflète pas une réalité, mais déforme sciemment le langage musical pour transmettre au public les émotions paroxystiques des personnages.


Voilà !

6. Le lundi 4 janvier 2010 à , par Simon

Merci pour ces précisions, je cerne mieux ce que tu veux dire. ;)
Sujet passionnant en tout cas, l'Opéra est un genre qui permet un nombre d'interaction assez incroyable entre ses différents éléments et les différents arts. Et c'est vrai que retrouver ce type de recherches assez poussées chez Mozart ou Grétry - ça va quand même chercher assez loin ici - surprend un peu, dans le bon sens. :)

7. Le mardi 5 janvier 2010 à , par Morloch

Mais je ne critique pqs Gretry, pffffff, meme plus le droit de sourire betement.

Je partage un peu ton opinion sur la programmation de l'Opera comique, il y a a la fois une prise de risque enorme et un manque d'ambition. Meme en etant interesse par les raretes, il y a trop de spectacles que l'on irait voir plus par curiosite que par interet veritable. Reste a voir comment cela va evoluer, la prochaine saison sera peut etre plus variee.

8. Le mercredi 6 janvier 2010 à , par DavidLeMarrec :: site

@ Simon : Oui, ça m'avait toujours émerveillé dans Don Gio, mais tout le monde sait que c'est un chef-d'oeuvre absolu, c'est joué partout tout le temps, et tout le monde en est ravi parce que c'est beau, c'est accessible, c'est génial, etc.

Mais alors, dans Andromaque, j'avoue que je me suis un peu senti frappé par la foudre en entendant ce que Grétry pouvait imaginer ! Autant ce que fait Mozart (beaucoup plus virtuose du point de vue de l'écriture) est concevable par ce jeu formel malicieux qui existe déjà chez Haydn, autant le coup de la musette qui hurle à mort, je ne pensais vraiment pas qu'un classique puisse oser cela. Et à plus forte raison l'auteur fameux des bluettes insipides qui ont fait rigoler des générations de mélomanes...

9. Le mercredi 6 janvier 2010 à , par DavidLeMarrec :: site

Oui, la prise de risque énorme est dans faire un ghetto, un peu comme à l'époque de Savary, mais moins grand public et moins fédérateur, parce que les oeuvres légères mineures françaises du XIXe siècle, pas sûr que ça fasse un public sur des génération. Maintenant, en tout cas, l'image de marque a été radicalement changée, et si Deschamps n'est pas prolongé, il aura de toute façon fait beaucoup de bien à cette maison.

En réalité, la saison est variée, mais comme tu le dis, on voit plus de curiosités rares que de chefs-d'oeuvre, et ça pose quand même problème à terme, surtout lorsqu'il y a toute l'offre parisienne à côté (et les tarifs pas très modérés de la maison).

Alors que moi, j'en vois, un paquet de chefs-d'oeuvre ou de vraies raretés. Mais c'est sans doute encore plus difficile à vendre. C'est vrai que Sophie Arnould, avec son (excellent) auteur inconnu, son personnage principal assez oublié en dehors des passionnés de théâtre XVIIIe, ses références aux recueils d'-iana[/i qui fleurissaient au début du XIXe, son ton de récitatif permanent, et son compositeur réputé mais très méconnu, ça n'attire pas spontanément. Pourtant, on pourrait vendre le salon du XVIIIe, à juste titre ! C'est autre chose que celui, pourtant assez réussi, qui ouvre [i]Andrea Chénier, et même supérieur à l'acte II de Fedora. Je dois reconnaître que moi-même, je ne l'aurais peut-être pas encore découvert, si Timpani ne l'avait sorti, qu'on ne me l'ait mis dans les mains (tout en ayant eu la chance qu'on m'ait beaucoup vanté Pierné et qu'on m'ait offert une de ses partitions d'opéra il y a quelques années...).

Mais rareté pour rareté, franchement... Le public ne sachant pas ce qu'il va voir, mieux vaut le lancer sur des chefs-d'oeuvre, de façon à ce qu'il puisse aller voir à l'aveugle quelque chose qui sera forcément judicieusement sélectionné pour lui. Et ce n'est pas que subjectif, il y a des titres qui peuvent faire consensus pour être, dans leur genre, des réussites. Le roi malgré lui était par exemple un choix parfait, Zampa une grande inspiration (un ouvrage connu surtout par son renom, qui s'est révélé une splendeur), tandis que Fra Diavolo n'est de toute évidence pas un ouvrage très abouti d'Auber, et en plus c'est peut-être le mieux connu de tous...

Là, c'est vrai que cette saison, un (bon) Messager plus deux Grétry (intéressants), ça ne donne pas le tournis. Après, Pelléas est effectivement un choix inévitable à l'O-C, avec une équipe très intéressante, et puis Aperghis, je trouve que c'est bien pensé.
On est loin de la catastrophe, c'est même vraiment chouette, mais on voit mal ce qui pourrait marquer les annales à moins qu'Aperghis ne soit vraiment au meilleur de sa forme pour cette production.

10. Le vendredi 8 janvier 2010 à , par Moander

Peut-être que la reprise de Mignon (avec les dialogues apparemment) sera une bonne surprise!! Mais pas de noms connus pour nous rassurer!!
Fortunio était une belle réussite sérieusement.
L'Amant jaloux, c'est un peu le choix obligé pour cette année... donc ils y sont pas trop pour grand chose!!
La Fille mal gardée, c'est la curiosité (1er opéra-comique) à voir avant qu'il retombe dans l'oubli pour 250 nouvelles années...
Donc, maintenant, oui j'espère aussi beaucoup des Boulingrin.

Mais les choix absolument manqués sont le Berlioz et le Purcell... Des choses convenues et pas de premier rang!! S'ils avaient mis un Milhaud et un baroque français à la place, tu aurais trouvé la saison de qualité!!

Je me tâte pour Norma, c'est bien?

11. Le samedi 9 janvier 2010 à , par DavidLeMarrec :: site

Mignon sera peut-être une bonne surprise, mais ça a été joué pas mal de fois ces dernières années (certes dans la version un peu mollassonne avec récitatifs orchestraux), et c'est loin d'être un chef-d'oeuvre oublié - juste une oeuvre oubliée. :-) Elle a ses beautés, mais ce n'est pas ce que j'appelle une injustice de l'Histoire, personnellement.

Fortunio est une oeuvre tout à fait valable, tant qu'à jouer Messager, qui a sa place à l'Opéra-Comique, autant que ce soit celui-ci. Il y a quelques moments de grâce assez exceptionnels, le duo d'aveu en particulier.

Un Grétry se justifie aussi, et cette production rend vraiment justice à L'Amant jaloux dont la version discographique était tout simplement inécoutable. On y entend très bien les textures orchestrales originales, et vocalement, c'est vraiment très réussi (en particulier Frédéric Antoun, bien entendu). Visuellement, c'est littéral, mais très chouette, en tout cas les deux premiers actes (le dispositif du troisième est moins lisible, et c'est de toute façon très faible dramatiquement).
En revanche, quel intérêt d'ajouter, cette même saison, Zémire & Azor ? Ici aussi, on y entendra peut-êtres beautés insoupçonnées au disque, mais n'aurait-on pas pu conserver cela pour dans deux ans, par exemple ?

Oui, La Fille mal gardée, effectivement, curiosité historique sur un thème de Favart qui a fait fortune dans plusieurs versions au ballet. Ce n'est pas forcément le premier opéra-comique, mais c'est le premier avec une musique originale (je veux dire écrite spécifiquement et non un pot-pourri), d'où le jugement des histoires de la musique (ça pourrait s'opposer, effectivement, au théâtre des Deux-Foires).
Ce ne sera probablement pas renversant, mais ce sera toujours instructif. Et ça fait partie du rôle d'une telle maison, incontestablement.

Le Purcell n'est pas si fréquent et s'il est réussi, pourquoi pas, mais c'est vrai que ça en fait deux à la suite. Celui de cette année est nettement moins fréquent.

Béatrice & Bénédict, c'est un opéra très sympathique mais pas génial qui est joué plusieurs fois par an à Paris pour des raisons que je peine à m'expliquer. Là, effectivement, pas nécessaire.
Personnellement, je prends beaucoup plus de plaisir à la pièce originale, même traduite en français.

Aperghis est vraiment un choix intéressant pour une maison où l'on joue du théâtre chanté que l'on comprend, parce qu'il joue toujours avec les mots, c'est même la base de tout son travail.

Enfin, tu n'as pas mentionné Pelléas, qui est un choix logique (prestige et légitimité historique), et Gardiner nous sucrera probablement les Interludes au nom de la version originale (ce qui en l'occurrence n'a aucun intérêt, c'est juste de la musique géniale, du liant et de l'atmosphère en moins). Ce qui est intéressant, c'est qu'à l'exception de Mélisande qui me fait terriblement peur laissez-moi descendre, on a une équipe extrêmement attirante (Braunschweig, Addis, Gardiner).
C'est aussi par là qu'ils vont remplir, ils ne pouvaient sans doute pas oser un Polyphème ou un autre opéra de même esthétique. Encore que Timpani ait déjà déblayé le chemin en faisant une publication discographique très bien accueillie !

Et effectivement, tu as bien cerné ce que j'aurais trouvé plus intéressant ; mais c'est précisément le problème de cette programmation : trop homogène. Elle ne semble se permettre que des ouvrages légers, en privilégiant résolument le français. Du coup, on est un peu toujours dans le même registre côté livret et musique. Parce que ce n'est pas le terrain de l'innovation - et que d'un point de vue théâtral, il n'y a qu'un seul chemin pour le dénouement heureux alors que dans les autres cas, c'est l'embarras du choix.

Autrement dit, ça manque de variété et un peu d'ambition à mon sens aussi. On pourrait jouer des ouvrages un tout petit peu plus sérieux (comme ça a été fait, de petits Britten par exemple), et éventuellement en français, il y a quelques exemples dans la liste que je proposais, à commencer par Sophie Arnould qui est vraiment un génial exemple de conversation en musique et devrait être tout à fait jouissif sur scène.
Après, je n'ai pas les finances et il faut attirer le client ; peut-être que justement, le fait de jouer de l'inconnu mais très facile d'accès est une forme de carte de visite rassurante (un peu comme pour les théâtres d'opérette d'antan).


Quoi qu'il en soit, je fais mine de me plaindre, parce que l'Opéra-Comique, avec le même budget, pourrait faire plus ambitieux, mais c'est déjà extraordinaire, d'assister à toutes ces résurrections dans de bonnes conditions et à longueur d'année. C'est un créneau, sur ce répertoire, que personne d'autre (du moins à ce niveau officiel) dans le monde n'occupe.

12. Le samedi 9 janvier 2010 à , par DavidLeMarrec :: site

Et pour Norma.

Le livret est assez percutant, une sorte de relecture de Médée où l'amour conjugal triomphe. Musicalement, c'est du meilleur Bellini : malgré la très grande simplicité d'écriture, beaucoup d'atmosphère, de belles couleurs, et une veine mélodique assez impérissable. C'est étrange, un coup d'oeil rapide sur les partitions ne révèle pas ces petits détails (un brin d'orchestration, même sommaire, par ici, une micromodulation par là) qui le rend passionnant là où avec les mêmes recettes le Rossini sérieux et la plupart des Donizetti, même lorsque les livrets sont corrects, sont impossibles si l'on n'est pas à plus de 91% glottomaniaque.

Vu tes goûts, ça devrait assez te plaire. Le livret de Felice Romani est d'ailleurs beauoup moins stéréotypé que la moyenne, comme d'habitude (c'est l'auteur du meilleur Rossini comique, Il Turco in Italia, et du meilleur Donizetti tout court, L'Elisir d'amore, avec des dispositifs très originaux) ; en plus il s'inspire ici d'une tragédie française d'Alexandre Soumet, donc avec un cadre un peu plus noble qu'un arrangement de canevas rebattu sur une légende historique comme le faisaient les autres librettistes italiens depuis l'ère du seria.

Avec Spinosi tu auras une lecture inhabituelle et dégraissée, qui peut fonctionner (c'était moyennement le cas avec Biondi), tu verras bien ; et de même si Mussbach est dans un bon jour ou non (le pénible alterne avec le génial chez lui...).

En revanche, pour ce qui est de la distribution, ce sera du très grand luxe, avec Lina Tetruashvili (la soeur d'Arindal pour Die Feen au Châtelet la saison passée), une voix généreuse, très assurée et expressive. Tu auras aussi Nikolai Schukoff, un ténor intelligent (il ne faut pas s'attendre à une voix radieuse, mais rien ne lui fait peur, avec un format de lyrique plutôt taillé pour des rôles demi-caractère dans du répertoire lourd, du type Matteo dans Arabella, il a déjà remarquablement chanté le Siegfried du Crépuscule...). Et dans les rôles plus secondaires, Nicolas Testé (voix ingrate en retransmission, mais belle en vrai, et présence formidable dans la salle) et même Blandine Staskiewicz (Callirhoé à Beaune) en Clotilde, que tu en entendras pour le coup à peine.

Bref, ce devrait être vraiment sympa pour une découverte, si la mise en scène de Mussbach n'est pas trop intrusive et décalée, et qu'il s'investit vraiment dans une direction d'acteurs efficace comme il sait le faire.

13. Le samedi 9 janvier 2010 à , par Moander

Merci beaucoup pour tous tes commentaires...
Je croyais que la fille mal gardée était le premier opéra-comique qui était justement sorti du cadre de la foire pour véritablement devenir un genre un peu plus sérieux (toute proportion gardée)?
Je n'ai pas mentionné Pelléas car c'est très connu (même si je n'ai jamais écouté) et que je ne pensais pas y aller!!
Enfin, si tu pensais à Albert Herring comme ouvrage un peu plus sérieux... c'est quand même ce que j'ai trouvé de plus mauvais l'année dernière!!

A la prochaine

14. Le samedi 9 janvier 2010 à , par DavidLeMarrec :: site

La Fille mal gardée est surtout le premier titre à bénéficier d'une musique écrite pour l'occasion, et non d'une musique recyclée pour l'occasion. Donc on peut effectivement marquer un point de départ à ce moment.

Je pensais à Herring, effectivement, parce que c'est quand même d'un autre ton, et peu joué.

Il faut quand même que tu écoutes Pelléas, O-C ou non, parce qu'au niveau de l'adéquation texte-musique... Et justement, Sophie Arnould aussi. Peut-être plus proche du ton des oeuvres que tu fréquentes le plus.

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