Giacomo Meyerbeer - Les Huguenots - un nouvel état de la partition : fragments jamais joués (édition Ricordi, Minkowski Bruxelles 2011)
Par DavidLeMarrec, lundi 11 juillet 2011 à :: Opéra romantique français et Grand Opéra :: #1779 :: rss
Les lecteurs réguliers de Carnets sur sol l'auront déjà lu, il commente souvent par ici, et tient lui-même salon dans un boudoir voisin (tenu secret).
Voici son texte. Je l'agrémenterai dès que possible des extraits sonores correspondants.
Qu'il soit remercié pour la qualité et la clarté de ses commentaires.
Les Huguenots de
Meyerbeer à la Monnaie de Bruxelles – juin 2011 : un nouvel état de la partition
Par Guillaume.
Considérations sur la place de cette production dans un
mouvement de redécouverte - légitime et attendue - du Grand Opéra et de la
figure de Meyerbeer tant vantée par le maître de ces lieux, qui n’ayant pu
assister à ce spectacle, m’a chargé de le commenter.

« Pour cette cause
sainte, j’obéirai sans crainte à mon Dieu, à mon roi » - L’acte IV à la
Monnaie.
Pour ma part, ce spectacle aura été à la hauteur de ce qui
était annoncé, voire même au dessus de mes attentes.
Note liminaire : Etat de la
discographie et des productions de l’œuvre
La discographie se réduit à deux versions réellement intégrales dont une indisponible. Bonynge I (Sutherland, Arroyo, Vrenios, Ghiuselev ainsi que Tourangeau et Bacquier) reste très recommandable et doté d’un orchestre idéal pour le bucolique et les belles sonorités du II ), même si on pourra ne pas aimer Vrenios ou trouver un léger manque d’urgence. Sa disponibilité et la présence du livret la rendent indispensable néanmoins. Diederich, indisponible (Erato), dispose du Raoul idéal de Leech et de la superbe Valentine de Pollet, avec un entourage plutôt engageant (sauf Ghiuselev) et une urgence due au direct.
On passera sur Gavazzeni en italien et en style vériste,
Märzendorfer avec Gedda, Gallois avec le remarquable Vanzo, le récent Palumbo
de Martina Franca, un DVD australien avec Bonynge et Sutherland : ces
versions voient jusqu’à un tiers (!) de
l’œuvre passer purement et simplement à la trappe.
1. Première notule : Un nouvel état de la partition
Grosse surprise pour ceux qui s’étaient arrêtés à l’idée que, superposés, Diederich et Bonynge comportaient toute la musique écrite par Meyerbeer, ou peu s’en faut.
Quinze minutes de
musique inédite dans cette production, qui se base sur une édition
préalable à l’édition critique qui devrait sortir chez Ricordi. Cela peut
sembler marginal, mais c’est tout de même marquant, surtout que ce ne sont là
pas uniquement de pures reprises comme dans ces œuvres belcantistes qu’on
rejoue sans coupures en rétablissant cabalettes et reprises.
a) ACTE I
Récitatifs allongés avec des commentaires supplémentaires des nobles sur Raoul :
N°1
C. Morceau d’ensemble et Entrée
de Raoul
Allons le convertir au culte des
vrais dieux,
L’amour et le plaisir.
Entrée de Raoul
[…]
Raoul entre, les gentilshommes
catholiques commentent :
TAVANNES (avec mépris)
Oui, l’air gauche et gêné d’un
noble de province !
Mais nous le formerons !
Oui, nous le formerons !
NEVERS
C’est à la cour du prince
Un service à lui rendre !
Peu d’ajouts dans ce premier bloc qui s’étend jusqu’à
l’Orgie bien connue (Bonheur de la table),
mais de nouvelles précisions et une confirmation de la relation entre Raoul et
ces nobles catholiques : c’est bien une réception initiatique, une sorte de bizutage, il s’agit de prendre
sous son aile ce pauvre parpaillot de province. Cette relation ambigüe
(c’est à l’insu de Raoul que les catholiques s’amusent, surtout Tavannes qui
semble le plus sarcastique du lot) se double du conflit latent entre
protestants et catholiques. Py l’a bien senti dans sa mise en scène : à
l’entrée de Raoul, celui-ci est bousculé par certains nobles.
Urbain demande sire Raoul de
Nangis, Marcel répond, puis Raoul :
RAOUL
Qui ? Moi ?
ajout : C’est
une erreur, je ne connais ici
Personne dont le cœur à mon sort
s’intéresse.
b) ACTE II
MARGUERITE
Preux doit vivre pour sa belle,
Dans l’absence plus fidèle,
Qu’il n’égare pas loin d’elle
L’ombre même d’un soupir !
Il me semble que c’est elle,
L’endroit, l’heure, tout
rappelle,
La parjure, l’infidèle
A mon tendre souvenir !
MARGUERITE
Au chapitre d’inconstance,
Tout est crime, grave offense,
Prends bien garde que d’avance
L’amour veuille te punir !
Vers ce charme je m’élance
J’abandonne qui m’offense
Et je goûte la vengeance
Dans l’ivresse du plaisir !
Cette section est très réussie, la musique en vient, après
une rupture bondissante - « Au chapitre d’inconstance » sautillant
joyeusement au dépit voire contre le texte - à stationner dans la vocalisation,
on a vraiment deux (faux) amants qui se pâment.
Ce duo constitue une pièce maîtresse de l’œuvre : les conventions belcantistes qui apparaissent dans la structure et l’écriture (toute la fin, qui évoque d’ailleurs « Mon cœur s’élance » du II de Robert), le petit air « Ah, si j’étais coquette » de Marguerite, les incursions de Raoul dans le registre de la vaillance (« A vous et ma vie et mon âme et tout mon sang » - humour scribien sur cette exagération de la part d’un noble gauche et gêné de province ?), les vents rêveurs, tout cela se mêle, illustration de la nature composite du style meyerbeerien.
Entrée des nobles (Honneur à notre reine) un peu différente et plus longue : on en vient à se demander si les versions précédentes n’étaient pas des arrangements !
c) ACTE III – le gros morceau
des nouveautés
Un couplet supplémentaire pour le Rataplan des protestants :
BOIS-ROSÉ
Allons, mes braves
calvinistes !
A nous les filles des papistes,
A nous richesses et butin
Et bon vin !
Ici tout appartient au brave,
rataplan,
Et ces vins qu’ils gardaient en
cave, rataplan,
Pour leurs autels, pour leurs
banquets
Buvons-les !
Il rétablit l’équilibre après un premier couplet pathétique
(le vieux capitaine qui mène ou à la victoire ou au paradis) qui pouvait
procurer de l’empathie envers ces soldats huguenots pris dans une guerre déjà
longue (massacre de Wassy en 1562, là on est en 1572). Ce couplet témoigne du
souci de Scribe de ne jamais rendre ses personnages totalement sympathiques au
spectateur (avec l’exemple de Jean de Leyde dans le Prophète, voire d’Eléazar
dans la Juive) et donc d’éviter le plus possible le manichéisme L’intolérance
et les excès sont partagés, et cela ne peut mener qu’au massacre d’un des deux
groupes.
La danse des bohémiennes est allongée au moins de
moitié, d’une durée de six minutes environ. Du coup, on s’approche des
« règles » tacites du Grand Opéra, sans atteindre la longueur des
ballets verdiens (plus d’un quart d’heure pour Don Carlos ou les Vêpres
siciliennes) ou même de ceux de Robert-le-Diable.
On s’était étonnés à la découverte des versions Bonynge et Diederich que les
ballets durent si peu, avec cet allongement on arrive à presque dix minutes de
ballets contre cinq minutes précédemment.
Une nouvelle intervention de Bois-Rosé et d’un étudiant
catholique se plaçant après le veilleur de nuit (Rentrez, habitants de Paris). Ce sont
deux ténors :
BOIS-ROSÉ (aux soldats
protestants, en leur montrant le cabaret à gauche)
Toute la nuit, mes chers amis
Buvons gaîment dans ce logis,
Et vous beautés à l’œil si doux,
Venez souper, venez rire avec
nous !
UN ETUDIANT CATHOLIQUE (aux
grisettes)
Et vous, enfants, roses d’amour
Venez danser jusqu’au grand jour
Mais par ici passons plutôt,
On sent par là le huguenot !
Un gros apport, une prière de Marcel qui s’intercale
avant « Je l’attendrai » (début du duo avec Valentine), dans un style
archaïsant. Le livret fourni par la Monnaie indique qu’il existerait aussi
toute une partie au milieu ici coupée, j’ai choisi de ne présenter que ce qui a
été effectivement chanté par Varnier et Lis :
N°17bis
Choral
MARCEL (priant, avec une
expression douloureuse)
Veille sur nous, grand Dieu du
Ciel,
Défends-nous, divin maître,
Pour approcher de tes autels,
Nous sommes seuls peut-être.
Tes saints proscrits dans Israël
N’ont plus ni roi, ni prêtre.
(avec terreur)
Voici l’heure… Prions…
Veille sur nous, grand Dieu du
Ciel, etc
(Il prie machinalement, courant
avec angoisse par toute la scène, cherchant à apercevoir Raoul. Les larmes lui
suffoquent la voix.)
C’est trop ! Pitié, mon
Dieu !
Cet air est le premier où Marcel apparaît comme un personnage pathétique, ses autres interventions se plaçaient sous le signe de la ferveur poussée à l’extrême et de la provocation à l’encontre des catholiques.
Pour intéressant et très émouvant que nous le trouvons, avec de surcroît une orchestration superbe et un style archaïsant qui imite à la perfection le choral (qui peut alors apparaître comme un pendant à « Seigneur, rempart et seul soutien »), cet air est redondant avec la suite (« Je l’attendrai / Et s’il meurt, je mourrai »). On comprend donc pourquoi il a été écarté à un moment ou à un autre, peut-être par Meyerbeer lui-même.
La structure du final nécessite quelques explications, utiles à ceux qui découvriraient l’œuvre. Les nouveaux passages sont détaillés :
N° 20 – Chœur de la dispute « Nous voilà ! Félons, arrière ! »
- Explication entre Saint-Bris, Marcel et Raoul :
RAOUL, SAINT-BRIS, MARCEL
Quoi lâches, quoi d’avance,
Vos amis étaient là !
Des deux parts même chance,
Et vous tremblez déjà !
Fer entre fer avance,
Et Dieu décidera.
Eh bien donc ! Au lieu du
duel,
Que ce soit un combat !
RAOUL
Oui, combat mortel !
TOUS
Combat mortel !
Mort à qui nous résiste !
Dieu le veut ! Plus un
mot !
On a donc désormais une pause dans l’accumulation de « Dieu le veut » furieux lancés de part et d’autre. Cette explication très sommaire entre les protagonistes relance la tension, les « Combat mortel ! » repris par le chœur sont très impressionnants.
MARGUERITE
Ô Ciel ! Qui dois-je
croire ?
Et d’un pareil soupçon quelles
preuves ?
MARCEL
Je peux vous le faire
connaître :
(montrant Saint-Bris et les
siens)
Ce sont eux qui voulaient
assassiner mon maître !
[A partir de là, tout diverge]
Ô Ciel ! Qui te l’a
dit ?
MARGUERITE
Et de qui le sais-tu ?
N°21 Final
MARCEL
De qui ? De qui ?
(avec émotion)
D’une femme, d’un ange en ces
lieux descendu
Pour défendre Raoul, et veiller sur sa vie…
Oui, sa voix prophétique ici m’a
prévenu
De ses lâches projets et de sa
perfidie qu’elle connaissait bien.
Ce vieillard a menti !
Où est donc cette femme ? En
quels lieux ?
(On voit Valentine sur le seuil
de la chapelle ; elle est masquée.)
MARCEL
La voici !
CHŒUR
Ô surprise nouvelle !
SAINT-BRIS
C’est elle qui m’accuse, dont
l’oreille a, dit-on,
Pour protéger Raoul, surpris ma
trahison !
Ah ! je connaîtrai les
traits de ce témoin fidèle !
(Il court avec fureur vers cette
femme et lui arrache son masque : c’est Valentine)
Ma fille !
CHŒUR
Ah ! Grand Dieu !
[Ensemble]
SAINT-BRIS (avec une voix suffoquée
par la colère)
A cette heure ! Cette
place !
VALENTINE (d’une voix suppliante)
Ah ! Mon père !
SAINT-BRIS
Ah ! Perfide ! Quelle
audace !
VALENTINE
Tout m’accable,
m’embarrasse !
Grâce !
SAINT-BRIS
C’est ma fille qui menace,
Qui veut perdre mon honneur !
RAOUL (étonné)
Le croirais-je ? Noble
audace !
MARGUERITE (à part)
Le croirais-je ? Noble
audace !
RAOUL
Contre un père qui menace,
C’est ma cause qu’elle embrasse
Quand j’outrage son honneur.
VALENTINE (à Saint-Bris)
Ah ! Ce crime qui vous glace
N’a pu naître dans mon
cœur !
MARGUERITE, URBAIN, UNE DAME
D’HONNEUR
Et d’un père qui menace
Elle brave la rigueur.
[puis l’ensemble, où se sont superposés progressivement les différentes parties, se clôt par quelques accords lapidaires, et Saint-Bris, après ce moment de répit où la conscience de chacun des personnages déroutés s’exprimait, reprend l’initiative. Il ne va pas accorder à Raoul qui s’est rendu compte de son horrible méprise ce qu’il voudrait avoir, vous le pensez bien…]
J’aurai donc satisfait
Le seul vœu de mon cœur
A mes genoux ton amour me la
réclame !
(avec une joie féroce)
Et bien donc, aujourd’hui (juge
de mon bonheur !)
Et depuis ce matin, d’un autre
elle est la femme !
[On retrouve ensuite la musique « habituelle »]
Cette dernière réplique de Saint-Bris est remarquable : la musique semble épouser naturellement la parole perfide et sadique du comte, l’avant-dernier vers étant doublé par les cordes d’une manière qui semble réellement mimer la « joie féroce ».
L’ensemble de ces nouvelles pages du final est d’ailleurs à distinguer, on a enfin l’affrontement père-fille, l’émerveillement de Marcel face à l’abnégation de Valentine (D’une femme, d’un ange en ces lieux descendus – là encore, un ajout passionnant), la surprise de la reine, la férocité de Saint-Bris qui interdit tout retour en arrière, et le tout avec une grande musique.
De manière à ne pas ajouter à la confusion, on a omis de
préciser que le livret édité par la Monnaie comporte quatre autres pages entières d’ensemble entre « Elle brave la
rigueur » et « J’aurai donc satisfait ». Sans musique, on ne
peut juger, même si tout ce matériel semble résoudre la question d’un final originellement bien trop expéditif
et de ce fait maladroit.
d)
Conclusion
Rajouts très appréciables donc, le texte apparaît plus touffu mais aussi plus détaillé, plus coloré, les psychologies sont plus complexes et on gagne quelques passages de vrai Meyerbeer.
On peut comprendre, en particulier pour les ajouts du I et du II, largement superfétatoires, ou la prière de Marcel, redondante avec le duo, les raisons qui auraient poussé un directeur de théâtre à couper ces passages, ou Meyerbeer à les éliminer. Si cette dernière hypothèse tient la route (au moment des répétitions, Meyerbeer avait coutume de grandement modifier ses partitions, et les éditions Ricordi affirment avoir tenu compte d’esquisses autographes), l’on ne doit pas se réfugier derrière cet argument pour justifier d’éventuelles coupures, comme on le fait parfois (vous savez, quand on vous dit que les coupures « ont été approuvées par le compositeur » - cas typique pour Richard Strauss).
Maintenant que ces passages ont été redécouverts, je pense qu’il est nécessaire de tout jouer, ou du moins le plus possible, car, on l’a vu, le drame se trouve coloré et enrichi (surtout avec le « nouveau » final du III) par ces passages.
Pas de nouveautés dans les actes IV et V, peut-être lié au
fait que l’édition critique n’est pas encore terminée ?
(A suivre...)
Commentaires
1. Le mardi 12 juillet 2011 à , par DavidLeMarrec
2. Le mardi 12 juillet 2011 à , par DavidLeMarrec
3. Le mardi 12 juillet 2011 à , par Guillaume
4. Le mardi 12 juillet 2011 à , par Antoine
5. Le mercredi 13 juillet 2011 à , par DavidLeMarrec
6. Le dimanche 17 juillet 2011 à , par Pierre
7. Le dimanche 17 juillet 2011 à , par DavidLeMarrec
8. Le dimanche 17 juillet 2011 à , par Pierre
9. Le dimanche 17 juillet 2011 à , par DavidLeMarrec
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