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Beethoven - Missa Solemnis - Colin Davis / LSO (Pleyel 2010)


Décision, cette saison, de passer le moins de temps possible sur les comptes-rendus de concert, qui n'ont jamais été la vocation de CSS, pour rester sur des questions un peu moins éphémères autour des compositeurs, des oeuvres, des genres, voire des disques.

Tout de même un mot sur le concert d'hier soir, premier de la saison, pas du tout exhaustif, seulement quelques remarques. [Qui s'avèrent plus longues de prévu... il faudra vraiment me résoudre à ne plus chroniquer du tout les concerts, sous peine d'y consacrer l'essentiel des forces de Carnets sur sol et de ses lutins ouvriers.]

§ Oeuvre

Si je me suis déplacé pour entendre une oeuvre qui n'a rien d'une grande rareté, c'est tout simplement qu'il s'agit d'une oeuvre qui m'est particulièrement chère, et que j'avais envie d'entendre un jour en salle. L'affiche prometteuse m'a décidé.

Je reste toujours médusé de la virtuosité absolue d'une écriture capable de maintenir quatre-vingt minutes de jubilation continue et renouvelée sous divers climats... Et l'on y entend des portions du meilleur Beethoven, dans les fugatos choraux bien sûr, mais aussi dans l'écriture orchestrale qui évoque beaucoup les cinq dernières symphonies, en particulier impaires : alliages instrumentaux et ponctuations de la Cinquième, gammes ascendantes de la Septième, harmonies chorales de la Neuvième...

On y retrouvera la fascination de Beethoven pour les cadences parfaites à répétition (le V-I permanent du "Quoniam tu solus sanctus"), on y découvre aussi un goût débridé pour les trémolos de cordes (visuellement, cela paraît permanent !).

Et puis, plus profondément, la philosophie mystico-humaniste du compositeur éclate brillamment à certains moments, comme la lumière irradiante lors de l'énonciation d' "et homo factus est", évocation de la clef de voûte du système de valeurs de Beethoven. Même chose pour le retour des solistes après l'explosion finale du Credo, qui paraît un retour de la mesure humaine après une exultation plus générale, plus abstraite, plus cosmique.

Un vrai bijou, qui ne possède pas de pages faibles, même si les trois premiers ensembles (Kyrie-Gloria-Credo) sont les plus ouvertement débridés et peut-être aussi les plus intensément inspirés.

§ Orchestre

J'ai souvent lu ou entendu dire, chez les spectateurs parisiens, que le LSO était une formation très surestimée. Il se trouve tout de même que je ne suis pas sûr d'avoir déjà entendu en salle un si bel orchestre moderne, techniquement et plastiquement parlant. Rien que pendant l'accord, je suis frappé par la densité et la fermeté des cordes, même si l'oeuvre ne met pas ensuite particulièrement en valeur leur texture - ni d'ailleurs la direction un peu pâteuse de Colin Davis.
Les vents (surtout les cuivres) du London Symphony Orchestra, qui sonnent parfois un peu acides au stridents au disque, se montrent ici au contraire brillants et incisifs sans jamais la moindre agressivité, pourvus de couleurs très chaleureuses.

Le violon solo est assez étonnant, un peu aigrelet, avec un vibrato très serré, à l'ancienne, qui fait quasiment entendre plusieurs notes sur une seule. Ce décalage porte quelque chose d'assez poétique, et le son est bien beau.

§ Chef

Sur le plan de la direction, Colin Davis avait proposé une version avec le même orchestre pour Philips, en 1993. Une lecture certes sur le versant ample, mais pourvue d'un souffle constant. C'est fort de cette expérience que j'espérais beaucoup. Et j'avoue un brin de déception, peut-être parce que la posture contemplative du spectateur se prête assez mal au format de la messe musicale, avec son texte sans réelle dramaturgie, ses redites sans le rituel afférent...

La direction très lente empêche la poussée constante qui fait le charme de cette oeuvre, cette forme de jubilation ininterrompue, dont Beethoven explore un grand nombre d'aspects.

Je me suis interrogé sur mon écoute, mais certaines entrées chorales contrapuntiques marquaient tellement les temps (exactement ce que l'on appelle "scolaire", voire "métronomique") que je doute de m'abuser complètement. Peut-être pas un très bon jour pour Colin Davis. Ou alors une maturation peu réussie de sa vision de l'oeuvre.

§ Choeur

Mais la véritable tentation était d'entendre un bon choeur. Non pas que le choeur du Symphonique de Londres m'ait particulièrement impressionné au disque, mais j'ai déjà mentionné mes réticences envers la constitution du Choeur de Radio-France - qui est très logiquement le choeur non-opératique le plus sollicité de la capitale.

Ici aussi, je n'ai pas été comblé. D'abord, on entend comme du souffle chez les hommes. Non pas qu'il passe de l'air entre leurs cordes vocales (à Dieu ne plaise !), mais je crois que cette impression auditive est due à la blancheur des timbres à qui on a demandé de vibrer très peu - ce qui est plus que légitime en choeur, mais qui appliqué sur des voix formées autrement, peut produire cette petite faiblesse.
De la même façon, les sopranes qui ne vibrent pas, sont un peu tendues dans les aigus, faute de détente, et légèrement stridentes.

Surtout, la diction est, j'ose à peine employer le mot, assez infâme. Même en étant assez familier du texte latin, même en le prenant sous les yeux, il était difficile de suivre : les voyelles étaient totalement indéfinies, et seules les consonnes les plus "faciles" (sifflantes et chuintantes) étaient réellement audibles. Et même en considérant que la musique religieuse, par son côté rituel, ne requiert pas l'incisivité verbale d'un texte poétique ou dramatique, l'exagération était un peu trop démesurément outrée...

§ Solistes

Les solistes n'ont pas une importance déterminante dans la plupart des oeuvres liturgiques avec choeur, et dans celle-ci particulièrement, a fortiori lorsque Colin Davis, suivant ce qui est manifestement une vieille tradition (qui ne figure pas dans les différentes éditions consultées de la partition, en tout cas), confie certaines parties solistes périlleuses au choeur entier.

Helena Juntunen présente une voix assez acidulée mais ample, assez typique d'un certain genre finnois (les parentés avec la technique de Mattila sont patentes), évoquant quelquefois Janowitz dans le vibrato serré d'aigus suspendus. Ses attaques, étranges, sonnent déjà "commencées", et on remarque quelques baisses d'intensité en certains points de la tessiture (tout à fait inconfortable, à l'image du grand soprano de la Neuvième), mais la beauté et l'impact du timbre sont très réels.

Sarah Connolly, Paul Groves et Matthew Rose confirment simplement mon opinion à leur sujet. Connolly peu phonogénique, mais valeureuse en salle (avec la distance, le côté un peu mat du timbre ne dérange plus du tout), sans être bouleversante non plus (mais que faire dans cette partie à part bien chanter ?) ; Groves toujours d'un grand impact, conservant la qualité du timbre dans toute la salle, alors même que la voix n'est pas très puissante (voir ici le phénomène) ; Rose disposant d'une voix de basse "naturelle", mais pas très bien exploitée, cravatant en diable, dans la mauvaise tradition anglaise, alors qu'avec le matériau de départ, il devrait faire trembler les murs de façon éclatante.

Vraie bonne surprise, la symbiose assez stupéfiante des timbres de Groves et Rose, dont les harmoniques s'imbrique parfaitement au point de ne sembler qu'une seule voix - non pas la même, mais formée des harmoniques combinées des deux ! Première fois que j'entends ce phénomène à ce point prononcé...

Groves était le seul des quatre que j'avais déjà entendu en salle - au même endroit, dans le War Requiem de Britten.

§ Programme de salle

Il faut signaler une fois de plus l'excellente qualité des programmes de salle, et ce soir particulièrement, à la fois clair, factuel, riche et très bien écrit (Isabelle Werck). Et ce, en quatre pages de présentation seulement...

§ Impression générale

J'ai retiré l'étonnante impression, dans ce concert, de baisses de tension (tempo, articulation, atmosphères), alors qu'un investissement minime des interprètes suffit en principe pour la rendre en permanence insoutenable d'exultation. Sans doute est-ce en partie lié au format de la messe, qu'il n'est pas si commode d'écouter en concert, avec ce texte qui dicte la structure mais qui ne progresse pas - très pertinent dans le cadre du rite, mais moins efficace dans un cadre purement musical pour lequel il n'était pas prévu. Bien sûr, au disque, où d'autres activités simultanées (partition ou totalement autre chose) sont possibles, le "problème" ne se pose pas.

Et, quelque part, oui, j'ai été un peu déçu de ne pas être emporté en permanence par une oeuvre que j'admire tant.

Je ne suis pas très fier de jouer les parisiens blasés au bout de deux saisons seulement de bombance, mais si je trouvais tout invariablement superlatif, je ne serais pas crédible non plus... et en l'occurrence, sans suggérer le moins du monde que ce concert était mauvais, je ne l'ai pas trouvé à la mesure du potentiel technique (et émotionnel) de ses interprètes. Ni à la mesure de l'oeuvre elle-même, qui aurait bien mieux fonctionné avec un orchestre moyen mais sollicité un tout petit peu plus nerveusement.

§ Fausse joie

Contrairement à ce qui est indiqué dans la biographie de Helena Juntunen, Der Ferne Klang de Schreker n'est pas au programme de l'Opéra du Rhin cette saison.


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