Ariadne sans son prologue
Par DavidLeMarrec, lundi 13 février 2006 à :: Oeuvres - Vienne décade, et Richard Strauss :: #154 :: rss
Ariadne auf Naxos de Richard Strauss était prévu sans Prologue, initialement. Il n'a été ajouté que quelques années après la création.
L'oeuvre est parfois encore de nos jours proposée avec l'Opéra seul. La possibilité d'Ariadne seule me laisse perplexe.
Pour ma part, je trouve que sans le Prologue, l'oeuvre pèche par une singulière prétention, un peu sirupeuse, et un plan assez médiocre, saupoudrant alternativement serio et buffo. Cela n'en reste pas moins réjouissant musicalement, mais c'est sans doute, de surcroît, plus difficile à pénétrer :
- pour le livret, on saisit mal la justification de ce mélange des genres. Deux grandes sources d'inspiration théâtrale pour les deux compères - hiératisme supposé du théâtre antique et fantaisie animée de la Commedia dell'arte ? Ce n'est pas si évident à la lecture de leur théâtre commun. Et pourquoi tenir à les jeter dans un même ensemble, tout en garantissant qu'il n'y ait pas la moindre contamination ?
- et musicalement, cet assemblage hétéroclite est assez difficile à accepter.
On peut aussi y ajouter le déséquilibre, avec cet interminable duo, le côté un peu dogmatique de la démonstration de Zerbinetta infailliblement illustrée par la fin de l'ouvrage. La musique, emphatique, peut même paraître faible, tant elle est premier degré, tant elle dégouline de partout.
Je charge un peu la mule, mais tout de même, sans connaître le Prologue, je crois que je serais dans le désarroi.
Parce que le Prologue permet malicieusement de replacer tout cet opéra dans une perspective amusante, fine, et qui autorise de multiples réceptions. Il y a bien sûr la double identité des personnages (chanteur/incarnation théâtrale) et la disparition du Compositeur qui se fond dans la musique de Strauss pour l'opéra et, quelque part, dans le public. Mais aussi l'explication du système, de l'esprit du mélange, de la façon dont il doit être interprété. Tout cela suggéré de façon anodine, selon la mini-intrigue dramatique du compositeur infortuné - point de chapitres wagnériens ici.
Musicalement, c'est aussi une splendeur, et le mélange des thèmes sérieux et bouffes fait la démonstration de ce qui peut être réalisé au moment même où les personnages en parlent au futur.
Pourtant, ce Prologue pose indirectement un problème : on est forcément déçu par le manque d'ambition de l'opéra qui, manifestement, n'est pas composé sur ce modèle. Pas de mélange de thèmes, alors que Strauss s'entend comme personne à mêler simultanément des splendeurs mélodiques, des couleurs. Des tranches de pain et de fromage successives, mais pas le délicieux pain au fromage promis.
On s'en remet néanmoins : éclairé par le très réjouissant Prologue, véritable mise en appétit intellectuelle et sensitive, l'opéra devient beaucoup plus digeste - et même, pour tout dire, largement enthousiasmant. Malgré les manques, les décalages par rapport à la publicité, tout prend sens et, mis en joie par ce qui précédait, on engloutit tout sans difficulté.
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