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La malédiction du zoom


Tout amateur d'opéra a souvent regretté l'abus des zooms dans les captations vidéo, qui font perdre quantité d'information, privent le spectateur de sa liberté d'observer, et déforment les intentions prévues pour la salle en d'horribles grimaces croulant sous le maquillage à la truelle.
Le plus grave étant bien sûr la fragmentation de la scène, la mise en péril de l'économie visuelle du spectacle.

Et il en va souvent de même pour les captations audio. Une bonne prise de son peu rendre la lecture de n'importe quel chef honorable passionnante et analytique, ou, moins souvent, gâter de belles qualités. Tout simplement parce qu'un certain nombre d'informations se perdent dans la distance, et il est souvent intéressant d'entendre un petit morceau de continuo, un fragment de petite harmonie qui échapperaient si l'on écoutait de loin.

Mais ce mixage artificiel a, tout comme les zooms qui dévoilent de beaux détails au risque de masquer l'émotion d'ensemble, ses inconvénients.

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Témoin la vidéo de l'Atys de cette année, diffusée par Mezzo.

On est heureux que l'excellence acoustique du décor de Carlo Tommasi spatialise quelque peu les voix, qui sembleraient sinon provenir de nulle part, comme en studio. De même, l'oreille sur le continuo rend ses abondantes interventions affreusement bavardes.

Alors que ces représentations, dont je n'ai pas (encore ?) fait état ici, étaient tout simplement gigantesques musicalement (et encore plus théâtralement, comme déjà précisé). On pouvait toujours relever tel ou tel détail, comme l'accumulation d'effets à la mode dans le continuo (où brillait tout de même Béatrice Martin, une capacité de réinvention mélodique hors du commun), alors que les représentations de 1987 étaient plus fondées sur la simplicité et l'urgence dramatique... mais on reste dans le choix entre deux types d'excellence, et à peu près tout le reste ne souffrait aucune réserve.
Même Stéphanie d'Oustrac, peut-être l'incarnation la plus bouleversante qu'il m'ait été donné de voir sur une scène lyrique, sonne presque forcée, affectée, couturée captée ainsi de trop près - alors qu'elle s'épanouit avec un vibrant naturel dans la salle...

Et cette impression est récurrente dans les retransmissions de concerts, singulièrement lorsqu'il s'agit de mixer pour une vidéo : l'orchestre est écrasé ou morcelé, les chanteurs ont le micro dans la bouche - ce qui fait perdre le sens même de la technique lyrique (un joli belting suffirait tout à fait pour tenir Siegfried).

Clairement, le micro posé sur les genoux d'un spectateur au parterre rend des résultats (même avec un matériel moyen de gamme) autrement plus réalistes et... physiques. Pour avoir entendu des Wagner et des Schreker ainsi captés, j'ai toujours été effaré d'y retrouver l'atmosphère de la salle (où je n'avais pourtant pas été !), alors que les enregistrements radio des concerts auxquels on a pu assister ne donnent pas cette impression.

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Aussi, en matière de captation sonore, le mieux est l'ennemi du bien... et l'abus de zoom l'ennemi de tous.

Si, un jour, les professionnels de la question voulaient bien s'intéresser à ce qui se dit sur le sujet - depuis à présent des décennies...


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Commentaires

1. Le dimanche 5 juin 2011 à , par Guillaume

Il paraît (de source fiable) que pour le DVD / Blu-Ray fra musica, ils vont refaire la balance sonore et mélanger les soirées du 19 et du 21 mai pour obtenir un résultat sonore optimal, bien mieux que ce qu'on a entendu sur FM ou Mezzo.
Personnellement, je trouve pas que la captation Mezzo soit si mal réalisée. Certes, au niveau visuel, il y a quelques zooms malvenus (le rameau de Cybèle tombe hors-champ !!!), mais au niveau audio, cela reste amplement satisfaisant, sans reproduire évidemment l'impact en salle.

2. Le lundi 6 juin 2011 à , par DavidLeMarrec

Nous avons la même source, et elle est à la table de Christie, donc plus que fiable. :)

Oui, le son était bien sûr affecté par le fait que ce soit mixé sur le vif. Ma remarque était plus générale et prenait cette retransmission comme parangon de cette habitude que je trouve désagréable. Avec un bon micro stéréphonique au milieu du parterre, on aurait obtenu un résultat certes moins spectaculaire, mais infiniment plus naturel et équilibré.

Au niveau visuel, je ne suis pas trop dérangé : le montage est un peu agité, mais on perçoit bien ce qui se passe sur scène, on voit quand même les décors, les déplacements, les jeux de scène.
En revanche, au niveau sonore, ce continuo qui ronfle comme du Mahler, c'est extrêmement étrange pour moi.

3. Le lundi 6 juin 2011 à , par Guillaume

Je suis en train d'écouter Atys par Reyne, et c'est vrai qu'on perçoit mieux le détail du continuo (qui est plus dépouillé, certes, et l'ensemble est dépourvu des "effets" que tu regrettais chez Christie : pas de castagnettes ou d'instrumentations un peu 'exotiques') dans cet enregistrement studio... (c'est étonnant, Reyne trouve souvent le moyen de faire des studios !). A côté, j'ai le Béllérophon de Rousset, le son est un peu moins clair.

Mais bon, pas de quoi me gâcher mon immense plaisir à écouter ces magnifiques interprétations de tragédies lyrique.

4. Le lundi 6 juin 2011 à , par DavidLeMarrec

Regretter est un bien grand mot : je trouve seulement le continuo plus sobre, fonctionnel et efficace dans la version sur le vif de 87... mais ça reste extraordinaire, tout de même, malgré le petit côté ostentatoire (par exemple les nombreux moments où il y a des silences qu'on ne pourrait pas ménager avec un public "normal").

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Reyne fait des studios, si l'on veut : il enregistre juste après le concert, d'une traite, dans les mêmes lieux. C'est une sorte de concert sans public, où l'on a le droit de faire des retouches, mais pas exactement un studio au sens luxueux du terme.

Et puis c'est largement auto-produit, financé par les subventions du conseil général vendéen qui servent au festival... Faire une prise supplémentaire comme cela dans son propre festival, ça ne coûte pas du tout la même chose que travailler avec une chaîne de télévision, un producteur de DVD ou un éditeur musical prestigieux.
Ce n'est pas pour rien que l'autoproduction, où les artistes vendent directement à leur public, se développe come un secteur d'avenir pour le disque. (Court-circuitant les grandes maisons qui n'ont pas vraiment bonne réputation chez les mélomanes.)

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La version de Reyne est peut-être la version qui me touche le plus d'Atys (avec la vidéo de 1987), parce que malgré sa lenteur et sa nudité, il y a quelque chose d'assez vrai et intense qui se dégage de cette production : peut-être tout simplement l'archaïsme du mythe et de cette jeune musique lyrique française - alors que Christie la joue avec le raffinement qu'on imagine lors des reprises plus tardives.

Cela dit, à part le studio de 1986 que je trouve assez figé, voire un peu mou - et fort logiquement puisque réalisé avant l'exéprience de la scène -, les trois autres versions que nous avons me ravissent totalement, en fait !

5. Le mardi 7 juin 2011 à , par Jérémie

Ci-dessous mon opinion actuelle (en cours de gestation au fil des [nombreuses] réécoutes).

La version de Reyne est un parti-pris. Pas vraiment celui de faire épuré, mais plutôt celui de divorcer complètement l'œuvre de son aspect théâtral. Quand j'écoute l'Atys de Reyne, j'entends une très belle version (David, tu sais que je faisais la moue en allant voir Atys à l'OC, pensant que je ne pourrais pas aimer plus que Reyne), et il y a des choses, notamment les chœurs, où je la préfère à la version de Christie 2011 — chez Reyne, il y a un soin impeccable dans les chœurs, dans le niveau de chaque chanteur, qui fait ressortir toutes les harmonies à la perfection (c'est peut-être en partie le bistouri numérique remarque !). Mais elle n'est pas théâtrale. J'ai l'impression qu'il ne se passe rien en l'écoutant. C'est pas juste les tempi lents, c'est une absence d'engagement de la part des chanteurs qui sont trop appliqués, et c'est aussi une focalisation trop grande à faire de la « belle musique ».

Je pense que c'est un peu un leurre de penser que la version de Reyne s'approche plus de cette « jeune musique lyrique française ». Les comptes faisaient état d'une cinquantaine de musiciens dans la fosse pour les premières représentations de Lully, dont plusieurs gambistes (dont Marin Marais), plusieurs luths, théorbes, et un ou deux clavecins. Très loin de l'effectif de Reyne. (Donc ne me arrête de me sortir, encore, la carte de l'authenticité, David !!!)

Par ailleurs, ce qui a surtout changé chez Christie, outre les évolutions interprétatives, c'est ce partie pris de faire vraiment du théâtre. Ça s'entend dès le prologue avec ce « Le Printemps quelque fois... », par exemple. Ça s'entend dans les orchestrations, par exemple dans cette fameuse scène de la descente de Cybèle, où tout le continuo est tonitruant lors de la reprise prononcé entre deux chœurs. Oui, c'est choix interprétatif, ce n'est pas écrit dans la partition, mais cela participe de ce geste dramatique : chez Reyne, la descente de Cybèle est pas plus dramatique qu'un autre passage.

Je pense enfin qu'écouter Reyne après Christie est plus facile, parce qu'on est déjà imprégné du sens dramatique imparti par Christie.

(Puis si on veut être mesquin, Amaya, c'est pas Stéphanie...)

6. Le mardi 7 juin 2011 à , par DavidLeMarrec

Tu devrais peut-être préciser aussi ce que tu m'as (par délicatesse) soufflé en privé, sur le fait que ce ne sont pas des représentations privées faites après le concert, mais uniquement des retouches après le concert. Et éventuellement d'autres choses.

Je ne vais pas avoir le temps de répondre substantiellement tout de suite, mais merci pour ce riche commentaire (même si, évidemment, je ne le partage pas tout à fait).

:)

7. Le mardi 7 juin 2011 à , par Jérémie

J'ai l'impression d'avoir eu un doigt (ou une main) amputé(e) en écrivant ce commentaire, tellement il y a de coquilles. Misère. On peut pas éditer, hein ??

8. Le mardi 7 juin 2011 à , par DavidLeMarrec

Non, on ne peut pas modifier le commentaire, mais un gentil courriel avec la version définitive du commentaire peut éventuellement me permettre d'opérer une substitution au bénéfice de la postérité. :)

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Je ne suis pas d'accord sur la version de Reyne.

Ce n'est pas théâtral au sens qu'il n'y a pas d'effets ostentatoires, oui, mais le drame, lui, est incroyable. Pas par ses rebondissements, pas par son urgence (comme le fait incroyablement Christie 87), mais en créant réellement du climat, en refusant justement les ornementations chargées. On est aux antipodes de la belle musique ce qui est au fond cohérent avec le choix d'Amaya Dominguez, j'y entends plutôt la musique et le drame tout nus.

C'est justement cet aspect sans apprêts qui me touche, plus profondément que 2011 et peut-être même que 1987 (qui me paraît pourtant plus réussi du côté des critères "objectifs").

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Sur l'authenticité, ça n'a jamais été un argument de ma part, je parlais uniquement d'imaginaire : en lisant la partition d'Atys, on voit un art encore sobre, qui n'a pas les complexités écrites qu'on trouve en lisant Roland ou Armide. Beaucoup de récitatif, par exemple. En quelque sorte et toutes proportions gardées, ce Lully-là fleure encore son Cavalli alors que l'autre annonce davantage le lyrisme triomphant du XVIIIe siècle.

Tout cela reste de l'ordre de la nuance, mais c'est cette nuance que j'entends chez Reyne (qui en cela se rapproche bien plus du studio de Christie en 1986, sauf que chez Reyne tout fonctionne dramatiquement), et elle m'est chère.

Sur la question de l'érudition, oui, les musiciens étaient nombreux et nous venions même de parler en privé des témoignages de Marais (toi) et d'indifférence à l'argument authentique (moi). J'ai même souvent dit les problèmes de la notion sur CSS : sur le principe, j'aurais même été plutôt hostile a priori à l'usage des instruments d'époque, s'il n'y avait tout simplement eu la preuve concrète que ça apportait un supplément fantastique.
Ce qui m'intéresse est juste que ça fonctionne. :)

Autrement dit : Reyne apporte une couleur spécifique, nocturne, intimiste, qui entre remarquablement, de mon point de vue, en écho avec le poème et la musique écrite d'Atys. Quelle que soit la façon dont on l'a jouée par le passé.

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Par ailleurs, ce qui a surtout changé chez Christie, outre les évolutions interprétatives, c'est ce partie pris de faire vraiment du théâtre. Ça s'entend dès le prologue avec ce « Le Printemps quelque fois... », par exemple. Ça s'entend dans les orchestrations, par exemple dans cette fameuse scène de la descente de Cybèle, où tout le continuo est tonitruant lors de la reprise prononcé entre deux chœurs. Oui, c'est choix interprétatif, ce n'est pas écrit dans la partition, mais cela participe de ce geste dramatique : chez Reyne, la descente de Cybèle est pas plus dramatique qu'un autre passage.

Ici aussi, je suis en désaccord. Le Prologue m'a laissé assez froid (alors que je le trouve formidable) en 2011, et au contraire j'entends le plus souvent la primauté de la musique dans les choix orchestraux.

Ce qu'il y a de génial en 2011, c'est qu'avec la qualité des chanteurs (et de leur entraînement, Richter n'étant pas un spécialiste du genre !) et la vision formidable de Villégier, on obtient un résultat dramatique suprême en plus de cette magnifique musique. Mais avec le son seul, la couleur de cet Atys serait infiniment plus brillante.


Je pense enfin qu'écouter Reyne après Christie est plus facile, parce qu'on est déjà imprégné du sens dramatique imparti par Christie.

Justement, non, parce que j'ai trouvé la clef de certains passages en écoutant Reyne ("Quand le plaisir est agréable", rien de moins que ça !).


(Puis si on veut être mesquin, Amaya, c'est pas Stéphanie...)

Je parlais de vision et de résultat d'ensemble. Si on regarde les distributions, ce sont sans doute Christie 1987, suivi de pas très loin par Christie 2011, qui sont les plus superlatifs. Mais ici aussi, le côté modeste des voix de Reyne (pas au sens limité, mais au sens de moins "typés") a quelque chose qui rejoint très bien le projet.
Au passage, il a quand même la meilleure Sangaride, très belle vocalement et bien plus complexe psychologiquement que les autres... :)

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David Le Marrec

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