Midi musical à Bordeaux (3 octobre 2008) - vers un programme idéal
Par DavidLeMarrec, samedi 4 octobre 2008 à :: Disques et représentations :: #1050 :: rss
Très beau récital, hier, dans le cadre des midis musicaux du Grand-Théâtre. Pour six euros, voici ce que l'on pouvait entendre. Un programme de fou, comme on dit.
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Schubert, Mignon und der Harfner (Kimy McLaren, Thomas Dolié)
Une rareté absolue : la cinquième des six mises en musique (dont la première existe en deux versions...) de Nur wer die Sehnsucht kennt, le deuxième des chants de Mignon dans Wilhelm Meister. D.877 n°1 (Op.62 n°1), elle cohabite avec une autre, prévue pour voix solo.
Il s'agit du seul duo schubertien de notre connaissance, dans son corpus de lieder, à ne pas se répartir de façon dialoguée (Shilrik und Vinvela D.293, Hektors Abschied D.312, Antigone und Oedip D.542...), mais à se chanter simultanément. Et avec quel rare bonheur !
On songe déjà à l'opus 14 de Max Reger...
Christine Schäfer, John Mark Ainsley, Graham Johnson (piano). Extrait tiré du volume 26 de l'intégrale Hyperion.
CSS vous en propose également la partition libre de droits.
Les voix s'enlacent de façon extrêmement captivante, vraiment à l'égal de Reger. Hélas, contrairement à Mendelssohn et Schumann, il n'existe pas de corpus nourri de cette nature chez Schubert, ce qui représente une immense tragédie.
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Mendelssohn, Maiglöckchen und die Blümelein & Abendlied (Kimy McLaren, Thomas Dolié)
Plus insouciants, on y entend donc des duos de Mendelssohn, légers ou tendres. Evidemment, le contraste avec l'intensité du Schubert nuit à la valeur réelle de ces pièces charmantes - bien que le lied n'ait jamais été le répertoire le plus essentiel de Mendelssohn.
On ne les entend jamais en concert non plus.
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Poulenc, Le Bestiaire (Thomas Dolié)
Chacun choisit ensuite un moment de Poulenc. Thomas Dolié choisit le piquant Bestiaire d'Apollinaire (sans les deux mélodies supplémentaires). Pas inconnu, mais assez peu exécuté en concert.
La voix, dans ce médium grave, sonne malheureusement assez tassée et la diction n'est que moyennement compréhensible, malgré de réels efforts. De ce fait, l'humour déjà peu sensible se communique encore moins.
Dans la voix mixte qu'on sent prudente, on voit néanmoins des possibilités très intéressantes pour libérer cette voix, la clarifier.
On verra pourquoi on se permet de formuler ces menues réserves.
En attendant, il est possible d'entendre un belle version (mal captée, hélas) par Armand Arapian sur son site.
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Poulenc, La Dame de Monte-Carlo (Kimy McLaren)
Pendant moins célèbre de la Voix Humaine, La Dame de Monte-Carlo, autre texte de Cocteau, exploite le même pathétique assez dérisoire, les mêmes révélations dégradantes, la même tension vers une chute allusive, mais brutale et définitive. Avec sans doute un peu moins de ce prosaïsme complaisant qui marque toujours Cocteau.
Kimy McLaren, avec une assurance déclamatoire et scénique admirables, fait fi des difficultés du français et parvient vaillamment, avec beaucoup de naturel, à camper un portrait assez précis et très bien articulé verbalement. Avec une voix beaucoup plus charnue qu'en [Belinda|, et pourtant toujours assez peu personnelle, une vraie lecture qui n'a rien de banal ou de scolaire.
Martine Marcuz, exemplaire depuis le début, mais particulièrement inspirée pour faire sonner un piano comme un orchestre d'opéra, et très sensible à l'esprit de la mélodie française, combine tous ses talents pour proposer un accompagnement très expressif, qui reproduit absolument idéalement l'hésitation de Poulenc entre lyrisme poétique et tendresse un peu vulgaire. Elle parvient jusqu'à rendre cette ambiguïté dans des portamenti dont les lutins se demandent encore comment on peut les rendre aussi nettement... sur un piano.
La scène, pourtant relativement banale musicalement, captive de bout en bout ce jour-là.
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Fauré, Pleurs d'or
Sur un poème d'Albert Samain, dans un goût assez deuxième période, raffiné mais sans complexité, c'est une pièce lyrique, à peine mélancolique, tout à fait agréable et confortable qu'on retrouve ici.
Manière de proposer un duo en français - il en existe peu de majeurs, il est vrai, mais La Fuite de Duparc, plus connue mais jamais donnée, aurait été tout à fait adéquate également.
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Wolf, aus Italienisches Liederbuch
Treize semi-miniatures tirées de cet ensemble inspiré de textes anonymes italiens (mis en vers allemands par Paul Heyse, également auteur de partie des textes du Spanisches Liederbuch) concluaient le récital.
Kimy McLaren - 1. Auch kleine Dinge
Thomas Dolié - 7. Der Mond hat eine schwere Klag' erholen
Thomas Dolié - 9. Dass doch gemalt all' deine Reize wären
Kimy McLaren - 10. Du denkst mit einem Fädchen mich zu fangen
Thomas Dolié - 13. Hoffährtig seid ihr, schönstes Kind
Thomas Dolié - 17. Und willst du deinen Liebsten sterben sehen
Kimy McLaren - 19. Wir haben Beide lange Zeit geschwiegen
Thomas Dolié - 23. Was für ein Lied soll dir gesungen werden
Kimy McLaren - 24. Ich esse mein Brot nicht trocken mehr
Kimy McLaren - 29. Wohl kenn'ich Euren Stand
Thomas Dolié - 38. Wenn du mich mit den Augen streifst und lachst
Kimy McLaren - 40. O wär' dein Haus durchsichtig wie ein Glass
Kimy McLaren - 46. Ich hab' in Penna einen Liebsten wohnen
Si Kimy McLaren y fait valoir les mêmes qualités de probité, de flexibilité et de musicalité que précédemment, Thomas Dolié quitte ici sa timidité précédente (à la fois en termes de volume sonore, d'épanouissement vocal et d'expression) pour livrer une lecture de ces lieder qui approche d'un certain idéal : toujours quelque part entre un faux naturel et une expression très directe. Exactement en ton dans Wolf, donc. Dans un bon allemand, la voix aussi se révèle plus pleinement, et sans se montrer d'un impact hors du commun, devient touchante lorsque le médium aigu se libère et s'arrondit.
Vraiment une leçon de style, aux antipodes de l'autre choix payant : le raffinement très sophistiqué (Olaf Bär allège ainsi son timbre spécifiquement pour servir les intentions fines de Wolf). Et tout aussi convaincante.
Un petit disque ne serait pas de refus, d'autant que Martine Marcuz n'a à peu près rien laissé de gravé dans quelque répertoire que ce soit. Elle se montre dans ces pièces, plus que dans le lied plus ancien, d'un esprit à peine concevable, soulignant les détails, exaltant les lyrismes, et toujours dans une maîtrise technique qui dépasse assez le statut d'accompagnateur. Le piano chante à l'égal de son partenaire, se pare de couleurs à l'égal d'un orchestre, et détaille les richesses et les jeux de son écriture dans une parfaite clarté. De surcroît, la rondeur du son et la qualité du rubato assurent dans le même temps un plaisir sonore complet.
Un grand moment de lied.
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Six euros
On le voit, pour six euros, c'est un programme extrêmement original et tout à fait copieux auquel les bordelais volontaires ont pu assister. Il reste toujours beaucoup de places à chaque concert, les volontaires peuvent tenter leur chance sans aucun risque de se trouver refoulés à l'entrée.
Toutes les félicitations de CSS, aussi bien pour l'intérêt rare des pièces proposées (peu fréquentes et de première qualité) que pour la qualité de la réalisation.
Pour six euros. Parfaitement.
Commentaires
1. Le dimanche 5 octobre 2008 à , par Bajazet :: site
2. Le mardi 7 octobre 2008 à , par Morloch
3. Le mardi 7 octobre 2008 à , par Inactuel :: site
4. Le mardi 7 octobre 2008 à , par DavidLeMarrec :: site
5. Le mardi 7 octobre 2008 à , par DavidLeMarrec :: site
6. Le mardi 7 octobre 2008 à , par Bajazet :: site
7. Le mardi 7 octobre 2008 à , par DavidLeMarrec :: site
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