Otto NICOLAI - Il Templario : Ivanhoé au delà du belcanto
Par DavidLeMarrec, mercredi 8 janvier 2014 à :: Opéra romantique et vériste italien - Oeuvres - Portraits - Opéra romantique allemand - Saison 2012-2013 - Saison 2013-2014 :: #2383 :: rss
1. Un compositeur
Otto Nicolai n'est guère joué (ni écouté) en dehors des pays germanophones. En 2013 et 2014, une dizaine de grandes maisons l'ont données, hors Glasgow, on ne trouve qu'une soirée dans un théâtre secondaire de San Francisco (et dans une traduction anglaise) ; sinon, il faut aller à Radebeul, Gera, Lausanne, Mönchengladbach, Goerlitz, Klosterneuburg ou Kiel.
Par ailleurs, il n'est guère passé à la postérité que pour Die lustigen Weiber von Windsor (« Les joyeuses commères de Windsor »), dernier opéra de la sa courte vie (1810-1849, comme Chopin), et le seul de nature comique.
Entrée du ténor dans Il Templario.
2. Un legs
Néanmoins, il a laissé un corpus assez diversifié, qui contient musique de chambre, symphonies, musique sacrée. Pour s'en tenir seulement à l'opéra :
¶ Trieste, 1839 – Enrico II[ (livret de Felice Romani), « mélodrame » (au sens lyrique et stylistique du terme) en deux actes.
¶ Trieste, 1839 – Il Templario (Girolamo Marini d'après Scott), mélodrame sérieux en trois actes. Traduit en allemand comme « Der Tempelritter », puis repris dans les années 1940 sous le titre « Die Sarazenerin ».
¶ Gênes, 1840 – Gildippe ed Odoardo (Temistocle Solera), mélodrame en trois actes.
¶ Scala, 1841 – Il proscritto (Gaetano Rossi), mélodrame tragique. En Allemagne Die Heimkehr des Verbannten (« Tragische Oper »), puis Marianna.
¶ Hofoper Berlin, 1849 – Die lustigen Weiber von Windsor (Hermann Salomon Mosenthal d'après Shakespeare), fantaisie comique en trois actes.
Pour un musicien formé en Allemagne et qui y reste (un peu exclusivement) célèbre, on remarque la part fondamentale des commandes italiennes dans son legs lyrique. À cette date, on lui commandait donc du belcanto romantique.
3. Il Templario (1839)
Une nouvelle parution chez CPO permet d'entendre l'un d'eux, Il Templario (d'après l'Ivanhoé de Walter Scott) dans d'excellentes conditions (vocales, orchestres, sonores).
Et c'est une surprise.
Air d'entrée du baryton dans Il Templario.
Certes, on entend bien un opéra belcantiste, fait de numéros assez nettement découpés, et liés entre eux par des récitatifs accompagnés par l'orchestre. Les lignes vocales sont aussi faites pour flatter les voix, et mettre en valeur les caractériques de chaque tessiture (longueur de souffle pour les femmes, suraigu pour le ténor, mordant pour le baryton...). En plus de cela, le livret de Girolamo Marini est tellement respectueux du moule qu'on peut deviner toute l'intrigue rien qu'en lisant la liste des tessitures : le ténor impétueux, fils de la basse vénérable, est amoureux mais en butte à la jalousie dévoratrice du baryton.
Néanmoins, on reste musicalement tout le temps en mouvement, on ne retrouve pas les grands aplats des mêmes accords (généralement peu nombreux, et très rarement modulants). Le métier germanique de Nicolai du côté de la musique pure est audible, et ils nous ménage un grand nombre de petits coups de théâtre sonores, une superbe veine mélodique (dans le genre belcantiste, mais plus originale et saillante que la plupart de ses contemporains). Par-dessus tout, il dispense quantité de petits événements orchestraux (un trait de clarinette qui va ponctuer une tirade, un bout de cor qui va venir colorer telle réplique...), et d'une manière générale orchestre bien – on est plus proche du Schumann des bons jours que de la vague esquisse de Donizetti. Sans être d'une richesse incommensurable, car écrit pour un patron à l'italienne, Nicolai semble spontanément écrire une musique plus dense et plus maîtrisée que ses collègues. En somme, du belcanto bien écrit, qui profite de toute la science d'une éducation allemande.
Le résultat vaut bien l'Ernani de Verdi (qui n'est pourtant pas mal non plus) dans son genre belcanto-meilleur-que-du-belcanto, et l'on n'est pas si loin de l'aboutissement de Stiffelio, même si le geste dramatique n'a pas le même naturel ni la même puissance, il faut en convenir.
4. CPO rulz
À cela, il faut ajouter que la version de CPO est invraisemblablement bien jouée et chantée :
¶ Stanley Jackson (Vilfredo, le ténor amoureux) est un clone de John Aler, voix mixée sur toute la tessiture, presque translucide, toujours ronde, prononciation limpide, aisance extrême, qualité de la ligne, rayonnement vocal qui semble intense ; ¶ Hans Christoph Begemann (Briano, le baryton énervé) doit lui davantage à l'élégante robustesse d'Ugo Savarese, avec un timbre qui évoque grande la mezza voce de Sherill Milnes (et quelques appuis de Leo Nucci) – un assez beau mélange plein de panache et de mordant.
Les chœurs sont très bien chantés (et en plus, très bien écrits, sans commune mesure avec leurs équivalents italiens), et la Philharmonie Robert Schumann (l'orchestre permanent de l'Opéra de Chemnitz) est toujours un enchantement – cordes un peu râpeuses, maîtrise et une générosité remarquables, le tout mis en ordre de bataille avec un réel sens des plans sonores par Franck Beermann. L'un et l'autre se sont illustrés à la fois comme les défenseurs d'œuvres rarissimes (Wetzler, Reznicek, Pizzetti, Herzogenberg, Fesca, Blomenkamp, Sinding, le Forgeron de Schreker...) et comme des références dans les répertoires les plus illustres (Schumann, Mahler).
5. Le Paradis Chemnitz
Il faut dire que Chemnitz [1] est depuis pas mal d'années un eldorado absolu pour qui veut entendre des productions de très haute finition d'œuvres rares. Contrairement à Kiel, qui fait beaucoup pour le répertoire « décadent », mais avec les limites d'un orchestre un peu gris, de voix pas toujours gracieuses et de dictions approximatives (prises de son peu satisfaisantes aussi), Chemnitz propose généralement de très hauts degrés d'aboutissement dans ces productions qui remettent à l'honneur des pans assez variés du répertoire. Ainsi, rien que depuis le printemps 2013, y a été programmé (incluant la fin de cette saison) : Der Mond d'Orff, Die schweigsame Frau de R. Strauss (parue au disque), Das Feuerwerk de Burkhard, Swanhunter de Dove, Hexe Hillary geht in die Oper de Lund, L'Africaine de Meyerbeer (dans sa édition plus respectueuse Vasco de Gama, à paraître), Die Herzogin von Malfi de T. Rasch... en neuf mois, plus d'autres titres plus « communs ».
Bref, entre Chemnitz et CPO, il faut croire que Dieu est revenu dans le Monde.
Notes
[1] Chemnitz compte 240000 habitants, soit l'équivalent de Bordeaux... qui produit en une saison le même nombre de spectacles que Chemnitz exhume de raretés (au maximum la moitié de sa saison). Et ne parlons même pas de la qualité artistique – celle de Chemnitz peut se comparer aux plus grandes places musicales du monde, à mon sens.
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