Carnets sur sol

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Mieux servi que par soi-même

Cette réflexion me vient à l'écoute de la version française de Salome, réalisée par Richard Strauss sur le texte original d'Oscar Wilde, en arrangeant sa propre partition. Il en existe un seul enregistrement, de bonne facture, mais l'oeuvre en elle-même constitue une déception.

Cette seule version au disque (1990), d'assez mauvaise réputation (et difficile à trouver), est dirigée par Kent Nagano à la tête de l'Opéra de Lyon :

Salomé Richard Strauss Hofmannsthal Kent Nagano .

L'interprétation est, contrairement à ce qu'on peut entendre ici ou là, d'excellente facture :

Salome : Karen Huffstodt
Herodias : Hélène Jossoud
Herodes : Jean Dupouy
Jochanaan : José van Dam
Narraboth : Jean-Luc Viala

Le français de tout à fait bon niveau, y compris pour Karen Huffstodt, assez compréhensible eu égard aux difficultés de diction que posent les lignes vocales.



Pourtant, cela fonctionne mal, et place ce chef-d'oeuvre plutôt au niveau d'une pièce de grand intérêt que d'un pilier indispensable du répertoire. Pour deux raisons.

  1. D'une part, la prosodie française de Richard Strauss est mauvaise. Le rythme des mots se perd, les syllabes prennent trop de poids, les accentuations tombent à côté des effets musicaux.
  2. D'autre part, les rafistolages musicaux sont très peu heureux. Les rythmes dansants deviennent bancals, les lignes vocales sont étêtées, le cheminement orchestral se fait hésitant, répétitif, pesant.

Nullement au point de rendre l'oeuvre laide ou méconnaissable, mais même pour le locuteur francophone, on perd singulièrement en plaisir. Le dentelé de la langue allemande, les effets choisis, les fulgurances, tout est comme atténué, étouffé.

C'est pourquoi, moi qui suis pourtant très friand des adaptations, je ne recommande pas vraiment ce disque et cette découverte.

Tout simplement, j'en pense qu'il est tout à fait possible de jouer Salome en français, mais sur la musique originale de Strauss, et le texte adapté par des francophones. Oui, l'aval du compositeur, et même ses louables efforts ne sont pas ici les meilleurs garants de la qualité. J'avais déjà souligné à quel point, en respectant tout à fait la musique, on pouvait obtenir des résultats étonnants de fidélité à l'original et d'efficacité dans la langue d'arrivée - avec Victor Wilder et Charles Nuitter chez Wagner, par exemple.

Lire la suite (extrait et commentaire).


* *
José van Dam : Jauchze nicht, du Land Palästina.

Vous l'entendez, les accents sont placés de façon très étrange - et Dieu sait que le français supporte bien les contre-accents (la musique peut frapper une syllabe intérieure sans grand dommage). Ce parce que étiré, ces "e" atones accentués, ces membres de phrases incongrus mis en valeur... van Dam s'en tire admirablement, mais la partition est ce qu'elle est. Le désir d'adapter le texte original de Wilde sur une musique déjà écrite ne pouvait pas être très heureux. Toute la force verbale s'écoule par la fissure de cette étrangeté.
En outre, ce qui est modifié perd en force, même harmonique - comparer Land Palästina à terre de Palestine ; en plus de la prosodie forcée, la musique en est moins saisissante.


Pour information, une version anglaise a été donnée à l'Opéra de Washington, début 2002 - avec Sylvie Valayre, Jan-Hendrik Rootering et René Kollo.

On notera aussi avec malice que, sur la pochette du disque Nagano ci-dessus reproduite, on a significativement écrit "SALoMé", à la française, mais le "A" majuscule comme accentué à l'allemande...

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Commentaires

1. Le mercredi 29 novembre 2006 à , par Ouf :: site

Tu confirmes l'impression que j'ai toujours eu de cet enregistrement, malgré les tentatives répétées d'écoute. Cet enregistrement est un ratage, non par la qualité technique et musicale, mais bien par le "matériau", qui, malgré la curiosité qu'il représente, dessert plutot l'oeuvre du grand Richard. Tu as tout parfaitement exposé les problêmes de prosodie, donc je n'y reviens pas.

Je profite par contre de cette note pour dire deux mots de la Salomé du français Mariotte, que j'ai (enfin) pris le temps d'écouter, et qui a constitué une déception majeure. On se demande bien pourquoi Strauss a fait tant de problemes pour une oeuvre qui n'en valait aucunement la peine et aurait coulé toute seule. Certes, la distribution proposée par le Festival de Radio-France n'était pas exempte de reproches (un Vincent Le Texier pas en forme, ou fort mal distribué, et constamment aux prises avec la justesse dans une partition qu'il ne maitrisait manifestement pas), mais elle donnait une suffisamment bonne idée de l'oeuvre pour n'avoir aucune envie de la voir jouer à la scène...

2. Le mercredi 29 novembre 2006 à , par DavidLeMarrec

Bonjour (joyeux) sire !

Tu confirmes l'impression que j'ai toujours eu de cet enregistrement, malgré les tentatives répétées d'écoute. Cet enregistrement est un ratage, non par la qualité technique et musicale, mais bien par le "matériau", qui, malgré la curiosité qu'il représente, dessert plutot l'oeuvre du grand Richard.

Il faut dire que plaquer un texte dans une autre langue, sans possibilité de l'adapter le moins du monde, sur une musique très précisément préécrite, ça ne peut pas fonctionner... Et en plus c'est mal fait. [Vlan.]


Je profite par contre de cette note pour dire deux mots de la Salomé du français Mariotte, que j'ai (enfin) pris le temps d'écouter, et qui a constitué une déception majeure. On se demande bien pourquoi Strauss a fait tant de problemes pour une oeuvre qui n'en valait aucunement la peine et aurait coulé toute seule. Certes, la distribution proposée par le Festival de Radio-France n'était pas exempte de reproches (un Vincent Le Texier pas en forme, ou fort mal distribué, et constamment aux prises avec la justesse dans une partition qu'il ne maitrisait manifestement pas), mais elle donnait une suffisamment bonne idée de l'oeuvre pour n'avoir aucune envie de la voir jouer à la scène...

Ah oui ?

J'avais été très gêné par le français des chanteurs, épouvantable, incompréhensible de bout en bout (alors qu'ils étaient de nombreux francophones et spécialistes du répertoire français...), mais j'avais été extrêmement séduit par l'oeuvre.

Koering a jusqu'à présent, de mon côté, fait preuve d'un bon goût à peu près sans faille. Il m'a même converti à Perosi, c'est dire !

3. Le vendredi 1 décembre 2006 à , par Bajazet

Ouf (Ouf Ier ?), je ne sais pas si tu as remarqué, mais David LM est un vrai pervers.

4. Le vendredi 1 décembre 2006 à , par DavidLeMarrec

Oui, c'est Ouf Ier soi-même et en personne.

La perversité, je l'assume volontiers, mais que les choses soient claires : je parle de bon goût en programmation musicale ces dernières années, pas de mise en scène ni de composition. Il y a des limites à ma subversion.

5. Le dimanche 3 décembre 2006 à , par Ouf :: site

Baja, l'illustre Bajazet lui-même en personne ? Que du beau monde sur ton blog cher David !

J'avais remarqué depuis quelque temps déjà l'extrême perversité de David. Mais c'est pour elle qu'on l'aime ! ;-)

6. Le mardi 5 décembre 2006 à , par Bajazet

Allez, David, avoue que tu composes des lieder avec vibraphone d'après "Aglavaine et Sélizute" de Maeterlinck !

Bientôt un dossier ?

7. Le mercredi 6 décembre 2006 à , par Ouf :: site

Oui, mais c'est parfaitement en cachette, et tu n'es pas censé divulguer ce genre de secret que D. a dû te confier dans un moment d'égarement.

8. Le mardi 12 décembre 2006 à , par DavidLeMarrec

Mais regardez-moi ces deux pies !

C'est pas un peu fini ?


D'abord, c'est du célesta.

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