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mardi 2 avril 2024

Un an et demi de déchiffrages d'inédits – III – Opéra allemand


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Maria Jeritza dans Aphrodite de Max von Oberleithner, au menu des derniers déchiffrages.

Pour les implications techniques (pianistiques) de l'entreprise, voyez la première notule de la série.

Pour le point sur les dernières découvertes côté opéras en français, voyez la deuxième notule de la série.



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(Choix parmi quelques œuvres disponibles des compositeurs dont les inédits sont présentés ci-dessous.)



3. Opéras allemands

En allemand aussi, une belle brassée.

Quelques énormes coups de cœur d'abord.

Carl Loewe (né en 1796) : Gutenberg !  Le sujet est original – le déroulé un peu moins, Gutenberg est amoureux de la fille du bourgmestre. L'œuvre se présente largement comme un oratorio, moins fondé sur l'action que sur des scènes de méditation un peu édifiante, avec des récitatifs rares et assez lents, des airs longs qui échappent aux formes habituelles. J'ai en particulier été frappé – comme par la foudre – par le chœur des garçons imprimeurs, avec des figuralismes incroyables qui évoquent le tintement des bruits de casse… Jubilatoire. Je voudrais enregistrer et mettre à disposition au moins ce fragment, mais c'est une pièce très vive et virtuose, il faudra pas mal de travail et de temps pour que ce puisse permettre de ce représenter vraiment ce dont il s'agit.

Pour les besoins de la série ukrainienne, je me suis aussi beaucoup plongé dans Anton Rubinstein (né en 1829); son piano (mais j'en reparlerai), son opéra français Néron (j'en ai déjà parlé dans la notule précédente), prochainement ses opéras russes (La Bataille du Champs-aux-Bécasses, Le Marchand Kalachnikov… je promets que je n'invente pas ces titres !). En plus de gagner sa vie comme pianiste concertiste de premier plan, Rubinstein a énormément composé – cela se sent quelquefois, la matière pourrait quelquefois être concentrée, des moments de fulgurance remarquables peuvent être suivis de formules plates qui auraient pu être rehaussées sans trop d'effort. On sent l'aisance avec laquelle l'inspiration coule sur le papier – et, çà et là, le besoin de relecture.
Pour autant, Rubinstein essaie beaucoup de choses assez originales, et ses oratorios en langue allemande (dans la sphère où il passa l'essentiel de sa carrière) présentent à la fois une belle inspiration et une certaine audace imprévue. Dans les sujets d'abord : Der Thurm zu Babel, grosse machine qui s'achève dans le chœur simultané des hommes, des anges et des démons – ce n'est pas de la grande polyphonie, mais tout de même, le dispositif est assez saisissant !  Sa Sulamith (de David, pas celle du Cantique des Cantiques) est écrite avec simplicité et touche juste. Mais le bijou, pour moi, c'est Christus, qui présente des scènes très rarement mises en musique – notamment une Tentation sur la Montagne, avec un Jésus caressant (et au besoin lyrique), quelque part entre celui de Beethoven au Mont des Oliviers et une veine généreuse plus ouvertement russe, tandis que Satan s'appuie sur de profonds accords graves, aux couleurs très contrastantes. Tout est très bien caractérisé, la prosodie est belle, vraiment une œuvre qui mériterait d'être reprise – j'ai vu qu'un chef descendant de Rubinstein l'a fait en Russie, mais avec de grosses coupes (le Prélude est très long, il en manque les deux tiers), des traductions d'extraits en russe et en hébreu, etc.

Ingeborg Starck (née en 1840), pianiste concertiste à succès, a essentiellement publié sous son nom d'épouse Ingeborg Bronsart (von Schellendorf) – son mari était un étudiant en piano de Liszt, compositeur, puis directeur de théâtre (Hanovre). C'est une Finlandaise suédophone ayant grandi à Saint-Pétersbourg et exercé en Allemagne, fréquenté les meilleurs cercles artistiques. Parmi ses opéras, Jery und Bätely (1873) se trouve au disque, dans le goût de l'opéra romantique du milieu du XIXe siècle, beaucoup de fraîcheur – du Flotow en plus dense. Je fus donc d'autant plus surpris en lisant Die Sühne (composé 45 ans plus tard, il faut dire, en 1909 !), d'une langue musicale assez recherchée ; certes du pur romantisme pas du tout décadent, mais largement enrichi, avec des tournures assez personnelles. Pour une compositrice aussi peu célèbre, j'ai été frappé de la qualité et de la singularité de son expression. (Son catalogue est assez réduit hors piano solo, mais comporte tout de même 4 opéras répartis sur toute sa vie, le premier composé avant ses 27 ans, le dernier à presque soixante-dix !)

Je dois aussi mentionner Le Prêcheur de Saint-Othmar, version en français assez probante de Der Evangelimann de Wilhelm Kienzl (né en 1857). (Un chef-d'œuvre de générosité lyrique sis sur une richesse musicale bien viennoise. Quantité de ses opéras attendent d'être remis au théâtre – à commencer par les quelques déjà documentés, qu'on ne représente jamais : Der Evangelimann, Der Kuhreigen, Don Quixote. Et il en existe au moins sept autres où tout est à faire !)

De Max von Schillings (né en 1868, parfois nommé Max Schillings, le « von » étant le résultat tardif d'une décoration honorifique), on dispose de nombreuses interprétations de ses trois mélodrames (déclamation parlée avec orchestre), et deux versions de Mona Lisa (l'une ancienne l'autre récente), impressionnant opéra construit en récit enchâssé et particulièrement sordide dans ses actions, au ton romantico-décadent, mais peu généreux en mélodies (une notule existe sur le sujet) ; en revanche aucun autre de ses quatre opéras n'ont été publiés en disque.
La lecture d'Ingwelde impressionne par la qualité musicale de l'accompagnement, à l'harmonie très construite, jamais prévisible ni facile, mais aussi par un beau sens de la prosodie et des lignes vocales plus marquantes que dans Mona Lisa. La veine d'Ingwelde, sujet comme atmosphère sonore, est d'ailleurs bien plus romantique-tardive que la décadente Mona Lisa.
Pourquoi certains compositeurs ne seront pas remis à l'honneur
Schillings sera vraisemblablement très difficile à remonter sur scène, considérant son attitude politique : il meurt en 1933, mais en antisémite convaincu, trouve le temps en quelques mois de s'illustrer avec zèle dans les persécutions. Président de l'Académie Prussienne des Arts depuis 1932, il refuse d'abord d'exécuter la demande de Bernhard Rust (le nouveau ministre, nazi, de la Culture) de dissoudre les sections des arts et de littérature (en particulier pour se débarrasser de Käthe Kollwitz et de Heinrich Mann, qui avaient milité pour les partis socialistes et communistes, et s'étaient spécifiquement opposés aux nazis pendant la période électorale). Kollwitz et Mann démissionnent quelques jours plus tard pour éviter d'entraîner la fermeture de l'Académie, et Schillings demande aux membres restants de lui envoyer une lettre intégrant un serment de loyauté – qui engage à « exclu[re] toute activité politique publique contre le gouvernement du Reich et vous oblige à coopérer loyalement aux tâches culturelles nationales assignées à l'Académie ».

Sans doute motivé par le fait de sauver l'Académie, Schillings est aussi un antisémite enthousiaste, et des décrets d'avril à sa mort en juillet, il a le temps d'expulser un grand nombre de membres, des indésirables politiques ou « raciaux », ainsi que le formule le ministère. Dans la liste des victimes, Thomas Mann, Franz Werfel et, côté musique, Schönberg et Schreker, pourtant protégés par de solides contrats, sont même renvoyés de leurs postes au Conservatoire de Berlin.

La réaction de Schreker, paniqué par la perspective de perdre ses revenus, a quelque chose d'assez pathétique, quelque chose d'au delà du monde réel, un peu à la Richard Strauss : incapable de comprendre l'ampleur de ce qui se jouait autour de lui et la détermination de ses ennemis, il écrit plusieurs lettres à Schillings pour bien rappeler que son père s'est converti au catholicisme, et ne manque jamais une occasion de souligner qu'il n'a jamais fait de politique et qu'il n'était pas proche de Kestenberg – ancien conseiller du Ministère de la Culture sous les gouvernements centristes, juif, partisan d'une éducation musicale populaire financée et organisée par l'État plutôt que reposant sur les initiatives locales –, persuadé que ce serait ce qu'on lui pourrait lui reprocher. Et imagine qu'en se désolidarisant des juifs et des centristes il pourra être laissé en paix.  Non, il avait simplement des ascendances juives, et rien ne pouvait le sauver de cela… tout lui est dit explicitement, et il ne le comprend pas, ne parvient pas à envisager que ce soit sérieux.
Klemperer raconte à Peter Heyworth (Conversations with Klemperer, 1973) une scène sujette à caution, mais révélatrice des attitudes de chacun : Schillings se lève, et énonce que le Führer veut briser toute influence juive sur la musique allemande. Schönberg se serait levé, prenant son chapeau, ajoutant tandis qu'il sort : « à pas besoin de me le dire deux fois ». (En effet Schönberg n'aurait même pas pris la peine, dans ses lettres à Schillings, de mentionner ses ascendances, manifestement très peu illusionné sur le résultat de la procédure.) Tandis que Schreker se serait entêté à répéter qu'il n'était pas juif.
Quoi qu'il en soit, la part active de Schillings dans le processus d'exclusion, ses convictions ouvertement exprimées, les serments extorqués, les lettres de dénonciation envoyées contre des auteurs juifs… rendent assez difficile de promouvoir sa musique à grande échelle aujourd'hui, malgré sa qualité. Le disque nous fournit des œuvres intéressantes toutefois, comme ses mélodrames ou son Quintette à cordes, et bien sûr Mona Lisa ; ses idées politiques n'y transparaissent pas. Mais qu'une institution publique ou mécène mette de l'argent dans un projet de spectacle ou une grande entreprise discographique, c'est sans doute assez difficile. Tant pis pour Schillings, je le lirai dans mon coin et s'il y a de l'argent pour des opéras inconnus, il ira à d'autres musiques tracées par des mains plus vertueuses.

Autrichien (issu de l'Empire, né en Moravie en 1868), Max von Oberleithner étudie en cours privés avec Anton Bruckner, dont il supervise la publication de la Huitième Symphonie, et qui lui dédie son Psaume 150. Oberleithner était indépendant financièrement grâce à l'industrie textile familiale, et son style ne s'apparente pas du tout à celui de Bruckner, bien plus avancé harmoniquement, dans un goût beaucoup plus décadent. Aphrodite , d'après le premier roman de Pierre Louÿs, manifeste ainsi un amour immodéré de accords majeurs avec quinte agumentée, à la base des motifs récurrents principaux, mais aussi d'une bonne partie de l'harmonie – qui fonctionne comme si ces accords étaient consonants et pouvaient servir de point d'équilibre dans le cycle des successions harmoniques. Le développement des motifs et les progressions des phrases font sentir avec vivacité le lien à Wagner, bien que l'harmonie en soit déjà au delà ; la prosodie des récitatifs doit d'ailleurs beaucoup à Parsifal, et je perçois çà et là quelques réminiscences des Meistersinger. J'ai aussi été frappé, à la lecture, par le grand nombre de récapitulations assez intenses, où motifs, thèmes, formules sont repris, mélangés, exaltés de façon très lyrique… pour laisser finalement l'œuvre continuer sur la même lancée, sans jamais conclure. Une écriture d'une traite, sans jamais de repos, toujours tendue vers la suite – comme l'acte III de Parsifal. Un bijou très frappant, qui rend curieux de lire le reste – en particulier Der eiserne Heiland, réputé son chef-d'œuvre et Abbé Mouret (d'après celui que je considère comme le plus beau roman de Zola).
→ Vous pouvez d'ores et déjà écouter de vastes extraits du déchiffrage d'Aphrodite par ici.

Paul von Klenau (né en 1883), était danois mais composait principalement en allemand. Sa Sulamith (d'après la fin de la vie de David, où elle est, dans le livret, courtisée par Salomon) représente un concentré d'harmonies travaillées et immédiatement séduisantes, particulièrement agréable à lire (tout est dans la progression harmonique, pas de fanfreluches autour), et servi par des mélodies vocales plutôt réussies, bien assises sur la prosodie.
Mais aussi Kjartan und Gudrun, un opéra écrit dans un langage dodécaphonique et pourtant particulièrement accessible : ce n'est pas du tout le dodécaphonisme schoenbergien où la répétition est proscrite… ici, tout se fonde sur une triade d'accords de quatre sons (ce qui fait douze notes), qui s'enchaîne dans une logique assez proche, à l'œil et à l'oreille, de l'harmonie traditionnelle. (Enfin, quand je dis traditionnelle, je parle bien de l'harmonie qu'utilisent les postromantiques et décadents post-wagnériens dans la première moitié du XXe siècle, quelque chose de très chromatique, coloré et changeant.)  La qualité et l'évidence du résultat, avec cette contrainte pourtant forte, m'ont beaucoup impressionné.
Il reste beaucoup d'autres opéras à découvrir dans son catalogue, dont une Élisabeth d'Angleterre et un Rembrandt van Rijn qui rendent assez curieux.



Parmi mes compositeurs chouchous, j'ai aussi lu quelques belles œuvres moins essentielles.

Le Sigurd d'Arnold Krug (né en 1849), formidable chambriste, sorte de grande cantate, ne manque pas de qualités, mais je n'y ai pas trouvé de saillances ou de personnalité qui me le rende particulièrement cher.

Das Trunk'ne Lied d'Oskar Fried (né en 1871) est assurément une belle œuvre (un lied orchestral assez long), mais elle ne touche pas non plus la qualité de finition de ses lieder avec piano, ni bien sûr de son chef-d'œuvre absolu, Verklärte Nacht pour deux voix et orchestre.

Puis tout récemment la lecture de Paul Graener, dont le legs symphonique est particulièrement impressionnant – des concertos où le soliste se fond dans un orchestre particulièrement éloquent, Aus dem Reiche des Pan aux influences debussystes, et bien sûr les irrésistibles Variationen über « Prinz Eugen » –, mais son Don Juans letztes Abenteuer (« La dernière aventure de Don Juan ») m'a au contraire paru très consonant, ménageant de grands aplats du même accord majeur assez longuement. Plaisant, mais pas du tout comparable au degré d'invention de ses œuvres symphonies ; je suis curieux de voir ce qu'il en est de ses autres œuvres lyriques (lieder et autres opéras).



Enfin, parce qu'il faut bien des déceptions, Felix Draeseke (né en 1835) m'a beaucoup surpris : j'aime beaucoup ses Quatuors à cordes très apaisés, et ses symphonies purement romantiques s'écoutent très bien – peu de saillances, mais une bonne maîtrise formel et un certain élan soutiennent tout à fait l'intérêt. Merlin ne ressemble à rien de tout cela : le langage en est beaucoup plus ambitieux, une harmonie difficile à cerner, des dissonances étonnantes (il doit vraiment y avoir des fautes d'édition également)… sans que je perçoive du tout où cela mène, tout paraît inutilement compliqué et contourné, sans réel lien avec la situation dramatique. Difficile d'accès et pas très beau, soit exactement l'inverse de ce que j'aurais pu dire de son legs instrumental, immédiatement accessible et agréable aux sens.



Parmi les projets : outre la poursuite de l'exploration chez Starck, Kienzl, Schillings, Oberleithner, Graener (malgré tout) et Klenau, je vise de me lancer dans quelques inédits de compositeurs que j'estime déjà : Don Carlos de Ferdinand Ries (Die Räuberbraut, paru chez CPO, est une merveille du premier romantisme, d'un élan ininterrompu), Dem Verklärten de Hans von Koessler (une ode funèbre que j'ai à peine regardée) et Der Münzenfranz (son opéra le plus célèbre), les opéras de Siegmund von Hausegger (Helfried, Zinnober), ceux de Hermann Wolfgang von Waltershausen, dont j'avais adoré l'Oberst Chabert (une comédie Else Klapperzehen et trois opéras sérieux Richardis, Die Rauhensteiner Hochzeit, Die Gräfin von Tolosa), bien sûr ceux d'Othmar Schoeck que Mario Venzago n'a pas encore exhumés (Don Ranudo de Clibrados, Massimilia Doni), et quantité de Manfred Gurlitt à découvrir (son Wozzeck est une merveille, sur le même principe de formes closes que celui de Berg, écrit simultanément sans concertation) : Die Heilige (d'après Hauptmann), Nana (d'après Zola), Nordische Ballade (d'après Lagerlöf) ainsi que pas mal d'autres titres qu'il nous a laissés !



Ce sera bientôt la suite avec les opéras d'autres langues, puis les autres genres musicaux !

samedi 30 septembre 2023

#ConcertSurSol #14 : Richard Strauss, Josephs Legende


Richard Strauss
La légende de Joseph – Fragment symphonique

Richard Strauss
Concerto pour violon

César Franck
Symphonie en ré mineur

Orchestre de Paris
Paavo Järvi, direction
Renaud Capuçon, violon

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Après l'annulation en début d'année par le Philharmonique de Radio-France, revoici La Légende de Joseph, un ballet de R. Strauss créé à l'Opéra Garnier en 1914, sur un argument de Hofmannsthal et Kessler.

Sujet assez bizarre en soi, entièrement centré sur la concupiscence de la femme de Potiphar (l'officier de Pharaon qui rachète Joseph, vendu initialement par ses frères) : la Sunamite (Sulamith) qui réchauffe David et fait tant fantasmer les compositeurs du temps – Rubinstein, Klenau y ont sacrifié de belle façon (parfois en la combinant avec celle, élusive du Cantique des Cantiques – se retrouve à danser pour la fête liminaire, Joseph rêve sans cesse à son ange gardien, qui finit par le libérer magiquement de ses chaînes lorsqu'il est découvert nu (malgré lui) dans les bras de la femme de Potiphar… Celle-ci finit étouffée avec son collier de perles – là aussi, une obsession pour le lien entre sexe, bijoux et mort est très répandu dans les opéras du temps, c'est le nœud de Der Schatzgräber de Schreker (et l'histoire de son héroïne Else) par exemple, et très présent jusque dans les opéras français (l'anneau de Mélisande, les longs cheveux parés avec lesquels Genièvre se pend…). Mais le détail qui me ravit le plus, c'est l'ouverture de la fête chez l'officier de la Cour de Pharaon, dans eine mächtige Säulenhalle im Stille des Palladio (« un majestueux portique dans le style de Palladio »), bref, dans un palais d'allure grecque dans le style vénitien du XVIe siècle…

Hélas, il ne s'agissait que des « fragments symphoniques », arrangés par Strauss à la fin de sa vie pour permettre des exécutions en concert. 20 minutes au lieu d'1h10, ce qui laisse moins le temps de s'immerger et ne fait qu'accentuer l'impression générale d'une certaine extériorité émotionnelle – c'est déjà une musique assez peu dramatique, très décorative en un sens malgré ses innombrables contrastes –, en sélectionnant une poignée de numéros, et pas forcément les plus différents – il manque aussi tous les « ponts » écrits pour les pas d'action.

Il n'empêche que je reste très admiratif devant le savoir-faire orchestral immense du compositeur, multipliant les trouvailles et lançant sans compter toute la générosité sonore dont il sait faire preuve. L'élan mélodique, les ruptures harmoniques dès que le confort pourrait s'installer, le renouvellement des scintillements orchestraux ne s'arrêtent jamais, c'est d'une richesse assez insensée – il manque simplement le drame et la menace qui, eux, sont bien mieux sensibles dans le ballet intégral (qui pour autant ne se départit jamais complètement d'un certain sourire). Avec une chorégraphie, l'effet incantatoire doit être saisissant !
Voilà qui serait un beau projet, faire renaître un ballet avec un sujet biblique, une musique jamais donnée et d'une qualité extraordinaire, des possibilités chorégraphiques très étendues (entre l'incursion du merveilleux et la variété très dynamique de la musique), on pourrait, en le vendant bien, en faire un événement ! (Mais j'ai quelquefois l'impression que je m'inquiète bien plus pour le rayonnement et l'avenir de la musique que nos amies les salles subventionnées.)

Je profite de cette notule pour tirer mon chapeau à Renaud Capuçon : avec le type de notoriété qu'il a, il pourrait très bien vivre de ne jouer que les concertos de Beethoven et Tchaïkovski (certains bien moins célèbres que lui y parviennent…), et pourtant il continue d'explorer des œuvres très rares et très exigeantes (en un an, à Paris on a pu l'entendre dans Korngold, Goldmark et R. Strauss !).
Je trouve en l'occurrence le concerto de Strauss particulièrement peu intéressant, et je l'avoue, le son, le phrasé très égal et legato de Capuçon me posent souvent des problèmes de compréhension dans les œuvres qu'il aborde (je ne perçois pas les articulations / les phrasés / la forme, joué ainsi), mais même si je ne suis pas inconditionnel du point de vue violonistique, je pense clairement qu'il est l'un des prophètes qui nous montrent la voie. Car il s'appuie sur sa célébrité non pour faire un concours sur qui entrera dans le Diapason de demain comme « le meilleur interprète de Brahms », mais se met au service du répertoire – et non seulement mène un vaste public à entendre autre chose, mais nous permet même à nous, mélomanes concertopathes purulents, d'accéder à des œuvres auxquelles nous n'aurions pas accès sans lui. Gloire à Renaud Capuçon.

Pour le reste, Paavo Järvi bâtit la tension avec énormément de science et de contrôle, construction très étagée, dans Strauss comme dans Franck – dont c'est une version tradi, pas forcément colorée mais très intelligemment articulée.

mardi 26 septembre 2023

Max von SCHILLINGS – Ingwelde (1894)


(déchiffrage piano)

Un opéra que vous n'entendrez peut-être jamais.

Drame médiéval autour d'un père et du fils adoptif qu'il a fait venir dans sa famille pour l'élever. Ça chauffe. Le père de famille refuse évidemment sa fille au jeune homme de moindre lignage.

La musique est pleine d'invention, l'accompagnement remarquablement riche, d'un postromantisme généreux et sophistiqué, la ligne vocale belle, expressive, naturelle. Le résultat est tout à fait dramatique et assez passionnant… Je n'en ai lu que l'acte I, un petit bijou dont j'ai hâte de découvrir la suite !

Alors pourquoi ne l'entendrez-vous jamais ?


C'est que Schillings était membre du NSDAP, et si zélé que bien que mort en juillet 33, il avait eu le temps d'expulser Mann et Werfel, de faire démissionner Schönberg d'un poste à vie, de mettre Schreker à la retraite et de dénoncer diverses personnes juives pour les mettre à l'écart (et en danger).

Pas évident de le célébrer, de le marketter, d'encaisser la polémique en le programmant plutôt que Schulhoff ou Waltershausen. Quand on voit que Venzago a fait récrire le livret en profondeur pour jouer Das Schloß Dürande de Schoeck – qui ne parlait décidément pas de nazisme, et dont le compositeur n'est pas lié à l'idéologie natio-so non plus (c'était le vocabulaire du livret qui posait problème) –, tout en se confondant en excuses et justifications diversement convaincantes, fournies par un comité scientifique & éthique ad hoc… on imagine la difficulté de remonter une œuvre ambitieuse et narrative comme un opéra, d'un compositeur aussi ouvertement compromis (et humainement détestable).

CPO fera peut-être une captation dans un petit théâtre courageux qui le présentera avec une mise en scène « déconstruite », mais il est très probable que vous ne l'entendiez jamais. Peut-être fournirai-je la bande de mon déchiffrage pour les curieux.

Détail surprenant, l'opéra a semble-t-il donné son nom à l'astéroïde 1905 QG de la ceinture principale !

lundi 4 septembre 2023

L'agenda de la rentrée 2023


Comme c'est la tradition, en septembre CSS propose un agenda assez vaste de l'offre francilienne – toujours accessible en haut à gauche de toutes les pages du site. Cette année, je me suis vraiment concentré sur le mois de septembre, en relevant les propositions de plus de 100 salles / institutions / ensembles / artistes. Beaucoup de choses très originales, c'est pourquoi je fais un tout petit peu d'éditorialisation pour cette fois.

La tâche étant colossale à moi seul, j'ouvre, pour les mois suivants, le fichier à d'autres contributeurs – je serai ravi de vous inclure si vous m'envoyez un petit message. De manière à pouvoir couvrir le maximum de salles et de dates.



http://piloris.free.fr/css/images/rungis_piano.jpg



1. Opéra

Ce n'est pas encore le moment de l'offre pléthorique, uniquement des choses déjà données : Les Boréades de Rameau (TCE) et La Fille de Madame Angot de Lecocq (Favart) dans des distributions similaires à celles déjà entendues, reprise de l'excellent Don Giovanni de Guth une quinzaine d'années après sa création à Salzbourg (que restera-t-il de la direction d'acteurs ?), et début octobre Ariodante de Haendel en version … pas de découvertes majeures en ce début de saison.

Un pas de côté est cependant possible avec le week-end Japon de la Philharmonie : du et du kyōgen (variante supposée comique, mais ce sont en réalité plutôt des œuvres assez lentes, hiératiques et sérieuses, simplement elles évoquent plutôt la vie quotidienne, l'accueil du mari chez sa belle-famille par exemple) du 23 au 26 septembre !



2. Ballet

C'est la reprise du mythique The Season's Canon de Pyte (sur l'arrangement de Max Richter des 4 Saisons), c'est de la musique enregistrée mais il paraît que c'est le ballet qui magnifie le mieux les danseurs de l'Opéra. J'attendais depuis longtemps l'occasion de le voir après en avoir entendu tant de bien unanime – et je serai donc probablement un peu déçu vu les superlatifs entendus au préalable.



3. Symphonique

Berlin, Boston, Tel-Aviv, Vienne, Milan… beaucoup d'orchestres prestigieux de retour à Paris, dans des programmes pas toujours très originaux, mais tout de même quelques pépites à glaner (la pièce contemporaine chez Boston, les variations Mozart de Reger chez Berlin…). Et tout le monde dit le plus grand bien de l'association Vienne-Hrůša.

Les Cloches de Rachmaninov en ouverture de saison pour l'Orchestre de Paris, avec une belle distribution russophone (Peretyatko, Petro, Markov).

Et une courte symphonie contemporaine en ouverture du concert du Peace Orchestra Project – on vous l'a vendu comme un concert Argerich, le concerto à deux pianos de Poulenc a déjà été déprogrammé et son état de santé actuel laisse penser qu'elle ne sera pas là, si jamais ça compte pour vous. Mais le début et le clou du spectacle, c'est la Symphonie n°2 de Nicolas Campogrande, inspirée par la guerre en Ukraine, une jolie symphonie tonale simple, très brève, lumineuse, qui a déjà beaucoup tourné chez les grands orchestres d'Europe. Ça s'écoute très agréablement, c'est de la musique positive et excessivement accessible (sans être plate ni pauvre).



4. Musique de chambre

Quelques concerts assez merveilleux : dimanche 3 septembre à Saint-Merry, Phantasy Quartet de Britten avec hautbois, Trio pour deux violons et alto d'Ysaÿe, et autres raretés de Milhaud, Isang Yun… Très original et gratuit.

Intégrale de la musique de chambre de Schumann à l'Orangerie de Sceaux, le 15 septembre. Ces trios, pourtant largement aussi aboutis que les Sonates violon-piano, sont très rarements donnés en concert, même séparément. Alors les trois !

Et le Festival de duos de piano de Rungis !  Ils invitent plus cette année Anderson & Roe, le meilleur duo de pianistes de tous les temps, incroyablement inventifs,  j'ai parlé à plusieurs reprises de leur travail ici. Leur dernier album (avec des originaux de Mozart) n'est pas le plus intéressant (outre leurs Star Wars Impressions en concert qu'ils n'ont jamais eu le droit de rejouer mais qui ont fait beaucoup pour leur notoriété, l'album When Words Fade a été le sommet), mais ils y adjoignent des réécritures réjouissantes tirées de leur répertoire passé. Et on peut espérer quelques bis croustillants !
On a aussi du Rachmaninov-Medtner à deux pianos et un duo de clavecins (Baumont & Delage !) autour de Le Roux, Couperin, Krebs et Johann Christian Bach !



5. Lied et mélodie


Auprès de jeunes chanteurs de l'Académie du Wigmore Hall, concert (pour 7 chanteurs de toutes les tessitures) de mélodie française (après un an de classes avec Lott et Le Roux !). Programme très attirant : Lalo, Falla, Viardot, Debussy, Duparc, Chausson, Chaminade, Barraine et Cras ! Le mardi 5 septembre à Cortot (15€).

Concert gratuit de l'Atelier Lyrique de l'Opéra de Massy le 26, avec des airs sacrés et profanes de Poulenc.

J'ai aussi repéré, à la Scala Paris, le récital de sortie de disque pour du Schubert accompagné à la guitare et chanté par l'emblématique Maria-Christina Kiehr – chanteuse baroque à la carrière extraordinaire, elle était déjà dans la BO de Tous les matins du monde !  Elle chante désormais dans des tessitures basses, mais l'émission reste très conforme à ce qu'elle était, ce devrait être très beau.

Le clou, ce sera la journée de Royaumont autour du lied postromantique et décadent, le 16 septembre : communications le matin (avec extraits sonores, notamment du Oskar Posa, grand compositeur oublié qu'on programmait à Vienne sur les mêmes concerts que Mahler et Schönberg), et la journée, après maint développement, se clôture sur le récital du spécialiste Christian Immler (qui forme les jeunes à Royaumont) dans Mahler, Schönberg, Zemlinsky, Schreker (les Cinq Chants pour voix grave !) et Robert Gund !  Ça va être dément.



6. Création

Énormément de cycles de création contemporaine sur une seule semaine : à la Scala Paris (11 septembre), à l'Échangeur de Bagnolet (le théâtre !) les 13 et 16, à la Cité de la Musique le 14 (James Dillon), à Royaumont le 17 (compositrices)… !



7. Concours publics

Académie du joué-dirigé organisée par l'Orchestre de Chambre de Paris (8 septembre).

Concours de chant lyrique « Paris Opera Competition » au Théâtre des Champs-Élysées (15 septembre).



8. Glotte

Les 4 derniers lieder de R. Strauss par l'impressionnante Asmik Grigorian (quelle ampleur, quelle aisance !), à la maison de la radio (15 septembre). En revanche Mikko Franck y rejouera la Sixième de Tchaïkovski (pour la sixième fois ?).

Le chœur de la Scala dans les hits de Verdi au TCE (12 septembre).



9. Gratuité

Un certain nombre de concerts gratuits ou au chapeau ; je n'ai pas pu relever toutes les églises et auditions d'orgue de Paris (Saint-Sulpice le dimanche à midi, Saint-Eustache le dimanche à 17h, en général c'est programmé chaque semaine, et de haut niveau), par exemple.

Mais il y a l'ONDIF au Blanc-Mesnil, toute la saison (chaque semaine que Dieu fait, même l'été) de l'Accueil Musical de Saint-Merry, tous les dimanches, extrêmement varié et ambitieux (retour de l'orchestre impermanent de La Haye, qui m'avait impressionné dans l'écrasante Troisième Symphonie de Sibelius !).

Et deux spectacles dans le Parc de Sceaux, les 9 et 10 septembre (dont un superbe programme d'Adélaïde Ferrière aux percussions diverses, mêlant Xenakis, Gerswhin et compositeurs vivants !).



http://piloris.free.fr/css/images/sceaux_festival.png



10. Codes promos

Pour finir, c'est l'apparition de codes promos « Carnets sur sol ». Je n'ai rien demandé pourtant (ni à l'institution, ni en échange), mais le Festival de l'Orangerie de Sceaux m'a contacté pour me proposer une promotion spécifique au site.
Comme les propositions sont assez chouettes – quelques raretés, et d'excellents artistes, dans le cadre incroyable du Parc de Sceaux, une des plus belles choses de toute l'Île-de-France – et les tarifs relativement élevés (tarif unique 35€, pas cher du tout pour un premier rang, mais cher si l'on a l'habitude des dernières catégories), c'est une aubaine que je partage.

[Je précise que je n'y gagne rien – pas de rémunération, de soirée spéciale, d'entretien exclusif… j'ai le droit d'être invité pour le concert qui me tente le plus (intégrale des trios de Schumann, déjà rares en individuel !), mais il est très probable que je ne sois de toute façon pas disponible à cette date. C'est vraiment pour aider le festival et avantage les lecteurs que je prends ce rôle d'intermédiaire.]

Trois concerts sont concernés :

Le jeudi 7 septembre : Jean Baptiste FONLUPT, piano
Giuseppe Verdi (1813-1901) / Franz Liszt (1811-1886)
Ernani, paraphrase de concert S. 432
Danse sacrée et duo final S. 436, transcription de Aïda
Richard Wagner (1813-1883) / Franz Liszt (1811-1886)
Elsas Brautzug zum Münster, de Lohengrin S. 445
Ouverture de Tannhäuser
Igor Stravinsky (1882-1971)
Petrouchka
Sergueï Prokofiev (1891-1953)
Romeo et Juliette, Opus 75 no.10 « Romeo et Juliette avant la séparation »
Maurice Ravel (1892-1937)
La Valse
Avec le code « Carnets sur sol » en appelant la billetterie, vous disposez d’une place offerte pour une place achetée.

Le vendredi 8 septembre : Amaury COEYTAUX (violon solo du quatuor Modigliani), Geoffroy COUTEAU (piano)
Ludwig van Beethoven (1770-1827)
Sonate pour violon nᵒ 5 en fa majeur, Opus 24
Eugène Ysaÿe (1858 – 1931)
Poème élégiaque en ré mineur, Opus 12
Johannes Brahms (1833-1897)
Sonate pour violon et piano nᵒ 3 en ré mineur, Opus 108
Avec le code « Carnets sur sol » en appelant la billetterie, vous disposez d’une place offerte pour une place achetée.

Le dimanche 17 septembre (à 11h), « Le Carnaval des animaux sudaméricain »
avec Elliot JENICOT comédien (ancien de la Comédie-Française), et l'Ensemble ALMAVIVA, petite mise en scène.
Avec le code « Carnets sur sol » en appelant la billetterie, toute la famille a le droit au tarif enfant.




Avec tout ce choix, vous devriez avoir de quoi occuper les soirées de septembre encore trop chaudes pour profiter du plein air !

samedi 24 décembre 2022

L'année musicale 2022


Estimés lecteurs,

Après un inhabituel silence lié à une actualité personnelle peu riante, me voici de retour pour célébrer 2022.

À la vérité, je ne nourris pas du tout un fétichisme des bilans, mais la perspective de papoter musique avec deux amies chères, encouragée par l'adorable complaisance de nos camarades – comment ne pas y céder ?

Cette fois-ci, le bilan a donc été essayé en vidéo – occasion aussi de tester des outils et des formats pour d'autres expérimentations de Carnets sur sol, notamment l'idée de présenter les œuvres inédites avec un son produit maison, pour rendre les éloges d'inédits moins abstraits et pouvoir étendre la connaissance du répertoire aux amateurs non pourvus d'un piano. En voici deux essais avec l'acte I (piano seul) et l'acte II (piano et voix) du Vercingétorix de Félix Fourdrain, compositeur niçois dont on ne trouve quasiment rien nulle part – et auquel je consacrerai bientôt une notule.

Ce n'est évidemment pas plus que ce que ça prétend être : une conversation (devant une dizaine de spectateurs que nous connaissions quasiment tous personnellement) entre passionnés, une fenêtre où les curieux peuvent jeter un coup d'œil – mais sans aucun apprêt ni maîtrise technique, cela viendra peut-être un jour.

Ce bilan ne me dispense pas tout à fait d'écrire une notule – comme vous le voyez ; tout n'a pas été dit à l'antenne, et le format vidéo est moins aisé à compulser qu'un résumé écrit. Résumé que je vais donc vous livrer, d'autant plus succinct qu'il existe cette version développée.





1. Réponse aux questions des internautes

Avant de commencer, nous avons répondu aux questions fondamentales qui nous avaient été posées. (Je ne donne que mes réponses, pour celles des camarades, vous pouvez regarder la vidéo.)

Adalbéron Palatnįk : « Quel est le plus beau coup de glotte de l'année ? »
    Le coup de glotte n'est pas qu'une coquetterie, la pression subglottique peut être un paramètre très important dans l'organisation vocale, en particulier pour les rôles lourds : lorsqu'on veut émettre une note, en particulier aiguë, de façon nette (un aigu isolé, par exemple), on peut obturer le conduit d'air par l'épiglotte et tout relâcher d'un coup, créant un son puissamment soutenu (et générant au passage un « plop » caractéristique).
    Ce phénomène se trouve même phonématisé dans la langue danoise, où un mot peut changer de sens selon qu'il inclue ou non le coup de glotte (stød).
    La réponse n'est pas facile : j'ai entendu beaucoup de chanteurs et je n'ai pas catégorisé de la sorte. En salle, c'est probablement Ekaterina Semenchuk en Hérodiade (chez Massenet) qui faisait les plus audibles… mais à l'échelle de la saison d'opéra mondiale, c'est assurément Dorothea Röschmann qui aura fait les plus beaux (je ne l'ai pas entendue cette saison). C'est inhabituel dans Mozart, assurément, mais elle va chanter Isolde cette année à Nancy et à Caen, alors ce sera l'occasion de vérifier ce qui est davantage un pronostic qu'un bilan.

Grégounet : « Quel est le ploum-ploum de l'année, disque et spectacle ? »
    Ploum-ploum : Dans certaines communautés Twitter, désigne une forme de musique légère dont l'accompagnement fait ploum. Ce peut désigner les Italiens (Donizetti peut-être, Rossini surtout), mais il s'agit en général de nommer le répertoire léger français, d'Adam à Yvain en passant bien sûr par Offenbach (où la catégorie ploum-ploum fait régulièrement l'intersection avec la catégorie glouglou).
    Au disque, clairement Le Voyage dans la Lune d'Offenbach (Dumoussaud chez Bru Zane), grande fantaisie jubilatoire dans l'esprit du Roi Carotte, à la rencontre de peuples lunaires. Le final de la neige est particulièrement jubilatoire et irrésistible, surtout dans cette très belle réalisation. La production était donnée à Massy ces jours-ci et une autre passera à l'Opéra-Comique en début d'année prochaine.
    En salle, l'un des tout meilleurs Offenbach (avec les deux sus-cités), Barbe-Bleue, dans une production amateur de très haut niveau, par l'orchestre et les chœurs Oya Kephalê – qui produisent, chaque mois de juin que Dieu fait, un opéra d'Offenbach.

Romain Tristan : « Et le piano de l'année ?  Et l'orgue de l'année ? »
    Il y sera répondu dans les parties suivantes !

« Le dîner, avant ou après le concert ? »
    Tout dépend de votre microbiote… Pour ma part, comme je ne mange pas souvent, ce n'est pas toujours une question. Il faut étudier si vous êtes plutôt sensible au ventre vide plaintif ou aux assoupissements postprandiaux. Cela dit, dans le second cas, la structure canonique des concerts ouverture-concertos-symphonie permet avantageusement de siester avant l'entracte sans manquer la musique intéressante qui vient après.

« Laisser un pourboire ? »
(nous avons oublié d'y répondre, je donne donc une réponse plus détaillée ici)
    Le classique ne générant pas de recettes suffisantes, il est en général soit autoproduit dans de petites salles (concerts au chapeau ou billetterie helloasso / weezevent…), soit rendu accessible par des subventions dans les grandes salles publiques. Il existe quelques zones intermédiaires, comme le Théâtre des Champs-Élysées, où la programmation est soutenue par une institution publique (la Caisse des Dépôts et Consignations, sans laquelle il serait impossible d'équilibrer le budget avec les seules ressources de billetterie), mais sous la forme d'un mécénat de droit privé. Si bien qu'il s'agit d'un théâtre privé, répondant comme tel à un droit dérogatoire, spécifique aux théâtres parisiens. Alors que dans tous les autres corps de métier et partout en France, il est interdit de rémunérer un salarié sans une base fixe (d'où l'utilisation du statut d'auto-entrepreneur pour le nouvel lumpenprolétariat des livreurs à vélo)… les théâtres privés parisiens, eux, ont le droit de rémunérer leurs ouvreurs aux seuls pourboires. Ce n'est donc pas un mensonge – comme je l'ai d'abord cru à mon arrivée dans la région –, mais bel et bien leur unique source de rémunération.
    S'ensuivent un certain nombre d'abus (agressivité envers le public, corruption pour de meilleures places), particulièrement au Théâtre des Champs-Élysées dont la direction souhaite depuis longtemps supprimer pourboires et replacements sauvages, sans y parvenir. Pour les replacements, parce que Perret était un imposteur qui ne savait pas bâtir des angles, si bien qu'une large partie du théâtre (la moitié ?) voit au mieux les deux tiers de la scène en se penchant. 35€ pour voir 30% de la scène, c'est cher. Et une partie du public joue donc aux ninjas des coursives. Pour le pourboire, parce qu'il est en réalité plus rémunérateur que le salaire pour le peu d'heures travaillées, ce qui rend les ouvreurs peu enclins à renoncer à cet avantage paradoxal.
    C'est actuellement en cours de négociation au Théâtre des Champs-Élysées (à l'Athénée, ils ne réclament jamais rien et sont de toute façon adorables, on leur donne avec grand plaisir), mais ça dure depuis 2020 et n'a toujours pas abouti.
    Alors, laisser un pourboire ?  J'avoue que la perspective de payer son maton ne m'enchante pas – c'est vraiment l'ambiance au TCE, on paie la personne qui vous empêchera de vous asseoir à un meilleur siège vide –, mais considérant que c'est la seule rémunération qu'ils perçoivent, si jamais je me fais placer, je donne. Si je me place tout seul, non, je ne finance pas les emplois fictifs non plus.



2. 2022 : l'année Franck ?

En 2022, il y avait assurément beaucoup de choix !  De Scriabine, on n'aura guère eu que le concerto pour piano (deux fois à Paris, alors qu'il est plutôt rare d'ordinaire), quelques disques (souvent des couplages), et le nombre habituel de Poème de l'Extase. Vaughan Williams a été fêté au Royaume-Uni, guère ici. Quant aux autres, même ceux qui pourraient être emblématiques (l'importance de Goudimel dans la diffusion de la Réforme, Halphen juif dans la France antisémite et mort sur le front en 1917…), célèbres (Forqueray, E.T.A. Hoffmann, Xenakis), patrimoniaux en France (Chambonnières, Mondonville, Davaux, Séverac, Büsser) ou tout simplement rocambolesques (Dupuy), rien.

Vous pouvez en retrouver une liste agrémentée de conseils dans ces six épisodes qui m'ont occupé de l'automne 2021 à l'automne 2022 :

I – de 1222 à 1672 : Morungen, Mouton, Goudimel, Ballard, Benevolo, Gaultier, Chambonnières, Schütz, Schürmann, Forqueray, Kuhnau, Reincken…
II – de 1722 à 1772 : Benda, Mondonville, Cartelleri, Daquin, Triebensee…
III – 1822, Hoffmann, Davaux, Dupuy… : l'auteur de génie qui compose, l'inventeur véritable du métronome, la perte des Reines du Nord…
IV – 1872 (a), Moniuszko, Carafa, Graener, Alfvén : Pologne, Campanie, Reich, Suède
V – 1872 & 1922 : Hausegger, Halphen, Juon, Büsser, Perosi, Séverac, Vaughan Williams, Scriabine, Baines
VI – 1922 & 1972 : Popov, Leibowitz, Grové, Grofé, Amirov, Xenakis, Erkin, Bárta, Wolpe, Bryant…


Le grand vainqueur, c'est donc César Franck. En quantité, on a assez peu eu de concerts, à part une concentration de concerts dans les églises (par l'Orchestre Colonne, le CRR de Paris, Oya Kephalê et même quelques-uns à Radio-France) autour de la date de sa naissance (10 décembre). Heureusement, Bru Zane a remonté Hulda, dont la production à Fribourg, malgré la qualité des interprètes mandatés, ne rendait pas du tout justice. Outre ses influences wagnériennes (rien à voir avec l'italianisant Stradella, par exemple), on pouvait profiter d'un livret particulièrement étonnant – dans l'esprit de Psycho de Hitchcock, quasiment tous les personnages principaux sont massacrés aussitôt qu'on les a présentés !

Au disque, trois disques ont marqué l'année.

¶ Une belle intégrale des mélodies (qui s'étendent de l'épure de la dévotion d'église à la sophistication chromatique) par Christoyannis, Gens et Cohen.
¶ Le ballet intégral de Psyché par Kurt Masur à Verbier – un chef-d'œuvre, l'œuvre la plus lyrique de tout Franck, et à la fois très rarement donnée, encore plus rarement en entier, et quasiment jamais par des interprètes de premier plan.
¶ L'intégrale de la musique de chambre chez Fuga Libera (Trio Ernest, Quartetto Adorno, Miguel Da Silva, Gary Hoffman, Franck Braley…), qui permettait notamment d'entendre les rares Trios piano-cordes, qui sont des chefs-d'œuvre très bien bâtis et particulièrement élancés.

Côté intégrale pour orgue, il y a eu à boire et à manger (quelques-unes à la finition moyenne sur des Cavaillé-Coll immondes), mais on avait déjà du choix de ce côté-là. C'est davantage le Franck lyrique (mélodies, liturgie, opéra) qu'il fallait remettre à l'honneur. Ce fut fait, sans grand tintamarre à destination du grand public, mais les mélomanes curieux avaient la possibilité d'en profiter.



3. Géopolitique et musique

Le fait qui a bouleversé notre perception du monde et nos existences (économiques, du moins) n'a pas été sans conséquence sur notre représentation de l'histoire musicale du monde. Devant ce qui s'annonçait comme une dévastation systématique de l'Ukraine, on ne pouvait pas faire grand'chose… sauf peut-être s'intéresser à un patrimoine immatériel qui, même lui, sera possiblement en danger dans les prochaines années.

J'ai été un peu déçu, je l'avoue, du peu de concerts thématiques sur le sujet (qu'on aurait pu introduire par des conférences), et les disques parus sont plutôt des concepts d'hommage (chansons traditionnelles notamment). Même à Paris, à part le concert d'Igor Mostovoï au Châtelet, le concert du Symphonique de Kiev à la Cité de la Musique et les quelques propositions du « Week-end à l'Est » consacré à Odessa (concert vocal à Saint-Germain et concert symphonique au Châtelet, tous deux organisés par le Châtelet, et à nouveau Mostovoï), on n'a pas croulé sous l'offre. Quelques récitals de piano (partiellement) composés de compositeurs ukrainiens. Mais aucune maison n'a tenté de monter (ou d'inviter une troupe) un opéra ukrainien, un cycle de symphonies, une saison thématique. Je sais qu'il faut du temps pour mettre sur pied ce genre de projet, mais je crains que si cela n'a pas été fait sous l'impulsion de l'émotion, maintenant que le conflit s'est installé dans la durée et que plus personne ne joue l'hymne ni ne dédie son concert à l'Ukraine, ce ne sera pas la saison prochaine que la Philharmonie (et encore moins l'Opéra de Paris) proposeront un grand cycle thématique. (Il y aura bien un week-end spécial dans la prochaine saison de la Philharmonie, bien sûr, dans l'air du temps, mais je doute qu'on bénéficie d'une exploration systématique.)

Pour le disque, le délai de publication étant toujours long (un an en général entre la captation et la mise sur le marché), nous verrons. Quelques récitals de chansons ukrainiennes jusqu'ici, mais c'est à peu près tout.

De mon côté, à défaut de pouvoir aider, je voulais comprendre, et dans la mesure du possible participer à la sauvegarde d'une culture qui sera potentiellement en danger (que sont devenus ces chœurs polyphoniques de vieilles dames ? seront-ils transmis ?). Pour la musique traditionnelle, le Polyphony Project a effectué un travail inestible de recensement et d'immortalisation.

Pour un propos plus détaillé, je parle sur Twitter de quelques spécificités de la musique ukrainienne et en présente également quelques dizaines des principaux compositeurs, avant de le développer en essayant de l'articuler à diverses problématiques, dans cette série de notules.

Après écoute d'un peu plus de 80 disques, de quelques enregistrements hors commerce et concerts, après quelques lectures aussi, j'ai quelques éléments à souligner.

¶ Comme la musique russe, la musique ukrainienne utilise énormément de thèmes folkloriques. Essentiellement ceux  contenus dans la collection Lvov-Prač, la seule disponible au XIXe siècle. Recueil inestimable, qui ne distingue pas entre les mélodies populaires russes et ukrainiennes, qui circulent donc beaucoup aussi bien chez les compositeurs russes qu'ukrainiens. (Mais Lysenko va aussi effectuer lui-même des relevés.)

La musique russe et la musique ukrainienne ne se distinguent pas fondamentalement à l'oreille. Elles ont des principes communs (les modes harmoniques utilisés, le goût pour le lyrisme et le folklore, le rhapsodisme plutôt que la grande forme, etc.), mais cette absence de distinction est aussi due à la situation politique.
    ¶¶ Lorsque des compositeurs ukrainiens, comme ceux qui sont présentés comme les trois premiers compositeurs russes (Berezovsky, Bortniansky, Vedel) sont repérés comme talentueux après leurs études en Ukraine, ils sont recrutés pour la chapelle impériale de Saint-Pétersbourg, où ils sont formés par des compositeurs italiens (et pour deux d'entre eux, partent temporairement étudier et exercer en Italie). Les premiers compositeurs russes sont d'abord des compositeurs… ukrainiens. Comme les commandes et le pouvoir sont en Russie, ils partent s'y perfectionner et y vivre.
    ¶¶ De même, s'il existe peu d'opéra ukrainien, par exemple, c'est que l'oukase d'Ems (en 1876, au moment précisément où la culture spécifique ukrainienne commence à être abondamment mise en valeur) interdit l'impression de textes en langue ukrainienne. Dans le même esprit, le mot « ukrainien » (qui veut déjà dire habitant « de la Marche », c'est-à-dire « du truc dont on se sert pour que les ennemis les bolossent avant nous ») est banni est remplacé par « petit-russien », qui n'est donc pas tant un terme affectif qu'une marque de domination. J'ai été frappé par le fait qu'on retrouve exactement la même rhétorique de la fraternité que dans le discours officiel russe actuel, mais une fraternité oppressive, celui du grand qui a autorité sur le petit et qui se pense des droits sur lui.
                → Il est donc exact que la musique ukrainienne se distingue peu de la musique russe… mais si cette école musicale ukrainienne ne s'est pas singularisée, c'est d'abord qu'il ne lui était pas possible, politiquement, de le faire !

Beaucoup de compositeurs que nous pensons comme russes sont en réalité ukrainiens : Berezovsky, Bortniansky, Vedel, Glière (qui utilise beaucoup de thématiques proprement ukrainiennes), Roslavets, Feinberg, Ornstein, Mosolov… sont nés en Ukraine et y ont (sauf Roslavets) été formés !  (Je trouve incroyable qu'on ne le sache pas davantage pour Mosolov, par exemple !)
On peut y ajouter quelques cas plus ambigus : Anton Rubinstein (fondateur du Conservatoire de Moscou et grand représentant de la culture russe de référence), né à Ofatinți, partie de la Transnistrie rétrocédée à la Moldavie en 1940… mais dont une fine bande de terre à été redonnée à l'Ukraine !  Gavriil Popov, né à Novocherkassk, qui a toujours été en Russie, mais qui était l'ancienne capitale des Cosaques – qui sont à l'origine de la formation de l'Ukraine moderne – si bien que culturellement, on pourrait l'inclure dans la sphère d'influence ukrainienne. Enfin Sergueï Prokofiev, né à Sontsivka, à l'Ouest de Donetsk, est considéré comme russe mais est pourtant bel et bien né dans un territoire ukrainien (et au recensement de 2001, plus de 92% de la population avait l'ukrainien pour langue maternelle !).
Voilà qui fait un certain nombre des plus grands compositeurs russes nés (et pour beaucoup formés) en Ukraine !




4. Spectacles

Pour les comptes-rendus, je vous renvoie à la vidéo ou aux commentaires faits après chaque concert sur Twitter (mot-dièse #ConcertSurSol).

Tentative de podium :

1. Barbe-Noire d'Ambroise Divaret au CRR
2. Marie Tudor au CNSM
3. Der Schatzgräber de Schreker à Strasbourg
4. Le Destin du Nouveau Siècle de Campra (où, sans contrainte, le compositeur se lâche totalement)
5. Doubles chœurs de Rheinberger & Mendelssohn par le Chœur de Chambre Calligrammes
6. La Nativité de Messiaen par les élèves de Sylvie Mallet au CRR
7. Phryné de Saint-Saëns à l'Opéra-Comique
8. Rheingold par Nézet-Séguin au TCE
9. Suite de Rusalka d'Ille & Honeck à la Maison de la Radio
10. Programme franco-italien du Poème Harmonique avec Eva Zaïcik à la Fondation Singer-Polignac
11. Journée à la Roche-Guyon du festival Un Temps pour Elles (3 concerts, 3 violoncellistes de mon top 5 : Luzzati, Legasa, Phillips !)
12. Trio n°3 de Frank Bridge avec Christine Lagniel à l'Amphi Bastille
13. Schubert et Chostakovitch par le Quatuor Belcea au Théâtre des Champs-Élysées

Et aussi…
Bru Zane : Hulda TCE
Larcher PP
Neojiba Cerqueira PP
Schmitt Psaume 47 MR
Stockhausen Freitag PP
Tailleferre opéras-minute au CNSM
Turangalila Salonen PP
Elektra à Bastille
Cendrillon de Massenet à Bastille
Vestale Spontini TCE
Roi Carotte Oya Kephalê
Parsifal Bastille
Karawane PP
Ariane & Bacchus Marais TCE
Thaïs TCE

J'ai un peu oublié les bides, mais je me souviens de mêtre ennuyé ferme pour A Quiet Place de Bernstein à Garnier, et m'être demandé pourquoi jouer des œuvres rares qui ne sont pas propres à soulever l'enthousiasme, quand le choix est si vaste parmi les chefs-d'œuvre ? (réalisation par ailleurs assez terne)

Parmi les moments forts, deux histoires à vous partager.


Benjamin Bernheim, alors qu'on lui fait un entretien de complaisance, en profite pour faire longuement l'éloge de son pianiste. Un ténor qui ne parle pas de lui, et en plus qui complimente son accompagnateur alors que ce n'est même pas la question posée, je ne pensais pas voir ça un jour. (et ça m'a ému)


¶ Reprise de Robert le cochon et les kidnappeurs de Marc-Olivier Dupin à l'Opéra-Comique.
Un véritable traumatisme (que je vous raconte à la fin de la vidéo).

Il s'agissait de la reprise d'un spectacle destiné au jeune public, par l'adroit compositeur du Mystère de l'écureuil bleu, qui sait manier les références et écrire de la musique à la fois nourrissante et accessible. Mais cette fois…
 
D'abord, peu d'action, beaucoup de numéros assez figés, aux paroles plutôt abstraites… j'ai pensé à l'opéra italien du XIXe siècle et à ses ensembles où chaque personnage évoque son émotion, son saisissement… pas forcément la temporalité adaptée pour les moins de dix ans.
 
Ensuite, le propos éducatif était… déroutant. La méchante, c'est la propriétaire de la décharge qui veut simplement conserver un peu d'ordre alors que Mercibocou le loup et Nouille la Grenouille cassent et mettent tout en désordre. Robert le Cochon, en voulant parlementer pour sauver son ami le loup, prisonnier (personne ne l'a kidnappé, il a surtout été arrêté alors qu'il commettait un délit…), se fait éjecter. Mais il trouve la solution, la seule fructueuse, pour être entendu : il apporte une hache. Et là tout le monde s'enfuit et il peut délivrer son ami. (La violence ne résout rien, mais quand même, elle rend tout plus facile. Prenez-en de la graine les enfants.)

Et surtout, des images traumatiques. Nouille la grenouille est éprise de Mercibocou le loup, mais elle est surtout passablement nymphomane. Elle s'éprend aussi du chasseur de loup embauché par la directrice de la décharge, lui fait une cour éhontée, s'empare d'une « machine d'amour » pour le forcer à l'aimer. Âmes sensibles comme je le suis, ne lisez pas ce qui va suivre.
Nouille attrape alors le chasseur de loup, qui se débat, elle le tire par les pieds alors qu'il s'accroche désespérément au plancher en criant « je ne veux pas ! », et l'emporte dans la fusée où elle le viole – hors du regard du public, mais dans la fusée au milieu de la scène, tout de même –, et lui appliquant la « machine d'amour », le tue. Elle sort alors en pleurant et traîne le cadavre du chasseur sur toute la scène.
Oui, parfaitement, dans un opéra pour enfant, l'un des principaux personnages présentés comme sympathiques viole un autre personnage, sur scène, avant le tuer et de se promener partout avec son cadavre ! 
Pour mettre à distance un peu cette scène, on nous apprend, une demi-heure plus tardi (sérieusement ?  j'ai eu le temps de développer deux ou trois névroses dans l'intervalle…), qu'en réalité ce n'était pas un véritable homme mais une baudruche. Je ne sais pas si c'est vraiment mieux : on sous-entend ainsi que si vous voulez violer quelqu'un mais qu'il se révèle par accident n'être pas véritablement un humain, alors vous n'avez rien à vous reprocher. Quant au procédé même de catégoriser un personnage en non-humain pour mieux pouvoir le torturer, je ne suis pas trop sûr non plus de ce que j'en pense exactement… mais mon ressenti ne valait clairement pas assentiment !

J'ai vraiment peine à comprendre comment personne, dans le processus de création, librettiste, compositeur, metteur en scène, producteurs, interprètes, professionnels de la maison, public interne des filages, public de la prémière série en 2014… n'a demandé à un moment « mais le viol sur scène suivi de meurtre et d'exhibition du cadavre avant de le décréter sous-homme, est-ce totalement la meilleure idée pour un opéra jeune public ? ». Dans un opéra décadent comique du milieu du XXe siècle, ça aurait pu être amusant, mais dans au premier degré dans un opéra pour enfants, j'en suis resté traumatisé – et je l'ai raconté par le menu à tous ceux qui ont eu l'imprudencede me demander ce que j'avais vu de marquant dernièrement.


Le bilan de tout cela reste quand même que sur les 6 meilleurs spectacles de l'année, je recense trois spectacles d'étudiants et un concert d'amateurs !  Honnêtement, cela vaut la peine d'aller voir, surtout au CNSM où le niveau est très élevé (niveau pro, l'enthousiasme des débuts en sus). Les concerts des conservatoires sont toujours gratuits de surcroît ! 
Le recensement n'est pas toujours évident (c'est annoncé peu de temps à l'avance, dans des sites fastidieux à consulter, date à date), aussi je vous rappelle que je maintiens à cet effet un agenda des concerts franciliens où j'inclus et mets en avant les soirées intéressantes. Les spectacles avec mise en situation théâtrale au CNSM (la classe d'Emmanuelle Cordoliani en particulier) me fournissent chaque année des expériences parmi les plus originales et marquantes de la saison.

C'est un peu tôt (en général à 19h), mais si vous avez la possibilité de partir un peu en avance ou si vous posez occasionnelle des après-midis de congé, courez-y, beaucoup n'osent pas, mais on est tout à fait bienvenu, c'est fait pour et disposer d'un public aide à la formation de ces jeunes !  Et le résultat est en général très enthousiasmant (pour les grands spectacles baroques du CRR, les auditions de ses classes d'instrument ou à peu près tout au CNSM).



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5. Nouveautés discographiques : œuvres

Difficile de sélectionner (mon fichier d'écoutes de 2022 fait un millier de pages, plusieurs heures d'écoutes quotidiennes et peu de redites…)

Je tente un petit palmarès.

1. Eben – intégrale d’orgue vol.1 : Job, Fantasia Corale, Laudes… – Janette Sue Fishell (Brilliant Classics 2022) ♥♥♥
→ Ensemble assez incroyable de bijoux… je découvre la densité du langage (très accessible cependant) de la Fantasia Corale, une certaine parenté avec Messiaen, en moins exagérément idiosyncrasique… Et une très belle version de Job, l’une des plus belles et ambitieuses œuvres pour orgue du XXe siècle, avec récitants anglais.
→ Très belles versions, tendues, bien registrées, bien captées… et l’on n’avait de toute façon, que des bouts de choses jusqu’ici. Début d’une série absolument capitale.

2. Winter, Schack, Gerl, Henneberg, P. Wranitzky, Salieri, Haydn, Mozart – « Zauberoper », airs d’opéras fin XVIIIe à sujets magiques – Konstantin Krimmel, Hofkapelle München, Rüdiger Lotter (Alpha 2022) ♥♥♥
→ Encore un carton plein pour Krimmel. Un des plus passionnants (et ardents !) récitals d’opéra de tous les temps. Voilà. (Et il y a beaucoup d’autres compositeurs que « Mozart Haydn Salieri » dans cet album).
→ Document passionnant regroupant des inédits de première qualité (enfin un peu du génial Oberon de Pavel Vranický au disque !) interprétés avec ardeur, et dits avec une saveur extraordinaire. (Je vous recommande chaleureusement son récital de lieder Saga, exceptionnel lui aussi.)
→ Par ailleurs une très belle voix, bien faite, qui ne cherche pas à s’épaissir contre-productivement et conserve sa clarté malgré les formants très intenses qui permettent à la voix de passer l’orchestre.

3. Campra – Le Destin du Nouveau Siècle – Valiquette, Lefilliâtre, Vidal, Mauillon, Van Essen ; La Tempest, Bismuth (CVS)
→ Campra, dans ce sujet purement allégorique où les sujets de la Guerre et de la Paix expriment leurs émotions (!), peut s'en donner à cœur joie et ne rien brider de son imagination musicale. Ébouriffant. (Et quelle distribution, bon sang.)

4. Saint-Saëns – Phryné – Valiquette, Dubois, Dolié ; Rouen, Niquet (Bru Zane 2022) ♥♥♥
→ Intrigue déjà utilisée par Don Pasquale, Das Liebesverbot, Die schweigsame Frau…
→ Nous n'avions qu'une bande de la RTF mal faite, et c'est ici la révélation, toutes ces saveurs dans tous les sens. Court et absolument jubilatoire.

5. Ireland, Stanford, Coleridge-Taylor, Clarke, Liszt – Sonates & autres pièces pour piano – Tom Hicks (Divine Art 2022) ♥♥♥
→ Très beau corpus pianistique anglais… la Sonate d’Ireland manifeste une grande ambition, postdebussyste (mais avec une forme thématique plus charpentée), et regorge de séductions.
→ Et, divine surprise, la version de la Sonate de Liszt échappe totalement à la virtuosité fulgurante qui m’exaspère d’ordinaire : Hicks travaille véritablement l’harmonie (très claire, mais il crée parfois des sortes d’appoggiature en laissant chevaucher la pédale), la structure, le son n’est pas le plus brillant du marché, mais la réalisation est l’une des plus éloquentes !  J’ai l’impression de découvrir – enfin ! – l’intérêt que les mélomanes lui portent.

6. Eleanor Alberga – Concertos pour violon 1 & 2 – Pearse, Bowes, BBC National Orchestra of Wales, Swensen (Lyrita 2022) ♥♥♥
→ Compositrice. Noire. Toutes les raisons de ne pas être jouée… et à présent toutes les raisons d’être réessayée. Vraiment dubitatif lors du concerto pour violon n°2 qui ouvre le disque, assez plat. En revanche le cycle de mélodies est marquant, et surtout l’incroyable premier mouvement du Premier Concerto, dans un goût quelque part entre Mantovani et Berg, de grandes masses orchestrales contrapuntiques menaçantes, mais tonales et très polarisées. Assez fantastiquement orchestré !

7. Pijper, (Louis) Andriessen, (Leo) Smit, Loevendie, Wisse, Henkemans, Roukens – « Dutch Masters », œuvres pour piano à quatre mains – Jussen & Jussen (DGG 2022) ♥♥♥
→ Panorama très varié (du postromantique décadent étouffant de Pijper à l’atonalité dodécaphonique avenante de Louis Andriessen en passant par les debussysmes de Smit) de ce fonds musical incroyablement dense pour un pays à la démographie aussi modeste. (Ma nation musicale chouchoute d’Europe avec les Danois, je me fais très souvent des cycles consacrés à l’un ou l’autre, avec un émerveillement récurrent.)
→ Pour finir, un étonnant concerto très syncrétique de Roukens, manifestement inspiré à la fois par le jazz, varèse et la musique grand public !  (et sans facilité, vraiment de la très bonne musique)

8. Maria Bach – Quintette piano-cordes, Sonate violoncelle-piano, Suite pour violoncelle seul – Hülshoff, Triendl (Hänssler 2022) ♥♥♥
→ Œuvres denses et avenantes à la fois, culminant dans cette Suite pour violoncelle qui m’évoque Elias de Mendelssohn : on y sent sans équivoque l’hommage à Bach, mais un idiome romantique plus souple et expressif qui me séduit considérablement. Oliver Triendl fait des infidélités à CPO et, de fait, les œuvres communes au disque CPO y sont plus ardentes.
&
Maria Bach – Quintette piano-cordes, Quintette à cordes, Sonate violoncelle-piano– (CPO 2022) ♥♥
→ Quintette à cordes de toute beauté, germanique mâtiné d’influences françaises. Thèmes fokloriques russes très audibles.

9. Hans Sommer – Lieder orchestraux – Mojca Erdmann, Vondung, Appl ; Radio Berlin (ex-Est), (PentaTone 2022) ♥♥♥
→ Généreux postromantisme sur des textes célèbres, très bien orchestré et chanté par des diseurs exceptionnels (Vondung, et surtout Appl). Coup de cœur !

10. Schütz, Gagliano, Marini, Grandi & Roland Wilson – Dafne – Werneburg, Hunger, Poplutz ; La Capella Ducale, Musica Fiata, Roland Wilson (CPO 2022) ♥♥♥
→ Si la reconstruction d’un opéra perdu peut paraître une pure opération de communication – la preuve, je me suis jeté sur ce disque alors même que je savais qu’il ne contenait pas une mesure de Dafne ! –, le projet de Roland Wilson est en réalité particulièrement stimulant.
→ En effet, partant de l’hypothèse (débattue) qu’il s’agissait bel et bien d’un opéra et pas d’une pièce de théâtre mêlée de numéros musicaux, il récupère les récitatifs de la Dafne de Gagliano (qui a pu servir de modèle), inclut des ritournelles de Biagio Marini, un lamento d’Alessandro Grandi (ami de Schütz), et surtout adapte des cantates sacrées de Schütz sur le livret allemand qui, lui, nous est parvenu. (Wolfgang Mitterer a même fait un opéra tout récent dessus…)
→ Le résultat est enthousiasmant, sans doute beaucoup plus, pensé-je, que l’original : énormément de danses très entraînantes, orchestrées avec générosité, un rapport durée / saillances infiniment plus favorable que d’ordinaire dans ce répertoire (même dans les grands Monteverdi…). Ce n’est donc probablement pas tout à fait cohérent avec le contenu de l’original, mais je suis sensible à l’argument de Wilson : c’est l’occasion d’entendre de la grande musique du temps que, sans cela, nous n’aurions probablement jamais entendue !  (Et dans un cadre dramatique cohérent, ajouté-je, ce qui ne gâche rien.) → Les deux ténors sont remarquables, l’accompagnement très vivant, et surtout le choix des pièces enthousiasmant !

10. Vladigerov – « Orchestral Works 3 » – Chambre Bulgare, Radio Nationale Bulgare, Vladigerov (Capriccio 2022) ♥♥♥
→ Remarquablement écrit tout cela !  Tonal et stable, mais riche, plein de couleurs, de climat, de personnalité, et surtout un élan permanent. Un grand compositeur très accessible et très méconnu.
→ Si le Poème juif se révèle l’héritier d’un postomantisme germanique généreux et décadents, les Impressions de Lyutin sont marquées par l’influence des motorismes soviétiques, tandis que le dernier des 6 Préludes Exotiques porte, lui, la marque éclatante du Ravel le plus expansif !  Et à chaque fois, sans pâlir du tout devant ses modèles, et non sans une personnalité réellement décelable.
→ D’autres choses sont moins marquantes, mais pas sans valeur, comme le lyrisme filmique de l’Improvisation & Toccata, qui a quelque chose de Max Steiner et Korngold…
→ Clairement le meilleur album de la série, trois disques de merveilles.

11. Czerny, Sonate n°6 / Schubert, Sonate D.958 en ut mineur – Aurelia Vişovan (Passacaille 2022) ♥♥♥
→ Encore un coup de maître d’Aurelia Vişovan… Première fois de ma vie que je suis passionné par une sonate de Schubert (hors peut-être la dernière). Quelle puissance rhétorique implacable, et sur un joli blong-blong en sus !
→ Très belle sonate (en sept mouvements !) de Czerny également.
→ Découvrez absolument aussi son disque Hummel / Beethoven !

12. Noskowski – Quatuors n°1 & 2 – Four Strings Quartet (Acte Préalable 2022) ♥♥♥
→ Le 2 est un bijou de lyrisme intense, quoique pas du tout « douloureux » comme le prétendent les indications de caractère des mouvements, au contraire d’un élan lumineux remarquable !

13. Taneïev – Trio à cordes Op.31, Quatuor piano-cordes Op.20 – Spectrum Concerts Berlin (Naxos 2022) ♥♥♥
→ Le Trio est rarement enregistré, petite merveille jouée avec des cordes d’une intensité d’attaque, d’une résonance, d’une précision d’intonation assez vertigineuses. Et le Quatuor, toujours aussi puissamment inspiré dans ses élans mélodiques… Disque miraculeux.

14. Pachelbel – Les Fugues Magnificat – Space Time Continuo (Analekta 2022) ♥♥♥
→ Oh, quelle merveille !  Des fugues distribuées à différents ensembles : théorbe, orgue ou consort de violoncelles, parfois même au sein de la même fugue. La matière en est très belle (cette Chaconne en fa mineur !) et la réalisation suprême.

15. Charlotte Sohy – Œuvres avec piano (dont mélodies) – Garnier, Nikolov, Phillips, Luzzati, Oneto Bensaid, Kadouch, Vermeulin (La Boîte à Pépites 2022) ♥♥♥
→ Première publication de ce label qui a déjà fourni beaucoup de matière en musique féminine de premier plan (cf. son calendrier de l’Avent récent ou le festival Un Temps pour Elles qui lui est lié).
→ Ce volume contient des pièces pour piano, des mélodies (les très belles Chansons de la Lande, qui ont clairement entendu Duparc), de la musique de chambre, en particulier le miraculeux trio, dont le traitement thématique est absolument fascinant. (Et quels artistes possédés par leur sujet, dans le trio tout particulièrement !)
→ Les pièces pour piano m’ont paru moins essentielles, davantage tournées vers le caractère, la décoration, le salon. À réécouter.

Mais il y a aussi :

Ibert : Le Chevalier errant
Messiaen : Chronochromie
Jarre (Maurice) : Concertino pour percussions et cordes
Mihalovici : Symphonie n°2, Toccata pour piano & orchestre
Milhaud : L’Homme et son désir
Roussel : Concert, Suite en fa, Symphonie n°3
Honegger : Symphonie n°3
Debussy : Marche écossaise, Berceuse héroïque, Faune, Nocturnes, La Mer, Jeux
Ravel : Alborada, Oye
⇒ Radio de Baden-Baden, Hans Rosbaud (SWR Classic 2022) ♥♥♥
→ 4 CDs dans un son clair très réaliste et physique, avec une direction acérée et tendue… Ibert extraverti, Messiaen totalement déhanché et débridé, Honegger frénétique, Debussy tranchant… vraiment un concentré de bonheur, de bout en bout… et avec quelques véritables raretés, comme le remarquable Chevalier Errant d’Ibert, ou bien sûr Maurice Jarre et les pièces de Mihalovici.

Perosi – Quintettes piano-cordes 1 & 2, Trio à cordes n°2 – « Roma Tre Orchestra Ensemble » : Spinedi, Kawasaki, Rundo, Santisi, Bevilacqua (Naxos 2022) ♥♥♥
→ On a beau être mélomane de longue date, la vie peut toujours réserver des surprises : en deux jours, moi qui trouvais le genre du Trio à cordes assez peu fulgurant, je viens de découvrir les deux plus beaux trios que j'aie entendus, et que je n'avais jamais écoutés !  Après Taneïev, voici Perosi n°2.
→ Le feu qui traverse cette œuvre est assez grisant, sans effets de manche ni épanchements superficiels. (Les Quintettes sont très beaux aussi, mais je les connaissais déjà.)

Fauchard – Intégrale pour orgue – orgue de Detmold, Flamme (CPO 2022)♥♥♥
→ Des aspects Vierne, mais aussi un grand nombre de citations de thèmes liturgiques, en particulier dans la Symphonie Mariale que je trouve particulièrement réussie, évocant les Pièces de Fantaisie de Vierne, mais dans une perspective structurée comme un Symphonie de Widor.
→ La Symphonie Eucharistique est encore plus impressionnante en développant davantage et ressassant moins. Quelques contrastes incroyables (dans le II « Sacrifice » !).
→ De la grande musique pour orgue – si vous aimez les grandes machines évidemment. (J’ai songé aux aplats enrichis du Job d’Eben en plus d’une occurrence dans la Quatrième Symphonie, et c’est un beau compliment.)

Bach (Suite n°1), Duport, Piatti, Battanchon, Hindemith (Sonate n°3), Sollima (Sonate 1959), Casals, Rostropovitch, Matt Bellamy – « Le Chant des Oiseaux » – Thibaut Reznicek (1001 Notes 2022) ♥♥♥
→ Programme puissamment original, qui parcourt des pans majeurs de l’œuvre pour violoncelle seul, un Bach sublime mais aussi de passionnants Battanchon et Hindemith, un touchant Sollima (cette simplicité qui touche toujours juste, encore plus peut-être que dans ses délectables Quatuors…). Et Reznicek en gloire, l’un des grands violoncellistes d’aujourd’hui, doté d’un grain et d’une musicalité qui ont peu d’équivalent sur la scène actuelle.

Edelmann, Persuis, Gluck, Monsigny, Grétry, J.-C. Bach, Dalayrac, Cherubini – « Rivales », scènes d’opéra rares du XVIIIe – Gens, Piau, Le Concert de la Loge Olympique, Chauvin (Alpha 2022)
→ J'ai vu le CD « Rivales », je me suis dit « oh non, encore un récital téléphoné à base de joutes vocales fantasmées ». En réalité, recueil de grandes scènes dramatiques françaises fin XVIIIe jamais enregistrées. Et interprétation aux couleurs et inflexions extraordinaires !
→ Les figuralismes de l’abandon d’Ariane (rugissements de bêtes, tempête maritime…) chez Edelmann sont absolument incroyables ; mais aussi le grand récit de Démophoon de Cherubini, et évidemment « Divinités du Styx » par Gens.



6. Nouveautés discographiques : versions

Et bien sûr des choses moins neuves, mais dans des interprétations miraculeuses.

LULLY – Acis & Galatée – Bré, Auvity, Crossley-Mercer, Tauran, Cachet, Getchell, de Hys, Estèphe ; Chœur de Chambre de Namur, Les Talens Lyriques, Rousset (Aparté 2022) ♥♥♥
→ Tout l’inverse du parti pris esthétique du Zoroastre paru la même semaine : déluge de couleurs variées et de dictions affûtées (mention particulièrement à Bénédicte Tauran, particulièrement charismatique). Immense proposition de toute l’équipe.

Purcell – Dido & Aeneas – Les Argonautes, Jonas Descotte (Aparté 2022) ♥♥♥
→ Incroyable !  Purcell joué comme du LULLY. Voix fines et expressives (à l’accent français plus délicieux qu’envahissant), couleurs orchestrales magnifiques, et le tout dans une finition d’une perfection absolue. Voilà qui rejoint d’emblée García Alarcón sur le podium des versions les plus intenses de cette œuvre pourtant rebattue !
→ Les danses, que j’ai toujours trouvées moins passionnantes que les récitatifs (quelle surprise…) se révèlent ici absolument irrésistibles. (Et les récitatifs restent fabuleux aussi.)
→ J’espère que cet ensemble ira loin, et fera la promotion du répertoire français en complément d’autres bien en cour actuellement, mais aux postures plus hédonistes (Les Surprises, Les Ambassadeurs font de l’excellent travail, mais ce n’est pas l’esthétique qui fonctionne le mieux dans ces musiques, à mon sens…).

Voříšek, Mozart – Symphonie en ré Op.23, Symphonie 38 – Gewandhaus O, Blomstedt (Accentus Music 2022) ♥♥♥
→ Contre toute attente, après des Brahms plutôt impavides et indolents, un Mozart plein de vie et d’aspérité : certes tradi, mais un tradi vibrillonnant, qui ne se contente jamais d’énoncer les formules mais les accompagne et leur insuffle un feu permanent. Une des plus belles versions que j’aie entendues, pour moi qui ai pourtant tendance à privilégier le crincrin crissant et le pouêt-pouêt couaquant !  Une partie du plaisir provient aussi de l’exécution intégrale, avec les reprises (18 minutes pour le premier movement, et 12 pour l’andante !), ce qui permet de goûter pleinement les équilibres formels et les trouvailles merveillleuses de notre (presque) vieux Mozart.
→ La Symphonie en ré de Voříšek est elle aussi extraordinairement réalisée, Blomstedt mettant en valeur son très grand potentiel dramatique, ses parentés avec Mozart dans la recherche harmonique, la variété de ses climats (des contrastes impressionnants dans le mouvement lent). Elle ne m’avait pas du tout autant frappé, et pour cause, dans l’excellente version Goebel.

Weber, Schubert, Schumann – Lieder orchestrés, airs d’opéra (Alfonso und Estrella, Euryanthe…) – Devieilhe, Fa, Degout ; Pygmalion, Pichon (HM 2022) ♥♥♥
→ Le projet ne m’enthousiasmait pas, mais le choix des œuvres (de très beaux airs de baryton de Weber et Schubert, rarement gravés en récital) et leur réalisation sur instruments anciens, débordant de couleurs et de textures, est absolument superlative. Je suis resté sonné par l’intensité de la réalisation – et Degout, qui n’est pas mon chouchou, est en forme olympique !
→ Du même degré de réussite que l’album « Mozart inachevés » de Pygmalion.

Schumann – Quatuors piano-cordes, Märchenerzählungen (version avec violon) – Dvořák PiaQ (Supraphon 2022) ♥♥♥
→ Je découvre avec stupéfaction qu’il existe un autre quatuor piano-cordes de Schumann… et qu’il vaut de surcroît son génial autre !  (Version formidable aussi.)

Meyerbeer – Robert le Diable – Morley, Edris, Darmanin, Osborn, Courjal ; Opéra de Bordeaux, Minkowski ♥♥
→ Je reste toujours partagé sur cette œuvre : les actes impairs sont des chefs-d’œuvre incommensurables, en particulier le III, mais les actes pairs me paraissent réellement baisser en inspiration. Et certaines tournures paraissent assez banales, on n’est pas au niveau de finition des Huguenots, où chaque mesure sonne comme un événement minutieusement étudié. Pour autant, grand ouvrage électrisant et puissamment singulier, bien évidemment !
→ Comme on pouvait l’attendre, lecture très nerveuse et articulée. Courjal, que je trouvais un peu ronronnant ces dernières années, est à son sommet expressif, fascinant de voix et d’intentions. Bravo aussi à Erin Morley qui parvient réellement à incarner un rôle où l’enjeu dramatique, hors de son grand air du IV, paraît assez ténu par rapport aux autres héroïnes meyerbeeriennes – avant tout un faire-valoir.
→ Très (favorablement) étonné de trouver ce chœur, qui bûcheronnait il y a quinze ans, aussi glorieux – son à la fois fin mais dense, ni gros chœur d’opéra, ni chœur baroque léger, vraiment idéal (seule la diction est un peu floue, mais il est difficile de tout avoir dans ce domaine).

Gluck, Rossini, Bellini, Donizetti, Halévy, Berlioz, Gounod, Massenet, Saint-Saëns – « A Tribute to Pauline Viardot » – Marina Viotti, Les Talens Lyriques, Christophe Rousset (Aparté 2022) ♥♥♥
→ Voilà, pour une fois, un récital intelligent, qui tient les promesses de son titre : le répertoire de Pauline Viardot, sur instruments d’époque, par une voix exceptionnelle, d’une très belle patine mais brillante, à la diction affûtée, à la projection manifestement aisée, maîtrisant aussi bien la cantilène profonde que la déclamation dramatique ou l’agilité la plus précise.
→ Orphée, La Juive, La Favorite, Les Troyens sont d’éclatantes réussites, qui offrent à la fois une qualité supérieure de diction et d’expression… mais aussi un accompagnement d’un caractère et d’une singularité qui renouvellent véritablement l’écoute !

Czerny – Nonette – Brooklyn Theatre Salon Ensemble (Salon Music 2022) ♥♥♥
→ Une nouvelle version du Nonette !  Timbres moins parfaits que chez le Consortium Classicum, mais la prise de son est encore plus aérée et détaillée, beaucoup d’aspect qu’on a l’impression de mieux découvrir. Pour l’un des plus hauts chefs-d’œuvre de Czerny.

¶ Brahms – Symphonie n°1, Concerto pour violon (S.-M. Degand, Le Cercle de l'Harmonie, Rhorer) (NoMadMusic 2021) ♥♥♥
→ Fin de l'année 2021, passé inaperçu dans les bilans.
→ Formidables couleurs renouvelées, et dans le concerto, ce que tire Degand de cordes en boyaux est tout simplement hallucinant d'aisance et de musicalité. Versions majeures, et très différentes de ce qu’on peut entendre ailleurs.

Brahms – Les Symphonies – Chambre du Danemark, Ádám Fischer (Naxos 2022) ♥♥♥
→ Dans le même goût que leurs Beethoven, avec une Héroïque particulièrement marquante, un Brahms aux cordes non vibrées qui n’en ressort pas (comme c’est en général le cas) rigidifié ou anémié : Fischer s’empare de cette options en faisant tout claquer avec une vivacité impressionnante… le plus admirable est que les mouvements lents eux-mêmes en sortent particulièrement rehaussés, par le grain, par la lisibilité structurelle, par la force des intensions.
→ Une très grande lecture, particulièrement marquante, qui renouvelle radicalement l’approche de ces œuvres d’ordinaire beaucoup plus pâteuses, et dont l’orchestration sort ici transfigurée. Je le mets dans mon panthéon aux côtés de Manze (pour la couleur, les accents) et Zehetmair (pour l’intelligence de l’articulation des cordes).
→ Bissé.

Offenbach – Le Voyage dans la Lune – Derhet, Lécroart ; ON Montpellier, Dumoussaud (Bru Zane 2022) ♥♥♥
→ Sur un schéma habituel (princesse enlevée par un prince mauvais sujet), farci de rebondissements plein de fantaisie (fusée, terre habitée, volcan), quelques pastiches identifiables (les enchères à la chandelle de la Dame Blanche « Personne ne dit mot ? »), et plusieurs moments assez marquants mélodiquement (le chœur de la neige), un bel Offenbach ambitieux et puissamment original, dans le goût du Roi Carotte ou de Barbe-Bleue.

Dubois, d’Indy, Caplet – Dixtuor, Chansons & Danses, Suite Persane  – Polyphonia Ensemble Berlin (Oehms 2022) ♥♥♥
→ Trois très belles œuvres, mais le disque vaut particulièrement pour sa version des Chansons & Danses de d’Indy, d’une verdeur exceptionnelle, complètement nasillarde et terroir – je n’imaginais pas des musiciens allemands capables de se donner à fond là-dedans !  Indispensable version de premier plan de ce chef-d’œuvre.

Sibelius – Symphonies 3 & 5, La Fille de Pohjola – Symphonique de Göteborg, Rouvali (Alpha 2022) ♥♥♥
→ Voilà une intégrale réalisée par un autre prodige finlandais, sur beaucoup plus long terme qu’Oslo-Mäkelä, et qui apporte, cette fois, une toute nouvelle perspective sur ces œuvres !  Captation merveilleuse de surcroît.
→ Rouvali a la particularité de traiter les transitions non comme des passages d’attente, mais comme si (et c’est le cas !) elles étaient le cœur du propos. Il n’hésite pas à mettre en valeur les motifs d’accompagnement et à les rendre thématiques (sans abîmer pour autant l’équilibre général de la symphonie et les thèmes). On se retrouve donc avec deux fois plus de thèmes (et de bonheur).
→ Sa Première était un bouleversement paradigmatique ; les autres parutions m’avaient moins impressionné. Mais dans cette Troisième, au premier mouvement très vif et élancé, au deuxième au contraire d’une lenteur particulièrement inspirée (avant que tout ne s’emballe), on sent à quel point, à nouveau, chaque équilibre, chaque progression est pensée. Vraiment un témoignage de tout ce qu’un chef peu magnifier dans une grande partition. → Tout simplement (et de loin) la meilleure version que j’aie entendu de la Troisième (et j’ai écouté toutes les intégrales discographiques de Sibelius).
→ La Cinquième est moins singulière, mais toujours remarquablement articulée et captée (pas une version où l’appel de cor du final est particulièrement majestueuse / exaltante, attention à ceux pour qui c’est important).

Sibelius – Symphonie n°7, Suite de Pelléas, Suite de Kung Kristian II – Radio Finlandaise, Nicholas Collon (Ondine 2022) ♥♥♥
→ Premier directeur musical non finlandais à la tête de la Radio, ce n’est en tout cas pas une erreur de casting : une Septième pleine de frémissements, de détails, de vie, de bout en bout, l’une des plus abouties de celles (très nombreuses) qu’il m’ait été donné d’entendre.

Langgaard – Symphonie n°1, « Pastorale des falaises » – Berliner Philharmoniker, Sakari Oramo (Da Capo 2022) ♥♥♥
→ Cette unique symphonie de Langgaard écrite dans le goût postromantique généreux (sur les 16 de son catalogue) trouve ici une lecture particulièrement limpide et animée… le résultat est d’un souffle absolument irrésistible.




7. Découvertes de l'année

L'exploration des anniversaires a bien sûr été l'occasion de beaucoup de belles découvertes (Ballard, Schürmann, Baines… et bien sûr la vie absolument démente de Dupuy !).

De même pour l'Ukraine. Parmi les belles rencontres inattendues, Semen Hulak-Artemovskiy dont l'histoire m'a passionné, et Leo Ornstein, pianiste exilé aux États-Unis dont le futurisme débridé me ravit absolument (le disque de Janice Weber avec les Sonates 4 & 7, ou le Quintette qu'elle a gravé avec le Quatuor Lydian, sont à couper le souffle).

En lisant Pelléas au piano, j'ai été frappé comme la foudre par l'hypocrisie de Debussy, se moquant de la façon de Wagner d'écrire un opéra à partir de bouts de motifs hystériques. Or, bien que les exégètes que j'ai lus aient toujours paru relativiser les leitmotive dans Pelléas, en réalité le plus clair de l'opéra n'est bâti que sur ces motifs (souvent des interludes ou des sections entiers !), peut-être encore davantage que dans Tristan ou le Ring… Découverte qui m'a stupéfié, j'étais toujours passé à côté à l'écoute – activité dont je ne suis pourtant pas suspect d'avoir été économe. Il y aura des notules (et peut-être même une « conférence-concert ») sur le sujet. Voyez déjà cette notule générale et celle-ci, plus récente.

Autre grand choc, la découverte des concertos pour violon de Pierre Rode, d'un style postclassique à la fois dramatique et d'une veine mélodique incroyable (un peu dans l'esprit de Dupuy), que j'ai écoutés en boucle pendant mes randonnées depuis le printemps dernier.

Une claque monumentale avec I Masnadieri de Verdi dans la version de Gavazzeni à Rome en 1972 (Ligabue, G. Raimondi, Bruson, Christoff).
Je n'avais jamais été très touché par cet opéra encore un peu formellement post-belcantiste, et dans des versions molles (Gardelli notamment) distribuées totalement à rebours (Bergonzi en brigand sans limites !). Réécoute avec cette version possédée, en relisant sa source Die Räuber.  J'en suis sorti vraiment sonné… Les plot twists surabondants et délirants (il y en a combien, une demi-douzaine rien que dans la dernière scène ?), et la fin assez inattendue et insoutenable, le désespoir qui baigne le tout – chaque personnage étant persuadé de sa damnation et se débattant malgré tout en s'enfonçant dans ses crimes et en choisissant mal la loyauté de ses serments –, la recherche d'un sublime perverti, tout concourt au malaise exaltant.
Ces outrances sidérantes ont dû faire réagir sur le plan de la bienséance, même pour un public habitué aux fantaisies romantiques !  Mais c’est aussi le terreau pour des scènes très contrastées comme Verdi les aime – la prière apocalyptique du méchant !  Les rôles sont eux aussi démesurés : l’épouse qui dérobe une épée et tient en respect le méchant, le baryton totalement maléfique, le ténor vociférant… j’en suis sorti assez secoué avec cet attelage plus grand que nature.
→ Et alors, Gianni Raimondi, que je tenais pour une belle voix (idéalement émise mais) un peu aimablement lisse, totalement hors de lui, est hallucinant dans sa dernière scène.

Quelques opéras du romantisme allemand, aussi, à commencer par Die Räuberbraut de Ries (dont je n'avais jamais rien trouvé saillant, et qui se révèle un tempérament dramatique de premier ordre !) et Die Lorelei de Bruch (de très loin supérieure en intensité à ses autres vocales comme Ulysse ou Arminius).

Enfin, les symphonies d'Alfvén dirigées par le compositeur, tellement claires, mordantes et redevables au folklore, on ne l'imaginerait pas du tout en écoutant les autres versions du commerce (beaucoup plus vaporeuses et « atmosphériques »).



8. Cycles de l'année

Pour approfondir un sujet ou préparer une notule, j'ai tendance à creuser un même sillon, d'où la poursuite de quelques cycles.

Cycle opéra suédois :
Je ne suis toujours pas inconditionnel de la Fête à Solhaug de Stenhammar (un rare Ibsen mis en musique), mais son Tirfing sur un sujet médiéval est absolument enthousiasmant, ces finals tournoyants particulièrement généreux m'ont transporté !  On trouve pas mal d'œuvres chez Sterling.
J'ai aussi profité de tout le fonds édité par BlueBell : récitals d'artistes suédois qui chantent tout le répertoire… en suédois. Mozart, Verdi, Wagner, R. Strauss, tout y passe… voix phénoménales et saveur très particulière de cette langue (variété vocalique et, par rapport à l'allemand, une fermeté qui n'exclut pas la rondeur). Vous pouvez commencer par le volume consacré à Arne Tyrén, vertigineux. Il faut après naviguer selon ses goûts, mais la quinzaine d'albums vaut le détour, particulièrement pour les chanteurs moins connus (qui chantent mieux…).

Cycle Segerstam
Cycle Westerberg
(de pair avec ce cycle opéra suédois)

Cycle opéras français post-1870 :
Hérodiade de Massenet, Aben-Hamet de Dubois, Vercingétorix de Fourdrain, Lutetia d'Holmès, Ivan le Terrible de Gunsbourg… évoquent tous à leur manière les tourments de la défaite et la recherche du sublime malgré la déchéance et l'horreur. Il est frappant de voir que le parallèle Romains-Germains est réalisé par plusieurs de ces œuvres (Hérodiade, Vercingétorix, Lutetia), alors que dans notre imaginaire contemporain la culture romaine (ne serait-ce que par la distribution linguistique) s'oppose justement à celle du Nord de l'Europe.

Cycle opéras de Théodore Dubois
En train de déchiffrer au piano tous ceux que j'ai pu trouver : Le pain bis, Xavière, Le Guzla de l'Émir, Aben-Hamet, Le Paradis perdu… Et je m'émerveille à chaque fois de la facilité de lecture et de l'économie de la pensée musicale, dispensant beaucoup de beautés, mais toujours à la juste proportion, comme une épice vient relever un plat sans le dénaturer.

Cycle Taneïev
Sa musique de chambre est extraordinaire, et les symphonies aussi. 45 disques écoutés, à peu près toutes les œuvres que j'ai pu trouver couramment disponibles.

Cycle intégrale Verdi
Réécoute de tous les opéras de Verdi. Toujours source d'émerveillement et de plaisir.

Cycle Oliver Triendl
Le grand pianiste défricheur (les concertos rares et la musique de chambre interlope chez CPO, c'est très souvent lui !). En plus il joue merveilleusement. J'ai suivi sa trace pour faire encore davantage de belles découvertes !

Et quelques autres autour de compositeurs :

Cycle Dupuy
Cycle Czerny
Cycle Stenhammar
Cycle Pejačević
Cycle Juon
Cycle Miaskovski
Cycle Tchèques milieu XXe (Luboš Fišer et Jan Fischer !)
Cycle Sviridov

Ou d'interprètes :

Cycle Gianni Raimondi
Cycle Fedoseyev
Cycle Dähler (le pianiste)

… ou même un cycle Civil War, pour retrouver la trace des thèmes les plus célèbres utilisés dans la musique américaine. (Pas évident de trouver de bons disques, beaucoup d'arrangements dégoûtants – j'ai dû fouiller un peu.)

Si vous êtes curieux, une recherche en ctrl+F dans le fichier des écoutes et dans son archive vous permettront de retrouver les disques et les commentaires.



9. Doudous

J'ai aussi réécouté certains de mes doudous personnels : les Variations « Prinz Eugen » de Graener, Miles fortis de Hamel, Raoul Barbe-Bleue de Grétry, Ungdom og Galskab de Dupuy, et j'ai découvert ou réécouté sans trête la musique de chambre de compositeurs majeurs dans ce genre et trop méconnus : Krug, Koessler, Schillings, Pejačević, Kabalevski, Taneïev, Howells…




J'espère que ce bilan vous aura donné des idées d'écoutes, ou que la vidéo vous aura amusés. À défaut, sachez que je diffuse et commente mes écoutes en temps réel sur ce fichier.

À l'année prochaine, estimés lecteurs !

dimanche 13 novembre 2022

Franz SCHREKER – Der Schatzgräber en création française


[Opéra du Rhin] Schreker, Der Schatzgräber, Loy & Letonja

#ConcertSurSol n°22

(Opéra de Strasbourg)
Schreker – Der Schatzgräber – Loy ; Blondelle, Juntunen ; Philharmonique de Strasbourg, Letonja

Franz Schreker est l’un des princes de l’opéra de la République de Weimar : les années 1910 et 1920 voient ses grands succès naître à Francfort et dans mainte autre ville allemande, voire germanique (Das Spielwerk und die Prinzessin est même créé à Vienne). Ses intrigues vénéneuses fondées sur la quête d’absolu de l’artiste, la puissance du désir et la chute inéluctable sont un peu le paragon du mouvement qu’on peut appeler (que j’appelle, en tout cas) les décadents, reprenant à la fois les thématiques du romantisme (l’art et l’amour absolus), de la psychanalyse, des doutes du XXe siècle. Musicalement aussi, il se situe entre le lyrisme postromantique des poèmes symphoniques de Richard Strauss et l’ultrachromatisme postwagnérien, naviguant très vite d’une tonalité à une autre, usant d’accords enrichis et même quelquefois de polytonalité !  Œuvres sophistiquées sans doute adressées à une élite intellectuelle capable de saisir l’écart entre la forme du conte qu’il adapte souvent et sa réalisation tourmentée.
Voyez ce recueil de notules de CSS.

Le Chasseur de trésor, écrit entre Die Gezeichneten (ou plus exactement la refonte du Spielwerk) et Irrelohe, reprend bien sûr la thématique de la quête absolue – et impossible – de l’artiste, de sa descente aux enfers dans un monde trop laid, qui parcourt toute l’œuvre librettistique de Schreker. Mais ici, l’accent porte plutôt sur des questions relationnelles et sociales, avec une histoire d’amour au centre (ce qui n’est général que formellement le cas, rarement l’enjeu profond et principal), et une figure de femme fatale typique de son temps, de la trempe des Mélisande, Salomé et des Lulu : tout à la fois pure, victime de la concupiscence des hommes, et manipulatrice, mortifère, source involontaire de tous les malheurs. L’action culmine dans la succession de coups de théâtre de l’acte IV, avec l’empilement de suspicion contre le ménestrel, de sa réponse allégorique, de ses blasphèmes, de la révélation du Bailli, qui font à chaque fois changer l’action de direction… en un quart d’heure, la tête tourne – un peu comme à la fin des Brigands de Schiller. Tant de fins possibles sont à peine esquissées !  L’Épilogue final, en revanche, avec sa laborieuse mort d’héroïne comme on en retrouve dans maint opéra du temps, d’Adriana Lecouvreur à Pelléas… paraît renouer avec une conception très normée et plate, c’est assez dommage, alors que le Prologue est plutôt très intriguant et bien pensé.
Toute cette fantaisie se fonde en réalité sur une expérience personnelle de Schreker, assistant à une servante d’auberge qui, costumée, joue du luth… image qui l’avait vivement frappé.

La mise en scène de Christof Loy a le grand mérite d’animer tout le temps le plateau – alors que le livret prend son temps pour laisser au compositeur le loisir de travailler ses progressions sonores. En revanche, après discussion avec les camarades, pour ceux qui ne connaissaient pas déjà l’œuvre, le décor unique (qui se défend pour des raisons économiques) n’était pas assez explicité (par de petits accessoires ?) pour permettre de comprendre les lieux de l’acte, ce qui pouvait réellement prêter à confusion.

Musicalement, on retrouve tout l’attirail schrekerien des harmonies sophistiquées, des tissus superposés – avec beaucoup moins de mélodies évidentes que dans Der ferne Klang ou bien sûr Die Gezeichneten – à la fois abstrait et sensuel, complexe et immédiatement séduisant. Chaque fin d’acte est un moment fort : duo entre les amants  Els (la servante d’auberge) et Elis (le ménestrel) à la fin du I, et la délibération d’Elis à la fin du II, notamment ; mais parmi les grands moments, on a aussi le duo du Bouffon et d’Els au début du II, et les deux grands climax de l’œuvre. La scène d’amour d’abord, qui occupe l’essentiel de l’acte III (où Els, parée des colliers volés, offre sa vierge nudité au ménestrel magique déchu) et culmine dans un long interlude symphonique suggestif, d’un élan irrésistible. Et bien sûr l’éclat d’Elis à l’acte IV, lorsque, emporté par son propre récit et par ses souvenirs, il s’engage dans un blasphème exalté, montant sans cesse d’un cran en intensité vocale – un côté très Tannhäuser de ce point de vue, livret comme musique (en beaucoup, beaucoup plus complexe).

Un ravissement permanent, tout cela est très prenant grâce au livret étrange (beaucoup de zones troubles qui donnent de quoi s’occuper l’esprit) et à la musique profusive et variée.

La production était musicalement absolument exemplaire… en ayant écouté l’œuvre au disque dans les années précédentes, puis à mon retour, je n’y ai pas du tout retrouvé le même frisson. Marko Letonja, qui connaît bien les décadents (intégrale des symphonies de Weingartner avec Bâle, chez CPO…) officiait déjà pour Der ferne Klang en 2012 dans ces murs (avec, déjà, Juntunen incandescente !), et le Philharmonique de Strasbourg se montre d’une concentration remarquable, ne relâchant jamais la tension, ne paraissant jamais basculer en pilote automatique – sur une musique aussi difficile et qui réclame autant de présence, pas évident d’habiter chaque recoin !

Côté chanteurs, on est aussi à la fête : de très bons seconds rôles, voix solides et bien faites, bons diseurs, Derek Welton en Roi, Kay Stiefermann en Bailli charismatique ; de même pour Paul Schweinester en Bouffon. Seule déception, James Newby en gentilhomme-troisième-fiancé : j’avais adoré ses talents de diseur dans les Songs of Travel au disque, et j’ai trouvé la voix étrangement terne et inefficace en salle. Retrouvailles avec Helena Juntunen, qui se joue toujours des difficultés insurmontables de ces rôles avec une facilité et un moelleux impressionnants.

Et surtout, totalement tétanisé par Thomas Blondelle, dont je n’avais pas trop vu évoluer la carrière depuis le Concours Reine Élisabeth, la voix s’est énormément embellie depuis, mais on retrouve l’acteur !) dont il avait été finaliste-lauréat il y a bien dix ans – un disque de mélodies de Poulenc, et puis une carrière surtout dans les pays germaniques (Wiesbaden et Deutsche Oper surtout – en troupe ? –, mais aussi Komische Oper, Dresde, Braunschweig, Luxembourg, Bach Ischl…). Pour une voix qui ne paraît pas d’essence dramatique, mais pourvue d’un beau médium très solide (il a toujours eu un côté presque-baryton), quel aboutissement !  Mais en réalité, en vérifiant, sa carrière est en réalité largement consacrée à ce type de format : Idomeneo, Tito, Erik, Loge, Stolzing, Parsifal, Herodes, Elemer, Matteo !  Impressionnant pour un ténor de cet âge, a fortiori considérant qu’il ne fatigue jamais : il chante pourtant sans retenue, mais appuyé sur une émission saine, assez personnelle, mais sans jamais forcer, si bien qu’il peut se permettre, dans la dernière scène, de tout lâcher – et c’est hallucinant d'insolence, de tension surmontée. De surcroît, sensible au style (il n’hésite pas à émettre en mécanisme allégé lorsque c’est pertinent) et un acteur habité, possédé même, et pas seulement dans l’éclat : toute l’allure dégingandée qu’il arbore en permanence pendant toute l’œuvre, comme ivre de son luth magique, façonne réellement ce personnage singulier à la fois hors du monde et malgré tout sensible et vulnérable par les honneurs et par la chair.
Une des plus grandes incarnations, chant comme jeu, vues dans ma vie de spectateur.

Il joue Manru de Paderewski à Nancy en mai, ça fait envie (l’œuvre n’est pas le sommet de son temps, mais plaisante !) – et puis Herodes et Elemer à Berlin, où ce doit être extraordinaire aussi, mais plus ambitieux à organiser.

Avec ces circonstances particulièrement favorables, la salle était remplie, le public particulièrement attentif et enthousiaste : l’Opéra du Rhin poursuit sa démonstration qu’il est possible de faire ambitieux, neuf, exaltant… tout en rencontrant son public. À cela, ajoutez l’accueil très bienveillant en billetterie, dans les étages (chaque billet est associé à un porte-manteau, les ouvreuses sont particulièrement affables et attentives au confort de chacun…), l’expérience est totale. Prenez-en de la graine les autres.

La production continue : 27 et 29 novembre avec les mêmes chanteurs à Mulhouse. (Je ne sais pas si elle retournera ensuite à nouveau à la Deutsche Oper, mais la distribution y était nettement moins bonne de toute façon.)

jeudi 27 octobre 2022

Anniversaires 2022 – VI – 1922 & 1972 : Popov, Leibowitz, Grové, Grofé, Amirov, Xenakis, Erkin, Bárta, Wolpe, Bryant…


Sixième livraison

anniversaires compositeurs année 2022
Brian, Popov, Apostel, Erkin,
Grofé, Bárta, Xenakis, Leibowitz,
Bryant, Wolpe, Grové, Puts.

(Dans chaque catégorie, je commence par ceux qui me paraissent les plus urgents de jouer, en rouge, puis je passe à ceux qui seraient très bienvenus, en vert, et je termine par ceux dont l'absence me chagrine moins. Organisation pour plus de clarté, mais absolument subjective, je n'ai pas cherché à la tempérer par les nébuleuses questions d'importance historique.)

Pour chaque compositeur :
→ un mot général ;
♫ un extrait musical qui s'ouvre dans une nouvelle fenêtre (souvent avec partition) ;
● des conseils discographiques ;
■ les possibilités de programmation au concert.




Né en 1922 (100 ans de la naissance)

Voici :



Stefans Grové (1922-2014).

→ Stefans Grové est souvent présenté comme le plus éminent compositeur africain (sous-entendu de musique savante à l'européenne, bien sûr) du XXe siècle. Le continent, à la fois parce que sa tradition diffère et parce que la hiérarchie des savoirs telle qu'imposée par la colonisation ne rendait pas nécessairement les arts accessibles aux masses, n'a pas connu une grande quantité de compositeurs atteignant la notoriété – et Grové est lui-même un compositeur connu seulement de quelques mélomanes très chevronnés.

→→ Après avoir obtenu une bourse pour des études à Harvard, il étudie quelque temps avec Copland, avant de retourner au pays et mettre en valeur le patrimoine musical local. Il le fait non pas en musicologue-collecteur, mais en intégrant des thématiques dans ses propres œuvres qui s'inscrivent dans la tradition formelle européenne.

Afrika Hymnus

● Au disque, on ne trouvera que de rares pièces éparses – la plus célèbre étant Afrika Hymnus I, pièce pour orgue monumentale écrite dans un langage riche et dotée d'une belle palette de textures et couleurs. (À part caché dans l'album Popular Organ Music de Lisbeth Kurpershoek, chez Priory, je ne l'ai pas trouvé en flux.)

■ Valoriser le patrimoine africain, potentiellement à la fois par le regard fantasmé des Européens (fantaisie Africa de Saint-Saëns…) et par des compositeurs locaux, serait un sujet original de concert… et qui pourrait potentiellement faire déplacer toute une population originaire du continent qu'on ne voit guère, ne nous mentons pas, dans les concerts de musique classique – même à Paris où l'élite économique et cultivée et moins uniformément blanche et/ou métropolitaine qu'en province. Je serais bien sûr très curieux d'entendre son opéra Die böse Wind !



Fikret Amirov (1922-1984)
(Parfois écrit « Fikrat Amirov » pour transcrire Fikrət Əmirov.)

→ Le compositeur azéri de l'ère soviétique le plus emblématique : directeur de l'Opéra d'Azerbaïdjan, de l'Union des Compositeurs de sa République, puis de l'Union Soviétique !  Sa musique, en général facile d'accès, reflète le ton des musiques des républiques soviétiques périphériques (même chose en Arménie, par exemple). Il intègre volontiers des mélodies azéries dans ses œuvres.

2 Préludes pour piano

● Côté monographies, on trouve surtout les 1001 Nuits et le disque de poèmes symphoniques (chez Naxos, dirigés par Yablonsky), assez doux et mélodiques, pas particulièrement singuliers en dehors de la tournure des mélodies empruntées au folklore, ainsi que le disque d'hommage pour le centenaire commandé / soutenu par le ministère de la Culture : diverses portions de son corpus pour piano (Miniatures, Pièces pour enfants, Sonate romantique,Iimpromptus…) par Yegana Akhundova.

●● Mais pour moi, ce que l'on trouve de plus intéressant, c'est la Deuxième Sonate qui figure dans l'excellente Anthologie de la musique pour piano soviétique de Melodiya : on entend là des recherches plus personnelles et en tout cas des influences plus ouvertement futuristes (quoique mesurées).

■ La Philharmonie pourrait, là aussi, proposer une thématique géographique – consacrée aux franges géographiques de l'Empire russo-soviétique en train de s'effondrer ? –, où l'on pourrait inclure beaucoup de monde, Paliashvili pour la Géorgie, Gubaidulina pour le Tatarstan, Khatchatourian pour l'Arménie, et bien sûr tout le Silvestrov qu'on voudra… Pas forcément facile à vendre, j'en conviens volontiers, d'autant qu'Amirov n'est pas le compositeur le plus singulier ni le plus impressionnant de son temps. Il faudrait véritablement installer le rituel des anniversaires en amont pour que le public se déplace – a fortiori en ces temps de crises où mes vœux naguère raisonnables deviennent bien hardis…



Iannis Xenakis (1922-2001).

→ Né en Roumanie (dans une communauté grecque du Danube), élevé par des gouvernantes parlant anglais, français et allemand, il entre en résistance armée contre l'invasion italienne et allemande de la Grève, puis après la libération  participe au combat dans la guerre civile, du côté des communistes, contre les royalistes – c'est à ce moment qu'il reçoit un éclat d'obus qui lui déforme le visage et manque de le tuer (il est laissé pour mort sur le champ de bataille). Condamné par contumace comme terroriste, il vise les États-Unis mais s'établit finalement en France où il entre avec un faux passeport et reçoit l'asile politique. Sa vie reste toujours aussi incroyable, mais plus calme : diplômé de la Polytechnique grecque, évidemment très doté en mathématiques et spécialiste du béton armé, il est à l'origine de la façade du couvent de La Tourette (Le Corbusier), dont les ouvertures suivent une logique mathématiquement prédéfinie. Il fait de même avec la musique, concevant des agencements régis par des choix abstraits et numériques qui préexistent à l'écriture (Metastasis).

Jonchaies

● Quelques disques existent, dont le plus emblématique, dans la série consacrée par Tamayo chez Timpani, doit être le volume 2 des œuvres orchestrales, avec Jonchaies, réputé pour ses masses brutales. J'avoue que rien de ce que j'ai écouté ne m'a beaucoup touché, on sent vraiment l'organisation théorique préalable qui ne répond pas, finalement, aux logiques internes propres à la musique – ce serait comme vouloir générer une langue par ordinateur… il manquerait quelque chose de la petite inflexion souple et émouvante, propre au désordre des choses humaines.

■ Je ne sais pas ailleurs, mais en France l'Ensemble Intercontemporain en joue quelquefois. (Et je ne sais pas si sa musique mérite nécessairement d'être jouée plus souvent que cela, ni si elle pourrait trouver un public régulier.) Je suis finalement étonné qu'il soit assez peu enregistré et joué, parce que c'est un visage familier à la télévision française, au delà même de la niche du classique.



Kazimierz Serocki (1922-1981).

→ Polonais, élève de Nadia Boulanger, un des cofondateurs du Festival d'Automne de Varsovie, dédié à la musique contemporaine, n'écrit pas une musique particulièrement saillante, mais il a particularité d'avoir laissé des œuvres concertantes (en petit groupe ou avec orchestre) en assez grand nombre pour des instruments moins pratiqués : beaucoup de piano évidemment, mais aussi, trombone, percussions, mandoline,guitare, flûte à bec…

Suite pour quatuor de trombones

● Très peu de choses au disque. On trouve son concerto pour trombone (par Christian Lindberg, who else), qui n'est pas très marquant.

■ Toujours possible de l'inclure dans des concerts consacrés à des instruments plus rares, autre angle pour attirer la curiosité du public : imaginez une publicité qui s'appuie sur « l'instrument de torture de votre enfance, la Flûte à Bec, transfigurée par les compositeurs du XXe siècle » !



Et aussi :
Odette Gartenlaub
Lukas Foss,
Francis Thorne,
Gérard Calvi,
Margaret Buechner,
Pierre Petit,
Ian Hamilton,
Leo Craft,
Doreen Carwithen,
German Galynin,
Zhu Jian'er,
Wim Franken,
Leif Thybo,
Camillo Togni,
George Walker,
Felix Werder,
Raymond Wilding-Whute,
Dorothy Geneva Styles
James Wilson,
Attia Sharara,
Michael Howard,
Ilja Hurnik,
Ester Mägi,
David N. Johnson,
Keisey Jones,
Omar Mácha,
Jeanine Rueff,
Tale Ognenovski,
Allen Sapp,
Rosalina Abejo,
Peter Tranchell,
Rafaello De Banfield,
Sadao Bekku,
Antonio Bibalo,
John Boda,
Alessandro Casagrande,
Chen Peixun,
Anna Gordy Gaye,
Do Nihuan,
Tom Eastwood,
Ohan Durian,
Edvard Baghdasaryan,
Ali Salimi,
Rauf Hajliyev,
Sylvia Rexach,
Kaljo Raid…




Mort en 1972 (50 ans du décès)

Il nous reste quelques grandes vedettes à explorer pour cette dernière grande date anniversaire.



Lubor Bárta (1928-1972).

(Non, par vedette, je ne pensais pas à lui, mais c'est le plus excitant de la livraison, pour moi !)

→ Compositeur tchèque actif du début des années 50 au début des années 70 – il a  gagné sa vie comme accompagnateur. Écriture tonale mais aux coloris très personnels, aimant aussi bien les aplats de cordes tourmentées (mais peu dissonantes) que le pépiement des bois…

Symphonie n°3

● Peu de choses au disque, et aucune monographie à ma connaissance, mais je vous recommande vivement la Troisième Symphonie (couplée avec la Septième de Válek, et la pochette n'indique pas toujours clairement la présence de Bárta dans le disque…), où ces qualités transparaissent particulièrement fort.

■ Difficile à vendre, mais ce « Chostakovitch tchèque » ferait une forte impression en salle. Je n'ai pas d'angle, hélas, pour celui. (Certes, ce n'est pas comme si quiconque allait m'écouter, me direz-vous.)



Gavriil Popov (1904-1972)

→ Né à Novotcherkassk, l'ancienne capitale des Cosaques du Don : ville russe, à 2h de voiture de Donetsk, mais matrice d'un ensemble politique qui a créé l'Ukraine moderne. Je le considère donc, par appropriation culturelle, comme un compositeur ukrainien.

→→ Popov connaît un parcours classique chez les compositeurs soviétiques de talent : jeunesse aventureuse sans doute influencée par les Futuristes, critiques portées contre ses œuvres pour « formalisme », repli vers un langage plus uniment mélodique. C'est pourquoi ses premières œuvres sont les meilleures. Sa Première Symphonie (1935 – vidéo), l'œuvre la plus puissamment originale parmi celles publiées à ce jour – assimilable à du Chostakovitch beaucoup plus riche en couleurs et en arrières-plans –, est ainsi immédiatement interdite et jamais rejouée.

Symphonie n°1

● On trouve notamment les symphonies 1,2,3,6 au disque, ainsi que du piano, des œuvres pour orchestre de chambre, etc. Débutez par les deux premières symphonies chez Olympia, c'est le plus frappant.

■ La référence à Chostakovitch et à la persécution politique permettrait un couplage qui ne ferait pas fuir le public (concerto de Chosta en première partie ?).



Ferde Grofé (1892-1972).

→ Compositeur aux moyens évidents, spécialisé dans la musique à programme. Il a exercé comme pianiste dans le dance band de Paul Whiteman, dont il fut aussi l'arrangeur. Il est en réalité très souvent joué au concert, puisqu'il est l'orchestrateur des deux versions de Rhapsody in Blue (pour orchestre de swing, puis pour orchestre symphonique) – et on ne peut qu'admirer des couleurs que Gershwin lui-même n'a guère osé dans ses orchestrations.

→→ En tant que compositeur autonome, outre quelques musiques de film, Grofé s'est spécialisé dans les suites symphoniques à programme, en particulier topographiques : Mississippi Suite, Grand Canyon Suite, Madison Square garden Suite, Rudy Vallee Suite,  Death Valley Suite, Hudson River Suite, Valley of the Sun Suite, Yellowstone Suite, San Francisco Suite, Niagara Falls Suite, Hawaian Suite… !  Son sens du pittoresque va assez loin : Themes and Variations on Noises from a Garage, Tabloid Suite (Four Pictures of a Modern Newspaper), A Day at the Farm, Jewel Tones Suite (Rubis, Émeraude, Diamant, Saphir, Opale),

→→ Il a aussi légué des ballets et la musique de chambre, en général avec des titres originaux.

Grand Canyon Suite

● Peu de choses se trouvent aisément au disque, mais parmi les suites gravées (Mississipi, Niagara…), c'est véritablement son archi-tube Grand Canyon Suite qui retient l'attention. En particulier dans sa version aux couleurs criardes par le London Pops Symphony, qui procure toute la saveur à l’étrangeté du Painted Desert, tout le mickeymousing réjouissant à la piste On the Trail. Musique par ailleurs surprenante et et hardie par bien des aspects – beaucoup moins dans les autres œuvres que je connais de lui.

■ Même sans les projections de photos illustratives (ce serait très chouette !), ces Suites seraient assez faciles à vendre, entre leur titre évocateur pour le grand public et le couplage évident avec Rhapsody in Blue et d'autres musiques de Gershwhin, de divertissement ou de film. Gros succès en vue, c'est certain – et il suffirait d'un extrait sonore sur le site pour convaincre en quelque seconde le public. (On pourrait aussi en faire un programme pour les familles, c'est de la musique de dessin animé !) Je n'ai pas l'impression (mais je suis peu leurs programmes) que ce soit encore régulièrement joué même aux USA…



René Leibowitz (1913-1972)

→ Né en Pologne, il devint une figure majeure de la vie publique musicale, théoricien, chef d'orchestre, promoteur du dodécaphonisme, professeur de figures importantes comme Boulez, Henze ou Nigg. Ses premières œuvres sont écrites pendant sa période de clandestinité dans les années 40 (juif et résistant). Je suis frappé, dans son style, par le naturel du résultat, y compris dans la musique de chambre et les mélodies chant-piano, qui ont l'éloquence des premiers Webern atonals, très loin de la rugosité de Schönberg, des tourments de Berg ou de l'abstraction systématisée de Boulez. Peut-être ce que j'ai entendu de plus séduisant en matière de dodécaphonisme. 

→→ On lui attribue (il revendiquait, même ?) des cours avec Schönberg, Webern, Ravel, Monteux, mais rien de tout cela n'est avéré.

Marijuana

● Au disque, il a laissé de très belles choses comme chef (une très belle Deuxième de Beethoven, qui préfigure étonnamment le goût d'aujourd'hui), mais pour ses compositions, je recommande le coffret Divox qui fait entendre sa musique de chambre, couplée avec un concerto pour violon qui refuse l'ostentation et atteint une certaine forme de poésie.

■ Ce devrait être au programme de l'Intercontemporain, n'était sa querelle avec Boulez qui doit sans doute rendre sa musique taboue – leurs modèles et leurs idéaux ont très vite divergé.



Hans Erich Apostel (1901-1972).

→ Élève de Schönberg et Berg, un compositeur important de la Seconde École de Vienne. Il vit du piano : comme professeur (quelquefois de composition également), comme concertiste, comme accompagnateur – en particulier sous le néo-Reich, lorsque sa musique est classée comme dégénérée.

→→ Pour de la musique sous influence dodécaphonique, je suis toujours frappé par le grand lyrisme (son fameux Requiem, célébré en son temps, ne doit vraiment pas en être !) et les influences davantage expressionnistes que rationnelles, dans sa musique.

Kubiniana

● Si l'on trouve un certain nombre d'œuvres grâce aux archives radio, ce qui est couramment disponible au disque se limite largement au piano, en particulier ses Variations inspirées de Kokoschka ou ses miniatures évoquant Kubin. On y retrouve la double influence sérielle (lignes défragmentées) et expressionniste (très évocateur et assez lyrique).

■ On ne pourrait pas remplir un concert monographique, mais en couplage dans un programme École de Vienne, ça aurait beaucoup de séductions – bien plus facile d'accès, à mon sens, que les trois autres. (On pourrait jouer Hauer aussi, l'autre concepteur simultané d'un système dodécaphonique, mais c'est sans doute beaucoup demander.)



Ulvi Cernal Erkin (1906-1972)

→ Après Saygun (et Fazıl Say, mais c'est d'abord lié à sa notoriété de pianiste…), probablement le compositeur turc le plus connu. Musique totalement tonale, où l'on sent par touches les influences du Sacre du Printemps (moins de rapport « fonctionnel » à l'harmonie par moment, mélodies un peu déformées) et de la musique soviétique (certaines trépidations de marche), mais qui reste inscrite dans une grande tradition postromantique.

Symphonie n°1

● Plutôt que son Concerto pour piano assez traditionnel-virtuose (dans la grande anthologie de 4 CDs consacrée à la musique turque interprétée par Idil Biret), je recommande d'aller entendre la Première Symphonie (par Aykal, autre compositeur turc important), qui se défend très bien.

■ Il serait surtout programmable dans le cadre d'une série consacrée à la musique turque ou du Proche-Orient, ou d'un panorama complet des nations musicales (qu'est-ce que j'aimerais que la Philharmonie tente cela, un parcours sur la saison entière, égrenant les contrées et les œuvres, du Portugal à la Corée, de l'Australie au Liban…).



Stefan Wolpe (1902-1972)

→ Juif et communiste, ce Berlinois quitte l'Allemagne pour l'Autriche, puis Israël, et enfin les New York. Après avoir étudié auprès de Schreker et Busoni, mais aussi au Bauhaus, rencontré les dadaïstes, etc., il suit l'exemple de Schönberg et adopte le dodécaphonisme pour ses œuvres de concert. Mais sa sensibilité aux causes sociales le conduit aussi à écrire de la musique adressée à un plus vaste public, mêlée de jazz – on l'entend déjà dans ses opéras, mais il a aussi commis des pièces beaucoup plus simples pour des réunions de syndicats, pour du théâtre communiste, et lors de son passage en Israël pour des kibboutz. (C'est d'ailleurs notamment son goût immodéré pour le sérialisme dodécaphonique qui entraîne l'absence de renouvellement de son contrat au Conservatoire de Palestine en 1938 et le pousse vers les USA.)

From Here On Farther

Art dégénéré au cube (d'un juif, communiste, atonal…), ses œuvres ont connu un regain d'intérêt au fil des dernières décennies où l'on a redécouvert les œuvres bannies d'Allemagne dans les années trente, avec à la clef quelques concerts et un assez grand nombre de disques, même s'ils sont très loin de couvrir tout le spectre de ses œuvres. J'aime particulièrement les extraits de ses opéras chez Decca, moins radicaux. Mais si vous voulez tenter le voyage, son Quatuor pour trompette, saxophone ténor, percussions et piano, enregistré de son vivant (avec Samuel Baron), donne une bonne immage de son éloquence dans ce cadre exploratoire assez sophistiqué.

■ Déjà quelquefois programmé en mêlant sa musique de chambre et des lieder un peu plus cabaret, notamment par l'Opéra de Paris sous Mortier, il est facile à glisser dans une thématique Entartete. Le Forum Voix Étouffées doit en donner quelquefois également.



Havergal Brian (1876-1972)

→ Tout d'abord, rendre justice à ses parents, qui n'étaient pas des monstres : son nom de baptême était William – il choisit Havergal lorsqu'il se lance dans la carrière à vingt ans, d'après le patronyme d'un collecteur d'hymnes victoriens. Brian a la particularité, rare dans le métier, d'être issu d'une famille d'ouvrier (de poterie). Autre trait distinctif que vous devez absolument connaître : il fut réformé en 1915 pour « pieds plats ».

→→ Sa notoriété provient surtout de sa Première Symphonie, ou Symphonie Gothique, qui est considérée comme la symphonie la plus longue jamais écrite (deux heures ; il est probable, comme toujours, qu'il existe plus long chez des compositeurs mal connus), tandis que la Troisième de Mahler n'est que la plus longue du répertoire couramment donné en concert. Consacrée à la grandeur de l'univers et à la place de l'homme, elle s'inspire des grands modèles (grégorien, Neuvième de Beethoven, Richard Strauss) et combine trois mouvements instruments (inspirés d'un projet autour du Faust de Goethe) à un Te Deum d'1h20 !  Une grosse grande machine, mais qui frappe au contraire par un langage très mesuré, d'un postromantisme assez peu enrichi, et qui, en comparaison des moyens déployés, sonne un peu fruste : plus de 200 musiciens (sans parler du chœur), incluant habtbois d'amour, hautbois basse, cor de basset, clarinette contrebasse, cornets, trompette basse… un festival. R. Strauss, à qui l'œuvre est dédiée, avait (inexplicablement) beaucoup apprécié l'œuvre et avait félicité Brian. J'ai lu les quolibets les plus vigoureux sur cette œuvre, qui ne les mérite pas ; c'est surtout le décalage – entre l'ambition cosmique affichée et le résultat qui s'écoute très bien comme musique de fond peu instrusive – qui crée une dissonance.

→→ Les autres symphonies (32 en tout), de format traditionnel, sont écrites dans le même langage, mais paraissent beaucoup plus proportionnées au langage lui-même. J'aime assez la 2 et la 11, par exemple – elles ne bouleversent rien mais ne sont pas sans séductions, malgré une orchestration très cordée qui ne ménage pas énormément de couleurs. (C'est du moins ce qui transparaît dans les enregistrements de cacheton faits pour la collection de Marco Polo, aux débuts de Naxos.)

→→ Je ne sache pas qu'ait publié des opéras entiers, mais là aussi, les sujets sont ambitieux, passé son opéra burlesque inspiré de son expérience militiaire (une farce absurde pendant une cataclismique guerre planétaire) : Turandot d'après Gozzi), The Cenci (d'après Shelley), Faust (d'après Goethe , le prologue a été capté par la BBC), Agamemnon (d'après Eschyle).

Suite de Turandot

● Au disque, on dispose de l'intégrale des symphonies chez Marco Polo / Naxos. Elles se ressemblent beaucoup, on peut y aller au pif… mais je recommandais ci-dessus notamment la 2 et la 11. La Première est à essayer, mais aucune obligation d'aller jusqu'au bout si vous vous ennuyez, il n'y a pas beaucoup de coups de théâtre à en espérer. Côté opéras, on dispose d'extraits symphoniques chez Toccata Classics (œuvres orchestrales vol.2), et Faust et les Censci sont assez patauds, sans être spectaculaire pour autant, malgré les quelques moments de lumière manifestement inspirés de Richard Strauss. Turandot est beaucoup plus contrastée, mais l'orchestrateur de la suite symphonique n'est pas Brian !

■ Peut-être ses opéras entiers valent-ils la peine : la simplicité du langage peut être un atout !  On pourrait toujours proposer la Symphonie Gothique en faisant la promotion de sa longueur… mais est-ce vraiment désirable pour le public ?  Et surtout, l'effet pétard mouillé pourrait dégoûter une partie du public ingénu des grandes symphonies, et du public chevronné des raretés : je ne recommande pas de le tenter – sauf peut-être au Royaume-Uni, ils sont bizarres là-bas — et les frontières nous protègent.



Et aussi :
Ezra Pound (le poète, notamment compositeur d'un opéra !)
Oscar Levant (le pianiste concertiste)
Friedrich Schöder
John Barnes Chance
Margaret Bonds
Haig Gudenian
Karl Clausen
Margaret Ruthven Lang
Francis Chagrin
Karel Boleslav Jirák
Emmanuel Leplin
Emilia Gubitosi
Carl-Olof Anderberg
May Auferheide
Pavel Bořkovec
Rito Selvaggi
Povl Hamburger
Juan Carlos Paz
Hanna Vollenhoven…




Né en 1972 (50 ans de la naissance)

… célébrons aussi les vivants !



Steven Bryant

→ Élève de Corigliano, il hérite de lui une science orchestrale très chatoyante, qui s'épanouit remarquablement dans les pièces pour orchestres de vents qu'il a laissées au disque : Loose ID, Radiant Joy, In This Broad Earth, Dusk…

Dusk
(d'un planant américain post-coplandien qui n'est pas le plus caractristique de sa manière, navré)

● Ses pièces sont hélas en général éparpillées au milieu d'autres compositeurs, dans des disques collectifs (par exemple chez Naxos, Albany ou Klavier), il faut bien chercher mais elles sont très belles.

■ De format très court, beaucoup ne font que cinq minutes, et mettraient remarquablement en valeur l'harmonie d'un orchestre en ouverture de concert !  Typique de ces pièces contemporaines brillantes qu'on aime entendre en début de soirée !



Kevin Puts

→ Autre compositeur américain, réputé pour sa musique chorale, tonale et douce (un peu dans l'esprit Whitacre). Ses symphonies sont moins marquantes pour moi.

« Sleep » de l'opéra Silent Night

● Pour avoir une idée de son art, le disque Harmonia Mundi (2013, avec Alsop dans la symphonie n°4) permet d'entendre à la fois ses chœurs et son symphonique. Notez aussi la particularité d'être inclus dans le récent récital de Fleming & Nézet-Séguin The Anthropocène !  Son opéra Silent Night, aux atmosphères caressantes, a aussi été édité en DVD (et a l'air très beau).

■ Le nom m'était familier avant que de l'écouter au disque, j'ai déjà dû l'entendre en concert choral !



Natasha Barrett

→ Compositrice de musique électronique et acousmatique. Clairement pas mon genre – plutôt des sons impatientants que de favorisant l'évocation ou l'onirisme, pour moi.

Little Animals



Et aussi :
Dan Coleman
André Ristic
Tomomi Adachi
Hibas Kawas
Bappa Mazumder
Klas Torstensson
Amber Ferenz
Yasunori Mitsuda
Mina Kubota
Monty Adkins
Albert Schnelzer
Octaio Vázquez
Analia Llugdar
Lei Liang
Carter Pann
Edward Top




Cette série, qui aurait dû s'achever avant 2022, puis en début d'année, a été un peu bouleversée par les fantaisies homocides des satrapes d'Orient, qui ont entraîné la série ukrainienne. Elle se voulait un réservoir d'idées, ce qu'elle ne sera pas pour ses dernières parties… mais elle est aussi, à n'en pas douter, un témoin accablant du peu d'audace des programmateurs et de leur absence attristante de sensibilité au répertoire.

Le classique, en plus d'être une niche, reste un musée. C'est bien dommage. Heureusement qu'il reste quelques créations, dont certaines particulièrement accessibles et abouties.

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Pour retrouver les précédents épisodes de cette série :

1. Anniversaires 2022 : suggestions discographiques et concertantes – I – de 1222 à 1672 : Morungen, Mouton, Goudimel, Ballard, Benevolo, Gaultier, Chambonnières, Schütz, Schürmann, Forqueray, Kuhnau, Reincken…

2. Anniversaires 2022 : suggestions discographiques et concertantes – II – de 1722 à 1772 : Benda, Mondonville, Cartelleri, Daquin, Triebensee…

3. Anniversaires 2022 – III – 1822, Hoffmann, Davaux, Dupuy… : l'auteur de génie qui compose, l'inventeur véritable du métronome, la perte des Reines du Nord…

4. Anniversaires 2022 – IV – 1872 (a), Moniuszko, Carafa, Graener, Alfvén : Pologne, Campanie, Reich, Suède

5. Anniversaires 2022 – V – 1872 & 1922 : Hausegger, Halphen, Juon, Büsser, Perosi, Séverac, Vaughan Williams, Scriabine, Baines


lundi 1 août 2022

Les meilleures nouveautés de la mi-2022




Estimés lecteurs,

Je m'apprête à prendre pour quelques jours congé de vous : je suis obligé, afin d'éviter la publicité pharmaceutique des automates russes et l'expression de l'absence de vie d'un troll récurrent ici, de ne pas publier les commentaires tout de suite, mais ils seront  lus avec attention et joie (et obtiendront évidemment une réponse) dès mon retour.

Pour les plus enragés / désœuvrés, je laisse ici un point d'étape sur les écoutes discographiques de l'année déjà pour plus de moitié écoulée. Cela permettra aussi de retrouver les références dans le moteur de recherche du site, plutôt que de devoir jongler avec un hébergeur extérieur (dont personne ne peut prévoir, au demeurant, la persistance).

Avec la sélection « rechercher dans la page », vous pouvez grâce à l'étiquetage retrouver les 79 écoutes du Cycle Ukraine, ainsi que toutes les nouveautés discographiques écoutées (il y en a 215). Vous pouvez aussi copier-coller les cœurs pour retrouver spécifiquement les disques à trois cœurs (le mien est large, il y a 176 disques concernés) ou à deux (319…).

Pour vous mettre en appétit, quelques disques ressentis à ♥♥♥, dont vous retrouverez les commentaires ci-après.



A. Nouveautés

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→ Cardoso, Messes par Simon Lloyd
→ Aumann, Musique de chambre par Letzbor
→ Campra, Le Destin du Nouveau Siècle par Bismuth
→ Schumann Quatuor piano-cordes en ut mineur par le Dvořák Piano Quartet
→ Offenbach, Le Voyage dans la Lune par Dumoussaud
→ Massenet, Mélodies orchestrales par Niquet
→ Saint-Saëns, Phryné par Niquet
→ Fauchard, Œuvres pour orgue, par Fiedhelm Flamme
→ Taneïev, chambre par Spectrum Concerts Berlin
→ Perosi, Trio à cordes n°2 par Roma Tre Orchestra
→ Marinuzzi, Palla de' Mozzi, Grazioli
→ Louis Andriessen, Smit, Pijper et piano à quatre mains du XXe néerlandais par les Jussen
→ Vladigerov, Orchestral Works 3 par Vladigerov
→ Alberga, Concertos pour violon par Swensen
→ Solos de violoncelle par Thibaut Reznicek




B. Nouvelles versions

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→ Haydn, Symphonies par le Basel Kammerorchester
→ Voříšek & Mozart 38 par Blomstedt
→ Beethoven, Symphonies par Le Concert des Nations
→ Schubert, Winterreise par Benjamin Appl
→ Ireland et Liszt, sonates par Tom Hicks
→ Brahms, Concerto pour violon par Degand & Rhorer
→ d'Indy, Chansons & Danses par le Polyphonia Ensemble Berlin
→ Debussy, Pelléas & Mélisande par Les Siècles
→ Sibelius, Symphonie n°7 par Nicholas Collon
→ « Mirages » par Roderick Williams



C. Découvertes personnelles

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→ Rode, Concertos pour violon par Friedemann Eichhorn
→ Dupuy, Ungdom og Galskab par Schønwandt
→ Röntgen, Concerto pour violon en la mineur par Ragin Wenk-Wolf
→ Alfvén par Alfvén
→ Kienzl, Quatuors (et trio) par le Thomas Christian Ensemble
→ Kienzl, Der Evangelimann & Der Kuhreigen
→ R. Strauss, Alpensinfonie par Shipway
→ Ornstein, Sonates par Janice Weber
→ Wirén, Quatuors par le Wirén SQ
→ Maria Bach, musique de chambre par Hülshoff & Triendl (et aussi le disque CPO)
→ Eben, Job par Titterington
→ Alberga, Quatuors



D. Doudous increvables

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→ Grétry, Raoul BB
→ Stenhammar, quatuors par les Gotland SQ, Fresk SQ et Copenhagen SQ
→ Nielsen, Saul og David par Neeme Järvi
→ Verdi, Il Trovatore par Muti 2000
→ Pejačević, Quatuor avec piano et Quintette par Triendl & Sine Nomine SQ
→ Saint-Saëns, Symphonie n°3 par Paul Paray



Cliquez ici pour ouvrir tous les commentaires sur les disques.

Suite de la notule.

samedi 1 janvier 2022

2021 : Les 10 disques qu'il faut avoir écoutés


Comme point final à notre cycle de l'année autour des nouveautés discographiques (qui sait quelle forme l'entreprise prendra l'an prochain), le moment est venu d'une sélection très courte, qui contraste avec les tentations d'exhaustivité que vous avez pu observer dans l'année.

Mais comme 10, ce serait tellement peu et trop cruel… j'ai commis plusieurs tops 10. Pas un par genre, μηδὲν ἄγαν, vous ne vous y retrouveriez pas.

Ce top 10 général (versions fulgurantes d'œuvres pas trop rabâchées) se double ainsi d'un top 10 d'interprétations exceptionnelles d'œuvres couramment jouées. Après une petite liste par genre des disques ayant atteint la cotation maximale au cours de l'année, il sera triplé par par les 10 disques hors nouveautés que j'ai le plus écoutés en 2021.

C'est parti !




A. Le grand top 10

top 2021

(11, mais Alcione a en réalité paru en 2020, disponible par la suite en numérique, époque à laquelle je l'ai écoutée, début 2021.)

1. Interprétation extraordinaire d'Alcione, issu des représentations à l'Opéra-Comique (qui m'avaient, étrangement, un peu moins marqué). Orchestre composé de la fine fleur des musiciens spécialistes de la tragédie en musique – en fait du Concert des Nations, il y avait beaucoup de membres des principaux ensembles baroques français, Thomas Dunford à l'archiluth en étant le représentant le plus célèbre. Et surtout, Auvity et Mauillon dont la singularité de timbre et l'expressivité verbale suprême magnétisent chaque instant de leur présence.
Le commentaire que j'en avais fait :
Marais – Alcione – Desandre, Auvity, Mauillon ; Le Concert des Nations, Savall (Alia Vox 2021)
→ Issu des représentations à l'Opéra-Comique, enregistrement qui porte une marque stylistique française très forte : dans la fosse, sous l'étiquette Concert des Nations propre à Savall, en réa:lité énormément de musiciens français issus des meilleures institutions baroques, spécialistes de ce style), et un aboutissement déclamatoire très grand – en particulier chez Auvity et Mauillon (qui est proprement miraculeux de clarté et d'éloquence).
→ Le résultat est donc sans rapport avec l'équipe catalane du fameux enregistrement des suites de danses tirés de cet opéra (1993), non sans qualités mais pas du tout du même naturel et de la même qualité de finition (instrumentale comme stylistique).
→ Les moments forts de la partition (la chaconne initiale de Pélée, l'interruption du mariage, le naufrage, le duo de révélation Pélée-Alcione…) s'en trouvent formidablement mis en évidence, et permettent de goûter pleinement le génie mélodique et harmonique de Marais.
→ Le frémissement interne de l'orchestre, magnifié par la prise de son Alia Vox, parachève cet objet incontournable pour les amateurs de tragédie lyrique.
→ Sans comparaison avec le studio Minkowski, pas très bien chanté (Smith-Ragon-Huttenlocher-Le Texier, ce n'est pas la folie…), beaucoup moins coloré et mobile, même s'il s'y trouve de beaux moments de continuo très poétique.

2. Une nouvelle version de Drot og Marsk, opéra politique de Peter Heise, un sommet du romantisme mûr, très riche, aussi bien nourri du sens du drame verdien que de la recherche musicale germanique, un peu le meilleur des deux mondes. Et on ne croule pas sous les opéras en danois dans la discographie – Lulu de Kuhlau se trouve en ligne (bande radio sur YouTube), je ne saurais trop vous recommander cette merveille en attendant une incertaine parution discographique. Superbe version par ailleurs, meilleure que la précédente.
HEISE, P.A.: Drot og marsk (Royal Danish Opera Chorus and Orchestra, Schønwandt) (Dacapo 2021)
→ Superbe drame romantique, dans la descendance tardive de Kuhlau, remarquablement chanté et joué. Tout est fluide, vivant, inspiré, œuvre à découvrir absolument ! (il en existait déjà une version pas trop ancienne chez Chandos)

3. Tout à fait inattendus, ces motets d'un compositeur wallon, dans un goût quelque part entre le Mozart de jeunesse et le meilleur Grétry. L'air de ténor « Miles fortis », agile et épique (dans la veine de Fuor del mar ou de Se al impero, si vous voulez, mais dans une ambiance harmonique et mélodique plus proche des airs de Céphale ou Guessler), a tourné en boucle depuis sa découverte. Je ne m'attendais pas à entendre du simili-seria sacré dans une région secondaire d'Europe produire un résultat aussi jubilatoire !
Hamal – Motets – Scherzi Musicali, Achten (Musiques en Wallonie 2021)
→ Pour moi clairement plutôt du genre cantate.
→ Musique wallonne du milieu du XVIIIe siècle (1709-1778), très marquée par les univers italien et allemand, pas tout à fait oratorio façon seria ,pas tout à fait cantate luthérienne, avec de jolies tournures.
→ Côté dramatique post-gluckiste quelquefois, très réussi dans l'ensemble sous ses diverses influences.
→ Le sommet du disque : l'air héroïque de ténor « Miles fortis » qui clôt la cantate Astra Cœli, d'une agilité et d'une vaillance parfaitement mozartiennes (augmentées d'une grâce mélodique et harmonique très grétryste), et qui pénètre dans l'oreille comme un véritable tube, ponctué par ses éclats de cor et ses violons autour de notes-pivots…
→ Splendide interprétation des Scherzi Musicali, qui ravive de la plus belle façon ces pages oubliées. Mañalich remarquable dans les parties très exposées de ténor, à la fois doux, vaillant et solide.
→ Écouté 7 fois en quatre jours (pas très séduit en première écoute, puis de plus en plus enthousiaste). Comme quoi, il faut vraiment donner leur chance aux compositeurs moins connus, et ne pas se contenter d'une écoute distraite pour décréter leur inutilité.

4. Les Quatuors d'Henri Vieuxtemps, ce sont (certes un demi-siècle plus tard !) les quatuors égarés de Beethoven !  Sens remarquable de la forme, mélodies un peu sévères mais marquantes, c'est à découvrir absolument si l'on aime le gronchon idéaliste dont on a fêté l'anniversaire jusqu'à la mi-saison : il faudrait regarder les partitions de plus près, mais lors des premières écoutes, la qualité ne m'a pas paru sensiblement moindre…
Vieuxtemps – Les 3 Quatuors à cordes –  Élysée SQ (Continuo Classics)
→ Nouveauté fondamentale : trois nouveaux quatuors de Beethoven composés par Vieuxtemps.
→ Je n'aime pas trop le son un peu dépareillé de cet ensemble, mais peu importe vu ce qu'il document ici d'inestimable – il n'existait aucun quatuor de Vieuxtemps au disque. (Même sur YouTube, on pouvait trouver deux mouvements pour dans un concert de conservatoire. Pas davantage.) Merci les Élyséens !

5. L'intégrale de Svetlanov, très typée et d'apparence sale, ne donnait pas la pleine mesure de la singularité des symphonies de Miaskovski, très différentes les unes des autres. Après la réussite de la 21 en 2020, Vasily Petrenko récidive avec la 27, étonnamment intense et lumineuse, et traitée avec un sens du style remarquable – le tout servi par l'un des tout meilleurs orchestres du monde actuellement.
Miaskovski (Myaskovsky), Symphonie n°27 // Prokofiev, Symphonie n°6 – Oslo PO, V. Petrenko (LAWO 2021)
→ Saveur très postromantique (et des gammes typiquement russes, presque un folklore romantisé), au sein d'un langage qui trouve aussi ses couleurs propres, une rare symphonie soviétique au ton aussi « positif », et qui se pare des couleurs transparentes, acidulées et très chaleureuses du Philharmonique d'Oslo (de sa virtuosité aussi)… je n'en avais pas du tout conservé cette image avec l'enregistrement de Svetlanov, beaucoup plus flou dans la mise en place et les intentions…
→ Frappé par la sobriété d'écriture, qui parle si directement en mêlant les recettes du passé et une forme d'expression très naturelle qui semble d'aujourd'hui. L'adagio central est une merveille de construction, comme une gigantesque progression mahlérienne, mais avec les thématiques et couleurs russes, culminant dans un ineffable lyrisme complexe.
→ Bissé Miaskovski.

6. Chansons inspirées par la geste napoléoniennes, particulièrement abouties dans celles arrangées à trois voix. (Et le Tombeau de Joséphine, palimpsestant le Bon Pasteur de Romagnesi, quelle merveille !)
Sainte-Hélène, La légende napoléonienne – Sabine Devieilhe ; Ghilardi, Bouin, Buffière, Marzorati  ; Les Lunaisiens, Les Cuivres Romantiques, Laurent Madeuf, Patrick Wibart, Daniel Isoir (piano d'époque) (Muso 2021)
→ Chansons inspirées par la fièvre et la légende napoléoniennes, instrumentées avec variété et saveur.
→ Beaucoup de mélodies marquantes, de pastiches, d'héroï-comique (Le roi d'Yvetot bien sûr), et même d'hagiographie à la pomme de terre… Le meilleur album des Lunaisiens jusqu'ici, aussi bien pour l'intérêt des œuvres que pour la qualité des réalisations vocales.

7. La Princesse jaune révélée par cette nouvelle interprétation au sommet, mais l'album vaut surtout par les Mélodies persanes dans leur version orchestrale, avec l'excellente idée de mandater six chanteurs différents !  Je ne suis pas forcément convaincu par les techniques des uns et des autres (on entend des limites dans l'ambitus, le timbre, la diction…), mais l'investissement collectif et la beauté de la proposition orchestrale (qui transfigure ce qui est déjà un chef-d'œuvre au piano) réjouit totalement !  Beaucoup écouté.
Saint-Saëns – La Princesse jaune – Wanroij, Vidal ; Toulouse, Hussain (Bru Zane 2021)
+ Mélodies persanes (Constans, Fanyo, Pancrazi, Sargsyan, Estèphe, Boutillier…)
→ Ivresses. Des œuvres, des voix.
→ Révélation pour ce qui est de la Princesse, pas aussi bien servie jusqu'ici, et délices infinies de ces Mélodies dans une luxueuse version orchestrale, avec des chanteurs très différents, et chacun tellement pénétré de son rôle singulier !

8. Superbe orgue néerlandais dans du répertoire inédit du XVIIIe français. C'est un peu l'idéal de ce que j'attends de la vie.
Guillaume Lasceux – Simphonie concertante pour orgue solo –  St. Lambertuskerk Helmond, Jan van de Laar (P4Y JQZ 2020)
+ Jullien : suite n°5 du livre I, Couperin fantaisie en ré, Böhm, Vater unser, Jongen Improvisation-Caprice, Franck pièce héroïque
→ Le disque contenant le plus de Gilles Jullien, et une version extraordinairement saillante de la Pièce Héroïque de Franck.
→ Quel orgue fantastiquement savoureux !

9. Peut-être est-ce parce que j'ai une centaine d'heures sur le sujet entre la préparation de la notice du disque, puis celle de la notule, mais après une première écoute polie, j'ai été totalement fasciné par cet univers très différent de ce que l'on connaît du répertoire sacré allemand – ce chœur composé de deux chanteurs !  ces récits reconstitués au moyen de patchworks intertestamentaires !
Pfleger – Cantates « The Life and Passion of the Christ » – Vox Nidrosiensis, Orkester Nord, Martin Wåhlberg (Aparté 2021)
→ Musique du Nord de l'Allemagne au milieu du XVIIe siècle. Œuvres inédites (seconde monographie seulement pour ce compositeur.
→ Plus ascétique que ses motets latins (disque CPO, plus expansif), je vous promets cependant de l'animation, avec ses solos de psaltérion, ses évangélistes qui fonctionnent toujours à deux voix, ses structures mouvantes qui annoncent l'esthétique des Méditations pour le Carême de Charpentier.
→ Par ailleurs, curiosité d'entendre des textes aussi composites (fragments des Évangiles mais aussi beaucoup d'Ancien Testament épars), ou encore de voir Dieu s'exprimer en empruntant les mots d'Ézéchiel et en émettant des notes très graves (mi 1 - ut 1) sur des membres de phrase entiers.
→ On y rencontre des épisodes peu représentés d'ordinaire dans les mises en musique – ainsi la rencontre d'Emmaüs, ou la Cananéenne dont la fille est possédée – écrits en entrelaçant les sources des Évangiles, des portions des livres prophétiques, les gloses du XVIIe et les chants populaires de dévolution luthériens, parfois réplique à réplique…
→ De quoi s'amuser aussi avec le contexte (je vous en touche un mot dans la notice de ma main), avec ces duels à l'épée entre maîtres de chapelle à la cour de Güstrow (le dissipé Danielis !), ou encore lorsque Pfleger écarte sèchement une demande du prince, parce que lui sert d'abord la gloire de la musique et de Dieu. (Ça pique.)
→ Et superbe réalisation, conduite élancée, voix splendides et éloquentes.
https://www.deezer.com/fr/album/213997932

10. Baroque centre-américain de première qualité, tout est ravissant et entraînant ici !
Castellanos, Durón, García de Zéspedes, Quiros, Torres – « Archivo de Guatemalá » tiré des archives de la cathédrale de la ville de Guatemalá – Pièces vocales sacrées ou instrumentales profanes – El Mundo, Richard Savino (Naxos 2021)

→ Hymnes, chansons et chaconnes très prégnants. On y entend passer beaucoup de genres et d'influences, des airs populaires plaisants du milieu du XVIIe jusqu'aux premiers échos du style de l'opéra seria (ici utilisé dans des cantiques espagnols).
→ Quadrissé.

11. Une sorte de dernier Haendel (celui du Te Deum d'Utrecht, de The Ways of Zion, du Messie…), plein de contrepoint très éloquent et généreux – mais pragois.
Brixi – Messe en ré majeur, Litanies – Hana Blažiková, Nosek Jaromír ; Hipocondria Ensemble, Jan Hádek (Supraphon 2021)
→ Alterne les chœurs d'ascèse, finement tuilés, très beau contrepoint qui fleure encore bon le contrepoint XVIIe, voire XVIe… pour déboucher sur des airs façon Messie (vraiment le langage mélodique de Haendel !).
→ Splendides voix tranchantes et pas du tout malingres, orchestre fin et engagé, Blažiková demeure toujours aussi radieuse, jusque dans les aigus de soliste bien exposés !


… j'ai dû exclure d'excellents albums, comme la symphonie de Dobrzyński sur instruments d'époque, la Ferne Geliebte de Nigl, le Winterreise pour sax, théorbe et récitant (!), et j'aurais dû le faire pour Alcione et Lasceux-Jullien, car bien que numérisés (ou simplement écoutés par moi) en 2021, ils avaient été imprimés en 2020. Écoutez tout cela également (peut-être un peu moins le Winterreise, qui est aussi déviant que vous pouvez vous le figurer), ce sont des merveilles.

Je signale aussi ces splendeurs écoutées avec ravissement, mais issues de la Radio :
¶ Verdi, Boccanegra (Gerhaher, Luisi, Operavision)
¶ Wagner, Lohengrin (Pintscher, YT)
¶ Wagner, Rheingold (Ph. Jordan, France Mu)
¶ Wagner, Parsifal en version harmonium et trois solistes (Avro)
¶ Debussy, Pelléas (Roth, France Mu)
¶ Schmitt, Salomé intégrale Altinoglu (YT Radio de Francfort)
Et deux créations contemporaines géniales qui méritent l'inscription au répertoire :
¶ Connesson, Les Bains Macabres (France Mu)
¶ Hersant, Les Éclairs (Operavision)



B. 10 interprétations majeures du grand répertoire

top 2021

Là aussi, quelques exclus dignes d'un détour (les Goldberg de Lang Lang, que je n'attendais décidément pas là, ont été republiées en Deluxe avec des compléments début 2021 mais avaient déjà été publiées au milieu de 2020) pour parvenir à cette sélection.

1. Intégrale inégale, mais les 1,2,4 et Roméo & Juliette sont absolument électrisants, et assez neufs dans leurs choix (pas du tout russes).
Tchaïkovski – Symphonies n°2,4 – Tonhalle Zürich, Paavo Järvi (Alpha 2021)
→ La Cinquième par les mêmes ne m'avait pas du tout autant ébloui qu'en salle (avec l'Orchestre de Paris) – un peu tranquillement germanique, en résumé. Hé bien, ici, c'est étourdissant. D'une précision de trait, d'une énergie démentielles !
→ On entend un petit côté « baroqueux » issu de ses Beethoven, avec la netteté des cordes et l'éclat des explosions, mais on retrouve toute la qualité de construction, en particulier dans les transitions (la grande marche harmonique du final du 2, suffocante, qui semble soulever tout l'orchestre en apesanteur !), et au surplus une énergie, une urgence absolument phénoménales.
→ Gigantesque disque. Ce qu'on peut faire de mieux, à mon sens, dans une optique germanique – mais qui ne néglige pas la puissance de la thématique folklorique, au demeurant.

2. Moi qui pensais de Mitridate qu'il s'agissait d'une très belle œuvre de jeunesse où surnageaient surtout quelques coups de génie (« Nel grave tormento » !), me voilà totalement passionné par tout ce que j'entends dans cette version.
Mozart – Mitridate – Spyres, Fuchs, Dreisig, Bénos, Devieilhe, Dubois ; Les Musiciens du Louvre, Minkowski (Erato 2021)
→ Cet enregistrement ébouriffe complètement !   Distribution exceptionnelle – en particulier Bénos, mais les autres ne sont pas en reste ! – et surtout orchestre totalement haletant, le résultat ressemble plus aux Danaïdes qu'à un seria de jeunesse de Mozart !

3. Mendelssohn sacré à un-par-partie par Bernius. Ce n'est plus de la musique, c'est de la pornographie conçue pour DLM. Et ça tient ses promesses de netteté, de tension, d'inspiration, de séduction.
Mendelssohn – Te Deum à 8, Hora Est, Ave Maria Op.23 n°2 – Kammerchor Stuttgart, Bernius (Hänssler)
→ Bernius réenregistre quelques Mendelssohn a cappella ou avec discret accompagnement d'orgue, très marqués par Bach… mais à un chanteur par partie ! Très impressionnante clarté polyphonique, et toujours les voix extraordinaires (droites, pures, nettes, mais pleinement timbrées et verbalement expressives) du Kammerchor Stuttgart.

4. Nouvelle intégrale de référence pour Schumann. Il y a tout, Gerhaher excelle particulièrement dans cet univers, et les autres chanteurs sont aussi les meilleurs de leur génération (Rubens, Lehmkuhl…). Inégalé à ce jour.
Schumann – Alle Lieder – Gerhaher, Huber, Rubens, Landshammer, Kleiter, Lehmkuhl, Mitterrutzner… (Sony 2021)
→ Magnifique somme regroupant les cycles Schumann de Gerhaher, parmi les tout meilleurs qu'on puisse entendre et/ou espérer, et permettant de tout entendre, avec bon nombre de nouveautés (tout ce qui n'avait pas été enregistré, et même une nouvelle version de Dichterliebe).
→ Verbe au cordeau, variation des textures, mordant, tension, nuances, c'est la virtuosité d'une expression construite qui impressionne toujours autant chez lui !
→ Les artistes invités, ce n'est pas n'importe qui non plus, ces dames figurent parmi les meilleures liedersängerin de leur génération (Rubens, n'est-ce pas !). Les lieder prévus pour voix de femme sont ainsi laissés aux interprètes adéquates.
→ De surcroît le livret contient des introductions, un classement clair (même une annexe par poètes !) et les textes (monolingues, certes, mais c'est toujours une base de départ confortable pour ceux qui veulent ensuite des traductions).

5. Une interprétation fulgurante de Mahler 8 – Jurowski parvient à transmettre quelque chose de la typicité russe aux timbres du LPO, et Fomina en soprano principale, quelle volupté permanente !  (Elle ne cède sur rien…)
Mahler – Symphonie n°8 – Howarth, Schwanewilms, Fomina, Selinger, Bardon, Banks, Gadd, Rose ; LPO Choir, LSO Chorus, Clare College Choir, Tiffin Boys Choir ; LPO, Jurowski (LPO Live)
→ Quel bonheur d'avoir des sopranos de la qualité de timbre de Schwanewilms et Fomina pour cette symphonie où leurs aigus sont exposés en permanence ! Barry Banks aussi, dans la terrible partie de ténor, étrange timbre pharyngé, mais séduisant et attaques nettes, d'une impeccable tenue tout au long de la soirée.
→ Par ailleurs, le mordant de Jurowski canalise merveilleusement les masses – très beaux chœurs par ailleurs.

6. Approche très différente de l'ordinaire, pour un Schubert murmuré, net, sans épanchements un peu gras, qui met la beauté à nu comme un diamant taillé perd en masse mais gagne en irisation.
Schubert – Quintette à cordes – Tetzlaff, Donderer... (Alpha 2021)
→ Couplé avec le Schwanengesang de Julian Prégardien que je n'ai pas encore écouté.
→ Lecture d'une épure assez fabuleuse : absolument pas de pathos, cordes très peu vibrées, des murmures permanents (quel trio du scherzo ! ), et bien sûr une très grande musicalité.
→ Très atypique et pudique, aux antipodes de la grandiloquence mélodique qu'on y met assez naturellement.

7. La meilleure version du Quatuor de Messiaen que j'aie entendue, tout simplement. D'une simple éloquence, exactement dans le projet, échappant aux expressions un peu solistes des versions de prestige habituelles.
Messiaen – Quatuor pour la fin du Temps – Left Coast Ensemble (Avie 2021)
→ Captation proche et très vivante, interprétation très sensible à la danse et à la couleur, une merveille où la direction de l'harmonie, le sens du discours apparaissent avec une évidence rare !
+ Rohde: One wing
Presler, Anna; Zivian, Eric
→ Très plaisante piécette violon-piano, congruente avec Messiaen, écrite par l'altiste membre de cet ensemble centré autour de San Francisco.

8. Je ne m'attendais pas à trouver ce programme de salon, pas les œuvres qui me touchent le plus, dans ma propre sélection !  Mais le choix des instruments d'époque et la finesse des interprètes magnifie totalement ce répertoire, et l'illusion d'être invité à un petit événement privé est parfaite !
Couperin (Barricades mystérieuses) // Liszt-Wagner (Liebestod) // Chopin (Prélude n°15) // Fauré (Sonate n°1, Après un rêve, Nocturne n°6) // Hahn (À Chloris)… – « Proust, le concert retrouvé » – Théotime Langlois de Swarte, Tanguy de Williencourt (HM 2021)
→ Inclut des transcriptions de mélodies. Très beaux instruments d'époque, belle ambiance de salon. Je n'ai pas eu accès à la notice pour déterminer la proportion de musicologie / d'érudition pertinente dans le propos – souvenirs trop parcellaires de la Recherche pour le faire moi-même.
→ Langlois de Swarte « chante » remarquablement À Chloris ou Après un rêve, tandis que le surlié feint de Willencourt fait des miracles dans Les Barricades Mystérieuses. La Sonate de Fauré est menée avec une fraîcheur et un idiomatisme que je ne lui connaissais pas, aussi loin que possible des exécutions larges et poisseuses de grands solistes plutôt aguerris à Brahms et aux concertos.

9. À nouveau, un opéra que je tenais pour secondaire et qui révèle un potentiel dramatique insoupçonné (le final du II !) dans cette interprétation de feu – et la fête garantie pour tous les glottophiles, vraiment du grand chant d'aujourd'hui !  (Étrangement sur un petit label au réseau de distribution limité, il n'y a vraiment pas de quoi vendre aux admirateurs de Bellini, Rebeka et Camarena, souvent des collectionneurs pourtant ?)
Bellini – Il Pirata – Rebeka, Camarena, Vassallo ; Opéra de Catane, Carminati (Prima Classics)
→ Disque électrisant, capté avec les équilibres parfaits d'un studio (ça existe, une prise de studio pour Prima Classics ?), dirigé avec beaucoup de vivacité et de franchise (Carminati est manifestement marqué par les expérimentations des chefs « musicologiques »), et magnifiquement chanté par une distribution constituée des meilleurs titulaires actuels de rôles belcantistes, grandes voix singulières et bien faites, artistes rompus au style et particulièrement expressifs.
→ Dans ces conditions, on peut réévaluer l'œuvre, qui n'est pas seulement un réservoir à airs languides sur arpèges d'accords parfaits aux cordes, mais contient aussi de superbes ensembles et de véritables élans dramatiques dont la vigueur évoque le final du II de Norma (par exemple « Parti alfine, il tempo vola »).

10. Les pièces courtes post-debussystes de Stravinski regroupées dans une très grande interprétation, suivie par une lecture très marquante du Sacre… !
Stravinski – Feu d'artifice, Scherzo fantastique, Scherzo à la Russe, Chant Funèbre, Sacre du Printemps – NHK SO, Paavo Järvi (RCA 2021)
→ Splendide version très vivante, captée avec beaucoup de relief physique, contenant quelques-uns des chefs-d'œuvre de jeunesse de Stravinski (parmi ce qu'il a écrit de mieux dans toute sa carrière, Feu d'artifice et le Scherzo fantastique…), ainsi qu'une version extrêmement charismatique et immédiatement prenante du Sacre du Printemps.
→ Järvi semble avoir tiré le meilleur de la NHK, orchestre aux couleurs peu typées (même un brin gris, ai-je trouvé en salle), mais dont la discipine et la solidité permettent ici une insolence et un aplomb absolument idéaux pour ces pages.



C. Tour d'horizon par genre

Pour information, voici les nouveaux enregistrements qui ont obtenu la cotation maximale au cours de l'année, et que je recommande donc sans réserve.

OPÉRA
Marais Alcione – Savall
Mozart – Mitridate – Minkowski
Bellini – Il Pirata – Carminati
Verdi – Boccanegra – Auguin
Heise – Drot og marsk – Schønwandt
Saint-Saëns – La Princesse jaune – Hussain
Schreker – Ferne Klang – Weigle
Lattès – Le Diable à Paris – Les Frivolités Parisiennes

RÉCITALS
Salieri & Beethoven – « In Dialogue » – Heidelberg Symphoniker
LULLY, Charpentier, Desmarest, Rameau – « Passion » – Gens, Les Surprises, Camboulas

SACRÉ
Guatemalá
Hamal, motets, Achten
Brixi, Messe en ré
Pfleger
Montigny, Grands Motets
Mendelssohn, Te Deum à 8, Bernius

LIEDER ORCHESTRAUX
Mahler 8 LPO Jurowski
Saint-Saëns – Mélodies persanes – Hussain
Wagner, Mahler, Berg – Lieder – Harteros
Fried – Die verklärte Nacht – Gardner

POÈMES SYMPHONIQUES
Udbye, Thrane, Borgstrøm… Ouvertures d'opéras norvégiens
« Beethoven, si tu nous entends » (pot-pourri / recomposition)
Stravinski – Scherzos, Sacre – NHK, P. Järvi

SYMPHONIES
Mendelssohn Dausgaard
Tchaïkovski 2 & 4 P. Järvi
Saint-Saëns Măcelaru
Miaskovski 27 V. Petrenko
Maliszewski Symphonies

QUINTETTES
Schubert Quintette Tetzlaff Donderer
Lyatoshinsky, Silvestrov, Poleva – « Ukrainian Piano Quintets » – Pivnenko, Yaropud, Suprun, Pogoretskyi, Starodub (Naxos 2021)
Stanford, membres Rundfunk-Sinfonieorchester Berlin

QUATUORS
Vieuxtemps, Élysée SQ
Rubinstein, Reinhold SQ
Messiaen Fin du Temps, Left Coast Ensemble
Saint-Saëns 1 & 2 Tchalik SQ
Haydn 76 n°1-3 Chiaroscuro SQ

TRIOS
Lazzari & Kienzl
Alnar, Tüzün, Baran, Balcı – Trios piano-cordes (turcs) – Bosphorus Trio (Naxos)

VIOLON
Proust, le concert retrouvé

GUITARE
Roncalli, intégrale par Hofstotter

HARPE
Salzedo, « Christmas Harp » (X. de Maistre)

ORGUE
Arrangements de LULLY par Jarry à l'orgue de la Chapelle Royale
Lasceux-Jullien – « Robustelly » – Jan van de Laar
Karg-Elert – Intégrale pour orgue, vol.12 : 3 Impressions, Hommage à Haendel, Partita n°1 – Steinmeyer de la Marienkirche de Landau/Pfalz, Stefan Engels (Priory 2020)
Eben, Momenti d'organo, Ludger Lohmann

PIANO
Samazeuilh, Piboule
Bach Goldberg, Lang Lang
Chopin Polonaise-Fantaisie, Eckardtstein

LIEDER, MÉLODIES
Schumann, intégrale des lieder, Gerhaher-Huber
Schumann, Frauenliebe und Leben // Brahms, lieder – Garanča (DGG)
Beethoven, Schubert, Britten …– I Wonder as I Wander – James Newby, Joseph Middleton (BIS 2020)
Biarent, Berlioz, Gounod, Bizet, Saint-Saëns, Chausson – mélodies orientales « La chanson du vent » – Clotilde van Dieren, Katsura Mizumoto
Miaskovski – « Œuvres vocales vol. 1 » : Livre Lyrique, 12 Romances d'après Lermontov, Sonate violon-piano – Barsukova, Pakhomova, Dichenko, Solovieva (Toccata Classics 2021)

CHANSONS
Sainte-Hélène, la légende napoléonienne
« Heut' ist der schönste Tag - Tenor Hits of the 1930s »



D. Hors nouveautés, les 10 disques les plus écoutés de l'année

top 2021

Nouveautés
J'ai laissé de côté les nouveautés précédemment évoquées, mais Alcione de Marais, les motets d'Hamal, les Mélodies persanes orchestrales de Saint-Saëns, les chansons de l'album Sainte-Hélène et les motets de Pfleger comptent assurément parmi les albums les plus écoutés de l'année.

Notules et répétitions
Auraient aussi pu figurer les disques énormément écoutés pour écrire des notules (cantates de Pfleger, La mort d'Abel de Kreutzer, les symphonies de B. Romberg, Cristina regina di Svezia de Foroni, Mona Lisa de Schillings, Das Schloß Dürande de Schoeck) ou pour préparer du travail en répétition (Le Déluge de Jacquet de La Guerre, Le bon Pasteur de Romagnesi, Les Diamants de la Couronne d'Auber)… Je me suis dit que c'était une motivation annexe, et surtout que les notules vous avaient déjà laissé le loisir de prendre connaissance de ces œuvres et de ces disques.

Quatuors
Beaucoup de découvertes assez fondamentale cette fin d'année en matière de quatuors, que je vous recommande vivement au passage : Schillings (CPO), Kienzl (CPO), Gade (surtout ceux en ré majeur et mi mineur, CPO vol.5), Vieuxtemps (Quatuor Élysée chez un petit label), Kabalevsky (CPO), Rubinstein (CPO)…

Et voici donc un mot sur la sélection.

1. Le cycle Graener de CPO, en particulier ce volume, et en particulier les Variations sur la chanson populaire à propos de la victoire d'Eugène de Savoie contre les Turcs. Le miroitement instrumental et la motricité irrésisible de ces variations en rendent le procédé à la fois limpide et intriguant… Pour de la griserie pure de la force de la musique, je me le passe encore et encore, des dizaines de fois cette année…
Graener – Variations orchestrales sur « Prinz Eugen » – Philharmonique de la Radio de Hanovre, W.A. Albert (CPO 2013)
→ On ne fait pas plus roboratif… mon bonbon privilégié depuis deux ans que je l'ai découvert par hasard, en remontant le fil depuis le dernier volume de la grande série CPO autour du compositeur (concertos par ailleurs tout à fait personnels et réussis).

2. Parues l'an passé, une grande version des Méditations pour le Carême, chef d'œuvre absolu du XVIIe siècle français : fragments d'Évangiles et de textes vétérotestamentaires, en petites scènes incitant à l'identification, à la réflexion… À un par partie et non en chapelle ici ; les trois chanteurs sont merveilleux.
Charpentier – Méditations pour le Carême – García, Candela, Bazola ; Guignard, Galletier, Camboulas (Ambronay 2020)
→ Avec Médée, le fameux Te Deum et le Magnificat H.76, on tient là la plus belle œuvre de Charpentier, inestimable ensemble de dix épisodes de la passion racontés en latin (et s'achevant au miroir du sacrifice d'Isaac, sans sa résolution heureuse !) par des chœurs tantôt homorythmiques tantôt contrapuntiques, et ponctués de récitatifs de personnages (diversement sympathiques) des Écritures. Merveille absolue de l'harmonie, de la prosodie et de la poésie sonore.
→ Ce que font Les Surprises est ici merveilleux, sens du texte et des textures hors du commun, d'une noirceur et d'une animation dramatique inhabituelles dans les autres versions de cette œuvre, et servi au plus suprême niveau de naturel chanté. Un des disques majeurs du patrimoine sacré français.

3. La musique de chambre d'Arnold Krug, représentant méconnu de l'école allemande.
Arnold Krug – Sextuor à cordes, Quatuor piano-cordes – Linos Ensemble (CPO 2018)
→ Sextuor lumineux et enfiévré, une merveille ! Entre le dernier quatuor de Schoeck et le Souvenir de Florence de Tchaïkovski !
→ Quatuor piano-cordes tout aussi intensément lyrique, avec quelque chose de plus farouchement vital, d'un romantisme qui ne se cache pas. Splendidement tendu, une autre merveille qui vous empoigne, tendu comme un arc dans le plus grand des sourires !
→ Une des mes grandes découvertes chambristes récentes !

4. De même pour Koessler. Je me suis biberonné à ces deux disques de chambre pendant des semaines…
Koessler – String Quintet in D Minor / String Sextet (Frankfurt String Sextet) (CPO 2007)
→ Très bien écrit ! Riche contenu d'un romantisme assumé, qui peut rivaliser avec les grands représentants de second XIXe !

5. Le rondeau final du concerto de Hummel, le thème B du premier mouvement de Dupuy, en qui l'on sent immédiatement le compositeur dramatique… ineffables moments, qui ont fait plus d'un converti au basson ces derniers mois !  Le meilleur bassonniste vivant est accompagné par le meilleur orchestre de chambre actuel dirigé par le meilleur hautboïste vivant.
Édouard Dupuy – Concerto pour basson – van Sambeek, Swedish ChbO, Ogrintchouk (BIS 2020)
→ On peut donc faire ça avec un basson ! Cette finesse (changeante) de timbre, cette netteté des piqués, cette perfection du legato, j'ai l'impression de découvrir un nouvel instrument. J'aurais aimé la Chambre de Suède un peu moins tradi de son (comme avec Dausgaard), mais je suppose que le chef russe a été formé à un Mozart plus lisse (ça ploum-ploume un peu dans les basses…).
→ Quand au Dupuy, c'est une petite merveille mélodique et dramatique qui sent encore l'influence du drame gluckiste dans ses tutti trépidants en mineur, une très grande œuvre qui se compare sans peine aux deux autres ! Le thème B du premier mouvement (d'abord introduit à l'orchestre par un duo clarinette basson), quelle émotion en soi, et quel travail de construction au sein du mouvement – l'emplacement formel, l'effet de contraste des caractères…
→ Un des disques les plus écoutés en 2020, pour ma part ! Le thème lyrique et mélismatique du premier mouvement est une splendeur rare. Et ces musiciens sont géniaux (meilleur bassoniste du monde, meilleur orchestre de chambre du monde, dirigés par le meilleur hautboïste du monde…).

6. Cette chaconne en ut, à la française, mais développé avec une science allemande, a un pouvoir incroyable – elle est en réalité reconstituée par Michael Belotti, l'un des organistes de l'intégrale. Découverte en entrant pour la première fois à Saint-Robert de la Chaise-Dieu, cet été. Ce qui suscita une vaste notule.
Pachelbel – Complete Organ Works, Vol. 2 – Essl, Belotti, J.D. Christie (CPO 2016)

7. Là aussi, peut-être est-ce ma contribution à l'entreprise, mais Raoul Barbe-Bleue mûrit en moi, et ses tubes (comme Grétry écrit toujours magnifiquement pour les basses : Guessler, Céphale, Raoul !) résonnent de plus en plus fréquemment dans mes appartements.
Grétry – Raoul Barbe-Bleue – Wåhlberg (Aparté 2019)
→ Voyez la notule.

8. Grosse crise batave, et en particulier cycle Diepenbrock, dont beaucoup d'enregistrements ont été collectés chez Etcetera au moment de l'anniversaire, pour les 150 ans de sa naissance en 2012. Au sommet, cet Hymne aan Rembrandt (par Westbroek !).
Diepenbrock – Anniversary Edition, vol.4 – Westbroek, Beinum, Haitink, Spanjaard… (Etcetera 2021)

9. Le concert débute dans quelques instants. Je croise un visage connu. « Vous savez, j'ai enfin retrouvé la trace d'une très belle symphonie postclassique, d'un certain Jakub Goła̧bek. Je vous le recommande. » Écoute le soir même. Énorme coup de cœur, écriture très vivante par un ensemble sur instruments anciens très impliqué. Et couplé avec un des miraculeux concertos pour clarinette de Karol Kurpiński, dans sa meilleure version.
Golabek, Symphonies / Kurpinski, concerto pour clarinette – Lorenzo Coppola, Orkiestra Historyczna (Institut Polonais)
→ Absolument décoiffant, des contrastes qui évoquent Beethoven dans une langue classique déjà très émancipée.

10. & 11. Deux versions merveilleuses, l'une historique et l'une moderne, les deux complètement abouties, de ce chef-d'œuvre de lyrisme plein d'élan et de finesses – pourquoi ne joue-t-on que l'aimable Maskarade ?  Je ne peux plus m'en passer.
Nielsen – Saul og David – Jensen (Danacord)
Nielsen – Saul og David – N. Järvi (Chandos)

12. Une grande personnalité musicale découverte grâce aux judicieux conseils de l'insatiable Mefistofele. (Ne cherchez pas en ligne, Hyperion ne fait pas de diffusion en flux, « gratuite » comme payante.)
Cecil Coles – Fra Giacomo, 4 Verlaine, From the Scottish Highlands, Behind the lines – Sarah Fox, Paul Whelan, BBC Scottish O (Hyperion)
→ Belle générosité (Highlands à l'élan lyrico-rythmique réjouissant, qui doit pas mal à Mendelssohn), remarquable éloquence verbale aussi dans les pièces vocales. Bijoux.

13. Certes, on est en retard en Angleterre, mais en plus de ses très beaux opéras réunissants les différents goûts européens, Macfarren a aussi commis, au milieu du XIXe siècle, des symphonies très réussies qui doivent beaucoup à Beethoven et Weber.
Macfarren – Symphonies 4 & 7 – Queensland PO , W.A. Albert (CPO)
→ Écriture qui doit encore beaucoup à Beethoven et Weber, d'un très beau sens dramatique, trépidant !
→ Orchestre un peu casserole (timbres de la petite harmonie vraiment dépareillés), mais belle écriture romantique.




En attendant que les nouveautés refleurissent après cette brève trève, ou simplement pour vous nourrir du suc du meilleur, voilà qui devrait vous tenir occupés jusqu'à la prochaine publication !  La suite des anniversaires peut-être ?  L'écrasante génération 1872 nous attend !

En 2022 nous les fêterons dignement. Veuillez donc rester vivants, s'il vous plaît.

dimanche 3 octobre 2021

Le grand tour 2021 des nouveautés – épisode 7 : Brixi, Wölfl, Florence Price, Miaskovski, Marais à l'opéra, tout Schumann, Mahler bricolé, Lipatti compositeur…


Un mot

Comme pour les précédents épisodes : petit tour des nouveautés que j'ai écoutées – et j'en profite pour partager les autres disques entendus durant cette période, parce qu'il n'y a pas que le neuf qui vaille la peine.

Un mois et demi (de calme été, en plus) s'est seulement écoulé, mais la somme accumulée est à nouveau assez considérable – alors même que j'ai passé beaucoup plus de temps au concert, et pas encore écouté bon nombre de nouveautés… que de disques à parcourir !  Je vous fais la visite ?

Parmi les trouvailles de la période, vous rencontrerez des versions extraordinaires d'œuvres déjà connues : Alcione de Marais, le Quintette à cordes de Schubert, (tous) les lieder de Schumann, La Princesse jaune de Saint-Saëns, ses Quatuors, son Second Trio, Roméo & Juliette de Tchaïkovski, Le Sacre du Printemps, Mahler relu de façon grisante par le Collectif9… mais aussi des portions mal connues du répertoire (quoique de très haute volée !), comme la musique sacrée (pragoise) de Brixi, les concertos pour piano de Wölfl, les pastiches et arrangements de Karg-Elert, les symphonies de Florence Price, les mélodies de Miaskovski ou celles de Dinu Lipatti !

Tout ceci se trouve aisément en flux (type Deezer, gratuit sur PC ; ou sur YouTube) et en général en disque. Il faut simplement pousser la porte.

(Pardon, mes présentations de titres ne sont pas toutes normalisées, il faut déjà pas mal d'heures pour mettre au propre, classer et mettre un minimum en forme toutes ces notes d'écoutes. Il s'agit vraiment de données brutes, qui prennent déjà quelques heures à vérifier, réorganiser et remettre en forme, je n'ai pas le temps de tout peaufiner si je veux aussi écrire d'autres notules un peu plus denses côté fond.)

miaskovski


La légende

Les vignettes sont au maximum tirées des nouveautés. Beaucoup de merveilles réécoutées ou déjà parues n'ont ainsi pas été immédiatement mises en avant dans la notule : référez-vous aux disques avec deux ou trois cœurs pour remonter la trace.
(Un effort a été fait pour classer par genre et époque, en principe vous devriez pouvoir trouver votre compte dans vos genres de prédilection.)

Cette fois-ci, j'ai regroupé et encadré les nouveautés au début de chaque section, pour faciliter le repérage sans briser la disposition par genre.

♥ : réussi !
♥♥ : jalon considérable.
♥♥♥ : écoute capitale.
¤ : pas convaincu du tout.

(Les disques sans indication particulière sont à mon sens de très bons disques, simplement pas nécessairement prioritaires au sein de la profusion de l'offre.)

Le tout est classé par genre, puis par ordre chronologique très approximatif (tantôt la génération des compositeurs, tantôt la composition des œuvres, quelquefois les groupes nationaux…) au sein de chaque catégorie, pour ménager une sorte de progression tout de même.




alcione




A. Opéra


nouveautés
♥  Monteverdi – L'Orfeo – Ensemble Lundabarock, Höör Barock, Ensemble Altapunta, F. Malmberg (BIS 2021)
→ Belle version, douce, bien dite, pas très typée.

♥♥ Monteverdi – L'Orfeo – Contaldo, Flores, Bridelli, Quintans, Salvo Vitale ; ChbCh de Namur, Cappella Mediterranea, García Alarcón (Alpha 2021)
→ Des choix originaux, beaucoup de vie, mais un certain manque de voix marquantes. J'aime beaucoup les chanteurs, mais ils manquent un peu de charisme dans une discographie saturée de propositions très fortes (seule Quintans s'élève nettement au-dessus de ses standards habituels).
→ Orchestralement en revanche, de très belles trouvailles d'alliages, de tempo, de phrasé... quoique le tout soit un peu lissé par une prise de son avec assez peu de relief et de couleurs.
→ Aurait pu être très grand, et mériterait en tout cas grandement d'être entendu en salle !

♥♥♥ Marais – Alcione – Desandre, Auvity, Mauillon ; Le Concert des Nations, Savall (Alia Vox 2021)
→ Issu des représentations à l'Opéra-Comique, enregistrement qui porte une marque stylistique française très forte : dans la fosse, sous l'étiquette Concert des Nations propre à Savall, en réa:lité énormément de musiciens français issus des meilleures institutions baroques, spécialistes de ce style), et un aboutissement déclamatoire très grand – en particulier chez Auvity et Mauillon (qui est proprement miraculeux de clarté et d'éloquence).
→ Le résultat est donc sans rapport avec l'équipe catalane du fameux enregistrement des suites de danses tirés de cet opéra (1993), non sans qualités mais pas du tout du même naturel et de la même qualité de finition (instrumentale comme stylistique).

Paer – Leonora – De Marchi (2021)
→ Musique d'opéra bouffe encore très marquée par les tournures de Cimarosa et Mozart. Pas nécessairement de coups de génie, mais l'ensemble est constamment bien écrit, bien chanté et exécuté avec chaleur : il mérite le détour.

Bellini – I PuritaniCoburn, Brownlee, Zheltyrguzov, Kaunas State Choir, Kaunas City Symphony, Orbelian (Delos 2021)
→ Brownlee toujours impressionnant, mais moins d'éclat en vieillissant évidemment. Coburn très virtuose, voix bien ronde et dense, un peu lisse et égale pour moi (où sont les consonnes ?), mais objectivement très bien chantée. Le reste m'impressionne moins, même mon chouchou Orbelian, assez littéral et au rubato pas toujours adroit.

Wagner – Tristan und Isolde – Flagstad, Suthaus, Covent Garden, Furtwängler (Erato, resmatering 2021)
→ Bonne version, très studio (donc comme toujours vraiment pas le meilleur de Furtwängler, d'une toute autre farine sur le vif avec Schlüter, et Suthaus en feu), où l'on peut surtout se régaler du Tristan de Suthaus, remarquablement ample et solide, mais aussi beau diseur.

♥♥♥ Saint-Saëns – La Princesse jaune – Wanroij, Vidal ; Toulouse, Hussain (Bru Zane 2021)
+ Mélodies persanes (Constans, Fanyo, Pancrazi, Sargsyan, Boutillier…)
→ Ivresses. Des œuvres, des voix.
→ Révélation pour ce qui est de la Princesse, pas aussi bien servie jusqu'ici, et délices infinies de ces Mélodies dans une luxueuse version orchestrale, avec des chanteurs très différents, et chacun tellement pénétré de son rôle singulier !

Debussy – Pelléas & Mélisande – Skerath, Barbeyrac, Duhamel ; Querré, Baechle, Varnier ; ONBA, Dumoussaud (Alpha 2021).
→ Lecture très traditionnelle, plutôt « épaisse » de tous les côtés : orchestre un peu ample et tranquille, interludes en version courte, voix très lyriques (Skerath comme toujours ronde, en-dedans, opaque ; Barbeyrac chante à pleine voix ; Duhamel expressif mais un peu monochrome), j'ai surtout aimé Querré en Yniold, l'illusion de l'enfant est assez réussite avec cette petite voix droite.
→ Belle version dans l'ensemble, mais très opératique, peu de finesses textuelles ou de coloris nouveau à se mettre sous la dent.

Holst – The Perfect Fool – R. Golding, P. Bowden, M. Neville, Mitchinson, Hagan, BBC Northern Singers and Symphony, Ch. Groves (réédition Lyrita 2021)

Et les écoutes / réécoutes hors nouveautés :

Landi – La morte d’Orfeo – Elwes, Chance, van der Meel, van der Kamp ; Tragicomedia, Stubbs (Accent, réédition 2007)
→ Dans la veine des premiers opéras, assez statiques harmoniquement, mais beaucoup d’ensembles (chœurs homorythmiques, duos ou trios plus contrapuntiques…) viennent rompre la monotonie.
→ Plateau vraiment délicieux de voix claires, délicates, mélancoliques.

Marais – Alcione – Minkowski (Erato)

Campra – Tancrède – Schneebeli (Alpha)
→ Déçu à la réécoute, vraiment sage et même un peu terne. (Malgoire c'était bien mieux, malgré le vieillissement du style !)

Desmarest – Vénus & Adonis – Rousset (Ambroisie)

♥♥ Francœur & Rebel – Pirame & Thisbé – Stradivaria, D. Cuiller (Mirare)

Berlioz – Les Troyens (en italien), entrée d'Énée – Del Monaco, La Scala, Kubelik (Walhall)
→ Oh, « marque » l'aigu de « le dévorent ». Et essentiellement métallique, pas très impressionnant / insolent / expressif. Orchestre pas ensemble, solistes non plus, prosodie italienne qui oblige à quelques irrégularités de ligne.

Berlioz – Les Troyens, entrée d'Énée – Giraudeau, RPO, Beecham (Somm)
→ Chant léger et impavide, très étonnant (comme un personnage secondaire de Cocteau…), et le RPO à la rue (bouché, la peine).

¤ Berlioz – Les Troyens (actes I, II, V) – Davis I (Philips)

♥♥♥ Verdi – Stiffelio (acte II) – Regio Parma, Battistoni (C Major)
→ La version sans faute de ce bijou trop peu joué. Comme Traviata, un drame de mœurs contemporain (l'adultère de la femme d'un pasteur).

♥♥♥ VERDI, Rigoletto (en allemand) (Coertse, Malaniuk, De Luca, Metternich, Frick, Vohla, Cologne Radio Chorus and Symphony Orchestra, Rossi) (1956) (Walhall édition 2007)

♥♥♥ Verdi – Il Trovatore (I,II) – Bonynge

♥♥♥ Verdi – Il Trovatore (I,II,III) – Muti 2000

Verdi – Le Trouvère (en français) – Martina Franca

♥♥ Verdi – Un Ballo in maschera (en allemand) – Schlemm, Walburga Wegner, Mödl, Fehenberger, DFD (libre de droits)
→ Günther Wilhelms en Silvano, remarquable. Voix franches et bien bâties, orchestre très investi et aux inflexions très wagnériennes.

♥♥ VERDI, G.: Otello (Sung in German) [Opera] (Watson, Hopf, Metternich, Cologne Radio Chorus and Orchestra, Solti) (1958)
→ Hopf en méforme, Solti pas aidé par l'orchestre non plus.

♥♥ Foroni – Elisabetta, regina di Svezia – Göteborg (Sterling)
→ Démarre doucement, mais des élans conspirateurs remarquables !

Gounod – Romeo et Juliette (en suédois) –  Björling, Allard, d'Ailly ; Opéra de Stockholm, Grevillius (Bluebell)

♥♥♥ Nielsen – Saul og David (acte IV) – Jensen (Danacord)

♥♥♥ Nielsen – Saul og David – N. Järvi (Chandos)
 
Peterson-Berger – Arnljot – Brita Ewert, Bjorck, Einar Andersson, Ingebretsen, Gösta Lindberg, Leon Björker, Sigurd Björling, Sven Herdenberg, Sven d'Ailly ; Royal Swedish Opera, Nils Grevillius
→ Un peu sec-discursif pour de l'opéra essentiellement romantique. Pas bouleversé. Mais quelle équipe de chanteurs !




gens




B. Récital d'opéra

Une très belle livraison de nouveautés sur le mois écoulé, avec des propositions de répertoire très originales et construites !

nouveautés
♥♥♥ Lully, Charpentier, Desmarest – extraits d'Armide, Médée, Circé… – Gens, Les Surprises, Camboulas (Alpha 2021)
→ Formidables lectures, de très grandes pièces (cet air-chaconne de Circé de Desmarest, dans l'esprit de l'entrée de Callirhoé, mais en plus long !), Les Surprises à leur meilleur, un chœur de démons nasal à souhait (les individualités de ce chœur de 8 personnes sont fabuleuses, de grands chanteurs baroques y figurent !), le tout agencé de façon très variée et vivante, et servi par la hauteur de verbe et geste de Gens… un récital-merveille !

« Jéliote »Mechelen, A Nocte Temporis, Mechelen (Alpha 2021)
→ Encore une belle réussite de Mechelen et son ensemble, autour d'une autre haute-contre historique – programme et exécution peut-être un peu moins originaux et marquants que pour le premier, mais vraiment recommandé.
→ Approche musicologique intéressante de se fonder sur un interprète précis, comme tant de récitals d'opéra seria l'ont fait, et renouvellement (même si moindre cette fois) des airs habituellement enregistrés.

Destouches (Marthésie), Philidor (Les Amazones), Cavalli, Viviani, Vivaldi, Schurmann… – « Amazone » – Léa Desandre (+ Gens, Bartoli), Ensemble Jupiter, Thomas Dunford (Erato 2021)
→ Beau récital vivant, d'où se détachent surtout pour moi, sans surprise, les pièces françaises (notamment les généreux extraits de Marthésie, qu'on est très heureux d'entendre pour la première fois !).
→ J'ai mainte fois dit que je trouve le timbre très fondu pour une voix aussi peu fortement projetée, et que j'aime davantage de franchise dans le verbe, mais la maîtrise du coloris et l'agilité sont irréprochables et l'interprète très engagée.

♥♥ Mozart, Méhul, Spontini, Rossini, Adam, Verdi, Offenbach, Wagner, Leoncavallo, Lehár, Ravel, Orff, Korngold… – « Baritenor »Michael Spyres, Philharmonique de Strasbourg, Marko Letonja (Erato 2021)
→ Déception partagée par les copains geeks-de-musique : ce n'est pas un récital de répertoire spécifique à cette catégorie vocale – selon les époques et les lieux, peut désigner aussi bien des ténors sans aigus (Licinius de La Vestale), que des barytons à aigus (Figaro du Barbier de Séville) ou des ténors aigus et agiles disposant d'une inhabituelle extension grave (Zampa d'Hérold, absent de ce disque). Dans cet album, on entend donc énormément de tubes des répertoires pour ténor aussi bien que pour baryton, pas nécessairement écrits pour baryténor.
→ Cette réserve formulée (on a tout de même Ariodant de Méhul et Lohengrin dans la traduction de Nuitter), le tour de force demeure très impressionnant (le véritable timbre de baryton saturé d'harmoniques pour la cantilène du Comte de Luna !) et ménage quelques très heureuses surprises, comme les diminutions aiguës dans l'air du Comte Almaviva de Mozart (tirant vraiment parti de la tessiture longue pour proposer quelque chose de différent mais tout à fait cohérent avec le style) ou pour le Figaro du Barbier (l'imitation des différentes voix qui appellent Figaro, de la femme à la basse, quelle amusante jonglerie !). Et tout de même beaucoup de rôles de barytons aigus (Danilo, Carmina Burana), ainsi que de ténors graves (Lohengrin), mais aussi, pour bien prouver que la voix n'est pas ternie, de ténors aigus (Le Postillon de Longjumeau).
→ Autre atout, le parcours (certes arbitraire puisque mélangeant ténors et barytons…) est construit de façon chronologique, on fait une petite balade temporelle au spectre très large, ce qui est très rare dans les récitals.
→ À écouter, donc, pour les amateurs de voix (qui seront très impressionnés) plutôt que pour les défricheurs de répertoire.
→ Partiellement bissé.

Et les écoutes / réécoutes hors nouveautés :

Gabrielli – extrait de S. Sigismondo, re di Borgogna – Bartoli, Andrés Gabetta, Sol Gabetta, Cappella Gabetta (Decca)
→ Quadrissé.
→ Avec instruments solistes. Pas très marquant, mais tout ce qu'on a au disque de ses opéras…

♥♥♥ Schlusnus dans Don Pasquale, Onéguine, Prince Igor (tout en allemand)
→ Chante Onéguine avec des nuances de lied… délectable ! Igor pas très épique.
→ Bissé

♥♥♥ Josef Metternich, « Rare and Unreleased Recordings (1948-1957) » (Andromeda)
→ Tout en allemand : Onéguine, Trovatore, Otello, Lortzing, Traviata, Arabella, Parsifal…
+ https://www.youtube.com/watch?v=v-WmSm50Nd8 (la perfection vocale…)




berners




C. Ballet & musiques de scène


nouveautés
♥♥ Arenski (Arensky) – Nuits égyptiennes (Ėgipetskiye nochi, Egyptian Nights), Op. 50 – Moscou SO, Yablonsky (Naxos réédition 2021)

Lord BernersBallet de Neptune, L'uomo dai baffi – English Northen Philharmonia, Lloyd-Jones (Naxos 2021)
+ arrangements pour orchestre de Philip Lane : 3 Valses bourgeoises, Polka (avec le Royal Ballet Sinfonia)
→ Toujours cette belle musique excentrique de Berners, quelque part entre la musique légère et la sophistication, comme une rencontre improbable entre Minkus et Schulhoff, le tout dans un esprit très proche de la musique légère anglaise.
→ Trissé.

♥♥♥ Stravinski – Feu d'artifice, Scherzo fantastique, Scherzo à la Russe, Chant Funèbre, Sacre du Printemps NHK SO, Paavo Järvi (RCA 2021)
→ Splendide version très vivante, captée avec beaucoup de relief physique, contenant quelques-uns des chefs-d'œuvre de jeunesse de Stravinski (parmi ce qu'il a écrit de mieux dans toute sa carrière, Feu d'artifice et le Scherzo fantastique…), ainsi qu'une version extrêmement charismatique et immédiatement prenante du Sacre du Printemps.
→ Järvi semble avoir tiré le meilleur de la NHK, orchestre aux couleurs peu typées (même un brin gris, ai-je trouvé en salle), mais dont la discipine et la solidité permettent ici une insolence et un aplomb absolument idéaux pour ces pages.
→ Bissé le Sacre, trissé les ouvertures.

Et les écoutes / réécoutes hors nouveautés :

Franck – Hulda, Op. 4 : le ballet allégorique – OP Liège, Arming (Fuga Libera 2012)
→ Du Franck plutôt décoratif, marqué par des modèles absolument pas wagnériens (le ballet à la française, avec un côté rengaine quasiment britannique dans le rondeau final !). Le reste de l'opéra n'est pas non plus le plus audacieux de Franck, mais il sera bientôt donné et enregistré dans les meilleures conditions par Bru Zane !
→ Couplé avec une très belle version tradi de la Symphonie.

♥♥ Stravinski – Petrouchka, Les Noces – Ančerl
→ Avec Žídek et Toperczer notamment !

Stravinski – Les Noces (en français) – Ansermet (Decca)




anniversaires




D. Cantates profanes


nouveautés
♥ Purcell – Birthday Odes for Queen Mary – Carolyn Sampson, Iestyn Davies… The King's Consort, Robert King (Vivat 2021)
→ Excellentes versions, très bien captées, qui valent en particulier pour les instrumentistes très vivement engagés. Joli plateau vocal également.
→ (Pour autant, je ne suis pas trop certain de vouloir vous encourager à financer le label autoproduit d'un abuseur d'enfants. J'ai longuement hésité avant d'écouter moi-même ce disque, alors que j'ai toujours énormément aimé le travail artistique de R. King. La séparation entre l'homme et l'œuvre me paraît problématique lorsque l'homme est vivant et en activité : on promeut le talent au-dessus d'être un humain décent, on excuse la destruction de vies au nom de ses qualités pour nous divertir, on remet potentiellement l'agresseur en position de prestige, d'autorité et de récidive. Bref : c'est un bon disque, mais si vous voulez l'écouter volez-le s'il vous plaît.)
→ [Tenez, je commettrai sans doute un jour une notule où je partagerai mon sentiment d'homme blet sur cette affaire de séparation de l'homme et de l'œuvre, sous un angle différent de la traditionnelle opposition « il est méchant il faut détruire son œuvre  » / « il est bon dans son domaine c'est tout ce qui m'intéresse ». Mon opinion a grandement évolué sur le sujet depuis ma naïve jeunesse, et je me pose quelques questions sur nos réflexes mentaux en la matière, que je partagerai à l'occasion.]




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E. Sacré


nouveautés
Zácara da Teramo – Intégrale (Motets, Chansons édifiantes) – La Fonte Musica, Michele Pasotti (4 CDs, Alpha 2021)
→ Musique du XIVe siècle, dont la langue me paraît hardie pour son temps (ou sont-ce les restitutions?), mais trop loin de mes habitudes d'écoute pour que je puisse en juger – j'ai beau faire, je me retrouve un peu comme les wagnériens devant LULLY, je n'entends que le nombre limité de paramètres expressifs et pas assez les beautés propres de ces musiques à l'intérieur de leur système. Pas faute d'avoir essayé.
→ Belles voix, assez originales, ni lyriques, ni folkloriques, vraiment un monde à part très intéressant et avec des timbres très typés (mais pas du tout clivants / étranges).

♥♥♥ Brixi – Messe en ré majeur, Litanies – Hana Blažiková, Nosek Jaromír ; Hipocondria Ensemble, Jan Hádek (Supraphon 2021)
→ Alterne les chœurs d'ascèse, finement tuilés, très beau contrepoint qui fleure encore bon le contrepoint XVIIe, voire XVIe… pour déboucher sur des airs façon Messie (vraiment le langage mélodique de Haendel !).
→ Splendides voix tranchantes et pas du tout malingres, orchestre fin et engagé, Blažiková demeure toujours aussi radieuse, jusque dans les aigus de soliste bien exposés !

Et les écoutes / réécoutes hors nouveautés :

♥♥♥ Grégorien : Chants de l'Église de Rome VIe-XIIe s. – Organum, Pérès (HM)
→ Quelle sûreté de réalisation ! (et toujours ces beaux mélismes orientalisants)

♥♥♥ Dufay – Motets isorythmiques – Huelgas (HM)

Allegri – Miserere – A sei voci (Naïve)

♥♥ Titelouze – Messe – Les Meslanges, van Essen (Paraty 2019)

♥♥ CAPUANA, M.: Messa di defonti e compieta / RUBINO, B.: Messa di morti (Choeur de Chambre de Namur, García Alarcón) (Ricercar 2015)
→ bissé Capuana, trissé Rubino
→ Pas du niveau des Vêpres du Stellario, mais riche et stimulant !

♥♥♥ Du Mont – Cantica sacra – Boterf, avec Freddy Eichelberger à l'orgue Le Picard de Beaufays (1742) (Ricercar)

♥♥♥ Mendelssohn : Te Deum in D Major, MWV B15 ; Stuttgart KmCh, Bernius (Hänssler 2021)
→ Nouveau de cette année, génial (du Mendelssohn choral à un par partie !), mais déjà présenté la semaine de sa sortie lors d'une précédente livraison. Je n'encombre donc pas cette notule-ci.

♥♥♥ Danjou, Kyrie & Gloria // Perne, Sanctus & Agnus Dei // Boëly, pièces d'orgue – Ens. G. Binchois, F. Ménissier (Tempéraments 2001)
Danjou !!  J'étais persuadé que ça n'existait pas au disque. Passionnant de découvrir ça.

Saint-Saëns, Oratorio de Noël ; Ziesak, Mahnke, James Taylor, Deutsche Radio Philharmonie, Poppen (YT 2008)
→ Très épuré, sulpicien, contemplatif. Joli, et dans une interprétation de tout premier choix (quels solistes !).

♥♥ Braunfels : Große Messe – Jörg-Peter Weigle (Capriccio 2016)
→ D'ample ambition, une œuvre qui ne tire pas Braunfels vers du Bruckner complexifié comme son Te Deum, mais vers une véritable pensée généreuse et organique, dotée en outre de fort belles mélodies.

♥♥ Milhaud – Psaume 121 – RenMen





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F. A cappella profane


nouveautés
Hutchings, Meadow, Hopkins, Sigurdbjörnsson, Jóhannsson, Owens, Arnalds, Lovett, Rimmer, Gjeilo, Barton, Desai, Guðnadóttir, O'Halloran, L.Howard – « Infinity » Voces8 (Decca 2021)
→ Bascule toujours plus profonde dans la musique atmosphérique, avec ces pièces (elles-mêmes des arrangements) qui pour beaucoup ressemblent à du Whitacre en plus gentil. Mais réussi dans son genre, et particulièrement concernant les quelques pièces qui excèdent un peu ce cadre avec des harmonies plus recherchées (Sigurdbjörnsson).





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G. Symphonies


nouveautés
Saint-George – Symphonie en sol, Symphonies concertantes – CzChbO Pardubice, Halász (Naxos 2021)
→ Plutôt mieux que d'habitude, assez charmant même, mais toujours aussi aimable et peu marquant, vraiment de la musique décorative, réutilisant exactement les tournures de son temps. Ni plus ni moins.
→ Amusant : Naxos écrit Saint-Georges à la française, alors que son nom s'écrit Saint-George – tandis que le Wikipédia anglais écrit aussi Saint-Georges, en référence à son probable père.
→ Bissé. (Parce que j'étais occupé pendant ma première écoute, pas parce que c'est génial.)

♥♥ (Cipriani) Potter – Symphonie n°1, Intro & rondo « à la militaire », Ouverture Cymbeline – BBCNO Wales, Howard Griffiths (CPO 2021)
→ Très belles œuvres du jeune romantisme britannique, l'ouverture pour Cymbeline de Shakespeare en particulier !
→ Trissé.

♥♥ Bruckner – Symphonie n°4 (les trois versions) – Bamberg SO, Hrůša (Accentus Music 2021)
→ Passionnant choix de confronter les différentes versions, dans une lecture assez traditionnelle (contrastes limités, couleurs assez fondues, transitions plutôt lissées) mais détaillée, lisible et toujours vivante.
→ Parmi les belles choses à repérer : dans la première version, 1874, l'écriture est beaucoup plus continue (les grands unissons sont ici harmonisés, avec un aspect beaucoup plus continu et brahmsien que j'aime beaucoup, moins étrange en tout cas), en particulier dans le premier mouvement. Et dans le final, amusante marche harmonique sur figures violonistiques arpégées qui fleure bon sa Chevauchée des Walkyries.
→ Dans le premier mouvement de la deuxième version, 1878, bel éclat majeur très lumineux, plus du tout dans l'esprit majesté-de-voûtes-romanes, très réussi. La progression vers le dernier climax du final est aussi très réussie, implacable apothéose.

♥♥ Tchaïkovski – Symphonie n°6, Roméo & Juliette – Tonhalle Zürich, Paavo Järvi (Alpha 2021)
→ Beaucoup plus proche de la rectitude de leur Cinquième que du fol engagement de leurs 2 & 4.
→ Le développement du premier mouvement reste impressionnant (et le timbre pincé du hautbois solo délectable), mais le reste manque un peu de pathos à vrai dire, cette musique en a d'ordinaire suffisamment, mais tout paraît un peu peu germanisé et distancié ici, malgré l'investissement audible de toutes les parties.
→ La marche-scherzo n'est absolument pas terrifiante mais danse avec sourire et délectation, culminant dans le très bel éclat (purement musical) de son climax. Surprenant, mais assez convaincant.
→ Roméo et Juliette absolument pas russe non plus, mais la netteté au cordeau, la différenciation des timbres y a quelque chose de tout à fait grisant – purement musical ici encore, plutôt que passionné ou narratif. J'aime beaucoup, bien plus proche des qualités des 2 & 4.

Saint-Saëns – Symphonie n°1, Concerto pour violoncelle n°1, Bacchanale – Astrig Siranossian, Philharmonique de Westphalie méridionale, Nabil Shehata (Alpha 2021)
→ Pas très emporté par ce disque : soliste pas particulièrement charismatique (et capté un peu en arrière), orchestre peu coloré, plutôt opaque, très tradi… la Symphonie est jouée avec vie, mais rien qui change nos vies, je le crains.

Saint-Saëns – Symphonies Urbs Roma & n°3 – Liège RPO, Kantorow
→ À nouveauté pour cette intégrale Kantorow, pas de révolution dans la perception des œuvres, mais une exécution de bonne tenue – un peu épaisse pour ce que peuvent réellement produire ces symphonies, néanmoins.

♥♥♥ Mahler – Symphonie n°8 – Howarth, Schwanewilms, Fomina, Selinger, Bardon, Banks, Gadd, Rose ; LPO Choir, LSO Chorus, Clare College Choir, Tiffin Boys Choir ; LPO, Jurowski (LPO Live)
→ Quel bonheur d'avoir des sopranos de la qualité de timbre de Schwanewilms et Fomina pour cette symphonie où leurs aigus sont exposés en permanence !  Barry Banks aussi, dans la terrible partie de ténor, étrange timbre pharyngé, mais séduisant et attaques nettes, d'une impeccable tenue tout au long de la soirée.
→ Par ailleurs, le mordant de Jurowski canalise merveilleusement les masses – très beaux chœurs par ailleurs.
→ Trissé.

♥♥ Florence Price – Symphonies 1 & 3 – Philadelphia O, Nézet-Séguin (DGG 2021)
→ Symphonies d'un compositeur qui cumulait les handicaps de diffusion, et cumule à présent les motivations de programmation : femme et afro-américaine !
→ Le langage de la Première se fonde largement sur des thèmes issus du gospel et utilisés comme motifs qui se diffractent et évoluent à travers l'orchestre, au sein d'une orchestration aux couleurs variées, d'un beau lyrisme qui ne cherche jamais l'épanchement, d'une construction qui ne suspend jamais le plaisir d'entendre de belles mélodies, jusque dans les transitions.
→ La Troisième m'a paru moins vertigineuse : plus lisse et continue, moins motorique et générative, davantage tournée vers les mélodies (qui sonnent un peu plus populaires que gospel cette fois). Très beau dans son genre postromantique, très bien écrit, mais moins neuf et saisissant.
→ Avec la fluidité propre à Nézet-Séguin et les timbres miraculeux de Philadelphie, c'est un régal absolu, qui rend justice à un corpus réellement intéressant et riche musicalement, et simultanément très accessible !  Qu'attendons-nous pour programmer ces œuvres en concert, surtout avec la mode de la réhabilitation des minorités culturelles ?  Sûr que ça plairait d'emblée à un vaste public.
→ Trissé.

(Malcolm) Arnold – Concerto Gastronomique, Symphonie n°9  – Anna Gorbachyova-Ogilvie, Liepaja Symphony Orchestra, John Gibbons (Toccata Classics 2021)
→ La Symphonie n°9, véritable épure, n'est pas sans charme, et interprétée avec charisme (quels magnifiques solistes !).
→ Le Concerto Gastronomique aurait pu être amusant, mais il reproduit surtout des formules à la Arnold (les accords de cuivres à l'harmonique décalée et enrichie pour le Fromage, vraiment rien de figuratif ou de propre à son objet…).


Et les écoutes / réécoutes hors nouveautés :


1) Baroques & classiques

Wilhelm Friedmann Bach – Symphonies (fk 67 « dissonante » et fk 66 avec ricercar) & Harpsichord Concertos – Ensemble Arcomelo, Michele Benuzzi (La Bottega discantica 2008)

♥♥ Corrette – Symphonies de Noëls – La Fantasia, Rien Voskuilen (Brilliant)
→ Réjouissant de bout en bout !


2) Classiques

♥♥ Richter – Symphony No. 53 in D Major, "Trumpet Symphony"
London Mozart Players - Orchestra ; Bamert, Matthias - Conductor (Chandos 2007)

Johann Stamitz – Sinfonia Pastorale – Hogwood (Oiseau-Lyre)
+ symphonie en ré Op.3 n°2
→ Avec les thèmes plein de parentés.
→ Bissée.

♥♥♥ Gołąbek, Symphonies / Kurpiński, Concerto pour clarinette – Lorenzo Coppola, Orkiestra Historyczna (Institut Polonais)
→ Absolument décoiffant, des contrastes qui évoquent Beethoven dans une langue classique déjà très émancipée.


3) Deuxième romantisme

♥♥♥ Tchaïkovski – Symphonies n°2,4 – Tonhalle Zürich, Paavo Järvi (Alpha 2021)
→ La Cinquième par les mêmes ne m'avait pas du tout autant ébloui qu'en salle (avec l'Orchestre de Paris) – un peu tranquillement germanique, en résumé. Hé bien, ici, c'est étourdissant. D'une précision de trait, d'une énergie démentielles !
→ On entend un petit côté « baroqueux » issu de ses Beethoven, avec la netteté des cordes et l'éclat des explosions, mais on retrouve toute la qualité de construction, en particulier dans les transitions (la grande marche harmonique du final du 2, suffocante, qui semble soulever tout l'orchestre en apesanteur !), et au surplus une énergie, une urgence absolument phénoménales.
→ Gigantesque disque. Ce qu'on peut faire de mieux, à mon sens, dans une optique germanique – mais qui ne néglige pas la puissance de la thématique folklorique, au demeurant.
→ (bissé la n°2)

♥♥ Tchaïkovski – Symphonie n°3 – Göteborg SO, Neeme Järvi (BIS)
→ Bissé.


4) XXe siècle

Schnittke – Symphony No. 1 – Tatyana Grindenko, Lubimov, Russian StSO, Rozhdestvensky (Chandos)
→ Atonal libre pas très beau.

Schnittke – Symphony No. 3 – Radio Berlin-Est, V. Jurowski (Pentatone)
→ Proche de la 4 (que j'aime énormément), en plus morne. Pas palpitant.




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H. Poèmes symphoniques


nouveautés
E. von Dohnányi – Ouverture de Tante Simona, Suite en fa#m, American Rhapsody – ÖRF, Paternostro (Capriccio 2021)
+ Leo Weiner – Serenade pour petit orchestre en fam
→ Belles œuvres, très consonantes et confortables dans leur postromantisme peu retors. Capriccio continue aussi bien de documenter les grandes œuvres ambitieuses du répertoire germanique chez Rott, Braunfels ou Schreker que d'explorer des œuvres moins mémorables, mais très bien bâties malgré leur ambition moindre.

♥♥♥ Stravinski – Feu d'artifice, Scherzo fantastique, Scherzo à la Russe, Chant Funèbre, Sacre du Printemps NHK SO, Paavo Järvi (RCA 2021)
→ Splendide version très vivante, captée avec beaucoup de relief physique, contenant quelques-uns des chefs-d'œuvre de jeunesse de Stravinski (parmi ce qu'il a écrit de mieux dans toute sa carrière, Feu d'artifice et le Scherzo fantastique…), ainsi qu'une version extrêmement charismatique et immédiatement prenante du Sacre du Printemps.
→ Järvi semble avoir tiré le meilleur de la NHK, orchestre aux couleurs peu typées (même un brin gris, ai-je trouvé en salle), mais dont la discipine et la solidité permettent ici une insolence et un aplomb absolument idéaux pour ces pages.
→ Bissé le Sacre, trissé les ouvertures.

Takemitsu – A Way a Lone II, Toward the Sea II, Dreamtime, « 1982 historic recordings) – Sapporo SO, Iwaki Hiroyuki (1982, DGG 2021)
→ Pour mesurer à quel point les orchestres japonais ont progressé… On peut trouver interprétations bien plus avenantes de ces belles œuvres (ou chef-d'œuvre, pour Toward the Sea II).
→ Complété par une heure de discours de Takemitsu, en japonais.

Et les écoutes / réécoutes hors nouveautés :

Weber – Ouvertures – Hanover Band, Roy Goodman (Nimbus 2000)
→ Assez décevant : capté de très loin, plans peu audibles, pas beaucoup de gain de timbres ou d'énergie avec les instruments d'époque.

Humperdinck – Rhapsodie mauresque – Gewandhaus Leipzig, Abendroth (réédition numérique Naxos)

Marx – Eine Frühlingsmusik, Idylle & Feste im Herbst – Radio-Symphonieorchester Wien, Wildner (CPO)
→ Comme la symphonie, en plus simple.




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I. Lied orchestral


nouveautés
♥♥♥ Saint-Saëns – La Princesse jaune – Wanroij, Vidal ; Toulouse, Hussain (Bru Zane 2021)
+ Mélodies persanes (Constans, Fanyo, Pancrazi, Sargsyan, Boutillier…)
→ Ivresses. Des œuvres, des voix.
→ Révélation pour ce qui est de la Princesse, pas aussi bien servie jusqu'ici, et délices infinies de ces Mélodies dans une luxueuse version orchestrale, avec des chanteurs très différents, et chacun tellement pénétré de son rôle singulier !

Vladigerov – Mélodies symphoniques – Bulgarie NRSO, Vladigerov (Capriccio 2021)
→ Moins séduisant et singulier, pour moi, que ses concertos ou symphonies, mais encore une fois du très beau postromantisme, très bien écrit, qui mérite d'être enregistré, réécouté, programmé en concert…

Et les écoutes / réécoutes hors nouveautés :

♥♥ Mahler – Das Lied von der Erde Kaufmann,Vienna Philharmonic, Nott (Sony 2017)
→ Kaufmann chante ténor et baryton à la fois. Les deux sont très bien, et Nott fait frémir Vienne plus que de coutume, avec des couleurs particulièrement fines et évocatrices, que l'orchestre se donne peu souvent la peine de produire !





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J. Concertos


nouveautés
♥♥♥ WÖLFL, J.: Piano Concertos Nos. 2 and 3 / Concerto da camera (Veljković, South West German Chamber Orchestra Pforzheim, Moesus) (CPO 2021)
→ Déjà beaucoup aimé, sorte de Mozart un peu plus tardif, dans ses Sonates (disque de Bavouzet par exemple), Wölfl confirme ici une véritable personnalité, et soutient remarquablement l'intérêt dans un genre d'essence décoratif – à l'oreille, le n°2 en mi, on dirait vraiment un Mozart perdu écrit pendant la série des concertos post-n°20 !
→ Bissé.

SPERGER, J.M.: Double Bass Concertos Nos. 2 and 15 / Sinfonia No. 30 (Patkoló, Kurpfälzisches Kammerorchester, Schlaefli)
→ Chouette, mais pourquoi toujours privilégier l'aigu pour un concerto d'instrument se distinguant au contraire par son extension grave ?

Saint-Saëns – Pièces rares pour violon et orchestre – Laurenceau, Orchestre de Picardie, Benjamin Lévy (Naïve 2021)
→ Essentiellement des Romances très lyriques, pas très passionné par leur contenu musical pour ma part, mais j'admire beaucoup le travail de pionnière de Geneviève Laurenceau (ancienne konzertmeisterin du Capitole de Toulouse), au service de compositeurs comme Magnard, Durosoir, Smyth, R. Clarke… Son très robuste et plein, pas du tout typé français, solidité et élan à toute épreuve.

Rubinstein: Piano Concertos Nos. 2 & 4 – Schaghajegh Nosrati, Radio-Symphonie-Orchester Berlin, Róbert Farkas (CPO 2021)
→ Un peu déçu en réécoutant ces œuvres, du concerto pour piano romantique très tourné vers le piano, qui perpétue un modèle post-chopinien, même si l'orchestre n'est pas sans intérêt.

Saygun, Işıközlü, Erkin, Kodallı… TURKISH PIANO MUSIC (THE BEST OF) (Biret, Güneş, Saygun, G.E. Lessing, Şimşek, Tüzün) (Idil Biret Archive 2021)
→ Œuvres vraiment pas fabuleuses sur la première œuvre du coffret : des concertos pour piano très difficiles à jouer, mais musicalement, un mélange d'orientalismes et de musique classique très formelle (quoique complexe), pas très mélodique ni riante. Le disque de trios piano-cordes turcs sorti cette année (chez Naxos) était autrement stimulant sur la production locale !

Et les écoutes / réécoutes hors nouveautés :

1) Pour piano

Hummel: Piano Concerto No. 2 in A Minor – Hough, B. Thomson (Chandos)
→ Très sympathique, là aussi vraiment un cousin chopinien ; j'en retiens surtout le beau solo de clarinette du final et son beau thème secondaire (le soin mélodique échappe toujours à l'automatisme, chez Hummel, tout de même l'immortel auteur du plus beau final de concerto pour basson de tous les temps !), mais ce reste globalement du concerto pour piano brillant, où le contenu musical n'entre qu'en seconde ligne par rapport à un quatuor ou une symphonie.

Thalberg – Concerto pour piano – Ponti
→ Assez formellement Thalberg, pas de grande surprise.

♥♥♥ Liszt – Totentanz – Berezovsky, Philharmonia, Wolff (Teldec)
→ Totalement fulgurant, parfait, surnaturel… le jeune Berezovsky était incroyable, d'une insolence proprement démoniaque.

♥♥♥ Henselt – Concerto pour piano Op.16 en fa mineur – Michael Ponti, Philharmonia Hungarica, Othmar Mága (VOX, réédition Brilliant Classics)
→ Très proche de Chopin dans les formules pianistiques, mais doté d'un orchestre très généreux, très bien écrit, qui puise à une tradition beaucoup plus luxuriante (Meyerbeer ?). Splendide et grisant, dans son genre lyrique mais travaillé !

Pierné – Concerto pour piano – Ponti
→ Très virtuose évidemment, de la musique très sérieuse qui contraste avec son final fondé sur la répétition inlassable de « Mets tes deux pieds en canard » de La Chenille qui redémarre.

♥♥♥ d'Albert – Concerto pour piano n°2Ponti
→ Quel beau lyrisme décidément !

Roussel – Concerto pour piano – Ponti

Sinding – Concerto pour piano – Ponti

BORTKIEWICZ, S.: Piano Concertos Nos. 2 and 3, "Per aspera ad astra" (Doniga, Janáček Philharmonic, Porcelijn) (Piano Classics 2018)

SCHNITTKE, A.: Piano Concerto / Concerto for Piano and String Orchestra / Concerto for Piano 4-hands and Chamber Orchestra (Kupiec, Strobel) (Phoenix 2008)
→ Version dotée d'un équilibre singuier du piano, plus intégré / symphonique. Pas celle que j'aime le plus, mais très belle, dans cette sélection de concertos considérables du XXe siècle !


2) Pour violon

♥♥ Tchaikovsky – Violin Concerto in D Major – Gitlis, Vienne SO, Hollreiser (VOX)
→ Impressionnant et ébouriffé, et l'orchestre est vraiment très bien, dynamique, présent, précis (contre toute attente vu la date, le chef et les conditions de non-répétition).
→ En revanche Gitlis, ce son très appuyé, ces effets qui bifurquent dans tous les sens, le rubato qui déborde en avant en arrière, j'entends trop que c'est du violon, ça me distrait de la musique.
→ Mais impressionnant d'insolence (la qualité parfaite du timbre avec un suraigu pas du tout tiré, surnaturelle), à connaître !
→ Orchestre splendide, ça ne ressemble pas du tout à un son viennois d'ailleurs, de l'excellente charpente à l'allemande, pas très coloré mais limpide sur tout le spectre, et avec vie et précision.

♥ Tchaïkovski – Concerto pour violon – Dumay, LSO, Tchakarov (EMI)
→ Beau, simple, un peu lent.

♥♥ Tchaïkovski – Concerto pour violon – Julia Fischer, Russie NO, Kreizberg (PentaTone 2006)
→ Sobre, doux, net, voilà qui tire davantage vers la poésie de la page. Et la culture russe de l'orchestre (quoique l'un des moins typés du pays) facilite les bonnes couleurs environnantes.

Tchaïkovski – Concerto pour violon – Hahn, Liverpool PO, V.Petrenko (DGG 2011)
→ Assez affirmatif, mais sobre, réussi ! Tempo très retenu.

Tchaïkovski – Concerto pour violon – Hudeček, S. de Prague, Bělohlávek (Supraphon)
→ Un peu gras pour ce que j'espérais d'un son tchèque au violon, pas mal de rubato quand même, et Bělohlávek toujours plutôt mou…
→ Est très bien, mais ne répond pas à mon espérance de netteté un peu acide en allant me tourner vers Supraphon !

¤ Tchaïkovski – Concerto pour violon – Radulović, Borusan Istanbul PO, Sascha Goetzel (DGG 2017)
→ Puisqu'on m'en a dit le plus grand mal, j'écoute. Je l'avais adoré avant la notoriété, dans une vidéo de rue où il était pris en train de livrer une insolente et hautement pensée Chaconne de la Partita n°2 de Bach… Peu écouté depuis ses grands succès, vu son positionnement cross-over sur des tubes un peu retravaillés, ce qui m'intéresse moins.
→ Je découvre qu'il est carrément passé chez DGG, chez certains ça va la vie !
→ L'orchestre n'est pas le meilleur du monde (je trouve d'ailleurs qu'il sonne très oriental, comme s'il jouait du Saygun ou plutôt du… Say, ça n'aide pas ;
→ Côté goût, ce n'est pas affreux, mais en effet ça s'alanguit dans tous les sens, le tempo et le phrasé bougent sans cesse, c'est sur-interprété en permanence, je ne suis pas fan.
→ Et côté son, un peu tiré, oui, comme une voix qu'on voudrait pousser trop fort, il y a plus précis et plus timbré sur le marché – j'entends chaque année les plus aguerris jouer ça à la Philharmonie, je suis un peu blasé côté virtuosité extrême.
→ En somme pas horrible du tout, mais clairement je ne vois pas trop l'intérêt d'écouter ça vu l'offre délirante sur ce concerto.

Tchaïkovski – Concerto pour violon – Ehnes, Sydney SO, Ashkenazy (Onyx)
→ Très policé et propre, pas très palpitant, et pas assez effacé pour être seulement poétique.
→ Impression persistante que le violon sonne fort tout le temps.

♥♥ Tchaïkovski – Concerto pour violon – Sarah Christian, Bremen KmPh, Rhorer
→ Accompagnement très net, interprétation très réussie (quoique, comme souvent, beaucoup de rubato superflu pour moi).

+ Borgstrøm – Concerto pour violon – Eldbjørg Hemsing, Wiener Symphoniker, Olari Elts (BIS 2018)


3) Pour autre chose

Telemann – Concertos pour vents (TWV 44:43, 51:D2, 51:D7, 52:d1, 52:e1, 53:D5) – Hoeprich & friends, Musica Antiqua Köln, Goebel
→ Joli son d'orchestre, de la première (deuxième) génération d'ensembles baroques, pour des compositions peu trépidantes.

♥♥♥ P. Vranický, Haydn – Concertos pour violoncelle en ut – Enrico Bronzi, Orchestra di Padova e del Veneto, Enrico Bronzi (Concerto Classics)
→ Meilleure version du Haydn ! Cet orchestre, qui s'est imprégné de modes de jeu musicologiques au moins depuis Maag, propose des sonorités capiteuses tout en conservant le moelleux des instruments traditionnels. L'insolence, les trépidations de joie, la rêverie y sont portées au plus beau degré.

♥♥♥ Gołąbek, Symphonies / Kurpiński, Concerto pour clarinette – Lorenzo Coppola, Orkiestra Historyczna (Institut Polonais)
→ Absolument décoiffant, des contrastes qui évoquent Beethoven dans une langue classique déjà très émancipée.

Bacewicz – Concerto pour alto – Kamasa, Varsovie PO, Wisłocki (LP sur YT)
→ Un peu trop soliste pour mon goût. Atmosphère tourmentée.





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K. Musique de chambre

nouveautés
♥♥ Beethoven – Quatuors 12 & 14 – Ehnes SQ (Onyx 2021)
→ Version très aboutie, aux timbres superbes, issue d'un cycle en cours autour des derniers quatuors de Beethoven.
→ Bissé.

♥♥♥ Schubert – Quintette à cordes – Tetzlaff, Donderer... (Alpha 2021)
→ Couplé avec le Schwanengesang de Julian Prégardien que je n'ai pas encore écouté.
→ Lecture d'une épure assez fabuleuse : absolument pas de pathos, cordes très peu vibrées, des murmures permanents (quel trio du scherzo ! ), et bien sûr une très grande musicalité.
→ Très atypique et pudique, aux antipodes de la grandiloquence mélodique qu'on y met assez naturellement.

Hummel & Schubert: Piano Quintets – Libertalia Ensemble (CPO 2021)
→ Très beau quintette (avec piano et contrebasse) de Hummel, énormément de très belles choses là-dedans.
→ La version de la Truite n'est pas du tout le plus exaltante du marché, un peu grise par rapport aux versions très engagées et typées qu'on peut trouver par ailleurs (Kodály-Jandó, Immerseel, etc.).

PAGANINI, N.: String Quartet No. 3 / Duetti Nos. 1, 2, 3 (Pieranunzi, Falasca, Fiore, Leardini, Carlini) (CPO 2021)
→ Jolies œuvres aimables, bien jouées.

♥♥ Saint-Saëns, Rameau, LisztTrio piano-cordes n°2, Pièces de clavecin en concert (Suites 1 & 5), Orpheus (arrangement) – Trio Zadig (Fuga Libera 2021)
→ Un des tout meilleurs trios en activité (probablement le meilleur que je connaisse moi), avec en particulier des cordes d'un charisme extraordinaire.
→ Lecture assez traditionnellement lyrique-germanique de Saint-Saëns, avec un son très peu français, misant davantage sur une sorte d'audace virtuose, où chaque motif à chaque instrument est ciselé et immédiatement présent et mélodique. Cette attitude dynamise beaucoup cette page, déjà très belle.
→ Étonnante association avec un Rameau version trio romantique (très réussie) et cette transcription du poème symphonique de Liszt.
→ Trissé pour le Saint-Saëns, bissé pour le reste.

♥♥♥ Saint-Saëns – Quatuors 1 & 2 – Tchalik SQ (Alkonost Classic)
→ Lecture très consciente stylistiquement, et ardente, de ces quatuors magnifiant à la fois la contrainte formelle et la beauté de l'invention… ce jeune quatuor a évolué de façon assez fulgurante ces dernières années. (Son intégrale Hahn est fabuleuse aussi.)

(réédition)
♥♥♥ Mahler, Bertin-Maghit & Hersant – « No Time for Chamber Music » (extraits arrangés de Mahler) – Collectif9 (2018, réédition Alpha 2021)
→ Réédition de cet album d'une formidable inventivité, réutilisant dans des contextes nouveaux (et pour effectif chambriste comme l'indique le nom de l'ensemble !) des thèmes issus de l'œuvre de Mahler. Fascinant de contempler ces mélodies connues se mouvoir selon des chemins imprévus, et le tout exécuté à un niveau instrumental assez hallucinant, recréant un orchestre complet rien qu'avec leurs textures de cordes.
→ Totalement jubilatoire.
→ Trissé.

Et les écoutes / réécoutes hors nouveautés :

GabrielliSonate con trombe e violini  – Cappella di San Petronio, Sergio Vartolo (Tactus)

♥♥ Schubert – Quintette piano-cordes en la – Anima Eterna Brugge, Immerseel (ZZT)

Hummel, Bertini – Quintette piano-cordes, Sextuor piano-cordes (MDG)
→ Hummel bissé.
→ Très belle version très bien captée. Meilleure que celle qui vient de sortir chez CPO (et couplage Bertini plus intéressant qu'une version moyenne de Schubert, évidemment…).

Wyschnegradsky - String quartet №2
→ Intéressant, à défaut de réellement séduisant.




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L. Violon

(solo ou accompagné)

nouveautés
Saint-Saëns – Pièces de caractère pour violon & piano – Fanny Clamagirand, Vanya Cohen (Naxos 2021)
→ On y retrouve les grands standards (Danse macabre, Rondo capriccioso, Havanaise…) et des pièces rares, où l'on peut profiter du son extraordinairement capiteux et flûté (produire un timbre aussi chantant, aussi peu « frotté » avec un violon relève du petit miracle) et de la musicalité de Clamagirand, qui impressionne beaucoup depuis quelques années déjà.
→ Pas de révélations particulières parmi les pièces moins célèbres, à mon sens.

♥♥ E. Andrée, Bonis, SmythSonates pour violon, « First Ladies » – Annette-Barbara Vogel, Durval Cesetti (Toccata Next 2021)
→ Décidément, quelques figures féminines commencent à solidement émerger, au moins dans le domaine de la mélodie et de la musique de chambre (et plus simplement du piano d'intérieur) !
→ Trois grandes compositrices… je n'ai pas été aussi impressionné par Bonis que par sa Sonate violoncelle-piano, mais Smyth me frappe à nouveau par sa typicité, sa façon de tisser le matériau folklorique dans les formes savantes… Très réussi.
→ De surcroît très bien joué, par une spécialiste de ce genre de bizarrerie – plusieurs disques Hans Gál à son actif !

Kreisler + divers arrangements et pièces virtuoses ou de caractère – « 12 Stradivari » – Janine Jansen, Antonio Pappano (Decca 2021)
→ Surtout intéressant pour son projet : réunir pendant 10 jours 12 stradivarius, dont certains plus joués depuis des années, ou jamais enregistrés, et concevoir un programme qui mette en valeur leurs caractéristiques ou le lien avec leurs possesseurs historiques. Le tout par une seule interprète.
→ Le projet est excitant mais le résultat, comme je pouvais m'y attendre (considérant ma sensibilité), reste assez peu exaltant : 1) on perçoit certes des nuances de timbre, mais le son d'un violon dépend avant tout de la personne qui joue sur le violon ; 2) le répertoire de pièces pittoresques n'est franchement pas passionnant si l'on n'est pas passionné du violon en soi, si l'on ne le regarde pas comme une épreuve d'athéltisme à travers des haies et balses obligées ; 3) le son adopté par Janine Jansen est uniformément très intensément vibré et assez dégoulinant, très loin de la sobriété légère qui fait son intérêt en tant qu'interprète – elle refuse en général les soulignements excessifs et les effets de manche, tandis que ce disque semble (un peu artificiellement) renouer avec cette tradition.

Et les écoutes / réécoutes hors nouveautés :

(réécoute nouveauté)
♥♥♥ Il Sud: Seicento Violin Music in Southern Italy ; œuvres de Falconieri, Montalbano, Trabaci, Pandolfi, Leoni, Mayone ; Ensemble Exit, Emmanuel Resche-Caserta (Passacaille 2020)
→ Œuvres rares à la veine mélodique généreuse et aux diminutions expansives, dans une interprétation pleine de couleurs (assise sur orgue positif et théorbe, remarquablement captés), avec un violon solo à la fois chaleureux et plein d'aisance. Un peu grisant.

Messiaen – Thème & Variations – Alejandro Bustamante, Enrique Bagaria (Columna Music)
→ Accords réguliers très marqués dans le style harmonique Messiaen, soutenant un violon plus lyrique.




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M. Violoncelle

(solo ou accompagné)

Frescobaldi, Ortiz, Vitali, Galli, Degli Antoni – Canzoni pour violoncelle(s) et basse continue – Cocset, Les Basses Réunies, Cocset (Alpha)
→ Quel son, quels phrasés !

♥♥ Gabrielli – Ricercari – Cocset (Agogique)
+ Vitali – Passacaglia

Bach – Suites pour violoncelle 1, 3 – Bruno Cocset (Alpha)
→ Vraiment différent, très vif et très droit. Manque de danse et de saveurs harmoniques pour moi, mais dans son genre fulgurant et droit au but, convaincant !




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N. Orgue

nouveautés
♥♥ Karg-Elert – Intégrale pour orgue, vol.12 : 3 Impressions, Hommage à Haendel, Partita n°1 – Steinmeyer de la Marienkirche de Landau/Pfalz, Stefan Engels (Priory 2020)
→ Les Impressions sont d'un postromantisme très conservateur et peu saillant, mais la Partita tire au contraire le meilleur du pouvoir des atmosphères.
→ Quant aux variations-hommage à Haendel, elles montrent une maîtrise ludique d'organiste pour tout ce qui est des diminutions et de la registrations.
→ Superbe orgue riche et généreux, superbement registré et capté.


Et les écoutes / réécoutes hors nouveautés :

1) Baroque XVIIe & louisquartorzien

Arauxo – Libro de tientos y discursos de musica practica, y theorica de organo (extraits) – Francesco Cera (Brilliant Classics 2018)

♥♥♥ Titelouze, Buxtehude, Pachelbel, Marchand, Boyvin, Corrette, Dandrieu… – Livres d'orgue sur les orgues du Jura franco-suisse  vol.1 – Delor, Baillot, Béraza, Meylan (Phaïa 1999)
→ Très belles orgues baroques françaises (Dole, Champagnole, Orgelet) ou suisse (Le Sentier), très typées. Et l'archaïsme de Titelouze, le grandiose de Marchand, le lyrisme de Boyvin, la fantaisie de Corrette & Dandrieu… Aussi des pièces d'Allemands, dont Buxtehude et (Georg) Böhm.
→ Un coffret totalement jubilatoire pour les amateurs d'orgue français, à connaître absolument !

Pachelbel – Œuvres pour orgue – Saint-Bonaventure de Rosemont à Montréal, Bernard Lagacé (Arion)
→ Captation très crue, pas très agréable.

♥♥ Pachelbel – Orgue vol. 2 – Essl & friends (CPO)
→ (Dont l'incroyable chaconne en sol, ♥♥♥.)

Pachelbel, Froberger, Muffat – « Organ Music Before Bach » – Kei Koito (DHM)

♥♥♥ Boyvin – Premier and Second livre d'orgue : Suites Nos. 1-8, « French Organ Music from the Golden Age, Vol. 6 » –  Bolbec, Ponsford (Nimbus)
→ Toujours aussi opératique ce Boyvin !

♥♥ André Raison  – Livre d'orgue – Ponsford à Saint-Michel en Thiérache (Nimbus)
→ Volume 3 de son anthologie française.

♥♥ Grigny, Lebègue – Orgue, motets – Ensemble Gilles Binchois, Nicolas Bucher (Hortus)
→ Sur l'orgue de l'abbatiale Saint-Robert de La Chaise-Dieu.

♥♥ Grigny – Les Hymnes – Lecaudey (Pavane)
→ Sur l'orgue Tribuot de Seurre.
https://www.deezer.com/fr/album/5407331

♥♥♥ Grigny – Le Livre pour orgue, avec alternatim – Vox Gregoriana, Mikkelsen

¤ Muffat – Œuvres pour orgue vol. 1 & 2 – Haselböck (Naxos)
→ Orgue blanc terrible.


2) XVIIIe siècle

♥♥♥ Dandrieu – Laissez paître vos bêtes – Maîtrise du CMBV, Jarry (CSV 2019)
→ Tube personnel, sur l'orgue de la Chapelle Royale de Versailles avec cet alternatim de la Maîtrise du CMBV !  (Il figure sur plusieurs notules de CSS.)

♥♥♥ Daquin – Nouveau Livre de Noëls – Gellone, Falcioni (Brilliant Classics)
→ (Première écoute intégrale du Livre ? Variations en réalité.)
→ Saveur extraordinaire, très pincée, acide, colorée, de l'orgue de Saint-Guilhem.

♥♥ Daquin – Nouveau Livre de Noëls – Bardon & St-Maximin

♥♥ Daquin – Nouveau Livre de Noëls – Baumont & Thiérache

♥♥ Daquin – Nouveau Livre de Noëls – Dom Bedos & Mouyen

♥♥ CorretteOffertoire La St François sur l'orgue Dom Bedos / Quoirin de Sainte Croix de Bordeaux (YT 2012)
09 - Dialogue sur les grands jeux - Paul Goussot (YT 2018)
→ Quel orgue !

♥♥ Balbastre – Noëls & pièces formelles – Rabiny-Maucourt-Puget (1781-1869-1953) de Saint-Félix-Lauragais, Pauline Koundouno-Chabert (Psalmus)
→ Pas la plus mobile des interprétations (pour cela, il y a Chapuis & Tchebourkina à Saint-Gervais !), mais le programme est très intelligemment conçu, avec son alternance de pièces formelles et de Noëls, qui évite toute lassitude… et l'orgue a des couleurs à la française réjouissantes !
→ Il existe de toute façon peu de grands recueils Balbastre, et celui-ci est l'un des plus plaisants !


3) XIXe siècle

♥♥♥ Schumann – Esquisses, Études, Fugues (orgue) – Rothkopf (Audite)
→ Trissé. (cf. notule sur ce disque)

♥♥ LISZT, F. / SCHUMANN, R. / MENDELSSOHN, Felix, Blanc, Albert Alain (Orgues du Jura Franco-Suisse, Vol. 2) (M.-C. Alain, Camelin, Champion, Lebrun, Leurent)
→ La Procession prise sous l'orage, quelle chose étonnante (figurative et réjouissante), à défaut d'être profonde musicalement !  Albert Alain est en revanche particulièrement ennuyeux, appliqué, sinistre.
→ Sur ces orgues aux timbres très typés français, les Mendelssohn-Schumann-Liszt prennent une saveur extraordinaire !


3) XXe siècle

Reger : Introduction, Passacaille et Fugue en mi mineur, Op. 127 – Gerhard Weinberger (CPO)
→ Quelle œuvre de la pleine démesure : l'élève (fantasmatique) de Fauré et de Wagner écrivant de la musique tonale (ce qu'il en reste) à l'époque de Wozzeck… Quelque chose dans cet esprit : vagabondage harmonique, certains accords très riches et dissonants, ambiance très sombre et pesante, Passacaille qui évoque davantage Berg que Brahms… le contrepoint, l'enharmonie et les errances tonales partout.
→ C'est monumental – quoique un peu sérieux et discipliné pour être réellement jubilatoire, me concernant. Mais très intéressant, effectivement au bout de la logique de Reger !
→ Très bien capté et phrasé.,

KARG-ELERT, S.: Organ and Piano Music - Poesien +  Silhouetten + arrangement de la Suite de Pelléas de Sibelius – Konttori-Gustafsson, Lehtola (Toccata Classics 2017)
→ La Suite de Pelléas fonctionne vraiment bien (l'orgue enveloppant, le piano mordant).
→ De belles choses dans les Silhouetten, quoique vraiment tradis.

REUCHSEL, E.: Promenades en Provence, Vols. 1-3 / Bouquet de France (extraits) – cathédrale St Louis (Missouri), Simon Nieminski
→ Les progressions figuratives sont beaucoup plus frappantes en vrai, mais ce disque sans éclat particulier a au moins le mérite rare de documenter un florilège de ce catalogue tout à fait digne d'intérêt. Je ne garantis cependant pas l'émotion à l'écoute de l'objet disque – je n'y suis pas parvenu.

Messiaen – L'Ascension – Innig (MDG)
→ Un peu sombre pour le lyrisme et les couleurs de cet opus.

♥♥ Messiaen – Livre saint Sacrement– Innig (MDG)
→ Très sobre et sombre, marche vraiment bien.

♥♥ Messiaen – Messe de la Pentecôte, Livre d'orgue – Innig (MDG)
→ Lecture très accessible, le Livre d'orgue (que je n'avais pas encore essayé dans cette intégrale) est même franchement réussi et échappe tout à fait au formalisme moche que j'y percevais d'ordinaire… !

♥♥ Florentz – Laudes, Prélude de l'Enfant noir, Debout sur le soleil, La Croix du Sud – Roquevaire, Thomas Monnet (Hortus 2014)
→ Très beau dans le style Messiaen, et assez sobre.
→ Trissé.




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O. Piano·s


(quatre mains)

nouveautés
(réédition)
SCHUMANN, R.: Arrangements for Piano Duet, Vol. 3 - Manfred (excerpts) / Symphony No. 3 / Overtures (Eckerle Piano Duo) (Naxos 2015, réédition 2021)
→ Intéressant (Manfred en particulier !), mais exécution vraiment molle. À retenter en d'autres mains.

Chausson, Ropartz, Massenet, Alkan, Chaminade, Godard – Pièces françaises à quatre mains, « Four Hands for France » – Stephanie McCallum, Annie Helyard (Toccata Classics 2021)
→ On retrouve Stephanie McCallum, déjà sur un de mes disques de l'Île Déserte (Dans l'ombre de la Montagne etles Préludes à danser pour chaque jour de la semaine de Ropartz), pour un programme qui, comme l'on pouvait s'y attendre, reste plutôt léger. Même Chausson, le tourmenté et modulant Chausson écrit de la bluette bien consonante, qui évoque davantage un décalque très assagi des Jeux d'enfants de Bizet que le langage d'Arthus ou de ses Maeterlinck… Les Ropartz aussi sont en deçà, à mon sens, du legs pianistique du compositeur. [Tout l'inverse des Allemands, donc, qui sont souvent meilleurs dans les configurations quatre mains / deux pianos.]
→ Très beau projet, mais je n'y ai trouvé rien d'essentiel pour ma part, je ne me sens pas de le recommander spécifiquement dans l'abondance de parutions…

KARG-ELERT, S.: Organ and Piano Music - Poesien +  Silhouetten + arrangement de la Suite de Pelléas de Sibelius – Konttori-Gustafsson, Lehtola (Toccata Classics 2017)
→ La Suite de Pelléas fonctionne vraiment bien (l'orgue enveloppant, le piano mordant).
→ De belles choses dans les Silhouetten, quoique vraiment tradis.


(deux mains)

Schumann, R.: Pedal Piano Music (Complete) - Studies, Op. 56 / 4 Sketches, Op. 58 / 6 Fugues On B-A-C-H (par Martin Schmeding, sur piano d'époque)
→ Rare disque sur un piano-pédalier d'époque. Pas forcément un plaisir au demeurant : piano limité (et peu fiable, d'après le pianiste).
→ En sus, jeu très carré, pas très poétique.

♥♥ Liszt – Vallée d'Obermann – Bolet
→ Toujours pas bouleversé par l'œuvre (souvent un peu univoque, le piano de Liszt).

Peterson-Berger – Improvisations au piano, mélodies – Peterson-Berger
→ Décoratif.

♥♥ Langgaard: Afgrundsmusik (Music of the Abyss), BVN 169 – Berit Johansen Tange
→ Ces inclusions soudaines de motifs brefs complètement dans le langage de Messiaen sont assez folles !




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P. Airs de cour, lieder & mélodies…


nouveautés
STROZZI, B.: Ariette a voce sola / Diporti di Euterpe / Sacri musicali affetti (La voce sola) (Dubinskaitė, Canto Fiorito) (Brilliant 2021)
→ Pas le plus édifiant corpus de son siècle, mais joliment écrit et très bien chanté.

♥♥♥ Schumann – Alle Lieder – Gerhaher, Huber, Rubens, Landshammer, Kleiter, Lehmkuhl… (Sony 2021)
→ Magnifique somme regroupant les cycles Schumann de Gerhaher, parmi les tout meilleurs qu'on puisse entendre et/ou espérer, et permettant de tout entendre, avec bon nombre de nouveautés (tout ce qui n'avait pas été enregistré, et même une nouvelle version de Dichterliebe). Il manque une poignée de lieder présents dans l'intégrale Hyperion, mais sinon, même les lieder en duo et les liederspiele à 4 y sont, tous !
→ Verbe au cordeau, variation des textures, mordant, tension, nuances, c'est la virtuosité d'une expression construite qui impressionne toujours autant chez lui !
→ Les artistes invités, ce n'est pas n'importe qui non plus, ces dames figurent parmi les meilleures liedersängerin de leur génération (Rubens, n'est-ce pas !). Les lieder prévus pour voix de femme sont ainsi laissés aux interprètes adéquates.
→ De surcroît le livret contient des introductions, un classement clair (même une annexe par poètes !) et les textes (monolingues, certes, mais c'est toujours une base de départ confortable pour ceux qui veulent ensuite des traductions).

Duparc, Saint-Saëns, Fauré, Chausson, Ibert, Ravel – Mélodies « Aimer à loisir » – Boché, Durham, Fanyo, Timoshenko (B Records 2021)
→ Issus de leur résidence Royaumont (interrompue par certain perturbateur microscopique de votre connaissance), quatre mini-récitals de duos piano-chant de jeunes artistes, où se distingue particulièrement, sans surprise, Kaëlig Boché, exceptionnel diseur – même si la voix est hélas peu phonogénique par rapport à son intérêt en salle !  Pour entendre Axelle Fanyo à son meilleur, allez d'abord entendre sa dernière Mélodie persane qui vient de paraître en couplage avec La Princesse jaune !

♥♥ (Dinu) Lipatti, Enescu, (Violeta) Dinescu – « Hommage à Dinu Lipatti  », Cycles de mélodies françaises (+ un lied de Dinescu) – Markus Schäfer, Mihai Ungureanu (Drever Gaido)
→ Quelle belle surprise que ce disque, qui documente pour la première fois les mélodies (on dispose que de quelques autres œuvres du disque) de Lipatti ! 
→ Je croyais à une réédition de ses interprétations de Chopin, j'ai failli passer mon chemin et puis j'ai vu le nom de Markus Schäfer, interprète vivant… Bien m'en a pris !
→ Les Marot d'Enescu (remarquablement naturels et riches à la fois) sont couplés avec les Verlaine de Lipatti (un peu plus ouvertement complexes et appliqués, prosodiquement moins exacts, mais très intéressants musicalement). Très belle découverte !
→ Hélas, sur le plan de la réalisation, il faut se contenter d'un français à très fort accent, Schäfer fait ce qu'il peut avec générosité, mais ce n'est clairement pas équivalent à un grand disque de mélodiste aguerri.
→ La longue pièce de Dinescu qui conclut est beaucoup plus ancrée dans le contemporain, mais très vivante et d'une expression assez naturelle malgré les effets. Une belle réussite.

♥♥♥ Miaskovski (Myaskovsky)– « Œuvres vocales vol. 1 » : Livre Lyrique, 12 Romances d'après Lermontov, Sonate violon-piano – Barsukova, Pakhomova, Dichenko, Solovieva (Toccata Classics 2021)
→ Quelle belle surprise que ce corpus, dans le goût généreux, d'un postromantisme enrichi, de ses premiers quatuors (on peut penser au langage traditionnel mais évolué des 4 & 5 !), et très bien servi. → Un très beau jalon du répertoire russe (soviétique en l'occurrence, mais ce sonne plutôt russe).

♥♥♥ Hahn – Trois jours de vendange – Théruel (YT)
→ L'idéal de la mélodie, l'idéal du chant aussi.

Debussy – Mandoline, Le Tombeau des Naïades – Fleming, Thibaudet (Decca)
→ Très intensément dits (comme peu l'osent !), avec un style étrange (plein de changements de timbre, du glissando à tout va…).

Peterson-Berger – Improvisations au piano, mélodies – Peterson-Berger
→ Décoratif.




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Si vous suivez mon exemple, je devrais vous tenir occupés quelques jours encore, le temps que je fournisse une notule digne de ce nom. D'autant que beaucoup de ces disques (à 2 ou 3 cœurs) méritent amplement d'être écoutés plus d'une fois !  Ainsi que ceux des épisodes précédents.

Puissiez-vous, estimés lecteurs, jouir des beautés de la musique retrouvée, tandis que l'Automne – et peut-être les Variants – s'empare doucement de nos vies en extérieur.

mercredi 2 juin 2021

Le grand tour 2021 des nouveautés – épisode 5 : opéras et symphonies des Pays-Bas, du Danemark et de Russie


Un mot

Toujours la brève présentation des nouveautés (et autres écoutes et réécoutes) du mois écoulé. Je laisse une trace pour moi, autant vous donner des idées d'écoutes…

J'attire ce mois-ci votre attention en particulier sur les symphonies de Dobrzyński, Gade, Dopper, Zweers, Vermeulen, Miaskovski (dont viennent de paraître coup sur coup deux très grandes interprétations)… et sur les opéras danois de Kunzen, Kuhlau, Heise et Nielsen !

Tout cela se trouve aisément en flux (type Deezer, gratuit sur PC ; ou sur YouTube) et en général en disque. Il faut simplement pousser la porte.

(Pardon, mes présentations de titres ne sont pas toutes normalisées, il faut déjà pas mal d'heures pour mettre au propre, classer et mettre un minimum en forme toutes ces notes d'écoutes. Il s'agit vraiment de données brutes. J'espère reprendre les notules de fond bientôt, pour l'instant le travail, les concerts, les musées et l'exploration du territoire me prennent un peu trop de temps.
Néanmoins, je thésaurise à propos des opéras du monde et des programmations locales, pour vous emmener vers de nouvelles contrées sonores !)

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La légende


Rouge : œuvres du cycle danois
Orange : œuvres du cycle néerlandais
Bleu : œuvres du cycle russe

* : Nouveauté (paru en 2021 ou depuis moins d'un an)
♥ : réussi !
♥♥ : jalon considérable.
♥♥♥ : écoute capitale.
¤ : pas convaincu du tout.

(Les disques sans indication particulière sont à mon sens de très bons disques, simplement pas nécessairement prioritaires au sein de la profusion de l'offre.)

Le tout est classé par genre, puis par ordre chronologique très approximatif (tantôt la génération des compositeurs, tantôt la composition des œuvres, quelquefois les groupes nationaux…) au sein de chaque catégorie, pour ménager une sorte de progression tout de même.



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A. Opéra

♥ *Monteverdi – Orfeo – D. Henschel, Schiavo, Prina, Auvity, Sabata, De Donato, Abete… Arts Florissants, Christie (Dynamic, Madrid 2008)
→ Extrêmement vif, avec une belle distribution (mais Prina a vraiment vieilli, les tubages et la justesse sont devenus un peu trop audibles), pas la version la plus vertigineusement poétique, mais une belle réussite pour les Arts Flo qui n'ont pas toujours été à leur meilleur dans les opéras de Monteverdi.

♥ “La Clémence de Titus” de Mozart par l'Opéra Royal de Wallonie (YT)

♥♥♥ Kunzen – Holger Danske – (Dacapo)
→ Une œuvre très parente de l'Oberon de Pavel Vranický, une sorte de Flûte enchantée réussie, qui annonce le ton des chefs-d'œuvre de Kuhlau. Petite merveille.

¤ Gouvy – Iphigénie en Tauride – La Grande Société Philharmonique, Joachim Fontaine (CPO)
→ Livret galant décevant, et distribution impossible (français et style) qui ne permet pas de profiter de l'œuvre.

Rejcha – Lenora –  Magdalena Hajossyova, Vladimír Doležal, Věnceslava Hrubá-Freiberger, Pavel Kamas ; Ch Philharmonie Tchèque, Prague ChbO, Lubomi Matl (Supraphon 2000)
→ Écriture assez épaisse, longue, et peu spectaculaire (hors le début de la cavalcade) inspirée de la Lénore de Bürger.

*Bellini – Il Pirata – Irina Kostina, Dmitry Korchak, Pavel Yankovsky ; Victoria Agarkova, Novaya Opera, Andrey Lebedev (Operavision 2021)
→ Temporalité lente, pas de couleur locale. Beaux ensembles en guise de final qui apportent un peu de relief. Belle distribution, plus robuste qu'électrisante, mais belles voix bien faites.

Kuhlau, Elverhøj – National de la Radio Danoise, Frandsen.
→ Nettement moins bien que Lulu, mais cool quand même, et puis considéré comme un point de départ historique de la musique nationale danoise (assez arbitrairement, il y a pléthore d'excellente musique danoise avant ça !

♥♥ Kuhlau – Lulu – Danish NSO, Schønwandt (Radio danoise via YT)
→ Toujours une merveille que ce jeune romantisme passionné et exceptionnellement inspiré. Un des très très grands opéras du début du XXe siècle.

*Verdi – Attila – Plamen Kartaloff ; Radostina Nikolaeva, Daniel Damvanov, Ventselav Anastasov, Orlin Anastasov ; Opéra de Sofia, Alessandro Sangiorgi (Operavision 2021)
→ Représentation très tradi en plein air. Mixage façon pop, voix captées de très près. Pourtant, on sent bien la projection limitée (les aigus ne claquent pas), les voix ne claquent pas (malgré la beauté des graves), même les Bulgares sont donc affectés par le changement de placement (les aigus de la soprane et des clefs de fa sont assurés sans difficulté mais poussés, voilés, sans impact).

♥♥ Gade – Baldurs drøm, Op. 117 – Rørholm, Elming, Hoyer ; Helsingborg SO, Frans Rasmussen (ClassicO 2004)
→ Sorte d'oratorio au sujet païen. Romantisme dépouillé, assez réussi. Rørholm vraiment déclinante (un peu aigre). Elming splendide. Helsingborg alors un peu opaque.

♥♥♥ Bruch – Die Lorelei – Kaune, Mohr, Rootering ; Ch Ph de Prague, Radio de Munich, (CPO)
→ Véritable sens dramatique (finals schumanniens épatants), et splendide distribution, de ce qui se fait de mieux pour ce style dans cette génération.

♥ *Moniuszko – Halka – Chmura (Naxos 2021)
→ Versant sérieux du legs de Moniuszko (son autre œuvre la plus célèbre, Le Manoir hanté, étant un opéra comique dans le style d'Auber).
→ Livret hautement tragique, d'une fille trompée et abandonnée qui sombre au plus profond de l'outrage subi et du désespoir.
→ Meilleure distribution que celle (au sein de la même production) proposée sur Operavision, mieux captée aussi. Belle version au bout du compte, même l'orchestre paraît sensiblement plus avenant.

♥♥ Heise – Drot og marsk – DR TV 1988 (YT)
→ Splendide opéra romantique, plein de sublimes épanchements (sobres), dont j'ai déjà parlé lors de la récente parution de la version Schønwandt :
→ Superbe drame romantique, dans la veine de Kuhlau, remarquablement chanté et joué. Tout est fluide, vivant, inspiré, œuvre à découvrir absolument !  (il en existait déjà une version pas trop ancienne chez Chandos)
→ Ici, version de la (radio-)télévision danoise.

♥♥ Peter HEISE – Tornerose + Bergliot –  Helle Charlotte Pedersen, Michael Kristensen, Milling + Rørholm ; Helsingborg SO, Frans Rasmussen (Dacapo 2000)
→ Cantates dramatiques très réussies et nourrissantes, et très bien chantées (Milling majestueux, Rørholm très expressive).
→ Bissé.

♥ *Verdi – Otello – Stoyanova, Kunde, C. Álvarez ; Liceu, Dudamel (UER via France Musique, 2021)
→ Très belle version parfaitement chantée (la voix de Kunde a blanchi, mais le panache et l'assurance restent là !) et dirigée avec beaucoup de fluidité et d'insolence.

♥♥♥ *Wagner / Hugo Bouma – Parsifal, acte III – Marc Pantus (Amfortas, Gurnemanz), Marcel Reijans (Parsifal), Merlijn Runia (Kundry + synthétiseur + guitare électrique), Daan Boertien (piano), Dirk Luijmes (harmonium), direction Andrea Friggi (NPO Radio 4, 2021)
→ L'acte III de Parsifal, joué le Vendredi Saint, avec harmonium, piano, synthétiseur et guitare électrique. Parmi les chanteurs, le merveilleux et charismatique Marc Pantus.

♥♥♥ Wagner – Parsifal, acte III – Meier, Hofmann, Estes, Sotin ; Bauyreuth 1985, Levine (Philips)

♥♥♥ *Rimski-Korsakov – Les opéras – diverses versions historiques (réédition Hänssler 2021)
→ Des versions merveilleuses de l'Âge d'or, très bien restaurées, pour un panorama complet des opéras disponibles au disque…

♥♥ *Rimski – Pskovityanka – Pirogov, Shumilova, Nelepp, Pirogov ; Bolshoi, Sakharov (Profil)

♥ Saint-Saëns – Samson & Dalila – Ludiwg, King, Weikl ; Radio de Munich, Patanè (RCA)
→ Étonnament bien chanté et sobre, et ampleur des prises RCA avec le feu et les couleurs de Patanè !
→ King parvient à ouvrir ses voyelles à la française de façon très convaincante ; Ludwig, quoique trop couverte, conserve une ductilité et une distinction assez rares dans ce rôle.
→ Ce n'est pas très français, mais ce n'est pas du tout difforme, c'est vraiment très bien.

*Puccini – Tosca – Stockholm (vidéo Operavision 2021)
→ Sacristain allemand excellent, joli ténor suédois assez clair, doux et élégant, baryton polonais totalement cravaté, impossible.

♥♥♥ Debussy – Pelléas & Mélisande – Devieilhe, Andrieux, Alvaro ; Pelléas O, Benjamin Lévy (TCE 2018, captation pirate)

♥♥♥ *Debussy – Pelléas & Mélisande – Santoni, Todorovitch, Behr, Duhamel, Teitgen ; Les Siècles, Roth (Operavision 2021)
→ Lecture orchestrale assez inédite, même par rapport aux autres versions sur instruments anciens : que de grain, de couleurs, ces cordes très peu vibrées mais très intenses, qui offrent une tout autre vision du spectre orchestral !  Dirigé avec esprit de surcroît, Roh n'a pas son pareil pour se servir des parties intermédiaires d'ordinaire peu audibles, les faire évoluer et bâtir de véritables progressions.
→ Vocalement, superbe. Santoni s'adapte très bien à un répertoire moins héroïque qu'à son habitude, Behr (dont l'émission paraît souvent embarrassée) n'a jamais chanté avec autant de naturel, Duhamel trouve dans Golaud un terrain qui favorise davantage ses atouts d'artiste que ses limites de projection.
→ Une grande version, donc, qui paraîtra en CD et qui viendra la saison prochaine à Paris (Théâtre des Champs-Élysées) !

♥♥♥ NIELSEN: Saul and David – Gjevang, Lindroos, Augland, Danish NSO, N. Järvi (Chandos 1990)
→ Très belle veine épique, remarquablement chantée, voilà un opéra qui frémit, palpite, s'épanche, et dans une langue musicale riche mais calibrée pour le drame – on ne reconnaît les bizarreries de Nielsen qu'à quelques doublures de bois et tournures harmoniques, sans quoi le compositeur s'efface vraiment au profit du drame !
→ Splendidement chanté.

♥ *Nielsen – Maskarade – Schønwandt (Dacapo 2015, réédition 2021)
→ Belles voix graves, direction un peu lisse pour une œuvre qui n'est pas du tout du Nielsen d'avant-garde.

♥♥♥ *Schreker – Der ferne Klang – Holloway, Koziara ; Frankfurter Museumorchester, Weigle (Oehms 2021)
→ Couleurs orchestrales et virtuoses impressionnantes, les deux héros admirablement chantés ; Schreker a rarement été servi avec un tel éclat, pour son opéra le plus réussi après Die Gezeichneten !

♥ Bartók – Le Château de Barbe-Bleue (en français) – Gilly, Lovano, Ansermet (bande de 1950, Malibran)
→ Très étrange élocution, malgré le charisme de Lovano. La musique aussi, mal captée, perd beaucoup de ses couleurs, de son étrangeté, seuls les tutti sont véritablement impressionnants. (Et pour les glottophiles, le contre-ut est remplacé par un petit cri.)

♥ WILLIAM GRANT STILL: "Highway One, USA" (1963) (Albany 2005)
→ Histoire familiale afro-américaine, aux récitatifs très simples et aux jolis chœurs, pas de l'immense musique, mais un petit drame très opérant !  (J'en parlerai plus en détail.)

♥♥ Rybnikov – Juno & Avos (1979) – (vidéo Rostov 2009)
→ Très varié (chœurs contemporains, cordes lyriques, mélodrames, guitares électriques et batteries…), très réussi pour cette histoire d'amour simple et tragique entre un explorateur russe et une quasi-infante californienne, inspirée d'un grand poème de Voznesensky (puisant librement au journal de bord du personnage, réel).
→ Donné cette saison à Ioshkar-Ola.

♥♥ *Dashkevich – Revizor – Opéra d'Astrakhan (vidéo du théâtre de 2020)
→ Très conservateur et consonant, d'après l'histoire de Gogol où la population d'une petite ville de Russie croit reconnaître le contrôleur de l'Empereur dans un jeune homme exigeant arrivé à l'auberge, et le couvre de faveurs. Joli opéra très accessible, production reprise encore ces jours-ci à Astrakhan. (J'en parlerai bientôt plus en détail.)

♥♥♥ *Connesson – Les Bains macabres – Buendia, Hyon, Dayez, Buffière ; Frivolités Parisiennes, van Beek – Compiègne 2020 (diffusion France Musique 2021)
→ Toujours une merveille de naturel, sur un livret passionnant d'Olivier Bleys, et réussissant le rendu choral de l'armée de spectres… À la fois amusant, riche musicalement, très fluide, et plein de surprises. Chef-d'œuvre d'aujourd'hui, que j'espère voir tourner longtemps sur les scènes.



B. Récital

♥♥♥ *Certon, Janequin, Cambefort, Lully, Destouches, Vivaldi, Rameau, Gluck, Grétry, Cherubini, Rossini, Ginestet, Comte de Chambord, Madoulé, Debussy – extraits : « 500 ans de musiques à Chambord » – Karthäuser, Gens, Richardot, Gonzalez-Toro, Bou, Boutillier ; Vanessa Wagner, Parnasse Français, Doulce Mémoire, Les Talens Lyriques, Rousset (France 3)
→ Vaste répertoire (entrecoupé d'éléments historiques sur la présence de la musique à Chambord !), dont des raretés (Destouches) voire des inédits (Ginestet), avec une ardeur folle et des chanteurs de première classe…

♥♥♥ *Sainte-Hélène, La légende napoléonienne – Sabine Devieilhe ; Ghilardi, Bouin, Buffière,  Marzorati  ; Les Lunaisiens, Les Cuivres Romantiques, Laurent Madeuf, Patrick Wibart, Daniel Isoir (piano d'époque) (Muso 2021)
→ Chansons inspirées par la fièvre et la légende napoléoniennes, instrumentées avec variété et saveur.
→ Beaucoup de mélodies marquantes, de pastiches, d'héroï-comique (Le roi d'Yvetot bien sûr), et même  d'hagiographie à la pomme de terre… Le meilleur album des Lunaisiens jusqu'ici, aussi bien pour l'intérêt des œuvres que pour la qualité des réalisations vocales.

YT Gwyn Hughes Jones  Nessun Dorma 2008, Che Gelida Manina 1996
→ Tôt dans sa carrière, timbre très blanc et voix manifestement peu puissante : ne promet pas trop pour son Calaf la saison prochaine à Bastille…



C. Sacré

♥♥♥ *Castellanos, Durón, García de Zéspedes, Quiros, Torres – « Archivo de Guatemalá » tiré des archives de la cathédrale de la ville de Guatemalá – Pièces vocales sacrées ou instrumentales profanes – El Mundo, Ricahrd Savino (Naxos 2021)
→ Hymnes, chansons et chaconnes très prégnants. On y entend passer beaucoup de genres et d'influences, des airs populaires plaisants du milieu du XVIIe jusqu'aux premiers échos du style de l'opéra seria (ici utilisé dans des cantiques espagnols).
→ Quadrissé.

*Jacek Różycki: Hymns – Wrocław Baroque Ensemble (Accord 2021)
→ Zut, je croyais qu'il s'agissait de l'excellent postromantique décadent Ludomir, et j'avais hâte de découvrir ces motets a cappella… À la place, du joli baroque un peu standard, façon grands motets (alternance solistes vocaux et chœur), dans des harmonies post-monteverdiennes… petit choc déceptif évidemment.

♥♥♥ Charpentier – Méditations pour le Carême – García, Candela, Bazola ; Guignard, Galletier, Camboulas (Ambronay)
→ Avec Médée, le fameux Te Deum et le Magnificat H.76, on tient là la plus belle œuvre de Charpentier, inestimable ensemble de dix épisodes de la passion racontés en latin (et s'achevant au miroir du sacrifice d'Isaac, sans sa résolution heureuse !) par des chœurs tantôt homorythmiques tantôt contrapuntiques, et ponctués de récitatifs de personnages (diversement sympathiques) des Écritures. Merveille absolue de l'harmonie, de la prosodie et de la poésie sonore.
→ Ce que font Les Surprises est ici merveilleux, sens du texte et des textures hors du commun, d'une noirceur et d'une animation dramatique inhabituelles dans les autres versions de cette œuvre, et servi au plus suprême niveau de naturel chanté. Un des disques majeurs du patrimoine sacré français.

Charpentier – Méditations pour le Carême
version MIDI de CaRpentras →
Christie → splendeur (vrai travail verbal)
Jeune Chœur de l'Abbaye → choix intéressants (tempo ajustable !), beaux solos
Niquet →

♥♥ Purcell – Come Ye Sons of Arts Away + Funérailles + Hail Bright Cecilia – Gardiner (Erato)
→ Œuvres brillantes et poignantes (ces Funérailles, à la hauteur de leur réputation !), interprétées d'une façon qui a vieilli (beaucoup de cordes et de fondu tout de même, peu de nerf et et de couleur), mais qui conserve un pouvoir de conviction considérable !

♥ *Pavel Vranický – Symphonie en ut Couronnement, Symphonie en si bémol, Ouvertures « Orchestral Works, Vol. 1 » –  CzChbPO Pardubice, Marek Štilec (Naxos 2021)
→ Belles œuvres, mais pas les plus fulgurantes de P. Vranický (il y a vraiment des merveilles du niveau de Mozart…), dans une interprétation tradi réussie mais qui n'offre pas nécessairement le plein potentiel de vitalité de ces pages. Curieux de la suite de l'exploration, vu comme on a peu de ce corpus. En espérant des résurrections plus nombreuses et par des ensembles plus spécialistes.

♥♥ Kunzen – Alleluia de la Création, Symphonie en sol mineur, Ouverture sur un thème de Mozart –  Radio Danoise, Peter Marschik (Dacapo)
→ Très belle célébration que cet Alleluia, aux contours assez personnels.
→ Symphonie un peu plus banale, du Mozart en mineur (mais plutôt ses moments les moins électrisants), peut-être en raison de l'interprétation tradi qui manque un peu de relief.

Paisiello – Musiche per la settimana santa – Mi-Jung Won (Bongiovanni 2016)
→ Pas particulièrement poignantes pour leurs sujets, mais bien écrites et variées.

Paisiello – Requiem (Missa defunctorum) – Zedda (VM Italy 2001)
→ Chœur moyen (amateur assez bon ou pro pas bon ?), mais œuvre intéressante, assez distanciée, comme une véritable Messe, hors de sa clausule recueillie et pathétique.

♥ Paisiello – Messe en pastorale pour le premier consul – Prague SO, Chœur de la Radio Tchèque (Multimedia San Paolo 2008)
→ Superbes dialogues hautbois / clarinette et voix (Tectum Principium !). Et les ensembles de solistes magnifiques aussi. Tout cela navigue entre classicisme et jeune romantisme d'une pièce à l'autre, entre Mozart et le style Empire…

♥♥ Berlioz – Messe Solennelle – Donna Brown, Viala, Cachemaille, Monteverdi Choir, ORR, Gardiner (Philips 1994)
→ La folie pure de ce Resurrexit.

HALLÉN, A.: Missa solemnis (Forsström, Helsing, Olsson, Thimander, Erik Westberg Vocal Ensemble, Westberg)
→ Longue (65 minutes) et sobre (accompagnement d'orgue seul) messe, très consonante mais dotée d'une réelle personnalité, épousant réellement les caractères de la messe sans sacrifier la tendreté mélodique. Recommandé !

♥♥ Puccini  – Messa di Gloria – Carreras, Ambrosian Singers, New Philharmonia, Scimone
→ Version chouchoute !

Puccini  – Messa di Gloria – Alagna, LSO Ch, LSO, Pappano
→ Chœur vraiment lointain et flou, malgré la belle lancée (et trompette très très en avant du spectre).

Puccini  – Messa di Gloria – Gulbenkian O, Corboz
→ Chœur un peu épais et césuré.

♥♥ Diepenbrock – Missa in Die Festo, « Anniversary Edition, Vol. 8 » – Men of the Netherlands Radio Choir / Deniz Yilmaz / Leo van Doeselaar (Etcetera 2012)
→ Pour ténor, chœur masculin et orgue.
→ Splendide Agnus Dei final, avec intervention poignante et jubilatoire du ténor.

♥ *(Rudolf) Mengelberg – Magnificat – Annie Woud, Concertgebouworkest, Jochum (Philips, réédition Decca 2021)
→ Très bel alto ; composition un peu sérieuse par rapport au délicieux Salve Regina enregistré par (Willem) Mengelberg.
→ (couplé avec une réédition de la Création de Haydn par Jochum)

♥ Poulenc – Gloria, Litanies Stabat – Petibon, OP, P. Järvi (DGG)

♥ Poulenc – Gloria, Stabat – Battle, Tanglewood, Boston SO, Ozawa (DGG)

♥♥ Hendrik Andriessen (1892-1981) – De Veertien Stonden : voor strijkorkest, koor en declamatie (1941-1942) – Gerard Beemster
→ Un chemin de croix dépouillé et prégnant.



D. A cappella

♥♥♥ *Mendelssohn – Te Deum à 8, Hora Est, Ave Maria Op.23 n°2 – Kammerchor Stuttgart, Bernius (Hänssler)
→ Bernius réenregistre quelques Mendelssohn a cappella ou avec discret accompagnement d'orgue, très marqués par Bach… mais à un chanteur par partie !  Très impressionnante clarté polyphonique, et toujours les voix extraordinaires (droites, pures, nettes, mais pleinement timbrées et verbalement expressives) du Kammerchor Stuttgart.
→ Bissé

(Daniël) De Lange – Requiem – PB ChbCh, Uwe Gronostay
→ Requiem for mixed double choir, and double quartet of soloists, written in 1868, quand à Paris se passionne pour Palestrina et Sweelinck.
→ Dépouillement impressionnant, mais aussi chromatisme intense.

♥ *Escher – Concerto pour orchestre à cordes, Musique pour l'esprit en deuil, Tombeau de Ravel, Trio à cordes, Chants d'amour et d'éternité (pour chœur a cappella), Le vrai visage de la Paix, Ciel air et vents, Trois poèmes d'Auden – Concertgebouworkest, Chailly ; PBChbCh, Spanjaard (Brilliant 2020)
→ Vaste anthologie (essentiellement des rééditions, je suppose), avec quelques belles inspirations d'un postromantisme assez simple.

♥♥ *De Wert, Rihm – chœurs a cappella, dont 7 Passion-Texte : « In umbra mortis » – Cappella Amsterdam, Reuss (PentaTone 2021)
→ Quelle délicieuse idée que de tisser la polyphonie franco-flamande du XVIe siècle avec l'œuvre la plus rétro- du Rihm choral : entrelacement de techniques et d'esprits similaires, deux très grands corpus chantés avec la clarté immaculée qu'imprime volontier Reuss à ses chœurs.

♥ Caplet, Botor, Gouzes, Szernovicz, Dionis du Séjour, JM Vincent, Kedrov, du Jonchay Perruchot, anonymes…–  Chœurs liturgiques a cappella « Misericordias in Aeternum » – Chœur du Séminaire Français de Rome, Hervé Lamy (Warner 2016)
→ Ce n'est vraiment pas mal chanté (dans son genre de voix semi-naturelles). Essentiellement psalmodié, donc sans doute plutôt à destination d'un public catholique fervent, mais très beau, un peu la version francophone de la liturgie de saint Jean Chrysostome…
→ Peu de compositions ambitieuses en réalité, malgré le nom de Caplet glissé au milieu.

♥♥ *Zaļupe, Dzenitis, Vasks,  Ešenvalds, Milhailovska, Pūce, Marhilēvičs, Šmīdbergs, Einfelde, Ķirse, Aišpurs, Sauka Tiguls, Jančevskis – Chœurs a cappella «  Aeternum : Latvian Composers for the Centenary of Latvia » – State Choir Latvija, Māris Sirmais (SKANI 2021)
→ Superbe parcours parmi le fin du fin des compositeurs choraux lettons du second XXe siècle, en général des atmosphères plutôt planantes avec de jolies tensions harmoniques.
→ L'ensemble du disque est magnifique, en particulier Mihailovska et Aišpurs – juste un brin trop d'homogénéité sur la durée, peut-être.




E. Ballet

♥♥♥ *Adam – La Filleule des Fées (ballet complet) – Queensland SO, Andrew Mogrelia (Marco Polo 2001, réédition Naxos 2021)
→ Œuvre très généreuse et jouée avec beaucoup de style, beaucoup de matière musicale et de veine mélodique, sans la facilité de numéros uniquement conçus pour la cinétique, un des ballets les plus homogènes musicalement et les plus propres à être enregistrés – vraiment une œuvre à découvrir ! 

♥♥ FRANCK, C.: Psyché (version for choir and orchestra) / Le Chasseur maudit / Les Éolides (RCS Voices, Royal Scottish National Orchestra, Tingaud)

♥♥ *N. Tcherepnin:  Le pavillon d'Armide, Op. 29 – Moscow Symphony Orchestra; Henry Shek (Naxos 2021)
→ D'une générosité très tchaïkovskienne.

♥♥♥ TCHEREPNIN, N.: Narcisse et Echo [Ballet] / La princesse lointaine (Ein Vokalensemble, Bamberg Symphony, Borowicz) (CPO 2020)
→ Bissé.



F. Symphonique

♥♥♥ *Kurpiński, Dobrzyński & Moniuszko – Élégie, Symphonie n°2, Bajka – Wrocław Baroque O, Jarosław Thiel (NFM)
→ Jeune romantisme fougueux de haute qualité, interprété sur instruments d'époque, avec un feu exemplaire… Jubilatoire de bout en bout !
→ (Quadrissé.)

♥♥ *Beethoven – Symphonie n°3 – Les Siècles, Roth (HM 2021) ♥ Méhul ouverture Les Amazones
→ Comme pour la Cinquième, spectre sonore très vertical, on y entend véritablement un orchestre français postgluckiste, avec ses grands accords dramatiques – et des timbres particulièrement saillants et savoureux, quoique la prise de son soit un peu froide.
→ Cette approche se réalise inévitablement un peu au détriment de l'architecture, à mon sens, mais d'une part Roth souligne remarquablement la thématique, d'autre part son soin des parties intermédiaires (dont les nuances dynamiques évoluent sans cesse !) est tel que tout palpite et passionne en permanence.
→ De surcroît, la gradation d'intensité est très pensée et construite, si bien que la récapitulation et la coda du premier mouvement atteignent un degré de tension inédit par rapport à l'ensemble des développements antérieurs.
→ Travail très important sur les détachés, qui conservent l'esprit de danse de la contredanse variée finale, quitte à casser le flux enveloppant de cordes et à fragmenter le spectre.
→ Les Amazones sont marquantes, jouées avec une crudité et une stridence qui impressionnent (acoustique très différente de la symphonie, on entend que ça n'a pas été enregistré au même endroit !).

♥♥ *Beethoven – Symphonie n°7 – MusicAeterna, Currentzis (Sony 2021)
→ Lecture très linéaire et vive : elle exalte, comme leur Cinquième, davantage la poussée cinétique que la structure générale.
→ Le résultat est très convaincant, plein de vivacité, mais ressemble tout à fait à la norme actuelle des interprétations vives et sèches des ensembles sur instruments anciens, sans personnalité supplémentaire particulièrement visible.
→ On retrouve en outre les manques de couleur du côté des bois, très effacés la plupart du temps – alors que d'autres versions « post-baroqueux », sans disposer de moins d'énergie, parviennent aussi à exalter structure et couleurs.
→ Petite réserve aussi dans la construction de l'Allegretto: le climax est réussi mais se trouve parasité par l'exagération des figures d'accompagnement (assez mécaniques de surcroît) qui, au lieu d'agiter le thème, semblent prendre sa place : soudain l'on entend les « coutures » au lieu du propos, c'est un peu étrange à ce degré.
→ À l'inverse, les effets de crescendo-zoom sur les sforzando du final sont plutôt réussis, de même que les volutes d'alto forcenées avant la reprise finale du thème sur secondes mineures de contrebasses.
→ Au demeurant, version énergique, élancée, réjouissante, je ne me suis pas ennuyé un seul instant !  (La réserve provient surtout de la discordance entre le niveau de la prétention du chef / de l'objet d'une part, celui du résultat d'autre part : car on n'y trouvera rien de subversif / neuf / définitif, juste une remarquable version dans l'immensité d'autres.)
→ Du coup vous pouvez plutôt choisir une version plus contrastée, avec des couleurs en sus, ou simplement avec couplage d'une seconde symphonie…

♥♥ Beethoven – Symphonie n°7 – SwChbO, Dausgaard (Simax)
& Egmond ouv & msq de sc très réussi !

♥♥ Beethoven – Symphonie n°7 – ORR, Gardiner (Archiv)

♥♥♥ Romberg, B.H.: Symphonie n°3 (Kolner Akademie, Willens) (Ars Produktion 2007) → Symphonies contemporaines de Beethoven (1811, 1813, 1830), qui en partagent les qualités motoriques et quelques principes d'orchestration (ballet des violoncelles, traitement thématique et en bloc de la petite harmonie, sonneries de cor qui excèdent Gluck et renvoient plutôt à la 7e…).  → Je n'avais encore jamais entendu de symphonies de l'époque de Beethoven qui puissent lui être comparées, dans le style (et bien sûr dans l'aboutissement). En voici – en particulier la Troisième, suffocante de beethovenisme du meilleur aloi !
→ Bissé.
→ (Voir la notule correspondante dans la série « Une décennie, un disque ».)

♥♥ GOUVY, L.T.: Symphonies Nos. 1 and 2 – German Radio Saarbrücken-Kaiserslautern Philharmonic Orchestra, Mercier (CPO)
→ Même genre, très réussi, toujours animé (on entend bien le contemporain de Schubert et Verdi).
→ Bissé.

♥♥ Gouvy – Symphonie n°2, Paraphrases Symphoniques, Fantaisie Symphonique – Württembergische Philharmonie Reutlingen, Thomas Kalb (Sterling 2014)
→ Bissé.

♥♥ GOUVY, L.T.: Symphonies Nos. 3 & 5 – German Radio Saarbrücken-Kaiserslautern Philharmonic Orchestra, Mercier (CPO)
→ Bissé.

♥♥ GOUVY, L.T.: Symphony No. 4 / Symphonie brève / Fantaisie Symphonique (German Radio Saarbrücken-Kaiserslautern Philharmonic, Mercier) (CPO 2013)
→ Romantisme remarquablement domestiqué, Onslow en mieux.
→ Bissé.

♥♥♥ Gade – Symphonies 1 & 5 (vol.4) – Danish NSO, Hogwood (Chandos 2002)
→ Très belle lecture nerveuse de ces bijoux de sobre romantisme élancé !

♥♥ Gade – Symphonies 7 & 4 (vol.2) + Ouv. Op.3 – Danish NSO, Hogwood (Chandos 2002)
→ Très belle lecture nerveuse de ces bijoux de sobre romantisme élancé !

♥♥♥ Gade – Symphonies 2 & 8 (vol.1) + Allegretto + In the Highlands – Danish NSO, Hogwood (Chandos 2002)
→ Très belle lecture nerveuse de ces bijoux de sobre romantisme élancé !

♥♥♥ Gade – Symphonies 3 & 6 (vol.3) + Echos d'Ossian – Danish NSO, Hogwood (Chandos 2002)
→ Très belle lecture nerveuse de ces bijoux de sobre romantisme élancé !
→ Bissé.

Gade – Symphonie n°1,8 – Stockholm Sinfonietta, Neeme Järvi (BIS)

♥♥♥ Bruch – Symphonie 1 (vo) – Bamberger Symphoniker, Trevino (CPO 2020)

♥♥ Richard Hol (1825-1904) ; Symphony No. 1 in C minor (1863)
Den Haag Residentie Orkest ; Matthias Bamert
→ Contrasté et farouche, du très beau second romantisme !

Richard Hol (1825-1904) ; Symphony No. 4 in A minor (1889)
Den Haag Residentie Orkest ; Matthias Bamert
→ Plaisant, sombre sans être très tendu, pas excessivement marquant en première écoute.

♥ *Brahms – Symphonie n°2, Ouverture Académique – Gewandausorchester Leipzig, Blomstedt (PentaTone 2021)
→ Comme pour la Première, interprétation très apaisée, lente et creusée, de ces symphonies. Ceci fonctionne moins bien, à mon sens, pour cette Deuxième, dont les difficultés intrinsèques ne sont pas vaincues en secondant ses aspects les plus tranquilles – et l'on perd en éclat jubilatoire du côté du final.

BRUCKNER, A.: Symphony No. 4 in E-Flat Major, WAB 104, "Romantic" (1888 version, ed. B. Korstvedt)  (Minnesota Orchestra, Vanska)     (BIS)

♥ Bruckner 6 BayRSO Eichhorn

Bruckner 7 BayRSO Eichhorn

♥♥ Tchaïkovski  – Suites n°1, n°4 – Tchaikovsky NO, Fedoseyev (Blue Pie 2014)
https://www.deezer.com/fr/album/557141

Tchaikovsky:  Suite No. 2 in C Major – Białystok Symphony Orchestra, Marcin Nałęcz-Niesiołowski (DUX 1999)
→ Audiblement slave, mais sans la souplesse et le moelleux des ensembles russes.

♥♥♥ *Tchaïkovski  – Symphonies n°2,4  – Tonhalle Zürich, Paavo Järvi (Alpha 2021)
→ La Cinquième par les mêmes ne m'avait pas du tout autant ébloui qu'en salle (avec l'Orchestre de Paris) – un peu tranquillement germanique, en résumé. Hé bien, ici, c'est étourdissant. D'une précision de trait, d'une énergie démentielles ! 
→ On entend un petit côté « baroqueux » issu de ses Beethoven, avec la netteté des cordes et l'éclat des explosions, mais on retrouve toute la qualité de construction, en particulier dans les transitions (la grande marche harmonique du final du 2, suffocante, qui semble soulever tout l'orchestre en apesanteur !), et au surplus une énergie, une urgence absolument phénoménales.
→ Gigantesque disque. Ce qu'on peut faire de mieux, à mon sens, dans une optique germanique – mais qui ne néglige pas la puissance de la thématique folklorique, au demeurant.
→ (bissé la n°2)

Dvořák:  Holoubek (The Wild Dove), Op. 110
Netherlands Philharmonic Orchestra; Kreizberg, Yakov
(PentaTone)
→ Pas particulièrement passionné, malgré l'article qu'on m'en fit. Belle œuvre rhapsodique un peu discrète. (Tapiola version Dvořák ?)

*Saint-Saëns: Symphony No. 1 in E-Flat Major + Symphonie en la
Liège Royal Philharmonic; Kantorow, Jean-Jacques (BIS)
→ Petite déception : malgré la qualité habituelle de ces artistes, pas extraordinairement distinctif – le potentiel de ces symphonies, réel mais difficile à mettre en valeur, n'est pas véritablement révélé.
https://www.francemusique.fr/emissions/le-concert-de-20h/stravinsky-concerto-pour-piano-et-vents-bertrand-chamayou-et-l-orchestre-national-de-france-95316

♥ *Saint-Saëns – Symphonies – Malmö SO, Soustrot (Naxos, réédition 2021)
→ Parmi le choix discographique, le meilleur possible, mais les œuvres demeurent un peu lisses dans cette lecture… ces symphonies attendent encore d'être pleinement révélées, elles sont, malgré les doublures schumanniennes qui les rendent peu avenantes au disque, un potentiel considérable.
→ Autre avantage de Soustrot : inclut la symphonie non numérotée en la, et celle sous-titrée « Urbs Roma » !

♥♥♥ Kalinnikov – Symphonie n°1 – Ukraine NSO, Kuchar (Naxos)
→ Quel emploi extraordinaire du folklore ukrainien, dans une forme évolutive et tendue de bout en bout malgré ses tendances rhapsodiques !
→ Bissé.

Rimsky-Korsakov:  Fantasia on Serbian Themes, Op. 6 (second version, 1887)
Rimsky-Korsakov:  Symphony No. 3 in C Major, Op. 32 (second version, 1886) – Malaysian PO, Bakels (BIS)
→ Pas ébouriffant côté œuvres, et interprétation aussi peu slave que possible, bien tranquille et posée.

Rimski-Korsakov – Suite tirée de Kitège – Russian NO, Pletnev (PentaTone)

♥ Paine – Symphonie n°2

♥♥♥ Liadov, poèmes symphoniques / N. Tchérépnine, La Princesse lointaine + Prélude du Palais enchanté / Rimski, Suite du Coq d'or – Russian NO, Pletnev (DGG 1996)
→ Liadov déjà bien riche, mais Tchérépnine, rencontre entre Rimski, Ravel et Stravinski !  (Et Rimski a aussi des aspects de l'Oiseau de feu ici…)
→ Très belle interprétation très engagée, plus typée que ce qu'est devenu cet orchestre !

♥ N. Tcherepnin – Le Royaume enchanté – Saint Petersburg Academic Symphony Orchestra, Victor Fedotov

Tcherepnin, N.: Tati-Tati / Janssen, W.: Symphonic Paraphrases On Chopsticks (Columbia Symphony, Janssen) par Werner Janssen (1951, publié par Naxos)
→ Gentilles pièces décoratives, jouées un peu en déchiffrage de façon pas très idiomatiques.

Tcherepnin: Le Pavillon d'Armide, Op. 29 - Enchanted Kingdom, Op.39 - Rimsky-Korsakov: The Golden Cockerel – Saint Petersburg Academic Symphony Orchestra, Victor Fedotov
→ Belle version idiomatique, qui n'exalte pas nécessairement les raffinements de l'œuvre (mais plutôt ses mélodies).

♥♥ N. Tcherepnine Palais Enchanté – Russian NO, Pletnev

♥ Pierné – Suites de Ramuntcho – Philharmonique de Lorraine, Houtman (BIS 1988)
→ Très plaisant.
& Concerto pour piano (avec son joli thème de final « la chenille qui redémarre »)

*Mahler – Symphonie n°9 – Berliner Philharmoniker, Haitink (Berliner Philharmoniker 2021)
→ Lecture un peu séquentielle, son très vibré, de l'adagio final, où j'aime davantage de poussée organique et moins d'apprêt de son. (Mais je ne suis pas un grand amateur de Haitink pour cette raison…) Les basses manquent vraiment de poids dans la progression chromatique pour me saisir tout à fait (prise comme ouatée, de quand est la prise ?  je n'ai pas accès à la notice), et elles ne parviennent pas à imprimer de couleur nouvelle face à ce mur de cordes très vibrées…
→ Joli élan (éphémère) du climax.

Mahler 9 – Düsseldorf, Ádám Fischer
    → Très beau et fluide mais peu de mystère.
& Boston SO, Ozawa
    → Cordes un peu épaisses…
& Solti Chicago
    → Aucun mystère, très rentre-dedans d'emblée.
& Masur NYP
    → Son d'orch un peu brillant, brise de son en zoom peu agréable
& Barshai / Moscou SO
    → Fin et souple, beaucoup d'atmosphère, superbe prise de son.

Suk – Fantastické scherzo, Op. 25 (arr. G. Sebesky for wind ensemble) (excerpt) Douglas Anderson School of the Arts Wind Symphony; Shistle, Ted (Mark Records)

♥ SUK, J.: Fantastické scherzo (Prague Philharmonia, Hrůša) (Supraphon)

♥♥♥ Suk – Zrani  – Komische Oper, K. Petrenko (CPO 2008)
→ Quels déferlements de vagues décadentes, tellement ardent et tourmenté, une merveille absolue très inattendue décidément (et cette version en exalte la tension et la modernité). Le V (« Résolution ») est une merveille d'une densité à peine soutenable.

♥♥ Johan Wagenaar - Sinfonietta : for orchestra in C Major, Op. 32 (1917) Radio Symphony Orchestra ; Conductor: Eri Klas
→ Commence comme du postromantisme assez naïf, et soudain cet adagio, c'est plus le Ruhevoll ou l'Adagietto de Mahler que du Brahms !

♥♥♥ Zweers, (Daniël) De Lange – Symphonies n°1 –  (Sterling)
→ Beaucoup plus naïf et romantique-lumineux que les deux symphonies suivantes de Zweers.
→ De Lange est vraiment étonnant, avec des couleurs qui évoquent le début d'Antikrist de Langgaard, tout en restant parfaitement tenu dans du romantisme qui évoque plutôt les héritiers de Schubert que le XXe siècle !  Très belle symphonie, au demeurant !

♥♥ Zweers – Symphony No. 2, Suite from the Incidental Music for Vondel's "Gijsbrecht van Aamstel" ; Ouv Saskia – Radio Filharmonisch Orkest Holland / Netherlands Radio Symphony Orchestra, Hans Vonk (Sterling)
→ Beau postromantisme simple mais frémissant.
→ Marche harmonique du duo d'amour de Vertigo présente dans le premier mouvement de la Suite de Vondel !
→ Bissé.

♥♥ Sibelius: Symphony No. 2 – BBC Philharmonic Orchestra; Storgårds (Chandos)

♥ Sibelius: Symphony No. 3, Yevgeny Mravinsky/Leningrad P.O. 1965
→ Assez rude, comme une symphonie soviétique de guerre…

Sibelius – Symphonie n°5 – Islande SO, Sakari (Naxos)
→ Prise de son hélas un peu lointaine blanchissante pour cette belle version, pas très urgente mais fort bien construite. (C'est surtout la Septième qu'il faut absolument découvrir dans cette intégrale !)

Sibelius – Symphonie n°5 – SWR Fribourg & Baden-Baden, Rosbaud (SWR Klassik)
→ Lecture très germanique, un peu carrée, qui manque à mon sens un peu de flou et de plans – le final manque même l'effet de l'appel de cors, rejeté au loin… Méritoire de jouer du Sibelius en ce temps et en ces contrées, mais pas du grand Rosbaud, je le crains.

♥ *Sibelius – Symphonies & œuvres orchestrales – Hallé O, Barbirolli (Warner, réédition 2021)
D'après mes souvenirs :
→ Orchestre clairement peu familier de ce type d'écriture, à une époque où le niveau instrumental n'était pas du tout comparable à ce qu'est l'essentiel de la discographie… mais Barbirolli y fait des propositions qui, musicalement, peuvent être passionnantes et très fines (n°3 par exemple). À découvrir pour ouvrir des horizons, à défaut du produit fini.

*Sibelius – Hallé Orchestra; Barbirolli, John (Warner réédition 2021)
En réécoutant :
→ Lent, son assez sale, pas convaincu non plus par la construction.

♥♥ Sibelius: Symphony No. 7 - Royal PO, Beecham (Angel / EMI / Warner)
→ Beaucoup de finesse et de saveur dans la gestion des épisodes.

♥♥ Sibelius: Symphony No.7, Yevgeny Mravinsky  Leningrad P.O. 1977 à Tokyo
→ D'une netteté d'articulation, d'une puissance de construction absolument admirables. Beaucoup plus stable et lisible que le Sibelius vaporeux habituel – c'est écrit ainsi, il faut dire ! 

♥♥♥ Sibelius: Symphony No.7, Yevgeny Mravinsky  Leningrad P.O. concert de 1965 à Leningrad
→ Même conception, mais capté de façon bien plus proche et détaillée, encore meilleur !

*Richard Strauss: Eine Alpensinfonie, Op. 64 / Tod und Verklärung, Op. 24 // par Vasily Petrenko, Oslo Philharmonic Orchestra (Lawo 2020)
→ Pas ébloui : très bien, mais il existe beaucoup mieux capté, beaucoup plus urgent ou coloré, etc.

♥♥♥ R. Strauss – Eine Alpensinfonie – São Paulo SO, Shipway (BIS)
→ Hallucinante image sonore d'une ampleur et d'un détail qui étreignent immédiatement. On entend énormément de contrechants, et quelle tension permanente !  Gigantesque, et tellement approprié ici, quel livre d'images !
→ bissé le début
♥ Fantaisie Symphonique sur Die Frau ohne Schatten

♥♥ R. Strauss – Eine Alpensinfonie – SWR BB & F, Roth (PentaTone)
→ On entend remarquablement les détails, en particulier les lignes de bois dans les tutti et de harpe, rarement audibles. Image assez frontale au demeurant, mais l'énergie et le détail l'emportent !
→ Bien plus impressionné qu'en première écoute il y a quelques années.

Scriabine  Symphonie n°1  Oslo PO, V. Petrenko
→ Encore ces splendides couleurs acidulées, mais l'œuvre paraît hésiter entre beaucoup de chemins sans jamais se décider.

♥♥♥ Hausegger – Natursymphonie – WDR, Rasilainen (CPO)

♥♥ Hausegger – Barbarossa & Hymnen an die Nacht – Begemann, Norrköping SO, Hermus (CPO)
→ Barbarossa toujours pas fabuleux, hymnes très beaux, Begemann splendide.

♥♥♥ Hausegger – Ausklänge, Dionysische Fantasie, Wieland der Schmidt – Bamberg SO, Hermus (CPO)

♥♥ Diepenbrock – Die Vögel, Suite Marsyas, Hymne violon-orchestre, Electra, Die Nacht (Linda Finnie), Wenige wissen (Homberger), Im grossen Schweigen (Holl) – Den Haag RO, Vonk (Chandos 2002)
→ Les lieder orchestraux sont tellement plus intéressants que ses poèmes symphoniques (un peu lisses) !

*Braunfels – Don Gil (Prélude), Divertimento, Ariels Gesang, Sérénade en mib – ÖRF, Bühl (Capriccio 2021)
→ Postromantisme plutôt standard, pas très marquant. Pas du tout le grand Braunfels de la Messe ou le plaisantin subversif des Oiseaux…
→ Plaisante Sérénade toutefois.

♥♥♥ Dopper – Symphonie n°2 – La Haye RO, Bamert (Chandos)
→ Enthousiasmante suite d'airs populaires très exaltants. Répétitions un peu simple des thèmes, mais des fugatos réguliers pour pimenter et le tout est très entraînant… ce serait parfait pour une première écoute en salle !
→ Interprétation vive et généreuse, une surprise venant de Bamert qu'on a connu plus mesuré !

Dopper – Symphonie n°3 « Rembrandt », Symphonie n°6 « Amsterdam » – La Haye RO, Bamert (Chandos)
→ Sympa, mais ni grande forme ni grands thèmes.

♥♥ Dopper:  Ciaconna gotica
R. Mengelberg:  Salve Regina
H. Andriessen:  Magna res est amor 
Röntgen:  Altniederlandische Tanze, Op. 46
    & Franck:  Psyche, M. 47, Part III: Psyche et Eros
Jo Vincent, Concertgebouworkest, Mengelberg (réédition Jube Classic 2014)

♥♥♥ Matthijs Vermeulen (1888-1967) ; Symphony No. 1 'Symphonia carminum' (1914) ;  Rotterdam, Roelof van Driesten
→ Grand postromantisme très coloré et boisé, lumineux et intense. Grande profusion de plans, de grains, langage foisonnant dans être oppressant, une très grande réussite.
→ Trissée.

♥♥ *Walton – Symphonie n°1 – LSO, Previn (RCA, réédition 2021)
→ Grande version de cette symphonie grisante, où se retrouvent les qualités habituelles de Previn à son meilleur : fluidité, beauté mélodique, naturel, élan.
→ (Mes références personnelles restent cependant plutôt Ed. Gardner, Bychkov et C. Davis.)

♥♥♥ Walton – Symphonie n°1 – LSO, C. Davis (2006)
→ Plutôt que la pure motricité (impressionnante !) de cette pièce, Davis y exalte la couleur, et le climat. On y gagne formidablement sur tous les plans !  (quels solos de hautbois, de cor anglais…)  On suit ainsi bien mieux la logique interne de l'œuvre.

♥♥ Cecil Coles – Fra Giacomo, 4 Verlaine, From the Scottish Highlands, Behind the lines – Sarah Fox, Paul Whelan, BBC Scottish O (Hyperion)
→ Belle générosité (Highlands à l'élan lyrico-rythmique réjouissant, qui doit pas mal à Mendelssohn), remarquable éloquence verbale aussi dans les pièces vocales. Bijoux.
→ Bissé.

♥♥♥ Graener – vol. 1 : Comedietta, Variations sur thème populaire russe, Musik am Abend, Sinfonia breve – Hanovre RPO, W.A. Albert

♥♥♥ Graener – vol. 2 : Symphonie, Aus dem Reiche des Pan, Variations sur Prinz Eugen – Hanovre RPO, W.A. Albert
→ Trissé.

♥♥ Pejačević –: Symphony in F-Sharp Minor, Op. 41 / Phantasie concertante (Banfield, Rheinland-Pfalz State Philharmonic, Rasilainen)
→ Symphonie expansive et persuasive, riche !  Pas du tout une musique galante.

(Jan) Koetsier – Symphonie n°2 (avec voix) – Concertgebouworkest
→ Sorte de louange entre Mahler 8, Martinů 4, les concertos de Poulenc et le Te Deum de Bruckner.

Voormolen – Arethuza – Concertgebouworkest (série anniversaire de l'orchestre)

Voormolen – Sinfonia – Concertgebouworkest, Mengelberg

Voormolen – Eline – La Haye, Bamert (Chandos)

Hendrik Andriessen (1892-1981) – Ballet-suite : voor orkest (1947) – Netherlands SO (Enschede), Porcelijn

(Hendrik) Andriessen – vol. 2 – PBSO (Enschede), Porcelijn (CPO)

♥♥ *Escher – Concerto pour orchestre à cordes, Musique pour l'esprit en deuil, Tombeau de Ravel, Trio à cordes, Chants d'amour et d'éternité (pour chœur a cappella), Le vrai visage de la Paix, Ciel air et vents, Trois poèmes d'Auden – Concertgebouworkest, Chailly ; PBChbCh, Spanjaard (Brilliant 2020)
→ Vaste anthologie (essentiellement des rééditions, je suppose), avec quelques belles inspirations d'un postromantisme assez simple.

♥♥♥ Myaskovsky: Symphony No. 6 in E-Flat Major – Göteborg SO, Neeme Järvi (DGG)
→ Très belle symphonie, jouée avec la générosité de N. Järvi, toujours à son meilleur avec Göteborg et dans le répertoire russe et soviétique… Il y réussit le ton épique avec une réelle élégance dans la grandeur. Le final qui développe de façon conjointe les thèmes de la Carmagnole et Ça ira est particulièrement jubilatoire !
→ Final dans sa version avec chœur (trissé).

Myaskovsky: Symphony No. 6 in E-Flat Major – Orchestre Académique d'État de l'URSS, Svetlanov (Melodiya)
→ Hélas, ici les cuivres masquent terriblement le spectre sonore, on y perd toute la beauté des trames secondaires, et le final se change en chanson paillarde assez univoque.

Myaskovsky: Symphony No. 6 in E-Flat Major – Slovaquie RSO, Stankovsky (Marco Polo)
→ Orchestre souvent employé en cacheton, dont on sent le déchiffrage (le tempo prudent, la fébrilité de ces aigus qui sortent trop fort à la flûte), mais le tout est réalisé avec honnêteté et entrain. À choisir, j'y entends mieux les détails que chez Svetlanov.

Myaskovsky: Symphonies 1 & 13 – Orchestre des Jeunes de l'Oural (Naxos)
→ Bien écrites, décemment exécutées, mais rien ne m'a saisi ici. Du postromantisme modernisé qui apparaît, a moins dans cette interprétation, beacoup plus interchangeable.

♥♥♥ *Miaskovski (Myakovsky), Symphonie n°21 // Prokofiev,  Symphone n°5 – Oslo PO, Vasily Petrenko (LAWO novembre 2020)
→ Symphonie de Miaskovski à mouvement unique, flux continu très naturel d'influences très diverses, moments étales mais aussi ultralyrisme post-tchaÏkovskien (presque du R. Strauss russisé), cors pelléassiens, ineffable clarinette façon Quintette de Brahms, qui plane soudaine seule…
→ Je n'avais jamais remarqué ainsi les parentés de la Cinquième de Prokofiev avec la Symphonie de Franck (et un peu le Poème de l'Extase, ce qui est mieux documenté), frappant au milieu du premier  mouvement !  La thématique cyclique est marquante également.
→ Impressionnant son de corde au vibrato irrégulier, terriblement soviétique !  De même pour les vents qui sifflent et les cuivres d'une acidité qui outrepasse la tradition nordique… on croirait entendre une bande moscovite des années soixante. Quel pouvoir sur le son ! 
→ Bissé Miaskovski.

♥♥ MYASKOVSKY, N.: Symphony-Ballad No. 23 / Symphony No. 23 (1941-1945: Wartime Music, Vol. 1) (St. Petersburg State Academic Symphony, Titov) (Northern Flowers 2009)
→ Très accessible Symphonie-Ballade, et beau folklore convoqué dans la Symphonie n°23, d'un style assez rétro-, plutôt Glazounov (en bien plus saillant) que soviétisant ! 

Miaskovski (Myaskovsky), Symphonies n°24 & 25 – Moscou PO, Yablonsky (Naxos)
→ La 24 légèrement sombre, la 25 au contraire marquée par des chorals de folklore !
→ Lecture assez vivante, mais la prise de son relègue le détail un peu loin (Naxos d'il y a un certain temps), cordes et bois pas toujours justes (!), on peut magnifier mieux ces partitions.

MYASKOVSKY, N.Y.: Symphonies Nos. 15 and 26 / Overture in G Major (Kondrashin, Nikolayev, Svetlanov)
→ Final de la 26 d'une simplicité sautillante et sans arrière-plan désespéré, absolument ravissant !

♥♥♥ *Miaskovski (Myaskovsky), Symphonie n°27 // Prokofiev, Symphonie n°6 – Oslo PO, V. Petrenko (LAWO 2021)
→ Saveur très postromantique (et des gammes typiquement russes, presque un folklore romantisé), au sein d'un langage qui trouve aussi ses couleurs propres, une rare symphonie soviétique au ton aussi « positif », et qui se pare des couleurs transparentes, acidulées et très chaleureuses du Philharmonique d'Oslo (de sa virtuosité aussi)… je n'en avais pas du tout conservé cette image avec l'enregistrement de Svetlanov, beaucoup plus flou dans la mise en place et les intentions…
→ Frappé par la sobriété d'écriture, qui parle si directement en mêlant les recettes du passé et une forme d'expression très naturelle qui semble d'aujourd'hui. L'adagio central est une merveille de construction, comme une gigantesque progression mahlérienne, mais avec les thématiques et couleurs russes, culminant dans un ineffable lyrisme complexe.
→ Bissé Miaskovski.

Miaskovski (Myaskovsky), Symphonie n°27 – Moscou StSO, Polyansky (Chandos)
→ Belle lecture, mais les détails sont bien moins audibles, les cordes gagnent, pas du tout la finesse de diamant et l'intensité de V.Petrenko-Oslo !   L'adagio paraît même ici un brin sirupeux / filmique / complaisant, alors que les harmonies et les figures complexes de bois sont audiblement riches.

♥ *(Marcel) Poot – Symphonies 1,2,3,4,5,6,7 – Anvers PO, Léonce Gras + Belgian RT NPO, Hans Rotman + Moscou PO, Frédérice Devreese + Belgian NRSO, Franz André (Naxos, réédition en coffret en 2021)
→ (Mis en couleur, mais il est en réalité flamand, précisons.)
→ Joli corpus, la 1 d'un postromantisme aux brusques simplicités néoclassiques, la 4 très marquée par l'orchestration et l'esprit de Chostakovitch, la 7 d'une bigarrure tourmentée assez persuasive…
→ Bissé la 7.

♥ *Skalkottas – 36 Dances grecques, The Sea Suite, Suite Symphonique n°1 – Athènes StO, Stefanos Tsialis (Naxos 2021)
→ Danses polytonales étonnantes, Suite néoclassique, Mer figurative et généreuse, mais tout en pudeur, sans chercher l'emphase, très réussie.
→ (Privilégiez cependant le précédent volume Skalkottas, plus essentiel.)

♥ *Takemitsu – Requiem pour cordes, Far Calls, How Slow the Wind, A Way a Lone II, Nostalghia in Mémory of Andrei Takovskij… – Suwanai, NHK, P. Järvi (RCA 2020)
→ Une bonne version (pas très colorée : pas le point fort de Järvi, ni surtout de cet orchestre, ni de ces œuvres précises de Takemitsu) d'œuvres pas parmi les plus chatoyantes ni passionnantes de Takemitsu (œuvres pour cordes essentiellement), à part How Slow the Wind (qui n'est pas son meilleur, mais contient les jolies échelles modèles de Tree Line ou Rain Coming).

♥ *Gerald BARRY – The Eternal Recurrence – Britten Sinfonia, Thomas Adès (Simax 2021)
→ Couplé avec les 7,8,9 de Beethoven que je n'ai pas essayées (les autres volumes étaient très bien, mais la concurrence est telle que…). En revanche le couplage avec des œuvres de Barry tout au long du cycle est vivifiant !
→ On retrouve le goût de Barry pour ces accords tonals utilisés sans réelle fonction, en forme de gros blocs un peu errants tandis que la ligne vocale de la soprano semble traditionnelle, presque sucrée. Très plaisant. (Je n'avais pas le texte pour suivre, je ne peux pas dire pour l'instant si c'était simplement joli ou vraiment saisissant.)

Dalbavie – Concertate il suono – OPRF (Densité-21 RF 2007)

♥ Dalbavie – Ciaccona – OP, Eschenbach (Naïve)

♥ *Dalbavie – La source d'un regard  – Seattle SO, Morlot (Seattle SO Media 2019)
→ Très belle évolution progressive d'étagements sonores.



G. Lied orchestral

♥♥ Hausegger – Barbarossa & Hymnen an die Nacht – Begemann, Norrköping SO, Hermus (CPO)
→ Barbarossa toujours pas fabuleux, hymnes très beaux, Begemann splendide.

♥♥♥ Diepenbrock – « Anniversary Edition, Vol. 2 » (Etcetera 2012)
Die Nacht – Janet Baker / Royal Concertgebouw Orchestra
Hymne an die Nacht 'Gehoben ist der Stein' – Arleen Augér / Royal Concertgebouw Orchestra
Hymne an die Nacht 'Muss immer der Morgen' – Linda Finnie / The Hague Philharmonic
Im grossen Schweigen – Robert Holl / The Hague Philharmonic
→ Splendides pièces généreuses, variées, lyriques, tourmentées, persuasives. Du décadentisme encore très romantique, petites merveilles.
→ Trissé.

♥♥♥ Diepenbrock – Reyzangen uit Gysbrecht van Aemstel (extraits) + Hymne aan Rembrandt + Te Deum + Missa in die festo – Westbroek (Etcetera 2013)

♥♥ Diepenbrock – Reyzangen uit Gysbrecht van Aemstel (intégral) + Hymne aan Rembrandt – Westbroek (Composers Voice 2005)
→ Première écoute du Aemstel intégral.
→ Bissé.

Diepenbrock – Die Vögel, Suite Marsyas, Hymne violon-orchestre, Electra, Die Nacht (Linda Finnie), Wenige wissen (Homberger), Im grossen Schweigen (Holl) – Den Haag RO, Vonk (Chandos 2002)
→ Les lieder orchestraux sont tellement plus intéressants que ses poèmes symphoniques (un peu lisses) !

DIEPENBROCK, A.: Orchestral Songs (Begemann, St. Gallen Symphony, Tausk) (CPO 2014)
→ Moins séduit, à la réécoute (et malgré le charisme de Begemann), par rapport aux autres lieder enregistrés par Chandos avec Finnie, Homberger et Holl.

♥♥ Cecil Coles – Fra Giacomo, 4 Verlaine, From the Scottish Highlands, Behind the lines – Sarah Fox, Paul Whelan, BBC Scottish O (Hyperion)
→ Belle générosité (Highlands à l'élan lyrico-rythmique réjouissant, qui doit pas mal à Mendelssohn), remarquable éloquence verbale aussi dans les pièces vocales. Bijoux.
→ Bissé.



H. Concertos

♥ *Vivaldi – Concertos pour basson – Azzolini (Naïve 2021)
→ Basson savoureux, très bel ensemble spécialiste, superbe veine mélodique aussi, de l'excellent Vivaldi !

♥ Antonín Vranický Concerto pour deux altos, Rejcha « Solo de Cor Alto », Vorišek Grand Rondeau Concertant pour piano violon violoncelle, Beethoven concerto pour violon en ut (fragment), dans la série « Beethoven's World » – Radio de Munich, Goebel (Sony)
→ Suite de l'incroyable parcours de Goebel qui documente des compositions concertantes et orchestrales de contemporains de Beethoven, avec des pépites (Clément, Romberg, Salieri…). Ici, très beau double concerto de Vranický, grandes pièce de Rejcha aux belles mélodies…

♥♥ Reicha Symphonie concertante pour 2 violoncelles, Romberg Concerto pour deux violoncelles, Eybler Divertisment – ( série « Beethoven's World ») – Deutsche Radio PO, Goebel (Sony)
→ Très beau, programme hautement original (dans la collection où j'avais déjà loué les Concertos pour violon de Clément et qui vient de publier Salieri-Hummel-Vořišek), mettant en valeur des jalons considérables du patrimoine.
→ Un Reicha virtuose : un violoncelle faisant des volutes graves, l'autre énonçant de superbes mélodies – celle du premier mouvement évoque beaucoup Credeasi misera.
→ Un Romberg au mouvement lent plus sombre, inhabituellement tourmenté (sans agitation pourtant), se terminant dans un rondeau aux rythmes de cabalette et dont la mélodie invite à la danse. 
→ Un Eybler trompettant, musique de fête.
→ Interprété avec une finesse de timbre et un élan absolument délectables.

Romberg (Bernhard) – Concertos pour violoncelle 1 & 5 – Melkonyan (CPO)
→ Le 5 a un côté symphonies de Mozart en mineur. Mais tout ça n'est pas particulièrement passionnant en soi.

♥♥ Bruch – Doubles concertos (2 pianos + alto & clarinette), Adagio apassionato, ouv Lorelei – ÖRF, Howard Griffiths (Sony 2019)

♥ PIERNÉ, G.: Orchestral Works, Vol. 2 - Fantaisie-ballet / Scherzo-caprice / Poème symphonique (Bavouzet, BBC Philharmonic, Mena)
→ Belle version de ces œuvres plaisantes.

♥ Pierné – Suites de Ramuntcho – Philharmonique de Lorraine, Houtman (BIS 1988)
→ Très plaisant.
& Concerto pour piano (avec son joli thème de final « la chenille qui redémarre »)

♥♥♥ van Gilse – Tanzskizzen – Triendl, PBSO Eschede, Porcelijn (CPO)
→ Bissé.

♥♥ Graener – vol. 3 : Concerto pour piano.  – Triendl, Radio de Munich, Alun Francis (CPO 2015)

Chostakovitch – Concerto pour violoncelle n°2 – Arto Noras, Radio Norvégienne, Rasilainen (Finlandia / Apex)
→ Tellement mieux que le Premier Concerto, dans version élancée et très bien jouée, mais demeure assez peu exaltant pour ma sensibilité…

Voormolen – Concerto pour deux hautbois – La Haye, Bamert (Chandos)
→ Néoclassique sympa.

♥ Klami : The Cobblers on the Heath (Ouverture) / Thème, 7 Variations & Coda Op.44 avec violoncelle solo – J.-E. Gustafsson, Lahti SO, Vänskä (BIS)
Et aussi : Kalevala Suite (sombre mais pas la plus fluide et colorée)

♥♥♥ Klami : Cheremissian Fantasy, Sea Pictures, Kalevala Suite ; Noras, Helsinki PO, FinRSO (Finlandia 1992)
→ Atmosphères entre Sibelius et Ravel assez mereilleuses. Très belles interprétations typées et savoureuses. (Découverte pour la Fantaisie.)

♥ Nyman, Piano Concerto – Lenehan, Ulster Orchestra, Yuasa (Naxos)
→ Vraiment beau dans ses consonances, ses ondoiements et ses jolies évolutions harmoniques. Mais tout le temps pareil – et identique à ses autres œuvres également.

Khodosh – Concerto pour piano & orchestre
→ D'un néoclassicisme aux éclats un peu circassien, assez amusant. Son opéra comique d'après L'Ours de Tchekhov, représenté en ce moment même à Donetsk, fait envie – n'étaient les obus.




I. Quatuors

*Józef Elsner –  « Trois quatuors du meilleur goût polonois » Op. 1  – Mikołaj Zgółka & friends (NFM, Accord 2021)
→ Première parution de ces beaux quatuors de style encore classique, dans une exécution avec cordes en boyaux – ce qui rend souvent, à mon sens, l'audition moins confortable, et distraite par les inégalités de timbre.
→ Même si la veine mélodique n'est pas la plus immédiate par rapport à nos références Haydn-Mozart, de soudaines bifurcations harmoniques font assurément lever l'oreille en de nombreuses occurrences.
→ Je serais très curieux de réentendre ce corpus interprété selon différentes autres options (plus de structure, plus de chair ou plus d'élan), je suis convaincu de son potentiel.

♥ *Hérold, d'Ollone, Rabaud – Quatuors – Hermès SQ (Chaîne YT de Bru Zane 2021)
→ Trois rarissimes quatuors, d'où se détachent en particulier les affects généreux du Rabaud, assez éloigné de son style orchestral plus hardi – alors qu'Hérold est y au contraire sur son version le plus sérieux et ambitieux.
→ Son très peu typé français de ce jeune ensemble, un peu trop de fondu et de vibrato pour moi, peut-être.
→ Super entreprise en tout cas que de jouer ces raretés, et de surcroît de les diffuser – le Palazetto n'étant pas l'endroit le plus commode d'accès au monde.

♥ Anton Reicha: Trois quatuors – Quatuor Ardeo (2014 | L'empreinte Digitale)
→ bissé

♥♥ GADE, N.W.: Chamber Works, Vol. 5 - String Quartet in D Major / String Quintet in E Minor / Fantasiestücke clarinette piano (Ensemble MidtVest) (CPO)

♥ *La Tombelle – Quatuor en mi – Mandelring SQ (Audite 2021)
→ Gloire aux Mandelring qui ont pris l'habitude d'enregistrer des quatuors rares en complément des œuvres (ou cycles d'œuvres) célèbres qui enregistrent !  Œuvre de salut public, d'autant que ce sont des quatuors entiers qu'ils gravent, très bien choisis, et exécutés au plus haut niveau !
→ De surcroît, ici, Bru Zane n'avait pas gravé, dans on anthologie de 3 CDs, ce quatuor (juste celui avec piano).
→ Pas bouleversé par la pudeur de cet opus : ni très mélodique, ni très sophistiqué, une sorte de Ravel en sourdine. Peut-être joué avec moins de transparence et une plus franche véhémence ?  Car il existe des moments franchement passionnés qui pourraient peut-être se trouver davantage mis en valeur avec un jeu plus « à l'allemande ».
→ (couplé avec le Ravel, pas écouté)

Bosmans Strijkkwartet (1927) , Utrecht SQ
→ Très français… et très court.

♥♥ KUNC, B.: String Quartet, Op. 14 / LHOTKA, F.: Elegie and Scherzo / SLAVENSKI, J.: String Quartet No. 4 (Sebastian String Quartet) (CPO)
→ Bissé.



J. Chambre

♥♥ *Sommer (1570–1627)  Der 8. Psalm // Fontana (1571–1630) Sonata 16 // Buonamente (1595–1642) Sonata seconda // Pachelbel (1653–1706) Canon & Gigue // Torelli (1658–1709) Sonata a 3 violini // Fux (c1660–1741) Sonata a 3 violini //  Louis-Antoine Dornel (1685–1765) Sonate en quatuor // Giovanni Gabrieli (c1555–1612) Sonata XXI con 3 violini // Purcell Three parts upon a ground & Pavane // Schmelzer (1620–1680) Sonata a 3 violini // Baltzar (c1631–1663) Pavane // Hacquart (c1640–a1686)  Sonata decima –
« Sonatas for three violins », Ensemble Diderot, Johannes Pramsohler (Audax 2021)
→ Je n'avais pas été enthousiasmé ni par les œuvres, ni par le son des principaux albums (très originaux) de l'ensemble, mais ici, ces sonates à violons multiples se révèlent remarquablement fascinantes !
→ bissé.

♥♥♥ *Jacchini, Gabrielli, Lulier, A. Scarlatti, Bononcini – Sonates pour violoncelle « The Italian Origins of the Violoncello » – Lucia Swarts +  Zomer , Richte van der Meer (cello), Siebe Henstra (harpsichord) (Mountain Records 2015-2021)

♥♥♥ *Roncalli – Intégrale de la musique pour guitare (baroque) : les 9 Sonates – Bernhard Hofstötter (Brilliant 2021)
→ Superbe massif très vivant, des suites de danse en réalité, dont la mobilité séduit grandement, en particulier la Passacaille en la mineur de la Cinquième Sonate, reprenant des basses connues des LULLYstes.
→ Interprétation très allante, prise de son confortable.

♥ Ritter – Quatuors avec basson – Paolo Cartini, Virtuosi Italiani (Naxos 2007) → Très joliment mélodique. Moins riche et virtuose que Michl.

♥ *ROMBERG, B.: Sonatas for Harp and Cello, Op. 5, Nos, 1, 2, 3 (Aba-Nagy, Szolnoki) (Gramola 2020)
→ Existe aussi en violoncelle-piano et en violon-piano, avec approbation du compositeur. Beaux thèmes séduisants, presque opératiques, du violoncelle, souple élégance de la harpe, très belles pièces de salon.
→ Captation avec un petit déséquilibre en faveur du violoncelle (la harpe est un peu retranchée vers l'arrière), probablement monté en boyaux considérant le timbre un peu plaintif.

♥ *Rejcha –  Octet, Op. 96 and Variations for Bassoon & String Quartet – Consortium Classicum (CPO 2000)

♥ *Onslow – Quintettes à cordes n°23 & 31 (vol.4) – Elan Quintet (Naxos)
→ Beaux quintettes sobres et touchants, du bon Onslow bien joué.

♥ Bruch: String Octet in B-Flat Major, String Quintet in A Minor & Piano Quintet in G Minor – par Ulf Hoelscher Ensemble (CPO)

♥ *Saint-Saëns – Sonates violoncelle-piano, violon-piano, Suite violoncelle-piano, piécettes, arrangements… –  Tanaka, Fouchenneret, Bartissol, Wagschal (3 CDs Ad Vitam 2021)
→ Clairement pas le sommet du legs de Saint-Saëns (quelle distance par rapport à l'ambition des quatuors à cordes ou avec piano !), mais de plaisantes œuvres très peu jouées, servies par des interprètes rompus à ce répertoire.

♥♥♥ *Stanford  – Quintette piano-cordes, Fantasies – membres de la Radio de Berlin, Nicolaus Resa (Capriccio 2021)
→ Une des grandes œuvres les plus inspirées du (très inégal) Stanford.

♥♥ *Labor – Sonates violon-piano, violoncelle piano, Thème & variations (cor-piano) – Karmon, Mijnders, Vojta, Triendl (Capriccio 2021)
→ Nouveau volume Labor, qui confirme le chambriste considérable qu'il est !  Plus lumineux et apaisé que son fascinant Quatuor piano-cordes.
→ Trissé.

♥ *BEACH, A. / PRICE, F.B.: Piano Quintets / BARBER, S.: Dover Beach (American Quintets) (Kaleidoscope Chamber Collective)
→ Très belles pièces tradis, avec des épanchements traditionnels des mouvements lents pour ces formations, d'une très beau métier !

♥ Koechlin – Sonate à sept – Lencsés, Parisii SQ (CPO 1999)
→ Sorte de pièce concertante pour hautbois. Pastoralisme un peu lent et bavard, sorte de Milhaud réussi.

♥♥ *Escher – Concerto pour orchestre à cordes, Musique pour l'esprit en deuil, Tombeau de Ravel, Trio à cordes, Chants d'amour et d'éternité (pour chœur a cappella), Le vrai visage de la Paix, Ciel air et vents, Trois poèmes d'Auden – Concertgebouworkest, Chailly ; PBChbCh, Spanjaard (Brilliant 2020)
→ Vaste anthologie (essentiellement des rééditions, je suppose), avec quelques belles inspirations d'un postromantisme assez simple.

♥♥ *Klami –  Quatuor piano-cordes, Sonates violon-piano &  alto-piano – Essi Höglund, Ero Kesti, Sirja Nironen, Esa Ylonen (Alba 2021)
→ Beau corpus, très pudique (que d'aération, de respirations, de silences à tour de rôle dans ce Quatuor !), très beaux timbres et phrasés (le violon d'Essi Höglund en particulier).



K. Flûte solo

♥ *Koechlin – Les Chants de Nectaire – Nicola Woodward (Hoxa 2021)
→ Ni aussi nette et virtuose que Balmer, ni aussi poétique et souplement articulée que de Jonge, cette quatrième intégrale du monumental chef-d'œuvre universel de la flûte solo (4h), inspiré d'un jardinier musicien (un ange caché dans La Révolte des Anges d'Anatole France…), ne change pas nécessairement la donne. Je recommande vivement d'écouter Leendert de Jonge dans ces pages – la famille Koechlin le recommande également pour son respect des nuances écrites et de l'esprit général.
→ Mais, il est formidable de pouvoir comparer les lectures, et quitte à écouter n'importe quelle version, plongez-vous, oui, dans ce chef-d'œuvre incroyable !



L. Théorbe

♥♥♥ Visée : Chaconne en la mineur, Monteilhet

♥♥♥ Bach – Suites 1,2,3 pour violoncelle (version théorbe) – Monteilhet 1 (EMI 2000)
→ Tellement de mordant et de résonance ici (rien à voir avec les suites 4 à 6 chez ZZT, plus ouatées et lisses).



M. Harpe

♥♥ *Casella Sonate pour harpe // D  Scarlatti Kk 135 // Bach toccata ut mineur // Debussy Ballade pour piano // Zabel fantaisie sur Faust –  « Ballade » – Emily Hoile, harpe (Ars Produktion 2021)



N. Violoncelle·s

♥♥♥ Bach – Suites pour violoncelle 3,1,4,6… – Lucia Swarts (Challenge Classics 2019)
→ De (très) loin la version la plus enthousiasmante que j'aie entendue sur instrument ancien !  Du grain en abondance, de la couleur partout, et un mordant exceptionnel…
→ Possiblement la version qui soutient le plus mon intérêt sur la durée, aussi, alors que je fatigue assez vite avec ces Suites, que je trouve moins nourrissantes que son corpus pour violon…

Bach, Bourrée de la Suite n°3 pour violoncelle : Swarts, Maisky DGG, Maisky live w. Argerich, Monteilhet

♥ B. Romberg – Sonata for 2 Cellos in C Major, Op. 43, No. 2 – Ginzel & Ginzel (Solo Musica)



O. Piano·s

♥ *Brillon de Jouy – The Piano Sonatas Rediscovered –  Nicolas Horvàth (Grand Piano 2021)
→ Très plaisant classicisme finissant / premier romantisme, pas particulièrement personnel, mais écrit sans aucune fadeur (et finement joué).
→ (Je découvre a posteriori qu'il s'agit d'une compositrice.)

Gouvy – L'œuvre pour deux pianos – (Bru Zane)
→ Agréable. Rien de très saillant en première écoute.

♥♥ Kurtág – Játékok à quatre mains – M. & G. Kurtág (DVD)
→ Une autre vision (que le disque, le concert et mes propres doigts, jusqu'ici) avec cette version vidéo de ces délectables miniatures !

♥♥ *Griffes, Crumb, Carter, Glass, Shimkus – « America 1 » – Vestard Shimkus (Artalinna 2021)
→ Panorama à la vaste diversité de langages et de touchers. L'impressionnante Sonate de Griffes conserve beaucoup de gestes (de structure, de virtuosité, même de tonalité) issus du patrimoine, et donne une très belle occasion à Shimkus de montrer l'étendue de sa palette d'attaques et de textures.
→ Le sommet de l'interprétation se révèle sans doute dans l'incroyable diversité d'inflexions et de phrasés dispensés dans (l'insupportable) Glass, tout en trémolos lents de tierces mineurs, d'une pauvreté emblématique – mais le pianiste y impressionne.
→ Récital très original et cohérent, un petit monde à parcourir.



P. Clavecin

♥♥ *J.-Ph. Rameau, Claude Rameau, Claude-François Rameau, Lazare Rameau, J.-F. Tapray – Pièces pour clavecin « la famille Rameau » – Justin Taylor (Alpha 2021)
→ Inclusion du frère, du fils et du neveu Rameau, ainsi que de variations brillantes des années 1770 de Tapray sur Les Sauvages. Parcours passionnant au cœur du temps et des proximités.
→ Frémissante interprétation, très discursive et vivante, pleine de replis et d'inaglités sans la moindre affèterie, sur un clavecin remarquablement choisi et réglé…



Q. Orgue

♥♥ *Casini, Casamorata, Maglioni – « Florentine Romantic Organ Music  » – orgues de Corsanico et Sestri Levante, Matteo Venturini (Brilliant 2021)
→ Musique de pompe assez festive et extravertie (les clochettes intégrées !), de la musique rare, où l'on retrouve des tournures mélodiques typiquement italiennes, et jouée avec beaucoup de générosité et de clarté. Pas le sommet du bon goût, mais un aspect rare de la musique italienne à découvrir dans de très bonnes conditions !

*Edvard Grieg: Alfedans – arrangements des Danses norvégiennes & Pièces lyriques – Marco Ambrosini (Nyckelharpa), Eva-Maria Rusche (orgue) (DHM 2021)
→ Très amusante couleur locale et jolies danses, bien réadaptées aux instruments !



R. Airs de cour, lieder…

♥ *Rasi, Del Biado, Da Gagliano, Caccini, Peri, Falconieri, Gesualdo, D'India, Monteverdi – Soleil Noir – Gonzalez Toro, I Gemelli (Pierrard, Dunford, Papadopoulos), Gonzalez Toro (Naïve 2021)
→ Beau parcours intimiste dans le répertoire d'un ténor historique du premier baroque.

♥♥ *Schubert – Die Winterreise – DiDonato, Nézet-Séguin (DGG)
→ Grande et belle surprise : DiDonato utilise ici la partie la plus colorée de sa voix, trouvant de très belles textures qui échappent à l'aspect « opéra ». Le vibrato rapide et la beauté du phrasé entretiennent une véritable atmosphère expressive, digne des grandes lectures d'un cycle pourtant conçu (et plus facile à chanter) pour voix d'homme.
→ L'allemand n'est pas tout à fait naturel, la couverture vocale reste importante sur certaines voyelles… cependant l'expression (davantage, finalement, que la beauté bien connue de la voix) l'emporte sans hésiter – et sans la mollesse qu'on pouvait redouter d'un instrument conçu pour des répertoires réclamant davantage de largeur et de fondu d'émission.
→ En fin de compte, une lecture vraiment différente, qui ne m'est pas apparue comme une jolie version d'une chanteuse d'opéra, mais véritablement comme une proposition singulière et aboutie du cycle.

♥ *Gisle Kverndokk – Så kort ein sommar menneska har (mélodies en bokmål et anglais) – Marianne Beate Kielland, Nils Anders Mortensen (Lawo 2021)
→ Belles mélodies simples et prégnantes, incluant un cycle Shakespeare en VO. Toujours belle et douce voix de mezzo de Kielland.

♥ *Mozart-Spindler – Arrangements pour hautbois et orchestre : Concerto pour flûte et harpe, airs de concert, Exsultate jubilate – Albrecht Mayer, Kammerphilharmonie Bremen, Albrecht Mayer (DGG 2021)
→ Disque-démonstration pour Albrecht Mayer, l'emblématique hautboïste solo du Philharmonique de Berlin

♥♥ *Wagner, Pfitzner, R. Strauss – lieder « Im Abendrot » – Matthias Goerne, Seong-Jin Cho (DGG 2021)
→ Goerne a vieilli et la prise de son très rapprochée et réverbérée cherche à créer un effet d'ampleur qui correspond assez mal à celle (réelle) qu'il manifeste en salle. Elle souligne les défauts, les sons légèrement blanchis, les petites gestions du détimbrage sur certaines voyelles… Très étrange spectre sonore très brouillé, assez déplaisant.
→ En revanche, programme original et interprétation prenante, avec la « longueur d'archet » impressionnante et le legato infini de Goerne, son sens de l'atmosphère…
→ Cho est comme toujours assez froid, et ne déploie pas exactement des moirures symphoniques (pour autant, ça s'écoute très bien).
→ Malgré l'amoindrissement de l'instrument, c'est donc un disque marquant, une fois que l'on a surmonté l'étrangeté de la prise de son.

♥♥ *Wiéner, Chantefleurs // Milhaud, Catalogue des fleurs // Satie, Honegger, Lili Boulanger – « Fleurs » – Loulédjian, Palloc (Aparté 2020)
→ Délicieuse adaptation musicale des miniatures de Desnos par Wiéner, servie avec une versatilité et une grâce rares.



S. Chanson

♥ *Horace Silver, Duke Elligton, Norah Jones… – « Midnight Jones » – Norah Jones (UMG, réédition 2020)

♥♥♥ Norah Jones – Comme Away With Me – Norah Jones (Blue Note 2002)

♥♥♥ Norah Jones – Don't Know Why – Norah Jones (Blue Note 2002)
→ Bissé.

♥♥ Cocciante-Plamondon, Notre-Dame de Paris « Belle » (versions française, grecque, russe, italienne, coréenne, espagnole, néerlandaise, polonaise)
→ Seul moment de valeur dans cette pièce particulièrement peu exaltante (intrigue, versification, musique, rien ne réussit), le trio des soupirants réussit une forme poétique originale et une thématique musicale très prégnante. Un des plaisirs de ce genre de production à succès est de pouvoir en explorer les versions en diverses langues, de découvrir les choix de re-versification (particulièrement difficile ici, ça joue beaucoup de mots-outils français !), d'observer les différences d'émission vocale selon les langues… 
→ L'italienne trouve des alternatives vraiment stimulantes à la VF. (et particulièrement bien chantée par les deux ténors graves)



guatemala



Beaucoup de notules un peu plus ambitieuses avaient empêché la publication, ces derniers mois, des disques écoutés récemment… C'est chose faite.

Un peu épais sans doute, mais en naviguant entre les astérisques des nouveautés, les parcours nationaux colorés et les petits ventricules palpitants de mes recommandations, vous devriez attraper quelques pépites que j'ai été très impressionné de pouvoir découvrir, après tant d'heures d'écoutes au compteur !

mercredi 20 janvier 2021

Le grand tour 2021 des nouveautés – épisode 1 : Emilie Mayer, Salieri, Fesca, Gade, Rott, Rubinstein, Fried retransfiguré, Schreker, Kienzl, Lazzari, Jeral… et même du bon Donizetti


Cette année, envie de favoriser des notules soit de fond, soit un peu plus transversales, en tout cas avec une valeur ajoutée par rapport à la simple recension au fil des parutions, qui doivent rester simplement un à-côté…

Envie de poursuivre les séries «  une décennie, un disque » (1580-1830 jusqu'ici, et on inclura jusqu'à la décennie 2020 !), « les plus beaux débuts de symphonie » (déjà fait Gilse 2, Sibelius 5, Nielsen 1…), « au secours, je n'ai pas d'aigus »… Envie de débuter une série au long cours autour de la mise en musique d'épisodes bibliques (avec pour but de pouvoir couvrir le maximum de moments illustrés par des compositeurs), et peut-être même de convertir cette notule sur les causes de l'étrangeté prosodique de Pelléas dans un format vidéo… !

Dans le même temps, je trouve dommage d'écouter autant de disques, de suivre les nouveautés, d'explorer les raretés… et de ne pas leur faire de publicité.

Je cherche encore le format adéquat.

Pour cette première livraison de l'année, donc, j'ai fait le choix de partager mon tableau brut, incluant tous mes relevés.

Je vous laisse y naviguer. De gauche à droite, trois types d'écoutes : nouveautés, découvertes personnelles, réécoutes. Inclut aussi ma programmation à venir et le relevé de quelques nouveautés pas encore essayées. Les items les plus récents figurent en haut, et vous pouvez remonter le temps en descandant dans le tableau – les cases grises avec les numéros indiquent la limite du dernier relevé, comme cela vous saurez jusqu'où aller.

En résumé depuis la fin de décembre ? 

lazzari_kienzl_jeral_trios_cpo.jpg


De fantastiques disques de musique de chambre :
Bach (Sergey Malov, Solo Musica), 6 Suites pour cello di spalla,
Fesca (Quatuor Amaryllis, CPO),
Gade (Midvest Ensemble, CPO),
Emilie Mayer (Mariana Klavierquartett, CPO), Quatuors piano-cordes beaucoup plus intéressants que ses symphonies, pour documenter la première femme à vivre professionnellement de ses compositions ;
Rubinstein (Quatuor Reinhold, CPO),
Reger, une version superlative du Quintette clarinette-cordes et du Sextuor à cordes (Quatuor Diogenes, CPO)
Kienzl / Lazzari / Jeral (Trios par le Thomas Christian Ensemble, CPO),

de belles parutions d'opéra :
Rossi, Orfeo, imparfaite mais intéressante nouvelle version (Sartori, Glossa),
Haendel de Zaïcik & Le Consort, très plaisant,
Beethoven & Salieri « in Dialogue » (dont je viens de faire une notule : fragments d'oratorios par les Heidelberger Symphoniker, chez Hänssler),
Donizetti, Il Paria (Elder, Opera rara), superbe version d'un Donizetti tout particulièrement réussi mélodiquement, avec de très beaux ensembles,
♦ la bande son du Ring de Jordan, dont il faut entendre l'Or du Rhin exceptionnel,

un peu de symphonique :
♦ une belle nouvelle version de la Symphonie en mi de Rott (Gürzenich, Ward, Capriccio), qui réussit admirablement les variations finales,
Fried, Korngold et Schönberg autour de la Nuit Transfigurée, seconde version discographique du chef-d'œuvre de Fried (Rice, Skelton, BBCSO, Gardner, Chandos),
♦ une belle interprétation un peu lisse d'œuvres mineures de Schreker (Bochum, Sloave, CPO),
♦ la bizarre mais plaisante Symphonie en sol de Gulda (mélangeant orchestre symphonique et orchestre de danse).

… Et un délectable « Le Coucher du Roi » avec des pièces de Visée, LULLY, Lalande, Charpentier, Couperin (Monnié, Mauillon, Roussel, Rignol, CVS).

Du côté de mes découvertes personnelles hors nouveautés, des déceptions chez le Draeseke symphonique, un bonheur variable chez Korngold, beaucoup d'enthousiasme pour les quatuors de Dittersdorf, les symphonies de Reinecke, le Grand Septuor de Kalkbrenner (son Sextuor piano-cordes aussi), le Quatuor piano-cordes de Georg Schumann (les Trios sont beaux aussi), les très bizarres Wandersprüche de Schoeck (ténor, clarinette, cor, piano et percussions), une quasi-hystérie pour le Quintette et le Sextuor de Koessler (ainsi que sa musique chorale, du niveau de Brahms !), sans parler de la musique de chambre de Krug immédiatement présentée par une notule !
Vous y rencontrerez aussi les étranges « meilleurs classiques » façon cross-over, le violon de Brahms interprété sans vibrato, l'Ouverture 1812 avec réels canons en plein air…

Quant aux réécoutes, que dire ?  Les habitués : la musique de chambre de Michl, Schoeck, Tarkmann, les symphonies de Messieurs Fesca, B. Romberg, Macfarren, Bruch, d'Indy, Georg Schumann, Alfvén…

Le fichier est ici : format ODS (Open Office) ou XLS (Microsoft Office). J'espère qu'il vous sera lisible et utile.

La légende
Du vert au violet, mes recommandations…
→ Vert : réussi !
→ Bleu : jalon considérable.
→ Violet : écoute capitale.
→ Gris : pas convaincu.
(Les disques sans indication particulière sont à mon sens de très bons disques, simplement pas nécessairement prioritaires au sein de la profusion de l'offre.)



(Les disques, quelle bénédiction du Ciel.)

jeudi 31 décembre 2020

Schoeck, Das Schloß Dürande & Venzago : nazis, blackfaces & récriture de l'Histoire ?


(Ah, et aussi un opéra fabuleux, mais ça vous aurait pas autant incité à cliquer, avouez.) (Note pour 2021 : mettre davantage les mots « morts-vivants » et « apocalypse nucléaire » dans mes titres.)

Voici une notule que je vous invite tout particulièrement à lire en entier. (Attention, plot twists à prévoir.)




schoeck das schloss dürande venzago

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Le début de Das Schloß Dürande, version Venzago.




Chapitre I – Il Davidde deluso

    En 2018, événement : la résurrection de Das Schloß Dürande, opéra tardif d'Othmar Schoeck d'après le roman d'Eichendorff. L'entreprise est menée par Mario Venzago, directeur musical du Symphonique de Berne.

    Mais voilà : il s'avère que le texte n'est pas le livret d'origine, mais une réécriture, décidée par un collectif universitaire de berne, coordonné par Thomas Gartmann. Schoeck a fait représenter son œuvre (débutée avant la guerre mondiale) pour la première fois dans le Berlin de 1943, compromission (pas du tout idéologiste, mais concrète) inacceptable qui rendrait impossible d'écouter à nouveau l'œuvre, et le livret serait trop connoté. Si mon amour pour les bidouillages me place au-dessus de tout soupçon de psychorigidité en matière d'interprétation et d'arrangements, j'étais tout de même assez mécontent de découvrir ceci. Pour de multiples raisons, que ne me paraissent pas toutes dérisoires.

1) J'espérais une résurrection de l'œuvre depuis longtemps, après en avoir entendu des extraits totalement exaltants… et je me rends compte que non seulement ce n'est pas la véritable œuvre que j'entends, mais qu'on me théorise que de toute façon personne ne remontera jamais la version originale. Du coup, pourquoi ne pas avoir fait l'effort, pour ce hapax, de remonter la version authentique de Schoeck ?
Mon mouvement d'humeur s'est un peu apaisé depuis : je n'ai découvert qu'en préparant cette notule qu'il en existe en réalité déjà deux versions captées.
    a) Une publication commerciale intégrale (que je croyais seulement fragmentaire !) de la bande radio de 1943 – certes chez un label qui repique à la louche, pratique des coupes indéfendables pour comprimer en 2 CDs, n'inclut aucune notice et encore moins livret… les gars sont capables de publier une Walkyrie en deux disques… Mais cela existe.
    b) Sans doute une bande radio de Gerd Albrecht en 1993– version remaniée du vivant de Schoeck et coupée pour être montée sur scène, comme le faisait souvent Albrecht avec les musiques qu'il défendait.

2) En tant qu'amateur d'art, d'histoire, de musiques anciennes, j'ai envie de connaître l'objet d'origine, de pouvoir le replacer dans son contexte, d'entendre les échos (et au besoin les tensions, les contradictions) entre l'auteur et son époque. En proposant une œuvre composite, on me met face à de la musique certes sublime, mais hors sol (elle ne tombe pas sur les mots qu'a connus l'auteur, et Venzago a même retravaillé les rythmes pour coller au nouveau livret !).
Je suis tout à fait intéressé par des propositions alternatives, mais pour le seul disque disponible (car l'autre publication, dans un son ancien, confidentielle et sans livret, est épuisée depuis longtemps), n'avoir qu'une version retravaillée, c'est vraiment dommage – tout ce que la postérité aura, c'est un bidouillage dont l'auditeur ne sera jamais trop sûr des contours.

3) Surtout, ce qui m'a réellement scandalisé, c'est l'argumentaire qui l'accompagnait.
    a) Argumentaire esthétique : « de toute façon le livret n'était pas bon ». Pour les raisons précédemment évoquées, j'aimerais qu'on me laisse en juger !
    b) Argumentaire politique, celui que je trouve le plus insupportable. Il y aurait (j'y reviens plus tard) un lexique qui à l'époque évoquait la phraséologie nazie, donc on ne peut pas le monter sur scène. Qu'en tant que citoyen, on suppose que monter un opéra qui contienne les mots Heimat ou Blut (oui, ce sont vraiment les exemples retenus dans la notice de Thomas Gartmann !) me change instantanément en racialiste buveur de sang, je me sens profondément insulté.

Toutefois, le résultat demeure très enthousiasmant, un des disques de l'année 2020, et bien au delà – je reparlerai plus loin du détail. Je m'en suis bruyamment réjoui.




schoeck das schloss dürande venzago
Photographie (Sebastian Stolz) de la production de Meiningen (novembre 2019) qui a suivi le concert de Berne.


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Gabriele et les pierreries (acte II), version Venzago.




Chapitre II – Le passé dérobé

Je m'en suis bruyamment réjoui, oui. Et j'ai dit mon humeur.

Cette notule était censée faire écho à ma perplexité face à cet air du temps… Je trouve salutaire qu'on ne déifie plus les grands hommes du passé et qu'on rende à ceux que nous admirons pour d'autres raisons leurs vilains traits racistes, misogynes, mégalomanes… mais ne puis me résoudre à comprendre que nous les jugions ou pis, les effacions de la mémoire collective – comme si seul ce qui est identique à nous-mêmes et à notre opinion du jour pouvait être intéressant. Comme si le passé, fût-il imparfait, ne pouvait apporter ses satisfactions et ses enseignements.

La question légitime du regard critique sur le passé (un philosophe des Lumières misogyne, un politicien émancipateur qui vit au milieu de ses esclaves, un général vénéré comme un faiseur de paix…) mérite le débat, et non l'iconoclasme en son sens le plus concret, l'effacement du passé, le rejet sans nuance de tout ce qui nous est différent.

    Le comble de la stupidité s'est incarné devant moi à la Sorbonne, le 25 mars 2019, lorsqu'un groupe d'étudiants militants – et manifestement plutôt incultes – s'était infiltré pour empêcher la représentation par d'une mise en scène des Suppliantes d'Euripide s'inspirant de la tradition antique sous l'égide de Philippe Brunet, spécialiste éprouvé de la question. Certaines comédiennes portaient un maquillage sombre, ce qui se serait apparenté à un blackface – car, bien sûr, Euripide a tout volé aux chansonniers américains du XIXe siècle.
    (Outre l'incohérence chronologique / culturelle de cette hantise du blackface, je trouve absolument invraisemblable d'accepter d'habiller des femmes en homme, de faire de gros Falstaff avec des coussins sur le ventre, de mettre des valides en fauteuil roulant, mais d'interdire absolument de rappeler, dans des œuvres dont ce peut être un ressort capital – et un joli symbole – comme Aida, sorte de Roméo & Juliette égyptien interethnique, qu'il existe des gens noirs. Ou alors il faudrait cantonner les interprètes à leur couleur de peau et leur phyique, et les noirs n'y seraient pas gagnants – sans parler de la quête de sopranos dramatiques de seize ans pour faire Isolde…)

D'une manière générale, et ceci concerne le cas de notre livret, ne pas faire la différence entre la défense d'une théorie racialiste (« les noirs sont inférieurs aux blancs »), les motifs qui peuvent rappeler cette théorie (comme le blackface ou le vocabulaire utilisé par les nazis, qu'on peut employer dans plein d'autres contextes qui ne sous-entendent aucune infériorité), et la capacité des gens à ne pas être racistes même s'ils utilisent mal certains mots (aux USA, le mot race reste consacré dans le langage courant, à commencer par ceux qui ne sont absolument pas des racists) demeure un problème de notre temps.

Et autant le blackface reste une coquetterie de mise en scène dont je me passe très bien si cela peut ménager les sensibilités, autant récrire des œuvres me gêne vraiment. Pas si ce sont des œuvres disponibles par ailleurs (qu'il existe une traduction amendée des Dix petits nègres ne lèse personne, chacun peut choisir la version de son choix), mais pour un opéra qui ne sera diffusé que par le biais de ces représentations et de ce disque, c'est prendre une responsabilité considérable dans l'occultation de l'histoire des arts.

Se pose ainsi la question de la documentation historique : si l'on récrit Mein Kampf en remplaçant toutes les occurrences de « ce sont des êtres inférieurs » par « on voudrait leur faire des bisous », on risque de passer à côté du sujet. (Et ce n'est même pas un point Godwin, puisqu'il est précisément question d'affleurements nazis dans ce livret…)

En somme, j'aurais beaucoup aimé pouvoir découvrir l'œuvre originale d'abord, et disposer de refontes fantaisistes ensuite, ce qui ne me paraissait pas trop demander : ce livret ne contient pas de manifeste nazi ; les fascistes ne gouvernent pas le monde ; les spectateurs sont capables de ne pas devenir instantanément des chemises brunes parce qu'il est écrit Feuerquelle (« jet de feu »)…




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Schoeck dirige à Lucerne l'Orchestre de la Scala de Milan (1941).
(Une des illustrations saisissantes que j'ai empruntées à la Neue Zürcher Zeitung.)


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Malédiction de Penthésilée, Penthesilea version Venzago.




Chapitre III – La puissance de ma colère

Et j'ai donc partagé avec mes camarades mon excitation et ma réprobation, que je réaménage ici en lui conservant toute sa véhémence échevelée.

Vous pouvez aussi consulter la notice complète (lien vers le site de l'éditeur Claves) pour vous faire votre propre opinion.

Je ne comprenais pas pourquoi j'avais entendu le thème mais pas le texte du duo emblématique « Heil dir, du Feuerquelle ».

Comme ils trouvaient le texte « lexicalement trop nazi », le groupe scientifique en charge de cette résurrection a embauché un librettiste – qui a bidouillé le texte pour le rendre plus acceptable.

Celui-ci a donc réintégré de gros bouts d'Eichendorff dedans (ce qui se défend), en prenant en certains endroits le contrepied de la littéralité du livret d'origine, pas simplement en expurgeant de mots trop connotés « comme Heil », dit la notice !  Sérieux, vous êtes allemands et vous n'avez entendu Heil que dans les films de nazis ??  J'attends avec impatience l'argumentation sur la censure du final de Fidelio et de l'Hymne à sainte Cécile de Purcell…

Je trouve assez aberrant, lorsqu'on est dans une démarche patrimoniale (c'est un partenariat avec l'Université de Bern), de bidouiller une œuvre, alors que justement, quand on a le texte d'origine, on peut se faire une représentation des idées du temps, on peut débattre des présupposés idéologiques… D'autant que Schoeck n'est pas précisément un compositeur de cantates aryanisantes sur des accords parfaits – et vu qu'il n'y a plus guère de nazis, on ne peut même pas dire qu'on risque de servir la soupe à un parti actuel menaçant…

À l'écoute avec le livret, c'est encore plus saugrenu : à cause des inclusions (non adaptées… mais qu'a fichu le nouveau librettiste ?) les personnages se mettent à parler d'eux-mêmes à la troisième personne – typiquement Gabriele, pendant sa scène d'amour ou lorsque son frère les surprend, décrit ses propres actions : « Gabrielle tint fermement son bras, le fixant d'un air de défi ». Les têtes d'œuf de Bern, ils ont trop cru Eichendorff c'était une interview d'Alain Delon !

Le problème est que l'argumentaire du conseil scientifique de l'Université de Berne, pour justifier cette démarche, porte largement le fer sur le plan littéraire… de façon assez peu brillante. (En tout cas dans le compte-rendu de Gartmann publié dans la notice, je ne doute pas que leurs débats furent plus riches.)

Je vous laisse juge :

“Heil dir, du Feuerquelle,
Der Heimat Sonnenblut!
Ich trinke und küsse die Stelle,
Wo deine Lippen geruht!”
“Heil”, “Feuerquelle”, “Heimat”, “Sonnenblut” – all these are core words in the vocabulary of the Third Reich (the Lingua Tertii Imperiias Victor Klemperer called it). They are here condensed in a pathosladen context and intensified by the exclamation marks and the end rhymes. The alliteration “Heil – Heimat”, with its echoes of Stabreim, serves to dot the i’s, as it were. The second half of the strophe is pedestrian, pretentious and crassly different in tone. These four lines alone demonstrate how the duo of Burte and Schoeck accommodated themselves to the Nazi regime and how the vocabulary, pathos, rhymes and linguistic banalities of the text disqualified their opera for later generations. The solution proposed by Micieli is radically different – it is a kind of textual counter-proposition, though one that actually reflects the pianissimo that Schoeck wrote in his score at this point.
These four lines alone demonstrate how the duo of Burte and Schoeck accommodated themselves to the Nazi regime.

Je suis prêt à entendre l'argument qu'un opéra proto-nazi soit difficile à encaisser pour un public germanique (mais pourquoi joue-t-on toujours Orff, loue-t-on les enregistrements de Böhm et Karajan, témoignages autrement vifs, me semble-t-il, de l'univers nazifié ?), et mieux vaut cette tripatouille que de ne pas rejouer l'œuvre, commele Saint Christophe de d'Indy (toujours présenté comme un texte insupportablement antisément… je n'en ai pas fini la lecture, mais je n'ai pour l'instant rien repéré de tel…)
Mais Heimat ?  Les allitérations en [h] ?  Les points d'exclamation ?  Les rythmes et les banalités linguistiques… nazies ?  Qu'on n'ait pas eu envie de donner la dernière tirade de Sachs après la guerre, je comprends, mais récrire un livret en 2018 parce qu'il y a des mots comme Heimat et des points d'exclamation, j'avoue que ça m'échappe vigoureusement.


La démarche d'avoir dénazifié le livret, qui pouvait paraître légitime, est expliquée, dans le détail par un jugement littéraire sur la qualité des rimes (qu'on a simplement retirées, pas remplacées, en fait d'enrichissement…). Cela démonétise même la justification de départ, accumulant « le texte a été créé au mauvais endroit au mauvais moment », « on ne peut plus représenter ça, et c'est tant mieux », « de toute façon le livret est mauvais » dans un désordre assez peu rigoureux. On a l'impression que les gars ont besoin de convoquer des arguments totalement hétéroclites pour empêcher à tout prix qu'on puisse entendre son livret, parce que ça pourrait déclencher la venue de l'Antéchrist…
On n'est pas des niais, ce n'est pas parce qu'il y a une idéologie qui préside à un livret qu'on va rentrer à la maison pour brûler nos voisins sémites le soir… En revanche, disposer d'œuvres données en contexte, ça permet d'informer, de nourrir la curiosité… j'ai envie de voir ce qu'on représentait en 43 à Berlin, même si c'est un peu dérangeant – car je perçois davantage des allusions, un registre lexical, qu'une apologie articulée de quelque sorte que ce soit.

Je l'aurais sans doute mieux accepté si l'on m'avait dit : « ce pourrait être violent pour le public encore marqué par cet héritage, on a bidouillé, c'est mal mais c'était la condition ». Plutôt que d'inventer des justifications esthétiques et de les mêler à du commentaire composé de seconde…

Convoquer la versification, tout de même – le fameux mètre Himmler ? la rime croisée-de-Speer ? – pour attester de sa nazité, ça me laisse assez interdit.

Avec leur raisonnement, je me demande dans quel état on jouerait les opéras de Verdi et bien sûr Wagner.

(Au demeurant, ça reste le meilleur disque paru depuis un an voire davantage, donc si c'est le prix pour avoir cet opéra et cette version, je l'accepte volontiers.)
Car l'essentiel reste qu'on ait l'opéra, dans une version exportable (il y a ensuite eu une version scénique, à Meiningen en 2019), et sur disque ; mais me voilà frustré, ils n'ont pas mis en italique les parties du livret qui ont été modifiées, et comme ils se vantent d'avoir inversé la signification de certains passages, changé les psychologies des personnages, etc. – je ne suis plus trop sûr de ce que j'écoute.

D'autant que, pour ce que j'en avais lu en cherchant des infos sur l'œuvre, Schoeck a été boudé à son retour en Suisse parce qu'il était resté faire de la musique alors que l'Allemagne hitlérienne était ce qu'elle était, mais personne ne l'a accusé de collaborer – juste d'avoir été imperméable à de plus grands enjeux que sa musique.

Que le vocabulaire puisse mettre mal à l'aise est autre chose (dans Fierrabras de Schubert, il est devenu courant de remplacer l'épée du chef (« Führer ») par celle du roi (« König »), quitte à saccager la rime. Pourquoi pas, ce n'est qu'un détail ponctuel, on pouvait faire ça. (Même si, enlever des références nazies dans du Schubert, là aussi je reste plutôt perplexe.)

Pour couronner le tout, le chef d'orchestre a récrit les rythmes pour s'adapter au nouveau poème, ils ont tout de bon recomposé un nouvel opéra (60% du texte !). Et comme les extraits du roman d'Eichendorff étaient trop bavards, il a fait chanter simultanément certains extraits par les personnages…

Cela dit, une fois informé, cette part de la démarche ne m'est pas antipathique : si le livret est vraiment mauvais (je pressens hélas que leur avis est d'abord idéologique), essayer de réadapter la musique en puisant directement dans Eichendorff, ce fait plutôt envie. C'est un exercice de bricolage auquel je me suis plusieurs fois prêté, et qui donne parfois de beaux résultats par des rencontres imprévues entre deux arts qui, sans avoir été pensés ensemble, se nourrissent réciproquement.
Cela a aussi permis de remonter l'œuvre, et potentiellement d'éviter de compromettre sa reprise. Le livret d'arrivée, malgré ses défauts, fonctionne très décemment, et la musique absolument splendide ne peut qu'inciter à franchir le pas. On ne peut pas trop râler. (Mais je n'aime quand même pas beaucoup qu'on me traite implicitement de pas-assez-raisonnable-pour-ne-pas-devenir-nazi.)




schoeck das schloss dürande venzago
La seule autre version, des fragments de la création.

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Extrait de Besuch in Urach, lied en version orchestrale par Rachel Harnisch et Mario Venzago.




Chapitre IV – La démarche (re)créatrice

    Venzago est un radical, un libre penseur : très grand chef, il propose des options extrêmes pour exécuter Schubert aussi bien que Bruckner, avec une sècheresse et une urgence rarement entendues. Il reconstruit, sur le fondement des éléments qui nous restent, mais aussi d'une fiction de son cru, l'Inachevée de Schubert. Il brille également, de façon plus consensuelle sans doute, dans la musique du vingtième siècle (version incroyablement frémissante du Roi Pausole d'Honegger), et en particulier dans le grand postromantisme décadent, notamment Schoeck qu'il sert comme personne : version symphonique du grand lied Besuch in Urach, enregistrements absolument enthousiasmants Penthesilea (d'après Kleist) et Venus (d'après la nouvelle de Mérimée)…

    Il ne faut donc pas s'étonner qu'il soit celui qui explore et remette à l'honneur ce dernier opéra de Schoeck (son sixième ou son neuvième, selon le périmètre qu'on donne à la définition d'opéra…), dont la postérité discographique se limitait à la publication d'extraits entrecoupés d'explications du speaker de la radio officielle (50 minutes sprecher compris), lors de la création – à la Staatsoper Berlin le 1er avril 1943 avec Maria Cebotari, Marta Fuchs, Peter Anders, Willi Domgraf-Fassbaender et Josef Greindl, commercialisée tardivement chez des labels relativement confidentiels (Jecklin 1994, qui complète de quelques lieder son CD, et Line / Cantus Classics en 2014, à ce qu'on m'en a dit les mêmes 50 minutes réparties sur les 2 CDs dans le son épouvantable habituel du label).

    Seulement, voilà : l'œuvre (composée de 1937 à 1941) a été créée en 1943. À Berlin. Le livret est d'un poète, Hermann Burte, activement völkisch, membre de partis nationalistes, puis du parti nazi, travaillant sous une croix gammée de sa confection, écrivant des hymnes à Hitler, espionnant pour le compte des S.S.… Schoeck, malgré l'accueil favorable de la presse lors de la création suisse, fut immédiatement très critiqué pour cette compromission.
    Pis, Burte a été entre autres travaux l'artisan d'une version aryanisée de Judas Maccabeus de Haendel, ouvrant la porte à la suspicion d'un travail idéologique – le livret fut jugé mauvais par Hermann Göring, qui écrivit une missive courroucée à Heinz Tietjen (directeur de le la Staatsoper Unter den Linden), causant semble-t-il l'annulation de la suite des représentations. Globalement, la presse jugea favorablement la musique et sévèrement le livret.

    On voit bien la difficulté de jouer aujourd'hui un opéra (potentiellement, j'y reviens…) ouvertement pro-nazi. C'est pourquoi l'Université des Arts de Berne, financée par la Fondation Nationale Suisse pour les Sciences, a réuni autour de Thomas Gartmann, musicologue, un groupe d'experts qui a envisagé la réécriture du livret, confiée à Francesco Micieli.

    Le principe était simple : dénazifier le livret, et si possible le rendre meilleur. Micieli en a récrit 60% (et Venzago a modifié en conséquence les rythmes des lignes vocales, voire superposé des lignes lorsque roman était trop bavard !), enlevant les mots connotés, modifiant l'intrigue, supprimant les rimes (jugées mauvaises). Le tout en insérant des morceaux de poèmes d'Eichendorff et surtout du roman-source. (Quand on connaît un tout petit peu l'océan prosodique qui sépare un roman d'une pièce de théâtre, on frémit légèrement.)  Et, de fait, les personnages parlent souvent d'eux-mêmes à la troisième personne, s'agissant de citations littérales du roman – je peine à comprendre le sens de la chose, tout à coup ces figures fictionnelles cessent de dire « je » et se commentent elles-mêmes sans transition, comme un mauvais documentaire pour enfants.

    Le résultat n'a pas soulevé la presse (qui n'a pas toujours pleine clairvoyance, certains des auteurs étant manifestement peu informés – tel Classiquenews.com qui parle de sprachgesang [sic] pour dire plutôt durchkomponiert) d'enthousiasme, mais on y a trouvé quelques échos aux grandes questions soulevées par cette re-création. La presse suisse a salué la tentative (en appréciant l'œuvre diversement) de rendre cette œuvre jouable et représentable, tandis que la presse française a semblé gênée par cette réécriture de l'Histoire.



schoeck das schloss dürande venzago
Le télégramme imprécatoire de Göring qui mène à l'annulation de la suite des représentations.

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Monologue d'Horace à la fin de l'acte II de Venus. James O'Neal, Mario Venzago.




Chapitre V – Où s'éteint ma haine

Alors que je me lançais dans cette notule pour exprimer à la fois mon enthousiasme débordant pour l'œuvre (j'y viens) et ma gêne (en tant qu'auditeur curieux, en tant que citoyen aussi)… en ouvrant un peu des livres, mon indignation s'émousse.

a) L'avis de Schoeck
Les lettres de Schoeck laissent entendre qu'il avait écrit une large partie de la musique avant que n'arrive le texte du livret – et qu'il fut déçu de sa qualité littéraire. Il n'y a donc pas nécessairement de lien très étroit entre le texte et sa mise en musique en cette occurrence – ce fut aussi le cas pour Rigoletto de Verdi, figurez-vous, on n'imaginerait pas que la musique fut en partie composée avant les paroles !

b) Le prix de la résurrection
Il existe quantité de livrets médiocres, celui-ci rafistolé fonctionne bien, c'est suffisant. Si cela peut permettre aux tutelles de financer des reprises, aux théâtres d'oser le monter sans se soumettre à toutes sortes d'anathème, et aux spectateurs d'oser franchir la porte des théâtres pour découvrir une œuvres qui ne renforce pas les stéréotypes opéra = musique de possédants et de collaborateurs, ce n'est pas mal. On a même eu un disque et une série de représentations scéniques, qui n'auraient sans doute pas trouvé de financements sans cela !
À l'heure de la cancel culture, où l'on peut empêcher par la force des représentations d'Euripide qui fait l'apologie de la Ségrégation à l'américaine, on n'est jamais trop prudent.

c) La réalité du nazisme
Le plus déterminant fut la découverte du pedigree du librettiste. À l'origine, je jetais un œil là-dessus simplement pour vous tenir informés… Et je dois dire que la lecture de ses faits d'armes comme poète officiel de l'Empire, et même aède-courtisan enthousiaste du court-moustachu porte à la réflexion. J'ai lu avec plus de sérieux les recensions, assez cohérentes entre elles, de la presse germanophone, qui soulignait que, non, le lexique nazi, ça mettrait trop mal à l'aise sur scène.
Ma maîtrise de cet univers est insuffisante pour déterminer si – comme je l'avais cru tout d'abord – il s'agissait de sentiment de culpabilité mal placé, repris ensuite par conformisme par toute la presse qui veut montrer patte blanche et ne pas avoir d'ennuis en encensant par erreur des allusions racistes qui lui échappent… ou bien si, réellement, quand on est de langue allemande et qu'on a un peu de culture, si, en entendant cette phraséologie, on entend parler des nazis. (Ce qui peut être assez peu engageant lorsqu'on va se détendre au spectacle et que les jeunes premiers nous évoquent ces souvenirs-là.)  Découvrir l'œuvre de Hermann Burte (ah oui, quand même, c'est un de ceux-là…) m'a en effet rendu moins réticent au principe de ce remaniement.
Par hasard, d'autres de mes lectures m'ont confirmé, ces jours-ci, qu'une certaine forme de discours (à base de formulations qui paraîtraient anodines en français) était immédiatement assimilable à cette période. De ce fait, je peux comprendre qu'on ait peine à redonner des cantates à la gloire du régime – même si, étrangement, on le fait volontiers pour les cantates staliniennes (sans doute parce qu'en Russie on ne rejette pas aussi radicalement ce passé et qu'en Europe de l'Ouest ce souvenir se pare d'un côté exotique qui le met à distance).

d) Le résultat
Le résultat est artistiquement remarquable, l'œuvre sonne très bien, et le livret, qui tente de redonner la parole à l'immense Eichendorff, fonctionne plutôt bien. Le résultat est très original (quoique bancal par endroit, comme avec ce problème de troisième personne…) et contre toute attente, Venzago a vraiment bien réussi à inclure la prosodie d'un récit dans un flux de parole typique de la langue de Schoeck – on n'entend vraiment pas que c'est un autre artiste que celui de Venus ou Massimilia Doni !

e) La cause de mon indignation
En réalité, le problème provient surtout de la notice, qui m'a initialement mis en fureur : outre que les exemples paraissent très peu convaincants (ils n'avaient vraiment rien d'autre pour discréditer Burte que des « rimes mauvaises » qui prouveraient son nazisme ?), le mélange avec les considérations esthétiques brouillent tout, et l'on a l'impression tenace qu'ils veulent à tout prix détester ce poème parce que son auteur était nazi. (Ce qui n'a pas de sens, ce sont deux postulats distincts : on peut très bien admirer la facture d'un bon poème aux mauvaises idées, ou à l'inverse choisir par principe de boycotter un bon poème à cause de ses connotations…)
Il aurait été plus pertinent d'insister sur son rôle très actif dans le régime, et la peur de que cela transparaisse et mette mal à l'aise musiciens et public. Voire le refus de glorifier les tristes sires.

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La feuille de distribution de la première représentation, avec les symboles qui font bien frémir. (Et altèrent la lucidité des conseils scientifiques ?)

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Extrait de Massimilla Doni, version Gerd Albrecht.

f) Opinion sur sol
Ensuite, si vous me demandez mon avis : moi (petit français et né bien après tout ça) je n'aurais rien changé. Le passé est ce qu'il est. Si l'on devait tout récrire… Tancrède tant vanté par le Tasse était semble-t-il un rançonneur et un parjure, faudrait-il récrire le Combattimento de Monteverdi pour ne pas ménager de gloire à ce criminel de guerre ? 
Pourquoi pas, et devant la façon dont notre représentation de l'histoire ne laisse place qu'aux politiciens et aux combattants (donc, pour faire simple, à ceux qui tuent), je m'interroge sur l'intérêt qu'il y aurait à enseigner l'histoire selon un paradigme totalement nouveau : en n'enseignant que les avancées des techniques et en plaçant l'histoire de l'humanité sur une frise où n'apparaîtraient que les fondateurs d'œuvres de bienfaisance. En rendant anonymes dans le roman national les gens qui ont pris le pouvoir ou fait la guerre, en leur réservant seulement les livres des spécialistes et en inondant le marché de biographies de fondateurs de bonnes œuvres.
(Petite difficulté, outre que c'est moins amusant à lire pour un vaste public : si on exclut les bienfaiteurs qui ont aussi été des hommes de pouvoir, des racistes et des violeurs, on va se limiter à faire la biographie du bon voisin dont on ne connaît que la date de baptême…)

En somme, même si je comprends (et approuve par certains côté) le désir de retirer certains sentiments mauvais du monde, je ne suis pas sûr que le faire en maquillant le passé soit une solution réaliste. Qu'on ne commande pas d'opéras nouveaux glorifiant les nazis, c'est entendu ; qu'on trafique le passé, à une époque où les représentants de l'époque ont à peu près tous disparu (et où l'héritage politique du parti n'est plus que repoussoir), je suis plus dubitatif.

Mais encore une fois, si c'est le prix à payer pour découvrir cette musique, je l'accepte, je veux bien le comprendre. Je crains toutefois que ce ne soit pas une démarche pérenne – ni complètement saine.




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Répétitions à Berne.

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« Peuple de Paris ! », début de l'acte III de Das Schloß Dürande, version Venzago.




Chapitre VI – Un peu de musique ?

À présent que j'ai partagé ces interrogations sur les démarches mémorielles, et aussi cette expérience personnelle, dans ma chair pour ainsi dire, que l'indignation se nourrit souvent de l'insuffisante compréhension des choses… peut-être le moment d'évoquer pourquoi cette œuvre m'intéresse aussi vivement.

Sur les 6 « véritables » opéras de Schoeck, 3 sont d'inspiration française, dont les 2 derniers.
Venus (1921) est adapté de la Vénus d'Ille de Mérimée (et de Das Marmorbild d'Eichendorff).
Massimilla Doni (1936), empruntée à Balzac (une nouvelle qui met en scène une représentation du Mosè in Egitto de Rossini à Venise).
Das Schloß Dürande (1941), tiré du roman homonyme d'Eichendorff, dont l'action se déroule en Provence pendant la Révolution française.

Les trois sont écrits dans la même langue sonore, très différente du pudique postromantisme d'Erwin ou Elmire (1916) ou de la furie d'une Grèce hystérique à la mode d'Elektra dans Penthesilea (1925) : ici, domine une grande chatoyance, un grand esprit de flux, qui favorise la parole et la mélodie, sans jamais atteindre tout à fait l'épanchement. Un très bel équilibre entre la couleur, l'élan propre aux décadents germaniques, sans jamais tomber dans l'écueil du sirop (façon Korngold) ou des longs récitatifs ascétiques (comme il s'en trouve beaucoup même chez R. Strauss ou Schreker). Un équilibre assez miraculeux pour moi, dans les trois. Un peu plus de lyrisme dans Venus (où certains moments décollent réellement), un peu de plus de drame frontal avec de la déclamation un peu plus « verdienne » dans Massimilla, et pour Dürande, un équilibre permanent où l'on remarque la grande place, étonnante, du piano dans l'orchestration.

On se situe donc dans le domaine du postromantisme légèrement décadent, très lyrique et sophistiqué, mais toujours d'un sens mélodique assez direct… quelque part entre Die Gezeichneten pour la qualité du contrepoint et de l'harmonie et la capacité d'élan et de lumière de Die tote Stadt, tirant un peu le meilleur des deux mondes – ou du moins tombant assez exactement dans mon goût.

Un des grands opéras méconnus de la période (Venus aussi !) avec Oberst Chabert de Waltershausen !

Je recommande donc très chaudement. Le livret est fourni en monolingue, mais comme il peut se trouver sur le site de Claves, il n'est pas très difficile d'opérer des copiés-collés dans Google Traduction (qui est devenu très décemment performant pour ce genre de tâche).



À l'année prochaine pour tester de nouveaux formats, poursuivre quelques séries et, n'en doutons pas, découvrir ensemble quelques merveilles inattendues !  Peut-être même dans une salle avec de vrais gens, qui sait.
Portez-vous bien.

lundi 14 septembre 2020

Le défi 2020 des nouveautés – épisode 11 : contrebasse, Schmidt, Lang Lang, Smyth, vive les Turcs


La fin d'août et la rentrée… Avalanche de nouveautés (et de balades sans musique) : je suis loin d'avoir couvert, pour cette fois, ce qui m'intéressait prioritairement.

En train de découvrir les Schmidt de Paavo Järvi & Radio-Francfort (qui semblent être une véritable tuerie), pas encore essayé l'opéra de Bronsart, et encore tant de choses à essayer… Septembre (et la pause estivale dans la Grande Crise de la Fin du Monde ?) semble avoir déchaîné une avalanche de parutions, plus ambitieuses (plusieurs opéras, genre onéreux et plutôt moins représenté en nombre de parutions que les autres), alors même que l'été était resté suffisamment prodigue pour ne pas avoir le temps de tout découvrir.

À découvrir ce mois-ci ? 

¶ Le duo alto-contrebasse de Dittersdorf, l'arrangement de la Surprise de Haydn pour quintette, les beaux équilibres de Moszkowski, le premier concerto de Vladigerov, les trios à aspect français de compositeurs turcs (Ainar en tête), bien sûr la parution attendue du Timbre d'argent de Saint-Saëns.

¶ Si je n'ai pas été totalement emporté par l'intégrale Ives de Dudamel, la période fut riche en interprétations très marquantes : ainsi le disque d'arrangements d'opéras et pièces d'anches françaises de Jarry aux orgues royales, les Haydn du Chiaroscuro SQ, l'époustoubouriffante intégrale Schmidt par Paavo Järvi et… les Goldberg de Lang Lang. (J'en suis le premier surpris – je ne vais tout de même pas mentir pour vous extorquer votre confiance et ma bonne réputation.)

¶ Hors nouveautés, émerveillé de trouver de si belles formes sonates (mêlant science de construction et thèmes vifs très américano-folklorisants !) chez Ethel Smyth (sonates violon-piano et violoncelle-piano, Quintette à deux violoncelle…), que je n'admirais pas particulièrement dans ses œuvres orchestrales. Sinon, exploration de la discographie du Leipziger Streichquartett et du Chiaroscuro SQ, de grandes satisfactions de ce côté-là.

Du vert au violet, mes recommandations.

♦ Vert : réussi !
♦ Bleu : jalon considérable.
♦ Violet : écoute capitale.
♦ Gris : pas convaincu.
(Les disques sans indication particulière sont à mon sens de très bons disques, simplement pas nécessairement prioritaires au sein de la profusion de l'offre.)





commentaires nouveautés : œuvres commentaires nouveautés : versions



Schmidt – Symphonies – Frankfurt RSO, Paavo Järvi (DGG)
→ Au sein de ce corpus extraordinaire, voire majeur, le plaisir d'entendre une version qui s'impose d'emblée comme colorée, frémissante, captée avec profondeur et détails, par un orchestre de première classe, et surtout articulée avec ce sens incroyable des transitions qui caractérise l'art de Järvi. Chacune des symphonies en sort grandie. Indispensable.
Moszkowski – Suites 2 & 3 (œuvres orchestrales vol.2) – Sinfonia Varsovia, Ian Hobson (Toccata Classics)
→ Superbe début en choral, aux vents seuls (on entend rugir le contrebasson), suite de progression très brahmsienne lorsque arrivent les cordes. Œuvres particulièrement éloquentes dans leur sobriété assez entraînante (mais non sans métier ni subtilités !).
Bach – Variations Goldberg – Lang Lang (DGG)
→ Admiratif de la force vitale qui émane de cet enregistrement : tout ce qu'on reproche d'ordinaire à Lang Lang (la virtuosité sans objet, l'amusement avec les touches plutôt que la recherche d'un propos musical) se canalise pour produire le meilleur, un Bach digitalement immaculé, mais qui palpite comme rarement, de surcroît servi par des ornementations variées et informées stylistiquement (quelques ajouts plus personnels également, très bienvenus dans les reprises).
→ Dans les parties plus lentes, il parvient simultanément à ménager une suspension plus romantisante, d'un genre plus perahiaïsant. Je ne comptais même pas écouter cette nouveauté (n'étant pas le plus grand amateur des Goldberg, ni de Lang Lang à quelques exceptions près), et j'en ressors électrisé.
What's Next Vivaldi ? (Vivaldi, Francesconi, Stroppa, Sollima, Bartók…) – Kopachinskaja, Giardino Armonico, Antonini (Alpha)
→ Tissage de concertos de Vivaldi avec des oeuvres contemporaines ; même les concertos sont contaminés par des cadences en forme de happenings (grincements, cris, sorties de route). Amusant, mais on ne reconnaît plus vraiment les oeuvres à force de distorsion, le jeu prend la place de la musique, comme lorsque le pianiste amateur s'amuse à jouer son Chopin façon boogy. Amusant une fois, mais ce ne donne pas nécessairement envie de réécouter (ni d'acheter).
Fauré, Debussy, Ravel, Poulenc – Mélodies célèbres – Devieilhe, Tharaud (Erato)
→ Belle lecture de ces pages courues, avec le retour d'une voix très focalisée, nette et brillante malgré les récentes maternités. J'avoue être plus sensible à des lectures où le texte est davantage mis en valeur, mais le résultat musical est assez somptueux ici. Selon votre sensibilité, donc.
Léopold Ier – Il Sagrifizio d'Abramo + Miserere – Weser-Renaissance (CPO)
→ Œuvres de l'empereur du Saint-Empire. Dans un style très premier-XVIIe (alors que son long règne s'étend sur la seconde moitié du siècle et le début du suivant), déclamation assez sèche sur accords, mais dotée d'une harmonie plutôt mobile et d'une belle collection de lignes mélodies expressives. Un peu formel quelquefois, peut-être, mais toute la palette du pathétique italien se trouve remarquablement convoquée.
→ Très vivante version d'Abramo, aux voix nettes, au continuo très épuré (peu de remplissage entre les accords) mais non sans poussée.
→ Moins convaincu par le Miserere, essentiellement traité comme une cantate sacréee monodique (malgré le choix de varier les tessitures), et jouée avec un statisme qui n'en tire pas le plus de tension possible (sur une musique aussi simple, la tension m'apparaît comme une bonne chose).
Britten, Peter Grimes – Skelton, Bergen PO, Gardner (Chandos)
→ Belle version, captée un peu trop vaporeusement (alors que les bandes vidéo du concert sur le vif étaient beaucoup présentes et tranchantes). Comme toujours, la tension n'est pas facile à créer passé le premier tableau, dans une œuvre très étale, et la prise de son accentue cette impression, malgré une diction des protagonistes plus intelligible qu'à l'accoutumée dans cette œuvre.
Pancho Vladigerov – Les 5 Concertos pour piano – Moussev, Drenikov, Gatev, Pancho Vladigerov ; Bulgarie NRSO, Xander Vladigerov
→ Étonnant corpus, débutant par un Premier au postromantisme vraiment personnel, un contour mélodique propre, des enchaînements audacieux. Mais variable selon les concertos et même les mouvements, avec des morceaux qui imitent Chopin (final du Première) et un Quatrième qui se tourne résolument vers Rachmaninov (et plutôt celui du n°2 !). Un peu moins intéressant dans ce cadre.
→ Ébloui par Moussev dans le n°1, avec une chair, une ampleur, une qualité de timbre que les non-slaves-orientaux ne parviennent que rarement à déployer.
Haydn: String Quartets Op. 76 Nos. 1-3 Chiaroscuro SQ (BIS)
→ Une exécution aussi organique, charpentée dans la structure, légère dans la touche, dans les prises de son toujours extraordinaires de BIS pour le quatuor (on ne fait pas plus aéré, proche, réaliste, c'est comme écouter du premier rang !)… on dispose donc d'une nouvelle référence assez absolue pour cet opus-sommet !
→ Le jeu des Chiaroscuro se caractérise par une diminution du sostenuto (les tenues s'étiolent, s'éteignent après une entrée très charnue), qui offre de nouvelles perspectives d'équilibres, davantage appuyées sur la mobilité des entrées sur la permanence du son. (C'est donc particulièrement enthousiasmant sur les 1 et 2, plus étrange sur l'Empereur et son mouvement lent inhabituellement dégingandé.)
H. Andriessen: Miroir de peine - Berlioz: Symphonie fantastique – Stotijn, Zuidnederland PO, Dmitri Liss (Fuga Libera)
→ La plainte d'Andriessen sur ses grands aplats de cordes est très impressionnante, et jouée avec une présence vibrante par tous les interprètes.
→ La Fantastique a l'air très belle aussi, mais j'avoue ne pas avoir eu la fantaisie de l'explorer sérieusement cette fois-ci.
Mahler – Das Lied von der Erde – Connolly, R.D. Smith, RSO Berlin, V. Jurowski (Pentatone)
→ Très belles couleurs, le grain de chaque instrument bien mis en avant jusque dans les tutti. Chanteurs moins marquants, mais valeureux.
Rott – Symphonic Works vol.1 – Gürzenich, Christopher Ward (Capriccio)
→ Des œuvres où la jeunesse est audible ; on perçoit frémir, çà et là, les prémices de la Symphonie en mi, mais on reste globalement dans l'ordre de poèmes symphoniques au romantisme bien balisé, par un orchestre devenu de haute volée sous Stenz. Plaisant, en attendant les autres volets.
Ives – Les 4 Symphonies – Los Ángeles PO, Dudamel
→ Peu de versions disposent d'une prise de son lisible. Celle-ci, aérée et habitée, permet de goûter davantage de détails au sein de ces bijoux !
Lecture qui m'a paru, autrement, exalter assez peu les bigarrures de ces partitions étranges.
Moscheles – Complete Piano Sonatas – Michele Bolla (Piano Classics)
→ Premier romantisme remarquablement écrit et interprété, avec beaucoup de générosité mélodique qui sert une belle progression du discours, et une interprétation totalement enflammée. On sent les parentés avec Beethoven dans les alternances contemplatives et tempêtueuses de certains mouvements – la Romance de l'opus 41 !
→ Joué sur piano d'époque, avec prise de son un peu proche et dure.
Marchand, Couperin, Dandrieu, Corrette, arrangements de LULLY (Atys, Armide), Purcell (Dido), Charpentier (Te Deum) et Rameau (Indes, Boréades) – Orgue de la Chapelle Royale de Versailles, Gaëtan Jarry (CVS)
→ Stimulant et savoureux enchaînements de pièces spectaculaires, que ce soient les grands dialogues écrits pour l'instrument ou les danses issues d'opéras, où Jarry déploie un sens des déhanchements subtils (qui ne caractérise absolument pas sa manière de chef !) et un sens des contrastes de registration qui font de l'ensemble un régal particulièrement accessible à toutes les oreilles.
Sa version à la fois hautement symphonique et très contrapuntique des Sauvages parvient même à renouveler le bis le plus usé du répertoire baroque.
Busoni – Œuvres pour deux pianos : Fantasia contrappuntistica, arrangements de Schumann et Mozart… – Ciccolini, Orvietto, Rapetti (Naxos)
→ Arrangements vivifiantes, exécutés avec une très grande netteté. Et l'emblématique Fantaisie dans sa version encore plus démesurée, pour deux pianos !

Alnar, Tüzün, Baran, Balcı – Trios piano-cordes (turcs) – Bosphorus Trio (Naxos)
→ Alnar fait partie du « Groupe des Cinq » incluant les compositeurs turcs les plus célèbres (dont Saygun et Erkin). Il était le seul du groupe à disposer d'une formation sérieuse en musique traditionnelle, et après des études de composition auprès de Joseph Marx, il applique les modes et rythmes locaux dans ses œuvres – comme ce trio de 1929 révisé en 1966, aux couleurs assez françaises (type Koechlin-Ropartz-Cras) malgré son dépouillement. Très belle partition. Tüzün s'inscrit dans une esthétique comparable.
→ Baran évoque les moments les plus étales de Koechlin ou Decaux, alternant avec un lyrisme cabossé et inquiétant à la soviétique, comme on en a dans les mouvements lents de Chostakovitch et Prokofiev… et émerge soudain un bout d'ostinato de la Danse du Sabre de Gayaneh (Khatchatourian) !
→ Moins convaincu par le plus jeune, Balcı, dont le langage tonal vraiment simple semble traversés d'ostinati inspirés du riff, mais qui fonctionnent mal à mon sens, si l'on n'a pas la possibilité de jouer vraiment sur le beat. D'une manière générale, beaucoup de répétitions pour un discours qui n'est ni très original ni très passionnant.
→ Globalement, trois très beaux trios sur les quatre, dont l'excellent d'Alnar !

Saint-Saëns – Le Timbre d'argent – Les Siècles, Roth (Bru Zane)
→ On ne nous l'avait pas survendu, c'est ébouriffant ! Non seulement la partition est vraiment *différente* (alliages inédits avec doubles cors anglais par exemple, séquences fondées sur des ostinatos orchestraux), mais de surcroît, joué avec cette finesse et cette ardeur, Voilà du boudin paraîtrait subtil et passionnant ! Je ne croyais pas (après avoir entendu a peu ou prou tout son catalogue disponible) que Saint-Saëns fût aussi passionné d'orchestration : multiples moments sans premiers violons, ou aux bois seuls, ou quatre violoncelles solos… Jusqu'à la chanson populaire de bas étage, sorte de parodie d'Offenbach des Bouffes !
→ L'œuvre, de 1877 (et remaniée jusqu'en 1914), est assez indatable stylistiquement : des archaïsmes façon Rossini / Meyerbeer, des archaïsmes « hardis » façon d'Indy des Chansons & Danses, des scènes où l'orchestre a sa thématique autonome (sans être wagnérien), un style général qui reste très français-XIXe, avec des ruptures ou des couleurs orchestrales qui ressortiraient davantage à l'avant-garde… plus proche d'Étienne Marcel que de Samson ou des Barbares, assurément. (le premier duo évoque celui d'Henry VIII, autre chef-d'œuvre).

→→ suite →→
→ L'intrigue elle aussi paraît n'appartenir à aucune époque : on a le pacte faustien, la rédemption sulpicienne comme dans Robert (ou Gounod) et même la bonne Hélène-Alice qui intercède auprès de Dieu, les changements de décors dans des lieux naturels spectaculaires (Berlioz), le démon omniprésent et protéiforme, les identités féminines mouvantes des Contes d'Hoffmann, par les mêmes librettistes,mais l'abandon des siens pour la quête d'absolu qui s'enfange dans des orgies sans but, c'est tout à fait Der Ferne Klang de Schreker ! Alors que le livret est structurellement une variation sur le Christmas Tale de Dickens, alors qu'on a de jolies chansonnettes çà et là, ce qui domine est un climat très sombre, désespéré, sale, décadent. Celui du péché qu'on ne peut laver, du crime qui poisse sur votre peau. En cela, l'impression générale coïncide assez avec Schreker, vains espoirs de Ferne Klang ou Spielwerk, orgies de Ferne Klang ou Gezeichneten…
→ Le plateau est formidable également, la franchise de Devos, la clarté de Yu Shao, les tourments de Montvidas… Autre raison du succès : les instruments d'époque qui apportent une grande transparence, sur laquelle les voix se déposent sans forcer, et surtout l'amour de cette musique qui ruisselle de l'engagement incroyable des Siècles, à chaque seconde, comme si elle était la plus belle jamais écrite !

HAYDN,. Symph 94 pour quintette flûte & cordes / KRAUS / DITTERSDORF duo alto contrebasse – « Music for a Viennese Salon » ; Night Music (Avie)
→ Splendide interprétation pleine de saveur sur instruments d'époque de ces belles pièces chambristes de haute facture et de cet arrangement très convaincant de la Surprise de Haydn.

Gassmann – Airs – Ania Vegry, NDRPO Hanovre, David Stern (CPO)
→ Seria du milieu XVIIIe par une voix riche, nette, très timbrée (aux voyelles peut-être insuffisamment individualisées), avec un orchestre remarquablement informé. Les pièces ne m'ont pas bouleversé, mais l'exécution est admirable, et documentent une part obscure du répertoire (en dehors de son impayable Opera seria parodique, qui n'existe même pas au disque je crois, qu'avons-nous eu de Gassmann ?).






autres nouvelles écoutes : œuvres autres nouvelles écoutes : versions


Smyth – Sonate violon-piano – Little (Chandos)
→ Superbe œuvre (veine mélodique !), fantastique version (timbre et éloquence !).
Arriaga, Symphonie en ré – Galicía, López-Cobos (YT officiel)
Moszkowski (c-1) – Œuvres orchestrales (Prélude & Fugue, Concerto pour violon, 5 Danses espagnoles) – West Side Sinfonietta (NFM)
→ Concerto pour violon joli mais standard, 5 Danses très sympathiques (piano et petit ensemble), Prélude & Fugue est le plus intense et personnel.

Moszkowski (c-1) – Jeanne d'Arc, poème symphonique en 4 mouvements (œuvres orchestrales vol.1) – Sinfonia Varsovia, Ian Hobson (Toccata Classics)
Arriaga, Symphonie en ré– Chambre de Suède, Zollmann (BIS 1997)
Hauer – Études pour piano, op. 22 – Schleiermacher (MDG 2010)
→ Quoique écrit dans son système dodécaphonique, impression d'une musique assez lisse, sorte de Chopin qui évite la mélodie et cherche les détours. Très belle musique profondément apaisée, à défaut d'être réellement déstabilisant / nouveau / stimulant.
J'aime assez (plus proche de Decaux que de Schönberg, clairement).
ARRIAGA, J.C. de: Overture, Op. 20 / Herminie / Agar dans le désert (Basque Music Collection, Vol. 10) (Basque National Orchestra, Mandeal) (claves 2006)

Beethoven – Sonate violoncelle-piano n°3 Op.69 – Gastinel, Guy (Naïve)

Haydn: String Quartets Op. 20 Nos. 4-6 Chiaroscuro SQ (BIS)
→ Très belle lecture sèche et vivante, manifestement sur instruments modernes montés en boyaux (ou joués comme tels !). Très réussi.

Brahms – Sextuor 1, Quatuor en ut mineur Op.61 – Leipziger SQ (MDG)
→ Très lumineuses, claires et élancées versions. Articulation limpide particulièrement appréciable dans le quatuor.

Final italiana in Algieri : Abbado, Varviso, Scimone





réécoutes œuvres (dans mêmes versions) réécoutes versions

Arriaga, Symphonie en ré – Concert des NationsSavall (Alia Vox 1994) – bissé
Moscheles – Complete Piano Sonatas – Michele Bolla (Piano Classics)
→ (cf. nouveautés)
Beethoven – Sonate violoncelle-piano n°3 Op.69 – Du Pré, Barenboim (EMI)
Vaccai – Giulietta e Romeo – Trullu (Bongiovanni)
http://carnetsol.fr/css/index.php?2020/09/02/3162
(deux fois)
Haydn: String Quartets Op. 76 Nos. 1-3 Chiaroscuro SQ (BIS)
→ (cf. nouveautés)
Fried – Die verklärte Nacht – Foremny

(deux fois)
Haydn – Quatuor Op.76 n°3 – St Lawrence SQ (vidéo dans université texane)

Wagner – Das Liebesverbot : air d'Isabella : Hass, Sawallisch (Orfeo)





liste nouveautés : œuvres
liste nouveautés : versions
liste nouveautés : rééditions



schmitt mélodies

MONTÉCLAIR, M.P. de: Beloved and Betrayed - Miniature dramas for Flute and Voice (C.H. Shaw, Breithaupt, Les Ordinaires)

The Queen's Delight (English Songs and Country Dances of the 17th and 18th Centuries) Les Musiciens de Saint-Julien

Bollon orchestral works

schumann hasselhorn bouzignac te deum motets arts flo

lambert airs de cour arts flo

secrets live annie fischer

brahms piano rafael orozco
→ jommelli requiem
→ novak piano ccto, wood nymph
→ titelouze messes retrouvées vol.2
→ bronsart Jery
→ quintette vent su le sponde del tebro
→ Bo, Pstrokońska-Nawratil & Moss: Chamber Works
Łukasz Długosz
boréades Luks

goldberg harpe : ramsay

Xmas carols SWR vocal Ens

→ beeth sonates violon FP Zimmermann BIS

→ rameau pygmalion (CPO)
DFD Edition Orfeo vol 2, 3
→ fasch
→ earth music capella de la torre
→ nielsen complete violin solo & piano, hasse borup
→ manén violon cc
→ quintette dubughon holst taffanel françaix
→ fuchs sonates vln
→ meyerbeer esule
→ bononcini polifemo
→ graund polydorus
→ polisu kaleidoscope ravel pia duo
→ aho symph 5 currie
→ anima gementem cano
→ purcell royal welcome songs
→ gombert messe beauty farm
vermeer bologna
→ standley et ens contrast schubt
→ nature whispering
→ Petite Renarde Rattle
→ chant de la Terre I.Fischer RDS
→ lamento (alpha)

wohlhauser (neos)
john thomas duos harpe piano vol.1 (toccata)
arnold rosner requiem (toccata)
moszkowski orchestral vol 2
idenstam metal angel (toccata)
corigliano caravassius siegel pour guitare (orchid)
iannotta : earthing (wergo)
imaginary mirror hasselt (challenge)
lundquist symphonies (swedish society)
eklund symphs 3 5 11 norrköping (CPO)
peaceful choir
spisak works (dux)
zemlinsky, rabl : quatuors (Zimper, gramola)
goleminov SQ par sofia SQ
gombert masses beauty farm
mahler 4 turku segerstam
chosta 5 jansons bayrso
bruckner 4,5,6,7 munich PO gergiev
beethoven 7 saito kinen ozawa
beethoven sonates 8-11 giltburg
beethoven concertos piano sw chb bavouzet
ardeo SQ xiii
schwanengesang behle
→ bizet sans paroles gouin
→ respigni chailly scala
→ st-saêns chopin callaghan
→ Mühlemann mzt






écoutes à (re)faire

→ Alla Pavlova musique de film sous étiquette symphonique. C’est très sucré
→ Stacey Garrop l’aspect narratif de ses pièces (sa symphonie Mythology collection de poèmes symphoniques
→ Ses quatuors
→ Lea Auerbach sa musique de chambre, souvent autour des variations, jeux de miroirs au sein de la même pièce ou entre les pièces (les mouettes du I dans son premier trio), ses motorismes, toutes ces choses et plus encore me transportent.
→→ Ses deux trios pour piano et ses 24 préludes (surtout ceux pour violoncelle et piano, même si violon et piano, un autre numéro d’opus, sont de haute volée) seraient mes premières recommandations.

→ Gloria Coates Noir, tourmenté, très râpeux
→ Rosalind Ellicott quelle verve mélodique ! Ses deux trios pour piano
→ En vitesse, Lucija Garuta a laissé un très beau concerto pour piano, Louise Héritte-Viardot 3 quatuors de belle facture, Rita Strohl un saisissant duo violoncelle/piano Titus et Bérénice. Elisabeth Lutyens m’a été très difficile d’approche, mais elle a définitivement des choses à dire.
→ Australiennes, comme Myriam Hyde, Elena Kats-Chernin et Margareth Sutherland (Women of Note, permet de se faire une idée des noms qui accrochent).
moszkowski catalogue

hauer opéra

rubbra ccto pia, botstein

mephisto minnesota oue

callirhoe chaminade

tailleferre cc 2 pianos, hommage à rameau
barber sonata kenny
copland sonata

trauermusik haydn

voces8 marcello

compét' symphonistes brits

sawyer 4
vaccai sposa messina

polonia panufnik

cantates jacquet
kinkel
holmès
bosmans
sokolovic
kapralova






Rendez-vous avant la (prochaine) Fin du Monde !

dimanche 26 juillet 2020

Le défi 2020 des nouveautés – épisode 9 : Bruch, Weigl, Schillings, Reznicek, Usandizaga, Alwyn, Killmayer…


Petit bilan du mois écoulé. Nouveautés écoutées de ces dernières semaines.

Du vert au violet, mes recommandations.

♦ Vert : réussi !
♦ Bleu : jalon considérable.
♦ Violet : écoute capitale.
♦ Gris : pas convaincu.
(Les disques sans indication particulière sont à mon sens de très bons disques.)

Quelle jolie brassée !  Je suis frappé par le nombre de noms particulièrement confidentiels (Ramhaufski, Hochreither, Romberg, Johansen, Kuljerić, Mihajlović…) qui s'ajoutent à d'autres minorités opprimées des programmateurs (les femmes avec Emilie Mayer, les « petites langues » avec Gotovac, le second XXe très-tonal avec Kuljerić…). Dans ces nouveautés, quelques merveilles absolues, en particulier les Quatuors de Weigl, fiévreux échos de ce que le style décadent début-de-siècle a produit de meilleur, à la fois ardent, complexe et jubilatoire (tout l'inverse de ses symphonies, en somme) et l'intégrale des Symphonies de Bruch par Bamberg et Trevino, dont la réalisation de qualité supérieure magnifie les beautés postschumaniennes… La Première Symphonie en particulier ménage des trouvailles merveilleuses.

Côté interprétation, vu la pléthore d'offre, c'est sans surprise Beethoven qui triomphe : moitié d'intégrale étourdissante par Savall, concertos de la plus belle finition par le gigantesque Bellucci, timbres inédits par le Freiburger Barockorchester

Dans mes découvertes personnelles, quantité de grands coups de cœur du côté des opéras d'Alwyn, Usandizaga, Killmayer, Reznicek, Schillings bien sûr, la musique de chambre de ces deux derniers.
Et écoutes comparées des Partitas pour clavier de Bach et d'Unis dès la plus tendre enfance. J'ai aussi enfin fini Barbe-Bleue d'Offenbach, un de ses meilleurs opéras à mon gré, dont je n'avais pas achevé l'écoute lorsque commencée (faute de temps simplement, car tout y est magnétique de tout en bout).




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Milan Mihajlović: Bagatelles pour violon, clavecin et cordes, Memento… – Brandebourg StO, Griffiths (CPO)
→ Violon ultra lyrique et clavecin en agrégats hors tonalité.
→ L'élégie, à la voix à base de lyrisme, pizz et glissandi, sonne très contemporain malgré ses bases totalement tonales. Ce n'est pas le grand vertige, mais l'orchestre splendide de Frankfurt (Oder) y resplendit.
DUPONT, G.E.X.: Songs (Je donnerais mes jours) (Rachel Joselson, Bo Ties) (Centaur)
→ Dans un des plus beaux corpus de mélodie française, un piano remarquablement timbré, présent, exact et versatile, un régal. La voix en revanche, heureusement captée en retrait, vibre terriblement, élimée, instable… difficile de traduire l'espièglerie ou la tendresse avec ce matériau, même si la proposition de l'artiste est, comme ici, de qualité.
(À choisir, j'aime nettement mieux que les mélodies chantées par Florence Katz dans l'album Peintre / Jacquon.)
Fibich – Symphonie n°3 ; Ouvertures Šarka, Bouře, marche funèbre Messine – Janáček PO Ostrava, Marek Štilec
→ Les bois sombres du début de la Troisième font belle impression ! Fibich écrit une musique romantique non sans richesses, à défaut d'une personnalité très singulière.
Beethoven – Symphonies 1,2,3,4,5 – Le Concert des Nations, Savall (Alia Vox)
→ Couleurs splendides, mais surtout une structure au cordeau et une ardeur débordante, qui en font un tout premier choix pour une version sur instrument d'époque, avec des cordes plus fondues et capables de legato que chez Gardiner (où la disjonction cordes / vents est totalement assumée), une ardeur semblable à Hogwood (dont les choix sont plus extrêmes). Du niveau de ces deux-là en tout cas.
→ Le premier mouvement de l'Héroïque est d'assez loin le plus rapide que j'aie entendu, sans doute assez proche de l'indication métronomique ! La Quatrième rend remarquablement justice, elle aussi, à son écriture à la fois fragmentée et très structurée.
→ Il faut préciser, pour les oreilles les plus sensibles, quelques moments (vraiment fugaces) où les vents ne sont pas justes (hautbois-clarinettes dans la 1, cors dans le II de la 3). Ça ne couaque jamais, et ça ne gêne pas du tout à mon sens, mais il reste, au sein de cette exécution superlative, ces détails qui peuvent gêner les plus sensibles (à la réécoute surtout, je suppose).
Nielsen: The Mother, Op. 41, FS 94 – Odense SO (Da Capo)
→ Musique de scène pour un Nielsen peu fantaisiste et pittoresque, de la musique qui bouscule peu le langage, même si l'on y entend des harmonies et trouvailles communes à la quatre.
→ Pas subversif, mais délectable, avec de très belles intuitions (l'émergence des cors mélodiques dans le rêve-saga !).
→ Amusante série d'hymnes nationaux.
Mozart y Mambo – Sarah Willis (cor), Havana Lyceum Orchestra, José Antonio Méndez Padrón (Alpha)
→ Le programme du disque correspond exactement au titre : des pièces de Mozart pour cor et orchestre… et du mambo ! (dont un pastiche de Mozart)
Je n'aime pas trop le timbre très britannique (rond, sombre, un peu poisseux) du cor de Willis, qui a un côté trombone / tuba pas tout à fait dans mon idéal (limpide) de l'instrument. Chez les mêmes solistes berlinois, Neunecker ou Dohr me séduisent autrement…
Kabalevsky: Complete Preludes – Michael Korstick (CPO)
→ Symphonies et concertos pour piano absolument remarquables, dans des genres assez différents (symphonies sombres quoique mélodiques, concertos pour piano avenants mais bien intégrés à l'orchestre, dotés d'une réelle substance musicale). Ces Préludes sont plus nus et aimables, mais avec l'implication et la pensée structurelle de Korstick (à qui l'on peut tout au plus reprocher un toucher toujours légèrement cassant), on peut goûter cette simplicité avec un diamantin éclat.
Zemlinsky – Die Seejungfrau – PBPO, Marc Albrecht (Pentatone)
→ Fluidité et clarté, élan, une grande version de cette œuvre, par un orchestre rompu depuis des années aux décadents germaniques, qu'il joue désormais avec un naturel déconcertant !
Beethoven: Symphonies Nos. 1 & 2 - C.P.E. Bach: Symphonies, Wq 175 & 183/17
Akademie fur Alte Musik Berlin, Bernhard Forck (HM)
→ Superbe projet que ces jumelages de symphonies (on a eu du Knecht avec la 6, aux parentés édifiantes !). Les CPE sont belles en première écoute, sans être nécessairement ses meilleures (et sans que les parentés directes m'aient frappé, à réentendre).
→ Sur le résultat, l'Akademie avec Forck ne dispose vraiment pas, à mon sens, du même feu qu'avec Goebel (qui fait maintenant des étincelles à la WDR de Cologne…) : les œuvres, très bien jouées, manquent de ce surplus de personnalité ou d'abandon qu'ajoutent les grandes interprétations.
→ J'ai donc envie de recommander l'album… sans avoir été tout à fait bouleversé.
Beethoven – Concertos pour piano – Bellucci, Biel Solothurn SO, Kaspar Zehnder (Calliope)
→ Bellucci encore une fois le virtuose des virtuoses (quelle netteté !) : chez lui la pédale sert à gagner en résonance et en ampleur, jamais à compenser le legato qui est déjà totalement maîtrisé. Chaque strate musicale est audible, et les phrasés élégants – dans Beethoven, il joue de plus à fond le raptus, l'ardeur, la hardgne (sa Hammerklavier est d'une insolence assez incroyable).
→ Orchestre vif, fin, engagé, très belle surprise de la part d'une phalange qu'on aurait pu croire secondaire (et qui est bien plus engagée et précise que la moyenne).
→ En bonus, un grand nombre de cadences alternatives sont enregistrées (Reinecke, Liszt, Brahms, Fauré, Busoni, Gould… !). Passionnant.
Alwyn – Miss Julie – Oramo (Chandos)
→ Splendide mise en valeur du texte, très intelligible dans cette mise en musique, dans une atmosphère typiquement anglaise (degradés de gris sophistiqués mais faciles d'accès), avec un véritable sens dramatique, un bijou.
→ Néanmoins, j'aime bien davantage la version Lyrita, chantée avec des voix moins vaporeuses et captée avec davantage de franchise.

Emilie Mayer .: Symphonies Nos. 1 and 2 (North German Radio Philharmonic, McFall)
→ Une des premières femmes à vivre de ses compositions (1812–1883), et non seulement à composer en plus de ses cours ou concerts.
→ À l'écoute, l'impression d'une belle musique, instrumentée avec délicatesse, sur des carrures d'accompagnements assez classiques, peu tournée vers les contrastes… Mais le résultat n'est pas très enthousiasmant ; j'aimerais vraiment en entendre une version avec plus de mordant, d'allant, d'accents. Quelque chose d'assez tranquille et terne domine, alors qu'en tendant l'oreille vers le détail, on peut penser aux plus belles ouvertures d'Auber, par exemple, un beau galbe mélodique, une simplicité qui a ses séductions, dans des couleurs plutôt mendelssohniennes.
→ Album peu exaltant en l'état, mais j'aimerais en avoir deux ou trois autres versions avant de me prononcer sur les compositions, qui ont l'air touchantes. En tout cas la Première Symphonie – la suivante a peu sollicité mon intérêt.

Krommer: Symphonies Nos. 6 & 9 – Svizzera Italiana, Griffiths (CPO)
→ Entre les accords dramatiques post-Gluck et un premier romantisme un peu plus aimable, de belles compositions, hélas lissée comme d'habitude par Griffiths (pourquoi confier aussi souvent ce répertoire à quelqu'un qui le joue à rebours de ses spécificités de contrastes, de textures et de coloration ?). Le résultat manque de relief, joué avec plus de « conscience » musicologique et de feu, il y aurait là un beau potentiel. Tout à fait respectable au demeurant, beau disque.

Ramhaufski, Hochreither – Festive Masses for Lambach Abbey – Ars Antiqua Austria, Gunar Letzbor
→ Son typiquement autrichien, assez rococo (cuivres très présents, notamment les trombones en contrechant dans les chœurs), qui sert des messes baroques joliment contrapuntiques. Sans paraître du niveau des fleurons du temps comme les grands Zelenka, de belles découvertes correspondant à un style européen identifié, très bien exécutées.

David Johansen (c-1) : Concerto pour piano, Pan, Épigrammes sur des motifs norvégiens, Variations symphoniques & Fugue – Triendl superstar, Kristiansand SO, Aadland (CPO)
→ Vraiment un univers sonore original, concerto pour piano un peu sombre, où l'évocation de l'orchestre tient une large part.

Reinecke : Symphonies 3 & 1, Radio de Munich, Henry Raudales (CPO)
→ Les cordes dominent dans ces symphonies typiquement romantiques, mais élancées et non sans charme mélodique. Pas des découvertes fondamentales, mais aussi bien jouées et enregistrées, un plaisir auquel on revient très volontiers !

Bruch: Symphonies Nos. 1-3 & Overtures
Bamberger Symphoniker, Robert Trevino (CPO)
→ Très mendelssohnien lorgnant vers Brahms, et joué avec un tel élan ! (quelle prise de son limpide et ample, aussi !) Il faut dire que Bamberg / Trevino, ce n'est pas une alliance de seconds couteaux !

Reznicek: String Quartets, Minguet Quartett (CPO)
→ Beaux quatuors romantiques tardifs, bien réalisés. Plutôt le meilleur de l'instrumental de Reznicek, en réalité !

Weigl: String Quartets Nos. 7 & 8
par Thomas Christian Ensemble (CPO 2017, parution en dématérialisé le 3 juillet 2020)
→ Weigl est donc un grand compositeur… mais certainement pas de symphonies ! Ces quatuors, plus sombres, mieux bâtis, d'une veine mélodique très supérieure et d'une belle recherche harmonique, s'inscrivent dans la veine d'un postromantisme dense, sombre, au lyrisme intense mais farouche, à l'harmonie mouvante et expressive. Des bijoux qui contredisent totalement ses jolies symphonies toutes fades. (On peut songer en bien des endroits au jeune Schönberg, à d'autres à un authentique postromantisme limpide mais sans platitude.)
→ Aspect original, le spectre général est assez décalé vers l'aigu : peu de lignes de basses graves, et les frottements harmoniques eux-mêmes sont très audibles aux violons, assez haut. avec pour résultat un aspect suspendu (le Quatuor de Barber dans le goût des décadents autrichiens…) qui n'est pas si habituel dans ce répertoire.

Avenue Beat – the quarantine covers
→ Très sympathique. Le sommet étant l'hors-album : « In december 2019 » avec son clip dépressif.

Kuljerić: Hrvatski glagoljaški rekvijem - Gotovac: Himna slobodi (Live) – Radio de Munich (BR Klassik)
→ Très mignon, néoromantisme minimal. Pas forcément passionnant, mais de jolies trouvailles dans les essais orchestraux – un peu massifs, mais originaux par endroit (un peu cette façon de court-circuiter l'orchestration traditionnelle qu'ont Orff ou Kancheli, toutes proportions gardées…).



commentaires nouveautés : rééditions
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BRAHMS, J.: Piano Trios Nos. 1-3 (I. Stern, L. Rose, Istomin) (Sony)
→ Un des rares volumes de cet extraordinaire trio qui ait un peu trop vieilli à mon gré (timbres pincés, moindre fondu général). Par ailleurs le piano très en retrait, qui fonctionnait fort bien dans Schubert, voire Mendelssohn, est un problème dans l'architecture du Brahms. Dommage.

telemann magnificat CPO mozart mass C minko


gál music for voices (toccata) Mélodies britanniques Bostridge / Pappano


Sange fra grænselandet
Musica Ficta



Graupner : Das Leiden Jesu: Passion Cantatas, Vol. 4
Ex Tempore



katsaris original works used fot mozart concertos


dallapiccola prigioniero chandos


rodrigo orchestral works, comunitat valenciana


rossini nozze teti e peleo (Naxos)


weinberg works for cello and orchestra, wallfisch (CPO)


barmotin piano (Grand Piano)


Barjansky piano (Grand Piano)


Gotovac : Ero the Joker (CPO)


Les 4 autres volumes du concours Moniuszko (DUX)


Mélodies britanniques Gilchrist

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Offenbach – Barbe-Bleue – Sénéchal, Duvaleix, Revoil, Collart , Peyron, Daguerssard, Dassy ; Radio-Lyrique, Cariven (Cantus Classics 2010, enreg. 1958)
→ Très plaisante musique, assez spirituelle, pas seulement truculente, et livret tout à fait amusant, avec enjeux multiples et déplacement du conte.
Offenbach – Barbe-Bleue – Leguay, Lenoty, Dachary, Doniat, Terrasson… Radio-Lyrique, Doussard (Orfeo d'Oro 1999, enreg. 1967)
→ Remarquable relief de Leguay dans son meilleur rôle. Orchestre plus vif, moins articulé que chez Cariven ; même savoir-faire déclamatoire.
Stockhausen – Mantra – (New Albion 1988)
→ Très joli et agréable, tintinabulant.
Bach – Partita n°1 pour clavier – Dubravka Tomšić (Indésens, VOX à l'origine ?)
→ Lecture pour piano tradi mais très nettement articulée. Il n'y a pas la même liquidité vivace que dans ses Scarlatti (inégalés, pour mon usage), mais ce reste de belle facture.
→ Fun fact : la gigue évoque très fortement le grand air « Je t'implore et je tremble » que Gluck met dans Iphigénie en Tauride plusieurs dizaines d'années plus tard.
Nikolaï ARTZIBOUTCHEV : Sérénade / Nicolaï SOKOLOV : Polka, Mazurka / Maximilien d'OSTEN-SACKEN : Berceuse / Anatole LIADOV : Mazurka, Sarabande / BLUMENFELD : Sarabande / Nikolaï RIMSKI-KORSAKOV : Allegro / BORODINE : Scherzo / Alexandre KOPILOV : Polka / GLAZOUNOV : 5 Novelettes – « Les Vendredis » de Belaïev – Vertavo SQ (Simax 2004)
→ Musique plaisante d'ambiance de salon, remarquablement jouée par les Vertavo.
Bach – Partita n°1 pour clavier – Buchbinder (Sony)
→ Très romantique, mélodique, fluide, très plaisant à écouter, en lissant la complexité contrapuntique.

Bach – Partita n°2 pour clavier – Buchbinder (Sony)

Bach – Suite anglaise BWV 808 – Buchbinder (Sony)
→ Se prête moins bien à ce jeu (manque de danse).
Marteau – Quatuor n°2, 8 mélodies avec quatuor – Deshayes, Isasi SQ (CPO 2018)
→ Seul le Quintette avec clarinette, qui sert quelquefois de couplage au Reger, est un minimum représenté.
→ Le Deuxième Quatuor est dans la même veine, très sérieux et contrapuntique, franchement peu extraverti ni mélodique, malgré l'impressionnante contruction fuguée du dernier mouvement, qui mérite le détour.
→ Mélodies plus riantes, avec davantage de relief sensible.

Bach – Intégrale des Partitas pour clavier – Pinnock (Hänssler 2007)
→ Vivacité et fondu, une version pour clavecin « symphonique » qui fonctionne remarquablement ! Variété de phrasé, confort des résonances, lisibilité des directions…
Bosmans & Bridge: Music for Cello and Piano – Mayke Rademakers / Matthijs Verschoor (Quintone 2007)
→ Robuste construction de la Sonate d'Henriëtte Bosmans, impressionnante de rigueur, de geste, d'élan. Bridge très réussie également.
Bach – Partita n°1 pour clavier – Zhu Xiao-Mei (Mirare)
→ Même atmosphère douce, mais davantage de travail sur le contrepoint, plus de sous-texte, attaques un peu plus tranchantes.

Bach – Partita n°1 pour clavier – Verlet (Naïve)
→ Phrasé toujours avec beaucoup de liberté et de reliefs inégaux, mais clavecins trop riches qui fatiguent vite (et sonnent un peu faux dans ces harmonies complexes).

Bach – Partita n°1 pour clavier – Belder (Brilliant)
→ Clavein assez aigre, pas très agréable, malgré la vivacité de Belder.
WEIGL, K.: String Quartets Nos. 1 and 5 (Artis Quartet) (Nimbus)
→ Richesse et véhémence remarquables de ce corpus sans comparaison avec les pâles symphonies ! Parmi les très grands quatuors du premier XXe siècle.
Bach – Partita n°1 pour clavier – Leonhardt (néo-Erato)
→ A clairement vieilli, on sent le surlié imposé par l'instrument, le tempo est un peu contraint aussi ; beau hiératisme mais il existe beaucoup plus brillant désormais.

Bach – Partita n°1 pour clavier – Ashkenazy (Decca)
→ Joli piano rond, avec des modalités de trille pas tout à fait adaptées et une pensée qui reste très pianistique.
SCHILLINGS, M. von: Hexenlied (Das) / Symphonic Prologue / Ein Zwiegesprach / Dance of the Flowers (Mödl, Cologne Radio Orchestra, Stulen)
→ Clairement pas le Schillings le plus dense ni le plus inspiré, du très gentil romantisme translucide.

Bach – Partita n°1 pour clavier – Vinikour (Dorian)
→ Très beaux contrechants, mais clavecin aux résonances un peu acides, qui diminue le confort.

Bach – Partita n°1 pour clavier – Alard (Dorian)
→ Remarquablement réalisé, très sûr (et beaux placements d'agréments !), avec un certain manque de déhanché.

Bach – Partita n°1 pour clavier – Perahia (Sony)
→ Très rond, très fluide (et trilles très pianistiques), très fluide. A son charme, en lissant le discours en quelque chose de plus aimable.
Reznicek – Symphonies 2 & 5 – Bern SO, Beermann (CPO 2005)
→ Très sympathique, orchestration peu distinctive.
Beethoven, Quatuor n°13 – Vertavo SQ (Simax 2009)
→ Organique et virtuose version, pleine d'élan et de textures.
SCHILLINGS, M. von: String Quintet in E-Flat Major / String Quartet in E Minor (Vienna String Quintet) (CPO 2011)
→ Délicieusement postromantique, encore généreux et quelquefois voilé / vénéneux, beaucoup de beautés mélodiques et de climats à goûter !
Grieg & Debussy: String Quartets ; Vertavo SQ (Simax 2000)
Schillings – 2 Symphonische phantasien / Glockenlieder / Préludes pour Ingwelde et Moloch – Worle, Berlin Radio Symphony, Soltesz (CPO 1997)
→ Très beau postromentisme décadent postwagnérien, en particulier les préludes intermédiaires des deux opéras et le cycle de lieder.
Wagner – Ouverture du Vaisseau, extraits et arrangements orchestraux de Tristan, du Crépuscule, de Parsifal – Sk Berlin, Schillings (1926-1928 édition Jube 2013)
→ Très vif, fin, dramatique !
Schillings – Mona Lisa – Bilandzija, Bonnema, Wallprecht, Kiel PO , Klauspeter Seibel (CPO 1995)
→ Très schrekero-schoeckien, avec moins de surprises et de contrecourbes, à la fois riche et assez apaisant. Ressemble un peu aux meilleures parties des Oiseaux de Braunfels. Un régal.
Schillings – Mona Lisa – Borkh, Beirer, Ahlersmeyer, Opéra Municipal de Berlin, Robert Heger (1953, éditions Walhall ou The Art of Singing)
→ Orchestre évidemment moins détaillé, mais valeureux et généreux, chanteurs excellents bien sûr (le métal de Beirer, le grain d'Ahlersmeyer). Borkh assez fine et juvénile par rapport à ses rôles habituels.
Presque aussi superlatif que la version CPO – qui dispose certes en outre du livret bilingue anglais et surpasse cependant légèrement cette version d'Âge d'Or, même vocalement !
Killmayer – Musique de chambre (Quatuor à cordes, Trio à cordes, Quatuor piano-cordes, Brahms-Bildnis, 5 Romances…) – (CPO)
→ Effets de nappes et boucles, atonales et minimales, pas très passionnantes. Le Trio fonctionne mieux que le reste.
Fibich – Symphonie n°2, Au crépuscule, Idylle pour clarinette – Tchèque NSO, Marek Štilec (Naxos)
→ Plus primesautière que la 3, peut-être moins de relief aussi. Dans cette nouvelle version, elle bénéficie d'espace sonore et mérite d'être écoutée.
Killmayer – Heine-Lieder – Prégardien
→ Grande nudité, très proche des textes, avec un langage très tonal-naïf et des sorties de route assez marquantes. Très bel exercice de poésie musicale, chanté divinement.
Brahms quintette à cordes 2 – Mandelring SQ (Audite)
→ Version énergique, aux timbres pas toujours raffinés et aux inflexions un peu brutes, comme si tout était joué assez fort. Mais belle version très habitée.
Killmayer – Yolimba – Radio de Munich, Peter Schneider (Orfeo)
→ Mélange improbable de thèmes d'opérette très entraînants façon Misraki (le thème principal évoque beaucoup la loterie de Normandie…) et de véritable sprechgesang, ensemble assez étrange, riche et réjouissant !
Britten, Albert Herring, Hickox (Chandos)
→ Bons chanteurs, prise de son aérée (quelquefois un peu lointaine). Pour le meilleur opéra de Britten. Avec Gilchrist et R. Williams !
Usandizaga – Mendi Mendiyan (High in the Mountains) – Bilbao SO (Marco Polo 2005)
→ Grand romantisme lyrique très réussi pour cet opéra-étendard de la culture basque. Très bien chanté.
Alwyn – Miss Julie – (Lyrita)
→ Splendide mise en valeur du texte, très intelligible dans cette mise en musique, dans une atmosphère typiquement anglaise (degradés de gris sophistiqués mais faciles d'accès), avec un véritable sens dramatique, un bijou.
→ Version bien plus définie (et mieux captée et mieux chantée) que la récente parution Chandos, très honorable au demeurant.
Herzogenberg – Colombus – Oper Graz (CPO)
→ Œuvre très largement chorale assez recueillie, émaillée de quelques tirades solo un peu plus exaltées – elle n'évoque pas très spectaculairement les grands espaces, ni le frisson de l'épopée. Sorte de méditation profane assez plaisante – mais les interprètes de Graz ne parviennent pas complètement à la joliesse espérée. Plaisant.
Beethoven Sonates 26, 6, 29 – Bellucci
→ Net et claquant, impressionnant dans les 26 et 29. Un peu sec peut-être dans la 6, qui appelle à mon sens davantage de rondeur et de forme que de virtuosité et d'ardeur.
Johann Nepomunk David: Symphonies Nos. 2 & 4 – ÖRF, Wildner (CPO 2018)
→ Hindemithien en diable : pour la 2 un aspect affligé, des côtés néos, assez ouvertement sophistiqué – je n'adore pas forcément. En revanche la 4, quel contrepoint ! Malgré son sérieux et sa grisaille, particulièrement réjouissante (la fugue infinie du II !). On a l'impression d'entendre les deux meilleures minutes de Mathis der Maler développées pendant 30 minutes, tout à fait génial – et bien meilleur que Hindemith, en réalité !

Reznicek – Ritter Blaubart – Pittman-Jennings, Radio Berlin, Janowski (CPO)
→ Déclamation acérée, ambiances puissantes, grandes plages orchestrales plus simples que du Strauss (le premier interlude a cependant un vrai côté Rosenkavalier) mais qui ne sont pas du postromantisme répliqué, vraiment quelque chose de personnel dans ces consonances tuilées. J'adore, absolument.

Avenue Beat – the quarantine covers
→ Très sympathique. Le sommet étant l'hors-album : « In december 2019 » avec son clip dépressif.



écoutes à (re)faire
réécoutes œuvres (dans mêmes versions) réécoutes versions




The Aspern Papers, de Michael Hurd.

harris s3

reznicek schlemihl, s5 tanz

concours Moniuszko

robert still symphs 3-4 lyrita

van Gilse Symphonie n°3 – Porcelijn (CPO) Ô Richard, ô mon roi – Dens, Doneux
pausole honegger venzago, spanjaard

impros bartók

Cozzolani: Vespro
par I Gemelli, Emiliano Gonzalez Toro

Johann Nepomuk David: Symphonies n°1 en la mineur, op. 18 et n°6, op. 46:

Aho symph 12

Braunfels : Große Messe – Jörg-Peter Weigle (Capriccio 2016)
→ D'ample ambition, une œuvre qui ne tire pas Braunfels vers du Bruckner complexifié comme son Te Deum, mais vers une véritable pensée généreuse et organique, dotée en outre de fort belles mélodies.

(bissé)
Rott , Symphonie en mi / Pastorales Vorspiel – ÖRF, Dennis Russell Davies (CPO)
→ Plus fondu que d'autres, très beaux timbres. Meilleurs trois premiers mouvements, seul le final est un peu moins trépidant que Rückwardt ou P. Järvi.
ireland bax bowen cello watkins

georg schumann chb CPO

honegger quatuors

krumpholtz

Music for Piano Solo / Ronal Center (Christopher Guild, piano)

Pfitzner: Von deutscher Seele, Op. 28 (Live)
par Münchner Philharmoniker, Horst Stein
→ Étonnante audace, en particulier dans les interludes, pour un compositeur aux convictions ouvertement conservatrices. Quelque chose de presque décadent.
« Unis dès la plus tendre enfance », quelques grandes versions
Winbergh (Muti) 4,5T
Beuron (Minkowski) 5T
Alagna (Billy) 3,5T
Thill (Bigot) 4,5T
Chauvet (Etcheverry) 4T
Alxinger 3,5T
Aler (Gardiner) 3T
trafalgar sur un volcan

moeran quat

Roussel ccto pia : https://www.deezer.com/fr/album/4091751

trios dvo, rimski, raff, korngold

dohnanyi symph 1 capriccio

Bruch: Symphonies Nos. 1-3 & Overtures
Bamberger Symphoniker, Robert Trevino (CPO)
→ Très mendelssohnien lorgnant vers Brahms, et joué avec un tel élan ! (quelle prise de son limpide et ample, aussi !) Il faut dire que Bamberg / Trevino, ce n'est pas une alliance de seconds couteaux !

(bissé)
Gluck – Iphigénie en Tauride – Vaness, Winbergh, Allen, Surjan ; Scala, Muti
→ Lecture ample et tendue, avec des dictions variables mais une ampleur vocale qui suscite indiscutablement le respect. Les moments les plus déclamés et contemplatifs s'amollissent clairement (il ne sont pas pensés, tout simplement), mais les éclats dramatiques y sont presque aussi réussis que dans les grandes versions musicologiquement soignées.


Kilpinen mélodies, hynninen / gothoni

- Von Schacht, celle en si bémol majeur (vol 1 disque CPO)
- Eberl, celle en si bémol majeur (concerto Köln)

Arnold Bax, Edward Elgar, William Mathias Jonathan Lloyd

Reznicek: String Quartets, Minguet Quartett (CPO)
→ Beaux quatuors romantiques tardifs, bien réalisés. Plutôt le meilleur de l'instrumental de Reznicek, en réalité !

(bissé)
Massenet – Le Roi de Lahore – Martínez, Gipali, Stoyanov, Zanellato ; Marcello Viotti (Dynamic)
→ Œuvre fabuleuse, version mal captée et un peu frustrante. Bonynge reste le premier choix, même imparfait.


Musique de chambre pour alto, flûte et harpe :
(...)
Rachel Talitman, harpe
Marco Fregnani-Martins, flûte
Pierre-Henry Xuereb, alto

ginastera quatuors
kalliwoda quatuors
einem quatuors



HAUSEGGER, S. von: Aufklänge / Dionysische Fantasie / Wieland der Schmied (Bamberg Symphony, Hermus)
scène finale Salomé Dreisig Montpellier Schønwandt
→ Orchestre et chanteuse superbes.

• Firminus CARON: Chanson «Accueilly m’a la belle». Missa «Accueilly m’a la belle»
The Sound and the Fury: David Erler (contre-ténor), John Potter, Christian Wegmann (ténors), Colin Mason, Michael Mantaj (basses)
Mauerbach, 2012
Fra Bernardo «Paradise Regained»

SCHILLINGS, M. von: String Quintet in E-Flat Major / String Quartet in E Minor (Vienna String Quintet) (CPO 2011)
→ Délicieusement postromantique, encore généreux et quelquefois voilé / vénéneux, beaucoup de beautés mélodiques et de climats à goûter !

hölderlin : holliger, killmayer, ligeti Sommer

messiaen quatuor fin temps

Hallberg & Dente: Orchestral Works PER ENGSTRÖM




Vocal Recital: Carewe, Mary - BARRY, J. / WEILL, K. / DUKE, J. / HOLLAENDER, F. / COWARD, N. / BARBER, S. / VINE, C. / BOLCOM, W. (Serious Cabaret)



graener prinz eugen, NDRP Hanovre, W.A. Albert x4


Gilse, concerto pour piano tanzskizzen
→ Quelle merveille, beaucoup trop organique et intéressante pour être qualifiée de concerto (pour célesta, de surcroît, dans le premier mouvement !)



Gilse, variations sur saint Nicolas, PBSO, Porcelijn (CPO)
→ Dans le genre de Graener, mais bien moins virtuose



Davichi 8282


Reznicek – Donna Diana – Kiel (CPO)


Méhul – Joseph en Égypte – Dale (Chant du Monde)
→ Hors les airs de Joseph, très touchants, pas le plus grand Méhul. Mais superbe distribution, chantée dans un français de haute volée.






En chasse, en chasse, et que Dieu vous protège !

(Et toi qui tousses là-bas… ce soir, tu ne chanteras pas !)

lundi 20 juillet 2020

Max von SCHILLINGS – Mona Lisa : la Joconde violée, le coffre qui assassine


(Vous pouvez écouter l'œuvre en question ici sur Deezer avec un compte gratuit (ou autres plates-formes de flux, Spotify, NaxosMusicLibrary, Qobuz… Le livret bilingue allemand-anglais peut se trouver sur le site de Chandos, qui distribue CPO (onglet « Media », puis cliquez sur « Download booklet »).




1. Mona Mona Mona

Cette semaine, alors que je reviens du concert du Quatuor Mona, un ami me demande en passant la Salle des États – tandis que nous déambulons paresseusement dans le Louvre réaménagé, nous arrêtant au hasard de notre humeur pour commenter tantôt les pièces présentées, tantôt les murs inamovibles :

— Mais au fait, pourquoi la Joconde est-elle aussi célèbre ?
— Je peux te donner une réponse, mais elle va te décevoir.
— Je sais, tu es comme ça.
— Parce qu'elle est célèbre.

(S'ensuit une courte tirade où je tempère cette affirmation avec quelques remarques distraitement lues çà et là sur l'art du sfumato, la nature « moderne » de ce genre de portrait, l'incertitude du modèle, la figure même de Vinci Léonard, les qualités picturales propres. Banalités lues partout, dont j'ai peine à déterminer la pertinence, tant je suis moi-même né avec Mona Lisa comme emblème de ce qu'est la peinture même. Ce que je m'empressai de préciser, naturellement – je doute de toute façon que j'aie pu l'abuser, il me connaît trop bien ce brigand-là.)

Je ne sais pas bien, à la vérité, à quand remonte cet engouement. Je lis (dans Wikipédia qui cite un ouvrage pas du tout spécialisé de Philip Freriks Le Méridien de Paris) que Sade en aurait déjà fait « l'archétype de la femme fatale » et me demande si, à nouveau, on ne prête pas trop aux riches. (Je ne vois pas bien Sade faire ce genre de comparaison – je me souviens plutôt des fraises écrasées évoquées dans La Philo –, et encore moins abonder un mythe qui apparaît près d'un siècle plus tard.) 
En tout cas, dès le milieu du XIXe siècle, alors même qu'elle ne figurait pas parmi la sélection retenue pour l'ouverture du Musée Central des Arts de la République en 1793 (prélude au Musée du Louvre), elle se diffuse sous forme de gravures pour les particuliers, est citée par les poètes (Gautier, D'Annunzio, sûr pour eux), fait l'objet d'une comédie de Jules Verne (Monna Lisa, débutée en 1851 – amour réciproque du peintre et de son modèle). La conscience de sa valeur touche même les autorités, puisque le tableau est mis à l'abri des incursions fridolines en 1870 (à l'Arsenal de Brest).

mona lisa max von schillings
Mona Lisa dans son nouveau scaphandre au Louvre, le 10 juillet dernier.

Une chose est sûre, à la fin du XIXe siècle, la Joconde dispose déjà d'un statut particulier – emblème d'une féminité rêvée, peut-être à cause du caractère équivoque de son sourire créé par le sfumato (ses contours sont si incertains qu'on a l'impression qu'il glisse d'une position à l'autre) ; c'est en tout cas mon hypothèse, et les causes sont sans nul doute cumulatives. Léonard était aussi un modèle rêvé pour les romantiques, cet homme-démiurge qui à lui seul invente des mondes et maîtrise tous les arts.

De l'avis général, ce qui la fait basculer du statut de tableau révéré, très célèbre, intriguant, au statut de tableau le plus célèbre du monde est sans doute l'incroyable affaire de son vol décontracté (et de sa conservation, puis de son écoulement tout aussi désinvoltes), en 1911. Le fait divers ajoute au chemin déjà tracé par l'histoire de l'art prolongée par l'imagination. S'ensuivent les mille détournements que l'on connaît, à commencer par Duchamp en 1919.

Lorsque, au printemps 1913, le tableau reparaît de façon inespérée (à cause d'une erreur de recel d'un niveau assez décevant), alors que la police française s'était épuisée en vain pendant des mois, Beatrice Dovsky, actrice et autrice viennoise de la génération Richard Strauss, écrit une Mona Lisa, une pièce de théâtre inspirée par le tableau, retraçant une vie possible et imaginaire du modèle de Léonard. En excluant Léonard des personnages, soit dit en passant – et en changeant la réalité historique, puisque le tableau qu'on voit dans le palais florentin ne fut jamais livré à Francesco del Giocondo (ce qui a ouvert la discussion à propos du réel commanditaire).

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La situation-cadre de l'opéra, version Kiel-Seibel (CPO).

Beatrice Dovsky devait fournir un livret à Max von Schillings, directeur de l'Opéra de Stuttgart qui avait peu eu le loisir de composer depuis son passage du côté administratif des arts – ce dont il se plaignait abondamment. Celui-ci l'avait rencontrée car il souhaitait utiliser sa pièce Lady Godiva (la comtesse de Mercie qui aurait traversé Coventry nue sur son cheval pour forcer son mari à abaisser les impôts) ; mais en lisant sa toute récente Mona Lisa, ce fut l'enthousiasme (dès l'été, une esquisse pour piano de l'opéra !). Et la partition fut finie à la guerre, tandis que Schillings était affecté aux services sanitaires allemands en Belgique et en france. En 1915, l'opéra est créé à Stuttgart (alors que Vienne, Berlin et New York étaient volontaires !). Il laisse la critique réservée (sur le ton du livret en particulier) mais remporte un réel succès auprès du public, dépassant les 2000 représentations toutes maisons confondues.




2. La musique de Mona Lisa

Max von Schillings, formé à Munich aux côtés de son condisciple Richard Strauss, avec lequel il partage une longue amitié (lui succédant à au moins trois postes sur sa recommandation expresse), est surtout resté célèbre pour sa pratique du mélodrame (déclamation parlée accompagnée), en particulier Das Hexenlied où s'illustra Martha Mödl dans les années 90 (!). Pour autant, il demeure un véritable compositeur d'opéra, inscrit dans cette première vague de modernité germanique (ce mélange d'expressionnisme et de postromantisme décadent) chez les continuateurs de Wagner –  avec R. Strauss ou Pfitzner, qui deviennent au fil des ans des figures au contraire conservatrices, face aux nouveaux compositeurs explorant des dispositifs nouveaux (musique ouverte chez Schreker, jazz chez Křenek…), voire des langages radicalement nouveaux (Seconde École de Vienne évidemment).

À l'écoute, l'œuvre a en effet quelque chose de très conforme au goût de ces années 1910 (les Gezeichneten de Schreker, composés au fil de la décennie, sont créés en 1918), proche de Schreker ou du Schoeck chatoyant de Venus ou Das Schloß Dürande, disposant d'un talent déclamatoire particulier – le débit des paroles est rapide, les appuis de la langue naturels, le texte très intelligible malgré le grand orchestre. Schillings ne cherche pas les grandes lignes lyriques, longues, mélodiques qui segmentent le texte, et lui-même considérait que cette « froideur » – qu'on lui a quelquefois reprochée – était un symptôme de la finesse supérieure de son art, qui n'empruntait pas de formules stéréotypées ou attendues. Les leitmotive eux-mêmes ne sont pas soulignés, ni nécessairement structurés – plusieurs thèmes différents pour les mêmes idées… (Pour autant, je trouve ses formules très caractéristiques de la période, mais il est vrai que le débit musical a tendance à couler, à ne pas chercher l'effet d'une mélodie forte, d'une rupture…)
Le duo d'amour, très tristanien, ainsi que la double fin (récit enchâssé et récit-cadre), sont néanmoins composés avec une intensité musicale assez remarquable – tout l'opéra gravit doucement les échelons d'une tension qui ne redescend pas, c'est impressionnant.

mona lisa max von schillings

La nomenclature orchestrale est atypique et intéressante (pas si gigantesque à la vérité), incluant les versions graves des familles : 3 flûtes, 2 hautbois, 1 cor anglais, 1 heckelphone (hautbois baryton), 2 clarinettes, 1 clarinette basse, 3 bassons (dont contrebasson), 6 cors, 4 trompettes, 3 trombones, tuba basse, beaucoup de percussions (dont l'incontournable célesta !) et même une mandoline !  Dans les deux versions discographiques, il n'apparaît pas qu'il en fasse un usage particulièrement subversif ni coloré : son orchestre est généralement assez homogène, tout en fluctuations fines (permanentes !) et peu en contrastes (rares). En vérifiant sur la partition aussi : les lignes du heckelphone, notamment, sont en général des doublures des autres bois, ou des cuivres.

Parmi les belles trouvailles, le sourire du tableau évoqué par le violon solo (ponctuellement doublé de célesta), l'écho du dernier appel du mari (« Lisa ! ») à l'orchestre, amplifié par paliers via l'orchestration, comme si la parole réverbérait dans un esprit épouvanté. Et beaucoup de choses qui en rappellent ou annoncent d'autres : les personnages qui chantent non dans le masque mais dans les murs, façon Tosca ; la découverte des amants façon paroxysme d'Elektra, ou les servantes qui commentent (même source), la reprise de la sérénade par le mari en grotesque valse d'Ochs (ou du II d'Arabella), les cloches du Mercredi des Cendres dans une ambiance très procession-Tote Stadt
Pas de copies, mais un état d'esprit général qui s'inscrit dans cette généalogie-là, dans ce théâtre qui invente de nouveaux dispositifs, qui se sert aussi de la musique pour exprimer avec des moyens variés ce qui peut manquer au texte.

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Le tristanien duo d'amour, version Kiel-Seibel (CPO).

Pour autant, bien que la musique en soit saisissante et sublime – toute cette montée de tension par paliers, des conversations presques blanches de la présentation du coffre à perles à l'explosion d'amour du duo du balcon… puis à l'explosion de haine du mari Francesco envers Lisa, puis de Lisa elle-même envers Francesco –, la valeur distinctive de l'œuvre tient dans son livret, que j'ai découvert en lecture seule, frémissant à chaque nouvelle page…




3. Le livret tétanisant

Je suppose que Beatrice (von) Dovsky avait produit initialement une ébauche plus développée pour la scène parlée (mais ne dispose pas d'éléments là-dessus, juste une hypothèse sachant comme les choses se passent en général).

Partir du tableau pour imaginer une histoire d'amour, cela avait déjà été fait (notamment par Jules Verne au début des années 1850), mais B. Dovsky invente un dispositif assez puissant, pour enchâsser une intrigue elle-même assez paroxystique – ce serait d'ailleurs la faiblesse principale de ce livret, tant d'énergie s'en dégage, en s'inspirant d'un tableau dont émane tant de tranquillité.

mona lisa max von schillings

L'histoire de Mona Lisa (renommée Fiordalisa et devenant Lisa par diminutif, ce qui n'est pas attesté, je crois) est racontée par un frère convers qui conduit la visite de la Chartreuse surplombant l'Arno, et mentionne l'appartenance ancienne de ces murs à Francesco del Giocondo, rendu célèbre par sa jeune femme. Deux étrangers sont là, un homme sensiblement plus âgé, et une femme portant un collier de perles ; celle-ci se montre immédiatement fascinée par l'histoire rapportée. Le moine raconte donc les malheurs qui ont entouré ce tableau et la vie de cette femme. L'opéra, après le dénouement, se termine par un bref retour à la Chartreuse et à ses touristes. Après qu'ils ont pris congé, le moine s'exalte, croyant avoir vu dans l'étrangère la figure de Mona Lisa, puis retourne à son travail.

Plusieurs enjeux s'entrecroisent de façon assez dense et virtuose :

¶ Le récit-cadre est chanté par les mêmes chanteurs principaux. Le vieux mari est tenu par le baryton dramatique qui chante Francesco Del Giocondo, sa jeune épouse par le grand soprano qui interprète Mona Lisa, et le frère lai par le ténor lyrique chargé de Giovanni De' Salviati (l'amour de jeunesse de Lisa).
Le dénouement est ainsi ambigu : le moine reconnaît-il une figure de Mona Lisa (mariée à un vieil homme, séduisante, dotée des mêmes perles qu'on lui impose de porter), ou a-t-on affaire à une prise de conscience de métempsychose, le convers étant le seul à se rendre compte de leurs identités profondes ?  Rien ne l'explicite dans le texte, mais le choix de confier ces rôles aux mêmes chanteurs, ainsi que la mention d'une très claire attraction entre le moine et la visiteuse (« Les regards des deux jeunes gens se rencontrent. D'un geste brusque la femme veut ouvrir le col de son manteau. »), soutient souterrainement cette impression. Effet d'écho entre les actions.

¶  Le portrait n'est pas central en lui-même dans l'action, mais il constitue un moteur (et une singularité), en particulier pour l'époux jaloux. Contrairement à ce qu'on sait de l'histoire réelle du tableau (emporté inachevé en France par Léonard), la Joconde se trouve accrochée chez Francesco Del Giocondo, et le sourire aimable de la froide Fiordalisa rend fou le mari : il ne connaît pas cet aspect de sa propre femme, capté par le génial peintre. Il surprend par la suite ce sourire lorsque Lisa vient de laisser partir son amour de jeunesse ; et c'est pour le revoir paraître qu'il la viole tandis qu'il laisse mourir son amant (oui, il y eut quelques réactions dans la presse devant la dureté de l'action).
Le tableau de Léonard ne joue donc pas de rôle prépondérant dans l'action, mais agit comme un motif psychologique pour le mari, qui lui-même met en branle l'essentiel de l'intrigue. Par ailleurs, il révèle quelque chose de la nature mélancolique, de la blessure primordiale du personnage féminin – l'apparition-disparition de ce sourire aura aussi, en fin de compte, des connotations potentiellement démoniaques.

¶ L'action repose sur un traditionnel triangle amoureux (vieux mari jaloux, jeune nouvelle épouse triste, et son amour de jeunesse qui réapparaît soudain), avec quelques particularités qui lui procurent un relief singulier. L'amant (l'envoyé du Pape pour le commerce des perles) n'a pas vraiment de caractère développé, mais il est tout de suite surpris par le mari et sa mort très tôt dans l'œuvre (à la moitié environ) est une audace rarement explorée – il y a bien l'exemple d'Athamas dans Philomèle de Roy, musique de La Coste (qui est arrêté à l'acte III et dont on apprend la mort par la suite), dont j'ai déjà souligné l'effet, mais l'œuvre n'appartient pas au répertoire (jamais rejouée depuis sa création au début du XVIIIe siècle, où elle n'eut pas vraiment de succès) et reste très marginale dans son procédé, volontairement à couper le souffle, façon Psycho de Hitchcock.
    Autre particularité : il ne meurt pas soudainement, mais par étouffement – enfermé dans le coffre-fort, suffoquant tandis que Lisa est violée par son mari, puis s'endort… Et sa mort reste incertaine jusqu'à la toute fin de l'histoire (45 minutes plus tard).
    Oui, c'est assez dur, sans être du reste du tout sordide : le texte reste assez tenu, et la musique de Schillings ne cherchant jamais la description, on sent les affects plus qu'on ne décrit musicalement les situations (ce n'est pas Lady Macbeth de Mtsensk L'atmosphère demeure étrangement assez peu poisseuse, disons), plutôt une histoire qu'on nous raconte.

¶ Tout à fait absents du tableau, les perles et le coffre constituent deux éléments-clefs du dispositif dramatique.
    Le coffre est un système inviolable, utilisé par Francesco Del Giocondo pour conserver ses perles et décrit à ses amis au début du récit enchâssé, suite de clefs uniques et de combinaisons, permettant aux perles de reposer dans l'eau de l'Arno, et ne laissant pas même passer l'air. Il est l'arme par destination des morts du drame : une fois enfermé à l'intérieur, seul le possesseur de la clef peut vous sauver. Et si elle est jetée à la rivière…
    Objet original autour duquel se déroulent les aveux sur le balcon, les regards jetés par le mari, les tentatives de fuite, les accès de désespoir, les meurtres.

Les perles sont plus ambiguës : Mona Lisa les porte au cou la nuit, pour les nourrir « de son jeune sang », selon la formule de son mari, tandis qu'elle se sent dévorée et empoisonnée. Dans la scène-cadre, l'étrangère, émue par son échange de regard avec le jeune convers, arrache par mégarde son collier en voulant ouvrir son col et elles tombent une à une… Le texte évoque explicitement les larmes, mais le contexte invite à songer à des gouttes de désir, ou à une perte de force vitale, s'étant pour ainsi dire vendue…
    Comme le coffre, leur présence innerve beaucoup de scènes.

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La jalousie implacable de Francesco Del Giocondo ayant surpris les amants… et le sourire.
Version Kiel-Seibel (CPO).


→ Beatrice Dovsky a ainsi développé une simple figure de tableau non seulement en replaçant son histoire au sein d'une scène-cadre contemporaine, qui rend compte de la célébrité de l'œuvre désormais, mais aussi en adjoignant beaucoup d'éléments à sa simple présence dans l'histoire des époux Del Giocondo : sans surprise les amours contrariées de deux jeunes gens, mais aussi toute cette intrigue commerciale autour des perles, le thriller du coffre fermé-ouvert, la fascination pour le sourire fugace et mystérieux, le tout s'enroulant et gagnant en intensité pour culminer d'une part dans la scène du viol (viol voyeur de surcroît, qui est imposé dans le but d'être entendu par l'amant en train de suffoquer dans le coffre), d'autre part dans la vengeance terrible de Fiordalisa.
    Cette façon de tisser simultanément plusieurs thématiques d'importance équivalente évoque vivement la manière du livret des Gezeichneten de Schreker (politique de la cité, intrigue médicale, triangle amoureux difforme, enlèvements). Les répliques se resserrent et gagnent en véhémence (en particulier celles de Francesco), de façon impressionnante, à défaut de grands effets orchestraux spectaculaires comme l'auraient fait Strauss ou Korngold.

Œuvre d'art total en effet, la musique tempérant la violence du livret, lequel en retour anime une musique qui pourrait paraître un peu trop tranquille sans un texte aussi propre à soulever la curiosité. (On se demande vraiment ce qui va arriver : est-ce qu'il est possible d'échapper à ce coffre, est-ce que Lisa va lever la suspicion de son mari, comment allons-nous enfin savoir ce qui est enfermé, comment va-t-elle manifester sa haine envers Francesco… Rien qu'à la lecture seule, on peut y prendre beaucoup de plaisir.)

Pour couronner l'intrication : Dovsky fait appel à divers aspects de couleur locale, comme les invitations au repentir par un chœur de moines de Savonarole (par-dessus les chansons des joyeux compagnons) ou de la poésie… de Laurent de Médicis, incluse comme un des chants de jeunes gens qui ponctuent l'action et lui donnent de l'ampleur en la projetant dans la ville.




4. Les deux faces de Schillings

Le nom de Schillings, comme pour beaucoup de mélomanes de ces 25 dernières années, je crois, m'est venu en découvrant son mélodrame Das Hexenlied, où déclamait Martha Mödl… en 1994 !  Il en existait par ailleurs déjà une captation bien antérieure, sous la baguette du compositeur.

La musique n'en était pas particulièrement impressionnante ni variée, accompagnement / ponctuation postromantique où la personnalité musicale ne paraissait pas le plus évident enjeu. (J'ai réécouté à l'occasion de cette notule : impressions sensiblement identiques.)

mona lisa max von schillings

J'ai donc considéré pendant longtemps Schillings comme un postromantique de second intérêt, une sorte de sous-Pfitzner. Et, de fait, certaines de ses œuvres orchestrales (notamment celles du disque de 1994, dont le Dialogue pour violon et orchestre) ne sont pas tout à fait électrisantes.
    Pour autant, les extraits des drames (Ingwelde, Moloch), les deux Fantaisies symphoniques Op.6 (« Salut de la mer », « Matin en mer ») possèdent un très bel élan, et le cycle de lieder orchestraux Glockenlieder, très vivant et éloquent (là encore dans sa relation avec le texte plutôt que dans son expansivité musicale, à rapprocher peut-être des Vier dramatische Gesänge de Gurlitt plutôt que des derniers lieder de Strauss ou Schreker) mérite véritablement un grand détour.
    Sa musique de chambre aussi (Quatuor en mi mineur, Quintette à cordes en mi bémol) se révèle très avenante, délicieusement postromantique, encore généreux et quelquefois voilé ou vénéneux, avec davantage de beautés mélodiques que d'ordinaire et une belle variété de climats à goûter !

mona lisa max von schillings mona lisa max von schillings

Mona Lisa est, me semble-t-il, son unique opéra publié, mais il en existe une seconde version, dirigée à l'Opéra Municipal de Berlin (l'actuelle Deutsche Oper) par Robert Heger (élève de Schillings en composition !), avec Inge Borkh (plus légère que dans ses grands rôles Salomé-Elektra-Teinturière), Hans Beirer (radieux ce jour-là, sans comparaison avec son enregistrement le mieux connus, son Tannhäuser avec Karajan), Mathieu Ahlersmeyer (quel grain, le Vanni-Marcoux allemand en quelque sorte !). Très vivant, très abouti, mais l'équilibre orchestre-voix (et même les chanteurs eux-mêmes) me paraît supérieur dans la version Seibel chez CPO (Bilandzija, Bonnema et Wallprecht avec le Philharmonique de Kiel).
 
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L'édition Walhall adjoint une version de studio du duo d'amour dirigée par Schillings lui-même, avec Barbara Kemp (créatrice du rôle) et Josef Mann.

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La vengeance de Fiordalisa, version Kiel-Seibel (CPO).

Il existe donc toute une face de Schillings à redécouvrir, où se manifeste un compositeur plus riche et personnel qu'il peut sembler de prime abord. Comme sa vie.




5. Politique et postérité

Schillings a peut-être aussi pâti de son rôle sinon politique, institutionnel (je connais trop mal sa vie pour connaître le caractère actif ou passif de celui-ci) : il devient Président de l'Académie Prussienne de Musique en 1932 et reçoit, à sa mort en 1933, les honneurs du pouvoir.
    Il était par ailleurs réputé (il faut toujours vérifier les informations sur ces questions, où l'on trouve toujours des zélotes pour noircir les caractères a posteriori, ou au contraire des fans musicaux pour dédouaner leurs idoles – et je n'ai pas eu le loisir ni les documents, état d'accessibilité des bibliothèques oblige, pour évaluer sérieusement ce point) être hostile à la République de Weimar et ouvertement antisémite. C'est en tout cas sous son mandat que furent exclus Thomas Mann ou Franz Werfel, que Schönberg perdit sa place de professeur, et que Schreker fut invité à se retirer.
    Il va de soi que le programmateur a davantage envie de louer des figures de victime incontestable comme Schreker ou Schulhoff, ou de combattant du handicap (sensible au « génie national » mais pas du tout ami des nazis, se retirant même dès 1933 pour donner des cours particuliers) Waltershausen – auquel il manquait le bras droit et la jambe droite. Considérant qu'on ne joue plus guère que du patrimoine dans les salles, l'implication de jouer des sales types comme Wagner n'a pas du tout la même gravité à mon sens.

(Mais je suis ouvert à toute contre-proposition si l'on préfère boycotter Schillings et Orff, et jouer plutôt Waltershausen et Gilse. Tant qu'on exhume le patrimoine et qu'on renouvelle un peu le répertoire…)




6. Richard Strauss et son double

Fils de la petite-nièce de Brentano, Schillings étudie (bien sûr) le droit, mais aussi l'histoire de l'art et la littérature à Munich à la fin des années 1880. Il y rencontre Richard Strauss et les deux demeurent liés toute leur vie : ils reçoivent l'enseignement de Thuille (progressiste postwagnérien, même si les quelques pièces de chambre que l'on joue encore ne le montrent pas avec éclat), successeur de Rheinberger (école germanique romantique « formelle »), tout comme Mottl (l'orchestrateur des Wesendonck-Lieder) ou Hausegger.

Au moins par deux fois, il succède à Strauss sur sa recommandation (la dernière étant en 1930, soit assez tard dans leurs vies !).

Schillings est donc à classer idéologiquement dans le camp des postwagnériens et même des novateurs (malgré la sagesse de son expression musicale), exactement comme Strauss, dépassé par la suite par la nouvelle génération, plus hardie encore (Schreker, pour ne rien dire de la Seconde École de Vienne !). Il faut considérer aussi que, quoique mort en 1933, il ne compose plus beaucoup à partir de 1908, devenant directeur de l'Opéra de Stuttgart (il se plaint, dans une belle intemporalité, de gâcher son temps en tâches administratives superflues), et plus du tout à partir de 1918, lorsqu'il prend la tête de l'Opéra d'État (Staatsoper) de Berlin. L'essentiel de son legs se situe donc dans les années 1890-1900, où il figure, en effet, plutôt parmi les hardis – quoique en deçà de ce qui se fait ensuite, le style de Mona Lisa évoque les opéras, même novateurs, des années 1910-1920…

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Le duo d'amour dirigé par Schillings lui-même en studio, avec Barbara Kemp et Josef Mann.

Il était aussi chef d'orchestre (son dernier poste en la matière fut celui de chef invité à l'Opéra d'État de Berlin, après en avoir été chassé comme directeur), et nous a laissé plusieurs témoignages : extraits orchestraux du Vaisseau fantôme, de Tristan, du Crépuscule, de Parsifal (interprétations pleines de vivacité, très loin du Wagner monumental qui prévaut majoritairement dans les décennies suivantes), une Troisième Symphonie de Beethoven, et même son propre Hexenlied.

Ceci a beaucoup moins d'intérêt proprement musical, mais sa carrière a été assez difficile. Il obtint certes la création d'Ariadne auf Naxos – mais était-ce bien un exploit en 1912 (version originale, sans le Prologue), considérant ses liens avec le compositeur ? –, mais sa liaison avec Barbara Kemp, la soprano qui crée Mona Lisa (le seul nouvel opéra qu'il ait composé après 1908) fait scandale, dans la mesure où sa première femme refuse le divorce, si bien que son contrat est résilié en 1918.
    De même, à la Staatsoper de Berlin de 1919 à 1925, il est accusé (admirez l'écho) de ne pas faire venir assez de personnalités vocales, de grands chefs, de ne pas renouveler le répertoire, ainsi qu'une mauvaise gestion financière et de contrats avantageux pour son épouse. (Là encore, il faudrait observer quelle est la part de jeux d'influence politique, et quelle est la réalité des accusations, je n'ai pas fait les recherches pour en juger.) Il suffit simplement de savoir que refusant l'administrateur « commercial » qui devait l'épauler, ni de négocier son budget, il fut mis à la porte par le ministre de la Culture.

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Barbara Kemp, soprano et seconde épouse de Schillings à partir de 1923. Les chefs (et les compositeurs) épousent les sopranes.

Après un exil à Riga, il revient comme chef invité à l'Opéra d'État de Berlin, puis obtient l'année de sa mort le poste de directeur de l'Opéra Municipal de Berlin (Städtische Oper Berlin, l'actuelle Deutsche Oper, deuxième opéra le plus important de la ville).




7. Monna Vanna, la Joconde nue ?

Vous vous demandez peut-être si la Monna Vanna de Février (1909) d'après le drame de Maeterlinck (1902) procède de la même fascination pour l'œuvre de Léonard.

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La Joconde nue, ou Monna Vanna, par Salai, inspiré par le dessin du maître Léonard.

Non : la « Joconde nue » ne reçoit son surnom de Monna Vanna (« Dame Vaine ») qu'en 1939. Il faut sans doute y voir une référence (vague, vu le ressort assez différent de la pièce !) à l'amie de Beatrix chez Dante. (De la même façon, par exemple, qu'Alladine n'est pas un personnage oriental chez Maeterlinck.)

Mais écoutez Monna Vanna si vous aimez Pelléas : le texte est plus directif, a moins de recoins à s'approprier, mais l'esprit de la mise en musique en est comparable, une déclamation très singulière, qui met remarquablement en valeur les étrangetés de Maeterlinck.




8. Streetcred de Schillings

Je m'étonne (et me lamente un peu) qu'on ne joue pas une œuvre aussi facile à publiciser : un opéra sur Mona Lisa, avec un trésor et des assassinats, servi par un livret tellement efficace qu'il n'y aurait pas beaucoup à imaginer en mise en scène pour le faire réussir…

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Le retour final à la situation-cadre, version Heger (Walhall).

Ne serait-ce pas (j'insiste là-dessus) une façon d'élargir le public, de donner envie de découvrir des histoires palpitantes, de faire travailler la culture commune / uniserselle au service de la diffusion de l'opéra ?

Vous me direz que ça fera des polémiques parce qu'il était antisémite.

Pourtant, Saint-Saëns fréquentait de très jeunes gens en Afrique du Nord et on joue souvent Samson, Orff était aussi un compositeur officiel des années nazies et on joue tout le temps Carmina burana (et même quelquefois ses autres œuvres).
Non, il s'agit vraiment soit d'un manque de connaissance du répertoire par les programmateurs, soit (plus vraisemblablement) d'une peur du manque de remplissage. Une Traviata avec Dessay, on sait comment ça marche, on balance un nom de chanteur qui fait les couvertures de magazine… et on fera les couvertures des magazines. Un opéra plus rare avec un thème pareil, on remplirait aussi bien, mais il faudrait penser différemment la communication (et organiser davantage de répétitions, chercher plus longuement les titulaires, avec le risque en cas de défection de devoir annuler…).

Promouvoir le répertoire demande d'être plus vertueux pour un succès souvent moindre… Mais précisément, en choisissant intelligemment des titres (réussis et) susceptibles d'attirer, il y aurait de quoi retrouver le frisson de découvrir une intrigue en s'asseyant dans son siège – émotion très différente de celle de la comparaison des voix, et qui devrait aussi pouvoir être accessible dans les théâtres lyriques.

Un grand, grand merci à Mefistofele pour la recommandation !

jeudi 2 avril 2020

Le défi 2020 des nouveautés – épisode 5


Et voici la cinquième livraison de l'année ! 

Nouveautés écoutées et commentées de ces dernières semaines (mises à jour au fur et à mesure dans ce tableau – il contient même la planification d'écoutes à faire ou refaire, que je vous ai épargnées ici).

Du vert au violet, mes recommandations.

♦ Vert : réussi !
♦ Bleu : jalon considérable.
♦ Violet : écoute capitale.
(Les disques sans indication particulière sont à mon sens de très bons disques. Dans les cas où je ne recommande pas forcément l'écoute, je place le texte en italique.)

Voici :

Suite de la notule.

dimanche 1 mars 2020

Opéra et concert classique : audace, fréquentation et zombies – (2/2)


2. L'opéra de l'avenir

Le pendant de la réflexion, plus amusant, sur l'austère remplissage du concert classique – et quelques pistes de formats alternatifs pour élargir un public qui restera, en toute hypothèse, sensible à la musique pure, donc jamais aussi large que la société elle-même –, porte sur l'opéra, dont la dimension narrative est immédiatement plus attractive (une fois habitué aux bizarreries de l'émission lyrique) pour une population plus vaste.

J'en ai déjà souvent parlé dans ces pages, que ce soit pour les opéras par des compositeurs de musiques de film, la nouvelle façon d'écrire par scènes closes et unités d'action, l'opéra Star Wars ou l'opéra de zombies… ou encore en parcourant l'étrange offre des premières mondiales.



Ces pensées ont été stimulées à nouveau en assistant aux Bains macabres de Guillaume Connesson. Le livret d'Olivier Bleys, sur un sujet neuf, ainsi que la plasticité de la science musicale de Connesson, créent une œuvre vive, enthousiasmante, toujours surprenante, et qui répond à beaucoup de critères du public d'aujourd'hui, biberonné au cinéma – action mobile, coups de théâtre, variété des atmosphères musicales…

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Cette création toute fraîche mérite, à mon sens, des reprises régulières au même titre que les grandes titres comiques du répertoire Le Barbier de Séville ou La Belle Hélène. L'intrigue saute d'un genre à l'autre (réalisme social, satire contemporaine, enquête policière, fantastique, onirique, bouffon…) de façon imprévisible, nous laissant toujours incertain de ses prochaines audaces – quelle fin !
Spoilers : Célia, jeune hôtesse d'un établissement thermal, est fort courtisée, mais passe ses soirées sur son ordinateur avec des images de son fiancée. Une enquête est ouverte pour morts suspectes aux bains. Depuis le ciel, le fiancé mort est envoyé sur terre pour vivre quelques heures auprès de sa bien-aimée. Pris dans le tourbillon de l'enquête bouffonne, il sert de spirite et convoque les esprits pour le compte de la police afin d'innocenter Célia.
Je ne révèle pas les événements en cascade de la fin.

La musique joue aussi des codes : figuralismes (mer, spectres), fox-trot balnéaires, leitmotive, lyrismes filmiques ou musique d'atmosphère, puisant à Debussy, Puccini ou Prokofiev tout en écrivant de la musique de son temps – avenante-tout-public mais riche et nourrissante.

Pour couronner le tout, Connesson a réussi le tour de force choral que j'appelais de mes vœurs pour un zombie opera, avec les masses organiques gluantes et tendues, comme des nuées dissonantes, dans l'épisode dans l'autre monde où se traînent les morts.

Ce petit bijou au rythme dramatique rapide, aux savoureuses surprises, à la musique accessible (globalement tonale-élargie) et variée mérite pour moi le titre de chef-d'œuvre, et démontre qu'il est possible de penser autrement la commande et la composition d'opéras.



Laissons de côté les cas caricaturaux de mise en opéra de bouts de poésie (L'Espace dernier de Matthias Pintscher), de méchantes paraphrases de Racine (Bérénice de Jarrell), des jeux phonématiques (Aperghis), des vies ennuyeuses d'artistes (Bacon, Akhmatova…), d'histoires sordides du XXe siècle (Adriana Mater, ou le projet de Jelinek & Neuwirth sur un médecin pédophile carinthien…).

En France et dans les pays à la pointe de l'art comme l'Allemagne ou l'Italie, les opéras ont souvent des sujets ambitieux et une certaine prétention littéraire / intellectuelle : même lorsqu'on commande un opéra sur un sujet filmique (Il Postino de Catán pour la partie rétro-gentille, The Secret of Brokeback Mountain de Wuorinen pour la veine atonale, et The Fly de Shore pour un entre-deux), le résultat demeure bel et bien un opéra. Dans le cas de Howard Shore lui-même, remarquable opéra écrit dans une langue ambitieuse qui a entendu les grandes tendances du XXe siècle, on se trouve face à une œuvre d'envergure schrekerienne, avec un orchestre tentaculaire, une temporalité assez lente.

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The Fly.

Le sujet en lui-même, fût-il issu de la culture commune (les divers Solaris ou Hugo, par exemple), ne garantit pas l'accessibilité du résultat : il faut que le livret soit bon (avec un minimum d'action ou de verve poétique, pas écrit par le compositeur ou un copain dans une langue pompeuse…), et surtout que le format lui-même ne cherche pas à singer de grandes fresques ambitieuses auxquelles les langages actuels, déjà complexes (et peu propices à l'intelligibilité vocale, avec leurs lignes mélodiques disjointes) ne font qu'ajouter les difficultés.



C'est pourquoi je m'imagine une scène spécialisée, ou au minimum une démarche, qui se fasse une mission de proposer des opéras nouveaux qui ne cherchent pas à remplir une commande prestigieuse, mais à entrer en résonance avec leur temps. Cela existe déjà : voyez comment Jack Heggie a tiré une fresque épique (qui n'est pas du néo-romantisme mais bien de la musique du XXIe siècle) de Moby-Dick, pour le public anglophone qui a été biberonné à ce quasi-mythe.

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Il faudrait également que le sujet influe le format musical : il ne s'agit pas de changer les noms comme on le faisait dans l'opéra seria en remplaçant Tarquin par Ferragus et Tancrède par Scævola, mais vraiment d'adapter toute sa structure et son langage musical.

Le but étant de créer un lien de confiance avec le public, qui pourrait venir vivre l'expérience rien que sur la foi du titre, sans se poser la question à triple détente « quel est le style du compositeur ?  qui est ce librettiste inconnu ?  est-ce que ça traîne ? ».

Imaginez…



Glotte of the Dead, l'opéra inspiré de la BD et / ou de la série de Robert Kirkman.

Le rideau se lève sur une route à l'aurore. La scène est baignée, depuis le fond, d'un jaune éclatant. Aplats d'accords majeurs sereins aux cordes. Progressivement apparaissent des frottements tandis que la lumière se voilent (des bouts de secondes qui se percutent). Le chœur, depuis la coulisse, entre pupitre par pupitre depuis le grave jusqu'à l'aigu, comme arrivant depuis la distance, en une sorte de masse compacte qui dissonne fortement. (C'est là où le compositeur doit tout de même trouver une tournure et un thème, ou du moins un geste, marquants.)

On pourrait imaginer un opéra, comparable à ses sources, qui ne chanterait pas beaucoup, surtout à base de fondus orchestraux évoquant tantôt les bruits de la nature, tantôt le vide des rues désertées, ou encore les quelques palpitations de la nuit, et puis les paroxysmes terribles de la panique lorsque le chœur de la horde intervient.

Ce serait en outre aisé à adapter dans toutes les langues, avec des dialogues du type :
– Watch out !
– Riiiiiiiiiiiiick !  Aaaaaaaaaaaaaaah !
– They are here / Sono qui / Ils sont là / Aquí están / De er her / הם כאן !
– Oh no !  Gleeeeeeeeeeeeeeeeeeeenn !
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Extrait du livret cosigné Kirkman-Le Marrec.

Et propre à quelques répliques-cultes :
– Are you bitten ?
– No.
– Are you sure ?  There ?
– Oh nooooo !
Je ne dis pas que ce convaincrait pour autant les jeunes passionnés de Damso, mais il y aurait de quoi amuser les jeunes adultes si la mise en scène joue le jeu du spectaculaire-gore inhabituel sur les scènes d'opéra (on a tout le matériel nécessaire pour faire des jets de framboise) et fait traverser incessamment la scène par une horde de choristes un peu préparés (ou même des acteurs-figurants tandis que le chœur est en coulisse).

Ce coûterait un peu cher à financer pour les nécessaires projections visuelles pour figurer les lieux, pour le chœur, mais on pourrait se passer de solistes dispendieux vu le peu à chanter – si vous voulez absolument faire un des motivational speeches incontournables des séries américaines, embauchez Gunther Groissböck ou John Relyea pour Rick Grimes, et contentez-vous de membres du chœur pour les rares solos des autres personnages.

Ce serait en tout cas, du point de vue de la composition, l'occasion de mettre à profit tout le savoir-faire du compositeur classique pour le temps long, le paysage musical, et de tenter une prosodie nouvelle pour figurer la Horde.



Star Wars, évidemment. Quelle matière se prêterait mieux au merveilleux d'opéra ?  On a des dialogues déjà économes et percutants, et surtout une musique tout en leitmotive, qui ne demanderait qu'à être exploitée à la façon de Wagner par un compositeur (ou un diplômé en écriture). Chacun connaissant très bien ces thèmes, ce serait en outre l'opéra à leitmotive le plus accessible de tous. Il y a là de quoi exalter une matière musicale qui, pour les besoins des films, n'est présente que par sections discontinues. Entendre les thèmes de la saga dans un format ininterrompu du type acte III de Parsifal me rend très curieux et enthousiaste.

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Mise en scène Peter Sellars bien sûr.
(Grand air à colorature de Darth Maugda : « Together we will rule the galaxééééé ».)


Les représentations seraient bien sûr déficitaires considérant la dîme prélevée par Disney, mais quelle publicité extraordinaire ce serait pour le théâtre qui l'organiserait, et pour le genre opéra dans son ensemble… !  On voit parfaitement les typologies vocales attendues : le ténor héroïque de Luke, le baryton central de Solo, le baryton dramatique de Vader, la basse profonde de l'Empereur, le ténor de caractère de Yoda… ce serait un panorama pédagogique, quasiment, de l'écriture d'opéra.

(On pourrait même imaginer différentes versions musicales de la saga : l'une écrite comme du Bellini, l'autre comme du Wagner, une autre comme du R. Strauss ou du Prokofiev, voire des tentatives baroqueuses ou atonales…)  L'entrée la plus intelligible possible pour les genres de l'opéra.

Dans le même registre, on pourrait reprendre  The Sea Hawk, Robin Hood, Vertigo et autres films-épopées pourvus de bonne musique, pour les redéployer au sein d'un format chanté et davantage continu.



Parmi les grandes fresques attendues, je ne m'explique pas que Les Misérables n'ait pas un opéra un peu réussi au répertoire… La bataille de Waterloo ?  Les personnages très typés ont vraiment de quoi nourrir un imaginaire sonore, et se couler dans les vocalités expansives de l'opéra néo-romantique.

Dans d'autres styles sonores, plus contemporains, on pourrait aussi imaginer un Quatrevingt-treize (l'incendie du château, quel moment !) ou un Homme qui rit  (on pourrait faire un oratorio rien qu'avec la scène du gibet…).

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Bien sûr, tout cela est soumis au choix des bons compositeurs : pas forcément des gens bien en cour, ni même des gens originaux, parfois pas même des compositeurs à proprement parler… mais avec des arangeurs sensibles au style d'origine, ou des artistes suffisamment ouverts et versatiles (ce que fait Connesson dans Les Bains Macabres laisse rêveur sur l'immensité des possibilités), on peut proposer des œuvres à la fois accessibles et marquantes, qui libèrent l'opéra contemporain de sa seule image intello & expérimentale – démarche qui a également toute sa place, bien sûr !



Pour les plus jeunes, je me figure qu'on pourrait écrire un Bambi bien tonal (doublage d'un dessin animé ?), ou bien une version condensée d'une saison de The version 2014 – le matériau musical de la série est pauvre, on pourrait partir d'autre chose, mais là aussi, pour suggérer la vitesse, le retour dans le passé, le caractère des méta-humains rencontrés (qui contrôlent les ultra-violets, l'électricité, les masses orageuses, etc.), il y aurait une galerie de portraits sonores incroyables à proposer, digne des sept portes de Kékszakállú !  Sans parler de l'intrigue qui pourrait être plus dense et mobile que les habituelles contemplations d'amours désuètes et de méditations artistiques standardisées.

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La qualité de la mise en scène serait bien sûr primordiale aussi, même sans spectaculaire particulier, pour permettre à l'ensemble de fonctionner.



À cela pourraient s'ajouter des formats originaux : l'opéra à entrées multiples, où le public pourrait voter pour un enchaînement de situations, qui changerait selon les soirs (si le spectacle est bon, le remplissage peut être stimulé !). Ou bien un opéra plus immersif, qui se déroulerait dans la salle (pourqoi pas une scène située sur les balcons, avec du public sur la grande scène, pour changer ?

Je suis persuadé qu'on pourrait, en se posant la question autrement – non plus de faire une création, ou de demander à Untel d'écrire un truc –, réellement renouveler le genre de la meilleure façon qui soit. Se poser la question de ce que veut le public, la question du format également (quoi de neuf ?), avant de chercher à faire écrire un opéra sur un sujet qui n'intéresse que le compositeur, avec un livret embrouillé, lent, prétentieux et maladroit.

Je n'invente rien, cette démarche existe déjà : on a des opéras très accessibles qui parlent d'histoire récente (Rasputine, Anne Frank, Die Weiße Rose, JFK, Nixon, Marilyn Monroe, de l'homosexualité chez les maccarthystes), de grands classiques (Minotaure, Ovide, Hamlet, Richard III, Frankenstein, Poe, Melville, Cyrano, Usher, Canterville, Solaris, T. Williams, Beckett…), de littérature de jeunesse (Chat Botté, Musiciens de Brême, Blanche-Neige, Gulliver, Lord of the Flies), de films (Sophie's Choice, Marnie, Dead Man Walking, The Addams Family), de bandes dessinées (Max et les Maximonstres), de livres de psychiatrie  (The Man Who Mistook his Wife for a Hat), des suites d'opéras du répertoire (de la trilogie de Figaro, d'Aida, de Gianni Schicchi…), de l'exploration de phénomènes sociétaux (alpinisme, regards sur l'homosexualité, Alzheimer, le nucléaire), des opéras érotiques (Opéraporno en tournée française, Powder her Face, Das Gehege – où une femme rêve, je n'invente rien, de se faire déchirer par un aigle)…

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Et même des choses encore plus étranges, un opéra « d'espionnage lyrique mathématique » (Atlas 101, où apparaissent pêle-mêle Hedy Lamarr, George Antheil, John Conway, Ganesh et sainte Rosalie…), ou Hercules vs. Vampires de Morganelli (un lipdub lyrique du péplum de Bava !).

En prenant le meilleur de ces expérimentations, voire en privilégiant les compositions accessibles, les dispositifs originaux et les thèmes les plus grand-public, je suis convaincu qu'une maison d'opéra pourrait se tailler une réputation et une relation de confiance avec un public fidèle, tout en bénéficiant à l'image du genre opéra, assez sérieuse / élitiste / ennuyeuse (et non sans cause, côté création contemporaine, à commencer par les livrets désastreux…), au profit de toutes les autres maisons !

Si vous possédez un opéra, avez de l'argent à dépenser et du prestige à acquérir, je me tiens à disposition pour fournir suggestions de titres / dispositifs / compositeurs / rédaction de livrets. Si j'étais assez bon en musique, je ferais bien mes propres tentatives…

mercredi 25 décembre 2019

Défi 2019 : Une année de nouveautés discographiques


1) Le défi

On parle sans cesse de la crise du disque – et c'est tout sauf un mensonge, si l'on parle des recettes – ; cependant, du point de vue de l'auditeur, l'offre n'a jamais été, d'année en année, aussi riche, aussi variée – ni, ai-je envie d'ajouter, d'aussi haut niveau. Des pans entiers qui restaient à découvrir sont révélés – quantité de compositeurs dont on ne soupçonnait pas l'existence, même –, et servis dans des interprétations et des prises de son fantastiques.

J'ai ainsi tenté, pour l'année passée, le principe d'écouter les sorties qui se font chaque semaine, le vendredi, de façon en particulier à ne pas laisser passer les raretés des labels spécialistes.

Résultat : 385 nouveautés effectivement écoutées – soit en moyenne plus d'un nouveau disque par jour, en comptant pour 1 les opéras à 3 CDs et les coffrets divers… sur 817 albums relevés pour ma liste d'écoute. Loin de tout avoir éclusé, malgré le sacerdoce de donner la priorité aux nouveautés indépendamment de mes avis de découverte ailleurs (ou de réécoutes d'œuvres déjà aimées). [Conséquence logique : j'ai découvert moins d'opéras diffusés en ligne comme le fait Operavision.eu, par exemple.]

J'ai tenté de tenir un journal des écoutes, avec un peu plus de 120 disques commentés… mais il n'est pas possible d'empiler 1 heure d'écoute + 20 minutes de recherches / rédaction en plus de tenir CSS, d'aller au concert, de mener une vie à peu près normale… Ce serait un travail à temps plein (mécènes bienvenus).

Qu'en tirer ?  L'écrasante majorité de disques très réussis, et une confortable part d'extrêmement aboutis et jubilatoires. Et contrairement à ce qu'on pourrait croire, énormément de raretés relatives ou absolues. J'admets que c'est aussi l'effet de mon filtre personnel (il y a eu facilement 3 fois plus de parutions classiques que mon décompte limité à ce qui m'intéresse), les millièmes versions des Sonates de Schubert par des pianistes vieillissants ou à la mode ne figurent pas dans mon relevé… Pour autant, ces disques existent, et l'existence de plates-formes de musique dématérialisée les rend beaucoup plus accessibles que lorsqu'il fallait qu'ils soient sélectionnés par le disquaire. On peut par ailleurs les essayer sans (davantage) bourse délier.

Je vous invite, si circonspects, à essayer les disques dont il va être question sur les sites concernés : Deezer ou Spotify en gratuit, Qobuz ou Naxos Music Library en payant (mais avec accès aux notices)… Bon moyen de mesurer sa motivation avant achat, ou d'élargir le spectre de ses écoutes.

Profitons de l'Âge d'or.



2) Les Putti d'incarnat : Les albums incontournables de 2019

Récompense suprême, attendue par tout ce que la musique compte de plus éminents représentants, le putto d'incarnat est remis par l'ensemble de la rédaction de Carnets sur sol, réunie en collège extraordinaire. Certains (mon oncle et moi) considèrent qu'il est un peu au Diapason d'or ce qu'est une remise de Nobel à un passage chez Ruquier.
Il récompense un accomplissement hors du commun, et garantit l'absence de complaisance envers l'avis général ou le bon goût : c'est la seule récompense au monde qui rende fidèlement compte de ce que j'ai aimé. Et ça, c'est important (pour moi).

Les récipiendaires de ce prix convoité reçoivent l'assurance qu'ils bouleversent la discographie, voire notre connaissance du répertoire, apportent un éclairage nouveau, nous ravissent sous tous les angles possibles.



À part et tout en priorité, les parutions de Das Schloß Dürande (même dans sa version ridiculement censurée) et Tarare marquent notre vision de l'histoire de la musique. Ce ne sont pas les deux parutions de l'année, mais de la décennie, pour ne pas dire de l'histoire du disque. On les espérait depuis des années, sans même en rêver la réalisation de ce niveau. Incontournables.

(Voir descriptions infra.)

dürande tarare

Les autres étapes de cette sélection sont aussi des disques immenses.
 


Musique vocale :
gade elverskud


ŒUVRES : PIÈCES DRAMATIQUES

LULLY IsisTalens Lyriques, Rousset (Aparté) → Suite de l'intégrale LULLY, que personne ne maîtrise mieux à présent que les Talens Lyriques ; dans les prises de son Aparté, c'est plus encore qu'au concert une explosion de couleurs, un frémissement permanent qui permet de réévaluer considérablement l'intérêt d'une œuvre qui passe (et qui l'est, probablement) pour l'une des plus faibles de son auteur. L'enfilade de tubes irrésistibles aux actes III et IV (« Liberté », « L'Hiver qui nous tourmente », « Tôt tôt tôt »…) fait réviser ce jugement, surtout dans une version aussi éloquemment dite et aussi sonorement avenante.
Gervais – Hypermnestre – Orfeo Orchestra, Vashegyi (Glossa) → Encore un maillon manquant de la tragédie en musique révélé par Vashegyi. Gervais, maître de la musique du Régent, sensible aux apports italiens, est pour la première fois documenté au disque comme compositeur d'opéra. Fresque haletante où l'on admire en particulier la mobilité expressive des récitatifs (et l'élan de la matière musicale). Très agréablement impressionné par Watson et Dolié, que je n'apprécie guère dans ce répertoire d'ordinaire, mais qui fendent remarquablement l'armure et leurs habitudes pour servir leurs personnages terrifiants.
Salieri – Tarare – Talens Lyriques, Rousset (Aparté) → L'unique livret de Beaumarchais, adapté au fil des régimes politiques de l'Ancien Régime à la Restauration, une forme très originale d'opéra fluidement durchkomponiert, au sens du texte assez incroyable, parcouru de rebondissements et de tubes irrésisitbles. Dans une exécution et distribution idéales. (commentaire ici)  Série de notules à lire à partir d'ici.
Grétry – Raoul Barbe-Bleue – Orkester Nord, Wåhlberg (Aparté) → J'ai hésité à inclure celui-ci, l'œuvre n'étant pas un jalon de même importance dans le panorama musical, et mon jugement étant peut-être biaisé par mon goût pour le genre, ma participation à la marge du projet. Cependant, est-ce parce que j'ai passé beaucoup de temps à l'étudier, indépendamment de sa place historique assez fascinante, j'y trouve certains moments irrésistibles musicalement – toutes les interventions de Raoul sont d'une rare prégnance. Et la découverte de cette première version discographique a été un choc par la qualité suprême de sa réalisation. (Notule sur l'œuvre et le disque.)
Vaccaj (Vaccai) – Giulietta e Romeo – Scala, Quatrini (Dynamic) → Pas du même niveau que les autres recommandations, mais à l'échelle de l'opéra italien du XIXe siècle, une nouvelle parution (bien chantée, et avec un orchestre en rythme cette fois !) de ce chef-d'œuvre du belcanto est assez considérable. Assez peu donné alors qu'il vaut, à mon sens, les meilleurs Donizetti et Bellini (et surpasse même ses Capulets sur le même sujet !), Vaccaj fait preuve d'un sens dramatique inhabituel dans ce répertoire, avec un véritable rythme dans l'action, sans être avare de génie mélodique. Prise de son très supérieure aux habitudes de Dynamic.
Gade – Elverskud / Erlkönigs Tochter – Concerto Copenhagen, Mortensen (Da Capo)→ Grande cantate dramatique d'après la ballade sur Herr Oluf. Version (allemande par des Danois) à couper le souffle, pleine de tension et de fraîcheur tout à la fois. (Notule sur l'œuvre et la discographie.)
Ölander – Blenda – Radio Suédoise, Bartosch (Sterling) → Un témoignage important du romantisme suédois, de la très belle musique lyrique et riche, très bien servie. Beaucoup d'opéras de ce genre (dont un Solhaug d'après Ibsen !) sont à découvrir chez Sterling.
Schoeck – Das Schloß Dürande – Bern SO, Venzago (Claves) → Parution tellement attendue d'un chef-d'œuvre lyrique du temps, d'une générosité décadente incroyable – même si le livret en a été complètement récrit (!) pour des raisons idéologiques discutables (suspicions vaporeuses de références éventuellement compatibles avec le nazisme). Reste une expérience très forte, pour la musique – par ailleurs le nouveau livret n'est pas mal, indépendamment du caractère débattable de cette récriture du passé. Interprétation d'une générosité folle. (commentaire ici)


ŒUVRES : MUSIQUE VOCALE SACRÉE

Werrecore, Josquin, Gaffurius, Weerbeke – « Music for Milan Cathedral » – Siglo de Oro, Patrick Allies (Delphian) → De belles découvertes, et dans des musiques en principe assez formelles et uniment contrapuntiques, l'impression d'une vie organique qui fascine de bout en bout.
Dowland, Dering, de Monte, P. Philips, Watkins, R. White  – « In a Strange Land » – Stile Antico (HM) → Outre le propos stimulant (compositeurs élisabéthains en exil), une exécution qui magnétise par la netteté (frémissante) de ses timbres et de ses phrasés. Un autre album à recommander à tous ceux qui craignent l'ennui dans la musique pré-1600. (commentaire ici)
Pękiel – intégrale – Octava Ensemble (DUX) → Témoignage capital d'une musique sacrée encore marquée par la pensée polyphonique de la Renaissance, mais bénéficiant de toute la rhétorique verbale et musicale baroque, un très grand choc. (commentaire ici)
« The Musical Treasures of Leufsta Bruk » vol.3 (BIS) → Série débutée en 2011 autour de la bibliothèque d'anciens patrons miniers du fer à Lövstabruk, aux XVIIe et XVIIIe siècles. Le volume 3 se consacre à la musique sacrée, vocale ou avec orgue. Pièces de grande qualité et interprétation saisissante de fraîcheur.
Leopold Mozart – Missa Solemnis – De Marchi (Aparté) → Prégnance mélodique, orchestration riche et tournures personnelles, un petit bijou qui sort pour de bon Leopold de son image (entretenue par ce qui était jusqu'ici disponible au disque !) de précepteur et Pygmalion. (commentaire ici)
Stanford – Messe « Via Victrix » – BBC Wales, Partington (Lyrita) → Un Stanford inhabituellement contrasté, doté de belles modulations et atmosphères originales. (commentaire ici)


ŒUVRES : MUSIQUE VOCALE PROFANE

Ph. Lefebvre / Clérambault / Montéclair – extraits de cantates – Zaïcik, Le Consort (Alpha) → Redécouverte d'un compositeur tardif de cantates, interprété avec un feu et une hauteur de vue saisissants. (commentaire ici)
« Dubhlinn Gardens » – A. Besson, A Nocte Temporis, R. Van Mechelen (Alpha) → À la frontière entre les chansons à la mode d'époque et l'air de cour, un disque qui enchante par sa variété et le naturel de ses enchaînements. Un des disques que j'ai le plus écoutés cette année ! (commentaire ici)
Mozart – extraits orchestrés d'inachevés (Lo Sposo deluso) + Salieri, Cimarosa, Martín y Soler… – Pygmalion, Pichon (HM) → Deux musicologues (Dutron et Manac'h) ont orchestré des esquisses de Mozart (dont un opéra très similaire à l'esprit de Così fan tutte et aux tournures de Don Giovanni et La Clemenza di Tito), que le programme mêle avec ses canons vocaux, des airs de concert et des œuvres de contemporains (superbe scène d'ensemble de Salieri, évidemment). L'impression d'entendre pour la première fois de nouveaux Mozart du niveau des grands chefs-d'œuvre…
« Soleils couchants » Fauré, Wolf, N. Boulanger & autres – E. Lefebvre, Bestion de Camboulas (Harmonia Mundi) → Récital sur orgue Cavaillé-Coll de salon riche en invités et transcriptions. Petite merveille pleine de surprises. (commentaire ici)
 


Musique instrumentale :
gade elverskud


ŒUVRES : MUSIQUE CONCERTANTE

Offenbach – Concerto pour violoncelle – Edgar Moreau, Les Forces Majeures, Raphaël Merlin (Erato) → L'équivalent des concertos de Paganini, une grande virtuosité à la veine mélodique jubilatoire. Et assez nourrissant musicalement. Aussi évident que sa musique vocale, mais dans une forme et une continuité qui ne cèdent pas à la facilité. (commentaire ici)
Bruch – Doubles concertos (2 pianos ; clarinette & alto) – ÖRF, Griffiths (Sony)→ D'un intérêt inattendu, ces doubles concertos se révèlent non seulement d'une veine mélodique généreuse mais aussi d'une richesse musicale certaine, très au delà du simple exercice de virtuosité ou essai de dispositifs nouveaux. Griffiths a toujours un côté confortable, mais l'ÖRF plus rêche et les solistes très élancés tirent ce disque vers le meilleur !
Graener – Œuvres orchestrales vol.4 : Concertos (flûte, violon, violoncelle) – Radio de Munich, Schirmer (CPO) → Dans divers styles, tirant plutôt sur le décadent, le postromantique, le moderne ou le néo-, des concertos très aboutis et originaux, davantage musicaux que purement virtuoses. (Il faut absolument écouter les autres volumes, notamment la Symphonie et les Variations sur Prinz Eugen !)


ŒUVRES : MUSIQUE SYMPHONIQUE

Rösler – Symphonie en ut + Concerto pour piano en mi bémol – Hönigová, Orchester Eisenberg, Sycha (Koramant) → Des œuvres d'un premier romantisme postclassique pleines de saveur, de mélodies, de beaux effets… L'Orchester d'Eisenberg, sur instruments anciens, délivre de merveilleux sons capiteux, plein de grain et d'ardeur.
Hallberg, Dente – Symphonies – Malmö SO, Radio Suédoise (Sterling) → Du romantisme du second XIXe qui sonne plutôt comme un maillon intermédiaire entre Beethoven et Mendelssohn… mais regorge de beautés, malgré l'interprétation sur instruments modernes aux contours pas toujours parfaitement fermes (nullement molle cependant !). De très belles symphonies qui ajouteront aux plaisirs de tous ceux qui aiment déjà le romantisme optimiste, conservateur et séduisant qui s'étend de Mendelssohn jusqu'à Sinding.
Volbach – Es waren zwei Königskinder, Symphonie en si mineur – Münster SO, Golo Berg (CPO) → Très belle symphonie d'un postromantisme sophistiqué, mais disque surtout marquant pour son poème symphonique liminaire, des atmosphères extrêmement variées et une progression construites, dans une recherche harmonique et une veine mélodique généreuses. Très belle découverte.
Magnard – Symphonies 3 & 4 – Freiburg PO, Bollon (Naxos) → Coup de tonnerre, qui tire enfin Magnard de l'opacité germanique pour le faire dialoguer avec tout ce qu'il doit au folklore français. De la danse et de la couleur qu'on percevait difficilement dans les versions antérieures, et qui révèlent un corpus passionnant. (commentaire ici)
Liatochynsky (Lyatoshynsky) – Symphonie n°3 – Bournemouth SO, Karabits (Chandos) → Comme la Deuxième de Chtcherbatchov, une symphonie expansive aux dimensions et ambitions mahlériennes, immense flux très impressionnant et généreux, loin des martèlements motoriques de sa musique pour piano, bien plus proche de l'esprit généreux et troublé des décadents germaniques, dans une interprétation très ample et aérée.


ŒUVRES : MUSIQUE DE CHAMBRE

Offenbach – Musique pour violoncelle – Rafaela Gromes, Wen-Sinn Yang, Julian Riem (Sony) → Legs chambriste à deux violoncelles ou avec piano, des merveilles interprétées de façon tout à fait superlative. (commentaire ici)
La Tombelle  – Musique de chambre (+ chœurs + musique symphonique) – (Bru Zane) → En complément des délectables mélodies parues en 2017 chez Aparté, un coffret Bru Zane vient préciser la figure de Fernanad de La Tombelle, révélant en particulier de belles qualités de chambriste (quelques très beaux chœurs aussi), dans une veine traditionnelle / académique, mais non sans talent – la Suite pour trois violoncelles ou le Quatuor piano-cordes en témoignent !
Kovařović – Quatuors – Stamitz SQ (Supraphon) → Du romantisme schubertien à la fin du XIXe siècle, mais de très belle facture… comment faire le difficile ? (commentaire ici)
Labor – Quatuor piano-cordes, Quintette piano-cordes – Triendl (Capriccio)→ Un romantisme tardif remarquablement construit, qui s'adjoint en outre des aspects folkloriques tout à fait délicieux. Mériterait d'être aussi régulièrement enregistré que les Taneïev et Suk, à défaut de pouvoir espérer les entendre quelquefois en concert…
Martinů – Sonates violoncelle-piano – Nouzovský, Wyss (Arco Diva) → Des œuvres où se réalisent le potentiel réel de compositeur de Martinů (toujours perceptible, pas systématiquement accompli), dans une interprétation de toute première classe, à la plastique splendide et au propos profond. (commentaire ici)
Baculewski – Quatuors – Tana SQ (DUX) → Épousant au fil des années les styles du XXe siècle avec beaucoup de bonheur, un ensemble qui ravit par sa densité musicale et son caractère accessible, tout en servant de guide, en quelque sorte, à travers l'évolution des goûts et des écoles. Très belle exécution du Quatuor Tana qui joue aussi, en concert, des programmes véritablement originaux.



Interprétations hors du commun :
gade elverskud


VERSIONS : MUSIQUE VOCALE PROFANE

Schubert – Die schöne Müllerin – Roderick Williams, Iain Burnside (Chandos) → Le meilleur interprète (de tous les temps) des songs britanniques (Ireland, Butterworth, Finzi, Britten, Vaughan Williams…) est aussi un prince du lied – le quatrième mousquetaire des grands spécialistes actuels, avec Goerne, Gerhaher et Bauer. Cette Belle Meunière, avec son excellent complice habituel, tient même davantage que ses promesses, tant l'expression y est limpide et directe, sise sur un timbre toujours délicatement mordant et délicieux. Une des très très grandes lectures du cycle.


VERSIONS : MUSIQUE CONCERTANTE

Elgar  – Concerto pour violoncelle – Gary Hoffman, OPR Liège, Arming  (La Dolce Volta) → Disque de novembre 2018, mais tellement exceptionnel que je l'ai inclus dans la sélection de l'année 2019. Le meilleur violoncelliste concertiste actuel y déploie une infinité d'attaques, de textures, de timbres… au sein d'une conception totalement continue et cohérente. Grand. (commentaire ici)


VERSIONS : MUSIQUE SYMPHONIQUE

Beethoven – Symphonies 5 & 6  – WDR, Janowski (PentaTone) → Il est donc possible de graver encore des références pour ces symphonies !  Janowski, arrivé en sa pleine maturité, de commet plus que des miracles. Ici, la quadrature du cercle, un Beethoven qui a la chair de la tradition mais un nerf fou, et surtout une qualité d'articulation… tous les détails d'orchestration chantent et font sens, tenus par une tension ininterrompue – de nature très différente dans la 5 et la 6, évidemment.
Brahms – 4 Symphonies – Zehetmair (Claves) → Un Brahms vif, souple, aux phrasés de cordes très travaillés et justes – on y sent, plus encore que le violoniste, le quartettiste ! (commentaire ici)
Mahler – Symphonie n°4 – London PO, Vladimir Jurowski (LPO Live) → Une lecture d'une verdeur incroyable… cette symphonie chambriste et modérée est parée d'éclats nouveaux, des chalumeaux vous crient dans les oreilles, chaque instant le plus contemplatif est articulé et tendu… des strates de vie se révèlent, jusque dans la grande réussite de son sommet, le Ruhevoll, qui au lieu d'être simplement construit vers son climax, fascine à chaque instant par sa progression et ses détails. À mon sens la plus belle Quatrième jamais publiée, tout simplement.
Sibelius – Symphonie n°1 – Göterborg SO, Rouvali (Alpha) → Traiter les transitions de Sibelius comme si elles étaient les thèmes, Rouvali le fait dans les symphonies de Sibelius… et dans la Première, le résultat est réellement impressionnant et renouvelle totalement la façon d'écouter ces œuvres. (commentaire ici)
Roussel, Dukas – Le Festin de l'Araignée, L'apprenti Sorcier – ONPL, Rophé (BIS) → Grâce à la captation BIS (toujours aussi claire et colorée) et à l'augmentation considérable du niveau de l'Orchestre National des Pays de la Loire avec Pascal Rophé, une grande référence pour le chef-d'œuvre de Roussel, incroyablement détaillé, vivant, et chaleureux, avec un son aussi aéré que la toile qui lui sert de scène, aussi joyeusement bigarré que les habitants qui la traversent !
Holst – The Planets – Bergen PO, Litton (BIS) → Litton, dans sa fructueuse association avec Bergen, livre ici une vision originale des Planètes, et peut-être la plus aboutie de toutes : plutôt que d'y chercher le figuralisme déjà évident, il en exalte la musique pure, la beauté des alliages timbraux, et on y entend passer tout le Debussy qui inspire Venus, toutes les recherches harmoniques ou tous les effets d'orchestration, au service d'un élan mélodique et tout simplement d'une musique, qui, en tant que telle, ravit. Avec les timbres du plus bel orchestre du monde et les meilleurs preneurs de son en exercice, le résultat est d'autant plus gratifiant pour l'auditeur.


VERSIONS : MUSIQUE DE CHAMBRE

Schubert – Quatuor n°14 – Quatuor Novus (Aparté) → Lisibilité absolue de chaque ligne, accents, bonds, un grand coup de frais comme on n'en avait pas vécu depuis les Jerusalem. (commentaire ici)
Schubert – Quatuor n°14, Quintette à cordes – Quartetto di Cremona (Audite) → … et il y avait encore de la place pour une autre grande version, remarquablement construite et tout en clair-obscurs. (commentaire ici)



Rééditions :

RÉÉDITIONS

Guédron, Belli, Castaldi… – airs de cour du XVIIe s. – Poème Harmonique, Dumestre (Alpha) → Réunion de la plupart des grands albums de l'ensemble, à la fois des découvertes et des interprétations suprêmement inspirées (Cœur !).
Bach – Passion selon saint Jean – Radio Bavaroise, Dijkstra (BR Klassik) → Une des plus mobiles et intenses interprétations de l'œuvre – l'Orchestre de la Radio est crédité, mais tout est réalisé de façon extrêmement informée, une version pour petit ensemble et modes de jeu anciens.
Mozart – Don Giovanni – RIAS, Fricsay (DGG) → Une des grandes versions de l'œuvre, avec des solistes aux caractères extraordinairement marquants. Seule petite faiblesse, les ensembles où les timbres sonnent un peu disparates.
Kraus – Anthologie – divers interprètes → Réunion de disques de cette très grande figure de la fin du classicisme. Indispensable si on ne les a pas déjà.
Berlioz – La Damnation de Faust – O. Lamoureux, Markevitch (DGG) → L'interprétation orchestrale de référence où chaque détail instrumental prend immédiablement sens. Et plateau splendide.
Miaskovski – Intégrale des Quatuors – Taneyev SQ (Northern Flowers) → Corpus soviétique majeur qui évolue du postromantisme sobre (les 4 & 5 sont extraordinaires) à l'épure plus abstraites, comme ses Sonates pour piano.
Liebermann – Penelope – Opéra de Vienne, Szell (Orfeo) → Dans la lignée des grands opéras allemands décadents, Liebermann écrit un opéra qui soutient la comparaison avec les réussites de R. Strauss, Schreker ou Schoeck. Là aussi, à découvrir absolument. (Reparaît aussi l'École des femmes qui porte un peu plus, à mon sens, la marque des limites du langage de son temps.)



3) Autres albums magnifiques de 2019

Je ne puis tous les nommer… Voyez les titres en gras dans le tableau (sauf la colonne en vert, où le gras indique mon souhait particulier d'écouter).

Les titres soulignés sont ceux que j'attendais impatiemment – s'ils ne sont pas en gras, c'est qu'ils ne m'ont pas forcément autant impressionné que je le souhaitais, sans démériter par ailleurs. Car ceux qui ne figurent pas en gras sont aussi des disques réussis ! Comme vous le voyez, il y en a beaucoup, rien qu'avec les splendides réussis en gras, c'est déjà plus que je ne puis présenter…



4) Les déceptions

Car sans la liberté de blâmer il n'est point d'éloge flatteur, comme le clame le frontispice d'un journal connu pour sa liberté de disconvenir avec ceux qui ne sont pas d'accord avec lui, un petit mot tout de même de disques qui n'ont pas tenu leurs promesses. Il y en a finalement assez peu.

D'abord de bons disques pas tout à fait à la hauteur de leur programme annoncé :
La morte della Ragione du Giardino Armonico rassemblant de jolies pièces pour flûte (peu passionné par les œuvres, je n'ai pas lu la notice, mais à l'écoute du programme, le concept est peu évident),
les Tchaikovsky Treasures de Guy Braunstein (quelques arrangements joliets de ballet en plus du très rare Concerto pour violon, en plus dans une interprétation qui ne me séduit pas, commentaire ici),
l'Opéra des opéras de Niquet (je sais que ça se vend mieux, mais les programmateurs devraient accepter une fois pour toute que les cantates ou opéras constitués en pot-pourri, sauf à en récrire en profondeur le texte et les récitatifs, ne fonctionnent jamais – commentaire ici). Parcours passionnant au demeurant dans des raretés, mais le résultat n'accroche pas bien – il faut dire que je n'en aime pas trop les chanteurs non plus…

Ensuite des versions qui ne sont pas du tout prioritaires à mon sens : quand ce sont des œuvres rares, on peut quand même tenter (K.-A. Hartmann par l'Airis SQ, Hillborg par le Calder SQ) même si je recommande d'écouter plutôt d'autres versions, mais sinon, pas vraiment d'intérêt de se jeter sur ces nouveautés. Dans cette catégorie, le Trio de Lekeu chez Brilliant (timbres assez acides), le dernier Goerne (assez empâté pour le léger et mordant Liederkreis Op.24, question de correspondance quasiment physiologique), les Vier letzte Lieder de Lise Davidsen (plus épais qu'impressionnant, très global, discutablement chanté) et des interprétations très tranquilles de Gielen (réédition de Mahler 6), Noseda (Tchaïkovski 4 avec le LSO), Ozawa (Beethoven 9 avec son Mito).

Quelques disques qui ont un peu plus agacé aussi :
♠ L'album de tragédie en musique de Katherine Watson. Programme passionnant, mais confier cela à une seule voix, aussi peu tournée vers la déclamation, aussi peu variée en couleurs… assez frustrant. Elle progresse et s'est montrée superbe en Hypemnestre chez Gervais, mais d'autres profils étaient mieux adaptés pour en servir le texte. Pourtant, dans le domaine des voix que je n'aime pas, Van Mechelen propose un récital consacré au répertoire du chanteur historique Dumesny où le programme s'incarne bien davantage, y compris dans l'interprétation ; très convaincant et écouté plusieurs fois avec beaucoup de plaisir, une réelle réussite (alors que la matière vocale me déplaît plus a priori que celle de Watson).
Coïncidence, autre membre de la distribution d'Hypermnestre, Thomas Dolié publie un Schwanengesang. Cuisante déception à l'écoute (après avoir beaucoup aimé, il y a plus de dix ans, ses Wolf en salle), entre la voix pâteuse et l'allemand pas très beau. Là aussi, on sait qu'il peut mieux et ce récital ne le met pas en valeur.
Rinaldo dans sa refonte napolitaire par Leonardo Leo. Peu de changements par rapport à l'original, Fabio Luisi dirige cela d'une façon assez peu informée (ou même seulement intéressante, pour un chef de sa trempe), la captation Dynamic est hideuse, les chanteurs, excellents dans d'autres répertoires, pas très brillants ici. Je ne comprends pas bien pourquoi diffuser un état assez peu différent d'une partition connue capté dans de mauvaises conditions avec des interprètes dans un mauvais soir. (commentaire ici)

Et puis, quelquefois, ce sont les œuvres :
♠ Say, Concerto pour violon. Sa musique respire ici encore la bonne intention, magnifier les ponts entre les cultures, mais le résultat paraît vraiment sommaire.
♠ Terterian, Symphonies 3 & 4 par Bournemouth et Karabits. Beaucoup de copains adorent ça, donc ce doit avoir un intérêt. Mais si je dis honnêtement mon sentiment, j'attends toute la symphonie que la musique commence. Des aplats d'à peu près rien (ainsi les percussions liminaires, qui durent, durent…) qui se prolongent et se succèdent. Je voulais l'essayer dans les bonnes conditions de son et d'interprétation, considérant la réussite de leur Liatochinsky n°3 (Lyatoshynsky) paru plus tôt cette année, l'interprétation n'a pas causé de révélation, tant pis.

Tout cela non pour le plaisir de médire, mais pour montrer (que j'aie raison ou tort dans mes dédains) :
    1) que je n'entends pas tout placer sur le même plan (reproche parfois lu) ;
    2) qu'il y a finalement très peu de disques décevants dans cette fournée 2019 (j'ai cité presque tous ceux qui l'ont été !) ;
    3) qu'aucun n'est scandaleusement mauvais. Pas convaincant tout au plus – même le Rinaldo tout moche de Naples n'est pas un naufrage.

Il se bal(l)ade sans doute des disques absolument sans intérêt dans les trop-ièmes gravures de Chopin chez les Majors par des pianistes essentiellement distingués pour leur coiffure, ou décidément trop mal captés par des labels à compte d'auteur, mais je n'arrive pas à citer un disque, dans les 385 écoutés parmi les 857 relevés pour moi-même, qui serait profondément mauvais. Quelques-uns n'atteignent pas leurs objectifs, mais tout cela s'écoute fort bien (sauf Terterian, certes, mais pour d'autres raisons).



… Voilà de quoi vous occuper, déjà, pour une partie de 2020 !  Je ne suis pas sûr de reconduire l'expérience l'an prochain : le principe a l'avantage d'obliger à écouter hors de sa zone de confort et à faire de splendides découvertes lorsque les parutions ralentissent, mais il faut aussi renoncer à réécouter les genres ou œuvres qu'on aime, au gré de ce qui est publié, et ne pas trop s'attarder sur les disques merveilleux qu'on vient de découvrir. À reprendre en assouplissant sans doute (200 plutôt que 400 disques à écouter, par exemple) ; peut-être en se dispensant des versions nouvelles – mais elles réclament moins d'attention que les œuvres nouvelles, il faut être honnête, et nourrissent les papotages entre mélomanes…

N'hésitez pas à partager vos propres coups de cœur ou vos divergences !

(Ne m'en veuillez pas si je ne puis publier ni répondre à vos commentaires dans les prochains jours, je serai jusqu'au 6 janvier en chasse d'églises interlopes dans un lieu lointain où ma disponibilité sur le réseau sera incertaine. Tout sera évidemment mis en ligne au bout du compte, et recevra réponse. Belle année nouvelle à vous !)

vendredi 2 août 2019

2019-2020 : opéras à découvrir en France et en Europe


Sans reprendre l'ambitieux parcours (que j'avais cependant beaucoup aimé constituer) autour des opéras rares donnés dans le monde, et présentés un par un (saison 2017-2018), car il y a d'autres séries à achever (une décennie un disque, débuts de symphonie…), voici une petite sélection de titres qui donnent envie de se déplacer.



opéras à l'étranger et en province 2019 2020 illustration
Cliquer sur l'image permet d'ouvrir le tableau.



a) Organisation

Quelques remarques méthodologiques :

♦ Contrairement à la précédente instance, je n'ai pas cherché à donner un panorama de tout ce qui était donné hors de l'ordinaire ; j'ai effectué une sélection personnelle de ce qui me paraissait – à moi – tentant. On y retrouve tout de même l'essentiel des titres rarement donnés, mais je n'y ai pas inclus les titres pour lesquels le voyage me semblait moins justifié : œuvres courtes (je suis fan du Maestro di cappella de Cimarosa, mais 20 minutes de musique…), légères (beaucoup de petits Offenbach), contemporains inconnus de moi, Philip Glass. J'admets que ce soit moins intéressant que le vrai panorama, mais il existe une différence significative en temps : voyez-le comme un recueil de conseils pour aller voir quelque chose, plutôt qu'en tant que document encyclopédique sur l'état de la programmation mondiale.

♦ Il a fallu effectuer un classement : j'ai choisi celui qui fait le plus sens pour moi, par langue puis par ordre chronologique approximatif des compositeurs. En accédant au tableau, vous pourrez effectuer votre propre classement par compositeur, ville, pays… selon vos priorités.

♦ Je tiens à préciser qu'étant issu d'un recensement à but personnel, vous trouverez des incohérences : j'ai relevé des dates à Tel-Aviv et Montevideo alors qu'il ne s'agit supposément que d'Europe, ajouté quelques opéras (Clemenza di Tito, Pikovaya Dama) très régulièrement donnés mais que j'ai envie de revoir cette saison… Je ne les ai pas retirés du relevé, ça n'y retranche rien. Mais je suis conscient de ces distorsions, oui.

♦ À cela s'ajoute que beaucoup de saisons n'ont pas encore paru sur mes radars (notamment aux Pays-Bas, en Europe Centrale…), et que je n'ai évidemment pas pu tout surveiller et relever. Beaucoup de petites pièces (théâtres secondaires moscovites !), notamment pour enfants ou à destination locales, ont ainsi dû, hélas, m'échapper.



b) Quelques immanquables

Dans la vastitude de la proposition, quelques pistes (en gras, en rouge).

Nadia Boulanger, La Ville morte, Göteborg.
Très grande compositrice, éclipsée par le destin tragique de sa petite sœur Lili – et arrêtant la composition à sa mort –, elle a laissé un opéra. Non pas d'après Rodenbach mais d'après D'Annunzio (hé oui), elle achève en réalité l'œuvre de Raoul Pugno (qui nous est resté comme compositeur de plaisantes mélodies). On ne dispose pas d'enregistrement, ce sera une grande découverte.

… j'ai finalement fait le choix d'inclure, pour plus de clarté, de brefs commentaires directement en face des titres. En sélectionnant la case, le texte apparaît dans la barre du haut (et en double-cliquant, il apparaît en entier).

Évidemment, je suis très tenté par les opéras contemporains tchèques, lituaniens, lettons, grecs ou hongrois (toute une série en janvier-février à Budapest !) que je ne connais pas !



c) Tableau

L'original, qui comporte davantage de colonnes (dont les pays et commentaires !), qui peut être importé dans votre propre tableur et sera potentiellement complété, figure ici.

Suite de la notule.

samedi 2 mars 2019

[pré-annonce] Saison définitive de l'Opéra de Paris 2019-2020


Si vous êtes agité par la perspective de ne pas savoir encore ce que vous ferez en décembre 2020, cette notule est pour vous.

À la suite d'une avance délibérée ou d'une maladresse involontaire, la saison officielle de l'Opéra de Paris, attendue fiévreusement par les amateurs d'opéra (la plus étendue de France en nombre de titres, de dates, et en prestige des chanteurs et metteurs en scène invités), est connue : les premières brochures ont été envoyées et reçues – tandis que la présentation officielle n'a lieu qu'à la mi-mars.

Pour les plus impatients donc :

ITALIEN (11)
¶ Mozart, Don Giovanni – Van Hove & Jordan – J. Wagner, d'Oustrac, Barbeyrac, Sly, Pisaroni
¶ Mozart, Così fan tutte – De Keersmaeker & Manacorda – J. Wagner, Lauricella, Costello, Sly, Szot
¶ Rossini, Il Barbiere di Siviglia – Michieletto, Montanaro – Oropesa, Anduaga, Lepore, Sempey / Filonczyk, Baczyk
¶ Bellini, Il Pirata (version de concert)  – Frizza – Radvanovsky, Spyres, Tézier
¶ Bellini, I Puritani – Pelly & Frizza – Dreisig, Camarena / Demuro, Bertin-Hugaut
¶ Verdi, Rigoletto – Guth & Scappucci – Dreisig, Antoun, Lučić, Siwek
¶ Verdi, La Traviata – Stone & Mariotti / Montanaro – Yende / Machaidze, Bernheim / Ayan, Tézier / Lapointe
¶ Verdi, Don Carlo (5 actes « Modène ») – Warlikowski & Luisi – Kurzak / Car, Rachvelishvili, Alagna / Fabiano, Pape
¶ Puccini, La Bohème – Guth & Viotti – Jaho / Stikhina / Costa-Jachson, Fuchs / Tsallagova, Demuro / Grigolo / Bernheim
¶ Puccini, Madama Butterfly – Wilson & Sagripanti – Martínez / Alieva, Lemieux / Hubeaux, Berrugi / D. Popov
¶ Cilea, Adriana Lecouvreur – McVicar & Sagripanti – Netrebko / Stikhina, Semenchuk, Eyvasov,  Lučić

ALLEMAND (5)
¶ Wagner, Das Rheingold – Bieito & Jordan – Gabler, Gubanova, Vasar, Paterson
¶ Wagner, Die Walküre – Bieito & Jordan – Westbroek, Serafin, Gubanova, Kaufmann, Paterson (Wotan), Relyea
¶ Wagner, Siegfried – Bieito & Jordan – Fuchs, Serafin (Brünnhilde), Lehmkuhl, Schager, Paterson
¶ Wagner, Der Götterdämmerung – Bieito & Jordan – Gabler, Merbeth (Brünnhilde), Connolly, Kränzle, Schmeckenbecher (il me manque Hagen)
¶ Reimann, Lear – Bieito & Luisi – Herlitzius, Skovhus, Saks

FRANÇAIS (4)
¶ Rameau, Les Indes Galantes (à Bastille) – Cogitore & García-Alarcón– Devieilhe, Devos, Fuchs, Vidal, Barbeyrac, Duhamel, Crossley-Mercer, Sempey
¶ Offenbach, Les Contes d'Hoffmann – Carsen & Elder / Vallet – Devos, Gens, Arquez, Fabiano, Briand (il me manque les Diables)
¶ Massenet, Manon – Huguet & Ettinger – Yende / Fomina, Bernheim / Costello, Tézier, Tagliavini
¶ Boesmans, Yvonne princesse de Bourgogne – Bondy & Mälkki – Lyssewski, Uria-Monzon, Naouri

RUSSE (2)
¶ Moussorgski, Boris Godounov – Van Hove  & Schønwandt – Malevskaya, Conrad, Pape…
¶ Borodine, Le Prince Igor – Kosky & Jordan – Stikhina, Rachvelishvili, Černoch, Nikitin

Hors Traviata, Indes, Manon, Igor et le Ring, uniquement des reprises de productions existantes récentes (Don Giovanni est donné en juin de cette saison !) ou anciennes (Yvonne a 10 ans, les Contes davantage mais très régulièrement repris).

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Informations généreusement partagées par Adalbéron et Xavier (qui en plus d'être bien informés écrivent immanquablement des choses intéressantes !).

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Pas de grande éditorialisation à faire ici. Je ne puis dire que je sois déçu, puisque j'ai fini par accepter que la tendance Lissner (qui fut pourtant le grand promoteur de Janaček en France dans les années 90, contribuant aussi à faire d'Aix un lieu d'essais théâtraux plus tournés vers la mise en scène et le répertoire du vingtième siècle qu'un  simple festival Mozart) s'inscrit probablement un projet de fond, voulu par la tutelle, de faire de la maison un lieu de prestige – plutôt fondé sur des noms de metteurs en scène à la mode et de chanteurs-vedettes, pas destiné avant tout à servir la musique, le patrimoine, l'ouverture à des horizons variés et / ou nouveau.

Lorsqu'on a accepté que l'Opéra de Paris a décidé d'entrer dans un modèle de théâtre de répertoire type Vienne, où l'on rejoue en circuit fermé les mêmes titres dans les mêmes productions, en attirant les vedettes les plus en vue, on cesse d'être bougon et d'attendre de l'institution ce qu'elle (devrait peut-être mais) ne souhaite pas nous donner.
Les distributions vocales sont splendides et font toutes très, très envie, incontestablement.

J'ai déjà formulé mille fois ma frustration de ce que la maison qui a le plus de moyens (et un public captif, puisque les opéras de grand format ne sont donnés que par elle, que son prestige est tel que la province, les touristes accourent et remplissent les derniers sièges libres) ne propose pas des parcours qui permettent aussi d'élargir ses horizons, dans des œuvres, des langues, des adaptations, des traductions – que sais-je ! – qui fassent voir l'opéra sous un jour nouveau. Qu'il est beau d'entrer dans une salle et d'en ressortir en se rendant compte qu'en réalité il existait tout un pan artistique dont on ignorait l'existence !

À ce titre, même dans le cadre d'une programmation ultra-conservatrice comme ici, il est dommage que l'horizon linguistique et géographique soit aussi réduit : italien, français, allemand, russe. Rien en anglais (où le choix est pourtant vastissime, et justement du côté de genres hybrides, d'œuvres récentes et accessibles inspirées du cinéma ou de la culture populaire…), rien dans des langues plus rares.

Bien sûr, on peut se sentir floué dans la mesure où l'Opéra National de Paris est la seule maison de la région qui puisse proposer des saisons aussi vastes et monter certains ouvrages – le Comique et l'Athénée, même les Champs-Élysées peuvent difficilement monter des opéras de Schreker en version scénique (rien que les coûts fixes les mettraient en faillite, je suppose). Néanmoins, considérant l'offre démentielle dans la région, il est possible d'aller se consoler dans quantité d'autres endroits : en combinant Champs-Élysées, Favart, Jouvet, Versailles, CRR, Massy, Bouffes, Frivolités Parisiennes, Herblay, Saint-Quentin et les productions itinérantes, on trouve largement de quoi saturer son calendrier, même si l'on ne va voir qu'exclusivement de l'opéra mis en scène !

J'ose à peine ajouter que, si c'est pour entendre coincé au fond de Bastille un orchestre qui joue à l'économie et qui ne devient vaguement en place qu'en fin de série, on se console d'autant mieux d'aller voir ailleurs. (J'ai vraiment du mal à m'expliquer cette désinvolture, connue par quantité d'anecdotes, mais qui se voit et surtout s'entend tout au long de la saison, alors que le recrutement est probablement le plus exigeant de France… qu'est-ce qui peut se passer entre l'instrumentiste fulgurant qui entre et le gars qui s'ennuie ostensiblement, le groupe qui refuse d'écouter les chefs invités ?)


Cela n'empêche pas évidemment de passer d'excellentes soirées sur place – ma plus belle expérience de la saison 2018-2019 a sans doute été d'entendre Les Huguenots en action !  (mais c'était et une œuvre un minimum originale, et l'avant-dernière représentation – on entend clairement dans les vidéos officielles que ce n'était pas pareil les autres jours…)

dimanche 2 décembre 2018

Indécent décembre


Encore une fois, sélection personnelle dont le ressort est souvent la rareté ou la bizarrerie. Pour une sélection plus transversale et moins triée, l'Offi et Cadences sont assez complets (tout en ratant certaines de mes propositions, considérant les recoins où je râcle des pépites et ma veille généralisée des clubs interlopes). Et bien sûr France Orgue pour les concerts de pouêt-pouêts à tuyaux, ce n'est pas exhaustif, mais de très loin ce qu'on trouve de plus complet !



1. Rétroviseur & remise de prix

Faute de temps, repoussé à une prochaine notule qui les rassemblera dès que possible, peut-être simultanément avec les concerts de décembre. La publication de cette notule ayant pris une semaine de retard par rapport aux prévisions, voici venu le temps des ris, des chants, de la… :



2. Sélection officielle

Cette fois, j'ai tout mis, plus commode pour vous je suppose, sur un PDF avec des pastilles de couleur.

En violet : immanquable.
En bleu : très rare et/ou prévisiblement exaltant.
En vert : tentant (distribution ou rareté).

Et comme je n'ai relevé que ce qui m'intéressait personnellement (et pas tout ce qui m'intéressait, d'ailleurs), le reste aussi est conseillé / conseillable. Comme d'habitude : issu de mon agenda personnel, n'hésitez pas à demander le
sens des abréviations ou les programmes complets.

http://operacritiques.free.fr/css/images/2018_decembre.pdf


26 (novembre)
Bacilly : second XVIIe, auteur d'un traité de chant. Le seul auteur dont nous soient parvenues, je crois, les diminutions écrites pour les reprises des airs. Et elles sont très abondantes et rapides, à un point qu'on n'imagine pas – il faut se figurer Bartoli qui aurait un peu trop forcé sur le Romanée Conti. Une notule lui avait été consacrée à l'occasion d'un précédent concert, en 2010 (un disque a paru depuis).


28 (novembre)
Tarare. Multiples notules, donc celle de mercredi. N'y revenons pas, mais allez-y.

29 (novembre)
Bernstein, Songfest. Recueil de mélodies orchestrales assez lyriques (un brin sirupeuses sans doute, très sympathiques). Couplage avec le Concerto pour violon n°1 de Martinů (pas aussi fondamental que son Premier Concerto pour violoncelle dans ses deux états, mais toujours du bel orchestre à entendre) et un peu de Barber.
Lotti, Giove in Argo. Mieux connu (si l'on peut dire) pour sa musique sacrée (un Requiem en majeur…), plus archaïsante et sophistiquée, c'est ici un opéra seria tendance pastorale. Cela ressemble à du Haendel pastoral ( donc pas le plus grand Haendel). Mais dirigé par García-Alarcón avec les chanteurs du CNSM, ce peut être très bien dans le cadre original du Grand-Palais. C'est gratuit mais ce doit être complet. (Sinon il vous reste la possibilité de solliciter mon intercession. Mandats cash international acceptés,  offres en nature envisageables.)

30 (novembre)
Les Leçons de Couperin par Lombard, Champion et Correas. Très rarement donné pour ténors, et par quels ténors, deux spécialistes, dont Jean-François Lombard, qui n'a pas d'égal dans la musique sacrée française – un vrai ténor, mais qui monte avec souplesse dans des registres habituellement tenus par des contre-ténors (comme s'il bâtissait sa voix pleine à partir du mécanisme léger et non l'inverse).
Déjà entendus dans un programme similaire (avec Poulenard à la place de Champion). C'est un peu loin, mais c'est l'occasion de visiter l'une des extraordinaires églises d'Étampes (même c'est c'est en priorité Notre-Dame et Saint-Basile qu'il faut voir, et qu'aucune église n'est ouverte à la visite le même jour !!).

1er
Musique baroque mexicaine : beaucoup de compositeurs espagnols, tels qu'ils ont pu être joués pour les festivités de l'inauguration de la cathédrale de Mexico en 1667.
→ Inspiré de la pièce d'origine, une version pour un seul acteur du Procès de Monsieur Banquet, dans le château d'Écouen. Gratuit sur réservation (ce doit être complet à présent, j'aurais dû prévenir le mois précédent).
→ Un peu cher pour une œuvre pas si rare (45€ en dernière catégorie, où l'on voit cependant fort bien), mais Pygmalion de Rameau est une merveille absolue, l'Atelier de Toronto de très bonne tenue, le metteur en scène Pynkoski fait de très belles choses avec peu de moyens. Si vous ne connaissez pas, ça se tente.

2
Symphonie n°1 de Zeegant « Chemin des Dames », également une Messe co-écrite avec Karol Kurpiński (dont on donne aussi un poème symphonique « varsovien »), diverses œuvres polonaises et françaises des XIXe & XXe très rares. Pas de la musique très saillante en revanche, de jolies choses très traditionnelles, malgré les sous-titres. Dans l'acoustique infâme de la cathédrale des Invalides, pas persuadé du caractère indispensable de l'expérience.
Marin Marais au théorbe seul. Buraglia a des difficultés de projection, mais c'est un fin musicien, et il n'y aura aucun enjeu de ce genre dans cette petite cave. Réservation indispensable en revanche, microscopique jauge (une trentaine de personnes musiciens compris).

4
Hofstetter fait des miracles hors des répertoires habituels de ce spécialiste du baroque : ses Verdi sont passionnants (très peu de rubato, droit au but, très fins), je suis très curieux de ses Haydn, en plus une symphonie peu donnée.

5
Bernstein & Copland. Très original, avec en particulier la Missa brevis de l'un, le Lincoln Portrait de l'autre (avec Lambert Wilson, qui excelle dans ces exercices de récitant, contrairement à la plupart des autres vedettes qui s'y frottent). Radio-France n'a vraiment pas proposé grand'chose d'original cette saison, mais pour Bernstein, les choses ont été faites très sérieusement.

6
Antigone en ukrainien & russe. Je me méfie assez du théâtre à l'Athénée, où je n'ai jamais eu de bonnes expériences (en général assez statique et expérimental), mais il y a là une réelle motivation à réentendre cette intrigue rebattue sous des apprêts sonores nouveaux !

7
Symphonie n°1 de Méhul par Insula Orchestra & l'Akademie für alte Musik Berlin, sans chef. (Couplé avec la Cinquième de Beethoven). Méhul est souvent désigné comme le Beethoven français, non sans fondement, même si le langage de ses symphonies demeure à la fois plus français (mélodies galantes, ruptures d'une logique plus dramatique que musicale) et plus typé classique. Rarissime en concert, des œuvres assez abouties et qui seront indubitablement très bien servies !
Extraits du Grand Macabre. Pas forcément avenant, discutable san sdoute, mais incontestablement original et déstabilisant.

12
Mélodies finlandaises (Kuula, O. Merikanto, Melartin, Sibelius !), par Galitzine et Dubé (excellents musiciens). Programme rodé depuis plus de six mois, troisième ou quatrième fois qu'il est donné dans cette salle au fil des mois.

13
Rilke-Lieder de Clemens Krauss, le chef d'orchestre créateur d'opéras de Richard Strauss, co-auteur du livret de Capriccio… Il écrivait donc aussi des lieder orchestraux. Certes, reste de programme plus traditionnel, et Petra Lang n'incarne pas forcément la grâce la plus absolue qu'on peut espérer dans ce type de page, mais comme j'ignorais même que cela existât jusqu'à la publication du programme, je me garderai bien de bouder (et j'irai !).
13 & 15
→ Programme de noëls espagnols (Guastavino, etc.) qui n'attire peut-être pas l'attention, mais par le Chœur Calligrammes, putto d'incarnat du meilleur concert deux saisons de suite (!), il faut faire confiance au goût musical très sûr des chefs pour le choix des pièces, ainsi qu'à la qualité de la réalisation des choristes.
13 au 16
Pratthana, spectacle de Toshiki Okada (auteur-metteur en scène de Five Days in March), en thaïlandais. Évocation de l'histoire de la Thaïlande au XXe siècle à travers des scènes sensuelles entre couples devisant. Assez intriguant, mais après avoir trouvé Five Days assez décevant sur l'arrière-plan censé transcender les détails du quotidien (certes, ça parlait de la guerre en Irak, mais juste parce qu'ils traversaient une manifestation pour aller jusqu'au train, sans s'y mêler). Par ailleurs, je trouve que le thaïlandais n'a pas l'empire immédiatement physique du japonais sur des corps d'acteurs, et les extraits disponibles laissent percevoir que ce n'est pas très impérieusement déclamé non plus. Pas sûr que ce soit bien, donc, mais avouer que c'est terriblement tentant.

14
Quintettes de Koechlin et de Caplet aux Invalides… mais à 12h15, donc réservé à ceux qui travaillent à proximité et ont des horaires flexibles, ou aux retraités, ou aux étudiants qui sèchent. Je me demande aussi si le programme copieux annoncé sous-entend l'exécution d'une partie seulement du Quintette du grand Charles.
Le Nozze di Figaro à Massy, par une équipe de jeunes chanteurs de qualité. Rien d'immanquable (pas de chouchous absolus hors Matthieu Lecroart, mais en Bartolo seulement), mais un beau spectacle en perspective. Il y a trois dates. Je n'ai pas vérifié, mais il me semble qu'il s'agit de la production de Saint-Céré, où les récitatifs sont remplacés par des dialogues issus de la pièce de Beaumarchais.
14 & 15
→ Sibelius 2 et Nuit sur le Mont Chauve par l'excellent orchestre Ut Cinquième.
14,15,16
→ « Carnaval baroque » à Versailles, par le duo de géniaux metteurs en scène Cécile Roussat et Julien Lubeck. Pot-pourri de musiques du XVIIe (italiennes surtout, je crois – au moment où cette notule a été préparée, il y a plus d'une semaine, je ne disposais pas d'informations précises sur le programme) par le Poème Harmonique.

15
Quatuor n°1 de Jadin (je n'ai pas noté lequel des deux, mais du classicisme sophistiqué, plutôt hardin, mérite le détour). L'Orchestre de Chambre de Paris est l'un des rares orchestres permanents (probablement le seul en France, en tout cas) à avoir une réelle culture de la musique de chambre, et à tenir son rang dans l'exercice extraordinairement exigeant du quatuor à cordes, très différent de la culture d'orchestre (j'ai toujours été très déçu, comparé à des formations considérées moyennes de quatuor, par le résultat vraiment global des quatuors issus d'orchestres, que ce soit l'Opéra, le National de France, l'Orchestre de Paris…).

16 à 27
Hamlet de Thomas. Chef-d'œuvre qui réussit la conversation d'un matériau spécifique (le drame emblématique de Shakespeare) en un opéra à la française très cohérent et réussi. Il existe une série autour de l'œuvre sur CSS, réunie dans ce chapitre. Distribution au cordeau, comme toujours à l'Opéra-Comique.

19
Cendrillon d'Isouard, suite de la série des contes lyriques explorés par la Compagnie de l'Oiseleur (Le petit Chaperon rouge de Boïeldieu, La Colombe de Bouddha de R. Hahn, Brocéliande de Bloch, La Belle au bois dormant de Lioncourt). Des découvertes fulgurantes (André Bloch !) et à chaque fois des surprises devant des œuvres qui changent notre perception de ce qui était réellement joué à une époque, et qui se limitent, même en sollicitant abondamment le disque, à quelques titres épars, pas forcément représentatifs – car on garde, évidemment, ceux qui sont parmi les meilleurs et/ou ont une certaine personnalité. En exhumant d'autres bijoux qui, pour diverses raisons (conditions de création défavorables, évolution du goût…) n'ont pas pu se maintenir à l'affiche jusqu'à nous, la Compagnie de L'Oiseleur effectue un travail salutaire, d'intérêt public.
    [Ils sont par ailleurs à la recherche de partenariats avec des collectivités, prêts à explorer le répertoire propre à une ville, à une région, à un auteur, à une thématiques… Ils ne bénéficient d'aucune subvention, donc tout contact, tout donateur permettrait, vu les miracles qu'ils font sans aucun financement, outre de vivre un peu plus décemment de leur art, de décupler leur potentiel de défrichage. Denk' es, o Seele.]
    Ce que j'ai entendu d'Isouard, le grand compositeur emblématique de Malte, ne m'a jamais paru jusqu'ici excéder l'ordinaire de l'opéra comique tardif… Mais je n'ai pas lu cette partition, et ce ne serait pas la première fois que je serais surpris par les trouvailles de L'Oiseleur (témoin le récent Massé, un coup de tonnerre dont je parlerai très prochainement, dès que j'aurai pu en enregistrer quelques extraits).
    Distribution de voix amples et sonores, assez différentes des voix plus fines présentes dans les dernières productions ; pas mon esthétique, mais enfin, de grandes professionnelles (Marie Kalinine !) à qui l'ont peut faire confiance pour la maîtrise technique… et évidemment l'engagement, toute cette entreprise philantropique étant largement, pour les interprètes, à fonds perdus.
Programme de Noël baroque français avec l'ensemble de Reinoud van Mechelen. Ce qui est un peu rond et homogène pour moi à l'opéra ou dans les cantates peut bien fonctionner, surtout dans l'acoustique diffuse de la Chapelle Royale. (N'hésitez pas à regarder les tarifs, Versailles n'est pas hors de prix – 25€ en dernière catégorie, qui reste décente, ici, et il existe même moins cher pour d'autres concerts.)

20
→ Aliénor Feix, voix peu ample mais très adroite dans le lied, dans un programme original et grisant : Donizetti, Tchaïkovski, Cilea, Zemlinsky, Hahn, Schreker, Lili Boulanger, Séverac, au milieu de choses plus traditionnelles, Mozart, Schubert, Duparc, Fauré, Poulenc… Le midi.
→ Déambulation dans Orsay avec des micro-concerts des lauréats de la Fondation Royaumont… des valeurs extrêmement sûres.
Les Fâcheux de Molière avec musique de scène à la Sorbonne.
→ Un nouveau concert du duo Gens-Manoff. Très, très hautement recommandable pour le programme comme l'interprétation – c'est en revanche un peu cher pour du récital de mélodies. Enfin, pas cher si on a l'habitude des premières catégories dans les grandes salles, mais cher si on a l'habitude de prendre de l'entrée de gamme… 35€ tarif unique.
20 jusqu'à janvier
Opérettte Azor de Gabaroche. De l'opérette très légère, avec accompagnement façon mickeymousing, ce devrait être parfait pour les fêtes de fin d'année.

21,22,23
Marivaux, Le Triomphe de l'Amour mis en scène par Podalydès. La recommandation tient au fait que c'est Christophe Coin qui assure la musique, et que ses montages dans La mort de Tintagiles étaient l'une des choses musiques les plus bouleversantes que j'aie entendues… Évidemment, ici, il ne pourra pas se reposer sur la beauté du répertoire Bartók-Kurtág pour violon-violoncelle, mais on peut lui faire confiance pour laisser beaucoup de place à la musique, et de façon intelligente.

4-5 janvier
Star Wars IV & V en ciné-concert, c'est-à-dire l'intégralité de la musique jouée, par l'ONDIF en plus !  L'occasion de s'immerger complètement dans les inspirations prokovio-richardstraussiennes de John Williams, et d'entendre enfin tous ces détails masqués par le bruit des dialogues et bruitages, et pas reproduits sur disque (enfin, cela dépend des épisodes). J'aurais bien signé pour une version avec le film en muet, craignant que la sono ne concurrence un peu trop l'orchestre – moi je serais venu, même et plus encore sans la projection !  Mais en attendant une proposition conforme à mes souhaits, une grande symphonie sur les motifs de Star Wars, voire un opéra, ou simplement des portions musicales qui excèdent les tubes et les Suites d'orchestre existantes… je m'en satisferai très bien.

… et toutes les autres choses qui apparaissent sur l'agenda. Remplissez votre fin d'année, ainsi qu'on en fait sur l'Avon, comme il vous plaira. 

dimanche 18 novembre 2018

[Carnet d'écoutes n°122] – les hits de la rentrée : Marx, Diepenbrock, Schjelderup, Alpaerts, Ascanio, de Boeck, Popov…


Comme c'est désormais l'usage régulier et périodique, vous trouverez ici quelques impressions éparses, laissées en vrac, tirées d'expériences d'écoute depuis trois mois, et livrées sans apprêt. Simplement manière d'avoir trace de certains compositeurs dont je n'ai pas le temps de parler dans une notule à part, mais qui méritent peut-être votre attention… Évidemment, quand c'est pour confesser que j'ai écouté un opéra de Vivaldi ou une symphonie de Brahms, ça revêt un intérêt qui se limite au mieux au people, mais je n'ai pas ébarbé, j'ai mis pêle-mêle toutes les choses que j'ai pu trouver de vaguement rédigées.

À propos de la cotation :
Les binettes se lisent comme les tartelettes au citron ou les putti : elles ne concernent que les œuvres, pas les interprétations (en général choisies avec soin, et détaillées le cas échéant dans le commentaire). Ces souriards ne constituent en rien une note, et encore moins un jugement sur la qualité des œuvres : ils indiquent simplement, à titre purement informatif, le plaisir que j'ai pris à leur écoute. Je peux avoir modérément goûté l'écoute de chefs-d'œuvre et jubilé en découvrant des bluettes, rien de normatif là-dedans.
1 => agréable, réécoute non indispensable
2 => à réécouter de temps en temps
3 => à réécouter souvent
4 => œuvre de chevet
5 => satisfaction absolue
Un 2 est donc déjà une bien bonne note, il ne s'agit pas de le lire comme une « moyenne » atteinte ou non.

Pour cette livraison, vous trouverez en outre quelques sélections discographiques.

A. Suggestions discographiques

LE CRÉPUSCULE DES DIEUX

Suite de la notule.

samedi 3 novembre 2018

Innovant novembre




Encore une fois, sélection personnelle dont le ressort est souvent la rareté ou la bizarrerie. Pour une sélection plus transversale et moins triée, l'Offi et Cadences sont assez complets (tout en ratant certaines de mes propositions, considérant les recoins où je râcle des pépites et ma veille généralisée des clubs interlopes). Et bien sûr France Orgue pour les concerts de pouêt-pouêts à tuyaux, ce n'est pas exhaustif, mais de très loin ce qu'on trouve de plus complet !



1. Rétroviseur

En cliquant sur les liens, mon avis (égrené en général sur le fil Twitter de CSS dans les heures suivant le spectacle, voire dès l'entracte) apparaît. Je m'efforce autant que possible de remettre aussi les œuvres en perspective et de poser des questions plus larges que le bon / pas bon du soir donné, aussi j'espère que les retardataires et les absents y trouveront quelques satisfactions tout de même.

Les ♥ mesurent mon émotion (depuis « ça va, c'est joli » jusqu'à l'extase), non la qualité des spectacles. Des spectacles que j'ai trouvés remarquables m'ont touché avec modération, tandis que d'autres plus bancals ou moins exceptionnels m'ont bouleversé. C'est ainsi.
Quant à ♠ : j'ai pas du tout aimé.

♥ Agréable, mais je ne suis pas entré dans le spectacle.
♥♥ Intéressant.
♥♥♥ Excellent.
♥♥♥♥ Merveilleux.
♥♥♥♥♥ Événément marquant dans une vie de spectateur.

♠ J'aime pas.
♠♠ Je déteste.
♠♠♠ C'est scandaleux !  (encore jamais attribué)
♠♠♠♠ J'ai hué le metteur en scène et vais lui défoncer sa race à la sortie.

► #12 Extraits de tragédies en musique (LULLY, Charpentier, Destouches, Rameau) pour soprano (Eugénie Lefebvre) et deux clavecins, dans la merveilleuse église (juxtapositions XIe-XVIe) d'Ennery. Un délice d'éloquence et de contrepoints : grand, grand concert. ♥♥♥♥♥
► #13 Révélation de Léonora Miano (pièce mythologique évoquant les traites négrières) mis en scène par Satoshi Miyagi en japonais à la Colline, avec un orchestre de 11 percussionnistes. Un univers très étonnant. (avec des morceaux de mythologie et d'onomastique dans mon commentaire) ♥♥♥
► #14 Rarissime exécution en concert du Quintette piano-cordes de Jean Cras, les chants de marin les plus modulants que l'on puisse rêver !  (avec quelques extraits de partition) ♥♥♥♥♥
► #15 Bérénice de Michael Jarrell à Garnier. Grande déception – je n'y retrouve ni le sens dramatique de Cassandre (qui n'était certes pas un opéra), ni le contrepoint lyrique de Galileo (qui n'était certes pas sis sur des alexandrins français).  ♠
► #16 Symphonie n°7 de Stanford (et Concerto pour clarinette), Éric van Lauwe. Très belle interprétation, œuvres pas au faîte du catalogue de Stanford. ♥♥
► #17 Tristan und Isolde : Serafin, Schager, Gubanova, Goerne, Pape ; Viola, Sellars, ONP, Jordan. ♥♥♥ (ça en mérite davantage, mais je connais tellement l'œuvre que l'effet de surprise n'est pas le même, et du fond de Bastille…)
► #18 Grétry, Le Jugement de Midas. CRR de Paris. ♥♥♥♥
► #19 Destouches, Issé. Wanroij, Santon, E. Lefebvre, Vidal, Collardelle, Lecroart, Dolié, Barolz ; Chantres, Les Surprises, Camboulas. ♥♥ (parce que c'est une nouveauté… mais pas palpitant, la faute au livret, et sans doute aussi un biais d'interprétation défavorable au drame, à la danse, à la déclamation)
► #20 Orgue à la Madeleine par Matthew Searles : Franck, (Samuel) Rousseau, Saint-Saëns, Tournemire, Demessieux… Programme français assez incroyable, autour des chorals et de l'improvisation transcrite (celles de Saint-Saëns et Tournemire sont incroyables !). ♥♥♥♥♥
► #21 Quatuor a cappella Bonelli, dans Josquin, Palestrina, Victorian, Mendelssohn, Sullivan, bruckner, Debussy, Peterson-Berger, Duruglé, Kodály, Poulenc, gospels… à un par partie !  Fulgurant, la technique parfaite, et jusque dans les langues !  ♥♥♥♥♥
► #22 Maeterlinck, La Princesse Maleine, Pascal Kirsch. ♥♥♥♥♥
► #23 Bernstein, Candide. Swanson, Devieilhe, Rivenq, Amiel, Saint-Martin, Courcier, Koch. Opéra de Marseille, Robert Tuohy. ♥♥♥♥
► #24 Toshiki Okada, Five Days in March (en japonais). ♥♥
► #25 Meyerbeer, Les Huguenots. Oropesa, Jaho, Kang, Testé… Kriegenburg, ONP, Mariotti. ♥♥♥♥♥
► #26 Berlioz, La Mort de Cléopâtre (Richardot), Symphonie fantastique, ORR, Gardiner. ♥♥♥♥
► #27 Debussy, Pelléas et Mélisande, version piano. Lanièce, Dominguez, Degout, Dear… Martin Surot. ♠ (c'est terrible, encéphalogramme plat… vraiment dangereux à présenter après si peu de répétitions… et pas du tout aimé ce que faisaient les chanteurs, alors même que j'ai adoré Lanièce jusqu'ici, mais il change sa voix, et beaucoup aimé Dear, mais dans des rôles plus opératiques…)
► #28 Haendel, Serse. Fagioli, Kalna, Genaux, Aspromonte, Galou, Andreas Wolf, Biagio Pizzuti. Il Pomo d'oro, Emelyanychev. ♥♥♥♥ (interprété comme cela, quel plaisir !)
► #29 Baroque viennois (Kerll, Fux, Conti, Schmelzer) par le Consort Musica Vera. Une brassée de découvertes ! ♥♥♥♥
► #30 Emond de Michalik. ♥♥♥♥♥ (en cours de commentaire, revenez plus tard)
► #31 Magnard, Hymne à la Justice, par les Clés d'Euphonia. (Et Ravel main gauche, Strauss Tod und Verklärung.) ♥♥ (Magnard passionnant et très réussi, j'étais dans de moins bonnes dispositions pour écouter le reste du programme.)

Et quelques déambulations illustrées d'octobre :
☼ La Forêt de Rambouillet traversée du Sud au Nord, du Palais du Roi de Rome jusqu'aux Étangs de Hollande.
☼ La Forêt d'Armainvilliers, ses arbres remarquables et vestiges archéologiques.
☼ Baillet-en-France, Chauvry, Béthemont, Villiers-Adam… villages autour de la Forêt de l'Isle-Adam

Château de Rambouillet.
Palais du Roi de Rome.

† Église XIIe-XVIe d'Ennery, premier gothique et flamboyances prolychromes.
† Cathédrale Saint-Maclou de Pontoise.
Église Saint-Lubin de Rambouillet (avec vidéo-test d'acoustique).
† Cathédrale Saint-Louis de Versailles.
Sainte-Marie des Batignolles.
† Saint-Joseph-Artisan.
† Saint-Nicolas-des-Champs
† Temple de Port-Royal.

Expo Miró au Grand-Palais

Pour ceux qui ne sont pas mis en lien, vous les trouverez épars sur cette page.



2. Distinctions

Quelques statistiques :
● 20 concerts en octobre (oui, c'est beaucoup) dans 18 lieux différents dont 6 où je n'avais jamais mis les pieds. C'est plutôt bien d'y parvenir encore, après dix ans de loyaux services dans la région.

putto incarnat
Quelques ovations musicales :
Putto d'incarnat de l'exhumation : Consort Musica Vera pour le Requiem de Kerll, Ferey & Sine Qua Non pour le Quintette piano-cordes de Cras, Matthew Searles pour l'ensemble de son programme.
Putto d'incarnat œuvre : Les Huguenots de Meyerbeer, Callirhoé (extraits) de Destouches, Requiem de Kerll, Quintette de Cras, Médée (extraits) de Charpentier.
Putto d'incarnat claviers : Clément Geoffroy (à deux clavecins + continuo Issé), Matthew Searles (registration et souplesse).
Putto d'incarnat orchestre : Orchestre Révolutionnaire et Romantique (couleurs et cohésion dans Berlioz), CRR de Paris et environnants pour Grétry (quel engagement !).
Putto d'incarnat direction : Mariotti (animer ainsi cet orchestre, et rattraper l'air de rien les décalages des chanteurs dans les grands ensembles des Huguenots, du grand art), Ph. Jordan (Tristan).
● Une belle moisson de chanteurs exceptionnels (et je pèse mes mots) : Morgane Collomb (Kerll), Fanny Soyer (quatuor a cappella), Eugénie Lefebvre (Médée, Callirhoé, Amélite, Hespéride d'Issé), Marion Vergez-Pascal (quatuor a cappella), Bo Skovhus (Bérénice), Mathieu Lecroart (Issé), Biagio Pizzuti (Serse), Andreas Wolf (Serse), Adrien Fournaison (quatuor a cappella)… auxquels nous décernons volontiers un putto d'incarnat 2018.
● et les Putti d'incarnat de l'injustice critique, pas forcément adorés comme ceux choisis précédemment, mais réellement admirés, excellents, au-dessus de la désapprobation et que j'ai pu lire ou entendre de façon récurrente à leur encontre : Ermonela Jaho, Martina Serafin, Yosep Kang, Il Pomo d'oro… Courage les petits, vous êtes des grands !

putto incarnat
Quelques saluts théâtraux :
Putto d'incarnat théâtre : Maleine de Maeterlinck (pour le texte et sa vie sur scène, pas pour la mise en scène qui l'abîme en certains endroits), Edmond de Michalik (une sorte de vaudeville à références littéraires, très accessible et tout à fait jubilatoire à chaque instant).
Putto d'incarnat acteurs : Haruyo Suzuki (voix d'Inyi dans Révélation), Bénédicte Cerutti (la Reine étrangère dans Maleine), Cécile Coustillac (la Nourrice semi-comique dans Maleine), Nicolas Rivenq (quel anglais remarquable en narrateur-Pangloss de Candide).

Autant dire que je ne suis pas assuré que novembre soit du même tonnel…



3. Sélection des raretés et événements

En rouge, les interprètes qui méritent le déplacement.
En gras, les œuvres rares.
Et donc combiné : œuvres rares et tentantes (déjà écoutées, ou quelquefois simplement significatives / prometteuses).

Vendredi 2
→ Auditorium de Vincennes : Hymne à la Justice de Magnard (+ Tod & Verklärung, Ravel gauche). Les Clefs d'Euphonia. Libre participation.
→ Gaveau : Schütz, Erlebach, Theile, Ritter, Tunder par l'Arpeggiata.

Samedi 3
→ 16h, Saint-Gervais. Intégrale des motets de Couperin #4 par l'Ensemble Marguerite Louise (Gaëtan Jarry). Libre participation.
→ 18h, Royaumont, Masterclass Immler & Deutsch avec Garnier & Oneto-Bensaid (putto d'incarnat novembre 2017), Boché (putto d'incarnat mai 2018 et juin 2018) & Vallée… 18h, sur inscription.
→ Saint-Merry, violoncelle roumain & français.
→ Maison de la Radio, Esther de Racine avec la musique de scène d'origine de Moreau.
→ Auditorium de Vincennes : Hymne à la Justice de Magnard (+ Tod & Verklärung, Ravel gauche). Les Clefs d'Euphonia. Libre participation.

Dimanche 4
→ 14h30, Péniche Over the Rainbow : des succès de comédie musicale sous la direction de l'ancien grand chanteur-baroque-français Luc Coadou.
→ 15h, Saint-Germain-des-Prés : Concert baroque & musique ancienne coréenne.
→ 16h, Auditorium de Vincennes : Hymne à la Justice de Magnard (+ Tod & Verklärung, Ravel gauche). Les Clefs d'Euphonia. Libre participation.
→ 17h Temple Saint-Pierre (Paris XIX), Reincken au clavecin et Pachelbel à l'orgue par Clément Geoffroy (putto d'incarnat de septembre 2018 et octobre 2018). 55 rue Manin, gratuit.

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Lundi 5
→ Philharmonie, création de CHEN Qigang, Capitole, Sokhiev.

Mardi 6
→ 12h30 puis 19h, CNSM : ECMA, Académie de Musique de Chambre Européenne, le lieu chaque année de mes grands coups de cœur et de mes nouveaux chouchous !  J'y ai découvert avant tout le monde les Akilone, Hanson, Arod, Sōra, Zadig, lorsqu'ils étaient encore élèves…
→ 12h30, Orsay, masterclass de la Fondation Royaumont, cf 3 novembre.
→ Opéra de Versailles, Berlioz, Damnation de Faust. Antonacci, Vidal, Courjal, Les Siècles, Roth. Alerte glottique !  Mathias Vidal a remplacé en catimini (le déjà très bon) Bryan Register. On se retrouve donc avec le plus beau plateau jamais réuni pour cette œuvre. Hélas, il ne reste plus que des places à 80€, car tout était déjà parti…

Mercredi 7
→ Temple du Luxembourg : Massé, Paul & Virginie ; Compagnie de L'Oiseleur. T. Rousseau, G. Laurens, Ratianarinaivo, Qiaochu Li… Massé n'a pas écrit que les pièces légères Les Noces de Jeannette (grand succès d'alors) ou Galathée (qui a bénéficié, il y a longtemps, des rares honneurs du disque) ; voici un de ses drames plus sérieux, qui met en relation ces héros emblématiques de la littérature française avec leurs lecteurs, avec de beaux
ensembles consonants mais riches. Hâte d'entendre cela en action !  Libre participation.
→ Philharmonie : Tippett, A Child of Our Time ; Connolly, Padmore, Relyea, OP, Adès. Oratorio très réussi (style brittenien en mieux), son œuvre emblématique.
→ Philharmonie : Armand Couperin, Dandrieu… par Béatrice Martin, Olivier Baumont, Claire Antonini, et Julien Cigana à la déclamation en français restitué (il n'y a pas plus savoureux que lui !).
→ Odéon : Début des Femmes Savantes mises en scène par Braunschweig.

Jeudi 8
L'une des journées les plus riches de l'année !
→ 18h, Musée d'Orsay : Lauréats de la Fondation Royaumont (dont les membres de la masterclass du 3 novembre) répartis dans le musée !
→ 19h, CNSM : Ouverture du Fliegende Holländer, Concerto pour violon et orchestre à vents de Weill, Concerto pour violon n°2 de Bartók. Orchestre des Lauréats du Conservatoire. Gratuit.
→ Mairie du IIIe : Quintette piano-cordes de Durosoir (et celui de Franck) par l'Ensemble Syntonia (putto d'incarnat 2017). Gratuit ?
→ Philharmonie : Tippett, A Child of Our Time ; Connolly, Padmore, Relyea, OP, Adès. Oratorio très réussi (style brittenien en mieux), son œuvre emblématique.
→ Orsay : Immler-Deutsch dans Schreker, Grosz, Gál, Wolf, Berg. Rarissime et exaltant mais cher pour un récital de lied (35€).
→ Invalides : Requiem de Farr, Élégie pour cordes et harpe de Kelly. Pas des chefs-d'œuvre intersidéraux, mais plaisants et rarissimes.
→ Seine Musicale : Haydn, Symphonie n°102, une Symphonie de CPE Bach, Concerto pour piano n°20 de Mozart. Insula Orchestra, Christian Zacharias.
→ Philharmonie : Louis & François Couperin par Rousset.
→ CRR de Paris : Debussy, Pelléas ; la formation n'est pas claire, j'avais compris Pascal Le Corre au piano, mais je vois qu'à présent des élèves instrumentistes sont crédités. Gratuit.
→ Ivry : Les Justes de Camus.

Vendredi 9
→ TCE : Verdi, Nabucco ;  Opéra de Lyon avec Anna Pirozzi, Leo Nucci… Les meilleurs titulaires d'aujourd'hui, pour un opéra d'un accomplissement remarquable, certes un tube, mais guère donné en France.
→ Chapelle Royale de Versailles : Moulinié, Cantique de Moÿse & Requiem, motets Louis XIII de Formé et Bouzignac. 18€.
→ Philharmonie : Durosoir, Amoyel, Britten, Debussy, Bach sur une copie du violoncelle de fortune de Maurice Maréchal, dans les tranchées. Par Emmanuelle Bertrand.
→ CRR de Paris : Debussy, Pelléas ; la formation n'est pas claire, j'avais compris Pascal Le Corre au piano, mais je vois qu'à présent des élèves instrumentistes sont crédités. Gratuit.
→ Massy : Samson & Dalila, production de Metz (Kamenica, Furlan, Duhamel).
→ Chelles : Sopro, pièce de Tiago Rodrigues en portugais, autour de la figure d'une souffleuse (réellement souffleuse). Donné également jusqu'à mi-décembre au Théâtre de la Bastille, dépêchez-vous, la plupart des dates sont complètes.

Samedi 10
→ 15h, Cortot : Septuor de Saint-Saëns (OCP)
→ 18h, Gargenville (aux Maisonnettes, l'ancienne maison de Nadia & Lili Boulanger), concert viole de gambe / clavecin. 8€.
→ 20h, Église écossaise : violon-piano de Janáček, Sonate pimpante de Rodrigo, Beethoven 9.
→ 20h30, La Chapelle-Gaillard : Lambert, Jacquet, Marais, Dandrieu, etc. Entrée libre. Réservation conseillée.
→ Début de Nel paese d'inverno (en italien) de Silvia Costa, plasticienne qui a été l'assistante de Castellucci.

Dimanche 11
→ Ivry : Les Justes de Camus.
→ 21h, Philharmonie : Chœurs de Caplet (Messe à 3), Reger, Schönberg, Ravel, Poulenc, Fujikura. Chœur de Chambre du Québec, Sequenza 9.3, Chœurs de l'Armée Française. Déplacé à 21h pour cause d'Armistice. Complet mais vérifiez sur la Bourse aux Billets (ou demandez-moi, je risque de revendre ma place…).

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Lundi 12
→ CNSM : programme de chambre au Salon Vinteuil du BDE.
→ Athénée : Mirianashvili.
→ 21h, Théâtre de la Bastille : Sopro, pièce de Tiago Rodrigues en portugais, autour de la figure d'une souffleuse (réellement souffleuse).Jusqu'à mi-décembre,la plupart des dates sont complètes.

Mardi 13
→ Toute la journée : masterclass de Gary Hoffman (violoncelle) au CNSM.
→ 14h, CRR : masterclass publique sur les vaudevilles du XVIIIe siècle.
→ 18h, CNSM : pièces du compositeur récemment disparu Nguên Thiên Dao.
→ 20h, Colline : début du Lazare de Castellucci.
Chœur Calligrammes (putto d'incarnat du concert de l'année en 2017 et 2018 !), programme « Noël espagnol des trois Amériques » : Guastavino, Susa, Galindez, Valera, Corona (pardon, en vérifiant le lieu, je vois que c'est évidemment en décembre)

Mercredi 14
→ 14h, CRR : masterclass publique sur les vaudevilles du XVIIIe siècle.
→ 19h, CNSM : concert de thèse, Paganini au piano. Liszt, Busoni, Michael Zadora, Ignaz Friedman.

Jeudi 15
→ 18h30, Favart : Stockhausen, Donnerstag aus Licht. L'opéra totalisant qui regroupe une large part de sa production sera (partiellement) donné cette année : Jeudi à l'Opéra-Comique, et plus tard dans la saison Samedi à la Philharmonie !  Ici, c'est avec mise en scène, une expérience qui vous convaincra diversement (ensemble très hétéroclite, mais atonal bien sûr), à ne pas rater, au moins pour connaître cet objet étrange.
→ 19h, CNSM : cours public d'improvisation de musique indienne
→ Orsay : pièces à thématiques circassiennes de Satie (Parade !), Stravinski, Rota, Debussy (orchestrations de Children's Corner) etc., par le Secession Orchestra dirigé par Clément Mao-Takacs.
Chœur Calligrammes (putto d'incarnat du concert de l'année en 2017 et 2018 !), programme « Noël espagnol des trois Amériques » : Guastavino, Susa, Galindez, Valera, Corona (pardon, en vérifiant le lieu, je vois que c'est évidemment en décembre)
→ Philharmonie : Monologues de Jedermann de Frank Martin par Goerne, un des grands cycles vocaux du XXe siècle (assez récitatif et dramatique, comme les Vier dramatische Gesänge de Gurlitt ou les Häxorna de Rangström). Couplé avec la Dante-Symphonie de Liszt, fameuse et très enregistrée mais peu donnée en concert.

Vendredi 16
→ Invalides (salon) : pièces à deux pianistes de Saint-Saëns, Debussy, Rachmaninov, Chostakovitch. Avec Jean-Philippe Collard.
→ Philharmonie : Vivier, Grisey (Les Chants du Seuil), EIC, Louledjian (très remarquée la saison dernière dans la Damoiselle Élue – quelle diction, quelle présence !).

Samedi 17
→ 16h30 Épinay-sous-Sénart : baroque des Andes.
→ 18h, Écouen : Jodelle, Cléopâtre captive. Rare représentation de cette pièce fondamentale du patrimoine français. Gratuit sur réservation, dans le cadre merveilleux du château !
→ 18h30, Favart : Stockhausen, Donnerstag aus Licht. Voir jeudi pour commentaires.

Dimanche 18
→ 16h, Maison de la Radio : Chœurs de Schubert, Mendelssohn, Brahms par le Chœur de Radio-France. Ma dernière expérience, il y a près de dix ans, avait été très peu concluante (techniques lourdes qui s'accommodent mal de cette forme délicate), mais Sofi Jeannin (et désormais Martina Batič ?) les a beaucoup assouplis pendant son bref intérim.

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Lundi 19
→ Toute la journée au CNSM : masterclasses du Quatuor Ébène. Gratuit.
→ 19h, CNSM : Symphonies 1 de Beethoven et 9 de Schubert, par les Lauréats du Conservatoire (multi-putto d'incarnat ces dernières années). Gratuit sur réservation.
→ 20h, Villette : début des représentations de l'épisode du Mahābhārata vu par Miyagi, avec son orchestre de percussions (et en japonais), gros succès à Avignon…

Mardi 20
→ 19h, Bondy : Chansons de Bord de Dutilleux (bijoux !), Chansons de la Pointe de Manac'h, Kodály, Ligeti, Fujiwara, par la Maîtrise de Radio-France. Gratuit.
→ 19h, CNSM : Concertos baroques de Jiranek, Heinichen, Reichenauer, Bentner et Zelenka ! Gratuit.

Mercredi 21
→ 20h30, Bal Blomet : pièces d'Anthiome, Berlioz, Saint-Saëns, Fauré. Ambroisine Bré et l'Ensemble Contraste. 22€.

Jeudi 22
→ 12h30 Petit-Palais : récital de lied & mélodie par Kaëlig Boché (double putto d'incarnat au dernier semestre !) et Jeanne Vallée.
→ 20h, Invalides : Programme varié très étonnant. Pièces héroïques pour orgue et cuivres de Widor et Dupré, extraits de Janáček (Glagolitique, Tass Boulba), Bartók, Pärt, Nilović, Eötvös, Rhapsodie pour clarinette et orchestre de Debussy… !
→ 20h, Opéra Royal de Versailles : Salieri, Tarare. Un des plus hauts chefs-d'œuvre de l'histoire de l'opéra, l'un des plus grands succès de l'Opéra de Paris également. J'en avais présenté le livret et le contexte ici. Équipe de dingue menée par Dubois, Bou, Rousset… Donné également à la Cité de la Musique.
→ 20h, Maison de la Radio : Bernstein, Divertimento, Halil, Riffs ; Dusapin, Morning in Long Island. ONF, Sirvend.
→ 20h, Fondation Singer-Polignac : Lauréats du prix Boulanger. Est-ce public ?  (souvent, non, mais je n'ai pas vérifié ici, étant déjà pris…)
→ 20h, T2G : Début des représentations de la pièce de Hideto Iwaï (en français).
→ Maison du Japon : « Jetons les livres ». Théâtre en japonais, viol / pop / onirique / trash. Pas pour moi, mais doit être assez surprenant.
→ 20h30, Philharmonie : Koechlin, Vers la Voûte étoilée (très jolie pièce, pas son chef-d'œuvre, mais on ne le joue jamais, c'est déjà bien…) et autres programmes stellaires d'Adès, Holst, Ives, R. Strauss. Orchestre de Paris, Pierre Bleuse (absolument formidable dans le récent album d'airs français de Julien Behr).
→ 21h, Théâtre de Saint-Louis-en-L'Île : mélodies de Kuula, O. Merikanto, Sibelius, Melartin, par Sophie Galitzine (une bonne voix) et Jean Dubé (oui, le Jean Dubé !). Programme déjà rodé au moins depuis le début d'année.

Vendredi 23
→ 19h, CRR de Paris : Orchestre d'harmonie de la Région Centre dans Roger Boutry (Concerto pour violoncelle et ensemble à vent), et arrangements : Lili Boulanger (D'un matin de printemps), Debussy (Fêtes des Nocturnes) et Bernstein (Suite de Candide). Gratuit.
→ 20h30 : Début de La Naissance de la tragédie de Kuvers.

Samedi 24
→ 15h, Cortot : quatuor à vent. Français, Villa-Lobos, Rossini, Beethoven, Poulenc, Jolivet
→ Tout l'après-midi, MAHJ  : Intégrale des Quatuors avec piano de Mendelssohn (œuvres de prime jeunesse, pas le plus grand Mendelssohn, mais déjà très belles et jamais données) avec le Trio Sōra, Mathieu Herzog, et culminant en fin de journée dans une transcription de la Première Symphonie avec le Quatuor Akilone (et un piano) !
→ 20h30, Saint-Joseph-Artisan : Automn de Delius, première audition française de ce mouvement de suite symphonique. Programme un peu moins aventureux que d'ordinaire (après un tout-Stanford !). Couplage avec le Second Concerto de Brahms. Excellent orchestre d'Éric van Lauwe. Libre participation.

Dimanche 25
→ 12h, Garnier : Quatuors de compositeurs d'opéra. Grétry n°3, Verdi, Meyerbeer Quintette avec clarinette.
→ 16h, Saint-Joseph-Artisan : Automn de Delius, première audition française de ce mouvement de suite symphonique. Programme un peu moins aventureux que d'ordinaire (après un tout-Stanford !). Couplage avec le Second Concerto de Brahms. Excellent orchestre d'Éric van Lauwe. Libre participation.
→ 16h, Chapelle royale de Versailles : Couperin, extraits de la Messe pour les Couvents par Desenclos, et motets par l'Ensemble Marguerite Louise.
→ 17h, Le Pecq : Garnier & Oneto-Bensaid (laquelle fut multi-putto d'incarnat et vient de sortir son premier disque, entièrement des transcriptions de sa main ! ♥) Dans Schubert, Duparc, Poulenc…

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Lundi 26
→ Toute la journée, CNSM : masterclasses du Quatuor Modigliani. Gratuit.

Mardi 27
→ Uniquement des événements déjà cités.

Mercredi 28
→ 19h, CNSM : Concert (de chambre) de l'Association de musique Sainte-Cécile, sorte de remise de prix organisée par d'anciens du CNSM, une des plus anciennes associations culturelles de France. Je ne dispose pas du programme, mais en principe ce sont des gens plutôt bons –  et c'est dans ces murs que je vis régulièrement mes plus belles expériences de musique de chambre !
→ 20h30, Philharmonie : Salieri, Tarare. Un des plus hauts chefs-d'œuvre de l'histoire de l'opéra, l'un des plus grands succès de l'Opéra de Paris également. J'en avais présenté le livret et le contexte ici. Équipe de dingue menée par Dubois, Bou, Rousset… Donné également à Versailles la semaine précédente.
→ 20h30, Philharmonie : Intégrale des airs de cour de Couperin (très peu donnés, même pas sûr d'en avoir déjà entendu !) + divertissements, Sempé.

Jeudi 29
→ 19h, CNSM : orgue de Reger, Escaich, Bach.
→ 20h, Maison de la Radio : Martinů (Concerto pour violon n°1), Bernstein (Songfest, une grande cantate assez réussie), Barber (Adagio & ouverture pour The School for Scandal). ONF.
→ 20h30, Grand-Palais : Lotti, Giove in Argo, étudiants du CNSM, García-Alarcón. Gratuit sur réservation. On dispose de très peu de choses de ce compositeur vénitien (et essentiellement de la musique sacrée, très bien faite). On est à (1718) à l'époque du premier seria, mais on peut parier pour que ce soit plutôt du haut de gamme musical, avec peut-être une forme plus libre, que de la pure ostentation vocale. Mais c'est pur pari de ma part…

Vendredi 30
→ Fin de l'exposition des étonnantes gravures de Georges Focus à l'École des Beaux-Arts.
→ 20h, Maison de la Radio : Symphonie n°2 de Bernstein, OPRF, Vasily Petrenko. Je trouve personnellement cette symphonie particulièrement sinistre et insipide, mais elle est incontestablement rarement donnée.
→ 20h, Opéra Royal de Versailles : première des trois représentations d'Actéon de Charpentier et Pygmalion de Rameau, par l'Atelier Tafelmusik de Toronto. Mise en scène toujours adroite avec peu de moyens de Pynkoski.
→ 20h30, Philharmonie de Paris : Manfred de Tchaïkovski. Orchestre des Jeunes de Roumanie, Mandeal. Très peu joué en France et difficile à réussir, alors par de petits jeunes enthousiastes, c'est tentant !

Samedi 1er décembre
→ 17h30, Écouen, Le Procès de Monsieur Banquet (théâtre). Aménagement d'une pièce allégorique du XVIe siècle, interprété par un seul comédien.

Dimanche 2 décembre
→ 17h, Invalides : Jacques Alphone de Zeegant et Karoł Kurpinski, une Messe, et une Symphonie Chemin des Dames !



Mon agenda étant déjà totalement occupé, je n'ai pas vérifié les récitals d'orgue, mais si vous êtes intéressés, France Orgue fait une grande partie du travail pour vous !

Courage pour vivre votre (meilleure) vie au milieu de toutes ces tentations afférentes !

mardi 7 août 2018

[Carnet d'écoutes n°121] – les tubes de l'été : Volkmann, Kalinnikov, Andriessen, quatuors, Kitayenko, Currentzis…


Contrairement aux apparences, Carnets sur sol est en pleine effervescence, accaparé par la préparation de quelques notules qui s'élaborent doucettement depuis des mois.

Cependant, comme il ne s'agit pas de vous laisser sans soutien à votre bon goût naturel, en cette période de Grand Désœuvrement, vous trouverez ici quelques impressions, laissées en vrac, sur certaines de mes écoutes de ces derniers mois. Manière d'avoir trace, pour celles à qui je n'ai pas encore eu le loisir de consacrer une notule bien méritée (Andriessen !), de certaines figures intéressantes. Évidemment, quand c'est pour dire que j'ai écouté les quatuors de Mendelssohn ou les symphonies de Beethoven, ça revêt un peu moins d'intérêt – mais précisément, c'est du vrac.

À propos de la cotation :
Les binettes se lisent comme les tartelettes au citron ou les putti : elles ne concernent que les œuvres, pas les interprétations (en général choisies avec soin, et détaillées le cas échéant dans le commentaire). Ces souriards ne constituent en rien une note, et encore moins un jugement sur la qualité des œuvres : ils indiquent simplement, à titre purement informatif, le plaisir que j'ai pris à leur écoute. Je peux avoir modérément goûté l'écoute de chefs-d'œuvre et jubilé en découvrant des bluettes, rien de normatif là-dedans.
1 => agréable, réécoute non indispensable
2 => à réécouter de temps en temps
3 => à réécouter souvent
4 => œuvre de chevet
5 => satisfaction absolue
Un 2 est donc déjà une bien bonne note, il ne s'agit pas de le lire comme une « moyenne » atteinte ou non.



Lundi

¶ Méhul, La Chasse du jeune Henri, ouverture 
Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy

¶ Tamberg, Symphonie n°1 Very Happy Very Happy 
¶ Tamberg, Symphonie n°2 Very Happy Very Happy 
Du soviétisme gentil associé d'églogues façon Comodo-de-la-3-de-Mahler. Mignon.

¶ Offenbach, Grande-Duchesse, version Lafaye 
Very Happy
(mais le Trio des Conspirateurs, c'est Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy )


Mardi

¶ Schoeck, Venus, Venzago (Musiques Suisses) 
Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy 

¶ Zavaro, Manga-Café, Les Apaches, Masmondet 
Very Happy Very Happy
Livret qui peine à trouver son ton (et sans tension), mais ambiance sympa.

¶ Bernstein, Trouble in Tahiti, Les Apaches, Masmondet 
Very Happy Very Happy Smile


Mercredi

¶ Trios de Mendelssohn, Estrio (Decca) 
Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy
Bonne version. J'ai eu une épiphanie récente avec le final du 2 dans la version J.Fischer/Müller-Schott.

¶ Trios 1 & 2 de Schumann, Trio Karénine (Mirare, je crois) 
Very Happy Very Happy Very Happy Smile
Petits jeunes, appréciés en vrai en juillet dernier. Apparemment ils font leur trou même au disque. 

¶ Autres Trios de Schumann, Trio Brahms de Vienne (Naxos) 
Very Happy Very Happy Very Happy Smile
Dont les transcriptions des pièces pour piano-pédalier !

¶ Nocturnes de Fauré, intégrale Jean-Michel Damase (Accord)
Very Happy Very Happy
Assez sec, vraiment scolaire au niveau des articulations. Pas la même auteur de vue qu'en tant que compositeur.


Jeudi

¶ Stenhammar, Quatuor 3 (intégrale Caprice) Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy
¶ Stenhammar, Quatuor 2 (intégrale Caprice) Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy Smile
¶ Stenhammar, Quatuor 4 (intégrale Caprice) Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy
L'intégrale du Quatuor Stenhammar est meilleure, mais j'ai celle-ci (très bien aussi) sous la main. Quelles œuvres, bon sang !


Vendredi

¶ Szymanowski, Concerto pour violon n°1 
Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy
Steinbacher / Radio Berlin ex-Est / Janowski, chez PentaTone.
Superbe orchestre, mais Steinbacher sonne vraiment tirée dans cet enregistrement.

¶ Szymanowski, Concerto pour violon n°1 
Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy
Anna Akiko Meyers, Philharmonia, Kristjan Järvi (chez Avie)
Orchestre logiquement plus vif, mais là aussi, l'œuvre met à l'épreuve la violoniste, son pas très agréable.

¶ Szymanowski, Concerto pour violon n°1 
Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy
Tasmin Little, BBCSO, Gardner (chez Chandos)
Bien mieux côté violon, et belle direction, mais même s'il s'agit d'un Chandos relativement récent, je trouve la prise de son de l'orchestre un peu trop lointaine et floue pour l'œuvre.

Il faudra que j'essaie, dans ce cas, Skride-V.Petrenko et Jansen-Gergiev, les deux adorés en salle, mais pas testé le rendu sur disque. Il faut dire que c'est l'une des œuvres que j'adore en vrai (peut-être parce qu'elle m'épargne l'écoute d'un véritable concerto ?), mais que je vais spontanément moins écouter en choisissant un disque.


Samedi

¶ Gounod, Faust, version originale et traditionnelle, Rousset et annexes chez Plasson 
Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy

¶ Beethoven, intégrale symphonique 
Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy 
1,2,3,4, Ouvertures par Solti 74.
5,9, Musiques de scène, Wellington par Dausgaard & Chambre de Suède. 
Le reste est en cours.

¶ Nowowiejski, Symphonie n°2, OP Poznań, Borowicz (chez DUX) Very Happy Very Happy Very Happy
¶ Nowowiejski, Symphonie n°3, OP Poznań, Borowicz (chez DUX) Very Happy Very Happy Very Happy
Tradi, quelque part entre du postromantisme à ostinatos et du présoviétisme gentil. Sympa.

¶ Grigori Frid, Das Tagebuch von Anne Frank 
Very Happy Very Happy Very Happy Smile
L'opéra d'une heure de Grigori Frid mélange de façon très étonnante les styles du XXe siècle… le Prélude est d'une atonalité acide, avec des stridences et des agrégats hostiles, tandis que le chant s'apparente bien davantage à l'univers des lieder de Max Reger, du jazz, en tout cas de la tradition. Tout cela se mélange, alterne, avec un résultat qui peut ressembler à du Berg de jeunesse comme à de l'atonalité libre du second XXe… assez séduisant en réalité, d'autant que dans la représentation que j'ai vue, Nina Maria Edelmann chante avec un timbre, une diction et une éloquence magnétisants.

¶ George Stephănescu, Cântecul fluierașului, Gheorghiu, Jeff Cohen. 
Very Happy Very Happy
Très naïf, typé jeune romantique même si plus tardif (Flotow…).
¶ Tiberiu Brediceanu, Cine m-aude cântând, Ruxandra Cioranu, Ecaterina Barano  
Very Happy Very Happy Smile

 David DiChieraCyrano ; Opéra de Detroit Very Happy Very Happy
→ Il s'agit du véritable texte (coupé et parfois arrangé – « hanap » devient « coupole »), mis en musique par David DiChiera (né en 1935) dans une langue complètement tonale, et simple (beaucoup d'aplats, pas particulièrement virtuose). L'accent porte évidemment davantage sur le texte (d'ailleurs les facéties de l'acte I sont conservées, pas seulement l'histoire d'amour), mais je trouve cependant le résultat moins prégnant musicalement que chez Tamberg, clairement.

¶ Battistelli, Richard III ; Opéra de Genève Very Happy Very Happy Very Happy
→ Dans un langage quelque part entre l'atonalité polarisée et la tonalité élargie, Battistelli écrit dans une langue non dépourvue de lyrisme… Il fait un grand usage des chœurs, notamment dans la scène finale, où ils flottent en beaux agrégats, impalpables, au-dessus de la scène jonchée des cadavres que foule le nouveau roi. Mérite d'être entendu.

¶ Schoeck, Besuch in Urach ; Harnisch, Berne, Venzago Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy

¶ Corigliano, The Ghost of Versailles, air du Ver ; Brenton Ryan, Plácido Domingo Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy Smile
https://www.youtube.com/watch?v=AhebF07M4lY (page de l'artiste)

¶ Rihm, Das Gehege Very Happy
Très monotone pour du monodrame. C'est tiré de Botho Strauß : une femme rêve de se faire déchirer [sic] par un aigle, ouvre sa cage, mais comme il est vieux et impuissant, elle le tue. 
Cool.
Mais la musique est tout sauf vénéneuse et tourmentée ou paroxystique, assez poliment ennuyeux. 

Et à présent, une petite pause légèreté : 

¶ Langgaard, Fortabelsen ; Dausgaard Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy
bounce

¶ Liszt, La Légende de la sainte Élisabeth ; Opéra de Budapest, Joó Very Happy Very Happy Very Happy Smile
Très étonnant tout de même : surtout orchestral, des aspects wagnériens, et quand le chœur arrive ça ressemble à du Elgar. scratch

¶ Reimann, L'Invisible, sur trois pièces de Maeterlinck Very Happy Smile
L'opéra réunit trois courtes pièces de Maeterlinck, L'Intruse, Intérieur et La mort de Tintagiles ; on y retrouve la langue postberguienne de Reimann, peut-être moins aride que dans Lear. Je trouve personnellement la langue musicale de Reimann (à la fois grise et très dramatique) assez incompatible avec l'univers de Maeterlinck, mais les critiques ont été dithyrambiques. Il faut dire que la distribution, réunissant le délicieux Thomas Blondelle et la miraculeuse Rachel Harnisch, magnifie tout ce qui peut l'être dans cette partition.

¶ Riisager, Études (ballet) ; National du Danemark, Rozhdestvensky Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy
Des orchestrations de pièces pédagogiques de Czerny. Contre toute attente, c'est réjouissant ; quel sens de la couleur ce Knudåge !

¶ Gordon Getty, Usher House ; Elsner, É. Dupuis, L. Foster (PentaTone) Very Happy Very Happy Smile
Dans un langage qui évoque l'atonalité romantique (héritage revendiqué de Schönberg), un peu gris, mais avec un certain sentiment de naturel et de liberté, une variation autour de la nouvelle de Poe. Getty parle de la prévalence de sa propre nécessité intérieure sur le fait de faire de la nouveauté. (pour autant, cela ressemble bien à de l'opéra du second XXe)

¶ Beethoven, Missa Solemnis ; Popp, Minton, Mallory Walker, Howell, Chicago, Solti Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy
Je n'aurais jamais cru que Solti ni Decca puissent commettre ça. Ce chœur pléthorique semi-amateur, cette prise de son solide… pale (j'en parle plus en détail dans le fil)

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J'ai entendu la semaine passée la première exécution de l'Ode à la France, la dernière œuvre de Debussy – inachevée, certes, la dernière achevée restant Les soirs illuminés par l'ardeur du charbon (remerciement à son fournisseur en 1918).

Il s'agit d'une cantate avec soprane et chœurs (laissée à l'état d'accompagnement avec piano), représentation des derniers moments de Jeanne d'Arc, sur un assez méchant poème de Louis Laloy.

La musique hésite entre le dépouillement du Debussy « national » qui regarde vers Couperin et Rameau et les harmonies complexes d'Usher… 
Je ne trouve pas le résultat très heureux, quelque chose du Noël des enfants qui n'ont plus de maison, mais qui se prendrait très au sérieux (et sans du tout le même caractère direct des mélodies : je parle de l'esprit, pas du style musical à proprement parler très différent). Plutôt Jeanne d'Honegger-Claudel, le prosaïsme en moins.

Il n'empêche qu'entendre un Debussy de maturité aussi ambitieux (il nous en reste un quart d'heure, sauvé par Emma après la mort de Claude Achille), qui n'a jamais été gravé (et guère représenté hors de la soirée de création, en 1928), voilà qui constitue une réelle expérience !

(Le reste du concert, avec des inédits de Caby, Ladmirault, Cartan, Auric, Ropartz… était autrement plus nourrissant musicalement, ai-je trouvé. Mais celui-ci occupe une place particulière, puisqu'on pourrait croire tout avoir entendu de Debussy…)

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Cette semaine.

¶ Riisager, Études, ballet d'après des orchestrations de Czerny. 
Beaucoup plus intéressant que supposé, grâce au talent de coloriste de Riisager. A ses faiblesses bien sûr, sur 40 minutes.

Quelques opéras donnés cette saison.

¶ (David) Little, JFK
→ Reprise d'une commande pour Fort Worth et l'American Lyric Theater. Assez étrange matériau musical : des boucles d'arpèges en accompagnement (qui évoquent presque plus les musiques de séries DC Comics que l'influence minimaliste, d'ailleurs), et une écriture mélodique qui sent l'influence du musical, sans être particulièrement évidente. Toutefois, ça a l'air de fonctionner avec une certaine fluidité, en tout cas musicalement – je n'ai pas réussi à bien suivre en audio seul (et je n'ai pas le livret).

¶ (Avner) Dorman, Wahnfried 
→ Opéra satirique protéiforme, tantôt atonal post-bergien, tantôt cabaret grinçant, qui met en scène l'univers domestique des Wagner. Chamberlain (le théoricien racialiste) y fait un discours sur fond de défilé de walkyries, et à l'exception du Maêêêêêtre, tous sont là : Cosima, Siegfried, Winifred, Isolde, Bakounine, Hermann Levi, l'Empereur… et même un Wagnerdämon !

¶ Bryars, Marilyn Forever 
→ Créé à au Long Beach Opera il y a deux ans, je crois – en tout cas pas une création. Le projet est de montrer Monroe dans l'intimité plutôt que dans la gloire publique, et utilise des styles musicaux assez variés, ça se déhanche comme du jazz blanc, les voix ne sont pas toujours purement lyriques. Joli (malgré le sujet qui m'intéresse très peu), mais je n'en ai entendu que des extraits.

¶ Reimann, L'Invisible 
→ L'opéra réunit trois courtes pièces de Maeterlinck, L'Intruse, Intérieur et La mort de Tintagiles ; on y retrouve la langue postberguienne de Reimann, peut-être moins aride que dans Lear. Je trouve personnellement la langue musicale de Reimann (à la fois grise et très dramatique) assez incompatible avec l'univers de Maeterlinck (ici traduit en allemand), mais les critiques ont été dithyrambiques. Il faut dire que la distribution, réunissant le délicieux Thomas Blondelle et la miraculeuse Rachel Harnisch, magnifie tout ce qui peut l'être dans cette partition.

(Jack) Heggie, Moby-Dick 
→ L'opéra de Jack Heggie est manifestement un succès (puisqu'il aussi été donné, ces dernières années, à San Francisco et Adelaide, au minimum), et il faut dire que sa veine tonale mais riche, lyrique mais variée ne manque pas de séduction. Le texte du livret, simple et sans façon, la place efficace des chœurs, permettent d'entrer aisément dans cette veine épique, très directe.

Puis grosse crise quatuors.

Schumann 3, Ébène SQ (bande) Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy
Voilà qui me rajeunit… je les avais entendus dans cette œuvre au début des années 2000 (2004, 2005 ?) la donner en concours (où ils avaient terminé deuxièmes ex æquo avec le Quatuor Aviv, pas de premier prix cette année-là…), et je n'avais pas alors adoré ce qu'ils faisaient (assez rugueux). Ils ont combien affiné leur discours (ou moi éduqué mon oreille, possible aussi) depuis cette époque ! Vraiment devenu un quatuor important, indépendamment de leur place médiatique privilégiée (Mathieu Herzog est incroyable dans ses solos).

Mendelssohn 1, Ébène SQ (bande) Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy
Mendelssohn 2, Ébène SQ (bande) Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy
Mendelssohn 2, Ébène SQ (studio Virgin) Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy
Mendelssohn 6, Ébène SQ (bande) Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy
Fanny Mendelssohn, Ébène SQ (bande) Very Happy Very Happy Very Happy
Mendelssohn 1, Emerson SQ (DGG) Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy
Mendelssohn 2, Emerson SQ (DGG) Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy
Mendelssohn 4, Emerson SQ (DGG) Very Happy Very Happy Very Happy
Mendelssohn 5, Emerson SQ (DGG) Very Happy Very Happy Very Happy
Mendelssohn 6, Emerson SQ (DGG) Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy

Dvořák 12, Escher SQ (BIS) Very Happy Very Happy Smile
Tchaïkovski 1, Escher SQ (BIS) Very Happy Very Happy Very Happy
Tchaïkovski 1, Atrium SQ (Sony) Very Happy Very Happy Very Happy

Stenhammar 2, København SQ (Caprice) Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy Smile
Stenhammar 3, Gotland SQ (Caprice) Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy
Stenhammar 4, Gotland SQ (Caprice) Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy
Stenhammar 1, Stenhammar SQ (BIS) Very Happy Very Happy Very Happy
Stenhammar 2, Stenhammar SQ (BIS) Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy Smile
Stenhammar 3, Stenhammar SQ (BIS) Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy
Stenhammar 4, Stenhammar SQ (BIS) Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy
Stenhammar 5, Stenhammar SQ (BIS) Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy Smile
Stenhammar 6, Stenhammar SQ (BIS) Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy

Schubert 14, Haas SQ Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy

Et pour élargir : 

Schubert, Quintette à cordes, Haas SQ Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy
Schubert, Quintette avec piano, bande amateur Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy Smile

Haydn, Trio n°44, Trio Sōra Very Happy Very Happy Very Happy
Brahms, Trio n°1, Trio Sōra Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy
(actuellement en résidence à Verbier, dont elles ont remporté le prix spécial… j'en ai dit à plusieurs reprises le plus grand bien, vraiment un des symptômes du dynamisme musical dans le domaine chambriste, où l'on fait aujourd'hui infiniment mieux, techniquement, stylistiquement, et même en matière d'ardeur, qu'hier.

Mozart, La Clemenza di Tito, Nézet-Séguin Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy
J'ai commencé à écouter ce matin (le premier tiers). C'est bien sûr excellent, avec quelques réserves par rapport à la discographie (qui de sinistrée dans les années 90, où les seules versions réellement convaincantes étaient Hogwood et Harnoncourt, est devenue pléthorique en grandes versions, avec Wentz, Mackerras, Steinberg, Jacobs, De Marchi, Rhorer !) : malgré toute l'animation et la poésie dont Nézet est capable, ça reste un peu tradi, il me manque le grain des orchestres sur instruments d'époque, ou alors fouettés par Harnoncourt, Mackerras ou Steinberg, les violons sont vraiment lisses. Sinon, vents superbes et très belle distribution.

En audio seul, ce n'est pas non plus la version la plus incarnée – Villazón paraît tellement chanter autre chose qu'un empereur romain… on dirait plutôt Aleko en version ténor… (pas tant au niveau du style à proprement parler que du caractère de la voix, des inflexions de la diction)

Bref, excellent, mais pour l'instant pas une version à laquelle j'aurai envie de beaucoup revenir, considérant l'offre hallucinante de ces dernières années.

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Cinq œuvres à recommander ?

Cinq œuvres parmi d'autres, de genres différents, dont j'entends peu parler, et qui me paraissent tellement grisantes. 

Buonaventura RUBINO, Vespro per lo Stellario della Beata Vergine di Palermo
Milieu du XVIIe, une sorte de récapitulation générale de tous les genres du siècle dans cette cérémonie d'une heure, constituée d'une multitude de cantates, de cinq à dix minutes, dont de nombreuses chaconnes (certaines à 4 temps !). Jubilatoire en diable, si j'ose dire.

Antonio Casimir CARTELLIERI, Symphonie n°1
Au tournant du XIXe siècle, un compositeur qui tire toutes les conséquences de Mozart tout en absorbant les tempêtes romantisantes du dernier Haydn, d'une séduction mélodique et dramatique hors du commune – il faut aussi entendre la Troisième, ou les nombreux concertos pour clarinette.

Antonín DVOŘÁK, Armida
Alors qu'il s'agit du grand Dvořák de maturité, on ne le donne jamais (mais on le trouve au disque, avec Šubrtová et Blachut) ; le compositeur y tempère son style habituel par échos de fanfares archaïsantes qui changent assez radicalement l'équilibre général de sa musique par rapport à ses œuvres folklorisantes (ou plus wagnérisantes, comme Rusalka). Et une très belle réussite, d'un style différent.

Hermann von WALTERSHAUSEN, Oberst Chabert
Compositeur au destin singulier, amputé de ses deux membres droits pour le sauver d'un cancer dans son enfance, mais pianiste-gaucher virtuose, chef d'orchestre loué et, avons-nous pu découvrir récemment, compositeur éminent. 
Sur le sujet hautement porteur du Colonel Chabert de Balzac, un opéra plein de réminiscences et de poésie, dans un langage à la fois sensible à la simplicité des élans romantiques et à la complexité de l'écriture « décadente ». Un grand bijou, remonté récemment par Jacques Lacombe, documenté par CPO, et qui sera repris à Bonn le 13 juillet.
Plus d'infos : http://operacritiques.free.fr/css/index.php?2018/01/10/2991-waltershausen-la-difformite-et-la-gloire .

Robert STILL, Quatuors 1,2,3,4
Les quatuors de Still évoluent au fil du des styles du XXe siècle, et, ce qui est très fort, chacun présente un visage très abouti et avenant à la fois des langages successifs qu'il y aborde. (Un peu comme Bacewicz, mais ici chaque quatuor ne constitue pas une évolution, vraiment un style distinct).

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Dichterliebe et Karłowicz par Beczała à Garnier

Le ballet est 
sold out à Garnier toute la semaine, mais pour le lied, ça ne se bouscule pas !

Pourtant, Piotr Beczała y chantait Dichterliebe de Schumann-Heine, et des mélodies délicieuses de Dvořák, Rachmaninov, même Karłowicz ! I love you

Grosse glotte et raretés.

Le cas de Beczała est très intéressant : la voix est à la fois en arrière (placement polonais, malgré ses études autrichiennes) et riche en résonances hautes (surtout dans les aigus). 

De même, pas très expressif, mais sa sobriété met en valeur les mots et les langues. Je n'en attendais rien et j'ai été bouleversé par son (sa) Dichterliebe : rien de singulier, d'une grande sobriété, et justement il ne fait jamais primer la ligne sur le naturel de la diction… Dans « Hör' ich das Liedchen » ou « Allnächtlich », c'est toute la saveur brute de l'œuvre de Heine-Schumann qui nous frappe, sans truchement d'interprète… l'œuvre toute nue (et quels beaux graves, très timbrés !).

J'ai moins aimé le reste : le timbre reste très blanc, et les œuvres sont moins marquantes. Le gentil romantisme du jeune Karłowicz de fin d'études, le folklore tsigane convenu de Dvořák
Les Rachmaninov (en particulier les stances de « Ne poj, krasavica » et les figuralismes fluviaux de « Vesennije vodi ») sont beaucoup plus entraînants, pour finir !

Un véritable festival linguistique ; 1h30 de récital, 4 bis très expansifs (zarzuela, Zueignung de Strauss, Werther, Catarì) et… 7 langues ! Allemand (très bon, malgré des « -en » pas tout à fait exacts), polonais (savoureux), tchèque (très en arrière et… polonais), russe (polonais aussi, asséché, sans les mouillures…), espagnol (avec une belle gouaille !), français (blanchâtre, mais c'était son emblématique Werther !), italien (généreux et expansif, avec Catarì)…

Impressionnés (avec mon accompagnateur, lecteur occasionnel de ce forum), dans Werther, par sa capacité (la voix était un peu prise dans le centre de gravité plus bas et la moindre projection des lieder) à changer totalement le placement *en cours d'émission* pour faire sortir glorieusement les aigus lorsqu'ils semblaient bloqués…

Amusant : rien qu'à l'entendre jouer, je me doutais que Sarah Tysman n'était pas principalement une cheffe de chant (plus de doigts, moins de logique) ni une soliste (peu de relief). De fait, elle semble beaucoup faire carrière comme accompagnatrice. Très agréablement fluide, mais sans grand relief aussi. Souplesse réelle, sans être totalement à son aise : sans être passionnant, c'était suffisant au plaisir de la soirée.

En fin de compte, outre le parcours original, on en retire un Dichterliebe très émouvant, et une générosité remarquable pour un artiste qui est en cours de répétitions au pied levé pour son second Lohengrin et son premier Bayreuth !

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Hjalmar BORGSTRØM, Thora Paa Rimol – Stene, Bjørkøy, Moe, Trondheim SO, Terje Boye Hansen

Un de mes opéras fétiches. I love you C'est le même langage que le Vaisseau fantôme (avec quand même quelques harmonies tout à fait locales), sur un sujet inspiré de Sturluson et Oehlenschläger, certes écrit un demi-siècle plus tard, mais d'une maîtrise incroyable. Écoutez au moins l'ouverture, même si vous n'aimez pas l'opéra en général, il faudrait donner ça au concert, ça vaut (largement) les Weber ! Cette vague d'imitations savoureuses…

Pour ne rien gâcher, c'est joué par le Symphonique de Trondheim, le plus bel orchestre du monde connu. bounce


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Cycle opéra contemporain (suite) 

=> Battistelli, Richard III, bande vénitienne de cette année Very Happy Very Happy Very Happy 
Dans un langage quelque part entre l'atonalité polarisée et la tonalité élargie, Battistelli écrit dans une langue non dépourvue de lyrisme… Il fait un grand usage des chœurs, notamment dans la scène finale, où ils flottent en beaux agrégats, impalpables, au-dessus de la scène jonchée des cadavres que foule le nouveau roi. Mérite d'être entendu. 

=> (Gordon) Getty, Usher House ; Elsner, É. Dupuis, Foster (PentaTone) Very Happy Very Happy 
Évoque l'atonalité romantique (héritage revendiqué de Schönberg), un peu gris, mais avec un certain sentiment de naturel et de liberté, une variation autour de la nouvelle de Poe. Getty parle de la prévalence de sa propre nécessité intérieure sur le fait de faire de la nouveauté. (pour autant, cela ressemble bien à de l'opéra du second XXe) 

=> (Gordon) Getty, The Canterville Ghost ; Gewandhaus, Foremny (PentaTone) Very Happy Very Happy 
Ce versant plus comique du legs de Wilde a aussi été capté chez PentaTone, avec le Gewandhaus de Leipzig (direction Foremny, le chef de la monographie Oskar Fried). La déclamation est évidemment plus à nu, sans être particulièrement savoureuse, mais cela s'écoute sans grand effort, même si l'absence de séduction particulière du langage renforce un peu le côté braillard inhérent à l'opéra post-1800 en général. 

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Cycle Kalinnikov

=> Kalinnikov, Symphonie n°1, O de l'URSS, Kuchar (Naxos) Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy 
Je découvre à ma honte l'existence de Kalinnikov, protégé de Tchaïkovski à la santé fragile (réfugié vers le climat de Crimée alors que sa carrière portait ses premiers fruits…), et cette Première Symphonie, baignant dans les grands espaces et le folklore, splendide. Un mouvement lent avec cor anglais et cordes suspendues qui scintillent. Le final ressasse certes son thème (modérément) varié, mais les relances harmoniques de la coda sont splendides (on songe vraiment au Tchaïkovski de la Première Symphonie !). 
=> Kalinnikov, Symphonie n°1, Philharmonique de Moscou, Kondrachine (Melodiya) 
Interprétation lourdement cuivrée, on passe vraiment à côté des subtilités que j'ai entendues dans ma découverte avec Kuchar. 
=> Kalinnikov, Symphonie n°1, Philharmonique de Malaisie, Bakels (BIS)
Bonne lecture, très occidentale.
=> Kalinnikov, Symphonie n°1, Symphonique de Russie (lequel ?), Veronika Dudarova (Olympia)
Là tout le contraire, un son et une verve tellement russe ! I love you

=> Kalinnikov, Symphonie n°2, Écosse RNO, N. Järvi (Chandos) Very Happy Very Happy 
=> Kalinnikov, Symphonie n°2, O de l'URSS, Kuchar (Naxos) 
Järvi est vraiment mou et Kuchar toujours remarquable là-dedans, mais la symphonie m'a paru d'un romantisme plus convenu, sans les saillances de la première. 

=> Kalinnikov, Suite orchestrale, Orchestre d'État de l'URSS, Svetlanov (Melodiya) Very Happy Very Happy Smile
Quelque part entre la suite de caractère et la grande pièce plus ambitieuse… je suis partagé, dépend vraiment de langle sous lequel on le regarde. 

=> Kalinnikov, Tsar Boris (musique de scène), Budapest SO, Jancsovics (Marco Polo) Very Happy Very Happy Very Happy 
Très réussi, vraiment de l'atmosphère. 
=> Kalinnikov, Poème épique, Budapest SO, Jancsovics (Marco Polo) Very Happy Very Happy Smile 
=> Kalinnikov, Le Cèdre et le Palmier, Budapest SO, Jancsovics (Marco Polo) Very Happy Very Happy Very Happy Smile 
=> Kalinnikov, Le Cèdre et le Palmier, Orchestre d'État de l'URSS, Svetlanov (Melodiya)
=> Kalinnikov, Bilina , Orchestre d'État de l'URSS, Svetlanov (Melodiya) Very Happy Very Happy Very Happy

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Cycle (Friedrich Robert) Volkmann 

=> Volkmann, Richard III (ouverture), Philharmonique de la NDR de Hanovre, Werner Andreas Albert (CPO)  Very Happy Very Happy    Very Happy Smile 
Oh, intense !
=> Volkmann, Symphonie n°1 en ré mineur, Philharmonique de la NDR de Hanovre, Werner Andreas Albert (CPO) 
Final étrangement naïf en comparaison du reste. Very Happy Very Happy Smile
=> Volkmann, Symphonie n°2 , Philharmonique de la NDR de Hanovre, Werner Andreas Albert (CPO) 
Tout de suite en majeur, globalement plus cohérent avec son style. Very Happy Very Happy Smile
=> Volkmann, Concerto pour violoncelle, Philharmonique de la NDR de Hanovre, Werner Andreas Albert (CPO) 
Très beau (quoique bref, 16'), dans le goût des concertos de Dvořák ou Röntgen. Very Happy Very Happy Very Happy
=> Volkmann, Ouverture posthume en ut majeur, Philharmonique de la NDR de Hanovre, Werner Andreas Albert (CPO) Very Happy Very Happy Smile

=> Volkmann, Quatuor à cordes n°1, Mannheimer SQ (CPO)  Very Happy Very Happy
=> Volkmann, Quatuor à cordes n°4, Mannheimer SQ (CPO)  Very Happy Very Happy Smile
=> Volkmann, Quatuor à cordes n°2, Mannheimer SQ (CPO)  Very Happy Very Happy
=> Volkmann, Quatuor à cordes n°5, Mannheimer SQ (CPO)  Very Happy Very Happy Smile
J'étais peut-être trop occupé lorsque je les ai découverts. Du bon romantisme du rang, rien de particulièrement saillant de remarqué, même si quelques moments retiennent l'attention dans le 4 et le 5. 

=> Volkmann, Trio piano-cordes n°1, Ravensburg Beethoven Trio (CPO)  Very Happy Smile
=> Volkmann, Trio piano-cordes n°2, Ravensburg Beethoven Trio (CPO)  Very Happy Very Happy
Sympa, pas très marquant non plus, même si le final du deuxième est assez dense et réjouissant. 

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Cycle Cras (et assimilés)

=> Cras, Quatuor n°1, Louvigny SQ (Timpani) Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy 
Je n'avais jamais mesuré à quel point c'est un bijou, plus encore que le trio ou le quintette, je crois. 

=> Cras, Quintette piano-cordes, Louvigny SQ, Jacquon (Timpani) Very Happy Very Happy Very Happy Smile 
=> Cras, Sonate violoncelle-piano, Khramouchin, Jacquon (Timpani) Very Happy Very Happy Very Happy Smile 
=> Cras, Trio piano-cordes (Timpani) Very Happy Very Happy Very Happy Smile 
=> Cras, Largo violoncelle-piano, Khramouchin, Jacquon (Timpani) Very Happy Very Happy Very Happy Smile 

=> Cras, Chœurs sacrés a cappella ou avec orgue (Timpani) Very Happy Very Happy Very Happy 
Délibérément archaïsant, très agréable, mais pas son sommet. 

=> Lekeu, Quatuor en sol, Camerata SQ Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy 
=> Lekeu, Molto adagio, Camerata SQ Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy Smile 
Chefs-d'œuvre. 

=> Fauré-Messager, Messe des Pêcheurs de Villerville, Herreweghe Very Happy Very Happy Very Happy 
Adorable, très touchant. 

=> Chausson, Concert, Jansen, Stott & friends (bande de la radio néerlandaise) Very Happy Very Happy Very Happy Smile 

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Cycle transcriptions d'orgue (suite)

=> Vivaldi, Les 4 Saisons, Hansjörg Albrecht Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy 
=> Wagner, extraits du Crépuscule des dieux, Hansjörg Albrecht Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy 
Très chouette, même si Albrecht demeure toujours d'un maintien assez raide pour ce type d'exercice. 

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Cycle Kitayenko 

=> Grieg, Holberg, Philharmonique de Moscou, Kitayenko (Melodiya) Very Happy Very Happy Very Happy Smile
=> Respighi, Antiche danse ed arie per liuto, Suite n°3, Philharmonique de Moscou, Kitayenko (Melodiya) Very Happy Very Happy Smile
=> Puccini, Missa di Gloria, Philharmonique de Moscou, Kitayenko (Melodiya) Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy
=> Brahms, Deutsches Requiem, Philharmonique de Moscou, Kitayenko (Melodiya) Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy Smile
=> Chostakovitch, Symphonie n°10, Philharmonique de Moscou, Kitayenko (Melodiya) Very Happy Very Happy Very Happy Smile
=> Donizetti, Miserere, Philharmonique de Moscou, Kitayenko (Melodiya) Very Happy Very Happy
=> Rachmaninov, Cloches, Larin, Philharmonique de Moscou, Kitayenko (Melodiya) Very Happy Very Happy Very Happy
=> Prokofiev, Symphonie n°1, Philharmonique de Moscou, Kitayenko (Melodiya) Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy Smile
=> R. Strauss, Suites de danses d'après Couperin, Philharmonique de Moscou, Kitayenko (Melodiya) Very Happy
=> Tchaïkovski, Fantaisie de concert, Philharmonique de Moscou, Kitayenko (Melodiya) Very Happy Very Happy

Tout est intéressant, évidemment les pièces archaïsantes traitées avec un gros son paraissent un peu à côté du sujet. Étrange Miserere de Donizetti aussi, qui veut manifestement imiter le grégorien et qui est chanté comme l'Obikhod. Mais partout, quelle verve des timbres (ces bassons !).
Deutsches Requiem insolite, très belles Cloches, Missa di Gloria parmi les plus intenses (au disque, j'ai une faiblesse pour Morandi-Palombi, Pappano-Alagna et Scimone-Carreras, mais celle-ci est du même tonnel, quoique pas du tout dans le même univers), tandis que la Dixième de Chosta est au contraire remplie d'une étrange plénitude. Très beau coffret.

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Symphonies 

=> Mendelssohn, Symphonie n°3 ; COE, Nézet-Séguin Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy 
=> Mendelssohn, Symphonie n°4 ; COE, Nézet-Séguin Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy 
Splendide, limpide, cursif, vraiment parfait. 

=> Holst, Symphonie en fa « Cotswolds » (1900), Ulster O, Falletta. Very Happy Very Happy Very Happy 
Très mignon, avec un effet très rétro des trompettes. 

=> Sgambati, Symphonie n°1, La Vecchia (1880) Very Happy Smile 
Rien à faire, ça ne me passionne pas. Orchestration chiche, pas de mélodies, je m'ennuie assez, surtout qu'elle est longue. Un peu marri que ce soit Benedictus qui me fasse la leçon sur les symphonies gentilles pour cette fois. Confused 

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Opéra légers 

=> Mozart, Clemenza ; Nézet-Séguin Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy 
Confirme les impressions de l'acte I : très bien, mais reste tradi, on est habitué à mieux dans cette œuvre désormais, ainsi que de la part de Nézet. 

=> Donizetti, Don Pasquale, Opéra de Paris, Pidò 2018 (CultureBox) Very Happy 
J'ai tenu un quart d'heure en avance rapide, qui m'a confirmé qu'hors de l'air « Pura siccome un'angelo » au tout début, cet opéra m'ennuie atrocement. Au passage, Sempey continue de progresser, il devient réellement intéressant. Et Pidò tire comme toujours le meilleur de ces partitions en les faisant claquer avec esprit. I love you (pas trop aimé le reste, Sierra et Pertusi assez gris, Brownlee manifestement un peu fatigué) 

=> Boito, Mefistofele (tout), Marinov avec Ghiuselev (Capriccio) Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy 
Que de trouvailles mélodiques, et puis ces simples chœurs célestes bien conjoints mais progressant par chromatismes, quel régal !

=> Boito, Mefistofele (prologue), Poggi, Neri, Capuana 
=> Boito, Mefistofele (prologue), Del Monaco, Siepi, Serafin 
=> Boito, Mefistofele (prologue), Poggi, Siepi, Votto 
=> Boito, Mefistofele (prologue), Pavarotti, Ghiaurov, De Fabritiis 
=> Boito, Mefistofele (prologue), La Scola, Ramey, Muti 

=> Boito, Mefistofele (épilogue), Poggi, Neri, Capuana 
=> Boito, Mefistofele (épilogue), Christoff, Gui 
=> Boito, Mefistofele (épilogue), Del Monaco, Siepi, Serafin 
=> Boito, Mefistofele (épilogue), Pavarotti, Ghiaurov, De Fabritiis 
=> Boito, Mefistofele (épilogue), Vargas, Abdrazakov, Luisotti 

=> Offenbach, Grande-Duchesse, trio des conspirateurs, Minkowski Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy 
Tout le reste de l'opéra, je m'en passe très volontiers, mais ce moment est délectable. Very Happy 

=> Wagner, Rheingold, Nimsgern, Soffel, Jung, Wlashiha, Jerusalem ; Bayreuth, Solti 83 (bande radio) Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy 
Cette version est absolument parfaite en plus, comme sa Walkyrie-surœ. 

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Divers 

=> Spohr, Messe en ut mineur Op.54, Radio de Berlin (CPO) Very Happy Very Happy
Agréable.
=> Spohr, Psaumes Op.85, Radio de Berlin (CPO) Very Happy Very Happy Very Happy Smile
Là, beaucoup plus sérieux, avec de beaux mouvements fugués, une ambition musicale autrement intéressante !

=> Puccini, Missa di Gloria, Morandi (Naxos). Very Happy Very Happy Very Happy Smile 
Avec Palombi en solo. Une des toutes meilleures versions (avec Pappano et Scimone), pour ne pas dire la meilleure, fonctionne très bien, chœurs d'opérette (!) hongrois inclus. 

=> Puccini, Preludio sinfonica, Morandi (Naxos). Very Happy Very Happy Very Happy Smile 
Très réussi dans son genre planant ! 

=> Szymanowski, Demeter, Ewa Marciniec, Philharmonique de Varsovie, Wit (Naxos) Very Happy Very Happy
Profusion d'une chatoyance paradoxalement grise, pas vraiment touché, vraiment le Szyma qui ne m'est pas très accessible. 

=> Szymanowski, Penthesilea, Iwona Hossa, Philharmonique de Varsovie, Wit (Naxos) Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy
=> Szymanowski, Penthesilea, Iwona Hossa, Philharmonique de Varsovie, Wit (Naxos) 
=> Szymanowski, Penthesilea, Iwona Hossa, Philharmonique de Varsovie, Wit (Naxos) 
Trissé. bounce Un Szyma étonnant, différent de l'ordinaire, d'un lyrisme plus franc, beaucoup plus proche de l'élan des décadents germaniques – ce ressemble beaucoup à Besuch in Urach de Schoeck, en réalité ! Et Iwona Hossa est d'une plénitude merveilleuse ici.

=> Szymanowski, Stabat Mater, Philharmonique de Varsovie, Wit (Naxos) Very Happy Very Happy Very Happy
Un des Szymanowski auxquels je reviens le plus volontiers (avec les concertos pour violon, les trois premières symphonies, le Roi Roger, les Mythes…), ce qui veut dire pas si souvent, en réalité…

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Je réécoute Le Bourgeois gentilhomme (avec la musique de scène de LULLY. Il y a beaucoup d'allusions aux genres d'époque (on explique à Jourdain ce qu'il faut pour faire de la musique de chambre, notamment, côté évident drolatique, comme si on expliquait à quelqu'un qu'il faut des violons et des trompettes dans un orchestre), et même des choses assez subtiles pour l'oreille d'aujourd'hui.

Lorsque Jourdain dit à ses maîtres « il y a du mouton là-dedans » (sa ridicule chansonnette qui contient une comparaison ovine), on joue évidemment pour les spectateurs d'époque sur l'équivoque avec « il y a du Mouton là-dedans » (donc l'inspiration d'une grande figure de la musique de cour).

Pour une fois que la musique permet de frimer dans les dîners en ville, ne croyez surtout pas que je vais m'en priver.
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Joseph Ermend BONNAL – 1860-1944


Un compositeur bordelais (mais monté à Paris) qui a étudié avec les grandes figures du temps : Bériot au piano, Fauré en composition, Guilmant-Tournemire-Vierne à l'orgue (il a même fait des remplacements de Widor à la tribune !), successeur des plus grands (il prend la suite d'Ollone et de Tournemire), bardé de prix (même plus grand public, comme le Grand Prix du Disque pour son trio à cordes). Il composait également des chansons populaires (sous le pseudonyme de Guy Marylis).

J'ai compté deux disques chez Pavane (musique de chambre, orgue), un disque chez Arion (Quatuors).

Les Quatuors (1927 et 1938) sont vraiment écrits dans un langage ravélien, c'en est frappant. Avec moins de facéties rythmiques et d'effets, un Ravel proche de celui du Quatuor, en plus mou. C'est vraiment bien écrit. 

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=> Debussy, Faune / extraits de Saint Sébastien / Mer, Philharmonia, Heras-Casado
On entend vraiment l'ardeur et la finesse du chef qui affleure, le rendu est splendide, le Philharmonia a rarement aussi bellement et finement joué. Superbes versions de ces pages. (On me signale en revanche une hénaurme erreur de lecture : il y a une erreur de clef pour les violoncelles sur le matériel d'orchestre, qui déplace leur ligne d'une quinte, et Heras-Casado ne bronche pas malgré les dissonances.)
La Mer m'a beaucoup moins impressionné : très bien, mais plus épais et terne que ce qui précède, on retrouve ici davantage le son du Philharmonia que les fulgurances du chef…

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Francesco Malipiero : Impressions d'après nature (1914-1922)

Pas vraiment bouleversé, mais effectivement, on est dans le haut de la production de Malipiero, avec quelques très beaux alliages (
Mélomaniac n'a pas parlé au hasard d'impressionnisme, un vrai sens du coloris). 

De vrais beaux moments, étonnants comme les superpositions de cloches (figurées d'une façon assez différente de ce que j'ai entendu chez les autres musiciens, plus une recherche de reproduction de l'effet musical que timbrale), réjouissants comme le bal champêtre ; d'autres plus platement illustratifs, voire pénibles comme le Festival du Va d'Enfer qui est une boucle quasi-minimaliste pas vraiment inspirée.

Toujours pas convaincu que Malipiero soit un compositeur de première farine (dans le genre chatoyant, Riisager m'étonne et me réjouit davantage), mais ce sont de belles pièces qui méritaient en effet d'être distinguées et découvertes !

(le couplage avec les Pause del silenzio, assez redoutablement ennuyeuses, met encore plus en lumière l'inspiration de Malipiero dans ce cycle !)

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Erkki Melartin : Symphonie N°5 "Sinfonia brevis" (1915-1916) 


Donc, écoute de cette Symphonie n°5 (tirée de l'intégrale Tampere PO / Leonid Grin). Très séduit par le début : thème très identifiable, ton très lumineux, fugato dès l'exposition… Jusqu'au début de l'Andante (II), néanmoins, je trouve que les cordes dominent beaucoup, dans un goût lyrique-romantique qui m'a évoqué (certes, avec une veine mélodique plus marquante) ses autres symphonies. 

Et puis, au milieu de l'andante, d'étranges interventions babillardes de bois, comme un plot twist… j'attends de voir si ça va effectivement évoluer, c'est en cours d'écoute.

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¶ Caplet – Épiphanie
Je me demande s'il n'y a pas erreur d'étiquetage sur mon disque… j'avais plus l'impression d'entendre les Strophes de Sacher que du Caplet, vraiment très hardi m'a-t-il semblé… (Pourtant, j'ai passé les plages Dutilleux. Il faudra que je survole à nouveau tout le disque pour en avoir le cœur net.)

¶ RVW – Songs pour ensemble (dont les 4 Hymnes) – Partridge Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy
Quel mélodiste, décidément !
¶ Warlock – Capriol Suite Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy
Que j'aime cet archaïsme sans façon ! bounce
¶ Warlock – Songs pour ensemble (dont The Curlew) – Partridge Very Happy Very Happy Very Happy 

¶ Caplet – Le Miroir de Jésus – version Saphir Very Happy Very Happy Smile
Le chœur n'est pas très joli.
¶ Caplet – Le Miroir de Jésus – version Accord (avec Schaer) Very Happy Very Happy Smile
Moins précisément articulé, mais beaucoup plus agréable (et Hanna Schaer, quoi).
¶ Caplet – Mélodies (Le vieux Coffret, Paul Fort, etc.) – Schaer Very Happy Very Happy 

¶ Dvořák – Rusalka – Neumann, Vienne live (Orfeo) Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy
Ils ont coupé des choses, dont le délectable cuistot. Surprised
¶ Dvořák – Rusalka – Neumann, Philharmonie Tchèque studio Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy
Nettement plus proprement joué (Vienne en mode routine, hein…) et plutôt mieux chanté, en outre. Super version, immense œuvre.

¶ Tchaïkovski – Onéguine – Levine (DGG) Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy
Quelle version enthousiasmante ! Levine joue sa vie à chaque mesure, avec une impétuosité rare (et jamais clinquante), tout le plateau parle un russe fort décent, avec des timbres tellement savoureux ; même Ghiaurov est plus en mots que jamais, avec un russe aux mouillures très gourmandes. bounce 

¶ Tchaïkovski – Pikovaya Dama (extraits) – Orbelian (Delos) Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy
De loin la meilleure version, sauf que ce ne sont que des extraits. Regrets d'autant plus éternels que certains des protagonistes sont morts maintenant…
¶ Tchaïkovski – Pikovaya Dama (tout) – Opéra de Belgrade, Baranovich (Classical Moments) Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy
En intégrale, la version que j'aime le plus, de loin. Pourtant, l'Opéra de Belgrade en 1955, ça ne fait pas rêver. Il n'y a pas beaucoup de Lisa pas trop pénibles, pour commencer, et puis la typicité de l'orchestre (avec ces vents pincés à la tchèque, ces cordes tranchantes et un brin acides) ajoute au relief. Très propre pour l'époque aussi, son comme exécution, et chanteurs sans faiblesses.

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¶ Toch – Symphonie n°3 – Pittsburgh SO, Steinberg Very Happy

¶ Hindemith – « Symphonie » Mathis der Maler – Pittsburgh SO, Steinberg Very Happy Very Happy Very Happy

¶ Bloch – Concerto Grosso n°1 – Pittsburgh SO, Steinberg

C'était ma contribution au cycle « musiques sinistres ». Bon bon bon bon… Le Toch m'a assez ennuyé (pas vraiment de qualité, mais que c'est gris), le report très filtré que j'écoute massacre assez le grain et les couleurs (certes des dégradés de gris) de Mathis, et je ne sais pas si j'aurai la force de réécouter le Bloch, que je n'avais pas adoré la dernière fois, après ça…
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¶ Wildhorn – Dracula – Graz 2017 Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy Smile
J'aime décidément beaucoup. L'intrigue suit de très près le roman, à ceci près que le nœud des enjeux ne réside pas dans la conquête du monde par Dracula, mais dans son amour pour Mina – et une certaine réciprocité de la part de ses victimes. Wildhorn a de toute évidence beaucoup écouté les Miz, on y retrouve beaucoup de points communs musicaux. Très chouette.

¶ Büsser – Marche de Fête – Paradell Very Happy Very Happy Very Happy
¶ Boëllmann – Toccata (de la Suite Gothique) – Paradell Very Happy Very Happy
¶ Usandizaga – Pieza sinfónica (tripartite) – Paradell Very Happy Very Happy Smile
¶ Bélier – Toccata – Paradell Very Happy Very Happy Smile
Qu'est-ce que ça emprunte à Bach (les marches harmoniques assez vivaldiennes…). Mais du coup c'est joli.
¶ Torres – Impresión teresiana – Paradell Very Happy Very Happy
Inclut des thèmes tirés de chants d'enfants donnés à Avila en l'honneur de Thérèse.
¶ Franck – Choral en la mineur – Paradell Very Happy Very Happy Very Happy
Vraiment pas celui que j'aime le plus des trois derniers chorals (je suis devenu fou du premier), mais ça se tient quand même plutôt bien, il n'y a pas à dire.

¶ Tchaïkovski – Le Voïévode – Kozhukar Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy Smile
Encore une merveille de jeunesse, quelque part entre l'épopée permanente d'Opritchnik et les grands numéros de Mazeppa (mais plus palpitant que ce dernier, je trouve). Du niveau de ses grandes œuvres de maturité, pour moi. (Quelle partie écrasante de ténor, au passage…)

¶ (Ronald) Corp – The Ice Mountain (Naxos) Very Happy Smile
Gentiment planant et plein de petits braillards. Instrumentation et harmonique de musical theatre, étrange.

¶ Bach – Prélude & Fugue BWV 546 – Hurford (Decca) Very Happy Very Happy
Le jeu, quoique un peu droit, n'est pas inintéressant, mais ces prises sèches et ce plein-jeu blanc et strident, c'est pas possible pour moi. (Déjà que je fais l'effort d'écouter du Bach, le moins est de m'offrir un peu de couleur.) Je retourne écouter mes Hinsz des Bovenkerk et Martinikerk…    

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¶ La Tombelle – Toccata en mi mineur – Willem van Twillert (Hinsz de Bolsward) Very Happy Very Happy Very Happy Smile
Oh, il y a vraiment de la matière musicale pour une toccata (pourtant sur le patron Widor / Dubois / Boëllmann) !
¶ Stanford – Postlude en ré mineur – Willem van Twillert (Hinsz de Bolsward) Very Happy
Très fade, pas le grand Stanford du Stabat Mater.
¶ Bach-Dupré – Sinfonia de la Cantate BWV 29 – Willem van Twillert (Hinsz de Kampen) Very Happy Very Happy
¶ Reger – Ein feste Burg Op.27 – Willem van Twillert (Deakons-Marcussen de Goes) Very Happy Very Happy Very Happy

¶ Suppé – Requiem– Corboz Very Happy Very Happy Very Happy Smile
Vraiment étonnant, même les chœurs sont assez vindicatifs !

¶ Pierné – Étude de concert – Wagschal (Timpani) Very Happy Very Happy Smile
(C'est la Passacaille qui est géniale, là c'est sympa mais pas indispensable.)

¶ Messiaen – Ascension – Hakim (Trinité) Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy Smile
¶ Messiaen – Ascension – Katowice, Wit (Naxos) Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy
¶ Messiaen – Turangalîla – Katowice, Wit (Naxos) Very Happy Smile
(Tout de même, autant de complexité harmonique et contrapuntique pour obtenir un résultat comparable au jazz blanc des années 50, ça me laisse sacrément admiratif.)

¶ Gossec, La Marseillaise, Garde Républicaine, Dondeyne (BNF) Very Happy Very Happy Very Happy Smile
Version très boisée, mais clairement pas le meilleur arrangement.

¶ traditionnel, Légendes sacrées, Les Têtes de Chien Very Happy
J'aime pas les arrangements, ça cherche à faire un truc cool et ça ressemble pas à grand'chose au bout du compte. Déçu.

¶ van Gilse, Symphonie n°2, Symphonique des Pays-Bas, Porcelijn Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy

¶ Brahms, Concerto n°2, Egorov, Symphonique des Pays-Bas Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy
Croyez-le si vous voulez, je l'écoutais pour l'orchestre (très bien), mais alors Egorov, quel aplomb incroyable ! Je crois que c'est pianistiquement la meilleure version que j'aie entendue, loin devant Pollini, Barenboim, Richter ou Gilels… Shocked

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 [Proms] – Beethoven 2 & 5, MusicAeterna, Currentzis (28 juillet)

C'était donné hier, on peut le réécouter aujourd'hui.
https://www.bbc.co.uk/radio/play/b0bck31y

C'est du pur Currentzis, pour le meilleur (tous ces contrechants électrisants qu'on n'entend jamais comme dans son DG, bien sûr l'énergie) et pour le pire (son d'orchestre assez blanc – où sont les bois ? –, sorte de hâte un peu impavide comme dans son Sacre…).

La 2 m'a paru assez fade : rapide mais très peu dramatique. En revanche la 5 fonctionne très bien, même si le final est tout sauf grandiose / exaltant / triomphal / tragique, avec d'étonnantes baisses de tension.

Le plus amusant reste que ça me paraît une lecture assez peu originale (proche de ce que faisait Hogwood dans son intégrale pour l'Oiseau-Lyre, un label que je suis trop jeune pour avoir connu dans les bacs…), vraiment dans le (beau) standard des baroqueux percussifs / secs.

Et je vois que ça s'écharpe d'un peu partout sur la question du génie de l'imposture… Moi ça me paraît juste une très belle version (un peu hystérisante mais) pas très originale. Qui me plaît beaucoup au demeurant, parce que le baroqueux qui claque, ça sied très bien à Beethoven.

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¶ (Roger) Boutry – Variations sur un thème imaginaire, pour piano et orchestre d'harmonie – Handelsman (bande vidéo) Very Happy Very Happy Very Happy
Très bien écrit, comme toujours avec Boutry – quel dommage qu'on ne le joue pas plus (son très beau quatuor ravélo-berguien – en beaucoup plus simple, hein ! – en particulier.) Et que son legs soit assez largement des solos pour vents ou des pièces pour orchestre d'harmonie.

¶ Bellini – Norma, « Casta diva » – Sumi Jo (DGG) Very Happy Very Happy Very Happy
Entendu ça en fond d'un reportage… Je me demandais qui cela pouvait être : voix très franche, assez peu converte, tout en conservant un moelleux magnifique… J'ai assez vite trouvé, parce qu'il y a assez peu d'artistes avec ces caractéristiques (Scotto, à côté, c'est Polaski : la voix n'est pas lourde mais toujours très couverte). Tiré d'un de ses récitals tardifs, où elle essaie des choses plus larges. J'ai adoré ça, et bien que je sois conscient, pour l'avoir entendue en scène, qu'on ne l'y entendrait guère, le résultat sur disque est absolument merveilleux.

¶ Beethoven – Symphonie n°2 – MusicAeterna, Currentzis (bande BBC3) Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy
¶ Beethoven – Symphonie n°5 – MusicAeterna, Currentzis (bande BBC3) Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy
Interprétation pas très originale en réalité, mais pleine de vigueur, et quelles œuvres ! (voir le fil dédié en rubrique « Concerts », Adalbéron y était)

¶ Magnard – Guercœur – Donostiarra, Toulouse, Plasson (EMI) Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy
Belle révélation à la réécoute. (cf. fil concerné)

 Bruckner – Symphonie n°4 – Philharmonique de la Radio des Pays-Bas (Hilversum), van Zweden (Challenge Classics) Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy
Version très cursive, ce qui fonctionne très bien dans leurs Brahms, mais vraiment trop peu tendue pour Bruckner. Un peu lisse et pas passionnant. À chaque fois que je réécoute, j'ai un espoir (troisième tentative, au moins), mais non.

¶ Britten – War Requiem – Philharmonique de la Radio des Pays-Bas (Hilversum), van Zweden (Challenge Classics) Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy Smile
Version très sobre et lumineuse, un peu à rebours, mais très réussie !

¶ Respighi – Belfagor – Philharmonique de la Radio des Pays-Bas (Hilversum), Ashkenazy (Exton) Very Happy Very Happy Very Happy
¶ Respighi – Belkis, reine de Saba – Philharmonique de la Radio des Pays-Bas (Hilversum), Ashkenazy (Exton) Very Happy Very Happy Smile
¶ Respighi – Vetrate di chiesa – Philharmonique de la Radio des Pays-Bas (Hilversum), Ashkenazy (Exton) Very Happy Very Happy Very Happy
Mélange de choses spectaculaires et colorées et d'autres moins marquantes. Mais globalement l'une des œuvres les plus intéressantes de Respighi.
¶ Respighi – Metamorphoseon modi XII – Philharmonia, Goeffrey Simon (Chandos) Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy Smile
… Mais son chef-d'œuvre absolu, ce sont ces Métamorphoses symphoniques… Soudain mâtiné de Hindemith (pour la richesse musicale, parce que pour les couleurs et la chaleur, ce sont celles du triptyque romain, un côté folklorisant de pâtre des Abruzzes et archaïsant néo-monteverdien en sus. I love you ), avec des touches orchestrales du meilleur Korngold !
Cette version a plus de couleurs et d'élan que Rome SO & La Vecchia qui plus studieuse, je trouve.

¶ Gurlitt – Wozzeck, le meurtre et le couteau – Scharinger, DSO Berlin, G. Albrecht (Capriccio) Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy
¶ Berg – Wozzeck, le meurtre et le couteau – Schwanewilms, Trekel, Graf (Naxos) Very Happy Very Happy Smile
Un des meilleurs moments de l'œuvre, chez les deux (et superbe version Graf, contre toute attente – je n'avais pas adoré sa version avec l'ONBA et déjà Schwanewilms, vue en salle en 1999).

Cycle Hendrik Andriessen

¶ H. Andriessen – Symphonie n°1 – Symphonique des Pays-Bas (Enschede), Porcelijn (CPO forever) Very Happy Very Happy Very Happy
¶ H. Andriessen – Suite de ballet – Symphonique des Pays-Bas (Enschede), Porcelijn Very Happy Very Happy Very Happy Smile
 H. Andriessen – Étude symphonique – Symphonique des Pays-Bas (Enschede), Porcelijn Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy Smile
¶ H. Andriessen – Variations et Fugue sur Kuhnau – Symphonique des Pays-Bas (Enschede), Porcelijn Very Happy Very Happy Very Happy Smile
L'Étude est vraiment superbe. Quel orchestre, quel chef, quelle prise de son, aussi. (Sinon c'est la Symphonie Concertante qui m'impressionne le plus chez Andriessen.)

¶ Joline (Dolly Parton) 

¶ H. Andriessen – Symphonie n°2 – Symphonique des Pays-Bas (Enschede), Porcelijn (CPO) Very Happy Very Happy Smile
¶ H. Andriessen – Ricercare – Symphonique des Pays-Bas (Enschede), Porcelijn (CPO) Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy
¶ H. Andriessen – Mascherata – Symphonique des Pays-Bas (Enschede), Porcelijn (CPO) Very Happy Very Happy Very Happy Smile
 H. Andriessen – Rhapsodie Wilhelmus – Symphonique des Pays-Bas (Enschede), Porcelijn (CPO) Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy

¶ Le Prisonnier de Hollande (Olivia Chaney) 

¶ H. Andriessen – Ricercare – Symphonique des Pays-Bas (Enschede), Porcelijn (CPO) Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy
¶ H. Andriessen – Mascherata – Symphonique des Pays-Bas (Enschede), Porcelijn (CPO) Very Happy Very Happy Very Happy Smile
 H. Andriessen – Rhapsodie Wilhelmus – Symphonique des Pays-Bas (Enschede), Porcelijn (CPO) Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy

¶ Nénufar, t'as du r'tard (chanson raciste pour l'exposition coloniale de 1931) 

¶ H. Andriessen – Ricercare – Symphonique des Pays-Bas (Enschede), Porcelijn (CPO) Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy
¶ H. Andriessen – Mascherata – Symphonique des Pays-Bas (Enschede), Porcelijn (CPO) Very Happy Very Happy Very Happy Smile
 H. Andriessen – Rhapsodie Wilhelmus – Symphonique des Pays-Bas (Enschede), Porcelijn (CPO) Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy
Ce n'est pas une erreur, j'ai trissé les trois pièces. Non pas que ce soient des œuvres à ce point exceptionnelles, mais je les ai beaucoup aimées cette fois, j'avais envie de m'en imprégner. Les mouvements contraires rétro du Ricercare me font craquer ; et le doux côté épique de Wilhelmus…

¶ Something Just Like This (adaptations multiples des Chainsmokers)

¶ H. Andriessen – Symphonie n°3 – Symphonique des Pays-Bas (Enschede), Porcelijn (CPO) Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy
Quant à la Troisième Symphonie, c'est la meilleure des quatre à mon sens, beaucoup plus directe, jubilant plus ouvertement de sa propre musique au lieu de s'astreindre à une sorte de sérieux presque sinistre. Plus proche de van Gilse 2 que de Pijper, en somme.


¶ H. Andriessen – Symphonie Concertante – Symphonique des Pays-Bas (Enschede), Porcelijn (CPO) Very Happy Very Happy Very Happy
Finalement, j'aime davantage les symphonies 3 & 4 : un petit côté pastiche par endroit, plus accessible mais un peu moins nourrissant. Très chouette néanmoins, ce n'est pas comme s'il existait par ailleurs des symphonies concertantes intéressantes (Szymanowski à la rigueur, mais Mozart, Langgaard ou Prokofiev, bof quand même).
¶ H. Andriessen – Chantecler – Symphonique des Pays-Bas (Enschede), Porcelijn (CPO) Very Happy Very Happy Very Happy Smile

¶ H. Andriessen – Symphonie n°4 – Symphonique des Pays-Bas (Enschede), Porcelijn (CPO) Very Happy Very Happy Very Happy Smile
Début sombre, mais de beaux moments de lyrisme ensuite !
 H. Andriessen – Libertas venit – Symphonique des Pays-Bas (Enschede), Porcelijn (CPO) Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy
Commande de l'Orchestre du Brabant pour célébrer les dix ans de la libération de la province. Une lente marche, qui se pare d'échos menaçants (Dies iræ inclus), se charge de chants de guerre, et exprime avec lyrisme la fin de l'oppression. Quelque part entre le 1812 de Tchaïkovski et le Chant funéraire de Magnard, mais beaucoup moins spectaculaire que l'un et l'autre.
¶ H. Andriessen – Capriccio – Symphonique des Pays-Bas (Enschede), Porcelijn (CPO) Very Happy Very Happy Very Happy Smile
¶ H. Andriessen – Canzona – Symphonique des Pays-Bas (Enschede), Porcelijn (CPO) Very Happy Very Happy Very Happy Smile

¶ H. Andriessen – Intégrale pour orgue – Benjamin Saunders (Brilliant) Very Happy Very Happy Very Happy Smile
Corpus très homogène, pas forcément à écouter d'une traite comme je l'ai fait, mais de toute beauté : d'une subtilité sans ostentation, sorte de Tournemire batave. I love you

Et réécoutes : 

¶ H. Andriessen – Symphonie n°4 – Symphonique des Pays-Bas (Enschede), Porcelijn (CPO) Very Happy Very Happy Very Happy Smile
¶ H. Andriessen – Libertas venit – Symphonique des Pays-Bas (Enschede), Porcelijn (CPO) Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy
¶ H. Andriessen – Capriccio – Symphonique des Pays-Bas (Enschede), Porcelijn (CPO) Very Happy Very Happy Very Happy Smile
¶ H. Andriessen – Canzona – Symphonique des Pays-Bas (Enschede), Porcelijn (CPO) Very Happy Very Happy Very Happy Smile
¶ H. Andriessen – Libertas venit – Symphonique des Pays-Bas (Enschede), Porcelijn (CPO) Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy

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Cycle Holst

¶ Holst – Les Planètes– Chicago SO, Levine (DGG) Very Happy Very Happy Very Happy
Oh !  Après tant de tentatives infructueuses, j'y ai enfin pris du plaisir !  Ce n'est pas très subtil, mais extrêmement neuf (et vraiment pillé par la musique de film épique américaine, de Williams à Horner).
¶ RVW – Fantaisie Greensleeves– Chicago SO, Levine (DGG) Very Happy Very Happy
¶ RVW – Fantaisie Tallis– Chicago SO, Levine (DGG) Very Happy Very Happy Very Happy
J'aime bien ces œuvres, mais c'est juste parce que j'étais trop occupé pour changer le disque que je les ai entendues aujourd'hui. Mr. Green

¶ Holst – Mars pour orgue– arrangement et exécution par Stangier (Acousence) Very Happy Very Happy
Beaucoup plus raide, forcément.
¶ Holst – Les Planètes pour quatre mains– ZOFO Duet (Dorian Sono Luminus) Very Happy Very Happy Very Happy
Change totalement le visage de ces pièces, et on y entend le lien direct avec Debussy, dans Venus ; ainsi que d'autres filiations ailleurs.

¶ Holst – Symphonie en fa– Ulter O, Falletta (Naxos) Very Happy Very Happy Very Happy Smile
Vraiment très sympathique, couleurs locales et médiévalisantes !  Pas un chef d'œuvre, mais roboratif !

¶ Holst – A Fugal Overture– LPO, Boult (Lyrita) Very Happy Very Happy Very Happy Smile
Profusif (mais assez peu fugué), très sympathique.
¶ Holst – A Somerset Rhapsody– LPO, Boult (Lyrita) Very Happy Very Happy
Jolie cantilène.
¶ Holst – Beni Mora– LPO, Boult (Lyrita) Very Happy Very Happy Smile
Hit absolu dans l'histoire de se forum. Très sympa dans le genre de la caricature coloniale (moi j'aime bien ces trucs bigarrés qui ne ressemblent à rien). Sa caractéristique majeure est son final, avec le motif de flûte qui se répète en boucle sans moduler, pendant toute la pièce !
¶ Holst – Hammersmith– LPO, Boult (Lyrita) Very Happy Very Happy Very Happy Smile
Très méditatif, ample et sombre, puis pépiant de façon farouche, assez riche.


¶ Holst – Scherzo – LPO, Boult (Lyrita) Very Happy Very Happy Smile
¶ Holst – Japanese Suite – LSO, Boult (Lyrita) Very Happy Very Happy


Cycle orchestres de Radio des Pays-Bas


¶ (Yves) Ramette –Symphonie n°5– Philharmonique de la Radio des Pays-Bas, Jan Stulen (Navona) Very Happy Very Happy Very Happy 
♪♪ Quoique du second XXe, complètement tonal – c'était un organiste… –, et on y entend beaucoup d'effets reçus de Beethoven et Mahler, quoique l'harmonie soit clairement du (début du…) XXe siècle. Anachronique, mais assez bien fait.


¶ Diepenbrock – Lieder orchestraux (anniversaire vol.3) – Philharmonique de la Radio des Pays-Bas, London Promenade O, Residentie Den Haag, Otterloo, van der Berg et autres Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy
¶ Diepenbrock – Lieder orchestraux (bissé)
♪♪ De très belles mises en musique de poèmes célèbres en néerlandais, allemand (Heine, Brentano, Novalis) et français (Baudelaire, Verlaine), d'un beau lyrisme calme, de beaux miroitements orchestraux, et une très belle poésie, français inclus – on peut songer, en particulier dans la Bonne Chanson, à une sorte de Fauré qui aurait un talent d'orchestrateur beaucoup plus diaphane et irisé, plus rural aussi.
♪♪ Évidemment, Otterloo procure un relief tout particulier à ses participations, et pour ne rien gâcher, les poèmes français sont interprétés par Bernard Kruysen ! Vraiment un disque à entendre.

¶ (Benjamin) Wallfisch – Speed – Philharmonique de la Radio des Pays-Bas, B. Wallfisch (Quartz) Very Happy Very Happy Very Happy Smile
♪♪ L'occasion de vérifier la considérable maîtrise technique de l'orchestre (j'en vois de plus haute renommée, comme la Radio du Danemark ou le Royal Philharmonic, qui auraient probablement un peu plus de peine à tenir ce type de stress test), avec des sur-suraigus impeccablement justes, des articulations rythmiques complexes parfaitement nettes, des timbres inaltérés par l'effort.
♪♪ Cette pièce de 13 minutes explore des atmosphères très différentes et assez figuratives. Rien d'original, on retrouve les cliquetis en nuage, les rafales de cuivres varésiens, des suspensions plus chostakovitcho-herrmannien… car tout en utilisant les outils de l'orchestre du XXe siècle, Wallfisch écrit une musique complètement tonale, une sorte de Connesson qui aurait pris en compte Ligeti et Murail. Et cela fonctionne assez bien, à défaut de révolutionner quoi que ce soit.

¶ Michael Torke (1961-) – Livre des Proverbes – Philharmonique de la Radio des Pays-Bas, de Waart (Ecstatic Records & Decca) Very Happy Very Happy Very Happy Smile
♪♪ Quelque part entre l'atmosphère déhanchée de Bernstein et quelque chose de plus minimalisme, pas si éloigné des harmonies pures de Gregory Spears (Fellow Travelers, pour ceux qui ont le tort de ne pas lire CSS), très simple, très agréable, doucement dansant.

¶ Wagner-Vlieger – Suite des Meistersinger– Philharmonique de la Radio des Pays-Bas, de Waart (Challenge Records) Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy
¶ Wagner-Vlieger – Deux entractes tragiques– Philharmonique de la Radio des Pays-Bas, Otto Tausk(Challenge Records) Very Happy Very Happy Very HappySmile
Ça ressemble beaucoup à Rosamunde de Schubert…

¶ Wagner-Vlieger – Suite des Meistersinger – Philharmonique de la Radio des Pays-Bas, de Waart (Challenge Classics) Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy
Bissé.
¶ Wagner-Vlieger – Suite de Tristan– Philharmonique de la Radio des Pays-Bas, de Waart (Challenge Classics) Very Happy Very Happy Smile
Déçu en réécoutant : franchement, les Appels sans la ligne mélodique, et cet enchaînement d'accompagnements, bof. Mais je crois que j'aime moins Tristan, aussi, tout simplement.

¶ Herman Strategier – Rapsodia elegiaca – Philharmonique de la Radio des Pays-Bas, Haitink (Etcetera) Very Happy Smile
¶ Herman Strategier – Musique pour faire plaisir – Chambre Philharmonique de la Radio des Pays-Bas, Krol (Etcetera) Very Happy Very Happy
¶ Herman Strategier – Concerto pour accordéon – Chambre Philharmonique de la Radio des Pays-Bas, Krol (Etcetera) Very Happy Very Happy
¶ Herman Strategier – Sextuor – Hexagon Ensemble (Etcetera) Very Happy Very Happy 
¶ Herman Strategier – Partita in modi antichi – Chambre Philharmonique de la Radio des Pays-Bas, Spruit (Etcetera) Very Happy Very Happy Smile
¶ Herman Strategier – Præludium en Fuga – Philharmonique de la Radio des Pays-Bas, Fournet (Etcetera) Very Happy Very Happy Very Happy
Ces deux orchestres ont une histoire totalement distincte (le premier est celui de Hilversum, jamais fusionné, le second le fruit de nombreuses fusions et dissout depuis 2014). Pour l'anecdote, le Philharmonique est le premier orchestre que Haitink ait dirigé en concert public, en 1954 (il en a pris la tête en 1957, avant que Fournet ne lui succède, ce qui ne le rajeunit pas exactement).
Sinon, des pièces assez délibérément archaïsantes de ce compositeur local ; je n'ai rien trouvé de bouleversant là-dedans, sauf le Prélude & Fugue très sympathique.

¶ Joep Franssens – Roaring Rotterdam – Philharmonique de la Radio des Pays-Bas, G. Albrecht (Etcetera) Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy
Tonal mais d'une écriture « globale », par blocs, atmosphérique, alla Corigliano. Très séduisant au demeurant.
¶ Joep Franssens – Harmony of the Spheres – Chœur de la Radio des Pays-Bas, G. Albrecht (Etcetera) Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy
Splendide écriture planante, dans la veine de ce que font les meilleurs nordiques.
¶ Joep Franssens – Magnificat – Chœur & Philharmonique de la Radio des Pays-Bas, G. Albrecht (Etcetera) Very Happy Very Happy Very Happy
Très réussi aussi, dans ce genre.

¶ Badings – Scherzo symphonique – Orchestre de la Radio des Pays-Bas, Henrik Schaefer (Etcetera) Very Happy Smile
¶ Badings – Concerto pour violoncelle n°2 – Chambre Philharmonique de la Radio des Pays-Bas, Michael Müller, Henrik Schaefer (Etcetera) Very Happy Smile
¶ Badings – Symphonie n°2 – Orchestre de la Radio des Pays-Bas, Henrik Schaefer (Etcetera) Very Happy Very Happy
L'Orchestre de la Radio des Pays-Bas a lui été fusionné (lui-même fruit de fusions), dans le Philharmonique de la Radio que vous voyez dans le reste de la playlist. Il n'est pas directement lié non plus à la Chambre Philharmonique de la Radio. Je vous ferai un petit schéma dans le bon fil le moment venu, car le Philharmonique des Pays-Bas, le Symphonique des Pays-Bas, le Phliharmonique de la Radio des Pays-Bas, le Philharmonique de Chambre des Pays-Bas, l'Orchestre de la Radio des Pays-Bas, l'Orchestre de l'Omreop (Radio des Pays-Bas) et le Symphonique de la Radio des Pays-Bas sont tous des orchestres différents, même pas tous dans les mêmes villes. hehe 
Sinon, Badings ? Du Badings : du postromantisme XXe tardif bien fait, mais pas particulièrement palpitant.

¶ Per August Ölander – Symphonie en mi bémol – Symphonique de Västerås, Harry Damgaard (Sterling) Very Happy Very Happy 
¶ Bengtsson – Vettern – Symphonique de Gävle, Liljefors (Sterling) Very Happy Very Happy
¶ Weyse – Sovedrikken (Ouverture) – Orchestre Royal Danois, Hye-Knudsen (Sterling) Very Happy Very Happy Very Happy Smile
Du beau classicisme tardif, plein d'entrain !
¶ Olsson – Symphonie en sol mineur – Symphonique de Gävle, Liljefors (Sterling) Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy
Tellement Alfvén, dans le début de l'adagio !

¶ R. Strauss – Salome (entrée de Salomé jusqu'à sortie de Jibé) – Bumbry, Wixell, RAI Torino 1979, Dohnányi (bande radio) Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy Smile
Le son est vraiment défavorable, on entend surtout les défauts de l'orchestre, et assez mal les chanteurs ; par ailleurs peu de mots chez Bumbry, et Wixell qui essaie d'épaissir de façon absurde, un peu décevant par rapport à l'idéal promis par l'affiche. 

¶ Lyapunov – Symphonie n°1 Very Happy Smile
Très gentil, plutôt agréable, mais absolument inoffensif ; on retrouve les thèmes russisants qui affleurent chez Tchaïkovski, sauf qu'ici il ne se passe à peu près rien. 

¶ Schumann – Genoveva – G. Albrecht (Orfeo) Very Happy Very Happy Smile
Autant cette œuvre me grise avec Masur, autant à chaque fois dans les autres contextes, même en concert, j'y entends surtout sa faible veine mélodique, son statisme, ce qu'elle veut tenter sans y réussir. 

¶ James Carr – The Dark End of the Street (& album) Very Happy Very Happy Very Happy

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Cycle Engegård SQ

Je découvre cet ensemble récent (fondé en 2006) et le mets à l'épreuve. Arvid Engegård, le premier violon, lui donne son nom, et il arrive, de fait, après une carrière particulièrement accomplie : nombreux enregistrements comme soliste, ancien konzertmeister de la Camerata de Salzbourg sous Végh, ancien premier violon du Quatuor Orlando…

¶ Schumann – Quatuor n°3 (scherzo) – Engegård SQ (BIS) Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy 
Ce scherzo est un bon test, et BIS y confirme sa clairvoyance en matière de choix de quatuors à cordes : non seulement personne ne les capte mieux, mais comme pour le Stenhammar SQ, on a ici du tout premier choix. J'ai rarement entendu un son aussi fin et un discours aussi étagé et engagé dans du Schumann. Le scherzo a proprement parlé est encore plus ardent chez d'autres, mais l'ensemble du corpus de Schumann est en revanche porté à un degré d'intelligence rare, alors qu'il n'est pas forcément très avenant ni coloré. 

¶ Haydn – Quatuor Op.77 n°1 – Engegård SQ (2L) Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy Smile
Finesse, énergie, hauteur de vue… encore plus fort que les Alcan, avec un son splendide (très typé norgévien, on croirait entendre Trondheim, où Engegård a étudié et débuté !).
¶ Haydn – Quatuor Op.76 n°3 – Engegård SQ (2L) Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy
Et ici, ça égale tout à fait les Takács, soit l'absolu absolu de ce qu'il est possible de faire en structure et en chaleur. Grand, grand ; et ceux qui y parviennent dans Haydn sont excessivement rares.

¶ Bartók – Quatuor n°5 – Engegård SQ (2L) Very Happy Very Happy 
Vraiment pas celui que j'aime le plus, mais joué avec cette finesse de trait, cette aération, cette lisibilité, on sent davantage la jubilation musicale que les affects oppressants qui s'y bousculent !

¶ Haydn – Quatuor Op.76 n°5 – Engegård SQ (2L) Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy

¶ Grieg – Quatuor – Engegård SQ (2L) Very Happy Very Happy Very Happy Smile

¶ Schumann – Quatuor n°1 – Engegård SQ (2L) Very Happy Very Happy Very Happy
¶ Schumann – Quatuor n°2 – Engegård SQ (2L) Very Happy Very Happy Very Happy
¶ Schumann – Quatuor n°3 – Engegård SQ (2L) Very Happy Very Happy Very Happy Very Happy
Grande, grande référence ! 

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¶ Weingartner – Septuor pour piano et cordes – Ensemble Acht, Triendl (CPO) Very HappyVery Happy Very Happy
¶ Weingartner – Octuor pour piano, vents et cordes – Ensemble Acht, Triendl (CPO) Very Happy Very Happy Very Happy Smile
Très agréable, sans qu'il y a là d'exceptionnellement marquant. Autant j'ai adoré le pastoralisme trop classique pour ne pas être un peu décadent (sorte de Mozart romantique qui sait secrètement que Schreker existe) de la Première Symphonie, et beaucoup goûté la sobriété des guatuors, autant je n'ai pas complètement senti la nécessité de l'exhaustivité des publications (j'ai écouté les six symphonies parues, et elles se ressemblent vraiment beaucoup, sans apporter de couleurs nouvelles).
Il en va un peu de même avec ces pièces de chambre, surtout le Septuor : beau mouvement lent, belle Danza funebre (pas du tout solenelle ni terrible ni funèbre) finale, mais mobiliser un septuor pour tenir le propos d'un trio du milieu du XIXe siècle, pourquoi ? L'Octuor va chercher des alliages de couleurs un peu plus originaux grâce aux vents (grosse place de la clarinette et du cor) ; on a un peu l'impression d'entendre du post-Czerny, mais comme pour la Première Symphonie, l'œuvre conserve sa verve et son charme propres.




À bientôt pour de nouvelles aventures – tout aussi exotiques, mais je l'espère plus ordonnées et consistantes !

mercredi 25 avril 2018

[Carnet d'écoutes n°120] – Lassus, Crusell, Vranický, Le Prophète, Sinding, Reger, van Gilse, Bartók, Różycki, Mârouf…


Quelques écoutes très rapidement commentées et compilées sans ordre.

Découvertes intrépides

Nordheim – Quatuor– Norwegian SQ
Assez transparent, s'écoute bien, mais ne se passe pas grand'chose.

Lazzari, Symphonie en mi bémol.
(bon, en fait j'avais déjà écouté, mais il ne m'en restait aucune impression)
Entre Bizet (le scherzo) et Franck (le final, vraiment proche !). Chouette.

Tina Charles – I Love to Love
Croyez-le si vous voulez, mais je découvre. Ça ne se renouvelle pas beaucoup, mais l'alternance refrain / couplet (unique) est assez marquante !


Classiques éprouvés

Dvořák – Rusalka (acte II) – Neumann

Pavel Vranický – Symphonie en ut, « Pour la Paix avec la République Française » – Radio de Hanovre, Griffiths (CPO)
Pavel Vranický – Symphonie en ré Op.52 – Radio de Hanovre, Griffiths (CPO)
Tradi et animé, mais un peu rond et flou.
Pavel Vranický – Symphonie en ré Op.52 – Chambre Dvořák, Bohumil Gregor (Supraphon)
Là aussi, tradi, mais ça claque !
Pavel Vranický – Symphonie en ut mineur Op.11 – Chambre Dvořák, Bohumil Gregor (Supraphon)
Pavel Vranický – Symphonie en ré Op.36 – Chambre Dvořák, Bohumil Gregor (Supraphon)
Pavel Vranický – Symphonie en ut « Joie de la Nation Hongroise » – Chambre Dvořák, Bohumil Gregor (Supraphon)
Les deux symphonies en ré (sans programme) sont merveilleuses, le babillage des clarinettes dans le premier mouvement de l'opus 36, on est vraiment entre Don Giovanni et Fidelio.
À cette époque, vraiment difficile de trouver un concurrent à Mozart, mais les frères Vranický sont justement ceux qui peuvent se comparer à ses accomplissements.

Lalande – Regina Cœli – Ex Cathedra, Skidmore

Lalande – Cantate Domino – Ex Cathedra, Skidmore
Lalande – Cantate Domino – Ex Cathedra, Skidmore
Le Cantate Domino ménage des airs magnifiques, d'une ampleur rare à cette époque. L'ensemble Ex Cathedra est formidable (et je crois reconnaître la voix d'Andrew Tortise en haute-contre solo, ou de quelqu'un qui lui ressemble énormément I love you ). Bissé.


La minute glotto

O. Merikanto – Laula, tyttö – Galitzine, Dubé (bande)
Bach – « Seele deine Spezereien » –  Obalski (bande)


Sous mauvaise influence

Lassus – 9 Leçons de Ténèbres – Pro Cantione Antiqua (Musical Concepts)
Beauté ineffable, complète. Encore plus beau qu'à mon dernier passage.
Bissé :
Lassus – 9 Leçons de Ténèbres – Pro Cantione Antiqua (Musical Concepts)
Puis :
Lassus – Prophetiæ Sibyllarum– Dædalus (Alpha)
Lassus – Prophetiæ Sibyllarum– De Labyrintho (Stradivarius)
Moins enthousiasmé par l'œuvre. Dædalus un peu sec, impression d'uniformité accrue entre les pièces ; De Labyrintho plus souple (très léger accent anglais ?  voix de femme fine enfantine…).
Lassus – Motets pour le dimanche de Pâques– Pro Cantione Antiqua (Musical Concepts)
Lassus – Requiem – Pro Cantione Antiqua (Musical Concepts)
Pour les motets de Pâques, c'est peut-être l'interprétation qui les hausse, mais pour le Requiem, vraiment un bijou !

Je ne suis pas un très grand consommateur de musiques de la Renaissance, mais Dufay, Brumel et Lassus, voilà qui me laisse par terre à chaque fois.

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Un petit cycle Ludomir Różycki.

Eros i Psyche. Cet opéra de de 1916 constitue un bijou d'aspect étonnant : on peut y entendre, sans aucun effet hétéroclite, l'influence de nombreux courants. On entend passer des tournures qui font penser à Lalo (Le roi d'Ys), Massenet (Panurge), Debussy, Puccini (les moments comiques de Tosca), R. Strauss (grandes poussées lyriques, ou la fin quelque part entre Daphne, avec l'harmonie plus slave des chœurs patriotiques de Guerre et Paix de Prokofiev…). Tout cela dans une belle unité, un sens de la poussée, vraiment de la très belle musique, une synthèse de l'art européen.

¶ Air tiré de Beatrice Cenci.

¶ Poème symphonique Mona Lisa (très richardstraussien), par Wojciech Czepiel.
¶ Poème symphonique Le roi Cophetua, par Janusz Przybylski.
¶ Poème symphonique Anhelli (très richardstraussien), par Satanowski.

Et puis je vais me lancer dans les seules autres choses qu'on ait, les concertos.

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Vaughan Williams – Symphonie n°5 – Liverpool RPO, Manze (Onyx)
Vaughan Williams – Symphonie n°6 – Liverpool RPO, Manze (Onyx)
Flatte plutôt le côté étale que l'originalité de ces symphonies. Pas passionné, un peu frustré que Manze n'y déploie pas sa meilleure netteté de trait.

Mireille / Nohain – Mais pourquoi t'es-tu teinte ? – Pills & Tabet
http://youtube.com/watch?v=RkhdzmNkwY8

Larsson – Symphonie n°1 – Helsingborg SO, Manze (CPO)
Une semaine n'est pas complète sans son petit shoot CPO. Même si la poésie fonctionne moins avec orchestre qu'en quatuor, chez Larsson.

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 Massenet, Thaïs. Marseille 91 : Veltri avec Cassello, Sirera et van Dam. Très belle version (il n'y en a pas tant où l'on entend bien l'orchestre tout en restant plutôt bien chantées). 

 Massenet, Thaïs. Au Stanislavski, en russe. (acte I seulement) 
Les chœurs des cénobites par des Russes, c'est quelque chose. Shocked Sinon, l'adaptation est assez peu réussie prosodiquement (beaucoup de rythmes changés, et ça ne tombe pas toujours bien dans la langue).

 Massenet, Marie-Magdeleine. Version Loré : Command, Sebron, Lamy, Courtis. Bien sûr très lisse et gentiment sucré, mais tout est beau, et les moments de lumière sont très exaltants. (Évidemment, ce n'est pas prioritaire, mais j'y reviens de temps en temps, ne serait-ce que pour la réussite du Noli me tangere.)

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Różycki – Eros i Psyche (Operavision)
Tient toutes ses promesses. Même la naïveté du livret fonctionne très bien. I love you

Tchaïkovski – Manfred – Opéra de Munich, K. Petrenko (bande de la radio WQXR)
Lecture de feu – si on augmente bien le son, on sent le grain des cordes, et la réverbération sur les murs de la salle ! I love you
https://www.wqxr.org/story/kirill-petrenko-conducts-bayerisches-staatsorchester-live-carnegie-hall/

C.-M. Schoenberg – Miss Saigon – Salonga

Kodály – Duo violon-violoncelle – J. Fischer, Müller-Schott
Schulhoff – Duo violon-violoncelle – J. Fischer, Müller-Schott
Ravel – Sonate violon-violoncelle – J. Fischer, Müller-Schott
Halvorsen – Passacaglia, d'après Haendel– J. Fischer, Müller-Schott

Legrenzi, La Divisione del Mondo, extraits

Wagner – Das Rheingold, deuxième tableau – Solti Bayreuth 1983

Stravinski – Le Sacre du Printemps – Atlanta SO, Levi (Telarc)
J'aime beaucoup leur association, mais ce n'est pas dans le Sacre qu'elle fonctionne le mieux.

Brahms – Quatuor avec piano n°2 – Capuçon, Caussé, Capuçon, Angelich (Virgin)
Rarement donné hors des intégrales Brahms, car long (presque une heure à lui tout seul), mais le meilleur des trois, même si j'aime beaucoup le Troisième !

Crusell – Concerto pour clarinette n°1 – Kriikku, Radio Finlandaise, Oramo (Ondine)
Crusell – Concerto pour clarinette n°2 – Kriikku, Radio Finlandaise, Oramo (Ondine)
Crusell – Concerto pour clarinette n°3 – Kriikku, Radio Finlandaise, Oramo (Ondine)
Des mélodies de Mozart avec du ploum-ploum de ballet façon Boïeldieu-Adam-Hérold, vraiment délicieux, surtout le 2 !

Bartók – Concerto pour piano n°1 – Kocsis, Budapest FO, Iván Fischer (Philips)
Bartók – Concerto pour piano n°2 – Kocsis, Budapest FO, Iván Fischer (Philips)
Bartók – Concerto pour piano n°3 – Kocsis, Budapest FO, Iván Fischer (Philips)
Le Deuxième, le Deuxième… quelle orgie !
(en termes de versions, il y a plus grisant, sinon)

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Prokofiev – Symphonie n°5 – Radio Finlandaise, Oramo
Oh, à la fin du deuxième mouvement, exactement les mêmes intervalles et rythmes que le début de « I could have danced all night » !

Beethoven – Duo avec lunettes obligées
Le Duo avec lunettes obligées de Beethoven, pas du tout une œuvre anecdotique : la qualité mélodique de Mozart, l'animation des figures d'accompagnement des derniers quatuors de Haydn, et une fougue qui n'est qu'à lui.
Remarquable version en concert dans une église lusophone par ici.

van Gilse – Symphonie n°2 – Symphonique des Pays-Bas (sis à Enschede), Porcelijn
Comme quelqu'un a commis l'imprudence de nommer Jan van Gilse devant moi, me voilà reparti pour une intégrale de sa musique disponible, en débutant par la Symphonie n°2 (ce début qui innerve tout !).

van Gilse – Thijl
Par un orchestre aujourd'hui dissout, ou plus exactement fusionné, le Philharmonique d'Amsterdam (beaucoup de cas aux Pays-Bas, comme Utrecht, la Chambre de la Radio…). Pourtant, qu'est-ce qu'il était bon…
Œuvre assez radicale et étrange (le sprechgesang en néerlandais, voilà qui dépayse), plutôt sombre, pas du tout chatoyante comme le reste du van Gilse disponible, ni conformément à ce que son sujet pouvait laisser supposer. Ses contemporains néerlandais, pourtant en général plus tourmentés dans leurs symphonies, avaient pour certains une veine bien plus lyrique et lumineuse à l'Opéra. Étonnant !

Berlioz – Symphonie fantastique – Orchestre d'État de l'URSS, Oskar Fried
Après avoir (beaucoup) écouté ses compositions, je découvre Oskar Fried là où il est célèbre, comme chef.
Ourgh.
Ce n'est vraiment pas bon : cela ressemble aux orchestres de conservatoires régionaux dont les musiciens sont bons mais dont les effectifs tournent sans cesse (et manquent d'expérience).  Tout est si mou et vaguement précis…  Le niveau a incroyablement monté, et on ne peut pas parler ici d'effet Seconde guerre mondiale… qu'était-ce donc au XIXe ?  Il est vrai qu'il n'avait sans doute pas l'habitude de collaborer avec l'Orchestre d'État de l'URSS.

Mahler – Symphonie n°2 – Sk Berlin, Oskar Fried
C'est certes mieux (enfin, pour ce qu'on peut percevoir des tuilages inaudibles), mais lorsque je vois ce qu'on lit dans les critiques sur les orchestres actuels (tout en se pâmant sur l'Âge d'or perdu…), il faut vraiment se fier à son imagination plus qu'à l'écoute rigoureuse des enregistrements. Même chez ces orchestres de première ligue, on se trouve assez loin de la simple mise en place qu'on attendrait d'un orchestre pro de ville moyenne, aujourd'hui.

Beethoven – Sonates et variations pour violoncelle et piano – Karttunen
Sur crin-crin et plong-plong ; et la meilleure version du marché !

Sinding – Symphonie n°1 – Philharmonie de la Radio de Hanovre, Dausgaard
Pour ceux qui aiment la symphonie de Rott, la Symphonie n°1 de Sinding n'est pas sans point commun – l'Andante qui préfigure Parsifal et Fafner, merveilleux de surcroît, ses appels de cor du scherzo…  Je la trouvais jusqu'ici gentiment lyrique, mais non : du niveau des trois autres.
Il est vrai qu'elle est écrite assez tard, toute Première qu'elle est : 1892 – pour un compositeur né en 1856 !  Donc Parsifal est bel et bien dans l'oreille, pas une parenté fortuite d'air du temps.

Sinding – Symphonies 2,3,4 – Philharmonie de la Radio de Hanovre, Dausgaard / Porcelijn
Quelles merveilles élancées du romantisme tardif !  Une autre voie que celles de Brahms, Raff, Tchaïkovski ou Mahler.
On croit souvent que je parle de raretés pour la (ma) gloire ou par simple curiosité ; pourtant le fait est que j'écoute plus souvent les symphonies de Hamerik et Sinding que de Mendelssohn et Brahms (que j'adore), ces dernières années. Plaisir différent et renouvelé : on peut y entendre des choses qui n'existent pas dans le corpus réduit des grands compositeurs célèbres… ou même, sans ambitionner davantage, simplement y trouver des personnalités qui s'accordent mieux à la nôtre, fussent-elles moins déterminantes sur le plan de l'Histoire de la Musique.

Mozart – Symphonies 39,40,41 – CMW, Harnoncourt
Incroyable comme il parvient (et de façon cohérente) à renverser totalement le spectre (les vents priment), à mettre en avant les trouvailles d'accompagnement, à tirer tout cela vers Gluck !

Boulez – Domaines, pour clarinette et ensemble – Portal
 En 1968, c'était la création des deux versions de Domaines de Boulez (clarinette seule, puis avec ensemble sollicité dans un ordre libre). Ça n'a rien de très exaltant sur le papier, mais j'adore ce truc : babillard mais très vivant, et comme des retours audibles de matière.

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Et quelques impressions un peu plus développées.

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Meyerbeer – Le Prophète – Philharmonique d'Essen, Carella (Oehms)



Donc écouté la production d'Essen, très bonne, mais je ne suis pas très enthousiaste pour autant.

¶ Sur le plan de l'interprétation, tout le monde est impeccable, mais ça manque un peu de saveur, tout est très bien chanté (Cornetti peine quand même un peu dans son grand air du V, mais c'est très difficile). Ça suffit pour faire décoller un Verdi ; pour Meyerbeer c'est un peu plus frustrant, il faut des personnages aussi.
Et puis Carella n'était pas franchement un bon choix : il fait le même Carella voluptueux qui fonctionne très bien dans le belcanto (tout est rond et agréablemet coloré), mais là encore, on attendrait un peu plus de drame.

¶ Surtout, ce n'est pas le grand Meyerbeer des Huguenots, du III de Robert, des épisodes masculins de Dinorah… peu de sourires là-dedans, il reste surtout la pompe, et comme les interprètes ne tirent pas parti de la saveur des personnages (ce qui est à peu près impossible dans l'Africaine, mais pas dans le Prophète, où les ridicules ne sont pas absents), tout ça correspond un peu à la grande choucroute décrite par les détracteurs de Meyerbeer.

Le studio de Lewis parvient, par sa flamme particulère et son plateau de folie (McCracken, Horne, Scotto, Bastin…), à rendre l'opéra fascinant, mais par un orchestre allemand un peu gris avec un chef italien un peu contemplatif et des chanteurs valeureux mais pas très savoureux, je m'ennuie un peu. Ce n'est pas vraiment leur faute, c'est juste que j'ai besoin de davantage pour adhérer. Meyerbeer est à la fois très exigeant en termes de technique vocale (assez grands formats, grande agilité, bonne projection, grande endurance…) et très délicat quant à la juste expression et à l'épaisseur des incarnations par les chanteurs. C'est ainsi.

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Liszt – Eine Faust-Symphonie

Je vais réessayer pour la millième fois moi aussi : je n'arrive pas à y trouver d'aspérité (certes, peu de mise en valeur par l'orchestration), même dans le discours. Autant les poèmes symphoniques sont au moins rigolos et expansifs, autant là…

Si je trouve une version déviante et illuminante, je vous dis. (Sinopoli y est dans sa veine très homogène, vraiment pas ce qu'il faut ici, essayé de multiples fois ; Bernstein, il me semble aussi que ça ne m'avait pas trop impressionné.)

J'hésite entre Häselbock pour les crincrins (mais je le trouve raremen exaltant) et Chailly pour la lisibilité.

Donc, Chailly-Concertgebouworkest : ça a l'air très bien, tendu, transparent, mais trop de fondu, ça ressemble trop aux autres versions, ça ne va pas fonctionner pour moi.

Donc je suis parti sur Haselböck sur crincrins : Dieu que le son d'orchestre est hideux ! Ça grince de partout, même les bois. Mais on entend parfaitement chaque entrée, chaque détail d'orchestration, comme jamais je ne l'ai entendu dans un disque : ce qu'il me faut.

Hé bien, c'est uniformément mélodique, et pas très marquant de ce point de vue : de longues lignes étales, dont je me demande toujours à quoi elles servent. Effectivement, comme souligné par Benedictus, quelques coquetteries harmoniques surprenantes dans le mouvement de Gretchen, avec ces harpes qui jouent une harmonie étrange, parente du Binary Sunset dans A New Hope

En revanche, on peut y entendre des choses dérobées (et magnifiées) par Wagner, comme cette longue descente chromatique d'accords, comme pour le sommeil de Brünnhilde.

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Max Reger – Eine Ballettsuite.

Stupéfaction (et émerveillement) en découvrant cette Suite de ballet.

Cela ne ressemble ni vraiment à du ballet (hors la valse bien dansable), ni même à de la musique germanique…

Malgré toutes les titres pittoresques incluant Arlequin ou Pierrot & Pierrette, j'y entends beaucoup l'Oiseau de feu de Stravinski. Aussi du ballet plus léger, plus français (à la façon de ceux de Poulenc).

Impossible d'y reconnaître l'auteur un peu monumental (et assez gris) de la Suite Romantique ou des épais Böcklin !

Il y a quand même un peu de Wagner, plus furtivement, dans les harmonies ou les effets d'orchestration : retour vers les Ases dans le dernier tableau de Rheingold, duos de Walküre ou de Tristan…

Je recommande très vivement (plutôt par Suitner / Sk Berlin que par C. Davis / Radio Bavaroise ou même Zender / SWR, la différence d'animation est assez considérable). Si vous aimez Reger, bien sûr ; mais aussi si vous le détestez, puisque ça n'y ressemble en à peu près rien !


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Henri Rabaud – Mârouf, savetier du Caire

Revu à l'Opéra-Comique : Minkowski et l'ONBA, avec Bou, Santoni, Teitgen, Leguérinel, Peintre, Legay, Contaldo, Yu Shao, Bertin-Hugault…

Un extraordinaire babillage sous forme de pastiche orientalisant exubérant et complexe, ravélien en 1914, harmoniquement aussi avancé que Schreker à la même époque. Toujours stupéfiant.

Distribution de feu (Bou a encore gagné en vaillance, et quel acteur !), production Deschamps qui reste aussi réjouissante, et grande et belle surprise de l'ONBA, rajeuni et féminisé, tendu à bloc, d'une acidité si française !
(Certes, toujours la même tendance à ne pas faire la même longueur d'archet, et à finir par ne plus vibrer les notes, sur les dernières chaises… mais ça ne se percevait pas à l'oreille)

Le reste de la distribution est très adéquat, en particulier la haute stature de Teitgen qui s'acquitte parfaitement de la lourde tâche de succéder à Courjal (le timbre est un peu moins immédiatement séduisant, mais le résultat est tout aussi convaincant, comme toujours), et Lionel Peintre, avec son émission de baryton ténorisant complètement ouverte, en grande forme hier soir.


Il y a clairement un vivier à faire renaître, des œuvres beaucoup plus audacieuses et personnelles qu'il n'y paraît, dans ce début de siècle français. A. Bloch, Dupont, Hirchmann, Nouguès, Gunsbourg, Salvayre
On se trompe en le limitant à debussystes vs. tradis.

Parmi les grands moments :
∆ la folle embardée de la bastonnade (à la façon de la reprise hystérisée de Robert le Diable par Korngold (voir ici : http://carnetsol.fr/css/index.php?2010/08/20/1587-fortune-de-robert-le-diable ),
∆ les doublures exaltantes de la marche du Sultan,
∆ le grand numéro polytonal au III, façon Aladin de Nielsen,
∆ la magie de la Caravane,
∆ les pizz et staccatos omniprésents,
∆ les rythmes complexes, les harmonies surprenantes qui outrepassent de très loin le prétexte de la couleur orientale outrée,
∆ le concerto pour harpe permanent (jamais vu autant), dans opéra ou symphonie !

--

[Rappel : les tartelettes sont toujours positives. Une tartelette n'appelle pas forcément la réécoute, mais leur présence indique que j'ai (subjectivement) apprécié, ce n'est pas une note sur cinq, rien à voir. Elles ne concernent que les compositions, pas les interprétations.]

À bientôt pour de nouvelles aventures !

mercredi 14 mars 2018

Les opéras rares cette saison dans le monde – #6 : slaves occidentaux et méridionaux


Précédents épisodes :
principe général du parcours ;
#1 programmation en langues russe, ukrainienne, tatare, géorgienne ;
#2 programmation en langues italienne et latine ;
#3 programmation en allemand ;
#4 programmation en français ;
#5 programmation en anglais.

À venir : celtiques & nordiques (irlandais, danois, bokmål, suédois, estonien), espagnols, et surtout une grosse notule sur les opéras contemporains intriguants, amusants (ou même réussis).



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Plaisante perspective de l'Opéra de Poznań, qui vient de programmer Nowowiejski.



1. Opéras slaves occidentaux : en polonais


Moniuszko, Straszny dwór (« Le Manoir hanté ») (Varsovie, Cracovie)
Moniuszko, Halka (Varsovie, Bydgoszcz)
→ Comme La Dame blanche, Le Manoir hanté (prononcez « strachné dvour ») a été un succès considérable dans la veine du fantastique comique (une mystification peu prise au sérieux), et demeure un grand classique des scènes polonaises.
→ Les deux opéras sont écrit dans un langage qui s'apparente beaucoup à ceux d'Europe occidentale, les opéras allemands légers (façon Martha de Flotow) et les opéras comiques français (beaucoup, beaucoup de convergences avec D.F.E. Auber !). Le livret du Manoir semble par ailleurs devoir beaucoup à l'influence d'Eugène Scribe, alors un modèle jusqu'en Russie.
→ Autant le Manoir me paraît assez pauvre, presque donizettien, autant Halka (sans dialogues parlés, entièrement composée), une histoire d'amour romantique et tragique assez ordinaire, dispose de beaux climats, d'une déclamation soignée, qui mérite réellement le détour – par la Pologne en l'occurrence, car si vous attendez de le voir passer au bas de votre porte…
→ Les disques existent, mais les livrets sont rarement fournis ; The Opera Platform avait diffusé une version vidéo (sous-titrée) du Manoir, si vous pouvez mettre la main dessus… Pour Halka, on trouve en ligne plusieurs versions, dont la belle Satanowski (avec Wiesław Ochman !).

Żeleński, Goplana (Varsovie)
→ Cet opéra dispose d'une entrée autonome sur CSS. Là aussi, diffusion sur The Opera Platform avec sous-titres français, qui a bien sûr se trouver quelque part.
Żeleński, de la génération suivante (né en 1837 contre 1819 pour Moniuszko), propose une musique globalement plus intéressante : le discours musical est continu, et à défaut de beaucoup moduler, l'accompagnement adopte un peu plus de variété.
Goplana (1895) raconte les manipulations des fées pour trouver un mari à leur gré, menaçant le pauvre navigateur ou manipulant le prince, à coups de sorts, de mensonges, de doubles amours, d'épreuves, de jalousies, de menaces. Cette tragédie terrible appuyée sur du vaudeville féerique (les contes slaves peuvent priser très fort le nawak) propose un véritable dépaysement, et la  musique continue, sans être très marquante, échappe à la fragmentation en numéros et coule très agréablement, le petit frisson folklorique (du sujet, mais aussi des danses) en sus.

Różycki, Eros i Psyche (Varsovie)
Cet opéra de de 1916 constitue un bijou d'aspect étonnant : on peut y entendre, sans aucun effet hétéroclite, l'influence de nombreux courants. On entend passer des tournures qui renvoient à Lalo (Le roi d'Ys), Massenet (Panurge), Debussy, Puccini (les moments comiques de Tosca), R. Strauss (grandes poussées lyriques, ou la fin quelque part entre Daphne, avec l'harmonie plus slave des chœurs patriotiques de Guerre et Paix de Prokofiev…). Tout cela dans une belle unité, un sens de la poussée, vraiment de la très belle musique, une synthèse de l'art européen.
→ Różycki a aussi écrit de la musique symphonique, des concertos, et notamment  des poèmes symphoniques sur Le roi Cophetua, ou Mona Lisa (complation très richardstraussienne) !
→ La production donnée au Théâtre Wielki (la salle de l'Opéra National de Varsovie) était de surcroît très accomplie musicalement (c'était en octobre), on peut en attraper des bouts en ligne – cet opéra est une rareté jusqu'en Pologne !

Szymanowski, Król Roger (Wrocław)
→ Malgré son statut de classique moderne, le Roi Roger n'est pas si souvent donné. Pas une rareté (une belle discographie, même), mais une œuvre à laquelle on pense moins, et que je mentionne.
→ Outre la langue, outre le livret mystico-uraniste très étrange (même sans les têtes de Mickey), il faut dire que ce n'est pas exactement une œuvre accessible : les modulations sont incessantes, la tonalité change de base à chaque mesure, sans exagérer, les appartenances sont brouillées, les lignes simultanées du contrepoint très nombreuses et complexes… et pourtant, quelque chose d'à la fois pesant et extrêmement chatoyant s'en échappe, vraiment un univers singulier, à découvrir absolument.
→ Au disque, c'est la version Kaspszyk qui met tout le monde d'accord (quoique un peu plus difficile à se procurer), sur tous les aspects (à défaut, Stryja chez Naxos a beaucoup de qualités ; ou le beau DVD Pappano). Il faut en revanche se défier de la version Rattle, sabotée par la prise de EMI complètement opaque, hélas – et puis la plupart des autres versions intègrent des chanteurs masculins polonais (et remarquablement chantants), bel atout.

Nowowiejski, Legenda Bałtyku (Poznań)
→ Autant son opéra Quo vadis ? manifeste un romantisme (même pas très post-) très traditionnel et tout à fait fluide, autant la Légende de la Baltique (où un pêcheur part à la recherche d'un royaume merveilleux au fond de la mer) s'exprime en flonflons un peu dégoulinants. Je n'ai hélas pas pu entendre l'œuvre dans son intégralité, donc ne puis procéder que par extrapolation, on y trouve sûrement de réelles beautés. Et avant qu'on voie cela hors des frontaliers de la Baltique, précisément…
→ Entre le moment de l'écriture de cette portion de la notule et sa publication, une vidéo a été captée et publiée par Operavision.eu (ex-The Opera Platform), où elle peut être visionnée gratuitement pendant six mois en haute définition et avec des sous-titres français. Occasion assez unique d'approcher cette œuvre (il doit bien exister un disque, mais pour trouver le livret, même en VO ou en anglais, sans doute pas évident du tout). En commençant à regarder, je révise mon avis : tout n'est pas conforme à l'extrait entendu, une histoire traditionnelle de prétendant pauvre qui est traitée avec un langage romantique peu original, mais bien calibré. À découvrir dans tous les cas : comme pour Goplana, l'occasion ne se représentera pas de sitôt !





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Rideau de scène, balcons et coupole de l'Opéra de Plzeň, où l'on joue Libuše.
(Le site des théâtres lyriques de
Plzeň permet des visites virtuelles assez impressionnantes.)



2. Opéras slaves occidentaux : en tchèque


La plupart évidemment en République Tchèque, d'où les indications sous forme de points cardinaux.

Smetana, Libuše à Plzeň (Ouest) et Prague.
Smetana, Les deux veuves à Liberec (Nord)
Smetana, Le Baiser à Brno (Moravie)
→ Trois titres qu'on ne voit jamais en Europe occidentale. Libuše est le plus célèbre des trois, le seul sérieux, dans une veine épique proche de Dalibor, d'un lyrisme très intense et dramatique, vraiment à découvrir.

Dvořák, Le Diable et Katia (Prague, Brno)
→ Très sympathique Dvořák comique, qui réexploite la veine des contes à base de diables amoureux ou dupés. Belle musique (mais ce n'est pas Rusalka ni Armida pour autant).

Janáček, Osud / Destin (Leeds)
Osud est un objet assez particulier : un opéra qui raconte la composition impossible d'un opéra par un compositeur tourmenté (oui, débuté en 1903, la même année que Der ferne Klang de Schreker sur cette même matrice, vraiment l'air du temps), agrémenté en son acte médian d'un horrible accident domestique bien concret, façon Jenůfa – [début spoiler] la mère qui a séparé les futurs époux pendant des années se jette par le balcon et sa fille chute avec elle en voulant la retenir [fin spoiler].
→ Mais c'est plus encore par ses circonstances de composition qu'il étonne : la suggestion d'une dame, rencontrée au spa, qui s'estimait dénigrée dans un opéra de Čelanský et demande à Janáček de composer ce contre-portrait ! Qui fait des choses pareilles ?

Janáček, Les Voyages de M. Brouček (Prague)
→ Fondé sur une nouvelle de l'écrivain emblématique Čech, Janáček voulait pousser le public à l'antipathie envers cet inculte mal dégrossi qui, par la magie de la boisson, se retrouve propulsé dans la Lune, puis, à l'acte II, au XVe siècle. Le résultat est cependant plus attendrissant qu'attendu sur le pauvre bougre totalement désorienté.
→ Dans la veine du Janáček coloré (beaucoup d'effets orchestraux, plus que de lyrisme vocal, assez récitatif), plus du côté de la Renarde que de Jenůfa ou Kat'a, une de ses œuvres les plus chatoyantes.

Martinů, Juliette ou la Clef des Songes à Wuppertal (Rhénanie) et Prague ; livret en français (il existe aussi une version traduite en tchèque, utilisée en l'occurrence à Prague).
→ De la conversation en musique dans un univers surréaliste (le personnage découvre qu'il est en réalité piégé dans ses rêves, et risque la folie s'il n'en sort pas à l'heure du réveil), avec des dimensions par moment quasiment épiques (l'orchestre lors du meurtre !). Un des plus beaux opéras jamais écrits, à mon sens : la pièce de Georges Neveux, avec ses courtes répliques, ses discontinuités, donne un terrain de jeu incroyable pour l'orchestre le plus versatile et luxuriant qui soit, avec un sens de la prosodie française toujours très précis chez Martinů.
→ Les représentations ont été données à présent… et figurent sur Operavision.eu, où l'opéra peut être vu gratuitement avec sous-titres français !

Martinů, La Passion grecque à Karlstad (Suède centre-Sud), Olomouc (Moravie) ; livret en anglais (peut-être en tchèque à Olomouc ?).
→ Son opéra le plus célèbre (écrit en anglais), mais beaucoup plus sérieux, aux couleurs très grises (une aspiration épique qui ne prend pas vraiment, comme pour son Gilgamesh), pas du tout le même charme – jamais été séduit pour ma part.
→ Il est question d'une reconstitution de la Passion, dans un village grec, où les villageois prennent peu à peu la place, pour de bon, des originaux. La résurrection en moins.

Martinů
, Ariane à Düsseldorf et Moscou (au Stanislavski).
→ Là aussi, quelles langues seront utilisées ?  (en français initialement, une autre adaptation directe, seulement avec des coupures, d'une pièce de Georges Neveux, Le Voyage de Thésée)
→ Son troisième opéra le plus célèbre, écrit dans une étonnante veine archaïsante, néo-baroque plutôt que néo-classique, mais pas naïf comme l'Orfeo de Casella, ni grinçant comme beaucoup de pièces néoclassiques… une sorte de musique ancienne fantasmée, un peu (dans un style pas du tout comparable) comme la Renaissance dans Henry VIII de Saint-Saëns. Probablement pas majeur, mais toujours plaisant.

Toutes ces œuvres sont documentées par le disque et trouvables.



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La grande salle et les spectaculaires atlantes de l'Opéra de Bratislava.




3. Opéras slaves occidentaux : en slovaque

Suchoň, Krútňavaen slovaque (Bratislava)
→ Eugen Suchoň (à prononcer Sourogne) est le seul compositeur slovaque à disposer d'une réelle notoriété, même si elle se limite largement à ceux qui s'intéressent au pays…
→ Il naît au XXe siècle (1908), meurt en 1993, mais écrit dans un langage totalement romantique traditionnel – pas particulièrement spécifique d'ailleurs.
Krútňava (1949), son œuvre la plus célèbre, est une histoire de fait divers (un meurtre dans les bois), mais qui donne lieu à des scènes de danses traditionnelles (mariage). Une sorte de Jenůfa dans un langage beaucoup plus sage et dans une atmosphère plus « nationale ». Très grand succès local, mais aussi remarqué hors des frontières.
→ Il en existe une version communisée qui était donnée pour correspondre à l'idéologie du Parti (l'enfant n'est pas du meurtrier, les méchants ne pouvant être rétribués).
→ L'autre opéra de Suchoň, Svätopluk (1959), raconte au contraire l'histoire de complots, alliances et batailles dans la Grande Moravie du IXe siècle (personnages fictifs, mais non sans lien avec l'Histoire, ai-je lu – sans l'avoir encore vérifié).
→ Voici un extrait de Krútňava (un monologue du meurtrier).




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L'élégance (fastueuse) de l'Opéra de Ljubljana, ville qui a davantage tiré sa célébrité musicale des enregistrements de l'Orchestre de la Radio (notamment les volumes de très belle qualité musicale avec Anton Nanut, multiréédités en collection économique chez Bella Musica / Amadis / Arpège / Classica Licorne…). Nouveau titre de gloire plus récent, le Philharmonique de Slovénie dans une magnifique Iolanta chez DGG conçue en écrin pour Netrebko – et cependant le plus bel orchestre que j'aie entendu à ce jour dans une salle de concert. Il existe pourtant des disques de l'Orchestre de l'Opéra, notamment Gorenjski slavček, mais évidemment peu diffusés à l'international.



4. Opéras slaves méridionaux : en slovène

Foerster, Gorenjski slavček – en slovène (Ljubljana)
→ Un des opéras majeurs du répertoire slovène. Musicalement, quelque chose de Martha de Flotow (écriture romantique germanique plutôt sur le versant léger, on a même des duos au comique de répétition assez dans le genre Barbier de Séville) mais avec des aspects plus sérieux, presque épiques, de grands finals choraux, dans un mélange qui évoque davantage Dalibor de Smetana (plus pour la langue et la déclamation que pour la couleur musicale, qui reste très allemande).
→ Moment amusant : un des interprètes se met soudain à chanter slovène avec un accent français, et c'est criant de vérité !
→ Il existe au moins un disque de 1953 (reporté en CD) avec les forces de l'Opéra de Ljubljana, qui se trouve en ligne (1h30).

Parma, Ksenija – en slovène (Ljubljana)
→ Autre opéra populaire en slovénie, court (40 minutes), une intrigue mi-vaudevillesque (des dames se sauvent dans un couvent où elles croisent un ancien amant chevalier fait moine) mi-tragique (tout finit par tourner très mal, duel et dommages collatéraux), et une musique plus dramatique et lyrique que chez Foerster ci-dessus, quelque part entre Weber et Żeleński.
→ On peut l'écouter en ligne ici. Il faut notamment entendre les beaux duos homophoniques qui apportent le duel final.
→ Tout Viktor Parma ne ressemble pas à ceci : son opérette Zaročnik v škripcih (de 1917, mais créée seulement en 2011), « Le fiancé en difficulté », est écrite dans une veine considérablement beaucoup plus légère, peut-être plus encore que le grand-œuvre de Foerster : du Suppé ou du Lehár un peu plus ambitieux. À découvrir ici par exemple.




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L'Opéra de Zagreb, atlantes et intimité. Outre Split (autant le niveau est remarquable à Zagreb, et pas seulement pour l'opéra, autant Split peut être considérée comme une destination musicale plus « provinciale »), les villes de Rijeka et Osijek, peu connues en France, disposent néanmoins de leur maison d'Opéra avec orchestre et troupes de chanteurs et de ballet !



5. Opéras slaves méridionaux : en croate

Ces opéras sont donc spécifiquement écrits dans le dialecte chtokavien de ce qu'on appelle le serbo-croate (et qui comprend quatre principales variantes elles-mêmes démultipliées en sous-variantes selon chaque région, et franchissant allègrement les frontières… balkanisation linguistique, au sens propre). Ce que nous appelons, de notre point de vue, le croate (même si cette variante chtokavienne s'étend très au delà du pays et que l'on parle majoritairement d'autres dialectes dans certaines parties de la Croatie…) ; mais cette spécificité nationale est très importante dans ce contexte d'opéras de la première moitié du XXe siècle, où servir des sujets nationaux avec une langue nationale n'a rien d'anodin, et dépasse d'assez loin le seul goût de la musique.

Zajc, Nikola Šubić Zrinjski – en croate (Zagreb)
→ Le grand opéra national, d'envergure épique, dans un langage résolument romantique malgré son époque, comme pour toutes ces nationalités, à la fois isolées et garanties contre la lassitude ou la décadence des grandes nations. (Les langages du doute pénètrent plus difficilement chez les nations qui en sont encore à l'espoir d'exister et d'être respectées !)
→ Ce n'est pas de la très grande musique, mais cela s'écoute très bien. Se trouve en ligne ici.

Hatze, Adel i Mara – en croate (Zagreb)
→ Des harmonies orientalisantes, tziganes peut-être, sur une prosodie russisante. On entend passer beaucoup de belles parentés dans cette musique, le romantisme généreux des scènes polovstiennes du Prince Igor de Borodine, le lyrisme nordique post-Vaisseau fantôme (façon Thora på Rimol de Borgstrøm), et même les grosses doublures de cordes pucciniennes (en l'occurrence très réussies). Un mélange très avenant et accessible, mais nullement vulgaire, vraiment réussi et très agréable à découvrir.
→ Superbe version de concert récente ici.

Gotovac, Ero s onoga svijeta – en croate (Zagreb)
→ Celui-ci est plus rustique – le sujet n'est d'ailleurs pas si loin d'une Cavalleria rusticana croate. Là aussi, on trouve des modes orientalisants, mais sans la même subtilité ; un lyrisme simple, sans raffinement particulier (Mascagni reste une comparaison valide). J'avoue même avoir senti la longueur (alors qu'Adel i Mara passe comme un songe, et se réécoute même très bien), lorsque la répétition des chants paysans finissent, dans leur dépouillement sommaire, à ressembler de plus en plus à du Orff.
→ On peut en trouver une production scénique (très conservatrice) donnée par l'Opéra de Split, dont les standards ne sont pas les mêmes qu'à Zagreb, clairement, mais qui se laisse écouter.



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L'Opéra Nouveau de Bydgoszcz, au centre-Nord de la Pologne (où l'on joue Halka de Moniuszko cette saison). La ville est aussi connue sous le nom allemand de Bromberg, adopté pendant l'une de ses multiples annexions prussiennes.



    Certes, ce corpus ne constitue pas l'avant-garde de la musique, et revisite, à l'exception des Tchèques, de Różycki et Szymanowski, des langages déjà connus, tandis qu'aux mêmes périodes l'Europe romane et germanique explorait les délices de l'hyperchromatisme, de l'atonalité, des séries, de la musique concrète, du spectralisme…
    Pourtant, que de merveilles à découvrir, dans cet approfondissement des langages familiers… soit pour le plaisir de la curiosité et du dépaysement (Żeleński, Nowowiejski, Parma, Zajc…) soit, pour certains d'entre eux (notamment Różycki et Hatze, comme vous avez pu voir), de véritables accomplissements en matière d'objet opéra.

Belles découvertes à vous, par le voyage ou par la magie des sons dématérialisés !

mercredi 10 janvier 2018

Waltershausen : la difformité et la gloire – Le Colonel Chabert





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Grand récit rétrospectif de Chabert (Bo Skovhus, Deutsche Oper, Jacques Lacombe – chez CPO).



A. Baron de Waltershausen


On trouve assez peu d'informations sur le baron de Waltershausen, fils d'économiste, descendant de l'historien Sartorius – dont la trace persiste dans son nom complet : Hermann Wolfgang Sartorius, Freiherr von Waltershausen.

Un disque CPO a paru il y a un an et le même opéra est programmé à Bonn au début de juillet ; il mérite vraiment qu'on s'attarde sur son cas.

On ne dispose manifestement, à l'heure actuelle, que de cet Oberst Chabert, sur son propre livret comme tous les autres. C'est son deuxième opéra, achevé en 1910, créé en 1912, après Else Klapperzehen (une comédie de 1907), et avant Richardis (1914) et Die Rauhensteiner Hochzeit (1918), Die Gräfin von Tolosa (1936, créé en 1958).







B. Années d'exercice

Le parcours de Waltershausen est en apparence assez représentatif des compositeurs importants du temps : élève du (pas fabuleux) compositeur Ludwig Thuille, condisciple des emblématiques décadents Walter Braunfels, Ernest Bloch, Rudi Stephan

Pourtant, sa vie a une autre allure. Dans son enfance, pour échapper à une tumeur lymphatique cancéreuse (lymphome hodgkinien), il est amputé du bras droit et de la jambe droite. Il étudie pourtant le piano de la main gauche et devient un chef d'orchestre manifestement éminent. Son Colonel Chabert est d'ailleurs reçu avec enthousiasme et se trouve programmé à travers toute l'Europe après sa création à Francfort : Londres, Strasbourg, Bâle, Ljubljana, Vienne, Stockholm… Une centaine de représentations en 25 ans, ce qui, sans être vertigineux, témoigne d'un intérêt soutenu.

Professeur de composition à Munich (où il meurt en 1954) à l'Akademie der Tonkunst, il forme notamment le jeune Eugen Jochum. Il en devient le directeur en 1923, trois ans après son arrivée, mais est renvoyé par les nazis dès 1933 (suite à des moqueries envers Hitler dans les années 20, semble-t-il), et cesse largement de composer à partir de 1937.

[Mais qu'on se rassure, même si Zemlinsky, Schreker, Schulhoff et Waltershausen ont été réduits au silence, Carl Orff a pu continuer à étronner des bouses élaborer des chefs-d'œuvre.]







C. Le Colonel Chabert

Dans la présentation des opéras rares de langue allemande donnés cette saison, je le résumais de cette façon – que, quelques écoutes supplémentaires plus tard, je ne puis qu'approuver gravement :

→ Une merveille. Du postromantisme à la fois généreusement lyrique et très complexe ; très chantant et accompagné d'un orchestre très disert ; à la fois profusif et assez lumineux. Et tout à fait personnel : ce n'est ni du Strauss versant lyrique, ni du Schreker gentil, ni du Puccini germanisé… vraiment un équilibre que je n'ai pas entendu ailleurs, quelque part entre le commentaire orchestral wagnérien et une gestion beaucoup plus directe (italienne ?) de l'action, un lien plus évident entre mélodie vocale et déclamation.

Dans son livret, Waltershausen laisse aussi une place importante à la présence chez l'avoué Derville, et aux récits rétrospectifs (témoin l'extrait en début de notule). Chez Balzac, Hyacinthe Chabert, laissé pour mort à la bataille d'Eylau, revient chez lui pour découvrir que sa femme s'est remariée – et qu'elle n'a aucune intention de lui laisser reprendre une place dans sa vie. En revanche, chez Waltershausen, son épouse Rose (devenue Rosine dans l'opéra) est tourmentée entre deux amours différents, concurrents, incompatibles, personnage plus complexe que l'ancienne prostituée qui s'est dépêchée de se remarier après avoir hérité.



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Duo domestique entre Chabert et son épouse, Rosine Chapotel-Ferraud – Manuela Uhl.




D. Vidéo, disques et représentations

Deux disques.

► Une captation viennoise de 1956, dirigée par Charles Adler, avec Otto Wiener et Julius Patzak (en comte Ferraud, le second mari) – chez Melodram. Tous sont dans une belle forme vocale (Wiener n'a pas ce vibrato lent et blanc qui caractérise désagréablement ses Wagner des années 60).
Contre toute attente, le son d'orchestre est assez satisfaisant (un peu aplati, par endroit occulté par les voix, mais pas trop gris, et on entend assez honnêtement ce qui s'y passe) : les voix sont évidemment captées très en avant, et pourtant on entend des détails d'orchestration étonnants, des soli délicats.



► Mais CPO a publié la bande des représentations à la Deutsche Oper en 2010 (75 ans après la dernière représentation de l'œuvre dans cette institution !), dans un son moderne (quoique un brin lointain pour l'orchestre) et avec une équipe aguerrie, ce qui en fait sans doute la bonne porte d'entrée. Bo Skovhus d'une franchise, d'un mordant, d'une expressivité, d'une facilité confondants ; Manuel Uhl dans un bon jour (pas trop opaque ni hululante). Direction de Jacques Lacombe fluide, naturelle, évidente – comme toujours.


Cette série berlinoise devait à l'origine être mise en scène par le réalisateur Atom Egoyan, mais devant les faibles remplissages des précédentes séries de raretés, la Deutsche Oper a opté pour une mise en espace spartiate (chanteurs assis sur des chaises mais vidéo projetée, étrange), et pour deux représentations seulement.
À lire la presse de 2010, c'était assez bien rempli et un vif succès.

► Et, chose peu explicable… cela a été capté en vidéo, motivation initiale de cette notule. Une vidéo intégrale d'un opéra de Waltershausen, gratuitement mise en ligne alors qu'il ne s'agit que d'une petite mise en espace !  Certes, sans sous-titres, mais quand on connaît un peu la nouvelle-roman d'origine et qu'on a quelques mots d'allemand, ce doit être faisable. (Sinon, n'hésitez pas à engraisser CPO pour avoir le livret.)






Je ne crois pas qu'il existe actuellement autre chose de Waltershausen au disque, et en tout cas pas d'autre monographie, mais j'accueille tout démenti, toute piste avec euphorie – en attendant, peut-être, de vous croiser pour aller crier notre joie en juillet à Bonn.

mercredi 15 novembre 2017

Les opéras rares cette saison dans le monde – #3 : en allemand





landestheater detmold
Le Landestheater de Detmold (Rhénanie du Nord – Westphalie, 73000 habitants, la taille de Cannes hors saison, moins peuplé que Champigny-sur-Marne ou Béziers…), où l'on jouera l'Élégie pour jeunes épris de Henze.
Comme il est d'usage dans les villes moyennes d'Allemagne, il existe non seulement un opéra (650 places…) mais aussi un orchestre permanent (Orchester des Landestheater Detmold, tout simplement) et une programmation assez ambitieuse : Henze, Adès, Wagner, et le Dracula de Wildhorn (dont je parlerai dans la notule sur les rassemblant les œuvres récentes). Bien sûr Mozart, Puccini et Kálmán, comme partout ailleurs.
Malgré son aspect XVIIIe-pragois, le théâtre, détruit par un incendie en 1912, a été conçu à partir de 1914 et inauguré en 1919 (oui, parfaitement, ça ravage la France et ça se contruit des théâtres néoclassiques).




Avant de lire cette notule :
principe général du parcours ;
¶ programmation en langues russe, ukrainienne, tatare, géorgienne ;
¶ programmation en langues italienne et latine.

Une surprise frappante, en observant la programmation du centre de l'Europe (et jusqu'aux franges les plus slaves comme la Bulgarie, l'Ukraine ou la Moldavie) : les opéras les plus donnés dans le monde, si l'on excepte la poignée d'ultra-tubes évidents (Don Giovanni, La Flûte enchantée, La Traviata, Carmen, La Bohème) sont manifestement Comtesse Maritza et Princesse Czardas de Kálmán !  Car l'opérette de langue allemande (éventuellement traduite) est réellement omniprésente à l'Est, de façon extrêmement massive, l'impression d'avoir lu ces titres dans tous les pays de cette région (jusqu'en Roumanie, en Moldavie, en Ukraine) !

Par ailleurs, cette saison est remarquablement riche en véritables raretés de très haute qualité, et l'avoir épluchée me donne moi-même quelques envies de voyage…

J'ai tâché d'ajouter des liens vers les œuvres, lorsque c'était possible, afin de satisfaire davantage votre immédiate curiosité.



landestheater detmold
Intérieur du Théâtre National Antonín Dvořák d'Ostrava, seconde ville de Moravie et troisième du pays. On y donnera Iphigénie en Aulide de Gluck, manifestement en allemand.



1. Opéras baroques et classiques

Telemann, Pimpinone (Opéra de Chambre de Moscou)
→ Intermezzo comique destiné à occuper l'entracte d'un opéra seria, comme c'était l'usage – et, selon la mode hambourgeoise, à la fois en italien et en allemand. Une intrigue de femme rouée qui veut se faire épouser par un riche vieillard, tout à fait standard. La musique n'en est pas vilaine, sans en être spectaculairement originale.
Extrait.

Gluck, Iphigénie en Aulide, en allemand (Ostrava en Moravie)
→ L'œuvre écrite pour Paris, la première présentée par Gluck. Dauvergne raconte dans ses mémoires qu'à la lecture de la partition, les directeurs étaient persuadés que, s'ils donnaient l'œuvre, ils allaient immédiatement ringardiser tout leur répertoire – ce qui advint, d'où la frénésie d'œuvres nouvelles et d'invitation de compositeurs italiens (Piccinni, Sacchini, Salieri, Cherubini…). C'est évidemment une vision rétrospective (et Gossec utilisait le même langage dans Sabinus donné quelques mois avant), mais elle marque bien l'importance de cet ouvrage dans l'esthétique lyrique française.
→ C'est la première partie de la légende d'Iphigénie (son sacrifice), la plus baroque-française des œuvres de Gluck, avec un aspect beaucoup plus galant, moins hiératique que ses tragédies ultérieures. Cela avait tellement touché la sensibilité du temps que les chroniqueurs rapportent que la salle était en pleurs pour les adieux d'Iphigénie (supposée aller épouser son fiancé Achille, mais que son père livre en réalité au sacrifice pour que les Grecs puissent retrouver des vents et partir pour Troie).
→ Il n'est pas inhabituel, même si moins fréquent qu'autrefois, de traduire Gluck en allemand, sans doute considérant ses origines linguistiques.

Mozart, Die Schuldigkeit des ersten Gebots (an der Wien)
Le Devoir du Premier Commandement, la première œuvre lyrique scénique de Mozart (D.35, à onze ans), est un « singspiel spirituel », c'est-à-dire une pièce de théâtre musical à sujet religieux, pas exactement un opéra.  Un oratorio allégorique où discutent l'Esprit du Christianisme, la Miséricorde et la Justice, occupés à secouer les chrétiens tièdes hors de l'Esprit du monde. Mozart n'a écrit que l'acte I, les deux autres – aujourd'hui perdus – étant confiés à (Michael) Haydn et Adlgasser, ses professeurs.
→ Je n'ai pas de données sur la quantité d'aide reçue de son père et de ses professeurs, mais il s'agit déjà de très belle musique, plutôt le haut du panier de son temps, avec déjà des couleurs harmoniques qui caractériseront Mozart toute sa vie. (Évidemment, musique très vocale et décorative, comme on peut s'y attendre avec le sujet et l'époque. Le Mozart dramaturge de génie n'éclot que plus tard.)

Mozart, La finta giardiniera, en allemand (Baden-Baden)
→ Déjà présenté dans la partie italienne, une œuvre qui revient à la mode, vraiment de la structure à numéro bien faite, mais très décorative. À tout prendre, j'aime davantage la Schuldigkeit !

Mozart & co., Der Stein der Weisen oder Die Zauberinsel (Innsbruck)
→ Œuvre collective (Henneberg largement, mais aussi Schak, Gerl et Schikaneder) sur un livret de Schikaneder, avec une équipe d'interprètes similaire à la Flûte. La partition a été retrouvée en 1996 et enregistrée pour la première fois en 1999.



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Les Fées de Wagner seront seulement donnée, cette année dans le monde, au Théâtre d'État (bâti de 1879 à 1899) de Cassovie (Košice), deuxième ville de Slovaquie. Ici, la vue enchanteresse des parterres d'eau qui le séparent de la cathédrale.



2. Opéras romantiques

Spontini, Agnes von Hohenstaufen (Erfurt)
→ Rareté des raretés, un Spontini qui figure parmi ses plus importants, mais qui n'existe au disque, sauf erreur, que dans des versions italiennes (mal captées et très molles).
→ Manifestement assez influencé par le genre spectaculaire français pré-grand opéra (beaucoup de points communs avec l'économie d'Olympie), à la fois vocalisant et recourant aux effets dramatiques issus de l'héritage Gluck (trémolos de cordes), avec un goût pour les grands ensembles, les effets de foule, les trompettes solennelles, mais aussi de très beaux élans vocaux…
→ Lien vers la meilleure bande disponible à ce jour.

Weber, Oberon (Budapest)
→ Bien que Weber se soit mis à l'anglais pour pouvoir mettre en musique Oberon, on s'obstine à le donner encore assez souvent en allemand. (Je crois que c'est le cas pour cette production.) Sans hésitation son meilleur opéra de mon point de vue, avec un sens de l'évocation du merveilleux tout à fait remarquable, sensiblement moins bon enfant et formel que le conte du Freischütz. Le quatuor de l'embarquement (le thème le plus virevoltant de l'Ouverture) ou l'invocation des démons marins par Puck sont des moments qui n'ont pas réellement d'équivalent dans l'histoire de l'opéra.
→ Privilégiez le studio Gardiner plutôt que les vieilles versions visqueuses en allemand (ou, si vous la trouvez, la bande de Minkowski à Anvers !).

Schubert, Fierrabras (Milan)

→ Bien qu'on insiste surtout sur l'image d'un Schubert en butte aux échecs lyriques (et, de fait, il le fut – c'est même la source d'autres théories fantaisistes le concernant), Schubert n'était pas du tout un mauvais compositeur d'opéra, au contraire. Tous ses singspiele ne sont pas d'égal intérêt, mais l'opéra avec récitatifs musicaux Alfonso und Estrella (qui débute par l'un des plus beaux airs de baryton jamais écrits, et dont l'un des thèmes est repris dans le Winterreise – n°16, « Täuschung ») est un bijou absolu.
→ Il en va de même pour Fierrabras, véritable pépite : livret étrange mais original (les amours secrètes de la fille de Charlemagne d'une part ; ceux de Roland avec une mauresque dont le père l'a traîtreusement fait prisonnier d'autre part), où le personnage éponyme ne tient que les utilités. Et surtout, une musique qui déborde de beautés comme Schubert seul sait les concevoir, tel le chœur a cappella ineffable des chevaliers prisonniers, la cabalette sauvage de la mauresque courant sauver Roland, de superbes ensembles, plusieurs mélodrames trépidants (car oui, Schubert est un prince du ton épique )…
→ Pourtant, ses opéras sont finalement assez peu donnés (une production d'un d'entre eux de loin en loin…).

Marschner
, Der Vampyr (Budapest)
→ Une des grandes séries estivales de CSS explorait le détail de l'adaptation depuis les soirées littéraires de Byron jusqu'au livret de cet opéra. Musicalement, c'est une œuvre très marquante (Wagner en a décalqué à la fois l'Ouverture et la Ballade d'Emmy pour son Hollandais Volant), à la fois terrible (spoiler : beaucoup d'innocents meurent) et dotée d'étranges sections comiques (les buveurs persécutés par la matrone).
→ L'œuvre est rarement respectée (son mélodrame au clair de lune, où Ruthven guérit de sa blessure mortelle accompagné par une monodie de cor, est rarement donné avec le texte… certaines versions coupent le texte parlé, etc.), pas beaucoup bien jouée (Rieger et surtout Neuhold sont à écouter au disque), mais elle est à connaître, aussi bien pour son importance sur la scène lyrique du temps que pour ses sommets, dont certains inégalés : le grand récitatif où le vampire raconte son sort, comment il est revenu dévorer la petite dernière qui le suppliait (« Tu vois son visage innocent s'incliner, / Tu voudrais au loin fuir, tu ne peux l'épargner ! / Ton démon t'entraîne, ta soif te possède : / Tu dois verser ce trop cher sang ! »). D'un impact, musical comme théâtral, assez inégalé. Et quel texte au cordeau !

Flotow
, Martha à Annaberg (Saxe) et Innsbruck
→ Martha est restée un classique sur les scènes germanophones et, bien qu'on l'ait jouée en France en français, a surtout connu sa fortune là. Une partition assez riche sur un sujet à la Véronique, où une aristocrate joue à la servante ; l'harmonie n'en est pas pauvre, et les ensembles y sont omniprésents (même s'ils tendent à être écrits uniformément en homophonie, chacun débitant sa ligne de croches). Résultat plein de douceur, d'élégance et de jovialité, qui explique sans doute, avec son livret espiègle et familial, aux héros austeniens un peu tombés de leur piédestal.
→ La version Wallberg vaut le détour chez EMI, aisément disponible, superbement captée, belles rondeurs orchestrale et plateau vertigineux : Popp, Soffel, Jerusalem, Nimsgern, Ridderbusch. Que des chouchous. [ par exemple.]


Verdi, I Masnadieri (Volksoper de Vienne)
→ Également donné, en italien, à Monaco, Bilbao et Rome. Présenté dans la notule consacrée à la programmation italienne mondiale.

Wagner, Die Feen à Košice (Slovaquie)
→ Premier essai (achevé, du moins), et un bijou, qui puise à toutes les écoles du temps, aussi bien Weber que Bellini, avec un certain humour et un savoir-faire très impressionnant. Très beaux airs récitatifs ou quasiment belcantistes, superbes ensembles très densément écrits. J'y avais consacré une série au moment de son passage à Paris : place dans le catalogue, livret, influences musicales, innovations majeures, et la mise en scène d'Emilio Sagi.

Wagner, Rienzi (Innsbruck)
→ Le seul ratage lyrique de Wagner. On le décrit souvent comme du mauvais grand opéra, n'en croyez rien : Rienzi ressemble à un seria de Rossini, en deux fois plus long, et sans aucune mélodie (excepté la jolie Prière, mais ça fait pas bien long). Une sorte de pudding très vertical (n'y cherchez pas des trouvailles de contrepoint !), très long, très fade – mais aussi très lourd. Je ne le dirai pas souvent, mais je ne vois pas trop l'intérêt de se forcer à écouter ça.

Offenbach, Die Rheinnixen (Budapest)
→ Ouvrage sérieux en allemand complètement éclipé d'Offenbach, redevenu à la mode en vingt ans, et qui, sans être devenu un standard, est joué quasiment tous les ans quelque part (et plusieurs fois en France). C'est de là que provient la Barcarolle des Contes d'Hoffmann, certes, néanmoins le reste de l'ouvrage est également d'une très belle qualité (pas seulement mélodique).

Suppé, Die schöne Galathée (Plauen-Zwickau)
→ « Opéra comique mythologique » d'après le livret de Barbier & Carré pour la Galathée de Massé. Une jolie opérette.



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Pour voir Tiefland d'Eugen d'Albert cette année, il faut aller au vaste Opéra de Budapest ou découvrir l'étonnant Opéra de Sarasota, sur la côte Ouest de la Floride. C'est un ancien théâtre de vaudeville, également utilisé comme cinéma, contruit en 1925 dans ce style néo-mexicain, très hacienda-La-Vega – de l'extérieur également.



3. Opéras postromantiques et « décadents »

Cornelius, Der Barbier von Bagdad (Plauen-Zwickau)
→ Toujours donné de loin en loin en Allemagne, même s'il n'est plus autant à la mode (je voix au moin six enregistrements, tous avant 1975 !), supposé dans la veine comique, mais très soigné musicalement, avec des effets orientalisants assez marqués. Pas sans points commun avec Mârouf de Rabaud, dans son genre plus lyrique et plus… allemand.
→ Une vieille version de référence par ici.

Wolf, Der Corregidor (Budapest)
→ Une sacrée rareté. La partition est foisonnante, abstraite, difficile comme du Wolf. Figurez-vous l'harmonie retorse du maître plongée dans un moule dramatique et contrapuntique plus wagnérien, où Wolf aurait mis toute son application. Comme la Pénélope de Fauré, je ne suis pas complètement sûr, à la lumière du seul enregistrement (ancien) trouvéet de la partition piano, que ce soit tout à fait digeste, mais c'est à coup sûr riche et fascinant. Et je ne crois pas que ça ait été donné depuis fort longtemps – ni que ce devienne jamais un hit européen.
→ Une gravure très attirante (Donath, Soffel, Fischer-Dieska) que je n'ai pas encore essayée.

d'Albert, Tiefland (Budapest, Sarasota en Floride)
→ Retour en grâce progressif pour Les Terres basses (même donné à Toulouse en début de saison !), d'un postromantisme aux élans irrésistibles – la descente vers les Terres Basses, c'est de l'ordre de celle chez les Hommes dans Die Frau ohne Schatten de Strauss, à ceci près que le livret est totalement réaliste / vériste, une histoire sordide de berger simplet envoyé épouser la maîtresse (plus ou moins forcée) du potentat local. [Évidemment, ça finit en La maîtresse du roi !  Tout leur sang et le mien ! en mode berger-tueur-de-loups-à-mains-nues.]
→ Plusieurs très belles versions au disque (Zanotelli, Schmitz, Janowski…), au moins dix de disponibles, dont un DVD. Présentation rapide par le passé dans cette notule. Le reste du legs d'Eugen d'Albert n'est pas à négliger, en particulier la formidable Symphonie en fa, qui n'est jamais exécutée en concert, mais a elle aussi été plusieurs fois gravée (au moins trois bonnes versions).

Janáček, Das schlaue Füchslein, version allemande de la Petite Renarde rusée (Aix-la-Chapelle, Hagen, Koblenz)
→ Le meilleur Janáček à mon sens (je ne suis pas le seul), d'assez loin. Probablement le plus coloré, assurément le plus poétique. Celui où l'on entend moins ce côté Puccini chic mais sans mélodies. Et une jolie histoire atypique, qui, issue de vignettes (plus ou moins une bande dessinée, me semble-t-il) parues dans la presse, interroge l'essence de la vie.
→ Assez fréquemment donné en tchèque (y compris sous forme de réductions et arrangements divers – versions de chambre, version en dessin animé…), plus rarement en allemand.

Schreker, Der ferne Klang (Lübeck)
Schreker, Die Gezeichneten (Munich, Komische de Berlin, Saint-Gall)
→ Deux œuvres centrées autour de paraboles artistiques, sur de très beaux livrets du compositeur (surtout la seconde, désormais régulièrement donnée, presque chaque saison, dans les trois principaux pays d'Europe germanophone) qui explorent des formules musicales très riches (contrepoint complexe permanent, superposition d'accords, modulations sophistiquées, etc.) tout en exaltantle détail du texte et sans refuser un lyrisme assez irrésistible. L'écho entre les différents niveaux de lecture et d'écoute les rend tout à fait passionnants, parmi les fleurons de leur époque (années 1910), et Schreker était ainsi perçu jusqu'à sa mise à l'écart par les nazis – qui goûtaient peu le trouble de sa musique et de ses livrets. Ses figures d'artistes errants, criminels et impuissants documentaient assez exactement la société amollie et dégénérée contre laquelle toute leur rhétorique était bâtie.
→ Ce sont ses deux meilleurs opéras. Die Gezeichneten est inapprochable, mais Der ferne Klang reste assez rarement donné, il faut en profiter.
→ Et il en est abondamment question dans le chapitre dédié de Carnets sur sol.

Busoni, Doktor Faust (Osnabrück)
→ Parmi les compositeurs innovants de sa génération, ce Doktor Faust fait partie des rares titres d'opéra à rester peu ou prou à l'affiche au fil des ans. Sans doute grâce au sujet, mais cette vision héritée de Marlowe sans passer par Goethe, sise sur une musique tonale mais qui sent le voisinage de Berg, cherchant de nouvelles possibilités musicales sans renverser la table (Busoni avait théorisé des développements possibles en microtonalité, allant jusqu'à proposer des schémas d'aménagement sur les pianos pour les rendre confcrètement réalisables), ne manque pas de matière ni de qualités. Son principal défaut et que le rythme dramatique n'est pas très effréné, évoluant dans un mystère qui évoque davantage les Scènes de Faust de Schumann que la tension théâtrale la plus spectaculaire du temps. Pour autant, dans ces couleurs ramassées, sombres et discrètes, il se passe réellement quelque chose.

Hubay, Anna Karenina (Bâle)
→ L'œuvre est originellement écrite en hongrois, mais il est très possible, comme cela se fait souvent dans les pays germanophones pour les œuvres rares tchèques ou hongroises (voire les opéras comiques français, pour lesquels il existe toujours une tradition vivace d'interprétation en traduction), qu'elle soit jouée en allemand.
→ HUBAY Jenő (né Eugen Huber) est surtout célèbre comme violoniste ; virtuose, ami de Vieuxtemps, pédagogue, la discographie le documente essentiellement comme compositeur de pièces pour crincrin. Néanmoins, cet opéra, fondé sur une pièce française (Edmond Guiraud), lorsqu'il est écrit en 1914 (mais représenté seulement en 1923), appartient plutôt à la frange moderne, d'un postromantisme assez tourmenté et rugueux. Très intéressante et intense.
→ Hubay a écrit neuf opéras, dont certain sur des livrets assez intriguants : Alienor en 1885 (traduction d'un livret d'Edmond Haraucourt), Le Luthier de Crémone en 1888 (traduction d'un livret de François Coppée et Henri Beauclair), La Vénus de Milo en 1909 (d'après Louis d'Assas et Paul Lindau) et plusieurs inspirés de contes et récits populaires hongrois.
→ Extrait de la version originale ici.

Řezníček, Benzin à Bielefeld (Westphalie)
→ Řezníček appartient à la mouvance des décadents mais sa musique s'apparente souvent à un postromantisme assez formel et opaque, pas très chaleureux. Benzin (pas été donné depuis 2010 à Chemnitz, me semble-t-il) échappe à cela, avec des couleurs orchestrales et des grincements plus caractéristiques, mais j'attends toujours d'être réellement saisi par ce grand représentant du temps, ami de R. Strauss, partagé entre sa formation à Graz et ses succès à Prague et à Berlin.
Court extrait de la production de Chemnitz.

Krása
, Brundibár (Sassari, Linz)
→ Opéra pour enfants (le protagoniste étant un chœur d'enfants), récrit dans les camps pour les prisonniers du camp, où est mis en scène une sorte de croquemitaine dérisoire, de tyranneau vaincu par l'union des enfants et des animaux. Plus simple que le Krása habituel, pas vraiment passionnant en soi, plutôt un témoignage culturel de l'art (et de l'humanité) qui pouvaient survivre dans les camps. La première version en 1938 exalte plus le patriotisme, ai-je lu, que la version de 1943 habituellement donnée, plus tournée vers le retour d'une forme de justice.

Waltershausen
, Oberst Chabert (Bonn)
→ Une merveille. Du postromantisme à la fois généreusement lyrique et très complexe ; très chantant et accompagné d'un orchestre très disert ; à la fois profusif et assez lumineux. Et tout à fait personnel : ce n'est ni du Strauss versant lyrique, ni du Schreker gentil, ni du Puccini germanisé… vraiment un équilibre que je n'ai pas entendu ailleurs, quelque part entre le commentaire orchestral wagnérien et une gestion beaucoup plus directe (italienne ?) de l'action, un lien plus évident entre mélodie vocale et déclamation.
→ Il existe un très beau disque CPO capté à la Deutsche Oper, merveilleusement dirigé par Jacques Lacombe et impeccablement chanté (M. Uhl, Very, Skovhus, tous trois dans un très bon jour) – extrait ici.

Hindemith, Mathis der Maler (Gelsenkirchen)
→ Resté très célèbre grâce à sa suite, une des œuvres les plus enregistrées de Hindemith, et toujours donné de temps à autre, Mathis trace le portrait de la société qui entoure un peintre (anachroniquement) visionnaire, forcément esseulé au milieu des enjeux de la politique – et même de l'amour. Le langage y est riche, mais homogène, sans recherche du spectaculaire, fondé essentiellement sur la recherche harmonique. Sans être complètement austère non plus, un opéra assez regerien, ce que ne dévoile pas complètement la Suite, qui en regroupe les passagesles plus chatoyants (pas forcément les meilleurs, au demeurant, l'opéra me paraît autrement intéressant !).
Hindemith, Cardillac (Florence, Salzbourg, Tallinn)
→ Mâtiné d'enquête policière, ici encore écrit dans une logique qui reste postromantique, un lyrisme réel mais peu expansif, et largement tourné vers la recherche harmonique interne. Déjà donné et même repris à Paris par Gérard Mortier qui avait vivement milité pour cette œuvre…
Hindemith, Neues vom Tage (Schwerin)
→ Opéra « joyeux » (lustige Oper) mettant en scène un couple qui (essaie de) divorcer. Créé en 1929 au Kroll-Oper de Berlin par Klemperer (les wagnériens de l'Âge d'Or seront intéressés de savoir la présence de Dezső Ernster dans la distribution), et retravaillé pour une première napolitaine en 1954 en italien, avec Giuseppe Valdengo dans le rôle du mari, mais aussi Plinio Clabassi… et qui faisait le Quatrième Chef de cuisine (c'est-à-dire le dernier des ténors chantant un chef de cuisine), à votre avis ?  Piero De Palma. Je n'invente rien.
→ L'œuvre est écrite dans un langage étrange, mélange de couleurs néoclassiques, de tonalité sans direction nette influencée par Schönberg… Elle s'ouvre par un magnifique échange de noms d'oiseaux (dans le sens le moins ornithologique possible).

Schoeck, Penthesilea (Bonn)
→ Le Schoeck le plus vindicatif qui soit. Un drame de 1925, d'une heure et quart, qui claque et qui tranche terriblement, très loin du Schoeck poétique des lieder ou des pièces orchestrales, un bel équivalent d'Elektra dans un langage plus intériorisé mais tout aussi dramatique. Un chef-d'œuvre bien connu des amateurs de musiques décadentes, et trop peu représenté sur les scènes.
→ À écouter ici.
Schoeck, Das Schloß Durande (Bonn)
→ Son dernier opéra, de 1943, fondé sur Eichendorff. Rarissime. Et il y a de ces poussées lyriques là-dedans, comme ce duo emblématique !  L'œuvre a peu été redonnée pour des raisons politiques/éthiques évidentes – son association (quoique purement artistique, semble-t-il) avec les artistes nazis avait été assez mal perçue dans sa Suisse natale.

Korngold, Der Ring des Polycrates (Dallas)
→ Premier opéra de Korngold (achevé en 1914, créé en 1916) – c'est-à-dire  avant Violanta et Die tote Stadt. On y entend déjà le lyrisme débordant et l'orchestration rutilante qui font sa marque, même dans cette virvoltante conversation en musique : glissandi de harpe et fonds de célesta et glockenspiel y sont la norme. Un bijou.
→ [Une seule version, chez CPO, superbement distribuée et interprétée par le DSO Berlin, qu'on peut préécouter ici.]
Korngold, Das Wunder der Heliane (Anvers, Berlin)
→ L'opéra qui suit La ville morte (et précède son dernier sérieux, Die Kathrin), nettement plus vénéneux, et au sujet parfaitement décadent, à base d'expériences cruelles, de nudité et de surnaturel. Beaucoup plus tourmenté, moins franchement lyrique que ses autres pièces. La série d'Anvers est finie à présent.
→ [Voyez ici une vidéo certes imparfaitement exécutée, mais mise gracieusement en ligne par le chef.]

Orff, Der Mond (Prague)
Orff, Die Kluge (Prague)
→ Quelle n'est pas la surprise lorsqu'on souhaite découvrir Orff, se disant qu'après tout il avait bien saisi une forme d'essence archaïsante dans ses chansons à boire de moines… et qu'on s'aperçoit qu'il a en réalité tout écrit dans le style des Carmina Burana !  Que ce soient des textes de Catulle ou des actions dramatiques, on y retrouve les mêmes mélodies naïves, les mêmes harmonies brutes, les mêmes grosses doublures orchestrales à coups de cors…
Der Mond (« La Lune ») laisse vraiment affleurer ces répétitions assez pauvres, quasiment pré-minimalistes (sans du tout le même projet de renouvellement, évidemment), tandis que Die Kluge (« La jeune fille avisée »), peut-être grâce à son sujet, réussit un peu plus de légèreté populaire, sans s'abstraire non plus de ces formules. [La jeune fille prévient son père de ne pas remettre le trésor au roi pour ne pas être emprisonné, répond à trois énigmes pour sauver sa propre vie, réussit un jugement de Salomon pour attribuer un petit âne et enferme finalement le roi qu'elle a épousé… Mais l'opéra n'est pas très mobile pour autant. Disons que la musique sied bien aux enfants.]
→ En principe, ce devrait être chanté en langue originale, comme c'est l'usage au Théâtre National de Prague ; néanmoins, je l'ai entendu, donné en ukrainien à Kharkiv en 2015… tout reste envisageable. On peut écouter ici et .


von Einem, Dantons Tod à Magdebourg et Vienne (Staatsoper)
von Einem, Der Besuch der alten Dame à Vienne (an der Wien)
→ Étrange chose que le legs de von Einem. Beaucoup de patrimoine littéraire, déjà  : son Proceß a déjà été remonté et capté, on pourrait faire de même avec Kabale und Liebe ou Jesu Hochzeit – Noces de Jésus avec la Mort (« Tödin »), si j'ai bien suivi, rien de trop blasphématoire.
→ Pour Der Besuch, Friedrich Dürrenmatt a lui-même adapté sa tragi-comédie restée très célèbre (toujours représentée, et il existe même une assez jolie comédie musicale dessus…) ; la musique en est assez conforme aux modèles de Gottfried von Einem (Bruckner et Reger, bien qu'on soit en 1971 !), plutôt traditionnelle mais assez grise – une sorte de Hindemith plus conservateur et plus lyrique.
Dantons Tod, son premier opéra et le plus représenté ou (à l'occasion) enregistré, se fonde (avec l'aide de Boris Blacher) sur le drame de Büchner, et est à mon sens plus réussi – mais encore plus troublant. Au Festival de Salzbourg de 1947, il propose ainsi cet opéra hindemithien, où l'on s'exprime par de grandes tirades lyriques (sur ce texte détaillant parfois la Constitution ou les formes juridiques du procès…) proche des véristes (les lignes vocales n'y sont pas si éloignées d'Umberto Giordano…), tandis que l'orchestre semble parfois partir en ponctuations modernistes autonomes, issues de l'écoute des dodécaphonistes. Certains endroits paraissent très traditionnels quoique peu chaleureux, d'autres touchent à une certaine grâce (le Prélude du procès, et d'une manière générale les interludes). Quelle bizarrerie, entendre des comptes-rendus de réunion du Parti Communiste chantés comme Turandot avec des accompagnements qui s'ébrouent comme du Schönberg dernière manière mais dans un langage qui reste fidèle à Reger !  [Sans parler de Robespierre tenu par un ténor de caractère, quelle fantaisie…]
→ Aucune des éditions que j'ai consultées ne contiennent de livret traduit (uniquement monolingue), aussi cette vidéo d'une mise en scène d'Otto Schenk (remarquablement dirigée par Leitner), qui comporte les sous-titres anglais, pourrait-elle sauver quelques-uns d'entre vous.



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Le Schleswig-Holsteinisches Landestheater (théâtre du Land du Schleswig-Holstein) de Flensburg – une des villes majeures de la région, même si elle rayonne moins à l'international que Kiel ou Lübeck. Le seul endroit où sera donné Le Grand Macabre de Ligeti cette saison. Parmi les autres théâtres de la ville, il en existe notamment un spécialisé dans les pièces données en danois.



4. Opéras du second vingtième siècle

Menotti, The Consul en allemand (Bremerhaven, Goerlitz, Krefeld, Innsbruck)
→ Un sujet original, qui mêle le sort de la famille d'un opposant politique traqué et l'attente dans le consulat — qui est à la fois le lieu d'une indifférence cruelle, et le terrain propice à toutes les facéties librettistiques. Mélange musical de conversation en musique, de Puccini, de Britten et de plusieurs des veines de Poulenc…
→ Un opéra qui n'est pas majeur sans doute, mais très payant scéniquement. Plus de détail (et des sons) par ici.

B. A. Zimmermann
, Die Soldaten (Madrid, Cologne, Nuremberg)
→ Considéré comme le second Wozzeck du XXe siècle, pour un orchestre encore plus démesuré et un sujet tout aussi sordide, dans un langage similaire d'une atonalité à la fois apparemment sèche et extraordinairement riche en détails. Donné ponctuellement dans les pays d'Europe qui valorisent ce répertoire (de langue allemande essentiellement, en plus du microclimat madrilène, où fut tout de même donné l'autre Wozzeck, celui de Gurlitt).

Ligeti
, Le Grand Macabre à Flensburg (Schleswig-Holstein)
→ L'opéra où triomphent le burlesque et l'absurde. Ça rugit de partout. Grand classique dont l'impact dépend surtout, je crois, des affinités littéraires. Mais on ne fait pas plus vivant et bigarré, du véritable théâtre musical.

Henze, Das Floß der Medusa (Amsterdam)
Henze, Elegie für junge Liebende (Detmold)
Henze, Der junge Lord (Hanovre)
Henze, Pollicino (Cologne)
→ Trois opéras des années 60. Le Radeau de la Méduse (écoutez) explore une atonalité avec des pôles très audibles, comme les quatre premières symphonies du compositeur, beaucoup de parties parlées en sus. Très séduisant dans ce genre-là. L'Élégie (écoutez) s'en rapproche, mais surtout chanté, sans doute moins facile d'accès, et plus intéressé par les agrégats, les volutes vocales : moins direct et dramatique. Le Jeune Lord est écrit dans une atonalité plus libre, plus horizontale, avec des touches orchestrales qui évoquent le cabaret expressionniste – j'aime moins, mais c'est purement une affaire de goût individuel.
Pollicino, plus tardif (1980), est totalement différent, opéra pour enfants, sorte de patchwork alliant l'archaïsme baroqueux, le piano, le xylophone et le célesta.



 
landestheater detmold  landestheater detmold
Le Landtheater de Bremerhaven (le port en aval de Brême) propose seulement un immense parterre et un petit balcon, uniquement de face, dans une boîte capitonnée (qui doit être assez satisfaisante acoustiquement si les matériaux sont à la hauteur). On y jouera Le Consul de Menotti en allemand, tout comme à Krefeld (entre Düsseldorf et Duisburg), qui adopte le même principe, en moins luxueux. Ce patron semble avoir été assez en vogue en Allemagne – c'est aussi celui de la Volksbühne de Berlin, voyez vous-même.



Une saison germanophone extrêmement riche en découvertes, à la fois particulièrement rares et de qualité éprouvés, donc. Peut-être est-ce lié à des impulsions mémorielles pour mettre en valeur les artistes classés comme sous l'étiquette entartete, ou bien à l'abondance de l'offre (et au public, un des plus avertis au monde, il n'y a voir comme le moindre étudiant allemand devient konzertmeister dès qu'il atterrit dans un orchestre universitaire français…). En tout cas, de quoi goûter les plus hauts régals.

Il existe sans doute quantité d'opéras et oratorios baroques en langue allemande, donnés dans des salles qui ne sont pas spécialisées dans l'opéra (je n'ai regardé que les maisons d'opéra, quasiment pas les salles de concert symphoniques), ainsi que bien d'autres productions peut-être données en format radio… La liste des réjouissances était en tout cas fournie !

Une grande quantité d'opéras contemporains est écrite en allemand (l'autre langue massivement utilisée étant de plus en plus l'anglais). J'en parlerai dans la notule consacrée précisément aux œuvres (choisies, car nombreuses, et toutes rares par définition, puisque neuves) de compositeurs vivants. Il y a beaucoup à dire là-dessus, et cette liste est assez révélatrice des tendances à l'œuvre. À bientôt !

lundi 2 octobre 2017

[Carnet d'écoutes n°111] – cycle John Adams


Et ici aussi, une collection d'instantés sans retouches, autour d'une série d'écoutes Adams… du matériel pour inviter à la découverte !


Doctor Atomic, « Batter my heart »
Vraiment une chouette pièce… j'aime beaucoup les boucles décalées qui créent de nouvelles associations mélodiques (on est assez proche de Short Ride in a Fast Machine, les glissements harmoniques qui rendent l'aspect répétitif intéressant… et le décalage avec le poème, bien sûr. Henschel s'en tire remarquablement, moins moelleux que Finley, et peut-être plus encore en maîtrise, plus franc – la mise en scène, en revanche, ne joue pas dans la même cour, Sellars réussit vraiment son effet.

Doctor Atomic, « Batter my heart ». Henschel à Strasbourg.
L'orchestre a ses limites dans cette musique, mais la beauté de la musique est vraiment saisissante : ni rengaine, ni abstraction, l'exotisme du texte… et surtout ces interludes en boucles décalées, dont les textures se mélangent au fil des réitérations. I love you
Henschel, dont on dit régulièrement qu'il est fini (et qui a ses irrégularités) tient remarquablement la tessiture très tendue, avec beaucoup d'expression.
En tout cas, une scène qui marque.

Doctor Atomic, « Batter my heart ». Finley à Amsterdam (Philharmonique des Pays-Bas).
Finley est plus vaillant mais aussi plus en force que Henschel, portrait assez différent, dans une mise en scène autrement marquante (Sellars montre sa maîtrise ici…). Le Philharmonique des Pays-Bas, qui assure la majorité des soirées à l'Opéra d'Amsterdam (où tournent les autres orchestres néerlandais : Concertgebouw, Rotterdam, La Haye, etc.) montre de quelle étoffe il est fait, d'une virtuosité et d'un éclat qui évoquent le LSO…

Doctor Atomic Symphony – St-Louis Symphony, Robertson (Nonesuch).
La matière musicale est superbe, mais je trouve ça moins fort retiré de son contexte dramatique, en bonne logique. Interprétation assez molle de Robertson et timbres un peu ternes de l'orchestre, aussi. Néanmoins l'une de rares œuvres lyriques à pouvoir survivre musicalement hors contexte.

Guide to Strange Places – St-Louis Symphony, Robertson.
Peut-être l'Adams que j'aime le plus. Dans une veine similaire aux ritournelles de Batter, avec ces pépiements et ces décalages, mais avec une véritable qualité poétique qui se passe très bien, cette fois, de texte.

Harmonielehre – San Francisco Symphony, De Waart (Nonesuch).
Côté très décadent et assez schrekerien, comme tout le monde a dit. Cela dit, pour admirable qu'il soit, c'est une œuvre qui me paraît tout de même un peu froide dans sa perfection profusive. Elle ne suscite pas beaucoup d'affects en moi en tout cas.

Chamber Symphony – London Sinfonietta, Adams
Bien.

Grand Pianola Music – London Sinfonietta, Adams
Étrange (en particulier la fin avec le piano chopinien), mais toute cette musique hétéroclite me séduit, tout est à la fois accessible et sophistiqué, familier et personnel. Très belle réussite.

Short Ride in a Fast Machine – San Francisco Symphony, Tilson-Thomas.
Prise de son un brin terne, comme souvent dans les SFSO-MTT, ça n'a pas le même impact que De Waart, par exemple (et même Alsop, c'est dire…).

Concerto pour violon – Hoppe, MDR Leipzig, K. Järvi
C'est bien, mais ça reste un concerto pour violon… De la belle musique, mais dont la matière est un peu détournée vers l'agilité digitale…


Et écouté un peu plus tard : 

♦  Century Rolls – Ax, Cleveland, Dohnányi (Nonesuch) 
Vraiment un côté piano mécanique, pas très passionnant. Dans ce genre, Grand Pianola Music me paraît autrement varié et abouti !

♦  Lollapalooza – Hallé O, Nagano (Nonesuch) 

♦  Slonimsky's Earbox – Hallé O, Nagano (Nonesuch) 
Pléthorique, stavinskien, sympa.


Le mystère des tartelettes :

Suite de la notule.

lundi 29 mai 2017

[Sursolscope] – programmes possibles de juin 2017


Puisque je n'ai pas le droit de m'en abstraire (oui, on m'a crié qu'on m'aime, et je bougonne, parfaitement), voici quelques petites recommandations pour le mois de juin à Paris et un peu au delà, avant de basculer dans l'univers assez différent des concerts d'été.

Cette fois encore, pour des raisons de praticité, je me limite à une petite expansion de ce que j'ai déjà collecté pour mon usage personnel, donc en région Île-de-France essentiellement. La sélection ne se limite pas à Paris ou, du moins, est faite après la lecture des programmes de la plupart des salles de la région – en musique en tout cas, puisque l'offre de théâtre est tellement incommensurable que je me limite à indiquer quelques-unes de mes marottes.

Je proposerai plus tard un retour sur les différents concerts vus en mai et non couverts par la dernière notule de bilan. C'est que je souhaite, comme déjà exposé, limiter le temps passé à la chronique du temps pour explorer plutôt les œuvres, comme fait récemment avec Alcione de Marais, le théâtre de marionnettes de Maeterlinck, les musiques de scène de Chausson ou le répertoire du triangle… Le temps d'écriture étant structurellement limité (ne serait-ce que par le temps passé à voir les spectacles, et à écouter les disques, à lire les partitions… et par tout le reste d'une vie), autant le faire porter sur des domaines où l'offre est moins abondante que le commentaire de spectacles.

En rouge figurent les concerts qui me paraissent particulièrement prometteurs – je n'irai pas nécessairement, mais je suis confiant sur l'intérêt des œuvres et/ou le résultat.





juin 2017
Ou bien, une autre possibilité d'activité en juin.
(Clairière française stéréotypique, presque caricaturale,
 trouvée à l'Est de Saint-Chéron –
pris le 13 mai dernier à 19h21, si vous êtes curieux.)






Baroque italien

☼ Madrigaux de Marenzio, Luzzaschi, Le Jeune, Monteverdi et Flecha pour le récital de fin d'études d'une chantre du CMBV (voix de dessus). Bibliothèque municipale de Versailles, le 21 à 19h.

☼ Vêpres de Monteverdi par Pichon le 11 à la Chapelle Royale de Versailles. En avant les couleurs !

☼ Concert de fin d'études d'un chantre du CMBV (haute-contre) dans des œuvres (rares) de Salomone Rossi et Louis Saladin. Hôtel des Menus-Plaisirs (Versailles), le 30 mai à 19h. Gratuit.





Baroque français

♥ Concert de fin d'études d'un chantre du CMBV (haute-contre) dans des œuvres (rares) de Salomone Rossi et Louis Saladin. Hôtel des Menus-Plaisirs (Versailles), le 30 mai à 19h. Gratuit.

Airs de cour Louis XIII par l'ensemble Correspondances : Constantin (l'un des compositeurs du Ballet de la Nuit), Boësset et Moulinié. Le 11 à 18h30, Maison de la Radio.

Airs de cour de Lambert et Charpentier par l'Yriade et son directeur musical Cyril Auvity. Opéra-Comique, le 16.

♥ Grands motets de Lalande à la Chapelle Royale les 30 et 31 mai. Pas les plus intéressants à mon sens, incluant notamment le fameux Te Deum, loin d'être son œuvre la plus rafinée comme le Confitebor ou surtout le miraculeux Jubilate Deo omnis Terra, enregistré une seule fois par Colléaux, jamais réédité ni réenregistré. Mais c'est le Poème Harmonique qui officie, et avec littéralement les meilleurs : Šašková, Negri, Auvity, Clayton, Morsch !

♥ Charpentier sacré aux Blancs-Manteaux le 1er : Messe des morts, Te Deum, Dixit Dominus, par le chœur amateur La Fontenelle, préparé toute l'année par l'excellent spécialiste Martin Robidoux. Seul obstacle : le prix, 20 à 25€ pour un chœur amateur (et des œuvres qui ne sont pas, hors du Dixit Dominus, si rares).

♥ Rattrapage possible pour Alcione de Marais, donnée à l'Opéra Royal de versailles le 9 et le 11.

♥ L'Ode de Fortune de Pancrace Royer par une basse-taille chantre du CMBV (récital de fin d'études) le 7 à 19h, à l'Hôtel de ville de Versailles. Gratuit.





XVIIIe siècle

Royer et Duphly, les aspects spectaculaires puis galants du clavecin du milieu du XVIIIe siècle par les élèves du Conservatoire du VIIe arrondissement, à l'Hôtel de Soubise, le 28.

□ Immanquable, la résurrection de la Phèdre de Lemoyne, l'un des grands succès de la période post-gluckiste, un compositeur dont on n'avait encore rien. Aux Bouffes-du-Nord, Julien Chauvin la remonte en version de chambre pour 4 chanteurs et 10 instruments. Sa dernière tentative dans ce genre, pour Atys de Piccinni (mais en plus seulement sous fortme d'extraits), était un enchantement. Du 8 au 11 juin, tarif unique de 30€.

□ Amandine Beyer et du pianoforte, dans Mozart et Dussek notamment. Seine Musicale, le 24 à 16h30.





Opéra romantique français

† La Princesse de Chypre d'Halévy le 7 au TCE (Gens, Niquet). L'œuvre (je l'ai jouée, il y a lontemps) n'est pas le plus grand Halévy, clairement, loin des fulgurantes, même ponctuelles, de La Juive ou de Charles VI (« jamais en France, jamais l'Anglais ne règnera »), mais les récitatifs sont fermement prosodiés et les ensembles nombreux. Ensuite, mélodiquement et harmoniquement, l'ensemble est un peu chiche : ça ne ressemble pas à du belcanto romantique, mais ce n'est pas forcément beaucoup plus complexe – les altérations, il faut les attendres. Comme l'action avance bien et que sa construction générale tend justement à exalter le naturel et le théâtre, ce devrait très bien fonctionner en salle.
J'y serai, mais je vends deux (bonnes) places au-dessous des prix du marché (25€ au lieu de 30).

† Airs d'opéra français par Brahim-Djelloul, Guèze, Sempey, pas forcément la fête vocale pour les deux derniers, mais une très belle sélection Rossini, Meyerbeer, Halévy, Thomas, Delibes, Chabrier, Reyer, Messager, Hahn, Saint-Saëns… Je bouillonne du détail de ce qu'on pourrait donner – même si je crains qu'une partie soit confisquée par des airs virtuoses plutôt que par des trios, surtout considérant l'intitulé diva et la conception co-confiée à Brahim-Djelloul (les autres étant décrits comme des compléments)… Accompagnement par Pasdeloup, le 11 à 16h30.
[Oh, mais je vois que Julien Dran remplace Sébastien Guèze, excellente nouvelle, même si je me demande ce qu'on pourra en entendre au fond de la Philharmonie – enfin, vu que les derniers « réglages » rendent les voix immenses, peut-être pas.]

† Récital d'opéra français pas trop fréquent (Chabrier notamment) par Arquez et Bou à l'Opéra-Comique, accompagnement au piano. Devrait être très intense par ceux-là.

Le Timbre d'argent de Saint-Saëns, que je n'ai jamais écouté ni lu (mais les opéras de Saint-Saëns sont tous excellents). Je l'ai déjà dit, j'attends beaucoup Frédégonde, qui a l'air très beau à la lecture, d'une richesse plutôt comparable aux Barbares, mais Agnès Terrier nous le survend comme l'un des meilleurs livrets de tous les temps, et comme une œuvre d'une densité musicale particulière, alors je tâche de ne pas trop lâcher la bride à mon exaltation et me contenterai d'être au rendez-vous la bave aux lèvres.





Musique de chambre romantique et postromantique

→ Les grands standards de la guitare : Weiss (transcrit, mais comme le luth s'écrit aussi en tierces et quartes, les doigtés demeurent comparables), Giuliani (dont la naïveté gracieuse ne manque pas de séduction), Albéniz, Piazzolla, Hôtel de Soubise le 17.

Le violoncelle français du XIXe siècle au château d'Écouen le 10. Franchomme & friends, je suppose, je n'ai pas encore le programme, mais c'est manifestement dans une perspective un peu érudite, par des musiciens du CNSM, ce devrait être intéressant. Gratuit sur réservation.

→ Festival Bru Zane de musique de chambre aux Bouffes du Nord. Très appétissant, mais cher pour de la musique de chambre (25€, c'est plutôt de l'entrée de gamme pour de l'opéra dans les grandes maisons), alors que l'offre est déjà riche dans la capitale, donc je ne recommande qu'avec mesure, même si les interprètes sont remarquables. Quintette de La Tombelle le 12, Trio de Gouy par le Trio Sōra le 15, récital Gens-Manoff le 16…
[Le Trio Sōra joue un quatuor de Gouvy, puis se mêle à d'autres musiciens pour des œuvres (un peu) moins rares : Lekeu, Chanson perpétuelle de Chausson. Dans le cadre du festival Bru Zane aux Bouffes du Nord – toujours le même problème du tarif élevé concernant les standards de la musique de chambre à Paris, mais ce sera magnifique.]

Variations de Bizet (impressionnantes), Appassionato de Saint-Saëns, Rhapsodies de Brahms et Prélude, Choral & Fugue de Franck par Oppitz salle Turenne le 16. Décidément, après Rzewski plus tôt dans la saison, le lieu de la virtuosité alternative au piano.

→ Quintettes de Brahms et Castillon au Musée d'Orsay le 13 à 12h30. Avec Heisser et le Quatuor Cambini Paris (sur instruments anciens, Julien Chauvin premier violon).

Quatuors de Beethoven (n°7) et Debussy par le Quatuor Akilone. Hôtel de Soubise, le 24.

→ Lucas Debargue, un des jeunes pianistes très intéressants même dans les répertoires rebattus, à la fois virtuose, exécutant très structuré et doté d'une réelle personnalité musicale, joue un programme Schubert-Szymanowski à l'église d'Auvers-sur-Oise, le 29 à 21h.

→ Concert de quatuor au musée Moreau (le 13) : Beethoven 10 et Bartók 5 – mais par des membres de l'Orchestre de Paris, c'est-à-dire avec une habitude (et un nombre de répétitions surtout !) moindre que chez les ensembles constitués, même de faible renom (j'avais été frustré par leur Schumann-Kurtág, mais ce reste valable pour la plupart des quatuors d'orchestre).





Lieder et mélodies

♪ Programme soprano-guitare avec Julia Jérosme à L'Isle-Adam (21h) le 22. Paganini, Giuliani, Mertz, Tarrega. (20€.)

Wagner (Wesendonck), Brahms, Gounod, Duparc, Chausson (Chanson perpétuelle), par Deshayes et Cassard salle Turenne, le 9.

Lieder de Weigl (un bon symphoniste post-romantique, assez spectaculaire) à la Maison de la Radio le 10 à 16h. Couplage (pour remplir, mais pas aussi utile), avec la Nuit transfigurée (celle de Schönberg, hélas).

♪ Pour ceux qui se se le demandaient, le programme d'Anja Harteros a enfin paru : Schubert, R. Strauss, Berg, pas que des scies au demeurant, mais mon pari insensé « comme son public est captif, elle va oser la confrontation Pfitzner / Schreker » était… un pari insensé. Je revends ma place, bien sûr. Ça partira très vite, faites vite signe si vous êtes intéressé.

Hölderlin-Fragmente et Winter Words de Britten par le duo Bostridge-Drake (qui jouera auparavant la première moitié du Winterreise, au musée d'Orsay le 1er. Probablement complet, mais ce devrait être bien dans ce petit espace.

Fabien Hyon propose une fois de plus un programme original et ambitieux. Au Petit-Palais à 12h30, le 15. Ohana, Falla, Turina, Granados, Canteloube, et les cocasses (pas musicalement…) Hermit Songs de Britten.

♪ L'inaltérable Françoise Masset dans un programme avec guitare à la Maison du Danemark le 14 à 19h.





Musiques chorales

♫ L'étrange cantate de Niels Gade autour d'Ossian est jouée par Laurence Équilbey avec l'Orchestre de l'Opéra de Rouen. On peut prévoir une exécution qui n'est pas la plus vive pour une œuvre qui n'est pas la plus saillante, mais le fait même de le donner attise immanquablement la curiosité – d'autant qu'un commentateur de céans affirmait, plus tôt dans la saison, que ce n'était pas si mal.

♫ La Maîtrise de Radio-France chante Britten et Cui (et Lauridsen en français le 20 à 19h à Bondy. Gratuit.

♫ Le formidable Chœur de l'Orchestre de Paris donne un programme pour la Fête de la musique le 21. Et tout l'après-midi se succèderont, dans la cour de l'Hôtel de Soubise, des concerts gratuits de formats très divers.





Autres spectacles bizarres


Concert du Prix de direction du CNSM à la Cité de la musique le 22 (programme peu original, je ne l'ai pas relevé). Gratuit.

« Symphonie en si mineur », reconstitution de fragments de Debussy par Colin Matthews (également orchestrateur des Préludes, me semble-t-il), à la Maison de la Radio le 16. Je préviens, ce n'est pas très bon : ça ne ressemble pas à du Debussy (même pas vraiment à celui de L'Enfant prodigue et du Gladiateur) et ce n'est pas de la grande musique. C'est surtout le plaisir de voir écrit sur le poème « symphonie de Debussy », ce qui m'amuse tout autant que les programmateurs, manifestement.

Un concert-installation soviétique au Centquatre, le 8.

Dracula de Pierre Henry à l'Athénée, les 2 et 3 juin. Je n'arrive pas à trouver d'informations précises sur l'œuvre : je me doute bien que ce ne doit pas être un arrangement servile de l'intrigue de Stoker, mais il doit y avoir Déserts de Varèse dedans (partie orchestre ou partie bande ? – la première est un bijou, la seconde… a vieilli), et aussi la présence du Balcon, ensemble instrumental spécialiste. Quelle est donc la part d'Henry ?  Le concept d'ensemble ?  Narratif, atmosphérique ?  J'aimerais bien pouvoir déterminer si c'est plutôt une économie générale façon Lighthouse ou façon Ismène.

Une création de Czernowin (enfin, déjà jouée aux Pays-Bas, me semble-t-il, et coproduite avec la Philharmonie) le 14 à la Cité de la Musique, mais de ce que j'ai entendu de sa musique vocale, c'est touffu, moche, sans ligne directrice perceptible et assez vain… mais d'autres aiment beaucoup.
En tout cas, ce n'est pas du contemporain qui trace le lien avec l'ancien monde, la tonalité, les pôles, plutôt du contemporain-bricoleur (s'il y a des amateurs, ça se rapprocherait plus d'une esthétique du genre des Nègres de Levinas, je dirais). Je m'étais promis d'écouter l'œuvre avant de dire des généralités négatives sur la compositrice (qui m'a tellement déplu que je l'ai peu écoutée, et peux donc me tromper lourdement à son sujet), mais on est en juin dès le milieu de la semaine et il faut bien que je publie l'agenda, alors je me limite à la transmission de mon sentiment – disons que j'ai pris la peine d'écouter sa musique, et que c'est toujours une première indication sur sa situation stylistique…

Diva de Rufus Wainwright – plutôt célèbre pour ses chansons, notamment sa reprise du Hallelujah de Leonard Cohen (dont il est le quasi-gendre, bref) dans une version de type ballade, alla Buckley. Une cantate pour chanteuse lyrique, censée être amusante, bien faite – consonante, certes, mais sans naïveté, il y a un réel métier derrière. Je l'ai écoutée (sans avoir le texte) lorsque le disque est sorti, ce n'est pas mal, si je n'avais pas plusieurs autres concerts plus urgents le même jour, j'y serais allé. Le 10 à la Philharmonie.

En théâtre, une Médée en néerlandais d'après Euripide qui se finit le 11. Je n'ai pas noté où. [Mais les relectures d'antiques m'effraient un peu, je ne crois toujours pas en avoir vu une bonne… entre les demi-teintes (Iphigénie en Tauride de Goethe) et les francs naufrages (Amphytrion de Kleist) des auteurs eux-mêmes, et toutes les errances possibles dans leurs réalisations (ces dernières années, Les Oiseaux à la Comédie-Française, ou Antigone en grec moderne à l'UNESCO), je suis devenu méfiant.





Les commentaires d'étape sur les spectacles déjà vus viendront ensuite : cette notule est garantie 100% préjugée, purement supputative.

mercredi 8 mars 2017

La Tragédie de Salomé de Florent Schmitt – l'histoire de la version originale


    Je profite d'avoir entendu la version originale intégrale d'une heure hier, en concert (gratuit !), pour opérer un petit bilan sur la question.

    Ne pleurez pas si vous ne l'avez pas vu passer, c'est bien fait pour vous, j'ai pris le temps de l'annoncer, comme chaque mois, dans le planning musical des concerts occultes d'Île-de-France (section « raretés symphoniques », on ne fait pas plus clair).

    On ne joue à peu près jamais Schmitt, mais il reste assez puissamment installé dans l'imaginaire collectif. Il est vrai qu'entre l'ampleur de l'orchestration de ses grandes œuvres (qui limite leur diffusion aux grandes salles et aux concerts à vaste effectif) et sa réputation politique peu avenante, on le documente de loin en loin au disque (on n'a pas tout, mais on trouve tout de même un assez grand nombre de choses), très rarement au concert.

    Avant qu'on n'émette des hypothèses purement politiques à son absence, je place en annexe quelques éléments sur cet aspect.



[[]]

La fin de la version originale la Tragédie de Salomé par le Philharmonique de Rhénanie-Palatinat dirigé par Patrick Davin (chez Naxos). L'encore meilleure jeune version parisienne devrait paraître par des canaux officiels prochainement, je l'espère (voir informations ci-après).



1. La commande de Salomé

L'objet même de cette Salomé de Schmitt est un sujet de curiosité.

¶ L'époque adore le sujet : le sujet de Salomé a été au moins mise trois fois au théâtre musical français entre 1907 et… 1908 !  Création française de celle de Richard Strauss au Châtelet en 1907 (sur le texte littéral de Wilde, contrairement à la version de la création de 1905 à Dresde, en traduction allemande) ; création de celle d'Antoine Mariotte à Lyon, également inspirée de Wilde. Enfin, celle de Florent Schmitt, composée en quelques semaines en 1907, pour une création en novembre.

Robert d'Humières, traducteur renommé de Kipling, souhaitait monter un mimodrame sur le sujet de Salomé (quelque part entre le ballet et la pantomime) avec la danseuse Loïe Fuller dans le premier rôle. Admiratif du Psaume XVLII , qu'il avait entendu en concert (créé l'année précédente), il souhaitait précisément la collaboration de Schmitt, qui accepte immédiatement. En deux mois, la partition est écrite.

¶ La création prévue au Théâtre des Batignolles, à peine renommé Théâtre des Arts par Maurice Landay qui vient d'en prendre la direction. C'est l'actuel Théâtre Hébertot, boulevard des Batignolles dans le XVIIe arrondissement – 630 places.
[Attention, il existe quantité d'autres théâtres parisiens ayant porté ce nom, à commencer par l'Académie ci-devant royale de Musique, sous la Convention, mais aussi le Théâtre Antoine, le Théâtre Verlaine / Music-Hall de Montmartre ou le Théâtre d'Application…]

¶ Contrairement au gigantesque Psaume et aux tropismes habituels de Schmitt, l'orchestration fut conditionnée par l'exiguïté du théâtre : les cordes étaient réduites, les bois par 1 (c'est par 2 dans un orchestre du début du romantisme, et régulièrement par 4 ou 5 chez les contemporains de Schmitt), 1 trompette, 2 cors (là aussi, plutôt 4 chez Brahms et Tchaïkovski, davantage encore après), 2 trombones (en général par 3, même chez Mozart), 1 harpe, timbales et quelques percussions (tambour de basque, tam-tam chinois, grosse caise, cymbales).
Lorsque Schmitt en tire en 1910 la Suite qui est la seule qu'on enregistre et joue désormais, il étend considérablement son orchestre : bois par 2 (mais avec 1 piccolo, 1 cor anglais, 1 clarinette basse et 1 sarrusophone en sus, jouables ou non pas les mêmes instrumentistes), 4 cors, 3 trompettes, 3 trombones, 1 tuba, 2 harpes, et davantage de percussions (dont caisse claire, timbale et glockenspiel). Créée aux Concerts Colonne en 1911, il disposait de la place nécessaire pour étendre son orchestre. [anacoluthe cadeau]



hébertot
État actuel de l'intérieur du Théâtre des Arts – désormais Théâtre Hébertot.



2. La Tragédie de Salomé intégrale

    Schmitt n'a donc jamais réorchestré l'ensemble de l'œuvre d'origine, destinée à soutenir une action dansée (pas exactement du ballet, c'était plutôt de la danse dramatique ou du mime agile). Pourtant, les plus beaux moments sont précisément, comme souvent (les récitatifs à l'opéra !), les pas d'action, tandis que la Suite, plus courte de moitié (une demi-heure), conserve essentiellement les danses – auxquelles s'ajoutent le Prélude et la fin.

    Le plus dramatique, le moins répétitif aussi, est donc perdu dans la version révisée – qui, honnêtement, ne sonne pas très différemment malgré la richesse de son instrumentarium (et je le dis après avoir entendu non seulement les deux, mais les deux en concert à six mois d'intervalle !). Y restent trois des six Danses, effectivement impressionnantes et déjà très dramatiques (j'étais en délire de pouvoir entendre ça en salle, en septembre…), ainsi qu'une partie de leur environnement, mais il faut, vraiment, écouter l'œuvre intégrale. Il en existe une version au disque, une seule, celle de Patrick Davin avec le Philharmonique de Rhénanie-Palatinat, chez Naxos.

    Musicalement, on y entend passer les gammes debussystes et le lyrisme schrekerien (Prélude), la Mer de Debussy (flagrant autour de la Danse des Serpents), des prémices du Sacre du Printemps (vers la Danse de l'Effroi) et bien sûr des motifs récurrents issus de l'école wagnérienne (quoique très peu mutants, vraiment ressassés).
    Le tout dans une sorte de décadence tranquille, de poème symphonique à la française, sensible au détail du climat plus qu'à la structure ou à l'urgence dramatique, et sans paraître emprunter, dans un ton très homogène et naturel malgré sa sophistication. Et l'extraordinaire diversité des épisodes. Les différentes danses font comme les Portes de Barbe-Bleue chez Dukas ou Bartók, autant d'univers s'ouvrent.

    Pour autant, le meilleur se trouve dans les parties intermédiaires qui décrivent les lieux ou les actions, en particulier tout ce qui a trait aux interpositions (et à l'exécution, à couper le souffle !) de Jean-Baptiste.



tragédie salomé
Affiche de la création.



3. L'argument

    La Salomé de Robert d'Humières est la moins redoutable de toutes : simple objet de l'admiration d'Hérode, elle provoque involontairement la mort de Jean-Baptiste – c'est Hérode, excédé de l'interposition du Prophète, qui le remet au bourreau. Et loin de jouir de son butin, Salomé, entendant des voix terrifiantes, la jette dans la mer – embrasant toute la nature, mer et volcans alentours (le mont Nébo est une colline de 800m absolument pas sis sur une quelconque faille).

    Chez Matthieu 14;1-11 et Marc 6;14-29, Salomé n'est certes ni une manipulatrice ni une lascive nécrophile comme chez Wilde, mais elle est tout de même celle qui ordonne la mort de Jean, fût-elle influencée par sa mère adultère et incestueuse.

    Tout l'argument est rythmé par les apparitions de Salomé en accord avec sa découverte sensuelle et les atmosphères successives du jour déclinant :
Danse des Perles (fascination enfantine aux flambeaux),
Danse du Paon (prise de conscience de sa beauté, mise en scène en haut des degrés par Hérodiade),
Danse des Serpents (avec ceux trouvés dans un recoin, qui épouvantent le couple royal),
Danse de l'Acier (baignée d'orgueil, reflets lumineux sur l'eau dans la nuit),
Danse des Éclairs (il fait nuit, Salomé apparaît dans des vapeurs lascives, c'est à l'issue de cette danse qu'Hérode se jette sur Salomé),
Danse de l'Effroi (après la mort de Jean, avant l'éclatement de l'orage final).

    Après le Prélude qui constitue la première scène, chacune des danses s'articule au milieu d'une scène complète. D'où l'intérêt de ne pas se limiter à la Suite – les trois danses centrales (Paon, Serpents, Acier) y sont supprimées, on perd la progression ainsi que tout leur matériau environnant.

    Je laisse le texte complet d'Humières, décrivant en détail les scènes, très beau, en annexe.



tragédie salomé
Grand succès, l'œuvre est demandée par d'autres théâtres.
Estampe de Lev Samuilovič Bakst pour un décor lors de représentations au Théâtre des Champs-Élysées en 1913 (chorégraphie de Boris Romanov).



4. 30 jeunes musiciens, 3 jeunes chanteuses, 6 jeunes chefs


    Outre le disque de Patrick Davin avec le Philharmonique de Rhénanie-Palatinat, chez Naxos, il devrait être prochainement possible de l'écouter en haute qualité sur le site du CNSM, puisque capté par les étudiants en métiers du son, une initiative récurrente de la maison qui permet déjà de découvrir de très belles choses, ou de suivre des cours publics, comme le font massivement les institutions anglophones.

     Et c'est une excellente nouvelle, parce qu'à la réécoute du disque Davin aujourd'hui, où l'orchestre paraît assez sur la réserve (c'est souvent le cas dans les enregistrements de cette formation pour la série Patrimoine de Naxos…), la version entendue hier n'était pas moins maîtrisée, et sensiblement plus ardente.

    Alain Altinoglu (professeur de la classe de direction du CNSM) avait habilement isolé des moments suspendus (notes tenues douces d'un quasi-solo, souvent) où les chefs pouvaient se succéder dans une œuvre sans interruption, et qui recoupaient assez bien les différentes sections : le chef en action quitte la scène, les musiciens soutiennent leur note le temps que le chef suivant batte une mesure entière, et puis tout le monde enchaîne sans heurt, un travail d'orfèvre qui ne s'entendrait même pas à l'oreille, sauf à être très familier de la durée de la mesure en question.
    On voit ainsi passer William Le Sage, Jordan Gudefin, Nikita Sorokine, Mikhaïl Suhaka, Gabriel Bourgoin et Romain Dumas, certains que j'avais beaucoup admirés en janvier dans la Deuxième Symphonie de Schumann.
    Dans une musique aussi « écrite » que celle de Schmitt, la différence de conception est évidemment moins flagrante – plus on avance dans le temps, moins l'invention personnelle prévaut ; néanmoins, même s'il a évidemment la partie la plus valorisante (les deux dernières danses), la gestion de la tension de Romain Dumas m'a beaucoup impressionné, celle-ci enflant, sans rien précipiter ni brailler, mais sans paraître connaître de limite, jusqu'à la fin… C'est enthousiasmant pour l'auditeur, et aussi révélateur d'un savoir-faire très sûr dans une musique qui est pourtant assez séquentielle, voire fragmentée, surtout dans ces derniers épisodes où l'agitation va et vient en segments assez brefs.

    Le toujours excellent Orchestre des Lauréats du Conservatoire mérite aussi de hauts éloges, pour tenir une partition aussi difficile avec une cohésion qui n'est pas identique à celle des ensembles permanents, mais qui est néanmoins de très haute volée… aucune défaillance, alors que dans cette formation très resserrée, chacun a une heure de musique très technique à assumer, sans interruptio : cordes en 9-3-3-2, trois sopranos pour faire le chœur et le solo, plus la nomenclature décrite à la fin du §1 (flûte, hautbois / cor anglais, clarinette, basson, 2 cors, trompette, 2 trombones, harpe, timbales, percussions).
    L'occasion de féliciter Paul Atlan (partie écrasante de hautbois et cor anglais, excellent aux deux), Arthur Bolorinos dans les très nombreux solos (onctueux et limpides…) de clarinette, ou encore David Busawon à la trompette – les trompettistes se plaignent souvent d'avoir peu de choses exaltantes à jouer, ici énormément d'accompagnants subtils et de contrechants, voire de thèmes… une quantité de jeu très inhabituelle, et qu'il tient remarquablement (avec un beau son, d'ailleurs).

    Quand on a dit que c'était gratuit, franchement, qui a dit que la vie culturelle parisienne était dispendieuse pour être exaltante ?

    Juste une remarque : il y a souvent un délai de transmission entre les professeurs et le service de communication, si bien que les programmes sont donnés tard, et pas toujours complètement. J'ai découvert dans la salle que j'allais entendre non pas la Suite (déjà une excellente nouvelle), mais le mimodrame intégral (un événement considérable) !  Je suis sûr qu'il y aurait eu davantage de monde dans la salle (assez bien remplie au demeurant, mais il n'y avait pas la queue dehors…) en mettant en avant le côté quasiment inédit d'une exécution publique de l'œuvre intégrale.
    J'abuse souvent de la bonté sans limites du responsable communication, qui me transmet en temps réel les informations dont j'ai besoin, mais les professeurs ont forcément en réserve les détails de ce type de grand projet assez en amont, il y aurait vraiment un effort de coordination à faire en interne, très profitable au rayonnement du CNSM.

    La presse musicale couvre très peu également (même Cadences…) ces manifestations, alors qu'elles sont, même indépendamment des programmes, d'un niveau égal ou supérieur aux grands concerts des grandes salles.

    Cette saison, entre les meilleurs jeunes chambristes en concert gratuit, les soirées lyriques et la découverte d'inédits absolus (Puig-Roget, Roland-Manuel, le cycle des Angélus de Vierne, cette Salomé…), le CNSM était vraiment le lieu où il fallait être !

    Refaites-nous cela souvent !



5. Annexes

En cliquant ci-dessous, ouvrez la notule pour accéder aux deux annexes :
► Florent Schmitt en politique (puisque le sujet revient sans arrêt) ;
► l'argument complet de la plume de Robert d'Humières pour son « drame muet ».

Suite de la notule.

dimanche 8 janvier 2017

Jan van Gilse : Nous ne sommes pas seuls dans l'univers


Quand je dis nous, je veux dire je :


The third instalment of cpo’s van Gilse Symphony series includes the popular fourth symphony. Van Gilse helped to fund the printing of hundreds of scores so it was for this reason his powerful and individual fourth symphony was not forgotten.

« La troisième livraison des symphonies de van Gilse chez CPO inclut la célèbre Quatrième Symphonie. Van Gilse avait contribué au financement de l'impression de centaines de partitions, et c'est pourquoi sa puissante et personnelle Quatrième Symphonie n'est pas tombée dans l'oubli. »


gilse portrait
Van Gilse, la vérité est ailleurs.


Et ce n'est même pas un site hagiographique du type Nos braves Bataves qui dit cela, mais le gros revendeur britannique Presto Classical.

Je ne suis pas suspect de vouloir relayer les hiérarchies établies, mais tout de même, présenter la Quatrième de van Gilse comme un quasi-standard, ou même une œuvre restée dans les mémoires ou les répertoires, faut pas pousser.


[[]]
Premier mouvement de la Deuxième Symphonie.
Orchestre Symphonique des Pays-Bas
(sis à Enschede, je reviendrai à l'occasion sur ces nuances
entre Symphonique, Philharmonique, Philharmonique de la Radio…)
David Porcelijn



Au demeurant, il faut absolument écouter Jan van Gilse (1881-1944), jadis documenté par quelques vinyles non réédités, et désormais très bien servi chez CPO : concerto pour piano, un cycle de variations orchestrales, les quatre symphonies (Symphonique des Pays-Bas, Porcelijn), et du quasi-oratorio « Une Messe de la Vie » (Philharmonique de la Radio des Pays-Bas, Markus Stenz).

    ■ Ein Lebensmesse (1904, sur un texte de Dehmel traitant de fécondité et fraternité, pas du tout religieux) s'inscrit musicalement très clairement dans la filiation des Gurrelieder de Schönberg (vous pouvez voir le concert Stenz sur la chaîne de la Radio-Télévision néerlandaise), tandis que les symphonies ont chacune leur ton propre : la Première (1901) encore postbrahmsienne (quoique largement émancipée) ; la Deuxième (1903) lumineuse, un peu pastorale, proche de la Deuxième de Schmidt ou de la Première de Weingartner, d'un postromantisme qui a entendu passer Nielsen et Debussy, ni sombre, ni dégoulinant, ni conservateur, ménageant beaucoup de trouvailles délicieuses ; la Troisième (1907) dans le format mahlérien, inégale, mais qui culminent dans un final avec chœur et soprano assez impressionnant ; la Quatrième (1910) un peu plus épurée et tournée vers le passé, non sans charme pour autant.
    ■ Les Trois ébauches de danse (1926, nommées abusivement « Concerto pour piano » sur la pochette de CPO) est particulièrement déroutant : pour ceux qui, comme moi, doutent de l'intérêt de la forme concerto, ils ne seront pas déçus… métallophone permanent dans le premier mouvement (et diverses percussions dans les autres), contrechant de cor dans le deuxième, énorme partie de trompette solo dans le dernier !  Le nom de concerto est assez mensonger, il s'agit d'une suite de danses où le piano joue souvent. Et quelles danses : étrange premier mouvement assez symphonique (tempo di menuetto), valse lente de plus en plus complexe et étrange pour son « Hommage à Johann Strauss » (titre en français !), enfin un quasi jazz qui évoque en effet Gershwin au début, mâtiné d'un peu des concertos de Prokofiev, puis vraiment autre chose. Assez indescriptible, à la fois plaisant, typé, pas très dansant et très dense musicalement.
    ■ Les Variations orchestrales sur un chant de saint Nicolas (1908) sont évidemment beaucoup plus légères, mais non sans matière, réussissant à capter une lumière franche du tout premier romantisme que les compositeurs semblaient avoir perdu depuis le milieu du XIXe siècle.

Sur le label NM-Classics (publication du Nederlands Muziek Instituut), on trouve aussi le nonette (très proche des qualités de la Deuxième Symphonie), le quatuor inachevé (une très belle matrice où l'on sent poindre les qualités de construction et d'équilibre nécessaires), et le trio pour flûte, violon et alto. Ce dernier est à nouveau une originalité qui puise à la fois dans son passé proche (l'archaïsme des Suites chambristes de d'Indy) et totalement de son temps : malgré son côté pastoral et mélodique apparent, on entend du contrepoint richardstraussien dans le premier mouvement, des harmonies trompeuses et superposées qui confinent à la polytonalité dans le deuxième. Pour une œuvre à trois instruments monodiques, on entend régulièrement des accords de quatre ou cinq sons !  Quelque chose comme du Reger, un contrepoint toujours en exploration… en beaucoup moins contourné, et surtout assez détendu – ce que van Gilse n'était nullement dans sa vie publique ou personnelle, semble-t-il.

La radio néerlandaise a aussi documenté Sulamith (par Jean Fournet !) et le cycle sur Gitanjali de Tagore (avec Brigitte Hahn, déjà la meilleure interprète de Vom ewigen Leben de Schreker, et Hartmut Haenchen). On en trouve trace en ligne si on cherche.


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Mouvements de valse dans les Trois esquisses de danse, milieu du mouvement.
Carla Leurs, violon solo. René Geesing, violoncelle solo. Oliver Triendl, piano solo.
Orchestre Symphonique des Pays-Bas, David Porcelijn.


Mais les sachants considèrent que ses chefs-d'œuvre seraient ses deux opéras, qui n'ont jamais été représentés – le second n'a été donné au public qu'en 1980, le premier attend encore.
   
    Frau Helga von Stavern, plutôt au début de sa carrière (1913), qui n'a jamais été joué malgré ses démarches. Même ses défenseurs en trouvaient le livret (de René Seghers) redoutable, mais il ne paraît pourtant pas si vain à la lecture du résumé – peut-être était-ce la langue elle-même.
    ♦ Issu d'un conte frison, il met en scène une veuve possédant l'essentiel d'une ville portuaire (donnant sur la Mer du Sud), harassant ses concitoyens de travaux, se riant de leur pauvreté… Helga rebute son soupirant, un capitaine de vaisseau marchand qui lui offre du blé, le don le plus précieux puisqu'il lui permet de gagner le cœur de ses concitoyens. Par défi, elle choisit plutôt de le jeter dans la mer ; finalement, le merveilleux s'en mêle, une pauvre femme la maudit, et tout bascule. L'anneau que Helga avait jeté dans la mer pour tourner en dérision la malédiction lui revient dans un poisson servi à sa table, le port est bouché (par le blé déversé, dit-on), tout le monde la fuit comme frappée de malédiction. Devenue mendiante, elle est retrouvée en plein hiver par le capitaine Haron et meurt paisiblement pendant leur duo d'amour.
   ♦ Le seul extrait que j'aie pu entendre (l'air de sidération de Helga, cherchant à établir la cause des événements) était en réduction piano, avec toujours ces belles harmonies, et une déclamation assez heurtée et dramatique, écrite dans un style wagnéro-straussien manifestement conçu pour surmonter un vaste orchestre. Difficile de s'en faire une opinion avec si peu, mais on est très curieux, bien sûr.
    ♦ Jan van Gilse avait essayé de le faire donner à Francfort via un ami chef d'orchestre, mais le directeur l'avait rejeté à la lecture du livret ; de même, à Munich, pas de refus franc, mais la suggestion amicale de laisser reposer l'œuvre et de récrire son texte. C'est donc lui-même, au Concertgebouw, qu'il donne la musique de transformation (celle vers l'hiver mendiant) et le final de l'œuvre. C'est tout ce qui en fut jamais proposé au public dans des conditions officielles.


    Son autre opéra, Thijl, est beaucoup plus tardif (1937-1940), et écrit, paraît-il, dans un genre qui est davantage celui de l'opéra populaire « à numéros ».

     ♦ La genèse de Thijl est assez révélatrice.
♦♦ Helga (1913) était composée en allemand, dans un style assez wagnérisant ; et les critiques dans la presse de son confrère à peine plus jeune, Matthijs Vermeulen (dont il assure pourtant la création de la Troisième Symphonie, en 1939), l'accusaient précisément de trahir sa mission de défendre le patrimoine culturel national en utilisant la langue allemande pour servir ce sujet typiquement batave. Dans les années 20, c'est Willem Pijper, autre compositeur majeur du temps (en effet sensiblement plus moderne, mais aussi, à mon sens, moins inspiré), qui dénigre Jan van Gilse – sur sa façon de diriger, d'accompagner, de composer les programmes. Au point que celui-ci demande à la direction de l'Orchestre de la Ville d'Utrecht d'interdire à Pijper (pourtant critique pour Het Utrechts Dagblad…) et, faute de l'obtenir, démissionne en 1922, voyage çà et là, et finit par se fixer à Berlin en 1926.
♦♦ Ouvertement hostile aux nazis, il quitte l'Allemagne dès 1933, et refuse l'invitation de Richard Strauss pour venir créer une société de droits allemande sur le modèle de celle qu'il avait cofondée en 1911 pour les Pays-Bas – avec notamment Diepenbrock, Wagenaar et Zweers, autres compositeurs angulaires du pays.
♦♦ Tout cela finit par se matérialiser autour de l'élaboration de Thijl. En 1937, alors qu'il est devenu directeur du Conservatoire d'Utrecht (ce qui, combiné avec son passé de plusieurs structures de droits et de promotion de la musique néerlandaise, lui assurait de solides réseaux), il reçoit la commande d'un opéra pour orchestre de chambre – par une troupe dont il s'éloigne dès qu'il la voit jouer. Cette fois, il a pris soin de faire regarder et critiquer son livret avant d'écrire toute l'œuvre. Seulement, lorsqu'il achève enfin Thijl, le 29 novembre 1940, le pays est envahi depuis mai 1940, et la nouvelle passe inaperçue.
♦♦ Par ailleurs, l'opposition ouverte de van Gilse aux nazis ne lui permet pas de solliciter les réseaux nécessaires pour proposer sa création ; pis, il publie une pétition contre la nazification de la vie artistique néerlandaise et doit vivre dans la clandestinité. Ses deux fils, également résistants, sont tués, et il meurt, malade et mal soigné, en septembre 1944, sous un faux nom pour ne pas embarrasser ses hôtes. Toutes les occasions de jouer Thijl ont été manquées.

    ♦ Seule la musique funèbre qui sert de musique de transformation avant le dernier tableau est jouée en 1941 dans l'Église Royale de Rotterdam. Haitink l'a donnée en concert (où elle fut captée en vidéo), et il existe une bande de Spanjaard à La Hague. L'opéra n'est représenté intégralement qu'en 1980, et je n'ai trouvé trace d'aucune bande.

    ♦ Fort des reproches qu'on lui avait faits par le passé, van Gilse avait pour l'occasion étudié les chants folkloriques et grégoriens pour nourrir sa partition ; mieux encore, il avait réutilisé, pour le final du deuxième des trois actes, un ancien chant de résistance du XVIe siècle. Ceux qui ont lu la partition semblent la trouver intéressante. Mais beaucoup des œuvres de Jan van Gilse n'ont jamais été publiées (d'où la remarque cryptique de Prestoclassical : la Quatrième Symphonie fait partie des rares éditées de son vivant), je n'ai pas pu mettre la main dessus pour l'instant. La marche funèbre, assez conventionnelle, ne m'a pas vraiment étourdi, mais ce n'est qu'un extrait de dix minutes, sans voix…


gilse trio
Trio pour flûte, violon et alto, extrait.


Détail amusant, les controverses du temps l'accusaient d'être trop germanique (et, de fait, il avait débuté comme répétiteur à Brême, avait passé pas mal de temps en Allemagne, composait sur des poèmes allemands), de la part de compositeurs qui se revendiquaient de l'influence française – or, à l'écoute, autant je peux entendre un Brahms debussysé chez van Gilse, autant j'entends plutôt la Deuxième de Prokofiev dans les œuvres radicales de Vermeulen et Pijper, et vraiment pas (du tout) Koechlin, Ravel ou Auric…

Vraiment, comparé aux néerlandais avant-gardistes inventifs mais pas toujours hautement inspirés (Vermeulen et Pijper, qui dans les années 20 lorgnent par endroit du côté du futurisme) ou aux post-romantiques délicieux mais assez simples (le tutélaire Diepenbrock, Badings, le folklorique Dopper, Zweers, et puis Wagenaar qui lui n'est guère passionnant), Jan van Gilse semble se situer dans une forme de tradition fortement renouvelée par une personnalité assez féconde, vraiment à découvrir.

Pour débuter, je recommanderais en priorité la Deuxième Symphonie et le bizarre Concerto pour piano, manière de mesurer les possibles.


Parmi les autres figures néerlandaises de la même époque, on peut avantageusement faire un détour par Hendrik Andriessen, servi lui aussi par CPO – les symphonies sont bonnes, mais c'est tout particulièrement la Symphonie concertante qui me paraît originale et marquante. Sinon, je crois qu'on ne trouve à peu près rien de lui, mais la nostalgie du Salve Regina de Rudolf Mengelberg reste assez ineffable, petit plaisir simple dans le genre de l'Ave Maria de Vavilov – le pseudo-baroque de simili-Caccini en moins.

Et puis, 25 ans plus tôt, il y a Julius Röntgen [notule], bien sûr. Et quantité d'autres après, dont il faudrait parler à l'occasion.

lundi 26 décembre 2016

[Sélection lutins] – Boucles !


En ce temps d'épiphanie, l'occasion de dévoiler un peu d'intimité musicale.

Après, avoir, une fois de plus, repris l'essentiel de l'acte II de l'Orfeo de Rossi dans une boucle infinie – Che può far Citerea, Al imperio d'amore, la mort (vidéo de ces extraits) –, voilà le prétexte de partager quelques-unes de ces pièces ou des ces instants que je peux me repasser à très court intervalle et à haute itération.

Le concept est un peu différent des instants ineffables, qui ne supposent pas forcément la répétition ; ces boucles peuvent être, du reste, des fragments, des mouvements ou des œuvres entières. Il s'agit de toutes ces pièces où l'on sent l'impulsion, en la finissant, de la remettre immédiatement.

Chose que je fais rarement, du reste (une grande partie du répertoire s'y prête peu, du fait de la pratique de la variation, du développement…), les œuvres très mélodiques tendant naturellement à s'émousser ; et c'est pourquoi ce petit partage, insolite, peut être amusant.



Muller, jardinière en biscuit. Ronde de putti. Muller, jardinière en biscuit. Ronde de putti.



Ordre (approximatif) par date de naissance.

♦ D. Le Blanc – « Les Mariniers adorent un beau jour – [notules 1,2]
♦ A. Le Roy – « Ô combien est heureuse » – [notules 1,2]
♦ Anonyme fin XVIe – « Allons vieille imperfaite » – [notules 1,2]
♦ Monteverdi – Combattimento, deux premières strophes – [notules 1,2,3]
♦ Anonyme premier XVIIe – Passacaglia della vita – [liste]
♦ E. Gaultier – La Cascade
♦ Kapsberger – « L'onda che limpida » [son]
♦ Kapsberger – « Fanciullo arciero » [son]
♦ Rossi – Orfeo : Che può far Citerea – [notule & son]
♦ Rossi – Orfeo : Al imperio d'amore – [notule & son]
♦ Guédron – Ballet d'Alcine « Noires fureurs » – [notules 1,2,3]
♦ Guédron – « Dessus la rive de la mer »
♦ Moulinié – « Que vous avez peu de raison »
♦ Moulinié – « Quelque merveilleuse chose »
♦ Moulinié – « Vous que le dieu Bacchus a mis »
♦ Lully – Cadmus : Chaconne des Africains « Suivons l'Amour » – [notice]
♦ Lully – Thésée : Combats et prières de l'acte I – [notule, hors-scène]
♦ Lully – Atys : « Atys est trop heureux » – [notice]
♦ Lully – Amadis : Invocation d'Arcabonne « Toi, qui dans ce tombeau » – [notule]
♦ Lully – Amadis : Déploration d'Oriane « Ciel ! ô ciel !  Amadis est mort » – [notule]
♦ Lully – Amadis : Chaconne finale « Célébrons en ce jour » – [notule]
♦ Lully – Roland : Duo & Chaconne – [notice]
♦ Sanz – Canarios – [extrait]
♦ Charpentier – Médée : les 3 duos d'amour (II,IV,V) – [notule]
♦ Murcia – Folías Gallegas – [notule]
♦ Visée – Passacaille de la Suite en la mineur
♦ Lalande – Jubilate Deo omnis Terra : « Populus ejus », « Introite portas »
♦ Lalande – Jubilate Deo omnis Terra : « Laudate nomen ejus »
♦ Campra – Exaudiat te Dominus : « Exaudiat te Dominus » [notice]
♦ Campra – Idoménée : « Venez, Gloire, Fierté » [notule]
♦ Campra – Idoménée : « Espoir des malheureux » [notule]
♦ Jacquet de La Guerre – première Passacaille en la mineur – [notule]
♦ F. Couperin – Offertoire de la Messe pour les Paroisses
♦ F. Couperin – Première Leçon de Ténèbres – [notice]
♦ F. Couperin – Troisième Leçon de Ténèbres – [notice] / [en attendant une discographie exhaustive préparée depuis longtemps]
♦ Jean Gilles – Requiem : « Requiem æternam »
♦ Jean Gilles – Requiem : « Domine Jesu Christe » (dans l'Offertoire)
♦ Destouches – Callirhoé, chaconne nocturne : « Ô Nuit, témoin de mes soupirs secrets » – [notule]
♦ Destouches – Callirhoé, duos du I : « Ma fille, aux Immortels quels vœux venez-vous faire ? » / « Mais, quel objet vient me frapper ? » – [notule sur les états de la partition]
♦ Destouches – Sémiramis : « Flambeaux sacrés » – [notule]
♦ Bach – Motet Singet dem Herrn : « Singet dem Herrn », « Lobet den Herrn in seinen Taten » [de même discographie exhaustive dès longtemps préparée, à publier un jour]
♦ Bach – Air Erfüllet, ihr himmlischen göttlichen Flammen de la cantate BWV 1
♦ Boismortier – Don Quichotte : « Expire sous mes coups, discourtois enchanteur »
♦ Boismortier – Don Quichotte, danses
♦ Mondonville – Cœli enarrant : « In sole posuit »
♦ Gluck – Iphigénie en Tauride : air d'Oreste « Dieux qui me poursuivez »
♦ Gluck – Iphigénie en Tauride : air d'Iphigénie « Non, cet affreux devoir »
♦ Grétry – L'Amant Jaloux : quatuor « Plus d'égards, plus de prudence »
♦ Grétry – Guillaume Tell : « Bonjour ma voisine » – [notule]
♦ Grétry – Guillaume Tell : « Qui jamais eût pensé que cet homme exécrable » – [notule]
♦ Salieri – Tarare : « De quel nouveau malheur » – [notule]
♦ Salieri – Tarare : « J'irai, oui j'oserai » – [notule]
♦ Mozart – Quatuor n°14, final
♦ Mozart – Così fan tutte : trio « La mia Dorabella » – [chroniques de représentations]
♦ Mozart – Così fan tutte : trio « Una bella serenata » – [chroniques de représentations]
♦ Mozart – La Clemenza di Tito : duo « Come ti piace, imponi » – [exploration]
♦ Mozart – La Clemenza di Tito : air « Parto, parto » – [exploration]
♦ Haydn – Quatuor Op.76 n°3, mouvements I & II
♦ Catel – Sémiramis : Duo de désespoir « Sort redoutable » et final – [brève évocation]
♦ Beethoven – Final choral de la Fantaisie chorale
♦ Beethoven – Quatuor n°8, mouvement lent
♦ Czerny – Symphonie n°1, mouvements I, III & IV [général, scherzo]
♦ Mendelssohn – Premier Trio avec piano : I, énoncé du thème
♦ Schubert – Die Schöne Müllerin : « Pause » – [projet lied français]
♦ Schumann – Liederkreis Op.24 : « Es treibt mich hin » [présentation & discographie]
♦ Schumann – Liederkreis Op.24 : « Warte, warte du wilder Schiffmann » [présentation & discographie]
♦ Schumann – Liederkreis Op.24 : « Schöne Wiege meiner Leiden » [présentation & discographie]
♦ Schumann – Liederkreis Op.39 : « Überm Garten » [projet lied français]
♦ Verdi – Il Trovatore : récit de Manrico « Mal reggendo »
♦ Verdi – Simone Boccanegra : avertissement d'Adorno « Ah taci, il vento ai tiranni »
♦ Verdi – Les Vêpres Siciliennes : duo « Quel est ton nom ? » – [Verdi en français]
♦ Verdi – Requiem : Kyrie
♦ Verdi – Requiem : Ingemisco
♦ Verdi – Requiem : début du Lacrimosa
♦ Verdi – Don Carlos : déploration sur le corps de Posa – [éditions]
♦ Wagner – Tristan : postlude du II
♦ Wagner – Rheingold : première tirade de Loge
♦ Wagner – Rheingold : tirade de Froh « Wie liebliche Luft » [notule à venir]
♦ Wagner – Siegfried : tirade « Wie des Blutes Ströme » [ordalie]
♦ Wagner – Die Meistersinger : appel des Maîtres [son]
♦ Wagner – Parsifal : interlude du I
♦ Wagner – Parsifal : annonce du couronnement « Du wuschest mir die Füße »
♦ Reyer – Sigurd : duo du désenvoûtement « Des présents de Gunther » [chapitre Sigurd]
♦ Smetana – Dalibor : Marche de Vladislav [détail du livret, œuvre & enregistrement libre, discographie exhaustive]
♦ Smetana – Dalibor : fin du I [détail du livret, œuvre & enregistrement libre, discographie exhaustive]
♦ Smetana – Dalibor : début du II [détail du livret, œuvre & enregistrement libre, discographie exhaustive]
♦ Brahms – Premier Trio avec piano : énoncé du thème
♦ Brahms – Premier Trio avec piano : trio du scherzo – [scherzo]
♦ Brahms – Variations sur un thème de Haydn : choral initial & variation finale
♦ Brahms – Première Symphonie : énoncé du thème des variations finales
♦ Brahms – Quintette avec piano : thème principal du scherzo – [scherzo]
♦ Saint-Saëns – Chanson à boire du vieux temps
♦ Delibes – Lakmé : Quintette « Miss Rose, Miss Helen, respectez les clôtures »
♦ Tchaïkovski – Eugène Onéguine : dialogues de cotillon et provocation en duel [sources]
♦ Tchaïkovski – Pikovaya Dama : serment à l'orage [brève discographie, mise en scène]
♦ Tchaïkovski – Pikovaya Dama : hymne à la nuit [brève discographie, mise en scène]
♦ Tchaïkovski – Symphonie n°3 : mouvements extrêmes
♦ Tchaïkovski – Symphonie n°6 : mouvement III – [notule, possibilités d'interprétation]
♦ Dvořák – Rusalka : ballet royal – [notules 1,2,3]
♦ Rott – Symphonie en mi : mouvements I et IV [liste de notules]
♦ Debussy – Quatuor, mouvement III, climax
♦ R. Strauss – Elektra : tirade de Chrysothemis « Ich kann nicht sitzen » [discographie]
♦ R. Strauss – Die Frau ohne Schatten : envoi de l'air de l'Empereur « Kann sein, drei Tage »
♦ R. Strauss – Die Frau ohne Schatten : Erdenflug
♦ R. Strauss – Arabella : « Ich weiß nicht wie du bist » (partie centrale du duo du Richtige) [notules & discographie exhaustive]
♦ R. Strauss – Friedenstag : marche des soldats Réformés [notule & son]
♦ Koechlin – Sonate pour violon et piano : final
♦ Koechlin – Quintette pour piano et cordes : final
♦ Mahler – Symphonie n°2 : à partir de l'entrée des chœurs [notule & lieder]
♦ Mahler – Symphonie n°7 : thème principal du dernier mouvement [autre notule]
♦ O. Fried – Die verklärte Nacht [notule & son]
♦ L. Aubert – « La mauvaise prière »
♦ Schreker – Die Gezeichneten : Entrée de Tamare [chapitre entier à remonter]
♦ Schreker – Die Gezeichneten : Prélude du II [chapitre entier à remonter]
♦ Ireland – Sea-Fever [1,2]
♦ Le Flem – Symphonie n°1 : final
♦ Schoeck – Quatuor n°2 : thème principal [notule]
♦ Auric – 4 Chansons de la France malheureuse : « La Rose et le Réséda » [notule]
♦ Walton – Symphonie n°1 [notule]
♦ Damase – l'Opéra dans Colombe [notule]
♦ Damase – Eugène le Mystérieux, marche des Trois Couleurs [notule]
♦ Stockhausen – Mantra [parce que]
♦ Kalniņš – Mostieties, stabules un kokles (psaume) [commentaire]



Muller, jardinière en biscuit. Ronde de putti. Muller, jardinière en biscuit. Ronde de putti.



Légende : Jardinière de Muller en biscuit (XIXe siècle). Ronde de putti.

Bien sûr, pour prolonger le plaisir, je ne puis trop vous inviter à découvrir, outre les autres instants ineffables, d'autres œuvres de vaste valeur, peut-être moins propices à si haute itération, mais à fréquenter résolument. C'est la raison d'être de la section des Putti d'incarnat et autres Sélections lutins, qui s'est progressivement enrichie de sélections de :
♫ symphonies,
♫ quatuors à cordes,
♫ musique sacrée,
♫ opéras contemporains,
♫ trios de toutes formes,
♫ quatuors avec piano,
♫ œuvres pour piano solo,
♫ sonates avec violon,
♫ lieder orchestraux,
♫ jubilation cosmique,
♫ concertos pour clarinette,
♫ chœurs profanes a cappella,
♫ mélodies maritimes,
♫ quintettes pour piano et cordes,
♫ concertos pour piano
♫ …et scherzos !

Listes enrichies au fil des ans et périodiquement mises à jour.

Vos propres propositions sont bien sûr toujours bienvenues, soit pour me faire compléter mes expéditions, soit pour attirer l'attention des autres lecteurs sur des œuvres que je n'ai pas appréciées à leur juste valeur.



Bonnes découvertes répétitives !  N'en abusez pas – pour ça, il y a Philip Glass.

lundi 29 août 2016

2016-2017 : les opéras rares en France et en Europe


Cette année encore, petit tour d'horizon des œuvres plus rares qui passeront en France (et en Europe) dans la saison à venir. Classés par genre (chronologique et linguistique).
♥ Indique la cotation d'un spectacle vu.
♣ Indique la supposition personnelle de l'intérêt du spectacle.
(1 indique plutôt un conseil négatif, à partir de 2 le conseil est positif, et de 3 plutôt vivement conseillé.)


putti napoleon bibliotheque compiegne
CSS à la conquête de l'Europe.
Étranges putti sexués – dont l'un aux traits de l'impératrice ! – dans le décor de la bibliothèque de Napoléon à Compiègne. Sur les bagages, il est inscrit Buon viaggo in Cor… (« Bon voyage en Cor… ») et Posa piano (« Repose-toi bien »).



PREMIERS OPÉRAS

Rossi – Orfeo – Bordeaux, Caen, Versailles
Encore présente cette saison, la production déjà en tournée la saison passée. Œuvre historiquement incontournable, remarquable musicalement, et servie au firmament par les artistes (Ensemble Pygmalion, et Francesca Aspromonte en Euridice). [notule] → ♥♥♥♥♥

Cavalli – Eliogabalo – Garnier
Un Cavalli rare, avec García Alarcón (grandement pourvu pour ce style), Fagioli et Groves. → ♣♣♣♣

Cavalli – La Calisto – Strasbourg
Le Cavalli emblématique, dans un environnement surprenant de talentueux non spécialistes : Rousset, Tsallagova, Remigio, Genaux, de Mey. → ♣♣♣



OPERA SERIA

Haendel – Israel in Egypt – Reims
Bijou absolu de l'oratorio (surtout si la version retenue contient la déploration d'origine). Avec les Cris de Paris et les Siècles, très appétissant. (Direction Jourdain, avec notamment Redmond, Boden et Buffière). → ♣♣♣♣

Vivaldi – Arsilda, regina di Ponto – Caen
Un Vivaldi rare, avec le fulgurant Vaclav Luks. → ♣♣♣ (parce que je n'aime pas plus le seria que ça, mais sinon…)

Porpora – Il Trionfo della divina giustizia – Versailles
Oratorio virtuose, avec le fin du fin de l'école seria française : Staskiewicz, Galou, et en prime Negri. → ♣♣♣ (idem)



OPÉRA FRANÇAIS XVIIIe

Lalande-Destouches – Les Éléments – Louvre
Extraits (excellent interprétés) de cet opéra-ballet paré d'un grand succès en son temps. Le disque vient de paraître et vaut vraiment le détour. → ♥♥♥♥

Marais – Alcyone – Favart
Retour d'une œuvre qui n'a pas, je crois bien, été rejouée depuis Minkowski au début des années 90. Le livret de La Motte n'est pas bon, et ce n'est pas le meilleur titre de Marais, mais les danses sont belles (et la tempête légendaire). Ce sera joué par Savall, qui n'a pas toujours brillé dans ce répertoire (il ne faut pas se fier aux disques Alia Vox, fabuleusement captés et traités, qui ne reflètent pas la sècheresse réelle de l'ensemble) ; il semble néanmoins s'être amélioré, et s'être entouré ici d'excellents spécialistes. → ♣♣

Rameau – Zoroastre – Versailles
Suite des explorations de Pichon, avec ce titre splendide très peu joué. Avec Piau, Mechelen, Courjal, Immler. → ♣♣♣♣

Boismortier – Don Quichotte chez la Duchesse – Compiègne
L'une des œuvres les plus jubilatoires de tout le répertoire de l'opéra. Néanmoins la production des époux Benizio rend discontinu ce qui était au contraire d'une densité extraordinaire (les ariettes ne font pas une minute, tout n'est que de l'action !). → ♥♥♥ (l'œuvre vaut le maximum, mais le résultat est ce qu'il est… mitigé)

Sacchini – Chimène ou le Cid – Massy, Saint-Quentin-en-Yvelines
Au milieu d'une production très plate, de très loin le plus bel opéra de Sacchini, par Julien Chauvin et son nouveau Concert de la Loge Olympique. → ♣♣♣♣

Salieri – Les Horaces – Versailles
Le dernier opéra français de Salieri, après Les Danaïdes et Tarare, deux chefs-d'œuvre absolus. Les espoirs sont grands, a fortiori en considérant le sujet et les conditions de remise à l'honneur : Rousset, Wanroij, Lefebvre, Dran, Dubois, Bou, Foster-Williams, Lefebvre ! → ♣♣♣♣♣

Lemoyne – Phèdre – Bouffes du Nord, Caen
Recréation d'un opéra de la fin de la tragédie en musique. Véritable découverte. → ♣♣♣♣



BELCANTO ROMANTIQUE

Rossini – Elisabetta, regina d'Inghilterra – Versailles
L'un des plus mauvais Rossini, pauvre comme un mauvais Donizetti : l'impression d'entendre pendant des minutes entières de simples alternances dominante-tonique, sans parler des modulations à peu près absentes, le tout au service d'une virtuosité qui ne brille pas forcément par son sens mélodique.
Pour compenser, une direction nerveuse sur instruments anciens (Spinosi & Matheus) et une distribution constellée de quelques-uns des plus grands chanteurs en activité, Alexandra Deshorties (une des plus belles Fiordiligi qu'on ait eues), Norman Reinhardt (Kunde redevenu jeune !), Barry Banks… → ♣♣

Rossini – Ermione – Lyon, TCE
Tournée lyonnaise annuelle, cette fois sans Pidò. Avec Zedda, Meade, Spyres, Korchak, Bolleire.

Rossini – Il Turco in Italia – Toulouse
Le plus bel opéra de Rossini, de très loin : un livret remarquablement astucieux que Romani (avec une posture méta- très insolite pur l'époque) emprunte à Mazzolà (il existe donc un opéra de Franz Seydelmann sur le même sujet, que je suis en train de me jouer, j'en parlerai peut-être prochainement) ; la musique est du meilleur Rossini comique, avec des ensembles extraordinairement variés et virevoltant, mais elle s'articule surtout parfaitement à un drame finement conçu.
Avec Puértolas, Corbelli (Geronio) et Spagnoli (Selim). → ♣♣♣♣♣

Donizetti – Le convenienze ed inconvenienze teatrali – Lyon
Donizetti comique très peu donné, dans une mise en scène de Pelly, avec Ciofi et Naouri.

Verdi – Ernani – Toulouse
On n'est plus exactement dans le belcanto, même si Verdi en reprend alors encore largement les contours, mais c'est plus facile à classer comme ça, pardon. Très peu donné en France, celui-là ; un massacre de l'original (non voulu par Verdi, mais la censure lui a imposé de changer tout ce qui faisait la spécificité du texte d'Hugo… on se doute bien que le roi dans l'armoire, prévu par Verdi, faisait tordre le nez aux Autrichiens), donc il ne faut pas en attendre un livret marquant, mais il dispose musicalement de bien de jolies choses déjà très spécifiquement verdiennes, des airs très personnels et de superbes ensembles.
Avec Bilyy (miam) et Pertusi. → ♣♣♣



OPÉRA FRANÇAIS XIXe

Meyerbeer – Le Prophète – Toulouse
Depuis combien de temps n'avait-il pas été donné en France ?  Plus tardif, d'un sarcasme plus politique et moins badin que ses succès antérieurs (Robert et Les Huguenots), le Prophète dispose d'un livret à nouveau d'une audace exceptionnelle, où le pouvoir aristocratique signifie l'oppression (sans aucun recours !), où la religion est le cache-misère de toutes les ambitions et le refuge de tous les fanatiques, où la mère prend la place de l'amante, et où le héros, après avoir chanté sa pastorale, commet un crime de masse… Musicalement, moins de chatoyances que dans la période précédente, plus guère de belcanto non plus, mais la sophistication musicale et orchestrale reste assez hors du commun pour l'époque. À part Berlioz, Chopin, Schumann et Liszt, qui écrivait des choses pareilles dans les années 40, avant la révolution wagnérienne ?  On voit d'ailleurs tout ce que la déclamation continue et le travail de réminiscence a pu inspirer à Wagner, à qui Meyerbeer mit le pied à l'étrier pour la création parisienne de Tannhäuser – avec la gratitude qu'on connaît, c'est Wagner.
Peut-être pas très adéquatement dirigé par Flor, il faudra voir. Avec Gubanova, Osborn et Ivashchenko. → ♣♣♣

Halévy – La Reine de Chypre – TCE
Voilà un Halévy qui n'a guère été redonné. Assez différent de la Juive, si j'en crois mon exécution domestique il y a quelques années : des récitatifs bien prosodiés, beaucoup d'ensembles et de chœurs, mais un langage très simple, très mélodique, presque belcantiste, qui n'a pas du tout la même sophistication que Charles VI, La Magicienne, et bien sûr les plus complexes La Juive et Le Déluge. Mais exécution très prometteuse, par le Concert Spirituel, avec Gens, Laho, Dupuis, Huchet, Lavoie. → ♣♣♣

Halévy – La Juive – Strasbourg
Encore un grand succès du livret subversif (et pourtant très populaire) signé Scribe. La direction de Lacombe fait très envie, la reprise de la mise en scène de Konwitschny (que je n'ai pas vue, mais il me semble que ça a déjà été publié) m'inspire moins confiance, et le manque de grâce de Saccà (Éléazar) aussi. Mais il y aura Varnier en Brogni et même Cavallier en archer… → ♣♣♣

Adam – Le Chalet – Toulon
Pas grand'chose à se mettre sous la dent dans cette courte petite histoire, mais c'est très plaisant, et interprété par des grands : Tourniaire, Devos, Droy, Rabec. → ♣♣

Adam – Le Toréador – Rennes
Dirigé par Tingaud, le célèbre opéra à variations, très plaisant et payant. → ♣♣♣

Thomas – Hamlet – Marseille
J'hésite à le faire figurer dans la liste… l'œuvre est devenue (et à juste titre !) un véritable standard, il n'est pas de saison où on ne la joue en France, en Suisse ou en Belgique… Une série avait été proposée sur la transformation du matériau de Shakespeare aux débuts de CSS, et à l'époque où les prémices de la mode n'étaient pas encore une mode. Comme souvent, une superbe distribution : Ciofi, Brunet, R. Mathieu, Lapointe, Barrard, Bolleire, Delcour !  Moins enthousiaste sur Foster, qui défend généreusement ce répertoire, mais dont le style n'est en général ni soigneux, ni tout à fait adéquat. Néanmoins, ce sera très bien (mise en scène de Boussard qui devrait être bien). → ♣♣♣♣

Massenet – Don César de Bazan – Compiègne, Thaon-les-Vosges
Remarquable production de ce qui était quasiment le dernier opéra (en tout cas parmi ceux qui ne demeurent pas perdus) à être remonté de Massenet, longtemps cru brûlé. Superbement chanté (Dumora, Sarragosse), superbement accompagné (Les Frivolités Parisiennes, l'orchestre remporte un Putto d'incarnat cette année dans le bilan qui sera publié), mise en scène riche et avisée. L'œuvre en elle-même hésite entre un sinistre jeu de cache-cache avec la mort (qui vous rattrape parfois) et une transformation vaudevillesque du pourceau d'Épicure en mari soucieux du respect des usages. Musique plutôt légère, mais d'une finition remarquable. → ♥♥♥♥

Saint-Saëns – Le Timbre d'argent – Favart
Nouveauté chez Favart. Pas encore eu le temps de jouer la partition, mais forcément un bon a priori (opéra de Saint-Saëns + sélection Favart…). → ♣♣♣♣

Saint-Saëns – Proserpine – Versailles
Autre inédit, pour la tournée annuelle de la Radio de Munich (qui n'est pas la Radio Bavaroise, notez bien) en partenariat avec Bru Zane. Ulf Schirmer dirige, avec Gens, Marie-Adeline Henry, Vidal, Antoun, Lavoie, Foster-Williams, Teitgen !  → ♣♣♣♣♣

Offenbach – Geneviève de Brabant – Nancy
Un chouette Offenbach servi par une équipe épatante : l'habitué Schnitzler, Buendia (de l'Académie Favart, dans Cendrillon de Viardot et l'Écureuil Bleu de Dupin), R. Mathieu, Piolino, Huchet, Grappe, Ermelier… → ♣♣



MUSIQUE DE SCÈNE ROMANTIQUE

Grieg – Peer Gynt – Limoges
Dirigé par Chalvin, avec Kalinine en Anitra. (Chanté en VO, je ne peux pas dire comment sera le reste du dispositif, sans doute des résumés en français.)



SLAVES

Tchaïkovski – La Pucelle d'Orléans – Philharmonie de Paris
Très rare en France, et interprété non seulement pas de vrais russes, mais par la troupe du Bolshoï elle-même (dirigée par Sokhiev).→ ♣♣♣♣♣

Rimski-Korsakov – Snégourotchka – Bastille
Là aussi, rareté à peu près absolue sur le sol français. Tcherniakov en promet une relecture érotisante (propre à choquer le jeune public, précise l'avant-programme de l'Opéra…). Distribution bizarrement attelée (Garifullina dans le rôle-titre, mais aussi D'Intino et Vargas…). → ♣♣♣

Dvořák – Rusalka – Tours
Rusalka s'est pas mal imposée hors d'Europe centrale. Prélude, je l'espère, à l'importation d'autres titres de haute valeur (Armida, Dalibor, Libuše, Fiancée de Messine, Šárka…). Ici, c'est même avec une distribution étrange, très française, avec Manfrino et Cals (Princesse Étrangère !), ce qui m'effraie un rien, je dois dire. En revanche, l'excellent Micha Schelomianki en Ondin (rôle dont il est de plus très familier), et la voix n'est pas trop russe-ronde pour du tchèque.
L'œuvre est une merveille absolue qui se révèle encore mieux en salle. [livret, musique, discographie exhaustive] → ♣♣♣

Stravinski – The Rake's Progress – Caen, Rouen, Limoges, Reims
De jolies choses dans la distribution (Marie Arnet, excellente mélisande ; Isabelle Druet en Baba ; Stephan Loges en père Trulove), mais un opéra déjà faible dirigé avec la raideur de Deroyer, je ne suis pas complètement tenté. → ♣♣

Prokofiev – L'Ange de feu – Lyon
Si Guerre & Paix est le plus impressionnant scéniquement et dramatique (l'un des plus avenants mélodiquement aussi), L'Ange de feu est le plus impressionnant musicalement de toute la production lyrique de Prokofiev – c'est d'ailleurs la matière-première de sa Troisième Symphonie. Avec Ono, Syndyte, Efimov, Naouri. → ♣♣♣♣




XXe SIÈCLE DIVERS

… où l'on trouve énormément d'œuvres légères, en réalité.

Hindemith – Sancta Susanna – Bastille
Sujet mystico-érotique sur une musique très dense, du Hindemith très décadent, qui doit beaucoup plus à Salome que n'importe quelle autre de ses œuvres. Avec Antonacci, couplé avec Cavalleria Rusticana (avec Garanča), une assez chouette association. → ♣♣♣♣

Britten – Owen Wingrave – Amphi Bastille
… mais par l'Atelier Lyrique de l'Opéra, dont je n'aime pas du tout les choix de recrutement, ni les spectacles. Déjà donné pour leur Britten (Lucrèce), je passe.  → ♣♣

Sauguet – Tistou les pouces verts – Rouen
Sauguet n'est pas un immense compositeur, mais il a une fibre théâtrale, ce devrait être sympathique. → ♣♣♣

Rota – La notte di un nevrastenico – Montpellier
Avec Bruno Praticò et le formidable Bruno Taddia, œuvre comique que je n'ai pas testée. → ♣♣♣♣

Rota – Aladino e la lampada magica (traduit en français) – Saint-Étienne
Avec Larcher, Buffière, Tachdjian. Autre nouveauté pour moi, qui me rend bien curieux. → ♣♣♣

Menotti – The Telephone – Metz
Menotti – Amelia al Ballo – Metz
Le sommet du Menotti « conversationnel » (en version originale – il existe aussi une excellente version française), d'une fraîcheur jubilatoire, couplée avec son plus célèbre opus de type lyrique. Très beau choix, dirigé par Diederich, avec la jeune gloire Guillaume Andrieux.→ ♣♣♣♣



CONTEMPORAINS

Du côté des vivants à présent.

Gérard Pesson – La Double Coquette – Lille
Fin de la tournée. Bricolage des Troqueurs de Dauvergne avec des moyens « musicologiques » : Ensemble Amarillis, Poulenard (toujours étincelante), Villoutreys, Getchell. On peut le voir comme un moyen de toucher des droits à la façon du coucou, de remplir les quotas de musique contemporaine sans effrayer le public, ou bien comme une façon de rendre plus dense cette œuvre très légère qui a beaucoup vieilli et paraît peu consistante jouée seule, difficile de trancher. → ♥♥♥

Roland Auzet – HIP 127 – Limoges

Moneim Adwan – Kalîla wa Dimna – Lille
Joué à Aix cet été. Le principe du métissage avec le chant arabe classique est sympa, mais ça ne marche pas, et le livret, sa mise en scène, également statiques, ne sont pas bons non plus. → ♥

Lionel Ginoux – Vanda – Reims

Lucia Ronchetti – Pinocchio – Rouen
Pas très optimiste vu la tête de son Sonno di Atys, particulièrement peu intelligible (pourtant, le sommeil d'Atys n'est pas spécifique au mythe, ce doit être une référence à LULLY…), à l'opéra ce ne doit pas être un langage très compatible. → ♣♣

Ahmed Essya – Mririda – Strasbourg

Martín Matalon – L'Ombre de Venceslao – Toulouse, Avignon, Rennes, Clermont-Ferrand
Ici encore, pas un langage très prosodico-compatible à mon avis. Je n'ai pas été très convaincu par ce que j'ai entendu de Matalon jusqu'ici, mais le cahier des charges d'un ompéra étant forcément différent… → ♣♣

Violeta Cruz – La Princesse Légère – Compiègne

Marius Felix Lange – Schneewittchen – Colmar, Strasbourg, Mulhouse

Arthur Lavandier – Le premier meurtre – Lille
Tout jeune. Pas entendu.



OPÉRETTES ET COMÉDIES MUSICALES

J. Strauß – Eine Nacht in Venedig – Lyon
Lehár – Le Pays du sourire – Tours (Avec Philiponet, Droy, Dudziak)
Messager – L'Amour masqué – TM Lyon
Christiné – Dédé – Marseille
Lopez – Prince de Madrid – TM Lyon
Lopez – La Route fleurie – Marseille
Scotto – Violettes impériales – Marseille
Bernstein – Candide – Toulouse, Bordeaux
Sondheim – Sweeney Todd – Toulon
Mitch Leigh – L'homme de la Mancha – Tours
Jerry Bock – Un Violon sur le toit – Massy, Avignon

Un petit phénomène Luis Mariano semble-t-il, entre Lopez et Scotto !  Sinon, le jubilatoire Candide, la comédie musicale la plus opératique de Sondheim (pas sa meilleure), et la fameuse pièce de Leigh illustrée par Brel, chantée par Cavallier (pas de la grande musique, mais les basses aiment bien chanter ça semble-t-il Jérôme Varnier en donne aussi en récital). Dédé est à recommander avant tout pour le théâtre, avec une intrigue très vive et des caractères plaisants, tandis que la musique légère jazzy n'est pas ce qui frappe le plus l'attention.

Je ne m'avance pas sur des cotations ici, ça dépend tellement des inclinations de chacun… En ce qui me concerne, Sweeney Todd me laisse plutôt froid (mais est considéré comme une œuvre majeure de Sondheim), tandis que je n'ai rien contre Lopez et Scotto (particulièrement mal vus, mais en salle, ça coule très agréable)… Idem pour J. Strauß et Lehár, il faut être dans l'humeur adéquate (je n'en raffole pas personnellement, mais c'est musicalement plutôt bien tenu).




AILLEURS EN EUROPE

À part la création très inattendue d'un opéra de Kurtág à la Scala (Fin de partie, un choix moins surprenant), les raretés sont surtout des spécialités locales :
¶ les deux Erkel célèbres à Budapest (Bánk bán et Hunyadi László), plus le Ténor de Dohnányi (et la Reine de Saba de Goldmark),
¶ deux Dvořák semi-rares (célèbres mais à peu près jamais donnés hors des terres tchèques, Le Diable & Katia et Le Jacobin) à Prague,
Sakùntala d'Alfano à Catane,
Peer Gynt d'Egk à Vienne,
Doktor Faust de Busoni à Dresde,
Oberon de Weber & Die Gezeichneten de Schreker pour le festival munichois de juillet 2017.

Restent Rimski-Korsakov (Le Coq d'Or à Bruxelles) et Britten, Curlew River à Madrid et Death in Venice à la Deutsche Oper Berlin, moins congruents.




D'ici quelques jours devraient paraître à la fois le bilan de la saison écoulée (avec remise de breloques !) et la sélection de concerts du mois de septembre.

mercredi 10 août 2016

Paradoxe maoïste : le colonialisme musical au service de la révolution culturelle


        Je m'intéresse sans doute à ce qui ne me regarde pas, et assurément à des détails dérisoires, mais il est difficile, lorsqu'on se documente sur les pays d'idéologie (simili-)communiste et sur leur politique éducative et culturelle, sur leur communication et leur propagande, de ne pas s'interroger sur certains détails concernant la musique.


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Défilé militaire nord-coréen.



1. La musique et le pouvoir

        La musique est, par rapport aux arts textuels et visuels, en général un parent pauvre des milieux de pouvoir. Cela s'explique aisément : même à petite échelle chez un homme d'affaires, on peut citer un auteur pour appuyer un propos, s'abreuver de sophismes chez les philosophes, faire une opération de relations sociales en faisant mine de montrer des tableaux ; et, plus spécifiquement chez les hommes qui exercent le pouvoir politique dans des régimes autoritaires, passer des commandes qui exaltent, littéralement ou sous forme de paraboles et d'allégories, l'idéologie ou le culte de la personnalité.

        La musique, elle, n'exprime rien. À la rigueur des émotions, selon les conventions culturelles de chaque civilisation, mais pas un discours articulé comme peuvent le produire le langage ou la représentation visuelle. Un régime politique ne peut rien en tirer directement.
        Entendons-nous bien : je parle ici de la musique instrumentale, pas de l'opéra, des chansons ou même des oratorios, où la musique peut rendre redoutablement pénétrant le texte le plus bancal, chose dont ont usé et abusé tous les régimes – mais, ultimement, le message est celui du texte, amplifié par la musique, et non intrinsèquement porté par elle.


2. La musique soviétique, résolument élitiste

       J'ai déjà à l'occasion, au détour de notules consacrées à d'autres sujets, exprimé ma perplexité devant l'incompatibilité du projet soviétique, pourtant largement théorisé et organisé, de créer une musique populaire en refusant la forme… Plus encore, les œuvres que l'on entend (symphonies en plusieurs mouvements…) sont particulièrement formelles comparées aux œuvres contemporaines occidentales où la tonalité explose, où le genre devient de plus en plus libre et indéterminé. Et cela se trouve compensé par une complexification accrue des développements et des harmonies, extrêmement difficiles à suivre, même pour le mélomane aguerri – alors pour ce qui est de se mettre au service du prolétaire et concurrencer les productions décadentes de Bill Crosby, Connie Francis ou Doris Day, pas gagné.

        Khrennikov, le bon soldat et le mauvais voisin, est celui qui place le plus de réminiscences populaires, dans ses compositions, mais comme les autres, elles se caractérisent avant tout par des mélodies sinueuses et déceptives, impossibles à mémoriser ou à reproduire spontanément, et qui refusent de culminer dans des émotions franches, toujours poisseuses d'une façon ou d'une autre.

        Même dans de pures œuvres de commande comme L'Histoire d'un homme véritable, La Glace et l'Acier, Le Boulon ou Guerre et Paix, on trouvera difficilement de véritables hits accessibles (à part l'air de Koutouzov, je n'en vois pas trop, les choses les plus immédiatement agréables ressemblent au minimum à du ballet ou à de l'opéra ambitieux…).

        En somme, le projet soviétique de réalisme prolétaire aboutit à des œuvres musicales particulièrement abstraites, complexes et déprimantes. Ça peut intéresser le mélomane (même si je trouve personnellement la période futuriste tellement plus jubilatoire, et au moins aussi accessible), mais difficilement convertir les foules ingénues de travailleurs harassés.


3. La musique coloniale du juche

       Les principes sont différents et les paradoxes aussi puissants pour la musique maoïste. Voir une société tellement arc-boutée contre le modèle occidental utiliser uniquement des gammes de tempérament égal (très plates pour des oreilles habituées aux tiers et quarts de ton), dans les schémas harmoniques les plus éculés, pour servir à toutes les manifestations officielles, voilà qui laisse perplexe. Je vois bien l'intérêt de jeter l'héritage confucianiste pour asseoir le nouveau modèle, mais si c'est pour adopter la part la plus sommaire de l'impéralisme occidental !

        Il en va de même, et de façon encore plus frappante pour la Corée du Nord (exemple en début de notule). Alors que le but proposé est celui de l'émancipation et de l'autosuffisance (juche sasang), et même de la réunification des deux Corée, avec une exaltation de la culture d'origine contrairement aux maoïstes (témoin les journaux télévisés présentés en habit traditionnel)
comment expliquer que l'armée y parade sur les riffs occidentaux les plus pauvres, joués par des instruments importés par les cargaisons impérialistes ?
        Que la présentation universelle de la puissance du régime passe par des images où l'on entend des sous-versions anémiées de When Johnny Comes Marching Home, God Save the King ou Suoni la tromba, voilà qui me laisse toujours hautement circonspect. On parle d'un pouvoir qui pousse l'ambition totalisante de sa propagande jusqu'à commenter l'absence de déjections de son chef suprême. Et personne ne voit le problème de faire défiler les troupes qui exaltent l'indépendance et la fierté coréenne avec des instruments et des musiques issues de la part la moins raffinée de la colonisation.

       Je ne comprendrai jamais les dictateurs. Ils avaient Schreker, ils ont voulu Orff ; ils pouvaient choyer Chtcherbatchov, ils ont promu Prokofiev ; ils héritaient du Kunqu, ils ont voulu imiter Sousa. Comme si ça ne suffisait pas, ils sont méchants aussi.

mardi 10 mai 2016

Gisei, das Opfer : Carl ORFF debussyste


… ce qui n'est vraiment pas la pire hypothèse concernant Carl Orff.

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CPO propose du nouveau dans le catalogue de Carl Orff, et au delà, du nouveau dans l'opéra de langue allemande de toute la période : Gisei, court opéra de jeunesse (d'une heure, composé en 1913, à moins de 18 ans !), ne ressemble pas du tout au Orff d'après les Carmina Burana (1937, puis Der Mond, le cycle des Trionfi…), répétant à l'envi les mêmes formules (dont le compositeur était immensément fier, considérant ses trouvailes archaïsantes comme la preuve de son génie précoce). On y entend l'héritage direct de Wagner, certes, mais aussi une veine beaucoup plus étrange, une forme d'extrême-orientalisme passé au prisme de l'inquiétude wagnérienne… et par le biais de  sonorités assez particulières, limpides mais de ton plus sombre que Schreker, une sorte d'impressionnisme debussyste qui serait typiquement germanique.

Dans cette terrible histoire de jeu de rôle funeste, où l'enfant, sous le regard impuissant d'une mère, porte sur son existence même le poids de puissances qui le dépassent de très loin, la musique figure avec beaucoup de naturel (complexe mais fluide) l'atmosphère effrayante du livret. Son fréquent accompagnement par les seules parties graves de l'orchestre évoque assez Friedenstag (en plus décadent et bizarre) ce qui n'est pas un mince compliment.

carl orff gisei das opfer cpo lacombe

Le volume CPO contient, comme d'habitude, le livret bilingue allemand-anglais. (Très utile, car on y rencontre finalement beaucoup de moments purement instrumentaux, avec un grand nombre de didascalies précises, un peu comme dans le premier acte de la Walkyrie – des tirades, et parfois de simples groupes mots, interrompues par des commentaires orchestraux très fréquents.)

La Deutsche Oper, Jacques Lacombe et les chanteurs, en particulier le redoutable Genzo de Ryan McKinny (autorité immédiate et mystérieuse posée sur une voix nette).

Chaudement recommandé, réellement dépaysant.

dimanche 15 novembre 2015

Vladimir CHTCHERBATCHOV, génie obscur – Leon Botstein & l'American SO, messies des génies obscurs


[Ci-gît un prologue non écrit sur le mode un peu de CSS dans un monde de brutes. Chacun le rétablira à son gré avec la nuance souhaitée.]

Pour accompagner votre lecture, la Deuxième Symphonie est audible gratuitement en flux légal par ici.

Vladimir Vladimirovitch Chtcherbatchov selon la graphie française, mais on trouve plutôt Shcherbachov sur les disques (ou Shcherbachev, ou pour se conformer à la prononciation Shcherbachyov). En russes, c'est Щербачёв, ce qui se prononcerait plus ou moins Ch'erbatchiof (avec un chuitement sifflant du [ch], un peu comme les « -ich » allemands). Bref, non seulement il n'y a pas beaucoup de disques (de publiés, et encore moins de disponibles), mais alors il va vous falloir une sacrée patience pour mettre la main dessus ! 
Pour ne rien arranger, son oncle Nikolaï (lui, c'est Vladimir) était aussi compositeur – mais je ne crois pas qu'on ait grand'chose de lui au disque, peut-être quelques pièces pour piano dans un coin.

1889-1952. Compositeur futuriste, puis soviétique, il a traversé à peu près toutes les configurations possibles à cette époque : élève de Liadov, gagnant sa vie comme accompagnateur pour Diaghilev, il est soldat en 14-17, puis chef du département musical du Commissariat à l'Éducation, et finit professeur au Conservatoire de Leningrad (et Tbilissi), où il enseigne notamment à Popov et Mravinski.

Sa biographie explique assez bien les écarts immenses qu'il existe selon ses périodes et ses œuvres. Au disque, on trouve très peu de choses, mais l'écart est immédiatement perceptible.

¶ La Seconde Sonate pour piano (1914) est encore très romantique, parcourue d'audaces qui ne sont pas encore du futurisme : du Scriabine de la fin de la première période, disons.

¶ Le Nonette (1919) pour soprano, flûte, quatuor à cordes, harpe, piano et mime est un bijou absolu, un sommet de l'art futuriste, d'une liberté extrême tout en restant d'une perception très intuitive. À la fois inouï et immédiatement beau – si je ne devais sauver que dix œuvres dans le patrimoine musical, il y a fort à parier qu'il n'y figurerait pas dans les dernières places !

¶ L'opérette Capitaine Tabac (1943), dont la suite orchestrale a été enregistrée, utilise un langage léger et sommaire, visant le pur divertissement – à côté, Moscou quartier des Cerises (de Chostakovitch), ce seraient les Gurrelieder.

¶ La Symphonie n°5 « Russe », créée en 1948 dans un but de propagande (exaltant les luttes et  la victoire de 1945), marque par son soviétisme sommaire : grandes lignes « blanches », très pures, sur une harmonie assez sinistre, avec les mélodies déceptives et cabossées assez caractéristiques de la musique soviétique.
Plutôt du sous-Khrennikov (dont cette symphonie n'a ni les jolis frottements, ni l'instinct populaire), très frustrant.

Il existe aussi un opéra inachevé sur Anna Karénine (1939) et de la musique de film, pas mal de musique de chambre également.

Entre les deux groupes, la Deuxième Symphonie « Blokovskaya » (1925) n'a paru que fort discrètement, dans les publications dématérialisées de l'American Symphony Orchestra (voir ci-après).
C'est la première œuvre réellement essentielle parue depuis le Nonette (qui devait être le premier disque comportant du Chtcherbatchov, à moins que ce ne soit la Sonate – la première monographie au CD, parue chez BIS dans la collection des symphonies de guerre soviétiques, n'a pas dix ans), et elle confirme qu'à travers les périodes, il faut creuser le legs de Chtcherbatchov, qui a de toute évidence beaucoup à dire, et de façon très personnelle.

La Deuxième Symphonie inclut une soprano, un ténor solos et des chœurs, pas permanents, mais très présents dans le vaste dernier mouvement, le plus dense musicalement – qui dure la moitié d'une symphonie d'une heure.

Le résultat est étonnant : l'œuvre ne sonne vraiment pas typiquement russe, et tire plutôt vers de la musique décadente germanique de la toute meilleure farine, d'où seule semble se distinguer une forme d'expansion, de générosité moins formelle, plus slave en effet. On pourrait la décrire comme une Sixième de Tichtchenko (ou une Troisième de Szymanowski) récrite dans le style du Poème de l'Extase et de la Deuxième de Mahler, pour situer sa forme particulièrement libre et son ton pas du tout russe, plus proche de l'oratorio allemand – enfin, l'hypothétique oratorio écrit par (Joseph) Marx dans le style de sa Herbstsymphonie.
Autrement dit, une expansion formidable dans une forme libre mais sophistiquée, une harmonie chatoyante, des effets de masse impressionnants sur une musique raffinée – combinant lyrisme et complexité. Assez jubilatoire, voilà qui changerait d'autres symphonies chorales du répertoire, et rencontrerait un succès équivalent (ça coûte moins cher que la Huitième de Mahler, en plus).

shcherbachov_botstein.png

Leon Botstein et l'American Symphony Orchestra servent avec une grande facilité et une réelle implication cette œuvre techniquement exigeante (aidés de très bons chanteurs : Concert Chorale of New York, Michael Wade Lee et Marina Poplavskaya, qui se montre particulièrement magnifique ce soir-là).

L'orchestre est très peu connu en France, alors qu'il est en réalité l'un des principaux pourvoyeurs de musique symphonique à New York. Fondé en 1962 par Leopold Stokowski alors qu'il avait 80 ans, il a enchaîné les directeurs musicaux à un rythme assez élevé dans les années 80, mais Leon Botstein en tient la direction depuis 1992, une longévité rare désormais à la tête des orchestres prestigieux.
Ils sont en résidence à Annandale-on-Hudson (État de New York), au Richard B Fisher Center for the Performing Arts au Bard College, mais se produisent très régulièrement à New York, au Symphony Space et surtout au Carnegie Hall lors des Vanguard Series (où se concentrent les raretés).

Chose amusante, le but de l'orchestre était à l'origine de rendre la musique accessible à tous (notamment en matière de prix), et c'est aujourd'hui l'orchestre le plus exigeant en matière de répertoire nouveau – donc peut-être un peu plus un orchestre de spécialistes, tandis que les néophytes iront entendre Beethoven ou Dvořák par le Philharmonique ?

En effet la politique de Leon Botstein est de travailler sur des thématiques lors de ses concerts (historiques, artistiques, etc.), et surtout de faire entendre des chefs-d'œuvre qui ne sont plus joués. Et, de même que pour Lui, je n'emploie pas le mot en vain : son goût est véritablement infaillible. Point d'œuvrettes sympathiques de compositeurs célèbres, ou de jolies pièces agréablement décoratives d'inconnus qui brossent l'oreille peu avertie dans le sens de la cochlée, non, non : du vrai chef-d'œuvre exigeant, difficile à exécuter et différent, enrichissant pour le public.

C'était déjà le cas au disque : Die Ägyptische Helena, Der Liebe der Danae, deux des meilleurs Strauss peu célèbres (auxquels j'ajouterais Intermezzo et surtout Friedenstag) et une anthologie américaine (Copland-Sessions-Perle-Rands) avec l'American SO, mais aussi Le Roi Arthus de Chausson, Ariane et Barbe-Bleue de Dukas, A World Requiem de John Foulds avec le BBCSO, une monographie Joachim avec le London Philharmonic, la Troisième Symphonie de Glière avec le LSO et la Première Symphonie de Bruno Walter avec la NDR. La faillite de Telarc l'a empêché de poursuivre ses investigations lyriques… dans un premier temps.

Car, avec la possibilité de la dématérialisation et de la vente directe au consommateur (pour un coût minime : seulement la prise de son, vu qu'il n'y a pas d'objet ni de visuel individualisé, et que la distribution est assurée par les sites spécialistes eMusic, Amazon, iTunes, Deezer, qui peuvent stocker sans difficulté des disques à faible tirage), Botstein et l'American SO ont multiplié les publications (150 volumes, dit le site – et pour avoir parcouru la liste, ce n'est pas une exagération). Quelques œuvres du répertoire (la Trente-Huitième de Mozart, Sixième et Huitième de Beethoven, la Neuvième de Schubert, le Prélude de Tristan, le Cinquième Concerto de Saint-Saëns le Sacre de Stravinski…) pour ceux qui veulent entendre leur orchestre dans les standards, mais l'écrasante majorité sont des pièces extrêmement rares (et, pour la plupart, au minimum très intéressantes), dont quelques premières mondiales (et beaucoup d'autres très difficiles à trouver).

Ce fonds exceptionnel regroupe des œuvres d'une difficulté hallucinante que seul un grand orchestre peut porter sans dénaturer, et traverse les époques avec un éclectisme impressionnant – car le style reste toujours très informé et respectueux, avec une souplesse assez confondante.

Que publient-ils ?

Des compositeurs patrimoniaux des Amériques :
R. Thompson – Symphonie n°2
V. Thomson – Symphony on a Hymn Tune
Barber – First Essay
Cowell – Atlantis
Cowell – Variations pour orchestre
Cowell – Symphonie n°2
Chávez – Symphonie n°1, « Sinfonia de Antigona »
Chávez – Sinfonia India
Crumb – Variazioni

Beaucoup de patrimoine allemand, en particulier chez les décadents début-de-siècle :
Spohr – Le Jugement Dernier (oratorio)
Czerny – Psaume 130
Schubert – Die Verschworenen
Liszt – Hunnenschlacht
Liszt – Psaume 13
Wagner – Das Liebesmahl der Apostel
Bruckner – Psaume 150
Brahms – Rinaldo (très belle version)
Raff – Ouverture pour La Tempête
R. Strauss – Symphonie n°2 (opus 12)
R. Strauss – Bardengesang
R. Strauss – Hymne olympique
R. Strauss – Austria
R. Strauss – Die Tageszeiten – la grande fresque chorale (difficile à trouver en intégralité), et superbement rendue
Hausegger – Wieland der Schmidt – un beau poème symphonique (première mondiale)
Zemlinsky – Psaume 23
Schreker – Der ferne Klang
Schoech – Nachhall
J. Marx – Eine Herbstsymphonie l'une des symphonie les plus démesurées, décadentes et contrapuntiques de tout le répertoire (qui ne se trouvait déjà qu'en dématérialisé, dans des versions moins virtuoses)
F. Schmitt – Psaume 47
Wellesz – Symphonie n°2
Braunfels – Don Juan (poème symphonique)
Antheil – Ballet mécanique
Hindemith – Le long dîner de Noël
Dessau – In memoriam Bertolt Brecht
Dessau – Haggadah shel Pesah
K. A. Hartmann – Hymne symphonique

Plus étonnant, du répertoire russe et surtout soviétique :
Tchaïkovski – Le Voïévode
Taneïev – L'Orestie
Lourié – Chant funèbre sur la mort d'un poète
Chtcherbatchov – Symphonie n°2
Popov – Suite symphonique n°1
Miaskovski – Silentium, d'après un poème de Poe
Chostakovitch – La Puce
Weinberg/Vainberg – Concerto pour trompette
Tichtchenko – Symphonie n°5

Ou les jeunes italiens modernes :
Malipiero – Pause del Silenzio I
Pizzetti (Trois Préludes à Œdipe de Sophocle – lequel ?)
Casella – Italia
Petrassi – Coro di morti
Dallapiccola – Volo di notte
Dallapiccola – Canti di prigionia, Canti di liberazione

Et pêle-mêle :
Stanford (Symphonie n°3, Variations de concert sur un air anglais), Enescu (Symphonie n°1), Martin (Les Quatre Éléments), Chadwick (Ouvertue Rip van Winkle), Sessions (Symphonie n°1), Carpenter (Concerto pour violon, Skyscrapers), Still (Africa, Symphonie n°2), Ben-Haïm (Symphonie n°2), Tal (Symphonie n°2), Panufnik (Sinfoni di Sfere), Tuille (Ouverture romantique), Klenau (Ouverture Klein Idas Blümen), Suk (Scherzo fantastique), Piston (Symphonies n°2 & 4, Concerto pour violon n°1), Matthus (Responso), M. Steinberg (Suite pour Les Métamorphoses), Siegmeister (American Holiday), Takemitsu (Cassiopeia), Achron (Épitaphe à la mémoire d'Alexandre Scriabine), Berio (Rendering), Bantock (Prélude aux Bacchanales), Brüll (Ouverture de the Golden Cross), Janáček (Le Fils du Flûtiste), Seter (Midnight Vigil), Kajanus (Aino), Gerhard (Don Quixote), Nielsen (Symphonie n°3), Raitio (Les Cygnes), Saint-Saëns (Orient et Occident), Fuchs (Sérénade n°1, Symphonie n°3), Rubin (Symphonie n°4), Holmboe (Symphonie n°8), R. Wilson (Triple concerto pour cor, marimba et clarinette basse)…

On trouve même une collection assez développée d'opéra (quasiment que des bijoux, très bien interprétés de surcroît, même les opéras français sont chantés dans une langue respectueuse et un style orchestral adéquat) :
Weber – Euryanthe, avec William Burden l'œuvre ne devient pas passionnante pour autant, seul disque dont je vois sorti mitigé ; il faudrait vraiment des instruments d'époque et beaucoup d'énergie pour rendre ça ingestible sur la durée
Spohr – Le Jugement Dernier (oratorio)
Meyerbeer – Les Huguenots
Schumann – Szenen aus Goethes « Faust » avec Andrew Shroeder et Michael Spyres !
Saint-Saëns – Le Déluge (oratorio)
Saint-Saëns – Henry VIII
Suppé – Franz Schubert œuvre présentée ici
Chabrier – Le roi malgré lui avec Frédéric Goncalves
R. Strauss – Die Liebe der Danae – une nouvelle version avec d'autres chanteurs !
Schreker – Der ferne Klang
Dallapiccola – Volo di notte


Vous remarquerez que les œuvres sont toujours présentées seules, courtes ou longues, l'enregistrement n'en concerne qu'une à la fois – ce qui nous extirpe des contraintes du disque format concert.

Je ne les ai pas toutes citées. Dans l'ensemble, toutefois, les raretés sont légion. Leur site ne mentionne que cinq premières mondiales (Czerny, Hausegger, Lourié, Braunfels, Rubin), mais il me semble qu'on en a beaucoup d'autres – sans parler de tous ceux où l'enregistrement est seul disponible.
Étrangement, le catalogue n'est pas disponible sur le site officiel de l'orchestre, c'est pourquoi j'ai pris un peu de temps pour les chercher dans les sites de vente dématérilisés et les classer.

À l'heure actuelle, le seul site de flux qui contienne une large part de la publication semble être Deezer.

Le jeu en vaut la chandelle : il n'est pas toujours facile de déterminer ce qui vaut la peine d'être entendu (même si, chez Timpani par exemple, et même chez les décadents de CPO, le déchet est rare), et cette collection constitue un guide hautement fiable. Aussi bien par l'intérêt des œuvres abordées que par la qualité constante de l'exécution. La virtuosité et la cohésion de l'orchestre, bien sûr, mais aussi et surtout la capacité à se conformer au style – il est rarissime que des spécialistes des grosses machines du postpostromantisme germanique arrivent à se fondre dans les contraintes du classicisme et de l'opéra français.

En somme, ne vous limitez pas à Chtcherbatchov !


mercredi 14 octobre 2015

Les noms de code des orchestres — II — les douze Francfort


Sur le modèle berlinois, il s'agissait à l'origine de débrouiller en quelques mots les dénominations étranges (reflets d'une évolution de la langue…) de l'orchestre de radio de Francfort-sur-le-Main. Et bien distinguer avec l'orchestre symphonique de Francfort-sur-l'Oder. Mais la vie musicale dans la première  Francfort est tellement riche, comme dans tant de cités allemandes, qu'il n'était peut-être pas inutile d'élargir un peu le panorama.

En avant pour le voyage.


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atterberg rasilainen metropolis strobel octuor yun
simon le duc symphonies hasse piramo haendel gideon


Deux villes

Première évidence : lorsqu'on parle des orchestres de Francfort, il faudra distinguer entre deux villes. 

¶ D'une part Frankfurt am Main, cinquième ville d'Allemagne en population (717.000 habitants intra muros), cité prospère du Land de Hesse, celle dont on parle en général par défaut aussi bien vu de France (plus proche géographiquement, de l'ancienne RFA, et importante économiquement) que d'Allemagne (vu le poids respectif des deux cités dans l'équilibre national)

¶ D'autre part Frankfurt (Oder) – quelle graphie étrange –, quatrième ville du Brandebourg, de 60.000 habitants. À l'opposé sur la carte de l'Allemagne. On va commencer par là, il y a moins à faire.


1. Frankfurt (Oder)

Située dans le Brandebourg, la ville est en perte de vitesse : issue de l'ancienne RDA, elle a perdu, entre 2000 et 2010, 16% de sa population. Et pourtant, elle dispose d'un orchestre de premier plan (plus un autre partagé), ce qui est plus que ne peuvent en dire Orléans, Caen ou Argenteuil.  Frankfurt (Oder), qui accueille l'une des plus belles phalanges musicales au monde, dotée d'une généreuse discographie, compte sensiblement moins d'habitants que Calais, Saint-Nazaire, Colmar, Bourges, Mérignac, Ajaccio, La Seyne-sur-Mer, Quimper, Valence, Villeneuve-d'Ascq ou Vénissieux. L'Allemagne est décidément un autre pays.

On y trouve deux orchestres.

¶  Les Brandenburger Symphoniker, issus d'un orchestre militaire du XIXe siècle. Bien que basés au Brandenburger Theater de Brandenburg an der Havel, jouent régulièrement à Berlin, Potsdam, Stendal ou au Kleist Forum de Frankfurt (Oder). C'est un orchestre à rayonnement local, dont je n'ai vu passer aucun disque à ce jour ; leur seul chef permanent un minimum célèbre est Peter Gülke, qui vient de prendre ses fonctions cette année (2015). Les autres ne figuraient pas du tout parmi les annuaires des chefs susceptibles d'être invités par des orchestres de premier ou second plan.
Ils semblent jouer un vrai répertoire sérieux et être dotés d'une véritable ambition ; je ne les ai jamais entendus, hélas, et ne puis donc rien en dire. De toute façon, ils ne sont pas à strictement parler attachés à Frankfurt, même s'ils y passent régulièrement.

¶ Le Brandenburgisches Staatsorchester Frankfurt (Oder). Peut-être (à en juger par le disque) dans sa meilleure période (années 90) l'orchestre que j'aime le plus en Europe – en compétition avec Trondheim et la Philharmonie Slovène. La précision du trait, la coloration vive, l'aération du spectre peuvent évoquer par certains aspects les exécutions sur instruments d'époque – mais aucune stridence, la cohésion des tutti allemands s'y entend aussi à son meilleur. C'est cette chaleur sans rien débrailler qui fait tout le prix de cet ensemble, généreusement servi au disque.


czerny athinaos
Écouter par ici.
Fondé en 1842, l'orchestre n'a pas été dirigé par les chefs les plus célèbres du circuit : Wolfgang Bothe (1971), Heinz Struve (1982), Andreas Wilhelm (1986), Nikos Athinäos (1990), Heibert Beissel (2001), Howard Griffiths (2007) – ce dernier étant le seul,grâce au disque (et aux labels défricheurs comme CPO), à disposer d'une petite notoriété.

Le legs discographique, en revanche, est généreux, concentré chez Signum, Christophorus (dont des rééditions duprécédent), Genuin et CPO. De façon non exhaustive, on trouve (classé par chronologie approximative des compositeurs) :

  • Bach – Passacaille & Fugue BWV 582 dans des arrangements de Töpfer, Reger, d'Albert et Stokowski – la version Sokowski est dirigée par Athinäos (Christophorus)
  • Mozart – Concertos pour flûte 1 & 2 – Ukigaya (Bella Musica)
  • Czerny – Symphonies 1 & 5 – Athinäos (Signum, puis Christophorus)
  • Czerny – Symphonie n°2 & Concerto pour piano Op.153 – Athinäos (Signum, puis Christophorus)
  • Moscheles – Symphonie en ut & Concerto pour piano n°6 – Athinäos (Christophorus)
  • Récital : Rossini, Adam, Donizetti, Bellini, Verdi, Massenet, Puccini – Airs d'opéra français et italiens – Beissel (Genuin)
  • Lalo – Symphonie en sol mineur & Concerto pour piano – Athinäos (Christophorus)
  • Reinecke – Symphonie n°3 & Concerto pour harpe – Beissel (Christophorus)
  • Jadassohn  – Symphonies 1 à 4 – Griffiths (CPO)
  • Brahms – Symphonies 1 & 2 – Griffiths (Klanglogo)
  • Rheinberger – Poèmes symphoniques et ouvertures – Athinäos (Christophorus)
  • Reznicek – Symphonie 1 & 4 Bet- und Bussgesänge – Prudenskaya, Beermann (CPO)
  • Vaughan Williams – Symphonie n°5, Concerto pour tuba basse, Sea Songs – Luig (Genuin)
  • Lehár – Die Blaue Mazur – Beermann (CPO)
  • Alfano – Symphonies 1 & 2 – Yinon (CPO)
  • Holbrooke – Poèmes symphoniques – Griffiths (CPO)
  • Erdmann – Symphonie n°3 – Yinon (CPO)
  • Erdmann – Symphonie n°4 – Yinon (CPO)
  • Rathaus – Symphonies 2 & 3 – Yinon (CPO)
  • Tansman – Concertino pour piano, Concerto pour la main gauche, Stèle in memorium Stravinsky – Seibert (CPO)
  • Programme polonais : Fitelberg, Morawski-Dabrowa, Tansman, Laks – Faucon, Nevermore, Érasme, Poème avec violon – Bruns (EDA)

On distingue clairement les trois dernières périodes :
Athinäos chez Signum/Christophorus. La grande période aux couleurs éclatantes, aux prises de son aérées, où l'enthousiasme est palpable. Dominante premier romantisme, avec des œuvres peut-être naïves mais pour certaines très abouties (et jubilatoires).
Beissel chez Genuin, aux orientations moins lisibles.
Griffiths chez CPO, dans l'exploration des répertoires postromantique, décadent et moderne rares qui font la spécificité de la firme. Israel Yinon dirige beaucoup de ces volumes.

Que faut-il écouter ?
=> En premier lieu la Première Symphonie de Czerny, unique version d'une œuvre majeure, dans une interprétation véritablement fulgurante : à mon sens l'un des plus grands disques de tous les temps. On croirait avoir affaire à des spécialistes d'instruments anciens à qui l'on mettrait dans les mains le confort des instruments modernes : couleurs incroyables, aération et lisibilité des plans, mais aussi une rondeur, une ampleur et une générosité impressionnantes. Le reste du programme et surtout l'autre disque Czerny sont sensiblement moins aboutis.
=> Les deux Symphonies d'Alfano, des bijoux décadents, parmi les très plus grandes symphonies de la première moitié du vingtième siècle, dans une interprétation où l'on retrouve les mêmes qualités de coloris (quelle petite harmonie, capiteuse, jamais acide !) mêlées à un vrai sens du discours.
=> Le volume Lalo est superbe aussi (pièces très généreuses, pas si éloignées des œuvres symphoniques de Grieg), interprété avec une belle ampleur. Moscheles conserve les mêmes qualités, avec de belles œuvres (qui ne sont pas majeures cette fois).
=> Pour les œuvres, il faut écouter les Bet- und Bussgesänge de Reznicek ; ce n'est pas le volume où l'orchestre est le plus mis en avant, mais la découverte mérite le détour.
=> Pour entendre pleinement les spécificités de la phalange, c'est du côté de la Quatrième Symphonie d'Erdmann qu'il faut aller chercher, les pupitres y sont tous mis en avant de façon très avantageuse pour les individualités de l'orchestre.

alfano yinon

Si vous vouliez les évaluer par là, soyez prévenu que les symphonies de Brahms avec Griffiths sont plutôt molles. On entend bien le grain très particulier de la clarinette solo et des cors, mais ce n'est pas un enregistrement (quoique très valable) qui fait de l'ombre à la concurrence, clairement.

Je doute au passage que ces enregistrements (en particulier ceux de Signum/Christophorus et CPO) reflètent l'activité réelle de ces orchestres. CPO, en particulier, commissionne des enregistrements dont les programmes ne sont même pas forcément donnés en concert !  (Il faut dire que pour remplir une salle avec une intégrale Jadassohn ou une série Reznicek-Holbrooke-Erdmann-Rathaus-Tansman…)  En revanche, dans le cadre du disques, ils tracent tout de même des lignes de force sur une partie de l'activité (et des qualités intrinsèques) de l'orchestre. 


2. Frankfurt am Main

Plus de dix fois plus peuplée, la quantité d'orchestres de la ville est en conséquence. Et, vous le verrez, comme pour Berlin, certaines dénominations évoluent étrangement.


2.1. Orchestre de fosse


En résidence à l'Opéra de Francfort, le Frankfurter Opern- und Museums Orchester est fondé en 1792, et tire sa dénomination actuelle des concerts organisés par le Musée dès 1808.

Il figure parmi les orchestres les plus prestigieux d'Allemagne (même officiellement, en matière de règlementation !), aussi bien pour ses qualités objectives (quelle différence avec celui de l'Opéra de Stuttgart, ville à peine moins peuplée – davantage à la pointe en matière d'oratorio) que pour son passé prestigieux où se sont succédés quelques figures majeures de l'histoire de la direction d'orchestre, notamment.
Ainsi, rien que parmi ses directeurs musicaux, on trouve Louis Spohr (1818-9) et à partir de Siegmund von Hausegger (1903-6), une ribambelle de noms révérés au plus haut sommet (parmi quelques figures au rayonnement assez limité localement) :
  • Willem Mengelberg (1907),
  • Hermann Scherchen (1922),
  • Clemens Krauss (1924),
  • Hans Wilhelm Steinberg (1929),
  • Bertil Wetzelsberger (1933),
  • Karl Maria Zwissler (1937),
  • Franz Konwitschny (1938),
  • Bruno Vondenhoff (1945),
  • Georg Solti (1952),
  • Lovro von Matačić (1961),
  • Theodore Bloomfield (1966),
  • Christoph von Dohnányi (1968),
  • Michael Gielen (1977),
  • Gary Bertini (1987),
  • Hans Drewanz (1991),
  • Sylvain Cambreling (1992),
  • Klauspeter Seibel (1997),
  • Paolo Carignani (1999),
  • Sebastian Weigle (2008 à aujourd'hui)

Orchestre très impressionnant par ses capacités techniques, sa netteté de plan et son coloris très vif et évocateur – je trouve très éloquent de comparer le grand retour scénique des Gezeichneten par Gielen-Francfort en 1979 (précision absolue pour une musique très peu pratiquée, évidence musicale) et le Don Giovanni tout pâteux de la Radio Bavaroise en 1985 : il y a certes un effet de chef (Gielen vs. Kubelik, pas exactement la même école ni le même standing), mais on peut se rendre compte à quel point l'Opéra de Francfort, dès les années 70, sonnait comme les meilleurs orchestres d'aujourd'hui, avec des pupitres très bien individualisés et une discipline collective imparable.

 
La fin de l'acte I des Gezeichneten de Schreker dans la production de l'Opéra de Francfort dirigée par Michael Gielen (on entend Trudeliese Schmidt en Carlotta). Tiré d'une bande inédite.

Très peu servi au disque jusqu'à une date récente, on peut désormais trouver quelques archives – une Jenůfa dirigée par Matačić avec Goltz, Schlemm et Kozub, par exemple (chez Myto). Mais, surtout Oehms a débarqué, documente désormais l'essentiel des grandes productions de l'ère Weigle ; une double bénédiction, dans la mesure où Sebastian Weigle est (un bonheur ne venant jamais seul) l'un des tout plus grands chefs de notre temps.

rheingold weigle
Écouter par ici.
On peut donc entendre beaucoup de monuments du répertoire allemand, révérés mais pas tous souvent joués : Wagner (Lohengrin par Billy, Die Feen, Das Liebesverbot, Rienzi, Der Ring par Weigle), Humperdinck (Königskinder par Weigle), R. Strauss (Ariadne, Die Frau ohne Schatten, et même deux disques symphoniques, toujours par Weigle), Pfitzner (Palestrina par Kirill Petrenko), Korngold (Die tote Stadt par Weigle), Reimann (Lear par Koch, Medea par Nielsen)…
À cela s'ajoutent d'autres œuvres peu courues : La Fanciulla del West de Puccini (par Weigle), L'Oracolo de Leoni (par Solyom), Caligula de Glanert (par Stenz).

Les prises de son aérées, rondes mais assez réalistes (l'orchestre prend place dans sa salle un peu sèche et enveloppe vraiment les chanteurs) permettent de profiter de lectures passionnantes dans d'excellentes distributions et surtout avec d'immenses chefs (Weigle, K. Petrenko, Stenz !).
À ce titre, le Ring de Weigle est vraiment un incontournable, l'une des meilleures intégrales ; ce n'est pas la distribution la plus superlative, encore que tout le monde donne son meilleur – Stensvold est un superbe Wotan mûr, Streit un Loge à la fois moelleux et expressif… il y a surtout Lance Ryan en Siegfried qui pose un problème, capté vraiment trop tard, la voix en pleine désagrégation ; pourtant, le souffle permanent insufflé par la direction (cursive, mais surtout très attentive à la moindre articulation des phrasés, aussi bien musicale qu'expressive, au point de rendre Wagner plus évident que jamais, de sembler nous faire comprendre la nécessité de chaque élément) rend toutes considérations glottophiles très superflues, ce qui  n'est pas fréquent, par nature, à l'opéra ! 

schatten weigle

De même, Die Frau ohne Schatten par Weigle est assez hallucinante, je ne suis pas persuadé d'avoir déjà entendu un orchestre aussi virtuose, pour lequel les traits straussiens les plus retors semblent couler de source comme une fusée mozartienne… Le plateau n'est pas fabuleux (en dehors du squillo formidable de Tamara Wilson, ce n'est pas forcément très bien chanté), mais c'est à entendre au moins pour s'extasier devant les musiciens (et le naturel de Weigle).


2.2. Orchestre de radio

L'autre grand orchestre de la ville est celui de la Radio, l'un des premiers ensembles dédiés à la radiodiffusion fondés en Allemagne (1929).

C'est lui qui motive cette notule, car son nom est étrangement incohérent au fil des périodes. Comme pour les orchestres de radio berlinois, il évolue et se contredit, jusque dans les options graphiques ou syntaxiques.

¶ De 1929 à 1950 : Frankfurter Rundfunk-Symphonie-Orchester.
¶ De 1950 à 1971 : Sinfonie-Orchester des Hessischen Rundfunks.
¶ De 1971 à 2005 : retour vers Radio-Sinfonie-Orchester Frankfurt.
¶ Depuis 2005 : à nouveau retour vers hr-Sinfonieorchester.

On remarque donc un aller-retour entre le niveau municipal et le niveau régional. La graphie actuelle, avec le sigle sans haut de casse, épouse le logo du Hessischer Rundfunk (Radio Hessoise).
Il y a cependant fort à parier que la Hesse soit beaucoup moins évocatrice au niveau international (d'autant que Francfort n'étant pas la capitale de la Hesse, Wiesbaden n'évoque pas exactement les grands horizons musicaux au grand public… ni aux mélomanes). C'est pourquoi, malgré ce choix, les disques récents de l'orchestre destinés au marché international sont en général publiés sous la désignation Frankfurt Radio Symphony Orchestra.

Autre fait notable, l'évolution linguistique au fil du XXe siècle.
  • Lexicale :
    • Hésitation entre la graphie grecque ou simplifiée (Symphonie vs. Sinfonie) – j'ai d'ailleurs l'impression que « Sinfonie » était une fantaisie du XXe siècle un peu passée de mode, mais c'est toujours la dénomination du Rundfunk-Sinfonieorchester Berlin, et les allers-retours ont tout de même été assez anarchiques chez les orchestres, sans qu'on puisse vraiment en tirer de conclusions ;
    • Alternance entre le mot germanique et le mot latin pour désigner la radio (Rundfunk vs. Radio) – là aussi, difficile d'en tirer des conclusions (on est à nouveau, avec le sigle « hr », à Rundfunk aujourd'hui, qui me semble un usage majoritaire, mais les fluctuations ont été assez anarchiques dans les diverses maisons). Je serais assez curieux d'investiguer les raisons de ces changements… il doit bien y avoir une représentation de la langue, pour ne pas dire une idéologie, derrière.
  • Syntaxique :
    • L'ordre des mots, à chaque fois différent ! 
    • Cette réorganisation laisse percevoir une disparition progressive des structures génitives, allant de plus en plus vers une juxtaposition (la plupart des orchestres ont désormais leur nom + leur ville, sans lien casuel).
atterberg rasilainen

Comme pour l'Opéra, l'orchestre de la Radio dispose également d'un beau plateau de chefs depuis sa création (je grasse ceux qui ont laissé le plus de témoignages) :
Hans Rosbaud (1929). Le disque en conserve peu de traces, me semble-t-il, vu les dates. Ses grands disques allemands sont plutôt aux côtés de Baden-Baden ou de la Radio(-Est) de Berlin.
Otto Frickhoeffer (1937).
Kurt Schröder (1946). Essentiellement resté à la postérité pour ses enregistrements radiophoniques d'opéras – donc avec le son de radio un peu sec de l'époque, qui ne permet pas de bien entendre l'orchestre, mais Schröder le compense par une grande énergie, tout est fouetté bien méchamment.
On trouve notamment des Strauss avec Borkh (Salome en 1952, Elektra en 1953), Macbeth de Verdi (en allemand), Boulevard Solitude de Henze (dont il n'est pourtant pas le créateur), un Boccacio de Suppé et par-dessus tout un Don Giovanni électrisant (1948, en allemand =>écouter ici<=), exhumé par Walhall et depuis réédité en dématérialisé par divers minuscules labels – on y entend la ferme aristocratie de Karl Schmitt-Walter (don Giovanni) et surtout le Leporello abyssal (simultanément au verbe acéré) d'Otto von Rohr (Scherchen en a ensuite fait, en bonne logique, un Commandeur… et Leitner l'un des plus grands Gurnemanz jamais captés).
Otto Matzerath (1955).
Dean Dixon (1961).
Eliahu Inbal (1974). Énergie, sens dramatique, personnalité, Inbal y déploie les qualités qui font toujours ses succès. Ses responsabilités de Francfort représentent sa période de notoriété la plus faste – avec ses Bruckner alternatifs chez Teldec (son intégrale, sans pathos mais sans chercher la vivacité, fait par exemple le choix du mouvement original de la Troisième, celui avec les citations de Wagner =>écouter ici<=), avec ses Mahler chez Denon (les premiers enregistrés en « digital », une véritable sensation à l'époque du fait de la prise de son extraordinaire – enregistrements largement reniés depuis par la critique, du côté de l'interprétation, et qui figurent pourtant parmi les tout meilleurs jamais proposés…).
On note aussi quelques explorations dans le domaine du premier vingtième siècle, concomitamment avec l'ère Gielen à l'opéra : la Deuxième Symphonie de Scriabine pour Decca (par Inbal), Der Traumgörge de Zemlinsky dans la série décadente de Gerd Albrecht pour Capriccio, mais on y rencontre aussi des versions de référence du grand répertoire, comme le Te Deum de Berlioz, Má Vlast de Smetana… 
L'orchestre n'a pas été trop fêté au disque, mais recèle ainsi quelques belles références.
Dmitri Kitajenko (1990, également graphié Kitayenko, voire Kitaïenko). En bonne logique, on y entend beaucoup de musique soviétique, mais étrangement, Kitajenko a infniment plus enregistré avec le Gürzenich dont il n'a jamais été directeur musical. Avec Frankfurt, on ne trouve surtout les concertos (piano, violon) de Prokofiev et les Suites de Chostakovitch… Dommage, grand chef.
Hugh Wolff (1997). Wolff n'a guère laissé de trace au disque. C'est d'ailleurs un recrutement un peu étonnant, sous-dimentionné en quelque sorte, considérant qu'il a surtout laissé des témoignages de son passage à la tête du Saint-Paul Chamber Orchestra, certes fort bons, mais pas exactement prestigieux (ni très originaux). Passer du New Jersey Symphony et du Saint Paul Chamber à la Radio de Francfort, c'est une promotion impressionnante, et qui n'a même pas laissé l'impression de la reconnaissance d'un prodige – je me demande comment la chose s'était décidée et avait été présentée à l'époque, mais la notule étant suffisamment copieuse, j'avoue ne pas m'être trop longuement penché sur la question.
Paavo Järvi (2006). Période faste, qui arrive au moment où la notoriété croissante de Järvi demande de proposer des disques au public. Järvi grave donc avec l'orchestre les œuvres qu'il fait tourner sur ses différents orchestres, avec ainsi une habitude et une hauteur de vue supérieures, surtout considérant les talents exceptionnels du chef : mainte fois évoqué dans ces pages, son art de la tension ininterrompue et de la transition naturelle en fait l'un des plus grands en activité.
Toujours en cours d'enregistrement et de publication en 2015, on peut ainsi trouver un vaste choix dans les bacs, couvrant l'essentiel des époques (alors qu'il enregistre simultanément d'autres œuvres avec le National d'Estonie, Cincinnati, la Philharmonie de Chambre de Brême ou l'Orchestre de Paris) :
— concertos pour piano de Mozart (21 & 27 avec Lars Vogt, chez CAvi),
— concertos pour violon de Beethoven et Britten (avec Janine Jansen, chez Decca),
— le Premier Concerto pour piano de Brahms (avec Nicholas Angelich, chez Virgin),
— un beau Deutsches Requiem de Brahms (pâte traditionnelle mais légère et lumineuse, avec hélas des solistes en demi-teinte, chez Virgin),
— une intégrale Bruckner en cours (à la fois subtile, électrisante et particulièrement lisible, une référence ultime à venir, chez RCA =>écouter ici<=),
— concertos pour violoncelle de Dvořák & Herbert (avec Gautier Capuçon, chez Virgin),
la Symphonie en mi de Rott (chez RCA, couplée avec ce qui est peut-être le premier enregistrement de la Suite en si bémol =>écouter ici<=),
— des symphonies de Mahler l'une des plus franches, simples et vives n°2 chez Virgin, et 1 & 2, en vidéo chez Unitel),
— des monographies Hindemith pour violon et alto (partagées avec les sonates correspondantes, chez BIS et Naïve),
—Prokofiev & Chostakovitch (Concertos pour violoncelle chez Hyperion),
— les concertos pour piano de Chostakovitch (avec Toradze, chez Pan Classics),
— la Septième Symphonie de Tüür chez ECM,
— une anthologie Kagel-Furrer-Ruzicka-Widmann (chez Pan Classics) (mouvements isolés des 1-2-3-10 chez Virgin.
Andrés Orozco-Estrada (2014). Difficile de m'en faire une représentation, tandis que paraissent encore les disques avec Järvi et que le filon semble se poursuivre malgré le changement de directeur musical.

metropolis strobel
Écouter Metropolis ici et Berlin .
L'orchestre, fidèle à sa vocation radiophonique, effectue aussi un travail de documentation et de création dont le disque se fait l'écho : ainsi une vaste série Hindemith chez CPO (dirigée par Werner Andreas Albert) qui s'ajoute aux volumes déjà donnés par Järvi, et bien sûr l'intégrale Maderna parue chez NEOS (dirigée par le talentueux spécialiste Arturo Tamayo).
Par ailleurs, une superbe série a paru autour des musiques originales des grands films muets : Berlin de Meisel, Die Nibelungen et Metropolis (de loin la meilleure version, musicologiquement et interprétativement) de Huppertz…

Pour se faire la meilleure image de l'orchestre, ce sont bien sûr les Mahler d'Inbal qu'il faut écouter au premier chef ;  les Bruckner de Järvi (par exemple la périlleuse Cinquième) sont fantastiques et permettent de bien saisir les timbres, mais ils témoignent avant tout de l'exaltante lecture du chef. Dans un genre moins original, la Deuxième de Mahler du même Järvi est captée avec suffisamment de transparence pour rendre justice à l'orchestre.
Sinon, moins révélateurs des timbres de l'orchestre (captation moins franche), le Don Giovanni de Schröder et la Symphonie de Rott par Järvi sont des disques particulièrement originaux et exaltants, qu'il faut absolument écouter de toute façon.

De toute façon, si sa maîtrise impressionne, l'orchestre n'est pas caractérisé par la personnalité de ses timbres : son haut niveau et sa grande plasticité lui permettent d'épouser des conceptions très différentes et abouties dans les meilleures conditions, mais la pâte elle-même n'a rien de furieusement spécifique.


2.3. Orchestres de concert

Les deux orchestres dédiés au concert, à Francfort, sont au moins en partie dévolus au cross-over.


2.3.1 Johann-Strauß-Orchester Frankfurt

Fondé en 1986 et incluant 34 musiciens permanents (l'adresse de leur site les nomme « Frankfurter Sinfoniker »), il s'appuie sur des membres de l'Orchestre de la Radio de Francfort et d'autres issus des orchestres des opéras de Hesse (Francfort, Wiesbaden, Darmstadt). Tenues très étudiées et festives (tenue de soirée blanche pour les messieurs, robes de couleur pour les dames).

Il joue essentiellement des musiques festives : recueils de valses et polkas, arrangements d'opérette allemande ou de musical anglophone, suites de musiques de film… (et cachetonne un peu, à en voir la promotion faire sur leur site pour leurs « programmes combinables »)


2.3.2. Neue Philharmonie Frankfurt


Né en 1999 pour célébrer le nouvel an, cet orchestre joue du répertoire tout à fait traditionnel (Mozart, Brahms, Mahler), mais se prête aussi à des soirées de partenariat pour des styles mélangés : accompagnement de chanteurs lyriques hors classique ou de chanteurs d'autres styles, et plus encore (José Carreras, David Garrett, Vanessa Mae, Sarah Brightman, Deep Purple, Paul Potts… !).
Je n'ai pas pu en entendre d'enregistrement.


2.4. Orchestres de chambre et ensembles spécialistes


2.4.1. Deutsches Kammerorchester Frankfurt am Main

L'Orchestre de Chambre Allemand de Francfort (la dénomination peut paraître étrange, mais il faut voir « allemand » comme l'équivalent de notre « national »), établi en 1989, réunit de jeunes lauréats de grands prix internationaux, encadrés par des chefs de pupitre provenant des grands orchestres allemands (je n'ai pas vérifié ce qui était appelé grand).

C'est en tout cas un ensemble qui, malgré quelques disques, ne dispose pas d'un très grand rayonnement international, mais qui se situe à un haut niveau d'excellence néanmoins. Leurs Haydn, avec le moelleux des orchestres traditionnels et la fièvre mordante des ensembles musicologiques, méritent vraiment le détour.

L'orchestre voyage beaucoup. Actuel directeur musical, Rista Savic – apparemment personne ne l'écrit Savić, peut-être une volonté de sa part, étant naturalisé allemand.


2.4.2. Ensemble Modern

nunes quodlibet Créé en 1980, c'est un des plus célèbres ensembles spécialistes de musique contemporaine, l'équivalent allemand de l'EnsembleIntercontemporain. Comme son collègue, il est plutôt spécialisé dans les artistes institutionnels (donc plutôt les langages divers del'atonalité, disons – soit à peu près tout sauf les « néos » simples ou complexes), et documente quelquefois des compositeurs plus anciens,parmi les décadents / « dégénérés : Varèse, Ives, Wellesz, Weill, et déverse des quantités vertigineuses parutions dans les bacs, chezDeutsche Grammophon, EMI, RCA, Naïve, Montaigne, Kairos, Ars Musici, NEOS, Musiques Suisses, Bridge, æon, Nimbus, Col Legno… dans desesthétiques aussi diverses que celles de Weill, Nancarrow, Henze, Murail, Zappa, Yun, Adams, Reich, Rihm, Birtwistle, Dufourt, Nunes,Spahlinger, Fujikura, Ruzicka, Benjamin, Mernier…
Parmi ses innombrables disques, ceux de la collection 20/21 sont les plus distribués et les plus célèbres, à commencer par le vaste Jagden und Formen de Rihm, parcouru par une énergie et une maîtrise qui forcent le respect, ou leur album Birtwistle (Theseus Game).
Mon goût personnel m'a poussé vers le Quodlibet de Nunes (chez Montaigne – ce qui se trouvait de mieux avant des albums de refontes plus récentes d'œuvres de Nunes ne paraissent), les ensembles à vent de Yun, sinistres mais d'une grande beauté (chez Ars Musici), les Vigilia de Rihm (chez NEOS), pas un disque prioritaire dans le cadre du Rihmliturgique, mais qui mérite le détour – cela dit, ce n'est pas là que les musiciens sont le plus mis en valeur.
octuor yun


2.4.3.  La Stagione Frankfurt

hasse piramo Ensemble baroque fondé en 1988, il est le mieux représenté au disque des ensembles baroques de la ville : chez Capriccio (Piramo e Tisbe, l'une des premières gravures officielles d'un opéra intégral de Hasse, je crois ; mais aussi des œuvres d'A. Scarlatti, des Bach, de Geminiani…), chez CPO (quantité de concertos de Telemann, notamment une intégrale desconcertos pour vents ; mais aussi des œuvres plus classicisantes : Benda, Beck, Abel, intégrale symphonique de Simon le Duc…). Il existemême un album chez Deutsche Harmonia Mundi accompagnant Dmitry Egorov dans des airs écrits pour Nicolini.
Des timbres bien mordants, toujours un bel engagement ; ce sont des valeurs sûres, aussi bien pour les concertos de Telemann (très réussis) que pour les raretés comme les belles symphonies de Simon le Duc. simon le duc symphonies


2.4.4.  Barockorchester Frankfurt


Couramment dénommé sur tous les disques par sa traduction anglaise Frankfurt Baroque Orchestra.

haendel verità Né deux ans plus tôt, en 1986, mais de notoriété discographique plus tardive, avec des gravures essentiellement limitées à Naxos (plus unpeu de Hertel et Molter chez Aeolus), autour des grands oratorios anglais de Haendel : Saul, L'Allegro, Semele, Hercules, Theodora, mais aussi des titres plus rares, Esther, Deborah, Athalia, Solomon, et plus rares encore, Nabal, Gideon, Tobit (trois pasticci réalisés dans la seconde moitié du XVIIIe siècle à partir d'œuvres de Haendel). Seul titre italien, Il Trionfo del Tempo e della Verità, refonte d'Il Trionfo del Tempo et del Disinganno, dont c'est la première gravure.

Ce sont de bonnes versions, solidement jouées dans un style adéquat,sans chercher non plus l'originalité, la surprise ou l'éclat. La version de L'Allegro, sans être un premier choix (je recommanderais P. Neumann, Gardiner, et mêmeMcCreesh et Nelson avant de se tourner vers celle-ci qui n'est ni la plus ardente, ni très différente), demeure un très bon témoignage aux équilibres sûrs.
haendel gideon


2.5. Orchestres hors classique

2.5.1 HR Big Band

Orchestre du Hessischer Rundfunk (Radio de Hesse) dédié au jazz en grand ensemble.


2.5.2. NGO Frankfurt

Soit Next Generation Orchestra Frankfurt, fondé par le saxophoniste Thomas Groß en 2013 et destiné également au répertoire de big band.

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Il en reste sans doute d'autres, en particulier dans les petits ensembles spécialistes ou dans les institutions hors classique, mais voilà déjà un petit tour d'horizon de ceux pourvus de la meilleure notoriété. Où l'on peut observer :
¶ l'évolution étonnante des usages syntaxiques dans la dénomination des orchestres ;
¶ la place assez importante de beaucoup de ces phalanges dans l'établissement d'un répertoire discographique ;
¶ l'intérêt particulier de l'orchestre de radio, et le niveau hallucinant, quasiment hors de pair, de l'orchestre de fosse.

Dans le futur, il est prévu de parler de Munich, de Londres (pire que Berlin), de Paris et de quelques autres.

En attendant, vous pouvez toujours relire la page consacrée aux différents orchestres berlinois


jeudi 17 septembre 2015

[Carnet d'écoutes n°83] – Takemitsu pop, élections d'orchestres, 3e Scène, Invalides, Kaufmann & Puccini, Gerhaher & Mozart, Tino Rossi & Schubert…


Les travaux projetés se révélant plus gourmands que prévu (et le temps moins extensible aussi, malgré quelques reventes de places de concert), on se repaie la facilité d'un petit carnet d'écoutes.

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1. CHAMBRISMES

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Lekeu – intégrale pour quatuor à cordes (Timpani) / intégrale générale (Ricercar)

Il en existe deux, l'une par le Quatuor Camerata, l'autre par le Quatuor Debussy (légèrement plus complète sur le CD concerné). La seconde est particulièrement phénoménale, comme souvent – l'une des rares formations à faire autorité aussi bien dans les transcriptions improbables, comme la plus belle version de tous les temps du Requiem de Mozart (sans voix !), que dans le répertoire le plus rebattu, témoin leur Quatorzième de Schubert.

Je reviens inlassablement à cet album, paru chez Timpani. Il faut au moins écouter l'Adagio molto sempre cantate doloroso, une plainte d'une beauté insoutenable qui s'étend sur une dizaine de minute – encore plus impressionnant que son fameux Adagio pour quatuor d'orchestre.

À noter, Ricercar vient de publier en coffret l'intégrale Lekeu éditée au fil des ans (œuvres orchestrales par Bartholomée et le Philharmonique de Liège), dans d'excellentes interprétations en ce qui concerne la musique de chambre, et incluant jusqu'à Andromède, sa cantate saisissante (en réalité un opéra miniature dans le goût de d'Indy).

(La plupart de ces disques peuvent s'écouter sur Deezer, en principe.)

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Takemitsu : Gita no tame no juni no uta, douze chansons pour guitare

L'Internationale, Summertime, Somewhere Over the Rainbow, Secret Love, Yesterday, Michelle… Des tubes arrangés pour guitare solo avec un soin polyphonique (et des tensions harmoniques) tout particulier, assez enivrant.

Très exigeant à la guitare, mais en revanche facile à jouer pour des pianistes modestes ! Laissez-vous tenter, c'est autre chose que les réductions indigentes habituelles.

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2. GLOTTOLOGIES

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Récital Puccini de Jonas Kaufmann (Sony)… et quelques propositions alternatives

J'avais adoré le récital vériste de Kaufmann-Pappano, farci de raretés, et portant à leur plus haut degré d'incandescence les grands tubes. La voix a beau être à l'opposé de mes canons, ce qu'il en fait, aussi bien plastiquement que musicalement et expressivement, est toujours à couper le souffle.

Et ici, pour la première fois depuis longtemps, je reste un peu sur ma faim. Pourtant, il ne réenregistre pas les grands airs déjà faits par ailleurs (et republiés par Universal, son ancienne maison, dans un récital synthétisé exprès pour attraper les amateurs), et laisse donc la place à des titres moins courus que « Che gelida manina » ou « E lucevan le stelle ». On y trouve même Edgar et la grande scène des Villi que j'ai moi-même mainte fois appelée de mes vœux pour les récitals et concerts !

Pourtant, je trouve l'essentiel du disque un rien terne, même Le Villi. Le premier air de Tosca (« E lucevan le stelle » a déjà dû être gravé) et La Fanciulla del West fonctionnent très bien en revanche, peut-être parce qu'on n'y attend pas la même italianité, la même lumière que dans La Bohème, Manon Lescaut ou La Rondine – qui paraissent plus monochromes, plus étouffés ; en vrai, on sentirait l'élan et l'intensité indéniables du chanteur, mais au disque, je finis par me laisser bercer de façon plus passive.
Le « Nessun dorma » final est électrisant, tout de même ; pas uniformément vocal comme souvent, une véritable progression où chaque note est pesée – où l'on n'attend pas gentiment les aigus, en somme. (comme remarqué dans de précédentes notules, il bidouille la partition comme les copains)

Néanmoins, je crois surtout que la grande raison tient dans mon amour modéré de Puccini, et plus encore que ses airs me cassent vite les pieds. Ce sont des fragments (encore plus sirupeux que le reste, même s'ils sont musicalement souverainement écrits), qui n'ont même pas de vie propre comme de vrais airs de récital, des bouts de machin qui ne sont déjà pas les meilleurs moments de l'opéra, mais qui ne prennent pas sens non plus tout seuls.

D'ailleurs, c'est nul les airs, il faudrait vraiment se décider à publier des récitals de récitatifs ! Un récital Verdi de soprano avec les parties d'Annina, Ines, Tebaldo, Emilia et Meg, ça aurait une sacrée allure. Un peu plus ambitieux, un récital Wagner avec « Wie ? Welchen Handel », « Friedmund darf ich nicht heißen » et « Ich hab' eine Mutter »… Oh, un récital Loge-Mime-David, voilà qui serait grand !

Et puis, bien sûr, des récitals de baryton avec des bouts de Hamlet (comme celui, magnifique, de Shovhus) et du Vampyr (« Meinst du ? », le grand récit de son sort). Les (rares) récitals de baroque français sont bien obligés de s'y plier, considérant le caractère très court des airs (du moins avant Rameau).

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Christian Gerhaher, disque « Mozart Arias »

Accompagné (par le Freiburger Barockorchester) sur petit ensemble d'instruments anciens, dans un format chambriste inhabituel : ça crincrinne mais finement, j'aime beaucoup. Ça assume la dimension de récital en bonne compagnie, d'une certaine façon, plutôt que de jouer l'illusion du grand opéra.

Première chose qui frappe, ce n'est vraiment pas très italien (voix ronde plus que frontale, accent étrange, [r] roulés serrés très bavarois…) ; par ailleurs la voix est placée plus en arrière, couverte différemment par rapport au style italien. Néanmoins le résultat est totalement jubilatoire ; outre le petit orchestre, on bénéficie du style inimitable de Gerhaher, combinant sans cesse les rapports ouvert/couvert, voix pleine/voix mixte, résonance métallique/résonance « naturelle »… J'ai promis une notule à ce sujet, pour étudier les procédés en détail ; ce n'est pas pour tout de suite, mais cela viendra. Ce n'est pas seulement fascinant glottologiquement, c'est surtout d'une variété infinie, parcourue de détails très touchants.

Considérant sa bizarrerie, tout n'est certes pas une référence, mais son Figaro et son Guglielmo sont d'une saveur toute particulière. Recommandé !

Pour goûter Gerhaher à l'opéra dans toute sa gloire, vous pouvez écouter le Tannhäuser de Janowski ou son récital d'airs romantiques allemands avec Harding (où il grave Froila et Lysiart pour l'éternité). En voilà un qui aurait pu faire le grand récitatif du Vampyr avec brio !

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Christian Franz aujourd'hui

Je viens de me rendre compte (merci J.) qu'il avait chanté cette année (à Budapest) à la fois Loge et Siegfried !

Et pourtant, il enchaîne ses Siegfried depuis au moins quinze ans ; je l'ai entendu pour la première fois dans une retransmission de Bayreuth, en 2000… probablement pas une prise de rôle, donc ; il l'a même enregistré deux fois (avec Paternostro, puis Young), et la voix ne semble pas bouger. À part Windgassen, on n'a pas eu beaucoup de cas de ce genre depuis 1950 (avant, c'est plus difficile à documenter).

Il est vrai qu'en retransmission, la voix paraît grêle, pas toujours juste, l'élan incontestable mais un brin fruste. En salle, pourtant, la voix (sans être volumineuse) est très bien projetée et très audible, mais surtout le timbre se révèle très beau (doucement coloré), et perce une poésie des nuances qu'on ne soupçonne pas aussi bien perçu de près : vraiment un chant conçu pour s'épanouir dans l'espace.

Il a étrangement peu d'inconditionnels, mais voilà un des très grands chanteurs de notre temps – l'un des plus beaux Tristan jamais entendus, me concernant. Ce n'est pas Suthaus dans ses jeunes années, certes, mais on n'a pas souvent fait mieux que Ch. Franz depuis lors.

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La Belle Meunière par Tino Rossi

Huit lieder ont été adaptés (ce ne sont pas vraiment des traductions) et orchestrés pour le film de Marcel Pagnol. Quasiment la seule trace de l'exécution de Schubert en français (à part le justement fameux « Tilleul » de Thill, et considérant que Germaine Martinelli est vraiment inintelligible dans sa propre Meunière…), malgré l'existence de traductions (plus sérieuses) ; on a vu que c'était un sujet qui tenait à cœur aux lutins de céans.

Les nouveaux poèmes sont vraiment moyens ; plus seulement naïfs comme les originaux, mais très mièvres et assez stéréotypés. On perd la balourdise du meunier qui ne voit pas trop ce qui lui arrive, qui s'enflamme sur des détails, au profit du propos plus général d'un amoureux assez standard.

En revanche, les arrangements orchestraux, dans une veine très kitsch (ça ressemble assez à la version filmique de La Belle de Cadix), sont assez réussis. Ah, ces chœurs féminins extatiques en coulisse pour « Der Müller und der Bach », ce tutti avec trompettes pour « Der Neugierige » !

Et surtout, Tino Rossi plane sur ces textes français avec une grâce infinie : il mixe comme les meilleurs ténors d'opéra, mais se permet de moins couvrir ses sons, ce qui lui procure une clarté (sans danger, vu qu'il n'y a pas d'enjeu de projection) assez unique, assise sur une technique parfaite. Idéal pour le lied, fût-il bizarrement attifé.

Ça se trouve désormais dans certaines anthologies du chanteur (pas les mieux distribuées, certes).

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Stabat Mater de Pergolesi par Vincent Dumestre

Couplé avec des musiques mariales napolitaines, chantées avec des techniques très nasillardes, ouvertes et sonores, comme des musiques traditionnelles de plein air. Étrange.

Même le Stabat Mater surprend, répartissant les lignes soit à un chœur féminin, soit à deux petits braillards. Pas très convaincu, mais la surprise fait passer le temps dans une œuvres qui m'ennuie assez vite (tendant un peu trop sur le seria purement vocal), et qui regarde beaucoup moins du côté de l'opéra et de la virtuosité vocale, en privilégiant les atmosphères, fussent-elles déconcertantes.

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3. PROGRAMMATIONS

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Aux Invalides

Je me suis aperçu que je n'avais pas dépouillé proprement la saison musicale du Musée de l'Armée. Je pleure de dépit… des concerts inratables, conçus rien que pour moi, toujours le vendredi à 12h15 (tout le monde ne travaille pas dans le VIIe arrondissement tout en débauchant à midi pile !).

  • Un concert (avec harmonium et ténor, notamment…) incluant des œuvres de rien de moins que Schmitt, Halphen, Jongen et Casella (en prime, Karg-Elert et Kunc), dans des œuvres évoquant la guerre ! (heureusement, il y a un petit rattrapage avec un concert de Lafont le soir, chantant notamment Halphen, Février et Schreker !)
  • Les sonates pour alto et piano de Koechlin, Schmitt, Vaughan Williams et Hindemith.
  • Le Quatuor Arod dans Nielsen Op.13 et l'opus 76 n°1 de Haydn, deux des plus grands quatuors jamais écrits – parmi mes chouchous en tout cas. Et rarement donnés finalement, surtout Nielsen !
  • Le Quatuor Akilone dans Mozart (divertimento), Boutry (création) et le Sixième de Mendelssohn…
  • Pour couronner le tout, Raquel Camarinha vient me narguer avec La Bonne Chanson (Fauré, version avec quatuor), Les Histoires naturelles (Ravel, sa verve peut en tirer des merveilles !) et les Chantefleurs et Chantefables (Lutosławski).


Sérieusement, les gars, vous faites un programme pour moi et vous le balancez n'importe quand, vous me décevez grandement.

Les autres, précipitez-vous, ces petits vont vous donner du grand.

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3e Scène

L'Opéra de Paris vient d'ouvrir sa plate-forme numérique, considérée comme une troisième salle. Je me demandais si ça montrerait l'envers du décor, ou des œuvres courtes pas présentées dans leurs concerts, une sorte de documentaire d'art ou de piste bonus ; en réalité, ce sont des œuvres nouvelles, plus ou moins précisément reliées à l'Opéra de Paris. Ce peut être un danseur qui danse (sur de la musique électronique) dans les salles de répétition, une chanteuse (Barbara Hannigan !) dont on superpose les exercices d'échauffement… Le tout dans des montages artistiques.

C'est plutôt poétique, et j'ai lu beaucoup de bons retours là-dessus, mais de là à considérer ces jolies évocations comme une nouvelle salle, je suis dubitatif. (En plus, hébergé sur YouTube, ça ne fait pas très chic.)
Mais c'est assez dans la veine branchouille « les snobs parlent aux initiés » qui sera la marque de communication de ce mandat (et de quelques autres). Moi, tant qu'on me donne de bonnes choses à aller voir (et qu'on arrête d'augmenter les prix des places d'entrée de gamme !), je veux bien toute la parlotte qu'on voudra, de quelque nature qu'on voudra. Même si le patron n'a jamais écouté d'opéra.

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Élections d'orchestres

Le webzine Bachtrack, après avoir publié un palmarès (parfaitement arbitraire) établi par des critiques professionnels, propose à ses lecteurs de voter à leur tour pour le meilleur orchestre et le meilleur chef en exercice. Ce qui est amusant, c'est que le choix est étendu, j'ai même trouvé les miens.

En désigner un seul n'a pas grand sens de toute façon, il faudrait pouvoir citer un grand nombre de noms pour atterrir sur des convergences qui ne se limitent pas aux superstars (qui vaincront de toute façon, ne serait-ce que parce que personne n'a tout écouté, mais que chacun a forcément entendu Ozawa – bon candidat, tenez –, Haitink, Gergiev et Rattle).

Je n'ai pas voté, mais je me serais sans doute prononcé pour l'Orchestre Philharmonique de Slovénie (si l'on parle des orchestres entendus en vrai, sinon ce serait le Symphonique de Trondheim) et pour Günter Neuhold (bien sûr), choix partiel et arbitraire à son tour, mais sans doute le plus spontané et honnête que je puisse faire. Si vous voulez vous amuser pour sponsoriser vos chouchous, faites-vous plaisir.

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Derniers concerts vus

Il faudra prendre le temps d'en toucher un mot, mais à nouveau un Sibelius ultime par Paavo Järvi et l'Orchestre de Paris (la Cinquième Symphonie – j'ai vraiment hâte de voir l'intégrale publiée !), où les constructions les plus mystérieuses et les transitions les plus étirées font sens avec une générosité étonnante ; et un Freischütz passionnant par Hengelbrock (quelle précision de trait !) et la NDR, dont le grain sonore est étrangement comparable au disque : j'ai toujours cru que c'étaient les filtres appliqués aux bandes qui procuraient cet aspect légèrement élimé au son, pas du tout rond-à-l'allemande, mais non, le grain est aussi spécifique en vrain (pas déplaisant du tout !). Et on ne peut qu'admirer la rigueur absolue des pupitres, dont il n'est pas un cliché de dire qu'elle est distinctivement allemande…

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… Bacewicz et Wagner seront à nouveau pour une autre fois.

lundi 3 août 2015

Passion de l'intégralité et commodité des coupures


1. Un Don Carlo intégral

1977. Nous sommes plutôt à l'orée de ces préoccupations autour de l'authenticité des œuvres jouées, de leur respect des conditions d'exécution d'époque, de leur congruence avec les désirs des auteurs (toutes choses pas forcément compatibles au demeurant). C'est la période où s'éveillent les baroqueux, où s'étend la renaissance de l'interprétation belcantiste, où l'on a définitivement abandonné (en dehors des opérettes et de quelques théâtres spécialisés) les représentations dans la langue du pays d'accueil.

Claudio Abbado propose alors à la Scala le projet ambitieux d'un Don Carlo de Verdi intégral en version scénique. Jusqu'à la fin des années 1980, la norme internationale était largement la version de Milan (1884, avec modifications et coupures sous la supervision de Verdi, la dernière version approuvée) : c'est-à-dire la version en quatre actes, sans ballet ni scène de masques, avec récriture des duos Carlo-Posa et Posa-Filippo, ainsi que de la fin. On jouait quelquefois la version de Modène (1886), qui restitue le premier acte (moins l'introduction des bûcherons), comme Giulini (à Covent Garden en 1958, à Rome en 1965, à Covent Garden en 1970…) ou Solti (dans le fameux studio Decca), et qui est de plus en plus présente au disque au fil des représentations et studios des années 90 (Levine, Haitink…).

La version en cinq actes, quoique peu commune, n'était donc pas une première en 1977… à ceci près qu'Abbado fait le choix de revenir à la version originale la plus complète. Pas la version originale en français (celle de 1866 avec toute la musique mais sans ballet ou celle de 1867 avec ballet et quelques coupures), mais la version italienne la plus ancienne, celle donnée en 1867 en italien à Londres, en 1871 à Naples… mais augmentée du ballet et de toutes les parties coupées à la création. Bref, pas exactement une version historiquement donnée, mais la plus complète possible, contenant toute la musique (sauf le ballet) écrite par Verdi (mais conservant les duos de Posa et le nouveau final, récrits après l'échec napolitain et publiés dans la partition milanaise, au lieu de rétablir les originaux, certes un peu moins aboutis).

On se retrouve donc avec l'introduction des bûcherons, l'échange des masques et la déploration sur la mort de Posa, ajoutés à la version italienne en cinq actes habituelle (celle de Modène 1886, pas approuvée officiellement). Pour les détails sur tous ces états de la partition, vous pouvez vous référer à cette notule qui essaie de lever les ambiguïtés sur le sujet (souvent entretenues par les exégètes verdiens, pas très passionnés par le sujet semble-t-il). Pour les versions réellement originales, il faut se tourner vers Matheson (tout y est, et très bien servi), Pappano (il manque les bûcherons et le ballet), Abbado chez DG (mais très figé, chanté par des non-francophones, sans les duos alternatifs et avec tous les suppléments rejetés en appendice) ; autrement dit, il faut se tourner vers Matheson.

2. Une mystérieuse disparition

De tout cela, il a déjà été question, et il n'y aurait pas d'intérêt à y revenir si ce n'était pour observer une imposante bizarrerie.

En 1977, les représentations remportent semble-t-il un vif succès et la télévision italienne souhaite en faire une vidéodiffusion. Je n'ai plus les détails sous la main (et ils importent peu, finalement, pour mon propos), mais le plus clair de la distribution, qui faisait alors les beaux jours de l'œuvre sur les plus grandes scènes (Freni, Carreras, Cappuccilli et Ghiaurov – peut-être ceux dont on a le plus de versions, à part le ténor), était déjà engagée pour un studio chez EMI, avec Karajan et Berlin (où Karajan avait choisi Baltsa en Eboli et Raimondi en Inquisiteur – respectivement Obraztsova et Nesterenko à Milan).
[La légende raconte que Karajan aurait refusé de déplacer les dates ou de laisser les chanteurs s'absenter pour la soirée supplémentaire destinée à la captation (je n'ai plus les documents, ni pris le temps de vérifier comme tout cela s'est passé, c'est à prendre comme le ragot que c'est) – le pouvait-il, avec des réservations de studio et des répétitions de conception très différente, un nouvel orchestre ? – si bien qu'on dut appeler en catastrophe des remplaçants pour la représentation filmée.]
Cela me paraît un peu étrange, tout ce monde au pied levé pour de véritables représentations scéniques à la Scala, mais peu importe : la série s'est terminée par une captation imprévue, où cinq des six rôles principaux furent changés. Margaret Price, Domingo, Bruson, Nesterenko remplaçaient les absents, Nesterenko étant lui-même remplacé en Inquisiteur par Roni.

Et là réside le mystère : alors qu'Abbado conserve la version achicomplète qui n'était pas familière aux chanteurs nouvellement arrivés, il opère une énorme coupure à l'acte I, que je n'ai jamais entendue ailleurs. Musicalement, c'est même une aberration, les accords ne suivent plus de logique harmonique et la mélodie semble débuter de nulle part – on sent bien l'hésitation de Domingo, pourtant un sacré solfégiste, et familier du rôle dès le début des années 70, pour trouver la bonne note, tellement la coupure est absurde.


Freni et Carreras à la fin de 1977, puis Domingo en 1978 : plus de quatre minutes d'un moment essentiel ont disparu. Et avec une couture très mal réalisée. Surtout que par la suite, ils ne font que s'émerveiller de leur amour, sur une musique sensiblement de même qualité ; on pouvait couper des sections ou des reprises sans abîmer le théâtre.


3. Pourquoi, mais pourquoi grand Dieu ?

Le rôle de cette mutilation demeure énigmatique.

Ce n'est pas une coupure militante comme dans les Gezeichneten de Nagano (où les jointures, bien faites, permettent de simplifier l'intrigue et de réduire le nombre de personnages – ça n'en reste pas moins abominable, mais c'est un choix raisonné) ; ce n'est pas non plus une coupure d'usage comme dans Elektra, qui permet de ne pas changer le matériel d'orchestre d'une œuvre fréquemment donnée (ça coûte cher, il faut passer du temps en répétition à les annoter à nouveau, etc.).

Non, ici on a sabré un moment donné dans toutes les versions qui contiennent le premier acte, et que les chanteurs ont déjà à leur répertoire… Pis, on supprime un des plus beaux moments (les bonds primesautier de Tebaldo, l'épisode du feu, l'émoi de la première rencontre, la déclaration à mots couverts…), dramatique comme musical, de l'opéra.

À l'inverse, les nouveautés (et même l'introduction des bûcherons, pourtant l'ajout le plus long et le seul de peu d'intérêt) sont conservées, alors que les chanteurs devaient les étudier en peu de temps.

Je suppose donc que, pour des raisons de durée de retransmission, Abbado a dû faire des choix et a voulu faire entendre avant tout ce qui était « neuf », quitte à couper dans ce qui ne l'était pas d'ordinaire. Le choix de l'acte I, moins souvent donné, permettait peut-être de le rendre plus discret.
En tout cas le collage est bien moche, laisse même le chanteur perplexe, et paraît extrêmement paradoxal au sein d'une version dont l'argument était précisément l'intégralité !

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Ce n'est pas si peu fréquent dans l'opéra italien, objet de divers bidouillages pour mettre en valeur les chanteurs qui priment en général sur la musique – on interrompt la musique pour laisser applaudir dans Puccini ou Cilea, on applaudit pendant la musique la plus intéressante, on supprime des répliques pour se ménager en vue d'un aigu qui n'est pas écrit (fin de Di quella pira, très souvent les ténors ne chantent pas avec le chœur, pour mieux préparer leur ut)… et j'attends toujours de trouver UN enregistrement officiel où le ténor chante la fin de Nessun dorma telle qu'elle est écrite (un si3 très bref, en double croche, avant le la3 final).

Intermède futile en attendant des considérations plus subtantielles sur les ressorts profonds des glottes ou la suite de la série passacaligère…

mercredi 22 juillet 2015

Les noms de code des orchestres — I — Berlin


Berlin est l'une des villes les plus richement dotées au monde en matière d'orchestres permanents (moins loin de Londres, vainqueur toutes catégories). Et si la dénomination londonienne est claire, à Berlin, l'Histoire a laissé une grande confusion.

Pour commencer, voyons la liste actuelle. En laissant de côté les ensembles spécialistes à géométrie variable (les orchestres baroques, par exemple, contiennent très peu de musiciens titulaires, n'ont pas forcément de salle attitrée, etc.), on se trouve plus ou moins à dix orchestres permanents.

Suivent les descriptions et les extraits sonores (à ouvrir dans une nouvelle fenêtre pour accompagner votre écoute, par exemple).

1. Les orchestres berlinois

Trois orchestres de fosse :
– Staatskapelle Berlin
– Deutsche Oper
– Komische Oper

Deux orchestres de radio :
– Rundfunk-Sinfonieorchester Berlin
– Deutsches Symphonie-Orchester Berlin

Trois orchestres prévus pour le concert symphonique :
– Berliner Philharmoniker
– Konzerthausorchester Berlin
– Berliner Symphoniker

Deux orchestres de chambre :
– Mahler Chamber Orchestra
– Philharmonisches Kammerorchester Berlin

Un orchestre de variétés :
– Orchester des Friedrichstadt-Palastes

… et sans doute quelques autres. Déjà, pour entendre le Komische Oper ou les Symphoniker sans se rendre à Berlin, il faut se lever de bonne heure !

2. La valse des noms

Pour les orchestres de fosse, c'est facile, chacun correspond à un théâtre lyrique (la Staatskapelle, plus vieil orchestre du monde encore en activité, étant l'orchestre de fosse de la Staatsoper unter den Linden…).

Pour les orchestres de concert / symphoniques, ce n'est pas trop complexe encore (davantage avec les dénominations, j'y reviens) : l'Orchestre du Konzerthaus a été institué par la RDA pour concurrencer le Philharmonique, sis en RFA. Quant aux Berliner Symphoniker, créés à la fin des années 60, je n'ai jamais trop vu à quoi ils servaient. Ils jouent surtout de grands classiques, c'est même leur slogan (« nous jouons les classiques du classique »), je suppose qu'ils sont plus ou moins les équivalents des orchestres municipaux parisiens (qui eux, font vraiment des efforts en matière d'originalité de répertoire), destinés à toucher un vaste public plutôt qu'à chercher l'excellence immaculée à destination des mélomanes chevronnés ou snobs. En tout cas, les bandes n'abondent pas hors d'Allemagne.

C'est pour les deux orchestres de radio que nous allons vous demander un instant de concentration, merci. Après la capitulation de 1945, la radio est restée du côté Est de la ville, et en 1946, on fonde donc un équivalent avec son propre orchestre (la RIAS, acronyme allemand pour Radio du Secteur Américain – ''Rundfunk im amerikanischen Sektor''). Lors de la Réunification, la Radio Est a conservé sa dénomination radiophonique (Rundfunk-Sinfonieorchester Berlin), tandis que l'ancienne RIAS est désormais Deutsches Symphonie-Orchester Berlin (sorte de National d'Allemagne…).
Le problème est que, dans l'intervalle, l'Allemagne occidentale reprenant son indépendance, la RIAS a été appelée Radio de Berlin, exactement comme à l'Est, ce qui a causé quelques entrecroisements de noms. Parfois, la différence tient simplement à l'ordre des mots, ou à la graphie (Sinfonie/Symphonie, Rundfunk/Radio, etc.)…

Dit comme ça, ça paraît à peu près clair (peut-être). Mais lorsqu'il s'agit de savoir qui s'appelle comment à une date donnée, ou qui fait quoi sur un disque, ça devient tout de suite plus délicat. Voici les difficultés qu'on avait soulevées ici même il y a deux ans, en incidente du Tchaïkovski de Günter Wand (code couleur pour vous aider : chaudes pour l'Est, froides pour l'Ouest) :
Le Deutsches Symphonie-Orchester Berlin est l'orchestre actuel issu de l'ancienne radio de Berlin-Ouest (fondé en 1946). A l'origine, c'était même la RIAS, c'est-à-dire la radio du secteur américain (Rundfunk im amerikanischen Sektor). Son nom cause quelques problèmes d'identification, puisque de 1956 à 1993, il était appelé Radio-Symphonie-Orchester Berlin, tandis que l'orchestre de Berlin-Est a toujours été appelé (dès sa création, en 1923), Rundfunk-Sinfonieorchester Berlin, soit exactement le même sens – tous deux abréviés en RSO Berlin. Ainsi on se retrouve avec des enregistrements de Riccardo Chailly (directeur dans les années 80 de l'orchestre Ouest) où RSO Berlin apparaît seul sur la pochette, si bien qu'on peut douter de la provenance (a fortiori puisque désormais, ce qui inclut les dates de réédition, seul l'orchestre anciennement à l'Est se nomme RSO Berlin !).

Ce n'est que l'une des nombreuses complexités de la vie orchestrale berlinoise - par exemple, le Rundfunk-Sinfonieorchester Berlin se produit régulièrement au Konzerthaus, comme... le Konzerthausorchester Berlin (fondé en 1952), qui devait être le pendant à l'Est du Philharmonique de Berlin. Lorsqu'on considère qu'il s'appelait à l'époque le Berliner Sinfonie-Orchester, et qu'il existe depuis 1967 à l'Ouest le Symphonisches Orchester Berlin, aujourd'hui Berliner Symphoniker... on voit l'importance de placer les mots dans le bon ordre ! 
Évidemment, les chefs (même permanents) peuvent voyager d'un orchestre à l'autre, ainsi Lothar Zagrosek qui enregistra les Gezeichneten avec le DSO Berlin, mais qui a été par la suite directeur musical de l'Orchestre du Konzerthaus, ce qui ne contribuera pas à éclairer les mélomanes dans quelques années. De plus, si l'on traduit en anglais (comme souvent sur les pochettes) ou en français, on obtient souvent exactement la même expression pour désigner ces orchestres, ce qui n'est pas pour faciliter la tâche des auditeurs de bonne volonté.

Le projet de fusion entre DSO Berlin, Radio(-Est) et Konzerthaus, souhaité par les autorités pour des raisons évidentes de rationalisation économique, ayant échoué, il faudra encore que l'honnête mélomane se plie à cette gymnastique un certain temps… De toute façon, les disques déjà enregistrés ont déjà ce problème d'étiquette ! Quand on vous dit qu'il ne faut pas faire des guerres, maintenant vous savez pourquoi.

3. Identités individuelles

À présent, un mot tout de même sur chacun.

Orchestres de fosse

La Staatskapelle Berlin : l'orchestre (parmi les plus anciens du monde, constitution en 1570, pas du tout avec les mêmes pupitres !) de la Maison d'Opéra la plus prestigieuse de Berlin. Répertoire essentiellement constitué des piliers du répertoire. Sous Barenboim, son rayonnement comme formation symphonique s'est accru, mais là aussi dans de très grands classiques (Beethoven, Bruckner…). Vous pourrez trouver une présentation beaucoup plus détaillée dans cette notule. Son profil sonore a toujours été homogène et plutôt enclin au grandiose.
Directeurs musicaux : Agricola, Reichardt, B. A. Weber, Spontini, Meyerbeer, Nicolai, R. Radecke, J. Sucher, R. Strauss, L. Blecher, E. Kleiber, C. Krauss, Karajan, Keilberth, à nouveau E. Kleiber, Konwitschny, Suitner, Barenboim.
Disques : Le choix ne manque pas… Parmi les grands disques, il faut écouter les deux derniers actes de Tristan par Furtwängler (lien sonore), la Deuxième de Mahler et la Septième de Bruckner par Suitner (pourquoi pas ses deux Così), la Troisième de Schumann par Barenboim (lien sonore) – éventuellement sa Huitième de Beethoven et son Tannhäuser

L'Orchestre de la Deutsche Oper se trouve au contraire dans une maison récente : l'institution, ouverte en 1912, a été rebâtie en 1961 dans un style parking-bureau-Corbusier très caractéristique. La maison et l'orchestre sont un peu moins prestigieux, mais le positionnement est assez identique, même si la Deutsche Oper ose quelques originalités (comme son cycle Meyerbeer actuel, incluant Le Pardon de Ploërmel en version opéra-comique cette saison et l'édition critique de Vasco de Gama la saison prochaine) : essentiellement du grand répertoire. (C'est le paradoxe lyrique de Berlin : une offre plus importante que n'importe où ailleurs, et un répertoire pas plus ouvert pour autant.)
Directeurs musicaux : Waghalter, Walter, Adler, Rother, Dammer, Fricsay, R. Kraus, Hollreiser, Maazel, G. Albrecht, López-Cobos, Sinopoli, Frühbeck de Burgos, Thielemann, Palumbo, Runnicles. Beaucoup de grands chefs abusivement considérés comme secondaires (Kraus, Maazel, Albrecht, Sinopoli, Palumbo…).
Disques : Le chœur (pas le plus formidable, d'ailleurs) a beaucoup collaboré avec le Philharmonique et Karajan, et les excellentes bandes radio existent, mais il est plus difficile de citer des disques majeurs (considérant que je ne m'abaisserai pas à promotionner Carmina Burana et que la fameuse Aida avec Sinopoli laisse surtout entendre le cymbalier…). À mon sens, ce sont les Lulu et surtout Wozzeck avec Böhm, extrêmement intelligibles et très lyriques (traités avec l'évidence de la musique tonale), qui s'imposent pour entendre cet orchestre au meilleur de sa générosité. Lien sonore.

L'Orchestre de la Komische Oper, maison inaugurée en 1892 pour y programmer de l'opérette, s'est depuis spécialisé dans les productions de langue allemande – originaux légers ou traductions d'œuvres célèbres. Dans les faits (pour une raison toujours aussi obscure), on y joue désormais assez peu de titres par an, dont une bonne partie sont des œuvres célèbres en langue originale. On trouvera ainsi, la saison prochaine, Don Giovanni de Mozart dans une traduction allemande récente, Les Contes d'Hoffmann d'Offenbach en français mais avec des dialogues allemands, et Aida de Verdi en version originale.
Il se distingue de ses orchestres concitoyens par un son d'ensemble très franc, et même acide dans les vents, assez inhabituel pour un orchestre allemand – j'aime beaucoup personnellement (sans doute parce que ça ressemble davantage à un orchestre tchèque).
Directeurs musicaux : Oberfrank, R. Reuter, Kreizberg, K. Petrenko, C. St.Clair, Lange, Nánási.
Disques : On trouve peu de choses (une Symphonie Fantastique, trois volumes monographiques sur Siegfried Matthus, une intégrale très tradi de L'Allegro, il Penseroso ed il Moderato de Haendel, tout ça chez Berlin Classics), mais on dispose grâce à CPO de trois disques symphoniques consacrés à Josef Suk (pour des pièces très supérieures aux œuvres symphoniques « célèbres » de Suk), qui en plus de leur programme original et très convaincant rendent vraiment justice à l'orchestre… et présentent la curiosité de faire entendre Kirill Petrenko avant son accession aux plus hautes fonctions – déjà une poussée et une évidence assez hors du commun, dans une musique qui aurait pu s'empâter. Lien sonore.

Orchestres de radio

Le Rundfunk-Sinfonieorchester Berlin, ex-Radio-Est, a abondamment été représenté au disque sous étiquette Eterna (désormais en CD sous Berlin Classics et certains labels à licence) ou Capriccio. Bien qu'il ait abondamment (comme son homologue de l'Ouest, d'ailleurs) enregistré les décadents germaniques, son son n'est pas toujours caractérisé par une transparence exceptionnelle – en réalité, cela dépend beaucoup des prises de son. On peut ainsi
Directeurs musicaux : Seidler-Winkler, Jochum, Celibidache, Abendroth, Kleinert, Rögner, Frühbeck de Burgos, Janowski.
Disques : Parmi la quantité de très bon disques, figurent quelques sommets absolus de l'histoire de l'enregistrement. Meistersinger et surtout Parsifal par Janowski (les deux sur le podium des meilleures versions de tous les temps), Troisième Symphonie de Mahler par Rögner (clarté des plans et douce tension permanente), Die ersten Menschen de Rudi Stephan dirigés par Rickenbacher (un détail d'instrumentation capiteux, proche de la crudité, magnifique), Die verklärte Nacht d'Oskar Fried dirigé par Foremny (l'orchestre sonne plus opaque, c'est surtout l'œuvre documentée qui est capitale), les Vier dramatische Gesänge de Gurlitt dirigés par Beaumont (idem). Pour entendre l'orchestre, donc : l'acte III de Parsifal [lien sonore], le final de la Troisième de Mahler [lien sonore] ou les Premiers Hommes de Stephan.

Le Deutsches Symphonie-Orchester Berlin, ex-RIAS (Radio de l'Ouest), d'abord célèbre pour son partenariat avec Fricsay, très volumineusement documenté au disque (et en général révéré par les mélomanes et les revues), a lui aussi beaucoup travaillé sur le legs alternatif et innovant du début du XXe siècle germanique. Exactement pour la Radio de l'Est, la diversité des prises de son fait entendre des profils très différents, même à époque égale. Néanmoins, la tendance est à plus de détail, avec un profil sonore qui se caractérise plus par la précision des arrière-plans que par la recherche de fondu – en revanche, le son d'orchestre est aujourd'hui superbe, rien à voir avec les cordes rêches de l'époque Fricsay.
Directeurs musicaux : Fricsay, Maazel, Chailly, Ashkenazy, Nagano, Metzmacher, Sokhiev. Entre Maazel et Chailly, un intervalle de 8 ans sans chef permanent, avec des interventions récurrentes de Jochum, Leinsdorf, G. Albrecht, Rozhdestvensky, Marriner…
Disques : Là aussi, en tant qu'orchestre de radio, on dispose à la fois d'un assez bon nombre de captations et d'une grande variété de répertoire, en particulier en ce qui concerne le répertoire décadent ou « dégénéré » dont l'orchestre s'est fait une spécialité. Du côté des témoignages anciens, j'aurais envie de recommander les Nozze di Figaro par Fricsay (lien sonore ; timbres peu séduisants, mais une qualité de phrasé et d'atmosphère saisissante) ; pour les raretés, l'Acte préalable de Scriabine-Nemtine par Ashkenazy (lien sonore ; œuvre colossale, et interprétation à la hauteur de sa complexité et de sa virtuosité immenses), deux versions de Die Gezeichneten de Schreker au compteur (Zagrosek et Nagano – prenez Zagrosek, Nagano (1,2,3,4) est très coupé et la mise en scène occulte pas mal d'aspects du livret – lien sonore), Wozzeck de Gurlitt par G. Albrecht (lien sonore ; moins transparent qu'à l'habitude, mais œuvre majeure menée sans coup férir). Pour le grand répertoire aussi, plusieurs témoignages hors du commun, à mon avis les meilleurs jamais laissés pour les œuvres concernées, comme la Troisième de Beethoven (lien sonore), la Cinquième de Bruckner (lien sonore), les Cinquième (lien sonore) et Sixième de Tchaïkovski (lien sonore) – tout cela dans des prises de son très physiques chez Hänssler, sous la direction de Günter Wand : lisibilité maximale, couleurs chaleureuses, tension énorme (mais une tension lumineuse, transcendante).

Orchestres symphoniques / de concert

Les Berliner Philharmoniker (leur dénomination se fait par un pluriel désignant les musiciens, en accord avec leur principe électif : « les Philharmonistes de Berlin ») constituent bien sûr l'orchestre superstar de la capitale, du pays et du monde – à telle enseigne que pour le nommer, les mélomanes disent en général « Berlin », tout simplement. On en avait déjà touché un mot ici. Leurs caractéristiques ont énormément évolué au fil des ans, de la rudesse sombre des années Celibidache et Furtwängler à la rondeur transparente de Rattle aujourd'hui, en passant par la très étrange période Karajan et son son chantilly inimitable, écrasé par des cordes d'un moelleux sans égal. L'orchestre porte encore l'empreinte, dans son profil sonore, des choix esthétiques de Karajan, mais en fait désormais tout autre chose, en respectant mieux les styles abordés – la personnalité de l'orchestre continue de tempérer les options des chefs, mais les Philharmoniker jouent désormais le premier romantisme ou le XXe français et russe avec un sens du style indéniable.
Leur répertoire aussi s'est grandement élargi : il ne faudrait pas se laisser abuser par la production discographique (étant l'orchestre le plus célèbre du monde, et peut-être le plus virtuose, on lui fait bien sûr enregistrer tous les piliers du répertoire où il est censé « faire référence »), car le concert permet d'entendre beaucoup de choses originales, souvent des œuvres considérables mais moins courues.
Directeurs musicaux : von Brenner, von Bülow, Nikisch, Furtwängler, Borchard (pour quelques mois en 1945), Celibidache, Furtwängler à nouveau, Karajan, Abbado, Rattle, K. Petrenko.
Disques : Étant peut-être l'orchestre le plus enregistré de la planète, le choix est large. On peut procéder par période : la Quatrième Symphonie de Mendelssohn avec Celibidache (lien sonore ; très directe, dans un style qui n'a plus jamais été celui de Berlin par la suite), la Quatrième Symphonie de Schumann par Furtwängler (lien sonore), les symphonies de Beethoven par Abbado à Rome (lien sonore ; retrouvailles du style juste et de la possibilité du chambriste), les symphonies de Brahms par Rattle (où les qualités instrumentales cèdent le pas à une recherche de clarté absolue des plans et à des articulations inédites).
La période la plus intéressante est à mon sens celle d'aujourd'hui, où la radio et la plate-forme web de l'orchestre documentent des répertoires très différents, et souvent des soirées où l'engagement des musiciens est beaucoup plus patent qu'en studio, ne restant plus dans le confort du beau son ou de la virtuosité, mais allant chercher la couleur spécifique des musiques, la lisibilité maximale des plans internes aussi bien que de l'architecture et de la « directionnalité » de la partition. Sous Rattle, les Français ont été particulièrement bien servis, avec les meilleurs Pelléas (en 2006) et Shéhérazade (avec Kožená) de tous les temps.
Et pour Karajan ? Malgré l'exagération de ses tropismes, il y a beaucoup de grandes choses. Pour les parcourir, essayez par exemple sa Cinquième de Beethoven (version Clouzot, explosive), ses Missa Solemnis (d'une générosité hors du commun si l'on supporte le chœur terne du Wiener Singverein), sa Troisième de Beethoven (lien sonore ; intégrale de 1977, avec un orchestre infini comme la mer), son Tristan de studio (lien sonore ; controversé à cause d'une distribution étrange, mais d'une splendeur et d'une intensité orchestrales inégalées). Et, pourquoi pas en complément, des visions assez abouties issues du « grand son Karajan » des années 70-80 (pas forcément en style, mais très persuasives) : son Fidelio de studio, son Lohengrin, son Aida chez EMI, ses différentes Symphonies de Brahms, ses Quatrième et Septième de Bruckner… Dans cette période, il existe aussi nombre de témoignages discographiques importants de chefs invités : par exemple l'ardeur et la douceur extrêmes de la Quatrième de Mendelssohn par Tennstedt. Lien sonore.

À l'Est, le Konzerthausorchester Berlin fut fondé, en 1952, comme le rival du Philharmonique de Berlin, situé à l'Ouest. Il portait alors le nom de Berliner Sinfonie-Orchester, mais n'eut jamais le même prestige en matière de son, de chefs permanents (les trois derniers sont impressionnants, mais n'ont pas forcément la réputation proportionnée à leur mérite) ou de faveur du public. Les témoignages officiels ne sont pas extrêmement abondants par rapport aux autres grands orchestres berlinois (même Herbig, pourtant chef permanent, a plutôt laissé des enregistrements avec d'autres orchestres). Avec Sanderling, et même au delà de son mandat, il avait une intensité particulière avec des timbres très différenciés, robustes, légèrement agressifs, qui entraient merveilleusement en accord avec les visions peu amènes du chef. Aujourd'hui, je trouve que leur son est devenu assez banal, un bon orchestre allemand parmi tant d'autres. Et même s'ils s'intéressent eux aussi au répertoire décadent, leur impact dans la mise à l'honneur des répertoires alternatifs est sans comparaison avec les plus audacieux de la capitale.
Directeurs musicaux : H. Hildebrandt, Smetáček (en guise de transition comme « premier chef invité), K. Sanderling, Herbig, Flor, Schønwandt, Inbal, Zagrosek, I. Fischer.
Disques : Hélas, assez peu de choses, alors que certaines associations ont dû être intéressantes. Il faudrait thésauriser les témoignages radio (dans l'immensité des autres possibles, pour des orchestres qu'on est en droit d'aimer davantage…) pour s'en faire une représentation fidèle. Dans l'état de la discographie, je peux surtout recommander quelques grands classiques par Kurt Sanderling, des disques d'ailleurs assez universellement appréciés : le Premier Concerto de Brahms avec Hélène Grimaud, les œuvres concertantes de Rachmaninov avec Peter Rösel (mais qui mettent, forcément, avant tout en valeur le pianiste), et bien sûr l'intégrale délicieusement granuleuse des Symphonies de Sibelius. Lien sonore.

Je n'ai pas voulu, vu leur importance secondaire dans le panorama, surcharger la liste des confusions possibles ; néanmoins les Berliner Symphoniker, créés plus récemment (1967), portent le même nom qu'un orchestre de l'Est (fondé dans les années 50 et dissout dans les années 80). Les Symphoniker actuels, dont on parle ici, étaient à l'origine nommés Symphonisches Orchester Berlin (provenant de la fusion du Berliner Symphonisches Orchester et du Deutsches Symphonieorchester – ils auront vraiment essayé toutes les combinaisons !).
Ils sont spécialisés dans le répertoire le plus courant, beaucoup de « tubes », leur slogan étant qu'ils jouent « les classiques du classique », et ne sont pas représentés dans les discographies des magazines et les discothèques des mélomanes. En revanche, ils servent fréquemment d'ambassadeur en tournée dans le monde. Les disques révèlent un très bon orchestre (avec des sonorités très claires et typées, inhabituelles en Allemagne, comme pour le Komische), mais il est assez difficile de s'y retrouver dans tous ceux nommés « Berlin Symphony Orchestra » : les erreurs de classement, au moins chez les distributeurs, sont nombreuses. Vous pouvez au moins tenter ce disque où figure leur directeur musical, pas de confusion possible. Programme très grand public, mais exécution remarquable de justesse, d'une grande générosité aussi.
De même pour les directeurs musicaux : le plus célèbre d'entre eux doit être Alun Francis (chef remarquable par ailleurs !) dont l'exposition médiatique se limite à peu près à ses contributions au catalogue CPO – Toch, Wolf-Ferrari, Milhaud, Kabalevski, Pettersson, Cowell, Searle, Klemperer (dont certains avec le DSO Berlin et la Radio-Est !) – et à ses Donizetti et Offenbach pour Opera Rara. Tous disques très-dignes d'intérêt (et même davantage), mais qui ne permettent pas d'entendre les Berliner Symphoniker.

Orchestres de chambre

En laissant de côté les ensembles baroques, on en trouve au moins deux à Berlin.

Le Mahler Chamber Orchestra, formé en 1997 autour de Claudio Abbado avec des membres du Gustav Mahler Jugendorchester (Orchestre de Jeunes Gustav Mahler, sis à Vienne depuis sa fondation en 1986 par le même Abbado) qui avaient passé la limite d'âge mais souhaitaient continuer de jouer ensemble. (Ils sont aussi inclus dans le fameux Orchestre du Festival de Lucerne.) L'orchestre est gouverné selon le principe de collégialité cher à Abbado (reproduit également pour son Orchestre Mozart).
Ce n'est un orchestre de chambre que dans le sens le plus lâche du terme : je les ai moi-même vus jouer iTristan/i, pas exactement une nomenclature de poche ! Mais la formation par défaut contient relativement peu de cordes par rapport aux grands orchestres sédentaires.
Leur son, peut-être à cause de la diversité des origines, n'est pas extrêmement typé, et leur répertoire, quoique revendiquant de tout embrasser du baroque au contemporain, se concentre largement sur le romantisme tardif et le XXe doux. Peut-être pourrait-on mentionner leur coloris plutôt sombre pour un orchestre de cette taille (et la grande qualité des bois).
Disques : Il n'y a pas tellement de disques, et j'en ai peu à recommander : ils ont fait de belles choses avec Daniel Harding notamment, mais quasiment rien qui me paraisse une référence totalement incontournable. Plutôt que leur Quatrième de Mahler (lien sonore) ou leur Turn of the Screw, je recommanderais leurs Mozart aixois sur le vif (Don Giovanni en CD (lien sonore) et Così fan tutte en DVD, très nets, voire secs, mais hautement dynamiques et poétiques).

Le Philharmonisches Kammerorchester Berlin (fondé en 2002 sous le nom de Berliner Kammerphilharmonie) n'a pas du tout le même rayonnement international : il s'agit d'une association à but non lucratif, qui se produit à la Philharmonie, au Konzerthaus, organise des masterclasses de direction d'orchestre autour de chefs célèbres… mais son rôle n'est pas du tout, contrairement à la plupart des autres orchestres de cette liste, de rivaliser pour éblouir les mélomanes du monde entier.
(Il existe aussi un Deutsches Kammerorchester Berlin, mais je n'ai pas réussi à déterminer s'il s'agissait de la même formation.)

Il est probable qu'il en existe quelques autres, mais ce n'est de toute façon pas le cœur du sujet.

Orchestre de variété

Nous reste l'Orchester des Friedrichstadt-Palastes, mais je ne suis pas trop sûr de ce qu'il contient – bien sûr, il y a des guitares amplifiées et des synthétiseurs, mais y a-t-il aussi une nomenclature traditionnelle ? J'en doute un peu, et pas dans les soirées que j'ai pu entendre, mais je ne puis l'affirmer non plus.

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Ai-je besoin de préciser que ce sont les deux orchestres de radio qui retiennent le plus mon intérêt, aussi bien pour le style que pour le répertoire ? [Et puis j'adore le Komische pour sa typicité, même si on l'entend peu souvent.]

Ainsi se termine notre voyage à travers la forêt de symboles des orchestres berlinois ; de quoi décrypter ce que vous écoutez, et probablement de quoi faire de bonnes rencontres discographiques. D'autres villes sont en projet (et, même pour Londres, encore plus fournie mais moins abmbiguë, ce devrait être plus court).
Nombre de liens (sonores notamment) ont été disséminés dans la notule (en particulier dans les sections discographiques), ceci devrait vous occuper quelque temps en attendant la prochaine.

jeudi 30 avril 2015

[Carnet d'écoutes n°75] – Spectacles d'avril : Lieder de Rudi Stephan (Selig), Vêpres de Rubino, Tchaïkovski-Liss, Monteverdi-Agnew, Villiers de l'Isle-Adam, Mångata-Birralee, Rusalka…



Franz-Joseph Selig et Gerold Huber dans deux lieder de Rudi Stephan, puis dans le Schwanengesang-Heine.


Liederabend à l'amphi Bastille : Schubert, Wolf, Rudi Stephan et Richard Strauss, par Selig et Huber

Les basses (en tout cas les basses nobles et profondes, puisque les basses chantantes ont des propriétés proches du baryton) donnent peu de récitals de lied. Il existe une raison à cela : leurs voix sont moins propices aux changements de couleur, si bien que la plupart d'entre eux, même les plus grands, sonnent avec uniformité dans ces circonstances.

L'intérêt de Franz-Joseph Selig, dans ces circonstances, réside justement dans son rapport singulier avec sa voix : l'essentiel de l'émission, dans les deux tiers bas de la voix (les basses ayant la majorité de leur étendue avant la bascule du « passage »), est assez ouvert, ce qui lui permet de se rapprocher de la souplesse d'expression d'une voix parlée – alors que la « charpente » de la couverture lyrique uniformise et arrondit les sons.
La contrepartie est un aigu pas loin d'être crié, qui lui coûte en tout cas… mais dans ce répertoire (ou dans Gurnemanz), on s'en moque totalement, puisqu'on n'en a presque jamais besoin. Aussi, il se trouve idéalement adapté à l'exercice.

Pour ne rien gâcher, il avait choisi Gerold Huber comme accompagnateur – première audition en vrai pour moi, et je suis frappé non seulement par son éloquence et sa musicalité, qu'on saisit déjà au disque, mais par la présence physique du son, rond sans être timoré, contrairement à la plupart des accompagnateurs spécialistes – un très grand pianiste, même sans prendre en considération les spécificités du répertoire. L'évidence avec laquelle il expose les idées de pièces pourtant complexes force le respect, comme chez ces chefs qui, soudain, vous dévoilent toute la structure d'une forme sonate, sans effort apparent.

Mais la sensation de la soirée résidait dans le programme. Très beau (même si je m'interroge toujours sur Wolf, dont les préciosités ne coïncident pas toujours, chez moi, avec un but expressif tangible), contenant notamment l'un des plus directs et suffocants Doppelgänger que j'aie pu entendre, et très inhabituel :
¶ les deux Rudi Stephan (Am Abend de Günther et surtout Memento vivere de Hebel) – on le joue déjà très peu, et ses lieder tout simplement jamais, alors qu'il valent largement mieux que ceux de Zemlinsky ou Schreker ;
¶ des Schubert rares (Der Sieg de Mayrhofer, Der Strom anonyme, Das Abendrot de Schreiber), culminant avec Fahrt zum Hades de Mayrhofer, pas le plus rare du bouquet, mais étrangement peu joué considérant la richesse de ses images et la persuasion d'une véritable déclamation… véritable cheminement sonore, ni récitatif, ni strophique. Il s'agit en outre d'un des plus beaux poèmes de Mayrhofer, dont l'élan paraît ici moins formellement lié aux (nombreux) noms mythologiques cités ;
¶ des Strauss inhabituels , dans une esthétique de jeunesse aux harmonies assez simples (Das Tal d'Uhland, Der Einsame de Heine), à l'exception de l'inquiétant Spätboot de Meyer (qui achève le concert sur la même symbolique infernale qui l'avait initié), dont le langage chargé évoque plutôt Die Frau ohne Schatten ou Die Ägiptische Helena.

Cela, servi par une très belle déclamation (non sans présence physique) et un accompagnateur somptueux, produisait une très grande soirée de lied. Il faut en profiter, puisqu'il n'y en aura plus à l'amphi Bastille, plus à la Cité de la Musique et à la Philharmonie à part un Winterreise de Goerne (si l'on n'inclut pas un récital de mélodies françaises et du lied contemporain avec ensemble instrumental), plus à l'auditorium du Louvre (hors peut-être les midis), plus au Théâtre des Champs-Élysées (hors lieder orchestraux de prestige avec Schäfer, Kaufmann ou Goerne), plus chez Philippe Maillard (Gaveau-Cortot) et par la force des choses plus au Châtelet et à l'Athénée (qui sont fermés). Resteront les séries des Jeunes Talents (Soubise-Invalides-deux-Palais), l'auditorium d'Orsay (mais plus orienté mélodies européennes que lied, donc pas forcément en nombre) et bien sûr le CNSM, qui continueront plus que vraisemblablement à fournir quelques îlots de lied dans cette mer d'absence. Impressionnant tarissement de l'offre (qui n'était déjà pas démentielle, à l'échel de Paris), brutalement.
Heureusement, contrairement à d'autres répertoires, cela réclame très peu d'argent à monter, et il est donc possible d'en trouver, si l'on ne veut pas absolument les grandes vedettes de l'opéra (rarement les meilleures dans ce genre, de toute façon), en fouinant raisonnablement.

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Buonaventura Rubino : Vespro per lo Stellario della Beata Vergine – Conservatoires de Paris et de Palerme

Pas d'extrait (la réverbération trop importante déforme les timbres et même les hauteurs, ce ne serait pas révélateur des qualités remarquables de l'exécution), mais il est possible d'entendre l'unique (et très bonne) version par Gabriel Garrido au disque – vous pouvez essayer en flux basse qualité . Ignazio Maria Schifani, le chef de la soirée, figurait d'ailleurs comme continuiste (au clavecin) dans cet enregistrement.

Qui a dit que vêpres était un office ennuyeux ? Long, sûrement, mais dans ce circonstances, tout à fait exaltant.
Il s'agit de la première partition (1644) officiellement publiée (1645) de Buonaventura Rubino, pourtant né vers 1600. La création eut lieu à Saint-François d'Assise de Palerme, ce qui a sans doute motivé les autorités du Conservatoire Vincenzo Bellini pour le choix de l'œuvre… néanmoins tout à fait majeure.

Ces Vêpres s'incrivent dans le style, encore assez peu documenté par le disque et les concerts, du milieu et de la fin du XVIIe siècle italien : le style madrigalesque est fini depuis longtemps (bien qu'il en reste des vestiges contrapuntiques et harmoniques), et la déclamation nue du style florentin début-de-siècle a largement été enjolivée. Même en comparant aux œuvres généreuses de la période, comme les Vêpres de Monteverdi (beaucoup plus « verticales », écrites par accords et par aplats, même dans le contrepoint), Rubino se dirige vers beaucoup plus de générosité mélodique et de mobilité harmonique ; beaucoup plus de virtuosité aussi.
On situe un peu avant la période de Legrenzi, Falvetti et Steffani, mais c'est vers cette direction qu'on se dirige.

Une heure et demie d'hymnes juxtaposés, explorant les possibilités de ce style assez à fond :

Deus in adjutorium
Domine terzo a 5, 6, 7 e 8 voci concertato con violini a beneplacito
Assumpta est Maria
Dixit primo a 6 voci e 2 violini, concertato con ripieni a beneplacito
Maria Virgo assumpta est
Laudate pueri terzo a 5, 6, 7 e 8 voci, concertato con due violini a beneplacito
In odorem unguentorum
Laetatus secundo a 4, 5 e 6 voci, concertato con violini e ripieni a beneplacito
Benedicta Filia tua
Nisi Dominus secundo a 5, 6, 7 e 8 voci, concertato con violini a beneplacito
O laeta dies a due canti
Pulchra es
Lauda Ierusalem secundo, a 5 voci e 2 violini, concertato
Ave maris stella a 3 voci, 2 vl e bc
Hodie Maria
Magnificat secundo a 5, 6, 7 e 8 voci, concertato con violini a beneplacito

Débutant volontiers par un petit solo tiré du répertoire de plain-chant, c'est ensuite une série d'ensembles enchaînés virevoltants, un peu comme si l'on avait écrit le duo final de L'Incoronazione di Poppea à huit voix pendant une heure et demie. Série parcourue de belles modulations soudaines et de ''soli'', quelquefois même de chromatismes brutaux directement issus du dernier Gesualdo. Le plus étonnant que tout cela évoque furieusement ce que nous considérons comme le style français – et qui, à l'époque, était considéré en France comme le style italien. Très dansant (mais beaucoup plus contrapuntique qu'en France), avec une sensibilité à la déclamation, jusque dans les masses, que l'on n'attendrait pas chez les compatriotes de Vivaldi – qui sont ici, à la vérité, ceux de Monteverdi.

Une jubilation ininterrompue, d'une qualité d'écriture dont la constance étonne : comment peut-on rester sur ces sommets tout ce temps ? Parmi les moments forts, évidemment, les riffs irrésistibles de la grande chaconne à quatre temps (ce qui est inhabituel, mais on en trouve d'autres, par exemple dans Daphnis & Chloé de Boismortier) – elle est tout aussi dansante, et fonctionne comme s'il y avait deux premiers temps.

Le concert, interprété avec un abandon remarquable par tous ces jeunes musiciens (et un beau sens du style), était organisé avec un système de double chœur et orchestre : à gauche, les italiens (chœur et continuo) ; à droite1, les français (chœur et continuo). Au centre, les continuistes communs et les instruments mélodiques ad libitum : violons et cornets à bouquin.

CORO I
Rosalia Battaglia, Anna Lisa Di Modica, Andreina Zatti,* Brunetta Pirrone alto
Mariano Sanfilippo, Nicolò Giuliano tenore Lorenzo Chiacchiera,* Massimo Schillaci basso
CORO II
Marie Perbost, Harmonie Deschamps canto ** Florian Paichard, Paul Figuier alto **** Constantin Goubet **, Jérôme Desprez tenore *** Vlad Crosman, Grégoire Dors basso **
STRUMENTI
Raphaelle Soumagnas, Krystof Lawandowski cornetti **** Katarzyna Solecka, Ewa Anna Augustynowicz violini
BASSO CONTINUO I
Eric Tinkerhess violoncello ** Benoît Beratto contrabbasso ** Jesús Noguera Guillén organo ** Victorien Disse tiorba ***
BASSO CONTINUO II
Rémy Petit violoncello ** François Leyrit contrabbasso ** Constance Taillard organo ** Clément Latour tiorba ****
BASSO CONTINUO III

Sarah Gron-Catil violoncello ** Edvige Correnti clavicembalo

FABIO CIULLA, PASCAL BERTIN** direttori dei cori
IGNAZIO MARIA SCHIFANI concertatore e direttore

\* Conservatorio Statale di Musica “G. B. Pergolesi” di Fermo
\** Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris
\*** Pôle Supérieur Paris Boulogne-Billancourt
\**** Conservatoire à rayonnement régional de Paris

Outre le sens du style et l'enthousiasme de tous, j'ai retrouvé avec plaisir Rosalia Battaglia (qui a fait de très grands progrès en un an, voix franche et bien focalisée, italienne au meilleur sens du terme – probablement déstabilisée par la tessiture très basse et les impératifs moins lyriques des récits religieux de Carissimi), Marie Perbost toujours aussi gracieuse (et à son aise dans ce répertoire), elle aussi assez caractéristique des émissions françaises d'aujourd'hui, et Harmonie Deschamps, à son tour plus flattée par l'écriture plus haute et plus legato de l'office.

Dans le même temps, j'ai découvert avec plaisir les excellent ténors Mariano Sanfilippo et Nicolò Giuliano, percutants et non sans grâce (était-ce l'acoustique, le ténor I – pas sûr qu'ils soient nommés dans le bon ordre sur la feuille de distribution… – ne semblait pas parfaitement juste, comme un décalage entre la base de la note et les harmoniques hautes). Très forte impression aussi du contre-ténor solo (Florian Paichard si la distribution est dans le bon ordre, le second – Paul Figuier, donc ? – ne chantant que pendant les ensembles) qui, chose très rare chez un falsettiste (même chez les plus en vue), projettait avec vigueur et imposait physiquement son son. Ce soir, il a prouvé à quel point ce registre avait toute sa place dans la musique sacrée – et quasiment ouvert des perspectives sur sa capacité à honorer le répertoire profane pris d'assaut avec moins de bonheur par ses confrères.

S'il fallait absolument faire une réserve, outre que la bande est absolument inutilisable (alors que l'acoustique, en étant proche des musiciens dans la cathédrale Saint-Louis des Invalides était excellent), il faut souligner les théorbistes étaient, fatalement, complètement inaudibles à de très rares moments près… pourtant, ils réalisaient avec qualité, mais les contraintes de l'instrument sont impitoyables. Néanmoins, sans eux, le spectre sonore ne serait pas du tout le même.
La justesse des violons et des cornets à bouquin n'était pas toujours irréprochable, mais la facture (et rester aussi longtemps sans réaccord pour des cordes montées en boyaux…) a un impact non négligeable sur ces questions, et les jeunes musiciens n'ont pas toujours accès aux meilleurs modèles…

Fascinant moment où la résurrection de l'ancien se conjugait avec l'enthousiasme de la jeunesse, les deux poussés à un assez haut degré d'entrain… Peut-être la plus belle soirée de la saison, hé oui.

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Tchaïkovski – Ouverture en fa, Concerto n°1, Symphonie n°5 – Orchestre National de Russie, Dmitri Liss (Philharmonie)

Suite de la notule.

mardi 21 avril 2015

Vaste monde (et Gentils) : le CIMCL débute, Guillou s'en va, L'histoire de France selon Facebook, prétéritions, saisons du TCE, de Maillard et de Radio-France, d'autres symphonies à programmer…


Soit maint sujet d'émerveillement disponible pour vos petits yeux plissés (il faut que je voie à élargir la police du thème CSS de CSS), ci-après :

Suite de la notule.

mercredi 8 avril 2015

Air du temps : urbanisme souricier, disparition de l'auditorium du Louvre, la torture à Radio-France…


Une collection de petites choses remarquées récemment.

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Disparition de l'Auditorium du Louvre

La nouvelle saison de l'Auditorium du Louvre est désormais en ligne. À part quelques œuvres éparses de compositeurs récents considérés comme importants (Zimmermann, Yun, Nørgård, Tüür), je ne vois guère que le Quatuor de Sibelius qui sorte un peu des habitudes. Pour le reste, essentiellement Mozart-Beethoven-Schubert-Chopin-Brahms-Debussy-Ravel, comme d'habitude. Pas de belles surprises comme les Clairs de lune de Decaux cette saison ou le mini-cycle Gernsheim de la saison précédente.

Il s'agit possiblement de la dernière saison de l'Auditorium – en tout la dernière sans lien thématique avec le lieu. Il semblerait néanmoins que la nouvelle forme ne soit pas un écho musical (un peu prétexte, mais qui produit des choses admirables à Orsay), mais vraiment un prolongement des collections. Donc la musique de chambre du XIXe en disparaîtra vraisemblablement.

Je ne suis pas particulièrement scandalisé : je me suis toujours demandé la raison de cette programmation tout à fait hors sol, à des tarifs chers, et qui ne se justifie ni par son originalité ni par le prestige des interprètes. Et pour des standards qu'on peut entendre partout ailleurs, aux deux Palais, à la Cité, à Soubise, au CNSM, à Moreau, à Cortot… L'entre-soi (qui n'est pas un problème en soi) des concerts n'est pas si infondé que cela : même sans parler des prix, extraordinairement élevés pour de la musique de chambre (par des artistes peu célèbres de surcroît), la moitié de la programmation a lieu à 12h30. Qui finit à 12h pile et assez près du Louvre, à part quelques cadres parisiens et les retraités fortunés ? Ce n'est pas grave, bien sûr, mais si l'on cherche à ouvrir les lieux à d'autres publics, l'effet est nul. Et je peux concevoir que le Louvre ait d'autres ambitions que de rayonner dans une petite niche qui n'est même pas son public naturel.

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Urbanisme souricier

Suite à plusieurs longues balades sur les contreforts forestiers franciliens (L'Isle-Adam, Carouge, Montmorency, Lormoy…), je suis frappé par la norme architectural de véritables villes-souricières : construites autour d'une ou deux rues, il est impossible de quitter l'agglomération sans les avoir terminées. Chaque bifurcation conduit à une impasse résidentielle, et même doté d'un plan, il n'y a plus qu'à attendre d'arriver au bout. À cent mètres de la forêt, il peu y avoir une demi-heure de marche pour l'atteindre, le temps d'avoir dépassé les dernières maisons, toutes adossées aux prairies ou aux coteaux chargés d'arbres – leur contiguïté créant un véritable mur infranchissable. Au jour le jour, même lorsque sa maison est située contre la forêt, il doit falloir prendre la voiture pour y aller !

Je me demande quel était le but des urbanisateurs. Limiter le coût en routes ? Distribuer au plus simple les pavillons de villes-dortoirs ? Pourtant, nous sommes vraiment dans l'univers rural (les panneaux « villages fleuris » ouvrant certaines localités, à peine pourvues d'un boulanger, d'un tabac et d'une pizzeria – même pas forcément de pharmacie ou de poste –, en attestent), et tous les terrains constructibles ne sont pas exploités à cette distance de Paris. Quel est donc l'intérêt ? La circulation à l'intérieur du village en est compliquée : je n'avais jamais remarqué dans d'autres parties du vaste monde, où la structure des localités évoque en général plutôt l'étoile ou les cercles concentriques autour d'un centre actif où se regroupent les commerces et institutions essentiels.

Témoin les 2,5km sans aucun échappatoire de Baillet-en-France : une seule longue route, une rue-déparmentale, débouchant sur des impasses, et trouvant à 1km de son début deux commerces, une église, une mairie. Toute petite ville, et pourtant, pour ceux qui habitent au début de la commune, aller acheter son pain doit assurer de fiers jarrets au bout de quelques mois de résidence.

Je n'ai pas de réponse, mais elles doivent exister, et si quelqu'un veut bien m'orienter vers elles, je lui en saurais grandement gré.

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Abolitionnisme

Il est inacceptable que les grévistes de Radio-France prennent en otage les auditeurs… en diffusant de belles musiques sans les désannoncer. Les traitements des prisonniers contraires à la dignité humaine sont pourtant prohibés par les Conventions de Genève.

Je ne compte plus les témoignages éplorés de mélomanes, près de perdre la raison, qui ont peut-être écouté leur premier Meyerbeer et leur premier Schreker, mais ne le sauront jamais. Quand un couple se dispute, ce sont toujours les enfants qui trinquent.

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Le sens des concours

Je ferai prochainement, quand j'aurai une minute, la promo des prochaines sessions du CIMCL (en partenariat avec Bru Zane). Il est toutefois, dans la galaxie déjà discutable (dans le détail comme dans le principe) des concours, une abomination dont je ne m'explique pas bien l'existence, à part pour des raisons un peu intéressées : le concours de direction d'orchestre.

Comment peut-on juger un chef, surtout débutant, en lui faisant diriger pendant un quart d'heure un orchestre qu'il découvre ? Ou alors il faudrait confier le jury aux musiciens qui, eux, voient si cela fonctionne ou non. Il est quasiment impossible de juger de l'extérieur du travail d'un chef, qui est un travail d'organisation et de communication – les commentaires sur la gestuelle des chefs lors des concerts sont en général fondés sur du vide : il existe bien sûr des gestuelles efficaces, et même indispensables pour les chefs invités qui n'auront droit qu'à deux services pour monter une œuvre et y imprimer leur vision (surtout que c'est en général ce qu'on attend des « grands chefs », qu'ils tordent la musique vers eux, sans rien changer de ce qui est écrit – le principe est assez pervers, il faut bien l'avouer), mais l'essentiel s'est passé en amont, en répétition. La parole trop abondante est un défaut, qui empiète sur le temps de musique, mais le geste n'est pas forcément suffisant non plus, c'est un ensemble qui s'impose, et donc je ne vois pas trop comment juger en quelques secondes.
Dans le meilleur des cas, on peut repérer ceux qui communiquent bien ; dans le pire, on n'entend rien de plus significatif que si l'on se passait les premières minutes d'une symphonie, très insuffisant pour mesurer un potentiel. Surtout chez les chefs, où la composante relationnelle et culturelle va se modifier (et souvent s'améliorer) au fil des années.

De fait, les lauréats ne sont pas forcément très impressionnants – parfois des bons élèves qui font les bons gestes sans avoir particulièrement plus à raconter que les autres. On a annoncé il y a quelques jours la nomination de Kazuki Yamada (lauréat au concours de Besançon en 2009) à la tête du Philharmonique de Monte-Carlo. Pas un mauvais chef, mais en retransmission comme sur le vif, il n'y a pas particulièrement de plus-value.
Pire pour Lio Kuokman, qui m'avait vraiment ennuyé en salle, amoindrissant les œuvres (dans un style où cet orchestre excelle pourtant !) avec une sorte d'indolence communicative.

J'ai prévu d'aller observer les classes du CNSM pour voir si je rectifie ces impressions en observant tout cela de plus près. Je vous raconterai si ça me chante.

mercredi 25 mars 2015

Franz Schreker – Die Gezeichneten à Lyon : quel état de la partition et du livret ?


À Lyon a lieu en ce moment la création (au moins scénique) française des Gezeichneten de Schreker, dont il a souvent été question dans ces pages — et notamment autour de la question des coupures, en particulier lorsqu'elles suppriment des pans de complexité entiers.


Fin de l'opéra telle que donnée à Lyon : effectivement, transparence très française de l'orchestre (de l'Opéra de Lyon dirigé par Alejo Pérez). J'aime beaucoup ce que j'entends du côté du chant : A.M. Hoffmann un rien stridente, mais précise et très antérieurement articulée, avec un texte intelligible, ce qui est très difficile ici (conjuguer séduction minimale, format dramatique, grands intervalles et articulation du texte constitue un tour de force assez rarement accompli) ; Workman rond et poétique, très nettement articulé lui aussi.


Guillaume Reussner, fervent admirateur de l'œuvre, profondément familier de ces enjeux d'intégralité, a assisté aux représentations et répond précisément à ces questions. Vous trouverez, à partir de son texte, quelques liens renvoyant vers des notules plus anciennes de Carnets sur sol autour de ces sujets.

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1. Enjeux de mise en scène et choix des coupures

La partition n'est pas intégrale même si le livret, la liste des rôles et l'argument du programme mentionnent les scènes coupées. C'est donc à interpréter comme un choix de mise en scène. Pour les plus impatients, je dévoile la nature des coupures : acte III, scènes 1-4 ainsi que tout le passage de Salvago sur sa "faute" (scène 5). Je dirais que la mise en scène, efficace et assez plaisante, bien dirigée également, nous présente davantage un opéra sur l’amour (passablement compliqué certes) que sur la laideur ou l'art, ce qui aide à comprendre certains partis-pris marquants : par exemple la figuration de l'Elysée au III comme l'Elysée au sens propre, c'est-à-dire un espace stellaire, où les buissons sont des constellations. C'est poétique, mais tout l'aspect artistique/artificiel (künstlich) de ce paradis disparaît, pour n'être qu'un ciel, propre aux déchaînements pulsionnels (ça se tient, mais à mon sens ce n'est pas tout). Il faut ajouter que cette mise en scène procède par projections vidéos (très bien réalisées) sur le fond de scène, suggérant un prolongement de la perspective (les pièces du palazzo au I, le ciel étoilé au III) ou servant de support à projections (les mains au II).

Dans cet Elysée donc, les scènes 1 à 4 (réflexions des passants éberlués sur l’île) n'ont plus leur place. Dommage, surtout que cela donne lieu à un allongement du prélude du III avec un curieux montage à partir de la musique des scènes manquantes, et une pantomime où l'on voit différents évènements, dont Martuccia aidant Pietro à amener Ginevra dans la salle souterraine. Là encore on perd une couche de sens : Pietro a vaincu ici la résistance de Martuccia, or dans la scène des faunes, ici coupée (III,4), Martuccia se fait enlever à cause de sa résistance par des faunes sortis de derrière les buissons ; l'intrigue secondaire Pietro/Martuccia en sort aplatie.

Je m'explique moins bien, ou plutôt je ne vois pas les mobiles présidant à la suppression de la tirade d'Alviano sur sa faute, puis la seconde partie sur son bonheur actuel (le tout reprenant brutalement à "Doch wo bleibt Carlotta") : là encore, on retire à l'oeuvre une profondeur de champ et un pouvoir de suggestion. Les fils sont moins bien reliés, et l’impact du livret en sort un peu amoindri. Sur le plan de la mise en scène, tout cela va dans le sens du jeu très physique, très psychologique et d'un lissage des aspects extérieurs au triangle amoureux central. L'intrigue liée aux viols est placé en tête avec, lors de l'ouverture, une projection - un peu banale pour une telle musique ! - des affiches de recherche des jeunes filles, et les nobles filment leurs exploits, d'où la présence de cartons au II, où sont renfermés les CDs et cassettes d'archives. Ces mêmes affiches "Missing" referment l'opéra. Manière d'ancrer l'oeuvre dans notre époque par la thématique du viol et de sa médiatisation ? On peut dire en tout cas que David Bösch, le metteur en scène, a pris ce fil pour démêler la pelote du livret, et qu'il aurait pu la démêler par le fil esthétique ou politique, ces deux aspects restant négligés : faire d'Adorno déguisé au III un moine est un peu simpliste, de même que l'antagonisme Podestat/Adorno n'est pas travaillé scéniquement. Rien sur les tableaux de Carlotta, alors que les metteurs en scène sont d'habitude friands de tableaux (voir le Tannhäuser de Carsen, Trovatore d'Hermanis), aucune œuvre d’art sur l’île d’Elysée : la réflexion esthétique est largement évacuée de la mise en scène.

Cela étant dit, ayant plutôt tenté de décrire la conception de l'oeuvre par le metteur en scène, conception cohérente à défaut de rendre au mieux tout le potentiel du livret - un Herheim adorerait multiplier les niveaux - conception assez forte mais partielle, et qui a conduit aux coupures, passons aux aspects musicaux.


2. Interprétation musicale

Suite de la notule.

samedi 14 mars 2015

Franz Schreker – Die Gezeichneten à Lyon


À l'occasion de ce qui doit être la création française des Stigmatisés de Schreker, je mentionne le matériel déjà publié dans ces pages autour du compositeur (Gezeichneten, discographie comparée, discographie générale du compositeur, autres œuvres), en particulier la série de 2008 autour des enjeux thématiques du livret, très sinueux et assez fascinants.

Vu la rareté de sa programmation en France, l'intérêt majeur de l'œuvre, la qualité remarquable de la distribution… tout amateur de R. Strauss ou de décadents allemands doit s'y précipiter. Et, pour les autres, un peu de lecture vous consolera.

Amusez-vous bien.

dimanche 1 mars 2015

[Carnet d'écoutes n°68] — Tromboncino, Reger, Schmidt, Yun, Hymel, Brentano SQ, Alcan SQ…


Au programme cette semaine :

  • Quelques nouveautés : Sulla lira chez Ricercar, récital Hymel chez Warner, Balkan Fever de Kristjan Järvi, Beethoven des Alcan et des Brentano…
  • Déclamations anciennes, de Guillaume d'Aquitaine à Bartolomeo Tromboncino.
  • Motets et cantates de Couperin, Mondonville et Rameau.
  • (Une partie du) meilleur des intégrales et anthologies de quatuors de Beethoven.
  • Musiques avec clarinette du premier XXe.
  • Intégrale symphonique Franz Schmidt.
  • Musiques d'aujourd'hui : Gordon, Ruzicka, Yun, Manoury, Rihm… et même du (bon) néo-folk.






Suite de la notule.

mercredi 25 février 2015

La mort de l'opéra


Patrick Loiseleur se gausse, non sans raison, des prétentions des dirigeants de maisons d'Opéra à « parler du monde d'aujourd'hui » et à « lutter contre les désirs de fermeture », tout en programmant des perruques poudrées et des fiancées folles… De fait, même si les grands sujets parlent toujours de problèmes véritables (et qu'il n'est pas interdit d'être ému par le décentrement et le dépaysement non plus), je doute que les vocalisations de Violetta, pour discriminée qu'elle soit, fassent réfléchir quiconque sur sa propre intolérance aux afghans étendus devant son immeuble parisien. Et les metteurs en scène qui poussent le trait jusque là gâchent plus de plaisir qu'ils ne créent de vocations, je le crains.

Il est vrai aussi que le genre opéra reste assis sur un tas d'or de compositions fantastiques (pendant la seconde moitié du XIXe siècle, c'est le meilleur de la musique européenne qui y était dévolu !), et que très peu de nouveaux standards majeurs sont composés désormais – et ne parlons pas de les jouer !

Néanmoins, lorsqu'il s'agit de diagnostiquer la mort de l'opéra et sa prochaine ou souhaitable dissolution dans d'autres genres amplifiés, on peut aussi avancer quelques contre-arguments.

Je reproduis ici ma réaction au billet du Journal de Papageno :

Sous des airs de provocation, il y a beaucoup de vrai : l'opéra ne se renouvelle pas. Néanmoins…

¶ Souhaiter amplifier massivement les chanteurs (ils le sont déjà, mais seulement comme mesure de confort dans les très grandes salles), c'est dissoudre l'opéra purement et simplement : c'est la seule chose qui le sépare de la comédie musicale qui n'en est qu'une autre forme avec voix amplifiées.
Au demeurant, effectivement, les compositeurs actuels, plutôt que de ressasser des livrets médiocres et prétentieux sur les malheurs de l'artiste, pourraient s'inspirer de l'immense plasticité des sujets de musical, depuis l'adaptation de films à succès (Rebecca de Levay & Kunze) jusqu'à l'exploration du vieillissement cérébral dans la vie quotidienne (Next to Normal de Yorkey & Kitt, avec de beaux ensembles en plus).

Il existe toutefois deux types de renouvellement à l'opéra :

¶ L'invitation de metteurs en scène issus du théâtre, qui n'hésitent pas à bousculer les œuvres. Ça n'existait pas il y a trente à quarante ans (où Strehler était considéré comme le comble de l'audace, parce qu'il invitait les chanteurs à bouger !), et ça change quand même un peu les choses : une nouvelle production ne ressemble pas à la précédente.

¶ Le répertoire se renouvelle, en réalité… mais plutôt dans le sens de l'exhumation d'œuvres du patrimoine qui ne sont plus jouées. On a ainsi des vents de nouveauté paradoxale, où l'on entend de « nouvelles » œuvres de Rameau, Donizetti, Gounod ou Schreker.

Cela permet au public d'entendre des choses différentes, à défaut d'être contemporaines — mais pourquoi faudrait-il absolument entendre du contemporain, alors que le temps a fait son office de filtre et nous permet de ne garder que le meilleur ?
Je l'admets, en raisonnant comme cela, le répertoire d'opéra n'est pas promis à un grand avenir, vu qu'on produit peu, donc moins de bonnes œuvres, que les compositeur ont par conséquent moins d'habitude d'en écrire, donc encore moins de bonnes œuvres…

¶ Et j'en viens à une question qui renverse votre perspective : si les compositeurs (la faute à ceux qui les choisissent ou aux compositeur eux-mêmes, je ne puis dire) écrivaient une musique intelligible, si les librettistes produisaient des choses moins prétentieuses et écrites avec les pieds, il y aurait sans doute un public…
Ça existe, d'ailleurs (j'avais proposé une liste ), mais ce ne sont pas forcément les gens embauchés par les institutions qui ont les moyens de commander un opéra, ni le chemin que choisissent les bons compositeurs qui doivent soudain en composer un. La négligence prosodique est un mal mortel, en l'occurrence.

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Pour prolonger sur les problèmes de l'opéra contemporain, on peut lire cette revue d'enjeux proposée aux débuts de CSS, et se consoler avec cette liste (fragmentaire) de grandes réussites depuis 1950.

mardi 17 février 2015

Ô mars, ô mars, ô mars !


Les esthètes véritables apprécieront.


Et voici, sur multiples requêtes, notre sélection mensuelle de jolis concerts, parfois rares ou insolites – que vous auriez peut-être pu manquer.

Les couleurs sont pour moi (c'est une copie de mon agenda spectacles), mais si ça vous intéresse : violet quand j'y vais, bleu quand c'est probable, vert quand ce ne sera probablement pas possible. Le reste, je n'ai pas prévu d'y aller.
Le rouge sert à baliser des événements, sans constituer une date précise.

Si ce n'est pas bien lisible, vous pouvez ouvrir les images en cliquant dessus, ou les sauvegarder sur votre PC.

1. Le calendrier

Suite de la notule.

lundi 16 février 2015

'Playlist' de la semaine du 9 février


(Le système de cotation est exposé en fin de notule.)

Suite de la notule.

mercredi 10 décembre 2014

Le disque du jour — XCIX — Symphonie n°2 de Franz Schmidt (Malmö, Sinaisky)


En réécoutant ce soir cette symphonie, comme régulièrement — elle figure en bonne place dans notre proposition de hit-parade —, l'envie d'en toucher une poignée de mots.


Plus encore que pour Bax ou Alfvén, il est difficile d'imaginer un meilleur résumé d'un postromantisme souriant, reprenant à la fois les élans du dernier XIXe siècle (avec ces cordes qui s'épanchent comme dans du Richard Strauss), le formalisme du premier vingtième (formes d'école, dont les variations, les scherzos répétitifs…), les contrepoints et zébrures plus troubles des décadents (on est entre 1911 et 1913, en plein dans la période). Le tout se présente sous un jour avenant et très lumineux, qui cache ce que ses masses doivent à Bruckner, ce que ses contrechants vénéneux doivent aux pionniers de l'âme qui exploitent dans le même temps à l'opéra les thématiques du désir et de l'inconscient. Malgré sa construction savante, l'œuvre paraît simple, joliment mélodique, presque pastorale – mais jamais contemplative, au contraire toujours babillarde malgré les tempi modérés.

Une synthèse de la fin du romantisme qui commence déjà à muter… mais une synthèse qui a laissé de côté les tourments de l'âme romantique, sans en perdre la tension.

Vraiment une œuvre que j'aime beaucoup. Les autres symphonies sont aussi à écouter ; la Première un peu moins que les autres (d'un postromantisme plus traditionnel), mais la Troisième et la Quatrième sont aussi des bijoux, dans une veine beaucoup plus sombre — la Quatrième a même la beauté désespérée d'un monde qu'on regarderait tranquillement, mais sans joie, une fois l'Apocalypse passé.


Schmidt est régulièrement décrit comme un romantique réactionnaire, façon Pfitzner (qui l'était indubitablement, témoin son essai Le danger futuriste, mais il faudrait là aussi nuancer légèrement, au moins musicalement)… en réalité son œuvre, qui comprend certes cette composante, est beaucoup plus diverse que cela. Et cette Deuxième Symphonie, avec ses aspects à la fois primesautiers et sophistiqués (quelque part entre Hamerik et Schreker), tranche assez avec l'image de compositeur sévère qui se complaît dans de vieilles formes un peu poussiéreuses et austères.

L'intégrale de Vassily Sinaisky avec l'Orchestre Symphonique de Malmö (Naxos) offre à la fois la clarté (prise de son incluse, superbe), la directionnalité, l'intensité et la pure beauté qu'on peut attendre ici. Difficile non seulement de faire, mais de rêver mieux. En symphonies isolées, Mehta fait tout de même une très belle Quatrième avec le Philharmonique de Vienne — les soli sont, forcément, très en valeur et d'une pureté saisissante.

samedi 23 août 2014

Une saison 2014-2015 en Île-de-France : ce que vous ne trouvez pas ailleurs


Car, ainsi que l'a dicté Tao-Lseu à ses disciples : la Vérité est ailleurs.

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Déjà, si vous n'êtes pas d'ici, vous pouvez trouver tous les conseils pour une magnifique saison là-bas (nous avons même ajouté ajourd'hui une nouvelle recommandation).

Pour la sixième année consécutive, voici le moment de lancer des suggestions de divertissement pour la saison prochaine. Une fois de plus, et comme pour à peu près tout ce qu'on trouve dans ces pages, nul désir d'exhaustivité. Je me contente de vous livrer mes relevés pour ma consommation personnelle : l'éventail reste très large, puisqu'il permet de choisir, mais ne contient pas absolument toute la programmation. De même pour mes gribouillages (§ indiquant ma motivation, le foncé ma prévision, et les astérisques des places déjà réservées), qui ne témoignent que de mon intérêt personnel — ça prenait trop de temps à retirer, donc vous saurez si j'ai plus envie de voir du Protopopov que du Roslavets le jeudi midi.
Pour un relevé généreux, je recommande Cadences, qui dispose désormais d'un site (les dates sont plus facile à lire sur le magazine en PDF que sur la base en ligne, mais les deux sont bienvenus). Clairement, la qualité de leur base rend assez caduque la mienne en tant que masse.
Néanmoins, ayant relevé manuellement les dates chez plusieurs dizaines de salles et associations, certaines n'apparaissent pas chez Cadences, et on trouve parfois, dans ces contrées interlopes, quelques petites pépites. J'essaierai, pendant la saison, de maintenir les annonces de concerts un peu atypiques, de façon à mettre en valeur ce que vous pourriez ne pas vous consoler de manquer.


Quelques petits cailloux ont déjà été semés : sur deux résurrections passionnantes et impatiemment attendues à l'Opéra-Comique, sur la saison tranquille de l'Opéra de Paris, sur les concepts de la Philharmonie de Paris, sa programmation et ses tarifs.

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Vous pouvez retrouver les précédentes saisons, chacune disposant en commentaires de liens renvoyant vers des échos des soirées vues :


Les spectacles vus seront cités en commentaires de cette notule, et diverses remarques sur la saison ajoutées sous cette étiquette.

En lice pour les putti d'incarnat, j'ai nommé :

Suite de la notule.

mercredi 2 juillet 2014

Hors du nombril du Monde : opéra en province et à l'étranger en 2014-2015

En tant que spectateur, on a sans doute tendance à faire trop confiance à ses goûts : j'étais déçu de la saison de l'Opéra de Paris (je vais même probablement faire le voyage à Lyon pour voir Rusalka, plutôt que la production locale !), mais en fin de compte, il y a tellement à faire qu'on est bien content que toutes les salles ne proposent pas la même densité que Versailles en chefs-d'œuvres incontournables ou que l'Athénée en dispositifs intrigants.

On se retrouve d'ailleurs face au choix d'explorer à fond un domaine qui nous plaît — dans ce cas, en voyageant un tout petit peu, rien qu'en France, on peut être comblé ! — ou de varier les plaisirs (dans ce cas, le temps manque rien qu'à Paris). Je suis plutôt dans la seconde perspective (il y aura donc Decaux, Menotti, Uthal, Amendoeira et Bobby & Sue), mais pour ceux qui souhaitent plutôt approfondir la première, voici de quoi vous occuper un peu l'année prochaine.

Comme l'an passé, en gras les œuvres peu données et particulièrement intéressantes, en souligné les distributions très alléchantes.

Suite de la notule.

dimanche 18 mai 2014

La seconde quinzaine de mai


... manière de vous occuper un peu plus encore.

Vous y retrouverez Palestrina, Cavalli, Fux, Abel, Meyerbeer, Berwald, Chausson, Nielsen, Dohnányi, Schreker, Emmanuel, Schulhoff, A. Merikanto, Martinů, O. Berg, Kurtág, Florentz, Greif, Vasks, Hosokawa, Saariaho, Hersant... et bien d'autres.

Ces compléments ont été adjoints au précédent planning de mai, en commentaires. C'est par là.

dimanche 20 avril 2014

Décapitations


Du fond de l'abîme, aux confins de l'oppression la plus noire, nous appelions un héros. Il est venu.


Suite de la notule.

dimanche 30 mars 2014

Conseils concernant les concerts d'avril


Pour compléter ce qui a déjà été proposé, CSS continue de fureter pour vous du côté des œuvres moins données et des salles moins exposées. Les liens renvoient pour la plupart vers des notules sur les œuvres ou les interprètes en question.

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Mardi 1er avril :

  • 20h, CiMu : Donnerode de Telemann par Opera Fuoco et Arsys. Avec la Sixième Cantate de Bach.

Mercredi 2 avril :

  • 20h, CiMu : The Tempest de Purcell (très belle partition), par Philip Pickett.

Jeudi 3 avril :

  • 18h, Prix des Muses de la fondateur Singer-Polignac (sur invitation seulement, mais je crois qu'il doit suffire de la demander) – avec notamment le Quintette avec piano de Thomas Adès !
  • 19h, CNSM : Classe d'art lyrique. Le programme n'est toujours pas indiqué, le Conservatoire a promis de me l'envoyer lundi. Mise à jour : saynètes lyriques. Entrée libre.


Vendredi 4 avril :

  • 19h, CNSM : Classe d'art lyrique (même programme, indéterminé, que le jeudi). Mise à jour : saynètes lyriques.
  • 20h, Grand Salon des Invalides : marches de compositeurs français par l'ensemble Amarillis. Chambonnière, Lully, Desjardin, Montéclair, Philidor l'Aîné, Couperin. 9 à 15€.
  • 20h30, Église des Billettes : Cantates de Charpentier, Jacquet de La Guerre et Clérambault, avec Hasnaa Bennani (programme d'après son site). Dire que je l'ai vue chanter pour le récital de fin d'année au CRR... elle était d'ailleurs la seule à mieux chanter sur scène que lors de la répétition générale. Le programme original indiquait Chapentier, Clérambault, Marais, Montéclair et Rameau – sans doute pas entièrement vocal de toute façon. Seul un claveciniste et une gambiste sont crédités, ce qui n'est pas possible non plus (il faut au moins un « dessus », voire deux). 22€.


Samedi 5 avril :

  • 16h, Muséum d'Histoire Naturelle : Œuvres de Purcell, Bridge, et Britten, pour le conte musical Maurice, le dodo voyageur. (Apparemment gratuit, à vérifier.)
  • 16h, IRCAM : Œuvres d'étudiants de l'IRCAM. Entrée libre.
  • 18h, IRCAM : Idem.
  • 20h, Massy : Ullmann, Der Kaiser von Atlantis, mis en scène par Louise Moaty, avec Pierre-Yves Pruvot en guest star. Louise Moaty se situe dans la mouvance lazarienne des éclairages à la bougie et des fronts de scène, pour ce qui est du baroque. Mais qu'en est-il pour l'opéra du XXe siècle ? L'œuvre est à voir en tout cas, si on ne l'a jamais essayée... pas forcément la plus profonde musicalement, mais un univers décadent étrange auquel il faut se frotter au moins une fois. C'est déjà fait pour ma part, au disque et sur scène.
  • 20h30, Salon musical Bonaparte (VIe arr.) : Raquel Camarinha (soprano et Matteo Cesari (flûtiste) dans Aperghis, Jolas, Saariaho, Sciarrino, Dusapin et Furrer. 10-15€.


Dimanche 6 avril :

  • 15h, Fondation Dosne-Thiers : Le Trio Primavera joue Schubert, Schumann, Bartók, et surtout Hubay et Popper, dont les occasions d'être entendus sont plutôt peu fréquentes. 16-25€.
  • 17h, Musée d'art et d'histoire du judaïsme : Ferdinand Halphen, mélodies (et vu qu'il y aura aussi un violon, probablement de la musique de chambre). Un excellent compositeur, dont les partitions ne circulent, me semble-t-il, qu'à l'état de manuscrit. Dans le genre fin-de-siècle post-fauréen (mais plutôt post-dernier-Fauré), il a laissé nombre de merveilles. 15-20€.
  • 18h, La Péniche Opéra : Offenbach, Le financier et le savetier (dirigé par le grand spécialiste Jean-Christophe Keck). Une des œuvres à très petit effectif d'Offenbach, assez sympathique. Attention, il y a beaucoup de dialogues et pas énormément de musique.


Lundi 7 avril :


Mardi 8 avril :

  • 12h30, Saint-Roch : trios pour deux hautbois et cor anglais. Le laborieux trio de Beethoven, mais aussi du Read et du Blake. On n'entend pas ça tous les jours. Entrée libre.
  • 20h, Massy : Combattimento de Monteverdi par l'Yriade, Auvity, Geslot et Lefilliâtre ! 15-25€. Même considérant qu'Auvity rayonne moins en italien, et que la tessiture est un peu basse, c'est très tentant.
  • 20h, Amphi de la CiMu : Herculanum de David et Le dernier jour de Pompéi de Joncières, en version piano (avec notamment Gabrielle Philiponet et Marie Lenormand). Le principe de découvrir des raretés absolues est bien sûr exaltant, mais pour avoir lu les partitions, je ne suis pas sûr que ça mérite vraiment le déplacement. Ce sont des partitions assez secondaires de leur époque, à mon humble avis.
  • 20h30, Saint-Roch : Haydn et Britten par les Petits chanteurs de Sainte-Croix. 20-25€.
  • 20h30, Notre-Dame : Messiaen (Et expecto resurrectionem mortuorum), Bruckner – la Deuxième Messe, la plus originale et la plus belle. J'ai cru un instant que ce serait avec des enfants à la place des femmes, mais la Maîtrise regroupe en réalité tous les chœurs attachés à Notre-Dame. Donc pas si rare que ça. Côté orchestre, ce sera celui du Conservatoire. 12-20€


Mercredi 9 avril :

  • 20h30, Saint-Quentin : Ullmann, Der Kaiser von Atlantis, mis en scène par Louise Moaty, avec Pierre-Yves Pruvot en guest star. Louise Moaty se situe dans la mouvance lazarienne des éclairages à la bougie et des fronts de scène, pour ce qui est du baroque. Mais qu'en est-il pour l'opéra du XXe siècle ? L'œuvre est à voir en tout cas, si on ne l'a jamais essayée... pas forcément la plus profonde musicalement, mais un univers décadent étrange auquel il faut se frotter au moins une fois. C'est déjà fait pour ma part, au disque et sur scène.
  • 20h30, Péniche Opéra : Kammermusik de Henze d'après Hölderlin, par des élèves du CRR de Boulogne.


Jeudi 10 avril :

  • 12h30, Mairie du IXe arr. : Delphine Armand joue (au piano) Rameau, Mozart, Chopin, Ravel et Mantovani (une nouvelle pièce ?). Entrée libre.
  • 17h30, Versailles (Chapelle Royale) : Carissimi, Bouzignac, du Mont, Campra par les Pages et Chantres du CMBV, et le Conservatoire de Versailles. Entrée libre.
  • 19h30, Maison du Danemark : Bedrossian et Pesson par l'ensemble 2e2M. Entrée libre.
  • 20h, Musée d'Orsay : Crossley-Mercer et Schneider font les Magelone Romanzen de Brahms, insérés dans le reste du texte de Tieck, dit par Luc Schiltz. Pas fou de l'œuvre littéraire ni musicale, personnellement, mais c'est un discpositif qu'on n'entend pas tous les jours. Témoignage sur la dernière fois.
  • 20h, TCE : Quintette pour clarinette de Meyerbeer, Sérénade pour cordes et vents de Rossini, un Quatuor de Donizetti, et par du beau monde (Charlier, R. Pasquier, Noras).
  • 20h30, salle Gaveau : un spectacle bizarre sur l'Évangile de Luc. Des extraits de quatuors de Schubert, Janáček, Lekeu, Ravel et Webern, avec récitant.
  • 20h30, Institut Goethe : Mélodies et Lieder de Liszt par L'Oiseleur des Longchamps. 5-10€.


Vendredi 11 avril :

  • 20h, Châtelet (Foyer) : Scarlatti et Cage par David Greilsammer. Je n'ai pas cherché le détail du programme, mais ce peut être rigolo. 25€.
  • 20h, Grand Salon des Invalides : Bach & fils (W.F. et C.P.E.), par les étudiants du Conservatoire de Paris. 5€.
  • 20h, CiMu : Superbe programme dans le genre « XXe officiel » avec Dialogue de l'ombre double et Anthèmes de Boulez, le Kammerkonzert de Ligeti, plus du Stravinski (pour clarinette) et du Mantovani. 18€.
  • 20h30, Péniche Opéra : Kammermusik de Henze d'après Hölderlin, par des élèves du CRR de Boulogne.
  • 21h, Suresnes (Théâtre Vilar) : Grands motets de Charpentier par l'Ensemble Correspondances.


Samedi 12 avril :

  • 18h, Soubise : Œuvres pour quintette à vents de Dvořák, Grieg, Farkas, Belthoise, Tomasi et Bernstein. 7-12€.
  • 20h, Reid Hall (VIe arr.) : Pièces pour violon et piano de Wieck-Schumann, Chausson, Debussy, Messiaen, Dutilleux. Libre participation.
  • 20h, CiMu : Soirée « Turbulences ». En deuxième partie, beaucoup de compositeurs du second XXe de première catégorie : Webern, Yun, Kurtág, Donatoni, de Mey, Mantovani.


Dimanche 13 avril :

  • 16h, Pleyel : Schubert et Brahms par le Quatuor Artemis et Leonskaja, mais aussi Officium breve de Kurtág, une de ses compositions les plus fortes.
  • 20h, Garnier : Debussy, Cras, Jolivet, Françaix. Après une expérience frustrante avec les musiciens de l'Opéra en musique de chambre, je ne suis pas sûr de recommander, mais le programme est comme souvent très original.


Lundi 14 avril :

  • 20h, Amphi Bastille : lieder & mélodies de Schubert, Berlioz, Gounod, Wolf, Hahn, Pfitzner, Berg et Silvestrov ! À mon humble avis, un récital qui va rencontrer les mêmes difficultés que celui de Ricarda Merbeth avec un programme similairement ambitieux : de près et avec piano, une voix aussi large, même pourvu d'une belle expression comme Janina Baechle qui officie ce soir-là, ne peut qu'être décevante (voire instable). Les coutures de la voix et la grosseur du grain prennent vite le pas sur l'expression et même la musique. Malgré la meilleure volonté de l'auditeur. Il n'empêche, programme très alléchant.

Mercredi 16 avril :

  • 20h, Musée du Louvre : Les Folies Françoises et Patrick Cohën-Akenine accompagnent les solistes de l'Atelier Lyrique de l'Opéra dans Rameau. (Vu les voix entendues pour Lucrèce, j'avoue que ça fait peur. Mais ils seront très bien secondés, au moins.) 16-32€.
  • 20h, Invalides : Monteverdi, Caccini et Sances par Claire Lefilliâtre, Ophélie Gaillard et l'Ensemble Pulcinella. 9-15€.


Jeudi 17 avril :

  • 20h, Centre culturel tchèque : Airs de Stefano Landi par Dagmar Šašková et l'ensemble Il Festino (dirigé du théorbe par son partenaire habituel Manuel de Grange). Après de grandes émotions dans le répertoire français, je me réjouis de les retrouver. 10€.

Dimanche 20 avril :

  • 16h, Saint-Louis-en-l'Île : Chœurs orthodoxes russes et chants traditionnels, par le Chœur Rimski-Korsakov (de Saint-Pétersbourg). 14-23€.
  • 18h30, CRR de Paris : Concert des lauréats du concours Flame. Parmi les membres du jury, Viorica Cortez, Dana Ciocarlie et Bruno Rigutto (les autres sont moins célèbres comme solistes internationaux). Gratuit, je suppose ?


Je m'arrête au 20, cela nous laisse trois semaines pour compiler quelques autres friandises. Ne manquez pas de rapporter vos expériences, elles sont utiles à tous...

Pour ma part, sont prévus pour cette période : Die Schöne Müllerin de Breslik le 3, qui devrait être une tuerie ; le récital Halphen (j'attends cette occasion depuis longtemps) le 6, Into the Woods le 8 ou le 10, Charpentier le 11 (peut-être), Farkas & co à Soubise le 12, Šašková le 17, chœurs orthodoxes le 20 (peut-être). Mai sera prioritairement consacré au théâtre (deux pièces données en russe et trois Shakespeare), il y aura peut-être moins à signaler.

samedi 15 mars 2014

Carnet d'écoutes : Mahler par Stenz, Košler et Luisi, Berlioz par Markevitch


Quelques instantanés d'écoutes tirés de Diaire sur sol.

Berlioz – Symphonie Fantastique – Lamoureux, Markevitch

Exactement comme pour sa Damnation de Faust – probablement le disque où le chef met en évidence la logique profonde de chaque détail d'articulation et d'orchestration, où tout devient miraculeusement évident et insolent, là où l'on n'entend d'ordinaire qu'une belle globalité –, Markevitch exalte chaque élément de la partition, on entend la plume crisser sur le papier, on sent croître en nous la force de l'intuition géniale qui a guidé le compositeur en remplissant chaque portée.

Ça a l'air de mots, dit comme ça, mais beaucoup d'auditeurs de ces disques conviennent que ça s'entend.

Les spectaculaires deux derniers mouvements ne sont pas les plus réussis de la discographie pléthorique, en revanche les trois premiers, plus délicats (et surtout la Scène aux champs, tellement étirée et répétitive, rarement aimée des mélomanes), sont portés au plus haut niveau d'intelligence. Il faut entendre le parcours hallucinatoire de la Valse, au fil des effets de l'opium : la mélodie est d'abord jouée legato, égale, floue, en dehors du temps (loin des démarches inégales et éméchées, très intéressantes d'ailleurs, que certains chefs ont essayé), avant qu'émerge de la brume une sorte de frénésie qui se met à « battre la mayonnaise » avec emportement, faisant résonner l'armature des trois temps jusqu'à l'absurde. Les tempes bourdonnent.

Difficile de respecter plus exactement le programme tout en faisant de la meilleure musique.

Pour ceux qui ne l'ont pas sous la main :



Mahler – Symphonie n°8 – Gürzenich, Stenz

Cette Huitième offre à Stenz l'occasion de faire valoir ses meilleures qualités de structure et d'énergie : aucun affaissement de tension, tout fait sens sans effort, dans une belle poussée logique.

Entre les abîmes de Conlon et les faîtes de Stenz, le Gürzenich s'est complètement transfiguré en l'espace d'un lustre.

Et puis le plaisir de retrouver Orla Boylan chez les sopranos.

Mahler – Symphonie n°2 – Gürzenich, Stenz

Au sein de cette intégrale extraordinaire (parue chez Oehms), la Deuxième n'est pas le meilleur maillon : ses articulations sont tellement « carrées » et évidentes qu'elles en deviennent prévisibles. Néanmoins une très belle réalisation à tout point de vue. Très bel Urlicht qui ne priviligie pas la platisque (Michaela Schuster est surtout une superbe diseuse à la voix mûre), crescendo de percutions comme infini, et une tenue d'ensemble, un respect scrupuleux des changements de tempo indiqués sur la partition...

Mahler – Des Knaben Wunderhorn – Oelze, Volle, Güzenich, Stenz

Suite de la notule.

mercredi 22 janvier 2014

Dire du mal d'Abbado


Avec un bon titre comme cela, si vous n'ouvrez pas la notule, c'est à désespérer des bienfaits du racolage.

Suite de la notule.

mercredi 8 janvier 2014

Otto NICOLAI - Il Templario : Ivanhoé au delà du belcanto


1. Un compositeur

Otto Nicolai n'est guère joué (ni écouté) en dehors des pays germanophones. En 2013 et 2014, une dizaine de grandes maisons l'ont données, hors Glasgow, on ne trouve qu'une soirée dans un théâtre secondaire de San Francisco (et dans une traduction anglaise) ; sinon, il faut aller à Radebeul, Gera, Lausanne, Mönchengladbach, Goerlitz, Klosterneuburg ou Kiel.

Par ailleurs, il n'est guère passé à la postérité que pour Die lustigen Weiber von Windsor (« Les joyeuses commères de Windsor »), dernier opéra de la sa courte vie (1810-1849, comme Chopin), et le seul de nature comique.


Entrée du ténor dans Il Templario.


2. Un legs

Néanmoins, il a laissé un corpus assez diversifié, qui contient musique de chambre, symphonies, musique sacrée. Pour s'en tenir seulement à l'opéra :

¶ Trieste, 1839 – Enrico II[ (livret de Felice Romani), « mélodrame » (au sens lyrique et stylistique du terme) en deux actes.
¶ Trieste, 1839 – Il Templario (Girolamo Marini d'après Scott), mélodrame sérieux en trois actes. Traduit en allemand comme « Der Tempelritter », puis repris dans les années 1940 sous le titre « Die Sarazenerin ».
¶ Gênes, 1840 – Gildippe ed Odoardo (Temistocle Solera), mélodrame en trois actes.
¶ Scala, 1841 – Il proscritto (Gaetano Rossi), mélodrame tragique. En Allemagne Die Heimkehr des Verbannten (« Tragische Oper »), puis Marianna.
¶ Hofoper Berlin, 1849 – Die lustigen Weiber von Windsor (Hermann Salomon Mosenthal d'après Shakespeare), fantaisie comique en trois actes.

Pour un musicien formé en Allemagne et qui y reste (un peu exclusivement) célèbre, on remarque la part fondamentale des commandes italiennes dans son legs lyrique. À cette date, on lui commandait donc du belcanto romantique.

3. Il Templario (1839)

Une nouvelle parution chez CPO permet d'entendre l'un d'eux, Il Templario (d'après l'Ivanhoé de Walter Scott) dans d'excellentes conditions (vocales, orchestres, sonores).

Et c'est une surprise.


Air d'entrée du baryton dans Il Templario.


Certes, on entend bien un opéra belcantiste, fait de numéros assez nettement découpés, et liés entre eux par des récitatifs accompagnés par l'orchestre. Les lignes vocales sont aussi faites pour flatter les voix, et mettre en valeur les caractériques de chaque tessiture (longueur de souffle pour les femmes, suraigu pour le ténor, mordant pour le baryton...). En plus de cela, le livret de Girolamo Marini est tellement respectueux du moule qu'on peut deviner toute l'intrigue rien qu'en lisant la liste des tessitures : le ténor impétueux, fils de la basse vénérable, est amoureux mais en butte à la jalousie dévoratrice du baryton.

Néanmoins, on reste musicalement tout le temps en mouvement, on ne retrouve pas les grands aplats des mêmes accords (généralement peu nombreux, et très rarement modulants). Le métier germanique de Nicolai du côté de la musique pure est audible, et ils nous ménage un grand nombre de petits coups de théâtre sonores, une superbe veine mélodique (dans le genre belcantiste, mais plus originale et saillante que la plupart de ses contemporains). Par-dessus tout, il dispense quantité de petits événements orchestraux (un trait de clarinette qui va ponctuer une tirade, un bout de cor qui va venir colorer telle réplique...), et d'une manière générale orchestre bien – on est plus proche du Schumann des bons jours que de la vague esquisse de Donizetti. Sans être d'une richesse incommensurable, car écrit pour un patron à l'italienne, Nicolai semble spontanément écrire une musique plus dense et plus maîtrisée que ses collègues. En somme, du belcanto bien écrit, qui profite de toute la science d'une éducation allemande.

Le résultat vaut bien l'Ernani de Verdi (qui n'est pourtant pas mal non plus) dans son genre belcanto-meilleur-que-du-belcanto, et l'on n'est pas si loin de l'aboutissement de Stiffelio, même si le geste dramatique n'a pas le même naturel ni la même puissance, il faut en convenir.

4. CPO rulz

À cela, il faut ajouter que la version de CPO est invraisemblablement bien jouée et chantée :

Suite de la notule.

mardi 5 novembre 2013

[Sélection lutins] Les plus beaux chœurs profanes a cappella


Toujours sur le même modèle que les autres remises des putti d'incarnat : sélection tout à fait subjective, mais qui peut servir à signaler des œuvres assez peu diffusées, et largement dignes d'être fréquentées.

Dans le domaine des chœurs profanes a cappella, les hiérarchies évidentes dans d'autres genres (quelques figures sont bel et bien incontournables dans la symphonie ou le quatuor) s'effacent largement, aussi j'espère qu'il y aura quelques découvertes à faire dans la liste.

Mes excuses par avance pour le nombre élevé d'incontournables (et la liste n'est pas complète, loin s'en faut) : c'est l'un des genres les plus propices à l'excellence qui soient, et les romantiques germaniques et suédois, ainsi que les nordiques du XXe siècle, ont livré une quantité assez effarante de bijoux.

J'y ai conservé quelques titres déjà mentionnés en musique sacrée, mais dont le propos me semble plus esthétique que liturgique.

Deux catégories :
¶ Œuvres originales ;
¶ Transcriptions.

Le classement s'opère par ordre chronologique approximatif (date de naissance des compositeurs).

J'ai volontairement abandonné le madrigal (et d'une manière plus générale le répertoire antérieur à 1800) pour ne pas surcharger une short-list déjà assez étendue (alors qu'incomplète).


Suite de la notule.

dimanche 29 septembre 2013

Octobre arrive


… comment feriez-vous sans le planning de CSS ?

Théâtre

Parmi l'immensité de la production du terroir, quelques trucs sympas qui se jouent en ce moment, relevés pour ma consommation personnelle : Le Neveu de Rameau, et puis La Religieuse, au Ranelagh (mais les tarifs sont assez élevés), du Grabbe à Gennevilliers (il faut oser la ligne 13, on n'a que rarement l'occasion de le voir en France – Hannibal en l'occurrence), Regardez mais ne touchez pas de Gautier (Passerelle), La Locandiera de Goldoni à l'Atelier (dans une production assez prometteuse à en juger par les extraits visibles).

Musique

En gras, là où je devrais aller (dieux, qu'un voile honteux couvre ma rougeur et mon conformisme !).
Souligné, là où je ne serai pas mais où je vous conseille d'aller voir si j'y suis.

1er – Oratoire du Louvre – Motets de la famille Bach (Vox Luminis).
1er – Pleyel – Concerto pour violon de Corigliano, et le toujours irrésistible Don Juan de Strauss (Orchestre Colonne).

5 – Cité de la Musique – Orfeo syncrétique, entre Monteverdi et musique indienne (Lasserre). Françoise Lasserre est d'ordinaire excellente dans ce répertoire (bel et original Combattimento, par exemple), il faut voir à présent comment le tout s'articule (en général, ce type de fusion rate immanquablement, du fait de la disparité des langages... impossible de glisser simultanément dans les deux modes d'écoute). De toute façon, le site de la Cité semble indiquer la soirée comme plus ou moins complète.

6,8,10 – Genève – Sigurd
Déjà mentionné dans la liste hors Île-de-France. L'œuvre n'a pas été rejouée dans le monde depuis 1995 à Montpellier. Et mis à part Marseille en 1991, il faut remonter dans les années 70 et 80 pour en trouver des traces sporadiques sur les scènes, alors même que l'œuvre avait été, dans les années suivant sa création, particulièrement fêtée – c'était même l'un des standards dans les récitals français.
Le gros point fort à Genève est Frédéric Chaslin, personne ne dirigeant mieux que lui, à l'heure actuelle, la forme Grand Opéra, avec ce mélange d'urgence, de souplesse et de densité. Vocalement, le tableau est un peu plus mitigé : Antonacci en Brunehild et Courjal dans l'air du Barde constituent de grandes promesses, mais il ne faudra pas attendre beaucoup de grâce de la part d'Andrea Carè, une voix dramatique au timbre un peu farineux (et au français médiocre jusqu'à présent), ni de Todorovitch.
Je me demande si Chaslin rétablira les parties habituellement coupées (le duo entre Uta et Hilda à l'acte III, le second duo de Hilda et Brunehild à l'acte IV) ; c'est possible, du moins si le matériel d'orchestre existe encore (il se dit que les souris font le tri de la postérité dans les greniers de Choudens).

Suite de la notule.

samedi 14 septembre 2013

Une saison 2013-2014 en Île-de-France (et un peu ailleurs)


Suite à la demande croissante en coulisses (croyez-le ou non, j'ai dû embaucher une autre secrétaire, sans parler des gardes du corps pour me protéger des ardeurs des plus impatients), notre petite usine poulpiquette a accéléré ses cadences pour fournir l'authentique planning saisonnier de Carnets sur sol, en véritable html massif. Malgré tout le soin accordé à la confection de nos pixels, il est possible que des erreurs se soient glissées, en particulier dans les dates. Vérifiez toujours pour les concerts qui vous intéressent, car le bureau des réclamations a été fermé (pour financer la nouvelle secrétaire, évidemment), et le standard ne dispose pas encore d'interprète fluide en lutin-français.

Pour cette cinquième année, il n'est peut-être plus nécessaire de préciser que non seulement il est impossible d'être exhaustif, mais que de surcroît les choix opérés sont dus à mes seuls tropismes et inclinations ; beaucoup d'autres choses de premier intérêt figurent dans les programmes sans que j'aie pris ma vie pour les recopier. En revanche, dans la masse présélectionnée, il y a sans doute matière à découvrir des salles moins courues et des œuvres peu jouées, pour pas mal de gouts différents.

Si cela peut aider à hiérarchiser, je n'ai pas eu la patience de retirer le légendage personnel : le signe § indique le degré de prévision, le signe ¤ l'improbabilité de ma présence. Je n'ai pas conservé la couleur qui apparaît sur l'agenda pour la présélection, mais peu importe, on peut très bien naviguer sans. Les astériques sont sans importance (à part pour moi, puisque j'ai déjà les billets).

Vous pouvez retrouver les précédentes saisons, chacune disposant en commentaires de liens renvoyant vers des échos des soirées vues :


Les spectacles vus seront cités en commentaires de cette notule, et diverses remarques sur la saison ajoutées sous cette étiquette.

En lice pour les putti d'incarnat, on trouvera donc :

Suite de la notule.

mercredi 17 juillet 2013

Saison 2012-2013 ––€ Bilan statistique et subjectif


Pas de grandes leçons générale à tirer de ce bilan, à ceci près qu'il est possible de faire un nombre à peu près illimité de concerts de premier intérêt en Île-de-France, et quels que soient ses goûts...

73 spectacles dans 34 lieux différents (dont 18 "nouveaux") : quand on se déplace un peu, on trouve. Et à prix la plupart du temps très doux (sous les 20€€).

Il y aura probablement un ou deux concerts supplémentaires d'ici à la fin de l'été, mais voici d'ores et déjà l'essentiel des données.

A. Liste des spectacles vus

Suite de la notule.

mercredi 1 mai 2013

Mai


Sélection de spectacles en mai en Ile-de-France (et un peu au delà). Outre les grandes salles parisiennes, on pourra se balader au Temple du Luxembourg, à l'Athénée, au Musée d'Orsay, à Versailles, à Herblay, et même à Cologne...
Il y a tellement à faire que je n'ai pas osé ouvrir Cadences à la page fatale qui alourdit immanquablement mon agenda d'un ou deux spectacles dans le mois... Mais si vous souhaitez le faire, il y a sans doute de petits récitals de lied ou de petits concerts de musique sacrée qui m'ont échappé. Le Requiem de Ropartz était donné sur une assez longue période en Île-de-France, par exemple.

En gras, mes choix, si jamais vous désirez m'offrir un macaron (comestible ou solide, selon votre appréciation de ces pages) à l'entracte...

2 mai - Richelieu - Shakespeare, Troilus & Cressida
J'y espère le même succès que pour les Commères d'Andrés Lima, même si je suis en général un peu moins intéressé par le (bon !) travail de Ruf.

4 mai - Bastille - Mahler, Symphonie n°3, chorégraphie Neumeier
Je ne suis pas convaincu par ces principes en général, mais la Troisième me paraît très bien se prêter à l'exercice visuel et en particulier chorégraphique - indépendamment du programme originel qui ne me passionne pas particulièrement.

5 mai - Cologne (Mülheim) - Schreker, Die Gezeichneten
Les extraits vidéos qui circulent ont l'air engageants - Stefan Vinke n'a jamais chanté comme cela, ce qu'on entend là est fantastique ! Vu les minutages, un compère pronostique une version intégrale ou peu s'en faudra.
Une catégorie entière est dévolue à cette oeuvre sur CSS.

7 mai - TCE - Mozart, Don Giovanni, Rhorer, Braunschweig
Vu que l'a Mezzo enregistré et diffusé, je vais sans doute m'abstenir de me déplacer dans un théâtre malcommode (salutations à mon voisin du dessus qui s'est samedi essuyé trois fois les pieds sur mes cheveux !) et vraisemblablement complet. Don Giovanni n'est de toute façon vraiment pas l'oeuvre qui sied le plus au style de Braunschweig. Les extraits entendus rappellent que Rhorer, qu'on entend beaucoup désormais dans le répertoire romantique (avec un intérêt variable), s'est fait un nom avec sa langue maternelle : Mozart (et Salieri).

Suite de la notule.

mercredi 27 mars 2013

Programme d'avril


Petite sélection mensuelle.

A Lyon :

Ont lieu (entrée libre) les épreuves et le concert des lauréats du IXe Concours International de Musique de Chambre de Lyon (consacré cette année au lied et à la mélodie), du 22 au 28 avril, où l'on entendra notamment Brahms, Dubois, Gounod, Massenet, Paladilhe, Schubert, Schumann, Wolf, Ravel Debussy, Poulenc, Fauré, Satie, Bacri, Britten, Liszt, Strauss, Boulanger, Schubert, Falla... !

J'en avais un peu plus précisément touché un mot en début de saison.

A Paris :
Théâtre

Troilus & Cressida se poursuit à la Comédie-Française.

De même pour le Songe d'une Nuit d'été au Théâtre de la Porte Saint-Martin, et pour Occupe-toi d'Amélie au théâtre de la Michodière.

Pour faire bonne mesure, la MC93 de Bobigny propose une version psychédélique de The Tempest avec la musique de scène de Purcell (manifestement remixée façon « musiques amplifiées ») - le tout en portugais, sinon ce ne serait pas drôle.

Plus sérieux, Les Amandiers de Nanterre mettent en valeur le patrimoine rare de deux grands auteurs dramatiques : Goethe avec Torquato Tasso (une oeuvre pas extraordinaire cela dit, qui paraît assez conventionnelle et mesurée aujourd'hui, dans le registre artiste sensible et maudit), Ibsen avec Les Revenants.

Enfin, La Colline joue aussi Ibsen, avec Solness le Constructeur par Braunschweig, la gourmandise théâtrale de l'année !

Musique

(En gras, les dates personnellement prévues. Attention, les autographes ne sont jamais signés avant le concert.)

3 avril - Opéra-Comique - Falvetti, Il Diluvio Universale. Comme les oeuvres de Legrenzi, le Déluge est témoin de la mutation esthétique entre la déclamation sèche de la naissance de l'opéra et la vocalisation abstraite de l'opera seria du XVIIIe siècle. Un âge d'or dans l'opéra italien, à la fois raffiné musicalement et généreux vocalement, qu'on ne retrouvera pas avant Verdi - et qui ne sera pas à nouveau généralisé avant la génération Catalani-Leoncavallo-Mascagni-Puccini.

5 avril - Théâtre de Saint-Maur - Wieland Kuijken en solo
5 avril - Salle Pleyel - Sibelius, Symphonie n°2 par Mikko Franck et le Philharmonique de Radio-France

6 avril - Cité de la Musique (14h30) - Variations Goldberg par Blandine Rannou. Lecture très étrange (et abondamment ornementé), assez fascinante.
6 avril - Cité de la Musique - Bach, Motets & Cantates célèbres par Gardiner. Répétition générale publique dès 18h30.

Suite de la notule.

mercredi 20 mars 2013

Zemlinsky, Schreker, Schoenberg, Webern et Korngold par Merbeth et Schmalcz


Un mot aussi sur Chausson, Lekeu, Elgar et Schindler-Mahler par Lemieux et le Quatuor Psophos :

Suite de la notule.

mardi 12 mars 2013

[Sélection lutins] Les plus beaux cycles de lieder orchestraux du premier XXe siècle


Orchestrés a priori ou a posteriori, une proposition de cycles particulièrement réussis à mon gré. Pour des raisons évidentes de quantité, je n'ai pas retenu les oeuvres isolées. De même, si j'ai inclus les symphonies mettant en musique des poèmes pour voix solo, je n'ai pas conservé les monodrames (comme Schönberg ou Poulenc), qui par définition ne mettent pas en musique de la poésie.

Malgré les réserves que j'ai émises sur les lieder orchestraux en tant que genre poétique, il faut bien admettre que la forme accueille de nombreux chefs-d'oeuvre.

Encore une fois, aucune prétention à l'exhaustivité, simplement une sélection d'oeuvres à écouter, sur le simple critère des goûts du taulier (oui, c'est marqué dans la description : interlope).
Une forme de bouche à oreille, tout à fait informel.

Néanmoins, je crois avoir cité, en fin de compte, non seulement ceux que j'aimais (illustres ou obscurs), mais aussi la plupart de ceux qui sont célèbres. J'ai donc inclus en italique et entre crochets les quelques oeuvres célèbres que je ne recommande pas forcément en premier lieu (voire que je n'aime guère, comme Das Klagende Lied ou le Marteau sans Maître), de façon à disposer d'un panorama un peu plus complet.

Il est intéressant de constater qu'à peu près tous ceux cités ici ressortissent à une esthétique assez proche de l'esprit "décadent", et pas seulement en raison de mes goûts propres : on trouve très peu de lieder orchestraux célèbres dans les périodes précédentes, en dehors des Nuits d'Eté de Berlioz et des Wesendonck-Lieder de Wagner (et ce dernier cycle ne me convainc pas pleinement). Ceux du premier XXe ont pour la plupart cette petite teinte fin-de-siècle, que je les aie "sélectionnés" ou non.

[[ 1880 - Gustav MAHLER - Das Klagende Lied (Mahler d'après Bechstein et Grimm, débuté en 1878) ]]
1886 - Gustav MAHLER - Lieder eines fahrenden Gesellen (Mahler)
1889 - Hugo WOLF - Harfenspieler I,II,III (Goethe)
[[ 1892 - Ernest CHAUSSON - Le Poème de l'amour et de la mer (Bouchor) ]]
[[ 1899 - Edward ELGAR - Sea Pictures (Noel, Mrs Elgar, Barrett Browning, Garnett, Gordon) ]]
1899 - Guy ROPARTZ - Quatre Poèmes de l'Intermezzo de Heine
1901 - Gustav MAHLER - Des Knaben Wunderhorn (Arnim & Brentano, débuté en 1892)
1901 - Oskar FRIED - Die verklärte Nacht (Dehmel)
1903 - Maurice RAVEL - Shéhézarade (Tristan Klingsor)
1904 - Gustav MAHLER - Rückert-Lieder
1904 - Gustav MAHLER - Kindertotenlieder (Rückert)
[[ 1905 - Arnold SCHÖNBERG - Sechs Lieder Op.8 (Hart, volkslieder, Förster traduisant Pétrarque) ]]
1906 - Ernest BLOCH - Poèmes d'automne (Rodès, orchestration 1917)
1908 - Alban BERG - Sieben Frühe-Lieder (orchestration 1928)
1909 - Gustav MAHLER - Das Lied von der Erde (Bethge)
[[ 1911 - Arnold SCHÖNBERG - Gurrelieder (Robert Franz Arnold traduisant Jens Peter Jacobsen, débuté en 1900) ]]
1912 - Alban BERG - Altenberg-Lieder
1914 - Guy ROPARTZ - Quatre Odelettes (Régnier)
1922 - Franz SCHREKER - Fünf Gesänge für eine tiefe Stimme (Ronsperger, débuté en 1909)
1927 - Franz SCHREKER - Vom ewigen Leben (Whitman)
[[ 1929 - Alban BERG - Der Wein (Stefan George traduisant Baudelaire) ]]
1936 - Olivier MESSIAEN - Poèmes pour mi (Messiaen, orchestration 1937)
1938 - Ture RANGSTRÖM - Häxorna (Karlfeldt)
1944 - Henri DUTILLEUX - La Geôle (Cassou)
[[ 1946 - Pierre BOULEZ - Le Visage Nuptial (Char) ]]
1948 - Richard STRAUSS - Vier letzte Lieder (Hesse, Eichendorff)
1948 - Pierre BOULEZ - Le Soleil des eaux (Char)
1952 - Manfred GURLITT - Vier dramatische Gesänge (Hardt, 2 Goethe, Hauptmann)
1954 - Henri DUTILLEUX - Deux sonnets de Jean Cassou
[[ 1954 - Pierre BOULEZ - Le Marteau sans Maître (Char) ]]
1957 - Pierre BOULEZ - Pli selon Pli (Mallarmé)

Je trouve que la présentation par ordre chronologique est assez stimulante, tant elle révèle l'entrelacement de styles différents - et combien ceux qui nous paraissent modernes et originaux le sont parfois vingt ans après les autres... ou inversement, combien certains novateurs le sont à des dates très précoces, davantage que celles auxquelles l'on place généralement leur aire / ère d'influence.

Il existe bien sûr d'autres cycles intéressants, comme certains recueils de mélodies orchestres de Koechlin, mais j'avoue ne pas leur avoir trouvé le même intérêt qu'aux titres (remarquables, vraiment) de cette liste.

Si vous devez en essayer quelques-uns pour commencer, je me permets de vous recommander tout particulièrement les chatoyances de Vom ewigen Leben de Schreker (version Ruzicka, les autres ne rendant pas forcément justice à l'oeuvre), les Vier dramatische Gesänge de Gurlitt et les Quatre Odelettes de Ropartz.

A ceux-là, j'aurais envie d'ajouter certains formats étranges, pour ensemble, ou semi-oratorios, qui auront difficilement l'occasion d'apparaître dans une liste :

Suite de la notule.

dimanche 24 février 2013

[Sursolscope] Le mois de mars à Paris


Sélection d'événements, avec un petit mot pour aider à choisir.

=> 1er, Amphithéâtre Bastille : Notturno de Schoeck par Eröd et le Quatuor Aron, couplé avec le Quatrième Quatuor de Zemlinsky.
Programme très original, avec des oeuvres qui sont d'authentiques chefs-d'oeuvre, au sens le plus complet : des sommets représentatifs de leurs périodes. Le Notturno de Schoeck s'apparente beaucoup au Deuxième Quatuor de Schönberg, aussi bien dans les couleurs harmoniques (proches de celles du premier mouvement) que dans l'ambiguïté formelle entre quatuor et lied. En un flux unique sur près de quarante minutes, on traverse les textes de Lenau et Keller. Raison de plus pour venir : les textes sont toujours fournis à l'Amphi !
Quant au Quatrième Quatuor de Zemlinsky, il se situe sensiblement dans le même univers, mais plus tardif et tourmenté - quelque part entre le Deuxième et le Troisième de Schönberg. Autre chef-d'oeuvre.
Adrian Eröd ayant déjà fait ses preuves comme liedersänger, c'est un moment assez incontournable si on s'intéresse aux décadents.

=> 1er, Cité de la Musique : Berlin dans des oeuvres de chambre avec vents de Brahms, Debussy et Ravel.

=> 4, Pleyel : Requiem de Verdi avec le Choeur Philharmonique Tchèque de Brno (superbe ensemble). Et l'Orchestre National de Lille.

=> 5, Amphithéâtre Bastille : Conférence d'Hervé Lacombe sur Wagner & les Français.
Sujet passionnant très prisé de CSS (je vous laisse fouiner dans CSS à propos de Reyer, d'Indy, Chausson ou Ropartz, par exemple).

=> 7, Amphithéâtre Bastille : Lemieux, Blumenthal et les Psophos dans Schindler-Mahler, Lekeu et Elgar.
J'aurais aimé une autre chanteuse (Lemieux, c'est vraiment pâteux), mais les autres artistes sont enthousiasmant, et le programme à la fois original et décadent ne peut que faire très envie. (Dommage en revanche que ce soit toujours la première série de Schindler qui soit jouée, alors que les autres sont encore plus puissamment personnelles. Et qu'on ne les entend jamais - même au disque, on a très souvent la série de 1910.)

=> 8, Amphithéâtre Bastille : Merbeth dans R. Strauss, Zemlinsky, Schreker, Schönberg, Korngold, Webern.
Ici aussi, je redoute une voix un peu large et durcie pour le lied et la salle, mais Merbeth est une artiste capable, je crois, d'adapter finement son style à ce genre d'exercice. Et le répertoire concerné peut souffrir une lecture un peu ample. Il ne manquait plus que Gurlitt, et nous avions la quintessance du lied décadent germanique réuni en deux jours à l'Amphi.

=> 18, Châtelet : Carousel de Rodgers & Hammerstein II.
Les raretés du Châtelet en matière de Musical ne m'ont pas toujours totalement convaincu, en revanche ils ont montré à plus d'une reprise leur habileté à monter les standards à leur plus haut niveau, soit en invitant comme pour les Miz, sont en faisant eux-mêmes leurs productions. Je n'ai pas pu voir sur place The Sound of Music, My Fair Lady et Sweeney Todd, mais au delà de la réception critique très favorables, les échos publiés en ligne par le théâtre parlent d'eux-même sur la très grande qualité de ces soirées.
Pour information, l'essentiel du recrutement se fait auprès de chanteurs lyriques (anglais courant exigé, pas seulement les vagues prononciations opératiques) qui maîtrisent les deux styles.

Suite de la notule.

dimanche 6 janvier 2013

Le disque du jour - LXXIII - Cinquième Symphonie de Tchaïkovski - (Günter Wand / DSO Berlin)


Manière qu'on ne puisse pas soupçonner (pour quelque raison fantaisiste) que j'aie bon goût, recommandation d'une version tapageuse de la Cinquième de Tchaïkovski.

Il existe quantité d'excellentes versions, dont certaines assez célèbres et distribuées partout (Monteux, Maazel, Jansons, Gergiev...). La référence généralement admise en est, à juste titre, la gravure studio de Mravinski, un chef-d'oeuvre de détail et de juste mesure. Chaque phrasé semble avoir été écrit comme cela, les pupitres se relaient avec une rare éloquence...

Mais comme tout le monde écoute cette version reine depuis longtemps (qui règle en effet la question, un peu à la manière des Schumann de Sawallisch), pourquoi ne pas s'offrir un petit détour par une lecture à l'opposé ?


La lecture de Günter Wand est tout entière placée sous le signe de la démesure, l'orchestre brame avec aisance, dans une sorte de fureur qui doit plus à la poussée d'ensemble qu'à l'individualité des climats très réussie par Mravinski. Dans cette optique, Wand et le DSO Berlin ne font qu'une bouchée de cette symphonie. La prise de son, comme au centre de l'orchestre, assure un impact physique assez spectaculaire.


Bref extrait du premier mouvement.


L'orchestre

Le Deutsches Symphonie-Orchester est l'orchestre actuel issu de l'ancienne radio de Berlin-Ouest (fondé en 1946). A l'origine, c'était même la RIAS, c'est-à-dire la radio du secteur américain (Rundfunk im amerikanischen Sektor). Son nom cause quelques problèmes d'identificatios, puisque de 1956 à 1993, il était appelé Radio-Symphonie-Orchester Berlin, tandis que l'orchestre de Berlin-Est a toujours été appelé (dès sa création, en 1923), Rundfunk-Sinfonieorchester Berlin, soit exactement le même sens - tous deux abréviés en RSO Berlin. Ainsi on se retrouve avec des enregistrements de Riccardo Chailly (directeur dans les années 80 de l'orchestre Ouest) où RSO Berlin apparaît seul sur la pochette, si bien qu'on peut douter de la provenance (a fortiori puisque désormais seul l'orchestre anciennement à l'Est se nomme RSO Berlin !).

Dirigé successivement par Fricsay, Maazel, Chailly, Ashkenazy, Nagano, Metzmacher et désormais Sokhiev, grand spécialiste de la musique "décadente" et "dégénérée" dès Chailly (poèmes symphoniques de Zemlinsky chez Decca), et aussi sous Nagano et Metzmacher, un des plus beaux orchestres berlinois.

Pour ceux qui trouvent ça trop simple

Ce n'est que l'une des nombreuses complexités de la vie orchestrale berlinoise - par exemple, le Rundfunk-Sinfonieorchester Berlin se produit régulièrement au Konzerthaus, comme... le Konzerthausorchester Berlin (fondé en 1952), qui devait être le pendant à l'Est du Philharmonique de Berlin. Lorsqu'on considère qu'il s'appelait à l'époque le Berliner Sinfonie-Orchester, et qu'il existe depuis 1967 à l'Ouest le Symphonisches Orchester Berlin, aujourd'hui Berliner Symphoniker... on voit l'importance de placer les mots dans le bon ordre ! Evidemment, les chefs pouvaient voyager d'un orchestre à l'autre, ainsi Lothar Zagrosek qui enregistra les Gezeichneten avec le Berlin DSO, mais qui est aujourd'hui directeur musical de l'Orchestre du Konzerthaus, ce qui ne contribuera pas à éclairer les mélomanes dans quelques années. De plus, si l'on traduit en anglais ou en français, on obtient souvent exactement la même expression pour désigner ces orchestres, ce qui n'est pas pour faciliter la tâche des auditeurs de bonne volonté.

Pour prolonger

Suite de la notule.

jeudi 27 décembre 2012

Symphonie n°4 et Concerto pour violon n°2 de Szymanowski, Symphonie n°4 de Brahms (Kavakos, Matsuev, LSO, Gergiev)


Lire la suite :

Suite de la notule.

dimanche 28 octobre 2012

Lully - Phaëton à Pleyel (Rousset 2012)


Soirée un peu tiède pour différentes raisons (à commencer peut-être par le contraste avec le langage de Der Ferne Klang quelques jours plus tôt !), mais très stimulante.



La version de Beaune (plus flatteuse, et avec Auvity dans sa forme normale) est toujours disponible en ligne via Arte Live Web en cliquant ci-dessus.


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1. Oeuvre singulière

Phaëton est un opus particulièrement original dans le corpus de Lully, plus encore dans celui de Quinault, et même dans le genre de la tragédie en musique tout entier. Il suffit d'observer la place de son rôle-titre, tenu par la haute-contre, mais exceptionnellement utilisée comme un personnage repoussoir. C'est la première fois (il s'agit de la dixième tragédie en musique de Lully) que cette configuration apparaît, et elle restera extrêmement rare dans la littérature musicale du siècle à venir. Et dans certains cas, de façon moins franche (Jason est-il réellement à considérer comme négatif, étant donné que son vis-à-vis est la barbare Médée ?).

De même, la musique y montre un renouvellement et un raffinement peu communs chez Lully. Son inégalité est d'ailleurs frappante : qu'on trouve son inspiration un peu terne (Thésée, Isis) ou au contraire magistrale (Atys, Armide), la plupart de ses oeuvres sont d'une qualité assez homogène. Or, Phaëton contient à la fois les plus hauts sommets du compositeur (les deux derniers tiers du Prologue, à peu près tout à partir de la seconde moitié de l'acte II) et des pages parmi les plus lisses et vides de sa production tragique (le reste). Un peu à l'image d'Amadis, à ceci près que le livret de Phaëton est aussi tendu et brillant que celui d'Amadis est indolent et répétitif.

Dans ses moments majeurs, on rencontre bon nombre d'effets inédits : la chaconne, l'air de rien, très retorse rythmiquement ; les duos tendres de Lybie et Epaphus, modèles de virtuosité dans l'alternance des mètres musicaux ; son inspiration mélodique très évidente et assez différente de ses habitudes ; les parties très aiguës du Soleil, mais sans le caractère de douceur des autres occurrences de ce type (Sommeil & Morphée dans Atys, Mercure versant le sommeil dans Persée) ; cette fin à la fois malheureuse et souhaitée (sans l'attachement qu'on peut avoir à la figure d'Armide) ; son caractère hautement spectaculaire. Pour cette dernière raison, on l'a nommé « l'opéra du peuple » (Atys étant « l'opéra du roi »), considérant les succès très vifs que les machines de l'acte V remportaient auprès du public parisien de l'Académie Royale de Musique.

Voici ce qu'il en était dit (plus spécifiquement à propos des récitatifs d'Epaphus dans une notule de 2011 :

Le naturel extrême de la déclamation (fondé sur des mesures dont les mètres sont très changeants), sa grande inspiration mélodique, l'ampleur sans grandiloquence du geste musical, le pathétique très attachant des personnages, la beauté des couleurs harmoniques (parmi les plus raffinées de tout Lully), la variété des carrures rythmiques bondissantes, le sens inexorable de la progression dramatique, les sommets contenus dans les duos qui terminent chaque entretien... tout cela témoigne combien Lully a ici livré sa meilleure inspiration, et l'un des moments les plus élevés de toute son oeuvre.
Par la même occasion, ces deux scènes constituent également un sommet de l'histoire du récitatif français.

A la relecture des partitions, j'ai sans doute un peu exagéré, Phaëton n'a jamais le relief harmonique des grands moments d'Atys et d'Armide, mais il maintient l'exigence à un niveau moyen d'une qualité assez rare chez Lully.

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2. Différences

Etrangement, je ne ressens pas vraiment la même chose en salle qu'en retransmission, et comme pour la Médée de Haïm, ce n'est pas à l'avantage de la musique en vrai.
Peut-être la proximité dans mes oreilles d'une oeuvre aussi dense musicalement que Der Ferne Klang a-t-elle un peu altéré mes repères auditifs (petite salle, orchestre très riche, décibels généreux), et de fait l'orchestre sonne mince dans les dynamiques les plus fortes.

L'ensemble de la soirée procure un étrange sentiment de mollesse, de distance même, s'alanguissant avec la même coquetterie terne que le Rousset du milieu des années 2000, celui du creux de la vague (avec, en ce qui concerne ce répertoire, les studios de Persée et de Roland). Attention, contrairement à Haïm, la musique fonctionne tout de même la plupart du temps - la logique de Rousset me paraît souvent néfaste aux oeuvres qu'il sert, mais il n'y a jamais l'impression de fragmentation qu'on pouvait ressentir avec Haïm.

Et cela voisine avec des moments d'inspiration extraordinaires. En particulier les danses (chaconne remarquable), absolument toutes les interventions chorales (le Choeur de Chambre de Namur est bien sûr magnifique, mais mieux dirigé que jamais), de très belles réalisations au théorbe et au clavecin (du type "ritournelle", qui invente des contrechants, des introductions, des réponses - encore meilleur pour Rousset que pour Stéphane Fuget), l'usage très heureux du positif dans certains récitatifs, un acte IV qui mêle poésie et tension. Sans parler de la trouvaille du final (reprise du choeur « Ô témérité malheureuse » en decrescendo tendre et funèbre, là où Minkowski renforçait l'éclat), tout à fait bouleversante, une de ces fins qui éclairent de façon très puissante tout ce qui précède.

Dans l'ensemble, on évite donc le côté cassant qu'on pouvait reprocher au studio de Minkowski, qui ne respire pas beaucoup, et qui se montre quelquefois brutal (l'esthétique de sa chaconne se rapproche assez de celle, martiale, de Goebel pour Armide). Mais Minkowski avait pour lui, outre une distribution (très) supérieurement préparée, un sens du drame sans comparaison : sa conception du continuo est certes plus verticale (beaucoup d'accords égrenés, moins de contrepoint), mais la gestion du temps de déclamation est idéale, on perçoit sans cesse l'urgence des situations et les quantités de la langue. Aussi, son disque se dévore, et malgré ses duretés, convainc de bout en bout.


Extrait de l'acte V dans le studio de Minkowski : second entretien entre Libye (Véronique Gens) et Epaphus (Gérard Théruel, le plus grand baryton de tous les temps).


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3. Esthétique générale

Globalement, l'intérêt de la soirée suit de très près l'intérêt de la partition : lorsque celle-ci se dérobe, il n'y a réellement plus rien (première partie de soirée assez peu palpitante) ; lorsqu'elle déploit ses beautés, sans en tirer toujours pleinement parti, Rousset la sert avec soin. Du moins à l'orchestre.

Car, comme au TCE avec Haïm, le problème le plus frappant étant l'absence de travail sur la déclamation. Les chanteurs disent leur texte sans s'appuyer sur la couleur propre de chaque voyelle, sans croquer les consonnes, sans mettre en valeur les "quantités" fortes du vers. Je distingue même (non sans horreur) des traces de couverture ! Affadir le texte, avec une musique aussi simple, aussi liée à sa qualité verbale, c'est tout bonnement se faire seppuku.

J'y vois plusieurs explications possibles :

Suite de la notule.

mercredi 24 octobre 2012

Franz SCHREKER, Der Ferne Klang sur scène : Braunschweig, Letonja, Strasbourg-Mulhouse 2012


La mise au répertoire de l'Opéra du Rhin de Der Ferne Klang (la première française, il me semble) constitue l'occasion, jamais saisie alors qu'on s'est beaucoup attardé ici sur les Gezeichneten, voire sur la Symphonie de Chambre, de présenter un autre chef-d'oeuvre au sein d'une production très inégale.

En fin de présentation, un mot sur les représentations strasbourgeoises (pas dépourvues de réserves bien sûr, mais en réalité assez idéales). Et un bref bilan discographique (trois versions officielles à ce jour).

Avec extraits sonores.

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L'interlude de l'acte III, dit Nachtstück, la partie la plus célèbre de l'oeuvre et l'une des plus originales, parfois présentée de façon autonome au concert, comme ici - Karl Anton Rickenbacher dirige le Radio-Symphonie-Orchester Berlin, ex-Radio de Berlin-Est, dans un disque Orfeo partagé avec Michael Gielen, et qui contient les trois meilleures pièces symphoniques de Schreker dans des interprétations de premier plan.
Des extraits des représentations strasbourgeoises sont à venir, plus loin.


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1. Création

Son premier opus, Flammen (1901-1902), est le seul dont il n'ait pas écrit le livret. La tâche était alors assurée par Dora Pollak (sous le pseudonyme de Dora Leen), fille du médecin personnel de Ferdinand von Saar - ami et mentor de Schreker, auteur majeur du naturalisme germanophone (ce qui n'est pas sans faire écho à certains traits de Ferne Klang). Dès ce coup d'essai (un seul acte, de soixante-quinze minutes), Schreker fait valoir un orchestre luxuriant, assez indépendant (rythmiquement et mélodiquement) du chant, et disposant de couleurs orchestrales et harmoniques singulières.
Il faut bien voir qu'en 1901, Pelléas n'était pas encore créé, et que le premier opéra allemand décadent d'importance (du moins tel que documenté à ce jour, car il peut tout à fait y avoir des surprises dans les bibliothèques !) n'a pas encore été créé : Salomé de Richard Strauss, en 1904 - qui s'inspire de la matière musicale de Cassandra de Gnecchi, mais avec une modernité, une densité et une puissance sans commune mesure. De ce fait, ce premier opéra de Schreker peut quasiment être considéré, jusqu'à plus ample informé, comme le point de départ du mouvement lyrique décadent (essai de segmentation ici).

Et ce premier livret est déjà centré sur les questions de création, de vie de l'artiste, de sacrifice féminin (notion très wagnérienne, n'est-ce pas), qui seront complètement récurrentes dans les livrets de la main de Schreker.

L'opéra qui nous occupe, Der Ferne Klang (Le son lointain), est le deuxième opéra de son auteur, le premier de cette envergure (deux heures et demie). Il est intéressant de noter que sa composition débute également avant la création de Salomé (1903-1910), même si sa création est sensiblement plus tardive (1912, à Francfort-sur-le-Main). Malgré son vif succès à l'époque - Schreker représentant, jusqu'à son interdiction par les nazis, l'un des compositeurs les plus en vue de la République de Weimar -, l'oeuvre arrivait donc après les paroxysmes d'Elektra, et n'a certes pas le même impact - ni, à mon sens.
Néanmoins, elle demeure à la pointe de la modernité, et très singulière, vraiment différente du ton des Strauss ou de la palanquée de post-wagnériens (parfois très séduisants, comme Humperdinck, Pfitzner ou Siegfried Wagner).

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2. Synopsis

Nécessaire pour suivre la logique de ce qui suit si l'on n'a pas déjà lu le livret, voici les quelques articulations importantes de l'intrigue.

Acte I, tableau 1. Grete et Fritz s'aiment en secret, mais Fritz part à la recherche du soin lointain qu'il entend sans cesse - un sacrifice que Grete accepte avec générosité. Mais celle-ci découvre soudain que son père, ivrogne perclus de dettes au cabaret d'en face, vient de la jouer (et la perdre) pour un tonneau de vin. Désespérée, elle finit par accepter l'offre du cabaretier (qui lui offre, une fois mariés, de prendre des amants à son gré). Mais, une fois seule, elle se sent incapable de tenir sa parole et s'enfuit pour retrouver Fritz.

Acte I, tableau 2. Grete est désespérée de sa quête infructueuse, mais émerveillée des beautés de la forêt. Elle songe à se noyer dans le lac, mais la Vieille Femme (qui la persiflait au premier tableau) reparaît, et lui propose de retrouver l'équivalent de Fritz.

Acte II, tableau unique. Ile vénitienne qui sert de luxueux lupanar. Grete, à la fois flattée dans sa vanité par l'idolâtrie des hommes, et mélancolique sur le souvenir de son premier amour perdu, écoute le concours de contes qu'elle a lancé - et dont elle est le prix. Le Chevalier galant fait dans le badin ; le Comte, qui soupire en vain pour Grete (à qui il rappelle trop Fritz), épris contrairement aux autres, propose une sombre ballade germanique. Grete rejette sa proposition d'enlèvement pour une vie décente.
Fritz paraît, et reconnaissant tardivement Grete, lui raconte sa recherche égoïste qu'il déplore. Celle-ci lui accorde le prix, mais alors qu'il compte partir, elle lui fait entendre qu'il s'agit d'une nuit voluptueuse, très loin de leurs entretiens naguère. Horrifié, Fritz s'enfuit ; Grete accepte la proposition du Comte.

Acte III, tableau 1. Au café en face de l'Opéra. Remords du docteur Vigelius, à l'origine de la « vente » de Grete, et qui s'accuse de sa disparition. Les artistes, sortant du théâtre, font écho au grand succès de l'oeuvre, avant la chute terrible de l'acte III. Grete, devenue une prostituée de rue, a fait un malaise pendant la représentation, et tandis qu'elle se remet, se fait importuner par un homme connu antérieurement et mépriser par la compagnie. Néanmoins le manège attire l'attention de Vigelius qui l'identifie. Devant l'échec de la pièce et l'annonce de la maladie du compositeur, Grete décide de voler au devant de Fritz pour le consoler.

Acte III, tableau 2. Chez Fritz. Désespoir du compositeur déchu. Vigelius, forçant sa porte, lui parle sans être entendu, alors qu'il lui révèle la présence de Grete, à laquelle Fritz pense en se reprochant son abandon à Venise, lorsqu'elle était dans la fange. Finalement, apparition de Grete, fugace moment de joie, avant que chacun ne se mette à délirer simultanément, Grete sur sa dévotion à Fritz (avec des réflexes assez « physiques »), Fritz sur le son lointain toujours plus présent. Finalement, mort de Fritz.

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3. Le premier livret de Schreker
Rémanences thématiques

On retrouve dans cette oeuvre un nombre important de motifs communs à beaucoup d'autres livrets de Schreker. Rien qu'au niveau de l'histoire racontée : la figure de l'artiste (d'une façon ou d'une autre maudit), le départ pour une quête surnaturelle, l'auberge sordide, la vie misérable à la campagne, la question du désir évoquée sans détour (mais toujours connectée à l'égarement moral et à l'expiation).

Il est frappant de constater à quel point, aux côtés d'une musique très moderne, d'une écriture tonale très souple (et parfois, comme au milieu du III, complètement floue), volontiers ironique et grinçante (musique de scène de l'acte II), le propos littéraire de Schreker demeure profondément marqué par le romantisme. Et pas seulement de pair avec les grands épanchements lyriques assez extraordinaires dont, comme Strauss, il est maître : tout le drame est innervé par des représentations morales typiquement romantiques.
On y retrouve cette fascination pour la pureté (l'amour doit être unique), ce goût paradoxal pour la passion destructrice (dont, comme chez les romantiques "classiques", on ne parvient jamais à savoir si elle est plutôt modèle ou plutôt repoussoir, vu les résultats obtenus), cette exaltation de la femme et de la rédemption terrestre.

Mais à tout cela s'ajoute une atmosphère sulfureuse [1] et fortement sexuée. Sans les crudités de Wozzeck, Lulu ou Lady Macbeth de Mtsensk, bien sûr, mais à défaut de consommation, le désir sous sa forme la plus écarlate y est évoqué sans détour.

Et précisément, on sent un trouble très palpable autour de ces éléments, car on ne parvient jamais à distinguer entre fascination et condamnation ; d'un côté, Schreker ose le sujet, exalte le pouvoir de la femme, confie à ces moments de superbes pages musicales et ses tirades les plus soignées ; de l'autre, il décrit une forme de déchéance (sous divers aspects selon les oeuvres, mais très évidente), de punition immanente pour celui qui s'égare dans ces absolus trompeurs.

Ainsi, de même que la culpabilité judéo-chrétienne subsiste, mais avec une possibilité de la verbaliser, de même l'artiste romantique demeure, avec l'adjonction de son aspect maudit très fin-de-siècle. Schreker ne bouleverse pas les paradigmes, mais il les rend plus complexes et contradictoires.

D'une certaine façon, si Der Ferne Klang n'est pas l'oeuvre la plus aboutie de Schreker, elle peut en être la plus représentative.

Matière autobiographique

Et le compositeur y a ajouté une dimension encore plus personnelle :

Notes

[1] Déjà en germe chez les premiers romantiques, il suffit de voir comment dans Le Roi s'amuse de Hugo, Blanche sort de la chambre du roi, ce qui était d'une transparence plutôt scandaleuse.

Suite de la notule.

vendredi 19 octobre 2012

Novembre à Paris


Vu la fin de mois impossible qui s'annonce, voici dès à présent les réjouissances (presque aussi insoutenables) de novembre.

Comme toujours, octobre et novembre sont les deux mois les plus denses de la programmation musicale de l'année. Je ne m'explique pas pourquoi, mais il en va toujours ainsi, les productions de raretés (en particulier les lyriques baroques et classiques) se concentrent à ce moment.

Voici donc une vaste sélection de choses à entendre. Avec quelques renvois vers des notules connexes sur CSS.

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Du 30 octobre au 17 novembre : Les Estivants de Gorki au Théâtre de la Bastille (programmation Festival d'Automne).

2 : Cité de la Musique. Schumann, Symphonies 1 & 4, concerto pour violoncelle (Nézet-Séguin / COE).

3 : Cité de la Musique. Schumann, Symphonie 3, Ouverture Manfred, Concerto pour violon (Nézet-Séguin / COE).
Le concert le plus attirant des trois à cause des couplages, la roborative et irrésistible Ouverture de Manfred, et le très étrange concerto aphoristique pour violon (une des oeuvres les plus personnelles de Schumann, mais aussi du genre tout entier).

4 : Cité de la Musique. Schumann, Symphonie 2, Ouverture de Genoveva, Concerto pour piano (Nézet-Séguin / COE).

8 : Cité de la Musique. Schubert, Symphonies 3 et 9 par Minkowski.

9 & 10 : Théâtre des Champs-Elysées. Medeamaterial de Dusapin.
De loin l'opéra le moins abouti de Dusapin, du fait du texte plus "expérimental", et du caractère sensiblement moins lyrique que dans ses autres opus. Néanmoins une oeuvre pas dénuée d'intérêt ; si j'avais le temps, j'irais !

10 : Amphithéâtre Bastille. Quators de Grieg et Delius, Quintette de Schumann (Quatuor Danel et Nelson Goerner).

Suite de la notule.

dimanche 7 octobre 2012

Szymanowski & Brahms : révélations et désillusions au concert (Pleyel)


Concert très stimulant à Pleyel hier, la preuve que l'épreuve de la salle peut bouleverser radicalement la perception de certaines oeuvres. Soirée indispensable, puisqu'elle combinait les deux oeuvres symphoniques de Szymanowski qui m'avaient le plus enthousiasmé au disque et la symphonie de Brahms qui m'est la plus chère. Chacune de ces oeuvres aurait justifié de se déplacer, dans l'absolu.

Szymanowski 1

Ainsi, la Première Symphonie de Karol Szymanowski Op.15 (1906), que je mentionnais dans cette proposition de symphonies à écouter (arbitrairement, car les trois autres sont plus originales, même si elles me convainquent moins), est apparue mal orchestrée, avec une quantité d'informations phénoménale, mais installée essentiellement dans le médium, avec un contrepoint qui devient illisible.
Néanmoins, même si l'orchestration très postromantique est sans doute en cause, cela sonne très bien au disque (par exemple Karol Stryja avec le Philharmonique d'Etat Polonais, chez Naxos), et la tendance à la saturation de la salle (au parterre en l'occurrence, mais c'est pire au second balcon, surtout si la salle est peu remplie) ainsi que la direction peu tendue et peu détaillée de Gergiev sont sans doute en cause.

Malgré tout, un bon moment, en particulier dans les petits tournoiements presque parodiques du second mouvement (le mouvement lent central n'ayant jamais été composé). Et d'une manière générale, on prend plaisir à suivre l'évolution des thèmes torturés. Et puis l'amusement d'entendre l'illumination finale, de caractère très wagnérien. Une très belle oeuvre, qui aurait sans doute mérité davantage de soin - si je ne l'avais pas déjà écoutée, je n'y serai probablement pas revenu, cela sonnait presque aussi mal que Tubin.

Szymanowski 1 avec violon

Composé dix ans plus tard, le Premier Concerto pour violon Op.35 (1916) se révèle d'une tout autre trempe. Déjà impressionnant au disque, il frappe par la qualité exceptionnelle de son orchestration. L'orchestre, pourtant large (en particulier du côté percussif, avec glockenspiel, célesta, piano - et deux harpes), n'est utilisé que par touches, dans des nuances discrètes, chaque pupitre apportant, selon les besoins, sa couleur, son motif. Si bien que le violon (Janine Jansen ne dispose pas d'un son particulièrement puissant), reste toujours audible, au sein de tons et de textures sans cesse différents, et pourtant disposés avec une cohérence qui ne laisse jamais l'oreille perplexe.

L'oeuvre est totalement de son temps, elle évoque par moment (beaucoup plus audacieuse harmoniquement) les timbres L'Oiseau de feu de Stravinski (1910), et plus encore, avec ses motifs isolés et ses arrières-plans nerveux sur harmonie instable, la Symphonie de Chambre (1916-1917) de Schreker. En réalité, c'est avec le premier mouvement de la Première Symphonie (1942...) de Martinů (lien vers la chaîne de CSS) que je ressens la parenté la plus forte.


Version donnée par l'Orchestre du Centre Européen polonais (direction Nikolai Dyadiura), avec Małgorzata Wasiucionek au violon. Son beaucoup plus charnu et moins serré de la soliste, mais on entend beaucoup moins bien la répartition des timbres et la magie qui s'en dégage. A titre de découverte pour ceux qui ne l'ont jamais écouté, disons.


Mais la présence d'un violon change profondément le caractère de l'oeuvre et, pour moi qui ne goûte pas immodérément la forme concertante, améliore considérablement le résultat. D'abord, grâce à ce fil conducteur, qui n'a cependant rien de narratif, l'oeuvre bénéficie d'une logique et d'une poussée très immédiates, qu'on ne trouverait pas aussi nettement chez Martinů, et certainement pas chez Schreker, dont l'écriture de la Kammersymphonie est conçue en épisodes, comme autant de miniatures debussystes.
De prime abord, on peut s'interroger sur la nécessité de l'étalage virtuose, en particulier en ce qui concerne l'exploitation permanente de la tessiture très aiguë (pas nécessairement la plus belle ni la plus expressive du violon) ; mais d'un point de vue pratique, cela permet au timbre du soliste de se différencier et de se projeter bien plus facilement, en « survolant » les harmoniques de l'orchestre, même lorsque l'effectif devient un peu plus large. Et cela lui procure un caractère spécifique, avec son thématisme volontiers orientalisant (mais sans rien d'imitatif) et ses accents capiteux, une véritable personnalité que l'on prend à suivre.

Et plus que tout, ce que je n'avais peut-être pas autant remarqué les autres fois, la pièce, en un seul mouvement au tempo mouvant, ne révèle aucune baisse de tension, bien au contraire : alors que Szymanowski souffre souvent, précisément, d'une profusion qui rend son discours peu intelligible, ou trop dispersé pour en ressentir la direction, ce concerto semble suivre un cours profondément logique malgré son caractère puissamment onirique et évocateur. Pour couronner le tout, l'oeuvre maintient durant ces vingt-cinq minutes un équilibre paradoxal entre une tension musicale constante et une expression affective davantage rêveuse et apaisante.

Un concerto sans aucun "dialogisme", un sommet d'orchestration, un bijou de couleurs et de climat. J'aimais déjà beaucoup l'oeuvre, mais en l'entendant fonctionner en vrai, je suis désormais persuadé qu'on tient là un des chefs-d'oeuvre de la musique symphonique du vingtième siècle - car il s'agit davantage d'un poème symphonique avec violon solo leader, un peu à la manière de la Shéhérazade de Rimski-Korsakov.

Il s'agissait de la pièce travaillée de la soirée, manifestement (déjà préparée par le LSO, car donnée l'an passé avec Péter Eötvös), et la beauté des timbres, la netteté des phrasés étaient sans comparaison avec le reste du concert. A cela s'ajoutait Janine Jansen, la violoniste à la mode - à juste titre. Non contente d'enregistrer, par exemple, des Quatre Saisons au sommet d'une discographie saturée (à placer aux côtés du Giardino Armonico ou de Kevin Mallon), elle brille dans à peu près tous les répertoires à un degré assez suprême. Pour Szymanowski, elle fait valoir un son simple et gracieux, qui ne généralise pas le vibrato (de toute façon peu flatteur sur un timbre mince), et offre (pardon pour la banalité, mais la chose est difficile à définir sans sortir la partition et faire une vraie notule sur la question) des phrasés inspirés pendant toute la durée d'un concerto particulièrement périlleux et singulier.

Cadeau

Suite de la notule.

dimanche 30 septembre 2012

[Sursolscope] Planning de spectacles pour octobre



(Mise à jour du 1er octobre : corrections et ajout des deux récitals de L'Oiseleur des Longchamps.)

En attendant que le Klariscope quitte son doux sommeil, le programme du mois.

Octobre particulièrement riche, comme tous les ans : on est au plus fort de la saison du CMBV, du démarrage sérieux des saisons des différentes scènes... Heureusement, ce qui m'intéresse des pièces de théâtre et du Festival d'Automne (pas trop palpitant cette année) se trouve un peu plus tard.

L'astérique indique une certaine détermination des lutins.

J'en profite pour signaler que j'ai une, peut-être deux places à vendre (30€ l'unité, il n'y a pas de tarif inférieur...) pour Renaud de Sacchini à l'Opéra Royal de Versailles, le 19 octobre.

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4 - répétition du Cantate Domino de Bernier
Au continuo. Juste pour dire que ce soir-là est déjà pris.

5 - Mélodies de Massenet par L'Oiseleur des Longchamps au Temple de Pentémont
Ces mélodies ne sont pas le meilleur de la production de Massenet (un peu gentilles), mais vu le talent de L'Oiseleur comme chanteur et comme défricheur, je me serais vraiment laissé tenté par ce concert monographique dont je viens de découvrir la tenue. J'hésite à abandonner Szymanowski, qui est finalement un peu moins rare (mais musicalement plus intéressant, il est vrai).

5,6,7,8,9 - La Cité du rêve d'après Kubin, Théâtre de la Ville
En revanche, attention, même la « version courte » donnée le week-end est très longue (quatre heures sans les entractes, comme Peer Gynt). Sans parler des cinq heures (sans les entractes) de la version complète. Il est recommandé d'être dans l'humeur adéquate (et l'endurance physique indispensable), ce soir-là.

*6 - Szymanowski 1, Brahms 1 et le Premier Concerto pour Violon de Szymanowski à Pleyel (Jansen, LSO, Gergiev)
Super concept de la double intégrale, qui va obliger les fans de Brahms à se bouger un peu les oreilles. Bravo. (En plus, la Première Symphonie de Szymanowski est vraiment accessible en plus d'être très belle.)
Le cycle se poursuit le lendemain.

Suite de la notule.

dimanche 9 septembre 2012

Capriccio et la mise en abyme - lectures de Strauss et Carsen (6)


J'avais prévu de renvoyer, à l'occasion des représentations au Palais Garnier, aux cinq brèves savoureuses autour de... Capriccio précédemment publiées dans le chapitre consacré à Richard Strauss.

  1. Genèse du livret
  2. Le sextuor d'entrée
  3. Une 'conversation en musique', vraiment ?
  4. Le sonnet volé d'Olivier
  5. L'origine des chanteurs italiens


Je tâcherai de publier un mot plus musical sur la première d'hier, mais en me replongeant dans le livret et en revoyant la mise en scène de Carsen, l'envie m'a pris de parler d'un peu plus près du dispositif général de l'oeuvre, jusqu'ici effleuré par le seul biais de l'anecdote.

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1. Capriccio et la mise en abyme

Le choix de Robert Carsen fait par Hugues Gall se soutenait comme profondément logique, eu égard à la spécialité du metteur en scène dans les questions de mise en abyme et de théâtre dans le théâtre.

Le cas de Capriccio est particulièrement extrême de ce point de vue : l'opéra est censé être écrit après les événements que l'on voit, et les rapporter. On voit toute la tension du dispositif :
=> les personnages disent eux-mêmes que leur comportement "réel" va influer sur l'écriture de l'opéra ;
=> nous observons une action qui a l'air d'être immédiate, mais qui n'est en fait que le reflet de l'action originelle. Normal, on est précisément au théâtre ; mais comme on entend dans la pièce les personnages parler au futur de la pièce que l'on est en train de voir, il se crée une forme de confusion assez subtile ;
=> le dispositif est faux sur le plan historique et factuel, puisque Strauss, Krauss et Swarowsky ne sont pas du tout présents, même pas allégoriquement. Le télescopage avec les propositions de titres déjà écrits de Strauss (Ariadne auf Naxos, Daphne), alors que l'action est censée se déroulée au XVIIIe siècle, se révèle assez violent et troublant.

Cet entrelac de contradictions et d'illusions en fait assurément du « théâtre au carré ».


La scène en miroir, avant le zoom. (source)


A cela s'ajoutent les pastiches sonores (Gluck, seria...), les citations musicales (y compris d'oeuvres de Strauss), les adresses plus ou moins claires aux spectateurs.

Ces petits vertiges ne sont pas pour rien dans l'intérêt qu'on porte à Capriccio - car, sur les autres aspects (musique et intensité dramatique), je suis pour ma part sensiblement moins convaincu que par beaucoup de Strauss antérieurs.

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2. L'empreinte de Carsen

Suite de la notule.

samedi 25 août 2012

Une saison 2012-2013 (Paris et vaste monde)


Pour la quatrième année consécutive, je publie mon planning de concerts. Ayant regardé un assez grand nombre de salles, il est possible que vous repériez l'une ou l'autre soirée que vous n'aviez pas relevée auparavant. N'ayant pas obtenu de dérogation d'ubiquité (malgré une demande chaque année renouvelée au Ministère des Cultes, mais l'attente semble plus longue qu'à Bayreuth), je me contente essentiellement d'évoquer l'Ile-de-France, malgré une escapade prévue à Strasbourg pour Der Ferne Klang de Schreker.

Comme je suppose que dans la masse proposée, on a besoin d'un peu de hiérarchie, j'explique la légende que j'utilise pour mon compte (et que je n'ai pas d'intérêt à ôter) : le signe § indique le degré de prévision, le signe ¤ l'improbabilité de ma présence. Pour ceux où j'ai d'ores et déjà décidé de me rendre, la ligne est en couleur. Ceux dont j'ai déjà acheté les billets sont précédés d'astérisques.

Vous pouvez retrouver les précédentes saisons, chacune disposant en commentaires de liens renvoyant vers des échos des soirées vues :


Par ailleurs, un certain nombre d'informations sont déjà disponibles dans la catégorie consacrée à 2012-2013

Voici donc le programme des folles festivités des farfadets facétieux :

Suite de la notule.

jeudi 16 août 2012

Arte, Open Opera : la télé-réalité appliquée au lyrique


Les Seefestspiele de Berlin, depuis leur création l'an passé, programment un opéra célèbre par an, et Arte s'en est fait le partenaire. S'ensuivent plusieurs petits documentaires censés reproduire le principe de la télé-réalité. Cette velléité appelle plusieurs remarques, d'abord formelles, puis sur les questions plus spécifiquement vocales (qui m'intéressaient particulièrement).

L'opéra entier sera diffusé demain sur Arte Live Web à 19h30 (mais je ne suis pas sûr d'en recommander l'écoute, faites comme vous voulez).

Suite de la notule.

vendredi 6 juillet 2012

Le disque du jour - LI - Shéhérazade de Ravel par Kožená / Rattle


[On peut écouter le disque en ligne, gratuitement, intégralement et légalement, sur Musicme par exemple.]

Aujourd'hui est un petit événement. Car Carnets sur sol, temple officieux de l'interlope, du confidentiel et du bizarre, va commenter (et recommander !) une nouveauté de Deutsche Grammophon.

Il faut dire qu'il s'agit d'une artiste à qui l'on a déjà consacré un rapide portrait, où figuraient en exemple des extraits de ses Shéhérazade de Ravel, peut-être sa plus belle réalisation.

Suite de la notule.

mercredi 30 mai 2012

Le Festival Musiques Interdites (Marseille 2012)


Après le Forum Voix Etouffées à Strasbourg et Paris, voici le Festival Musiques Interdites de Marseille !

Le 16 juin, à 21h, à l'église Saint-Cannat, un programme assez copieux, avec en particulier Vom ewigen Leben, diptyque de lieder orchestraux (à l'origine écrits pour accompagnement de piano, mais qui ont beaucoup gagné à l'orchestration), un parent plus vénéneux des Quatre Derniers de R. Strauss, composé par Schreker sur des poèmes de Walt Whitman traduits en allemand. Il s'agit d'une oeuvre exceptionnellement forte, à mon sens la seule du niveau des Gezeichneten dans tout le corpus du compositeur.
L'autre grand cycle de lieder orchestraux de Franz Schreker, les Cinq Chants pour voix grave (et non Cinq Chants profonds comme vu traduit un peu hâtivement dans un journal local), y figurent également, couplés avec Aldo Finzi et Karol Beffa.

Je ne peux rien garantir sur l'interprétation (l'Orchestre de la Garde Républicaine n'augure pas d'une formidable souplesse, pourtant fort utile ici), mais la programmation est suffisamment rare et passionnante pour tenter le détour. Je ne crois pas, alors que Schreker revient plus ou moins à la mode, qu'on ait donné les Whitman depuis le dernier concert d'Armin Jordan, en 2006 (avec Brigitte Hahn). Et c'était bien sûr à Paris.

Détails :


La création lyrique et chorégraphique de Beffa d'après le Château de Kafka risque d'être étrange (avec un aspect de happening, manifestement), mais peut-être pas complètement inintéressante. Si un lecteur s'y trouve, qu'il en dise un mot !

En préparation pour la saison prochaine, Die Kathrin, cinquième et avant-dernier opéra du compositeur (créé en 1939) qui emprunte une partie de son action à Marseille. Il en existe une version au disque, un concert de la BBC publié par CPO (Martyn Brabbins, Melanie Diener, David Rendall, Della Jones ! ).

samedi 5 mai 2012

Le Son distant (de 399 Km)


La saison de l'Opéra du Rhin est à présent officialisée, avec de très belles choses.

La très grande nouvelle, c'est la confirmation de Der Ferne Klang de Franz Schreker, et dans les meilleures conditions du monde : outre une distribution assez prometteuse (Helena Juntunen, Stanislas de Barbeyrac...), la direction musicale sera assurée par Marko Letonja, le merveilleux maître-d'oeuvre de l'intégrale des symphonies de Felix Weingartner chez CPO, et la mise en scène sera confiée à Stéphane Braunschweig, dont l'esthétique devrait (à la féerie près) très bien correspondre à l'univers de Schreker.

L'enthousiasme à entendre cette oeuvre n'est pas à mettre sur le compte de la vénération du compositeur : assez irrégulier, et particulièrement à l'Opéra (Der Spielwerk, Irrelohe ou Der Schatzgräber accusent de très grandes baisses de tension au sein de livrets discutablement tenus). Il s'agit bel et bien de l'autre chef-d'oeuvre scénique de Schreker, avec les Gezeichneten. Et très rarement donné, il n'est même pas sûr qu'on l'ait déjà entendu en France. Vraiment un événement, en tout cas dans le domaine de l'opéra décadent.

Suite de la notule.

vendredi 28 octobre 2011

Henry Purcell - Dido and Aeneas - discographie (exhaustive ?)


1. Pourquoi ?

Chaque année, les productions de cet opéra miniature se multiplient dans le monde. Il faut dire que, d'une veine mélodique assez heureuse, il réutilise les recettes de la tragédie lyrique française (importance du récitatif ponctué d'ariettes, divertissements dansés...) en moins d'une heure, avec une belle force. Les exigences vocales en sont minimes, et il comporte plusieurs moments très marquants et accessibles, en particulier l'acte de caractère des sorcières et bien sûr la passacaille-aria finale, devenue un immense tube.

Ayant fréquenté un nombre assez important des versions disponibles sur le marché, je propose ici un petit panorama, en essayant de mentionner le maximum de celles qui ont été éditées, et en ne commentant bien sûr que celles écoutées. [J'avoue que celles qui me restent, à part Parrott II et Wentz, et encore modérément, n'attisent pas insurmontablement ma convoitise, et que je n'ai pas de hâte particulière à les découvrir...]

Bien sûr, avec toutes les réserves d'usage : j'ai tâché de décrire la typologie des versions plutôt que de les hiérarchiser, mais la discographie, plus encore que les oeuvres, fait appel à beaucoup de subjectivité, et il ne peut s'agir que d'indications à relativiser selon les goûts de chacun - certainement pas d'un bréviaire inaltérable.

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2. Discographie

Suite de la notule.

lundi 10 octobre 2011

Jedi-Symphonie



Suite de la notule.

dimanche 18 septembre 2011

Beethoven - Missa Solemnis - Colin Davis / LSO (Pleyel 2010)


Décision, cette saison, de passer le moins de temps possible sur les comptes-rendus de concert, qui n'ont jamais été la vocation de CSS, pour rester sur des questions un peu moins éphémères autour des compositeurs, des oeuvres, des genres, voire des disques.

Tout de même un mot sur le concert d'hier soir, premier de la saison, pas du tout exhaustif, seulement quelques remarques. [Qui s'avèrent plus longues de prévu... il faudra vraiment me résoudre à ne plus chroniquer du tout les concerts, sous peine d'y consacrer l'essentiel des forces de Carnets sur sol et de ses lutins ouvriers.]

§ Oeuvre

Si je me suis déplacé pour entendre une oeuvre qui n'a rien d'une grande rareté, c'est tout simplement qu'il s'agit d'une oeuvre qui m'est particulièrement chère, et que j'avais envie d'entendre un jour en salle. L'affiche prometteuse m'a décidé.

Je reste toujours médusé de la virtuosité absolue d'une écriture capable de maintenir quatre-vingt minutes de jubilation continue et renouvelée sous divers climats... Et l'on y entend des portions du meilleur Beethoven, dans les fugatos choraux bien sûr, mais aussi dans l'écriture orchestrale qui évoque beaucoup les cinq dernières symphonies, en particulier impaires : alliages instrumentaux et ponctuations de la Cinquième, gammes ascendantes de la Septième, harmonies chorales de la Neuvième...

On y retrouvera la fascination de Beethoven pour les cadences parfaites à répétition (le V-I permanent du "Quoniam tu solus sanctus"), on y découvre aussi un goût débridé pour les trémolos de cordes (visuellement, cela paraît permanent !).

Et puis, plus profondément, la philosophie mystico-humaniste du compositeur éclate brillamment à certains moments, comme la lumière irradiante lors de l'énonciation d' "et homo factus est", évocation de la clef de voûte du système de valeurs de Beethoven. Même chose pour le retour des solistes après l'explosion finale du Credo, qui paraît un retour de la mesure humaine après une exultation plus générale, plus abstraite, plus cosmique.

Un vrai bijou, qui ne possède pas de pages faibles, même si les trois premiers ensembles (Kyrie-Gloria-Credo) sont les plus ouvertement débridés et peut-être aussi les plus intensément inspirés.

§ Orchestre

Suite de la notule.

mercredi 10 août 2011

[Sélection lutins] Les plus belles symphonies


De façon tout à fait subjective bien sûr, une sélection de symphonies que je trouve particulièrement enthousiasmantes. Bien sûr, ce n'est une garantie de rien du tout, mais si cela peut attirer l'attention sur des pièces spécifiquement intéressantes et consciencieusement peu données... Les plus célèbres peuvent servir d'étalon pour les lecteurs les plus récents.

La double astérique indique les oeuvres qui m'enthousiasment sans réserve, l'astérique simple indique les symphonies qui (me) sont particulièrement notables chez un compositeur.

Une présentation globale de ces titres est en cours dans les ateliers de CSS. Certains figurent déjà dans ces pages, et vous pouvez les retrouver par la boîte de recherche à droite (ou en saisissant « Carnets sur sol Untel » dans un moteur de recherche généraliste).

Liste :

Suite de la notule.

dimanche 3 juillet 2011

Atmosphères - III - "Positivité"


1. Une configuration rare

Avant la période romantique, on peut considérer que les émotions sont exprimées en musique de façon plus schématique, plus codifiée.

Mais à partir de la période romantique, lors du triomphe des affetti musicali, il est très rare que la musique soit complètement détachée d'émotions "négatives", ou au minimum mitigées (joie inquiète ou mélancolie douce, par exemple).
Et cela culmine au vingtième siècle, avec les virtuoses de l'ambivalence, tel Schreker qui dans ses Gezeichneten parvient à exprimer simultanément plusieurs sentiments contradictoires ; mais aussi avec la noirceur - ou du moins la violence - propre aux langages du vingtième siècle.

Aussi, les musiques expressives et porteuses d'émotions très positives, mais sans que le langage musical ne soit archaïsant ou schématique, sont-elles assez rares.
Un peu comme les comédies sentimentales dépourvues de niaiserie : ça réclame beaucoup d'adresse sans doute pour les écrire... et en tout cas pour les dégoter !

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2. Echantillon

J'en propose un exemple particulièrement frappant et roboratif :

Suite de la notule.

jeudi 30 juin 2011

Les plus beaux récitatifs - I - Récit d'Aronte (Armide de Lully)


Liste indicative. Extrait sonore. Commentaire.

(Pour une introduction à l'histoire du récitatif, voir au préalable.)

Suite de la notule.

samedi 4 juin 2011

La malédiction du zoom


Tout amateur d'opéra a souvent regretté l'abus des zooms dans les captations vidéo, qui font perdre quantité d'information, privent le spectateur de sa liberté d'observer, et déforment les intentions prévues pour la salle en d'horribles grimaces croulant sous le maquillage à la truelle.
Le plus grave étant bien sûr la fragmentation de la scène, la mise en péril de l'économie visuelle du spectacle.

Et il en va souvent de même pour les captations audio. Une bonne prise de son peu rendre la lecture de n'importe quel chef honorable passionnante et analytique, ou, moins souvent, gâter de belles qualités. Tout simplement parce qu'un certain nombre d'informations se perdent dans la distance, et il est souvent intéressant d'entendre un petit morceau de continuo, un fragment de petite harmonie qui échapperaient si l'on écoutait de loin.

Mais ce mixage artificiel a, tout comme les zooms qui dévoilent de beaux détails au risque de masquer l'émotion d'ensemble, ses inconvénients.

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Témoin la vidéo de l'Atys de cette année, diffusée par Mezzo.

Suite de la notule.

mercredi 25 mai 2011

Atmosphères - II - Jubilation cosmique


Dans la série déjà amorcée autour des atmosphères musicales, voici une petite liste d'oeuvres qui peuvent transmettre la sensation d'une exultation très positive, brillante et sans frein. Bien sûr, j'ai dû en laisser beaucoup, et il y a bien des cas limites (nul doute que certains seront plus hystérisés par un final d'un opéra Rossini que par ceux des Sonates de Koechlin...). Néanmoins, quelques titres dans la liste pourraient être de belles découvertes si vous ne les avez pas testés !

Je signale prudemment que cette sélection est purement affiliée à ma subjectivité, et sera donc considéré à bon droit lacunaire ou abusif pour tel ou tel titre. [Je m'attends par exemple à des réclamations sur l'absence du final de Neuvième de Beethoven, qui n'entre pas pour moi dans le cadre d'une exultation sans frein, vu ses fréquents "paliers".]
Pour plus de clarté, j'ai mis en gras les flacons qui me paraissent particulièrement puissants (sans qu'il y ait hiérarchie de valeur, au demeurant).

Liste susceptible de s'agrandir, évidemment.

... et les listes personnelles des lecteurs de CSS sont bien sûr chaleureusement accueillies.

Suite de la notule.

dimanche 20 février 2011

Galeotto fu ’l libro e chi lo scrisse - [Francesca da Rimini de Riccardo ZANDONAI ; Oren / Vassileva / Alagna]


Les lutins se sont donc malicieusement glissés à la représentation du 16 février de ce qui est le débat culturel parisien du moment. Pas pour le débat, agréable mais pas passionnant au point de justifier l'achat d'une place (pour ou contre les mises en scènes traditionnelles, pour ou contre Giancarlo Del Monaco, pour ou contre Alagna...), mais tout simplement pour la musique.
Par ailleurs, c'était la première fois qu'ils avaient l'occasion d'entendre Alagna près de chez eux (avec la téléportation en traîneau, Qeqertarsuaq ou Qaanaaq sont à quelques minutes de Bastille), dans un répertoire qui mérite en lui-même le déplacement. Ce petit exotisme ajoutait donc au plaisir pour se persuader tout à fait de s'y rendre.

Les papiers et débats ont été souvent assez riches, plus qu'à l'accoutumée, si bien que cette notule qui arrive un peu plus tard sera sans doute assez peu essentielle. Mais, l'oeuvre suscitant l'intérêt des farfadets facétieux, on en parle en dépit de toutes ces considérations raisonnables.

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1. Le livret

L'Opéra de Paris et son metteur en scène ont très habilement fait leur promotion sur le double héritage de Dante Alighieri et de Gabriele D'Annunzio, sans parler des brévissimes citations de romans de chevalerie.


Scène d'ensemble du premier acte. Photographie de Mirco Magliocca - je n'ai pas inclus de photographie du troisième acte, plus parlant et sans doute plus réussi, parce que rien en ligne ne correspond à ce que l'on voit réellement sur scène.


Pour le Dante, c'était assez exagéré, puisqu'une simple lecture du synopsis permet de constater qu'il manquerait un acte V...

Je n'ai jamais pris la peine de vérifier sur pièce si sont réellement fondées les affirmations selon lesquelles la littéralité du texte du livret de Tito Ricordi serait en grande partie due à la pièce de D'Annunzio, n'ayant jamais eu de tendresse particulière pour l'écrivain de départ. Et, à présent que je veux rédiger cette notule, je n'ai pas l'oeuvre sous la main pour en dire plus long - le lecteur aimable attendra donc mon prochain passage en bibliothèque pour le fin mot de l'affaire.

Quoi qu'il en soit, la faute à l'insuffisante exploitation de Dante ou à la trop abondante référence à D'Annunzio, le résultat final est moche. Certes, la recherche de vocabulaire de Ricordi est plaisante, mais que nous importe, pour dire de telles platitudes qui ne font rien avancer, ni la psychologie, ni l'action.

Les deux premiers actes ne sont que de l'exposition, de la préparation. On peut certes considérer que l'ellipse entre les actes I et II est plutôt jolie (Paolo a déjà laissé entendre son amour à Francesca), mais l'acte II ne sert alors absolument à rien. Tout au plus voit-on le rigorisme moral, qui confine à la brusquerie misanthrope, de Giovanni Malatesta. Même Malatestino n'y est pas présenté, puisqu'il y est seulement blessé.
Les deux derniers actes sont bien plus beaux, mais de la même façon, la conquête est assez mal conduite, on ne passe pas de façon très spectaculaire de la lecture à la tentation. Et la fin est un peu sèche : ils se font tuer, mais comme on ne s'est pas véritablement attaché à ces silhouettes, on attend un peu la suite, manière de justifier d'avoir fait un opéra sur ce sujet.

Le personnage de Francesca n'a pas particulièrement d'épaisseur en dehors de son attachement à sa soeur, qui est un sentiment très étranger à la teneur du drame qui se noue ; Paolo, quant à lui, n'a pas de profil décidé. Est-il un séducteur un peu manipulateur, qui utilise les rêveries chevaleresques des jeunes épouses pour leur faire tourner la tête, ou un ingénu pris au dépourvu, courant un danger de mort pour avoir badiné sans en mesurer les conséquences ? C'est ce qu'un metteur en scène simplement habile aurait pu nous donner - et que nous n'avons pas eu en l'occurrence.

Il est évident qu'on se trouve très loin de l'adaptation magistrale de Modeste Tchaïkovsky pour Rachmaninov, qui de surcroît exploite la part la plus intéressante la légende, celle de sa rétribution dans la mort.

Bref, un livret long, maladroit et plat, qui ôte toute sa spécificité et toute sa profondeur au sujet, et qui est assez inopérant sur le plan dramatique. Le seul moment un peu fort réside dans le premier tableau de l'acte IV, mais c'est au prix d'une outrance qui contraste avec la fadeur des affects partout ailleurs (le prisonnier qui hurle en coulisses un sacré nombre de fois...).

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2. La musique

Si l'oeuvre plaît, c'est donc grâce à sa musique. Et quelle musique.

L'expression verbale en est assez limitée, et le sens prosodique n'est clairement pas la préoccupation majeure de Zandonai - on pourrait avoir l'impression d'entendre une oeuvre traduite. En revanche, l'orchestre qui l'accompagne se révèle d'une puissance d'atmosphère assez considérable. Ses alanguissements diaphanes comme ses élans lyriques (toujours mesurés), ses contorsions harmoniques demeurent toujours également éloignés de la facilité et de l'abstraction.
Quelque chose de profondément équilibré et de toujours beau en sort : rien qu'en écoutant l'orchestre, ce soir, il y avait de quoi être heureux.

Cette Francesca (1914) constitue de surcroît une curiosité assez étonnante : l'époque tout entière défile dans sa musique. Si les premières mesures en sont évidemment straussiennes, on entend des couleurs très françaises dans tout le premier acte, on peut songer au Ravel des mélodies Shéhérazade au d'Indy de Fervaal (1895) et L'Etranger (1903), avec un goût pour la clarté des émotions qu'on retrouvera plus tard chez le Poulenc religieux.
L'acte II est moins inspiré musicalement, mais dans l'acte III, le plus séduisant, on entend furtivement des harmonies qui évoquent l'Andante malinconico de la Deuxième Symphonie de Nielsen (1902), et évidemment des aspects commun avec la face la plus puccinienne de Schreker, celle de l'issue pleine d'élan du duo Carlotta / Salvago à la fin de l'acte II (1918). Et à l'acte IV, cette musique pudique et rêveuse qui évoque le Clair de lune de la Suite Bergamasque de Debussy (1905)...
Mais on y trouve aussi, bien sûr, des parentés straussiennes, dès l'acte I (échos de l'introduction d'Ainsi parlait Zarathustra [1896], couleurs pastorales tout droit sorties du Concerto pour hautbois [1945])

Toute l'Europe se presse donc dans cette partition, qui n'a peut-être pas de couleur spécifique, mais qui n'a pas non plus l'aspect du patchwork, grâce à son langage très continu, toujours en mutation. De la très belle ouvrage, qui justifiait à elle seule la soirée.

Entendons-nous bien, ce n'est pas non plus l'oeuvre capitale de ces années-là, mais clairement, dans le domaine italien, l'une des réalisations les plus passionnantes et audacieuses, pourvue d'une substance musicalement assez considérable, qu'il faudrait mettre aux côtés, par exemple, d'I Medici de Leoncavallo (versant français), de la Cassandra de Gnecchi (versant straussien), et des deux premiers actes de Turandot.

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3. La mise en scène

La mise en scène a suscité baucoup de commentaires, assez négatifs et convergents.

Il faut préciser tout de suite que Giancarlo Del Monaco est à l'origine de la pire mise en scène que j'aie pu voir - si j'excepte quelques sabotages délibérés comme le Roi Roger de Warlikowski ou la Chauve-Souris de Neuenfels, qui tendaient à masquer complètement l'oeuvre au profit d'un univers personnel ou d'un pied-de-nez au public, avec une apparence de surcroît très moche. Il s'agissait d'un Simon Boccanegra au Met, capté en vidéo (Levine / Te Kanawa / Domingo / Chernov / Lloyd), et sans aucune direction d'acteurs, avec des décors frontaux très mal conçus, de rares effets (malvenus), et des décors qui prêtaient à rire (la maisonnette fleurie du doge, véritable pavillon-témoin). Oui, il y a eu pire avant 1970, c'est vrai - mais précisément, à présent qu'on dispose de chanteurs rompus aux nécessités du théâtre, quel gâchis...
Je n'attendais donc pas beaucoup de sa part.

Au total, la mise en scène était assez mauvaise, mais elle demeurait tout à fait supportable.

Décors réussis

Son principal atout résidait dans les décors. Oui, il étaient kitsch, avec le jardin débordant de fleurs à l'acte I et la chambre en écarlate marqueté aux actes III et IVb.

Néanmoins, la référence aux peintres pompiers était évidente, et très éloquentes. Ces fleurs aux couleurs agressives qui semblaient sortir du tableau parmi les silhouettes épurées, lasses et réalistes des personnages, c'était tout à fait cela ! Et plus encore, au lever du rideau de l'acte III, la chambre, avec sa foule d'accessoires, la violence de son rouge sombre qui contrastait avec la pâleur maladives des silhouettes de femmes languissant sur les coussins d'Orient... c'était tout de bon du Gérôme !

En cela, même si ce n'était pas forcément de bon goût, vu les références invoquées, la puissance d'évocation de l'univers pictural créait, en tout cas en ce qui me concerne, un rapport assez poétique avec ce qui se passait sur scène, du moins pour les actes I, III et IVb.

Direction d'acteurs

La présence du metteur en scène semblait bien plus douteuse en ce qui concerne la gestion des déplacements et de l'attitude scénique. Rien qui n'excède ce que fait un chanteur standard sans être dirigé. Les quelques gestes forts (la coupe, le livre...) sont prévus par le livret et pas très adroitement réalisés.

Rythme

Autre problème, le choix amplement commenté d'interrompre chaque tableau (cinq levers de rideau au total), et surtout de ménager deux entractes après les deux premiers actes d'exposition où il ne se passe quasiment rien d'important pour le coeur du drame. Entractes courts de vingt minutes qui font une pause alors que le spectateurs attend toujours que cela commence.

Avec cette constitution bancale : 35' / (20') / 25' / (20') / 90'. Cela dit, on pouvait ainsi suivre le coeur du drame sans découragement, même si les deux derniers changements de décors interrompaient un peu la magie...

Ceux qui ont apprécié la musique comme moi vivent très bien de prendre leur temps pour s'en repaître. A l'opposé, on constate beaucoup de sièges vides au fil des entractes, découragés par l'absence de substance dramatique et mélodique dans ces parties.

Incohérence

A cela, il faut ajouter que la mise en scène créait un surcroît d'illisibilité au livret bancal. Déjà, on l'a dit, l'essentiel se passe entre les actes (Paolo a laissé paraître son amour entre les actes I et II, a fait sa cour, a désespéré, s'est éloigné et revenu, entre les actes II et III, Malatestino s'est entiché de Francesca entre les actes III et IV...) ; mais Del Monaco ajoute à la confusion avec une mise en scène qui se prétend littérale et qui est pourtant totalement absurde.

L'acte II est un petit monument de n'importe-quoi-t-isme : les didascalies indiquent qu'on se situe dans la vaste salle d'une tour ronde du palais des Malatesta, à Rimini. Il y a effectivement, en fin de discalie, la mention d'une fenêtre par laquelle on voit l'Adriatique, mais tout insiste sur la ville qu'elle surplombe.
Que fait Del Monaco ? Il se débrouille pour faire tirer Paolo en direction du public, manière de bien briser l'illusion théâtrale, mais on respecte le livret en tirant depuis une fenêtre à l'étage de la tour.
Plus fort, il ouvre l'arrière de la scène sur une toile qui représente une mer démontée (manifestement assez loin du port), et Giovanni Malatesta y entre par la proue d'un bateau qui s'ouvre (alors qu'il est question d'une bataille à l'intérieur de la ville de Rimini). On a donc l'Adriatique en furie qui donne directement, sans quai, sur la salle d'armes au premier étage d'une tour en plein coeur de la ville de Rimini ! S'il s'agit réellement d'une mise en scène réaliste, on pourrait se croire plutôt au dernier acte de la Ville d'Ys et attendre la sorte de saint Corentin du navire...

Lorsqu'on fait sa promotion sur le respect servile et plat du livret, il est d'autant plus difficile de justifier ce genre de contorsions !

Maladresses

Plus bénignes mais tout aussi révélatrices de la conception à courte vue du spectacle, la représentation est émaillée d'un certain nombre de détails ratés. Par exemple la belle entrée de Paolo triomphant, à l'acte I, invisible pendant de longues minutes depuis les étages, puis dissimulé côté jardin par l'arbre...

Plus cocasse, lorsque Francesca et Paolo s'embrassent seuls au second tableau de l'acte IV, la porte censément entrouverte qui fait un courant d'air n'a jamais été fermée par l'esclave Smaragdi, on pourrait y passer les deux bras !
Mieux encore, Paolo la ferme avant de prononcer les paroles "je vais la fermer"...
Pas très sérieux, avec un minimum d'intervention, cerveau de ténor ou pas, on aurait pu expliquer au chanteur l'ordre des événements, et même en une seule fois.

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4. Les interprètes

Suite de la notule.

mercredi 19 janvier 2011

Quelles raretés manquent sur scène ?


On souhaite souvent, sur Carnets sur sol, que des raretés soient jouées. Mais de quoi parlez-vous, à la fin ?

Voici une petite liste de souhaits, limitée au domaine de l'opéra (sinon, c'était la mort du petit cheval) ; loin d'être exhaustive évidemment, mais elle peut donner une idée de certains pans totalement négligés du répertoire, alors même qu'on ne joue que quelques titres dans une période ou un style.

Les lutins locaux sont évidemment tout disposés à préciser la raison de leurs choix aux habitués comme aux visiteurs de passage.

LEGENDE :
| * : disponible au disque
| ** : il existe des enregistrements, hors commerce, auxquels j'ai eu accès
| *** : je n'ai aucun enregistrement, mais j'ai lu ou joué la partition
| **** : totalement indisponible, bandes sonores comme partitions (j'ai en revanche pu lire le livret dans certains cas)

Evidemment, il est toujours possible que la disponibilité d'enregistrements nous ait échappé... On peut opportunément nous le préciser en commentaire ou par courriel.

Suite de la notule.

mercredi 29 décembre 2010

Histoire de l'opéra allemand : essai (raté) de schéma


Contrairement aux développements de genres et styles parallèles dans l'histoire de l'opéra français ou aux ruptures dans l'histoire de l'opéra italien, l'opéra allemand suit en réalité un chemin assez linéaire, qui ne se complexifie qu'à l'orée du XXe siècle.

Toutefois, à cette date, les courants et les langages deviennent si riches, si complexes, s'entrecroisant et se contredisant jusque chez un même compositeur, et quelquefois menant deux courants idéologiquement antagonistes à des résultats sonores similaires... qu'il est assez difficile de proposer cela sous forme synthétique. On serait incomplet, ou bien allusif et obscur, ou au contraire trop détaillé.

En l'occurrence, le résultat sera trop touffu pour les lecteurs plus néophytes.

Bref, le résultat de cette tentative n'est pas satisfaisant, mais on le livre tout de même, à titre de repère (un tiens valant mieux...)

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1. Exception hambourgeoise : un seria local

L'opéra allemand n'existe pas au XVIIe siècle en tant que genre. Il existe peut-être des partitions expérimentales enfouies, mais je n'en ai jamais vu, et elles resteraient de toute façon marginales.
On cite une Dafne de Schütz (1627), dont seul le livret subsiste, mais rien qui puisse permettre de documenter un genre en tout cas.

Il faut attendre le XVIIIe siècle pour voir apparaître des exceptions locales. On jouait alors l'opéra italien partout en Europe, sauf en France, et plus précisément cet opéra seria. Ce genre opératique était né en Italie de la fascination croissante pour la voix comme instrument, au détriment du projet original d'exalter un poème dramatique par la musique. On y trouvait des airs clos (dits "à da capo", c'est-à-dire de forme ABA') très virtuoses, entre lesquels l'action avançait rapidement par des "récitatifs secs" (une écriture rapide et peu mélodique, calquée sur la prosodie italienne et uniquement accompagnée par la basse continue).

Il a cependant existé, pendant des périodes plus ou moins restreintes, des exceptions locales en Europe (cour de Suède par exemple), et spécialement dans certaines villes d'Allemagne. On y écrivait aussi du seria, avec les mêmes recettes... mais en langue allemande.

Quelques compositeurs célèbres se produisirent à Hambourg : Haendel (son premier opéra, Almira, Königin von Kastilien, était en allemand sur un livret adapté de l'italien) et Telemann, mais aussi Reinhard Keiser, qui produisit près de 70 opéras, et quasiment tous pour Hambourg. On trouve aussi mention de Philipp Heinrich Erlebach, Georg Caspar Schürmann ou Johann Christian Schieferdecker, dont certaines oeuvres sont disponibles au disque, mais qui n'ont pas, aujourd'hui encore, de grande renommée.
L'Orpheus de Telemann, comble du syncrétisme, mêle même des airs en italien et des choeurs en français, selon le caractère recherché, à une trame allemande.

L'opéra hambourgeois est un opéra virtuose, bien écrit, qui adopte certaines tournures harmoniques spécifiquement germaniques, et dont les récitatifs sont par la force des choses assez différents des italiens... mais il ne s'agit que d'une adaptation limitée géographiquement d'un genre qui vient de l'étranger. On est très loin d'un opéra proprement national.

2. Le Singspiel, première forme originale

Au milieu du XVIIIe siècle, apparaît une forme nouvelle, une version comique de l'opéra, qui s'apparente à l'opéra comique français : des "numéros" musicaux (airs, ensembles, parfois pièces d'orchestre...) clos sont entrecoupés de dialogues parlés, le tout étant en langue allemande.

La forme trouve probablement son origine avec les miracles du XVIIe siècle, mais on considère que ses "inventeurs" sont Hiller & Weisse, qui collaboraient ensemble vers le milieu XVIIIe siècle.

C'est le genre dans lequel sont écrits les opéras allemands de Mozart : Bastien und Bastienne, Die Entführung aus dem Serail, Die Zauberflöte. Peu d'oeuvres d'autres compositeurs de l'époque sont disponibles au disque : Holzbauer par exemple, qui est extrêmement intéressant ; ou (Paul) Wranitzky dont l'Oberon, König der Elfen (1789) est un bijou déjà très romantique, bien plus moderne que la Flûte Enchantée (1791) par exemple.

Ainsi, la naissance d'un opéra réellement attaché à la langue allemande se fait sous la forme comique et hybride du parlé et du chanté. Ce qui n'aura pas une conséquence durable sur son évolution.

3. Développement sérieux du Singspiel

Suite de la notule.

mercredi 1 décembre 2010

Paul Hindemith - Mathis der Maler (Mathis le Peintre) - Eschenbach / Py / Goerne, Bastille 2010


(La notule est désormais complète.)

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Nicolas Joel suit judicieusement, peut-être par coïncidence, l'impulsion donnée par Gérard Mortier dans la remise à l'honneur de Hindemith, ce qui ne peut que réjouir les lutins qui en sont friands.


La Tentation de saint Antoine, tirée du retable d'Issenheim. Ce détail sert de trame au sixième tableau de l'opéra.


Le résultat est mitigé peut-être, mais c'est parce que Hindemith lui-même est un compositeur qui suscite peu l'enthousiasme. Etonnamment d'ailleurs, les lutins qui aiment beaucoup le compositeur n'étaient enthousiastes qu'avec modération, alors que le public plus Hindemith-néophyte ou Hindemith-sceptique s'est généralement montré très satisfait.

On profite donc de ces représentations, comme à l'accoutumée, pour dire un mot de l'oeuvre.

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1. Une oeuvre, une structure, un style
1.1. Un texte

Constituée de sept tableaux, l'oeuvre est ambitieuse et longue.
Longue à cause de sa structure en séquences autonomes qui, à la manière des stations d'un chemin de croix, tendent vers l'anéantissement de l'individu (compensé par la gloire de la postérité).
Ambitieuse, parce qu'elle projette de décrire l'artiste en action dans le monde.

La première chose qu'il faut dire est que le livret, rédigé par Hindemith lui-même, échappe à beaucoup des pièges de l'action dramatique qui décrit la vie d'artiste.

  1. La vie rêvée de Matthias Grünewald ne manque pas d'action, et elle s'inscrit par ailleurs dans une macropolitique et une géostratégie propices à la représentation dramatique.
  2. Hindemith écarte l'essentiel de l'appareil grandiloquent et pseudo-philosophique qu'on trouve souvent dans ce type de sujet, où le compositeur nous étale ce qu'il considère comme l'essence de l'art. C'est bien sûr à chaque fois ennuyeux (un discours se prête mal à l'action scénique), maladroit (un compositeur n'est pas un philosophe), et totalement à côté de ce qui fait l'essence de l'art telle qu'on la conçoit au moins depuis le XIXe siècle : l'individualité du créateur. Autrement dit, un artiste nous dit sa vérité sur l'art, mais en l'affublant d'un attirail universalisant, tout à fait superfétatoire. Bref, en général cela produit des oeuvres ratées, et Hindemith purge son texte de toutes ces abstractions inutiles.
    • Il conserve cependant des réflexions, soit montrées par l'action, soit incarnées allégoriquement comme dans le Sixième Tableau, qui nous propose une Tentation de Saint-Antoine en version opératique. En somme la chose est habile, parce que Hindemith fait avant tout un opéra et y plie son propos, au lieu d'essayer de mettre sa musique au service d'idées peu essentielles.


Sans être proprement passionnant, sans être dépourvu de faiblesses, le livret est donc d'une qualité assez réelle, en tout cas assez équilibré. La principale difficulté provient, il me semble, de la façon parfois un peu désinvolte de résoudre les conflits : l'anti-duo d'amour, pourtant une sorte d'acmé, se termine bien aisément ; la conversion du Cardinal de Brandebourg se produit sans que ses motivations, contradictoires avec celles voulues par ses manipulateurs victorieux, en soient tout à fait clairement exposées.

Mais ce flou, ce refus de la schématisation permettent précisément de donner du relief à propos qui aurait pu paraître sinon trop téléologique. On trouve même des contradictions internes tout à fait assumées :

  • Hindemith expose l'idée coutumière (et fondée) que l'argent de l'art (qui ravit surtout les esthètes aisés) provient des impôts des pauvres, sans essayer de la réfuter. Mais il ne disqualifie nullement l'art non plus. Il se contente d'énoncer cet état de fait et de l'accepter comme une réalité, un courage que peu d'artistes ont eu, surtout en continuant à produire...
    • Ce n'est qu'à la fin de l'ouvrage, dans le Sixième tableau, que l'on découvre l'une des pistes (mais absolument pas impérative) : l'aboutissement de l'artiste se produit dans l'art où il est habile, pas dans le monde où il est encore plus impuissant et fragile qu'un autre. Pourtant, Hindemith dit cela dans un opéra qui fait clairement référence à la politique de son temps (l'opéra est écrit de 1934 à 1935 et créé en 1938...), ce qui constitue un joli paradoxe.
      • Hindemith pose des questions, et à peine fournit-il des pistes pour les réponses : si réponse il y avait, ce serait peut-être qu'il n'aurait pas dû écrire l'opéra dans lequel il le dit... Postulat qu'on peut discuter, puisque Mathis abandonne son art pour faire de la politique, alors que Hindemith l'exerce pleinement en parlant de son monde, comme Mathis avec ses pinceaux révèle des univers. Bref, la portée de l'ouvrage est délibérément rendue équivoque par le compositeur.
  • Malgré la forte teneur chrétienne du propos, Mathis a une étrange parole de foi dans le dernier tableau, postulant qu'il n'y a plus de souffrance dans le monde depuis que le Christ l'a portée - alors même que tout l'opéra vient de nous révéler une longue fresque de douleurs. Pourtant, la plus grande déférence est ménagée envers la religion à travers toute l'oeuvre, étant une référence et même un guide dans les épreuves. Ici encore, équivoque volontaire.


Au chapitre des bizarreries, on remarque tout de même quelques petites délires théologiques : les ressuscités qui se baladent au Paradis sans corps, c'est nouveau...

Néanmoins, étrangement de la part d'un compositeur, la tiédeur provient davantage de la musique.

1.2. Une musique

Mathis constitue en quelque sorte du Hindemith au carré : on y rencontre des longueurs, de très belles choses, et surtout une forme de distance.

Parmi les beautés, on peut citer de très belles sections dans la forme du choral (souvent à l'orchestre, mais au premier rang desquelles, bien sûr, le choeur ecclésiastique en coulisses lors du premier tableau), ou encore des figures vives et entraînantes comme l'énoncé d'une fugue.

Les longueurs sont le plus souvent liées à ce tricotage orchestral un peu gris, avec un contrepoint sophistiqué et continu qui ne semble pas toujours avoir un objet et un but.

Surtout, on frappé par la déconnection entre la nature de l'action (dramatique, pour ne pas dire paroxystique) et la neutralité expressive de la musique. Le plus spectaculaire décalage se trouve dans le troisième tableau où la grande scène de renoncement à l'amour, pourtant le sommet expressif du livret, est énoncé sur un ton proprement glacial, qui ne semble connaître ni début, ni fin, et absolument aucun paroxysme. Très étrange, un peu frustrant aussi.

Typiquement le Hindemith lyrique, donc, oscillant entre de très belles inspirations et quelque chose de plus gris, avec une sorte de flux musical continu et sans objet.

L'oeuvre requiert une forme de concentration assez particulière pour en retirer les beautés : ce n'est pas une musique de l'évidence, elle demande à être cherchée pour être appréciée. Disons que ce n'est pas le meilleur rapport effort / plaisir du marché, mais cela reste de la belle ouvrage qu'on sort très content d'avoir vue.

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2. Représentations

Les lutins de CSS y étaient le lundi 22 novembre. Une fois n'est pas coutume, c'est avec le résultat d'une opinion très proche de celles qu'on peut lire ou entendre un peu partout.

2.1. Mise en scène

Suite de la notule.

dimanche 26 septembre 2010

Webern / Chausson / Dutilleux / Schumann - [Billy, Orchestre de Paris, Pleyel, septembre 2010]


Faute de temps, sous forme de notes.

Parfaite définition du son au début du premier balcon, sans la petite réverbération-saturation du parterre, avec un bien meilleur fondu. La voix en revanche reste lointaine.

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Webern - Im Sommerwind

Oeuvre fantastique avec ses diaphanéités infinies, qui durent comme un Mahler.

Conseil pour prolonger : poèmes symphoniques de Schreker (à commencer bien sûr par le Prélude à un Drame).

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Chausson : Poème de l'Amour et de la Mer

Sur six poèmes de Maurice Bouchor (de qualité moyenne) organisés en deux sections de trois, séparées par un interlude.

Oeuvre du meilleur Chausson, complexe, riche, coloré et chaleureux comme dans Le Roi Arthus et la Symphonie en si bémol. Très proche aussi de la fin des Quatre poèmes de l'Intermezzo de Heine de Ropartz, y compris pour le ton des poèmes. Mais la teneur en est tout de même plus sucrée, parfois très sucrée (et trop lorsque la voix est doublée par les violons...), on est loin de l'inspiration sobre et magnétique de la Chanson Perpétuelle. Le meilleur moment en est l'Interlude, le plus sobre et dense.

Susan Graham remporte un gros succès, peut-être lié à sa célébrité ou aux amateurs de voix déplacés tout exprès. La voix est correctement projetée, mais le son demeure engorgé, opaque, sacrifiant toujours son français très correct à la rondeur de son émission. On remarque aussi quelques portamenti lourds et pas très en style.

Conseil pour prolonger : Le Roi Arthus du même compositeur, Le Pays de Ropartz, et bien sûr les Odelettes de Ropartz, très similaires, mais plus inspirées et sur de bien meilleurs poèmes (Henri de Régnier).

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Dutilleux - Mystère de l'instant

L'oeuvre qui me touche le plus chez lui avec Shadows of Time et les trois Sonnets de Jean Cassou (les deux + La Geôle).

Conçu comme un hommage à à la Musique pour cordes, percussions et célesta de Bartók dans l'effectif (cordes, percussions et... cymbalum, manière d'être explicitement magyarisé).

Développement d'un même motif bref, presque à la façon des Microludes de Kurtág, d'une façon cyclique, très belle.

Très réussi par le chef et l'orchestre aussi bien pour les textures que pour la clarté du discours.

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Schumann - Quatrième Symphonie

Billy tient la tension de bout en bout, d'autant plus judicieusement que toute l'oeuvre (dirigée par coeur) est fondée sur la déformation de la même cellule de départ. Rien de se relâche, comme dans un Mahler ici encore. Le choix de tempi très vifs est soutenu de bout en bout avec une vision assez jubilatoire de cette musique. Sans aucun pathos mais pas sans émotion, avec une grande netteté, on est étonné d'entendre ainsi l'ancien orchestre d'Eschenbach !

Quelques problèmes surviennent : tempo difficile au début à soutenir pour les musiciens, et dans le deuxième mouvement une discordance entre le phrasé plus legato et lent du violoncelle par rapport au hautbois plus vif et détaché, réglé à la seconde itération, où le violoncelle suit cette fois le phrasé du hautbois.

Le problème vient surtout de l'effectif qui prolonge l'impression (erronée) d'une mauvaise orchestration de Schumann. Au contraire, chez lui les cordes tiennent le discours mélodique, les bois colorent, les cuivres marquent les accents. Mais avec huit contrebasses, douze violoncelles, douze altos, et une trentaine de violons, que peuvent les huit malheureux bois ? De ce fait, on les entend mal et on perd l'équilibre de la symphonie. En adaptant simplement l'effectif (divisé par deux ou par trois, ou alors il fallait doubler le nombre de bois), on aurait obtenu quelque chose de moins massif.

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Tout au long du concert, Bertrand de Billy, toujours assez sec au disque ou à la radio, fait valoir des qualités de clarté assez exceptionnelles qui n'enlèvent jamais rien à la beauté du son. Un chef discret mais réellement charismatique, apparemment peu phonogénique, mais qui donne en salle un lustre remarquable à cet orchestre avec lequel il faisait pourtant ses débuts.
Bref, un vrai chef, soucieux non pas d'imprimer sa marque personnelle mais d'exalter et de clarifier les oeuvres qu'il sert pour son public. Et qui est manifestement allé à l'essentiel pendant les répétitions !

... et le programme était quand même de la folie, que des oeuvres majeures, et pas forcément fréquentes (surtout ce Webern et ce Dutilleux).

samedi 31 juillet 2010

Ibsen wagnérisé - L'Etranger de Vincent d'Indy


D'après la re-création en concert au Festival de Montpellier il y a quelques jours, et la lecture intégrale de la partition ainsi que du texte-source.




Trois extraits de la partition : un peu du grand duo de l'acte I, la fin méditative de l'acte I, la grande tempête qui termine l'acte II.


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1. Aux sources du livret : Ibsen

Cette action musicale en deux actes (1896-1901) est inspirée à Vincent d'Indy en par Brand d'Ibsen, qui avait été représenté en France dès 1895 grâce à Aurélien Lugné-Poë.

L'intrigue de cet Etranger se résume en peu de mots.
Acte I : Dans un village de pêcheurs, un étranger quadragénaire agit avec bonté tout autour de lui, distribuant sa pêche, protégeant les faibles, mais mal regardé par la population qui voit en lui en sorcier maléfique, ou à tout le moins un voleur de bonne fortune. Il s'entretient avec la jeune Vita (petite vingtaine), la seule à ne pas le fuir. Il lui laisse entendre son amour, mais celle-ci, déjà fiancée mais manifestement éprise aussi, ne parvient pas plus que lui à trouver le ton juste, et l'Etranger annonce son départ le lendemain. Vita est comme abasourdie et écoute à peine son fiancé André lui parler des bans du mariage, en contemplant l'Etranger qui s'éloigne sur le sentier lumineux.
Acte II : Second grand duo, Vita annonce son amour mais l'Etranger confirme son départ à cause de ce qui avait été dit. Elle le laisse partir, mais jette à l'eau la pierre magique qu'il lui a donnée, se qui semble agiter l'écume. Elle se promet alors en fiancée à la mer et laisse, complètement silencieuse, enrager son fiancé qui finit par rompre. A ce moment, la tempête se déclare ; l'Etranger monte seul sur un canot pour sauver les pêcheurs en péril, rejoint au moment du départ par Vita. Alors qu'ils rejoignent les naufragés, une lame immense les engloutit tous. Les pêcheurs restés sur la grève entament le De profundis et le rideau tombe.

Les points communs avec Brand sont donc limités, mais patents. En réalité, d'Indy (qui écrit lui-même le livret, comme pour ses trois autres opéras de type sérieux [1]) n'a conservé que la matière de la première moitié de l'acte II, et s'en est librement inspiré.
En effet Brand, à l'acte II, séduit par ses discours altruistes et exigeants Agnès, la fiancée d'un ancien camarade d'études, et risque sa vie pour aller donner une absolution, en montant seul (et rejoint par Agnès émerveillée) dans une barque sur le flot déchaîné.
La différence est tout de même qu'ici la dimension christique du personnage est beaucoup moins abstraite et dogmatique : l'Etranger sans nom n'est pas un prêcheur mais un simple pêcheur qui parcourt le monde en faisant le bien au lieu de le revendiquer comme le fait Brand (d'une façon tout à fait discutable). Brand a un passé (et une mère avaricieuse, qu'on fréquente longuement dans la seconde partie de l'acte II), alors que l'Etranger n'a pas de substance psychologique réelle : il reste, même pour Vita, un être de passage opaque. Enfin, Brand réussit l'épreuve de la barque, alors que l'Etranger y disparaît.

Disons que certains des motifs sont identiques (une figure christique, une fiancée dérobée presque malgré lui, une ordalie de la mer), mais réagencés dans un autre contexte.

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2. Autres échos

On note aussi d'autres similitudes évidentes.

D'abord avec le Hollandais Volant de Wagner, où le personnage qui erre ne peut être retenu que par une femme fidèle - dont la sincérité qu'il ne veut croire ne lui est finalement prouvée que par sa mort en s'élançant vers les vagues. D'ailleurs l'aveu de Vita est conçu sur le même mode de l'aigu éclatant (si 4 dans les deux cas...) qui stupéfait la foule rassemblée. De même si l'on considère le fiancé éconduit en raison de la fascination pour la figure mystérieuse et paternelle (c'est explicite dans le livret de d'Indy).

C'est aussi toute une époque de fascination pour la mer chez les compositeurs français, y compris à l'Opéra, comme pour Pelléas et Mélisande de Debussy (1902), Le Pays de Ropartz (1908-1910) ou Polyphème de Cras (1910-1918), qui ménagent tous des scènes maritimes impressionnantes.
Dans le cas de d'Indy, le figuralisme maritime doit autant au Vaisseau Fantôme qu'au Wagner de maturité et au genre "impressionniste" français. Il est à noter d'ailleurs que La Mer de Debussy et les opéras qu'on citait précédemment sont tous postérieurs à L'Etranger, qui n'est donc pas à situer dans un mouvement de suivisme, mais plus dans une intuition fine de ce qui allait se développer par la suite.

Le lien est assez saisissant en particulier avec Le Pays de Ropartz, qui raconte précisément une histoire de nouveau venu dans un univers de pêcheurs, et qui après avoir séduit une jeune fille, veut quitter la contrée et n'en sort pas vivant. Le tout dans un langage musical extrêmement tristanien qui n'est pas très éloigné des couleurs wagnériennes de Vincent d'Indy.

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3. La musique

Notes

[1] Ses trois autres opéras sérieux : Le Chant de la Cloche d'après Schiller, Fervaal d'après Axel d'Esaïas Tegner et La Légende de saint Christophe d'après la Légende dorée de Jacques de Voragine. Il est également l'auteur, côté scénique, de trois musiques de scène, d'un opéra-comique et d'une comédie lyrique.

Suite de la notule.

dimanche 18 juillet 2010

Saison 2009-2010 : Bilan statistique


Pour le plaisir de la statistique et de la remise en perspective.

Un rapide bilan de la saison écoulée, tout à l'ivresse des prodigalités de la capitale. Genres fréquentés, époques, salles, et pour finir la liste et les liens avec les comptes-rendus.

Suite de la notule.

mardi 6 juillet 2010

Schönberg - Les Misérables (Châtelet 2010) : retour sur une évolution esthétique


Le point de vue de l'amateur d'opéra.

Hier, les lutins se sont rendus, comme prévu, à la dernière représentation de ce spectacle musical qui se situe un peu hors du périmètre habituel de ces pages. Il faut dire que la gent korrigane est très admirative de ce qui a été réussi dans cette pièce.


1. Un sujet

Le choix est celui de vignettes qui parcourent amplement la fresque de Hugo, en en conservant les épisodes partagés dans la culture commune française. Plutôt que de choisir un fil narratif qui évolue de façon fluide, on privilégie les épisodes en forme de saynètes parfois très brèves, afin de reproduire le plus vaste nombre possible d'épisodes de ce qui est devenu une forme de mythe, avec sa puissance symbolique, son caractère fédérateur et la plasticité même de son intrigue. Il ne manque guère que la défiance initiale de Valjean à l'encontre de Pontmercy, tout y est.

On perd certes la langue de Hugo, et on entend quelques sentences un peu catégoriques qui sont très loin de l'art du balancier pratiqué par le poète dans ses raisonnements, qu'il résout par une forme de transcendance qui rend la voie évidente, et non pas par un réel choix. Néanmoins, contrairement à l'original français d'Alain Boublil et Jean-Mars Natel (à la fois précieux et d'une niaiserie assez ridicule), la version anglaise (Herbert Kretzmer) dispose d'une certaine élégance - nous ne nous nous serions pas déplacé, assurément, pour la version francophone.


2. Une adaptation digne de considération
2.1. Structure générale

Il y a quelque chose d'émouvant à voir cette foule assez populaire (à côté de la troupe joyeuse et farfadesque, une famille qui mettait les pieds pour la première fois au Châtelet) communier en présence, sinon de l'oeuvre elle-même, de sa marque sur l'imaginaire collectif.

C'est en effet un objet assez étonnant, qui transpose de façon tout à fait évidente les codes de l'opéra dans un format plus populaire :

  • voix amplifiée ;
  • orchestre d'une dizaine de musiciens traité en temps réel par un ingénieur du son, et complété par un synthétiseur (qui était quasiment seul à l'origine, mais l'orchestre a été ajouté lors de la refonte de l'oeuvre et au fil des succès) ;
  • beaucoup de tubes ;
  • pas de transitions entre les scènes, des "blocs" très identifiables.


Mais l'on conserve les récitatifs : comme dans la tragédie lyrique, ce peut être une forme de basse continue du synthétiseur, ou bien l'orchestre entier ou en partie qui soutiennent la déclamation, selon l'impact dramatique que l'on veut donner. Restent aussi l'ambition théâtrale, une nombre assez considérable de clins d'oeil à l'Opéra ("Don Juan", "mieux qu'un opéra", "nous battons-nous pour une nuit à l'Opéra ?", avec au besoin une ligne lyrique au hautbois qui imite la ritournelle introductive d'un grand air), et la construction complexe, qui échappe à l'alternance simple air / récitatif.

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2.2. Un drame postwagnérien ?

Car c'est assurément une oeuvre ambitieuse : non seulement il n'existe aucun passage parlé sans accompagnement, mais surtout, l'ensemble du discours est tenu par la présence de véritables leitmotive, et de leitmotive originaux, d'une façon qu'aucun farfadet n'a jusqu'ici ouïe dans aucun opéra, et qui n'a rien de pataude.
Ces motifs récurrents ne sont pas attachés, comme chez Wagner, qui en est l'un des plus virtuoses utilisateurs, à un objet ou à un sentiment d'un personnage, ni comme chez Strauss qui l'attache à un aspect de la psychologie d'un personnage, voire à un personnage, et encore moins comme Debussy ou Schreker, qui sont beaucoup plus nettement liés à un personnage précis (et donc moins riches de sens, en dehors de la structuration musicale de l'oeuvre).

Claude-Michel Schönberg a choisi des motifs (et en a développé la récurrence lors de la révision de la partition) qui ont un lien avec des concepts, mais des concepts libres, qui peuvent voguer d'un personnage à l'autre, et innervent ainsi d'une façon assez saisissante le drame. Ce qui est d'autant plus impressionnant que la musique en elle-même est assez peu subtile : toujours les mêmes rythmes de type croche-croche-noire (la seconde croche étant sur le temps), et des harmoniques habiles, avec des progressions agréablement tendues (notamment des frottements délicats en faisant bouger la basse), mais assez peu riches - bien qu'assez au-dessus de la moyenne du genre.

On en a relevé quelques uns :

  • Les damnés de la terre : ce motif pesant apparaît à chaque fois qu'une masse populaire, harassée par la pauvreté, le travail, l'injustice de la société, apparaît. Bagnards, filles des rues, mendiants, peuple de Paris...
  • La justice : ce motif consiste en une résolution harmonique implacable. Il est le plus souvent attaché à Javert (Honest work, just reward / That's the way to please the Lord), à cause de sa rectitude dans l'application de son devoir. Mais il est intéressant de remarquer, et cela, nul autre opéra qu'on ait de notre côté lu, entendu ou vu ne l'a essayé, que ce motif apparaît pour la première fois dans la bouche du personnage très positif de Monseigneur Bienvenu. Ce motif qui représente le respect des normes n'est donc ni positif ni négatif, il indique simplement une sorte de légitimité formelle du discours. Et cela rejoint admirablement le livret qui insiste sur le caractère foncièrement honnête de Javert, que lui reconnaît Valjean en lui laissant la vie sauve sans conditions.
  • L'identité : ce motif est plus spécifiquement attaché à Valjean, et resurgit à chaque questionnement sur son nom, sur son destin, sous la forme d'un flux de parole haché, comme hébété, avec une thématique assez banale.
  • La bonté : un motif tournoyant qu'on entend dès que Valjean commet un acte altruiste.
  • Les rêves passés : ce motif est d'abord attaché à Fantine, et innerve son fameux air I dreamed a dream in time gone by, mais on le trouve également vis-à-vis de Valjean, et pas seulement lorsqu'il évoque la mère de Cosette ; à chaque allusion voilée au passé, il est susceptible de resurgir.
  • Révolution : Une sorte de slogan collectif (Rouge et noir) qu'on retrouve évidemment lors de la bataille des barricades, avec une apothéose cuivrée qui figure le panache plus que la victoire, évidemment.
  • Le monde nouveau : Ce motif est d'abord attaché à la Révolution (Do you hear the people sing, singing the song of angry men ?), mais réapparaît lors du grand final de l'acte II, pour annoncer un monde nouveau qui est celui d'un idéal plus vaste, pour ne pas dire d'un au-delà. En somme, c'est assez la façon dont la Rédemption par l'amour dans le Ring de Wagner passe d'un acte isolé de Brünnhilde vers Sieglinde à la salvation de l'humanité tout entière dans son seul retour, à la toute fin du cycle.
  • Les étoiles : Plus anecdotique, ce motif aigu et diaphane débute le premier air de Javert qui leur est consacré, et se trouve cité sous forme d'allusion musicale dans le second, sans que le texte y fasse référence.


Et ainsi, alors que les va et vient des personnages s'y prêtaient très bien, Schönberg évite la facilité de thèmes liés de trop près aux personnages. Valjean en a bien un ou deux qui lui sont très fortement liés, mais les autres personnages ne sont pas caractérisés de cette façon, ce sont plutôt les concepts mis en jeu par le texte qui miroitent à travers ce tourbillon de motifs.

Et lorsque plusieurs se superposent comme dans l'affrontement de Javert et Valjean au chevet de Fantine, c'est assez impressionnant, et très rare dans le domaine de la "musique populaire".

[L'autre aspect wagnérien réside dans la qualité limitée de l'humour : souvent du comique de caractère bien lourd et guère drôle comme pour Beckmesser, Mime ou alors des exagérations à peine plus amusantes comme la fameuse Chevauchée des Walkyries - qui est réellement conçue par Wagner comme quelque chose de souriant.]

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2.3. Quel statut ?

Par ailleurs, on y trouvera d'assez beaux climats, qui ont fait avec quelque raison le succès des airs isolés passés à la célébrité.
Pas de longueurs, une collection de situations par ailleurs très efficacement résumées, et une musique qui touche juste.

Le type même d'oeuvre qui ne peut que confondre ceux qui veulent cloisonner les genres dans une forme de morale (l'opéra c'est ennuyeux, la musique populaire c'est pauvre, etc.).

Cet objet constitue en réalité une oeuvre extrêmement cohérente, très dense (ses épisodes très courts ne sont pas des facilités, ils ont véritablement du caractère), qui comporte même, malgré ses personnages taillés à la serpe et son langage musical relativement rudimentaire, l'un des usages les plus intéressants des leitmotive que les lutins aient entendu.

Ainsi, au delà du panache, des trépidations et des climats, même en la considérant avec les critères de la musique savante, l'oeuvre est aussi intéressante.


Ruines d'un aqueduc.


3. En salle

Plusieurs choses sont frappantes pour l'amateur d'opéra dans cette salle. Tout d'abord le public, pas habillé (certes, on est un dimanche et les gens ne sortent pas du travail, mais d'habitude, au concert, même un dimanche...), une moyenne d'âge beaucoup plus basse (beaucoup de trentenaires et quadragenaires, et très peu au-dessus), et très décontracté, d'un abord très bon enfant, discutant volontiers entre voisins, nullement crispé par l'événement (qui est pourtant considérable si l'on considère la durée à attendre pour revoir cette oeuvre-culte par rapport à un Don Giovanni).

Lorsque la musique débute, une clameur s'étend pour exprimer la joie d'être là à entre cette musique. La musique n'étant pas essentiellement à ce moment-là, c'est une manifestation assez sympathique (qu'on retrouve, plus discrètement, pour saluer certains bis célèbres dans les récitals classiques, en particulier d'opéra). Les airs sont applaudis, parfois les actions (alors qu'il ne se passe pas grand'chose musicalement, le retrait de Cosette de l'auberge des Thénardier est ovationnée !), mais pas les décors si le moindre aigu, la moindre action.
On a d'ailleurs été très agréablement surpris qu'à la fin des airs, le public attende, sinon la fin de la résonance, la fin de la musique pour applaudir, ce qui n'est pas toujours le cas à l'Opéra (c'est même plutôt l'exception). Même les discussions pendant le spectacle ont été finalement très rares, à peine plus fréquentes que pour un concert classique.

Il a simplement marqué son enthousiasme à certaines fin de parties, en couvrant de fort beaux interludes. [A ce propos, l'orchestration du final du II est beaucoup plus impressionnante en salle, vraiment spectaculaire, et pas vraiment de mauvais goût, en réalité.]

La sortie des spectateurs est aussi accompagnée par la reprise d'un pot-pourri des thèmes du concert, on est au cinéma plus qu'au théâtre.

L'amplification n'était pas désagréable, le volume tout à fait raisonnable. En revanche, faute de gestes suffisants des interprètes (nous étions loin et ne pouvions entendre le point de départ de la voix contrairement à Magdalena, qui comportait de toute façon uniquement des chanteurs lyriques, plus modérément sonorisés), la localisation du chanteur était difficile dans les scènes de groupe puisque le son provenait des baffles et non du personnage.
On a tout de même noté l'égalisation des dynamiques par le potentiomètre : lorsqu'un chanteur passe dans le grave (par exemple le couplet modulant au centre du grand air de Fantine), alors qu'on entend que la voix se tasse, l'amplitude sonore demeure strictement identique. De plus, les tessitures étant écrites assez basses par rapport à une voix projetée d'opéra (aussi parce qu'il faut que chaque membre du public puisse chanter cela aisément en rentrant chez lui), la voix serait véritablement très peu audible sans amplification. Certains interprètes qui chantent à la fois opéra et comédie musicale s'en plaignent quelquefois : leurs nuances dynamiques changent la couleur de la voix, sa texture, mais absolument pas la dynamique et le volume entendus par le public.

Le nombre de décors est quant à lui proprement hallucinant, avec quantité de changements à vue... C'est une petite fortune que cela doit représenter en conception, construction et transport. D'où le nombre assez important de représentations, sans doute, et surtout le nombre d'années de tournée d'une production... mais la salle n'était pas pleine du tout (dernier étage vide).

En somme, un public très agréable et attentif, et un cadre d'écoute assez confortable.



4. Une représentation
4.1. Mise en scène

Visuellement, une jolie mise en scène littérale assez animée, plutôt spectaculaire. On relève surtout l'excellente idée de placer en fond des projections inspirées de dessins de Hugo ou d'encres réalisées dans son style. Dans les égoûts de Paris, il y a en plus un défilement, sous trois angles différent, qui donne réellement l'impression de cheminer dans une étrange cathédrale sorti de l'imaginaire hugolien. Un épisode visuellement assez magistral, et tout à fait poétique en plus.

Il faut cependant reconnaître que la nouveauté de la nouvelle production de Laurence Connor & James Powell n'est pas conceptuellement vertigineuse par rapport à l'ancienne de Trevor Nunn & John Caird... On reste dans un spectacle littéral et agréable à l'oeil. Mais on a aussi le droit à quelques trouvailles, comme l'entrée et la présence des amis tombés au combat lors de la déploration Empty chairs and empty tables.

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4.2. Orchestre

Suite de la notule.

jeudi 20 mai 2010

Heitor Villa-Lobos - MAGDALENA - Rouland (Châtelet 2010)


Voilà un spectacle qui m'a laissé perplexe, et à vrai dire plus intéressé que touché. Comme les critiques et comptes-rendus publiés en ligne m'ont paru assez peu informatifs une fois vu le spectacle (y compris la vidéo proposée par Concertclassic, que j'introduis ci-dessous), j'en touche un mot, d'autant qu'il y a plusieurs choses dignes d'être remarquées.

Il n'est pas si fréquent de sortir d'un spectacle en ne pouvant porter un jugement à la fois sur son plaisir et sur l'oeuvre. J'ai été en quelque sorte séduit de façon purement intellectuelle par un spectacle dont la visée est au contraire de toucher très directement, avec des moyens simples, d'où cette confusion des sentiments, sans doute.

Le titre lui-même constitue déjà une forme de paradoxe. Magdalena n'est pas un personnage de Magdalena, mais le nom du fleuve qui traverse l'endroit où se déroule l'action (fleuve qui n'a absolument pas de rôle majeur, à part que le général Carabaña y débarque pour rentrer au pays). De ce fait, on ne désigne pas de personnage principal, et il serait difficultueux d'en nommer un en particulier.

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1. Contenus

L'oeuvre, chantée en anglais, est présentée comme une 'aventure musicale en deux actes' par le compositeur, et on nous parle dans les notices d'un métissage entre opéra et comédie musicale. Il est vrai que le Prélude orchestral (repris comme prélude également à l'acte II) est de la meilleure farine, avec ses figures mélodiques simultanées tirant vers la polytonalité (ces différentes "couches" font furieusement au début des Gezeichneten de Schreker, et même quelque peu aux Gurrelieder de Schoenberg). [Ce tuilage singulier est vraisemblablement censé évoquer le bruissement de la forêt équatoriale.] On est émerveillé et plein d'espoir, heureux du privilège d'assister à une oeuvre aussi rare et aussi dense (qui, d'après la vidéo extraite de la générale, avait l'audace, quoique tout à fait tonale, de ne pas s'achever sur un accord parfait).
Ce n'est pas étonnant de la part de Villa-Lobos, qui maîtrise aussi bien la couleur locale façon sucre d'orge que l'écriture complexe et raffinée, quoique toujours très colorée et un peu sucrée, qui s'exprime par exemple dans sa Dixième Symphonie.

Suite de la notule.

jeudi 7 janvier 2010

Nouveautés


En attendant la publication prochaine d'une notule qui nous accapare un peu, on annonce quelques nouveautés côté logistique :

  • une nouvelle catégorie autour d'Andromaque de Grétry, dont on a aura encore lieu de parler (elle comprend aussi celles plus générales autour du compositeur, comme pour les catégories Marschner, Thomas, Reyer, Strauss et Schreker) ;
  • mise à jour des notules sélectionnées dans la colonne de gauche, pour changer ;
  • mise à jour conséquente de l'index de CSS.


jeudi 24 décembre 2009

Henrik IBSEN - Une maison de poupée - II - Constantes du théâtre d'Ibsen et traits particuliers dans 'Une maison de poupée'


Après la présentation de la soirée (mise à jour ce soir), on part un peu plus en profondeur dans l'oeuvre d'Ibsen.

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Moment de la tarentelle frénétique : incantatoire mais impuissante à apporter protection tutélaire et miracle. Dans l'admirable réalisation scénique de Stéphane Braunschweig et Chloé Réjon.


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4. Une pièce d'Ibsen

On retrouve dans Une maison de poupée la préoccupation d'Ibsen, sans cesse reformulée en pièce en pièce sous des structures très différentes.

En effet, l'ensemble de ses pièces posent de façon centrale la question de la volonté et des valeurs.
Le cadre est posé dans un contexte relationnel où le mensonge, aux autres comme à soi-même, est très présent, et va se fissurer pour entraîner des changements radicaux dans la conception de la vie et dans l'existence concrète des protagonistes. Cet 'éveil' se produit par des rencontres, qui vont mettre à l'épreuve le cadre initial, que l'hypocrisie ou l'aveuglement rendaient cohérent. Tout le drame consiste dans la révélation de parcelles de vérité, qui vont se montrer déterminantes.

Tout cela serait assez banal si on n'y ajoutait deux caractéristiques fortes du théâtre d'Ibsen.

Suite de la notule.

mercredi 23 décembre 2009

A la découverte de MEYERBEER - II - Raisons d'une mésestime


Un point sur le rejet ou l'ignorance vis-à-vis de Meyerbeer. Pour pouvoir mieux parler de son esthétique sans interférences dans la prochaine notule.

Suite de la notule.

dimanche 6 décembre 2009

Tout comprendre du vibrato : définition et catégories


Avec quantité d'exemples sonores pour tout saisir concrètement.

Le vibrato est un facteur déterminant dans l'appréhension de la voix chantée, puisque la tenue d'un son, contrairement à la voix parlée, entraîne la perception d'une oscillation. Il est pour beaucoup dans l'adhésion ou la répulsion à une voix (ou un style de chant). La même voix vibrée ou non vibrée peut être à proprement parler transfigurée.

[On vous passe l'hymne versifié au vibrato écrit dans notre folle jeunesse , où Mireille rime avec treille.]

Exemple :

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Wiegenlied D.498 de Schubert par Gundula Janowitz et Irwin Gage. Dans ses Schubert, Janowitz réduit volontairement le vibrato pour donner un aspect plus sec, plus populaire à la voix, comme la berceuse d'une femme du peuple (un brin sublimée tout de même). Elle perd du coup en générosité et bonne partie de sa beauté, mais c'est un choix assez logique et tout à fait pertinent sur le principe : le lied à cette date est encore connecté à un imaginaire de la chanson populaire.
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La même interprète avec Herbert von Karajan et le Philharmonique de Berlin dans la gravure légendaire des Vier Letzte Lieder de Richard Strauss (ici, Beim Schlafengehen). Ici, du fait de l'ampleur de l'orchestre, du lyrisme de la ligne, de la tessiture aérienne, Janowitz utilise à plein son vibrato très particulier.


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Le vibrato est propre à une voix détendue. Il est dû au fait que l'appareil phonatoire a du jeu (en particulier les cordes vocales qui bougent), et n'est donc pas rigidement maintenu, vibre en harmonie avec le son émis. C'est donc plutôt un signe de bonne santé vocale. Un son ample et sain sera vibré, et tout l'instrument (le corps, donc) entrera en sympathie, en résonance avec le son produit.

Cependant, il existe deux paramètres fondamentaux pour comprendre le vibrato, avec des implications à la fois vocales et stylistiques.

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1. Vitesse de battement

Le vibrato est une oscillation autour d'une note : le son va alternativement plus haut et plus bas que la note écrite. La répétition de cette note centrale se produit à distance plus ou moins rapprochée.

Vibrato rapide (la note centrale est souvent répétée) :

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Magdalena Kožená dans l'extrait le plus célèbre d'Ariodante de Haendel, le fameux Scherza infida. Ce n'est pas sa version discographique, mais un concert mémorable avec le Kammerorchester Basel (Orchestre de Chambre de Bâle) dirigé par Paul Goodwin. Sur les notes tenues, on entend nettement la répétition du son central, à une fréquence très rapprochée.


Vibrato lent (le mouvement est plus espacé, on peut compter le nombre de répétitions de la note centrale) :

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L'air de confiance patriotique de Koutouzov dans Guerre et Paix de Prokofiev, dans la version extrêmement coupée de Valery Gergiev au Met de New York. A cette date (2002), on perçoit très bien le vibrato de Samuel Ramey, et on pourrait compter, lors de l'émission d'un son, le nombre de fois que la vibration s'entend.


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2. Amplitude des hauteurs

L'amplitude est le second paramètre toujours cité dans la littérature (même si cela me paraît insuffisant, ce sont tout de même les deux essentiels).
Il s'agit tout simplement de la distance parcourue par le vibrato autour de la note écrite. Ce peut parfois aller jusqu'à atteindre les notes adjacentes.

Vibrato de faible amplitude :

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Jeanette MacDonald dans... Meyerbeer ! Le page Urbain à la fin du premier acte des Huguenots : le récitatif Nobles seigneurs, salut ! et sa cavatine Une dame noble et sage. On connaît l'histoire extraordinaire de cette chanteuse de revue qui, repérée par Lubitsch, va se produire dans son premier parlant avec Maurice Chevalier, et finir par chanter les héroïnes de Gounod (Marguerite et Juliette) à travers toute l'Amérique. Ici, la bande son du film Maytime de Robert Z. Leonard (1937).
Dans ses films, elle alterne avec une rare inspiration chansons de cabaret et performances opératiques. J'avoue ne pas avoir entendu beaucoup mieux que sa Marguerite en particulier, avec un excellent français et une expression délicate et fine que peu de 'concurrentes' ont ainsi maîtrisé. Car elle a hérité de ses expériences de cabaret une forme d'expression directe, qui ne se préoccupe pas que de la qualité du legato, Dieu merci.
Son Urbain est moins célèbre, c'est pourquoi on l'a privilégié même si la vocalisation est imparfaite. Le petit retard au début de la cavatine est demandé par le réalisateur, elle aperçoit son amant dans la salle.
On entend nettement sur les notes tenues que la voix ne parcourt que des zones très rapproches du son de départ, que la vibration se fait de façon très adjacente au son (qui reste parfois fixe), comme une surface aquatique liquide qu'on effleure.


Vibrato de grande amplitude :

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Kristine Ciesinski à la fin du premier acte des Gezeichneten de Franz Schreker (Metzmacher 2007). Ici, le vibrato parcourt un bon demi-ton, on pourrait écrire plusieurs notes, ce n'est pas seulement une note qui se déforme, on parcourt vraiment une grande distance. Dans son cas, ce n'est pas beau, mais c'est souvent le cas avec les 'grands' vibratos.


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3. Régularité

Suite de la notule.

mercredi 11 novembre 2009

L'acte II de Tristan und Isolde (Harding TCE 2009) et les abîmes psychologiques d'un spectateur


Au sein d'une semaine difficile et chargée, un mot et quelques méditations autour de la représentation du deuxième acte de Tristan, au Théâtre des Champs-Elysées.

La soirée débutait par le Prélude du premier acte, directement enchaîné à l'acte II.

On peut faire rapidement le point sur la distribution avant de dire un mot, peut-être, sur quelques impressions subjectives sur l'oeuvre. Oui, c'est là un sujet bien frivole pour ces sévères lieux qu'un commentaire de distribution starisante, mais on l'a promis à qui se reconnaîtra. Et puis l'on profite des derniers moments de sous-traitance des lutins, bientôt appelés pour d'autres travaux plus manufacturiers à Qeqertasuag ou à Thulé.

Suite de la notule.

vendredi 30 octobre 2009

Gustav MAHLER - Das Klagende Lied - (Gatti, ONF, Théâtre du Châtelet 2009)


1. Une lourde décision

Je ne me suis décidé définitivement à me rendre à ce concert qu'au dernier moment. Cela m'a valu de me retrouver pour pas cher dans l'une des meilleures places du théâtre, bordé d'une aristocratie économique qui était inconnue du provincial ingénu, et qui ne parlait que séjours en Côte d'Azur, de manifestations culturelles en Autriche et de mauvais temps sur New York.

L'hésitation tenait au fait que Das Klagende Lied m'était apparu difficilement digeste au disque, y compris en essayant de faire autre chose - mais après tout, il s'agit quand même d'un des compositeurs les plus orchestrelement inspirés, dont la plus-value physique en concert est considérable.

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2. Spécificités acoustiques

Suite de la notule.

samedi 24 octobre 2009

[représentation] Die Tote Stadt ("La Ville Morte") de Korngold à l'Opéra Bastille

On ne peut pas parler de tout, aussi un rapide commentaire en fait l'éloge dans le fil de la saison.

Suite de la notule.

jeudi 8 octobre 2009

[podcast] Une tentative d'Histoire de la mélodie française



(Télécharger le son.
[Les sons ont aujourd'hui été désactivés, la transcription figure ci-dessous.])


Voici une petite improvisation qui était destinée à être distribuée sous forme de 'podcast', pour faire patienter les lecteurs de CSS durant la vacance du pouvoir lutinal (à la mi-août). Il se trouve que le son très mauvais (c'était juste un test, qui s'est révélé plutôt adéquat sur le contenu, mais le micro était trop mal placé, sous la table de travail près du ventilateur de la machine...) m'a dissuadé de le publier tel quel. En voici donc le réenregistrement ci-dessus et la retranscription ci-après.

J'ai ajouté les titres pour se repérer dans le flux verbal oral, et j'ai retouché une ou deux structures bancales. Je mets à disposition l'original, pour entendre l'improvisation (mais il est presque inaudible d'un point de vue technique), et la nouvelle version, où je lis cette fois les présentes notes.
On remarquera que je m'appuie beaucoup sur le parallèle entre les deux genres. On pourra se reporter aux propos sur l'histoire du lied pour mieux en profiter.

Il faut bien concevoir qu'il s'agit d'un petit parcours informel, sur le mode de la conversation : il y a donc un certain nombre de glissements, voire de digressions ; de répétitions, voire de martèlements, qui à l'oral servent à développer, à illustrer, mais qui fonctionnent nettement moins à l'écrit où l'on préfèrera des choses plus compartimentées et mieux délimitées. On se proposera peut-être de le faire prochainement. Dans l'attente, on pourra toujours suivre quelques-uns des nombreux liens ajoutés à la retranscription ci-après.

Qu'importe, c'est toujours un peu de matière.

Suite de la notule.

jeudi 17 septembre 2009

Goût parfait - le lied avec orchestre ?



Ecoutez bien jusqu'à l'accordéon final... Et encore, on vous a épargné la guitare électrique (sans saturation) de l'introduction.

Le projet est intéressant, mais pas sûr que ça fonctionne. A force de tout explorer, la sensation de bricolage guette.

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Par ailleurs, le retour en grâce des arrangements orchestraux de lieder a quelque chose d'un peu absurde par rapport à l'essence de ce genre :

  • soit une rencontre sans fard entre un texte et un compositeur, une badinage occasionnel ;
  • soit un laboratoire personnel d'innovations diverses.


L'arrangement pour orchestre permet certes de toucher un plus vaste public et de faire briller des chanteurs célèbres (particulièrement lorsque leur format est un peu lourd pour se plier aux nuances d'un concert avec piano solo). Cependant il fait perdre le relief du piano au profit d'une pâte nettement moins évocatrice, plus grandiloquente. Il y a alors comme une distorsion entre l'esprit de la composition et son arrangement. Et, pour moi en tout cas, ça fonctionne mal, même avec des orchestrations talentueuses dans le genre de Reger.

Il faut tout de même concéder que je rêve d'entendre Tristan pour dix musiciens, que je trouve le Crépuscule des Dieux meilleur en version piano / chant, que je raffole des petits formats dans les gros rôles dramatiques et que j'écoute les Symphonies de Bruckner pour deux pianos ou ensemble de chambre.
C'est peut-être un biais important dans mon ressenti ; néamoins il me semble que concernant le lied, sans condamner le moins du monde la transcription vu ce que l'on sait à présent, l'ajout d'un orchestre change vraiment quelque chose de sa nature profonde.


Le lied avec orchestre est d'ailleurs un genre au cahier des charges assez distinct, où la musicalité et la qualité des lignes l'emportent sur le sens. Tous ne sonnent pas bien au piano solo : les Berg sont plus saillants encore lorsque réduits, les Strauss sonnent bien même sans orchestre, mais les Schreker, alors qu'ils étaient eux aussi initialement conçus sans visée orchestrale, gagnent considérablement - peut-être parce que leur écriture vocale s'apparentait déjà beaucoup au genre du lied orchestral.
Cela va aussi de pair avec l'évolution du lied, d'abord romance presque populaire (Mozart à Beethoven), ensuite rapport privilégié entre un poète et un compositeur (Schubert à Wolf - si on est généreux), enfin lieu d'expérimentations radicales, ou en tout cas prétexte à un épanouissement musical pur. Les Frühe Lieder de Webern, par exemple, prévus pour piano et chant seulement, chefs-d'oeuvre absolus de l'histoire du lied, entretiennent finalement un rapport (relativement) lâche, malgré leur poésie intense, avec les textes mis en musique.

Disons donc que le lied et le lied orchestral sont tout de bon deux genres distincts ; ou alors que le lied change à nouveau de nature après 1900, comme il l'avait fait après 1800. Comme on voudra.

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Vous avez écouté :

Suite de la notule.

dimanche 30 août 2009

Alma SCHINDLER-MAHLER - Autobiographie et publication du premier cahier de lieder (1910)

Suite à une conversation avec Jérôme en commentaires de la notule 'essai de discographie essentielle pour le lied', quelques précisions sur la nature de l'ouvrage autobiographique d'Alma disponible dans le commerce.

Accessoirement, son avis (sanglant) sur Schreker.


Oui, 'biographie', il est écrit...


Suite de la notule.

vendredi 21 août 2009

Mise à jour (bis)

Comme l'annonce a été un peu enterrée à la suite de la longue notule d'hier, revoici :

MISE A JOUR
De la notule d'introduction à Schreker (catalogue partiel et discographie indicative).

jeudi 20 août 2009

Découvrir le lied : essai de discographie réduite et essentielle

Lied et lieder, une discographie essentielle (essential discography)

(Remarques pratiques : Si le texte vous paraît trop petit, vous pouvez utiliser sous Windows la commande "Ctrl" + "+". Ou bien le zoom de votre butineur préféré. Par ailleurs, cet article se trouve également ici pour que vous puissiez, si cela vous paraît plus pratique, le télécharger sur votre disque dur pour consultation ultérieure... ou impression pour faire les courses ! Il apparaît en pleine page, beaucoup plus agréable à lire.)

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Pour prolonger notre série d'initiation au lied, on tente ici un essai de discographie très sélective, équilibrée autant que possible entre les époques, différents types de voix et d'interprétation, et tâchant de recouvrir aussi bien les incontournables célébrités du répertoire que les raretés souvent encore plus passionnantes.
Avec ces quelques disques, on peut estimer bien connaître l'essentiel du lied et bon nombre de ses meilleurs interprètes, chanteurs et pianistes. 

On a fait le calcul : si vous utilisez notre guide au plus serré, vous disposez de l'essentiel en 23 disques !


Quelques remarques formelles :

1) On a séparé les oeuvres que tout amateur de lied doit connaître de celles que nous estimons incontournables, mais qui ne sont pas forcément très connues (voire extrêmement peu, comme les lieder de Reger et Holl ou le cycle de Gurlitt...).

2) Le fond jaune indique qu'il s'agit d'un cycle de lieder avec orchestre (ou d'une interprétation avec orchestre). Cela n'a rien à voir avec une quelconque mise en valeur : souvent, les cycles orchestraux de lieder sont quasiment plus des poèmes symphoniques avec voix, plus musicaux que réellement une mise en musique d'un texte révéré.

3) On a essayé de diversifier les interprètes recommandés pour couvrir un spectre d'interprétations à la fois irréprochable et varié.

4) On adopte l'ordre chronologique d'exercice des compositeurs. (Entre parenthèses figurent les poètes et les labels.)

5) Lorsqu'on propose le choix entre plusieurs interprétations assez différentes et difficiles à départager, on essaie de placer la référence qui nous paraît la plus recommandable en premier.

Poèmes et traductions :

Dans le cas où il manquerait les textes (indispensables pour apprécier pleinement le genre), pas de panique, il faut consulter le site formidable d'Emily Ezust qui en contient énormément de traduits. Et s'ils y figurent non traduits, Google Traduction dégrossit un peu l'affaire. On essaie de préciser tout cela, mais nous n'avons pas tous ces disques sous la main à l'instant où nous rédigeons ces lignes...

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Compositeur

Oeuvre

Version

Commentaires

Indispensables célèbres

Première période : romantisme

Schubert

Die Winterreise

« Le Voyage d’Hiver »

(Müller)

Fischer-Dieskau / Moore

Prades 1955 (INA)

- Cycle fondamental, une marche dans et vers l'anéantissement.
- DFD dans ses meilleures années et dans un bon son, avec Moore concerné, la quadrature du cercle entre lyrisme et expression. Attention, pas de livret, il faut utiliser le site d'Emily Ezust, ou alors acheter plutôt la version Goerne / Johnson (Hyperion) avec traduction anglaise, ou pour une traduction française Fischer-Dieskau / Demus (très, trop lyrique). Goerne / Brendel, peut-être préférable à cette dernière, devrait logiquement comporter une version française.

Schubert

Intégrale

G. Johnson (Hyperion)

Une somme immense, à pricorer au gré des volumes disponibles séparément à la vente (l'intégrale existe d'un seul tenant, mais présentée de façon moins pratique - en mélangeant les interprètes et les sujets au profit de la chronologie - et surtout en ôtant les commentaires musicologiques et littéraires remarquables des notices de Graham Johnson). Traductions anglaises des textes allemands.

Schubert

Lieder (épiques et antiques)
(Schiller, Mayrhofer...)

Rolfe-Johnson / Johnson (Hyperion)

Deux volumes particulièrement aboutis de l'intégrale. Ils ont l'avantage d'être extrêmement convaincants tant au niveau des pièces que des interprètes, de ne pas être contemporains du Winterreise pour changer un peu les atmosphères, et de ne comporter qu'un nombre réduit de tubes, ce qui laisse ensuite toute latitude ensuite pour écouter ses interprètes favoris dans les standards dont on ne parvient pas à se débarrasser dans les récitals les plus courants... 

Schubert

Lieder (nocturnes)
(Goethe, Schiller, Ossian...)

Hampson / Johnson (Hyperion)

 

Schumann

Liederkreis Op.39

« Cycle de lieder » (Eichendorff)

Goerne / Schneider (Decca)

- Une sorte d'idéal romantique, sur des poèmes parmi les plus beaux de langue allemande, avec des teintes crépusculaires et mélancoliques, jubilatoires parfois aussi...
- Si l'on privilégie une version féminine, peut-être moins prenante mais tout aussi bien dite (quelques petites imperfections ici ou là, notamment au niveau de l'accent gallois), M. Price / Johnson chez Hyperion est également un excellent choix.

Schumann

Dichterliebe Op.48 

« L’amour du poète »

(Heine)

Fassbaender / Reiman (EMI)

- Une suite de miniatures ironiques sur l'amour déçu. 

- Fassbaender en accentue particulièrement la dérision amère ; le disque RCA, lui, contient en complément l'opus 90 et plusieurs lieder majeurs de Schumann. Enfin, la version disponible sur Carnets sur sol est tout aussi bonne et légalement gratuite, puisque ses droits d'auteur patrimoniaux et voisins sont arrivés à expiration.

 

ou Gerhaher / Huber (RCA)

ou libre de droits disponible sur CSS : Souzay / Cortot

Deuxième période : romantisme tardif
 

Wagner

Wesendonck-Lieder

« Lieder sur des poèmes de Mathide Wesendonck »

Minton / Boulez (Sony)

- Cycle de lieder sur les poèmes de la maîtresse de Wagner, épouse de son mécène d'alors. Ce sont largement des esquisses de Tristan und Isolde, également inspiré par leur relation. Le dernier lied a été orchestré seulement pour une sérénade d'orchestre de chambre sous les fenêtres de Mathilde, à l'occasion de son anniversaire. Les autres orchestrations (pas bien meilleures...) sont dues à Felix Mottl (l'assistant de Hans Richter pour la création du Ring). Cependant, l'oeuvre sonne mieux avec orchestre - au piano, on entend des silences et des redondances, un déséquilibre voix-piano aussi.
- Le problème réccurent est que la diction est totalement incompréhensible, ou alors avec peu de relief, chez la plupart des interprètes. La notre y échappe tout à fait, même s'il y a plus précis (Crespin / Prêtre chez EMI) ; la direction de Boulez fait de surcroît de l'orchestration là où il n'y en pas vraiment d'écrite.
- Le disque Sony est couplé avec de bons Rückert-Lieder, qui ne dispensent peut-être pas d'une version plus frémissante.

Brahms

Volkslieder

S. Genz / Vignoles (Apex)

Parmi les oeuvres très homogènes de Brahms (entre elles, et même à l'intérieur de chaque pièce), c'est là sans doute le corpus le plus avenant. Version très bien dite et chantée.

Troisième période : les mouvements décadents (postpostromantiques ou novateurs violents ou raffinés)

Wolf

Lieder
(Mörike)

Bär / Parsons (EMI)

- Les lieder les plus célèbres de Wolf, interprétés par une voix très claire (qui tient depuis des emplois parfois voisins du baryton dramatique, voire du baryton-basse !), très raffinée, idéal équilibre entre la simplicité et la sophistication. C'est précisément cette simultanéité bizarre qui est le propre de Wolf.
- Epuisé ou en voie d'épuisement, auquel cas on peut adopter le disque Goethe-Mörike de Kirchschlager / Deutsch Anakreons Grab (paru sous forme de livre-CD et sous forme CD).

Wolf

Spanisches Liederbuch

« Livre de lieder espagnol »

(Heyse & von Geibel)

von Otter / Bär / Parsons (EMI)

- Deux heures de lied sous sa forme populaire et joyeuse, mais toujours très travaillée chez Wolf. Sans doute le plus accessible de son corpus.
- Ce disque, un petit bijou vocal et verbal, est aussi épuisé ou en voie d'épuisement, auquel cas le disque Schwarzkopf / Fischer-Dieskau / Moore (EMI) est excellent... sauf en ce qui concerne les interventions de Schwarzkopf, pourtant d'habitude plutôt à son aise dans Wolf.

Mahler

Des Knaben Wunderhorn

« Le Cor merveilleux de l’enfant »

(Arnim & Brentano)

Bonney, Goerne (Fulgoni, Winbergh) / Chailly (Decca)

- Des Knaben Wunderhorn, fondé sur le recueil de poèmes populaires d'Arnim & Brentano, est aussi un recueil de chants au ton badin ou insolent, écrits et orchestrés brillamment par Mahler.
- Cette version est la plus complète du marché (car aucune ne contient absolument tous les numéros), soit un lied de plus qu'Abbado. C'est aussi l'une des plus spectaculaires orchestralement et des plus vivantes tout court. 

Mahler

Trois cycles :
- Lieder eines fahrenden Gesellen

« Chants d’un compagnon errant » 

(Mahler)

 - Rückert-Lieder 

« Lieder sur des poèmes de Friedrich Rückert »

(Rückert)
- Kindertotenlieder 

« Chants sur les enfants morts » (Rückert)

Hampson / Bernstein

(DG, existe également en DVD)

- Trois éléments indispensables de l'histoire du lied orchestral, conçu comme tel dès l'origine, même si Mahler est passé par une particelle (= version piano non destinée à publication), alors que la plupart des exemples précédents sont des orchestrations a posteriori, une fois la carrière des partitions faite en piano / voix.
- Il y a de surcroît quantité d'anecdotes attachées à leur composition dans la vie personnelle de Mahler, ce qui contribue d'autant plus à leur célébrité.
- Interprétation extrêmement incarnée, difficile de trouver beaucoup mieux.
- Moins cher, Henschel / Nagano, assez dans le même genre et avec le même programme, a paru chez Apex. Les petites budgets peuvent y aller voir aussi (sans attendre les textes qui sont chez DG...). On peut aussi citer, dans des cycles dépareillés, Siegfried Lorenz, Waltraud Meier, Dietrich Fischer-Dieskau, Brigitte Fassbaender, etc. Mais on préfère s'en tenir au plus petit nombre de disques possible, pour constituer cette discothèque 'essentielle'.
Mahler Das Lied von der Erde
"Le Chant de la Terre"
(Poètes chinois massacrés)
Thorborg / Öhman (parfois graphié Öhmann) / Schuricht
(domaine public, disponible sur CSS)
- Mahler rechignait à écrire une dixième symphonie, du fait de l'image de la malédiction qui pesait dessus depuis Beethoven et Schubert ; aussi, après sa Huitième, il imagine de présenter autrement sa prochaine grande fresque chantée, sous le titre de Lied, alors qu'il s'agit bien dans son esprit d'une symphonie - c'est au demeurant amplement autant une symphonie que la Huitième (pas moins en tout cas...).
Il utilise l'adaptation allemande de poèmes chinois assez méconnaissables, pour certains à partir d'une traduction française... avec de surcroît des ajouts de sa propre fantaisie ici et là.
- La version Schuricht dispose d'une atmosphère extraordinaire,  et le son est tout à fait bon pour l'époque (à part pour l'incident fameux de l'exaltée néerlandaise probablement nazifiante qui vient prononcer un petit slogan près du micro avant de sortir : on l'entend à peine, ce n'est absolument pas une gêne à l'écoute).
Pour les oreilles sensibles ou les âmes délicates, Klemperer, dans un tout autre genre, plus charnu mais sans sa lourdeur coutumière, est un enchantement.
[pour ceux qui n'aiment pas les versions anciennes :
Ludwig / Wunderlich / Klemperer (EMI)]
R. Strauss Vier Letzte Lieder
« Quatre derniers lieder »
(3 Hesse et 1 Eichendorff)
Te Kanawa / Soli (Decca) - Dans le versant ultralyrique et assez sirupeux du Chevalier à la Rose et d'Arabella, le grand classique du lied orchestral. D'une beauté hors du commun, il faut bien le reconnaître.
- Parmi les pléthoriques excellentes versions (Grümmer / R. Kraus, Stemme / Pappano, Janowitz / Karajan, Norman / Masur, Popp / Tennstedt, Della Casa / Böhm, Mattila / Abbado, Fleming /  Thielemann, Pollet / Weise, etc.), on a choisi celle-ci comme le meilleur équilibre entre la diction (secondaire mais appréciable), l'expression, la ductilité - et la présence de l'orchestre. De surcroît, le couplage avec d'autres lieder orchestrés de Strauss (nettement moins essentiels) correspondait mieux à notre projet que les autres couplages. Mais chacun peut aller voir ses chouchous et ne manquera pas de le faire s'il en a.
Berg Sieben Frühe Lieder
« Sept lieder de jeunesse »
(divers poètes)
von Otter / Forsberg (DG)
(version piano)
- Les Frühe Lieder sont encore dans un ton très décadent à la façon de Schreker ou du jeune Webern, tarabiscoté mais tout à fait dans une logique tonale. On préfère recommander la version piano, pour mieux goûter les délicieuses alternances tension-détente de l'harmonie, et tout l'intimisme sophistiqué de leur ton, mais ils ont été orchestrés par Berg vingt ans plus tard (très belle chose également).
- Les Altenberg-Lieder, eux, sont déjà du côté des recherches d'avant-garde de Berg, et appartiennent vraiment au coeur du vingtième siècle (les strates alla Schreker se font de plus en plus libres et inquiétantes). Le texte chanté est très bref, et l'orchestre tient la première place (souvent l'introduction, les ponctuations et la conclusion sont plus longues cumulées que la partie chantée...). Le travail orchestral tient véritablement de l'orfèvrerie, mais l'on n'est finalement plus dans le lied. [C'est d'ailleurs une constante : après Wolf, le texte, même s'il est très soigneusement choisi, devient de plus en plus prétexte à une expression essentiellement musicale. C'est aussi lié aux langages musicaux de plus en plus libres qui s'accommodent mal des inflexions naturelles de la voix parlée. Et à la prédominance au fil du temps du lied orchestral - un contresens d'une certaine façon par rapport à la nature initiale du lied.]
- On a choisi deux versions superlatives, mais qui ont le défaut d'être séparées, pour deux cycles assez court. Il est donc possible, pour économiser, d'acquérir en un seul volume Banse (Frühe) / Marc (Altenberg) / Sinopoli  (Teldec, avant que ce soit épuisé...), avec une direction extraordinairement précise et intense de Sinopoli, mais Marc vraiment en difficulté vocalement (ça criaille, même si ce n'est pas grave ici - mais on est loin de la magie de Price) ou Balleys / Ashkenazy (Decca), très détaillé, assez sombre et un peu froid (mais peut-être plus préférable car plus équilibré). Tout cela est excellent et, pour le coup, ce sont les versions orchestrales des Frühe Lieder, moins essentielles, on l'a dit, mais c'est une économie possible.
Berg Altenberg-Lieder
« Lieder sur des poèmes de Peter Altenberg »
M. Price / Abbado (DG)
Quatrième période : modernités et contemporanéité
Cycles contemporains Il existe bien sûr des cycles intéressants plus récents (en particulier Rihm), mais ils nous paraissent moins essentiels, aussi bien du point de vue de la célébrité que de leur intérêt intrinsèque. Il faudrait plutôt aller chercher du côté de la mélodie française symphonique : Poèmes pour mi de Messiaen, La Geôle & Deux Sonnets de Jean Cassou de Dutilleux, Pli selon pli (voire Le Soleil des eaux) de Boulez pour rencontrer des choses vraiment indispensables. Et qui, esthétiquement, doivent bien plus au lied que de la mélodie française. 
Au moins aussi indispensables, mais moins connus et commentés
(donc moins utiles pour nourrir la conversation, et peut-être moins urgents pour le néophyte qui voudrait pouvoir échanger)
Première période : romantisme
Wieck-Schumann Lieder Högman / Pöntinen (BIS) - Entre Schubert et Schumann, et certainement pas inférieure, inspiration et poésie au sommet. - Version superlative pour l'investissement des deux partenaires, la poésie et l'évidence du tout : peut-être le plus beau disque de lied du marché. Couplé avec d'autres indispensables de Fanny Mendelssohn-Hensel et Alma Schindler-Mahler, donc très économique.
- Pour aller plus loin : intégrale Gritton / Loges / Asti (Hyperion) ou  Craxton / Djeddikar  (Naxos). 
Deuxième période : romantisme tardif
On pourrait sans doute parler des lieder de Liszt, mais faute de disques vraiment monographiques (il n'y en a presque pas !), et surtout faute que le corpus soit totalement majeur (même s'il est passionnant !)... on s'abstiendra, en le mentionnant simplement pour mémoire.
Troisième période : les mouvements décadents (postpostromantiques ou novateurs violents et raffinés)
Reger Duos Op.14
(divers poètes dont Eichendorff)
Klepper / M. Borst / Deutsch (Capriccio) - Attention, cela dure à peine un quart d'heure, mais c'est un sommet de délicatesse, le cycle de duos à connaître dans le répertoire du lied.
- Version remarquable avec pianiste remarquable. Couplé avec d'autres duos (intéressants) dans le domaine du lied également.
Reger Lieder May / Renzikowski (Arte Nova) - Ce disque parcourt l'ensemble de la production de Reger, de puis la jeunesse jusqu'à la maturité, et révèle un raffinement décadent dont on n'imaginerait pas capable l'auteur des poèmes symphoniques rondement et tristounettement postromantiques. Un corpus majeur, tout un monde ; dans le même goût que Wolf si l'on veut, mais infiniment plus travaillé et personnel.
- Excellente interprétation, sobre mais habitée.
Schindler-Mahler Lieder
(dont
Novalis et Dehmel)
Högman / Pöntinen (BIS) - Un corpus vertigineux, dont on ne connaît malheureusement que très peu de titres, ceux publiés par Alma de son vivant (on se rappelle que son mari lui avait défendu la composition). C'est véritablement l'une des fulgurances les plus étonnantes de l'histoire de la musique, en pointe de la modernité et de l'invention chez les décadents, bien plus moderne (et, disons-le, plus génial) que Mahler dans les mêmes années, par exemple. A connaître absolument, quasiment tous ceux qui l'ont découvert ont été conquis... 
- Disque superlatif décrit plus haut (Clara Wieck-Schumann) et qui contient aussi du Fanny Mendelssohn-Hensel, donc un véritable achat économique et forcément enthousiasmant.
- Pour aller plus loin : intégrale (de ce qui était alors publié) Ziesak / Vermillion / Elsner / Garben chez CPO.
Langgaard Lieder Dahl / Stærk (Da Capo) - Un corpus étrange, avec une sorte d'hypertophie du discours, quelque chose d'assez véhément et épique, dans un langage qui reste relativement postromantique. Assez insolite, cette manière de traiter la petite forme avec les moyens de la grande, y compris sur la durée assez étendue des pièces.
- Belle interprétation pour pas cher (la seule au disque).
Webern Intégrale Oelze / Schneider (DG) - Dans le coffret de la seconde intégrale Boulez de Webern, la véritable intégrale qui contient (à peu près) tout en deçà des numéros d'opus, on trouve cette intégrale des lieder, par un couple de rêve (ductilité et naturel... surnaturels d'Oelze dans cette musique si difficile, et rondeur très assurée chez Schneider). Les premières oeuvres sont les plus intéressantes, de la tonalité stricte des Frühe Lieder à l'atonalisme libre des autres premiers cycles. Le sens de l'atmosphère de Webern, sans s'attacher plus que cela au mot en tant qu'unité, est proprement exceptionnel. Peut-être l'ensemble le plus émouvant, le plus prenant depuis Schubert... Rien de sombre dans ces premières pièces, juste une sorte de lassitude chaleureuse, comme accablée sous un été gorgé de soleil. A connaître absolument.
Gurlitt Vier dramatische Gesänge
« Quatre chants dramatiques »
(Hardt, Goethe, Gerhart Hauptmann)
Oelze / Beaumont (Phoenix) - Ici aussi, peut-être l'exemple le plus réussi de lieder orchestraux, car le texte est au coeur du traitement de Gurlitt, qui choisi quatre extraits fondamentaux du théâtre allemand pour en faire un traitement relativement récitatif, mais toujours lyrique.
- Oelze participe bien entendu largement à la réussite de l'entreprise par la justesse de son ton mélancolique mais détaillé. (On se souvient qu'Antony Beaumont avait écrit une fin alternative à celle de Philipp Jarnach pour le Doktor Faust de Busoni...)
Schreker Vom ewigen Leben
« De la vie éternelle »
(sur traduction allemande de Whitman)
Barainsky / Ruzicka (Koch) - Dans le versant purement instrumental du lied avec orchestre, un complément très bienvenu au Vier Letzte Lieder, bien plus sinueux et sophistiqué, moins direct aussi. Une orgie orchestrale du meilleur Schreker. [Il s'agit en réalité de l'orchestration de ses deux derniers lieder.]
- Peu de versions disponibles (déjà rares) sont satisfaisantes, celle-ci l'est pleinement.
Korngold Lieder Kirchschlager / Deutsch (Sony) - Beaucoup de poèmes anglais en VO (y compris du Shakespeare) dans les deux cycles proposés dans ce disque, mais Korngold mérite tout de même d'être mentionné, vu son esthétique, en tant que compositeur de lied. Extrêmement tonal, se fondant sur la plénitude des harmonies et des tensions-détentes, il serait assez à comparer à Mahler sans les grincements ou à R. Strauss sans le sirop, pour ces oeuvres-là.  (Leur date de composition est très tardive - années 40, et la conception de ces cycles a donc eu lieu en Amérique où Korngold s'installe comme compositeur de film dès 1934.)
- Magnifique interprétation, ronde, fruité, très dite, très maîtrisée aussi ; avec un piano présent et inspiré.  Il s'agit du premier récital discographique de Kirchschlager - son meilleur au demeurant, et d'une audace programmatique plus que notable, puisque ces Korngold sont couplés avec le premier cycle d'Alma Schindler-Mahler et des extraits de Des Knaben Wunderhorn de Gustav Mahler en version piano. 
Quatrième période : modernités et contemporanéité
Holl Lieder Holl / Jansen (Sonder) Robert Holl est surtout connu comme chanteur (encore en activité), mais son inspiration comme compositeur apparaît bien supérieure à celle de sa (bonne) qualité d'interprète. C'est une lecture très noire du lied, extrêmement tourmentée et qui reste cependant tonale ; cela se rapproche beaucoup de la couleur de Křenek (en mieux), ou du Berg des pièces orchestrales Op.6 et des Altenberg. En réalité, il s'agit d'un héritage direct de la décadence radicale, et ce n'est pas véritablement de la musique typée XXIe siècle que l'on entend là (encore qu'il y ait aujourd'hui beaucoup de courants postmodernes, néotonals ou syncrétiques - majoritaires d'ailleurs sur la stricte atonalité). Il n'empêche que pour le coup, on dispose d'un traitement étroit du texte et non pas de volutes abstraites ou d'une succession d'effets, et par conséquent, cela marche bien mieux pour le lied.
En tout état de cause, il s'agit d'un très bel ensemble. On peut s'en faire une idée sonore sur son site personnel (les CDs ne sont de toute façon pas faciles à trouver dans le commerce) ; et pour en savoir plus... on peut lire CSS. Ceci, par exemple.
Jalons historiques
(Pour comprendre les origines du lied, mais pas majeur du tout.
On s'est limité aux très célèbres, mais C.P.E. Bach, Zelter et Loewe peuvent permettre de comprendre également des choses.)
Mozart Intégrale Ameling (Philips) - Des miniatures très naïves, vraiment sous forme de romances. On se trouve vraiment au moment où la chanson populaire fusionne avec la bluette de salon (ou plutôt juste avant, puisqu'on est encore dans quelque chose de galant).
- Très belle interprétation souple et gracieuse d'Ameling, mais la version de l'intégrale Brilliant Classics (avec Claron McFadden pour moitié), de surcroît pour partie avec pianoforte (ce qui devrait procurer un brin plus de relief) devait tout à fait faire l'affaire, inutile de se mettre en dépense.
Beethoven An die ferne Geliebte
(Jeitteles)
Goerne / Brendel (Decca) - La première oeuvre expérimentale du lied : le ton est très simple, sans affèteries, mais il s'agit d'un cycle continu où chaque lied s'enchaîne directement aux autres (la partition ne marque d'ailleurs aucune discontinuité), comme un tout. De surcroît, le travail malicieux (mais pas drôle non plus, entendons-nous bien, c'est Beethoven), presque expérimental, sur le matériau musical, le retour de thèmes, la manière de variations sur les motifs déjà énoncés, l'unité générale, tout cela fait véritablement de la chanson légère une oeuvre à part entière, destinée à ceux qui sont capable de l'apprécier - et non plus l'importation de thématiques populaires, même s'il en est encore question.
L'oeuvre en elle-même n'est pas d'une beauté bouleversante, mais sa modernité presque insolente est vraiment impressionnante - et fondamentale pour la suite.
- On propose une excellente version, profonde et intériorisée, couplée qui plus est au Schwanengesang de Schubert, autre morceau majeur du répertoire - une économie de plus !

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Mais... à part l'allemand ?

On a  délibérément écarté les autres langues germaniques, scandinaves et nordiques du corpus, pour des raisons de vastitude de l'entreprise, de documentation disponible moindre... et surtout de nature. Le ton des mélodies nordiques est extrêmement différent du lied ; on parle d'ailleurs de mélodies scandinaves...  Et à juste titre, car il s'agit plus de miniatures rondes et un peu populaires. On pourrait presque parler de chansons (en conservant la mélodie pour le salon poétique à la française). 

Pour ceux qui sont intéressés, on peut déjà indiquer quelques pistes, comme Toivo Kuula pour la part finnoise et la remarquable anthologie Aulin / Rangström / Nystroem / Alfvén / Larsson (et accessoirement Alqvist /  Frumerie / Linde) d'Anne Sofie von Otter et Bengt Forsberg, extrêmement représentative de la meilleure école suédoise (récital « Watercolours  » chez DG). Grieg et Sibelius nous paraissent moins urgents. 

Il manque bien entendu, au sein même des compositeurs de langue allemande, un nombre important de corpus, mais nous les détaillerons plus volontiers dans un autre tableau en préparation, qui tentera de rassembler tous les excellents enregistrements de lieder de notre connaissance, tous compositeurs confondus, destiné donc à ceux qui connaissent déjà le répertoire, ou qui veulent partir à l'aventure, collectionner, etc. 

On a aussi remarqué non sans une indicible horreur, à l'heure de publier ce petit récapitulatif, qu'il nous manquait Erwartung et Pierrot Lunaire de Schönberg. Faute d'avoir été séduits par le premier en quelque circonstance que ce soit, les lutins ne citeront pas de versions pour l'heure, et chercheront. Pour Pierrot Lunaire, la version DeGaetani / Weisberg (Nonesuch) s'impose absolument : les autres versions, trop parlées, trop chantées, trop minaudées, ne nous ont jamais convaincu, alors qu'ici tout prend évidence et poésie.
On tâchera de mettre le tableau à jour en conséquence, mais pour l'heure, il se peut que nous n'en ayons pas le loisir.

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La recommandation des lutins ?

Voici à  à notre gré, sans considération de célébrité, les corpus les plus intéressants, par ordre chronologique : Schubert / Schumann / Wieck / Reger / Schindler / Gurlitt / Webern  / Holl. 


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Pour aller plus loin qu'une discographie ?

Un certain nombre de ces oeuvres et la plupart de ces compositeurs ont été abordés sur Carnets sur sol ;  on peut y accéder : 

- par l'index (pratique, mais encore incomplet) ; 

- dans la série d'introduction au lied

- dans la catégorie indépendante, consacrée à la mélodie et au lied

- en effectuant une recherche dans le petit moteur de la colonne de droite ('Fouiner').

N'hésitez pas, parce qu'il y a très probablement du matériel autour du corpus qui vous intéressera. Et amusez-vous bien. 

Mise à jour

De la notule d'introduction à Schreker (catalogue partiel et discographie indicative).

jeudi 16 juillet 2009

Comte de vampire

Premier épisode ici, pour bénéficier du contexte culturel et générique, et d'une vue d'ensemble de la structure.

Au programme aujourdhui :
Rapports à la science et impossibilités théologiques, habiletés structurelles et réécriture spectaculaire. On ne se refuse rien, parfaitement.


Le début de l'opéra Der Vampyr de Heinrich Marschner sur le livret de Wilhelm August Wohlbrück d’après Polidori (développement de l’ébauche de Byron) notamment.
Ici, une version de chambre du Grachtenfestivalorkest (sous la direction de Peter Biloen), l’année dernière à Amsterdam. Vous entendez Henk Neven, remarque dans tous les répertoires, de la tragédie lyrique à Schreker, en Lord Ruthven (air d’entrée d’espoir dans sa mission puis d’éloge au sang ; duo avec Janthe, sa première victime ; « résurrection » au clair de lune grâce à son débiteur Edgar Aubry). Janthe : An De Ridder ; Aubry : Brad Cooper.
Vous pouvez également charger une version libre de droits (radio viennoise). Dans cette notule, on opère un pont avec Don Giovanni qui pourrait aussi se soutenir dans certains endroits de Dracula.


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4. Le fantastique et la science

On en était resté sur la classification difficile selon le genre fantastique : ici, pas d’hésitation entre naturel et surnaturel ; tout le roman, annoncé comme véridique par l’éditeur fictif qui aurait recueilli les documents (on ne sait pas véritablement qui ni pour en faire quoi, même si on peut imaginer un legs des héros destiné à éveiller la vigilance des hommes), est au contraire tendu vers la démonstration irréfutable de l’existence des vampires.
Il s’agirait donc plus d’un avatar néogothique du type « merveilleux horrifique », un récit épique où les fées ou les géants sont remplacées par des démons.

Cependant, l’esprit du fantastique n’est pas si loin. Précisément parce qu’il s’agit d’une démonstration.

Dans un récit merveilleux, on accepte, le temps de l’ouvrage, que les dragons existent, et qu’on les tue tout naturellement en leur perçant le coeur avec une épée reçue de la main des dieux. Siegfried ne paraît guère ému de rencontrer un hideux reptile au coin du chemin – ce n’est jamais qu’un dragon, on ne va pas non plus en faire un fromage.

Dans le Dracula de Stoker, au contraire, l’auteur, via les différents rédacteurs des lettres et journaux, effectue sans cesse un passage du doute à la certitude, du scepticisme méthodique à l’évidence empirique. En cela, et indépendamment du fait qu’au bout de l’oeuvre l’existence des vampires est formellement attestée par ces gens sympathiques et éclairés, il reste toute la démarche du fantastique : le balancement du doute. Longtemps, les choses ne sont pas nommées (il faut attendre plus de la moitié de l’oeuvre pour voir écrit le mot « vampire »).

Et alors que le merveilleux néglige la modernité, plante son décor dans d’autres mondes ou dans des époques reculées, ici au contraire toutes les innovations sont utilisées : on utilise un enregistreur audio pour écrire son journal, on sténographie, on tape à la machine, on télégraphie, on prend le train... Tout cet attirail scientifique n’empêche pas, et au contraire légitime, les superstitions des autres âges. Ainsi un professeur spécialiste des maladies mentales et même de la chirurgie du cerveau va, dans le secret, exploiter les connaissances intuitives des vieux grimoires sur les êtres de l’Autre monde (ou plutôt de l’entre-deux-mondes), et seule la tradition de l’ail et de l’hostie pourra protéger les aventuriers malgré eux. [Cela pose d’ailleurs d’autres problèmes de cohérence au sein du genre lui-même, on verra ça plus loin.]

Et cela cadre bien avec le fantastique, qui dans un monde dominé par des figures positivistes, souhaite tout simplement réhabiliter l’instinctif et le flou au sein de l’imaginaire humain – au moins le temps d’une lecture. Le professeur Van Helsing a bien souvent des mots durs sur les scientifiques qui à force de ne croire que ce qu’ils ont expérimenté, nient les vérités qui dépassent l’entendement humain. C’est presque le seul élément idéologique de l’oeuvre, qui reste avant tout un divertissement construit avec soin (malgré des manques évidents) : une défiance contre l’usage de la modernité déconnecté de la tradition.

Cela conduit cependant à quelques tensions insolubles – inhérentes à ce type de bidouillage supersticieux autour de l’âme, mais renforcées ici par une forme d’empirisme scientifique.

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5. Vampirisme et foi

Mon objet, en rendant compte de cette lecture insolite, n’est pas de dresser une dissertation sur les incompatibilités potentielles dans le triangle superstition / foi / raison. D’autant plus que c’est là une faiblesse du texte de Stoker : aucune perspective philosophique n’est tirée de la situation. On a la fable en trois étapes qu’on a rapidement retracée, et il faut s’en contenter.

Toutefois, la dimension pudiquement victorienne de ce roman amène quelques questions.


Les démons commandent aux nuées dans les Carpathes et au delà.


Tout ce qui peut rapprocher le vampire de sa signification dans la mythologie (la source que rappelle en partie Polidori et qu’appliquent Wohlbrück / Marschner) est tu. On se retrouve donc avec un être dont l’existence paraît bien arbitraire, malgré tous les efforts de raisonnement complaisant du lecteur.

A de rares exceptions près (vampirisation de Jonathan Harker et première vampirisation de Mina Harker), toute la volupté et toute la fascination qu’exerce la figure du vampire sont tues. Il parle peu, et n’apparaît guère que pour frapper – loin de Lord Ruthven et de ses stratagèmes mondains. Ainsi, toute la dimension prédatrice liée à la virilité de la figure du vampire disparaît ; la métaphore du séducteur qui ravit la chair en emportant l’âme, prêt à escalader n’importe quelle fenêtre et à laquelle il ne faut à aucun prix ouvrir, sous peine de ne plus résister à son pouvoir, par fascination ou par force – est à peu près totalement occultée. Certes, il s’agit là d’un conte de bonne femme qui réutilise à des fins morales une croyance plus ancienne et plus essentielle, liée aux frontières entre les mondes (les esprits errant sans sépulture, dès les Grecs, ne réclamant que l’accès à l’Enfer). Mais dans un cadre romanesque, on aurait gagner à donner plus d’épaisseur et pour tout dire de charme à une figure très schématique dans ce roman, uniquement moteur de l’intrigue.
Plusieurs autres explications culturelles existent, moins propres au romanesque, comme la pathologie porphyrique, qui peut faire prendre un aspect effrayant (nécrose de la lèvre qui découvre les dents, blanchissement du teint... exactement les symptômes cliniquement rapportés par Stoker... à ceci près que les dents et les ongles rougissent là où Dracula a un émail diamant gourmand) et a pu être assimilée à une possession.

Cependant, non content d’écarter cette épaisseur-là, Stoker met en relation ses damnés à lui avec un anglicanisme strict. Il commence très habilement par faire excuser son premier narrateur (Jonathan Harker, dans son journal transylvain) de prêter une importance magique païenne à des accessoires du culte (remis pour le protéger par les villageois qui le pleurent déjà). Mais par la suite, il se contente de mettre dans la bouche de ses personnages, et en particulier de la dernière victime Mrs Harker, des professions de foi renouvelées.

Cela pose un réel problème de foi, précisément. C’est un véritable désordre dans la Création, au point qu’écrire un tel livre mérite ni plus ni moins que l’excommunication. On dispose d’êtres en quelque sorte créés par le diable, et qui sont damnés sans avoir commis le moindre péché, ce qui va en contradiction manifeste non seulement avec l’échelle des valeurs chrétiennes (il n’est même pas question de Grâce, ni de près ni de loin dans le propos du roman...), mais surtout avec la nature même de Dieu, dont la miséricorde se trouve quelque peu mise à l’épreuve. Il ne s’agit plus de la théorie de la retraite du monde, laissé avec la liberté en apanage aux humains (ce qui pose déjà quelques problèmes logiques, puisque les maladies virales ou congénitales, par exemple, font partie du cadeau), qui serait en quelque sorte une épreuve avant la juste rétribution dans l’Autre monde ; ici, les créatures de Dieu sont laissées en pâture à d’autres forces qui leur piquent leur âme sans pacte, contrepartie ni péché.

C’est de la fantaisie pure, et ce qui pourrait finalement fonctionner dans un univers décléricalisé, est ici rendu absolument incohérent par la récurrence des prières ferventes : elles ne sauvent pas l’âme des croyants sincères et des hommes bons, et finalement les personnages s’en remettent à la miséricorde et, en dernière instance, à la volonté de Dieu, c’est-à-dire à être envoyé dans les Enfers pour prix de leur foi et de leur bonté terrestres. La présence de ces poussées de foi, même si elles ont quelque chose d’assez joli dans leur pathétique (même Dieu ne peut les sauver, ils doivent se débrouiller comme des grands tout seuls contre l’Enfer, et faute d’avoir une chance quelconque de réussir, il faut bien y aller quand même pour passer le temps qui reste), rendent facilement autant invraisemblable les récits de vampire que le raisonnement rationnel – contre lequel Stoker est plus appliqué.

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6. La première vertu : subtilités narratives

Ce qui sauve l’oeuvre, en fin de compte, et maintient le caractère agréable de sa lecture, se trouve plutôt dans une manière assez originale (bien que loin d’être révolutionnaire à cette date) et efficace.
On a déjà parlé de la structure même du récit, fondé sur l’entrelacement de sources différentes. Pourtant, loin de mettre à distance le lecteur, cette succession rapide de narrateurs distincts parvient à l’introduire de plus en plus avant dans l’histoire.


Certains se font retrouver dans des abbayes et non près des fontaines.


Le tout début demeure très extérieur : on se trouve face à un personnage nouveau, un peu peureux, une sorte de voyageur ingénu assez proverbial. Typique du début de récit de voyage extraordinaire, qu’on trouve par exemple dans le récit inséré du marquis de Las Cisternas dans le Monk dont il était question récemment.
Rien de très saillant ni de très personnel dans sa psychologie. Les notes de voyage accentuent cet effet : il existe un décalage manifeste entre le moment de la narration et le moment des actions. On n’écrit pas dans les cahots de la route le voyage qu’on n’a pas encore fait. Donc il sera suffisamment sain et sauf pour pouvoir écrire ensuite.

Au fil du séjour chez Dracula, beaucoup du texte concerne le fait même d’écrire, le moment choisi volé à la journée ou à la peur. C’est donc beaucoup plus une écriture instantanée, de plus en plus fréquemment dans les journées, et ce caractère immédiat va peu à peu se systématiser.

Dans le même temps, alors qu’il s’agissait d’un journal de voyage relativement banal dans sa forme (parfois négligée, comme ces dialogues sans marques typographiques), se glissent des éléments qui, l’air de rien, ne relèvent plus du tout du journal intime. « Tous ceux qui ont vécu cet instant me comprendront » peut encore être une formule qui s’adresse à soi, mais « Qu’on me permette d’exposer des faits – dans toute leur nudité, leur crudité, tels qu’on peut les vérifier dans les livres et dont il est impossible de douter. » (chapitre III, date du 12 mai), clairement, s’adresse à un auditoire plus vaste qu’à sa future épouse à qui il est susceptible de faire lire le journal.
Cette formule rhétorique, l’air de rien, en plus de rendre son récit moins distant, fait glisser sa position singulière vers une mission universelle, et surtout fait parler dans un présent (pas le temps verbal) très urgent : effectivement, il peut être fauché à tout moment, il écrit tous les faits sur le vif.

Presque imperceptiblement, le compte-rendu assez factuel et impersonnel des premières pages, presque sous forme de notes (beaucoup de phrases nominales), se met à utiliser un prétérit très narratif : Harker ne fait plus un compte-rendu de voyage, ils nous raconte... un roman.


Le château de Bran, où Vlad Ţepeş ne demeura que quelques jours, devenu un lieu touristique en raison de son aspect relativement conforme, vu depuis le bas de la falaise, avec celui du comte Dracula.


Le comble de la posture narrative intervient vers la fin du journal, où l’injonction « Hark ! » (« Ecoute(z) ! » ) ne cache même plus la mise en scène...

Je précise tout de même que j’ai lu, peut-être bien à tort, l’oeuvre dans une édition française, et que le développement de certaines expression fait perdre le style en densité – et accentue ces discordances. Ainsi « hark » se trouve traduit par « écoutez » et « let me » par « qu’on me permette », ce qui force un peu le glissement déjà présent dans le texte original.

Par ailleurs, cet poussée depuis le journal intime vers une narration romanesque demeure sensible, une fois acquise, dans le reste du roman. Très habile façon pour l’auteur de rendre crédible son dispositif initial, sans nuire en quoi que ce soit à la force d’illusion romanesque qu’il souhaite obtenir au bout du compte. Une jolie manière progressive d’atteindre le langage qu’il avait désiré, tout en lui conservant l’aspect extérieur qu’il prétend.

Cela n’empêche pas, au demeurant, un certain nombre de jeux, notamment avec des références (Mille et une nuits et Hamlet sont tout à fait explicites).

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7. Réécriture

Pour terminer, j’en viens au chapitre connu sous le nom de Dracula’s Guest, qui ne figurait pas dans l’édition originale, mais qui est peut-être une ébauche antérieure au roman. Dans un genre beaucoup plus narratif (et, il faut bien en convenir, beaucoup plus élégant et beaucoup plus prenant), un vrai récit assumé cette fois, à la première personne également, un personnage (qui n’est pas, comme on le lit parfois, Jonathan Harker) effectue une balade pédestre pendant la Nuit de Walpurgis sur le chemin du château de Dracula (mais on est encore dans la forêt... munichoise).


Des vallons roumains transylvains comparables à ce qu'on imagine, de jour, du paysage du village abandonné dans L'Invité de Dracula.


On se situe au moment même où débute l’oeuvre intégrale, mais il se passe autre chose. Il est étonnant de voir comme Stoker redéploie le même matériau de façon totalement différente.

On y retrouve la marche à pied interdite, les chiens hurlants tout autour, l’orage, le vers de la Lenore de Bürger, le flacon d’eau-de-vie, la neige prompte... mais d’un usage totalement différent. L’épaisseur du personnage (un gentilhomme, et brave, cette fois-ci) est nettement plus importante, avec un humour bienvenu (pour exprimer son calme : « Mon sang anglais me monta à la tête ») ; le mystère qui l’entoure bien plus grand, car mêlant de multiples choses mystérieuses, concrètes ou surnaturelles (alors que dans le texte définitif on finit facilement par comprendre que le « héros » est prisonnier d’un vampire, tout bêtement), et puis la morsure inexpliquée du loup à la gorge (mêmes symptômes que pour le vampirisme dans le texte intégral), le télégramme protecteur du comte Dracula, qui a prévu ses maux et a réussi à lui prodiguer des sauveteurs...

Peut-être Stoker a-t-il été quelque peu épouvanté par la richesse ambitieuse de ce premier chapitre (où déjà toutes les forces de l’enfer ont été visibles, plus encore que dans le roman tout entier), qui dévoilait trop, même sans expliquer, qui ouvrait trop de portes et d’enjeux. Toujours est-il que la lecture du roman paraît, après cette ébauche, assez chiche et mesurée (une aventure à la fois, surtout, ne nous dispersons pas...). Jusqu’à la langue, tout y est plus sec... et pendant toute l’oeuvre.
[Sans doute logiquement écrit avant (visiblement, les spécialistes ne sont pas décidés), ce chapitre isolé et abandonné paraît en fin de compte maîtriser infiniment mieux ses références et son pouvoir verbal.]

Mais pour qui voudrait simplement se faire une idée, la lecture du journal de Harker (quatre premiers chapitres), comparée à ce chapitre délaissé, permet de bien s’imprégner des tons distincts.

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Ce sera ici qu’on achèvera notre balade impromptue autour de cette oeuvre imprévue.

Et insolite pour les pacifiques lutins ascètes.

lundi 6 juillet 2009

Vers une victoire décisive

Pour geeks surtout, mais c'est amusant (et on donne les définitions).

La fin des LOLcats est-elle proche ?

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vendredi 26 juin 2009

Vidéos en pagaille

Arte nous gâte ces jours-ci, grâce à sa récente plate-forme web, qui diffuse gratuitement des choses appétissantes en parallèle de ses productions télédiffusées... Nous avons sélectionné Le Roi Roger de Szymanowski, les deux derniers récitals parisiens de Waltraud Meier (Chausson et Richard Strauss), le Concours International de Chant de Strasbourg et Falstaff à Glyndebourne.

Liens directs vers les vidéos, références et commentaires.

Suite de la notule.

mardi 2 juin 2009

Tout va bien – (Woyzeck le Chourineur)


En fin de compte, la notion de meurtre est toute culturelle, hein.

Exemple 1.


[[]] [[]]
Sans en reproduire exactement le texte, ces deux extraits reprennent les situations et le vocabulaire du Woyzeck de Georg Büchner. Oui, il ne s'agit pas du Wozzeck de Berg, on va voir un peu plus loin ce dont il retourne. Ici, successivement les deux scènes que nous présentons.


Crime :

MARIE
Was der Mond rot aufgeht !
WOYZECK : Wie ein blutig Eisen.
MARIE : Was hast du vor, Franz, du bist so blaß. (Er holt mit dem Messer aus.) Franz halt ein! Um des Himmels willen, Hilfe, Hilfe !
WOYZECK (sticht drauflos): Nimm das und das ! Kannst du nicht sterben ?
So ! So ! - Ha, sie zuckt noch ; noch nicht ? Noch nicht ? Immer noch. (Stößt nochmals zu.) Bist du tot ! Tot ! Tot ! (Er läßt das Messer fallen und läuft weg.)

[Büchner : Woyzeck tue Marie qui contemple la lune rouge.]

Proposition de traduction en langage trivial [1] (trouvé dans Théâtre populaire, paru chez l'Arche en 1953) :

MARIE : La lune se lève, comme elle est rouge !
WOYZECK : Comme un fer sanglant !
MARIE : Que veux-tu faire, Franz ? Tu es si pâle. (Il la saisit par le poignet ; elle se dresse.) Franz, arrête. Pour l'amour du ciel... Au secours ! Au secours !
WOYZECK, la frappant : Tiens, voilà pour toi, et encore pour toi. (Elle s'écroule, Woyzeck penché sur elle :) Tu n'arrives donc pas à mourir ? Tiens, tiens ! (Il la frappe encore.) Ah ! Elle remue toujours... Pas encore fini ? Pas fini ? Toujours vivante ? (Il enfonce le couteau.) Es-tu morte, maintenant ? Morte ! Morte !
(Il laisse tomber le couteau, des gens viennent, il s'enfuit.)

Expiation :

WOYZECK (allein) : Das Messer ? Wo ist das Messer ? Ich hab' es da gelassen. Es verrät mich ! Näher, noch näher ! Was is das für ein Platz? Was hör' ich? Es rührt sich was. Still. - Da in der Nähe. Marie? Ha, Marie ! Still. Alles still ! Was bist du so bleich, Marie? Was hast du eine rote Schnur um den Hals? Bei wem hast du das Halsband verdient mit deinen Sünden ? Du warst schwarz davon, schwarz ! Hab' ich dich gebleich? Was hängen deine Haare so wild ? Hast du deine Zöpfe heute nicht geflochten? … - Das Messer, das Messer ! Hab' ich's? So ! (Er läuft zum Wasser.) So, da hinunter ! – (Er wirft das Messer hinein.) Es taucht in das dunkle Wasser wie ein Stein. - Nein, es liegt zu weit vorn, wenn sie sich baden. (Er geht in den Teich und wirft weit.) So, jetzt - aber im Sommer, wenn sie tauchen nach Muscheln? - Bah, es wird rostig, wer kann's erkennen. - Hätt' ich es zerbrochen! - Bin ich noch blutig? Ich muß mich waschen. Da ein Fleck, und da noch einer …

[Venu rechercher le couteau qui le trahit, Woyzeck voit, dans son délire, partout du sang. Chez Gurlitt [2], il en vient même à fondre la lune et le sang en une même entité : Der Mond ist blutig - « La lune est pleine de sang » [3]. Paniqué, il se noie dans l'étang en voulant se nettoyer.]

C'est écrit en 1837 ; pourtant ce anti-héros absolu, non seulement pâle meurtrier, mais de surcroît de jouet de toutes les puissances qui l'entourent (les sarcasmes de ses supérieures, les jugements de ses semblables, les expérimentations du Docteur, l'infidélité de Marie, et sa propre nature schyzoïde), sera très prisé du XXe siècle, comme bon nombre de personnages de Büchner. Dantons Tod sera adapté par Gottfried von Einem, Jakob Lenz par Wolfgang Rihm...

Or, il se trouve que simultanément avec Alban Berg, sans que l'un ait connaissance du travail de l'autre, Manfred Gurlitt a produit un formidable Wozzeck - dont sont extraites les deux pistes musicales que vous entendez. Dans une langue tonale mais très travaillée, aux confins du postromantisme (flots de cordes mélancoliques) et de l'expressionnisme le plus brutal (l'orchestre qui hurle subitement lors du coup de couteau, c'est à renvoyer les effets de Lady Macbeth à des amusements de petits garçons), Gurlitt donne la priorité non pas au détail de l'orchestration et au malaise extrême de l'harmonie, comme chez Berg, mais à la nudité de la déclamation. Avec un résultat tout aussi impressionnant, peut-être moins physique, mais textuellement plus voluptueux.

La parenté la plus étonnante entre les deux oeuvres est que, loin de chercher à reconstituer les liens entre les fragments du drame inachevé de Büchner, les deux compositeurs ont, chacun de leur côté, sélectionné des scènes isolées (plusieurs sont communes), en leur attribuant une forme musicale fixe (comme la chaconne du monologue du couteau, le second extrait).

[Il faut peut-être préciser que le choeur fantomatique mais éclatant que vous entendez (Mörder - « meurtrier ») ne figure pas chez Büchner, chez qui on chercherait avec peine une transcendance ou une rétribution claires.]

Vous entendez ici la remarquable version de Gerd Albrecht (la seule au demeurant), parue chez Capriccio, splendidement distribuée et interprétée avec une très grande conviction. Il se murmure que Nicolas Joel aurait envie de monter l'oeuvre - rien n'est décidé pour l'instant, mais c'est sur la table...
Il faut aussi connaître de Manfred Gurlitt les Quatre Chants dramatiques [4], tirés de pièces de théâtre allemandes. A mettre aux côtés, dans des styles différents mais tout aussi décadents, des Quatre Derniers Lieder de Richard Strauss et de Vom ewigen Leben de Franz Schreker. Gurlitt a sur eux le grand avantage de respecter la prosodie, et de se fonder avant tout sur le texte (de très bons textes, de surcroît [5]) pour faire naître l'émotion ; il ne faut donc pas y chercher plus de lyrisme fabuleux que chez Strauss ou plus d'orchestration foudroyante que chez Schreker, mais le résultat, dans le genre du grand lied orchestral décadent pour voix de femmes, est au moins aussi convaincant. [Pas la peine de dissimuler qu'il n'y a pas mieux que ça, dans ce genre, pour les lutins.]

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Cinq ans plus tard, un autre auteur écrivait quelque chose d'étrangement similaire :

Lire la suite.

Notes

[1] Ce n'est pas sensible dans cet extrait-là.

[2] Gurlitt, contrairement à Berg, modifie le texte original, en réutilisant au demeurant le même vocabulaire dans le même genre de structure syntaxique simple, simplement pour le réagencer à son gré.

[3] A moins que ce ne soit avec une dernière syllabe escamotée par le chanteur, pour Der Mond ist blutig, c'est-à-dire couverte de sang, sanguinolente ?

[4] Un disque également superlatif existe : Christiane Oelze y est dirigée par Anthony Beaumont.

[5] ... si bien qu'on y entendra une nième version du Roi de Thulé... et pas la plus laide !

Suite de la notule.

samedi 9 mai 2009

Pour information

Les Troqueurs de Dauvergne, (charmante) oeuvre historique de la Querelle des Bouffons, sera donnée à Paris (Cité) le 14 de ce mois. (Eh oui.)

Der Ferne Klang, oeuvre majeure de Schreker, sera donné en janvier 2010 à Berlin, mis en scène par Peter Mussbach (avec notamment Anne Schwanewilms, Anna Prohaska, Burkhard Fritz et Hanno Müller-Brachmann) ; et à Zürich, en mai, mis en scène par Jens-Daniel Herzog et dirigé par Ingo Metzmacher (avec notamment Juliane Banse et Roberto Saccà).

Enfin, on a déjà signalé les Gezeichneten du même Schreker, à Los Angeles en janvier, dirigés par James Conlon (aïe) sans qui le projet n'aurait certainement pas vu le jour (quel autre chef américain pour porter cette musique à bout de bras et convaincre un directeur d'Opéra ?) ; ce sera avec Anja Kampe (largement connue pour sa Senta bruxelloise télédiffusée) et Robert Brubaker (qui figure dans le DVD Nagano / Lehnhoff).

jeudi 7 mai 2009

Où CSS sauve les amis des décadents croulant sous les amers ennuis du deuil


Carnets sur sol a découvert pour eux, qui désespèrent, au point de songer à se jeter du haut du glorieux pont des schrekereries dans les épais flots vaughanwilliamsiens [1], qu'Arkiv Music rééditait les coffrets Decca de la collection Entartete Musik. Et à prix raisonnable, même à parité euro-dollar, alors imaginez par les temps qui courent...

Il suffit d'entrer 'Entartete' dans la boîte de recherche ici : http://www.arkivmusic.com/classical/Search?all_search=1 . Et on en trouve un bon nombre. Ces disques étant pour beaucoup totalement épuisés [2], et généralement plus chers en Europe, c'est une aubaine réelle pour ceux qui se lamentaient. En plus, ça doit générer des droits supplémentaires (je ne dis pas pour les artistes, qui cèdent généralement leurs droits contre un cachet un peu majoré - faute d'avoir le choix de toute façon).

Notes

[1] N'en faites surtout rien, ça colle, en plus.

[2] Notamment les excellents Gezeichneten, certains autres étant un peu plus trouvables comme Sarlatán, mais assez chers.

samedi 11 avril 2009

Le retour des Fées : Paris-Châtelet 2009 - III - des innovations majeures


[Voir le reste de la série sur 'lesfeesdewagner'.]

1.2.2. Les préfigurations


Malgré le caractère de creuset qu'on a observé dans l'épisode précédent, Les Fées préfigurent, ou plutôt présentent déjà plusieurs caractéristiques du Wagner de la maturité.

Evidemment, on ne peut que songer à ses trois premiers opéras « de la maturité » à plusieurs reprises : grandes poussées de lyrisme qui rappellent Tannhäuser, en particulier vers la fin de l'acte III, lors de la victoire finale (sans parler de l'usage très littéral et pas très heureux de la harpe solo pour figurer la lyre, sans réelle stylisation, également en vigueur dans cet opéra), choeurs tuilés extraordinaires qui sont parents de Lohengrin... Plus que tout, la parenté de certains thèmes avec le Fliegende Holländer est frappante. On entend ainsi la dernière partie du duo entre Senta et le Hollandais dès l'Ouverture, avec son rebond très spécifique :
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Fin de l'Ouverture des Fées (Jun Märkl, Radio munichoise).
;;
Duo du Vaisseau Fantôme avec Gwyneth Jones et Thomas Stewart (Böhm, Bayreuth, DGG).

Et, sans doute plus anecdotique, on entend que Wagner fait déjà joujou avec le motif qui deviendra le motif récurrent de la colère de Wotan à partir de Walküre. Il semble être content de lui et bien le regarder en action, en empilant sa répétition d'un seul coup.
;;

On a déjà évoqué les questions récurrentes de rédemption, en particulier par le sacrifice de la femme, et on en retrouve ici des composantes dans le livret, de même que la force terrible du mot - qui porte tout pouvoir, mais qui n'est pas maîtrisé par le héros en quête. Même Isolde et Tristan, faute de pouvoir exprimer avec justesse le contenu de leurs émotions, se hâtent vers leur perte. Le motif (textuel) du pacte rompu et du blasphème maladroit est même la figure décisive de l'acte II (la malédiction).

Inutile d'évoquer la délivrance de la vierge surnaturelle inanimée, le metteur en scène l'a fait pour nous en un sympathique clin d'oeil qui nous a fait agréablement sourire - un anneau couleur braise descend sur Ada lors de sa pétrification.

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1.2.3. Les trouvailles

Suite de la notule.

vendredi 27 mars 2009

Nouvelle catégorie

Puisqu'on en cause, vous l'aurez peut-être noté, l'apparition d'un nouveau chapitre (colonne de droite) destiné à regrouper les entrées de l'opéra romantique germanique centrées autour de l'horrible Richard Wagner.

Richard Strauss (avec notamment des notes sur Elektra, Ariadne, Intermezzo et Arabella) n'a pas encore atteint le seuil critique, bien que notre affection se porte davantage de son côté.

Un peu plus anciennement, Schreker avait déjà eu ce privilège.

mercredi 25 mars 2009

A la découverte de Pelléas & Mélisande - XV - L'influence de Boris et les leitmotive

Comme promis, on prolonge.

Lorsqu'on lit sur Pelléas, certaines influences sont régulièrement invoquées, sans qu'elles soient toujours étayées. On met de côté le précurseur Ernest Fanelli, qui utilise déjà, dans une oeuvre globalement pittoresque comme il sied à son temps, certaines harmonies ou formules musicales qui deviendront chez Debussy le fondement même d'un langage complet.

Les farfadets avaient évoqué pour plaisanter une parenté musicale étonnante entre un thème très secondaire des Huguenots de Meyerbeer et les premières mesures de l'oeuvre, mais à moins d'une réminiscence involontaire, il n'y a guère de raison d'y voir autre chose qu'une (très utile) coïncidence.

L'influence de Richard Wagner, elle, est toujours attestée, et elle se perçoit assez aisément : opéra à la fois 'orchestral (avec de surcroît quelques pièces d'orchestre isolées merveilleuses) et 'prosodique', où la langue est mise à nu. Il s'agit aussi d'un drame continu dont les airs ne sont jamais que des tirades que le néophyte peut trouver un peu grises, et sans ensembles.
Par ailleurs, la recherche chromatique, aussi bien sur le plan du coloris que de l'harmonie, la puissance des atmosphères laissent bien percevoir que, sans jamais l'imiter musicalement, Debussy hérite de la démarche musicale de Wagner. Jusqu'à, peut-être, l'usage de leitmotive... parfois tu par les commentateurs, parfois sous-entendu, quelquefois affirmé - comme par Olivier Py dans le film de Béziat, non sans une certaine maladresse comme on l'a relevé :

On a déjà proposé un mode d'emploi des motifs et symboles dans Pelléas, que les différents articles de la série complètent plus précisément, par l'exemple. Il y manque beaucoup de choses, et surtout un point un peu précis sur l'usage de leitmotive très différents de ceux que la tradition musicale utilise. [Et ici non plus, on n'est pas en accord avec l'interprétation très simplifiée de Py, qui en fait des motifs-décor, que je dirais à la manière de Richard Strauss et Franz Schreker (des béquilles compositionnelles chez eux, qui plus est), ce qu'ils ne sont pas chez Debussy, il me semble.]

CSS avait même relevé quelques citations frappantes du dernier Wagner, en particulier de Parsifal, dans certains interludes (le tout premier en particulier).
On peut trouver les exemples musicaux qui appuient nos gentilles trouvailles dans une des premières entrées de la série sur Pelléas.

L'influence de Modeste Moussorgsky est parfois invoquée, mais rarement avec précision, comme une chose diffuse qui circule dans la musicographie depuis des lustres et que tout le monde ne prend pas le temps de vérifier. CSS n'étant pas non plus le lieu de l'érudition universitaire, on le fera simplement par l'exemple musical, ce qui, sans rien prouver, laisse réfléchir - et permet accessoirement de s'amuser un peu.

On reviendra aussi sur les leitmotive, ci-dessous et dans de prochaines aventures.

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Début de l'acte I de Boris Godounov (l'écriture de Pimène), version de Jerzy Semkow (EMI 1976, avec Talvela).

Présente dans les trois versions de Boris Godounov, l'introduction de l'acte I, avec ce motif ondulant, s'apparente très nettement à celui plus tard utilisé par Debussy pour l'entrée de Golaud. Il s'agit d'une sorte de gamme ascendante, sans altération, mais hésitante, repassant plusieurs fois d'une note à l'autre.
Contrairement à Debussy, Moussorgsky utilise un motif binaire, qui évoque à la fois la contemplation (ou même la lassitude d'une nuit de veille), mais crée aussi un climat un peu inquiet, l'expression d'un homme dans un système clos ou en ruine.

Puis, pour Pelléas :

Suite de la notule.

dimanche 15 mars 2009

Pelléas & Мелизандь économistes


Alors que les lutins, persuadés que Pelléas ne pouvait être mis en scène avec succès, avaient toujours refusé de voir une représentation ou un DVD de la pièce, ils se sont laissés séduire par la formule du film de Philippe Béziat : des extraits commentés et montés de la mise en scène prometteuse d'Olivier Py à Moscou, pour la première représentation scénique de Pelléas en Russie. Première scénique, car Moscou avait déjà accueilli l'oeuvre en intégralité en 1987 avec un autre produit d'importation authentique, Manuel Rosenthal, mais en version de concert.

Nous en revenons, et malgré le fait qu'il nous a fallu quitter la salle avant la fin de la projection pour menus soucis personnels, on peut tout de même en décrire la saveur. Et répondre à quelques questions qui se posent légitimement.

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1. Modèle économique

Le plus intéressant, en fin de compte, réside peut-être dans la question économique, qui, on le sait, amuse toujours CSS.

Pourquoi faire un film de ce qui ressortit au concept du making of ?

Nous avions déjà quelques hypothèses en réserve qui se sont concrétisées au visionnage.


Entrée encombrée du cinéma Utopia à Bordeaux.


  1. Il y a de toute évidence chez Philippe Béziat une prétention à l'esthétique tout à fait réelle - et assez bien réalisée -, qui veut tirer le documentaire vers la poésie. On y reviendra.
  2. Le fait de sortir en salle permet accessoirement d'obtenir des subventions du CNC (Centre National de la Cinématographie), ce qui n'est jamais à négliger pour un film à ce point de niche (public d'opéra, qui aime Pelléas, et qui est prêt à se déplacer au cinéma pour voir des bouts de répétition...).
  3. La sortie en salle permet de prolonger la rentabilité du film : contrairement à une représentation en scène, reproduire un film ne coûte que peu par rapport au prix de la conception initiale. Seuls le projectionniste, l'ouvreur et le vendeur de billets sont mobilisés - et la salle occupée. Pas d'acteurs, de musiciens ni de techniciens, et plusieurs autres salles peuvent être remplies (à part le projectionniste sans doute, le reste du personnel se partage donc pour d'autres 'spectacles' projetés).
  4. Tout bêtement, le fait d'être diffusé, même très confidentiellement (quinze petites salles sur toute la France), permet de bénéficier d'un écho que n'aurait jamais un DVD, et à plus forte raison un DVD documentaire.


C'est donc à mon avis une fine analyse de la situation, qui devrait favoriser les ventes de DVDs, si le public ne boude pas le produit comme pas assez ambitieux pour un film.

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2. Un film ?

Le film se constitue de façon assez claire.

  • On suit l'ordre de l'action, à de rares (et bizarres) entorses près : de la rencontre à la Fontaine jusqu'à la mort (du moins on le présume, il ne restait plus que l'acte V lorsque nous sommes sorti).
  • Chaque scène de chaque acte, abordée méthodiquement, est précédée d'une citation en exergue (censée mettre en valeur la poésie universelle et allusive de Maeterlinck), et se concentre généralement sur un moment intense, l'acmé de la scène.
  • Au fil de l'action, les participants sont interrogés, essentiellement les russes (chanteurs instrumentistes), à l'exception d'Olivier Py bien sûr, et de François Le Roux. Chaque moment est l'occasion.
  • Aucune scène n'est filmée en entier, Béziat privilégie les interludes et les transitions, et puis quelques répliques fortes. J'aimerais mieux avoir perdu ce que j'ai, plutôt que d'avoir perdu cette bague !
  • On dévie souvent sur le quotidien des russes qui participent à l'aventure.


L'image est belle, bien qu'elle souffre de la monochromie (bleu-gris et blanc cru) et du décor - certes tournant - finalement unique de Py. La caméra, en tournoyant, joue de la verticalité des barreaux du décor, filme volontiers près, et parfois flou ou décadré, avec un réel bonheur.

Une des véritables faiblesses du film est que cette limitation aux moments forts :

  1. ne permet pas de saisir l'essence ou l'atmosphère réelle de la mise en scène de Py ;
  2. rend absolument impossible, malgré les bouts de résumé, au néophyte de suivre. Et s'il le peut, c'est en suivant une histoire à grands traits, très lointaine, pas franchement captivante.


Le résultat est qu'il s'agit bien d'un documentaire, même esthétisé, très intéressant (et remarquablement chanté), mais qui ne gagne pas nécessairement à être contemplé comme une oeuvre d'art et d'une traite.

J'étais curieux de connaître la réaction du public (pas très jeune) dans la salle, mais beaucoup sont partis, quelques-uns ont ronflé - et, il faut bien le reconnaître, moi-même, alors même que j'étais encore dans mon assiette, n'étais pas absolument magnétisé par ce qui se passait. Une paisible paraphrase, scène à scène, de l'opéra, certes réussie, mais était-ce à contempler gentiment pendant 1h48, d'une traite ? Cela appelait plutôt les commentaires, le visionnage en petit morceau, précisément scène à scène.

Par ailleurs, se trouvant dans des petites salles, le son, provenant d'une seule source peu puissante et de qualité assez moyenne, n'apportait aucune plus-value - et de même pour l'écran relativement modeste.

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3. Instants volés

Quelques moments de grâce méritaient cependant le détour.

On y découvrait l'envers misérable d'une vie de chanteur d'opéra en Russie, travailleurs peut-être plus glorieux que d'autres face à leur public, mais menant une existence aussi chiche une fois hors scène. Le petit appartement vétuste de Dmitri Stepanovitch dans une barre grise, certes ceinturée d'un parc, est assez éloquent - même s'il ne sert en réalité aucun propos.
Il faut tout de suite préciser que ce n'est pas un cliché - Galina Gorchakova, armée de sa mauvaise langue légendaire, l'avait amplement crié sur les toits du vaste monde, expliquant que les chanteurs du Kirov de l'ère Gergiev-Philips, en plus d'être corvéables à merci, répétant, tous les jours, des rôles différant des représentations du soir, étaient payés misérablement, et plus au moins au lance-pierres.

Après les précisions en particulier d'Olivier Py, sur les manipulateurs du décor, des jeunes gens qui ont souvent un autre travail sans tout à fait joindre les deux bouts, on perçoit étrangement ces figures furtives, manipulant les cages, comme un écho des bagnards damnés du quatrième acte de la Lady Macbeth de Mtsensk de Kušej.

L'égarement de l'orchestre, qui joue dès qu'il le peut la Pathétique ou Boris, sous les directives plaisantes mais très imagées de Minkowski, traduites avec beaucoup de concision, apparemment, par l'interprète, est aussi intéressant à voir, même si le résultat est beau. On ne peut s'empêcher tout de même de reconnaître Tchaïkovsky dans une certaine profondeur de son, une manière de rubato (jusqu'à ne plus suivre la battue, certes réputée singulière, de Minkowski) - et surtout Boris Godounov dans les motifs oscillants du début de l'oeuvre, qui se trouvent très nettement au début du IIe acte de Boris. Là, on sent que les russes lâchent la brident et parlent leur langue naturelle. Pour un résultat bizarre... mais qui sonne tout de suite.


L'orchestre du théâtre musical Stanislavski & Némirovitch-Dantchenko, malgré une dissolution temporaire le temps de la réfection du théâtre à la suite de deux incendies, reste d'un niveau tout à fait remarquable. Cet orchestre attaché à un théâtre secondaire, reprenant depuis peu le travail collectif, produit un résultat que pas mal d'orchestres de fosse dans le monde pourraient lui envier. Minkowski, sans se soucier de la relativité de l'humour, les chambre d'ailleurs avec douceur sur leur justesse parfois défaillante dans les moments d'application : « La pulsation était parfaite et l'harmonie... intéressante. ».

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4. Un bref instant, révélateur du noeud du film

Suite de la notule.

dimanche 1 mars 2009

Le disque du jour - XXVII - Chopin par Garrick Ohlsson

Un disque, mieux, une solution idéale pour renouveler le plaisir de l'écoute de ces pièces rebattues. Ou une porte d'entrée pour ceux qui seraient réticents au sentimentalisme qu'ils associent à Chopin.

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Repenser Chopin

L'effort en vaut la peine, Chopin étant, malgré son image d'auteur de géniales bluettes, le compositeur le plus novateur de son temps, aux côtés de Berlioz, et, un peu plus tard, Schumann - comme on s'est plu à le rappeler ces derniers temps, pour souligner malicieusement que s'il fallait absolument ajouter un membre à cette trinité, ce ne pourrait être que Meyerbeer...

La lecture des partitions permet de se convaincre de son talent harmonique, voire de son audace un peu folle (voir la fin de l'Op.32 n°1), qui lui a valu d'être corrigé par certains de ses amis - une treizième a été supprimée après sa mort dans l'accord de sol mineur à la fin du largo initial de la Première Ballade.

Bref, il s'agit, quoi qu'on pense de son goût pour le sentiment, d'un compositeur majeur dans l'histoire de la musique - et dont l'influence s'étend sur toutes les époques qui l'ont suivi. [De surcroît, c'est fichtrement beau, mais ce n'est que l'avis de farfadets provinciaux, bien évidemment.]


La fin du neuvième Nocturne de la maturité (Op.32 n°1), après ces élans bizarrement interrompus mais dans un langage tout à fait consonant, ce récitatif totalement libre, presque incompréhensible - la fin nue et désordonnée des Gezeichneten, ou bien malgré la présence nette de pôles harmoniques (mais dont on ne saisit pas bien la direction du discours), quelque chose du Berg de ''Wozzeck'', oppressant et comme dépourvu de sens. On exagère, mais quel exemple chez les contemporains de Chopin, ou même dans la musique pour piano en général, du récitatif pour du récitatif ? Pas beaucoup avant longtemps, longtemps.

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Le programme / L'interprétation / Autres disques de Garrick Ohlsson / Autres versions recommandées

Suite de la notule.

vendredi 27 février 2009

Die Gezeichneten par Nikolaus Lehnhoff - la fausse réhabilitation, IV : enjeux et réalisations dans le deuxième acte

Premier tableau

Le deuxième acte, moins gravement coupé, se divise en deux entités : le dialogue de Tamare (le séducteur) avec le Duc Adorno [1] (l'Autorité) à propos du don de l'Ile d'Elysée et de la conquête impossible de Carlotta, puis la grande scène de peinture à l'atelier de celle-ci, en présence de Salvago.

La première partie est traitée de façon très traditionnelle par Lehnhoff : les représentants des bourgeois, tassés dans le coin jardin de la scène comme depuis le début de l'action, intimidés des palais qu'ils sont amenés à fréquenter, aussi loin que leur colère éclate. Puis l'entretien au bord du corps de la statue, sans accessoires. Adorno porte une collerette en papier plus anglaise qu'italienne (et stylisée de façon un peu grossière), ainsi qu'un costume assez ouvertement seizième - on songe aux portraits des Hawkins, par exemple.
Cette section fonctionne tout à fait bien, soutenue par le visuel - les tirades psychologiques sont plus longues au disque, évidemment.

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Extrait du second tableau.

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Les enjeux du second tableau

La seconde partie opère le choix discutable de changer la séance de psychanalyse sauvage [2] en scène d'initiation amoureuse ratée, ce qu'elle est indubitablement, mais qui est très réducteur. Car si Carlotta, dans un malaise qui semble cependant véritable - vu l'indice du tableau aux mains -, tombe dans les bras de Salvago, cela n'a pas pour implication unique qu'elle cherche à déniaiser le difforme. Tout d'abord, il ne faut pas escamoter la dimension de manipulation, pourtant trop soulignée par la mise en scène à l'acte I, le soupçon terrible qui pèse sur la jeune fille et qui ne peut véritablement être éclairci. L'intérêt pour l'achèvement du tableau est-il, comme maint signe le laisse entendre dans cette scène, premier sur tout autre, au point qu'elle puisse se donner en partage pour livrer un chef-d'oeuvre qui ne soit diminué en aucune façon ? Ensuite, le geste paternel de Salvago [3], ému de la compassion (ou de la belle simplicité d'âme) de la jeune fille, doit-il nécessairement être interprété à la façon de Tamare, comme un geste d'impuissance ? Salvago, dont le nom même traduit le caractère débridé (et même profondément pervers, avant le lever de rideau à l'acte I, contemplant les résultats des rapts qu'il a initiés), aussi bien dans le méfait que dans la générosité et le repentir, se trouve ici altéré, et dans un univers où le rapport de force, amical, amoureux, politique est omniprésent, accepte de différer sa victoire, de respecter l'objet qui l'a relevé de sa fonction de repoussoir secret.

La musique, à ce moment, d'un élan presque puccinien, me paraît assez soutenir mon hypothèse premier degré. Cette distance tendre est par ailleurs d'un caractère si élevé, et si touchante par sa naïveté, dans un univers dramatique et même musical si enclin à la lascivité, qu'il paraît difficile de la nier, et en tout état de cause dommage de la gâcher.

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Le second tableau sur scène

Lire la suite.

Notes

[1] La majuscule à Duc s'impose, c'est quasiment son prénom...

[2] C'est en tout cas l'impression qui ressort fortement de la discussion à bâtons rompus dans l'atelier, où Carlotta met à distance l'ensemble de sa vie et plusieurs noeuds de sa personnalité.

[3] Lorsque Carlotta, prise de malaise, s'effondre dans les bras de Salvago en se recommandant à lui, le livret indique que celui-ci se tempère et dépose seulement un baiser sur son front.

Suite de la notule.

mardi 24 février 2009

Die Gezeichneten par Nikolaus Lehnhoff - la fausse réhabilitation, II : les choix

Ces aimables prolégomènes ayant été achevés, la mise en scène elle-même.

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Aspect scénique

Avant toute chose, il faut reconnaître que le dispositif de la statue, et le décor de manière générale, avec ces galeries ouvertes qui observent la scène, sont de toute beauté. Et même profondément adéquats.

Cette statue hellénistique démesurée et brisée évoque bien évidemment l'ère décadente, mais sert surtout tout au long de l'oeuvre de support. Ainsi le badinage amoureux se fait-il sur ce corps dénudé et déformé par l'érosion - on ne peut décider si marcher sur ce ventre doit être considéré comme troublant, ou bien évoquer le soubassement constant de la difformité de Salvago. Et, de même, Carlotta asseoit sa domination intellectuelle et émotive (toujours paradoxale) depuis le crâne renversé de la statue.
La main encore rattachée au corps tient lien d'évocation du tableau caché de Carlotta. L'usage de la main à terre pendant la bacchanale du III est sans doute moins heureux, mais s'inscrit dans ce désir de ne pas faire du décor qu'un support visuel qui évite la littéralité et stylise de façon un peu poétique les situations.

Bref, le décor de Raimund Bauer et son usage par Lehnhoff est admirable, le gros point fort de la mise en scène - de quoi, sinon approfondir le livret, du moins nourrir la réflexion d'autres mises en scène à venir. La littéralité scénique, le prosaïsme ou la laideur auraient été terribles à supporter ici.

De ce point de vue, on connaît de toute façon la valeur de Lehnhoff, l'assurance d'une direction d'acteurs précise et d'atmosphères évocatrices.

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Déplacement de concept

Nikolaus Lehnhoff fait le choix de présenter la difformité de Salvago comme purement sociale, c'est-à-dire comme un jugement moral porté sur une différence qui n'est pas apparente. On le voit ainsi se travestir durant l'ouverture, en contradiction avec le propos du Prélude, mais il est de tradition depuis longtemps d'occuper l'oeil pendant les débuts de spectacle. Il serait donc déprécié pour ses penchants invertis, ou du moins son caractère insaisissable.


Une fois n'est pas coutume, pour nous faire gagner du temps (c'est toujours ça de dérobé à la Mort, diront les plaisantins), un extrait du site maudit qui s'est par ailleurs nettement amélioré en matière éthique.


Suite de la notule.

Die Gezeichneten par Nikolaus Lehnhoff - la fausse réhabilitation, I : l'influence

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Etat des lieux

Les Gezeichneten de Schreker, malgré un retour régulier sur les scènes et une reconnaissance assez unanime des esthètes (et accessoirement de la critique), demeure un opéra assez confidentiel, qui n'a pas atteint la diffusion des grands opéras de Richard Strauss - dont un grand nombre est pourtant de moindre valeur, assez objectivement.
Il est vrai qu'un nom méconnu du grand public, un opéra relativement long, un orchestre pléthorique, des rôles difficiles à tenir et une distribution très nombreuse sont des handicaps très sérieux. S'il s'agissait d'un opéra d'une heure avec quatre personnages et orchestre de chambre, on pourrait le coupler avec une version réduite de L'Heure Espagnole.

Par ailleurs, il est devenu très difficile de se procurer l'oeuvre si l'on désire trouver son livret (même pas d'Avant-Scène, naturellement...).

Un petit rappel sur la discographie, qu'on avait en partie abordée dans ces pages. D'un point de vue strictement commercial, on été publiés :

Suite de la notule.

lundi 16 février 2009

Paris stigmatisé

Etat des lieux de l'offre musicale lyrique et fuites (enthousiasmantes) sur les saisons de Nicolas Joel à l'Opéra de Paris. (De la folie pure, pour être plus précis.)

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Situation

Quoi qu'on en dise - et Dieu sait que les esthètes adorent ratiociner sur le passé - on vit réellement un âge d'or en matière musicale, y compris en matière d'opéra. Peut-être pas pour la création en elle-même, mais pour la diversité, la qualité et l'accessibilité de l'offre.

La qualité, on l'a déjà évoquée : le niveau orchestral a considérablement augmenté (les spécificités locales s'étant partiellement effacées, mais pas nécessairement pour le pire !), il reste toujours de grandes voix en petit nombre (comme à chaque époque, les médiocres et les affreux étant toujours présents eux aussi), peut-être moins de voix parfaitement saines et haut placées (la manière de parler a évolué, et surtout l'usage de plusieurs langues étrangères rend considérablement plus difficile l'apprentissage et l'exécution), mais en tout cas des interprètes infiniment plus subtils théâtralement.

L'accessibilité, elle, est très nette : tarifs réduits pour les jeunes et les demandeurs d'emploi, bons plans de dernière minute, absence d'exigence dans la plupart des théâtres du monde d'une tenue particulière, et surtout le disque ! Le disque qui couvre un répertoire toujours plus vaste, devenu extrêmement facilement disponible avec les médiathèques et l'Internet, pour toujours moins cher.

Justement, la diversité de l'offre est elle aussi croissante - du moins dans l'Eldorado de l'Opéra, à savoir une poignée de pays d'Europe occidentale et nordique, les seuls lieux où l'Opéra ne se limite pas à la resucée d'un fonds de répertoire Mozart-Rossini-Verdi-Puccini-etparfoisWagner en boucle. (Les programmations américaines sont généralement terrifiantes, sans parler des pays fortement isolés comme les slaves orientaux, concentrés sur leur répertoire joué de façon tout à fait provinciale, ou des pays sans tradition opératique - cf. la programmation effrayante de l'Opéra d'Istanbul, pourtant si proche...) Les théâtres de jadis jouaient largement leur répertoire national propre, plus quelques grands titres internationaux importés. L'apparition de la radio a favorisé l'exploration très exhaustive du répertoire national négligé, mais toujours dans les mêmes limites géographiques (et parfois temporelles, ne serait-ce qu'eu égard aux contraintes de style et de date du premier opéra composé dans la langue...).
Aujourd'hui, dans ces pays privilégiés, on s'efforce dans chaque théâtre de produire aussi des choses originales, peu jouées, des recréations de diverses époques en langues diverses.

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Saison prochaine

Et il semblerait qu'à Paris, après une ère Mortier riche en découvertes, certes limitées aux goûts de son directeur, s'ouvre comme nous l'espérions une autre période faste. [Parce que même en province, on reçoit la radio, et que cela peut remettre à l'honneur des compositeurs, créer un climat favorable à de nouveaux enregistrements ou ouvrages, fluidifier la circulation de témoignages anciens, etc.]

Nicolas Joel serait plus consensuel, on le savait, et indubitablement un grand défenseur du répertoire français négligé du XIXe siècle. Il avait, semble-t-il, pensé depuis longtemps à remonter les Huguenots de Meyerbeer, oeuvre mythique s'il en est du répertoire national, dès qu'il en aurait les moyens.

Cela se confirme dans les informations qui sont parvenues jusqu'à nous, et cela s'étend même de façon très appétissante à des oeuvres majeures du XXe siècle qu'on ne savait pas dans ses bonnes grâces, et qu'on doit à ses nouveaux moyens, à son bon goût ou à sa lucidité d'être, manifestement, bientôt programmées.

La saison à venir n'est plus un secret pour personne. Parmi les choses un peu rares, on peut relever côté français Mireille de Gounod (un manifeste en ouverture de saison !), la reprise de Platée vraiment devenue une production culte et totalement entrée au répertoire, du moins tant que l'équipe Minkowski-Pelly la porte ; côté italien, Andrea Chénier de Giordano, type d'oeuvre classée vériste (et qui ne l'est que musicalement) qu'on ne voit en effet guère en France, et la Donna del Lago de Rossini, festival glottique manifestement distribué à des spécialistes de premier ordre (DiDonato, Barcellona, Flórez et Meli, dirigés par Roberto Abbado) ; et une belle nouvelle un peu inattendue du côté allemand, puisqu'on disposera, outre de l'ébauche d'un Ring, ce qui ravira sans doute beaucoup de monde, d'une Tote Stadt de Korngold (où l'on nous promet Riccarda Merbeth, Robert Dean Smith et Stéphane Degout dirigés par Pinchas Steinberg !), oeuvre désormais au répertoire des maisons germaniques et parfois jouée en France, mais pas à Paris, et d'une reprise du récent Faust de Philippe Fénelon, une belle réussite bien dans l'héritage germanique XXe. Billy Budd est également prévu.

Par ailleurs, Joel semble distribuer de façon plus luxueuse et plus régulière que Mortier (qui faisait selon l'intérêt qu'il portait à l'oeuvre), et l'on verra notamment sur place, parmi d'autres exemples, Waltraud Meier, Matthias Goerne (ou Vincent Le Texier selon les sources) et Hartmut Haenchen pour la reprise de Wozzeck ; Werther avec en alternance Álvarez et Kaufmann (plus Koch, Plasson et Jacquot) ; une Sonnambula dirigée par Pidò et mise en scène par Marelli (accessoirement, on y entendra Dessay et Pertusi, ce qui n'est pas plus mal), etc.

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Promesses enivrantes

Mais le plus fort reste à venir. On nous promet de monter pour la première fois à Paris quelques-uns des plus grands opéras jamais composés. (A côté, faire Cardillac et Louise avec des reprises, c'était presque mesquin, pour donner une idée !)

A présent, reste à voir ce qui sera tenu et ce qui ne pourra se réaliser.

Suite de la notule.

dimanche 8 février 2009

Un américain élevé loin du continent peut faire rêver le monde

Cliquez ci-dessous pour voir apparaître le portrait de l'homme historique.

Suite de la notule.

samedi 17 janvier 2009

L'humour en musique - II - Intermezzo de Richard Strauss

(Premier épisode sur l'humour en musique en général - types détaillés et illustrés.)

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Intermezzo fait partie des opéras très peu connus de Richard Strauss, et jamais représenté. Il est d'ailleurs le moins enregistré de la discographie, avec deux enregistrements : le studio de Sawallisch (1980) et tout récemment une parution Orfeo d'une représentation dirigée par Joseph Keilberth (1963, avec Hanny Steffek et Hermann Prey). Lorsqu'on songe que Guntram, sa première oeuvre, très maladroit pastiche wagnérien qui tient plus de Rienzi que de Tannhäuser et Parsifal dont il semble s'inspirer, dispose à présent de trois enregistrements commerciaux...


A gauche, la version Sawallisch, très inspirée orchestralement et dans une distribution de feu. A droite, la version Keilberth assez récemment parue chez Orfeo.


Il s'agit pourtant d'un chef-d'oeuvre, comparable aux meilleures réalisations lyriques de Strauss. Et le livret (de Strauss lui-même), bien que passablement méprisé par Hofmannsthal, et malgré quelques coutures un peu maladroites, se tient admirablement.

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1. Pourquoi cet oubli ?

Comme d'habitude, CSS aime explorer les pistes de l'oubli, pour confondre une fois de plus les défenseurs ingénus du tri objectif par le Temps.

L'oeuvre se fonde sur de brèves scènes de la vie quotidienne d'un couple bourgeois, entrecoupées d'interludes orchestraux qui réalisent autant de fondus entre les scènes. Le nom de l'oeuvre peut se gloser doublement : aussi bien vis-à-vis de l'action (une parenthèse faussement tragique dans une existence banale) que de la forme (les intermèdes représentent autant de points d'orgue musicaux).
Et c'est indubitablement une parenthèse autobiographique dans la production de Strauss.

C'est là le premier obstacle : le sujet n'est pas porteur du sublime si prisé par l'amateur d'opéra - jusqu'au ridicule quelquefois, dans certaines gentilles réalisations. [Strauss a mis en scène une querelle de ménage personnellement vécue, certes un peu remaniée.]

Par ailleurs, l'oeuvre représente un flux continu de parole, à débit très rapide, où le plaisir est aussi bien théâtral que musical. Impossible à goûter pour un public non germanophone, du moins avant l'arrivée du surtitrage. Il doit être de surcroît à peu près impossible, au vu du débit sans doute le plus rapide de tout le répertoire de notre connaissance (au moins aussi rapide que du théâtre parlé), de la surtitrer correctement ou même efficacement.
A cela il faut ajouter que le public d'opéra aime souvent l'ampleur - quand ce n'est pas la performance - vocale. Ici, point d'air, point de grand lyrisme mis à la part la chansonnette immorale de l'étudiant profiteur et la fin suspendue, mais pas très réussie, ni pour le théâtre, ni pour la musique.
Deuxième obstacle : l'aspect parlé, difficile à saisir et peu attirant pour le public.

De surcroît, la distribution en est malaisée. Il faut une chanteuse dotée d'un solide sens du rythme, d'une grande mémoire musicale et plus encore verbale, et bien germanophone de préférence. Difficile à trouver.
Et qui souhaiterait intercéder en faveur de cette oeuvre ? Il y aurait bien quelque chose d'attirant pour les chanteuses en fin de carrière, de jouer un rôle de caractère ; un rôle omniprésent et énergique. Cependant le personnage est si pénible qu'il nécessite véritablement une bonne nature pour le supporter et le choisir plutôt que des rôles plus valorisants dévolus au déclin des grands noms. Les bonnes volontés existent toujours... cependant il s'agit bel et bien d'un rôle de soprane, avec de vrais aigus à émettre, ce qui exclut donc la distribution comme pur rôle de caractère, sans une bonne santé vocale. Et beaucoup de rôles pour ne rien arranger au coût global d'une soirée.

Et par-dessus le marché, l'intrigue quotidienne une fois dénouée, il n'est pas certain que cette histoire soit assez stylisée pour appeler des réécoutes très souvent répétées - on est loin des sous-entendus infiniments riches pour un auditeur ou un metteur en scène qu'on peut trouver dans Arabella. Et si le Rosenkavalier n'est pas moins bavard, il comporte cependant des moments de respiration très lyriques. Et un orchestre - pas nécessairement plus beau - mais incontestablement plus autonome. [Les lutins préfèrent largement Intermezzo au Chevalier, mais là n'est pas la question.]

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2. Contexte et esthétique

Ce neuvième opéra de la production de Strauss (1917-1923, création en 1924), situé entre Die Frau ohne Schatten et Die ägiptische Helena, c'est-à-dire après Der Rosenkavalier et Ariadne au Naxos, mais avant Arabella, Die scheigsame Frau et Capriccio, s'inscrit comme ces cinq drames dans la veine du Strauss non mythologique, du Strauss qui évoque son époque dans un langage sucré, de la conversation musicale vers laquelle toute son oeuvre tend dès cette époque. Si bien qu'il put regretter dans une lettre à Hofmannsthal que d'autres dussent recommencer après eux ce cheminement vers cet idéal et cette perfection : la fusion entre musique et mots, vers précisément ce que Capriccio tente à la fois d'exprimer dans son texte (en partie allégorique) et dans sa forme musicale.

Plus précisément, on pourrait rapprocher Intermezzo de l'écriture de Capriccio, voire du rôle du Musiklehrer dans le Prologue d'Ariadne : moins lyrique, plus parlée, mais ne se résumant jamais à une imitation prosodique. Toujours variée et disposant d'un vrai double musical dans la personne de l'orchestre, très émancipé de son rôle d'accompagnateur.

Le sous-titre exact d'Intermezzo est un peu plus long que l'ordinaire, et se rapproche clairement de la dénomination straussienne de conversation en musique :

Eine bürgerliche Komödie mit sinfonischen Zwischenspielen in zwei Aufzügen

c'est-à-dire :

Une comédie bourgeoise en deux actes mêlée d'intermèdes (intermezzi)

Strauss vide en fait ici une querelle de ménage, en laissant un portrait angélique du calme mari adulé de tous et une image abominable de sa femme hystérisante. Le résultat en est très divertissant, mais laisse rêveur sur la conception de l'humour et de la réconciliation de Strauss, qui en fait de second degré, fait probablement pire que Wagner dans les Meistersinger : le compositeur est un phénix et on peut bien en sourire, mais pas question d'oublier, même pas pour de rire, que ceux qui l'entourent ne restent jamais que des médiocres. En gros.

Certes, on épouse en apparence le point de vue de Frau Storch (la version fictionnelle de Madame Strauss), en suivant ses occupations en l'absence du mari, en ignorant la culpabilité ou non du kapellmeister de sa vie. Cependant le jugement porté sur les personnages est bien celui de Strauss et non de sa femme : celle-ci se montre toujours versatile et insupportable, ses amis sont des niais ou des manipulateurs, et sa conduite avec le jeune baron demeure légèrement équivoque - s'il ne lui avait demandé de l'argent, on voit bien de quel côté plus tendre la poussaient ses rêveries. En plus d'être injuste dans ses accusations, elle n'est pas elle-même tout à fait exempte de reproches.


Portrait de Pauline de Ahna, l'épouse de Richard Strauss, le modèle de l'impossible Christine dans Intermezzo. Le mariage a lieu l'année de la création de Guntram, en 1894.
Pauline, qu'il adorait à ce qu'il semble, avait spontanément renoncé à sa carrière de soprane pour lui permettre de bénéficier de toute la stabilité nécessaire, mais avait un caractère particulièrement difficile, lui faisant des scènes en public en de nombreuses circonstances.


Sous couvert de suivre une 'héroïne', on n'en relaie pas moins les avis d'un autre personnage, procédé un peu perfide.

Ce sera peut-être cette absence d'ambiguïté dans les relations entre personnages, cette vraisemblance psychologique relative, l'absence délibérée d'ambition du sujet ou bien le déroulement 'à clef' (autour d'une seule intrigue, la faute de Robert Storch) qui auront motivé le mépris apparent de Hofmannsthal pour l'oeuvre - il l'oublie lorsqu'il cite par lettre l'évolution des travaux de Strauss vers la conversation en musique, ce que celui-ci lui fait courtoisement remarquer.

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3. L'humour

Oui, au fait.

Une petite plaisanterie nous a fait sourire.


Version Sawallisch (Lucia Popp et Gabriele Fuchs).


Christine Storch se fait coiffer par sa domestique alors que Robert, avec qui elle vient de se quereller, prend son train pour deux mois de voyage (représentations loin du foyer). Un joli pastiche de Mozart galant accompagne sa toilette.

CHRISTINE Wareum er nur immer reist / Pourquoi doit-il toujours voyager !
(langsam an den Toilettentisch zurückkehrend) (retournant lentement à sa table de toilette)
ANNA
Ich glaube, der Herr ist nicht gerne allzu lange an einem Ort. / Je crois que Monsieur n'aime pas trop rester longtemps au même endroit.
CHRISTINE (höhnisch / dédaigneuse)
Er hat, glaube ich, doch jüdisches Blut in den Adern ! / A la fin je crois qu'il a du sang juif dans les veines !

A ce moment surgit, pendant cette dernière réplique de Christine, un cor solo avec une nouvelle thématique. (Pour s'éteindre instantanément.)

C'est que, pour évoquer le juif errant auquel Christine fait cruellement allusion pour tourner en dérision son mari, Richard Strauss fait appel à un classique :


Deuxième interlude de Rheingold, descente au Nibelheim. Version Haitink, également un studio avec l'Orchestre de la Radio Bavaroise.


Oui, ce rythme caractéristique est tiré du motif attaché aux enclumes des industrieux Nibelungen, ces figures souterraines qui amassent d'immenses richesses dans le Ring de Wagner, et dont les deux représentants clairement identifiés, Alberich et Mime, sont aussi petits et laids que cupides et veules.

Ainsi le stéréotype du juif dans le texte déclenche un stéréotype du juif dans la musique. Ce qui constitue une union assez réussie des catégories humoristiques E2 et A2 telles que précisément définies dans ces pages.

(Parce qu'on a beau dire, ça ne rigole pas sur CSS !)

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4. Mais au fait, peut-on en rire ?

Suite de la notule.

mardi 23 décembre 2008

'Bon plan' parisien

Concerts.

Voici une information très appétissante, sachant que les jeunes solistes de musique de chambre sont souvent les plus volontaires. Nous faisons un peu de mise en forme, soulignons, grassons (pour ce qui est rare) et commentons au besoin.

Suite de la notule.

samedi 1 novembre 2008

Carnet d'écoutes - Franz SCHREKER par James Conlon


Une fois n'est pas coutume, une décommandation.

Pourtant spécialiste de ces musiques décadentes, James Conlon livre une lecture très lisse de ce programme, en exaltant les traits des cordes (sans que le lyrisme en soit non plus renversant) et en rendant aussi opaque que possible le contenu de l'orchestre, c'est-à-dire en faisant de Schreker un compositeur essentiellement sirupeux, un postbrahmsien, alors que l'essentiel de son intérêt réside - à notre avis - dans la contradiction des textures et des affects. A chaque instant, un petit tricot inquiet en arrière-plan questionne les épanchements du premier plan, ou, à l'inverse, une harmonie inquiète est simultanément illuminée par des trouvailles orchestrales ou des contrechants.

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Il nous faut donc à nouveau recommander

Suite de la notule.

lundi 27 octobre 2008

L'opéra, manifestation ultime de l'art ?

En réponse à une question posée en d'autres lieux bien famés.


Tout dépend de la façon de considérer la chose.

Sur le plan de l'aboutissement musical, la contrainte du texte sera bel et bien un handicap (constitué par le respect de la prosodie et de la logique dramaturgique). Ecouter un opéra sans livret est tout de bon un sacerdoce, parce que la musique est sujette à des utilités que nous ne comprenons pas, imite une prosodie dont nous ne connaissons pas la raison interne.

En revanche, on peut considérer que l'interaction entre plusieurs arts accroît l'émotion (la musique se charge d'affects, le théâtre prend une dimension plus physique).

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Pour les lutins - et ce n'est pas pour le plaisir de se montrer contrariant - la forme ultime, ce serait plutôt le lied. Et pour le coup, on peut en écouter sans texte (même si on perdra inévitablement les trois quarts du plaisir), en musique pure.

Un genre mixte comme l'est la musique vocale a des avantages précis, et notamment l'intérêt soutenu que réclame une musique appuyée sur un texte (impossible de perdre le fil), ou bien le caractère de l'écoute d'un texte en action, ou animé par une atmosphère musicale - moins étouffant que la lecture silencieuse et solitaire.

(Par ailleurs, l'opéra est, pour les amateurs de ce genre de friandise, une occasion unique de profiter de théâtre en langue exotique sous-titré.)

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Mais il existe un problème, et qui par sa fréquence empêche absolument de placer l'opéra au sommet de la hiérarchie des genres (sinon par inclination personnelle pour tel ou tel critère, comme dans notre cas) : les arts n'y sont pas nécessairement présents au même niveau d'excellence, ce qui peut considérablement abîmer l'ensemble. La qualité littéraire ou l'urgence dramatique dans l'opéra seria, par exemple, laissent généralement (et sérieusement) à désirer.

Ceux qui se hissent sur les sommets en associant qualité littéraire du livret et écriture musicale hors du commun - et qui de surcroît rendent leur interaction signifiante - peuvent peut-être prétendre à quelque chose de particulier, mais ils ne sont pas si nombreux.
On peut citer quelques-uns des abonnés aux pages laudatives de CSS :

Suite de la notule.

samedi 25 octobre 2008

Erwin SCHULHOFF - Flammen ou la pornographie allégorique (1), Genèse


Schulhoff a tout du parangon des compositeurs classés comme dégénérés par les nazis : destructeur des formes traditionnelles, novateur, provocateur, grand amateur de jazz [1] et de sujets psychanalytiques et érotiques.

Tous ces éléments se retrouvent dans son unique opéra, qu'il vivait lui-même comme une épreuve qualifiante : Flammen.

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Le long interlude qui relie les scènes 1 et 2 du premier acte de Flammen, et brasse plusieurs des composantes stylistiques présentes dans Flammes - radiodiffusion de la représentation donnée le 21 mai 2005 au Concertgebouw d'Amsterdam par le grand spécialiste des décadents Edo de Waart, à la tête du - toujours formidable - Orchestre de la Radio Néerlandaise :


Lire la suite.

Notes

[1] C'est dans une boîte de jazz qu'il rencontre sa femme Alice, à qui Flammen est dédié.

Suite de la notule.

jeudi 9 octobre 2008

[Musique en libre accès] Schreker, Kammersymphonie (Symphonie de chambre) - Eötvös

(Diffusion complète ci-après.)

1. Contexte

Composée en 1916-1917, la Symphonie de chambre de Franz Schreker, contemporaine de ses Gezeichneten, est à la fois d'une réelle modernité sans appartenir à l'avant-garde et l'une des oeuvres majeures laissées par le compositeur.

En effet, tout en s'inscrivant dans une recherche très impressionnante dans les harmonies et les textures, cette Kammersymphonie prolonge essentiellement le versant le plus lyrique (et sucré) du langage de Salomé et Elektra de Richard Strauss. Point cependant d'hésitation avec l'atonalité, ou de recherches polytonales.

On peut rappeler quelques dates pour remettre en contexte :

  • 1900 : « Minuit passe », premier des Clairs de lune d'Abel Decaux, pièce visionnaire qui s'émancipe assez complètement des fonctions tonales.
  • 1905 : Salome de Richard Strauss, avec déjà beaucoup de lyrisme inquiétant.
  • 1907 : Ébauche d’une nouvelle esthétique musicale, où Busoni annonce quelques-uns des traits marquants de l'évolution musicale des années à venir. On le sait, il est également le concepteur malheureux d'un système inachevé de microtonalité, incluant des microintervalles pour enrichir le système musical occidental. (Busoni était cependant, dans sa musique, moins audacieux qu'un Schreker.)
  • 1909 : Elektra de Richard Strauss, dont les épanchements lyriques inspirent sans doute grandement l'esthétique de Schreker, mais dont les moments les plus audacieux, dans la grande scène de Klytämestra au premier acte, ressortissent tout de bon à l'atonalité.
  • 1909 : Fünf Orchesterstücke (« Cinq Pièces pour orchestre ») Op.16 de Schönberg, où les fonctions tonales ne sont plus nettement sensibles.
  • 1909 : Erwartung de Schönberg, grand monologue dont l'écriture tient de l'atonalité libre.
  • 1911 : Petrouchka de Stravinsky, où la polyrythmie et l'inventivité bien assise dans la tonalité peuvent se comparer au goût de Schreker.
  • 1912 : Pierrot lunaire de Schönberg, son atonalité libre et sa tentative d'invention d'un nouveau mode d'expression verbale, entre parole et chant.
  • 1913 : Le Sacre du Printemps de Stravinsky, dans la conscience de la postérité, une sorte d'acte de naissance éclatant d'une modernité sensible d'abord aux textures, à la violence, à la polyrythmie.


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2. Aspects de l'oeuvre

On le constate rapidement ainsi : en 1917, Schreker, malgré les réceptions houleuses de ses opéras (plus liées aux problématiques de la morale personnelle et du désir exposées dans ses livrets), n'invente rien de majeur musicalement.

Il se situe cependant résolument du côté de l'esthétique des novateurs (car il existe une immense majorité de postromantiques à cette époque), et présente des aspects très personnels. En particulier cette capacité assez hors du commun à exprimer des affects mêlés, voire simultanément contradictoires - notamment grâce à des superposition d'accords, des hésitations de tonalité, des modulation nombreuses, des textures orchestrales antagonistes.
Son orchestration, à la fois limpide et riche, porte des mondes sonores à elle seule, varie à l'envi. Caractérisée notamment par l'emploi généreux de percussions claires (au timbre desquelles ont peut assimiler le célesta), versatile, elle accompagne les changements de climats incessants de l'harmonie par le choc de textures diverses et harmonieuses.

La symphonie, en un seul mouvement, développe ainsi une multitude de microclimats successifs ou simultanés, fondés sur des motifs communs mais des tonalités et des instrumentations très contrastées.

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3. Format

Composée pour 23 instruments, comprenant 7 instruments à vents, 11 cordes, harpe, célesta, harmonium, piano, timbales et percussions, la pièce tient en un seul mouvement. La légèreté de la formation de cordes n'interdit pas une véritable ampleur par le savoir-faire remarquable de l'orchestrateur. Ce goût pour le réduit s'inscrit à la fois dans les expérimentations intellectuelles du temps (où l'on cherchait à découvrir des domaines sous-explorés auparavant) et dans les nécessité pratiques de la création d'oeuvres pour des novateurs prolifiques. Il était ainsi possible de se réunir entre amis, voire de mandater quelques musiciens pour compléter, et de les jouer dans un cadre privé ou semi-privé. C'est la raison d'être, plus encore que la recherche esthétique, des (géniales) réductions de Schönberg (par exemple pour les Lieder eines fahrenden Gesellen de Mahler ainsi que son Chant de la Terre), plus éloquentes encore que les originaux.

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4. Ecouter l'oeuvre intégrale

Grâce aux sites jiwa.fr et deezer.com, on peut écouter légalement certains disques non libres de droits en intégralité. C'est ce qui motive grandement la présente notule, qui sera plus parlante confrontée à l'audition - avec quelques repères et parallèles que nous fournissons.

C'est en outre la meilleure version que nous ayons entendue qui est ici proposée.

Suite de la notule.

samedi 13 septembre 2008

Histoire sommaire du dodécaphonisme sériel (2) - le fondateur

Volets précédents :


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Un mot un peu plus développé à présent sur le créateur du système, en insistant sur les articulations logiques de sa démarche.

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Peinture d'Arnold Schönberg,
Vision rouge, 1910
huile sur carton, 35x25,
Munich, Städtische Galerie im Lenbachhaus.
On notera le caractère très subjectif de ce qu'est une vision, ici.


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a) L'héritage

Arnold Schönberg, héritier culturel de l'esthétique du postromantisme plus qu'adepte d'une posture 'décadente' (bien que nous suggérions que la démesure de ces postromantiques-là ait quelque chose de décadent), connaît une première période d'un postwagnérisme assez tiède, plus caractérisée par le gigantisme et la prétention universalisante que par son invention musicale.
Néanmoins, son oeuvre de jeunesse, restée la plus populaire de toute sa production, la très-romantique Nuit transfigurée (1899) pour sextuor à cordes d'après Dehmel [1], fondée sur l'héritage d'un Wagner assez propret, a déjà fait scandale par l'usage d'un accord impossible à analyser.

S'étant plongé dans le sérieux mythique et médiévalisant du wagnérisme avec ses titanesques Gurrelieder, Schönberg va pousser très loin l'évolution de son langage : le Deuxième Quatuor à cordes (1908) débouche sur des accents certes encore romantiques, mais bien plus libres et inquiétants ; et les Cinq Pièces pour orchestre (1909) relèvent déjà de l'atonalité. Cependant, ces musiques conservent des pôles encore très forts : la musique semble attirée d'un point vers un autre, et se grouper autour de notes et d'accords forts, sortes de pivots, comme dans la musique tonale.

La même année, Erwartung dépasse ce stade, vers une atonalité extrêmement libre, où les différentes parties du discours musical semblent se dérouler indépendamment les unes des autres [2]. Ses lieder aussi se déplacent vers un langage de plus en plus libre, de plus en plus flou 'tonalement', de plus en plus angoissant aussi pour l'auditeur.

En 1912, Schönberg tente de théoriser un mode de déclamation semi chanté, le fameux Sprechgesang (« chant parlé ») du Pierrot Lunaire, oeuvre librement atonale aux accents de cabaret - revus par le prisme très intellectuel d'une composition sérieuse d'avant-garde. Notées par de petites croix, les notes indiquent des hauteurs approximatives à atteindre en voix parlée, une tentative (parmi d'autres) de noter de façon plus rationnelle la déclamation. Si les rythmes fonctionnent très bien, la notation des hauteurs s'est avérée assez approximative en réalité.
A cette époque, Schönberg est en train de s'émanciper totalement de la tradition d'écriture tonale, dans un univers absolument libre, mais encore relativement intelligible (enfin, pour l'époque, sans doute pas tant que ça). On y retrouve beaucoup de réflexes issus de la musique tonale, notamment les tensions et les pôles.

En détricotant ce qui fait le fondement de la musique même, Schönberg s'est probablement senti un peu désemparé devant l'ampleur des possibles qui s'ouvraient à lui, et, soucieux de transmettre son savoir, a vraisemblablement ressenti le besoin de théoriser quelque chose.


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b) Vers une non tonalité en système

Il est temps de faire un petit bilan.

Schoenberg hérite d'une situation où l'harmonie tonale (donc l'agencement des gammes et accords) est de plus en plus instable, rongée par le chromatisme (donc pas le mélange de gammes différentes, jusqu'à perdre les repères). Lui-même poursuit dans cette voie et accroît cette instabilité, jusqu'à quitter partiellement ou totalement la tonalité - mais en en conservant les caractéristiques, c'est-à-dire les impressions de tension, d'attraction, de repos (un accord en appelle un autre, on peut sentir la fin arriver, etc.). Peu à peu, cette liberté nouvelle dilue également ces repères (comme dans Erwartung). Devant l'immensité du champ qui s'offrait alors, Schoenberg a estimé (avec raison) que la tonalité disparaissait de fait et qu'il s'agissait d'en prendre acte et de fonder quelque chose d'autre.

En 1923, dépassant la "suspension des fontions tonales" - c'est-à-dire l'abolition de la logique de tension / détente qui fondait toute la musique occidentale, pour faire vite -, il propose le "système des douze sons" (lui-même ne parlait ni d'atonalité, ni de dodécaphonisme), où chaque son, égal aux autres, doit être exploité au cours de la série de base de chaque composition, et ne doit pas être répété avant que tous aient pris la parole.
Cela produit donc une "gamme" différente par composition, l'omniprésence de la dissonance (qui perd sa valeur expressive, donc), et de grands sauts d'intervalle pour exploiter tous les douze sons disponibles en Occident dans une octave. C'est avec sa Suite pour piano qu'il inaugure le système, qu'il transmet à ses deux élèves, Berg et Webern.

Le Troisième Quatuor à cordes (1927), les Variations pour orchestre (1930) et son opéra inachevé Moses und Aron (qui emploie en outre partiellement le sprechgesang, pour le rôle de Moïse) se plient à cette technique.

Le souhait de Schoenberg était de produire un système qui résolve la crise de la tonalité, et qui puisse être compris et apprécié de tout le monde. Pour des raisons structurelles que nous avions notamment évoquées dans le domaine vocal, il a sans doute péché par excès d'idéalisme. La démocratie n'était pas transposable en musique : rendre les sons égaux n'était pas nécessairement une solution efficace , les sons n'ont pas de subjectivité et se fichent d'être respectés. Seule compte la réception par le public de l'agencement de ces sons, et il existe des contraintes culturelles, physiques et pratiques que, dans l'effervescence créatrice de la Vienne intellectuelle, Schoenberg n'a pas semblé apercevoir.


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c) Caractéristiques du système

Les compositeurs, eux, se sont montrés enthousiastes.

L'ouverture d'esprit de Schönberg - qui ne désirait en rien imposer son intuition - lui a permis de travailler avec un autre artisan d'un système dodécaphonique sériel, Josef Matthias Hauer (1883-1959), en essayant de concilier leurs points de vue (finalement un échec, Hauer s'étant montré peu enclin à assouplir son propre système).

Car Schönberg prévoyait, pour laisser plus de liberté, la possibilité de :

  • transposer la série (c'est-à-dire de changer la série de tonalité, de hauteur - comme on le fait en musique tonale) ;
  • renverser la série (c'est-à-dire d'utiliser les mêmes intervalles entre les notes, mais dans le sens inverse : un demi-ton vers le haut devient un demi-ton vers le bas, et ainsi de suite) ;
  • rétrograder la série (c'est-à-dire d'utiliser les mêmes intervalles, mais en partant de la fin de la série vers le début) ;
  • combiner le le renversement et la rétrogradation (c'est-à-dire utiliser les intervalles en partant de la fin de la série vers le début, mais en inversant le sens des intervalles entre aigu et grave).


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d) Réception dans le monde musical

Le procédé implique, Schönberg s'en aperçoit vite, des difficultés pour le développement

Lire la suite.

Notes

[1] Fondé sur le poème de Dehmel, « Zwei Menschen » - ‘Deux humains’ - tiré du célèbre recueil Weib und Welt - ‘Femme et Monde’.

[2] Le contrepoint, c'est-à-dire la relation entre plusieurs lignes mélodiques simultanées, en est en effet comme privé de règles.

Suite de la notule.

vendredi 5 septembre 2008

Introduction à l'atonalité et au dodécaphonisme sériel

La question est si souvent posée... Qu'est-ce que l'atonalité, l'atonalisme, le dodécaphonisme sériel, le sérialisme ?

Essai de poser des jalons historiques et esthétiques, en partant de la tonalité et du chromatisme.


Généralement, les définitions de ces termes s'adressent d'abord aux musiciens. Elles sont abstraites et réclament beaucoup de préalables pour être comprises. Avec souvent assez peu d'exemples.

Nous avons essayé de produire une synthèse qui rassemble sur une seule page tous les principaux termes en débutant du point de départ (la tonalité). Elle se veut accessible même aux non musiciens, du moins sur le principe des différents outils utilisés par les compositeurs.

N'hésitez donc pas à demander des éclaircissements ou d'autres exemples si tel ou tel point vous paraît obscur.

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1. Présentation

Le dodécaphonisme sériel, théorisé par Schönberg, prévoit de substituer à la gamme une série de base, composée des douze sons de la gamme chromatique, choisie par le compositeur pour une oeuvre, qui peut être renversée selon des procédés de miroir. Cette série, fondée sur des intervalles entre notes et non sur des notes à hauteur précise, remplace les fonctions tonales, qui sont abolies - et par là même, la valeur expressive de la dissonance.

La série est utilisée comme la gamme tonale, en mélodie et en harmonie.

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2. Terminologie : tonalité, modulation, chromatisme, atonalité, atonalisme, dodécaphonisme, dodécaphonisme sériel, sérialisme et boulézien

Tonalité :

Mode d'organisation des sons dans le système classique (et populaire) occidental. A partir d'une gamme de sons, on conçoit des mélodies et des harmonies tirées de cette gamme et hiérarchisées de façon précise.

La plupart des musiques du monde se fondent sur des gammes, qui ne sont autre que des modes, c'est-à-dire une suite de sons de référence qu'on va employer dans ses morceaux. La tonalité est un type de mode propre à l'Occident (on peut la faire remonter à la Renaissance). Il en existe une version majeure et quelques versions mineures (souvent signalé dans les intitulés de morceaux).

Dans ce qui nous intéresse, la tonalité représente la norme employée par tous les compositeurs à la fin du XIXe siècle.

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Modulation :

Il s'agit du changement de tonalité en cours de morceau. En principe, la modulation conserve les mêmes intervalles et le même nombre de notes dans la gamme (seule la hauteur de la gamme se modifie), mais le contraste entre l'ancienne gamme et la nouvelle crée aux oreilles de l'auditeur l'impression d'un changement de couleur.
C'est pour cela que le baroque et le classique, qui modulent peu, ou les musiques extrêmes-orientales, qui ne connaissent pas la modulation, peuvent paraître uniformes au bout d'une trop longue écoute.

Exemples de compositeurs qui modulent peu :
=> Rossini, Donizetti... (les morceaux restent très homogènes au niveau des gammes utilisées, modulations très rares)
Exemples de compositeurs qui modulent énormément :
=> Wagner, Ravel, Richard Strauss, Szymanowski, Schreker...

Pour bien prendre conscience de l'intérêt d'une modulation, le mieux est d'écouter Schubert, les siennes sont très audibles et toujours heureuses.

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Chromatisme :

Dans un contexte tonal, on peut introduire des notes qui n'appartiennent pas à la gamme de départ, ce qui crée des surprises, des étrangetés. C'est ce que l'on appelle le chromatisme.
(La gamme chromatique est constituée des douze demi-tons occidentaux : do, do#, ré, ré#, mi, fa, fa#, sol, sol#, la, la#, si.)

Exemples de compositeurs très chromatiques
=> Wagner (on cite à bon droit Tristan en exemple), Alma Schindler-Mahler...

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Atonalité :

Etat d'un morceau qui ne peut plus être analysé selon les grilles de la tonalité.

Cela peut se manifester par des accords inconnus de l'harmonie tonale (la présence d'un accord inanalysable a été fortement reproché à Schönberg pour sa pourtant très postromantique Nuit Transfigurée d'après Dehmel) ou sans fonction harmonique détectable.
Bien sûr, dans les cas les plus avancés, plus rien ne ressemble à de la tonalité. L'atonalité peut donc désigner soit une tonalité qui n'est plus compréhensible, soit un langage qui ne doit rien à la tonalité.

Exemples de compositeurs ayant recours à l'atonalité :
=> Richard Strauss dans la scène de Clytemnestre d'Elektra, Abel Decaux dans ses Clairs de lune... Et tous les atonalistes exclusifs (voir définition suivante).

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Atonalisme :

Position de principe du compositeur qui choisit de composer en dehors de la tonalité. Comme Schönberg est le seul théoricien de l'atonalité a avoir connu quelque postérité, on rattache plutôt le mot à ses héritiers (qui vont refuser les fonctions tonales habituelles) qu'aux compositeurs qui vont exploiter des modes hors de la tonalité (avec de micro-intervalles par exemple) tout en conservant une hiérarchie entre les sons. Peut être péjoratif (accusations d'idéologie). Voir définitions suivantes pour plus de clarté.

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Dodécaphonisme :

Au sens large, le dodécaphonisme est l'usage des douze sons de la gamme chromatique (voir ci-dessus). Le « Premier Prélude » du Clavier bien Tempéré ou la Fantaisie chromatique de Bach, dans ce sens-là, sont donc des oeuvres dodécaphoniques.

Dans son sens le plus courant, il s'agit d'une abréviation de dodécaphonisme sériel.

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Dodécaphonisme sériel :

C'est le terme exact, bien qu'on rencontre souvent 'dodécaphonisme', 'sérialisme dodécaphonique', ou même 'sérialisme' tout court pour désigner ce même langage.

Le dodécaphonisme sériel, inventé par Schönberg, postule le remplacement des fonctions tonales (c'est-à-dire la hiérarchie entre les accords, le fait qu'un accord en appelle un autre) par un système égalitaire des douze sons entre eux, organisés par série comme exposé en introduction (et comme nous y reviendrons).
La polarité disparaît : il n'est pas possible de sentir comme chez Mozart qu'un accord en appelle forcément un autre de précis, que l'accord de fin va venir comme chez Beethoven, et la répétition de la note est interdite (pour ne pas créer de 'pôle' artificiel autour de la note répétée).

Nous aimons dire que le dodécaphonisme est la démocratie appliquée à la musique par Schönberg : abolition des rangs et des privilèges, tous les sons sont égaux. Un son = une voix, en quelque sorte : on ne s'exprime pas deux fois.

Cette technique rend le développement difficile et se révèle, malgré les souhaits de Schönberg, fort peu accessible pour la grande majorité du public, même quatre-vingts ans après son invention : un des plaisirs de la musique réside dans la sensation de ses tensions-détentes permanentes, des successions prévisibles ou au contraire trompeuses, etc.
Schönberg souhaitait que l'enfant suçât le sérialisme avec le sein maternel, mais pour des raisons structurelles (notamment physiques : la difficulté vocale de chanter une série, avec de grands sauts d'intervalle et une bien plus grande étendue que les chansons populaires) que nous avions évoquées, cela n'a pas pu être le cas. Et ce n'est peut-être même pas la force d'inertie des acquis culturels : nous y reviendrons, mais nous penchons de plus en plus vers l'idée qu'il existe des obstacles objectifs à ce type de langage.

Quoi qu'il en soit, cette démarche schoenbergienne a profondément influencé toute la musique écrite subséquemment, et certains chefs-d'oeuvre sont écrits dans ce langage, d'où l'intérêt de se pencher sur la question, qui en amène, on le voit, bien d'autres.

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Sérialisme :

On l'a dit, très souvent, le terme est employé comme synonyme de 'dodécaphonisme sériel'.
Toutefois, il peut désigner un langage qui n'a rien à voir avec celui-ci : tout simplement un langage fondé sur une série, c'est-à-dire une suite de sons qui n'est pas une gamme. Per Nørgård est souvent cité en modèle du sérialisme non dodécaphonique (avec l'usage de sa « série infinie »).

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Boulézien :

Insulte employée par les atonalisticosceptiques. Synonymes : dictatorial, abscons, soporifique, laid, criard.

N.B. : Boulez le leur rendant bien, attention au pluriel de tonal, qui est tonals (comme pour festival, mais contrairement à modal), et non tonaux comme le dit la plaisanterie récurrente du Maître des Marteaux.

Suite de la notule.

mercredi 27 août 2008

Alma SCHINDLER-MAHLER - Waldseligkeit (1915 n°2), Dehmel - II

Code : AlmaSchindler

Devant le succès imprévu remporté par l'article précédent autour de ce lied, nous poursuivons immédiatement tant que les cerveaux malléables de nos lecteurs dociles sont encore tout empreints de notre prêche récent.

Plus précisément, que ce passe-t-il ici ?

Un parcours de détail, qui s'émerveille de toutes ces petites trouvailles, de cette atmosphère ineffable propre à la compositrice - et qui tente (avec plus ou moins de succès) d'être clair aussi (ou à tout le moins un peu suggestif) pour les non musiciens.

Le parcours sera purement linéaire, inévitablement, à partir du moment où Schindler ne se résout jamais à délimiter des structures rigoureuses - toujours et toujours versatile !

Une autre version sonore de l'oeuvre à écouter.

En conclusion, une réflexion sur le style Alma.

Suite de la notule.

vendredi 22 août 2008

Alma SCHINDLER-MAHLER - Waldseligkeit (1915 n°2, Dehmel) - I

Voilà bien longtemps que nous projetons de revenir sur le peu que la postérité a pu récupérer du génie perdu d'Alma Schindler, épouse Mahler-Gropius-Werfel.


Alma Schindler à l'âge de huit ans.


Une présentation plus générale est à l'étude depuis assez longtemps, il nous faut simplement le temps de l'achever (et de refaire, à chaque fois, la discographie attenante, malgré sa quantité très réduite).

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Pour l'heure, introduction à ce lied totalement hors du temps compositionnel.

Le poème de Dehmel

Richard Dehmel (1863-1920), poète chéri des meilleurs décadents (notamment Zemlinsky, Schoenberg, Webern, Weill et même le postromantique Reger), a trouvé pour son poème Waldseligkeit une réception musicale très généreuse : pour les plus célèbres, Max Reger et Richard Strauss en 1901, Joseph Marx en 1911, et la deuxième pièce de la série de Fantaisies pour piano d'après Dehmel Op.9 de Zemlinsky (1898).

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WALDSELIGKEIT (traduction DLM)

« Béatitude de la forêt » [1]

Der Wald beginnt zu rauschen, / La forêt commence à bruire,
Den Bäumen naht die Nacht, / La nuit environne les arbres,
Als ob sie selig lauschen / Comme si, heureux, ils s'écoutaient
Berühren sie sich sacht. / S'effleurer doucement.

Und unter ihren Zweigen / Et parmi leurs rameaux
Da bin ich ganz allein, / Je suis là, parfaitement seul,
Da bin ich ganz dein eigen / Je suis là, parfaitement lié à toi,
Ganz nur dein ! / Je suis seulement à toi !

Difficile d'oublier, à la lecture de la thématique et de la structure de la première strophe, l'ineffable Schöne Fremde d'Eichendorff, fondé sur le même décor et la même attente grammaticale :

Es rauschen die Wipfel und schauern, / Bruissent les cîmes, elles frissonnent ;
Als machten zu dieser Stund / Comme si à cette heure se formaient
etc.

De façon encore plus nette que dans Laue sommernacht (autre texte de Dehmel mis en musique par Alma, dans la série publiée en 1910), l'univers sylvestre entre en confusion avec le monde émotif du poète. C'est une constante dans les textes choisis par Schindler : l'Hymne de Novalis, un mystère érotique, s'enracine dans le monde entier pour développer ses descriptions semi-abstraites. Un goût de l'ambiguïté et une obsession pour les sens proprement décadents (Schreker revient à cela pour chacun de ses livrets, en plus d'une méditation insistante sur la nature de l'art et sur l'avenir de la passion).

Inutile de s'étendre sur la seconde strophe et l'évincement du décor forestier au profit d'un 'recentrement' quasiment aphasique sur le Moi - et, nous dit-on, le Toi.

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La composition

Voici ce qu'en tire Alma :

La suite.

Notes

[1] Le titre reproduit donc le mélange du poème entre décor et subjectivité, c'est pourquoi nous avons renoncé au trop descriptif "béatitude sylvestre" ou au trop restrictif "béatitude en forêt".

Suite de la notule.

lundi 18 août 2008

Appétits (suite)

Suite des appétits de la saison, à l'international, publiée ici en commentaire, sous l'article dédié à la France :

Suite de la notule.

dimanche 29 juin 2008

Franz SCHREKER - Die Gezeichneten ("Les Stigmatisés") - V - acte troisième : l'autoritaire et le lascif

Poursuivons notre balade en Schrekerland.

Dans cet acte III, quelques pans important n'ont pas encore été évoqués.




La première partie de l'acte III par Ingo Metzmacher et le Concertgebouw, et le livret.
Principe d'autorité

Le Duc Adorno était jusqu'à présent plus un principe qu'une psychologie : le pivot politique capable d'interdire le don de l'Ile Elysée, de protéger les chevaliers suborneurs, et donc de relancer plusieurs pans de l'intrigue (politique, policière, et même amoureuse en intercédant pour Tamare). Ici, séduit par sa rencontre avec Carlotta, il se fait confident. La réussite tient dans la fusion des deux caractères du personnage : il n'en demeure pas moins principe d'autorité, et aux yeux du spectateur peut valider l'authenticité de Carlotta, alors que l'épuisement de son amour une fois la jouissance artistique passée (sensible de façon diffuse à l'acte II, avec des indices nets mais contradictoires) pourrait la faire sensible comme manipulatrice et fausse.
Au contraire, ce personnage original et attachant - grand même lorsqu'elle accorde une humanité au difforme (Salvago) condamné à goûter par procuration aux orgies des autres, à augmenter en quelque sorte le faste et la subversion de ses crimes pour ressentir un semblant de l'exaltation que la Nature procure à chaque homme sans cette sophistication perverse, se liant à de mauvais libertins qui cherchent à chasser l'ennui de leur haute condition, trop tôt comblés, par des plaisirs toujours plus excessifs - échappe à la déchéance de cet acte III par ce regard autorisé du Duc, sans concupiscence ni mensonge.

Car cet acte III, dans le même temps où il se répand avec toujours plus de générosité musicale, sombre dans la démesure d'une orgie dont le dérèglement ne peut, en fin de compte, que se montrer funeste. Carlotta elle-même se dégrade toujours plus au yeux du spectateur, sa bonté se faisant intérêt (l'intérêt du tableau à achever plus que l'amour ou la compassion pour Salvago), puis, plus cruellement, une indifférence à toute chose face à la promesse d'un plaisir immédiat.
Carlotta est sauvée de l'oubli de ses bienfaits et de la réprobation, voire de la répulsion du spectateur, par cette parole, ce certificat d'authenticité que lui décerne le Duc Adorno.

Les trois théories

En cela, le texte de Schreker brasse de nombreuses théories de son temps. Le résultat reste, quoique sophistiqué, tout à fait naturel et séduisant en ce qu'il refuse tout dogmatisme. Nous ne sommes pas ici dans une démonstration, mais les acquis de la réflexion de son temps se trouvent en quelque sorte mis en action, avec leurs contradictions internes ou relatives.

Suite de la notule.

dimanche 1 juin 2008

Franz SCHREKER - Die Gezeichneten ("Les Stigmatisés") - IV - acte troisième : la morale et la marotte

La suite.

De nombreuses questions, à défaut de se résoudre (ce n'est pas le genre de la maison), trouvent leur développement dans cette première partie du troisième acte.

Tout d'abord, le livret n'esquive pas l'évocation d'une pesante morale judéo-chrétienne, dont il se trouve totalement imprégné, sans chercher à la défendre ni à la fuir, alors même que son joug est secoué de façon constante au moyen des provocations païennes et lascives qui parcourent l'oeuvre. La religion, à l'exception de la présence symbolique de l'angélus dans le premier ballet qui ouvre l'acte III, n'est jamais invoquée (et seulement par le peuple) - il en reste cependant, inamovible, l'inertie de toute une morale.

Ainsi, alors que les nobles gênois ont connu l'orgie de jeunes filles, enlevées à leur famille, alors que chaque personnage développe des aspirations égoïstes tout à fait distinctes de la morale, l'élément déclencheur de l'oeuvre, le don de l'Ile d'Elysée, qui permet la rencontre entre Carlotta et Tamare, entre Carlotta et Salvago, ainsi que l'intrigue façon 'roman noir' autour de la découverte des enlèvements et l'intrigue politique de l'acceptation par le Duc Adorno du don, est décrit explicitement par Salvago durant l'acte III comme un geste d'expiation.

So fragt' ich mich auch, / C'est ce que je me demandai aussi,
und Zweifel bedrängten mich hart. / et le doute m'asaillit de toutes parts.
Doch war mir bewußt einer Schuld, / Mais j'étais conscient de m'être rendu coupable,
eines frevlen Gedankens, / d'une idée sacrilège,
der Früchte zeitigte, die ich verdammte / dont je maudissais les fruits
und deren Gift an der Seele mir fraß. / et dont le venin empoisonnait mon âme.
Diese Schuld zu sühnen, / Pour expier,
hab' ich das Liebste, das damals noch meinem Herzen lebte, / j'ai sacrifié ce qui était à l'époque le plus cher à mon coeur,
das einzige Glück meiner freudlosen Tage geopfert, / le seul bonheur de mes jours sans joie
ohn' das ich's bereu', / sans le regretter,
denn unverdient hoher Lohn ist mir geworden. / car j'en ai tiré une récompense imméritée.

(traduction tirée de l'extrait de livret que nous avons joint - p.178)

Le plus frappant étant que non seulement le discours d'Alviano (Salvago) consacre cette idée, mais de surcroît l'issue du drame retirera en effet cet unverdient hoher Lohn (plus littéralement "une haute récompense imméritée"), en une double punition. L'expiation trop heureuse n'aura pas purgé les comptes à rendre lors de l'interpellation publique pour ses crimes, et de surcroît le bien reçu en contrepartie de son geste lui sera absolument ôté : non seulement Carlotta est morte et donc inaccessible, mais en plus, elle aspirait vers autre chose que ses fiançailles avec Salvago... Totalement ôtée, concrètement et symboliquement - ce qui renvoie en effet au seul élément sûr que puisse reconnaître Salvago le difforme : sa marotte imaginaire.

Und meine Kappe, meine schöne Kappe / Et ma marotte, ma belle marotte,
rot und mit silbernen Schellen / pouge, avec des grelots d'argent,
sah niemand die Kappe ? / personne n'a-t-il vu ma marotte ?
Laßt mich, ich muß ja doch endlich... / Laissez-moi, il faut enfin...

D'une certaine façon, on retrouve un motif très important présent dans Le roi s'amuse (pas certain que Schreker ait lu cette pièce peu fêtée de Hugo, dans laquelle la question se pose de façon beaucoup plus complète que dans le néanmoins excellent livret de Rigoletto).
Le difforme, lié au statut de bouffon de cour, protège une jeune fille du monde dépravé auquel il contribue néanmoins (sans y toucher) avec un plaisir féroce. La rencontre fortuite des deux mondes provoque la destruction du monde candide et de la jeune fille - seule joie du bossu. Hugo, pour se défendre contre la censure (pourtant abolie par la Charte de Louis-Philippe) qui avait frappé d'interdiction Le roi s'amuse après sa première représentation, avait ajouté, en guise de préface, un développement d'une bonne foi limitée, mais qui défendait de façon assez convaincante l'idée d'une faute de Triboulet, qui avait lui-même nourri l'instrument de son propre malheur, en poussant les nobles à la débauche.

Toutefois :
(La suite et le matériel d'écoute et de lecture :)

Suite de la notule.

jeudi 29 mai 2008

Franz SCHREKER - Die Gezeichneten ("Les Stigmatisés") - III - ballet initial du dernier acte : nymphes & faunes, Pietro, les passants & l'art

Une replongée dans les délices sans fond des Gezeichneten. Comme il existe ici sensiblement moins de littérature introductive qu'au sujet de Tristan, par exemple, nous sommes gaiement partis pour quelques éléments autour de la première partie de l'acte III (avant le changement de décor de la scène 20).

Ce dernier acte d'une heure et demie (soit la durée additionnée des deux actes précédents) contient deux ballets, et se trouve en permanence, jusqu'à la scène 20, parcouru de scènes de danse en arrière-plan. S'y déroulent sans cesse des actions simultanées, à l'image de la musique de Schreker. Et s'y éclairent — d'une lumière trouble cependant — les propos et les statuts des personnages dans la logique de la théorie de Schreker.

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Voici le matériel nécessaire pour suivre le parcours :
=> le livret des scènes 1 à 20 de l'acte III (traduction française comprise, numérisé grâce à M. Rubato) ;
=> une version (inédite) de la partie présentement commentée de l'acte III, par Ingo Metzmacher à la tête du Concertgebouworkest (Amsterdam 2007), dont vous trouverez une présentation sur CSS.

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On débute ainsi par une étrange profusion de faunes, aux attitudes plus que lascives, aussi lestes même que dans la tradition. Tandis que l'auditeur revient de l'intrigue amoureuse entre le noble difforme Salvago et la petite bourgeoise fascinante Carlotta, et également, en amont de l'acte II, de l'intrigue politique (enlèvements secrets par de jeunes nobles débauchés protégés puis abandonnés par Salvago, veto à contrecoeur du Duc au don de l'île de Salvago pour protéger l'un de ces libertins), il se trouve ainsi confronté à un univers assez indécidable où le merveilleux semble prendre place dans un univers pourtant historique et réaliste (même si fortement symbolique).
Petit à petit, il s'agira plutôt de fantastique — ou même d'une simple explication indécidable. Les Faunes et les Nymphes, comme échappés des kiosques qui figurent des amusements assez peu chastes de la mythologie grecque — les très longues didascalies précisent tout cela explicitement — ne peuvent être commentés comme magiques dans cet univers trop concret, et semblent jusqu'à un certain point maîtrisés par la volonté créatrice de Salvago. Pourtant, il ne peut s'agir d'acteurs payés, puisque le don est fait à la ville, et qu'il n'est sans doute pas question de les entretenir par la suite — ou alors présentés pour l'occasion, alors qu'ils intimident tant les familles vertueuses ? Il ne semble pas non plus.

La présence de Pietro déguisé en faune prolonge cette perplexité. Le changement d'identité lui permet de rester caché après ses méfaits, mais est-il censé figurer l'art comme les autres le parc ? Et symbolique au niveau des personnages, ou au niveau du spectateurs ? Tout est d'autant plus troublé que des faunes complices surviennent pour arrêter Martuccia en passe de toute révéler, ici aussi, sans que l'on sache bien au juste leur fonction de profonde de sbires, d'acteurs, de symboles (et à quel niveau). La figure de Pietro déguisé incarne en tout cas à merveille l'équivoque de cette esthétisation libidineuse.

Ce ballet de faunes est aussi supposé faire sens, puisqu'il propose notamment une allégorie de Tamare et Carlotta (sans la moindre retenue, comme le suggèrent les didascalies, le menu du hors scène à venir pendant l'acte III est ainsi détaillé). Cette animation païenne, à peine interrompue par la religion (l'angélus, par deux fois), propose une idée de l'art qui vit, et qui paraît étrange aux gens incultes - tout cela est commenté par les différents personnages. L'art est alors présenté comme, littéralement, une animation (entendez : une mise en âme) de la beauté.

A ce titre, les passants incrédules et un peu comiques, outre qu'ils participent de l'esthétique mêlée de l'oeuvre, de l'énonciation simultanée d'émotions très différentes, aussi bien par la musique que par le texte, ne doivent absolument pas être supprimés par les coupures, comme c'est souvent le cas. Sans quoi on perd bien sûr l'équilibre dramaturgique du dernier acte, l'allègement des considération plus graves des personnages principaux (changées en d'interminables tunnels monologiques), et surtout l'étalon pour juger du sens de la réflexion sur l'art.
On entend par là que par leur perplexité, les passants permettent de mieux saisir ce que Schreker cherche, dans son livret, à livrer comme représentation de l'art. Dans une oeuvre elle-même en action, il semble concentrer (comme souvent chez lui) des interrogations sur la nature même de la pratique du beau.

Suite de la notule.

lundi 31 mars 2008

Retour sur Ibsen (Hedda Gabler)

A l'occasion de la tournée française du spectacle mis en scène par Thomas Ostermeier, Carnets sur sol revient aux sources, après deux années assez largement consacrées à Ibsen - et singulièrement à sa frange la plus épique, celle qui hérite d'Adam Oehlenschläger.

L'occasion de replacer l'oeuvre dans la production théâtrale d'Ibsen et ses caractéristiques singulières. L'occasion aussi de s'interroger sur les ressorts du théâtre tout entier - le plaisir doit-il réellement avoir lieu pendant la représentation ?

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Les soirées

A Bordeaux les 28 et 29 mars derniers, la production s'est promenée à Marseille en septembre dernier, et sera du 2 au 4 avril tout prochains à Rennes (Théâtre National de Bretagne).

Les lutins de CSS s'y trouvaient, tout émoustillés à la promesse du texte en allemand surtitré - à défaut du norvégien bokmål de l'original. Une expérience qui peut être très excitante - l'adaptation de Guerre et paix par Piotr Fomenko représente sans doute, opéra compris, l'une de nos plus exaltantes expériences théâtrales.

Le verdict sera sans surprise. On se souvient de Brand qui avait fourni, voici bientôt trois ans, l'une des toutes premières notes de Carnets sur sol. Sans représenter un choc comparable, bien évidemment, les propriétés théâtrales en sont, malgré les sujets et les formats fort divergents, assez comparables.

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De Brand à Hedda Gabler

Brand était un lesedrama, et par conséquent absolument pas destiné à être représenté. Une scène entre fjord et fjeld à imaginer. Hedda Gabler, a l'inverse, appartient au théâtre domestique de l'Ibsen dernière manière, extrêmement économe de paroles, facile à porter au théâtre. Avec de longs silences, cette représentation de deux heures parvenait donc tout juste à la moitié de la durée de Brand mis en scène par Braunschweig (sans traîner ostensiblement). Il faut cependant préciser que les représentation de Gabler contenaient des coupures (nullement annoncées, comme il se doit [1]).

Brand succède immédiatement, dans le catalogue d'Ibsen, aux Kongs-Emnerne (« Les Prétendants à la Couronne »), formés sur un patron totalement emprunté à Hakon Jarl hin Rige (« Hakon Jarl le Puissant ») d’Oehlenschläger (la confrontation des deux textes offre de vraies surprises !). C'est-à-dire à la période de la veine historique d'Ibsen, dont il ne restera plus guère que Kejser og Galilæer (« Empereur et Galiléen »), un drame à la portée plus philosophique autour de la personne de Julien l'Apostat - dont la dimension historique n'est perçue qu'au travers d'un cadre assez strictement domestique, malgré les changements très généreux de lieux. Brand amorce déjà une préoccupation portée à la relation intrafamiliale, aux tragédies du foyer.

En cela, Hedda Gabler, débarrassée de tout le folklore des paysages de Brand, de tout ce que cette situation et ce personnage avaient de singulier, prolonge et radicalise cette conception d'un théâtre intime, où les grands sentiments se manifestent (en franchement miniature) dans des êtres ordinaires, des situations quotidiennes, des lieux banals.

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La gêne

Notes

[1] Eternelle récrimination de CSS. Par le moteur de recherche de la colonne de droite, vous pouvez retrouver nos réflexions sur les coupures dans la tragédie lyrique, dans le Vampyr de Marschner, dans le Sigurd de Reyer, chez Richard Strauss, dans les Gezeichneten de Schreker...

Suite de la notule.

samedi 22 mars 2008

Franz SCHREKER - Die Gezeichneten ("Les Stigmatisés") - II - quelques notes

Ecoute intégrale ce jour des Gezeichneten de Stuttgart 2002 (Westbroek, Sadé, Otelli, Probst, Schöne - Zagrosek), avec une doublure de la bacchanale au premier entracte, parce qu'on n'est pas des reîtres non plus.

Quelques remarques en vrac lors de cette nouvelle écoute, qui pourront servir pour une note sérieuse, un jour, sur ce trop vaste sujet. Ajoutées à toutes celles qui attendent d'être reportées ici.

Suite de la notule.

mercredi 12 mars 2008

Faut-il acheter les intégrales à prix minuscule ? - III - Johannes BRAHMS chez Brilliant Classics

Le billet original se trouve dans la rubrique Astuces.

Le contenu de l'intégrale Brilliant Classics consacrée à Brahms vient de paraître en avance. Carnets sur sol, sur demande, joue dans la mesure de ses possibilités le guide.

Avant toute chose, il faut rappeler les deux précédentes étapes de cette réflexion :

  1. Autour de Mozart et Bach.
  2. Autour de Mozart, Bach, Chopin et Beethoven. Avec inventaire commenté du coffret Beethoven. Et surtout avec quelques considérations sur le modèle économique de Brilliant et l'intérêt ou non, selon les profils, d'acquérir de telles intégrales.

Aujourd'hui, inventaire commenté du coffret Brahms.

Suite de la notule.

vendredi 7 mars 2008

Faut-il acheter les intégrales à prix minuscule ? - III - Johannes BRAHMS chez Brilliant Classics

Le contenu de l'intégrale Brilliant Classics consacrée à Brahms vient de paraître en avance. Carnets sur sol, sur demande, joue dans la mesure de ses possibilités le guide.

Avant toute chose, il faut rappeler les deux précédentes étapes de cette réflexion :

  1. Autour de Mozart et Bach.
  2. Autour de Mozart, Bach, Chopin et Beethoven. Avec inventaire commenté du coffret Beethoven. Et surtout avec quelques considérations sur le modèle économique de Brilliant et l'intérêt ou non, selon les profils, d'acquérir de telles intégrales.

Aujourd'hui, inventaire commenté du coffret Brahms.

Suite de la notule.

dimanche 2 mars 2008

Bruckner révélé

Gold MDG a publié un arrangement, commandé par Schönberg à Stein, Eisler et Rankl, de la Septième Symphonie de Bruckner. Pour ces formations d'orchestre de chambre qui se tenaient dans le cénacle de Schönberg, et qui ont permis la composition de maintes orchestrations parmi les plus géniales jamais écrites. (Extrait ci-après.)

Ici, pour quintette à cordes (deux violons, alto, violoncelle, contrebasse), clarinette, cor, piano à quatre mains et harmonium.

Le rêve de CSS depuis des années : pouvoir juger de la musique de Bruckner en tant que telle, sans subir cette orchestration lamentable (thème aux cuivres, trémolos de cordes dans l'aigu, bois totalement inaudibles). On avait pensé à l'orchestre sur instruments naturels, comme celui des Champs-Elysées dirigé par Herreweghe... mais on rêvait comme à jamais inaccessible une version pour orchestre de chambre schoenbergien, comme les Mahler arrangés par Schönberg, comme la Symphonie de chambre de Schreker.

Suite de la notule.

mercredi 27 février 2008

Carnet d'écoutes et de jeu : Balades hétéroclites


Après-midi de répétition chez les lutins. L'occasion d'évoquer certaines oeuvres, puisque la plupart de celles-ci sont plutôt rarement données.

Au programme : Feldman, Kabeláč, J.-B. Faure, Chausson, Caplet, Franck, Saint-Saëns, Ravel, Piazzola, Fibich, Medtner, Schreker, Webern, Schubert.

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A. Piano solo

Morton FELDMAN : Palais de Mari

Comme toujours chez Feldman, un dépouillement extrême. Un double minimalisme : les mêmes formules d'accord, les mêmes rythmes font retour très régulièrement ; de surcroît avec une parcimonie de moyens tout à fait excessive. Ennuyeux à jouer, vu le tempo requis (vingt-cinq minutes de suspension absolue), mais une véritable atmosphère magnétique qui s'en dégage, une sorte de tension (accords pas parfaits) appaisée, quelque chose de vraiment étrange et singulier. Très agréable à écouter en revanche, n'était la durée un peu excessive pour l'exécution en concert normal

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Miloslav KABELÁČ : Préludes Op.30

Ensemble des premières années du vingtième siècle. Très étrange chose, qui ne correspondait pas du tout à nos souvenirs. Un soin harmonique très stimulant, quelque chose d'un Debussy qui regarde déjà vers Szymanowski. Et pourtant, dans ces préludes, des figures obstinées assez incompréhensibles. Ecriture pianistique très dépouillée (souvent une seule note en soutien à la main gauche), qui semble peiner à trouver des idées, et recycler à l'infini la première exposée - pas nécessairement géniale. Comme une mauvaise improvisation qui se sauverait de la catastrophe par la réitération sans idée.

Très étrange, vraiment, parce que l'inspiration harmonique et les couleurs mettent en grand appétit et donnent envie d'en entendre plus, de suivre des développements, de voir surgir des surprises de ce compositeur.

Déconcertant.

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B. Mélodies

Jean-Baptiste FAURE : Les Rameaux (J. Bertrand)

Suite de la notule.

samedi 23 février 2008

Le répertoire de CSS

Devant l'intérêt inespéré suscité par notre récent concert, les lutins ont saisi l'occasion pour me mettre un peu à jour la liste de notre répertoire dans le domaine du lied et de la mélodie.

Au cas où un lecteur se révèlerait intéressé par tel ou tel (bout de) programme.

Adresse simplifiée de la page pour accès direct : http://musicontempo.free.fr/repertoire.html .

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Par ordre alphabétique, puis classé par groupes et cycles. Avec les noms des poètes, comme il se doit.

Il était temps de mettre tout cela au clair, la liste devenait bien touffue...

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Il va de soi que cette liste constitue davantage un répertoire d'oeuvres abordées qu'une liste d'oeuvres prêtes à être jouées devant public. C'est une sorte de mesure du bain dans lequel trempent les lutins, pas plus.

Suite de la notule.

jeudi 7 février 2008

Guide pour les 'Victoires de la musique classique' - 5 - Compositeur, DVD "de l'année", victoires d'honneur - et pronostics

Compositeur de l'année :

Cette catégorie, ici plus encore qu'ailleurs, semble totalement détenue par une seule école. Une école de réaction par rapport au sérialisme qui a longtemps étouffé toute opposition dans le système institutionnel.

Autant le sérialisme systématique pouvait être abscons et dépourvu d'esprit, autant le résultat chez ces néos peut être, à son tour, assez fade.

Sans doute par volonté de ne pas brusquer le public, ou par relations, on ne peut donc avoir le choix, chaque année, qu'entre les compositeurs suivants : Thierry Escaich, Eric Tanguy, Philippe Hersant. Ou quelques autres dans le même esprit.

Dommage, parce que dans le style posttonal lui-même, ce ne sont pas forcément les plus intéressants. Pas forcément de mauvais compositeurs, mais le résultat paraît souvent bien tiède. Chez Thierry Escaich, on retiendra surtout les concertos pour orgue ou pour trompettes ; de Philippe Hersant, son opéra Le Château des Carpathes, très appétissant pour les extraits que l'on en a entendu.

Il est un peu dommage de présenter une image déformée de la musique contemporaine, alors qu'il existe tant d'écoles différentes. En convenant de la condition absurde de la nécessité d'être français, et sans chercher à imposer notre chouchou Bruno Mantovani, dont les raffinements un peu abstraits pourraient effrayer le spectateur ingénu, que fait-on des chatoyances miraculeuses de Thierry Pécou, de l'imaginaire de Bernard Cavanna, ou même de l'ultratonalité ingénue d'Isabelle Aboulker ? Et avec cela, on demeure dans du contemporain très facile d'accès, quasiment sans atonalité, mais qui ne se limite pas à une seule chapelle.

Voyons à présent.

Suite de la notule.

jeudi 24 janvier 2008

Claude DEBUSSY - Rodrigue & Chimène, le faux double ? - Nagano

Rapport à Wagner, aspect musical, questions d'interprétation et de distribution.

Les distances du livret avec Corneille.

... et à nouveau la prosodie de... Pelléas.

Suite de la notule.

mercredi 23 janvier 2008

Alexander von Zemlinsky, un décadent ?

Ou la problématique insoluble des « écoles » décadentes.

Le cas Zemlinsky. Essais de classifications. Définitions (décadence et décadentisme, dodécaphonisme sériel).

Suite de la notule.

samedi 10 novembre 2007

Le public italien est bouché

Dans la même perspective que le plus haut de tous les temps ou que nos récriminations sur les usages persistants du Met, voici un petit amusement sur la pratique du chant dans les théâtres.

Voici l'objet du crime.

Suite de la notule.

mardi 30 octobre 2007

[Sélection CSS] Musique, domaine public - XXIV – Gustav MAHLER, un panorama choisi

(ossia la sélection des Lutins)

Il y a quelque temps déjà, CSS avait proposé une succincte introduction à l’œuvre de Mahler – différant de la sorte le plat de résistance si intimidant, les vrais chef-d’œuvre du corpus (entendez les lieder de Madame) –, qui se répartissait en plusieurs entrées :

=> Mahler, caractéristiques générales ;
=> Mahler, les lieder ;
=> Mahler, les symphonies ;
=> Mahler, présentation de ''Das Lied von der Erde'' (un genre problématique) ;
=> Ecriture liederistique de Gustav Mahler.




Afin de pouvoir, parallèlement à ces propos, procurer une petite vision d’ensemble, et comme, à coups d’un enregistrement par semaine, nous n’écoulerons jamais notre camelote, voici donc le plus large panorama libre de droits de la musique de Mahler que nous ayons pu rassembler.

Nous avons fait le choix de ne pas doublonner les enregistrements, afin de proposer une sélection d’enregistrements intéressants, plutôt qu’une avalanche indécidable de témoignages qui incitent plus à la comparaison sans fin qu’à l’écoute des bandes pour elles-mêmes.

Mais, si besoin, nous disposons entre crochets les autres références dont nous disposons, si d’aventure il se trouve des souhaits précis…




Comme ces propos généraux sur un pilier du répertoire n'avaient sans doute pas été fort utile aux fidèles lecteurs de CSS, qu'ils y gagnent à tout le moins quelques perles. Et pour les autres, bonne découverte !

Suite de la notule.

samedi 20 octobre 2007

Franz SCHREKER - Die Gezeichneten ("Les Stigmatisés") - I - Discographie & équilibre de l'économie dramatique

Nous avons déjà feuilleté ensemble les oeuvres de Franz Schreker et leur discographie.

Vous le savez, le choix de CSS est d'éviter autant que possible la facilité discographique - on se perd bien rapidement dans des arguties préférentielles qui n'ont pas grand sens, tant elles sont attachées aux attentes de chacun (qui la voix, qui le théâtre, qui la musicalité, qui la chatoyance, etc.). On préfère inciter à la découverte d'oeuvres, à tout prendre, et s'y balader tout à loisir en compagnie des lecteurs de CSS.

Néanmoins, ici, devant l'immensité de la tâche que représente l'abord de ces Gezeichneten - dont le titre français a pour nous tant de charmes -, on biaise un peu. Et pour une raison bien simple : parce que les versions sont piégeuses, beaucoup sont coupées et la critique ne les signale pas. De plus, l'oeuvre est difficile à distribuer et une petite description avant achat peut s'avérer utile.

Toutefois, cette entrée était prévue pour intégrer l'article présentatif de Schreker, et n'a pas le caractère que nous aimons dans les discographies : à savoir la description des caractéristiques et non l'énonciation de jugements. Ici, du fait de leur caractère initialement informel (c'est-à-dire pas prévues pour être publiées de façon autonome), les notices ne sont pas expurgées de sentences parfois laconiques, ce que nous regrettons avec vous. On espère tout de même que le contenu en sera suffisamment informatif pour vous guider, notamment relativement aux coupures.

Et, pour se faire pardonner :

  • une astuce pour déceler les coupures avant écoute ;
  • quelques réflexions sur l'économie dramatique de l'oeuvre et sa mise en péril majeure par les coupures ;
  • une petite écoute comparative illustrative des versions inédites. (Les Lutins ont bien travaillé.)


Concevez-le donc bien comme une annexe discographique à l'article original.

Suite de la notule.

samedi 11 août 2007

A la découverte du LIED, un mode d'emploi - VII - Hugo WOLF, 'le gris qui pense'

Notre série se poursuit sagement.

Nous passons sur les traductions en allemand de Dvořák et sur les lieder en norvégien de Grieg, parfois traduits en allemand eux aussi, sans quoi nous y passerions plus que notre jeunesse.

3.12. Hugo Wolf


3.12.1. Présentation

Hugo Wolf est, avec Schubert et Schumann, le troisième principal pilier des récitals de lied. A peu près aussi fréquent, on trouve aussi Mahler, mais qu'on pratique assez modérément en versions réduites pour piano et chant, et qui se trouve donc essentiellement comme complément de concerts symphoniques dans la répartition traditionnelle ouverture-concerto(iciavecvoix)-symphonie.
Wolf, qui, si l'on excepte son opéra Der Corregidor et son quatuor à cordes, a essentiellement écrit du lied, dispose avant toute chose d'une solide implantation dans le récitals germaniques.

On a longtemps patienté avant d'aborder ce compositeur, car il est à notre sens l'un des plus difficiles à caractériser. A cause de la variété des traitements musicaux, à cause de son langage musical retors, à cause de la responsabilité qu'il y a à présenter une pierre angulaire du genre.


3.12.2. Caractéristiques

En règle générale, on peut caractériser le langage de Wolf par une sorte de stylisation, voire d'abstraction.
Le langage musical affiche une fausse simplicité, dans des nuances de gris toujours un peu attristées, mais avec de nombreux accidents - ici un rythme légèrement modifié, là une harmonie qui n'avance pas, ici encore de discrètes syncopes... Alors que sa constitution semble simple à l'oreille, l'étude des partitions révèle un travail très précis sur la musique pure. Ce langage musical est ainsi doublement retors, parce qu'il affiche cette fausse simplicité en la reconnaissant comme telle, parfois aux confins de l'affectation. Un jeu très troublant.
Le traitement de la prosodie participe lui aussi de ce trouble, puisque Wolf demeure toujours sur le seuil, à la fois proche de la langue parlée, sans "musicalisation" du propos prosodique (contrairement à Reger ou, dans une certaine mesure, à Alma Schindler-Mahler), et dans des lignes mélodiques qui sont absolument dépourvues d'évidence, comme recréant un possible de la parole - mais un possible improbable.

Suite de la notule.

jeudi 9 août 2007

Mise à jour

Dans le survol schrekerien, quelques mots sur Eva Marton dans Vom Ewigen Leben (traduit d'après Whitman).
[Voir au début de l'entrée 6.]

lundi 28 mai 2007

Lieder de Max REGER - recommandations discographiques (oeuvres et disques)

En appoint de la notule sur Max Reger, voici quelques-uns des rares disques à céder une place significative à ces lieder. Dans des interprétations de qualité, peu chères et disponibles, si possible...

Un petit tour aussi auprès d'oeuvres vocales rares.

Suite de la notule.

samedi 26 mai 2007

Soirée lyrique

Programme démentiel sur les radios du monde ce soir.

Et notre suggestion. (Puis nos commentaires.)

Pour les problèmes techniques, on peut se reporter ici.

Suite de la notule.

samedi 19 mai 2007

L'Anniversaire de l'Infante (à Carnegie Hall)

Que serait-il arrivé si le Nain difforme de Wilde n'avait jamais rencontré de miroir ?

J'ai trouvé la réponse ce jour en vidéo.

Suite de la notule.

lundi 14 mai 2007

Les disques du jour - XVIII - Franz SCHMIDT, Symphonies 3 & 4

Deux disques aujourd'hui.

Issues d'un calme romantisme tardif, ces deux symphonies présentent un déploiement sous forme de long serpentement, autour de motifs sans cesse réutilisés, comme chez Felix Weingartner, mais avec sans doute plus de subtilité.

Suite de la notule.

mercredi 4 avril 2007

Bac à sable diphonique

Puisque je fus perfidement accusé de conserver jalousement Bajazet pour moi seul, alors même qu'il figure explicitement dans mon carnet mondain (voir colonne de gauche), étalons notre effroyable compromission au grand jour. Séduit par son parcours fortement évocateur autour de l'alouette, je le prolonge ici brièvement.

Suite de la notule.

lundi 2 avril 2007

Siegmund NIMSGERN

J'admire depuis toujours ce chanteur à la fort mauvaise réputation, et je l'admire sans nul doute pour de mauvaises raisons.

Une technique fort peu orthodoxe, avec des notes qui s'aplatissent, un peu acides ; pourtant, plusieurs choses me réjouissent hautement chez lui.

D'abord son engagement total dans chacun de ses rôles, incarné de bout en bout. Mais aussi son timbre de méchant d'opéra de seconde catégorie, quel que soit le rôle abordé : toujours grimaçant, prêt à mordre (beau mordant aussi), d'une façon que je trouve infiniment attendrissante.
A son écoute, je suis toujours partagé entre l'électrique de la prestation, l'amusement de l'incongruité et le sourire attendri. Et, sans doute, la volupté avec laquelle on l'entend croquer les mots.

C'est donc à sa gloire que je vous propose cette petite liste commentée de rôles et d'enregistrements, ainsi que ces quelques extraits jamais publiés.

Suite de la notule.

samedi 17 mars 2007

Entsetzlich ! Entsetzlich !

Trahison suprême.
[Der Vampyr, Heinrich Marschner]

Et état comparé du chant de jadis et d'aujourd'hui. Paradoxes et enjeux.

Suite de la notule.

jeudi 15 février 2007

A la découverte de Franz SCHREKER

A été (profondément) mis à jour le 20 août 2009.

A titre de repère : 1878-1934.

Pas vraiment une présentation, son univers est à ce point riche qu'on s'y perdrait. Mais quelques repères parmi les disques existants : oeuvres et interprétations.

Je me prête rarement au jeu discographique ici, par choix. Il me semble qu'il s'agit toujours d'une solution de facilité pour ne pas parler des oeuvres. C'est un badinage agréable, mais peu instructif en fin de compte, à part pour faire impression dans des dîners.

Dans la grotte sur la butte Baccalan où je vis prisonnier du palais enchanté du mauvais mage Sourdis (ennemi mortel du mage blanc Berland), cette fonctionnalité ne me serait guère utile, aussi décochai-je l'option dans le cahier des charges de CSS.

Ici, c'est une motivation bien précise qui me mène à aborder le sujet. Je suis souvent amené à chanter les louanges de Franz Schreker, mais il faut bien reconnaître que le faire en tant que tel ne mène pas bien loin, tant on rencontre de tons différents dans son oeuvre, malgré une certaine homogénéité stylistique.
C'est pourquoi je propose ici quelques repères pour y naviguer en connaissance de cause.




Avec un extrait à savourer pendant la lecture. Michael Gielen et l'Orchestre de la Radio de Berlin, un extrait de Vorspiel einer Drama.

Suite de la notule.

mercredi 17 janvier 2007

Robert HOLL - liedersänger, liederkomponist

Plus le temps passe, et plus je m'attache à Robert Holl. Je me suis longtemps demandé - et je persiste à le faire - pourquoi, sans cesse distribué dans les rôles de basse les plus prestigieux de l'oratorio et du répertoire wagnérien à Vienne et Salzbourg, il rencontrait un tel succès auprès des plus grands chefs (Abbado, Harnoncourt, Boulez, Barenboim...), à part pour son étonnante solidité. La voix reste très ingrate, même si on s'aperçoit en regardant le texte, au lieu de contempler sa rustique barbe, que l'interprétation n'est pas dénuée d'intérêt.

Et au fil du temps, la familiarité, l'attachement naissent pour ce chanteur qui ne fascinera jamais les magazines par la brillance de son timbre et l'éclat de son aigu[1]. Une certaine musicalité, avec l'accoutumance, se révèle. Et aussi, lorsqu'on y regarde de plus près, une caractéristique assez admirable : il est l'un des seuls wagnériens aujourd'hui a pouvoir chanter correctement le lied, sans l'écraser sous un volume immense, un timbre dur et des flots d'approximations dans l'intonation. Sans être l'interprète ultime du lied[2], il y développe des qualités de musicalité tout à fait estimables, et son Winterreise que je louais abondamment pour l'accompagnement de Naum Grubert, n'est pas dénué de vertus, à défaut d'être fortement séduisant.[3] A défaut d'être séduisant, peut-être ; il s'agit cependant d'une valeur sûre en termes de musicalité.

Mais je découvre qu'il est également compositeur de musique pour piano et... de lieder ! Et quels lieder ! Dans la droite lignée des viennois décadents de la première moitié du vingtième, une engeance qu'on croyait disparue avec Krenek. On sent bien que la Seconde Ecole de Vienne est passée par là dans certaines discontinuités, certains sauts d'intervalles généreux, certaines 'antithèses' radicales d'accords successifs ; toutefois, le discours demeure tout à fait tonal et lisible, sombre mais juste raisonnablement sinistre. Très bien écrit pour la voix, à ce que l'on devine (je ne dispose pas encore des partitions), mais avec un piano d'une éloquence qui rappelle Medtner, Langgaard ou les meilleurs Korngold et Schreker. Robert Holl ose de superbes interludes au coeur même de cycles (mis à part le prélude et postlude des Poèmes de l'Intermezzo de Heine par Ropartz, je ne connais guère d'audaces de ce type dans un genre où le texte commande) ; il ne s'agit vraiment pas d'un chanteur qui écrit, mais bien d'un compositeur en tant que tel.

Je vous livre celui-ci, qui m'a particulièrement enthousiasmé :

Suite de la notule.

mardi 9 janvier 2007

Index thématique

Chocs esthétiques, Emerveillements et langue, Oeuvres et genres (Opéra), Oeuvres et traductions (Lied), Oeuvres (Musique intstrumentale), Oeuvres (Littérature), Oeuvres (Pictural), Portraits (Compositeurs), Portraits (Interprètes), Discographie, Comptes-rendus, etc.

On peut également se reporter à l'index alphabétique.

Complété petit à petit. N'est donc pas constamment à jour.

Suite de la notule.

samedi 23 septembre 2006

Schneewittchen ('Blanche-Neige') de Heinz Holliger

Suite à la remarque de Christian sur la disparition du site hébergeant l'article sur la Blanche-Neige de Holliger, j'en reproduis ici la page principale, légèrement amendée.

Il faut savoir que l'article en question date de quelques dizaines de mois déjà, rédigé fin 2003-début 2004, à vue de nez. Il serait à réécrire pour en lever quelques maladresses, mais je n'en ai pas le loisir. C'est donc à simple titre d'archive que je vous le propose.


Heinz HOLLIGER



      Né en 1939.
      Actuellement sont disponibles quelques notes sur quelques spécificités de [Schneewittchen].
     







*  Schneewittchen  *

Oeuvre familère et interrogative
      Le livret de Schneewittchen ('Blanche-Neige') a été rédigé par le compositeur d'après Walser. On dit souvent qu'il s'agit d'une oeuvre à part dans la production de Holliger, une des plus accessibles aussi - cas rare pour l'opéra dans le panorama contemporain. Ici, ce ne sont pas les crissements sarcastiques qui prédominent. L'ironie mordante est plutôt convoyée par un figuralisme hypocrite.

      L'oeuvre, en somme, ressemble assez à du Schreker actualisé, si l'on en croit la place d'un orchestre très homogène, au rythme comme étiré, et le mode de traitement d'un drame très littéraire, presque un essai. Les situations représentées versent souvent, il est vrai, dans le statisme - corollaire inévitable de l'utilisation de textes contemporains, faisant plus de place au commentaire et au doute, abolissant la science des effets, avant même de considérer la force dramatique. En cela, on retrouve aussi le souci d'approfondissement psychologique des Gezeichneten, sur le mode de scènes parfois arrêtées. Le grand souci plastique en moins, au profit de la réflexion sur le sens même de la représentation dramatique, de la portée des contes, etc...
      En effet, la recherche théâtrale ne peut plus se fonder sur la représentation d'un imaginaire mythique commun (il y aurait beaucoup à dire sur le sujet : télescopages de systèmes de valeurs, démentis à l'intérieur même des civilisations, etc.), ni le plus souvent sur l'expression de l'interrogation d'un collectif, pour les mêmes raisons, ni même, dans le cadre de la recherche littéraire, sur la simple efficacité dramatique, trop usée - et surtout passablement méprisée. Le principe d'un 'métaquestionnement', à l'oeuvre durant tout le vingtième siècle, se pose sans ambiguïté dans cette oeuvre de Holliger.
      De même que les personnages se permettent, tout en remplissant la fonction initiale d'un type, de contester le contenu et l'orientation du conte auquel ils sont pourtant soumis, la musique n'a pas la valeur exacte de ce qu'elle montre, dès qu'elle n'est plus abstraite.




Théâtre du métaconte
      Schneewittchen apparaît ainsi comme une illustration flagrante de la recherche littéraire au vingtième siècle, sous l'égide du doute, sinon du soupçon. A cela s'ajoute un accomplissement assez impressionnant pour une oeuvre de théâtre, genre comme on l'a succinctement suggéré assez difficile à manier avec les outils contemporains, fournissant peu de prises aux spectateurs.
      En effet, en lieu et place de l'efficacité dramatique, ici absente - à peine trouve-t-on un rien d'urgence dans la description des amours de la reine et du chasseur, scène de voyeurisme qui n'a rien d'active -, Holliger utilise le second degré, et le doute lui-même, pour porter son drame. Le traitement du début de la seconde scène est à ce titre exemplaire.


      Dans cette scène, l'orchestre se met à bruisser, à chanter, le prince à effectuer des coloratures sans fin qui voilent son discours. Ils deviennent les oiseaux qu'ils évoquent, comme en écho aux contestations des personnages sur un narrateur biaisé, qui choisirait la caricature. [Mais les personnages, tel le chasseur s'assurant indépendant de la reine, savent aussi mentir, ce qui rend complexe le démêlement des revendications légitimes et des faux-semblants.] Ainsi, cette musique à programme, par son évident excès de représentation concrète, avertit le lecteur par le biais de l'auditeur : le choix de la simplification coupable peut être fait, qu'il prenne garde.
      On pense beaucoup à un parallèle avec Rinaldo ("Augelletti, che cantate, Zefiretti, che spirate"
), admiré mais dont l'insouciance psychologique ne paraît plus possible aujourd'hui ; une référence qui place l'oeuvre dans une filiation en même temps qu'elle confirme l'impossibilité d'une imitation qui serait limitée dans son sens et privée de sincérité.
      Pourtant, au-delà de l'emphase ironique, se développe une véritable poésie. Le premier degré donne tout de même accès à une musique merveilleuse, descriptive mais quasi onirique, à un touchant tableau.
      Sans doute ce mélange entre références au passé, dans le style hérité (Schreker) ou dans l'esprit imité (Haendel), et doute posé sur la validité d'un drame concret aujourd'hui, éclaire-t-il un peu les choix d'esthétique musicale de cette oeuvre au profane holligerien, pour lequel cette rencontre constitue donc un excellent début.
     
      Plus précisément, cette scène, outre sa portée générale sur l'ouvrage dramatique et sa fonction éclairante dans la pièce et la musique, met également l'accent sur la duplicité de l'attitude d'un personnage que les contes traditionnels laissent somme toute peu connaître.
      Dans la première scène, un double couple délibère. La reine et le chasseur, Blanche-Neige et le prince. Nous nous situons en quelque sorte après l'issue du conte, mais c'est plutôt l'impression d'une émancipation des personnages qui prédomine, tels des acteurs contestant en plusieurs point la pièce qu'on leur fait jouer, le rôle réducteur qu'on leur fait tenir. La reine est particulièrement révoltée contre l'image figée et uniformément négative que lui donne le média narratif. Le prince, quant à lui, protège Blanche-Neige, sans grande conviction. En plusieurs endroits des protestations se sont élevées, il n'a pas toujours pris, en bon étranger, le parti de sa promise. La scène suivante place le jeune couple ensemble dans les jardins retrouvés.
      Le prince, peu empressé voire peu intéressé par sa compagne, se justifie en invoquant l'adage ('la sincérité n'a pas besoin de mots') qu'il se défend de transgresser en d'interminables explications bien bourbeuses, jusqu'à se compromettre, se faisant l'illustration négative de son précepte. Une fois sa sincérité douteuse placée aux yeux du spectateur, il fera bénéficier Blanche-Neige d'une description qu'elle désire bien peu : son voyeurisme se porte avec enthousiasme sur les ardeurs de l'autre couple. Mais ce n'est pas pour avertir Blanche-Neige qui proteste et réclame un peu d'attention.
      Dans ce contexte, les roucoulades du prince semblable à l'oiseau le font précisément penser bien trop volubile pour être sincère. Surtout que la quantité de paroles apparaît en réalité bien maigre, comme stoppée par ces ornementations inutiles et surtout inauthentiques. Leur surabondance masque même le contenu du texte. Le prince ne dit rien à Blanche-Neige de consistant, et encore, lorsqu'il parle, rend incompréhensible ses paroles. Seul le narrateur lui impose, en déduit-on, ce rôle de héros épris.




Une réussite de théâtre musical,
remarquable avec les outils propres au vingtième siècle

      On l'a compris, les textes littéraire et musical se lient ici étroitement pour faire sens. Rarement la musique posée sur un livret aura autant eu une valeur de confirmation ou d'interrogation, selon les cas, et en tout cas une valeur d'orientation de l'écrit. Une réussite et un régal qui rendent secondaire la seule esthétique, ce qui en facilite grandement, bien entendu, l'accès.

      Contestation vivifiante et littéralité de la merveille, dans les textes, nourrissent semblablement le doute spontané du spectateur. La représentation concrète, le recours aux usages n'est jamais dupe. Le traitement musical adramatique, qui rappelle souvent le procédé schrekerien, juste modernisé, de la toile de fond évolutive, tantôt discrète et presque oubliée de l'auditeur, tantôt revendiquée comme source de la poésie (et ici, du commentaire) de certains tableaux, convient admirablement à cet 'essai théâtralisé'.
      La poésie n'est jamais loin des questionnements : le texte de Walser fait interroger le conte par les personnages qui l'animent, en quelque sorte émancipés de la force créatrice qui les contraignait - un peu comme les personnages d'une fresque qui nargueraient le peintre en choisissant de renier leur pose caractérisante.


      Enfin, suprême satisfaction, l'interprétation 'Holliger par Holliger', la seule disponible à ce jour au disque, est très équilibrée, et dotée d'une distribution très sérieuse, qui ne peut qu'être louée pour l'homogénéité de ses membres et de ses talents (vocalité et diction en tête).
      Un opéra contemporain réussi, puisqu'il parvient à donner sens à la littérature du vingtième siècle dans une forme qui décuple la force de ses significations. Remarquable en tout point et bien que riche, très accessible, usant d'un langage musical en outre assez consonant, dans une interprétation de haute volée.
La preuve que le théâtre musical peut trouver une voie sans recourir à l'impact dramatique, en effet plus rare dans la littérature contemporaine.

mercredi 7 décembre 2005

La Passion d'un mot à la mode

Fait linguistique bien connu, la force des mots tend à s'émousser à mesure que, pour renforcer un discours, on utilise des termes légèrement hyperboliques qui, se banalisant, perdent de leur violence.

Nous assistons depuis quelques mois/années à une attaque en règle d'un vocabulaire mystique, jadis très connoté. Lorsque Franz Schreker, dans la première moitié du siècle dernier, écrit et compose ses Gezeichneten, littéralement "Les Marqués", on le traduit par "Les Stigmatisés", afin de souligner ce que la marque en question a de pesant ou d'infâmant.
Aussi, intellectuels et journalistes, désireux de mettre en lumière ce que les errements en politique sociale ont de conséquence sur l'individu exclu, eurent la brillante idée d'employer le verbe stigmatiser.

Stigmatiser, c'est un terme rare, un terme savant, élégant ; mais aussi un terme fort, qui renvoie aux iniquités subies par l'Agneau Pascal, qui prouve les souffrances endurées sur la Croix par les fautes du Monde et pour alléger les fautes du Monde. Les stigmates sont la preuve irréfutable de l'injustice, et plus encore, du martyre qui incite au respect.
Stigmatiser une population, c'est être injuste et violent, la crucifier au point de lui laisser ces sinistres traces, les stigmates auxquels on reconnaît l'étendue du crime.
Stigmatiser des dérives (autre mot, poétique, à la mode), par extension - et presque par renversement analogique -, c'est montrer l'erreur, en laissant une marque indélébile sur la faute inexcusable, comme témoin implacable des errances trop longtemps restées dans le secret.

Quel beau mot. Imagé, doté d'une violence peu commune, farci de références à deux mille ans de culture spécifique. Il prouve la science de celui qui l'emploie, il est intelligible pour tous. Et il montrera toute l'importance du sujet et de la faute relevée, que ce soit celle qui conduit à l'injustice ou celle qui est injuste en elle-même. Un peu comme si on parlait d'Holocauste (ou, dans l'actualité, de pogroms), mais en moins risqué - il y a prescription depuis plus longtemps, et il s'agit de la culture majoritaire, donc pas de soupçon de mauvais esprit.
Tout y est. On singularise un sujet. Sans risque. Dans toute son importance, joliment, de façon savante, de façon frappante.

Seulement voilà. Tout le monde a pressenti le bon plan.

Prêtez-y attention. Pas un journal, de France Info à France Culture, qui n'utilise au moins deux fois le terme. Au point que l'exception à la fois forte et raffinée n'a plus de sens. Stigmatiser, c'est critiquer, pas plus. Dommage, un si beau mot. Il redeviendra fréquentable - c'est-à-dire qu'il reprendra du sens -, mais à en juger par l'usage abondant qu'en font jusqu'aux plus talentueux rédacteurs de la blogosphère, ce n'est pas pour demain.

En attendant, on se console en voyant stigmatiser jouer avec ses petits camarades, plein d'insouciance :
Hier soir, en match de poule, l'Amicale Sportive de Vézins-le-Rozier a crucifié Castelbouc 32 à 30.

Il est en bonne compagnie, c'est déjà ça.
Espérons que ça aura passé d'ici Pâques.

David Le Marrec

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