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Brèves savoureuses sur... Capriccio - 3, Une 'Conversation en musique', vraiment ?


On lira et relira que Capriccio est une « Convervation en musique ». Cette information appelle deux réserves assez importantes, l'une linguistique, l'autre générique.

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A. Le choix d'un titre

Initialement, Strauss avait tout simplement pensé s'approprier de façon approximative le titre de Casti : Paroles ou musique ? (Wort oder Ton ? est aussi une réplique-programme du poète Olivier dans la première scène.) Le titre de Capriccio est de Krauss (on dispose même de la date : 6 décembre 1940 !), et finit par être adopté par Strauss, sans enthousiasme démesuré. Il est vrai que tout adorable qu'il est (et traduisant le désir de désinvolture des deux compoères par rapport aux formes usuelles de l'opéra), ce n'est pas forcément un titre particulièrement génial non plus.

Plus intéressant est le sous-titre. Initialement, Strauss avait proposé « Fugue théâtrale ». Une jolie idée, plus conceptuelle que descriptive : mis à part l'octuor de la dispute, qui n'est pas non plus le meilleur de l'ouvrage, quoique vertigineusement virtuose à écrire, Capriccio tient plus d'un bavardage récitatif informe que de la construction charpentée d'une fugue ; de même pour l'intrigue.

Le deuxième choix était peut-être bien le meilleur : une « Comédie Théorique » (« Theoretische Komödie »), ce qui traduit assez bien le caractère mi-badin mi-profond de l'ouvrage, discutant des meilleures choses sans esprit de sérieux. Le paradoxe du titre était de surcroît délicieux : Capriccio a bien à la fois le mouvement malicieux de la comédie et le caractère plus austère du monologue argumenté.

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B. Réserve linguistique

Mais Krauss eut l'idée qui fut définitive, un autre trait d'esprit dans un goût assez équivalent, mais plus musical. Celui que l'on traduit en français par « Convervation en musique ». Le problème est qu'ainsi, on le rattache certes au but de Strauss tel qu'exprimé dans ses lettres (mais de très longue date, dès le Chevalier à la Rose !), mais on perd absolument toute la saveur de ce sous-titre... et même un peu du sens.

Le sous-titre allemand est « Ein Konversationsstück für Musik ». Et c'est, pour le coup, à la fois très amusant et très juste. Littéralement : « Une pièce de conversation, pour musique ». Stück est un vocable très fréquent en musique, qui sert souvent à intituler une pièce de forme relativement libre : Konzertstück, par exemple (pièce prévue pour le concert) ; für est employé pour désigner l'instrument qui joue.

Ce serait un peu comme écrire : « Sonate pour badinage et musique » ou « Concerto de papotages avec musique solo », si l'on veut (attention, ce ne sont pas des traductions...). C'est-à-dire que la pièce théâtrale est décrite par son sous-titre avec les formulations de la musique, comme s'il s'agissait d'une oeuvre instrumentale pour le concert, mais en prenant le point de vue du théâtre : on précise donc qu'y joue... de la musique. Et c'est extrêmement judicieux, puisqu'effectivement, la musique est presque un personnage, en tout cas un sujet d'observation constant dans toute l'oeuvre. L'oeuvre est quasiment conçue comme une pièce de théâtre (quasiment sans intrigue) où la musique serait une partie du texte au même titre que les réparties des acteurs.

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C. Réserve générique

De cela, on déduira facilement notre réserve générique sur l'appellation traduite « Conversation en musique ». Car Capriccio ne se réduit pas à un bavardage secondé par des aplats musicaux ; c'est aussi toute une architecture (ce que Strauss voulait souligner par son sous-titre de « Fugue »). On y voit quelque chose de mouvant et de dynamique, en tout cas, où la forme ne reste pas figée dans la conversation, mais prend toutes les postures nécessaires, de façon extrêmement plastique.

Cette traduction fait donc perdre non seulement toute la malice du sous-titre (et tout le recul souriant des auteurs), mais induit également en erreur sur la nature de l'oeuvre, qui n'est pas du parlando bavard mais plutôt un petit montage théâtral où la musique intervient de façon déterminante...

A choisir, on préfère sans balancer le maladroit mais clair « Pièce de conversation, pour musique »...

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Voilà pour notre petit badinage (sans musique) autour du titre de Capriccio.

A suivre.


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Commentaires

1. Le samedi 12 septembre 2009 à , par Era

Très intéressant, merci !

Pour ma part c'est "fugue théâtrale" qui me convainc le plus, car ce qui m'a toujours frappé dans cet opéra, c'est cette structure du livret permettant la mise en abyme formidable.
De plus, je ne sais pourquoi, mais c'est une image magnifique qui me parle, "fugue théâtrale"...!

2. Le samedi 12 septembre 2009 à , par DavidLeMarrec

Ca me paraît seulement vrai partiellement, c'est ça qui me dérange un tout petit peu (parce que c'est exactement ce que tu dis, cette structure à miroirs internes multiples, mais ce n'est pas non plus réglé comme une fugue, l'intrigue est linéaire).

Mais nos choix respectifs révèlent peut-être surtout des contrastes de sensibilité, on voit lesquels ! :)

Bien, à part ça, j'ai encore en principe deux brèves dans ma besace sur Capriccio (en étroite relation avec le texte, cette fois).

Merci pour ton commentaire, ça fait plaisir, d'autant que je pensais bien que tu serais content de trouver quelque chose sur ce sujet. ;)

3. Le samedi 12 septembre 2009 à , par Dave

Merci pour ces brèves, c'est passionnant !

Je commençais à désespérer de voir ici quelque chose sur Capriccio, je me disais que tu ne devais pas aimer plus que ça... Quelle joie de savoir qu'il en reste 2 ! :)

Sinon, rien à redire mais je trouve aussi le sous-titre allemand bien plus séduisant que cette "conversation en musique" :{

4. Le samedi 12 septembre 2009 à , par DavidLeMarrec

Il est clair que Capriccio me séduit moins que d'autres Strauss : même son alter ego musical, moins ambitieux littérairement, Intermezzo, me transporte beaucoup plus immédiatement.

Mais lorsque l'ouvrage prend vie sur scène, c'est phénoménal.

Ca fait plaisir de se voir suivi avec autant de chaleur, ça me donne du coeur à l'ouvrage pour les épisodes suivants (plus exigeants à préparer...).

Il faut d'autant plus que je m'en débarrasse, puisque j'ai des trucs pour Arabella sur le feu...

5. Le samedi 12 septembre 2009 à , par DavidLeMarrec

Sinon, sur l'absence de l'oeuvre jusqu'à présent, le traitement d'un sujet sur CSS, c'est à la fois le hasard de l'envie et puis la quantité de documentation présente : il faut qu'il y ait si possible quelque chose à dire qui ne soit pas tel quel dans les livres (et si possible pas du tout).
Capriccio étant relativement documenté, il était plus urgent de parler d'Intermezzo et de Friedenstag, bien documentés, mais pas dans les ouvrages généraux, ce qui laissait la voie à quelques généralités sur CSS.

C'est aussi pour ça qu'il y a très peu de choses (et rien de consistant) sur Salome et Elektra.

De toute façon, de mauvais opéras de Strauss, à part Guntram, il faut les chercher longtemps. :)

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