Brèves savoureuses sur... Capriccio - 4, Le sonnet d'Olivier
Par DavidLeMarrec, samedi 12 septembre 2009 à :: Vienne décade, et Richard Strauss :: #1353 :: rss
Les deux duos de séduction assez symétriques (un véritable écueil ou une chance unique, pour un metteur en scène) se déroulent autour du sonnet écrit par Olivier et mis en musique par Flamand.
On se rappelle que l'« action » se tient dans un château français, dans la dernière partie du XVIIIe siècle - chez la Comtesse Madeleine, une jeune veuve cultivée et brillante.
Strauss et Krauss voulaient célébrer le verbe (poétique, par opposition au verbe dramatique de la Clairon) en utilisant un authentique sonnet français.
Ce fut Hans Swarowsky, assistant de Krauss - et manifestement assistant y compris du poète... -, qui fut chargé d'en trouver un d'adéquat. Le malheureux se rendit compte que le sonnet était depuis longtemps passé de mode.
Il proposa donc un sonnet de Ronsard, « Je ne saurais aimer autre que vous », tiré de la Continuation des Amours (XXVIII), dont la publication date tout de même de... 1555, soit amplement plus de deux siècles avant l'époque visée par les librettistes.
En voici l'une des multiples variantes graphiques, n'étant pas parti à la recherche de la version originale (on trouve aussi des choses plus chargées, du type « Je ne sçaurois aymer autre que vous ») :
. . . . Je ne saurois aimer autre que vous,
Non, Dame, non, je ne saurois le faire :
Autre que vous ne me sauroit complaire,
Et fust Venus descendue entre nous.
. . . . Vos yeus me sont si gracieus et dous,
Que d'un seul clin ils me peuvent defaire,
D'un autre clin tout soudain me refaire,
Me faisans vivre ou mourir en deux cous.
. . . . Quand je serois cinq cens mille ans en vie,
Autre que vous, ma mignonne m'amie,
Ne me feroit amoureus devenir.
. . . . . Il me faudroit refaire d'autres venes,
Les miennes sont de vostre amour si plenes,
Qu'un autre amour n'y sauroit plus tenir.
Olivier écrit donc des poèmes du XVIe siècle...
Dommage que Flamand n'ait pas composé du Bartók, ç'aurait été passablement rigolard.
N'importe, Strauss en fut ravi, et Swarowsky, avant d'éclater au yeux du monde comme le grand chef que nous connaissons, se révéla comme traducteur très talentueux (avec un sonnet rimé très proche de l'original !).
Puisque voici sa version de Ronsard :
Kein andres, das mir so im Herzen loht,
Nein, Schöne, nichts auf dieser ganzen Erde,
Kein andres, das ich so wie dich begehrte,
Und käm' von Venus mir ein Angebot.Dein Auge beut mir himmlisch-süsse Not,
Und wenn ein Aufschlag alle Qual vermehrte,
Ein andrer Wonne mir und Lust gewährte
Zwei Schläge sind dann Leben oder Tod.Und trüg' ich's fünfmalhunderttausend Jahre,
Erhielte ausser dir, du Wunderbare,
Kein andres Wesen über mich Gewalt.Durch neue Adern müsst' mein Blut ich giessen,
In meinen, voll von dir zum Ãœberfliessen,
Fänd' neue Liebe weder Raum noch Halt.
Richard Strauss, on l'a dit, était enthousiaste et mit le poème en musique sous forme de lied dès le 2 novembre 1939, dans une version qui comporte plusieurs différences avec la romance proposée pour l'opéra.
Rudolf Schock (Flamand) sous la direction du créateur (et librettiste) Clemens Krauss, avec des membres de l'Orchestre de la Radio Bavaroise. On peut trouver mieux (encore que ce soit splendide), mais c'est la version plus proche qu'on puisse trouver de l'origine, puisqu'un peu plus de dix ans après la création de 1942, en 1953, on y retrouve la créatrice Viorica Ursuleac et Hans Hotter - qui a troqué Olivier pour un La Roche d'une profondeur rare. Flamand était initialement tenu par Horst Taubmann.
Ici, lors de la reprise du sonnet, on entend Gräfin Madeleine admirative, et Olivier (Hans Braun) maugréant contre les distortions que subit son texte sous la mise en musique.
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C'est ainsi que par souci d'authenticité, un futur grand chef d'orchestre traduisit Ronsard en vers allemands pour l'opéra Louis XVI de Richard Strauss et Clemens Krauss.
Quand on vous dit que Capriccio est une sacrée aventure...
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