Brèves savoureuses sur... Capriccio - 3, Une 'Conversation en musique', vraiment ?
Par DavidLeMarrec, mercredi 9 septembre 2009 à :: Vienne décade, et Richard Strauss :: #1352 :: rss
On lira et relira que Capriccio est une « Convervation en musique ». Cette information appelle deux réserves assez importantes, l'une linguistique, l'autre générique.
--
A. Le choix d'un titre
Initialement, Strauss avait tout simplement pensé s'approprier de façon approximative le titre de Casti : Paroles ou musique ? (Wort oder Ton ? est aussi une réplique-programme du poète Olivier dans la première scène.) Le titre de Capriccio est de Krauss (on dispose même de la date : 6 décembre 1940 !), et finit par être adopté par Strauss, sans enthousiasme démesuré. Il est vrai que tout adorable qu'il est (et traduisant le désir de désinvolture des deux compoères par rapport aux formes usuelles de l'opéra), ce n'est pas forcément un titre particulièrement génial non plus.
Plus intéressant est le sous-titre. Initialement, Strauss avait proposé « Fugue théâtrale ». Une jolie idée, plus conceptuelle que descriptive : mis à part l'octuor de la dispute, qui n'est pas non plus le meilleur de l'ouvrage, quoique vertigineusement virtuose à écrire, Capriccio tient plus d'un bavardage récitatif informe que de la construction charpentée d'une fugue ; de même pour l'intrigue.
Le deuxième choix était peut-être bien le meilleur : une « Comédie Théorique » (« Theoretische Komödie »), ce qui traduit assez bien le caractère mi-badin mi-profond de l'ouvrage, discutant des meilleures choses sans esprit de sérieux. Le paradoxe du titre était de surcroît délicieux : Capriccio a bien à la fois le mouvement malicieux de la comédie et le caractère plus austère du monologue argumenté.
--
B. Réserve linguistique
Mais Krauss eut l'idée qui fut définitive, un autre trait d'esprit dans un goût assez équivalent, mais plus musical. Celui que l'on traduit en français par « Convervation en musique ». Le problème est qu'ainsi, on le rattache certes au but de Strauss tel qu'exprimé dans ses lettres (mais de très longue date, dès le Chevalier à la Rose !), mais on perd absolument toute la saveur de ce sous-titre... et même un peu du sens.
Le sous-titre allemand est « Ein Konversationsstück für Musik ». Et c'est, pour le coup, à la fois très amusant et très juste. Littéralement : « Une pièce de conversation, pour musique ». Stück est un vocable très fréquent en musique, qui sert souvent à intituler une pièce de forme relativement libre : Konzertstück, par exemple (pièce prévue pour le concert) ; für est employé pour désigner l'instrument qui joue.
Ce serait un peu comme écrire : « Sonate pour badinage et musique » ou « Concerto de papotages avec musique solo », si l'on veut (attention, ce ne sont pas des traductions...). C'est-à-dire que la pièce théâtrale est décrite par son sous-titre avec les formulations de la musique, comme s'il s'agissait d'une oeuvre instrumentale pour le concert, mais en prenant le point de vue du théâtre : on précise donc qu'y joue... de la musique. Et c'est extrêmement judicieux, puisqu'effectivement, la musique est presque un personnage, en tout cas un sujet d'observation constant dans toute l'oeuvre. L'oeuvre est quasiment conçue comme une pièce de théâtre (quasiment sans intrigue) où la musique serait une partie du texte au même titre que les réparties des acteurs.
--
C. Réserve générique
De cela, on déduira facilement notre réserve générique sur l'appellation traduite « Conversation en musique ». Car Capriccio ne se réduit pas à un bavardage secondé par des aplats musicaux ; c'est aussi toute une architecture (ce que Strauss voulait souligner par son sous-titre de « Fugue »). On y voit quelque chose de mouvant et de dynamique, en tout cas, où la forme ne reste pas figée dans la conversation, mais prend toutes les postures nécessaires, de façon extrêmement plastique.
Cette traduction fait donc perdre non seulement toute la malice du sous-titre (et tout le recul souriant des auteurs), mais induit également en erreur sur la nature de l'oeuvre, qui n'est pas du parlando bavard mais plutôt un petit montage théâtral où la musique intervient de façon déterminante...
A choisir, on préfère sans balancer le maladroit mais clair « Pièce de conversation, pour musique »...
--
Voilà pour notre petit badinage (sans musique) autour du titre de Capriccio.
A suivre.
Commentaires
1. Le samedi 12 septembre 2009 à , par Era
2. Le samedi 12 septembre 2009 à , par DavidLeMarrec
3. Le samedi 12 septembre 2009 à , par Dave
4. Le samedi 12 septembre 2009 à , par DavidLeMarrec
5. Le samedi 12 septembre 2009 à , par DavidLeMarrec
Ajouter un commentaire