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Gustav MAHLER, une présentation - IV - Das Lied von der Erde - (Le Chant de la Terre)

Contexte. Organisation musicale et choix des textes. Découpage et contenu.
Versions ?


1. Contexte

Das Lied von der Erde ("Le Chant de la Terre") n'a pas été numéroté comme neuvième symphonie, du fait de la superstition de la symphonie fatale, particulièrement autour de Beethoven. Or Mahler avait des problèmes de santé depuis très longtemps, il avait déjà failli mourir d'une hémorragie intestinale en 1901, alors qu'il venait de rencontrer Alma Schindler, sa future femme. Il avait également été très marqué par la disparition de sa petite fille, qu'il avait également "pressentie" dans ces Kindertotenlieder ("Chants pour les enfants morts") qui avaient fait frissonner Alma.



2. Organisation musicale et choix des textes

Cette oeuvre se compose de six grands tableaux qui constituent autant de lieder avec orchestre, mais bâtis sur un schéma plus symphonique que strophique. Le texte semble épouser une logique de développement orchestrale, plus que l'inverse. C'est pourquoi cette oeuvre est difficilement classable. Il s'agit plutôt, au sens strict, d'un cycle de lieder, mais la logique de sa conception est celle d'une symphonie vocale, à la manière également de la Symphonie Lyrique de Zemlinsky.
Ecrit pour ténor et contralto (ou baryton), l'ensemble fait systématiquement alterner l'un et l'autre ; cependant, la structure en est déséquilibrée au profit du dernier lied, le fameux Abschied ("L'Adieu"), qui occupe la moitié de l'heure occupée par l'ensemble.

Chaque lied se fonde sur un poème chinois du VIIIe siècle, ou plutôt sur la réception d'une traduction déjà susceptible d'être interrogée, tant le résultat semble apatride. Les textes en eux-mêmes ne sont pas, ainsi ballotés d'une langue et d'une civilisation à l'autre, d'une qualité et d'un intérêt invraisemblables. Le traitement musical, en revanche, en est remarquable.



3. Découpage et contenu

1) Das Trinklied vom Jammer der Erde ("Le Chant à boire de la misère de la Terre") présente des sonorités straussiennes, tant dans l'orchestration que dans ses rythmiques retorses, et le ténor qui braille une douleur faussement jubilatoire.

2) Der Einsame im Herbst ("Le Solitaire au Printemps"), un chant de sommeil et de déréliction, constitue le mouvement lent de l'ensemble, sans le serpentement et les tensions habituels chez Mahler - sans doute en raison des nécessités du traitement vocal, mais on se situe ainsi plutôt du côté de la triste et douce paix de la Neuvième Symphonie.

3) Von der Jugend ("De la Jeunesse") présente une fête légère et dansante, un rien mélancolique avec cet orchestre démesuré qui tente de sautiller en vain, suivi de quelques épanchements plus nostalgiques.

4) Von der Schönheit ("De la Beauté"). Ici aussi, comme l'indique le titre, le texte développe dans une saynète des données proverbiales. Le ton recueilli, presque grave, de la musique contraste avec une orchestration légère où dominent les dessus (violons, flûtes) et les percussions claires, ce qui recrée opportunément le trouble évoqué par la traduction du poème. Quelques éclats centraux rappellent le ton d'une fête, et peuvent éventuellement évoquer quelques chinoiseries stylisées.

5) Der Trunkene im Frühling ("L'ivrogne au printemps") fait s'exprimer le buveur lui-même, dans un manifeste amoral qui développe uniquement le ressenti de l'ivrogne pratiquant, et non ses motivations. Le contraste est permanent entre le sautillement et le lyrisme de la ligne vocale et orchestrale, soulignés par les contrastes d'orchestration, originale et brillante dans les sections les plus bondissantes. La maîtrise de l'orchestre est particulièrement impressionnante dans ce lied, et la fusion avec le chanteur remarquable.

6) Der Abschied ("L'Adieu"), le morceau de bravoure de l'oeuvre, qui porte à lui seul toute sa réputation - et la moitié de sa durée totale. Sorte de rondeau varié, au ton d'une calme tristesse, dont le texte évoque l'éloignement amical, une fois encore à travers le ressenti uniquement. Malgré le pathos, la pièce reste le plus souvent, à quelques épanchements près, d'une grande sobriété, ponctuée par les arabesques évolutives des soli de bois et les résonances orchestrales dans l'extrême grave.



4. Versions ?

[Harding avait donné en 2004 plusieurs concerts d'une très belle sobriété, avec Anna Larsson comme alto, mais ça n'est apparemment pas publié.
Je recommande, une fois n'est pas coutume, la version Klemperer (avec Wunderlich et Ludwig), pour le souci d'intégration au discours musical de ses solistes, et surtout pour le cisèlement des formules orchestrales, extrêmement impressionnant. L'atmosphère enserre de façon très convaincante.]


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Commentaires

1. Le dimanche 20 mai 2007 à , par Didier Goux :: site

Et Bruno Walter - Kathleen Ferrier ?

2. Le dimanche 20 mai 2007 à , par DavidLeMarrec

Il y a deux versions Walter/Ferrier, l'une avec Set Svanholm, l'autre, la plus courante, avec Julius Patzak (meilleur legato et surtout meilleur diseur).

Je me suis limité volontairement à une seule recommandation, je ne visais pas la discographie comparée, donc ça me donne l'occasion de m'y étendre avec plaisir. :)

Je ne suis pas fou de Walter en général, et de ses Mahler en particulier. Le son est très mat, un peu opaque, les phrasés cassants, d'une assez grande sècheresse, et ça ne me semble pas convenir pleinement au langage très lyrique de Mahler - à part dans les passages les plus grinçants, comme ce début du Ländler de la Neuvième, rendu de façon saisissante.

Dans ses versions du Chant de la Terre, je préfère encore la version Charles Kullman / Kerstin Thorborg avec Vienne (23 et 24 mai 1936, EMI merveilleusement retravaillé par Naxos), aussi bien pour l'éclat de la pâte orchestrale que pour l'incarnation de Thorborg.

Concernant Ferrier, puisque j'imagine qu'elle n'y est pas pour rien, la voix est en effet bouleversante à elle seule, mais les intentions sont assez floues, le texte ne semble compris que globalement. J'avoue que ça me laisse un peu sur ma faim.
Je reconnais cependant que, vu que les textes sont assez peu intéressants, on peut écouter ça en musique pure et elle est alors extrêmement impressionnante, incontestablement.

C'est un peu comme Hans Hotter pour le Winterreise : un affect global est posé sur l'oeuvre, on cherche l'adhésion de l'auditeur à l'attitude, à la voix, et on ne creuse pas réellement les nuances au sein de la partition.
Ca fonctionne très bien, mais ce n'est pas ce que je préfère. :)

3. Le dimanche 20 mai 2007 à , par Didier Goux :: site

Merci bien pour tout ça, très cher ! En fait m'étant longtemps tenu à distance respectable de la musique symphonique du second XIXème siècle, je ne connais quasiment pas Mahler (sauf par ce Chant de la Terre dont vous venez de parler, acheté par hasard.

En admettant (je dis bien : en admettant...) que je souhaite révisé mon jugement sur le dit Mahler, par quelle symphonie me conseilleriez-vous de commencer ? Vous allez me dire que c'est difficile, puisque vous ne connaissez pas mes goûts, je me doute...

4. Le dimanche 20 mai 2007 à , par DavidLeMarrec

Si vous me disiez, Didier, ce que vous écoutez d'habitude, ou pourquoi vous aimez ou pas Mahler, ce pourrait m'aider à vous conseiller plus efficacement.

Sinon, il me semble que la Deuxième Symphonie est la plus contrastée, la plus physique et la plus enthousiasmante de l'ensemble, difficile de résister à son climax final.

5. Le dimanche 20 mai 2007 à , par Didier Goux :: site

Je vais donc commencer par la Deuxième. Je reviendrai plus tard pour vous parler de mes goûts car, là, j'ai encore cinq pages à écrire avant d'avoir fini ma journée de travail...

(Et pardon pour les horribles fautes de frappe laissées par moi dans le précédent message !)

6. Le dimanche 20 mai 2007 à , par DavidLeMarrec

Oui, il n'y a pas de fonction pour corriger soi-même les messages, ça nécessiterait un dispositif bien plus lourd, mais ça n'a aucune importance !

Pour la Deuxième, vous pouvez donc tenter le DVD (ou le disque) Abbado/Lucerne, il est difficile de trouver plus complet et abouti.


Bon courage !

7. Le lundi 21 mai 2007 à , par Bra :: site

La version d'Abbado à Lucerne est effectivement prodigieuse !

8. Le lundi 21 mai 2007 à , par Vartan

Merci pour cet aperçu bien tentant de l'oeuvre du Viennois. Si personne ne les célèbre suffisamment, tes petites mises au point et autres synthèses sont toujours un plaisir à lire.

9. Le lundi 21 mai 2007 à , par DavidLeMarrec

Merci Vartan, et j'ajoute la réciproque : c'est un plaisir de t'avoir pour lecteur. [sourire flatté qui fend les oreilles]

10. Le lundi 21 mai 2007 à , par Bajazet

Merci David. Cette œuvre est de celles qui me barbaient autrefois et qui maintenant me subjuguent. L'âge sans doute…


Il y a je crois 3 version Ferrier-Walter, puisque ce qui a été fixé en studio pour Decca (avec Patzak) a été sauf erreur archivé aussi live. Mais à vérifier.

J'avais été très déçu par la version Kleperer. Merci de ne pas oublier Janet Baker, moins avec Haitink (Philips) où elle me semble un peu forcée, qu'avec Kubelik (Radio Bavaroise) où elle atteint une dimension contemplative phénoménale. Il existe d'autres témoignages live avec elle, dont un concert avec Kempe (BBC Legends) mais je ne le connais pas.

Reiner (avec Forrester et Lewis, RCA) est très décevant, je trouve, et la soliste s'accorde mal avec la vision du chef, il me semble.
Sinon, il existe un disque merveilleux de Jochum avec le Concertgebouw (DG éco.), avec Haefliger et Merriman, mais pour cette dernière, on n'est pas obligé d'aimer cette voix très mûre.

11. Le lundi 21 mai 2007 à , par DavidLeMarrec

Il y a je crois 3 version Ferrier-Walter, puisque ce qui a été fixé en studio pour Decca (avec Patzak) a été sauf erreur archivé aussi live. Mais à vérifier.

Oui, tout à fait. Elles sont tellement semblables que je les considère généralement comme identiques. Un peu comme lorsqu'on nous sert Bayreuth, version "soirée de la veille".

Tu as peut-être été déçu par Klemperer si tu aimes d'habitude ce chef, parce que pour ma part, je fuis avec soin ses alanguissements massifs. Au premier chef son Vaisseau qui m'a longtemps tenu loin de Wagner...

Kubelik/Baker, ce n'est pas une version qui apporte chez moi une plus-value par rapport à l'oeuvre, qui est respectée et bien servie. Et Baker a toujours ce timbre ingrat, et pas vraiment l'assise d'un alto.

J'aime bien Merriman de coutume, mais j'ai trop d'oeuvres à découvrir pour m'attarder sur des quêtes de versions de celle-ci, surtout que Klemperer me comble entièrement.
Je m'étonne que tu n'aies pas parlé de Giulini... On en dit beaucoup de bien, généralement, peut-être jusqu'à l'excès, mais ça demeure une très belle version.

12. Le mardi 22 mai 2007 à , par Bajazet

C'est très simple : je ne connais pas la version de Giulini. ^^

Oui, Baker a un timbre ingrat et d'ailleurs un colis piégé est déjà dans le train de nuit Toulouse-Bordeaux. Ach, Jammer ! Jammer !

13. Le mardi 22 mai 2007 à , par DavidLeMarrec

Grand Dieu ! Nous voilà pris !

Prenez garde, si le piège est trop rude, que je riposte avec l'intégrale Piccinni...

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