Siegmund NIMSGERN
Par DavidLeMarrec, lundi 2 avril 2007 à :: Discographies - Portraits :: #576 :: rss
Une technique fort peu orthodoxe, avec des notes qui s'aplatissent, un peu acides ; pourtant, plusieurs choses me réjouissent hautement chez lui.
D'abord son engagement total dans chacun de ses rôles, incarné de bout en bout. Mais aussi son timbre de méchant d'opéra de seconde catégorie, quel que soit le rôle abordé : toujours grimaçant, prêt à mordre (beau mordant aussi), d'une façon que je trouve infiniment attendrissante.
A son écoute, je suis toujours partagé entre l'électrique de la prestation, l'amusement de l'incongruité et le sourire attendri. Et, sans doute, la volupté avec laquelle on l'entend croquer les mots.
C'est donc à sa gloire que je vous propose cette petite liste commentée de rôles et d'enregistrements, ainsi que ces quelques extraits jamais publiés.
1. Catalogue et répertoire |
Je procèderai donc de la façon suivante :
Compositeur - OEUVRE - Rôle // Version - Date - Publication
La liste est à peu près exhaustive pour les enregistrements d'opéras. Mais on ne trouvera pas l'écrasante totalité des rôles qu'il a abordés, ni une recension complète de ses prestations dans le domaine de l'oratorio, où il a également abondamment sévi.
En italique figurent les prestations non publiées.
ORATORIO |
§ Bach - MATTHÄUS-PASSION (Passion selon saint Matthieu) - Jesus // Helmut Rilling - CD studio
§ Bach - MAGNIFICAT - basse // Richter - Salzbourg 1970 - vinyl non réédité
§ Haydn - DIE SCHÖPFUNG - basse //
§ Mendelssohn - PAULUS - basse // Muti - 1970 - non publié
§ Cornelius - STABAT MATER - basse //
§ Mahler - SYMPHONIE N°8 - basse // Boulez - 1975 - CD (et concerts la même année)
§ Schönberg - GURRELIEDER - Ein Bauer // Pierre Boulez - CD studio
RECITAL |
§ Schubert - WINTERREISE // Pflüger - CD studio (à peu près épuisé)
OPERA |
1. Domaine italien
Opéra baroque et classique italien
§ Telemann - PIMPINONE - rôle-titre // Hans Ludwig Hirsch - 1975 - CD studio
§ Vivaldi - LA SENNA FESTEGGIANTE - La Senna // Claudio Scimone - 1978 - CD studio
§ Pergolesi - LA SERVA PADRONA - Uberto // Franzjosef Maier - 1969 - CD
§ Mozart - LE NOZZE DI FIGARO - Bartolo (Bartholo) // Colin Davis - 1991 - CD
Opéra romantique italien
§ Rossini - TORVALDO E DORLISKA - Il duca d'Ordow // Alberto Zedda - 1977 - CD
§ Rossini - Mosè in Egitto - Faraone // Claudio Scimone - 1981 - CD
§ Rossini - GUILLAUME TELL - rôle-titre // Riccardo Muti (en italien) - 1976 - non publié
§ Rossini - GUILLAUME TELL - rôle-titre // Anton Guadagno (vraisemblablement en italien) - 1979 - CD sur le vif
§ Verdi - NABUCCO - rôle-titre // Riccardo Muti - 1977 - CD (+ vidéo non publiée)
§ Verdi - JERUSALEM - Roger // Gianandrea Gavazzeni (en français) - 1975 - CD studio
§ Verdi - AIDA - Amonasro // Riccardo Muti - 1979 - CD sur le vif
§ Verdi - AIDA - Amonasro // Garcia Navarro (avec Gabriela Benacková) - Stuttgart 1987 - non publié
§ Verdi - AIDA - Amonasro // Richard Buckley - Chicago 1988 - non publié
§ Puccini - IL TABARRO (in Il Trittico) - Michele // Giuseppe Patané - 1987 - CD
§ Puccini - TURANDOT - Un Mandarin (rôle secondaire) // Herbert von Karajan - 1982 - CD studio
2. Opéra russe
§ Moussorgsky - LA KHOVANTCHINA - Chaklovity // Bogo Leskovic - 1973 - CD
(Mussorgsky) - (Khovanchtchina, Khovanchina...) - (Shaklovity)
3. Domaine français
§ Gluck - ARMIDE - Hidraot, Ubalde // Wilfried Boettcher - 1974 - CD studio
§ Offenbach - LES CONTES D'HOFFMANN - Dapertutto // Georges Prêtre - 1981 - CD
4. Domaine allemand
Opéra romantique allemand
§ Beethoven - FIDELIO - Don Pizarro // Günter Wich - 1971 - non publié
§ Beethoven - FIDELIO - Don Pizarro // Herbert von Karajan - 1978 - non publié
§ Beethoven - FIDELIO - Don Pizarro // Kurt Masur - 1981 - CD studio
§ Weber - OBERON - Scherasmin // George Alexander Albrecht (en allemand) - 1973 - non publié
§ Marschner - DER VAMPYR - Lord Ruthven (rôle-titre) // Günter Neuhold - 1980 - CD sur le vif
§ Wagner - LOHENGRIN - Telramund // Herbert von Karajan - 1976 - CD studio
§ Wagner - LOHENGRIN - Telramund // Abbado - 1981 - non publié
§ Wagner - LOHENGRIN - Telramund // Sir Georg Solti - 1985 - CD studio
§ Wagner - TRISTAN UND ISOLDE - Kurwenal // Carlos Kleiber (alla Scala) - 1978 - CD sur le vif
§ Wagner - TRISTAN UND ISOLDE - Kurwenal // Franz-Paul Dekker - San Francisco 1979 - non publié
§ Wagner - DAS RHEINGOLD - Alberich // Marek Janowski - 1980 - CD studio
§ Wagner - DAS RHEINGOLD - Wotan // Sir Georg Solti - 1983 - radiodiffusé
§ Wagner - DIE WALKÜRE - Wotan // Sir Georg Solti - 1983 - radiodiffusé
§ Wagner - SIEGFRIED - Alberich // Marek Janowski - 1980 - CD studio
§ Wagner - SIEGFRIED - Der Wanderer // Bayreuth 1986 - radiodiffusé
§ Wagner - DER GÖTTERDÄMMERUNG - Gunther // Sir Colin Davis - Covent Garden 1973 - non publié
§ Wagner - DER GÖTTERDÄMMERUNG - Alberich // Marek Janowski - 1980 - CD studio
§ Wagner - DER GÖTTERDÄMMERUNG - Gunther // Bayreuth 1986 - radiodiffusé
§ Wagner - PARSIFAL - Amfortas // Jasha von Horenstein - 1973 - non publié (Covent Garden)
§ Wagner - PARSIFAL - Klingsor // Herbert von Karajan - 1980 - CD studio
§ Humperdinck - HÄNSEL UND GRETEL - Peter (Vater) // Sir John Pritachard - 1979 - CD studio
Opéra postromantique allemand
§ R. Strauss - SALOME - Jochanaan // Zubin Mehta - 1971 - CD
§ R. Strauss - SALOME - Jochanaan // Omar Suitner (avec Leonie Rysanek) - San Francisco 1974 - non publié
§ R. Strauss - SALOME - Jochanaan // Kent Nagano (avec Edda Moser) - Paris 1986 - non publié
§ R. Strauss - DIE FRAU OHNE SCHATTEN - Barak // Marek Janowski - Buenos Aires 1979 (avec Eva Marton, Ruth Hesse, Birgit Nilsson et Jess Thomas) - non publié
§ R. Strauss - DIE ÄGIPTISCHE HELENA - Altair // Wolfgang Sawallisch (avec Gwyneth Jones et Klaus König) - 1987 - non publié
§ R. Strauss - DIE ÄGIPTISCHE HELENA - Altair // Marek Janowski (avec Anna Tomowa-Sintow et Klaus König) - 1993 - non publié
§ R. Strauss - ARABELLA - Mandryka // Wolfgang Rennert (avec Montserrat Caballé, Jeannette Scovotti et Kurt Moll) - 1973 - CD
§ Schreker - DER FERNE KLANG - Dr Vigelius // Gerd Albrecht - 1990 - CD
§ Ullmann - DER KAISER VON ATLANTIS - rôle-titre // Kerry Woodward - 1978 - non publié
§ Hindemith - CARDILLAC - rôle-titre // Gerd Albrecht - 1988
§ Weinberger (Jaromír) - SCHWANDA, DER DUDELSACKPFEIFER - Teufel // Heinz Wallberg - 1979 - CD
5. Opéras de la "modernité"
§ Schönberg - DIE GLÜCKLICHE HAND - Der Mann (rôle unique) // Pierre Boulez - 1981 - CD studio
§ Bartók - A Kékszakállu herceg vára (Le Château de Barbe-Bleue) - Kékszakállu (Barbe-Bleue) // Pierre Boulez (avec Tatiana Troyanos) - 1976 - CD studio
§ Stravinsky - OEDIPUS REX - Créon // Colin Davis - 1983 - CD Información detallada 1983 - Oedipus rex (Stravinski) - Colin Davis: Siegmund Nimsgern (Creonte)
Dans cette liste, on s'étonnera peut-être de ne pas trouver Wozzeck, mais il serait étonnant qu'on ne le lui ait jamais proposé - surtout qu'il a bel et bien chanté du Berg, c'est chose sûre. Il a cependant chanté d'autres rôles dont je n'ai pas trouvé de trace sonore : le Hollandais, Macbeth chez Verdi, Iago, di Luna (!). Et également du Mozart, du Bizet, du Puccini, et même Enescu. De même, pour l'oratorio, il s'est produit dans Haendel et Beethoven, bien que rien ne soit parvenu jusqu'à moi. Dans le lied également, il ne limitait bpas, bien entendu au Winterreise, chantant les compositeurs canoniques, outre Schubert : Schumann, Brahms, Wolf et quelques autres.
Le répertoire et le timbre de Nimsgern sont vraiment constitutifs du prototype même du baryton dramatique : rôles lourds, couleurs sombres, capacité des effets, aigus sûrs mais pas nécessairement beaux, grave sonore, mordant.
On notera un très large spectre d'intérêt, regroupant à peu près tous les répertoires, à part le baroque le plus vocal et le contemporain le plus proche. Et dans un très grand nombre de langues : allemand, italien, français, latin, russe, hongrois. Il n'est pas impossible qu'il ait pratiqué l'anglais non plus.
Le style reste toujours très germanique, ce qui le fait sonner étrangement ; l'intelligibilité et l'accent, eux, sont toujours très bons. Ce n'est pas pour rien qu'il a abondamment été distribué en Amonasro : il est l'étranger brutal par excellence.
On constate quelle activité discographique intense il a pu avoir dans les années 70 et 80. Sans doute ce dévouement total à la tâche qui l'a fait tant demander et tant enregistrer. Et cette capacité à chanter n'importe quoi. Rarement en méforme, et il parvient de façon étonnante à toujours trouver des ressources pour que les sons sortent de quelque part, comme dans son Amonasro de Stuttgart. Karajan, qui aimait les voix personnelles, s'y est attaché et ce n'est pas un hasard en effet, de ce point de vue...
2. Qu'entendre de lui ? |
2.1. Pour débuter la rencontre.
Tout dépend de votre degré de fanitude. Son Lord Ruthven chez Marschner est assez idéal, dans un environnement pas fameux. Günter Neuhold ne peut rien faire de la RAI Roma en grande méforme (même pas du déchiffrage), et les chanteuses sont dotées de voix assez opaques, pas très bien placées, malgré une certaine séduction. L'ensemble est très brouillon - et coupé - mais se trouve pour une misère chez le label italien Hommage (trouvable à 3€ chez les revendeurs par correspondance). Livret bilingue allemand-anglais même fourni ! Et l'on y entend un court mélodrame avec Nimsgern (lorsqu'il meurt au début - mais ne vous en faites pas pour lui).
Coupures très significatives, comme souvent, mais c'est encore son rôle qui en souffre le moins.
Le timbre de méchant, l'engagement, l'appétit sanguinaire, la fêlure encore humaine sont parfaitement rendus, dans un style excellemment adapté au genre. (Peut-être a-t-il aussi chanté Lysiart.)
Sa sobriété et l'articulation remarquable de son bas-médium le rendent sans doute plus que fréquentable dans le monodrame de Schönberg Die Glückliche Hand. En revanche, dans les Gurrelieder version Boulez, la composition manque un peu de relief pour un ton réclamé qui n'est pas du tout le même, dans ce postromantisme un peu monumental et complaisant.
Si l'on aime les méchants très grimaçants (ce n'est pas mon cas du tout d'habitude), son Amonasro les couvre tous de honte, tant la déformation de la ligne et du timbre tiennent ici du grand art, avec une sûreté de réalisation aléatoire mais toujours percutante. Cependant ici, pas de caricature, mais une présentation plutôt complète du personnage. Nimsgern n'est jamais le méchant intégral, et c'est aussi ce qui me séduit chez lui : ses bizarreries laissent entrevoir de la fragilité, de la personnalité - crédibilisent une psychologie plus complète du personnage en somme.
Par ailleurs, la version d'Aida de Muti à Munich (1979) est à mes yeux la plus enthousiasmante du marché (indépendamment de la présence du Siegmund), ou peu s'en faut. (Rien à voir avec le studio de Muti, franchement tiède.) On pourrait louer aussi les inventions de textures orchestrales incroyables et la très belle homogénéité du DVD Ono. Ou proposer comme rechange possible la version gravée par Karajan en 1959, plus statique mais avec des solistes au faîte de leur connaissance des rôles et de leurs capacités vocales.
La version Garcia Navarro de Stuttgart (1987) n'est hélas pas publiée, mais il s'agit d'une soirée assez incroyable, où Gabriela Benacková propose un tranchant, une franchise d'émission inouïes pour le rôle. Toujours ce timbre plein et voluptueux, des piani incroyables (notamment à la fin de l'air du Nil, comme je n'en ai jamais entendu) ; tout juste pourra-t-on objecter une réussite inégale techniquement ici ou là, une diction parfois relâchée ; mais la caractérisation y est, de bout en bout. Aussi un très joli "č" dans "Ciel !", rond et plein comme en tchèque. Randová est une belle Amneris, pas particulièrement originale, et assez dépourvue de graves, mais tout fonctionne. Michael Sylvester (Radamès) constitue un cas étrange ; la voix est aisée (malgré quelques modifications rythmiques pour les attaques d'aigus), belle, homogène ; le personnage pas très vigoureux. Il ose l'hérésie (pour mon plus grand plaisir) d'aigus légèrement mixés, ce qui est prendre un gros risque de sifflets à l'arrivée, dans ce répertoire. C'est certes à cause de la fatigue qu'il y aurait à les émettre en voix de poitrine, et la fin de l'opéra l'entend un peu prudent, mais le changement est plaisant. Surtout, chose inouïe pour du Verdi, que l'orchestre prend largement en charge les carences de l'expression ! Avec notamment des motifs orientaux superbement évocateurs, loin de la pacotille habituelle. Une clarté, un naturel, une fraîcheur vraiment délectables de la part du chef.
2.2. Le répertoire qui l'a rendu célèbre.
Mais il faut bien avouer que, ces quelques cas exceptés, j'ai tendance à préférer notre héros très nettement dans les contre-emploi, où il donne une saveur inédite - la surprise est garantie. Je regrette assez de ne pas l'avoir entendu en Wolfram - si d'aventure on le lui a proposé. Voilà qui aurait donné une autre image du noble poète, assurément !
Par exemple, je trouve son Alberich, tant vanté chez Janowski, vraiment quelconque. Une bonne interprétation, mais sans originalité. En revanche, en Wotan, c'est une autre histoire. Wotan n'est plus un Dieu, il est un homme en butte aux avanies de l'existence ; ses plaintes, ses colères le montrent soumis aux décrets du destin. Malgré le style assez étrange, cette lutte permanente contre l'orchestre, ces affects très humains en font une composition du plus profond tragique. Une des ses plus belles compositions, sans doute. Son Klingsor est tout aussi parfaitement réussi, mais on s'y attend plus, le rôle se prête bien à son caractère hargneux. Kurwenal pas très bien chanté avec Kleiber à la Scala, avec ces habituels aigus 'aplatis', mais terriblement attendrissant. Pour Telramund, le cas est plus complexe ; sans y retrouver le même éclat, Nimsgern n'en a pas, bien entendu, la noblesse ni la morgue. Cela dit, si l'on accepte d'y oublier Ernest Blanc, la chose y est tout à fait réussie. Amfortas se heurte à la même difficulté : la concurrence - et la difficulté, lorsque les excès sont interdits, à parvenir au même degré d'originalité. Un Amfortas très souffrant, d'une façon certes moins univoque et vocale que London, et moins malingre que Skovhus.
Chez Richard Strauss, de même, on pourra l'apprécier si l'on aime ses habitudes et le contre-emploi. En Jochanaan, le témoignage parisien est d'une telle précarité sonore qu'il est difficile de se faire une idée fidèle, mais il semble un peu en difficulté face au volume de Nagano. Une belle composition méprisante, qui manque peut-être de la part séductrice. En Barak, du moins avec Janowski, la composition demeure étrangement timide, un rien tassée. Sans doute que la captation sèche et précaire qui m'est parvenue y sera pour quelque chose. Belle interprétation, mais Barak peut être autrement valorisant, et Alfred Muff ou Jean-Philippe Laffont, chanteurs offrant pourtant des psychologies moins fouillées pour l'un, moins construites pour l'autre, lui donnaient un relief beaucoup plus sensible.
Et étonnamment, ce sera dans l'univers très lyrique d'Arabella que notre héros se révèlera avec le plus d'aisance. Le mordant, son caractère rustre font merveille, aussi bien pour l'entrée empruntée de Mandryka que pour sa colère aveugle au II et au III, bien plus crédibles que chez les titulaires les plus distingués (ou les plus vocaux) du rôle. Une grande leçon qui est parue au disque en bonne compagnie : Kurt Moll en Graf Waldner, et Montserrat Caballé dans le rôle-titre. Certes, elle y est un peu uniforme, mais dit son texte avec bien plus de conviction que de coutume, une de ses toutes meilleures incarnations avec son Elisabeth de Valois (Verdi) chez Giulini. La RAI de Rome n'a jamais aussi bien sonné que ce soir-là, de surcroît.
Toujours chez les Germains, une belle composition du Père dans Hänsel und Gretel : un vrai bûcheron rugueux mais agréable, sans l'aspect plébéien de Walter Berry, par exemple.
2.3. Les contre-emplois.
Pour ceux qui auront adhéré jusqu'ici, il est temps de passer au plus amusant.
Pour débuter en douceur, signalons un Roger impeccable dans l'un des Jérusalem (Verdi) de Gavazzeni. Captations métallique et très proche des chanteurs, un peu désagréable, mais composition équilibrée, bon français. On sent cependant l'imagination bridée par la langue, et sans doute par la découverte un peu tardive de la partition. Une curiosité, mais je recommande tout de même la version Luisi pour se repaître de l'oeuvre (excellent Roger de Roberto Scandiuzzi, au demeurant).
Je ne dispose hélas pas de son Conte di Luna, qui devrait être assez original côté belcanto, mais son Nabucco (même capté en vidéo par la RAI !) en donne une petite idée. Contrairement aux pronostics éventuels, point de malcanto généralisé, simplement cette même grimace si séduisante dans le chant. Toutefois, ce sera un peu léger pour satisfaire l'auditeur exigeant, surtout que l'acteur, perdu dans la mise en décor de la Scala, se révèle assez peu inspiré (et même franchement maladroit).
Bien plus piquant, son Jesus chez Bach, plus mesuré, mais avec ce côté grimaçant, potentiellement inquiétant : Jésus est ici avant tout un homme de pouvoir, un líder dont l'ascendant psychologique et l'autorité fascinent son entourage. La façon dont il gracie la femme n'est pas à la manière d'une douceur pleine de compassion (comme Goerne), d'un savant qui connaît la Loi (comme Fischer-Dieskau), mais sur le ton impérieux de celui qui sait et dont l'indignation dicte l'engagement. Nous sommes plus face au Jésus de Matthieu 10,34 [« N'allez pas croire que je sois venu apporter la paix sur la terre ; je ne suis pas venu apporter la paix, mais le glaive. »], l'homme preux attendu par les sicaires, ou, si l'on veut, face à la tradition qui relit son action comme un combat d'extrême-gauche.
Pourtant, à ce tranchant (mâtiné de sons droits) se mêle une véritable séduction.
Enfin, pour les amateurs de l'extrême, son Winterreise. Il semble un peu difficile à trouver chez les disquaires. Evidemment, les moyens de baryton dramatique aux angles frustes ne sont guère indiqués pour le genre. Les détimbrages dans les lieder lents sont fréquents, la voix peine à maintenir le soutien dans ces parties délicates.
Pourtant, quelle énergie dans les pages vives ! Et cette éternelle grimace de méchant, si attendrissante ici : l'auditeur se trouve en compassion face à celui qui se repent, ou face à l'homme accablé par le temps, par les maux. Pas vraiment le Winterreise, mais on nous conte autre chose, avec une bonne volonté si attendrissante. Oui, c'est vilain, mais si touchant - et un peu amusant, il faut bien L'accompagnement de Hans Georg Pflüger est en outre tout à fait réussi - musical et pertinent.
3. Extraits commentés |
Verdi - AIDA - Amonasro // Garcia Navarro (avec Gabriela Benacková) - Stuttgart 1987 - non publié
Extrait Amonasro (1)
Voyez la densité et la clarté de ce médium sombre. Qui détaille cette liste comme lui ? Chaque mot prend vie ("trasse in ceppi").
Extrait Amonasro (2)
Parmi les défauts, vous noterez ici la façon de faire le méchant, plus sensible que d'habitude (on est assez tard dans sa carrière) : tirer les voyelles vers le "a". "Sul capo tuo levò" devient "Sul capo tuo levòòà". Allez savoir pourquoi, ça me met en joie (et m'amuse beaucoup). C'est toujours plus sympathique d'ajouter des diphtongues expressives que de chanter toutes les voyelles "a" ou "eu" (selon les cas).
Extrait Amonasro (3)
Et ici, une caractéristique de Nimsgern, le malcanto dont il tire un parti expressif insoupçonné. Le "i" est sans doute la voyelle la plus facile pour reconnaître un chanteur (ceux de Domingo sont immédiatement identifiables, par exemple). Il est naturellement étroit, et chez les romans (ce n'est pas le cas en russe), avec des résonances nasales parasites. Les professeurs de chant proposent généralement de lui donner la quantité du "a" à la suite de Miller, ou de l'aborder comme un "u".
Nimsgern dans cet extrait le négocie à sa façon, avec cet aplatissement très caractéristique que je signalais.
Extrait Amonasro (4)
Un peu de Benacková (et de Sylvester) pour commenter, le duo d'amour est véritablement réussi, et impressionnant. L'entrée de Nimsgern est stupéfiante, voyez la façon de cogner les consonnes. (L'aigu un peu difficile que vous entendez sur "era il voler del fato" n'est pas habituel, la voix commence plutôt à faire sentir légèrement son âge.)
§ Wagner - DIE WALKÜRE - Wotan // Sir Georg Solti - 1983 - radiodiffusé
Extrait Wotan (5)
Après avoir étudié ses défauts, ici, on le rencontre au contraire dans sa meilleure forme : timbre riche, diseur précis, engagement mais plus grande sobriété et bien meilleure forme vocale. Ici, le duo avec Fricka, la lumineuse Doris Soffel, au début du II de Walküre. Une confrontation assez idéale, où les rôles sont plaisamment inversés entre la mégère et le père généreux.
Extrait Wotan (6)
On entend un peu plus la déroute de l'orchestre ici - le Bayreuth des plus mauvaises années, côté orchestre. Et comme Georg Solti ne communique guère de vision à son orchestre, le résultat est un peu pénible, ne serait-ce que pour la simple mise en place, les pains, le déséquilibre des pupitres.
En revanche, on y trouvera Hildegard Behrens dans la meilleure forme (certes toujours inintelligible), d'une musicalité sans faille, d'un timbre incroyablement soyeux, d'une aisance invraisemblable. Et notre Nimsgern, toujours dans ce rôle à contre-emploi, où le désespoir lui tient lieu de noblesse.
§ Bach - MATTHÄUS-PASSION (Passion selon saint Matthieu) - Jesus // Helmut Rilling - CD studio
Extrait Jesus (7)
A présent que nous avons un peu fait connaissance, vous goûterez peut-être mieux la solennité (et la sobriété !) de ce Jésus. Loin de la douceur légèrement mélancolique de Matthias Goerne, ici une voix à la fois introvertie et tranchante. (Voir commentaire des rôles pour plus de détails.)
Voilà pour le coming out de Carnets sur sol. Siegmund fanitude.
Addendum* : Je note aujourd'hui seulement cette discographie (après avoir réalisé celle de CSS, donc...) très complète sur le Wikipedia allemand, que je reproduis en commentaire (conformément à la licence GNU). Elle diffère assez de celle de CSS - à consulter.
* Note linguistique : Addenda est le pluriel initialement adopté, mais les dictionnaires (du TLF au Robert) considèrent que le singulier n'est employé que par extension de cet usage au pluriel. Par conséquent, on dirait "un addenda". Addendum semble cependant s'être largement imposé, et il paraît tellement plus logique... que CSS - sans s'être non plus torturé exagérément les méninges - y a succombé.
Cela semble en conformité avec la logique du Littré (reprise par le TLF) : « Un addenda, comme on dit un errata. » Or on n'emploie plus errata pour le singulier.
Commentaires
1. Le lundi 2 avril 2007 à , par DavidLeMarrec
2. Le mardi 3 avril 2007 à , par Bajazet
3. Le mardi 3 avril 2007 à , par DavidLeMarrec
4. Le mercredi 4 avril 2007 à , par Bajazet
5. Le mercredi 4 avril 2007 à , par DavidLeMarrec
6. Le samedi 7 avril 2007 à , par Philippe[s]
7. Le samedi 7 avril 2007 à , par DavidLeMarrec
8. Le mardi 10 avril 2007 à , par Philippe[s]
9. Le mardi 10 avril 2007 à , par DavidLeMarrec
10. Le mardi 19 août 2008 à , par philippe suisse
11. Le mardi 19 août 2008 à , par DavidLeMarrec
12. Le mercredi 27 août 2008 à , par DavidLeMarrec
13. Le mercredi 20 septembre 2017 à , par Delbosco
14. Le jeudi 21 septembre 2017 à , par DavidLeMarrec
Ajouter un commentaire