Erwin SCHULHOFF - Flammen ou la pornographie allégorique (1), Genèse
Par DavidLeMarrec, samedi 25 octobre 2008 à :: Les plus beaux décadents :: #1059 :: rss

Schulhoff a tout du parangon des compositeurs classés comme dégénérés par les nazis : destructeur des formes traditionnelles, novateur, provocateur, grand amateur de jazz [1] et de sujets psychanalytiques et érotiques.
Tous ces éléments se retrouvent dans son unique opéra, qu'il vivait lui-même comme une épreuve qualifiante : Flammen.
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Le long interlude qui relie les scènes 1 et 2 du premier acte de Flammen, et brasse plusieurs des composantes stylistiques présentes dans Flammes - radiodiffusion de la représentation donnée le 21 mai 2005 au Concertgebouw d'Amsterdam par le grand spécialiste des décadents Edo de Waart, à la tête du - toujours formidable - Orchestre de la Radio Néerlandaise :Notes
[1] C'est dans une boîte de jazz qu'il rencontre sa femme Alice, à qui Flammen est dédié.
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Genèse
C'est par Max Brod - qui est un peu plus que l'exécuteur testamentaire de Kafka - que Schulhoff fait la connaissance de Karel Josef Beneš. Ils produisent ensemble le ballet Ogelala en 1925, inspiré par l'histoire du Mexique ancien. Parfois présenté comme un écho au Sacre du Printemps, l'oeuvre, quoique moderne, s'inscrit dans le versant 'cabaretier' de Schulhoff, et sans la mélancolie de Weill ou la profondeur de ton de Stefan Wolpe. Très joyeux, d'un coloris étonnant mais jamais grinçant, l'oeuvre joue des rythmes de fox-trot dans une modernité qui n'a rien de complexe ou d'inquiétante.
Il en ira tout autrement de l'autre fruit de leur collaboration, durant une période de grande exaltation créatrice pour Schulhoff. Alors que la partition orchestrée était déjà écrite (sur le livret traduit en allemand par Max Brod), son éditeur habituel (Universal [1]) rejette l'oeuvre (sur la foi de la réduction piano qui lui a été transmise), arguant (en substance) de ce que la présentation d'idées dissociée de toute conception scénique ne constituait pas un opéra.
Avec une parfaite justesse d'ailleurs, puisque nous aurions dit, nous, en cet an de grâce 2008, qu'il s'agissait d'un oratorio philosophique et non pas d'une action scénique, même profondément inspirée et problématisée.
Ce refus a lieu en 1928 ; les éditions Schott rendent un verdict similaire à cause de la teneur du livret. Schulhoff entreprend alors en vain de trouver un lieu pour se faire jouer. Ce sera finalement en janvier 1932, dans une traduction tchèque [2] et un effectif un peu réduit côté vents que l'opéra trouvera preneur pour les cinq représentations du vivant de Schulhoff, à Brno. [3] L'accueil de la presse, plutôt bon, n'assure pas la survie de l'oeuvre.
Malgré la tentative de refonte en trois actes, en vue d'être joué à Berlin, l'oeuvre demeurera sans reprise jusqu'à ce que, sauf erreur, John Mauceri s'en empare en 1995 (les représentations en ont été publiées par Decca, dans la collection désormais sans suite et indisponible Entartete Musik). Depuis, quelques représentations ont eu lieu en Europe.
De cette refonte, il ne nous reste guère que la scène de la Tempête (précédant le Dialogue avec la Mer), et explicitant plus nettement la mort et le personnage de Marguerite, ainsi que le rapport de Juan avec elle et leur tragédie (plus ou moins) commune. L'orchestration a marginalement été retouchée. On sait par ailleurs que les esquisses de cette seconde version existent, mais à moins de fouiller dans les bibliothèques européennes, pour en connaître la teneur... Il ne manque donc pas, comme on l'entend parfois, de troisième acte : il s'agissait surtout d'augmenter le nombre de saynètes, une sorte d'expansion interne du drame, qui aurait peut-être fini exactement au même endroit que la première version...
Il est à noter que l'échec relatif de Flammen et le rejet du Schulhoff sérieux par les institutions éditoriales marque - coïncidence ou rapport logique, on ne sait - d'une certaine façon une césure dans sa manière de concevoir la composition : depuis lors, l'esprit de sérieux, déjà fortement bousculé, disparaît largement de son oeuvre. C'est aussi l'époque où Schulhoff met en musique le Manifeste du Parti Communiste, avant de servir d'émissaire du milieu musical en Union Soviétique et d'en recevoir la nationalité en 1941. Au mauvais moment, puisque la dénonciation du pacte de non-agression germano-soviétique fait de lui un ennemi de l'intérieur ; interné à Prague, il se retrouve en Bavière dans le camp de Wülzburg (en tant que prisonnier politique, et non comme avant-gardiste subversif, juif ou homosexuel, toutes choses qu'il était par ailleurs...), où il meurt - logiquement - de tuberculose en 1942, après un an d'internement.
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Cela pour quel résultat ? C'est ce que vous pouvez déjà partiellement entendre, et c'est ce que nous verrons.
Notes
[1] Egalement l'éditeur d'Alma Schindler-Mahler, de Franz Schreker et d'Alexander Mosolov - ce n'était pas la boutique octopiforme frileuse que l'on connaît aujourd'hui.
[2] Bien la peine de mandater Max Brod pour défigurer en allemand l'original tchèque...
[3] Le célèbre chef tchèque Zdeněk Chalabala, réputé en particulier pour sa Rusalka discographique avec Milada Šubrtová, dirigeait la création.
Commentaires
1. Le dimanche 26 octobre 2008 à , par lou :: site
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