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Ibsen wagnérisé - L'Etranger de Vincent d'Indy


D'après la re-création en concert au Festival de Montpellier il y a quelques jours, et la lecture intégrale de la partition ainsi que du texte-source.




Trois extraits de la partition : un peu du grand duo de l'acte I, la fin méditative de l'acte I, la grande tempête qui termine l'acte II.


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1. Aux sources du livret : Ibsen

Cette action musicale en deux actes (1896-1901) est inspirée à Vincent d'Indy en par Brand d'Ibsen, qui avait été représenté en France dès 1895 grâce à Aurélien Lugné-Poë.

L'intrigue de cet Etranger se résume en peu de mots.
Acte I : Dans un village de pêcheurs, un étranger quadragénaire agit avec bonté tout autour de lui, distribuant sa pêche, protégeant les faibles, mais mal regardé par la population qui voit en lui en sorcier maléfique, ou à tout le moins un voleur de bonne fortune. Il s'entretient avec la jeune Vita (petite vingtaine), la seule à ne pas le fuir. Il lui laisse entendre son amour, mais celle-ci, déjà fiancée mais manifestement éprise aussi, ne parvient pas plus que lui à trouver le ton juste, et l'Etranger annonce son départ le lendemain. Vita est comme abasourdie et écoute à peine son fiancé André lui parler des bans du mariage, en contemplant l'Etranger qui s'éloigne sur le sentier lumineux.
Acte II : Second grand duo, Vita annonce son amour mais l'Etranger confirme son départ à cause de ce qui avait été dit. Elle le laisse partir, mais jette à l'eau la pierre magique qu'il lui a donnée, se qui semble agiter l'écume. Elle se promet alors en fiancée à la mer et laisse, complètement silencieuse, enrager son fiancé qui finit par rompre. A ce moment, la tempête se déclare ; l'Etranger monte seul sur un canot pour sauver les pêcheurs en péril, rejoint au moment du départ par Vita. Alors qu'ils rejoignent les naufragés, une lame immense les engloutit tous. Les pêcheurs restés sur la grève entament le De profundis et le rideau tombe.

Les points communs avec Brand sont donc limités, mais patents. En réalité, d'Indy (qui écrit lui-même le livret, comme pour ses trois autres opéras de type sérieux [1]) n'a conservé que la matière de la première moitié de l'acte II, et s'en est librement inspiré.
En effet Brand, à l'acte II, séduit par ses discours altruistes et exigeants Agnès, la fiancée d'un ancien camarade d'études, et risque sa vie pour aller donner une absolution, en montant seul (et rejoint par Agnès émerveillée) dans une barque sur le flot déchaîné.
La différence est tout de même qu'ici la dimension christique du personnage est beaucoup moins abstraite et dogmatique : l'Etranger sans nom n'est pas un prêcheur mais un simple pêcheur qui parcourt le monde en faisant le bien au lieu de le revendiquer comme le fait Brand (d'une façon tout à fait discutable). Brand a un passé (et une mère avaricieuse, qu'on fréquente longuement dans la seconde partie de l'acte II), alors que l'Etranger n'a pas de substance psychologique réelle : il reste, même pour Vita, un être de passage opaque. Enfin, Brand réussit l'épreuve de la barque, alors que l'Etranger y disparaît.

Disons que certains des motifs sont identiques (une figure christique, une fiancée dérobée presque malgré lui, une ordalie de la mer), mais réagencés dans un autre contexte.

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2. Autres échos

On note aussi d'autres similitudes évidentes.

D'abord avec le Hollandais Volant de Wagner, où le personnage qui erre ne peut être retenu que par une femme fidèle - dont la sincérité qu'il ne veut croire ne lui est finalement prouvée que par sa mort en s'élançant vers les vagues. D'ailleurs l'aveu de Vita est conçu sur le même mode de l'aigu éclatant (si 4 dans les deux cas...) qui stupéfait la foule rassemblée. De même si l'on considère le fiancé éconduit en raison de la fascination pour la figure mystérieuse et paternelle (c'est explicite dans le livret de d'Indy).

C'est aussi toute une époque de fascination pour la mer chez les compositeurs français, y compris à l'Opéra, comme pour Pelléas et Mélisande de Debussy (1902), Le Pays de Ropartz (1908-1910) ou Polyphème de Cras (1910-1918), qui ménagent tous des scènes maritimes impressionnantes.
Dans le cas de d'Indy, le figuralisme maritime doit autant au Vaisseau Fantôme qu'au Wagner de maturité et au genre "impressionniste" français. Il est à noter d'ailleurs que La Mer de Debussy et les opéras qu'on citait précédemment sont tous postérieurs à L'Etranger, qui n'est donc pas à situer dans un mouvement de suivisme, mais plus dans une intuition fine de ce qui allait se développer par la suite.

Le lien est assez saisissant en particulier avec Le Pays de Ropartz, qui raconte précisément une histoire de nouveau venu dans un univers de pêcheurs, et qui après avoir séduit une jeune fille, veut quitter la contrée et n'en sort pas vivant. Le tout dans un langage musical extrêmement tristanien qui n'est pas très éloigné des couleurs wagnériennes de Vincent d'Indy.

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3. La musique

Notes

[1] Ses trois autres opéras sérieux : Le Chant de la Cloche d'après Schiller, Fervaal d'après Axel d'Esaïas Tegner et La Légende de saint Christophe d'après la Légende dorée de Jacques de Voragine. Il est également l'auteur, côté scénique, de trois musiques de scène, d'un opéra-comique et d'une comédie lyrique.

L'oeuvre est peut-être moins riche musicalement que Fervaal (et moins immédiatement enthousiasmante que Le Pays), moins spectaculaire aussi que l'épopée chevaleresque, mais avec quelque chose de plus direct, d'assez magnétique malgré le livret au contenu réduit.

On y retrouvera les tournures wagnériennes (types de leitmotive, rythmes complexes, harmonie extrêmement riche, couleurs et motifs déjà entendus), et aussi le propre de d'Indy, ces rythmes très étudiés, peu naturels, toujours avec des effets de respiration et de contretemps. Et une orchestration très personnelle, quasiment pensée note à note, beaucoup de couleurs se succèdent.
Au passage, on pourra remarquer que lesdites respirations et la clarté de l'orchestration (accompagnement par une note seule, usage abondant des bois solos, trous dans les ponctuations...) permettent un passage facile des voix. Ces sortes de trouées dans le tissu orchestral qui permettent aux chanteurs d'être presque à nu, de ne pas forcer, ont déjà été pratiquées par Wagner dans certains opéras comme Die Walküre, mais d'Indy en a véritablement retiré (et sophistiqué) le meilleur.

Et le final lumineux de l'acte I se situe quelque part entre Wagner et un Schreker à la française, quelque chose de Chausson aussi. On entend aussi des choses réjouies plus archaïques lorsque Vita déclare son amour, avec des cors extatiques ou bondissants comme dans Der Fliegende Holländer. La fin spectaculaire de l'opéra pourrait être plus forte encore par un orchestre plus performant, avec un arrangement, on pourrait en faire une pièce d'orchestre, ce serait plus musical et convaincant que le Voyage de Siegfried sur le Rhin, par exemple.

On dispose donc ici, de même que dans Fervaal du même compositeur, Le Pays de Ropartz ou Le Roi Arthus d'Ernest Chausson (1903, juste après, donc !), d'une transposition directe de l'héritage wagnérien dans le langage français, avec un résultat musical savoureux à l'extrême. Plus impressionnant encore, d'Indy est le premier des compositeurs dont les oeuvres sont venues à la connaissance des lutins à pratiquer cette transposition, et avec un grand bonheur (dès Fervaal, 1889-1895, qui comporte comme Le Roi Arthus beaucoup de citations... et un sujet épique très wagnérien également). Avant même Pénélope de Fauré et même Rodrigue et Chimène de Debussy !

Dans les déclarations, ces compositeurs se revendiquent d'un autre langage, bien français, mais Debussy est bien le seul a s'être extirpé de l'adaptation pétrifiée d'admiration (même si l'on trouve des bouts de Parsifal dans Pelléas).

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4. Fortune future ?

En plus du caractère méconnu, qui est toujours un frein (on paie rarement une place pour aller découvrir une oeuvre dont on n'a pas idée de la façon dont elle peut sonner, à part pour les geeks du classique férus de raretés comme doivent l'être, je suppose, un certain nombre de lecteurs de CSS), il faut ajouter aux obstacles pour des représentations futures la nature un peu passive du livret : pas de véritables psychologies développées, peu d'actions (en nombre, parce que le tout reste assez animé). Non pas que les personnages soient des archétypes, au contraire ils sont plutôt présentés comme les gens que nous croisons dans la vie, opaques à moins qu'ils n'acceptent de se livrer, et en se mentant à eux-mêmes quelquefois.

Chaque acte est constitué avant tout d'un très long duo d'amour manqué. Pas vraiment d'histoire, une sorte de poème scénique, pas mal écrit d'ailleurs, alors que le sujet d'Ibsen ainsi abordé hors-sol était facilement mièvre.

Peu de chances de voir des reprises, donc.

Toutefois, il y a là un boulevard pour le Regietheater qu'il ne faut pas négliger. Pensez, un opéra sur la crise de la quarantaine - puisque c'est là le pivot du drame, la parole échappée à Vita sur l'âge de l'Etranger.

Encore une mission pour... Super Marthaler !


Le palais féérique de Barbe-Bleue, avec sa kitchenette et son papier peint RDA™, dans l'opéra de Dukas.


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5. Montpellier 2010

Cassandre Berthon, soprano, Vita
Ludovic Tézier, baryton, L'Etranger
Marius Brenciu, ténor, André
Nona Javakhidze, mezzo-soprano, La Mère de Vita
Bénédicte Roussenq, soprano, Une femme (Madeleine)
Franck Bard, ténor, Le vieux (Pierre), Un jeune homme
Fabienne Werquin, mezzo-soprano, Une vieille, Une femme
Pietro Palazy, basse, Un pêcheur, Un contrebandier
Florent Mbia, basse, Un pêcheur, Un contrebandier

Choeur d'enfants Opéra Junior dirigé par Valérie Sainte Agathe-Tiphaine
Choeur de Radio France dirigé par Franck Markevitch
Orchestre National de Montpellier Languedoc-Roussillon
Direction : Lawrence Foster

La recréation de cet opéra s'est faite sous de fort beaux auspices, et laisse penser qu'on a donné à l'oeuvre toute sa chance. En effet, contrairement à ce qui a pu arriver ces dernières années pour la Salomé de Mariotte, peu intelligible sans livret (heureusement calquée sur Wilde, mais néanmoins frustrante), ou Salammbô de Reyer assez décevante avec la direction précipitée et peu poétique du même Foster, et une distribution extrêmement fruste (Kate Aldrich, Gilles Ragon, Sébastien Guèze, André Heyboer... pas précisément des princes de l'expression diaphane à la française), ici, l'exécution musicale n'a rien d'opaque (Mariotte, dû à la prise de son de France Musique[s] aussi) ni de cassant (Reyer).

Lawrence Foster dirige ainsi avec un grand naturel cette musique ultraraffinée. On peut simplement regretter de ne pas avoir eu droit à un traitement plus spectaculaire de la fin, qui avec un orchestre plus performant et une direction un peu plus grandiose, aurait produit plus d'effet - on manque tout de même la lame de fond mortelle... Et le trompettiste solo s'effondre un peu dans cette fin très exposée et éprouvante (sans s'arrêter de phraser avec goût, au demeurant !). A cette réserve près, la partition est traitée avec la présence et le soin qu'elle réclamait, sans laisser la tension baisser - et cela serait facile vu le livret -, toujours en renouvelant l'intensité musicale.

On note aussi une bizarre coupure (trentes secondes à une minute !) au moment de la tempête, dommage évidemment, mais sans doute est-ce une variante de la partition (ou une partie manquante du matériel d'orchestre ?), parce qu'il n'y a pas lieu de jouer de longs duos pour couper quelques secondes de la section la plus trépidante...

Le Choeur de Radio-France apparaît assez peu intelligible et pas très gracieux, pas en grande forme dans les parties les plus exposées de la partition (beaucoup d'entrées décalées sur un orchestre touffu, difficiles à mettre en place, d'où peut-être le relâchement des autres paramètres que sont le timbre, l'articulation et l'expression). En revanche, les choeurs populaires, bien homophoniques, sont très beaux (pupitres féminins en particulier).

Côté solistes, ce ne sera pas bien compliqué.

Ludovic Tézier, apparemment un peu souffrant (ou éprouvé par la longueur et l'exposition du rôle, avec quelques petites fissures sur des notes isolées), dispense toujours son timbre dense et sublime, mais avec variété, osant des postures plus mixtes, beaucoup de nuances piano là où le forte aurait été permis et plus spectaculaire. Beaucoup de naturel aussi. Bref, un travail absolument remarquable, très précis, qui mêle vaillance vocale et souplesse nécessaire à cette esthétique.
Le rôle est de surcroît taillé sur mesure, avec ce personnage dont la tranquille assurance et le détachement énigmatique sont les caractéristiques principales.

Cassandre Berthon, dans un rôle où les tentations d'ampleur wagnérienne peuvent être grandes chez les faiseurs de distribution, se montre ici idéale : le rôle n'est pas facile, et elle le chante parfaitement (avec un timbre certes pas très personnel, mais beau), avec une diction très valable et pas la moindre tension vocale. Le grave est en particulier superbement timbré pour un soprano. Il reste de la place pour plus éloquent (du type Valérie Millot) ou plus fruité (du type Andrée Esposito), mais en l'état du marché et pour une recréation, c'est vraiment magnifique.

Les seconds rôles sont plus grimaçants, dans le chant ou de dans le français, à commencer par le dernier rôle important (mais beaucoup moins primordial que les deux autres) du fiancé André, où Marius Brenciu, avec certes un très bon français, mais une voix nasale très princée, étroite et toujours poussée, n'est ni déplaisant, ni spécialement gracieux.

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En somme, une oeuvre absolument passionnante, dont la présence musicale est telle qu'on peine à s'en détacher. Les lutins vous invitent donc à vous mettre en quête de la bande radio... ou à espérer la publication discographique qui est en principe promise d'ici un an ou deux.

Pour prolonger le parcours dans cet univers des opéras français du tournant du siècle, vous pouvez vous reporter à la rubrique qui y est |consacrée, ou bien suivre les liens déposés au fil de cette notule.

Bonne soirée !


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Commentaires

1. Le dimanche 1 août 2010 à , par Inconnu

Bonjour,

J'étais dans la salle, et en situation la fin était tout à fait spectaculaire. J'imagine que l'on perd beaucoup à la radio. Et j'ai au contraire trouvé Marius Brenciu tout à fait bon dans le premier acte, après une demi-heure de Berthon qui finissait par être fatigante - la faute à l'écriture vocale de D'Indy, passablement répétitive dans le premier duo.

Sur l'opéra lui-même, je peine à voir en quoi l'opéra transpose Wagner dans le langage francais. On reste encore à mon sens dans un wagnérisme "international", dont on trouve les effets un peu partout ailleurs (suis-je le seul à avoir fortement pensé à Francesca Da Rimini pour la scène de tempête? C'est diablement ressemblant) et qui a peu d'influence sur le langage et la pensée esthétique profonde en dépit de petites tentatives assez ratées. Du reste, quel serait le langage francais dans lequel on transposerait le Wagnérisme à ce moment? La rupture a lieu pour moi avec Debussy et l'esthétique qu'il apporte ou condense (Ravel, Schmitt, Cras, Koechlin - des compositeurs qui ont peu oeuvré dans le genre de l'opéra d'ailleurs), qui elle renouvelle vraiment le langage, et ce dès L'après-midi d'un faune. Debussy qui a écrit des choses très justes sur L'Etranger, d'ailleurs.

Après c'est plutôt bien, parfois très bien même, mais même pris dans sa décennie, j'ai plutôt l'impression d'une oeuvre de la fin du XIXème siècle que d'une oeuvre de la nouvelle esthétique francaise naissante.

2. Le lundi 2 août 2010 à , par DavidLeMarrec

Bonjour à vous, ô mon bel Inconnu,

J'imagine que l'on perd beaucoup à la radio.

Sans doute, et lorsqu'on fait l'expérience d'écouter le même spectacle par ces deux canaux, la surprise peut être grande !


Et j'ai au contraire trouvé Marius Brenciu tout à fait bon dans le premier acte, après une demi-heure de Berthon qui finissait par être fatigante - la faute à l'écriture vocale de D'Indy, passablement répétitive dans le premier duo.

Répétitive, diable ! Je n'ai pas vu beaucoup de fois les mêmes choses sur la partition. :-o
Il est vrai que les personnages alternaient peu et que l'écriture vocale (et sans doute aussi sa technique propre) ne permettait pas à Cassandre Berthon de varier les couleurs.

Mais je n'ai pas du tout, personnellement, ressenti cette lassitude.

Marius Brenciu était tout à fait correct, mais ce n'était pas très bien chanté, et le contraste était d'autant plus saisissant avec les deux autres protagonistes.


Sur l'opéra lui-même, je peine à voir en quoi l'opéra transpose Wagner dans le langage francais. On reste encore à mon sens dans un wagnérisme "international", dont on trouve les effets un peu partout ailleurs (suis-je le seul à avoir fortement pensé à Francesca Da Rimini pour la scène de tempête? C'est diablement ressemblant)

J'ai plus pensé aux cataclysmes du Pays, mais on peut effectivement penser à une sorte de Francesca un peu gauche. Les procédés orchestraux sont tout de même très différents (pas de tourbillon chez d'Indy).

Pour moi le wagnérisme est évident. J'ai essayé d'en toucher un mot, mais rien que l'aspect de la partition est éloquent, la structure générale : longs interludes entre les répliques, rythmes décalés, strates nombreuses, motifs réccurents qui irradient le discours, et même parfois des bouts d'harmonie.

C'est beaucoup plus sensible dans Fervaal ou le Roi Arthus, c'est vrai, où il y a des citations quasiment littérales de Tristan, Walküre, Götterdämmerung et Parsifal, j'ai prévu une notule un de ces jours là-dessus.
Mais ici, il y a quand même de gros restes.


et qui a peu d'influence sur le langage et la pensée esthétique profonde en dépit de petites tentatives assez ratées. Du reste, quel serait le langage francais dans lequel on transposerait le Wagnérisme à ce moment? La rupture a lieu pour moi avec Debussy et l'esthétique qu'il apporte ou condense (Ravel, Schmitt, Cras, Koechlin - des compositeurs qui ont peu oeuvré dans le genre de l'opéra d'ailleurs),

Ce langage est celui précisément de la révolution harmonique qui se produit chez les français qui ont étudié avec Franck et lu Wagner. Entre Gounod, Ambroise Thomas, Bizet, Paladilhe, Mermet, même Reyer et Salvayre, et d'Indy, Fauré et Chausson, il s'est produit une rupture fondamentale dans la façon de composer. Les possibilités harmoniques, pas tant de dissonances que d'ambivalences dans les modulations, se sont multipliées de façon exponentielle. Structurellement aussi, on a abandonné toute référence au Grand Opéra.

C'est vraiment évident, de mon point de vue. Et je vois mal comment il peut en être autrement, mais je prends volontiers toute précision.


Après c'est plutôt bien, parfois très bien même, mais même pris dans sa décennie, j'ai plutôt l'impression d'une oeuvre de la fin du XIXème siècle que d'une oeuvre de la nouvelle esthétique francaise naissante.

Ca dépend ce qu'on appelle fin XIXe, c'est-à-dire quelle esthétique on considère. C'est incontestablement du pré-Pelléas, mais ce n'est plus de la musique française romantique telle qu'elle s'est pratiquée d'Auber à Thomas.

J'ai vraiment du mal à considérer Fauré et Chausson (même Widor et Dupont d'ailleurs), au même titre que d'Indy, comme des équivalents de l'esthétique romantique française finissante. Disons que la frontière se situe pour moi chez Saint-Saëns et Massenet, qui portent des caractéristiques des deux courants. D'Indy est clairement au delà de cette limite.

3. Le lundi 2 août 2010 à , par Inconnu

"Répétitive, diable ! Je n'ai pas vu beaucoup de fois les mêmes choses sur la partition. :-o "

Les dessins mélodiques sont variés, mais pas vraiment les idées de structures (l'accentuation, ou les structures d'accompagnement). Mais c'est surtout dans le premier acte (j'ai trouvé le premier duo assez fatiguant).

"J'ai plus pensé aux cataclysmes du Pays, mais on peut effectivement penser à une sorte de Francesca un peu gauche. Les procédés orchestraux sont tout de même très différents (pas de tourbillon chez d'Indy)."

Mais l'harmonie! Et je ne sais pas ce que vous entendez par tourbillons, mais la fin de l'opéra a son lot de traits rapides et de tremolos de cordes. Enfin disons que tout ça vient assez clairement du même lieu.

"Ce langage est celui précisément de la révolution harmonique qui se produit chez les français qui ont étudié avec Franck et lu Wagner. Entre Gounod, Ambroise Thomas, Bizet, Paladilhe, Mermet, même Reyer et Salvayre, et d'Indy, Fauré et Chausson, il s'est produit une rupture fondamentale dans la façon de composer. Les possibilités harmoniques, pas tant de dissonances que d'ambivalences dans les modulations, se sont multipliées de façon exponentielle."

Oui, cela est évident, mais dans le cas de d'Indy, qu'est-ce qu'il y a de spécifiquement français? Il me semble qu'on retrouvera les mêmes éléments harmoniques et la même pensée esthétique, avec des variations relativement minimes, partout où l'influence de Wagner se fera sentir, alors que la génération qui le suit va elle fonder quelque chose de propre que l'on ne retrouvera pas ailleurs.
Des trois que vous citez, D'Indy est celui qui apporte le moins... il y a chez Fauré déjà une sensibilité vraiment particulière dont je ne trouve pas d'équivalent chez D'Indy, qui me paraît comme je le disais beaucoup plus international.
Pour le dire autrement, l'importation du wagnérisme dans la musique francaise par d'Indy me paraît être historique plutôt qu'esthétique, il y apparaît comme une pratique mais toujours en tant que tel, plutôt qu'intégré à un système et à une esthétique qui génèreraient nécessairement quelque chose de nouveau, ce qui sera le cas avec Debussy.

4. Le lundi 2 août 2010 à , par DavidLeMarrec

Les dessins mélodiques sont variés, mais pas vraiment les idées de structures (l'accentuation, ou les structures d'accompagnement). Mais c'est surtout dans le premier acte (j'ai trouvé le premier duo assez fatiguant).

Oui, il y a des tournures récurrentes dans les accompagnements, notamment les respirations, les attaques décalées... mais tout cela donne de l'unité à l'ensemble et s'éloigne résolument de toute la tradition opératique pratiquée jusqu'alors.

Mais l'harmonie! Et je ne sais pas ce que vous entendez par tourbillons, mais la fin de l'opéra a son lot de traits rapides et de tremolos de cordes. Enfin disons que tout ça vient assez clairement du même lieu.

J'ai réécouté l'opéra en entier cet après-midi. Je vois effectivement le lien plus nettement, y compris dans les couleurs harmoniques, néanmoins les procédés mélodiques et rythmiques sont assez différents, si j'en juge par mon écoute et par la réduction piano (je n'ai pas la partition d'orchestre).


Oui, cela est évident, mais dans le cas de d'Indy, qu'est-ce qu'il y a de spécifiquement français?

C'est assez flagrant lorsqu'on compare avec les esthétiques allemande et italienne (je ne parle même pas des russes, n'est-ce pas) : l'une reste beaucoup plus sérieuse, corsetée d'une certaine façon (du moins avant R. Strauss), l'autre introduit quelques recettes formelles dans une harmonie qui reste assez sage et des mélodies toujours extrêmement lyriques et "faciles".

D'Indy développe une voie qui a sa propre souplesse, ses propres couleurs, son goût du climat - qui me paraît, de même que dans la musique instrumentale (aussi bien symphonique que piano ou chambre), une des marques les plus évidentes du fameux esprit français.

On peut y ajouter les tournures mélodiques des chants populaires empruntés ou imaginés, quelque chose que d'autres compositeurs ont fait (Gounod) ou feront (Chausson), et qui est ici bel et bien du fonds français.

Oui, c'est plus international sans doute que Massenet qui sonne bien français, mais je ne vois pas à quelle nation vous pourriez le rattacher. En plus, quand on rapproche de Fauré et de Chausson, la parenté me paraît réellement patente.


Il me semble qu'on retrouvera les mêmes éléments harmoniques et la même pensée esthétique, avec des variations relativement minimes, partout où l'influence de Wagner se fera sentir,

Justement, non. Chez Puccini, on trouvera des accords chargés, mais pas ces mélodies à grands intervalles, ni ce goût de la modulation imprévisible. Sans parler des couleurs orchestrales, de l'inclination très française pour les vents. Chez Humperdinck ou chez Siegfried Wagner, on reste beaucoup plus traditionnel finalement, un grand orchestre un peu rectiligne. Chez Borgstrøm, vous trouverez effectivement des ponctuations orchestrales, des respirations, des soli semblables... mais ici aussi, la structure générale et l'harmonie restent beaucoup plus "naïves".


Des trois que vous citez, D'Indy est celui qui apporte le moins... il y a chez Fauré déjà une sensibilité vraiment particulière dont je ne trouve pas d'équivalent chez D'Indy, qui me paraît comme je le disais beaucoup plus international.

Je pense précisément l'inverse : Fauré ne parvient pas à tirer pleinement parti (dans Pénélope) du langage wagnérien, il crée quelque chose d'assez long et plat, comme si la musique était déconnectée de l'histoire avec laquelle elle est censée dialoguer. Par ailleurs, au niveau des couleurs harmoniques et orchestrales, je trouve cela beaucoup plus indéfinissables et ici effectivement ça ne sonne pas très français, ou en tout cas pas comme imagine le son français.

Pour Chausson, effectivement, c'est immense, mais si on parle de Fervaal plutôt que de L'Etranger, dont l'ambition est un peu moindre, je crois que c'est surtout une question de goût qui fera pencher en faveur de l'un ou de l'autre (s'il faut absolument choisir, je me crois un peu plus Chausson, mais la pratique de du meilleur d'Indy, incluant la musique de chambre, me fait nuancer ce sentiment chaque jour plus profondément).


Pour le dire autrement, l'importation du wagnérisme dans la musique francaise par d'Indy me paraît être historique plutôt qu'esthétique, il y apparaît comme une pratique mais toujours en tant que tel, plutôt qu'intégré à un système et à une esthétique qui génèreraient nécessairement quelque chose de nouveau, ce qui sera le cas avec Debussy.

En l'occurrence, si, c'est quelque chose de nouveau, puisque ça ouvre (à supposer que d'Indy soit bien le premier, ce qui n'est pas du tout prouvé) toute une période d'oeuvres dans une esthétique profondément différente des héritiers du Grand Opéra, et qui ne ressemble pas non plus à du Wagner. Une esthétique Duparc, si l'on veut : ni Gounod, ni Wagner, ni Debussy.

Mais j'ai bien parlé de transposition du wagnérisme dans le langage français, dans le sens où il y a hybridation plus que rupture. La rupture profonde qui fait de cette expérience quelque chose de totalement autonome et nouveau, effectivement, elle survient avec Debussy (et une seconde rupture survient chez les germaniques avec Strauss).

5. Le mardi 3 août 2010 à , par T-A-M de Glédel

David, tu écris vraiment ce que je ressens... sauf que je manque cruellement de bagage technique pour en parler ainsi.


En fait, je crois que ce qui dérange Monsieur L'Inconnu, c'est que L'Étranger est du pré-Pelléas après Pelléas...

(Bizarrement, il ne fait pas les mêmes reproches à Francesca da Rimini, alors que c'est encore trois ans après...)

Reste que l'esthétique du livret est bien de cette décennie française 1900 par contre, et que ce n'est pas que du Wagner... D'Indy connaît aussi son Chabrier, son Chausson, son Fauré... et en plus, c'est un excellent orchestrateur.

Il ne faudrait pas que les critiques tournent à l'aigre-douce... D'Indy mérite mieux.

6. Le mercredi 4 août 2010 à , par DavidLeMarrec

Doucement, Tam : Inconnu ou pas, il n'en est pas moins mon hôte. ;)

En fait, je crois que ce qui dérange Monsieur L'Inconnu, c'est que L'Étranger est du pré-Pelléas après Pelléas...


Mais c'est très exactement contemporain (commencé après, achevé avant, représenté après), et surtout ce n'est pas du tout la même esthétique.

(Bizarrement, il ne fait pas les mêmes reproches à Francesca da Rimini, alors que c'est encore trois ans après...)

Il s'agissait juste de la tempête, pas de l'ensemble qui n'a effectivement pas grand rapport.

Reste que l'esthétique du livret est bien de cette décennie française 1900 par contre, et que ce n'est pas que du Wagner... D'Indy connaît aussi son Chabrier, son Chausson, son Fauré... et en plus, c'est un excellent orchestrateur.

Comme orchestrateur, je trouve ça remarquable (presque de la mélodie de timbres par moment, des segments de phrase s'enchaînent en changeant les instruments), mais on pourrait pourrait dire aussi qu'on sent les coutures (lesdits changements interviennent souvent lorsque la mélodie change de tessiture...).
A l'inverse, il est difficile de lui attribuer des influences provenant de Chausson ou de Fauré pour le livret, puisqu'il l'a écrit avant leurs opéras (enfin, Prométhée est fait très rapidement, en 1900, donc achevé avant L'Etranger mais débuté bien après l'écriture du livret de d'Indy...).

Il ne faudrait pas que les critiques tournent à l'aigre-douce... D'Indy mérite mieux.

Je suis d'accord, mais c'est la libre opinion de chacun. D'autant que notre bel Inconnu argumente sérieusement, pas comme la presse qui fait tiède devant Callirhoé parce que ce n'est pas célèbre et qui quelques mois plus tard devant l'enthousiasme grandissant du public (le même rédacteur prestigieux de la même revue) décide qu'on a exhumé un chef-d'oeuvre. Il appuie clairement son point de vue sur des faits, même si je n'en partage pas du tout l'interprétation.

7. Le samedi 7 août 2010 à , par Inconnu

"Oui, c'est plus international sans doute que Massenet qui sonne bien français, mais je ne vois pas à quelle nation vous pourriez le rattacher."

J'ai l'impression que vous m'avez mal compris : international veut dire précisément qu'on ne peut le rattacher à une nation, un style que l'on retrouvera avec des variantes nationales mais aux fondements systémiques communs. Je ne vois pas en quoi c'est si choquant : la "globalisation" est déjà bien en marche à ce moment, les échanges culturels nombreux, l'influence de la tradition germanique énorme, et l'émergence des écoles nationales est déjà une réaction contre un multiculturalisme naissé fondé musicalement sur la tradition germanique.
J'entends plus de ca dans L'étranger, par delà les apparences et les tentatives de s'en détacher, qui sont réelles mais à mon sens ratées. Vous y voyez quelque chose déjà annonciateur de l'école française moderne.

"Justement, non. Chez Puccini, on trouvera des accords chargés, mais pas ces mélodies à grands intervalles, ni ce goût de la modulation imprévisible. Sans parler des couleurs orchestrales, de l'inclination très française pour les vents. Chez Humperdinck ou chez Siegfried Wagner, on reste beaucoup plus traditionnel finalement, un grand orchestre un peu rectiligne. Chez Borgstrøm, vous trouverez effectivement des ponctuations orchestrales, des respirations, des soli semblables... mais ici aussi, la structure générale et l'harmonie restent beaucoup plus "naïves". "

Vous restez dans l'opéra, qui est un genre plus conservateur que la musique symphonique ou la musique de chambre. Certes, d'Indy est sans doute plus avancé que les compositeurs de sa génération à cette époque et en particulier ceux qui se focalisent sur l'opéra, mais je ne suis pas d'accord sur l'originalité du traitement orchestral et harmonique, si on le compare non pas à l'opéra mais au post-romantisme orchestral. De Nathanael Berg à Karlowicz, le goût des couleurs, les raffinements harmoniques et le grandiose orchestral sont largement représentés à cette époque dans toute l'Europe, et il y a même certaines caractéristiques de d'Indy qui vont contre ce qui fera le "goût français" à venir (la sûr-expressivité de chant de la soprano ou le traitement des thématiques grégoriennes et religieuses (comparez à la manière de la traiter chez Caplet ou Pierné, ca n'a rien à voir)).
Je parle encore une fois surtout du strict plan de la composition et des systèmes employés, et pas des apparats de l'opéra, qui est un genre que je rejette assez.

Et je crois que comparer à l'intérieur du genre l'opéra est très hasardeux, parce qu'on connait très mal la production courante d'un temps. Il suffit de voir de quoi on parle dès qu'on parle d'opéra francais entre 1890 et 1910... Ca se résume à une dizaine d'oeuvres tout au plus (et je crois viser large), c'est très insuffisant pour connaître une période et établir des comparaisons, alors qu'on connait assez largement la musique d'orchestre.

"Je pense précisément l'inverse : Fauré ne parvient pas à tirer pleinement parti (dans Pénélope) du langage wagnérien, il crée quelque chose d'assez long et plat, comme si la musique était déconnectée de l'histoire avec laquelle elle est censée dialoguer."

Encore une fois, l'opéra. Pénélope est une tentative assez ratée, le véritable Fauré est dans la musique de chambre, et là le faussé avec d'Indy me paraît pâtant.

Pour le dire autrement, l'importation du wagnérisme dans la musique francaise par d'Indy me paraît être historique plutôt qu'esthétique, il y apparaît comme une pratique mais toujours en tant que tel, plutôt qu'intégré à un système et à une esthétique qui génèreraient nécessairement quelque chose de nouveau, ce qui sera le cas avec Debussy.
"En l'occurrence, si, c'est quelque chose de nouveau, puisque ça ouvre (à supposer que d'Indy soit bien le premier, ce qui n'est pas du tout prouvé) toute une période d'oeuvres dans une esthétique profondément différente des héritiers du Grand Opéra, et qui ne ressemble pas non plus à du Wagner."

Ce qui ne contredit pas ce que j'ai écris : l'oeuvre peut ouvrir une période (je crois qu'elle est ouverte bien avant, mais soit) par la pratique sans remettre en cause les systèmes employés.

8. Le samedi 7 août 2010 à , par DavidLeMarrec

Bonjour !

J'ai l'impression que vous m'avez mal compris : international veut dire précisément qu'on ne peut le rattacher à une nation, un style que l'on retrouvera avec des variantes nationales mais aux fondements systémiques communs.

Oui, c'est bien ce que j'avais lu, je disais par là que c'était assez net, par élimination plus que par évidence si l'on veut, que ça venait de France.

Je ne vois pas en quoi c'est si choquant : la "globalisation" est déjà bien en marche à ce moment, les échanges culturels nombreux, l'influence de la tradition germanique énorme, et l'émergence des écoles nationales est déjà une réaction contre un multiculturalisme naissé fondé musicalement sur la tradition germanique.

Oui, ça commence, mais il reste des dominantes esthétiques considérables, quelles que soient les nations musicales concernées. En l'occurrence, ces typologies vocales pourraient être à la rigueur germaniques (mais c'est en fait nettement moins lourd - j'en conviendrais pour Fervaal en revanche), mais de nulle part ailleurs : ni italiennes, ni anglaises, ni russes...

Et au niveau de l'écriture également, tout au plus pourrait-on hésiter avec une oeuvre germanique un peu diluée et décadente, du type Kienzl.


J'entends plus de ca dans L'étranger, par delà les apparences et les tentatives de s'en détacher, qui sont réelles mais à mon sens ratées. Vous y voyez quelque chose déjà annonciateur de l'école française moderne.

J'y vois la même chose que vous, l'appropriation d'un modèle. Mais j'y vois aussi tout ce qu'il y reste de tradition française, et tout ce que ce mélange annonce, oui, et que produiront Chausson, Fauré, Ropartz, Huré, Widor, Vierne, Tournemire dans les années à venir.


Vous restez dans l'opéra, qui est un genre plus conservateur que la musique symphonique ou la musique de chambre.

C'est un cliché très répandu, mais qui n'a pas de réel fondement. C'est peut-être vrai dans le second vingtième siècle, mais certainement pas au tournant du vingtième. Chez Wagner, chez Debussy, chez Strauss, chez Schreker, chez Schulhoff, l'innovation passe par l'opéra, au moins dans un premier temps, quitte à en réexploiter le contenu ensuite.

En revanche, il est vrai que si l'on considère d'autres genres, les pionniers ne seront pas les mêmes (c'est pourquoi je m'en suis tenu à l'opéra, puisque c'était sur lui que portait ma remarque admirative). D'Indy, en matière symphonique, est effectivement beaucoup moins typé français (et beaucoup moins intéressant de toute façon, à mon humble avis), et il est vrai qu'entre Magnard et Wellesz, par exemple, le plus français n'est pas toujours si visible, même si je persiste à penser qu'il reste un certain idiomatisme chez chacun.

Et en matière de musique de chambre, d'Indy n'est pas forcément aussi en avance, il faudrait confronter les dates des sonates pour violon des uns et des autres, par exemple, pour voir qui commence le mouvement.


Certes, d'Indy est sans doute plus avancé que les compositeurs de sa génération à cette époque et en particulier ceux qui se focalisent sur l'opéra, mais je ne suis pas d'accord sur l'originalité du traitement orchestral et harmonique, si on le compare non pas à l'opéra mais au post-romantisme orchestral. De Nathanael Berg à Karlowicz, le goût des couleurs, les raffinements harmoniques et le grandiose orchestral sont largement représentés à cette époque dans toute l'Europe, et il y a même certaines caractéristiques de d'Indy qui vont contre ce qui fera le "goût français" à venir (la sûr-expressivité de chant de la soprano ou le traitement des thématiques grégoriennes et religieuses (comparez à la manière de la traiter chez Caplet ou Pierné, ca n'a rien à voir)).


Ah, mais je ne dis pas que d'Indy soit spécialement en avance en Europe, il ne fait guère que bégayer (de façon un peu plus souple, un peu moins "germanique romantique milieu XIXe") ce qu'a dit Wagner, certes transposé dans sa culture propre.
Pour les autres français, je ne vois pas trop en quoi l'existence de divergences est réellement déterminante. De toute façon, je ne mets pas vraiment Pierné dans la même catégorie, il est encore marqué par une tradition plus consonante. D'ailleurs, dans sa musique de chambre, j'entends des choses plus internationales (bien que très marquées par Fauré).


Je parle encore une fois surtout du strict plan de la composition et des systèmes employés, et pas des apparats de l'opéra, qui est un genre que je rejette assez.

Je l'ai bien vu et j'ai tâché aussi d'en rester à ce plan, mais si on veut être rigoureux, on ne peut pas comparer les différents genres entre eux, tout simplement parce que l'évolution d'un même compositeur est étonnamment autonome d'un genre à l'autre.

Apparemment, c'est là une divergence méthodologique fondamentale :

Et je crois que comparer à l'intérieur du genre l'opéra est très hasardeux, parce qu'on connait très mal la production courante d'un temps. Il suffit de voir de quoi on parle dès qu'on parle d'opéra francais entre 1890 et 1910... Ca se résume à une dizaine d'oeuvres tout au plus (et je crois viser large), c'est très insuffisant pour connaître une période et établir des comparaisons, alors qu'on connait assez largement la musique d'orchestre.

C'est pourtant sensiblement la même chose, il manque des témoignages dans la musique d'orchestre, même si la discographie est, pour des raisons évidentes, plus étendue et depuis longtemps.

Quant à l'opéra, des partitions existent. Je ne prétends certainement pas avoir tout lu, mais en fréquentant d'autres noms, ça donne une idée de ce qui pouvait être produit. Et il y a des abîmes entre l'académisme post-Grand Opéra (qui peut produire des choses enthousiasmantes, au demeurant) et ce nouveau langage français qui naît après la confrontation à Wagner - et dont d'Indy est l'un des premiers représentants. Pour dire le premier, il faudrait effectivement avoir tout lu, et je ne puis parler bien évidemment, dans le cadre d'un site rempli dans mon temps de loisir, que de ce que j'ai moi-même lu - et à moins de me cantonner au silence, de prendre le risque de parler sans exhaustivité.
Je crois d'ailleurs que j'avais signalé ce point dans la notule, qu'il faudrait creuser plus avant pour vérifier des antériorités potentielles.


Encore une fois, l'opéra. Pénélope est une tentative assez ratée, le véritable Fauré est dans la musique de chambre, et là le faussé avec d'Indy me paraît pâtant.

Ah oui, mais là il n'est plus question de wagnérisme, c'est tout de bon un autre langage qui s'est constitué - certes à partir de l'étude individuelle de Wagner, mais ça n'a plus grand rapport.

Cela dit, si je révère hautement la musique de chambre de Fauré, j'aime beaucoup aussi, pour le malheur de mon bon goût, celle de d'Indy : la Sonate pour violon, le Trio avec clarinette et même, ô honte suprême, les quatuors.
Après, les qualités n'en sont pas les mêmes selon les oeuvres. Je ne vois pas en quoi la Sonate pour violon pâlirait devant Fauré ; mais le Trio avec clarinette a clairement des charmes plus thématiques, plus proches du premier Quatuor avec piano de Fauré que de ses dernières productions de musique de chambre. (On retrouve d'ailleurs dans ce Trio les jeux de couleur que créent l'alliance entre bois et cordes, et qu'il utilise abondamment dans ses opéras.)


Ce qui ne contredit pas ce que j'ai écris : l'oeuvre peut ouvrir une période (je crois qu'elle est ouverte bien avant, mais soit)

Si l'on considère la musique instrumentale, effectivement, on peut amplement discuter (ou plutôt remonter directement à Franck pour plus de simplicité), je me cantonnais à l'opéra en l'occurrence, justement parce que les évolutions me paraissent relativement autonomes, ou en tout cas très désynchronisées entre genres.


par la pratique sans remettre en cause les systèmes employés.

C'est une évidence, oui, je vois mieux ce que vous visiez. J'y vois quand même un changement esthétique assez profond, comparé aux académiques (quel abîme entre les bluettes des mélodies ou de la musique de chambre des compositeurs académiques et ceux qui suivent Franck !). Mais pas une rupture catégorique comme celle qu'opèrent Pelléas et La Mer.

Si on mélange les genres, alors effectivement, je parlerais plutôt de Franck et de Debussy comme étapes, et nullement de d'Indy.

9. Le samedi 7 août 2010 à , par Inconnu

"C'est un cliché très répandu, mais qui n'a pas de réel fondement. C'est peut-être vrai dans le second vingtième siècle, mais certainement pas au tournant du vingtième. Chez Wagner, chez Debussy, chez Strauss, chez Schreker, chez Schulhoff, l'innovation passe par l'opéra, au moins dans un premier temps, quitte à en réexploiter le contenu ensuite."
D'une part, à l'exception des deux premiers ce sont des compositeurs qui viennent plus tard que la période qui nous concerne, et d'autre part, je ne sais pas si c'est si vrai que ca en a l'air : Wagner et Schreker sont essentiellement des compositeurs d'opéra, et Schulhoff et Debussy n'ont pas moins été novateurs dans les autres genres que dans son unique opéra inachevé (surtout pour le premier) donc on ne peut pas dire que l'innovation passe chez eux par l'opéra.
On pourrait rajouter au moins Berg et Chostakovich (pour le Nez) dans la liste, mais c'est la même chose, ils sont novateurs dans tous les genres.
Quant à moi, je parlais surtout de la production courante, ou en tout cas celle de moindre mesure : il est vrai que l'opéra est au début du XXème siècle un genre affectionné par les grands compositeurs pour y jeter toute leur force créatrice, mais à l'opposé il reste aussi un genre conventionnel, pétri de formules, d'habitudes et d'attentes.

"Pour les autres français, je ne vois pas trop en quoi l'existence de divergences est réellement déterminante. De toute façon, je ne mets pas vraiment Pierné dans la même catégorie, il est encore marqué par une tradition plus consonante. D'ailleurs, dans sa musique de chambre, j'entends des choses plus internationales (bien que très marquées par Fauré)."
Ce sont plus que des divergences, c'est une toute autre manière de penser et un autre rapport au matériau.

"Je l'ai bien vu et j'ai tâché aussi d'en rester à ce plan, mais si on veut être rigoureux, on ne peut pas comparer les différents genres entre eux, tout simplement parce que l'évolution d'un même compositeur est étonnamment autonome d'un genre à l'autre."
Je ne vois pas ce qui justifie un interdit : l'autonomie évidente est seulement un fondement de travail ou un élément à prendre en compte mais ne doit pas constituer un interdit pour étudier les questions de langages et d'esthétique. La rigueur ne consiste pas à poser des interdits à priori sur l'étude des compositions.

"C'est pourtant sensiblement la même chose, il manque des témoignages dans la musique d'orchestre, même si la discographie est, pour des raisons évidentes, plus étendue et depuis longtemps."

Ce qui est une sérieuse différence quand on peut passer d'une dizaine d'opéras (y compris partitions) sur une esthétique et une période donnée à plusieurs centaines d'oeuvres pour orchestre!
Je n'interdis personne d'en parler, je disais simplement qu'à rester dans un jugement pris dans un cercle limité à quelques opéras, on ne peut pas rendre compte de la réalité musicale de l'époque et du contenu des opéras en questions. Les questions d'esthétiques, de style et de systèmes dépassent celles du genre, ca me paraît être une évidence.

"Ah oui, mais là il n'est plus question de wagnérisme, c'est tout de bon un autre langage qui s'est constitué - certes à partir de l'étude individuelle de Wagner, mais ça n'a plus grand rapport. "
Mais c'est justement là toute la question!

10. Le samedi 7 août 2010 à , par DavidLeMarrec

D'une part, à l'exception des deux premiers ce sont des compositeurs qui viennent plus tard que la période qui nous concerne,

Oui, ce n'était peut-être pas ce que vous visiez, mais je l'ai lu comme une remarque générale.

Cela dit, Strauss est en plein dans la période avec Salome et Elektra.


et d'autre part, je ne sais pas si c'est si vrai que ca en a l'air : Wagner et Schreker sont essentiellement des compositeurs d'opéra,

Ce n'est pas tout à fait vrai : ils sont réputés avant tout comme tels (et avec raison), mais ont beaucoup écrit en dehors de l'opéra, même si peu de chose, proportionnellement, est publié (surtout pour Wagner) et joué.

Peu importe de toute façon, je me contente de constater que l'opéra n'est pas à la remorque des autres genres mais qu'il est même le lieu, à de nombreuses reprises dans l'histoire de la musique, de véritables ruptures. On pourrait aussi parler de la naissance du genre, de Lully, de Mozart qui commet dans Don Giovanni des effets et des rythmes qu'il n'a jamais osé dans le symphonique, etc.


et Schulhoff et Debussy n'ont pas moins été novateurs dans les autres genres que dans son unique opéra inachevé (surtout pour le premier) donc on ne peut pas dire que l'innovation passe chez eux par l'opéra.

Il y a vraiment des oeuvres qui se comparent à Flammen, en termes de modernité, chez Schulhoff ? Je n'en ai pas trouvé en tout cas, j'ai même tendance à trouver le reste de sa production beaucoup plus banale. Et ce n'est pas par goût spécifique pour l'opéra, son livret est atroce et j'aurais bien aimé pouvoir écouter ça sur un support de musique pure.
Quant à Debussy, oui, on peut discuter, pourquoi pas, mais les deux sommets de personnalité, ce sont à mon sens Pelléas et la Mer, et Pelléas arrive bien avant. Mais il est clair qu'il ne s'est pas limité à l'opéra. Cela dit, il invente une forme nouvelle de prosodie - est-ce musical, est-ce extra-musical ? En tout cas c'est de l'innovation.


On pourrait rajouter au moins Berg et Chostakovich (pour le Nez) dans la liste, mais c'est la même chose, ils sont novateurs dans tous les genres.


Oui, pour Berg, ça n'a vraiment que peu de rapport, parce qu'il bouscule dès l'opus 1 de toute façon. Pour Chostakovitch, ce serait sans doute plus vrai, mais enfin, comme vous le dites, ça ne s'y limite pas.


Quant à moi, je parlais surtout de la production courante, ou en tout cas celle de moindre mesure : il est vrai que l'opéra est au début du XXème siècle un genre affectionné par les grands compositeurs pour y jeter toute leur force créatrice, mais à l'opposé il reste aussi un genre conventionnel, pétri de formules, d'habitudes et d'attentes.

Tout à fait, et c'est précisément le clivage qu'on va retrouver entre les académiques de type Thomas et la nouvelle école plus libre, plus purement musicale, dont d'Indy est l'un des jalons.


Ce sont plus que des divergences, c'est une toute autre manière de penser et un autre rapport au matériau.

Soit, mais en quoi est-ce fondamentalement incompatible avec l'appartenance à un même univers esthétique national, tant qu'il demeure un certain nombre de points communs ? On pourrait opposer de ce point de vue Chausson à Debussy, par exemple.


Je ne vois pas ce qui justifie un interdit : l'autonomie évidente est seulement un fondement de travail ou un élément à prendre en compte mais ne doit pas constituer un interdit pour étudier les questions de langages et d'esthétique. La rigueur ne consiste pas à poser des interdits à priori sur l'étude des compositions.

C'est simplement que si on veut décloisonner, il faut accepter de fournir un travail beaucoup plus touffu, avec un plan en quinconce, qui est à mon avis beaucoup moins exploitable au bout du compte, alors que les choses sont infiniment plus claires lorsqu'on cloisonne par genres.

On peut, bien sûr, le faire, mais ça réclame une colossale maîtrise du répertoire, à commencer par une étude fine de toute la chronologie. Et ça me paraît très ambitieux dans le cadre d'une notule bi-hebdomadaire, en tout cas au-dessus de mon emploi du temps.

Pour ce qui serait d'un travail plus sérieux et plus profond, oui, ce serait intéressant, mais je persiste à m'interroger sur la lisibilité du résultat. Ou alors il faudrait le faire en réduisant à l'autre bout les critères. Par exemple étudier uniquement l'orchestration, ou bien l'harmonie, ou bien le détachement des schémas rythmiques traditionnels, dans tous les genres.

Ce qui répond, je pense, à votre objection de fond :

Je n'interdis personne d'en parler, je disais simplement qu'à rester dans un jugement pris dans un cercle limité à quelques opéras, on ne peut pas rendre compte de la réalité musicale de l'époque et du contenu des opéras en questions. Les questions d'esthétiques, de style et de systèmes dépassent celles du genre, ca me paraît être une évidence.



"Ah oui, mais là il n'est plus question de wagnérisme, c'est tout de bon un autre langage qui s'est constitué - certes à partir de l'étude individuelle de Wagner, mais ça n'a plus grand rapport. "
Mais c'est justement là toute la question!

Sans doute, mais ce n'était pas celle que je me posais dans le cadre de cette modeste notule. Mon propos était de me limiter à une évocation d'une partition donnée, à partir de laquelle j'ai tracé des liens esthétiques et posé des hypothèses sur la primeur de son style (dans le cadre du genre opéra).

Si on me demande d'étudier sérieusement la transformation de Wagner dans un style original, dans le langage musical français, dans le cadre de tous ses genres, je n'ai rien contre - néanmoins je demanderai quelques années de délai avant de fournir une réponse dûment soupesée.

Mais ça outrepasse clairement ce que je puis fournir durant ces moments de loisir (ou alors il ne faudrait traiter qu'un seul sujet, produire une notule très longue tous les deux mois, bref fournir un travail de qualité universitaire - qui ne serait plus très accessible et rendrait le concept même de site diarisé caduc).


En revanche, je puis essayer bien volontiers et avec grand plaisir de répondre aux remarques de lecteurs attentifs et érudits.
En l'occurrence, je crains qu'il ne faille directement plonger dans les partitions, sur une longue durée et avec des analyses techniques précises pour pouvoir réellement trancher dans le détail (mais de toute façon notre divergence réside plus dans les choix méthodologiques préalables que dans le contenu des oeuvres, manifestement).


Bonne soirée !

11. Le samedi 7 août 2010 à , par Inconnu

Mais ne croyez pas que je remets en question votre travail, pas du tout! Tout au plus, je reviens sur un certain automatisme à se dire "de loin ca sent français, c'est donc que ça doit l'être", et à ranger les oeuvres par rapport à une certaine idée que l'on se fait des musiques nationales. Je voulais tout au plus pointer les traces d'autre chose, qui me paraissent très importantes dans "l'Etranger". Après tout, cloisonner et poser des esthétiques dissimule plus les réalités musicales que ça ne les révèle.

Concernant Schulhoff, la sonata erotica, Ogelala (première musique pour percussions seules), l'intégration du jazz dans ses pièces pour piano des années 20, la partition silencieuse des pittoresques op.31... c'est en soi un peu trivial, mais cela relève pour le coup de la stricte "inventivité" (plutôt que de l'inspiration). Il y a plus de hauteur de vue et de complexité dans Flammen, et il a manqué à Schulhoff l'ambition d'intégrer ses nouveautés dans une vraie forme, mais sur le plan esthétique on est en plein dans la modernité. Quel compositeur peut se vanter d'avoir écrit la première page pour percussions seules de l'histoire de la musique occidentale, la première page silencieuse, peut être les premières pages à intégrer le jazz, mais aussi du proto-théâtre musical, du post-romantisme germanique, des pièces de chambre à la Chostakovich avant Chostakovich (le duo pour violon et violoncelle) et d'avoir fini par écrire de la musique pseudo-soviétique, en finissant par avoir le culot de mourir dans un camp de concentration? Je ne vois à vrai dire pas beaucoup de compositeurs à avoir pris sur eux de cette manière tous les aspects de la modernité, avec en plus un certain flair pour voir ce qui allait venir (il y a une certaine musique expérimentale des années 50 qui n'apporte malgré ses prétentions pas grand chose aux oeuvres-blagues (qui ne le sont parfois que superficiellement) de Schulhoff)... Il aurait sans doute fini par écrire de la musique sérielle, d'ailleurs...

Pour Debussy, Pelleas et La mer certes, mais Le prélude à l'après-midi d'un faune et le deuxième livre des préludes pour piano (celui peut être même au-dessus de tout le reste) tout autant. Mais je ne vois pas grand chose chez lui dans les "grandes pièces" qui soit autre chose que des "sommets de personnalité". Les images pour orchestre cèdent peut être à l'air du temps, mais le reste...

12. Le samedi 7 août 2010 à , par DavidLeMarrec

Mais ne croyez pas que je remets en question votre travail, pas du tout!

Non, non, je ne l'ai pas senti comme cela. Je précise juste que pour répondre à vos objections, fondées par ailleurs, cela outrepasse ce que je puis fournir ici.


Tout au plus, je reviens sur un certain automatisme à se dire "de loin ca sent français, c'est donc que ça doit l'être", et à ranger les oeuvres par rapport à une certaine idée que l'on se fait des musiques nationales. Je voulais tout au plus pointer les traces d'autre chose, qui me paraissent très importantes dans "l'Etranger".

Mais je crois que cette confrontation de point de vue a été tout à fait féconde pour les lecteurs éventuels, et en tout cas pour moi, elle a été l'occasion de réétudier de façon critique un certain nombre d'étiquettes et de classements faciles. Il est vrai que j'établis souvent des ponts au delà des chronologies, et notre conversation a permis de regarder les choses d'une façon plus restreinte, plus précise, que je ne l'ai fait pour parler d'une oeuvre en particulier, évidemment.
C'est donc très agréable, et pas du tout gênant.


Concernant Schulhoff, la sonata erotica, Ogelala (première musique pour percussions seules), l'intégration du jazz dans ses pièces pour piano des années 20, la partition silencieuse des pittoresques op.31... c'est en soi un peu trivial, mais cela relève pour le coup de la stricte "inventivité" (plutôt que de l'inspiration).

Oui, tout à fait, ce sont des innovations incontestables, mais plus de l'ordre de la transgression que de la construction aboutie, à mon sens (le langage d'Ogelala, même s'il intègre de l'extra-classique, reste assez "gentil").

Cela dit, clairement, ça rejoint ce que vous disiez sur le fait que les compositeurs se "posent" pour écrire leur chef-d'oeuvre, en concentré dans le prestigieux genre de l'opéra.


Il y a plus de hauteur de vue et de complexité dans Flammen, et il a manqué à Schulhoff l'ambition d'intégrer ses nouveautés dans une vraie forme, mais sur le plan esthétique on est en plein dans la modernité. Quel compositeur peut se vanter d'avoir écrit la première page pour percussions seules de l'histoire de la musique occidentale, la première page silencieuse, peut être les premières pages à intégrer le jazz, mais aussi du proto-théâtre musical, du post-romantisme germanique, des pièces de chambre à la Chostakovich avant Chostakovich (le duo pour violon et violoncelle) et d'avoir fini par écrire de la musique pseudo-soviétique, en finissant par avoir le culot de mourir dans un camp de concentration? Je ne vois à vrai dire pas beaucoup de compositeurs à avoir pris sur eux de cette manière tous les aspects de la modernité, avec en plus un certain flair pour voir ce qui allait venir (il y a une certaine musique expérimentale des années 50 qui n'apporte malgré ses prétentions pas grand chose aux oeuvres-blagues (qui ne le sont parfois que superficiellement) de Schulhoff)... Il aurait sans doute fini par écrire de la musique sérielle, d'ailleurs...

Oui, clairement, il a tout exploré (même dans sa vie personnelle, il multipliait les "subversions" : communiste, homosexuel, compositeur de musique dégénérée...), et aurait sans doute poursuivi. Je suis tout à fait d'accord sur le fait que le happening après lui a rarement été tellement plus nouveau. Mais précisément, cela reste souvent des concepts nouveaux posés sur le fond d'une musique pas aussi novatrice, finalement. Certes tout à fait de son temps, et même du côté de la modernité, mais ce n'est pas sur lui qu'il faut compter, hors de Flammen, pour inventer de nouveaux horizons dans le langage proprement dit.


Pour Debussy, Pelleas et La mer certes, mais Le prélude à l'après-midi d'un faune et le deuxième livre des préludes pour piano (celui peut être même au-dessus de tout le reste) tout autant.

Ca me semble un tout petit peu moins radical, mais il est vrai que c'est déjà complètement un langage en rupture, autonome, original et abouti.

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