Au secours, je n'ai pas d'aigus — I — Deux façons de chanter
Par DavidLeMarrec, dimanche 11 janvier 2015 à :: Pédagogique :: #2605 :: rss
Les aigus sont un mystère pour le profane : comment les grands chanteurs parviennent-ils à les faire sortir, pourquoi certains sont-ils à la peine, comment faire pour l'essayer soi-même ?
On tâche d'apporter des pistes de réponses.
--
Pour les réserves indispensables à apporter sur les conseils à propos d'une non-science non-exacte formulés par un non-spécialiste, voir là . Ne croyez jamais les vérités absolues énoncées même par les plus grands spécialistes – et a fortiori par tous les donneurs de conseils plus ou moins éclairés que vous pourrez croiser. Toujours vérifier ces choses, d'un œil critique. À commencer par ce que je vais énoncer ici — même si je m'efforcerai de donner des éléments les plus généraux possibles et les moins « idéologisés » (appliquables à la plupart des écoles de chant).
Vous aurez peut-être besoin, pour plus de clarté, de relire au préalable cette notule sur les différences entre voix de poitrine et voix de tête, voire celle sur les équilibres timbraux, et en particulier son prolongement appliqué au ténor.
1. La zone d'émission lyrique
En mettant de côté la voix de flageolet des femmes, tous les humains parlent, dans la vie de tous les jours, avec leur « voix de poitrine », le mécanisme qui régit le bas de l'étendue vocale. Elle ne nécessite pas beaucoup de soutien musculaire du diaphragme (pour le souffle et sa régularité), et n'interdit pas la puissance ponctuelle lorsqu'il faut se faire entendre.
Il existe bien quelques exceptions (en particulier des femmes qui se mettent à parler en voix de tête haut perchée lorsqu'elles parlent en public… ce qui est en général assez désagréable à entendre, et crée immédiatement un effet de gêne), mais on peut considérer ce principe comme assez universel.
Dans la chanson populaire, où l'on s'exprime à proximité de son auditoire (ou par le truchement d'un microphone pour amplification), c'est aussi le mode d'émission très majoritaire, même chez les femmes.
Le chant lyrique procède d'une autre logique : il doit permettre de chanter de longues lignes, de se faire entendre dans une grande salle, de passer un grand orchestre, pour des rôles assez longs et sans aucune amplification. Il faut donc aller chercher dans d'autres parties de la voix la résonance.
Cela se fait tout simplement en allant dans l'aigu, où la gestion tonique de l'air et la richesse des harmoniques vont faire la différence.
… au prix de conséquences visuelles pas toujours avenantes.
Aussi, beaucoup d'apprentis chanteurs qui manquent de puissance se réfugient en réalité (même s'ils sont dans leur bonne tessiture) dans leurs graves, et plus largement dans le mode d'émission de leurs graves.
2. Deux modes d'émission
À partir du passage (on utilise parfois le terme italien passaggio), le mode d'émission change.
Chez les femmes, c'est assez simple : l'essentiel de la tessiture lyrique se fait en voix de tête (d'où la différence très spectaculaire entre chant lyrique et chants traditionnels ou amplifiés). Avec beaucoup de nuances, certes (par exemple Fassbaender qui mixe avec sa voix de poitrine).
Chez les hommes, cette bascule se fait plus tard, au milieu (ténor) ou à la fin (basse) de la tessiture. Il existe plusieurs choix possibles : passer en voix de tête, rester en voix de poitrine comme « en bas » (en ajustant plusieurs choses), ou, intermédiaire entre les deux, utiliser la voix mixte (on reste dans le même mécanisme mais avec des attributs, notamment la clarté et la flexibilité, de la voix de tête). Tout cela a déjà été exposé, extraits à l'appui, dans cette notule, je vous y renvoie donc pour les détails. Pour des raisons pratiques évidentes (ce sont à la fois les plus concernés et le seul type de voix que je puisse personnellement tester), mon propos se rapportera essentiellement aux voix d'homme.
Si l'on veut éviter un décrochage brutal vers le fausset dans les aigus (la voix devient soudainement très claire et beaucoup moins puissante), et il le faut vu que les rôles franchissent sans cesse la limite du passage, au milieu même des mots, il existe plusieurs gestes vocaux à appliquer.
Je vais m'en tenir à ceux à l'œuvre dans le chant lyrique, mais il est évident (et sinon, c'est l'occasion de le préciser) qu'il n'existe pas une seule façon de bien chanter, et que selon les contraintes de chaque répertoire, les ressorts techniques sont très différents. Dans le folklore, la variété, la pop, on chante généralement moins au delà du passage, mais on le fait aussi, et du fait de la proximité du public ou de l'usage de micros, on le fait dans des modes vocaux de nature très différente à ce dont il est question ici. Dans ces cas, les voyelles et les gestes favorables ou dangereux sont très différents : ce que je vais essayer de décrire ci-après, à supposer que ce soit pleinement exact, n'a donc vraiment rien d'universel. N'essayez surtout pas d'abaisser votre larynx ou élargir le son de votre belting, par exemple !
Si ce sujet vous intéresse, il existe (contrairement au chant lyrique, où l'on trouve surtout des ouvrages qui décrivent bien a posteriori les mécanismes, ou qui au mieux fournissent de bons exercices… et beaucoup de choses fumeuses) d'excellents traités solidement documentés physiologiquement, qui ont paru dans les années récentes. Par exemple Complete Vocal Technique de Cathrin Sadolin, qui n'apprend pas davantage à chanter que les autres, mais détaille précisément les implications techniques de chaque mode d'émission vocal — ce qui inclut à la marge la technique lyrique. Pour donner une idée, elle classe les voyelles dangereuses (qui ne sont pas du tout les mêmes sein de chaque mode vocal). Vous pouvez aussi consulter le site d'Allan Wright (les modes vocaux ne sont pas les mêmes, mais le principe de description physiologique est le même), qui explore sensiblement les mêmes eaux.
Tous ces théoriciens ont d'ailleurs en commun de critiquer le vocabulaire fluctuant (et physiologiquement inexact) du chant lyrique — et il est vrai qu'entre les strates de tradition et le mélange des différentes écoles nationales, on entend facilement tout et son contraire. Les mêmes vocables peuvent recouvrir des gestes assez différents, et leur réalisation peut aussi grandement différer.
Je mets tout cela de côté, mais pour ceux qui sont intéressés, c'est un champ complet d'investigation, très riche, que je laisse délibérément inexploré dans cette série.
--
Suite à venir… avec des extraits sonores.
Commentaires
Aucun commentaire pour le moment.
Ajouter un commentaire