Le projet aurait dû me prendre quelques dizaines d'heures à illustrer en musique, en partitions et rédiger : grâce aux moyens fusionnés de la notule, du podcast, des déchiffrages filmés, voici un commentaire vidéo de la structure en motifs du duo Brünnhilde-Wotan de l'acte III de La Walkyrie de (l'horrible) Richard Wagner.
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1. Wagner et les leitmotive
Wagner n'a pas lui-même écrit de table descriptive de ses leitmotive. Pour être bien d'accord, on désigne par ce terme un matériau – très court pour ceux apparaissent dans Das Rheingold, mais tout de bon des phrases thématiques pour certains de Siegfried ou du Crépuscule – attaché à des personnages, des objets, des idées. Ils peuvent changer selon le contexte (variante triste ou gaie, par exemple), dériver vers d'autres motifs, se combiner simultanément…
Hedna Hognarðottír et Sigurd Gúndmunþorn dans le duo de l'acte III.
a) Le leitmotiv avant Wagner
Wagner n'invente pas le procédé du motif récurrent – il arrive que des compositeurs, parfois anciens, citent un thème musical pour évoquer le souvenir d'une scène précédente. On trouve notamment l'esquisse de ces itérations dans des opéras de Meyerbeer : Robert le Diable (1831, où le diabolique Bertram est figuré par des sauts de quarte aux timbales solo ou en pizzicato aux cordes graves) et Les Huguenots (1836, où le « Choral de Luther » innerve tout l'ouvrage lors des évocations de la foi des parpaillots). Et, chez Meyerbeer, l'aspect de ces motifs peut bel et bien varier à chaque occurrence : orchestration, harmonisation (un peu moins côté mélodie et rythmes, qui restent assez réguliers)…
Les trois premiers opéras achevés de Wagner (je laisse de côté Die Hochzeit, présent à l'état de fragment), à savoir Die Feen, Das Liebesverbot et, je crois, Rienzi (celui-là, je ne l'ai que très peu écouté, je ne puis donc en jurer), n'utilisent pas ce procédé. Il faut attendre Der fliegende Holländer(1843) pour que Wagner développe une première version, très sommaire de ce procédé – quelques thèmes très identifiables, les appels de quarte pointée évoquant le Vaisseau fantôme / le sort du Hollandais, et le thème mélancolique de la promesse de rédemption faite par Senta.
Ces thèmes circulent dans l'ouvrage, mais ne le structurent pas véritablement : l'opéra conserve une structure en formes closes : airs, duos, trios, chœurs. La (semi-)nouveauté réside dans le développement et le soin apporté aux « scènes », c'est-à-dire aux parties héritières des récitatifs, encore un peu des transitions chez Weber et Marschner, alors qu'elles ont ici une ampleur et une qualité musicale égale ou supérieure aux « numéros » clos. Mais cela aussi, casser les murs, Meyerbeer l'avait fait – Les Huguenots constituent vraiment un chef d'œuvre considérable de ce point de vue : chaque « numéro » est concaténé au suivant au moyen de « scènes » de transition tout aussi intenses et singulières, dans une idée du flux continu qui préfigure l'idée du drame continu de Wagner.
b) La structuration du discours musical à l'opéra, avant Wagner
J'ai l'habitude de souligner les exagérations de l' « histoire-bataille » des histoires de la musique, qui prêtent souvent à des compositeurs isolés ou célèbres des innovations radicales – ce qui est quelquefois vrai, par exemple pour Beethoven, Wagner, Debussy ou Stravinski, mais très souvent inexact dans les autres cas –, pour un langage qui n'est pas aussi flexible que la langue parlée, et qui ne peut évoluer que sur le temps long, à partir d'une inflexion progressive des habitudes et des modes.
Pour autant, en l'occurrence, si Wagner n'invente pas le motif récurrent, ni même ses modifications, il provoque bel et bien une rupture vertigineuse dans la structuration du discours musical. Jusqu'ici, au moins depuis l'opera seria de la fin du XVIIe siècle (c'est moins vrai pour l'opéra italien et français du XVIIe siècle, davantage lié au flux théâtral), la logique générale d'un opéra reposait sur la structure des « numéros ». On prévoit des airs, des ensembles, des chœurs, des ballets, qui ont chacun leurs unités thématiques (très souvent des airs de type ABA'), assez hermétiques entre elles ; et on les relie par des récitatifs plus ou moins soignés.
Bien sûr, certains compositeurs trouvaient des couleurs propres à un opéra en particulier, comme Weber dans Der Freischütz (1821), avec sa tonalité fantastique très spectaculaire, qui révolutionna toute l'histoire de la musique du XIXe siècle, de Schubert à Tchaïkovski (une notule et une vidéo sont en préparation…), ou même, chez les Italiens, le compère Bellini avec I Puritani (1835), aux ambiances nocturnes très réussies. Toutefois chaque air était bien distinct – on trouve quand même quelques rappels thématiques dans le Freischütz (notamment les trilles de la dérision du diabolique Kaspar, dans un de ses airs, qui revient dans la grande scène magique de la Gorge du Loup), mais la structure demeure, a fortiori avec l'interruption du flux musical par les dialogues parlés, très discontinue et compartimentée.
Il existait aussi des approches plus ou moins fragmentées, depuis les « numéros » très identifiés des opéras allemands avec dialogues parlés – c'est toujours le cas à l'origine – ou du belcanto romantique italien, jusqu'à des tentatives très intégrées, comme Euryanthe de Weber (1823), qui intègre des récitatifs chantés pour initier un style allemand durchkomponiert (c'est-à-dire entièrement mis en musique), certes nettement plus fades que les « numéros » ; ou Rigoletto de Verdi (1851), qui gomme de façon assez spectaculaire la frontière entre « numéros » et « scènes ».
c) Wagner : la révolution de la pensée musicale dramatique
Dans ce cadre, cette rupture wagnérienne apparaît en deux temps. D'abord avec Das Rheingold achevé en 1854, puis Tristan und Isolde, achevé en 1859 – qui marqua la véritable rupture, puisque Tristan fut représenté dès 1865, et L'Or du Rhin seulement en 1869 (la publication de sa partition attendit même 1873). On se rend compte, au demeurant, que la réaction du monde musical et la velléité des compositeurs contemporains d'imiter ses procédés fut en réalité très prompte – les opéras français postwagnériens fleurissent dès les années 1880 (Gwendoline de Chabrier, Fervaal de d'Indy, ou encore, de façon plus débattue, Sigurd de Reyer).
Et Das Rheingold, précisément, marque une spectaculaire rupture dans la conception d'un opéra : le leitmotiv à proprement parler advient enfin, c'est-à-dire un réseau de « motifs conducteurs ». Dans cet Or du Rhin, Prologue du grand projet de Tétralogie, la structuration musicale n'obéit plus à une logique de juxtaposition de scènes thématiquement autonomes ; on y trouve peu de grandes lignes vocales mémorables, au demeurant, puisque le rôle de chanteur y est davantage déclamatoire que mélodique. En effet le matériau musical repose sur des cellules musicales, pour certaines parentes, évoquant personnages, objets, concepts de l'opéra – Rhin, or, anneau, malédiction de l'amour, Walhalla, lance, servitude, heaume... Lorsque le poème nomme l'un de ces sujets, ou mieux, pour évoquer leur présence en l'absence d'explicite textuel, le compositeur suscite ces motifs, qui restent communs à tout l'opéra (et même, pour la Tétralogie, aux quatre opéras). Ils peuvent aussi muter (tonalité, mode majeur ou mineur, rythme, orchestration...) ou se combiner (être joués simultanément, voire se contaminer).
Ainsi, c'est l'impératif de la situation scénique, voire de l'évocation textuelle, qui motive très précisément le geste compositionnel ; il n'est plus possible, comme le faisait Rossini, de réutiliser un fragment d'opéra antérieur, ni même, comme l'avait osé Verdi, d'écrire en amont ses airs et ensembles une fois la situation (et, je suppose, le mètre) fixés avec son librettiste, avant même que de disposer du détail du texte. L'opéra devient ainsi un grand flux continu, où les événements musicaux sont intimement – et pour ainsi dire exclusivement – liés au détail de l'intrigue, aboutissant à un étonnant mélange entre immense macrostructure rationnelle (le réseau des motifs) et juxtaposition d'événements ponctuels (les événements musicaux adviennent sans délimitation ni symétrie, exclusivement suscités par le texte).
Cette conception est absolument neuve et, à ma connaissance, sans précédent, d'autant que le matériau thématique s'y combine, certains motifs advenant simultanément, se créant les uns les autres, se combinant, s'altérant au gré des situations. C'est précisément ce procédé que nous allons explorer ensemble dans cette petite vidéo explicative.
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2. Nommer les motifs
Wagner, donc, n'a pas établi de table de ses motifs. Il en a théorisé leur usage ; ils sont présents, perceptibles ; mais il ne les a pas nommés ni délimités dans les œuvres où il les emploie. Les éditeurs de ses partitions s'en sont chargés dans des tables liminaires qui les recensent et leur attribuent des noms ; puis ce fut au tour de ses exégètes – Lavignac en est l'exemple francophone le plus fameux, et l'un des plus anciens. Dans Wagner (c'est moins vrai pour Pelléas), je ne trouve pas qu'il y ait beaucoup de doute sur la conception d'un élément comme leitmotiv – et non, je veux dire, comme une récurrence fortuite d'une formule, trop banale ou trop limitée pour avoir un sens –, ils s'affichent réellement comme tels.
En revanche, pour ce qui est de leur signification… l'ambiguïté peut être réelle. Ainsi le motif « Unmut » (« déplaisir », « mécontentement »), désigné comme « courroux de Wotan » par Wilder et Lavignac, apparaît-il aussi bien au début de l'acte II pour désigner le désespoir du dieu, forcé de sacrifier son enfant illégitime par sa ligne de défense rhétorique ratée auprès de son épouse (il sourd alors de partout dans l'orchestre, à la fin de leur rencontre), qu'au milieu de l'acte II pour accompagner sa fureur contre la désobéissante Brünnhilde.
Dans les éditions piano-chant, plusieurs cas de figure : pas de table chez Felix Mottl. Victor Wilder (1893, réduction Richard Kleimichel) propose une table des motifs dont les intitulés sont repris dans l'ouvrage d'Albert Lavignac, professeur d'harmonie au Conservatoire (Le voyage artistique à Bayreuth, 1897). Karl Klindworth (1900, dans sa réduction pour piano) présente une table en allemand pour l'édition anglo-germanique incluant la traduction de Frederick Jameson. On y retrouve les noms allemands les plus couramment appliqués. De même pour Otto Singer II en 1910 : le motif n'est pas recopié selon la même norme, mais les noms demeurent identiques – je ne sais pas qui les a inventés, puis popularisés, je serais évidemment curieux si l'un d'entre vous le sait déjà, cela m'évitera quelques recherches (alors que j'ai un concert à préparer et des vidéos Pelléas à produire).
Comme j'en ai l'habitude pour Carnets sur sol, je me fonde essentiellement sur la littérature primaire : je nomme les motifs selon ma perception d'auditeur plutôt que de reproduire les propositions des érudits. Il peut donc y avoir des divergences – et, qui sait, quelques éclairages distincts.
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3. La pédagogie musicale en vidéo
Devant l'ampleur de la tâche (et les dizaines d'heures qu'il aurait fallu pour réaliser une notule sur le sujet), je me suis laissé convaincre par des conversations avec des lecteurs et des amis : fusionner les avantages de la fluidité du podcast et de l'incarnation de la vidéo de déchiffrages, au service du projet d'une démonstration notulaire.
J'aboutis donc à ce format pédagogique en vidéo – où je tâche d'exposer dans le détail la concaténation des motifs dans le duo de l'acte III de La Walkyrie de Wagner (Brünnhilde-Wotan). À partir de la réduction piano de Richard 𝐊𝐥𝐞𝐢𝐧𝐦𝐢𝐜𝐡𝐞𝐥 et, pour rendre la chose plus accessible, de la traduction française de Victor 𝐖𝐢𝐥𝐝𝐞𝐫 (1,2,3,4).
L'idée est d'exposer pas à pas, assis au piano, ce qui se passe à chaque moment, les parentés entre motifs, leurs mutations et superpositions.
C'est un premier essai : le son de la voix est trop bas par rapport aux normes, le résultat est sans doute trop long (mais c'était très riche et il fallait vraiment avoir entendu le début pour comprendre l'évolution…), j'essaierai de proposer des séquences plus courtes – mais en réalité, faire plusieurs vidéos courtes me prendra davantage de temps. Aussi pour l'heure, à l'instar des déchiffrages filmés, je laisse ceci à disposition de ceux qui seront intéressés par la démarche, sans chercher à séduire au delà. (Clairement, pour une première approche, ce serait aride dans ces conditions techniques, sans un montage dynamique.)
Je pense toutefois qu'il y a de quoi piquer l'intérêt des amateurs de Wagner, une plongée dans ce qui constitue la spécificité la plus impressionnante de son langage musical – avec l'harmonie, certes, mais c'est un peu plus délicat à appréhender pour la partie non musicienne du public –, et que je me suis efforcé de rendre aussi claire que possible.
Pour vous faire une idée du concept, je vous propose de jeter d'abord un œil à ces deux extraits :
Il s'agit d'un premier essai, il y a sans doute des choses à ajuster et je suis bien sûr preneur de retours. Pour ma part, ce que je vois déjà :
¶ Le son de la voix est trop bas, il faudrait un autre micro plus proche, je ne sais pas encore comment régler cela – l'idée est de gagner du temps sur une notule, et je trouve le montage très ennuyeux (on ne peut même pas écouter de musique pendant !), donc toute solution impliquant de l'investissement de ce côté sera sans effet, puisque je me lasserai très vite.
¶ Même si je le trouve confortable pour pouvoir expliquer les choses dans le détail, le format est beaucoup trop long – et idéalement, j'aurais aimé une demi-heure de plus pour pouvoir mieux récapituler et tirer des conclusions ! Il faut dire qu'il s'agit ici d'une scène entière, où les motifs se transforment progressivement, il aurait été contre-productif de segmenter et de devoir réexpliquer la même chose à chaque itération. Peut-être aurai-je intérêt, pour le Freischütz par exemple, à faire une vidéo (de trois minutes) par événement, plutôt que tout cumuler ? Mais c'est en réalité beaucoup plus de travail de publier plusieurs vidéos… à méditer. Preneur aussi de retours sur le sujet : privilégier de petites vidéos plus agréables à consommer, ou une grande arche qui permette un véritable raisonnement ?
¶ J'ai beaucoup d'idées de choses à montrer – pour l'instant, je le disais, je vise les influences sur Freischütz sur le XIXe siècle, les leitmotive de Pelléasscène par scène (ça peut occuper quelques mois / années…), éventuellement ceux d'Arabellade Strauss, qui sont spectaculairement riches et complexes (mais d'autres que moi seraient-ils intéressés, vu la célébrité relative de cet opéra ?) . Possibilité aussi de faire d'autres vidéo sans piano, mais je pressens que ce deviendrait vide abstrait, une sorte de podcast en plan fixe – vu que je ne veux pas passer mon temps en montage. Je ne suis pas sûr que les lecteurs de CSS apprécient particulièrement ce format de toute façon ; l'écrit permet de pouvoir relire, de se reporter rapidement à des notions mieux circonscrites.
¶ Je me dis aussi que ce pourrait être un mode de présentation plus intelligent de mes déchiffrages. Au lieu de balancer un format brut peu parlant – ou de mettre des heures en montage auxquelles je renâcle depuis des mois… –, choisir un extrait et l'expliquer. Ça ne correspond pas à ce que moi, auditeur, j'aimerais trouver – l'accès à des œuvres inédites, dans leur intégralité –, mais je pense que ce serait sans doute un meilleur moyen d'intéresser un plus grand auditoire potentiel (sur une cohorte qui constitue déjà la niche dans la niche…) en en extrayant les moments forts, avec un peu de médiation. Par exemple présenter les chants révolutionnaires et impériaux qui font toute l'armature de L'Aigle de Jean Nouguès – plutôt que de simplement les jouer en flux en laissant l'auditeur se débrouiller (et se lasser). À nouveau, si vous avez un avis…
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5. Compléments
Je pense nécessaire d'avoir dans l'oreille une véritable version à écouter avant l'explication, voici par exemple la version Weigle (Bullock / Stensvold) où l'on entend bien l'orchestre : Weigle sur YouTube.
Et pour tirer les conclusions de tout cela dans votre propre pratique auditive, peut-être profiter de cette cette version sur le vif au Met en 1988 (Behrens / Adam), où les voix sont au second plan : bande du Met 88 (calée).
Si le sujet du leitmotiv vous intéresse, vous pouvez aussi jeter un œil, en attendant les versions plus développées en vidéo, sur l'intuition de tels motifs structurants dans Pelléas, malgré les dénégations de Debussy dans sa correspondance – mieux, il me semble qu'ils y sont encore plus fondamentaux dans la matière musicale que dans le Ring…
(Pour information, je poursuis la réimportation des dizaines de notules détruites par mon hébergeur et la réactivation des liens brisés… c'est en cours, il faudra sans doute quelques mois pour que le site redevienne complet.)
De profundis clamavi : pour donner du cœur à l'ouvrage tandis que le jour a fui, que le dernier bus est passé et que 11 km imprévus sont encore à ajouter à 10h de marche à fort dénivelé ; lorsque surtout la vue des paysages s'est dérobée dans l'obscurité ; la musique est une réelle consolation.
Pendant cette marche drômoise, outre l'irrésistible Don Giovanni intégral pour quatuor seul du Franz Joseph Quartet, j'ai beaucoup convoqué l'esprit rassérénant de Michael Haydn.
1. Un corpus déjà donnu
J'ai déjà évoqué quelquefois dans ces pages combien Mozart semble surclasser, en technique aussi bien qu'en singularité et profondeur de sentiment, l'ensemble de ses contemporains ; et combien, malgré de très belles symphonies ponctuelles chez Cannabich ou, mieux, Vaňhal, pour une fois les mythes musicographiques colportés de génération en génération ne semble pas exagérés ni trompeurs.
Au fil de l'accumulation des années, on glane tout de même quelques pépites symphoniques de l'ère classique, en particulier chez les (demi-)frères Vranický, chez Gossec évidemment, et puis, un peu plus tard, lorgnant déjà vers le romantisme, Friedrich Witt(dans les années 1790) et les révolutionnaires Variations sur la Follia de Salieri (1815), clairement l'œuvre où naît l'orchestration comme discipline, à mon sens – aîné de Mozart, il est vrai, mais où l'on sent clairement le tournant préromantique.
Et puis les frères Haydn. Compère Joseph (né en 1732), c'est un peu différent, on admire sa verve, son astuce, mais sa séduction demeure avant tout formelle, plutôt qu'émotionnelle. (Ce n'est évidemment pas quelque chose d'objectivement mesurable, mais j'ai l'impression que beaucoup de mélomanes s'accorderont là-dessus pour l'opposer à Mozart dont la force est plus immédiatement liée aux ressentis successifs suscités par des enchaînements harmoniques versatiles.)
2. Le style de Michael Haydn
La parenté entre le Requiem de Mozart (né en 1756) celui de son prédécesseur Michael Haydn (né en 1737), qu'il connaissait bien, a souvent été soulignée – ce n'est pas au stade du plagiat, mais l'imprégnation en est, de fait, particulièrement palpable. Pour autant Michael Haydn est loin de s'y limiter, et dans le domaine de la symphonie en l'occurrence, les parutions discographiques de ces dernières années ont révélé une figure à mon sens majeure.
Dans l'esprit, elles combinent la vitalité communicative de (Joseph) Haydn à une recherche de couleur et de sentiment qui nous paraîtrait plus mozartienne – et dont on découvre, a posteriori, qu'elle ne lui est pas forcément propre.
(Je glisse ici qu'il est toujours bon de se méfier lorsque la musicographie décrète que tel compositeur inauguretel aspect du discours musical. La plupart du temps, il faut comprendre qu'il s'agit du premier compositeur célèbre à adopter cette technique ; pour pouvoir affirmer une primauté, il faut en effet très bien connaître la musique de ses contemporains et prédécesseurs, fréquemment joués ou non, publiés au disque ou non – voire réédités en partition ou non. Or assez peu de ces affirmations sont soutenues par de telles vérifications. Bien sûr, il existe des individus qui changent réellement le cours de l'histoire musicale, et des cas évidents de rupture – les symphonies, quatuors, sonates piano de Beethoven, les opéras de maturité de Wagner, les Clairs de Lune de Decaux, le Sacre du Printemps, le succès de la proposition de nouveau langage dodécaphonique à la mode schoenbergienne… Mais, typiquement, dans l'esprit du XVIIIe siècle, il n'est pas étonnant de trouver des équivalents à Mozart, ou du moins des prémices à nombre de ses coups de génie.)
Michael Haydn, donc, illustre assez bien, par endroit, et certes en moindres proportions – est-il lui aussi l'émanation d'un courant plus général, ou Mozart a-t-il été influencé par sa singularité propre ? –, les qualités émotionnelles en général associées à Mozart – les accès de mélancolie soudains, par exemple. Et cela au sein d'une armature plus régulière, plus franchement joyeuse aussi.
De très belles œuvres, donc, dans une veine positive ou feel-good, mais sans l'apparence d'un formalisme un peu éloigné de notre sensibilité passée par le long tamis du romantisme : je trouve que ces symphonies parlent assez directement, et prolonge le plaisir que l'on peut avoir chez certaines des bonnes symphonies de J. Haydn et Mozart – ses couleurs me touchent plus directement que Haydn l'Aîné, je pense.
Je suis tout particulièrement impressionné par le naturel des mouvements lents, plus « modernes » à nos oreilles, plus proche de Vranický, Witt ou Dupuy. Je suis aussi impressionné par ces multiples finals fugués, dont l'inspiration ne faiblit pas – l'esprit et même la matière musicale du final de la 34 évoque ainsi furieusement les développements de celui de la 41 de Mozart !
Et c'est donc sur ce plaisant tapis que mes pieds ont glissé durant les fraîches nuits sans lune du Diois ; un choix dont je ne cesse de me féliciter encore – et je compte sur vous, estimés lecteurs, pour flatter un peu plus ma vanité dans vos commentaires.
3. Discographie symphonique de Michael Haydn
(Je laisse de côté la musique sacrée, bien documentée aussi, mais qui m'a moins ébloui jusqu'ici. Moins bien servie interprétativement, aussi.)
Au risque de vous prendre au dépourvu, l'assez large fenêtre sur ce corpus repose sur deux entreprises anthologiques : le cycle CPO (j'ai compté 5 albums dont un double) et le cycle Naxos plus récent (2 albums pour l'heure) – quelle surprise.
Le premier avec l'Académie de Chambre Allemande de Neuss, à côté de Düsseldorf, dans un style assez informé, et divers chefs qui se succèdent ; j'ai surtout aimé Larsen pour le volume le plus récent, et Goritzki, dans une veine plus tradi, pour les volumes les plus anciens (dès 1995 !). Beermann, formidable dans la musique romantique, se trouve stylistiquement plus empesé ici.
Le second cycle, avec la Philharmonie de Chambre Tchèque de Pardubice, un orchestre qui ne joue pas du tout sur instruments anciens, multiplie les bonnes surprises. Déjà connu au disque pour sa très vaste contribution au répertoire classique et au premier romantisme, avec albums autour de Vaňhal, Stamic, (John Abraham) Fischer, Saint-George, Dušek, Rejcha, Bériot, Meyerbeer, des séries autour de Beck, Voříšek, Auber, et surtout Cimarosa (7 volumes) et Pavel Vranický (8 volumes sous son nom germanisé Paul Wranitzky) ! Un véritable orchestre de spécialistes, même s'ils ont aussi enregistré, plus tôt dans leur existence, Dvořák et Fučík. Malgré cette grande familiarité avec le répertoire classique et post-classique, leur style demeure très traditionnel, sur instruments modernes, avec des cordes prédominantes, lisses et vibrées, des tempi assez modérés, un spectre sonore très fondu et des articulations plutôt rondes, des caractères et des couleurs homogènes, des contrastes réduits. (En creux, on comprend volontiers que ce n'est pas mon idéal, mais il font un travail de documentation unique, et le font avec beaucoup de probité.) Toutefois, pour ces deux volumes Michael Haydn, ils ont fait appel à Patrick Gallois, célèbre flûtiste (un superbe album Takemitsu et beaucoup d'explorations de concertos classiques et jeunes-romantiques) qui a aussi exercé comme chef d'orchestre avec beaucoup de bonheur – notamment avec le Sinfonia Finlandia Jyväskylä ou, plus récemment, avec la Chambre de Suède. J'ai été très marqué par ses Symphonies de Friedrich Witt dont j'ai parlé il y a peu dans ces pages, et l'on retrouve ici les mêmes qualités de pâte légère, phrasé élégant, de tension dans les progressions harmoniques, vraiment le meilleur de ce que l'on peut attendre d'un orchestre sur instruments modernes dans le répertoire classique, et pour ainsi dire un modèle ! En outre ici, le choix d'inclure un clavecin en guise de vestige du continuo apporte du grain et du mordant à l'ensemble du spectre, et compense très bien ce que l'allure générale pourrait revêtir de lisse.
J'ai sélectionné pour vous quelques symphonies – et même quelques mouvements – à écouter en priorité : 20b, 21a, 23c, 26b, 33d, 34c et le rondeau de la ré mineur P.20, à glaner parmi les albums de ces deux belles séries ; cependant tout le corpus est de haute volée, et je ne saurai trop vous inciter à vous immerger à la recherche de vos propres chouchous – si jamais cet avant-goût a pour vous des saveurs de revenez-y.
4. La sélection d'autres symphonistes classiques
Pour plus de clarté, j'ai écarté le fin du fin de J. Haydn et Mozart de la sélection ; pour Haydn, dans la première moitié du corpus, si les 6 et 22 sont très bien documentées, la 39 est moins célèbre et manifeste le meilleur des contrastes du Sturm und Drang (les versions Ádám Fischer et Ian Page, avec des qualités opposées, permettent de se rendre compte de ces formidables qualités) ; pour Mozart, les symphonies non numérotées présentes dans l'intégrale Hogwood sont pour la plupart de valeur sensiblement égale aux symphonies numérotées qui leur sont contemporaines, c'est pitié qu'on ne les joue et enregistre littéralement… jamais, tout ça parce qu'elles n'ont pas reçu initialement de numéro lorsque le corpus s'est figé.
Mon parcours commence donc avec une des symphonies en mi bémol de Johann Christian Cannabich (né en 1731) pour représenter l'École de Mannheim, considérée comme pré-classique mais dont l'ensemble des codes se trouve sensiblement plus proche du classique que du baroque : basse continue au second plan (idée que la basse sert de matériau premier pour l'improvisation de tout un groupe de musiciens), primauté de la mélodie, formules plus vives, goût du trémolo (répétition de la même note avec des aller-retours d'archets très vifs, typique ensuite de la dramaturgie gluckiste)… Musique un peu décorative, mais pleine de joyeuse vitalité.
Ici par les London Mozart Players de Matthias Bamert, sur instruments modernes, esthétique un peu à la Saint-Martin-in-the-Fields (rien à voir avec les London Classical Players de Roger Norrington, qui étaient au contraire très engagés dans le renouvellement du spectre sonore), simplement le disque que j'ai eu l'habitude d'écouter. Naxos en a beaucoup documenté, dans une esthétique d'orchestres de chambre encore plus tradi.
Profil très différent avec François-Joseph Gossec (1734), pour des symphonies dans un goût très différent, où la veine dramatique et gluckiste est beaucoup plus présente – trémolos, groupes d'appoggiatures en fusées, arrivée de chorals de cuivres pour soutenir la montée en tension (Beethoven fera grand usage de cette technique dans ses propres symphonies, par exemple le final du mouvement liminaire de l'Héroïque).
Pourtant, les premières symphonies (de l'opus 3) sont écrites en 1756, et celle que j'ai retenue pour vous (Op.6 n°3) en 1762, au moment des représentations d'Orfeo ed Euridice (à Vienne, octobre 1762) ; il n'est donc pas certain que Gossec ait eu le temps d'assimiler ou même de connaître cette partition. Se pose à nouveau la question, dans ce cadre, de la validité des discours (semi-)grand public sur les styles musicaux : Gluck est-il véritablement le père du style gluckiste, même s'il en fut un pionnier et diffuseur majeur ? Quelles étaient les sources de ces idées neuves ? Pour sa symphonie La Chasse de 1774, on entend même des formules de flûtes en gruppetto, indépendantes du thème principal, effet d'orchestration utilisé pour la tragédie en musique et les pastorales, mais guère dans les symphonies allemandes du temps, à ma connaissance. Gossec a aussi écrit, bien plus tardivement, des symphonies s'adaptant aux nouveaux régimes et à leurs styles respectifs : une Symphonie militaire pour orchestre d'harmonie en 1794, et une tentative d'orchestre étoffé (davantage que contrapuntique) pour sa fameuse Symphonie à 17 parties de 1809, même si le résultat ne ressemble pas encore véritablement à une tentative d'orchestration au sens où nous l'entendons désormais (pour moi, le point de départ est à chercher chez Beethoven et… Salieri).
En tout cas très intenses et dramatiques, ces symphonies méritent le détour. Elles ont connu un regain d'intérêt relatif avec la (timide) redécouverte de Gossec ces dernières années (Le Triomphe de la République, Quatuors, Thésée…), mais le Concerto Köln fut pionnier pour les servir en en respectant le style, et les enregistrements (à part sur le détail de la connaissance musicologique) n'ont pas vieilli d'un pouce.
Jan Křtitel (Jean-Baptiste) Waṅhal (Vaňhal en tchèque moderne), né en 1739, n'est pas la plus forte personnalité de la série, mais se trouve agréablement équidistant du baroque finissant, du style galant et de l'influence dramatique française – ses cinq recueils de symphonies sont tous publiés à Paris entre 1771 et 1780, en pleine fièvre gluckiste.
J'aime particulièrement la symphonie en la (Bryan A2 au catalogue, donc je suppose la deuxième des symphonies en la majeur qu'il a commises parmi les 21 publiées), lumineuse et jubilatoire, et encore davantage la Bryan e1 qui a, dans son Menuet et son Final, des aspects de ballet d'opéra farouche ! D'une manière générale, ses symphonies en mineur ont davantage de relief – alors que ce n'est pas nécessairement un discours que je tiendrais sur ses contemporains. Ses mouvements lents ne sont pas les plus réussis du temps, ou du moins se limitent souvent à une pensée délicate et galante ; à l'inverse, grand avantage concurrentiel sur les menuets, en général pourvus d'une véritable substance mélodique et dramatique.
Corpus bien couvert par les spécialistes : cinq volumes chez Naxos par des interprètes divers (le dernier, où la Toronto Camerata pas très colorée et vraiment tradi, est énergisée par le spécialiste baroqueux Kevin Mallon, est particulièrement réussi), un disque des London Classical Players & Matthias Bamert chez Chandos. Mes chouchous : la Chambre de Prague & Oldřich Vlček (tradi mais allant et timbres savoureux) chez Supraphon, et bien sûr à nouveau le Concerto Köln chez Elatus, dont l'ardeur, l'articulation et la saveur ne connaissent toujours guère de concurrents pour ce compositeur.
Je connais mal le corpus symphonique de Boccherini (1743), mais il est difficile de ne pas citer sa symphonie Op.12 n°4, dite La Casa del Diavolo : composée en 1771 alors qu'il est à la cour d'Espagne, elle réutilise de la musique déjà existante mais produit un résultat particulièrement atypique.
Pour le premier mouvement, il s'agit de sa propre Sonate « pour piano et violon » op.5 n°4. Mais le dernier mouvement a une tout autre histoire. Dix ans plus tôt, Boccherini était à Vienne après avoir quitté sa Toscane natale dans les bagages de Gluck qui l'avait remarqué. Et il jouait dans l'orchestre pour la première mondiale du fulgurant ballet Don Juan, dont il conserva manifestement de vifs souvenirs, puisqu'il lui emprunte le motif de son final – qui sert de matrice, orchestration comprise, à tout le dernier mouvement, d'une intensité dramatique peu commune : fusées descendantes de violons, cris de hautbois, appels de cors, comme une cavalcade infernale. Gluck en était lui-même très satisfait, puisqu'il le réemploie en 1762 dans Orfeo ed Euridice, comme Danse des Furies. Boccherini, dans sa symphonie, l'introduit après un prélude lent qui ouvre ce troisième mouvement — pour autant il ne dérobe pas du tout la paternité de son inspiration : le titre du mouvement est « Chaconne qui représente l’Enfer et qui a été faite à imitation de celle de Mr. Gluck dans le Festin de Pierre », un hommage absolument pas dissimulé !
Le résultat en est très impressionnant comme son modèle ; j'ai proposé deux interprétations qui font entendre des aspects assez différents de l'orchestration : Giardino Armonico & Giovanni Antonini d'une part, avec un son d'orchestre très disjoint et martellato, particulièrement furieux et impressionnant ; d'autre part l'Academy for Ancient Music & Christopher Hogwood, au son d'orchestre plus cohérent, qui met peut-être encore plus en valeur la masse sonore menaçante des sonneries des deux cors.
J'ai retenu, cette fois-ci, trois symphonies, dans des interprétations non musicologiques, mais servies avec beaucoup de saveur par la Chambre Dvořál & Bohumil Gregor – timbres tchèques acidulés qui compensent tout à fait la belle lecture tradi (mais tendue et très bien phrasée).
C'est finalement celle en ré Op.36 que je préfère, je pense. Comme l'opus 52, son introduction est très parente de la Deuxième de Beethoven, postérieure (1802), mais son premier mouvement utilise des appoggiatures furieuses qui évoquent les Ouvertures Leonore II & III, le duo Pizarre-Rocco, le final de Fidelio et même, dans un fragment du thème, « son rose spinose, son volpe benigne » (air de Figaro à l'acte IV des Noces), donc nageant dans un univers. L'autonomie des clarinettes et bassons fait elle aussi porter le regard vers le Beethoven des symphonies 2 & 4. Par ailleurs, la fermeté mémorable des thèmes marque beaucoup, ainsi que leur usage dans des marches harmoniques immédiatement émotionnelles. Les mouvements lents annoncent peut-être encore davantage le romantisme – aspects de Haydn, mais aussi de Tarare de Salieri, voire du deuxième mouvement de la Deuxième de Mahler pour l'opus 36, mais encore plus frappant pour l'opus 56, digne des pages les plus mélancoliques de Mozart, Beethoven… ou de la Troisième de Bruckner. La Polonaise de l'une, le Menuet de l'autre, restent très marquants, avec un véritable matériau musical, pas simplement un objet de décoration (la Polonaise a quelque chose de l'Allegretto scherzando de la Huitième de Beethoven). On pourrait tracer des parallèles similaires pour Symphonie en ut mineur Op.11, avec quelques échos gluckistes en sus dans les tournures dramatiques.
En somme, véritablement un corpus qui constitue une synthèse et regarde déjà loin vers l'avenir – je ne sais s'il est le révélateur du goût d'un ensemble de compositeurs qui n'est pas documenté au disque et auquel a puisé Beethoven, ou si Beethoven a directement été impressionné par la musique de Pavel Vranický.
Je passe plus vite sur la fin de ma liste : ce sont des profils déjà préromantiques ou « révolutionnaires » (existe-t-il vraiment un style révolutionnaire ?) comme Étienne Méhul (1763) – le début de la Première Symphonie n'est pas si loin de Mendelssohn –, et d'une manière générale, les motifs courts, le ton combattif, le goût du contraste, l'aspect tapageur et tourmenté rapprochent beaucoup, de l'avis général, ces quatre symphonies de Beethoven – dans un style certes plus français.
La version Musiciens du Louvre & Marc Minkowski est la plus savoureuse sur instruments d'époque, tandis que celle de l'Orchestre Gulbenkian & Michel Swierczewski, certes un peu terne côté timbres (mais très honnêtement articulée pour une version tradi de non spécialistes) est la seule à proposer toutes les symphonies (je ne sais même pas si les 3 & 4 sont couramment disponibles ailleurs). J'ai aussi cité la version Solistes Européens Luxembourg & Christoph König, sur instruments modernes et légèrement influencée par les pratiques HIP, pour étoffer la proposition.
De même pour Bernhard Romberg (1767), dont les symphonies sont de toute façon plus tardives (vers 1830 pour la n°3), et portent véritablement la trace de Beethoven. Une notule entière lui est consacrée, je vous y renvoie, car on ne peut plus vraiment parler de symphonie classique (ni même postclassique) dans son cas. (Version : Kölner Akademie & Michael Alexander Willens, sur instruments anciens et très engagée !)
Exactement contemporain de Beethoven (1770), Friedrich Witt est mon immense coup de cœur de ces dernier mois, auquel une notule fut déjà consacrée : comme pour Vranický, je suis impressionné par la qualité individuelle de chaque mouvement, comme une œuvre autonome, mais dans un style plus tardif — dans la veine d’un tout premier romantisme encore très largement marqué par la langue et les formes classiques (structure des thèmes, menuets…), simplement un peu plus versatile du côté des coloris harmoniques (et donc des émotions)… si bien que sa Symphonie en ut « Iéna » a été un temps attribuée à Beethoven !
Outre la beauté des thèmes, vraiment d’une évidence folle (on pense au naturel de Mozart, à un Haydn légèrement romantisé, un peu en deçà du Beethoven de la Première Symphonie, et plus ponctuellement aux poussées de mélancolie d’Édouard du Puy…), je suis frappé par les trouvailles harmoniques, une ambiance d’opéra comique français dans l’adagio cantabile de la Symphonie Iéna. L’atmosphère générale est vraiment très belle et pénétrante, en particulier dans cette version, dirigée par l’excellent flûtiste explorateur Patrick Gallois, qui se détache pour son naturel. Les timbres du Sinfonia Finlandia Jyväskylä (230 km au Nord de Helsinki) ne sont pas du tout colorés (le même type de pureté très « blanche » que le Tapiola Sinfonietta, pour situer) et leur manière d’articulation reste plus tradi qu’informée ; mais l’épure de leur geste, la légèreté de touche, l’intelligence des phrasés rend cette interprétation particulièrement délectable – par rapport à toutes les autres, elles mettent davantage en lumière les jubilations thématiques (final de la Symphonie en la majeur) et les beaux glissements harmoniques (adagio cantabile de la Symphonie en ut), qui passent plus inaperçus dans les autres versions..
Le bonus, c’est ce final de la Symphonie en la majeur, qui se fonde sur le thème de la chanson révolutionnaire Ah ça ira !, mais avec beaucoup de grâce et de gaîté naïve, sans aucune effusion politique – je l’ai toujours entendu utilisé de façon assez sauvage, même dans les œuvres du temps qui ne sont pas des brûlots anti-Terreur.
Pour finir, j'ai poussé jusqu'à Antonio Cartellieri (1772), dont j'ai déjà vanté plusieurs fois les mérites dans ces pages, à la parfaite équidistance des univers : grammaire classique, mais usage romantique – les figures stéréotypées, les traits, les surprises harmoniques sont toujours utilisés pour renforcer l'urgence ou l'émotion. On sent clairement le contemporain de Beethoven. Et le résultat m'impressionne et me réjouit toujours beaucoup. Interprétation pleine de verve et de feu par l'Evergreen Symphony (orchestre taïwanais) & Gernot Schmalfuss.
Antoine Bohrer (1783), Spohr (1784), Onslow (1784), Max Bohrer (1785) Czerny (1791), Moscheles (1794) et Berwald (1796) reprennent certains aspects postclassiques dans leur langage, mais sont déjà totalement romantiques, il faut bien tracer une frontière quelque part ; je ne les inclus pas.
Voilà ; je gage qu'avec cette petite brassée, vous pourrez vous occuper quelque temps si d'aventure la symphonie classique a votre faveur – ou si vous souhaitez lui redonner la chance qu'elle mérite, d'être entendue et aimée pour sa singularité, et non comme un objet un peu archaïsant et dépassé, ni comme le patrimoine des seuls J. Haydn & Mozart.
Ce billet, écrit à par DavidLeMarrec dans la catégorie Discographies a suscité :
(Quelques transcriptions ou
fantaisies pour piano à partir de tubes mentionnés plus bas.
Le disque le plus conforme que je connaisse, la Troisième Symphonie de Bruckner
transcrite pour piano à quatre mains par Mahler,
n'est pas disponible en flux.)
13.
Tubes en réduction
Je touche à la fin de ce panorama, avec dans l’intervalle des
nouveautés, évidemment.
Je n’ai pas évoqué cependant une catégorie d’inédits, qui m’a beaucoup
occupée, mais qu’il serait probablement assez peu utile de commenter
(et encore moins de diffuser) : une vaste partie des pièces que je joue
au piano sont des transcriptions, de symphonies, de quatuors... jamais
enregistrées en version piano ou, quand c’est le cas, pas dans
l’arrangement que j’ai soigneusement sélectionné.
Je ne parle même pas des opéras en version réduite, où j’intègre
moi-même les lignes vocales à l’« orchestre ».
a) Répertoire
Dans cet ensemble, des œuvres peu célèbres (Concertos pour violon de Pierre Rode [lien], Quatuors
d’Anton Rubinstein [lien], Symphonie
n°1 de Kalinnikov
ou n°2 d’Asgér Hamerik
[lien]…), et beaucoup de tubes. Les symphonies de Beethoven
(1,2,3,4,5,6,7,8,9), de Schubert
(3,5), de Mendelssohn
(3,4,5), de Schumann
(2,3,4), de Bruckner
(2,3,4,5,6,7,9), de Brahms
(1,4), de Tchaïkovski
(1,2,3,4,5,6), de Dvořák
(7,8,9), de Mahler
(1,2,3,5,8,9), de Sibelius
(1,5, faute de trouver les autres) ; les poèmes symphoniques de Tchaïkovski, les trois grands
ballets français de Stravinski
; les quatuors de Beethoven
(1,2,3,4,5,6,7,8,9,15 pour l’instant), Schubert (12,13,14,15), Mendelssohn (2,6), Schumann (3), Debussy...
Côté opéra, parmi les plus joués :
→ l'horrible Richard Wagner [notules]:
le Vaisseau
fantôme, les scènes aquatiques et célestes de Rheingold, les
actes I et III de la Walkyrie, l'acte
III de Parsifal…
souvent dans des traductions françaises ;
→ Richard Strauss [notules] : tout le début d'Elektra jusqu'à
la fin de la première scène de Chrysothemis, les débuts du I et du II
du Rosenkavalier,
tout Ariadne auf
Naxos, le début de Die Frau ohne Schatten,
et surtout tout Arabella,
;
→ Mozart : actes pairs des Noces, tout Don Giovanni,
tout Così,
toute la Clemenza ;
→ Verdi : Stiffelio,
Un Ballo in
Maschera (tableau du gibet), Don Carlos
(actes impairs), Aida(actes III et IV), Otello(acte II)… ;
→ Debussy : tout
Pelléas & Mélisande ;
→ Bizet : tout Carmen;
→ Puccini : tout Tosca,
acte I de La
Bohème ;
→ Reyer : acte IV de
Sigurd ;
→ Meyerbeer : actes I et V desHuguenots;
→ Halévy : extraits de La Juive;
→ Bellini : actes I et II, fin de l'opéra des Puritains;
→ etc.
Le plus joué sans conteste, l'acte III de Die Walküre (comme d'habitude),
suivi des I et III d'Arabella,
puis l'acte IV des Noces,
tout Tosca, Pelléas, l'acte II d'Otello, le final de Stiffelio. (Si l'on compte les
extraits isolés, le duo de révélation du V de La Reine de Chypre d'Halévy arrive
dans le trio de tête ! Réduction réalisée par… l'horrible Richard Wagner.)
Côté musique sacrée, beaucoup de lectures de la Missa Solemnis de Beethoven,du Psaume 42 et d'Elias de Mendelssohn, du Requiem de Verdi, du Deutsches Requiem de Brahms…
Et sans doute bien d'autres choses que j'oublie.
b) Effets
Et il faut bien le dire, accéder à une partie de la richesse de ces
musiques, la réaliser seul, en incarner les arcanes, a quelque chose de
particulièrement grisant. Parmi les bonnes surprises, le Quatuor de Debussy se joue assez bien au
piano, qui tombe assez bien sous les doigts, peu de sacrifices à opérer
dans la musique, alors qu'il faut souvent opérer des choix déchirants
dans les réductions de quatuor ! Quant au mouvement lent de
l’opus 59 n°2 de Beethoven,
voilà probablement l’une des pièces « pour piano » que j’ai le plus
jouées... une partie de son caractère ineffable et de la succession
ininterrompue d’idées fulgurantes se communique très bien à la version
piano.
Évidemment, toutes les polyphonies ne sont pas réalisables (certaines
ne sont même pas notées par les transcripteurs !) et les effets de
timbre ou de texture peuvent ne pas trouver de correspondance au piano,
mais ce reste tout de même un outil d’approche incroyablement intuitif
et jubilatoire !
Les choix des transcripteurs sont en eux-mêmes éclairants, également :
ainsi pour les symphonies de Beethoven,
Otto Singer II, le grand
transcripteur d’opéras de Wagner et Strauss, n’est-il pas le plus
confortable pianistiquement ni le mieux sonnant quand aux équilibres
des registres. Liszt, que je
n’ai jamais beaucoup aimé ici, me paraît vraiment un attrape-pianiste –
des octaves partout, mais cela imite assez mal les textures d’un
orchestre à cordes et vents ; on le perçoit déjà à l’audition, et c’est
encore plus vrai lorsqu’on le lit et le joue. (En outre, quoique très
pianistique, je ne trouve pas ça confortable à jouer, on sent les
grandes mains puissantes, on a l'impression de toujours courir après le
brillant plutôt que de travailler le fondu et la couleur.) Une œuvre
pour faire briller le pianiste plutôt que pour évoquer fidèlement le
souvenir de l’original. Après pas mal d’essais, je me suis tourné vers Ernst Pauer, pianiste et compositeur
deux générations plus tard (né en 1826), dont les propositions modestes
et équilibrées, qui visent davantage à la fidélité qu’à l’effet,
permettent réellement de faire réentendre le matériau d’origine, avec,
évidemment, son lot de simplifications ou d’impossibilités pratiques.
De même pour Tchaïkovski,
où j’ai privilégié l’éditeur moscovite Jadassohn,
lui-même transcripteur, sur d’autres noms plus prestigieux.
c) Déviance
Vous vous posez peut-être la même question que celle naguère émise par
un camarade : il existe tellement de chefs-d’œuvre pour le piano
(documentés ou non), pourquoi t’acharner sur des œuvres qui ne sont pas
écrites pour l’instrument?
Et en effet, je joue beaucoup plus d’opéras, de symphonies, de musique
de chambre (avec ou sans piano prévu !) que de musique pour piano.
Phénomène encore spectaculairement accentué lorsqu’il s’agit de jouer
des œuvres qui figurent dans le grand-répertoire.
C’est à la vérité une très bonne et légitime question, et il se trouve
que je dispose de réponses – qui éclairent certes mon approche, mais
aussi, je crois, une dimension musicale susceptible de tous nous
concerner à divers degrés.
1) Beaucoup de pièces pour piano sont déjà
disponibles au disque : ce sont les plus faciles à enregistrer
et diffuser ; même si je ne les trouve pas de prime abord, il est
fréquent qu’en réalité une piste isolée (et mal référencée) se
dissimule dans une anthologie, sans parler bien évidemment des
captations artisanales publiées sur YouTube. Le risque de travailler
pour rien est donc assez élevé.
2) Les œuvres pour piano sont souvent écrites pour mettre en valeur les
pianistes, nécessitent de la virtuosité,
contiennent des traits purement pianistiques. Autant je peux arriver à
donner le change en première lecture d’un opéra (quitte à opérer des
choix d’urgence dans les voix et/ou l’accompagnement), autant sur une
pièce écrite pour piano, si on escamote les cabrioles prévues, le
résultat paraît tout de suite moche.
Néanmoins, cette considération ne concerne en réalité surtout les
captations / diffusions – rien ne m’empêche de les jouer pour moi-même.
3) La véritable raison, c’est que ladite virtuosité est souvent
présentée comme une vertu (un grand pianiste, c’est un « virtuose »),
alors que pour ma part, en tant qu’auditeur, à matériau égal, je trouve
l’œuvre virtuosemoins intéressante. Non seulement
les fanfreluches n’apportent rien au discours, mais elles l’affadissent
(pour moi), se reposant sur des formules vives et stéréotypées au lieu
de laisser chanter la mélodie, l’harmonie, en somme le discours.
Or, très peu de compositions pour piano échappent à ce genre de
réflexe. Je trouve donc plus satisfaisant de jouer d’autres genres
musicaux transcrits, qui échappent à ces formules prédéfinies que je
trouve à la fois inutilement difficiles à jouer et particulièrement
pauvres en sens musical.
4) Mais la motivation ultime, celle à laquelle vous n’aviez peut-être
pas pensé, celle qui fait que je reviens sans cesse, à mon piano,
plutôt aux Quatuors de
Beethoven et aux Symphonies de
Tchaïkovski (pourtant vraiment virtuoses) qu’aux Études de Chopin et aux Rhapsodies de Liszt : la rêverie.
Lorsque vous jouez une pièce pour piano écrite pour le piano, tout est
écrit sur la partition, il faut exécuter ce qui est prévu, il n’y a pas
vraiment de place à la créativité. Tandis qu’avec une œuvre prévue pour
un autre instrumentarium, il faut souvent opérer des choix (y compris
sur la réduction piano déjà écrite, pas nécessairement exécutable en
l’état), choisir les voix à faire sonner... Une sorte de co-transcription, en quelque sorte,
assez stimulante intellectuellement. Cet aspect est encore plus évident
concernant les opéras, évidemment : il faut chercher à intégrer les
voix au maximum tout en jouant l’accompagnement piano, lire le texte et
les didascalies pour comprendre ce qui s’y passe... mais quel cocktail
d’émotions !
5) Corollaire : une grande partie du travail se situe du côté de l'imagination. Il faut se figurer
les timbres des instruments absents,
et essayer de rendre audibles leurs textures, leur étagement,
leurs contrastes – l'attaque fine d'un hautbois, la transparence
pénétrante d'un cor, un glissando de
corde ou un portamento de
voix. on a réellement l’impression d’effectuer un
travail d’interprète, de coloriste, de concepteur. On se représente les
timbres que l’on veut suggérer, et ce sont des mondes qui s’ouvrent en
plus de la simple exécution : ainsi, jouer une symphonie, c’est aussi être chef d’orchestre en plus d'être
co-arrangeur.
Évidemment, je ne pense pas du tout avoir le niveau pour parvenir à
communiquer cela (j’essaie), mais sur le plan intérieur, cette approche
est d’une richesse sans commune mesure avec la simple tentive de jouer
bien propre des bouts de gammes ou d’arpège conçus pour épater la
galerie – et, accessoirement, pour écarter des scènes des pianistes
médiocres comme moi.
6) Encore plus irrationnel, dans des pièces transcrites, je ressens le
frisson d’être utile (même si ces lectures-plaisir n’ont pas du tout
vocation à être jamais diffusées !) : je suis certain que personne n’a capté les
transcriptions de Pauer, Jadassohn ou Singer, et d'une certaine façon,
je documente un état de la partition qui n'est disponible nulle part.
(Et ce, même si l'intérêt de publier des disques de transcription piano
assez littérales par des pianistes compétents n'aurait peut-être pas un
intérêt majeur – vous ne serez pas surpris que je pense en réalité que
si.)
D) Point final
Vous connaissez à présent mon secret, celui que mon confesseur tremble
de devoir un jour révéler sous les sévices, portant ainsi malgré lui le
désarroi dans le monde, pour la seconde fois depuis l’Arbre de la
connaissance du Bien et du Mal.
Vous pouvez désormais vous constituer tribunal et me mettre aux fers
avec Dreyfus et Valjean.
Vous serez, estimé lecteur, le héros de l'épisode qui achèvera cette
série : je dois vous poser une question dont dépendra – peut-être – le
reste de ma vie.
Après un inhabituel silence lié à une actualité personnelle peu riante,
me voici de retour pour célébrer 2022.
À la vérité, je ne nourris pas du tout un fétichisme des bilans, mais
la perspective de papoter musique avec deux amies chères, encouragée
par l'adorable complaisance de nos camarades – comment ne pas y céder ?
Cette fois-ci, le bilan a donc été essayé en vidéo – occasion aussi de
tester des outils et des formats pour d'autres expérimentations de Carnets sur sol,
notamment l'idée de présenter les œuvres inédites avec un son produit
maison, pour rendre les éloges d'inédits moins abstraits et pouvoir
étendre la connaissance du répertoire aux amateurs non pourvus d'un
piano. En voici deux essais avec l'acte
I (piano seul) et l'acte
II (piano et voix) du Vercingétorix
de
Félix Fourdrain, compositeur niçois dont on ne trouve quasiment rien
nulle part – et auquel je consacrerai bientôt une notule.
Ce n'est évidemment pas plus que ce que ça prétend être : une
conversation (devant une dizaine de spectateurs que nous connaissions
quasiment tous personnellement) entre passionnés, une fenêtre où les
curieux peuvent jeter un coup d'œil – mais sans aucun apprêt ni
maîtrise technique, cela viendra peut-être un jour.
Ce bilan ne me dispense pas tout à fait d'écrire une notule – comme
vous le voyez ; tout n'a pas été dit à l'antenne, et le format vidéo
est moins aisé à compulser qu'un résumé écrit. Résumé que je vais donc
vous livrer, d'autant plus succinct qu'il existe cette version
développée.
1. Réponse aux questions
des internautes
Avant de commencer, nous avons répondu aux questions fondamentales qui
nous avaient été posées. (Je ne donne que mes réponses, pour celles des
camarades, vous pouvez regarder la vidéo.)
Adalbéron Palatnįk : « Quel est le
plus beau coup de glotte de l'année ? »
Le coup de glotte n'est pas qu'une coquetterie, la
pression subglottique peut être un paramètre très important dans
l'organisation vocale, en particulier pour les rôles lourds : lorsqu'on
veut émettre une note, en particulier aiguë, de façon nette (un aigu
isolé, par exemple), on peut obturer le conduit d'air par l'épiglotte
et tout relâcher d'un coup, créant un son puissamment soutenu (et
générant au passage un « plop » caractéristique).
Ce phénomène se trouve même phonématisé dans la
langue danoise, où un mot peut changer de sens selon qu'il inclue ou
non le coup de glotte (stød).
La réponse n'est pas facile : j'ai entendu beaucoup
de chanteurs et je n'ai pas catégorisé de la sorte. En salle, c'est
probablement Ekaterina Semenchuk
en Hérodiade (chez Massenet) qui faisait les plus audibles… mais à
l'échelle de la saison d'opéra mondiale, c'est assurément Dorothea Röschmann
qui aura fait les plus beaux (je ne l'ai pas entendue cette saison).
C'est inhabituel dans Mozart, assurément, mais elle va chanter Isolde
cette année à Nancy et à Caen, alors ce sera l'occasion de vérifier ce
qui est davantage un pronostic qu'un bilan.
Grégounet : « Quel est le ploum-ploum
de l'année, disque et spectacle ? » Ploum-ploum
: Dans certaines communautés Twitter, désigne une forme de musique
légère dont l'accompagnement fait ploum.
Ce peut désigner les Italiens (Donizetti peut-être, Rossini surtout),
mais il s'agit en général de nommer le répertoire léger français,
d'Adam à Yvain en passant bien sûr par Offenbach (où la catégorie ploum-ploum fait régulièrement
l'intersection avec la catégorie glouglou).
Au disque, clairement Le Voyage dans la
Lune d'Offenbach
(Dumoussaud chez Bru Zane), grande fantaisie jubilatoire dans l'esprit
du Roi Carotte,
à la rencontre de peuples lunaires. Le final de la neige est
particulièrement jubilatoire et irrésistible, surtout dans cette très
belle réalisation. La production était donnée à Massy ces jours-ci et
une autre passera à l'Opéra-Comique en début d'année prochaine.
En salle, l'un des tout meilleurs Offenbach (avec
les deux sus-cités), Barbe-Bleue,
dans une production amateur de très haut niveau, par l'orchestre et les
chœurs Oya Kephalê – qui
produisent, chaque mois de juin que Dieu fait, un opéra d'Offenbach.
Romain Tristan : « Et le piano de
l'année ? Et l'orgue de l'année ? »
Il y sera répondu dans les parties suivantes !
« Le dîner, avant ou après le concert
? »
Tout dépend de votre microbiote… Pour ma part, comme
je ne mange pas souvent, ce n'est pas toujours une question. Il faut
étudier si vous êtes plutôt sensible au ventre vide plaintif ou aux
assoupissements postprandiaux. Cela dit, dans le second cas, la
structure canonique des concerts ouverture-concertos-symphonie permet
avantageusement de siester avant l'entracte sans manquer la musique
intéressante qui vient après.
« Laisser un pourboire ? » (nous avons oublié d'y répondre, je
donne donc une réponse plus détaillée ici)
Le classique ne générant pas de recettes
suffisantes, il est en général soit autoproduit dans de petites salles
(concerts au chapeau ou billetterie helloasso / weezevent…), soit rendu
accessible par des subventions dans les grandes salles publiques. Il
existe quelques zones intermédiaires, comme le Théâtre des
Champs-Élysées, où la programmation est soutenue par une institution
publique (la Caisse des Dépôts et Consignations, sans laquelle il
serait impossible d'équilibrer le budget avec les seules ressources de
billetterie), mais sous la forme d'un mécénat de droit privé. Si bien
qu'il s'agit d'un théâtre privé, répondant comme tel à un droit dérogatoire, spécifique aux
théâtres parisiens.
Alors que dans tous les autres corps de métier et partout en France, il
est interdit de rémunérer un salarié sans une base fixe (d'où
l'utilisation du statut d'auto-entrepreneur pour le nouvel
lumpenprolétariat des livreurs à vélo)… les théâtres privés parisiens,
eux, ont le droit de rémunérer leurs ouvreurs aux seuls pourboires. Ce
n'est donc pas un mensonge – comme je l'ai d'abord cru à mon arrivée
dans la région –, mais bel et bien leur unique source de rémunération.
S'ensuivent un certain nombre d'abus (agressivité
envers le public, corruption pour de meilleures places),
particulièrement au Théâtre des Champs-Élysées dont la direction
souhaite depuis longtemps supprimer pourboires et replacements
sauvages, sans y parvenir. Pour les replacements, parce que Perret
était un imposteur qui ne savait pas bâtir des angles, si bien qu'une
large partie du théâtre (la moitié ?) voit au mieux les deux tiers de
la scène en se penchant. 35€ pour voir 30% de la scène, c'est cher. Et
une partie du public joue donc aux ninjas des coursives. Pour le
pourboire, parce qu'il est en réalité plus rémunérateur que le salaire
pour le peu d'heures travaillées, ce qui rend les ouvreurs peu enclins
à renoncer à cet avantage paradoxal.
C'est actuellement en cours de négociation au
Théâtre des Champs-Élysées (à l'Athénée, ils ne réclament jamais rien
et sont de toute façon adorables, on leur donne avec grand plaisir),
mais ça dure depuis 2020 et n'a toujours pas abouti.
Alors, laisser un pourboire ? J'avoue que la
perspective de payer son maton ne m'enchante pas – c'est vraiment
l'ambiance au TCE, on paie la personne qui vous empêchera de vous
asseoir à un meilleur siège vide –, mais considérant que c'est la seule
rémunération qu'ils perçoivent, si jamais je me fais placer, je donne.
Si je me place tout seul, non, je ne finance pas les emplois fictifs
non plus.
2. 2022 : l'année Franck
?
En 2022, il y avait assurément beaucoup de choix ! De Scriabine,
on n'aura guère eu que le concerto pour piano (deux fois à Paris, alors
qu'il est plutôt rare d'ordinaire), quelques disques (souvent des
couplages), et le nombre habituel de Poème
de l'Extase.
Vaughan Williams a été fêté au Royaume-Uni, guère ici. Quant aux
autres, même ceux qui pourraient être emblématiques (l'importance de
Goudimel dans la diffusion de la Réforme, Halphen juif dans la France
antisémite et mort sur le front en 1917…), célèbres (Forqueray, E.T.A.
Hoffmann, Xenakis), patrimoniaux en France (Chambonnières, Mondonville,
Davaux, Séverac, Büsser) ou tout simplement rocambolesques (Dupuy),
rien.
Vous pouvez en retrouver une liste agrémentée de conseils dans ces six
épisodes qui m'ont occupé de l'automne 2021 à l'automne 2022 :
I – de 1222 à 1672 : Morungen, Mouton, Goudimel,
Ballard, Benevolo, Gaultier, Chambonnières, Schütz, Schürmann,
Forqueray, Kuhnau, Reincken… II – de 1722 à 1772 : Benda, Mondonville,
Cartelleri, Daquin, Triebensee… III – 1822, Hoffmann, Davaux, Dupuy… : l'auteur de
génie qui compose, l'inventeur véritable du métronome, la perte des
Reines du Nord… IV – 1872 (a), Moniuszko, Carafa, Graener, Alfvén
: Pologne, Campanie, Reich, Suède V – 1872 & 1922 : Hausegger, Halphen, Juon,
Büsser, Perosi, Séverac, Vaughan Williams, Scriabine, Baines VI – 1922 & 1972 : Popov, Leibowitz, Grové,
Grofé, Amirov, Xenakis, Erkin, Bárta, Wolpe, Bryant…
Le grand vainqueur, c'est donc César Franck. En quantité, on a assez
peu eu de concerts, à part une concentration de concerts dans les
églises (par l'Orchestre Colonne, le CRR de Paris, Oya Kephalê et même
quelques-uns à Radio-France) autour de la date de sa naissance (10
décembre). Heureusement, Bru Zane a remonté Hulda,
dont la production à Fribourg, malgré la qualité des interprètes
mandatés, ne rendait pas du tout justice. Outre ses influences
wagnériennes (rien à voir avec l'italianisant Stradella, par exemple), on pouvait
profiter d'un livret particulièrement étonnant – dans l'esprit de Psycho de Hitchcock, quasiment tous
les personnages principaux sont massacrés aussitôt qu'on les a
présentés !
Au disque, trois disques ont marqué l'année.
¶ Une belle intégrale des
mélodies (qui s'étendent de l'épure de la dévotion d'église à
la sophistication chromatique) par Christoyannis, Gens et Cohen.
¶ Le ballet intégral de Psyché
par Kurt Masur à Verbier – un chef-d'œuvre, l'œuvre la plus lyrique de
tout Franck, et à la fois très rarement donnée, encore plus rarement en
entier, et quasiment jamais par des interprètes de premier plan.
¶ L'intégrale de la musique de
chambre
chez Fuga Libera (Trio Ernest, Quartetto Adorno, Miguel Da Silva, Gary
Hoffman, Franck Braley…), qui permettait notamment d'entendre les rares
Trios piano-cordes, qui sont des chefs-d'œuvre très bien bâtis et
particulièrement élancés.
Côté intégrale pour orgue, il y a eu à boire et à manger (quelques-unes
à la finition moyenne sur des Cavaillé-Coll immondes), mais on avait
déjà du choix de ce côté-là. C'est davantage le Franck lyrique
(mélodies, liturgie, opéra) qu'il fallait remettre à l'honneur. Ce fut
fait, sans grand tintamarre à destination du grand public, mais les
mélomanes curieux avaient la possibilité d'en profiter.
3. Géopolitique et musique
Le fait qui a bouleversé notre perception du monde et nos existences
(économiques, du moins) n'a pas été sans conséquence sur notre
représentation de l'histoire musicale du monde. Devant ce qui
s'annonçait comme une dévastation systématique de l'Ukraine,
on ne pouvait pas faire grand'chose… sauf peut-être s'intéresser à un
patrimoine immatériel qui, même lui, sera possiblement en danger dans
les prochaines années.
J'ai été un peu déçu, je l'avoue, du
peu de concerts thématiques
sur le sujet (qu'on aurait pu introduire par des conférences), et les
disques parus sont plutôt des concepts d'hommage (chansons
traditionnelles notamment). Même à Paris, à part le concert d'Igor
Mostovoï au Châtelet, le concert du Symphonique de Kiev à la Cité de la
Musique et les quelques propositions du « Week-end à l'Est » consacré à
Odessa (concert vocal à Saint-Germain et concert symphonique au
Châtelet, tous deux organisés par le Châtelet, et à nouveau Mostovoï),
on n'a pas croulé sous l'offre. Quelques récitals de piano
(partiellement) composés de compositeurs ukrainiens. Mais aucune maison
n'a tenté de monter (ou d'inviter une troupe) un opéra ukrainien, un
cycle de symphonies, une saison thématique. Je sais qu'il faut du temps
pour mettre sur pied ce genre de projet, mais je crains que si cela n'a
pas été fait sous l'impulsion de l'émotion, maintenant que le conflit
s'est installé dans la durée et que plus personne ne joue l'hymne ni ne
dédie son concert à l'Ukraine, ce ne sera pas la saison prochaine que
la Philharmonie (et encore moins l'Opéra de Paris) proposeront un grand
cycle thématique. (Il y aura bien un week-end spécial dans la prochaine
saison de la Philharmonie, bien sûr, dans l'air du temps, mais je doute
qu'on bénéficie d'une exploration systématique.)
Pour le disque, le délai de
publication étant toujours long (un an en général entre la captation et
la mise sur le marché), nous verrons. Quelques récitals de chansons
ukrainiennes jusqu'ici, mais c'est à peu près tout.
De mon côté, à défaut de pouvoir aider, je voulais comprendre,
et dans la mesure du possible participer à la sauvegarde d'une culture
qui sera potentiellement en danger (que sont devenus ces chœurs
polyphoniques de vieilles dames ? seront-ils transmis ?). Pour la
musique traditionnelle, le Polyphony
Project a effectué un travail inestible de recensement et
d'immortalisation.
Après écoute d'un peu plus de 80 disques, de quelques enregistrements
hors commerce et concerts, après quelques lectures aussi, j'ai quelques
éléments à souligner.
¶ Comme la musique russe, la musique ukrainienne utilise énormément de thèmes folkloriques.
Essentiellement ceux contenus dans la collection Lvov-Prač, la seule disponible au
XIXe siècle. Recueil inestimable, qui
ne distingue pas entre les mélodies populaires russes et ukrainiennes,
qui circulent donc beaucoup aussi bien chez les compositeurs russes
qu'ukrainiens. (Mais Lysenko va aussi effectuer lui-même des relevés.)
¶ La musique russe et la musique
ukrainienne ne se distinguent pas fondamentalement à l'oreille.
Elles ont des principes communs (les modes harmoniques utilisés, le
goût pour le lyrisme et le folklore, le rhapsodisme plutôt que la
grande forme, etc.), mais cette absence de distinction est aussi due à
la situation politique.
¶¶ Lorsque des compositeurs ukrainiens, comme ceux
qui sont présentés comme les trois premiers compositeurs russes
(Berezovsky, Bortniansky, Vedel) sont repérés comme talentueux après
leurs études en Ukraine, ils sont
recrutés
pour la chapelle impériale de Saint-Pétersbourg, où ils sont formés par
des compositeurs italiens (et pour deux d'entre eux, partent
temporairement étudier et exercer en Italie). Les premiers compositeurs
russes sont d'abord des compositeurs… ukrainiens. Comme les commandes et le pouvoir sont en
Russie, ils partent s'y perfectionner et y vivre.
¶¶ De même, s'il existe peu d'opéra ukrainien, par
exemple, c'est que l'oukase d'Ems (en 1876, au moment précisément où la
culture spécifique ukrainienne commence à être abondamment mise en
valeur) interdit l'impression de textes en langue ukrainienne.
Dans le même esprit, le mot « ukrainien » (qui veut déjà dire habitant
« de la Marche », c'est-à-dire « du truc dont on se sert pour que les
ennemis les bolossent avant nous ») est banni est remplacé par «
petit-russien », qui n'est donc pas tant un terme affectif qu'une
marque de domination. J'ai été frappé par le fait qu'on retrouve
exactement la même rhétorique de la fraternité que dans le discours
officiel russe actuel, mais une fraternité oppressive, celui du grand
qui a autorité sur le petit et qui se pense des droits sur lui.
→ Il est donc exact que la musique ukrainienne se
distingue peu de la musique russe… mais si cette école musicale
ukrainienne ne s'est pas singularisée, c'est d'abord qu'il ne lui était pas possible, politiquement,
de le faire !
¶ Beaucoup de compositeurs que nous
pensons comme russes sont en réalité ukrainiens : Berezovsky, Bortniansky, Vedel, Glière
(qui utilise beaucoup de thématiques proprement ukrainiennes), Roslavets, Feinberg, Ornstein, Mosolov…
sont nés en Ukraine et y ont (sauf Roslavets) été formés ! (Je
trouve incroyable qu'on ne le sache pas davantage pour Mosolov, par
exemple !)
On peut y ajouter quelques cas plus ambigus : Anton Rubinstein (fondateur
du Conservatoire de Moscou et grand représentant de la culture russe de
référence), né à Ofatinți, partie de la Transnistrie rétrocédée à la
Moldavie en 1940… mais dont une fine bande de terre à été redonnée à
l'Ukraine ! Gavriil Popov,
né à Novocherkassk, qui a toujours été en Russie, mais qui était
l'ancienne capitale des Cosaques – qui sont à l'origine de la formation
de l'Ukraine moderne – si bien que culturellement, on pourrait
l'inclure dans la sphère d'influence ukrainienne. Enfin Sergueï Prokofiev,
né à Sontsivka, à l'Ouest de Donetsk, est considéré comme russe mais
est pourtant bel et bien né dans un territoire ukrainien (et au
recensement de 2001, plus de 92% de la population avait l'ukrainien
pour langue maternelle !).
Voilà qui fait un certain nombre des plus grands compositeurs russes
nés (et pour beaucoup formés) en Ukraine !
4. Spectacles
Pour les comptes-rendus, je vous renvoie à la vidéo ou aux commentaires
faits après chaque concert sur Twitter (mot-dièse #ConcertSurSol).
Tentative de podium :
1. Barbe-Noire d'Ambroise Divaret au CRR
2. Marie Tudor au CNSM
3. Der Schatzgräber de Schreker à Strasbourg
4. Le Destin du Nouveau Siècle de Campra (où, sans contrainte, le
compositeur se lâche totalement)
5. Doubles chœurs de Rheinberger & Mendelssohn par le Chœur de
Chambre Calligrammes
6. La Nativité de Messiaen par les élèves de Sylvie Mallet au CRR
7. Phryné de Saint-Saëns à l'Opéra-Comique
8. Rheingold par Nézet-Séguin au TCE
9. Suite de Rusalka d'Ille & Honeck à la Maison de la Radio
10. Programme franco-italien du Poème Harmonique avec Eva Zaïcik à la
Fondation Singer-Polignac
11. Journée à la Roche-Guyon du festival Un Temps pour Elles (3
concerts, 3 violoncellistes de mon top 5 : Luzzati, Legasa, Phillips !)
12. Trio n°3 de Frank Bridge avec Christine Lagniel à l'Amphi Bastille
13. Schubert et Chostakovitch par le Quatuor Belcea au Théâtre des
Champs-Élysées
Et aussi…
Bru Zane : Hulda TCE
Larcher PP
Neojiba Cerqueira PP
Schmitt Psaume 47 MR
Stockhausen Freitag PP
Tailleferre opéras-minute au CNSM
Turangalila Salonen PP
Elektra à Bastille
Cendrillon de Massenet à Bastille
Vestale Spontini TCE
Roi Carotte Oya Kephalê
Parsifal Bastille
Karawane PP
Ariane & Bacchus Marais TCE
Thaïs TCE
J'ai un peu oublié les bides, mais je me souviens de mêtre ennuyé ferme
pour A Quiet Place
de Bernstein à Garnier, et m'être demandé pourquoi jouer des œuvres
rares qui ne sont pas propres à soulever l'enthousiasme, quand le choix
est si vaste parmi les chefs-d'œuvre ? (réalisation par ailleurs assez
terne)
Parmi les moments forts, deux histoires à vous partager.
¶ Benjamin Bernheim,
alors qu'on lui fait un entretien de complaisance,
en profite pour faire longuement l'éloge
de son pianiste. Un ténor qui
ne parle pas de lui, et en plus qui complimente son accompagnateur
alors que ce n'est même pas la question posée, je ne pensais pas voir
ça un jour. (et ça m'a ému)
¶ Reprise deRobert le cochon
et les kidnappeurs de
Marc-Olivier Dupin à l'Opéra-Comique.
Un véritable traumatisme (que je vous raconte à la fin de la vidéo).
Il
s'agissait de la reprise d'un spectacle destiné au jeune public, par
l'adroit compositeur du Mystère de
l'écureuil bleu, qui sait manier les références et écrire de la
musique à la fois nourrissante et accessible. Mais cette fois…
D'abord, peu d'action, beaucoup de
numéros assez figés, aux paroles
plutôt abstraites… j'ai pensé à l'opéra italien du XIXe siècle et à ses
ensembles où chaque personnage évoque son émotion, son saisissement…
pas forcément la temporalité adaptée pour les moins de dix ans.
Ensuite, le propos éducatif était…
déroutant. La méchante, c'est la
propriétaire de la décharge qui veut simplement conserver un peu
d'ordre alors que Mercibocou le loup et Nouille la Grenouille cassent
et mettent tout en désordre. Robert le Cochon, en voulant parlementer
pour sauver son ami le loup, prisonnier (personne ne l'a kidnappé, il a
surtout été arrêté alors qu'il commettait un délit…), se fait éjecter.
Mais il trouve la solution, la seule fructueuse, pour être entendu : il
apporte une hache. Et là tout le monde s'enfuit et il peut délivrer son
ami. (La violence ne résout rien, mais quand même, elle rend tout plus
facile. Prenez-en de la graine les enfants.)
Et surtout, des images traumatiques.
Nouille la grenouille est éprise
de Mercibocou le loup, mais elle est surtout passablement nymphomane.
Elle s'éprend aussi du chasseur de loup embauché par la directrice de
la décharge, lui fait une cour éhontée, s'empare d'une « machine
d'amour » pour le forcer à l'aimer. Âmes sensibles comme je le suis, ne
lisez pas ce qui va suivre.
Nouille attrape alors le chasseur de loup,
qui se débat, elle le tire par les pieds alors qu'il s'accroche
désespérément au plancher en criant « je ne veux pas ! », et l'emporte
dans la fusée où elle le viole – hors du regard du public, mais dans la
fusée au milieu de la scène, tout de même –, et lui appliquant la «
machine d'amour », le tue. Elle sort alors en pleurant et traîne le
cadavre du chasseur sur toute la scène.
Oui, parfaitement, dans un
opéra pour enfant, l'un des principaux personnages présentés comme
sympathiques viole un autre personnage, sur scène, avant le tuer et de
se promener partout avec son cadavre !
Pour mettre à distance un peu
cette scène, on nous apprend, une
demi-heure plus tardi (sérieusement
? j'ai eu le temps de développer deux ou trois névroses dans
l'intervalle…), qu'en réalité ce n'était pas un véritable homme mais
une baudruche. Je ne sais pas si c'est vraiment mieux : on sous-entend
ainsi que si vous voulez violer quelqu'un mais qu'il se révèle par
accident n'être pas véritablement un humain, alors vous n'avez rien à
vous reprocher. Quant au procédé même de catégoriser un personnage en
non-humain pour mieux pouvoir le torturer, je ne suis pas trop sûr non
plus de ce que j'en pense exactement… mais mon ressenti ne valait
clairement pas assentiment !
J'ai vraiment peine à comprendre comment personne, dans le processus de
création, librettiste, compositeur, metteur en scène, producteurs,
interprètes, professionnels de la maison, public interne des filages,
public de la prémière série en 2014… n'a demandé à un moment « mais le
viol sur scène suivi de meurtre et d'exhibition du cadavre avant de le
décréter sous-homme, est-ce totalement la meilleure idée pour un opéra
jeune public ? ». Dans un opéra décadent comique du milieu du XXe
siècle, ça aurait pu être amusant, mais dans au premier degré dans un
opéra pour enfants, j'en suis resté traumatisé – et je l'ai raconté par
le menu à tous ceux qui ont eu l'imprudencede me demander ce que
j'avais vu de marquant dernièrement.
Le bilan de tout cela reste quand même que sur les 6 meilleurs spectacles de
l'année, je recense trois spectacles
d'étudiants et un concert d'amateurs
! Honnêtement, cela vaut la peine d'aller voir, surtout au CNSM
où le niveau est très élevé (niveau pro, l'enthousiasme des débuts en
sus). Les concerts des conservatoires sont toujours gratuits de
surcroît !
Le recensement n'est pas toujours évident (c'est annoncé peu de temps à
l'avance, dans des sites fastidieux à consulter, date à date), aussi je
vous rappelle que je maintiens à cet effet un agenda des concerts franciliens
où j'inclus et mets en avant les soirées intéressantes. Les spectacles
avec mise en situation théâtrale au CNSM (la classe d'Emmanuelle
Cordoliani en particulier) me fournissent chaque année des expériences
parmi les plus originales et marquantes de la saison.
C'est un peu tôt (en général à 19h), mais si vous avez la possibilité
de partir un peu en avance ou si vous posez occasionnelle des
après-midis de congé, courez-y, beaucoup n'osent pas, mais on est tout
à fait bienvenu, c'est fait pour et disposer d'un public aide à la
formation de ces jeunes ! Et le résultat est en général très
enthousiasmant (pour les grands spectacles baroques du CRR, les
auditions de ses classes d'instrument ou à peu près tout au CNSM).
5. Nouveautés
discographiques : œuvres
Difficile de sélectionner (mon fichier d'écoutes de 2022 fait un
millier de pages, plusieurs heures d'écoutes quotidiennes et peu de
redites…)
Je tente un petit palmarès.
1. Eben – intégrale d’orgue
vol.1 : Job, Fantasia Corale, Laudes… – Janette Sue Fishell (Brilliant
Classics 2022) ♥♥♥
→ Ensemble assez incroyable de bijoux… je découvre la densité du
langage (très accessible cependant) de la Fantasia Corale, une certaine
parenté avec Messiaen, en moins exagérément idiosyncrasique… Et une
très belle version de Job, l’une des plus belles et ambitieuses œuvres
pour orgue du XXe siècle, avec récitants anglais.
→ Très belles versions, tendues, bien registrées, bien captées… et l’on
n’avait de toute façon, que des bouts de choses jusqu’ici. Début d’une
série absolument capitale.
2. Winter, Schack, Gerl, Henneberg,
P. Wranitzky, Salieri, Haydn, Mozart
– « Zauberoper », airs d’opéras fin XVIIIe à sujets magiques –
Konstantin Krimmel, Hofkapelle München, Rüdiger Lotter (Alpha 2022) ♥♥♥
→ Encore un carton plein pour Krimmel. Un des plus passionnants (et
ardents !) récitals d’opéra de tous les temps. Voilà. (Et il y a
beaucoup d’autres compositeurs que « Mozart Haydn Salieri » dans cet
album).
→ Document passionnant regroupant des inédits de première qualité
(enfin un peu du génial Oberon de Pavel Vranický au disque !)
interprétés avec ardeur, et dits avec une saveur extraordinaire. (Je
vous recommande chaleureusement son récital de lieder Saga,
exceptionnel lui aussi.)
→ Par ailleurs une très belle voix, bien faite, qui ne cherche pas à
s’épaissir contre-productivement et conserve sa clarté malgré les
formants très intenses qui permettent à la voix de passer l’orchestre.
3. Campra – Le Destin du
Nouveau Siècle – Valiquette, Lefilliâtre, Vidal, Mauillon, Van Essen ;
La Tempest, Bismuth (CVS)
→ Campra, dans ce sujet purement allégorique où les sujets de la Guerre
et de la Paix expriment leurs émotions (!), peut s'en donner à cœur
joie et ne rien brider de son imagination musicale. Ébouriffant. (Et
quelle distribution, bon sang.)
4. Saint-Saëns – Phryné –
Valiquette, Dubois, Dolié ; Rouen, Niquet (Bru Zane 2022) ♥♥♥
→ Intrigue déjà utilisée par Don Pasquale, Das Liebesverbot, Die
schweigsame Frau…
→ Nous n'avions qu'une bande de la RTF mal faite, et c'est ici la
révélation, toutes ces saveurs dans tous les sens. Court et absolument
jubilatoire.
5. Ireland, Stanford,
Coleridge-Taylor, Clarke, Liszt – Sonates & autres pièces
pour piano – Tom Hicks (Divine Art 2022) ♥♥♥
→ Très beau corpus pianistique anglais… la Sonate d’Ireland manifeste
une grande ambition, postdebussyste (mais avec une forme thématique
plus charpentée), et regorge de séductions.
→ Et, divine surprise, la version de la Sonate de Liszt échappe
totalement à la virtuosité fulgurante qui m’exaspère d’ordinaire :
Hicks travaille véritablement l’harmonie (très claire, mais il crée
parfois des sortes d’appoggiature en laissant chevaucher la pédale), la
structure, le son n’est pas le plus brillant du marché, mais la
réalisation est l’une des plus éloquentes ! J’ai l’impression de
découvrir – enfin ! – l’intérêt que les mélomanes lui portent.
6. Eleanor Alberga – Concertos
pour violon 1 & 2 – Pearse, Bowes, BBC National Orchestra of Wales,
Swensen (Lyrita 2022) ♥♥♥
→ Compositrice. Noire. Toutes les raisons de ne pas être jouée… et à
présent toutes les raisons d’être réessayée. Vraiment dubitatif lors du
concerto pour violon n°2 qui ouvre le disque, assez plat. En revanche
le cycle de mélodies est marquant, et surtout l’incroyable premier
mouvement du Premier Concerto, dans un goût quelque part entre
Mantovani et Berg, de grandes masses orchestrales contrapuntiques
menaçantes, mais tonales et très polarisées. Assez fantastiquement
orchestré !
7. Pijper, (Louis) Andriessen, (Leo)
Smit, Loevendie, Wisse, Henkemans, Roukens – « Dutch Masters »,
œuvres pour piano à quatre mains – Jussen & Jussen (DGG 2022) ♥♥♥
→ Panorama très varié (du postromantique décadent étouffant de Pijper à
l’atonalité dodécaphonique avenante de Louis Andriessen en passant par
les debussysmes de Smit) de ce fonds musical incroyablement dense pour
un pays à la démographie aussi modeste. (Ma nation musicale chouchoute
d’Europe avec les Danois, je me fais très souvent des cycles consacrés
à l’un ou l’autre, avec un émerveillement récurrent.)
→ Pour finir, un étonnant concerto très syncrétique de Roukens,
manifestement inspiré à la fois par le jazz, varèse et la musique grand
public ! (et sans facilité, vraiment de la très bonne musique)
8. Maria Bach – Quintette
piano-cordes, Sonate violoncelle-piano, Suite
pour violoncelle seul – Hülshoff, Triendl (Hänssler 2022) ♥♥♥
→ Œuvres denses et avenantes à la fois, culminant dans cette Suite pour
violoncelle qui m’évoque Elias de Mendelssohn : on y sent sans
équivoque l’hommage à Bach, mais un idiome romantique plus souple et
expressif qui me séduit considérablement. Oliver Triendl fait des
infidélités à CPO et, de fait, les œuvres communes au disque CPO y sont
plus ardentes.
&
Maria Bach – Quintette
piano-cordes, Quintette à cordes, Sonate violoncelle-piano– (CPO 2022)
♥♥
→ Quintette à cordes de toute beauté, germanique mâtiné d’influences
françaises. Thèmes fokloriques russes très audibles.
9. Hans Sommer – Lieder
orchestraux – Mojca Erdmann, Vondung, Appl ; Radio Berlin (ex-Est),
(PentaTone 2022) ♥♥♥
→ Généreux postromantisme sur des textes célèbres, très bien orchestré
et chanté par des diseurs exceptionnels (Vondung, et surtout Appl).
Coup de cœur !
10. Schütz, Gagliano, Marini, Grandi &
Roland Wilson – Dafne –
Werneburg, Hunger, Poplutz ; La Capella Ducale, Musica Fiata, Roland
Wilson (CPO 2022) ♥♥♥
→ Si la reconstruction d’un opéra perdu peut paraître une pure
opération de communication – la preuve, je me suis jeté sur ce disque
alors même que je savais qu’il ne contenait pas une mesure de Dafne ! –, le projet de Roland
Wilson est en réalité particulièrement stimulant.
→ En effet, partant de l’hypothèse (débattue) qu’il s’agissait bel et
bien d’un opéra et pas d’une pièce de théâtre mêlée de numéros
musicaux, il récupère les récitatifs de la Dafne
de Gagliano (qui a pu servir de modèle), inclut des ritournelles de
Biagio Marini, un lamento d’Alessandro Grandi (ami de Schütz), et
surtout adapte des cantates sacrées de Schütz sur le livret allemand
qui, lui, nous est parvenu. (Wolfgang Mitterer a même fait un opéra
tout récent dessus…)
→ Le résultat est enthousiasmant, sans doute beaucoup plus, pensé-je,
que l’original : énormément de danses très entraînantes, orchestrées
avec générosité, un rapport durée / saillances infiniment plus
favorable que d’ordinaire dans ce répertoire (même dans les grands
Monteverdi…). Ce n’est donc probablement pas tout à fait cohérent avec
le contenu de l’original, mais je suis sensible à l’argument de Wilson
: c’est l’occasion d’entendre de la grande musique du temps que, sans
cela, nous n’aurions probablement jamais entendue ! (Et dans un
cadre dramatique cohérent, ajouté-je, ce qui ne gâche rien.) → Les deux
ténors sont remarquables, l’accompagnement très vivant, et surtout le
choix des pièces enthousiasmant !
10. Vladigerov – « Orchestral
Works 3 » – Chambre Bulgare, Radio Nationale Bulgare, Vladigerov
(Capriccio 2022) ♥♥♥
→ Remarquablement écrit tout cela ! Tonal et stable, mais riche,
plein de couleurs, de climat, de personnalité, et surtout un élan
permanent. Un grand compositeur très accessible et très méconnu.
→ Si le Poème juif se révèle l’héritier d’un postomantisme germanique
généreux et décadents, les Impressions de Lyutin sont marquées par
l’influence des motorismes soviétiques, tandis que le dernier des 6
Préludes Exotiques porte, lui, la marque éclatante du Ravel le plus
expansif ! Et à chaque fois, sans pâlir du tout devant ses
modèles, et non sans une personnalité réellement décelable.
→ D’autres choses sont moins marquantes, mais pas sans valeur, comme le
lyrisme filmique de l’Improvisation & Toccata, qui a quelque chose
de Max Steiner et Korngold…
→ Clairement le meilleur album de la série, trois disques de
merveilles.
11. Czerny, Sonate n°6 / Schubert, Sonate D.958 en ut mineur
– Aurelia Vişovan (Passacaille 2022) ♥♥♥
→ Encore un coup de maître d’Aurelia Vişovan… Première fois de ma vie
que je suis passionné par une sonate de Schubert (hors peut-être la
dernière). Quelle puissance rhétorique implacable, et sur un joli
blong-blong en sus !
→ Très belle sonate (en sept mouvements !) de Czerny également.
→ Découvrez absolument aussi son disque Hummel / Beethoven !
12. Noskowski – Quatuors n°1
& 2 – Four Strings Quartet (Acte Préalable 2022) ♥♥♥
→ Le 2 est un bijou de lyrisme intense, quoique pas du tout «
douloureux » comme le prétendent les indications de caractère des
mouvements, au contraire d’un élan lumineux remarquable !
13. Taneïev – Trio à cordes
Op.31, Quatuor piano-cordes Op.20 – Spectrum Concerts Berlin (Naxos
2022) ♥♥♥
→ Le Trio est rarement enregistré, petite merveille jouée avec des
cordes d’une intensité d’attaque, d’une résonance, d’une précision
d’intonation assez vertigineuses. Et le Quatuor, toujours aussi
puissamment inspiré dans ses élans mélodiques… Disque miraculeux.
14. Pachelbel – Les Fugues
Magnificat – Space Time Continuo (Analekta 2022) ♥♥♥
→ Oh, quelle merveille ! Des fugues distribuées à différents
ensembles : théorbe, orgue ou consort de violoncelles, parfois même au
sein de la même fugue. La matière en est très belle (cette Chaconne en
fa mineur !) et la réalisation suprême.
15. Charlotte Sohy – Œuvres
avec piano (dont mélodies) – Garnier, Nikolov, Phillips, Luzzati, Oneto
Bensaid, Kadouch, Vermeulin (La Boîte à Pépites 2022) ♥♥♥
→ Première publication de ce label qui a déjà fourni beaucoup de
matière en musique féminine de premier plan (cf. son calendrier de
l’Avent récent ou le festival Un Temps pour Elles qui lui est lié).
→ Ce volume contient des pièces pour piano, des mélodies (les très
belles Chansons de la Lande, qui ont clairement entendu Duparc), de la
musique de chambre, en particulier le miraculeux trio, dont le
traitement thématique est absolument fascinant. (Et quels artistes
possédés par leur sujet, dans le trio tout particulièrement !)
→ Les pièces pour piano m’ont paru moins essentielles, davantage
tournées vers le caractère, la décoration, le salon. À réécouter.
Mais il y a aussi :
¶ Ibert : Le Chevalier errant Messiaen : Chronochromie Jarre (Maurice) : Concertino
pour percussions et cordes Mihalovici : Symphonie n°2,
Toccata pour piano & orchestre Milhaud : L’Homme et son désir Roussel : Concert, Suite en fa,
Symphonie n°3 Honegger : Symphonie n°3 Debussy : Marche écossaise,
Berceuse héroïque, Faune, Nocturnes, La Mer, Jeux Ravel : Alborada, Oye
⇒ Radio de Baden-Baden, Hans Rosbaud (SWR Classic 2022) ♥♥♥
→ 4 CDs dans un son clair très réaliste et physique, avec une direction
acérée et tendue… Ibert extraverti, Messiaen totalement déhanché et
débridé, Honegger frénétique, Debussy tranchant… vraiment un concentré
de bonheur, de bout en bout… et avec quelques véritables raretés, comme
le remarquable Chevalier Errant d’Ibert, ou bien sûr Maurice Jarre et
les pièces de Mihalovici.
¶ Perosi – Quintettes
piano-cordes 1 & 2, Trio à cordes n°2 – « Roma Tre Orchestra
Ensemble » : Spinedi, Kawasaki, Rundo, Santisi, Bevilacqua (Naxos 2022)
♥♥♥
→ On a beau être mélomane de longue date, la vie peut toujours réserver
des surprises : en deux jours, moi qui trouvais le genre du Trio à
cordes assez peu fulgurant, je viens de découvrir les deux plus beaux
trios que j'aie entendus, et que je n'avais jamais écoutés !
Après Taneïev, voici Perosi n°2.
→ Le feu qui traverse cette œuvre est assez grisant, sans effets de
manche ni épanchements superficiels. (Les Quintettes sont très beaux
aussi, mais je les connaissais déjà.)
¶ Fauchard – Intégrale pour
orgue – orgue de Detmold, Flamme (CPO 2022)♥♥♥
→ Des aspects Vierne, mais aussi un grand nombre de citations de thèmes
liturgiques, en particulier dans la Symphonie Mariale que je trouve
particulièrement réussie, évocant les Pièces de Fantaisie de Vierne,
mais dans une perspective structurée comme un Symphonie de Widor.
→ La Symphonie Eucharistique est encore plus impressionnante en
développant davantage et ressassant moins. Quelques contrastes
incroyables (dans le II « Sacrifice » !).
→ De la grande musique pour orgue – si vous aimez les grandes machines
évidemment. (J’ai songé aux aplats enrichis du Job d’Eben en plus d’une
occurrence dans la Quatrième Symphonie, et c’est un beau compliment.)
¶ Bach (Suite n°1), Duport, Piatti, Battanchon, Hindemith
(Sonate n°3), Sollima (Sonate
1959), Casals, Rostropovitch, Matt
Bellamy – « Le Chant des Oiseaux » – Thibaut Reznicek (1001
Notes 2022) ♥♥♥
→ Programme puissamment original, qui parcourt des pans majeurs de
l’œuvre pour violoncelle seul, un Bach sublime mais aussi de
passionnants Battanchon et Hindemith, un touchant Sollima (cette
simplicité qui touche toujours juste, encore plus peut-être que dans
ses délectables Quatuors…). Et Reznicek en gloire, l’un des grands
violoncellistes d’aujourd’hui, doté d’un grain et d’une musicalité qui
ont peu d’équivalent sur la scène actuelle.
¶ Edelmann, Persuis, Gluck, Monsigny,
Grétry, J.-C. Bach, Dalayrac, Cherubini – « Rivales », scènes
d’opéra rares du XVIIIe – Gens, Piau, Le Concert de la Loge Olympique,
Chauvin (Alpha 2022)
→ J'ai vu le CD « Rivales », je me suis dit « oh non, encore un récital
téléphoné à base de joutes vocales fantasmées ». En réalité, recueil de
grandes scènes dramatiques françaises fin XVIIIe jamais enregistrées.
Et interprétation aux couleurs et inflexions extraordinaires !
→ Les figuralismes de l’abandon d’Ariane (rugissements de bêtes,
tempête maritime…) chez Edelmann sont absolument incroyables ; mais
aussi le grand récit de Démophoon de Cherubini, et évidemment «
Divinités du Styx » par Gens.
6. Nouveautés
discographiques : versions
Et bien sûr des choses moins neuves, mais dans des interprétations
miraculeuses.
¶ LULLY–
Acis & Galatée – Bré, Auvity, Crossley-Mercer, Tauran, Cachet,
Getchell, de Hys, Estèphe ; Chœur de Chambre de Namur, Les Talens
Lyriques, Rousset (Aparté 2022) ♥♥♥
→ Tout l’inverse du parti pris esthétique du Zoroastre paru la même
semaine : déluge de couleurs variées et de dictions affûtées (mention
particulièrement à Bénédicte Tauran, particulièrement charismatique).
Immense proposition de toute l’équipe.
¶ Purcell – Dido & Aeneas
– Les Argonautes, Jonas Descotte (Aparté 2022) ♥♥♥
→ Incroyable ! Purcell joué comme du LULLY. Voix fines et
expressives (à l’accent français plus délicieux qu’envahissant),
couleurs orchestrales magnifiques, et le tout dans une finition d’une
perfection absolue. Voilà qui rejoint d’emblée García Alarcón sur le
podium des versions les plus intenses de cette œuvre pourtant rebattue
!
→ Les danses, que j’ai toujours trouvées moins passionnantes que les
récitatifs (quelle surprise…) se révèlent ici absolument irrésistibles.
(Et les récitatifs restent fabuleux aussi.)
→ J’espère que cet ensemble ira loin, et fera la promotion du
répertoire français en complément d’autres bien en cour actuellement,
mais aux postures plus hédonistes (Les Surprises, Les Ambassadeurs font
de l’excellent travail, mais ce n’est pas l’esthétique qui fonctionne
le mieux dans ces musiques, à mon sens…).
¶ Voříšek, Mozart – Symphonie
en ré Op.23, Symphonie 38 – Gewandhaus O, Blomstedt (Accentus Music
2022) ♥♥♥
→ Contre toute attente, après des Brahms plutôt impavides et indolents,
un Mozart plein de vie et d’aspérité : certes tradi, mais un tradi
vibrillonnant, qui ne se contente jamais d’énoncer les formules mais
les accompagne et leur insuffle un feu permanent. Une des plus belles
versions que j’aie entendues, pour moi qui ai pourtant tendance à
privilégier le crincrin crissant et le pouêt-pouêt couaquant !
Une partie du plaisir provient aussi de l’exécution intégrale, avec les
reprises (18 minutes pour le premier movement, et 12 pour l’andante !),
ce qui permet de goûter pleinement les équilibres formels et les
trouvailles merveillleuses de notre (presque) vieux Mozart.
→ La Symphonie en ré de Voříšek est elle aussi extraordinairement
réalisée, Blomstedt mettant en valeur son très grand potentiel
dramatique, ses parentés avec Mozart dans la recherche harmonique, la
variété de ses climats (des contrastes impressionnants dans le
mouvement lent). Elle ne m’avait pas du tout autant frappé, et pour
cause, dans l’excellente version Goebel.
¶ Weber, Schubert, Schumann –
Lieder orchestrés, airs d’opéra (Alfonso und Estrella, Euryanthe…) –
Devieilhe, Fa, Degout ; Pygmalion, Pichon (HM 2022) ♥♥♥
→ Le projet ne m’enthousiasmait pas, mais le choix des œuvres (de très
beaux airs de baryton de Weber et Schubert, rarement gravés en récital)
et leur réalisation sur instruments anciens, débordant de couleurs et
de textures, est absolument superlative. Je suis resté sonné par
l’intensité de la réalisation – et Degout, qui n’est pas mon chouchou,
est en forme olympique !
→ Du même degré de réussite que l’album « Mozart inachevés » de
Pygmalion.
¶ Schumann – Quatuors
piano-cordes, Märchenerzählungen (version avec violon) – Dvořák PiaQ
(Supraphon 2022) ♥♥♥
→ Je découvre avec stupéfaction qu’il existe un autre quatuor
piano-cordes de Schumann… et qu’il vaut de surcroît son génial autre
! (Version formidable aussi.)
¶ Meyerbeer – Robert le Diable
– Morley, Edris, Darmanin, Osborn, Courjal ; Opéra de Bordeaux,
Minkowski ♥♥
→ Je reste toujours partagé sur cette œuvre : les actes impairs sont
des chefs-d’œuvre incommensurables, en particulier le III, mais les
actes pairs me paraissent réellement baisser en inspiration. Et
certaines tournures paraissent assez banales, on n’est pas au niveau de
finition des Huguenots, où chaque mesure sonne comme un événement
minutieusement étudié. Pour autant, grand ouvrage électrisant et
puissamment singulier, bien évidemment !
→ Comme on pouvait l’attendre, lecture très nerveuse et articulée.
Courjal, que je trouvais un peu ronronnant ces dernières années, est à
son sommet expressif, fascinant de voix et d’intentions. Bravo aussi à
Erin Morley qui parvient réellement à incarner un rôle où l’enjeu
dramatique, hors de son grand air du IV, paraît assez ténu par rapport
aux autres héroïnes meyerbeeriennes – avant tout un faire-valoir.
→ Très (favorablement) étonné de trouver ce chœur, qui bûcheronnait il
y a quinze ans, aussi glorieux – son à la fois fin mais dense, ni gros
chœur d’opéra, ni chœur baroque léger, vraiment idéal (seule la diction
est un peu floue, mais il est difficile de tout avoir dans ce domaine).
¶ Gluck, Rossini, Bellini, Donizetti,
Halévy, Berlioz, Gounod, Massenet, Saint-Saëns – « A Tribute to
Pauline Viardot » – Marina Viotti, Les Talens Lyriques, Christophe
Rousset (Aparté 2022) ♥♥♥
→ Voilà, pour une fois, un récital intelligent, qui tient les promesses
de son titre : le répertoire de Pauline Viardot, sur instruments
d’époque, par une voix exceptionnelle, d’une très belle patine mais
brillante, à la diction affûtée, à la projection manifestement aisée,
maîtrisant aussi bien la cantilène profonde que la déclamation
dramatique ou l’agilité la plus précise.
→ Orphée, La Juive, La Favorite, Les Troyens sont d’éclatantes
réussites, qui offrent à la fois une qualité supérieure de diction et
d’expression… mais aussi un accompagnement d’un caractère et d’une
singularité qui renouvellent véritablement l’écoute !
¶ Czerny – Nonette – Brooklyn
Theatre Salon Ensemble (Salon Music 2022) ♥♥♥
→ Une nouvelle version du Nonette ! Timbres moins parfaits que
chez le Consortium Classicum, mais la prise de son est encore plus
aérée et détaillée, beaucoup d’aspect qu’on a l’impression de mieux
découvrir. Pour l’un des plus hauts chefs-d’œuvre de Czerny.
¶ Brahms – Symphonie n°1, Concerto pour violon (S.-M. Degand, Le Cercle
de l'Harmonie, Rhorer) (NoMadMusic 2021) ♥♥♥
→ Fin de l'année 2021, passé inaperçu dans les bilans.
→ Formidables couleurs renouvelées, et dans le concerto, ce que tire
Degand de cordes en boyaux est tout simplement hallucinant d'aisance et
de musicalité. Versions majeures, et très différentes de ce qu’on peut
entendre ailleurs.
¶ Brahms – Les Symphonies –
Chambre du Danemark, Ádám Fischer (Naxos 2022) ♥♥♥
→ Dans le même goût que leurs Beethoven, avec une Héroïque
particulièrement marquante, un Brahms aux cordes non vibrées qui n’en
ressort pas (comme c’est en général le cas) rigidifié ou anémié :
Fischer s’empare de cette options en faisant tout claquer avec une
vivacité impressionnante… le plus admirable est que les mouvements
lents eux-mêmes en sortent particulièrement rehaussés, par le grain,
par la lisibilité structurelle, par la force des intensions.
→ Une très grande lecture, particulièrement marquante, qui renouvelle
radicalement l’approche de ces œuvres d’ordinaire beaucoup plus
pâteuses, et dont l’orchestration sort ici transfigurée. Je le mets
dans mon panthéon aux côtés de Manze (pour la couleur, les accents) et
Zehetmair (pour l’intelligence de l’articulation des cordes).
→ Bissé.
¶ Offenbach – Le Voyage dans
la Lune – Derhet, Lécroart ; ON Montpellier, Dumoussaud (Bru Zane 2022)
♥♥♥
→ Sur un schéma habituel (princesse enlevée par un prince mauvais
sujet), farci de rebondissements plein de fantaisie (fusée, terre
habitée, volcan), quelques pastiches identifiables (les enchères à la
chandelle de la Dame Blanche « Personne ne dit mot ? »), et plusieurs
moments assez marquants mélodiquement (le chœur de la neige), un bel
Offenbach ambitieux et puissamment original, dans le goût du Roi
Carotte ou de Barbe-Bleue.
¶ Dubois, d’Indy, Caplet –
Dixtuor, Chansons & Danses, Suite Persane – Polyphonia
Ensemble Berlin (Oehms 2022) ♥♥♥
→ Trois très belles œuvres, mais le disque vaut particulièrement pour
sa version des Chansons & Danses de d’Indy, d’une verdeur
exceptionnelle, complètement nasillarde et terroir – je n’imaginais pas
des musiciens allemands capables de se donner à fond là-dedans !
Indispensable version de premier plan de ce chef-d’œuvre.
¶ Sibelius – Symphonies 3 &
5, La Fille de Pohjola – Symphonique de Göteborg, Rouvali (Alpha 2022)
♥♥♥
→ Voilà une intégrale réalisée par un autre prodige finlandais, sur
beaucoup plus long terme qu’Oslo-Mäkelä, et qui apporte, cette fois,
une toute nouvelle perspective sur ces œuvres ! Captation
merveilleuse de surcroît.
→ Rouvali a la particularité de traiter les transitions non comme des
passages d’attente, mais comme si (et c’est le cas !) elles étaient le
cœur du propos. Il n’hésite pas à mettre en valeur les motifs
d’accompagnement et à les rendre thématiques (sans abîmer pour autant
l’équilibre général de la symphonie et les thèmes). On se retrouve donc
avec deux fois plus de thèmes (et de bonheur).
→ Sa Première était un bouleversement paradigmatique ; les autres
parutions m’avaient moins impressionné. Mais dans cette Troisième, au
premier mouvement très vif et élancé, au deuxième au contraire d’une
lenteur particulièrement inspirée (avant que tout ne s’emballe), on
sent à quel point, à nouveau, chaque équilibre, chaque progression est
pensée. Vraiment un témoignage de tout ce qu’un chef peu magnifier dans
une grande partition. → Tout simplement (et de loin) la meilleure
version que j’aie entendu de la Troisième (et j’ai écouté toutes les
intégrales discographiques de Sibelius).
→ La Cinquième est moins singulière, mais toujours remarquablement
articulée et captée (pas une version où l’appel de cor du final est
particulièrement majestueuse / exaltante, attention à ceux pour qui
c’est important).
¶ Sibelius – Symphonie n°7,
Suite de Pelléas, Suite de Kung Kristian II – Radio Finlandaise,
Nicholas Collon (Ondine 2022) ♥♥♥
→ Premier directeur musical non finlandais à la tête de la Radio, ce
n’est en tout cas pas une erreur de casting : une Septième pleine de
frémissements, de détails, de vie, de bout en bout, l’une des plus
abouties de celles (très nombreuses) qu’il m’ait été donné d’entendre.
¶ Langgaard – Symphonie n°1, «
Pastorale des falaises » – Berliner Philharmoniker, Sakari Oramo (Da
Capo 2022) ♥♥♥
→ Cette unique symphonie de Langgaard écrite dans le goût
postromantique généreux (sur les 16 de son catalogue) trouve ici une
lecture particulièrement limpide et animée… le résultat est d’un
souffle absolument irrésistible.
7. Découvertes de l'année
L'exploration des anniversaires
a bien sûr été l'occasion de beaucoup de belles découvertes (Ballard,
Schürmann, Baines… et bien sûr la vie absolument démente de Dupuy !).
De même pour l'Ukraine. Parmi
les belles rencontres inattendues, Semen Hulak-Artemovskiydont l'histoire m'a passionné, et Leo Ornstein,
pianiste exilé aux États-Unis dont le futurisme débridé me ravit
absolument (le disque de Janice Weber avec les Sonates 4 & 7, ou le
Quintette qu'elle a gravé avec le Quatuor Lydian, sont à couper le
souffle).
En lisant Pelléasau
piano, j'ai été frappé comme la foudre par l'hypocrisie de Debussy, se
moquant de la façon de Wagner d'écrire un opéra à partir de bouts de
motifs hystériques. Or, bien que les exégètes que j'ai lus aient
toujours paru relativiser les leitmotive
dans Pelléas,
en réalité le plus clair de l'opéra n'est bâti que sur ces motifs
(souvent des interludes ou des sections entiers !), peut-être encore
davantage que dans Tristan ou
le Ring…
Découverte qui m'a stupéfié, j'étais toujours passé à côté à l'écoute –
activité dont je ne suis pourtant pas suspect d'avoir été économe. Il y
aura des notules (et peut-être même une « conférence-concert ») sur le
sujet. Voyez déjà cette notule
générale et celle-ci, plus récente.
Autre grand choc, la découverte des concertos pour violon de Pierre Rode,
d'un style postclassique à la fois dramatique et d'une veine mélodique
incroyable (un peu dans l'esprit de Dupuy), que j'ai écoutés en boucle
pendant mes randonnées depuis le printemps dernier.
Une claque monumentale avec I Masnadieri de Verdi dans la version de
Gavazzeni à Rome en 1972 (Ligabue, G. Raimondi, Bruson, Christoff).
Je n'avais jamais été très touché par cet opéra encore un peu
formellement post-belcantiste, et dans des versions molles (Gardelli
notamment) distribuées totalement à rebours (Bergonzi en brigand sans
limites !). Réécoute avec cette version possédée, en relisant sa source
Die Räuber. J'en suis
sorti vraiment sonné… Les plot twists
surabondants et délirants (il y en a combien, une demi-douzaine rien
que dans la dernière scène ?), et la fin assez inattendue et
insoutenable, le désespoir qui baigne le tout – chaque personnage étant
persuadé de sa damnation et se débattant malgré tout en s'enfonçant
dans ses crimes et en choisissant mal la loyauté de ses serments –, la
recherche d'un sublime perverti, tout concourt au malaise exaltant.
Ces outrances sidérantes ont dû faire réagir sur le plan de la
bienséance, même pour un public habitué aux fantaisies romantiques
! Mais c’est aussi le terreau pour des scènes très contrastées
comme Verdi les aime – la prière apocalyptique du méchant ! Les
rôles sont eux aussi démesurés : l’épouse qui dérobe une épée et tient
en respect le méchant, le baryton totalement maléfique, le ténor
vociférant… j’en suis sorti assez secoué avec cet attelage plus grand
que nature.
→ Et alors, Gianni Raimondi, que je tenais pour une belle voix
(idéalement émise mais) un peu aimablement lisse, totalement hors de
lui, est hallucinant dans sa dernière scène.
Quelques opéras du romantisme allemand,
aussi, à commencer par Die
Räuberbraut de Ries
(dont je n'avais jamais rien trouvé saillant, et qui se révèle un
tempérament dramatique de premier ordre !) et Die Lorelei de Bruch (de très loin supérieure
en intensité à ses autres vocales comme Ulysse ou Arminius).
Enfin, les symphonies d'Alfvén dirigées par le compositeur,
tellement claires, mordantes et redevables au folklore, on ne
l'imaginerait pas du tout en écoutant les autres versions du commerce
(beaucoup plus vaporeuses et « atmosphériques »).
8. Cycles de l'année
Pour approfondir un sujet ou préparer une notule, j'ai tendance à
creuser un même sillon, d'où la poursuite de quelques cycles.
Cycle opéra suédois :
Je ne suis toujours pas inconditionnel de la Fête à Solhaug de Stenhammar (un rare Ibsen
mis en musique), mais son Tirfing
sur un sujet médiéval est absolument enthousiasmant, ces finals
tournoyants particulièrement généreux m'ont transporté ! On
trouve pas mal d'œuvres chez Sterling.
J'ai aussi profité de tout le fonds édité par BlueBell
: récitals d'artistes suédois qui chantent tout le répertoire… en
suédois. Mozart, Verdi, Wagner, R. Strauss, tout y passe… voix
phénoménales et saveur très particulière de cette langue (variété
vocalique et, par rapport à l'allemand, une fermeté qui n'exclut pas la
rondeur). Vous pouvez commencer par le volume consacré à Arne Tyrén,
vertigineux. Il faut après naviguer selon ses goûts, mais la quinzaine
d'albums vaut le détour, particulièrement pour les chanteurs moins
connus (qui chantent mieux…).
Cycle Segerstam Cycle Westerberg
(de pair avec ce cycle opéra suédois)
Cycle opéras français
post-1870 : Hérodiade de Massenet, Aben-Hamet de Dubois, Vercingétorix de Fourdrain, Lutetia d'Holmès, Ivan le Terrible
de Gunsbourg… évoquent tous à leur manière les tourments de la défaite
et la recherche du sublime malgré la déchéance et l'horreur. Il est
frappant de voir que le parallèle Romains-Germains est réalisé par
plusieurs de ces œuvres (Hérodiade, Vercingétorix, Lutetia), alors que
dans notre imaginaire contemporain la culture romaine (ne serait-ce que
par la distribution linguistique) s'oppose justement à celle du Nord de
l'Europe.
Cycle opéras de Théodore
Dubois
En train de déchiffrer au piano tous ceux que j'ai pu trouver : Le pain
bis, Xavière, Le Guzla de l'Émir, Aben-Hamet, Le Paradis perdu… Et je
m'émerveille à chaque fois de la facilité de lecture et de l'économie
de la pensée musicale, dispensant beaucoup de beautés, mais toujours à
la juste proportion, comme une épice vient relever un plat sans le
dénaturer.
Cycle Taneïev
Sa musique de chambre est extraordinaire, et les symphonies aussi. 45
disques écoutés, à peu près toutes les œuvres que j'ai pu trouver
couramment disponibles.
Cycle intégrale Verdi
Réécoute de tous les opéras de Verdi. Toujours source d'émerveillement
et de plaisir.
Cycle Oliver Triendl
Le grand pianiste défricheur (les concertos rares et la musique de
chambre interlope chez CPO, c'est très souvent lui !). En plus il joue
merveilleusement. J'ai suivi sa trace pour faire encore davantage de
belles découvertes !
Et quelques autres autour de compositeurs :
Cycle Dupuy
Cycle Czerny
Cycle Stenhammar
Cycle Pejačević
Cycle Juon
Cycle Miaskovski
Cycle Tchèques milieu XXe (Luboš Fišer et Jan Fischer !)
Cycle Sviridov
… ou même un cycle Civil War, pour retrouver la trace des thèmes les
plus célèbres utilisés dans la musique américaine. (Pas évident de
trouver de bons disques, beaucoup d'arrangements dégoûtants – j'ai dû
fouiller un peu.)
Si vous êtes curieux, une recherche en ctrl+F dans le fichier des écoutes et dans son archive vous permettront de retrouver les
disques et les commentaires.
9. Doudous
J'ai aussi réécouté certains de mes doudous personnels : les Variations « Prinz Eugen » de
Graener, Miles fortis de
Hamel, Raoul Barbe-Bleue
de Grétry, Ungdom og Galskab de
Dupuy, et j'ai découvert ou réécouté sans trête la musique de chambre
de compositeurs majeurs dans ce genre et trop méconnus : Krug,
Koessler, Schillings, Pejačević, Kabalevski, Taneïev, Howells…
J'espère que ce bilan vous aura donné des idées d'écoutes, ou que la
vidéo vous aura amusés. À défaut, sachez que je diffuse et commente mes écoutes en temps réel sur ce fichier.
À l'année prochaine, estimés lecteurs !
Ce billet, écrit à par DavidLeMarrec dans la catégorie Discourir a suscité :
Je m'apprête à prendre pour quelques jours congé de vous : je suis
obligé, afin d'éviter la publicité pharmaceutique des automates russes
et l'expression de l'absence de vie d'un troll récurrent ici, de ne pas
publier les commentaires tout de suite, mais ils seront lus avec
attention et joie (et obtiendront évidemment une réponse) dès mon
retour.
Pour les plus enragés / désœuvrés, je laisse ici un point d'étape sur
les écoutes discographiques de l'année déjà pour plus de moitié
écoulée. Cela permettra aussi de retrouver les références dans le
moteur de recherche du site, plutôt que de devoir jongler avec un
hébergeur extérieur (dont personne ne peut prévoir, au demeurant, la
persistance).
Avec la sélection « rechercher dans la page », vous pouvez grâce à
l'étiquetage retrouver les 79 écoutes du Cycle Ukraine, ainsi que toutes les
nouveautés discographiques
écoutées (il y en a 215). Vous pouvez aussi copier-coller les cœurs
pour retrouver spécifiquement les disques à trois cœurs (le mien est
large, il y a 176 disques concernés) ou à deux (319…).
Pour vous mettre en appétit, quelques disques ressentis à ♥♥♥, dont
vous retrouverez les commentaires ci-après.
A. Nouveautés
→ Cardoso, Messes par Simon Lloyd
→ Aumann, Musique de chambre par Letzbor
→ Campra, Le Destin du Nouveau Siècle par Bismuth
→ Schumann Quatuor piano-cordes en ut mineur par le Dvořák Piano Quartet
→ Offenbach, Le Voyage dans la Lune par Dumoussaud
→ Massenet, Mélodies orchestrales par Niquet
→ Saint-Saëns, Phryné par Niquet
→ Fauchard, Œuvres pour orgue, par Fiedhelm Flamme
→ Taneïev, chambre par Spectrum Concerts Berlin
→ Perosi, Trio à cordes n°2 par Roma Tre Orchestra
→ Marinuzzi, Palla de' Mozzi, Grazioli
→ Louis Andriessen, Smit, Pijper et piano à quatre mains du XXe
néerlandais par les Jussen
→ Vladigerov, Orchestral Works 3 par Vladigerov
→ Alberga, Concertos pour violon par Swensen
→ Solos de violoncelle par Thibaut Reznicek
B. Nouvelles versions
→ Haydn, Symphonies par le Basel Kammerorchester
→ Voříšek & Mozart 38 par Blomstedt
→ Beethoven, Symphonies par Le Concert des Nations
→ Schubert, Winterreise par Benjamin Appl
→ Ireland et Liszt, sonates par Tom Hicks
→ Brahms, Concerto pour violon par Degand & Rhorer
→ d'Indy, Chansons & Danses par le Polyphonia Ensemble Berlin
→ Debussy,
Pelléas & Mélisande par Les Siècles
→ Sibelius, Symphonie n°7 par Nicholas Collon
→ « Mirages » par Roderick Williams
C. Découvertes
personnelles
→ Rode, Concertos pour violon par Friedemann Eichhorn
→ Dupuy, Ungdom og Galskab par Schønwandt
→ Röntgen, Concerto pour violon en la mineur par Ragin Wenk-Wolf
→ Alfvén par Alfvén
→ Kienzl, Quatuors (et trio) par le Thomas Christian Ensemble
→ Kienzl, Der Evangelimann & Der Kuhreigen
→ R. Strauss, Alpensinfonie par Shipway
→ Ornstein, Sonates par Janice Weber
→ Wirén, Quatuors par le Wirén SQ
→ Maria Bach, musique de chambre par Hülshoff & Triendl (et aussi
le disque CPO)
→ Eben, Job par Titterington
→ Alberga, Quatuors
D. Doudous increvables
→ Grétry, Raoul BB
→ Stenhammar, quatuors par les Gotland SQ, Fresk SQ et Copenhagen SQ
→ Nielsen, Saul og David par Neeme Järvi
→ Verdi, Il Trovatore par Muti 2000
→ Pejačević, Quatuor avec piano et Quintette par Triendl & Sine
Nomine SQ
→ Saint-Saëns, Symphonie n°3 par Paul Paray
Cliquez ici pour ouvrir tous les commentaires sur les disques.
(nouveauté) (perplexité) Shawn Carter, Allen George, Beyoncé
Knowles, Fred McFarlane, Terius Nash, Adam Pigott, Freddie Ross,
Christopher Stewart, Ryan Tedder… – « Renaissance » – Beyoncé,
LREM Orchestra (Parkwood Entertainment Columbia 2022)
1. Queen Bey
J’ai toujours admiré la technicienne en Beyoncé, suraigu insolent,
clarté d’élocution, médium très bien tenu, énergie agogique, et bien
sûr – cela m’intéresse moins mais demeure indispensable pour atteindre
ce genre de célébrité – des qualités de danseuse impeccable et un
charisme de scène incontestable. En matière de technique de chant, il y
a beaucoup à observer dans ce phénomène hors normes, par opposition à
beaucoup d’ambitus limités ou de voix se reposant sur les bienfaits de
la postproduction. Pour autant, j’écoute peu souvent ses productions,
dans la mesure où je suis assez peu touché par les boîtes à rythme et
les propositions largement rythmiques, où texte, contrepoint ou effets
harmoniques sont peu centraux.
J’étais donc curieux de mesurer mon ressenti à l’écoute de ce nouvel
opus. Résultat mitigé.
La voix reste très intéressante, capable de se couler dans des
identités très différentes, avec une virtuosité intacte, depuis le
suraigu flûté jusqu’aux médiums soufflés, timbre tantôt limpide, tantôt
sombre et autoritaire… J’aime moins la retouche numérique permanente ;
Beyoncé n’a pas besoin d’AutoTune (le logiciel qui permet aux vedettes
sans talent de chanter juste), mais à entendre l'artificialité du
résultat, il doit y avoir cinq logiciels du genre qui tournent
simultanément pour retraiter la voix ! (Difficile de comprendre
les critiques qui louent abondamment la puissance de sa voix – je ne vois
pas trop comment s’en rendre compte dans ce contexte.)
La variété des influences et des productions intéresse également,
saluée par la critique (davantage de House ici, mais on garde toujours
la trame RnB et Soul non loin), clairement l’album échappe au syndrome
récurrent de ces parutions qui intéressent à la première piste et
finissent par écœurer à mi-disque, à force d’entendre exactement la
même jolie chose de piste en piste. (Vu le nombre de collaborateurs à
la composition, et qui changent de piste en piste – je n’ai pas cité
tout le monde ! –, c’est bien le moins, vous me direz.)
2. Imaginaire verbal
Ma réserve se fonde plutôt sur la partie textuelle. Je connais mal, je
le disais, le détail des œuvres de Beyoncé, mais en vérifiant dans ses
textes passés, si en effet la connotation sexuelle était bien sûr
présente (il s’agit en grande partie de musique calibrée pour les dance floors, autrement dit les
zones de chasse du petit vérin), elle n’était pas exploitée de la même
façon. Dans Lemonade (2016),
si l'on extrapole les allusions, on suggère des choses sur le tempo
d’actes sexuels, mais toujours relié à une histoire émotionnelle, à un
état de couple. Ça ne me pose pas de problème en soi – c’est une partie
de la vie de l’humanité, et il n’est pas illégitime que l’art s’en
empare (ce qu’il a toujours fait au demeurant, fût-ce de façon plus
allusive, ne serait-ce que l’obsession répandue pour la virginité).
Or, ici, l’accumulation du même stéréotype me met mal à l’aise.
Quasiment chaque chanson (même celles non indiquées comme « explicites
») évoque un acte sexuel dans un contexte identique : Monsieur est
invité à y aller plus fort, il est remercié de faire l’aumône de jeter
un regard avant de rentrer chez lui, Madame mentionne l’argent que ça
vaut, et se vante de ses sacs Dior.
Et cela crée une gêne chez moi. Pas parce que ce ne sont pas des
personnages positifs – on ne peut pas dire que la littérature mondiale
manque de contre-modèles, parfois érigés en modèles –, mais parce qu’il
s’agit d’un modèle unique qui est présenté ici sans recul. Et qui a des
implications – en tout cas du fait de la popularité de la chanteuse, et
de la réception critique sans aucune réserve.
Autant on pouvait rencontrer des éléments d’affirmation féminine ou
afro-descendante dans les albums précédents (mêlés, bien sûr, au même
type de production visant les discothèques), autant ici, cela se limite
à quelques « nigga » qui
attestent l’appartenance ethnico-sociale de la chanteuse à partir d’un
argot que seuls les noirs peuvent utiliser sans honte ; sans plus ample
ambition.
Tout l’imaginaire de l’album semble fusionner deux figures : la femme
vue par la pornographie (qui désire, quoi qu’elle en die, se faire
défoncer le plus fort possible) et la figure de la michetonneuse, pour qui l’argent
est la principale valeur sûre de l’érotisme. L’emblème de la chanson
mondiale crée ainsi, dans cet album, un portrait cohérent de femme
archétypale et désirable (elle explique très bien dans ses entretiens,
par ailleurs, comment son alter ego scénique,
Sasha Fierce, représente une sorte d’absolu, notamment en matière de
séduction) : cet idéal décrivant peu ou prou une pornstar rémunérée
aussi dans le privé.
extrait de Church Girl
[Chorus]
I'll drop it like a thottie, drop it like a thottie
I said now pop it like a thottie, pop it like a thottie (You bad)
Me say now drop it like a thottie, drop it like a thottie (You bad)
Church girls actin' loose, bad girls actin' snotty (You bad)
Let it go, girl (Let it go), let it out, girl (Let it out)
Twirl that ass like you came up out the South, girl (Ooh, ooh)
I said now drop it like a thottie, drop it like a thottie (You bad)
Bad girl actin' naughty, church girl, don't hurt nobody
[Post-Chorus]
You could be my daddy if you want to
You, you could be my daddy if you want to
You could get it tatted if you want to
You, you could get it tatted if you want to (She ain't tryna hurt
nobody)
Put your lighters in the sky, get this motherfucker litty
She gon' shake that ass and them pretty tig ol' bitties (Huh)
So get your racks up (Word), get your math up (Huh)
I'ma back it up (Uh), back it, back it up (Back it, back it up)
I'ma buss it, buss it, buss it, buss it, actin' up (Actin' up)
I see them grey sweats (Grey sweats), I see a blank check
extrait de Summer Renaissance
(Ooh)
Boy, you never have a chance
If you make my body talk, I'ma leave you in a trance
Got you walking with a limp, bet this body make you dance
Dance, dance, dance
[Chorus]
Ooh, it's so good, it's so good
It's so good, it's so good, it's so good
Ooh, it's so good, it's so good
It's so good, it's so good, it's so good
[Bridge]
Applause, a round of applause
Applause, a round of applause
Say I want, want, want, what I want, want, want
(I want, want, want what I want, want, want)
I want, want, want what I want, want, want
(I want, want, want what I want, want, want)
I want your touch, I want your feeling
(I want your touch, I want your feeling)
I want your love, I want your spirit
(I want your love, I want your spirit)
The more I want, the more I need it
(The more I want, the more I need it)
Need it
(Need it)
Versace, Bottega, Prada, Balenciaga
Vuitton, Dior, Givenchy, collect your points, Beyoncé
So elegant and raunchy, this haute couture I'm flaunting
This Telfar bag imported, Birkins, them shits in storage
I'm in my bag
[Outro]
Ah-ooh
Ah-ooh
Ah-ooh
extrait de Thique
[Bridge]
Boy, you crazy, body mean, back it up like limousine
You gotta make a fold out to fit a magazine, right
Girl, look at your body, right
Boy, take this in slow, don't let go
Tell me how bad you been wanting it
And hurry up, quick, 'fore the moment ends
I like what I hear, might be sleeping in
Screaming, "Beyoncé," chocolate ounces
Sit on that, bounce it, bounce it
[Chorus]
Ass getting thicker
Cash getting thicker
Cash getting larger
He thought he was loving me good, I told him "Go harder" (Baby, that's
that thick)
Thought she was killing that shit, I told her "Go harder" (That's that
thick)
Look at this alkaline wrist 'cause I got that water (Baby, that's that
thick)
Ass getting thicker (That's that thick)
Cash getting
Look at this shit
3. Implications
Contrairement à ce que l’on pourrait penser, ce n’est pas une réserve
morale de ma part (il faudrait être bien sot pour juger de la moralité
de personnages de fiction, et bien haut dans la hiérarchie épiscopale
pour décider des pratiques intimes licites), mais plutôt une inquiétude
sur les conséquences concrètes de cette fiction. J’ai pu constater de
première main et de façon récurrente, auprès d’adolescents (des cités
où le contrôle parental est plus lâche, mais aussi des beaux
quartiers), la puissance des représentations pornographiques et du
mythe de la michto. Je ne dis
pas du tout qu’il soit de la responsabilité de la chanteuse de vérifier
quelles sont les implications sociales de sa musique, évidemment ; en
revanche je perçois de possibles conséquences.
Comme la pornographie est désormais accessible partout – pire, si vos
parents n’ont pas Netflix ou que vous aimez du manga underground et que
vous allez chercher sur des sites de flux illégaux, vous en verrez sans
en avoir demandé –, la question n’est plus de se demander si vos
enfants ont vu de la pornographie, mais simplement s’ils en voient
plutôt à dix ans ou auparavant. Les médias ont beaucoup évoqué les
groupes d’entraide entre collégiens sur Snapchat à propos du
prolongement du harcèlement scolaire, mais ces endroits hors du
contrôle des adultes sont aussi les endroits où, pour s’amuser, pour
montrer qu’on est au courant, pour s’indigner, on poste des images
assez crues, pas toujours soigneusement sélectionnées – en effet la
pornographie gratuite contient beaucoup d’images volées et de vidéos
mettant en scène des personnes non consentantes, voire des mineurs ;
c’est même le modèle économique des plates-formes comme PornHub.
Or, beaucoup de parents refusent, par principe, par gêne ou par déni de
réalité, d’aborder ces sujets, si bien que la pornographie est devenue
une contre-culture dès des âges assez tendres (la proportion de jeunes
de 10 ans qui en ont vu est écrasante). Plus effrayant encore,
l’existence de ce modèle sous-jacent chez les jeunes incite les jeunes
qui n’en ont pas vu (jeunes filles surtout) à modeler leurs
comportements sur cette norme (vanter sa grosse bouche, faire des moues
évocatrices…).
De même, le mythe de la michetonneuse, popularisée par les thématiques
du rap – les femmes sont d’abord attirées par l’argent, elles ne vous
voient pas à votre juste valeur si vous n’êtes pas riche –, semble très
ancrée dans les croyances des adolescents.
Et c’est pourquoi je suis gêné : si même la musique considérée comme mainstream fait circuler sans
recul ces représentations, y a-t-il une possibilité pour la jeunesse de
savoir qu’il est possible de connaître des relations sentimentales qui
ne soient pas une lute de pouvoir implicite, de vivre des relations
sexuelles non violentes, de percevoir des représentations de la femme
non vénales ? Beyoncé se met quelquefois en scène dans ces
chansons et exprime qu’elle est en quelque sorte le Graal, le meilleur
coup possible… et le fait tout en demandant qu’on y aille fort, en se
félicitant de l’argent que cela vaut, en s’interrompant soudain pour
citer des marques de luxe. Je suis déçu qu’il n’y ait pas vraiment
d’autres messages, de points de vue variant de chanson en chanson.
Autant, musicalement, malgré l’aspect léché et calibré de la
production, la variété des ambiances sonores est immédiatement
sensible, autant l’imaginaire textuel paraît vraiment pauvre, voire
problématique – il s’agit clairement de chansons conçues pour danser en
boîte (voire pour s’agiter après la boîte), dont le propos m’a paru
singulièrement limité, et potentiellement néfaste.
La pochette, sur laquelle j’ai moins d’avis, rejoint assez cet esprit :
on glorifie un corps stéréotypé globalement impossible (taille de guêpe
à l’âge où l’on a eu des enfants, mais pourvue d'attributs sexuels
secondaires disproportionnés), et il s’agit manifestement de l’argument
de vente principal – c’est un bon coup car elle a le bon corps, et ça
prouve à quel point c’est une glorieuse chanteuse.
4. Échos musicaux
Tout cela rejoint aussi quelques réserves plus purement musicales : le
lien de la musique avec le texte est souvent ténu : pour un
couplet donné on entendra texte sur une ambiance globale, pas de mots
soulignés, on sent que tout cela a été écrit à quinze, chacun dans son
couloir. La pauvreté des refrains (plus ou moins des répétitions de
formules de gémissements) rend difficile de trouver le grand frisson où
un mot coïncide avec un effet sonore, nous touche par rapport à notre
expérience ou notre perception du monde.
J'y retrouve par ailleurs une mode qui m’agace, le chant gémissant (pas
du tout limité à la chanson suggestive, c’est vraiment une mode
esthétique très répandue), où j’ai toujours l’impression que les
chanteuses cherchent à me vendre de la viande plus ou
moins fraîche au lieu de me convaincre par leur timbre
ou leur expression reliée au texte. Ici, certes, gémissements
pleinement en contexte.
5. Généalogie du mauvais
modèle
Ce type de question sur les messages dangereux portés par la musique ne
sont pas neufs évidemment.
Philippe Quinault a été
disgracié et exilé parce qu’il était possible de lire un double sens
critique sur la possessivité de la Montespan dans le livret d’Isis de LULLY – on ne voit pas
comment cela aurait pu être le projet d’un poète de cour qui écrivait
des Prologues à la gloire explicite du souverain, mais la rumeur fut
telle qu’il fallut bien une réaction.
On n’a pas toujours pris au sérieux l’opéra – témoin l’incroyable absence de scandale devant Robert le Diable de Meyerbeer (livret de Scribe), où le héros est fils d’un
démon, et vole une relique sainte tout en culbutant une abbesse dannée
sur un autel consacré… (Et Meyerbeer & Scribe les empile, faisant
jouer le mauvais rôle aux catholiques dans Les Huguenots, critiquant
l'aristocratie dans Le Prophète
et l'Église dans L'Africaine…)
L'explication la plus probable demeure que personne ne se faisait
d'illusions sur la portée d'un opéra, par essence une fiction pas très
sérieuse.
On peut tout de même dénombrer quelques scandales : ainsi chez Verdi, accueil d’abord gêné de Stiffelio et de La Traviata, qui mettaient en scène
les désordres privés (et pour tout dire sexuels) de personnages de la
vie contemporaine (un pasteur et pire, une courtisane), avant le
triomphe de la seconde lors des reprises – en Angleterre, l’Église
anglicane avait recommandé aux fidèles de ne pas y assister, tandis que
la reine Victoria n’alla jamais au théâtre les soirs où la pièce était
donnée.
On se souvient aussi de Carmen
de Bizet, dont l’indécence du
sujet et des manières (la séduction purement animale, le désir dans les
basses classes et non plus l’habillage convenable des passions
aristocratiques) avait provoqué le rejet lors de la première.
Ou encore Thaïs de Massenet, d’après un roman d'Anatole
France tournant en dérision la foi, où il fallut non seulement
supprimer le ton critique, retirer certaines représentations païennes
(trop laudatives) ou diaboliques, et même changer le nom du
prédicateur, tant on craignait les épigrammes lancés du poulailler, où Paphnuce (devenu Athanaël) aurait
rimé avec prépuce.
Je vois aussi d’autres opéras qui ont moins été mis en accusation et
qui entrent plutôt dans la catégorie où je place cet album de Beyoncé. Don Giovanni est un cas intéressant
: le livret de Da Ponte dresse
le portrait d’un violeur vantard, d’un aristocrate lâche qui obtient
les faveurs des femmes par la force ou la ruse, sous la protection de
l’anonymat. Même sous la plume d’un homme peu tourné vers la morale
traditionnelle, le portrait n’est pas flatteur, et reste très proche de
ceux dressés par Molière puis Bertati (qui place la mort du
Commandeur en début d’ouvrage), appelant clairement la désapprobation.
Or, la musique de Mozart en
change totalement la perception : dès que Don Juan s’exprime, la
musique se pare de lumière (« Più fertile talento del mio non di dà »,
dans le trio d’éloignement d’Elvire, ou bien sûr « Vivan les femmine,
viva il buon vino »), si bien que le personnage attire toute la
lumière, devient admirable, presque exemplaire. Sans la musique de
Mozart, il n’est pas certain que cet abuseur sans aucune authenticité
eût jamais attiré l’intérêt des Romantiques, qui en font un étendard de
l’absolu (aimer toutes les femmes, suivre ses passions et sa quête
plutôt que Dieu, ce devient une forme d’allégorie du mouvement).
On pourrait aujourd’hui le voir avec le regard désapprobateur de
l’héroïsation de comportement destructeurs pour les individus et la
société – Don Juan ravage tout le contrat social d’Ancien Régime, qui
fait reposer (Molière l’explicite dans son Dom Juan) tout le système sur
l’exemplarité de ceux qui en sont à la tête, et qui n’ayant plus grande
justification militaire dans un pays unifié, doivent justifier leurs
privilèges par le modèle qu’ils donnent à voir.
De surcroît, même hors de ce contexte, il piétine le droit naturel de
tous ceux qu’il croise, valet contraint aux délits, femmes violées ou
abandonnées, maris déshonorés, rivaux ou gêneurs occis. On pourrait se
faire une cause féministe que de faire une lecture critique de la pièce
avant toute représentation de Don
Giovanni : sa matrice, qui était plutôt une représentation
critique de ce qui arrive aux mauvaises élites (« dormez sur vos
oreilles, bonnes gens, Dieu va réparer tout ça et plus vite que vous ne
croyez »), a été totalement renversée et semble célébrer
l’objectification des femmes. Mais l’opéra semble tellement adoré de
tous (non sans raison, musicalement comme dramaturgiquement !) qu’il a
échappé jusqu’ici à ce type de critiques.
Moins emblématique, et moins lié à la musique, je ressens davantage
cette gêne avec Jenůfa de
Janáček. L’intrigue est simple : Jenůfa est en couple avec un jeune
muguet un peu superficiel, son cousin Števa – il passe son temps à
boire, si bien qu’elle ne peut même pas lui révéler qu’elle est
enceinte de lui. Le demi-frère de Števa, Laca, est jaloux et, affirmant
que Števa n’aimerait jamais Jenůfa si ce n’était pour ces joues roses,
lui lacère le visage avec le couteau qu’il vient de faire aiguiser.
Quelques actes (et un nourrisson congelé) plus tard, tout est bien qui
finit bien : Števa a bien sûr quitté Jenůfa de dégoût, et Laca veut
bien de Jenůfa, qui a ainsi tout le loisir d’épouser son bourreau – le
livret et la musique présentent cela comme le triomphe de l’amour vrai.
Typiquement le genre d’intrigue où l’on est mal à l’aise sur la vision
du monde que les créateurs veulent nous amener à partager.
6. Apostilles
En vieillissant, bien que biberonné au « séparer le propos de la beauté
de l'œuvre », j'avoue apporter davantage d'attention aux comportements
antisociaux que valorisent certaines représentations. J'écoute quand
même du Wagner, bien sûr, mais je ne nommerais certes pas une rue à sa
gloire, à cause du mauvais exemple qu'il était en tant qu'humain – la
société de ses contemporains se serait vraisemblablement mieux portée
sans lui.
Et j'avoue être ainsi plus sensible les implications sur les
représentations et les comportements sociaux, surtout d'œuvres
destinées à toucher le plus grand nombre, et sans appareil critique
afférent – il suffit de voir que les questions que j'ai soulevées (insérer
métaphore à la mode) n'ont même pas été évoquées dans la
plupart des critiques de l'album Renaissance.
Surtout, autant l'opéra est destiné à une sorte d'élite culturelle
(pour faire simple, des vieux qui aiment lire), qui peut mettre tout
cela à distance – et si ce n'est pas le cas, les metteurs en scène s'en
chargent –, autant un album de RnB implique une identification plus
immédiate au contenu, par un public plus jeune… selon son degré de cool (ne dites plus swag, c'est très 2015), il peut
imprégner un sentiment d'appartenance commune, une partie des
représentations des mondes.
C'est pourquoi je m'alarmais plus tôt, davantage que pour les livrets à
base d'héroïnes perdues au milieu de mâles infâmes.
Et comme ce bavardage excède en longueur ce que je souhaite mettre dans
ma liste d'écoutes, je le glisse ici, sans prétendre
avoir fourni tout le contexte et toute la profondeur de champ que le
sujet mériterait. (J'en ai conscience.)
Ce billet, écrit à par DavidLeMarrec dans la catégorie Discourir a suscité :
Pourquoi l'on a besoin de
surtitres – feat. Birgit Nilsson.
(Cette notule contient beaucoup de liens qui explicitent les
allusions ou les notions que je ne peux pas toutes développer
sans alourdir le texte. N'hésitez pas à y faire un tour pour mieux
appréhender le propos, en particulier sur les aspects de technique
vocale.)
De retour d’une production extraordinaire d’Elektra de
Richard Strauss, je reste transi d'admiration devant le haut niveau,
superlatif, des interprètes – parvenant à demeurer audibles, dans un son très élégant,
par-dessus cet orchestre gigantesque, et dans tout le hangar à bateau
de Bastille. Cette chose n'a jamais été demandée, dans l'histoire de la
musique mondiale, à aucun interprète avant l'éclosion du drame
wagnérien – plus soucieux de littérature et de musique que de la beauté
du chant, ou même simplement de ses limites physiques – il y a cent
cinquante ans, et de la construction de gigantesques salles de concert
« démocratiques » dans les dernières années.
On ne peut que révérer l'accomplissement
physique, technique, artistique pour y parvenir d'une part, et le faire
suivre façon agréable à l'oreille (et tout en jouant la comédie !)
d'autre part.
Cependant, et cela ne vous surprendra pas, cela me donne avant envie de
discuter d'enjeux propres au théâtre lyrique.
[[]]
Début d'Elektra de
Richard Strauss,
Mitropoulos à Vienne en 1957.
Même avec les dictions de Borkh et surtout Della Casa, ce n'est pas si
évident…
et la situation ne s'est pas améliorée.
1. Le chant et
l'amplification
Alors que l'ensemble de la création mondiale a très rapidement pris le
tournant de l'amplification, une poignée de genres ont résisté.
Il est vrai que l'amplification
permise par l'électricité et l'électronique ne manque pas d'avantages :
elle permet d'être audible tout le temps dans tous les espaces.
∆ En plein air où la
voix, sauf murs de renvoi, se perd très vite au delà des premiers
mètres.
∆ Dans un milieu bruyant comme un café.
∆ Possibilité de faire de la chanson et plus
généralement de la musique dans les immenses Palais des Congrès
(opération beaucoup plus rentable pour les répertoires peu
subventionnés).
∆ Élargir le spectre de qui peut chanter en public,
même avec une petite voix.
∆ Rendre la méforme moins rédhibitoire pour les
professionnels.
∆ Permettre des inflexions vocales très fines, pour
un effet expressif maximum, qui n’est pas dilué par la distance.
∆ Ouvrir au maximum le champ des techniques vocales
possibles (souffle dans les cordes, larynx haut ou bas, résonance métallique ou non, etc.) tout en restant audible.
Alors que pour chanter efficacement en plein air / devant une grande
assemblée / dans une grande salle / avec un orchestre, la nature de la
technique utilisée est contrainte – et son efficacité nécessaire –, le
chant amplifié donne accès à une diversité
incroyable d’esthétiques.
Bien sûr, mon ressenti, pour moi qui ai été biberonné à la musique
acoustique depuis mes premiers émois musicaux, demeure toujours une
frustration de ne pas entendre le grain de la voix directement (ce
n’est clairement pas comparable, même avec le meilleur système de
restitution du monde), et même presque une déception de principe d’être
soumis à un truchement encore plus complexe et abstrait qu’une
mécanique de piano ou d’orgue.
Mais il reste incontestable que ces moyens nouveaux ouvrent
incroyablement le nombre d’esthétiques, de techniques, d’effets, de
lieux où l’on peut se produire.
2. Les contraintes du
chant lyrique
La grande caractéristique du chant lyrique est donc l’absence d’amplification.
Ce n’est pas la seule, et je m’en tiens ici aux techniques XIXe-XXe –
on a trop peu d’expérience directe sur les autres – et les attentes
n’étaient pas du tout comparables auparavant, en particulier au XVIIe
siècle. Dans le chant lyrique tel qu’on le pratique depuis 200 ans,
donc, on utilise un larynx bas, ce qui ne va pas m’intéresser dans le
cadre de cette notule, mais aussi la couverture vocale, qu’il nous
sera nécessaire de convoquer.
a) En refusant toute aide à la production sonore, le chant lyrique
suppose des techniques d’émission vocale particulièrement efficaces. Il
faut des résonances dans les
os de la face et les fosses nasales pour créer un réseau d’harmoniques
dense (ce qu’on appelle le formant du chanteur),
qui puisse être plus dense que celui d’un orchestre, pour demeurer
audible même quand beaucoup d’instruments jouent simultanément. Cela
suppose une forme d’alourdissement
du son, qui peut masquer une
partie de la pureté des voyelles d’origine, voire gommer les consonnes (dont la
richesse harmonique est moindre).
b) Parallèlement, pour ne pas se blesser en chantant des notes aiguës
émises à pleine voix, il est nécessaire d’accommoder un peu les voyelles
pour ne pas serrer la gorge (avec le [i] à la française, par exemple)
ou ne pas solliciter dangereusement les cordes vocales (avec le [a]
ouvert…). C’est ce que l’on appelle la couverture vocale,
qui a une histoire particulièrement riche depuis le XIXe siècle (et qui
a dû être pratiquée en amont, elle est assez instinctive chez certains
individus lorsqu’il faut s’exprimer fort en public), avec énormément de
déclinaisons et de débats sur lesquels je ne vais pas insister ici.
c) Par-dessus le marché, il faut rappeler que le chant lyrique, par
rapport à une très large part du répertoire amplifié (la chanson en
particulier), tend à explorer les franges
extrêmes de la voix, qui ont un impact spectaculaire, en
particulier dans l’aigu… mais qui s’éloignent des hauteurs habituelles de la voix
parlée.
d) Pour terminer cette liste (à laquelle on pourrait encore adjoindre
quelques entrées), depuis Wagner, les compositeurs ont de moins en
moins de pudeur à s’écarter de la
prosodie naturelle de la langue, avec des excès bien connus dans la musique du XXe siècle
(en particulier atonale, mais ce n’est pas intrinsèquement lié) : des intervalles
entre notes qui n’ont absolument plus rien à voir avec la prosodie de
la langue parlée, et qui rendent les mots et intonations expressives
absolument méconnaissables.
Tous ces processus vont concourir à un fait bien connu : les textes du chant lyrique sontplus difficiles à comprendre
que dans la plupart des musiques amplifiées. Avec un peu
d’entraînement, on y parvient, mais c’est rarement évident. Ce fait
cause, au demeurant, une part du rejet envers l’opéra chez la plupart
des honnêtes citoyens : soit on ne
comprend rien en première écoute (ce qui est inconcevable), soit
on reconnaît les mots et cette discordance
avec le français du quotidien apparaît si exorbitante qu’elle en
devient monstrueuse, insupportable – énormément de mélomanes, y compris
des mélomanes versés dans la musique classique, ressentent ceci. Le
dégoût s’apprivoise avec l’habitude, et en constatant que la musique
est réellement digne d’intérêt, on finit souvent par les convertir, y
compris au plaisir des émissions lyriques. Mais ce n’a rien d’une
évidence en tout cas.
(Je ne retrouve pas la notule où j'expliquais pourquoi il était
légitime de détester l'opéra – et comment éventuellement surmonter
cette juste répulsion –, mais il me semble bien l'avoir écrite…)
3. Surtitrage et état de
l’opéra
J’en viens donc à mon sujet. Je suis allé voir Elektra, je connaissais des
portions entières du livret par cœur, et pourtant je n’ai pas compris
un mot de ce qui a été chanté.
Et pendant ce temps, le surtitrage nous faisait l'exégèse de ce que
borborygmaient les grandes dames énervées sur le plateau.
Alors a germé cette question dans mon esprit : ne sommes-nous pas le
témoins d’un état de l’art quelque part profondément dysfonctionnel, si
nous allons voir du théâtre dont nous devons lire simultanément la transcription
pour en ressentir l’émotion ? La barrière de la langue est
présente, bien sûr, mais elle peut aussi être vectrice d’émotion si les
mots étrangers s’articulent audiblement au sens… Ce n’était pas le cas,
puisque aucun phonème n’était identifiable.
Est-ce que le surtitrage n’a pas, au fond, en fait de rendre plus
accessibles les opéras en langue étrangère, tout simplement entériné à
jamais le fait que le sens passait par le texte affiché, et plus guère
par les voix ?
En réalité, je sais moi-même que les torts sont plus partagés que cela,
et le surtitrage ne vient que poser la cerise sur le gâteau de
processus simultanés à l’œuvre depuis au moins 150 ans… Je vous propose
un petit tour du propriétaire ?
Mesdames et Messieurs, devant
vos yeux émerveillés, le fruit de quatre siècles d'évolution vocale.
4. Pourquoi ne
comprend-on plus rien à l’Opéra ?
Le surtitrage n'arrive en réalité qu'en fin de course de tout le
processus, comme pour ratifier le plus officiellement du monde un état
de fait pourtant problématique.
À l'origine, comme spécifié supra,
la nature même du chant lyrique, supposé surmonter les orchestres et
remplir des théâtres, a joué son rôle. Dès le début du XVIIIe siècle,
la nature du répertoire impose d'en rabattre sur la diction, qui ne
constitue plus qu'un aspect secondaire : contrairement à l'opéra du
XVIIe siècle, le seria n'est
pas simplement soutenu par une basse continue (plus grave que la voix
et donc aisée à surmonter pour une voix décemment formée, même peu
puissante), le chanteur y est accompagné par tout le petit orchestre, parfois en furie ; on
attend même, dans certains airs de bravoure, qu'il rivalise avec les instruments
! Quand c'est le violon, le hautbois ou les clavecins (« Vo' far
guerra »), passe encore, mais avec trompette, cor ou basson, il faut un
minimum d'éclat pour ne pas être ridicule.
Par ailleurs, l'esprit même de l'écriture seria implique une primauté à la voix pure,
à la virtuosité, aux syllabes étirées le plus longtemps possible en
coloratures – si bien qu'il faut souvent plusieurs prises de souffle
pour un seul mot. À cela, il faut ajouter la prédilection pour les voix aiguës
: à part les ténors qui sont de vieux pères abusifs et les basses des
personnages d'autorité au rôle secondaire, uniquement des sopranos et
des mezzo-sopranos (castrats de préférence, femmes sinon). Or,
l'émission lyrique des voix aiguës se fait en voix de tête,
dans un registre très éloigné de la voix parlée : l'aspect du timbre
change radicalement, mais la hauteur aussi, ce qui rend les phonèmes
moins identifiables. Effet aggravant, pour des raisons de physique
acoustique, les consonnes, toujours plus aiguës que les voyelles, sont
mécaniquement moins distinctes si la voix monte vers l'aigu.
Tous ces éléments tendent vers le même effet : pour obtenir une
émission vocale efficace, et considérant toutes ces contraintes
supplémentaires et cette évolution du goût du temps, il devait être
vraiment difficile de privilégier la diction claire. Il n'était pas
1700 (opéras de Legrenzi, Albinoni, dès le dernier quart du XVIIe
siècle…) que le ver était déjà dans le fruit.
Le XVIIIe siècle voit aussi, même si c’est encore marginalement,
l’érection de très vastes théâtres
(les 1400 places du San Carlo de Naples en 1737… et tout en hauteur !),
qui rendent encore plus indispensable une émission efficace. Or, le chant est toujours fondé sur une série
de compromis
: équilibre entre la projection, le timbre, la diction, le confort
(endurance) du chanteur… Si l’on place une tension maximale sur le
volume sonore, l’ambitus et l’agilité, il ne restera plus beaucoup de
place pour raffiner la diction.
Au fil du siècle, les orchestres
s’élargissent, et l’expression
dramatique
(que ce soit chez Mozart ou chez Gluck) prend un tour plus solennel et
plus éclatant, qui a là aussi beaucoup sollicité la puissance des
instruments.
Puis c’est le XIXe siècle, pas besoin de faire un dessin : on a
successivement le belcanto romantique,
où la longueur de souffle et la qualité du lié des notes prévaut sur
toute autre considération, et le
romantique à panache de Weber, Meyerbeer et Verdi, où l’éclat
vocal représente une composante non négociable. Dans le même temps, on
invente l’aigu de poitrine,
émis dans le même mécanisme que le centre de la voix, qui éloigne
encore plus de la parole quotidienne (et renforce la nécessité de la
couverture vocale). Wagner arrive, et nous plonge
dans un joyeux désordre… lignes de
chant
complètement défragmentées, avec de grands intervalles à l’intérieur
même des mots, assez éloignés de la langue « naturelle », et orchestre
tonitruant simultanément. L’enjeu premier est alors d’être entendu,
pour se fondre dans un grand tout musical – le chanteur a rarement,
passé les premiers ouvrages – jusqu’à Lohengrin –, la partie la plus
intéressante. On peut même en retirer l’impression persistante –
considérant son faible potentiel mélodique – que la voix n'est qu'une
partie instrumentale intermédiaire de l'orchestre, tolérée uniquement
dans le but de porter le texte.
Seulement, et là réside toute la beauté de la chose, transmettre le
texte est particulièrement périlleux avec ces prérequis de puissance,
de concurrence orchestrale et d'intervalles de vastes hauteurs entre
les syllabes.
Le XXe siècle accentue ces enjeux : le répertoire se diversifie, mais
pour les œuvres qui se voient comme ambitieuses, on retrouve (aussi
bien chez les postromantiques, les décadents, les atonals…) les mêmes
caractéristiques postwagnériennes, avec des orchestres encore plus sonores, des intervalles plus amples
et fantaisistes, et même une science de la composition pour la voix qui
se perd : clairement, au XXe siècle, beaucoup de compositeurs la
traitent comme une contingence,
en en repoussant les limites au gré de leur fantaisie comme s’il
s’agissait d’un instrument – or, contrairement à la facture
instrumentale, on ne peut pas réellement améliorer un corps vivant, en
tout cas pas au gré d’une évolution délibérée de quelques décennies, et
sa pratique intensive peut en détruire les qualités.
Ce n’est bien sûr pas général, et toute
une école simultanée,
qu’on présente moins dans les histoires de la musique, mais qui est
très importante (y compris dans les quelques pays qui ont poussé le
plus loin l’expérience atonale), a au contraire revendiqué un retour
presque archaïsant à la consonance, à la voix harmonieuse. Des figures
aussi disparates que Hahn, Rota, Damase, Orff, Floyd, toute une partie
du legs soviétique et bien sûr l’écrasante majorité des nations qui
n’ont jamais trop touché à l’atonalité (Parma en Slovénie, Hatze en
Croatie, Paliashvili en Géorgie, Cihanov au Tatarstan…) sont concernés.
Pour autant, dans les grandes maisons, les créations prestigieuses
accentuent plutôt cette déconnexion entre la musique et la voix, et
donc, pour les raisons déjà exposées, entre la voix et le texte.
5. Les derniers
effets du XXe siècle
Une des choses rarement évoquées, car difficilement quantifiable, est
la pression de la voix enregistrée
– y compris et peut-être d’abord par le cinéma – sur la façon de
chanter, et peut-être aussi les modes de vie plus urbains (où la voix
tamisée est plus valorisée que la voix sonore). Sur les effets de ne
plus recruter les chanteurs parmi les bergers (Tony Poncet) ou les
garagistes (Robert Massard) – mais parmi les titulaires de diplômes
universitaires en langues, littérature ou mathématiques –, sur les
incidences de nos modes de vie, sur l’influence de la parole
enregistrée et des micros envers l’art oratoire et la voix lyrique, voyez cette notule.
Clairement, si le modèle de timbre idéal est Humphrey Bogart ou Andrew
Clutterbuck, on va avoir des difficultés à se faire entendre en
conditions réelles.
Nous en arrivons au dernier clou dans le cercueil de l'intelligibilité
: l'apparition de la langue originale,
quel que soit le public destinataire, à l'Opéra. Je n'ai pas réussi à en comprendre totalement, malgré mes
lectures et mes questions aux hommes de l'art, la raison, mais à partir des années 60 s'impose
progressivement l'utilisation de la langue d'origine des ouvrages
représentés.
Les musiciens le défendent par le respect de la partition – dans
laquelle ils n'hésitent pas, le cas échéant, à pratiquer de larges
coupures –, mais on a rarement vu la vertu s'imposer d'elle-même pour
vendre des billets de théâtre. Jusque dans les années 90 au moins, on a
vécu les résistances farouches à l'arrivée des instruments d'époque et
aux modes de jeu sans vibrato
! Or je ne trouve pas trace d'un tel débat. Et pourtant, cela a
dû rendre incompréhensible toute une partie du répertoire !
Je me figure que le disque y
est pour quelque chose : il est devenu la référence écoutée par tous
les mélomanes, celle que l'on veut entendre ensuite en allant au
théâtre. C'est aussi le moment de l'internationalisation
des échanges, des recrutements : les grandes maisons veulent les
vedettes qui ont enregistré les disques, justement – et qui ne vont pas
réapprendre le rôle dans la langue de chaque pays qui les recrute. On
se souvient ainsi de cas assez exotiques, comme cette Carmen au Bolchoï
avec Arkhipova, où tout le monde chante en russe, langue vernaculaire –
sauf Del Monaco, invité pour l’occasion, et qui le chante en italien
! Plus étonnant encore, les soirées où Ghiaurov, en pleine
gloire, revenait chanter à l’Opéra de Sofia, tout le plateau chantait
Verdi en bulgare… mais lui, qui avait appris et pratiqué son Philippe
II en italien, continuait à le chanter comme sur les autres scènes
(alors qu’il aurait pu sans dommage l’apprendre ou le réapprendre en
bulgare, sans doute). On voit bien que le désir d’avoir la star chez
soi entraîne une nécessaire normalisation du répertoire, qui varie
moins d’une capitale à l’autre, d’une part, et d’autre part qui sera
chanté dans la même langue partout.
Un temps, le public a donc dû survivre en écoutant les œuvres chantées
dans des langues inconnues… et sans surtitres ! Je ne comprends
pas comment il n’y a pas eu d’émeutes dans les théâtres et
d'innombrables tribunes ulcérées dans les journaux. Imaginez si l’on
diffusait soudain, dans les cinémas, les Bergman en suédois sans
sous-titre – ou même les comédies sentimentales américaines. Il y
aurait beaucoup, beaucoup de mécontents.
6. L’arrivée et les
conséquences des surtitres
À partir de l'innovation de l'Elektra
de Toronto, en 1983, les surtitres se sont partout répandus
dans les institutions qui accueillent régulièrement de l'opéra, du
théâtre en langue étrangère, etc., jusqu'à être présents quasiment
partout depuis les années 2000. J'en ai déjà vu dans la cave de Nesles,
comportant une jauge de 20 personnes, pour quelque chose d'aussi peu
insolite qu'un Shakespeare en anglais !
Ce fut bien sûr une aide incroyable,
qui permettait à un plus vaste public de découvrir les œuvres en salle
sans en étudier d'abord le livret et sa traduction, assez en amont pour
en mémoriser les moments-clefs. On a salué, et à juste titre, le gain
en accessibilité, la possibilité pour tous de suivre – et même, pour
les plus chevronnés, de ne pas être limités par leur temps de
préparation ou leur mémoire dans leur compréhension de l'action et du
détail.
Formidable invention, donc.
Mais, à la lumière de cette Elektra parisienne
de 2022, où il était impossible d'identifier un mot (même en
connaissant précisément le texte allemand), ou pis, de cette Phryné
où les artistes, pourtant tous francophones et spécialistes acclamés de
l'opéra français, réputés pour beaucoup pour leur diction… se sont
révélés à moitié incompréhensibles en l'absence de surtitres ! On
suivait vaguement, mais beaucoup de détails étaient perdus.
Et tout cela nourrit cette question, terrible, que je n'ose formuler
qu'en tremblant : le surtitrage n'a-t-il pas rendu secondaire la maîtrise de la juste élocution ? Les effets conjugués du disque,
qui favorise les jolies patines (et discrédite les voix nasillardes,
mieux audibles, surtout pour du français, articulé très en avant de la
bouche et de la face), et du surtitrage,
qui supplée les dictions floues, n'ont-ils pas induit, dans
l'apprentissage comme dans la pratique, une mise au second plan du soin
de la diction ? Qui arrêtera un chanteur, au sein de répétitions
en temps limité, pour lui dire « ça ne va pas du tout, on ne te
comprend pas » – si le public peut malgré suivre l’action ?
N'est-ce pas alors, en fin de compte, un enjeu secondaire, qui permet
de laisser plus de place à la recherche du joli timbre phonogénique, à
la couleur sombre (mais opaque) qui permet de prétendre aux rôles
sérieux ?
On pourrait ajouter que, DVD aidant (bénéficiant, lui, de sous-titres),
on sera davantage tenté de retenir le paramètre du physique « crédible
» (quel horrible concept, mais je conserve le sujet pour une autre
élégie…), puisque, là aussi, la clarté de la phonation devient
redondante avec le texte qui défile sous les yeux du public.
Joan Sutherland, perfection
archétypale de la chanteuse pionnière des surtitres.
7. Nouveau paradigme
Je ne sais, à vrai dire, s’il faut se réjouir ou se désespérer de cette
évolution. Il faudrait en dérouler chaque aspect.
1) Les surtitres permettent de goûter la saveur de la langue originale, qui
est un plaisir en soi. Pour cela, il m’apparait plus pertinent de
recruter des locuteurs natifs plutôt que des chanteurs
occasionnels – même au Conservatoire Supérieur de Paris (CNSMDP),
l’état de l’italien chanté par les élèves (pourtant de très, très
grands artistes) est la plupart du temps assez épouvantable. Quoi qu’il
en soit, découvrir une langue par la musique est à la fois très
efficace, comme en atteste l’immense cohorte de ceux qui ont appris
l’anglais par les chansons, et particulièrement plaisant et stimulant,
instantanément utile car tout de suite relié au beau. C’est
ainsi pour ma part que j’ai abordé l’italien, l’allemand, le russe, le bokmål, le tchèque, et j’en conserve des souvenirs
particulièrement émus.
2) Corollaire : en chantant dans la langue originale, on respecte mieux la musique écrite
(et évidemment le poème d’origine). La famille Wagner avait rouspété
lorsque Victor Wilder avait altéré les rythmes des lignes chantées du Ring
– pour épouser au plus près sa très belle prosodie française (qui vaut
largement l’original). Ils préféraient Alfred Ernst, qui n’était pas en
vers et pas tout à fait aussi poétique, mais avait respecté avec un
scrupule absolu la musique écrite, tout en suivant de très près l’ordre
des mots et le sens de l’original allemand.
J’ai aussi vécu ce débat plus intimement, à propos du Rossignol de
Berg
(lien), lorsqu’en changeant à la marge quelques rythmes pour rendre la
ligne mélodique plus proche de l’accentuation française, le
pianiste-commanditaire me fit remarquer, embarrassé, que je rompais une
symétrie rythmique qui était peut-être (on en savait rien, elle n’était
pas totalement évidente, mais elle pouvait se deviner) voulue par le
compositeur. Après avoir contesté l’argument (puisque mon inclination
est de faire absolument primer le naturel de la parole sur le détail
musical), j’ai trouvé la réserve si sérieuse que j’ai totalement récrit
la partie centrale, en modifiant certes quelques rythmes, mais en
tâchant de respecter ces récurrences rythmiques.
Jouer dans la langue originale, c’est donc être davantage assuré de ne
pas dénaturer des beautés placées là par le compositeur, et qu’on
pourrait ne pas percevoir en redéployant la partition dans une autre
labngue. (Ce peuvent être tout simplement l’appui d’un mot sur tel
instant de la musique, voire comme chez Verdi l’accentuation expressive
hors de la prosodie naturelle, qu’on perd une fois traduit.)
3) Pour les œuvres en langue étrangère,
la question ne se pose donc pas : les
surtitres permettent d’inclure tout le public. Faut-il
représenter à tout prix les
œuvres en langue étrangère,
surtout pour les faire chanter par des non-locuteurs, je n’en suis pas
persuadé pour beaucoup de raisons liées au confort du public, à la
qualité du chant et de l’expression, à la saveur même de la langue,
mais ce serait l’objet d’une notule entière, sur un sujet déjà régulièrement abordé ici.
4) Le surtitre constitue aussi un confort
appréciable pour les œuvres en langue
française. Dans les œuvres les plus anciennes (tragédie en
musique), la moindre nécessité de la couverture vocale, de la puissance,
l’absence de concurrence de l’orchestre permettent de mieux percevoir
le détail du texte. Beaucoup sont également des spécialistes rompus à
l’exercice de la mise en valeur du texte, ou des chanteurs extérieurs
au sérail baroque mais recrutés sur leurs qualités de diction (Bernard
Richter…). Par ailleurs les auteurs de livrets prenaient soin
d’utiliser des formules toutes faites qui permettaient de rétablir le
sens de l’expression si jamais l’on ne comprenait pas un mot – Philippe
Quinault, le librettiste des premiers opéras de langue française, l’a
théorisé de façon très claire dans ses écrits.
Pour le répertoire plus tardif (hors opéras comiques, bouffes,
opérettes, où les dialogues parlés limitent les problèmes
d’intelligibilité, et où l’écriture vocale exige moins d’extrêmes de
l’instrument), romantique et XXe, la chose est beaucoup moins évidente,
même avec de très bons chanteurs. Pour une œuvre légère comme Phryné
et des francophones spécialistes de l’opéra français, ce n’était pas du
tout évident. À cela il faut ajouter la taille des salles, qui a
augmenté au fil des siècles. Du fond de Bastille, être audible est déjà
un exploit athlétique, alors être compris, cela tient du divin miracle
– et cependant cela advient quelquefois !
5) La certitude de la compréhension
du chant et de l’action ouvre ainsi une extraordinaire voie pour
explorer plus à loisir des œuvres
lourdement orchestrées, à la pensée
prosodique imparfaite,
ou tout simplement dont le propos peut paraître confus : le texte se
déroule simultanément sous les yeux du public. Bénédiction des dieux
que ce surtitrage, moment inestimable où les techniques permettent
d’amplifier l’émotion artistique et de magnifier la création
traditionnelle.
Et cependant…
6) Ainsi qu’on l’avait craint initialement, il est vrai que lever la
tête pour lire le texte peut créer une mise
à distance, une disjonction d’avec le spectacle (a fortiori lorsque la mise en scène
altère ou violente le livret). Il peut aussi exister une forme de paresse
à ne plus chercher à comprendre les langues, puisqu’elles sont toutes
traduites. Ce n’est plus du tout le même exercice exigeant que de
préparer son livret italien ou allemand en apprenant par cœur le texte
des airs, voire en étudiant pour l’occasion les idiomes concernés. (Ce
fut mon cas, l’enjeu d’accéder au sens des opéras fut le moteur
formidable – et primordial – de ma découverte des langues étrangères
que j’ai le plus pratiquées dans ma vie…)
C’est évidemment une préoccupation d’ordre réactionnaire : le progrès
modifie nécessairement nos comportements. Le train et la voiture
individuelle nous ont éloignés d’un abondant exercice physique
quotidien, les adaptations télévisées ont rendu presque superflue la
lecture des grands romans, etc. Rien n’empêche chacun de continuer à
faire cet effort, mais vouloir empêcher le changement de la société et
des arts est illusoire.
Pour autant, il est exact que le confort du surtitrage peut aller de
pair avec une certaine mollesse de
perception
: on suit vaguement ce qui est raconté, plutôt que d’entrer dans un
corps-à-corps (pas toujours vainqueur !) avec la langue. Mais qu’on ne
se méprenne pas : même sans surtitrage, une partie non négligeable du
public d’opéra vient pour les voix, la musique, les décors, pas
forcément pour le drame, et cela a toujours été. Chaque usage est
légitime de toute façon, tant que chacun y trouve sa satisfaction.
7) J’en reviens au point de départ de cette notule : cette sécurité des
surtitres nourrit sans doute une forme d’indifférence face à la qualité de la diction.
De même que Wagner délègue le sens et l’expression de ses drames à la
partie orchestrale, le contenu littéraire des opéras peut être vécu
comme dévolu aux surtitres,
rendant le soin des chanteurs (pourtant très apprécié du public
lorsqu’il s’agit de sa langue !) presque redondant. Ce n’est évidemment
pas la seule cause, on a déjà un peu devisé de ce qui avait pu changer
la donne (chanteurs étrangers qui chantent une autre langue devant un
public d’une troisième langue, recherche de voix patinées ou sombres
avec l’évolution des imaginaires, modes d’émission vocale changés par
la vie urbaine et le recrutement de profils plus « intellectuels »…),
mais le surtitrage rend le sujet moins urgent et moins prioritaire. Le
chanteur qui rencontre des difficultés pourra préférer l’émission
confortable, saine, belle, à la prononciation claire. Le recruteur
aussi pourra privilégier l’interprète qui dispose de la plus sonore, la
plus sombre, la plus agile (voire le meilleur comédien ou la plus belle
plante) et ne pas disqualifier ces chanteurs si leur diction est
mauvaise, en supposant que le surtitre y pourvoira le cas échéant.
Ce n’est donc pas tant un refus délibéré de travailler ce paramètre qu’une importance
désormais secondaire en matière
d’employabilité,
qui pousse moins les chanteurs à parfaire cet aspect par rapport aux
autres équilibres de leur voix, surtout s’ils rencontrent des
difficultés techniques à tout obtenir à la fois (aigus, puissance,
timbre, diction).
8) Le surtitrage, puisqu’on se repose sur lui, induit évidemment – à
l’instar de l’amplification sonore pour la comédie musicale – une dépendance
non négligeable. Il faut voir le dépit du public en cas de panne ! –
et, de fait, si l’on va voir un opéra de Janáček qu’on ne connaît pas,
chanté par des Britanniques dans Bastille, avec une mise en scène
transposée pendant l’Occupation, ce n’est pas gagné.
Le regret est aussi que, conditionnant une certaine conception des voix
– sans lui, la pression était forte, au moins dans la langue du pays
d’accueil, de proposer une réelle clarté –, alors que l’émotion la plus forte à l’Opéra
réside, pour moi (c’est loin d’être une généralité), dans les micro-inflexions du chant
qui créent un sens nouveau dans le texte. (Pourquoi croyez-vous que je
passe tout ce temps à collectionner inlassablement toutes les
propositions de Pelléas ?)
Le surtitrage nous éloigne de cette préoccupation, et en tout cas
n’élimine pas d’emblée ceux qui ne se conforment pas à cette attente
première – dommage pour moi – Joan Sutherland a vaincu.
9) Petite pensée supplémentaire : lorsque nous aurons épuisé la
dernière goutte de pétrole et fait imploser une ou deux centrales
nucléaires, que l’énergie devra
être parcimonieusement économisée…
l’opéra du futur se fera-t-il à nouveau sans surtitres ? Nous ne
serons certes pas les plus gênés… si l’électricité est rationnée, le
rock et même le musical (du
moins devant vaste public) ont des cheveux à se faire.
8. Envoi
Essayer de débrouiller mes pensées à ce sujet, pour une simple remarque
(« tiens, j’aime beaucoup ce que font ces dames wagnéro-straussiennes,
et pourtant je ne comprends rien ») m’aura pris quelques semaines de
décantation, à zig-zaguer entre mon day
job adoré, mes promenades botaniques, ornithologiques ou
patrimoniales, ma contribution au festival Un Temps pour Elles
(écrire quelques programmes, recruter du public, contribuer
marginalement à la logistique) et les commentaires de disques et de spectacles que j’ai tâché de poursuivre
scrupuleusement.
Je reprendrai prochainement à un meilleur rythme. Au programme, sans
doute la suite du cycle ukrainien. Je vois que nous nous lassons tous à
la longue de ce malheur, chaque jour renouvelé à l'identique, et
j’aurai ainsi l’impression dérisoire de faire ma part – d’autant que la
matière-première est déjà collectée et notée, essentiellement de la
rédaction et de la mise en forme.
Puissiez-vous zig-zaguer (victorieusement) à votre tour entre les
dangers du monde moderne, virus à gain de fonction, opérations
spéciales de maintien de la paix et de dégustation de sfogliatelle-de-la-victoire à la
pistache antinazie, burkinis sauvages des calanques…
Bonne lecture et bonne survie !
Ce billet, écrit à par DavidLeMarrec dans la catégorie Discourir a suscité :
(Pour ceux de Barenboim, c'est plus facile : il est méchant aussi mais ils sont mauvais.)
Ces disques qui ne
passent pas
L'idée de cette notule a germé pendant les derniers mois, tandis que je
m'interrogeais sur la légitimité d'écouter, puis de commenter le
dernier disque de Robert King. (Il n'y a donc pas de lien avec ma réception de la Commission Sauvé, même si
l'abondance de réflexions sur le sujet ces temps-ci peut nourrir la
réflexion de l'un et l'autre sujet.)
J'en avais rendu compte comme ceci dans la dernière livraison des
nouveautés discographiques :
→ Pour autant, je ne suis pas
trop certain de vouloir vous encourager à financer le label autoproduit
d'unabuseur
d'enfants. J'ai longuement hésité avant d'écouter moi-même ce
disque, alors que j'ai toujours énormément aimé le travail artistique
de R. King. La séparation entre l'homme et l'œuvre me paraît
problématique lorsque l'homme est vivant et en activité : on promeut le
talent au-dessus d'être un humain décent, on excuse la destruction de
vies au nom de ses qualités pour nous divertir, on remet
potentiellement l'agresseur en position de prestige, d'autorité et de
récidive. Bref : c'est un bon disque, mais si vous voulez l'écouter
volez-le s'il vous plaît.)
→ [Tenez, je commettrai sans doute un jour une notule où je partagerai
mon sentiment d'homme blet sur cette affaire de séparation de l'homme
et de l'œuvre, sous un angle différent de la traditionnelle opposition
« il est méchant il faut détruire son œuvre » / « il est bon dans
son domaine c'est tout ce qui m'intéresse ». Mon opinion a grandement
évolué sur le sujet depuis ma naïve jeunesse, et je me pose quelques
questions sur nos réflexes mentaux en la matière, que je partagerai à
l'occasion.]
Ce furent quelques mots pour transmettre ma gêne, mais le sujet mérite
de poser nos bagages quelques instant, d'autant que je m'interroge
beaucoup sur la pertinence des réponses toutes faites qui circulent le
plus communément.
En tant qu'êtres vivants, nous jugeons sans cesse nos semblables.
Mécanisme de survie, qui permet d'apprécier les dangers, de réguler la
qualité de la communauté, etc. Les bonnes personnes essaient de ne pas
laisser cette tendance l'emporter, mais la classification de nos
relations proches ou lointaines est spontanée et plus ou moins
inévitable. (On peut bien sûr la policer, rendre le processus
conscient, ne pas l'étaler à haute voix, et avoir à cœur de ne pas la
laisser dominer nos interactions. Le réflexe reste là.)
Pourtant, en matière d'art, la doctrine (depuis Contre Sainte-Beuve au moins ?)
apprise dans les écoles est qu'il faut séparer l'homme de l'œuvre,
apprécier l'œuvre d'art en tant que telle, et ne pas s'arrêter aux
imperfections de l'humain, dont la médiocrité en tant que personne est
dépassée par son propre génie artistique.
J'ai, un peu comme tout le monde, appliqué assez consciencieusement ce
conseil, cette norme : à quoi bon se gâcher Wagner en pensant à quel
point il fut un mauvais ami (trahissant avec un systématisme glaçant
ceux qui lui étaient les plus proches et dévoués), un mauvais humain
(flétrissant ceux qui lui avaient mis le pied à l'étrier, tel
Meyerbeer) – sans même mentionner l'homme politique sédicieux et le
pamphlétaire raciste. On écoute sa musique, on admire cette pensée
neuve du discours musical, et on s'en tient là. On ne vient pas pour
s'édifier moralement quand on écoute une suite de notes.
Mais les hommes sont
vivants (et agissants)
Le problème se révèle plus brûlant lorsque l'artiste est en vie.
Certes, on peut ne s'intéresser qu'à ce qu'il produit en tant
qu'artiste, mais lorsqu'il malmène ses musiciens – voyez ces exemples
détaillés sur le harcèlement au travail par Barenboim et son
ridicule culte de la personnalité en tant que chef pourtant de
seconde zone –, le public doit-il détourner le regard ?
[Je ne vais pas évoquer ici les allégations de délits ou crimes non
réglés en justice, sur lesquelles il est impossible pour le public
d'avoir un avis (je ne sais pas ce qu'il faut faire pour Dutoit ou
Domingo, par exemple, s'il faut considérer qu'il est probable, devant
la multiplicité de témoignages, qu'ils aient été coupables, et le leur
faire sentir… ou à l'inverse refuser de se mêler de ce qu'on ne sait
pas et leur accorder nos suffrages jusqu'à preuve du contraire…) – la
problématique est alors la même que pour tous les délits / crimes,
l'équilibre impossible entre présomption d'innocence pour le procès,
délais de justice et traitement social du problème (on ne peut pas à la
fois protéger la présomption d'innocence de potentiels agresseurs et
soutenir les victimes efficacement, il y a donc un moment où
l'entourage social prend une décision sur le traitement de la question,
avant la justice, et cela varie selon les cas, sans justification
particulière). Je ne m'attarde donc pas sur cette question, profonde et
pas du tout spécifiquement liée à la musique. Je n'ai pas de solution
de toute façon, je me sens toujours assez impuissant en tant que public
qui n'a pas accès au dossier et ne peut donc déterminer l'attitude
juste à tenir.]
En revanche, il existe des attitudes attestées (Barenboim ci-dessus),
par suffisamment de témoins sans malice, ou documentées en vidéo (les
crises d'autorité de Toscanini ou Celibidache…), et expliquées par les
concernés comme leur « tempérament » naturel, pour qu'on puisse
se figurer que cela est vrai, sans qu'il s'agisse nécessairement de
comportement délictueux. J'ai ainsi vu s'accumuler des témoignages sur
les violences
verbales de Gardiner et Christie (il y a même eu de multiples autres
allusions pour le second, sans que personne ne les formule jamais
explicitement, si bien que je n'ai jamais trop su quelle était la
qualification exacte de ce qu'on lui reprochait) : une tendance, en
répétition, à critiquer avec une grande dureté les musiciens et
chanteurs, jusqu'à l'humiliation. Et comme leurs orchestres ne sont pas
permanents, mais à
géométrie variable, recrutant des intermittents à la tâche, les musiciens n'ont pas
intérêt à se dresser contre eux, sans quoi ils n'auront plus
d'engagements.
Le problème est que n'assistant pas aux événements, il est difficile de
se rendre compte de ce qui relève du mauvais caractère / de l'attitude
de roitelet prétentieux et ce qui devrait entraîner le public à faire
pression – laquelle, d'ailleurs ? Le boycott pénalise d'abord les
musiciens précaires qui ont besoin de ces concerts pour vivre, et n'est
pas forcément très efficace vu la notoriété de ces personnes (bien plus
puissante pour l'industrie que les réserves sur leur personnalité).
Robert King, le cas
d'école
Mais il en va autrement pour Robert King, un des meilleurs chefs
d'ensemble baroque, condamné à plusieurs années de prison pour avoir abusé sexuellement d'enfants qu'il formait dans sa
maîtrise. Ici, l'on sait. Et il ne s'agit pas de mouvements
d'humeur qu'on peut apprécier diversement selon les opinions –
Toscanini était-il folklorique ou prétentieux, un tempéramentméditerranéen ou un harceleur au
travail ? Pour Robert King, on parle de crimes, documentés et
punis par la justice.
Je suppose (j'ose espérer) qu'aucune maîtrise ne remettra les pieds
dans ses concerts, et qu'il ne vivra pas de revenus d'enseignant.
Toujours est-il qu'il republie des disques, très bons d'ailleurs. Il a
été viré d'Hyperion suite à son procès, mais il a fondé son propre
label et donne des concerts.
Alors, que faut-il faire ? Considérer que l'artiste est au-dessus
de l'homme, et promouvoir son talent, finalement plus important pour
l'histoire de l'humanité que ses crimes ? J'avoue être gêné par
cette position, j'y reviens plus loin.
Robert King est un cas emblématique, à cause des faits impardonnables
et du jugement définitif. Mais il n'est qu'interprète :
intellectuellement, on peut se passer de lui. Maintenant, imaginons un
compositeur dans un cas semblable : peut-on se priver de sa musique
? (Saint-Saëns et ses « éphèbes » – des adolescents –
d'Algérie…) Peut-être, lorsqu'il est mort depuis longtemps,
n'est-il pas nécessaire d'en arriver là – sans perdre la mémoire de ce
qu'ils ont été.
Pour les vivants, je suis vraiment gêné de contribuer au rayonnement de
personnalités toxiques, qui ont fait souffrir et continueront à faire
souffrir : place-t-on réellement en premier le fait de produire de
jolis sons et en second la souffrance de leurs victimes ? Ce
n'est pas toujours un choix facile, mais pour ma part, je tends à
boycotter ou du moins (vu que ma tendance à être bavard en ligne a fini
par me donner la possibilité d'être entendu) à mentionner à chaque
occasion les problèmes liés à leur personnalité – à l'Orchestre de
Paris, Messieurs Philippe Aïche, Jérôme Rouillard, André Cazalet ne
sont pas de bonnes personnes (abusant de leur pouvoir, orgueilleux et
lâches, en plus de ne pas être de grands musiciens et pédagogues…),
aussi je me fais un devoir de le souligner lorsque je dis du bien de
l'Orchestre de Paris, pour qu'ils ne puissent pas croire que les soirs
où ils jouent bien de la musique les dispensent d'être honnêtes et
respectueux.
Par ailleurs, le prestige et l'autorité morale rendent des
personnalités toxiques (ces gens n'ont quasiment rien fait d'illégal,
mais vu leur comportement, je ne doute pas qu'ils ne soient pas des
cadeaux à fréquenter) d'autant plus puissantes, et c'est pourquoi taire
les problèmes peut favoriser (dans des cas plus graves qu'ici – pour le
harcèlement moral ou sexuel par exemple) l'emprise sur de potentielles
victimes. Le formuler, sans même aller plus loin, met le projecteur sur
le comportement déviant, laisse percevoir que le public regarde et
qu'on pourra croire une victime.
Traiter les morts
Pour les morts depuis longtemps, le cas paraît moins pressant. Et
pourtant, n'inspirent-ils pas les vivants ?
À ce titre, ériger des statues à des hommes me paraît toujours
périlleux : une statue à Wagner ou Saint-Saëns, est-ce bien nécessaire
? On peut admirer et jouer leur musique, mais de là à célébrer
leur personne dans leur entièreté ?
De surcroît, on touche là à ce qu'on pourrait appeler le syndrome d'Érostrate : pour ces
grands compositeurs, la postérité est supérieure à toutes les
récompenses. Notre tendance à les célébrer avant tout comme musiciens
ne les incite pas à être de bons êtres humains de leur vivant,
puisqu'ils savent qu'ils peuvent obtenir la récompense suprême sans se
donner la peine d'être de bonnes personnes. Il suffit qu'ils atteignent
la célébrité, et ils auront gagné, quelle que soit par ailleurs leur
valeur (minuscule) en tant qu'humains.
Je ne suis pas du tout favorable à détruire leurs œuvres (pour les
sciences, on serait bien embarrassé si l'on faisait ainsi !), mais
éviter de célébrer leur personne, de favoriser le culte de la
personnalitén paraît une disposition raisonnable. Admettons que Wagner
soit un peu le pendant de Lord Vader, très
méchant mais très stylé
; pour autant, franchement, les nains de jardin sont rigolos, mais
qu'est-ce que cela dit de notre engeance humaine, si nous en sommes à
admirer ce type d'homme ?
Un enjeu de civilisation
Comment avons-nous pu
permettre que des femmes se baignent trop couvertes sur nos plages ?
Plus profondément, tandis que l'âge qui me glace m'accable
progressivement de son pesant fardeau, je me demande si nous ne faisons
tout simplement pas erreur dans notre enseignement de l'histoire du
monde. Sont-ce vraiment les rois et les généraux qui ont fait
l'essentiel de notre civilisation ? Doit-on vraiment enseigner en
premier qui a agrandi la frontière ? Le modèle absolu doit-il
être d'atteindre une notoriété pour son génie individuel, ou d'être
utile à la société en étant secourable à son voisin ?
C'est là une question plus personnelle, évidemment. À mon échelle,
j'avoue être presque vexé lorsque je sens qu'une admiration se réduit à
mes domaines de compétence, alors que je donne tout pour un « vous êtes
gentil ». Ce me semble une
valeur sous-estimée dans notre conception du monde. Je ne sais si la
chose est lié eà la structure de notre espèce ou à la construction de
nos sociétés, et je ne suis pas sûr qu'on puisse y changer grand'chose
– j'ai, moi aussi, malgré la notule verbeuse que je viens de commettre,
spontanément envie de lire la biographie des généraux, des savants et
des compositeurs avant celle des philantropes –, mais sous ses aspects
niais, j'ai l'impression qu'il y a là véritablement un impensé dans
beaucoup de nos civilisations humaines. On prétend qu'il faut être bon
et gentil, mais ce n'est pas ce que la société rétribue réellement. On
a davantage intérêt à être compétent et talentueux, à la vérité, quitte
à être sans foi ni loi.
Même sans atteindre cette position radicale à l'aune de nos habitudes,
la question d'écouter ou pas, de commenter ou pas, de désapprouver
publiquement ou pas le travail d'un artiste dont les actes sont
problématiques mérite d'être ouvertement posée. Le réflexe de
séparation entre l'homme et l'œuvre, qui se justifie pour ne pas
cancelculturer toutes les productions de l'humanité, a son sens pour le
patrimoine (il est déjà là et ses auteurs ne peuvent plus nuire), mais
la façon de le présenter mériterait sans doute réflexion. Pour les
artistes vivants, il y a même potentiellement une intervention légitime
à attendre du mélomane.
Que feriez-vous pour Robert King ? Pour Daniel Barenboim ?
Pour Richard Wagner ? Pour Camille Saint-Saëns ?
Je suis très curieux de vos lumières, si d'aventure vous en avez à tous
les étages, estimés lecteurs.
Je n'ai fait que poser des questions, au fond. (Et témoigner de
l'évolution de mon ressenti d'homme blet.)
--
Ite missa est
Pardon de m'écarter de la ligne éditoriale « découverte » qui est
coutumière ici, mais le sujet me paraît important, et d'autant plus
alors que les sources d'information ne permettent plus désormais de
méconnaître ce qu'on voudrait ignorer, et que l'opposition entre «
l'œuvre seule compte » et « interdisons les œuvres de gens méchants »
fait rage d'une façon pas toujours constructive. (Frappé notamment
d'avoir assisté à l'interruption d'une représentation d'Euripide,
jugée raciste sur des critères d'un philistinisme assez spectaculaire.
Mais aussi des réactions du type « on s'en moque, il dirige bien », qui
me paraissent occulter des enjeux un peu plus importants que,
précisément, bien diriger.)
C'est donc une question à laquelle tout auditeur, et a fortiori tout spectateur, sera
confronté. Autant l'aborder un jour.
Portez-vous bien, estimés lecteurs, en attendant qu'une nouvelle
livraison davantage musicale comble de plus hautes aspirations !
Ce billet, écrit à par DavidLeMarrec dans la catégorie Discourir a suscité :
Comme pour les précédents épisodes : petit tour des nouveautés que j'ai
écoutées – et j'en profite pour partager les autres disques entendus
durant cette période, parce qu'il n'y a pas que le neuf qui vaille la
peine.
Un mois et demi (de calme été, en plus) s'est seulement écoulé, mais la
somme accumulée est à nouveau assez considérable – alors même que j'ai
passé beaucoup plus de temps au concert, et pas encore écouté bon nombre de
nouveautés… que de disques à parcourir ! Je vous fais la visite ?
Parmi les trouvailles de la période, vous rencontrerez des versions
extraordinaires d'œuvres déjà connues : Alcione de Marais, le Quintette à cordes de Schubert, (tous) les lieder de Schumann, La Princesse jaune de Saint-Saëns, ses Quatuors, son
Second Trio, Roméo & Juliette de Tchaïkovski,
Le Sacre du Printemps, Mahler
relu de façon grisante par le Collectif9… mais aussi des portions mal
connues du répertoire (quoique de très haute volée !), comme la musique
sacrée (pragoise) de Brixi,
les concertos pour piano de Wölfl,
les pastiches et arrangements de Karg-Elert,
les symphonies de Florence Price,
les mélodies de Miaskovski ou
celles de Dinu Lipatti !
Tout ceci se trouve aisément en
flux (type Deezer, gratuit sur PC ; ou
sur YouTube) et en général en disque. Il faut simplement pousser la
porte.
(Pardon, mes présentations de titres ne sont pas toutes normalisées, il
faut déjà pas mal d'heures pour mettre au propre, classer et mettre un
minimum en forme toutes ces notes d'écoutes. Il s'agit vraiment de
données brutes, qui prennent déjà quelques heures à vérifier,
réorganiser et remettre en forme, je n'ai pas le temps de tout
peaufiner si je veux aussi écrire d'autres notules un peu plus denses
côté fond.)
La légende
Les vignettes sont au maximum tirées des nouveautés. Beaucoup de
merveilles réécoutées ou déjà parues n'ont ainsi pas été immédiatement
mises en avant dans la notule : référez-vous aux disques avec deux ou
trois cœurs pour remonter la trace.
(Un effort a été fait pour classer par genre et époque, en principe
vous devriez pouvoir trouver votre compte dans vos genres de
prédilection.)
Cette fois-ci, j'ai regroupé et encadré les nouveautés au début de
chaque section, pour faciliter le repérage sans briser la disposition
par genre.
♥ : réussi !
♥♥ : jalon considérable.
♥♥♥ : écoute capitale.
¤ : pas convaincu du tout.
(Les disques sans indication particulière sont à mon sens de très bons
disques, simplement pas nécessairement prioritaires au sein de la
profusion de l'offre.)
Le tout est classé par genre, puis par ordre chronologique très
approximatif (tantôt la génération des compositeurs, tantôt la
composition des œuvres, quelquefois les groupes nationaux…) au sein de
chaque catégorie, pour ménager une sorte de progression tout de même.
A. Opéra
nouveautés
♥
Monteverdi – L'Orfeo –
Ensemble Lundabarock, Höör Barock, Ensemble
Altapunta, F. Malmberg (BIS 2021)
→ Belle version, douce, bien dite, pas très typée.
♥♥ Monteverdi – L'Orfeo –
Contaldo, Flores, Bridelli, Quintans, Salvo
Vitale ; ChbCh de Namur, Cappella Mediterranea, García Alarcón (Alpha
2021)
→ Des choix originaux, beaucoup de vie, mais un certain manque de voix
marquantes. J'aime beaucoup les chanteurs, mais ils manquent un peu de
charisme dans une discographie saturée de propositions très fortes
(seule Quintans s'élève nettement au-dessus de ses standards
habituels).
→ Orchestralement en revanche, de très belles trouvailles d'alliages,
de tempo, de phrasé... quoique le tout soit un peu lissé par une prise
de son avec assez peu de relief et de couleurs.
→ Aurait pu être très grand, et mériterait en tout cas grandement
d'être entendu en salle !
♥♥♥ Marais – Alcione –
Desandre, Auvity, Mauillon ; Le Concert des Nations, Savall (Alia Vox 2021)
→ Issu des représentations à l'Opéra-Comique, enregistrement qui porte
une marque stylistique française très forte : dans la fosse, sous
l'étiquette Concert des Nations propre à Savall, en réa:lité énormément
de musiciens français issus des meilleures institutions baroques,
spécialistes de ce style), et un aboutissement déclamatoire très grand
– en particulier chez Auvity et Mauillon (qui est proprement miraculeux
de clarté et d'éloquence).
→ Le résultat est donc sans rapport avec l'équipe catalane du fameux
enregistrement des suites de danses tirés de cet opéra (1993), non sans
qualités mais pas du tout du même naturel et de la même qualité de
finition (instrumentale comme stylistique).
♥
Paer – Leonora – De Marchi
(2021)
→ Musique d'opéra bouffe encore très marquée par les tournures de
Cimarosa et Mozart. Pas nécessairement de coups de génie, mais
l'ensemble est constamment bien écrit, bien chanté et exécuté avec
chaleur : il mérite le détour.
♥
Bellini – I Puritani – Coburn, Brownlee, Zheltyrguzov,
Kaunas State Choir, Kaunas City Symphony, Orbelian (Delos 2021)
→ Brownlee toujours impressionnant, mais moins d'éclat en vieillissant
évidemment. Coburn très virtuose, voix bien ronde et dense, un peu
lisse et égale pour moi (où sont les consonnes ?), mais objectivement
très bien chantée. Le reste m'impressionne moins, même mon chouchou
Orbelian, assez littéral et au rubato pas toujours adroit.
♥ Wagner – Tristan und Isolde
– Flagstad, Suthaus, Covent Garden, Furtwängler
(Erato, resmatering 2021)
→ Bonne version, très studio (donc comme toujours vraiment pas le
meilleur de Furtwängler, d'une toute autre farine sur le vif avec
Schlüter, et Suthaus en feu), où l'on peut surtout se régaler du
Tristan de Suthaus, remarquablement ample et solide, mais aussi beau
diseur.
♥♥♥ Saint-Saëns – La Princesse jaune
– Wanroij, Vidal ; Toulouse, Hussain (Bru Zane 2021)
+ Mélodies persanes (Constans,
Fanyo, Pancrazi, Sargsyan, Boutillier…)
→ Ivresses. Des œuvres, des voix.
→ Révélation pour ce qui est de la Princesse,
pas aussi bien servie jusqu'ici, et délices infinies de ces Mélodies
dans une luxueuse version orchestrale, avec des chanteurs très
différents, et chacun tellement pénétré de son rôle singulier !
Debussy – Pelléas & Mélisande
– Skerath, Barbeyrac, Duhamel ; Querré, Baechle, Varnier ;
ONBA, Dumoussaud (Alpha 2021).
→ Lecture très traditionnelle, plutôt « épaisse » de tous les
côtés :
orchestre un peu ample et tranquille, interludes en version courte,
voix très lyriques (Skerath comme toujours ronde, en-dedans,
opaque ;
Barbeyrac chante à pleine voix ; Duhamel expressif mais un peu
monochrome), j'ai surtout aimé Querré en Yniold, l'illusion de l'enfant
est assez réussite avec cette petite voix droite.
→ Belle version dans l'ensemble, mais très opératique, peu de finesses
textuelles ou de coloris nouveau à se mettre sous la dent.
♥ Holst – The Perfect Fool –
R. Golding, P. Bowden, M.
Neville, Mitchinson, Hagan, BBC Northern Singers and Symphony, Ch.
Groves (réédition Lyrita 2021)
Et les écoutes / réécoutes hors
nouveautés :
♥ Landi – La morte d’Orfeo –
Elwes, Chance, van der Meel, van der Kamp ; Tragicomedia, Stubbs (Accent, réédition 2007)
→ Dans la veine des premiers opéras, assez statiques harmoniquement,
mais beaucoup d’ensembles (chœurs homorythmiques, duos ou trios plus
contrapuntiques…) viennent rompre la monotonie.
→ Plateau vraiment délicieux de voix claires, délicates, mélancoliques.
♥ Marais – Alcione – Minkowski (Erato)
♥ Campra – Tancrède – Schneebeli (Alpha)
→ Déçu à la réécoute, vraiment sage et même un peu terne. (Malgoire
c'était bien mieux, malgré le vieillissement du style !)
Berlioz – Les Troyens (en italien),
entrée d'Énée – Del Monaco, La Scala,
Kubelik (Walhall)
→ Oh, « marque » l'aigu de « le dévorent ». Et
essentiellement métallique, pas très impressionnant / insolent /
expressif. Orchestre pas ensemble, solistes non plus, prosodie
italienne qui oblige à quelques irrégularités de ligne.
Berlioz – Les Troyens, entrée
d'Énée – Giraudeau, RPO, Beecham (Somm)
→ Chant léger et impavide, très étonnant (comme un personnage
secondaire de Cocteau…), et le RPO à la rue (bouché, la peine).
¤ Berlioz – Les Troyens (actes
I, II, V) – Davis I (Philips)
♥♥♥ Verdi – Stiffelio (acte
II) – Regio Parma, Battistoni (C Major)
→ La version sans faute de ce bijou trop peu joué. Comme Traviata, un
drame de mœurs contemporain (l'adultère de la femme d'un pasteur).
♥♥♥ VERDI, Rigoletto (en
allemand) (Coertse, Malaniuk, De Luca, Metternich, Frick, Vohla,
Cologne Radio Chorus and Symphony Orchestra, Rossi) (1956) (Walhall
édition 2007)
♥♥♥ Verdi – Il Trovatore
(I,II) – Bonynge
♥♥♥ Verdi – Il Trovatore
(I,II,III) – Muti 2000
Verdi – Le Trouvère (en
français) – Martina Franca
♥♥ Verdi – Un Ballo in
maschera (en allemand) – Schlemm, Walburga Wegner, Mödl, Fehenberger,
DFD (libre de droits)
→ Günther Wilhelms en Silvano, remarquable. Voix franches et bien
bâties, orchestre très investi et aux inflexions très wagnériennes.
♥♥ VERDI, G.: Otello (Sung in German) [Opera] (Watson, Hopf,
Metternich, Cologne Radio Chorus and Orchestra, Solti) (1958)
→ Hopf en méforme, Solti pas aidé par l'orchestre non plus.
♥♥ Foroni – Elisabetta, regina
di Svezia – Göteborg (Sterling)
→ Démarre doucement, mais des élans conspirateurs remarquables !
♥ Gounod – Romeo et Juliette
(en suédois) – Björling,
Allard, d'Ailly ; Opéra de Stockholm, Grevillius (Bluebell)
♥♥♥ Nielsen – Saul og David
(acte IV) – Jensen (Danacord)
♥♥♥ Nielsen – Saul og David –
N. Järvi (Chandos)
♥ Peterson-Berger – Arnljot –
Brita Ewert, Bjorck, Einar Andersson, Ingebretsen, Gösta Lindberg, Leon
Björker, Sigurd Björling, Sven Herdenberg, Sven d'Ailly ; Royal
Swedish Opera, Nils Grevillius
→ Un peu sec-discursif pour de l'opéra essentiellement romantique. Pas
bouleversé. Mais quelle équipe de chanteurs !
B. Récital d'opéra
Une très belle livraison de nouveautés sur le mois écoulé, avec des
propositions de répertoire très originales et construites !
nouveautés
♥♥♥ Lully, Charpentier, Desmarest –
extraits d'Armide, Médée, Circé… – Gens,
Les Surprises, Camboulas (Alpha 2021)
→ Formidables lectures, de très grandes pièces (cet air-chaconne de
Circé de Desmarest, dans l'esprit de l'entrée de Callirhoé, mais en
plus long !), Les Surprises à leur meilleur, un chœur de démons nasal à
souhait (les individualités de ce chœur de 8 personnes sont fabuleuses,
de grands chanteurs baroques y figurent !), le tout agencé de façon
très variée et vivante, et servi par la hauteur de verbe et geste de
Gens… un récital-merveille !
♥ « Jéliote » – Mechelen, A Nocte Temporis, Mechelen
(Alpha 2021)
→ Encore une belle réussite de Mechelen et son ensemble, autour d'une
autre haute-contre historique – programme et exécution peut-être un peu
moins originaux et marquants que pour le premier, mais vraiment
recommandé.
→ Approche musicologique intéressante de se fonder sur un interprète
précis, comme tant de récitals d'opéra seria l'ont fait, et
renouvellement (même si moindre cette fois) des airs habituellement
enregistrés.
♥ Destouches (Marthésie), Philidor
(Les Amazones), Cavalli, Viviani, Vivaldi, Schurmann… –
« Amazone » – Léa Desandre
(+ Gens, Bartoli), Ensemble Jupiter, Thomas Dunford (Erato 2021)
→ Beau récital vivant, d'où se détachent surtout pour moi, sans
surprise, les pièces françaises (notamment les généreux extraits de
Marthésie, qu'on est très heureux d'entendre pour la première fois !).
→ J'ai mainte fois dit que je trouve le timbre très fondu pour une voix
aussi peu fortement projetée, et que j'aime davantage de franchise dans
le verbe, mais la maîtrise du coloris et l'agilité sont irréprochables
et l'interprète très engagée.
♥♥ Mozart, Méhul, Spontini, Rossini, Adam, Verdi, Offenbach, Wagner,
Leoncavallo, Lehár, Ravel, Orff, Korngold… – « Baritenor » – Michael Spyres, Philharmonique de
Strasbourg, Marko Letonja (Erato 2021)
→ Déception partagée par les copains geeks-de-musique : ce n'est
pas un récital de répertoire spécifique à cette catégorie vocale –
selon les époques et les lieux, peut désigner aussi bien des ténors
sans aigus (Licinius de La Vestale), que des barytons à aigus (Figaro
du Barbier de Séville) ou des ténors aigus et agiles disposant d'une
inhabituelle extension grave (Zampa d'Hérold, absent de ce disque).
Dans cet album, on entend donc énormément de tubes des répertoires pour
ténor aussi bien que pour baryton, pas nécessairement écrits pour
baryténor.
→ Cette réserve formulée (on a tout de même Ariodant de Méhul et
Lohengrin dans la traduction de Nuitter), le tour de force demeure très
impressionnant (le véritable timbre de baryton saturé d'harmoniques
pour la cantilène du Comte de Luna !) et ménage quelques très
heureuses surprises, comme les diminutions aiguës dans l'air du Comte
Almaviva de Mozart (tirant vraiment parti de la tessiture longue pour
proposer quelque chose de différent mais tout à fait cohérent avec le
style) ou pour le Figaro du Barbier (l'imitation des différentes voix
qui appellent Figaro, de la femme à la basse, quelle amusante jonglerie
!). Et tout de même beaucoup de rôles de barytons aigus (Danilo,
Carmina Burana), ainsi que de ténors graves (Lohengrin), mais aussi,
pour bien prouver que la voix n'est pas ternie, de ténors aigus (Le
Postillon de Longjumeau).
→ Autre atout, le parcours (certes arbitraire puisque mélangeant ténors
et barytons…) est construit de façon chronologique, on fait une petite
balade temporelle au spectre très large, ce qui est très rare dans les
récitals.
→ À écouter, donc, pour les amateurs de voix (qui seront très
impressionnés) plutôt que pour les défricheurs de répertoire.
→ Partiellement bissé.
Et les écoutes / réécoutes hors
nouveautés :
Gabrielli – extrait de S. Sigismondo, re di Borgogna
– Bartoli, Andrés Gabetta, Sol Gabetta, Cappella Gabetta (Decca)
→ Quadrissé.
→ Avec instruments solistes. Pas très marquant, mais tout ce qu'on a au
disque de ses opéras…
♥♥♥ Schlusnus dans Don
Pasquale, Onéguine, Prince Igor (tout en allemand)
→ Chante Onéguine avec des nuances de lied… délectable ! Igor pas
très épique.
→ Bissé
♥♥♥ Josef Metternich, « Rare
and Unreleased Recordings (1948-1957) » (Andromeda)
→ Tout en allemand : Onéguine, Trovatore, Otello, Lortzing, Traviata,
Arabella, Parsifal…
+ https://www.youtube.com/watch?v=v-WmSm50Nd8
(la perfection vocale…)
♥ Lord Berners – Ballet de Neptune, L'uomo dai baffi –
English Northen Philharmonia, Lloyd-Jones (Naxos 2021)
+ arrangements pour orchestre de Philip Lane : 3 Valses
bourgeoises, Polka (avec le Royal Ballet Sinfonia)
→ Toujours cette belle musique excentrique de Berners, quelque part
entre la musique légère et la sophistication, comme une rencontre
improbable entre Minkus et Schulhoff, le tout dans un esprit très
proche de la musique légère anglaise.
→ Trissé.
♥♥♥ Stravinski – Feu d'artifice,
Scherzo fantastique, Scherzo à la Russe, Chant Funèbre, Sacre du Printemps – NHK SO, Paavo Järvi (RCA 2021)
→ Splendide version très vivante, captée avec beaucoup de relief
physique, contenant quelques-uns des chefs-d'œuvre de jeunesse de
Stravinski (parmi ce qu'il a écrit de mieux dans toute sa carrière, Feu
d'artifice et le Scherzo fantastique…), ainsi qu'une version
extrêmement charismatique et immédiatement prenante du Sacre du
Printemps.
→ Järvi semble avoir tiré le meilleur de la NHK, orchestre aux couleurs
peu typées (même un brin gris, ai-je trouvé en salle), mais dont la
discipine et la solidité permettent ici une insolence et un aplomb
absolument idéaux pour ces pages.
→ Bissé le Sacre, trissé les ouvertures.
Et les écoutes / réécoutes hors
nouveautés :
Franck – Hulda, Op. 4 : le ballet
allégorique – OP Liège, Arming (Fuga Libera 2012)
→ Du Franck plutôt décoratif, marqué par des modèles absolument pas
wagnériens (le ballet à la française, avec un côté rengaine quasiment
britannique dans le rondeau final !). Le reste de l'opéra n'est pas non
plus le plus audacieux de Franck, mais il sera bientôt donné et
enregistré dans les meilleures conditions par Bru Zane !
→ Couplé avec une très belle version tradi de la Symphonie.
♥♥ Stravinski – Petrouchka, Les Noces
– Ančerl
→ Avec Žídek et Toperczer notamment !
Stravinski – Les Noces (en français) –
Ansermet (Decca)
D. Cantates profanes
nouveautés
♥ Purcell – Birthday Odes for
Queen Mary – Carolyn Sampson, Iestyn Davies… The King's Consort, Robert
King (Vivat 2021)
→ Excellentes versions, très bien captées, qui valent en particulier
pour les instrumentistes très vivement engagés. Joli plateau vocal
également.
→ (Pour autant, je ne suis pas trop certain de vouloir vous encourager
à financer le label autoproduit d'un abuseur d'enfants. J'ai longuement hésité avant
d'écouter moi-même ce disque, alors que j'ai toujours énormément aimé
le travail artistique de R. King. La séparation entre l'homme et
l'œuvre me paraît problématique lorsque l'homme est vivant et en
activité : on promeut le talent au-dessus d'être un humain décent, on
excuse la destruction de vies au nom de ses qualités pour nous
divertir, on remet potentiellement l'agresseur en position de prestige,
d'autorité et de récidive. Bref : c'est un bon disque, mais si vous
voulez l'écouter volez-le s'il vous plaît.)
→ [Tenez, je commettrai sans doute un jour une notule où je partagerai
mon sentiment d'homme blet sur cette affaire de séparation de l'homme
et de l'œuvre, sous un angle différent de la traditionnelle opposition
« il est méchant il faut détruire son œuvre » / « il est bon dans
son domaine c'est tout ce qui m'intéresse ». Mon opinion a grandement
évolué sur le sujet depuis ma naïve jeunesse, et je me pose quelques
questions sur nos réflexes mentaux en la matière, que je partagerai à
l'occasion.]
E. Sacré
nouveautés
♥ Zácara da Teramo – Intégrale
(Motets, Chansons édifiantes) – La Fonte Musica, Michele Pasotti (4
CDs, Alpha 2021)
→ Musique du XIVe siècle, dont la langue me paraît hardie pour son
temps (ou sont-ce les restitutions?), mais trop loin de mes habitudes
d'écoute pour que je puisse en juger – j'ai beau faire, je me retrouve
un peu comme les wagnériens devant LULLY, je n'entends que le nombre
limité de paramètres expressifs et pas assez les beautés propres de ces
musiques à l'intérieur de leur système. Pas faute d'avoir essayé.
→ Belles voix, assez originales, ni lyriques, ni folkloriques, vraiment
un monde à part très intéressant et avec des timbres très typés (mais
pas du tout clivants / étranges).
♥♥♥ Brixi – Messe en ré majeur,
Litanies – Hana Blažiková, Nosek Jaromír ; Hipocondria
Ensemble, Jan Hádek (Supraphon 2021)
→ Alterne les chœurs d'ascèse, finement tuilés, très beau contrepoint
qui fleure encore bon le contrepoint XVIIe, voire XVIe… pour déboucher
sur des airs façon Messie (vraiment le langage mélodique de Haendel !).
→ Splendides voix tranchantes et pas du tout malingres, orchestre fin
et engagé, Blažiková demeure toujours aussi radieuse, jusque dans les
aigus de soliste bien exposés !
Et les écoutes / réécoutes hors
nouveautés :
♥♥♥ Grégorien : Chants de
l'Église de Rome VIe-XIIe s. – Organum,
Pérès (HM)
→ Quelle sûreté de réalisation ! (et toujours ces beaux mélismes
orientalisants)
♥♥♥ Dufay – Motets
isorythmiques – Huelgas (HM)
♥ Allegri – Miserere – A sei
voci (Naïve)
♥♥ Titelouze – Messe – Les
Meslanges, van Essen (Paraty 2019)
♥♥ CAPUANA, M.: Messa di
defonti e compieta / RUBINO,
B.: Messa di morti (Choeur de Chambre de Namur, García Alarcón)
(Ricercar 2015)
→ bissé Capuana, trissé Rubino
→ Pas du niveau des Vêpres du Stellario, mais riche et stimulant !
♥♥♥ Du Mont – Cantica sacra –
Boterf, avec Freddy Eichelberger à l'orgue Le Picard de Beaufays (1742)
(Ricercar)
♥♥♥ Mendelssohn : Te Deum
in D Major, MWV B15 ; Stuttgart KmCh, Bernius (Hänssler 2021)
→ Nouveau de cette année, génial (du Mendelssohn choral à un par partie !), mais déjà présenté
la semaine de sa sortie lors d'une précédente livraison. Je n'encombre
donc pas cette notule-ci.
♥♥♥ Danjou, Kyrie &
Gloria // Perne, Sanctus
& Agnus Dei // Boëly, pièces d'orgue – Ens. G. Binchois, F.
Ménissier (Tempéraments 2001)
→ Danjou !! J'étais persuadé que ça
n'existait pas au disque. Passionnant de découvrir ça.
♥ Saint-Saëns, Oratorio de Noël ;
Ziesak, Mahnke, James Taylor, Deutsche Radio Philharmonie, Poppen (YT
2008)
→ Très épuré, sulpicien, contemplatif. Joli, et dans une interprétation
de tout premier choix (quels solistes !).
♥♥ Braunfels : Große Messe –
Jörg-Peter Weigle (Capriccio 2016)
→ D'ample ambition, une œuvre qui ne tire pas Braunfels vers du
Bruckner complexifié comme son Te Deum, mais vers une véritable pensée
généreuse et organique, dotée en outre de fort belles mélodies.
♥♥ Milhaud – Psaume 121 – RenMen
F. A cappella profane
nouveautés
Hutchings, Meadow, Hopkins, Sigurdbjörnsson, Jóhannsson, Owens,
Arnalds, Lovett, Rimmer, Gjeilo,
Barton, Desai, Guðnadóttir, O'Halloran, L.Howard – « Infinity » – Voces8 (Decca 2021)
→ Bascule toujours plus profonde dans la musique atmosphérique, avec
ces pièces (elles-mêmes des arrangements) qui pour beaucoup ressemblent
à du Whitacre en plus gentil. Mais réussi dans son genre, et
particulièrement concernant les quelques pièces qui excèdent un peu ce
cadre avec des harmonies plus recherchées (Sigurdbjörnsson).
G. Symphonies
nouveautés
♥ Saint-George – Symphonie en sol, Symphonies
concertantes – CzChbO Pardubice, Halász (Naxos 2021)
→ Plutôt mieux que d'habitude, assez charmant même, mais toujours aussi
aimable et peu marquant, vraiment de la musique décorative, réutilisant
exactement les tournures de son temps. Ni plus ni moins.
→ Amusant : Naxos écrit Saint-Georges à la française, alors que son nom
s'écrit Saint-George – tandis que le Wikipédia anglais écrit aussi
Saint-Georges, en référence à son probable père.
→ Bissé. (Parce que j'étais occupé pendant ma première écoute, pas
parce que c'est génial.)
♥♥ (Cipriani) Potter –
Symphonie n°1, Intro & rondo « à la militaire »,
Ouverture Cymbeline – BBCNO Wales, Howard Griffiths (CPO 2021)
→ Très belles œuvres du jeune romantisme britannique, l'ouverture pour
Cymbeline de Shakespeare en particulier !
→ Trissé.
♥♥ Bruckner – Symphonie n°4 (les
trois versions) – Bamberg SO, Hrůša (Accentus Music 2021)
→ Passionnant choix de confronter les différentes versions, dans une
lecture assez traditionnelle (contrastes limités, couleurs assez
fondues, transitions plutôt lissées) mais détaillée, lisible et
toujours vivante.
→ Parmi les belles choses à repérer : dans la première version,
1874, l'écriture est beaucoup plus continue (les grands unissons sont
ici harmonisés, avec un aspect beaucoup plus continu et brahmsien que
j'aime beaucoup, moins étrange en tout cas), en particulier dans le
premier mouvement. Et dans le final, amusante marche harmonique sur
figures violonistiques arpégées qui fleure bon sa Chevauchée des
Walkyries.
→ Dans le premier mouvement de la deuxième version, 1878, bel éclat
majeur très lumineux, plus du tout dans l'esprit
majesté-de-voûtes-romanes, très réussi. La progression vers le dernier
climax du final est aussi très réussie, implacable apothéose.
♥♥ Tchaïkovski – Symphonie
n°6, Roméo & Juliette –
Tonhalle Zürich, Paavo Järvi
(Alpha 2021)
→ Beaucoup plus proche de la rectitude de leur Cinquième que du fol
engagement de leurs 2 & 4.
→ Le développement du premier mouvement reste impressionnant (et le
timbre pincé du hautbois solo délectable), mais le reste manque un peu
de pathos à vrai dire, cette musique en a d'ordinaire suffisamment,
mais tout paraît un peu peu germanisé et distancié ici, malgré
l'investissement audible de toutes les parties.
→ La marche-scherzo n'est absolument pas terrifiante mais danse avec
sourire et délectation, culminant dans le très bel éclat (purement
musical) de son climax. Surprenant, mais assez convaincant.
→ Roméo et Juliette absolument pas russe non plus, mais la netteté au
cordeau, la différenciation des timbres y a quelque chose de tout à
fait grisant – purement musical ici encore, plutôt que passionné ou
narratif. J'aime beaucoup, bien plus proche des qualités des 2 & 4.
Saint-Saëns – Symphonie
n°1, Concerto pour violoncelle n°1, Bacchanale – Astrig Siranossian, Philharmonique de Westphalie méridionale,
Nabil Shehata (Alpha 2021)
→ Pas très emporté par ce disque : soliste pas particulièrement
charismatique (et capté un peu en arrière), orchestre peu coloré,
plutôt opaque, très tradi… la Symphonie est jouée avec vie, mais rien
qui change nos vies, je le crains.
♥ Saint-Saëns – Symphonies Urbs Roma
& n°3– Liège RPO,Kantorow
→ À nouveauté pour cette intégrale Kantorow, pas de révolution dans la
perception des œuvres, mais une exécution de bonne tenue – un peu
épaisse pour ce que peuvent réellement produire ces symphonies,
néanmoins.
♥♥♥ Mahler – Symphonie n°8 –
Howarth, Schwanewilms, Fomina,
Selinger, Bardon, Banks, Gadd,
Rose ; LPO Choir, LSO Chorus, Clare College Choir, Tiffin Boys
Choir ; LPO, Jurowski
(LPO Live)
→ Quel bonheur d'avoir des sopranos de la qualité de timbre de
Schwanewilms et Fomina pour cette symphonie où leurs aigus sont exposés
en permanence ! Barry Banks aussi, dans la terrible partie
de ténor, étrange timbre pharyngé, mais séduisant et attaques nettes,
d'une impeccable tenue tout au long de la soirée.
→ Par ailleurs, le mordant de Jurowski canalise merveilleusement les
masses – très beaux chœurs par ailleurs.
→ Trissé.
♥♥ Florence Price – Symphonies 1
& 3 – Philadelphia O, Nézet-Séguin (DGG 2021)
→ Symphonies d'un compositeur qui cumulait les handicaps de diffusion,
et cumule à présent les motivations de programmation : femme et
afro-américaine !
→ Le langage de la Première se fonde largement sur des thèmes issus du
gospel et utilisés comme motifs qui se diffractent et évoluent à
travers l'orchestre, au sein d'une orchestration aux couleurs variées,
d'un beau lyrisme qui ne cherche jamais l'épanchement, d'une
construction qui ne suspend jamais le plaisir d'entendre de belles
mélodies, jusque dans les transitions.
→ La Troisième m'a paru moins vertigineuse : plus lisse et
continue, moins motorique et générative, davantage tournée vers les
mélodies (qui sonnent un peu plus populaires que gospel cette fois).
Très beau dans son genre postromantique, très bien écrit, mais moins
neuf et saisissant.
→ Avec la fluidité propre à Nézet-Séguin et les timbres miraculeux de
Philadelphie, c'est un régal absolu, qui rend justice à un corpus
réellement intéressant et riche musicalement, et simultanément très
accessible ! Qu'attendons-nous pour programmer ces œuvres en
concert, surtout avec la mode de la réhabilitation des minorités
culturelles ? Sûr que ça plairait d'emblée à un vaste
public.
→ Trissé.
♥ (Malcolm) Arnold – Concerto
Gastronomique, Symphonie n°9 – Anna Gorbachyova-Ogilvie, Liepaja Symphony Orchestra, John
Gibbons (Toccata Classics 2021)
→ La Symphonie n°9, véritable épure, n'est pas sans charme, et
interprétée avec charisme (quels magnifiques solistes !).
→ Le Concerto Gastronomique aurait pu être amusant, mais il reproduit
surtout des formules à la Arnold (les accords de cuivres à l'harmonique
décalée et enrichie pour le Fromage, vraiment rien de figuratif ou de
propre à son objet…).
Et les écoutes / réécoutes hors
nouveautés :
1) Baroques &
classiques
Wilhelm Friedmann Bach – Symphonies
(fk 67 « dissonante » et fk 66 avec
ricercar) & Harpsichord Concertos – Ensemble Arcomelo, Michele
Benuzzi (La Bottega discantica 2008)
♥♥ Corrette – Symphonies de Noëls –
La Fantasia, Rien Voskuilen (Brilliant)
→ Réjouissant de bout en bout !
2) Classiques
♥♥ Richter – Symphony No. 53
in D Major, "Trumpet Symphony"
London Mozart Players - Orchestra ; Bamert, Matthias - Conductor
(Chandos 2007)
♥ Johann Stamitz – Sinfonia Pastorale
– Hogwood (Oiseau-Lyre)
+ symphonie en ré Op.3 n°2
→ Avec les thèmes plein de parentés.
→ Bissée.
♥♥♥ Gołąbek, Symphonies / Kurpiński, Concerto pour clarinette
– Lorenzo Coppola, Orkiestra
Historyczna (Institut Polonais)
→ Absolument décoiffant, des contrastes qui évoquent Beethoven dans une
langue classique déjà très émancipée.
3) Deuxième romantisme
♥♥♥ Tchaïkovski – Symphonies n°2,4 –
Tonhalle Zürich, Paavo Järvi (Alpha 2021)
→ La Cinquième par les mêmes ne m'avait pas du tout autant ébloui qu'en
salle (avec l'Orchestre de Paris) – un peu tranquillement germanique,
en résumé. Hé bien, ici, c'est étourdissant. D'une précision de trait,
d'une énergie démentielles !
→ On entend un petit côté « baroqueux » issu de ses
Beethoven, avec la netteté des cordes et l'éclat des explosions, mais
on retrouve toute la qualité de construction, en particulier dans les
transitions (la grande marche harmonique du final du 2, suffocante, qui
semble soulever tout l'orchestre en apesanteur !), et au surplus une
énergie, une urgence absolument phénoménales.
→ Gigantesque disque. Ce qu'on peut faire de mieux, à mon sens, dans
une optique germanique – mais qui ne néglige pas la puissance de la
thématique folklorique, au demeurant.
→ (bissé la n°2)
♥♥ Tchaïkovski – Symphonie n°3 –
Göteborg SO, Neeme Järvi (BIS)
→ Bissé.
4) XXe siècle
Schnittke – Symphony No. 1 –
Tatyana Grindenko, Lubimov, Russian StSO, Rozhdestvensky (Chandos)
→ Atonal libre pas très beau.
Schnittke – Symphony No. 3 –
Radio Berlin-Est, V. Jurowski (Pentatone)
→ Proche de la 4 (que j'aime énormément), en plus morne. Pas palpitant.
H. Poèmes
symphoniques
nouveautés
♥ E. von Dohnányi – Ouverture de Tante
Simona, Suite en fa#m, American Rhapsody – ÖRF, Paternostro (Capriccio
2021)
+ Leo Weiner – Serenade pour petit orchestre en fam
→ Belles œuvres, très consonantes et confortables dans leur
postromantisme peu retors. Capriccio continue aussi bien de documenter
les grandes œuvres ambitieuses du répertoire germanique chez Rott,
Braunfels ou Schreker que d'explorer des œuvres moins mémorables, mais
très bien bâties malgré leur ambition moindre.
♥♥♥ Stravinski – Feu d'artifice,
Scherzo fantastique, Scherzo à la Russe, Chant Funèbre, Sacre du Printemps – NHK SO, Paavo Järvi (RCA 2021)
→ Splendide version très vivante, captée avec beaucoup de relief
physique, contenant quelques-uns des chefs-d'œuvre de jeunesse de
Stravinski (parmi ce qu'il a écrit de mieux dans toute sa carrière, Feu
d'artifice et le Scherzo fantastique…), ainsi qu'une version
extrêmement charismatique et immédiatement prenante du Sacre du
Printemps.
→ Järvi semble avoir tiré le meilleur de la NHK, orchestre aux couleurs
peu typées (même un brin gris, ai-je trouvé en salle), mais dont la
discipine et la solidité permettent ici une insolence et un aplomb
absolument idéaux pour ces pages.
→ Bissé le Sacre, trissé les ouvertures.
Takemitsu – A Way a Lone
II, Toward the Sea II,
Dreamtime, « 1982 historic recordings) – Sapporo SO, Iwaki Hiroyuki (1982,
DGG 2021)
→ Pour mesurer à quel point les orchestres japonais ont progressé… On
peut trouver interprétations bien plus avenantes de ces belles œuvres
(ou chef-d'œuvre, pour Toward the Sea
II).
→ Complété par une heure de discours de Takemitsu, en japonais.
Et les écoutes / réécoutes hors
nouveautés :
Weber – Ouvertures – Hanover
Band, Roy Goodman (Nimbus 2000)
→ Assez décevant : capté de très loin, plans peu audibles, pas
beaucoup de gain de timbres ou d'énergie avec les instruments d'époque.
♥ Marx – Eine Frühlingsmusik,
Idylle & Feste im Herbst – Radio-Symphonieorchester Wien, Wildner
(CPO)
→ Comme la symphonie, en plus simple.
I. Lied orchestral
nouveautés
♥♥♥ Saint-Saëns – La Princesse jaune –
Wanroij, Vidal ; Toulouse, Hussain (Bru Zane 2021)
+ Mélodies persanes (Constans,
Fanyo, Pancrazi, Sargsyan, Boutillier…)
→ Ivresses. Des œuvres, des voix.
→ Révélation pour ce qui est de la Princesse,
pas aussi bien servie jusqu'ici, et délices infinies de ces Mélodies
dans une luxueuse version orchestrale, avec des chanteurs très
différents, et chacun tellement pénétré de son rôle singulier !
♥ Vladigerov – Mélodies symphoniques
– Bulgarie NRSO, Vladigerov (Capriccio 2021)
→ Moins séduisant et singulier, pour moi, que ses concertos ou
symphonies, mais encore une fois du très beau postromantisme, très bien
écrit, qui mérite d'être enregistré, réécouté, programmé en concert…
Et les écoutes / réécoutes hors
nouveautés :
♥♥ Mahler – Das Lied von der Erde –
Kaufmann,Vienna Philharmonic,
Nott (Sony 2017)
→ Kaufmann chante ténor et baryton à la fois. Les deux sont très bien,
et Nott fait frémir Vienne plus que de coutume, avec des couleurs
particulièrement fines et évocatrices, que l'orchestre se donne peu
souvent la peine de produire !
J. Concertos
nouveautés
♥♥♥ WÖLFL, J.: Piano Concertos Nos. 2 and 3 /
Concerto da camera (Veljković, South West German Chamber Orchestra
Pforzheim, Moesus) (CPO 2021)
→ Déjà beaucoup aimé, sorte de Mozart un peu plus tardif, dans ses
Sonates (disque de Bavouzet par exemple), Wölfl confirme ici une
véritable personnalité, et soutient remarquablement l'intérêt dans un
genre d'essence décoratif – à l'oreille, le n°2 en mi, on dirait
vraiment un Mozart perdu écrit pendant la série des concertos
post-n°20 !
→ Bissé.
♥ SPERGER, J.M.: Double Bass Concertos Nos. 2 and 15
/ Sinfonia No. 30 (Patkoló, Kurpfälzisches Kammerorchester, Schlaefli)
→ Chouette, mais pourquoi toujours privilégier l'aigu pour un
concerto d'instrument se distinguant au contraire par son extension
grave ?
Saint-Saëns – Pièces
rares pour violon et orchestre
– Laurenceau, Orchestre de Picardie, Benjamin Lévy (Naïve 2021)
→ Essentiellement des Romances très lyriques, pas très passionné par
leur contenu musical pour ma part, mais j'admire beaucoup le travail de
pionnière de Geneviève Laurenceau (ancienne konzertmeisterin du
Capitole de Toulouse), au service de compositeurs comme Magnard,
Durosoir, Smyth, R. Clarke… Son très robuste et plein, pas du tout typé
français, solidité et élan à toute épreuve.
♥ Rubinstein: Piano Concertos Nos. 2 & 4 –
Schaghajegh Nosrati, Radio-Symphonie-Orchester Berlin, Róbert Farkas
(CPO 2021)
→ Un peu déçu en réécoutant ces œuvres, du concerto pour piano
romantique très tourné vers le piano, qui perpétue un modèle
post-chopinien, même si l'orchestre n'est pas sans intérêt.
Saygun, Işıközlü, Erkin, Kodallı…
TURKISH PIANO MUSIC (THE BEST
OF) (Biret, Güneş, Saygun, G.E. Lessing, Şimşek, Tüzün) (Idil Biret
Archive 2021)
→ Œuvres vraiment pas fabuleuses sur la première œuvre du
coffret : des concertos pour piano très difficiles à jouer, mais
musicalement, un mélange d'orientalismes et de musique classique très
formelle (quoique complexe), pas très mélodique ni riante. Le disque de
trios piano-cordes turcs sorti cette année (chez Naxos) était autrement
stimulant sur la production locale !
Et les écoutes / réécoutes hors
nouveautés :
1) Pour piano
Hummel: Piano Concerto No. 2 in
A Minor – Hough, B. Thomson
(Chandos)
→ Très sympathique, là aussi vraiment un cousin chopinien ; j'en
retiens surtout le beau solo de clarinette du final et son beau thème
secondaire (le soin mélodique échappe toujours à l'automatisme, chez
Hummel, tout de même l'immortel auteur du plus beau final de concerto
pour basson de tous les temps !), mais ce reste globalement du concerto
pour piano brillant, où le contenu musical n'entre qu'en seconde ligne
par rapport à un quatuor ou une symphonie.
Thalberg – Concerto pour piano
– Ponti
→ Assez formellement Thalberg, pas de grande surprise.
♥♥♥ Liszt – Totentanz – Berezovsky, Philharmonia, Wolff
(Teldec)
→ Totalement fulgurant, parfait, surnaturel… le jeune Berezovsky était
incroyable, d'une insolence proprement démoniaque.
♥♥♥ Henselt – Concerto pour
piano Op.16 en fa mineur – Michael Ponti,
Philharmonia Hungarica, Othmar Mága (VOX, réédition Brilliant Classics)
→ Très proche de Chopin dans les formules pianistiques, mais doté d'un
orchestre très généreux, très bien écrit, qui puise à une tradition
beaucoup plus luxuriante (Meyerbeer ?). Splendide et grisant, dans son
genre lyrique mais travaillé !
♥ Pierné – Concerto pour piano
– Ponti
→ Très virtuose évidemment, de la musique très sérieuse qui contraste
avec son final fondé sur la répétition inlassable de « Mets tes
deux pieds en canard » de La Chenille qui redémarre.
♥♥♥ d'Albert – Concerto pour
piano n°2 – Ponti
→ Quel beau lyrisme décidément !
♥ Roussel – Concerto pour
piano – Ponti
♥ Sinding – Concerto pour
piano – Ponti
♥ BORTKIEWICZ, S.: Piano
Concertos Nos. 2 and 3, "Per aspera ad astra" (Doniga, Janáček Philharmonic, Porcelijn) (Piano Classics 2018)
♥ SCHNITTKE, A.: Piano
Concerto / Concerto for Piano and String Orchestra / Concerto for Piano
4-hands and Chamber Orchestra (Kupiec,
Strobel) (Phoenix 2008)
→ Version dotée d'un équilibre singuier du piano, plus intégré /
symphonique. Pas celle que j'aime le plus, mais très belle, dans cette
sélection de concertos considérables du XXe siècle !
2) Pour violon
♥♥ Tchaikovsky – Violin
Concerto in D Major – Gitlis,
Vienne SO, Hollreiser (VOX)
→ Impressionnant et ébouriffé, et l'orchestre est vraiment très bien,
dynamique, présent, précis (contre toute attente vu la date, le chef et
les conditions de non-répétition).
→ En revanche Gitlis, ce son très appuyé, ces effets qui bifurquent
dans tous les sens, le rubato qui déborde en avant en arrière,
j'entends trop que c'est du violon, ça me distrait de la musique.
→ Mais impressionnant d'insolence (la qualité parfaite du timbre avec
un suraigu pas du tout tiré, surnaturelle), à connaître !
→ Orchestre splendide, ça ne ressemble pas du tout à un son viennois
d'ailleurs, de l'excellente charpente à l'allemande, pas très coloré
mais limpide sur tout le spectre, et avec vie et précision.
♥ Tchaïkovski – Concerto pour violon – Dumay,
LSO, Tchakarov (EMI)
→ Beau, simple, un peu lent.
♥♥ Tchaïkovski – Concerto pour
violon – Julia Fischer, Russie
NO, Kreizberg (PentaTone 2006)
→ Sobre, doux, net, voilà qui tire davantage vers la poésie de la page.
Et la culture russe de l'orchestre (quoique l'un des moins typés du
pays) facilite les bonnes couleurs environnantes.
♥ Tchaïkovski – Concerto pour
violon – Hahn, Liverpool PO, V.Petrenko (DGG 2011)
→ Assez affirmatif, mais sobre, réussi ! Tempo très retenu.
Tchaïkovski – Concerto pour
violon – Hudeček, S. de
Prague, Bělohlávek (Supraphon)
→ Un peu gras pour ce que j'espérais d'un son tchèque au violon, pas
mal de rubato quand même, et Bělohlávek toujours plutôt mou…
→ Est très bien, mais ne répond pas à mon espérance de netteté un peu
acide en allant me tourner vers Supraphon !
¤ Tchaïkovski – Concerto pour
violon – Radulović, Borusan
Istanbul PO, Sascha Goetzel (DGG 2017)
→ Puisqu'on m'en a dit le plus grand mal, j'écoute. Je l'avais adoré
avant la notoriété, dans une vidéo de rue où il était pris en train de
livrer une insolente et hautement pensée Chaconne de la Partita n°2 de
Bach… Peu écouté depuis ses grands succès, vu son positionnement
cross-over sur des tubes un peu retravaillés, ce qui m'intéresse moins.
→ Je découvre qu'il est carrément passé chez DGG, chez certains ça va
la vie !
→ L'orchestre n'est pas le meilleur du monde (je trouve d'ailleurs
qu'il sonne très oriental, comme s'il jouait du Saygun ou plutôt du…
Say, ça n'aide pas ;
→ Côté goût, ce n'est pas affreux, mais en effet ça s'alanguit dans
tous les sens, le tempo et le phrasé bougent sans cesse, c'est
sur-interprété en permanence, je ne suis pas fan.
→ Et côté son, un peu tiré, oui, comme une voix qu'on voudrait pousser
trop fort, il y a plus précis et plus timbré sur le marché – j'entends
chaque année les plus aguerris jouer ça à la Philharmonie, je suis un
peu blasé côté virtuosité extrême.
→ En somme pas horrible du tout, mais clairement je ne vois pas trop
l'intérêt d'écouter ça vu l'offre délirante sur ce concerto.
Tchaïkovski – Concerto pour
violon – Ehnes, Sydney SO, Ashkenazy (Onyx)
→ Très policé et propre, pas très palpitant, et pas assez effacé pour
être seulement poétique.
→ Impression persistante que le violon sonne fort tout le temps.
♥♥ Tchaïkovski – Concerto pour
violon – Sarah Christian,
Bremen KmPh, Rhorer
→ Accompagnement très net, interprétation très réussie (quoique, comme
souvent, beaucoup de rubato superflu pour moi).
+ Borgstrøm – Concerto pour violon
– Eldbjørg Hemsing, Wiener Symphoniker, Olari Elts (BIS 2018)
3) Pour autre chose
Telemann – Concertos pour vents
(TWV 44:43, 51:D2, 51:D7, 52:d1, 52:e1, 53:D5) – Hoeprich & friends, Musica
Antiqua Köln, Goebel
→ Joli son d'orchestre, de la première (deuxième) génération
d'ensembles baroques, pour des compositions peu trépidantes.
♥♥♥ P. Vranický, Haydn – Concertos
pour violoncelle en ut – Enrico Bronzi, Orchestra di Padova e
del Veneto, Enrico Bronzi (Concerto Classics)
→ Meilleure version du Haydn ! Cet orchestre, qui s'est imprégné
de modes de jeu musicologiques au moins depuis Maag, propose des
sonorités capiteuses tout en conservant le moelleux des instruments
traditionnels. L'insolence, les trépidations de joie, la rêverie y sont
portées au plus beau degré.
♥♥♥ Gołąbek, Symphonies / Kurpiński, Concerto pour clarinette
– Lorenzo Coppola, Orkiestra
Historyczna (Institut Polonais)
→ Absolument décoiffant, des contrastes qui évoquent Beethoven dans une
langue classique déjà très émancipée.
Bacewicz – Concerto pour alto –
Kamasa, Varsovie PO, Wisłocki (LP sur YT)
→ Un peu trop soliste pour mon goût. Atmosphère tourmentée.
K. Musique de chambre
nouveautés
♥♥ Beethoven – Quatuors 12 & 14 – Ehnes SQ
(Onyx 2021)
→ Version très aboutie, aux timbres superbes, issue d'un cycle en cours
autour des derniers quatuors de Beethoven.
→ Bissé.
♥♥♥ Schubert – Quintette à cordes –
Tetzlaff, Donderer... (Alpha 2021)
→ Couplé avec le Schwanengesang de Julian Prégardien que je n'ai pas
encore écouté.
→ Lecture d'une épure assez fabuleuse : absolument pas de pathos,
cordes très peu vibrées, des murmures permanents (quel trio du
scherzo ! ), et bien sûr une très grande musicalité.
→ Très atypique et pudique, aux antipodes de la grandiloquence
mélodique qu'on y met assez naturellement.
♥ Hummel & Schubert: Piano Quintets – Libertalia Ensemble
(CPO 2021)
→ Très beau quintette (avec piano et contrebasse) de Hummel, énormément
de très belles choses là-dedans.
→ La version de la Truite n'est pas du tout le plus exaltante du
marché, un peu grise par rapport aux versions très engagées et typées
qu'on peut trouver par ailleurs (Kodály-Jandó, Immerseel, etc.).
♥♥ Saint-Saëns, Rameau, Liszt
– Trio piano-cordes n°2,
Pièces de clavecin en concert (Suites 1 & 5), Orpheus (arrangement)
– Trio Zadig (Fuga Libera 2021)
→ Un des tout meilleurs trios en activité (probablement le meilleur que
je connaisse moi), avec en particulier des cordes d'un charisme
extraordinaire.
→ Lecture assez traditionnellement lyrique-germanique de Saint-Saëns,
avec un son très peu français, misant davantage sur une sorte d'audace
virtuose, où chaque motif à chaque instrument est ciselé et
immédiatement présent et mélodique. Cette attitude dynamise beaucoup
cette page, déjà très belle.
→ Étonnante association avec un Rameau version trio romantique (très
réussie) et cette transcription du poème symphonique de Liszt.
→ Trissé pour le Saint-Saëns, bissé pour le reste.
♥♥♥ Saint-Saëns – Quatuors 1 & 2 –
Tchalik SQ (Alkonost Classic)
→ Lecture très consciente stylistiquement, et ardente, de ces quatuors
magnifiant à la fois la contrainte formelle et la beauté de
l'invention… ce jeune quatuor a évolué de façon assez fulgurante ces
dernières années. (Son intégrale Hahn est fabuleuse aussi.)
(réédition)
♥♥♥ Mahler, Bertin-Maghit &
Hersant – « No Time for Chamber Music » (extraits arrangés de
Mahler) – Collectif9 (2018,
réédition Alpha 2021)
→ Réédition de cet album d'une formidable inventivité, réutilisant dans
des contextes nouveaux (et pour effectif chambriste comme l'indique le
nom de l'ensemble !) des thèmes issus de l'œuvre de Mahler. Fascinant
de contempler ces mélodies connues se mouvoir selon des chemins
imprévus, et le tout exécuté à un niveau instrumental assez
hallucinant, recréant un orchestre complet rien qu'avec leurs textures
de cordes.
→ Totalement jubilatoire.
→ Trissé.
Et les écoutes / réécoutes hors
nouveautés :
♥ Gabrielli – Sonate con trombe e violini –
Cappella di San Petronio, Sergio Vartolo (Tactus)
♥♥ Schubert – Quintette piano-cordes
en la – Anima Eterna Brugge, Immerseel
(ZZT)
♥ Hummel, Bertini – Quintette
piano-cordes, Sextuor piano-cordes (MDG)
→ Hummel bissé.
→ Très belle version très bien captée. Meilleure que celle qui vient de
sortir chez CPO (et couplage Bertini plus intéressant qu'une version
moyenne de Schubert, évidemment…).
♥ Wyschnegradsky - String
quartet №2
→ Intéressant, à défaut de réellement séduisant.
L. Violon
(solo ou accompagné)
nouveautés
♥ Saint-Saëns – Pièces de caractère pour
violon & piano – Fanny Clamagirand,
Vanya Cohen (Naxos 2021)
→ On y retrouve les grands standards (Danse macabre, Rondo capriccioso,
Havanaise…) et des pièces rares, où l'on peut profiter du son
extraordinairement capiteux et flûté (produire un timbre aussi
chantant, aussi peu « frotté » avec un violon relève du petit
miracle)
et de la musicalité de Clamagirand, qui impressionne beaucoup depuis
quelques années déjà.
→ Pas de révélations particulières parmi les pièces moins célèbres, à
mon sens.
♥♥ E. Andrée, Bonis, Smyth – Sonates pour violon, « First
Ladies » – Annette-Barbara Vogel, Durval Cesetti (Toccata Next
2021)
→ Décidément, quelques figures féminines commencent à solidement
émerger, au moins dans le domaine de la mélodie et de la musique de
chambre (et plus simplement du piano d'intérieur) !
→ Trois grandes compositrices… je n'ai pas été aussi impressionné par
Bonis que par sa Sonate violoncelle-piano, mais Smyth me frappe à
nouveau par sa typicité, sa façon de tisser le matériau folklorique
dans les formes savantes… Très réussi.
→ De surcroît très bien joué, par une spécialiste de ce genre de
bizarrerie – plusieurs disques Hans Gál à son actif !
Kreisler + divers
arrangements et pièces virtuoses ou de caractère – « 12 Stradivari » – Janine
Jansen, Antonio Pappano
(Decca 2021)
→ Surtout intéressant pour son projet : réunir pendant 10 jours 12
stradivarius, dont certains plus joués depuis des années, ou jamais
enregistrés, et concevoir un programme qui mette en valeur leurs
caractéristiques ou le lien avec leurs possesseurs historiques. Le tout
par une seule interprète.
→ Le projet est excitant mais le résultat, comme je pouvais m'y
attendre (considérant ma sensibilité), reste assez peu exaltant :
1) on
perçoit certes des nuances de timbre, mais le son d'un violon dépend
avant tout de la personne qui joue sur le violon ; 2) le
répertoire de
pièces pittoresques n'est franchement pas passionnant si l'on n'est pas
passionné du violon en soi, si l'on ne le regarde pas comme une épreuve
d'athéltisme à travers des haies et balses obligées ; 3) le son
adopté
par Janine Jansen est uniformément très intensément vibré et assez
dégoulinant, très loin de la sobriété légère qui fait son intérêt en
tant qu'interprète – elle refuse en général les soulignements excessifs
et les effets de manche, tandis que ce disque semble (un peu
artificiellement) renouer avec cette tradition.
Et les écoutes / réécoutes hors
nouveautés :
(réécoute nouveauté)
♥♥♥ Il Sud: Seicento Violin Music in Southern Italy ; œuvres de Falconieri, Montalbano, Trabaci, Pandolfi,
Leoni, Mayone ; Ensemble Exit, Emmanuel Resche-Caserta
(Passacaille 2020)
→ Œuvres rares à la veine mélodique généreuse et aux diminutions
expansives, dans une interprétation pleine de couleurs (assise sur
orgue positif et théorbe, remarquablement captés), avec un violon solo
à la fois chaleureux et plein d'aisance. Un peu grisant.
♥ Messiaen – Thème & Variations
– Alejandro Bustamante, Enrique Bagaria (Columna Music)
→ Accords réguliers très marqués dans le style harmonique Messiaen,
soutenant un violon plus lyrique.
M. Violoncelle
(solo ou accompagné)
♥ Frescobaldi, Ortiz, Vitali,
Galli, Degli Antoni – Canzoni pour violoncelle(s) et basse continue – Cocset, Les Basses Réunies, Cocset
(Alpha)
→ Quel son, quels phrasés !
♥ Bach – Suites pour
violoncelle 1, 3 – Bruno Cocset
(Alpha)
→ Vraiment différent, très vif et très droit. Manque de danse et de
saveurs harmoniques pour moi, mais dans son genre fulgurant et droit au
but, convaincant !
N. Orgue
nouveautés
♥♥ Karg-Elert – Intégrale pour orgue,
vol.12 : 3 Impressions, Hommage à
Haendel, Partita n°1 – Steinmeyer de la Marienkirche de
Landau/Pfalz, Stefan Engels (Priory 2020)
→ Les Impressions sont d'un postromantisme très conservateur et peu
saillant, mais la Partita tire au contraire le meilleur du pouvoir des
atmosphères.
→ Quant aux variations-hommage à Haendel, elles montrent une maîtrise
ludique d'organiste pour tout ce qui est des diminutions et de la
registrations.
→ Superbe orgue riche et généreux, superbement registré et capté.
Et les écoutes / réécoutes hors nouveautés :
1) Baroque XVIIe
& louisquartorzien
♥ Arauxo – Libro de
tientos y discursos de musica practica, y theorica de organo (extraits)
– Francesco Cera (Brilliant Classics 2018)
♥♥♥ Titelouze, Buxtehude, Pachelbel, Marchand,
Boyvin, Corrette, Dandrieu… –
Livres d'orgue sur les orgues du Jura
franco-suisse vol.1 – Delor, Baillot, Béraza, Meylan
(Phaïa 1999)
→ Très belles orgues baroques françaises (Dole, Champagnole, Orgelet)
ou suisse (Le Sentier), très typées. Et l'archaïsme de Titelouze, le
grandiose de Marchand, le lyrisme de Boyvin, la fantaisie de Corrette
& Dandrieu… Aussi des pièces d'Allemands, dont Buxtehude et (Georg)
Böhm.
→ Un coffret totalement jubilatoire pour les amateurs d'orgue français,
à connaître absolument !
Pachelbel – Œuvres pour orgue –
Saint-Bonaventure de Rosemont à Montréal, Bernard Lagacé (Arion)
→ Captation très crue, pas très agréable.
Pachelbel, Froberger, Muffat –
« Organ Music Before Bach » – KeiKoito
(DHM)
♥♥♥ Boyvin – Premier and
Second livre d'orgue : Suites Nos. 1-8, « French Organ Music from the
Golden Age, Vol. 6 » – Bolbec,
Ponsford (Nimbus)
→ Toujours aussi opératique ce Boyvin !
♥♥ André Raison – Livre
d'orgue – Ponsford à Saint-Michel en Thiérache (Nimbus)
→ Volume 3 de son anthologie française.
♥♥ Grigny, Lebègue – Orgue,
motets – Ensemble Gilles Binchois, Nicolas Bucher (Hortus)
→ Sur l'orgue de l'abbatiale Saint-Robert de La Chaise-Dieu.
♥♥ Grigny – Les Hymnes –
Lecaudey (Pavane)
→ Sur l'orgue Tribuot de Seurre.
https://www.deezer.com/fr/album/5407331
♥♥♥ Grigny – Le Livre pour
orgue, avec alternatim – Vox
Gregoriana, Mikkelsen
♥♥♥ Dandrieu – Laissez paître
vos bêtes – Maîtrise du CMBV, Jarry (CSV 2019)
→ Tube personnel, sur l'orgue de la Chapelle Royale de Versailles avec
cet alternatim de la Maîtrise du CMBV ! (Il figure sur plusieurs
notules de CSS.)
♥♥♥ Daquin – Nouveau Livre de
Noëls – Gellone, Falcioni (Brilliant Classics)
→ (Première écoute intégrale du Livre ? Variations en réalité.)
→ Saveur extraordinaire, très pincée, acide, colorée, de l'orgue de
Saint-Guilhem.
♥♥ Daquin – Nouveau Livre de
Noëls – Bardon & St-Maximin
♥♥ Daquin – Nouveau Livre de
Noëls – Baumont & Thiérache
♥♥ Daquin – Nouveau Livre de
Noëls – Dom Bedos & Mouyen
♥♥ Corrette – Offertoire La St François sur
l'orgue Dom Bedos / Quoirin de
Sainte Croix de Bordeaux (YT 2012)
09 - Dialogue sur les grands jeux - Paul Goussot (YT 2018)
→ Quel orgue !
♥♥ Balbastre – Noëls &
pièces formelles – Rabiny-Maucourt-Puget (1781-1869-1953) de
Saint-Félix-Lauragais, Pauline Koundouno-Chabert (Psalmus)
→ Pas la plus mobile des interprétations (pour cela, il y a Chapuis
& Tchebourkina à Saint-Gervais !), mais le programme est très
intelligemment conçu, avec son alternance de pièces formelles et de
Noëls, qui évite toute lassitude… et l'orgue a des couleurs à la
française réjouissantes !
→ Il existe de toute façon peu de grands recueils Balbastre, et
celui-ci est l'un des plus plaisants !
3) XIXe siècle
♥♥♥ Schumann – Esquisses,
Études, Fugues (orgue) – Rothkopf (Audite)
→ Trissé. (cf. notule sur ce disque)
♥♥ LISZT, F. / SCHUMANN, R. / MENDELSSOHN, Felix, Blanc, Albert Alain (Orgues du Jura Franco-Suisse, Vol. 2)
(M.-C. Alain, Camelin, Champion, Lebrun, Leurent)
→ La Procession prise sous l'orage, quelle chose étonnante (figurative
et réjouissante), à défaut d'être profonde musicalement ! Albert
Alain est en revanche particulièrement ennuyeux, appliqué, sinistre.
→ Sur ces orgues aux timbres très typés français, les
Mendelssohn-Schumann-Liszt prennent une saveur extraordinaire !
3) XXe siècle
♥ Reger : Introduction,
Passacaille et Fugue en mi mineur, Op.
127 – Gerhard Weinberger (CPO)
→ Quelle œuvre de la pleine démesure : l'élève (fantasmatique) de Fauré
et de Wagner écrivant de la musique tonale (ce qu'il en reste) à
l'époque de Wozzeck… Quelque chose dans cet esprit : vagabondage
harmonique, certains accords très riches et dissonants, ambiance très
sombre et pesante, Passacaille qui évoque davantage Berg que Brahms… le
contrepoint, l'enharmonie et les errances tonales partout.
→ C'est monumental – quoique un peu sérieux et discipliné pour être
réellement jubilatoire, me concernant. Mais très intéressant,
effectivement au bout de la logique de Reger !
→ Très bien capté et phrasé.,
♥ KARG-ELERT, S.: Organ and
Piano Music - Poesien + Silhouetten
+ arrangement de la Suite de Pelléas
de Sibelius – Konttori-Gustafsson, Lehtola (Toccata Classics
2017)
→ La Suite de Pelléas fonctionne vraiment bien (l'orgue enveloppant, le
piano mordant).
→ De belles choses dans les Silhouetten, quoique vraiment tradis.
♥ REUCHSEL, E.: Promenades en Provence, Vols. 1-3 /
Bouquet de France (extraits) – cathédrale St Louis (Missouri), Simon
Nieminski
→ Les progressions figuratives sont beaucoup plus frappantes en vrai,
mais ce disque sans éclat particulier a au moins le mérite rare de
documenter un florilège de ce catalogue tout à fait digne d'intérêt. Je
ne garantis cependant pas l'émotion à l'écoute de l'objet disque – je
n'y suis pas parvenu.
♥ Messiaen – L'Ascension –
Innig (MDG)
→ Un peu sombre pour le lyrisme et les couleurs de cet opus.
♥♥ Messiaen – Livre saint
Sacrement– Innig (MDG)
→ Très sobre et sombre, marche vraiment bien.
♥♥ Messiaen – Messe de la
Pentecôte, Livre d'orgue – Innig (MDG)
→ Lecture très accessible, le Livre d'orgue (que je n'avais pas encore
essayé dans cette intégrale) est même franchement réussi et
échappe tout à fait au formalisme moche que j'y percevais d'ordinaire… !
♥♥ Florentz – Laudes, Prélude
de l'Enfant noir, Debout sur le soleil, La Croix du Sud – Roquevaire,
Thomas Monnet (Hortus 2014)
→ Très beau dans le style Messiaen, et assez sobre.
→ Trissé.
O. Piano·s
(quatre mains)
nouveautés
(réédition) SCHUMANN, R.: Arrangements for Piano Duet, Vol. 3
- Manfred (excerpts) / Symphony No. 3 / Overtures (Eckerle
Piano Duo) (Naxos 2015, réédition 2021)
→ Intéressant (Manfred en particulier !), mais exécution vraiment
molle. À retenter en d'autres mains.
Chausson, Ropartz, Massenet,
Alkan, Chaminade, Godard – Pièces françaises à quatre mains,
« Four Hands for France » – Stephanie
McCallum, Annie Helyard (Toccata Classics 2021)
→ On retrouve Stephanie McCallum, déjà sur un de mes disques de l'Île
Déserte (Dans l'ombre de la Montagne etles Préludes à danser pour
chaque jour de la semaine de Ropartz), pour un programme qui, comme
l'on pouvait s'y attendre, reste plutôt léger. Même Chausson, le
tourmenté et modulant Chausson écrit de la bluette bien consonante, qui
évoque davantage un décalque très assagi des Jeux d'enfants de Bizet
que le langage d'Arthus ou de ses Maeterlinck… Les Ropartz aussi sont
en deçà, à mon sens, du legs pianistique du compositeur. [Tout
l'inverse des Allemands, donc, qui sont souvent meilleurs dans les
configurations quatre mains / deux pianos.]
→ Très beau projet, mais je n'y ai trouvé rien d'essentiel pour ma
part, je ne me sens pas de le recommander spécifiquement dans
l'abondance de parutions…
♥ KARG-ELERT, S.: Organ and
Piano Music - Poesien + Silhouetten
+ arrangement de la Suite de Pelléas
de Sibelius – Konttori-Gustafsson, Lehtola (Toccata Classics
2017)
→ La Suite de Pelléas fonctionne vraiment bien (l'orgue enveloppant, le
piano mordant).
→ De belles choses dans les Silhouetten, quoique vraiment tradis.
(deux mains)
Schumann, R.: Pedal Piano Music (Complete) -
Studies, Op. 56 / 4 Sketches, Op. 58 / 6 Fugues On B-A-C-H (par Martin Schmeding, sur piano d'époque)
→ Rare disque sur un piano-pédalier d'époque. Pas forcément un plaisir
au demeurant : piano limité (et peu fiable, d'après le pianiste).
→ En sus, jeu très carré, pas très poétique.
♥♥ Liszt – Vallée d'Obermann –
Bolet
→ Toujours pas bouleversé par l'œuvre (souvent un peu univoque, le
piano de Liszt).
Peterson-Berger –
Improvisations au piano, mélodies – Peterson-Berger
→ Décoratif.
♥♥ Langgaard: Afgrundsmusik (Music
of the Abyss), BVN 169 – Berit Johansen Tange
→ Ces inclusions soudaines de motifs brefs complètement dans le langage
de Messiaen sont assez folles !
P. Airs de cour,
lieder & mélodies…
nouveautés
♥ STROZZI, B.: Ariette a voce sola /
Diporti di Euterpe / Sacri musicali affetti (La voce sola) (Dubinskaitė, Canto Fiorito)
(Brilliant 2021)
→ Pas le plus édifiant corpus de son siècle, mais joliment écrit et
très bien chanté.
♥♥♥ Schumann – Alle Lieder – Gerhaher,
Huber, Rubens, Landshammer, Kleiter, Lehmkuhl… (Sony 2021)
→ Magnifique somme regroupant les cycles Schumann de Gerhaher, parmi
les tout meilleurs qu'on puisse entendre et/ou espérer, et permettant
de tout entendre, avec bon nombre de nouveautés (tout ce qui n'avait
pas été enregistré, et même une nouvelle version de Dichterliebe). Il
manque une poignée de lieder présents dans l'intégrale Hyperion, mais
sinon, même les lieder en duo et les liederspiele à 4 y sont, tous !
→ Verbe au cordeau, variation des textures, mordant, tension, nuances,
c'est la virtuosité d'une expression construite qui impressionne
toujours autant chez lui !
→ Les artistes invités, ce n'est pas n'importe qui non plus, ces dames
figurent parmi les meilleures liedersängerin de leur génération
(Rubens, n'est-ce pas !). Les lieder prévus pour voix de femme sont
ainsi laissés aux interprètes adéquates.
→ De surcroît le livret contient des introductions, un classement clair
(même une annexe par poètes !) et les textes (monolingues, certes, mais
c'est toujours une base de départ confortable pour ceux qui veulent
ensuite des traductions).
♥ Duparc, Saint-Saëns, Fauré,
Chausson, Ibert, Ravel – Mélodies « Aimer à loisir » –
Boché, Durham, Fanyo,
Timoshenko (B Records 2021)
→ Issus de leur résidence Royaumont (interrompue par certain
perturbateur microscopique de votre connaissance), quatre mini-récitals
de duos piano-chant de jeunes artistes, où se distingue
particulièrement, sans surprise, Kaëlig Boché, exceptionnel diseur –
même si la voix est hélas peu phonogénique par rapport à son intérêt en
salle ! Pour entendre Axelle Fanyo à son meilleur, allez d'abord
entendre sa dernière Mélodie persane qui vient de paraître en couplage
avec La Princesse jaune !
♥♥ (Dinu) Lipatti, Enescu, (Violeta)
Dinescu – « Hommage à Dinu Lipatti », Cycles de
mélodies françaises (+ un lied de Dinescu) – Markus Schäfer, Mihai Ungureanu
(Drever Gaido)
→ Quelle belle surprise que ce disque, qui documente pour la première
fois les mélodies (on dispose que de quelques autres œuvres du disque)
de Lipatti !
→ Je croyais à une réédition de ses interprétations de Chopin, j'ai
failli passer mon chemin et puis j'ai vu le nom de Markus Schäfer,
interprète vivant… Bien m'en a pris !
→ Les Marot d'Enescu
(remarquablement naturels et riches à la fois) sont couplés avec les Verlaine de Lipatti (un peu plus
ouvertement complexes et appliqués, prosodiquement moins exacts, mais
très intéressants musicalement). Très belle découverte !
→ Hélas, sur le plan de la réalisation, il faut se contenter d'un
français à très fort accent, Schäfer
fait ce qu'il peut avec générosité, mais ce n'est clairement pas
équivalent à un grand disque de mélodiste aguerri.
→ La longue pièce de Dinescu
qui conclut est beaucoup plus ancrée dans le contemporain, mais très
vivante et d'une expression assez naturelle malgré les effets. Une
belle réussite.
♥♥♥ Miaskovski (Myaskovsky)–
« Œuvres vocales vol. 1 » : Livre Lyrique, 12 Romances d'après
Lermontov, Sonate violon-piano – Barsukova, Pakhomova,
Dichenko, Solovieva (Toccata Classics 2021)
→ Quelle belle surprise que ce corpus, dans le goût généreux, d'un
postromantisme enrichi, de ses premiers quatuors (on peut penser au
langage traditionnel mais évolué des 4 & 5 !), et très bien
servi. → Un très beau jalon du répertoire russe (soviétique en
l'occurrence, mais ce sonne plutôt russe).
♥♥♥
Hahn – Trois jours de vendange –
Théruel (YT)
→ L'idéal de la mélodie, l'idéal du chant aussi.
♥ Debussy – Mandoline, Le
Tombeau des Naïades – Fleming,
Thibaudet (Decca)
→ Très intensément dits (comme peu l'osent !), avec un style étrange
(plein de changements de timbre, du glissando à tout va…).
Peterson-Berger –
Improvisations au piano, mélodies – Peterson-Berger
→ Décoratif.
Si vous suivez mon exemple, je devrais vous tenir occupés quelques
jours encore, le temps que je fournisse une notule digne de ce nom.
D'autant que beaucoup de ces disques (à 2 ou 3 cœurs) méritent
amplement d'être écoutés plus d'une fois ! Ainsi que ceux des
épisodes précédents.
Puissiez-vous, estimés lecteurs, jouir des beautés de la musique
retrouvée, tandis que l'Automne – et peut-être les Variants – s'empare
doucement de nos vies en extérieur.
Toujours la brève présentation des nouveautés (et autres écoutes et
réécoutes) du mois écoulé. Je laisse une trace pour moi, autant vous
donner des idées d'écoutes…
Conseils
Opéra
Trois opéras très peu présents au disque :
♦ Les
Feſtes d'Hébé de Rameau
dans leur version révisée de 1747 ;
♦ Drot og marsk de Heise, généreux opéra romantique
suédois ;
♦ Constellations d'Efrain Amaya d'après la vie de Miró (2012).
Hors nouveautés, retour aux fondamentaux : Isis de LULLY,
La mort d'Abel de Kreutzer (six fois…), les meilleurs Verdi de jeunesse dans leurs
meilleures versions (Oberto, Nabucco, Alzira, Stiffelio et sa refonte
Aroldo… ne manquait qu'Il Corsaro !), Tristan
de Wagner dans une version
ultime (C. Kleiber, Scala 1978), les deux meilleurs Offenbach comiques (Barbe-Bleue et
Le roi Carotte), Barbe-Bleue de Bartók
en japonais, Saint François
d'Assise de Messiaen dans
la souple version Nagano !
Récitals
♦ Romances, Ballades & Duos, parmi
les œuvres les plus touchantes de Schumann,
par les excellents spécialistes Metzer, Vondung, Bode et Eisenlohr.
♦ Un autre cycle de Jake Heggie
: Songs for Murdered Sisters.
♦ Yoncheva – disque au répertoire très varié, culminant dans Dowland et surtout une chaconne
vocale de Strozzi
éblouissante.
♦ Piau – grands classiques du lied symphonique décadent (dont les R. Strauss).
Hors nouveautés : j'ai découvert le récital composite de Gerald Finley
avec le LPO et Gardner, tout y est traduit en anglais.
Sacré
♦ Cantates de la vie de Jésus par Pfleger, objet musical (et textuel)
très intriguant.
♦ Couplage de motets de M.Haydn et
Bruckner par la MDR Leipzig.
Hors nouveautés : Motets latins de Pfleger
(l'autre disque), motets latins de Danielis
(merveilles à la française), Cherubini
(Messe solennelle n°2 par Bernius, aussi l'étonnant Chant sur la
mort de Hayndn qui annonce… Don
Carlos !), Messe Solennelle de
Berlioz (par Gardiner), Service de la Trinité et Psaumes de
Stuttgart de Mantyjärvi.
Orchestral
Hors nouveautés : Cherubini (Symphonie
en ré), Mahler par Tennstedt
(intégrale EMI et prises sur le vif), Tapiola
de Sibelius (par Kajanus,
Ansermet, Garaguly, plusieurs Berglund…), Pejačević (Symphonie en fa dièse)
Concertant
Hors nouveautés : concertos pour violon de Kreutzer, Halvorsen, Moeran, Harris, Adams, Rihm,
Dusapin, Mantovani. Concertos pour hautbois de Bach par Ogrintchouk. Concerto pour
basson de Dupuy par van
Sambeek.
Chambre
♦ Trios de Rimski et Borodine, volume 3
d'une anthologie du trio en Russie.
♦ Pour deux pianos : Nocturnes de Debussy
et Tristan de Wagner arrangé
par Reger.
♦ Meilleure version de ma connaissance pour le Quatuor pour la fin du
Temps de Messiaen par le Left
Coast Ensemble (musiciens de la région de San Francisco).
Hors nouveautés : Matteis (disque
H. Schmitt et disque A. Bayer), Bach (violon-clavecin
par Glodeanu & Haas, souplesse garantie), Rondo alla Krakowiak de Chopin avec Quintette à cordes,
disques d'arrangements du Quatuor
Romantique (avec harmonium !) absolument merveilleux, Messiaen (Quatuor pour la fin du
Temps par Chamber Music Northwest).
Et pas mal de quatuors à cordes bien évidemment : d'Albert, Smyth (plus le Quintette à cordes), Weigl, Andreae, Korngold, Ginastera (intégrale des quatuors
dans la meilleure version disponible)…
Solo
♦ Récital de piano : Samazeuilh, Decaux, Ferroux, L. Aubert
par Aline Piboule.
Hors nouveautés : clavecin de 16 pieds
de Buxtehude à C.P.E. Bach.
La légende
Du vert au violet, mes recommandations…
→ * Vert : réussi !
→ ** Bleu : jalon considérable.
→ *** Violet : écoute capitale.
→ ¤ Gris : pas convaincu.
(Les disques sans indication particulière sont à mon sens de très bons
disques, simplement pas nécessairement prioritaires au sein de la
profusion de l'offre.)
Liste brute suit :
Nouveautés : œuvres
♥♥
Rameau – Les Feſtes d'Hébé
(version de 1747) – Santon, Perbost, Mechelen, Estèphe, Orfeo
Orchestra, Vashegyi (radio hongroise)
→ Premier enregistrement de la version remaniée de 1747, très vivement
animée par Vashegyi (davantage tourné vers l'énergie cinétique que la
couleur). Des réserves fortes sur Santon ici (vibrato vraiment trop
large, instrument surdimensionné), en revanche Estèphe (mordant haut et
verbe clair) exhibe l'un des instruments les mieux faits de toute la
scène francophone.
→ Audible sur la radio hongroise avant parution CD
dans quelques mois…
♥♥
Rimski-Korsakov, Cui, Borodine
– Trios piano-cordes (« Russian Trio History vol.3 »)
– Brahms Piano Trio (Naxos 2021)
→ Élan formidable du Rimski. Très beau mouvement lent lyrique de
Borodine.
♥♥
Brahms, Sonate à deux pianos //
Wagner-Reger, Prélude et mort d'Isolde // Debussy, Nocturnes –
« Remixed » –
Grauschumacher Piano Duo (Neos 2021)
→ Splendides timbres, textures et couleurs du duo. Ainsi transcrits,
Tristan et les Nocturnes constituent une approche originale, et
marquante.
♥
Koželuch : Concertos and Symphony par Sergio
Azzolini, Camerata Rousseau, Leonardo Muzii (Sony 2021)
→ Avec un son de basson très terroir.
♥♥♥
Pfleger – Cantates « The
Life and Passion of the Christ » – Vox Nidrosiensis,
Orkester Nord, Martin Wåhlberg (Aparté 2021)
→ Musique du Nord de l'Allemagne au milieu du XVIIe siècle. Œuvres
inédites (seconde monographie seulement pour ce compositeur.
→ Plus ascétique que ses motets latins (disque CPO, plus expansif), je
vous promets cependant de l'animation, avec ses solos de psaltérion,
ses évangélistes qui fonctionnent toujours à deux voix, ses structures
mouvantes qui annoncent l'esthétique des Méditations pour le Carême de
Charpentier.
→ Par ailleurs, curiosité d'entendre des textes aussi composites
(fragments des Évangiles mais aussi beaucoup d'Ancien Testament épars),
ou encore de voir Dieu s'exprimer en empruntant les mots d'Ézéchiel et
en émettant des notes très graves (mi 1 - ut 1) sur des membres de
phrase entiers.
→ On y rencontre des épisodes peu représentés d'ordinaire dans les
mises en musique – ainsi la rencontre d'Emmaüs, ou la Cananéenne dont
la fille est possédée – écrits en entrelaçant les sources des
Évangiles, des portions des livres prophétiques, les gloses du XVIIe et
les chants populaires de dévolution luthériens, parfois réplique à
réplique…
→ De quoi s'amuser aussi avec le contexte (je vous en touche un mot
dans la notice de ma main), avec ces duels à l'épée entre maîtres de
chapelle à la cour de Güstrow (le dissipé Danielis !), ou encore
lorsque Pfleger écarte sèchement une demande du prince, parce que
lui sert d'abord la gloire de la musique et de Dieu. (Ça pique.)
→ Et
superbe réalisation, conduite élancée, voix splendides et
éloquentes.
♥♥
SCHUMANN, R.: Lied Edition,
Vol. 10 - Romanzen und Balladen / Duets (Melzer, Vondung, Bode,
Eisenlohr)
→ Superbe attelage pour les lieder en duo de Schumann, de petits bijoux
trop peu pratiqués.
♥♥
Michael Haydn, Bruckner – Motets
– MDR Leipzig, Philipp Ahmann (PentaTone 2021)
→ La parenté entre les deux univers sonores (calmes homorythmies,
harmonies simples) est frappante. La couleur « Requiem de
Mozart » reste prégnante chez M. Haydn. Très beau chœur rond et
tendre.
♥
Monteverdi, Ferrabosco,
Cavalli, Strozzi, Stradella, Gibbons, Dowland, Torrejón, Murcia,
traditionnel bulgare… – « Rebirth » – Yoncheva, Cappella Medeiterranea,
García Alarcón (Sony 2021)
→ La voix est certes devenue beaucoup plus ronde et moins focalisée,
mais le style demeure de façon impressionnante, pas le moindre
hors-style ici.
→ Accompagnement splendide de la Cappella Mediterranea, parcourant
divers climats – l'aspect « ethnique » un peu carte postale
de certaines pistes, façon Arpeggiata, étant probablement le moins
réussi de l'ensemble.
→ Le disque culmine assurément dans l'ineffable chaconne de l'Eraclito
amoroso de Mlle Strozzi, petite splendeur. . Come again de Dowland est
aussi particulièrement frémissant (chaque verbe est coloré selon son
sens)… !
♥♥♥
Samazeuilh, Le Chant de la Mer
// Decaux, Clairs de lune // Ferroud, Types // Aubert, Sillages
– Aline Piboule (Printemps des Arts de Monte-Carlo 2021)
→ Déjà célébrée par deux fois dans des programmes français ambitieux
chez Artalinna (Flothuis, Arrieu, Smit, Fauré, Prokofiev,
Dutilleux !), grand retour du jeu plein d'angles d'Aline
Piboule dans quatre cycles pianistiques français de très haute
volée :
→ le chef-d'œuvre absolu de Decaux (exploration radicale et approche
inédite de l'atonalité en 1900),
→ première gravure (?) du Ferroud toujours inscrit dans la ville,
→ lecture ravivée de Samazeuilh (qui m'avait moins impressionné dans la
version ATMA), et
→ scintillements argentés, balancements et mélodies exotiques
fabuleuses des Sillages de Louis Aubert !
→ bissé
♥
PÄRT, A.: Miserere + A Tribute
to Cæsar + The Deer's Cry, etc. – BayRSO, œsterreichisches
ensemble fuer neue musik, Howard Arman (BR-Klassik 2021)
→ Belle version de belles œuvres de Pärt – pas nécessairement le Balte
le plus vertigineux en matière de musique chorale, mais sa célébrité
permet de profiter souvent de ses très belles œuvres, servies ici par
ce superbe chœur.
Michał BERGSON – Piano
Concerto / Mazurkas, Polonaise héroïque, Polonia!, Il Ritorno,
Luisa di Montfort [Opera] (excerpts) – Jonathan Plowright au piano,
Drygas, Kubas-Kruk ; Poznan PO, Borowicz (DUX 2020)
→ Le père d'Henri – principale raison d'enregistrer ces œuvres pas
majeures.
→ Concerto très chopinien (en beaucoup moins intéressant). La Grande
Polonaise Héroïque, c'est même du pillage de certaines tournures de
celle de Chopin… (en beaucoup, beaucoup moins singulier)
→ L'Introduction de Luisa di Montfort est écrite sur le thème
« Vive Henri, vive ce roi galant », plus original et amusant.
Mais ensuite : cabalette transcrite pour clarinette, on garde donc
juste la musique belcantiste pas très riche et la virtuosité
extérieure, sans le théâtre.
→ Il Ritorno, une petite pièce vocale en français, galanterie
ornementale virtuose parfaitement banale de 4 minutes. Pas
enthousiaste.
→ Première déception chez DUX ! (mais au moins c'est
rarissime et plutôt bien joué… donc toujours une découverte agréable)
♥♥
Efrain AMAYA – Constellations [2012]
– Young, Kempson, Shafer ; Arts Crossing Chb O, Amaya (Albany 2020)
→ Très tonal, sur jolis ostinatos, déclamation sobre pour trois
personnages, un opéra inspiré par la vie (et les opinions) de Joan
Miró. Il y discute de ses ressentis d'artiste (sur Dieu, dans le
premier tableau…) avec sa femme, parfois en présence de sa fille
silencieuse. Également quelques échanges avec un oiseau, muse du
peintre (incarné par la chanteuse qui fait l'épouse), et entre l'épouse
et l'esprit de la maison.
→ Même le final, lorsque la famille fuit tandis que les bombes se
mettent à pleuvoir sur le village, sonne plutôt « oh, regarde la
télé, c'est absolument dément ce qu'ils font, tu y crois
toi ? ».
→ Ce n'est pas du drame très brûlant, mais tout ça est très joli et
délicat, assez réussi. À tout prendre beaucoup plus satisfaisant que
ces opéras qui, en voulait être simultanément un laboratoire musical ou
poétique, ne sont tout simplement pas opérants prosodiquement et
dramatiquement – devenant vite mortellement ennuyeux. Choix peu
ambitieux ici, mais plutôt séduisant.
♥♥
STANCHINSKY : Piano
Music (A Journey Into the Abyss) (Witold Wilczek) (DUX 2021)
→ Impressionnant pianiste, très découpé et enveloppant à la fois !
→ Le corpus en est ravivé (pièces polyphoniques, nocturne, mazurkas).
Mais le plus intéressant demeure les Fragments, absents ici. ♥
STANCHINSKY : Piano
Works (Peter Jablonski) (Ondine 2021)
→ A beaucoup écouté Chopin... Très similaire dans les figures et
l'harmonie, à la rigueur augmenté de quelques effets retors typés
premier Scriabine.
→ Les Fragments sont plus intéressants que les Sonates et Préludes
; beaucoup plus originaux et visionnaires, plus scriabiniens, voire
futuristes.
→ Pianiste assez lisse.
♥♥♥HEISE, P.A.: Drot og marsk
(Royal Danish Opera Chorus and Orchestra, Schønwandt) (Dacapo 2021)
→ Superbe drame romantique, dans la veine de Kuhlau, remarquablement
chanté et joué. Tout est fluide, vivant, inspiré, œuvre à découvrir
absolument ! (il en existait déjà une version pas trop
ancienne chez Chandos) ♥♥HEGGIE, J.: Songs for Murdered
Sisters (J. Hopkins, J. Heggie)
→ Toujours dans le style fluide et très bien pensé rhétoriquement de
Heggie. Songs très bien
chantées.
Nouveautés : versions
Bach: 'Meins Lebens Licht' -
Cantatas BWV 45-198 & Motet BWV 118 – Collegium Vocale Gent,
Philippe Herreweghe (Phi 2021)
→ Approche très douce et caressante, comme voilée… Agréable, mais on
peut faire tellement plus de ce corpus !
→ (Déçu, j'ai beaucoup lu que c'était ultime…)
♥♥♥Messiaen – Quatuor pour
la fin du Temps – Left Coast Ensemble
(Avie 2021)
→ Captation proche et très vivante, interprétation très sensible à la
danse et à la couleur, une merveille où la direction de
l'harmonie, le sens du discours apparaissent avec une évidence rare !
+ Rohde: One wing
(Presler, Anna; Zivian, Eric)
→ Très plaisante piécette violon-piano, congruente avec Messiaen,
écrite par l'altiste membre de cet ensemble centré autour de San
Francisco.
♥
R. Strauss, Berg, Zemlinsky –
Lieder orchestraux : Vier letzte Lieder, Morgen,
Frühe-Lieder, Waldesgespräch – Piau,
O Franche-Comté, Verdier (Alpha 2021)
→ Beau grain de cordes (pas du tout un fondu « grand
orchestre », j'aime beaucoup), cuivres moins élégants.
→ Piau se tire très bien de l'exercice, même si captée de près (et pour
ce format de voix, j'aime une articulation verbale plus acérée), très
élégante et frémissante.
Verdi – Falstaff – Raimondi, OR
Liège, Arrivabeni (Dynamic)
→ Raimondi vieillissant et éraillé, mais toujours charismatique. En
revanche, tout est capté (y compris le très bon orchestre) atrocement,
comme rarement chez ce label pourtant remarquable par ses prises de son
ratées : on entend tout comme depuis une boîte sous la fosse, les
chanteurs sont trop loin l'orchestre étouffé, c'est un carnage.
→ À entendre pour la qualité des interprètes, mais très peu agréable à
écouter.
♥
Beethoven: König Stephan (King
Stephen), Op. 117 (revised spoken text by K. Weßler) – Czech
Philharmonic Choir, Brno; Cappella Aquileia; Bosch, Marcus (CPO 2021)
+ ouvertures de Fidelio
→ Version très informée et sautillante, avec un récitant (à défaut du
texte d'origine) ce qui est rarement le cas.
Autres nouvelles écoutes : œuvres
♥♥♥
Offenbach – Le roi Carotte –
Pelly, Lyon (vidéo France 3)
→ Les sous-entendus grivois les plus osés que j'aie entendus sur une
scène d'opéra… Formidable composition étonnamment libre pour du
Offenbach, livret d'une ambition bigarrée assez folle, une petite
merveille servie au plus haut niveau (Mortagne, Beuron, Bou !).
→ Grand concertato des armures qui évoque Bénédiction des Poignards,
superbe quatuor suspendu d'arrivée à Pompéi, impressionnante figuration
des chemins de fer…
♥♥♥Danielis – Motets –
Ensemble Pierre Robert, Desenclos (Alpha)
→ Petites merveilles à la française de ce compositeur wallon ayant
exercé en Allemagne du Nord, où – à Güstrow notamment – il s'est
illustré par ses frasques, insultes, caprices, chantages au départ…
→ Interprétation à la française également, d'une sobre éloquence, comme
toujours avec Desenclos.
→ Bissé.
♥♥
Buxtehude, Böhm, Weckmann, J.S.
Bach, C.Ph. Bach, W.F. Bach – Vom Stylus phantasticus zur freien
Fantasie – Magdalena Hasibeder sur
clavecin 16’ de Matthias Kramer (2006) d’après un clavecin
hambourgois (vers 1750) (Raumklang 2013)
→ Impressionnante majesté du clavecin doté d'un jeu de seize pieds (au
lieu du huit-pieds traditionnel), capté de façon un peu trouble. Mais
la superbe articulation de M. Hasibeder compense assez bien ces
limites. Un pont entre deux esthétiques de l'affect différentes, sur un
rare modèle reconstitué.
♥♥
Moeran – Concerto pour violon
– (Lyrita)
→ Lyrique, atmosphérique, dansant, très réussi. Mouvements lents
encadrant un mouvement rapide très entraînant et bondissant.
+ Rhapsodie en fa# avec piano (aux formules digitales très
rachmaninoviennes)
+ Rhapsodie en mim pour orchestre, très belle rêverie !
♥♥
Roy Harris & John Adams: Violin Concertos – Tamsin
Waley-Cohen, BBC Symphony Orchestra, Andrew Litton (Signum)
→ Deux concertos très vivants et colorés, où l'orchestre jou sa part.
→ Bissé.
♥♥
Halvorsen – Concerto pour
violon – Henning Kraggerud, Malmö SO (Naxos 2017)
→ Très violonistique, mais beaucoup des cadences simples et sens de la
majesté qui apportent de grandes satisfactions immédiates.
♥♥
Rihm, Gedicht des Malers
– R. Capuçon, Wiener Symphoniker, Ph. Jordan + Dusapin, Aufgang – R.
Capuçon, OPRF, Chung + Mantovani, Jeux d'eau –
R. Capuçon, Opéra de Paris, Ph. Jordan
→ Mantovani chatoyant et plein de naturel, Rihm lyrique et privilégiant
l'ultrasolo et le suraigu, Dusapin plus élusif.
♥♥
Svendsen: Violin
Concerto in A major, Op. 6 / Symphony No. 1 in D major, Op. 4 – Arve
Tellefsen, Oslo PO, Karsten Andersen (ccto), Miltiades Caridis (symph)
(Universal 1988)
→ Timbre d'une qualité surnaturelle… Sinon belle plénitude
paganino-mendelssohnienne, et plus d'atmosphères que d'épate.
→ Symphonie plus naïve, en bonne logique vu le langage.
♥
Matteis – False
Consonances of Melancholy – A. Bayer, Gli Incogniti, A. Bayer (ZZT / Alpha 2009)
→ Très beau disque également, mais de consonance plus lisse. ♥♥
Matteis – Ayrs for the
Violin – Hélène Schmitt (Alpha
2009)
→ Œuvres magnifiques, déjà tout un art consommé de doubles cordes
notamment, mais toujours avec poésie.
♥
Saint-Saëns – Suite pour
violoncelle et orchestre – Camille Thomas, ON Lille, A. Bloch (DGG 2017)
→ Suite d'inspiration archaïsante mais extrêmement romantisée, très
réussie.
+ des Offenbach arrangés
♥
Boccherini, Couperin-Bazelaire, Frescobaldi-Toister,
Monn-Schönberg – Concertos pour
violoncelle – Jian Wang,
Camerata Salzburg (DGG 2003)
→ Boccherini G. 482 en si bémol, plein de vie. Le reste du corpus est
moins marquant, surtout Monn, assez terne. Très belle interprétation
tradi-informée.
Pabst – Trio piano-cordes (« Russian Trio
History vol.2 ») – Brahms Piano Trio (Naxos)
→ Bissé. Beau Trio à la mémoire d'A. Rubinstein, bien fait, mais je
n'ai pas été particulièrement saisi.
Dupuy: Flute Concerto No.
1 in D Minor – Petrucci, Ginevra; Pomeriggi Musicali, I; Ciampi,
Maurizio (Brilliant Classics 2015)
→ On y retrouve les belles harmonies contrastées et expressives propres
à Dupuy, mais l'expression galante et primesautière induite par la
flûte n'est pas passionnante.
♥
Édouard Dupuy – Bassoon
Concerto in A Major – van Sambeek, Sinfonia Rotterdam, Conrad van
Alphen (Brilliant 2012)
→ Orchestre hélas tradi-mou. Belle œuvre qui mériterait mieux, quoique
en deçà du gigantesque concerto en ut mineur…
♥♥
Kreutzer – Violin Concerto No. 14 in E Major –
Peter Sheppard Skærved, Philharmonie Slovaque de Košice ; Andrew
Mogrelia (Naxos 2007)
→ Quelle grâce, on pense à Du Puy !
+ n°15, Davantage classicisme standard, mais interprétation très belle
(quel son de violon, quelle délicatesse de cet orchestre tradi !) qui
permet de se régaler dans les moments les plus lyriques.
(Arrêtez un peu de nous casser les pieds avec Saint-George et
faites-nous entendre du Clément et du Kreutzer, les gars !)
Kreutzer: 42 Etudes ou caprices –
Masayuki Kino (Exton 2010)
→ Vraiment des études de travail, certes plutôt musicales, mais rien de
bien passionnant à l'écoute seule, si l'on n'est pas dans une
perspective technique. Un disque pour se donner des objectifs plutôt
que pour faire l'expérience de délices musicales…
→ (mieux qu'Aškin et E. Wallfisch, paraît vraiment difficile à timbrer)
♥♥♥
Marschner ouv Vampyr, Korngold fantaisie Tote Stadt, R. Strauss Ariadne Fantaisie, Meyerbeer fantaisie Robert le Diable
– « Opera Fantasias from the Shadowlands » – Le Quatuor Romantique (violon, violoncelle,
piano, harmonium) (Ars Produktion 2010)
→ Arrangements passionnants qui ne se limitent pas aux moments
instrumentaux les plus évidents mais parcourent l'œuvre (le pot-pourri
d'Ariadne est particulièrement exaltant !), et dans un effectif
typique
de la musique privée de la fin du XIXe siècle, un ravissement – qui
change radicalement des disques qu'on a l'habitude d'entendre.
→ Trissé.
♥♥
Wagner – Wesendonck,
extraits de Rienzi, Lohengrin, Meistersinger, Parsifal –
« Operatic Chamber Music » – Suzanne McLeod, Le Quatuor Romantique (violon,
violoncelle, piano, harmonium) (Ars Produktion 2013)
→ À nouveau des arrangements qui (échappent un peu moins aux grands
tubes mais) renouvellent les équilibres sans déformer l'esprit ni
l'impact des œuvres. Très persuasif !
♥♥
Tchaïkovski,
Casse-Noisette (extraits), Waldteufel
Patineurs, Humperdinck
ouverture Hänsel & Noëls
traditionnels allemands – « CHRISTMAS MUSIC - A Late
Romantic Christmas Eve » – (Elena Fink, Le Quatuor Romantique) (Arsk
Produktion 2010)
→ Encore un délice…
♥
BRAHMS, J.: Piano
Quintet become String Quintet, Op. 34 (reconstructed by S. Brown) / WEBER, J.M.: String Quintet in D
Major (Divertimenti Ensemble) (Cello Classics 2007)
→ Belle œuvre de Weber (Joseph Miroslav).
→ Transformation réussie du Quintette avec piano en quintette à cordes,
les contrastes et les effets rythmiques demeurent vraiment de façon
convaincante – davantage que dans la version Sonate pour deux pianos,
pourtant de la main de Brahms !
♥♥
Mantyjärvi – Service de
la Trinité, Psaumes de Stuttgart et autres motets – Trinity College
Cambridge, Layton
→ Excellent exemple de la belle écriture chorale de la baltique, avec
une progression harmonique simple, des accords riches, un rapport
éttroit au texte, une lumière intense.
♥♥
Smyth – Quatuor en mi mineur
– Mannheim SQ (CPO)
+ quintette à cordes
→ Œuvres remarquablement bâties, avec une belle veine
mélodico-harmonique de surcroît. Le Quintette (de jeunesse) plus marqué
par une forme de folklore un peu rustique, le quatuor plus sophistiqué
(peut-être encore meilleur).
♥
Bosmans – Quatuor –
→ Bien bâti, particulièrement court.
♥♥
Honneur à la patrie (Collection "Chansons de France") – Chants patriotiques – Thill, Lucien
Lupi, Dens, Arlette Deguil, Legros, Roux, Michèle Dorlan… (Marianne
Melodie 2011)
Cherubini, Galuppi, Clementi, Bonazzi, Busi, Canneti… – Sonatas for two organs – Luigi
Celeghin, Bianka Pezić (Naxos 2004)
→ Cherubini avec des marches harmoniques alla Bach, Galuppi tout
bondissant en basses d'Alberti… quelles étranges choses. Assez sinistre
sur ces pleins-jeux blanchâtres (pourtant des orgues italiens de 1785),
pièces pas passionnantes… et l'effet de dialogue est
complètement perdu au disque (la matière musicale seule ne paraît pas
justifier l'emploi de deux organistes.
→ Seul Cherubini m'a un peu intéressé, par sa tenue et son décalage
avec l'habitude. Sinon, l'arrangement par Francesco Canneti du grand
concertato à la fin du Triomphe d'Aida est un peu divertissant et
tuilé, à défaut de subtil.
Cherubini: Sciant gentes – Keohane, Maria;
Oitzinger, Margot; Hobbs, Thomas; Noack, Sebastian; Stuttgart Chamber
Choir; Hofkapelle Stuttgart; Bernius, Frieder (Carus 2013)
→ Gentil motet sans éclat particulier, bien joué sans électricité
excessive non plus. ♥♥
Cherubini – Chant sur la mort de Haydn, Symphonie en ré
– Cappella Coloniensis, Gabriele Ferro (Phoenix 2009)
→ Début de la mort de Haydn contient pas mal d'éléments du début de
l'acte V de Don Carlos ! Culture sacrée commune aux deux, ou
souvenir de Verdi ?
Cherubini – Pimmalione
– Adami, Berghi, Carturan, Ligabue, RAI Milano, Gerelli (libre de
droits 1955)
Cherubini – Les Abencérages –
Rinaldi, Dupouy, Mars ; RAI Milan, Maag (Arts)
→ Quelques variations (orchestrales !) sur la Follia en guise de
danses de l'acte I.
→ Ne semble pas génialissime (récitatifs médiocres en particulier),
mais joué ainsi à la tradi-mou avec une majorité de chanteurs à fort
accent et plutôt capté, on ne se rend pas forcément compte des beautés
réelles… M'a évoqué le Cherubini-eau-tiède d'Ali Baba et de Médée, eux
aussi très mal servis au disque…
♥
Cherubini – Messe Solennelle
n°3 en mi (1818) // 9 Antifona sul canto fermo 8 tona // Nemo
gaudeat – Ziesak, Pizzolato, Lippert, Abdrazakov ; BayRSO,
Muti (EMI)
→ Mollissime. Il y a l'air d'y avoir de jolies choses, mais Muti,
pourtant sincère amoureux de cette musique, noie tout sous une mélasse
hors style.
→ Quand même la très belle découverte du motet Nemo gaudeat, très
belles figures chorale, curieux de réentendre cela en de meilleures
circonstances…
♥♥
Bartók, Le Château de Barbe-Bleue (en japonais) – Ito, Nakayama, NHK
Symphony, Rosenstock (1957, édité par Naxos)
→ Pas très typé idiomatiquement en dehors du Prologue, mais très bien
chanté et joué, beaucoup d'esprit ! ♥
Górecki: String
Quartet No. 3, Op. 67, "Pieśni śpiewają" ( … Songs Are Sung) – DAFÔ
String Quartet (DUX 2017)
→ Aplats et répétitions, pas aussi détendant que son Miserere ou sa
Troisième Symphonie, clairement, mais dans le même genre à temporalité
lente et au matériau raréfié.
→ Premier mouvement un peu sombre, le deuxième est au contraire un
largo en majeur, en grands accords lumineux et apathiques, les deux
scherzos intermédiaires apportant un brin de vivacité, jusqu'au final
largo, plus sérieux et prostré. Assez bel ensemble, plutôt bien fait
(mais très long pour ce type de matière : 50 minutes !).
♥♥
CHOPIN : Rondo alla
Krakowiak (Paleczny, Prima Vista Quartet, Marynowski) (DUX 2015)
→ Réjouissante version accompagnée par un quintette à cordes, pleine de
saveur et de tranchant par rapport aux versions orchestrales forcément
plus étales et arrondies – et ce même du côté du piano !
Autres nouvelles écoutes : interprétations
♥
Chabrier, ouverture de Gwendoline, España, Bourrée fantasque,
Danse
villageoise / Bizet, Suite de l'Arlésienne / Lalo Ys ouverture /
Berlioz extraits Romé / Debussy Faune / Franck Psyché extts / Pierné
Cydalise extts, Ramuntcho extts, Giration, Sonata da Camera – Orchestre
Colonne, Pierné (Malibran)
→ Quelle vivacité, quel élan ! Et le son est franchement bon
pour son temps.
♥♥
Messiaen – Saint François
d'Assise – Hallé O, Nagano (DGG)
→ Quel naturel par rapport à Ozawa ! On sent que la
partition fait
désormais partie du patrimoine et que son discours coule de source.
Walton – Concerto pour violon –
Suwanai (Decca)
→ Toujours son très beau son, mais l'œuvre me laissant assez froid…
♥♥♥
Mahler – Symphonie n°5 – LPO, Tennstedt (EMI)
→ Tourbillon dément. Même l'Adagietto est d'une tension à peine
soutenable.
MONN, G.M.: Cello Concerto in G Minor (arr. A.
Schoenberg) (Queyras, Freiburg Baroque Orchestra, Müllejans) (Harmonia
Mundi)
→ Un peu aigre comme son d'orchestre pour du classicisme, serait sans
doute très bien dans une œuvre intéressante mais ici…
Saint-Saëns, Berlioz – « French Showpieces (Concert
Francais) » –
James Ehnes, Orchestre symphonique de Québec, Yoav Talmi (Analekta 2001)
♥♥
Bach – Oboe Concertos –
Alexei Ogrintchouk, Swedish ChbO (BIS 2010)
→ Quel son incroyable, et quel orchestre aussi…
Verdi – Oberto (version originale), acte I
– Guleghina, Stuart Neil, Ramey ; Saint-Martin-in-the-Fields,
Marriner (Philips)
→ Tire beaucoup plus, joué ainsi, vers Norma et le belcanto plus
traditionnel. Plus formel, moins stimulant.
→ Avec Marriner, les formules d'accompagnement restent de
l'accompagnement. Et même Ramey semble un peu prudent, composé. (Manque
d'habitude de ces rôles en scène, probablement aussi : la plupart
n'ont
dû faire que ce studio.)
♥♥
Verdi – Oberto –
Dimitrova, Bergonzi, Panerai ; Gardelli (Orfeo)
→ Grande inspiration mélodique et dramatique pour ce premier opéra.
Distribution qui domine ses rôles ! Et des ensembles
furibonds
étourdissants !
♥♥ Verdi – Alzira – Cotrubas,
Araiza, Bruson, Gardelli (Orfeo)
→ De très très beaux ensembles… Un des Verdi les moins joués, et
vraiment sous-estimé.
♥Sibelius – Symphonie n°2 –
Suisse Romande, Ansermet
(Decca 1962)
→ Belle version pleine d'ardeur, avec des timbres toutefois très
aigrelets. Tout ne fonctionne pas à égalité (le mouvement lent manque
peut-être un peu de plénitude et de fondu ?), mais la toute fin
est assez incroyable de généreuse intensité.
♥♥
Sibelius – Tapiola –
Helsinki PO, Berglund
→ Un peu rond, mais rapide et contrasté, extrêmement vivant ! ♥♥
+ Kajanus
→ Orchestre limité et problématique (justesse, disparité de timbres),
mais élan irrésistible, conduite organique du tempo, saveur des
timbres !
♥♥
Messiaen – Quatuor pour la fin
du Temps – Chamber Music Northwest (Delos 1986)
Messiaen – Quatuor pour la fin du Temps – Jansen, Fröst,
Thedéen, Debargue (Sony)
→ Très soliste, manque un peu de cette fièvre commune (trop facile pour
eux ?). Même Thedéen, mon idole d'éloquence élégance dans Brahms,
paraît un peu forcer son timbre.
♥
Verdi – Nabucco (extraits en
allemand) – Liane Synek, Lear, Kónya, Stewart, Talvela ;
Deutsche Oper Berlin, H. Stein (DGG)
→ Version très bien chantée (en particulier le ferme mordant de Stewart
et la tendreté de Lear).
→ Les extraits sont étrangement choisis (pas d'ensembles, pas
d'Abigaille hors sa mort !).
♥♥♥
Verdi – Aroldo – Vaness,
Shicoff, Michaels-Moore ; Maggio Firenze, Luisi (Philips 2001)
→ Distribution, orchestre, captation de luxe pour cette refonte
de Stiffelio, dans le contexte plus consensuel des croisades. Les
meilleurs morceaux (le grand ensemble du duel à l'acte II, l'air du
père au début du III…) sont cependant conservés, à l'exception du
prêche final, hélas. (La version Aroldo de la fin Deest non seulement
musicalement fade, mais aussi dramatiquement totalement ratée.)
→ Meilleure version disponible au disque pour Aroldo, à mon sens.
→ bissé
Schubert – Quatuor n°13 –
Diogenes SQ
+ Engegård (plus vivant)
+ Ardeo (un peu gentil)
+ Takacs (vrai relief, son grand violon)
+ Terpsycorde réécoute (instruments anciens)
+ Mandelring (belle mélncolie)
+ Chilingirian SQ (autant leur Quintette est fabuleux, autant ce
quatuor, épais et mou me déçoit de leur part)
♥♥♥
Sibelius – Tapiola –
Suisse Romande, Ansermet
→ Ce grain incroyable, cette verdeur, cette clarté des timbres et du
discours ! (+ Davis LSO, très bien) ♥♥ (+ Berglund Radio Finlandaise, contrastes incroyables !) ♥♥♥
Cherubini – Medea acte I –
Forte, Antonacci, Filianoti ; Regio Torino, Pidò
→ Toujours aussi mortellement ennuyeux… et malgré Pidò (il faut dire
que la distribution n'aide guère…).
♥
Debussy, œuvres à deux
pianos – Grauschumacher Piano Duo (Neos 2021)
♥
récital : Weber
(Euryanthe), Wagner (Tannhäuser, Meistersinger), Verdi (Otello),
Tchaïkovski (Iolanta), Bizet (Carmen), Adams (Doctor Atomic), Turnage
(The Silver Tassie)… en anglais
– Finley, LPO, Gardner
(Chandos 2010)
→ Très beau récital très varié et original, splendidement chanté sur
toute l'étendue des tessitures et des styles…
+ réécoute de l'air d'Adams avec BBCSO & Adams (Nonesuch 2018) ♥♥
Quel tube immortel !
Haendel – Jephtha (disco
comparée) Gardiner, c'est plutôt un de
ses disques tranquilles (mous). Pas du niveau de son Penseroso par exemple. Biondi est très bien mais
attention, il utilise un orchestre moderne, les cordes sont en
synthétique et très ronde même si ça vibre peu, couleurs des vents
plutôt blanches aussi, et on entend que les archets sont modernes, ça
n'a pas le même tranchant à l'attaque : c'est très bien pour un
orchestre pas du tout spécialiste, mais vu qu'on a du choix au disque,
n'en attends pas un truc comparable à ses enregistrements de Vivaldi. Budday sonne un peu écrasé, Grunert plutôt triste. Même Christophers n'est pas très
électrique. Creed reste un peu tranquille,
mais un des plus animés et équilibrés en fin de compte. Harnoncourt a un peu vieilli,
mais ça a le grain extraordinaire et l'engagement du Concentus des
débuts… Il faut voir sur la longueur ce que ça donne, mais l'effet Saül n'est pas à exclure ! En
tout cas, c'est nettement la plus habitée, je trouve. (Avec Biondi,
mais instruments modernes…)
♥
Smetana: Má vlast
– Bamberg SO, Hrůša (Tudor 2016)
→ Beaux cuivres serrés, superbes cordes, grand orchestre assurément et
par la légèreté de touche d'un habitué du folklore. Ensuite, je trouve
toujours cette œuvre aussi univoque, faite de grands aplats
affirmatifs, sans discours très puissant, une suite de grands
instantanés grandioses. À tout prendre, dans le domaine du mauvais goût
pas toujours souverainement inspiré, l'Alpestre de Strauss m'amuse
autrement !
Réécoutes : œuvres
♥♥♥
LULLY – Isis (actes III, IV)
– Rousset
♥
Pierné – Cydalise & le
Chèvre-pied – Luxembourg PO, Shallon (Timpani)
→ Très joli, dans le genre de Dapnis (en plus rond). Le sujet
versaillais n'induit pas vraiment d'archaïsmes. Très beau ballet galant
et apaisé.
Pierné – La Croisade des Enfants (en
anglais) – Toronto SO, Walter Susskind
→ Un peu lisse, en tout cas joué / chanté ainsi.
♥♥
Pierné – L'An Mil –
Peintre, ON Lorraine, Mercier (Timpani)
→ Aplats vraiment pauvres des mouvements extrêmes, mais ce scherzo de
la Fête des Fous et de l'Âne est absolument extraordinaire, et illustre
de façon éclatante le génie orchestratoire de Pierné – certains
éléments, comme l'usage des harmoniques de violon pour créer des
résonances dynamiques, sont abondamment réutilisés dans L'Oiseau de feu
de Stravinski…
Moulinié: Le Cantique de Moÿse –
par les Arts Florissants, William Christie (HM)
→ Toujours pas convaincu par cet corpus qui regarde bien plus vers la
Renaissance et la polyphonie assez austère que vers les talents
extraordinaires de mélodiste que manifesta par ailleurs Moulinié.
♥♥
Pfleger – Motets latins
– CPO
♥♥♥
Kreutzer – La mort d'Abel
– Droy, Bou, Pruvot ; Les Agrémens, van Waas (Singulares 2012)
→ six fois
♥♥♥
Édouard Dupuy – Concerto
pour basson – van Sambeek, Swedish ChbO, Ogrintchouk (BIS 2020)
→ Un des disques les plus écoutés en 2020, pour ma part ! Le
thème lyrique et mélismatique du premier mouvement est une splendeur
rare. Et ces musiciens sont géniaux (meilleur bassoniste du monde,
meilleur orchestre de chambre du monde, dirigés par le meilleur
hautboïste du monde…).
♥♥
Ginastera – Quatuors 1,2,3
– Cuarteto Latinoamericano (Brilliant)
→ Folklore et audace de l'harmonie, des figures… du Bartók à
l'américaine (australe).
♥♥♥
Joni Mitchell – Blue
(1975)
→ La parenté avec la pensée du
lied schubertien me frappe à chaque fois…
♥♥
PEJACEVIC, D.: Symphony
in F-Sharp Minor, Op. 41 / Phantasie concertante (Banfield,
Rheinland-Pfalz State Philharmonic, Rasilainen)
→ Symphonie expansive et persuasive, riche ! Pas du tout une
musique galante.
♥♥
Cherubini – Messe solennelle n°2 en ré (1811) –
Ziesak, Bauer ; Stuttgart Klassische Ph, Bernius (Carus)
→ Qui tollis a l'aspect de
volutes du début du Songe d'Hérode chez Berlioz (source de sa parodie).
Et puis marche harmonique très impressionnante.
→ Dans le Sanctus / Benedictus, Hosanna en contraste, façon Fauré, très
réussi.
→ Spectre orchestral qui respire beaucoup, réussite de Bernius.
♥DOBRZYŃSKI, I.F.: String
Quartet No. 1 / MONIUSZKO, S.:
String Quartets Nos. 1 and 2 (Camerata Quartet) (DUX 2006)
→ Beau romantisme simple, où se distingue surtout le Premier de
Moniuszko.
Réécoutes : versions
♥♥♥
Offenbach – Barbe-Bleue
(duos de l'assassinat au II, entrée et duel de BB au III)
versions Pelly (Beuron), Cariven (Sénéchal), (Legay), Campellone
(Vidal), Harnoncourt
« Le ciel, c'est mon affaire » (Zampa)
« Non dans un vain tournoi, mais au combat mortel » (Robert Le Diable)
« Le ciel juge entre nous » (Les Huguenots)
♥♥♥
Verdi – La Forza del Destino
(adieux et duel de l'acte III) – Del Monaco, Bastianini, Santa Cecilia,
Molinari-Pradelli (Decca)
→ Quel verbe, quelles voix, quel feu !
→ (bissé)
♥♥♥
Bach – Sonates violon-clavecin
– Glodeanu, Haas (Ambronay 2007)
→ Merveille de souplesse, d'éloquence, la pureté et la chair à la fois.
Mahler – Das Lied von der Erde
– K. König, Baltsa, LPO, Tennstedt (EMI)
→ Un peu plus terne, manque de cinétique, un peu décevant. Les couleurs
mordorées de Baltsa sont un peu inhibées par son allemand qui paraît
moins ardent que son italien ou son français.
♥
Mahler – Symphonie n°2 –
Soffel, LPO, Tennstedt (EMI)
→ Très très bien, mais pas aussi singulier / tendu / abouti que le
reste de l'intégrale. Quand même le plaisir de profiter des
frémissements de Soffel dans un tempo d'Urlicht ultra-lent.
→ On entend tout de même remarquablement les détails, les doublures,
l'ardeur individuelle aussi (quelles contrabasses !). Le chœur
chante avec naturel aussi, voix assez droites qui sonnent à merveille
ici.
♥♥♥
Mahler – Symphonie n°3 –
Wenkel, LPO, Tennstedt (EMI)
→ Tellement tendu de bout en bout, et très bien capté !
♥♥
Verdi – Nabucco –
Souliotis, Prevedi, Gobbi ; Opéra de Vienne, Gardelli (Decca)
→ Chœur superbement articulé. Splendide distribution. Pas
l'accompagnement le plus ardent, mais un sens du pittoresque qui n'est
pas dépourvu de délicatesse.
♥♥♥
Verdi – Nabucco –
Theodossiou, Chiuri, Ribeiro, Nucci, Zanellato ; Regio Parma,
Mariotti (C Major)
→ La version moderne idéale de l'œuvre, fouettée et dansante à
l'orchestre (vraiment conçue sèche comme un os, aucune raison d'empâter
ces harmonies sommaires conçues pour le rebond), chantée avec un luxe
et une personnalité très convaincants.
♥♥♥
Verdi – Stiffelio –
Regio Parma, Battistoni (C Major)
→ La version sans faute de ce bijou trop peu joué. Comme
Traviata, un drame de mœurs contemporain (l'adultère de la femme
d'un pasteur).
♥♥♥
Rott – Symphonie en mi
– Radio de Francfort, P. Järvi (RCA)
→ La superposition des deux thèmes du I est vraiment génialissime… et
que de traits qui tirent le meilleur de Bruckner et annoncent le
meilleur de Mahler !
Le petit bilan des pépites récemment parues (et d'autres simplement
récemment écoutées…).
Du vert au violet, mes recommandations… en ce moment remplacées par des
♥.
♦ Vert : réussi ! ♥
♦ Bleu : jalon considérable. ♥♥
♦ Violet : écoute capitale. ♥♥♥
♦ Gris : pas convaincu. ♠
(Les disques sans indication particulière sont à mon sens de très bons
disques, simplement pas nécessairement prioritaires au sein de la
profusion de l'offre.)
En rouge, les nouveautés
2020 (et plus spécifiquement de l'automne).
Je laisse en noir les
autres disques découverts.
En gris, les réécoutes
de disques.
OPÉRA
♥♥♥ Haendel – Samson – Millenium Orchestra,
García-Alarcón (Ricercar)
→ Une merveille : Haendel à son plus haut sommet d'inspiration,
quantité d'airs ineffables (ou de fureur impressionnante), de chœurs
tuilés superbes (façon Israel in
Egypt)
ou, plus rare chez Haendel, d'action (l'effondrement du temple !), dans
une interprétation versatile en atmosphères, rutilante de couleurs,
servie par des chanteurs formidables (le charisme dévorant de Luigi De
Donato !). Si vous cherchez l'équivalent du Messie en opéra, c'est par ici.
→ (bissé)
♥ Kayser – Scherz, List und Rache – L'arte
del mondo (DHM)
→ Comédie sur un livret de Goethe. La musique, typiquement XVIIIe, en
est très réussie, mais tellement éloignée de l'imaginaire sonore qu'on
relie à Goethe – la musique évoluant toujours plus lentement que les
autres arts, elle en est encore à la galanterie et au seria quand la
littérature est déjà romantique. Phénomène fascinant qui s'incarne ici
dans une rencontre historique, réelle, mesurable !
→ Sur le plan strictement musical, quoique fort bien conçu, pas relevé
de fulgurance particulière qui appelle l'écoute pour elle-même, dans
l'immensité de l'offre. Mais excellente idée de documenter cela,
d'autant quela vivacité de l'excellent Arte del mondo accueille des
chanteurs aux voix et à l'abattage dignes de louanges.
♥♥♥
Hahn – L'Île du Rêve – Guilmette, Morel,
Dubois, Dolié, Gombert, Sargsyan ; Chœur du Concert Spirituel,
Radio de Munich, Niquet (Bru Zane)
→ Premier enregistrement pour cet opéra de Hahn. L'enregistrement
luxueusement distribué et capté permet de confirmer mes impressions sur
les bandes d'autres productions et sur scène : l'intrigue
(l'impermanence des amours des îles, rebattue de Madama Butterfly au
Pays de Ropartz) est assez peu prenante, mais l'acte II, où circule en
permanence le même choral recueilli, pendant le chant et l'action, est
un bijou absolu. Pour le tour de force structurel, mais aussi pour
l'impression de plénitude que sa musique même dispense.
→ (bissé)
CANTATES
♥ Vaughan Williams – Five
Tudor Portraits – LSO & Chorus, Hickox (Chandos)
→ Grande fresque chorale et orchestrale dans l'esprit de la Première
Symphonie, avec un côté moins élancé, plus poétique. Très réussi.
♥
Vaughan Williams – 5 Variants
of Dives and Lazarus (même disque)
→ Grand choral pour cordes et harpe, très belle atmosphère à la fois
archaïsante et très romantique. Grande réussite dans le goût de ses
Tallis, en plus vibrant.
♥
Jacobson: A Cotswold Romance
(after R. Vaughan William's Hugh the Drover) – LSO, Hickox (un
autre Chandos)
→ Délicieux chants d'inspiration populaire, en grande pompe,
réjouissants !
MUSIQUE DE SCÈNE
/ BALLETS
♥♥
Vaughan
Williams – Job, Songs of
Travel – Neil Davies, Hallé O, Elder (Hallé)
→ Inspiré par des gravures (de William Blake) illustrant une nouvelle
édition biblique en 1826, Vaughan Williams écrit ce masque (il n'aime
pas le mot de ballet, pour une raison que j'ignore) et le propose à
Diaghilev – qui refuse. L'œuvre est ensuite bel et bien créée, mais
réorchestrée par Constant Lambert pour faire tenir les musiciens dans
une fosse de taille plus standard.
→ Je suis assez fasciné par le résultat : une musique assez étale,
mais
non sans tension (belles harmonies étranges), qui évoque
remarquablement bien le désert – on dirait un Appalachian Spring de
Copland, quelques maigres poussées épiques en sus. Cette
contemplation
infinie et toujours mouvante s'incarne particulièrement bien dans la
Sarabande des Fils de Dieu, au début, et la Pavane des Fils du Matin,
vers la fin. → Tous les épisodes de tentation sont assez éludés musicalement,
il ne se passe pas grand'chose dramatiquement, mais c'est cette
évocation étale, immobile (un comble pour un ballet !) qui me touche
ici.
→ Il est vrai que ce ballet peu marqué par la danse n'a qu'un rapport
lâche à son programme narratif biblique… mais en écoutant la musique
seule et en la reliant à un imaginaire, je trouve qu'il capte quelque
chose de ce monde hors sol du début de la Genèse,
où les premiers humains rencontrent d'autres tribus venues d'on ne sait
où, le monde se crée dans un halo un peu nébuleux, de grandes étendues
qu'on ne sait vierges ou déjà habitées…
→ Comme toujours, prise de son superlative pour Hallé, et conduite très
frémissante par Elder – même si je trouve, cette fois-ci, les cuivres
un peu durs et les cordes un peu envloppantes. [Et beaucoup de bien
aussi à dire des Songs of Travel très bien orchestrées et servies !]
R. Strauss – Tanzsuite, Divertimento – New
Zealand SO, Märkl (Naxos)
→ Suite de danses d'après des pièces pour clavecin de Couperin :
rendez-nous Paillard ! Il existe de très beaux arrangements du
genre
par Rosenthal, mais mais cette réécriture lourde toute en doublures
(même le clavecin double la mélodie des violons, ce qui est
particulièrement laid…), en régularité, avec des basses de trois tonnes
(il y a du trombone contrebasse là-dedans ou quoi ?), vraiment pénible
quand on aime sincèrement la souplesse et la subtilité des phrasés
nécessaire à ce répertoire d'une élégance suprême… (Et aucune surprise
harmonique, ce sont vraiment des orchestrations, d'un grand compositeur
mais d'une époque qui ne comprend plus rien à ce qu'était l'essence de
cette musique…)
→ Sur les mêmes fondements, le Divertimento ménage davantage de
surprise, avec des alliages instrumentaux plus originaux et
dépaysants : il offre véritable une autre vision de ces pièces,
les
métamorphose en jouant avec l'instrumentation. Ce n'est pas forcément
beau ou réussi (un peu l'impression qu'on a repeint un Poussin au
surligneur fluo…), mais assez divertissant et plutôt à agréable à
écouter, pas du tout la même lourdeur difforme que dans la Suite.
→ (Ce n'est absolument pas de la faute de ces interprètes d'excellence,
que j'aime beacoup partout ailleurs, et même ici.)
Vaughan Williams – The Death of
Tintagiles – LSO, Hickox (Chandos)
→
Début vraiment pelléassien. Comme les deux univers se sont
contaminés ! Comme Job, assez étale, ici tout en grondements
souterrains. À la réécoute, ce n'est pas si mal articulé à l'esprit,
finalement, même si l'intensité retombe par rapport au texte qui, lui,
ne lâche pas le spectateur.
RÉCITALS VOCAUX (pouah)
Donizetti – Reines Tudor – Damrau, Santa Cecilia, Pappano (Warner)
→ Après avoir adulé une des voix les mieux focalisées et une des
expressions les plus fines et charismatiques de notre temps (Marguerite
de Valois, Susanna, la Reine de la Nuit, la Gymnaste de 1984…), puis
déploré qu'elle se tourne exclusivement vers le belcanto, en en imitant
des codes dévoyés (en essayant de rendre sa voix opaque et flottante,
perdant au passage ses aigus, s'affligeant d'un vibrato large et
disgracieux), j'avoue avoir écouté ce disque par acquit de conscience,
prévoyant de le détester.
→ J'ai bien sûr beaucoup aimé la finesse de trait de l'accompagnement
de Pappano, dans des œuvres de Donizetti qui de surcroît, me semblent
dans la partie faible de son catalogue (j'ai conscience que les
glottophiles ne partagent pas mon avis, mais je ne sais pas trop ce
qu'on en penserait si ces œuvres ne disposaient pas de leur
discographie imposante, par rapport au Diluvio universale autrement
soigné, par exemple ?).
→ Très séduit aussi par Domenico Pellicola, ténor assez léger mais très
fin, franc et charismatique dans Stuarda.
→ Et Damrau ? Pas du tout le naufrage craint, plutôt une
bonne surprise : la voix est émise en arrière, est devenue à la
fois plus pâteuse et plus aigre, vibre trop… cependant le contrôle
demeure réel, et on entend bel et bien l'artiste aux commandes dans la
finition des phrasés. Pas à la hauteur de ce qu'elle aurait pu
continuer d'être, pas non plus le chant que je soubhaite entendre dans
ce répertoire, mais tout à fait respectable. ♥♥
Verdi – fin de Rigoletto – Panerai, Galliera
(libre de droits)
♥♥♥ Tchaïkovski – Pikovaya Dama, II,2 (scène de
Lisa) – Gorchakova Met, puis Serjan Jansons
♥ Moniuszko, Smetana, Tchaïkovski,
Dvořák, Rachmaninov – « Slavic Heroes » – Mariusz Kwiecień, Radio Polonaise de
Varsovie, Łukasz Borowicz (HM 2012)
→ Oh, il s'empâte un peu russe par rapport à son polonais tellement
franc ! Normal vu l'articulation de la langue, mais il perd en
projection manifestement, et en franchise / éclat en tout cas. Reste
magnifique : le mordant du timbre, l'expression très généreuse…
♥♥♥ Rachmaninov – cavatine
d'Aleko (avec partition) – Kwiecień ♥♥, puis Leiferkus ♥♥♥, puis Gerello
♥
MUSIQUE SACRÉE ♥ traditionnels,
Gade, Sullivan, Bruckner, Saint-Saëns, Holst, Rachmaninov, Nystedt, Chesnokov, Viðar – Christmas in Europe –
Balthasar-Neumann Ensemble, Hengelbrock (DHM)
→ Étoudissant tour d'Europe des Noëls, des chants traditionnels
jusqu'aux compositeurs les plus établis, à travers les nations qui la
composent.
→ J'admets que le résultat n'est pas aussi électrisant, en première
écoute, que les interprètes et le projet semblaient le promettre (tout
l'inverse du disque de Noël du SWR Vokalensemble cette année, qui se
révèle passionnant et aussi peu dépendant de Noël que possible).
Néanmoins, parcours passionnant – où je retrouve, toutefois, surtout
les semi-tubes attendus de chaque compositeur, lorsqu'il s'agit de
Noël.
→ Pour autant, parcours remarquable que je recommande chaleureusement à
tous ceux qui sont un peu moins blasés que moi – je rougis de faire la
fine bouche sur cette proposition exaltante.
♥♥ Bruckner – Messe n°2, Te Deum – Herreweghe
(Phi)
→ Enregistrement composite (Te Deum capté en 2012 à Lucerne, Messe à
Essen en 2019) qui démontre la maturité croissante de l'ensemble et de
Herreweghe (qui, certes, ne joue que la même poignée d'œuvres).
→ Délicatesse souveraine du chœur, frémissement des phrasés, une des
très grandes lectures de cette messe, qui s'ajoute à celle, différente
(notamment pour les timbres de vents, plus verts) parue chez Harmonia
Mundi il y a un peu plus de dix ans.
→ (bissé)
♥ Reger, 8 Geistliche Gesänger Op.138 –
Rundfunkchor Berlin, Dietrich Knothe (Berlin Classics)
→
Ce sont de grands chorals saisissants (avec beaucoup de
subdivisions ; le premier requiert même un double chœur), qui
doivent vraiment beaucoup au modèle de Bach, peu au Reger le plus
modulants, mais qui vont tout de même chercher de belles progressions
harmoniques à la marge, colorant le tout, sinon de surprises, de
progressions prenantes. L'ensemble, assez monumental, constitue un
jalon essentiel du compositeur – même si je ne suis un peu moins saisi
lors de cette enième réécoute partition et textes en main, je l'admets.
→
Seuls les 4 premiers figurent sur ce disque. Le chœur de la Radio
berlinoise n'est pas encore aussi beau qu'aujourd'hui, davantage de
rondeur, moins de contrastes et d'articulation, mais plutôt un moelleux
remarque – la Radio de Leipzig proposait mieux, dans les mêmes années.
Reger – 8 Geistliche Gesänge, op.138 – Chœur de la NDR
♠, Rademann (Carus 2013)
→ Chœur assez terne (polyphonie peu lisible, timbres mats anonymes,
basses qui manquent beaucoup de graves), pour cette œuvre capitale du
legs choral de Reger.
CONCERTOS
♥ Dvořák – Concerto pour
violoncelle n°1 en la majeur (arr. J. Burghauser & M.
Sadlo) – Milos Sádlo, CzPO, Neumann (Supraphon, réédition 2001)
→ Le premier concerto de Dvořák, évidemment moins saisissant que le le
grand second, mais doté de belles chouleurs dans une interprétation
typée, pleine de grain et de couleur !
♥ Dvořák – Concerto pour
violoncelle n°2 en si mineur (arrangement pour alto de Joseph Vieland &
David Aaron
Carpenter) – David Aaron Carpenter, London PO, Ono (Warner 2018)
→ Très amusant resserrement du timbre, l'impression d'entendre un 33
tours en avance rapide. La musique reste toujours aussi sublime, la
majesté du résultat est évidemment davantage sujette à caution. Mais
c'est très divertissant – j'ignore si c'était le but.
SYMPHONIES
& poèmes orchestraux ♥♥♥ Debussy – Première
Suite – Les Siècles, Roth (Actes Sud)
→ Régal de la maîtrise de Debussy dans une forme chatoyante et
accessible !
Debussy – La Mer – Les
Siècles, Roth (même disque)
→ Son d'orchestre sec pour mon goût dans cette œuvre. ♥♥ Debussy : La Mer, le Faune // Ravel : Rhapsodie espagnole – LSO, Roth (LSO Live)
→ Net, limpide, élancé, couleurs impressionnantes, très bien capté (de
près mais avec de l'espace), une grande version !
♥ Casella: Pagine di guerra,
Op. 25bis, Suite en ut Op.13, Concerto pour orchestre Op.61 – Rome SO,
La Vecchia (Naxos 2012)
→ Marquant, le motorisme des chars tudesques, la désolation suspendue
de la cathédrale ruinée de Reims ou des croix de bois des champs
d'Alsace… mais beaucoup trop bref, oui, pour s'installer. Vraiment
dommage, la musique est un art du temps, et il donne l'impression,
d'une certaine façon, d'être dérobé ici.
→ Plus joli-archaïsant pour la Suite, moins personnel pour le Concerto.
♥ Respighi – Vetrate di
chiesa – PBPO, Ashkenazy ♥♥ (Exton 2006)
→ Ces chatoyantes (mais étonnamment sobres, à l'exception de la
grandeur de saint Grégoire) pièces d'orchestre, décrivant chacune le
vitrail d'un saint, trouvent ici une exécution remarquablement aérée et
articulée par maître Ashkenazy !
→ Prêtez l'oreille tout particulièrement au superbe solo de trompette
ménagé par Respighi dans le mouvement dévolu à saint Michel.
♥ Ravel – Gaspard de la nuit
(orchestration Marius Constant)
– Lyon NO, Slatkin (Naxos)
→ Belle réussite.
♥♥ Georg
Schumann – Symphony in F Minor / Ouvertüre zu
einem Drama /
Lebensfreude (Deutsches Symphonie-Orchester Berlin, Feddeck)
→ Un
peu moins enthousiasmé lors de cette réécoute (pourtant pas la
première), où je remarque davantage les aspects postromantiques plus
standards que les (réelles) fulgurances richardstraussiennes, mais
j'admire tout de même intensément cette capacité à mener la tension sur
des pics maintenus. Très belle œuvre, à reprendre et creuser,
assurément.
→ bissé
♥♥♥ Graener – Variations orchestrales
sur « Prinz Eugen » – Philharmonique de la Radio de Hanovre, W.A.
Albert (CPO 2013)
→ On ne fait pas plus roboratif… mon bonbon privilégié depuis deux ans
que je l'ai découvert par hasard, en remontant le fil depuis le dernier
volume de la grande série CPO autour du compositeur (concertos par
ailleurs tout à fait personnels et réussis).
♥♥ Ben-Haim – Pan, Pastorale variée,
Symphonie n°1 – Barainsky, John Bradbury, BBCPO, Omer Meir Wellber
(Chandos)
→ Une nouvelle version de la Première Symphonie du syncrétique Paul
Ben-Haim, mêlant beaucoup de caractéristiques des langages décadents
germaniques ; moins magistrale que la Seconde, la Première demeure
un petit régal, remarquablement magnifié par le directeur musical du
Teatro Massimo de Palerme et la prise de son Chandos au service du
radieux Philharmonique de la BBC.
→ Pan, enregistré pour la première fois, est une petite cantate
remarquablement écrit dans ce postromantisme à la fois lyrique et
vénéneux, tandis que la rare Pastoral variée pour clarinette, cordes et
harpe, inspirée du final de son quintette pour clarinette et cordes,
développe des atmosphères suspendues, mélancoliques, d'un charme (assez
britannique) ineffable.
→ Superbes œuvres remarquablement servies ici.
MUSIQUE DE CHAMBRE
Beethoven – Sonates violon-piano – F.P. Zimmermann, Helmchen (BIS)
→ Écouté beaucoup trop distraitement, je dois y revenir. (L'on m'en a
dit le plus grand bien, et j'espère beaucoup de l'intelligence suprême
de Zimmermann, ne cédant jamais rien à la joliesse.)
♥♥ Beethoven – Quatuor n°1 –
Leipziger Streichquartett (MDG)
→ Toujours leur lumière singulière.
♥♥ Beethoven – Quatuors 4,6 –
Jerusalem SQ (HM)
♥ Mendelssohn – Trio n°1 (version
avec flûte), Sonates
violoncelle-piano – Root, de Hoog, Balyan (Vivat)
→ Ce disque confidentiel a l'intérêt de présenter (pour la première
fois sur instruments d'époque) la version du premier trio de
Mendelssohn arrangée par le compositeur lui-même pour flûte,
violoncelle et piano. Après l'avoir publié chez Breitkopf, Mendelssohn
sollicite Novello pour l'Angleterre, qui refuse craignant que ce ne se
vendre très peu « chez notre public ignorant », et obtient
l'accord de Buxton… qui lui réclame une partie alternative de flûte,
« indispensable dans ce pays ». Mendelssohn précise que les
mouvements extrêmes s'y prêtent très peu et suggère de ne proposer que
les centraux dans cette version, mais tout est publié.
→ À l'écoute, très peu de modifications – Mendelssohn évite de trop
solliciter le grave peu projeté de la flûte (où elle est en effet
couverte par les autres instruments) et supprime évidemment les
trémolos, mais l'ensemble demeure très proche. On peut se rendre compte
que Mendelssohn avait très bien pressenti à la fois la difficulté et le
manque de contraste permis par la flûte dans les mouvements extrêmes.
C'est évidemment le mouvement lent l'ensemble sonne le mieux.
→ Sans être forcément convaincu par la transcription elle-même, une
rare occasion d'entendre différemment ce chef-d'œuvre ultime, et aussi
de mesurer ce que le violon apporte de conduite, de tension et de
variété de textures. (J'aurais, par conséquent, été plus intéressé par
une version pour hautbois (et basson ?), qui aurait certes nécessité
davantage d'ajustements (et suscité moins de ventes en son temps).
→ On bénéficie d'une interprétation sur instruments du temps (et
copies), très vivante et proposant de beaux équilibres et coloris, un
autre avantage de ce disque, ainsi qu'ne notice bien détaillée sur les
œuvres et la démarche. [Je n'ai pas encore écouté les sonates pour
violoncelle.]
Duparc – Sonate
violoncelle-piano en la mineur – Meunier, Le Bozec (Maguelone)
→ Intéressant ; pas majeur.
♥♥ Beach, Ives,
Clarke – Trios
piano-cordes – Gould Trio (Resonus Classics)
→ Trois trios très rares, par l'un des superbes ensembles qui fit
longtemps les beaux jours des explorations Naxos.
→ Beach d'un romantisme assez
peu singulier, comme toujours.
→ Ives plus que jamais dans la
polytonalité et les jeux de superpositions, chaque instrument joue son
propre thème dans sa propre tonalité, l'impression d'écouter, vraiment,
plusieurs œuvres en même temps… intéressant quoique peut-être plus
affirmatif (et un peu moins convaincant) que dans ses œuvres
symphoniques, plus élusives dans leurs procédés.
→ Clarke dans une veine plus
hardie qu'à son habitude, moins lyrique-univoque que dans sa Dumka pour
trio, plus sophistiquée dans les harmonies, mais toujours aussi
passionnée, héritière des fièvres romantiques.
→ L'ensemble très original et très bien servi mérite vraiment le
détour !
Weber,
Gaubert, Martinů, Damase
– « Aquarelles », trios pour flûte,
violoncelle & piano
– Bonita Boyd, Doane, Snyder (Bridge)
→ Comme l'y pousse l'effectif, pièces rafraîchissantes et délicates,
qui n'ont décidément pas l'envergure des trios avec violon, et ne
constituent pas les sommets de compositeurs pourtant aussi subtiles que
Weber, Gaubert ou Damase. (Je n'ai pas réécouté le Martinů, souvent
enregistré, je n'en dis rien pour cette fois.) La flûte ne permet
pas de grands écarts de dynamique, sa tessiture aiguë (pour être
suffisamment sonore) attire toute l'attention du côté de la mélodie,
moins de possibilité d'équilibres, de demi-teintes, de contrates. En
tout cas elle n'a ps tiré le meilleur de ces compositeurs.
→ Côté exécution, on trouve aussi plus beaux timbres, même si l'on ne
peut faire que des éloges sur l'originalité du programme et
l'investissement dans l'exécution. (J'aurais aimé en dire beaucoup plus
de bien !)
♥ Moussorgski – Tableau d'une
exposition (arrangement Stephan Schottstadt pour 8 cors, &
percussions) – (Genuin 2015)
→ Inclut également, pour le même effectif, Mont chauve, extraits du
Roméo de Prokofiev et de Casse-Noisette. Fonctionne assez bien, la
longue étendue des cors permettant de couvrir beaucoup de spectre et de
textures.
♥♥ Moussorgski, Tableaux d'une
exposition (arrangement Stephane Mooser) – Pentaèdre (ATMA 2012)
♠
Stravinski, Le Sacre du
Printemps (arrangement Michael Byerly) – Pentaèdre (même disque)
→ Très stimulant et élégant pour Moussorgski, vraiment insuffisant pour
le Sacre, où le début ressemble au début (simplifié), et où la suite ne
plus plus gagner en ampleur et en contraste.
PIANO SOLO
Chopin: 4 Ballades & des
Nocturnes – par Nelson Goerner (Institut Chopin)
→ Moins marquant : la limite des instruments s'entend dans les
ambitieuses Ballades, moins de possibilités de contraste, d'étagement
des strates, tout est davantage sur le même plan, on ne peut pas non
plus jouer avec la longueur de résonance…
→ Par ailleurs Goerner, dans les moments moins exigeants, me paraît à
un niveau de poésie moindre que dans ses meilleurs volumes – plus
proche ici de ce qu'il fait, un peu blanc, dans ses enregistrements sur
piano moderne.
♥♥ Scarlatti,
Rameau, Ravel, Wiener, Le Flem, Ladmirault, Tharaud, etc. –
« Le Poète du piano » – Tharaud (Erato) → 3 CDs incluant rééditions, nouveautés,
fragments d'albums confidentiels (comme celui publié pour accompagner
le catalogue Ar Seiz Breur au Musée de Bretagne de Rennes, en 2000 !).
On y trouve donc quelques-uns de ses enregistrements bien connus, dont
ses magiques Rameau, mais aussi des pièces rares (un cycle de Le Flem),
des arrangements (de la 5e de Mahler, de chansons…) et ses propres
compositions, qui puisent avec talent à beaucoup de sources de la
danse, pour un résultat à la fois dégingandé et lyrique (j'espère qu'il
continuera à écrire et publier de la musique !). → Le caractère disparate du parcours laisse
un peu dubitatif, mais son originalité suscite un réel intérêt, et son
approche sinueuse du phrasé me séduit assez.
♥♥♥ Hisatada Otaka, Japan Suite (2 extraits) + Ibert, Histoires (3 extraits) + Debussy, L'Isle Joyeuse, Préludes livre I –
Ryutaro Suzuki, album « Ce qu'a vu
le vent d'Est » (Hortus,
janvier 2020)
→ Il existe évidemment, dans l'immense discographie de pianistes
confirmés, spécialistes, charismatiques, Isle et Préludes plus
saisissants, mais la filiation debussyste est magnifiquement mise en
valeur avec les Histoires
d'Ibert (inhabituellement denses et profondes chez lui !) ou la Suite japonaise d'Otaka (il existe
quelques autres choses très dignes d'intérêt, comme une jolie Sonatine pour piano ou son
splendide Concerto pour flûte,
là aussi très debussysé), qui emploie certes des modes orientaux, mais
d'une façon qui évoque totalement la Danse
de Puck ou Et laLune descend, vraiment construit
dans le même langage harmonique, rythmique, pianistique.
→ Ces deux cycles ont de surcroît la particularité, je trouve, d'être
aussi aboutis que leur modèle, ce qui n'est pas un mince hommage. Reste
à graver ceci en entier !
♥♥♥ Otaka: Piano Sonatina // Terauchi:
Hoodo to Uncho kuyo bosatsu hattai (The Phoenix Hall and 8
Putto-Figures worshipping the Sacrifice Ceremony in the Clouds) // Ichiyanagi: Cloud Atlas // Takemitsu : Litany,
Uninterrupted Rests // Yashiro:
Piano Sonata (1961 revised version) – Miwa Yuguchi (Thorofon 1996)
→ Parcours absolument passionnant, depuis le postdebussyste d'Otaka et
Terauchi jusqu'aux langages défragmentés mais toujours éloquents
d'Ichiyanagi, Takemitsu et Yashiro, comme un parcours progressif
exposant l'évolution de la musique du Japon occidentalisé, à travers
des cycles de toute beauté – et pourtant, les Otaka et Takemitsu
figurent plutôt dans le spectre bas de leur qualité habituelle !
Une
merveille de découvertes, indispensable pour qui veut s'échapper des
habituelles propositions viennois classiques / germaniques romantiques
/ impressionnistes français.
LIED & MÉLODIE
♥ Schubert – Winterreise (en
polonais sur des poèmes de Baranczak !) – Konieczny, Napierała
(Institut Chopin)
→ Prosodie très naturelle et réussie, pour une voix qui sonne claire
dans Wagner, mais riche, sombre et grave dans le lied. Néanmoins, même
si cela entrave un peu sa mobilité expressive, rien de lourd ni de
placidement homogène, une belle incarnation de ces lieder dans sa
propre langue, très réussi, et accompagné de façon inhabituelle sur un
piano ancien très chaleureux.
♥♥♥ Chopin: Songs – par
Aleksandra Kurzak, Mariusz Kwiecień, Nelson Goerner (Institut Chopin)
→ Oui, cette intégrale tient vraiment sa promesse du Real Chopin : real
au sens anglais, avec les sonorités totalement différentes de ces
pianos anciens aux couleurs beaucoup plus vives, au médium bien plus
exposé ; real au sens
dialectal italien (ou espagnol), royalement servi par des artistes très
inspirés qui ne se contentent pas de jouer ces vénérables antiquités
mais en tirent réellement des propositions très originales, de
véritables interprétations radicales et pensées qui magnifient le
matériau.
Vraiment une expérience incomparable. (à écouter ici)
♥♥ Reber, Thomé, Duprez, Doche, Guion, Berlioz, Liszt, Duparc,
Franck, Godard, Massenet,
Chaminade, Messager, Varney – « Alexandre
Dumas et la musique » – Garnier, Deshayes, Boché ;
Jouan, Cemin (Alpha)
→ Splendide collection, très rare et de grande qualité, de mélodies,
qui bénéficient du violoncelle chaleureux de Jouan, de la précision
tranchante et spirituelle de Cemin, de la diction subtile de Boché, du
charisme immédiat de Deshayes (qui mûrit décidément formidablement). Un
peu plus de réserves sur Garnier : on entend l'artiste, mais
l'instrument large demande encore à être domestiqué pour éviter
l'impression d'émission en force et rendre le texte plus net. C'est
difficile, et pour ce type de voix vient avec le temps ; elle a
toujours eu la sensibilité d'une grande artiste (on le mesure ici
encore, avec la tension des progressions qu'elle ménage !), on attend
que cela s'incarne pleinement dans les années à venir.
→ (bissé)
♥♥ Mahler – extraits du Wunderhorn,
lieder de jeunesse, cycle Rückert – Karg,
Mahler (!), Martineau (HM)
→ Grâce à des rouleaux perforés, on peut entendre l'accompagnement de
Mahler lui-même (beaucoup de tangage dans le rubato !) accompagner
Christiane Karg.
→ La voix a beaucoup mûri, moins d'oscillations un peu grises, une pâte
un peu plus épaisses, on y gagne et on y perd, mais l'artiste demeure
toujours très musicale, attentive au texte, et le timbre agréable.
Pureté de Martineau appréciable également. Très bel album.
→ (bissé)
♥♥ Berlioz, Bizet, Gaubert, Ravel, Falla, Serrano, Obradors, Lorca,
chansons égyptiennes – « El Nour » – Fatma Saïd (Warner)
→ Sous l'apparence d'un usuel récital « Orient-Occident » par
une jeune interprète à la mode, en réalité une collection de pièces
remarquablement habitées (la qualité du français est digne d'éloges !),
une technique très maîtrisée qui se prête avec souplesse aux divers
styles (la grâce lascive de la mélodie française, la saveur corsée des
mélodies espagnoles), incluant même un inédit (ce me semble) de Gaubert
(Le Repos en Égypte). Et
finissant par des chansons égyptiennes en émission vocale
(partiellement) populaire, où frappent l'élégance et l'éloquence.
Impressionnant ensemble – les Shéhérazade
(avec piano… et ney !) de Ravel sont même très réussies, dotées
d'un sens du texte précis.
→ (trissé)
chansons diverses : Alagna
« Le Chanteur »
→ Difficile à écouter pour moi : accompagnements assez
caricaturaux (Casar, je suppose ?) avec couleurs de carte postale
exagérées, mixage vraiment pénible (voix écrasée à l'avant, ploum-ploum
gonflés).
→ Dommage, avec une guitare sèche (ou un archiluth !) et capté avec
naturel, ce serait très beau, la diction est belle, le chanteur engagé
(même s'il y a un rien trop d'épaisseur lyrique qui demeure par
endroit).
→ En somme très bien chanté, mais dans un répertoire de chansons
« pittoresques » qui n'a déjà pas ma faveur, les arrangements
ambiance coloniale et le mixage agressif m'empêchent d'y prendre du
plaisir…
LISTE D'ÉCOUTES à
faire – nouveautés
THOMSON, V.: Portraits, Self-portraits and Songs (Tommasini, Leventhal,
N. Armstrong, F. Smith)
rabhari compositeur
barry beethoven par adès
roland-manuel par akilli
bruckner 8 thielemann ( :( )
vivaldi tamerlano dantone
RÖNTGEN-MAIER, A. / SMYTH, E.: String Quartets (Rendezvous: Leipzig)
(The Maier Quartet)
job Andrew Davis / Bergen
Debussy / Tôn-Thât Tiêt - Mélodies, musique de chambre et piano
ziesak wolf eisenlohr 1992
réécoute walton quatuors
khovanchtchina stravinski (et ravel?)
Mefisto : « Rawsthorne est un des compositeurs que j'ai exploré
de façon systématique et qui m'a procuré de nombreuses satisfactions.
Pas le plus immédiatement séduisant, mais des choses fascinantes. Le
concerto de chambre, Pierrette, son thème et variations pour 2 violons,
ses Bagatelles pour piano et son premier concerto pour piano pour les
choses qui m'ont ébourriffé. J'ai noté plein d'autres pièces pour y
revenir aussi : les sonates, celle pour violon pas charmeuse pour un
sou et pourtant étrangement attirante, ou celle pour alto avec son
scherzo diabolique, certains quatuors, certaines symphonies... »
Mefisto : « Blake, plus direct, a beaucoup de belles choses à
son catalogue et offre un primat à la mélodie, avec parfois des choses
plus retorses (musique de chambre). Pareillement, j'ai écouté
pratiquement tout, beaucoup de satisfaction avec ses pièces pour
quatuor (comme Spieltrieb, Walk in the Air ou Month in the County, quel
bel adagio !) ou son trio à cordes avec cette introduction martiale.
Également notables, un très beau concerto pour flûte, assez
cinématographique, et un concerto pour piano qui se vautre dans la
facilité (thème ronge-méninges, envolées lyriques franchement lourdes
parfois, dédicace à Lady Di) et qui pourtant fonctionne admirablement
si on accepte le postulat de départ. Les concertos pour clarinette et
celui pour basson s'écoutent bien, les Diversions avec violoncelle ont
de très beaux moments. »
(… lesquels Turcs composent pourtant une musique qui vaut bien
celle de Zajc, mais j'en ai déjà parlé dans une précédente notule.)
Longue période à préparer des notules – et à (beaucoup trop) aller au
concert, 22 soirs sur les 30 de septembre… –, aussi les commentaires
discographiques, quoique ralentis, se sont un peu accumulés. Je vous
les livre avant qu'ils ne soient décidément trop nombreux. J'ai un peu
rattrapé mon retard sur les nouveautés très appétissantes qui ont
déferlé ces deux dernières semaines.
☼
S'il faut choisir seulement trois disques, je dirai Les Méditations de Charpentier, Statuesque de Heggie et le
Hummel-Beethoven de Visovan. Voilà, vous pouvez vaquer. (Ou lire le
reste.)
Les nouveaux enregistrements les plus marquants de ces quelques
dernières semaines.
BAROQUE
¶ Méditations pour le Carême
de Charpentier par Bestion de Camboulas, œuvres sublimissimes dans une
interprétation très dramatique (et à un par partie).
¶ Les Boréades de Rameau par
Luks, enfin une version moderne au disque, dans une distribution
superlative. (Gardiner, outre qu'il est aléatoirement trouvable, a
vraiment vieilli dans les récitatifs. Christie n'est disponible qu'en
DVD et moins abouti que Luks par ailleurs.)
CLASSIQUE ET POST-CLASSIQUE
¶ Richard Cœur de Lion de
Grétry par Niquet, résurrection tant attendue qui permet de réévaluer
massivement l'œuvre.
¶ Fantastique Sonate de Hummel et transcription pour tout petit
ensemble de la Première Symphonie de Beethoven, sur piano d'époque, des
merveilles absolues.(Aurelia Visovan)
¶ Une belle Missa solemnis de
Cherubini (Bernius).
SYMPHONIQUE
¶ Beethoven 1-9 par WDR-Janowski, au sommet de ce qui peut être fait en
tradi.
¶ Brahms 1 par Gewandhaus-Blomstedt, où triomphe la décantation
poétique.
¶ Mahler 7 par Lille-Bloch, furie, détails, mordant.
¶ Chant de la Terre réduit par De Leeuw, plus mahlérien que l'original.
¶ Sibelius par RPO-Hughes, timbres moyens mais conception galvanisante.
¶ Ķeniņš 1 & 2, belle personnalité à découvrir.
LIED
¶ Schumann (Kerner, ballades…) par Hasselhorn, dont quelques nouvelles
références absolues (Die Löwenbraut).
¶ Schmitt, les mélodies très peu documentées et très bien chantées.
¶ Heggie, l'irrésistible Statuesque
par Barton.
OPÉRAS DU MONDE
¶ Nikola Šubić Zrinjski de
Zajc, le tube culturel croate, dans une exécution de niveau
exceptionnel.
Paraissent aussi deux histoires du quatuor, l'une du quatuor baroque,
l'autre des contemporains de Beethoven. Pas forcément des disques
superlatifs en eux-mêmes, mais le parcours est passionnant, en
particulier le premier (de Musica Fiorita) qui révèle les origines mal
connues (au disque) du quatuor à cordes sans basse continue, à une
période qui précède Haydn et Boccherini.
Deux déceptions notables :
♠ les Schubert de Jacobs (sans surprise,
certes, me concernant), très bien mais qui n'apportent rien de neuf (à
quoi bon, alors, alors qu'il a tant à dire sur les siècles précédents
?), confirmant la sclérose de l'inspiration et du répertoire chez ce
chef qui fit tant de merveilles (et exhuma tant de perles servies au
plus haut niveau), hélas.
♠ Le nouveau ballet de Boismortier, ni une partition exaltante, ni une
réalisation saillante – tant d'énergie et de fonds pour des ballets
moyennement convaincants, alors qu'on dispose des interprètes formés
pour monter les tragédies de première intérêt de Desmarest, Campra,
Destouches, La Coste, et, si l'on veut vendre des exemplaires, du
Régent !
¶ Hors nouveautés, enfin trouvé les Leçons
de Ténèbres de Gilles (de forme atypique, avec soliste et chœur
en antiphonie), mais dans une interprétation qui ne me satisfait pas
totalement. Régal avec les mélodies françaises par Dumora et les lieder
par von Otter. Superbe disque Saint-Saëns de Maazel également.
¶ Réécoute de Volo di notte
de Dallapiccola dans sa version française (œuvre déjà très accessible,
rien à voir avec l'hermétique Ulisse
ou même avec l'expressionniste Il
Priogioniero)et dans
une distribution à faire tourner les têtes, toujours un délice ; du
Quatuor avec clarinette de Hummel (si vous aimez le Quintette de
Mozart, un des nombreux prolongements possibles), et du savoureux Moby-Dick de Heggie, de l'opéra
épique d'aujourd'hui.
¶ Écoutes comparées pour Les
Méditations pour le Carême de Charpentier (toute la
discographie) et Die Löwenbraut
de Schumann (l'essentiel de ce qui est actuellement disponible).
Les détails dans les tableaux ci-après.
Du vert au violet, mes recommandations.
♦ Vert : réussi !
♦ Bleu : jalon considérable.
♦ Violet : écoute capitale.
♦ Gris : pas convaincu.
(Les disques sans indication particulière sont à mon sens de très bons
disques, simplement pas nécessairement prioritaires au sein de la
profusion de l'offre.)
commentaires
nouveautés : œuvres
commentaires
nouveautés : versions
Dussek – Messe solennelle –
Academy of Ancient Music, Egarr (AAM)
→ Surtout célèbre pour son piano, et en particulier sa grande pièce
rhapsodique et narrative autour de le mort de Marie-Antoinette, Dussek
bénéficie ici d'un enregistrement d'une œuvre de grand format, et sur
instruments anciens !
→ L'œuvre tient son contrat de densité, d'ampleur et de spectaculaire,
elle s'écoute avec beaucoup de bonheur. L'écoute n'est pas achevée,
j'en dirai davantage lors de la prochaine livraison.
Beethoven – Intégrale des Symphonies
– WDR, Janowski (PentaTone)
→ J'ai déjà commenté les 5 & 6, sommets de la discographie des
exécutions « traditionnelles » des symphonies de Beethoven.
→ L'intégrale me convainc plus diversement, beaucoup de chair
d'orchestre (les cordes débordent un peu sur le reste du spectre), peu
de contrastes de couleurs, on dispose de beaucoup d'autres propositions
plus stimulantes désormais, même en laissant de côté les conceptions
très affirmées de Hogwood ou Gardiner, avec des propositions de
Dausgaard à Savall, par exemple.
Wellesz
– Die Operfung des Gefangenen – ÖRF, Cerha (Capriccio) → Grands aplats
et unissons avec tambours battants : essentiellement de la musique
symphonique chorégraphique (pas du tout dansante) et des chœurs à
l'unisson… peu exaltant.
→→
suite →→
→ Pour autant, l'énergie constante (voyez la 5, la Marche funère de la
3…) et la beauté impressionnante des phrases – la façon dont Janowski
laisse toujours respirer la musique sans jamais la lâcher, ou dont il
fait entendre le détail du contrechant dans la section des bois – en
font une fréquentation particulièrement stimulante, satisfaisante et
inspirante !
→ J'espérais qu'elle règle la question de l'intégrale
« traditionnelle » (Dohnányi-Cleveland reste au firmament,
mais Telarc a disparu, tout est épuisé), ce n'est pas forcément le cas,
mais le résultat reste particulièrement exaltant.
Werner – Der gute Hirt – Orfeo
Orchestra, Vashegyi (Accent)
→
Bel oratorio des années 1730, très statique, donc la langue musicale
évoque l'univers de Haendel et surtout Bach, en bonne logique. Le
livret en est très statique, peu de saillances musicales même si tout
est beau (notamment les récitatifs) ; de même pour l'exécution,
valeureuse mais sans personnalité proéminente. Intéressant pour cette
période très peu documentée hors des grands noms.
Schubert
– Winterreise – Benjamin Hewat-Craw, Yuhao Guo (Ars Produktion)
→
Chant vraiment couvert et cravaté, le baryton cherche à faire le plus
grosse voix possible, et ce nuit à la diction et à l'expression – il
refuse résolument les résonances par le nez, pourtant le fondement
d'une technique lyrique efficace.
→ Au demeurant, une belle étoffe
de voix et une interprétation pleine de conviction. Pas indispensable
du tout, mais pas déplaisant à la découverte.
Boismortier – Les Voyages de l'Amour
– Santon, Watson, Wanroij, Dolié ; Orfeo Orchestra, Vashegyi
(Glossa)
→ Don Quichotte chez la Duchesse
est l'œuvre que je recommanderais en priorité pour faire découvrir
l'opéra à un néophyte. Tellement condensé, fantaisiste,coloré et
immédiatement séduisant ! Aussi, un nouveau ballet de Boismortier
suscitait toute mon attention.
→ Il s'avère que le livret témoigne du néant littéraire du ballet du
temps (il ne se passe rien, une enfilade d'airs stéréotypés sur une
action qui se limite à peu près au titre – une fausse fuite dans des
jeux d'amants).
→ Par ailleurs, la distribution, malgré toute sa science du style,
souffre de voix formées à une technique XIXe (et même XXIe) :
diction lâche, timbres assez opaques, émission trop couverte, vibratos
flottants… De même pour l'orchestre, qui réussit très bien dans les
formules hiératiques post-gluckistes mais qui manque ici de l'élan et
de la couleur qui caractérisent l'opéra français de troisième
génération (époque Rameau).
→ Tout ce qui aurait pu compenser les faiblesses de l'œuvre, avec des
voix fraîches, une diction au cordeau, un orchestre qui déborde
d'invention et de coloris, manque pour renverser la tendance. Hors
amateurs forcenés intégralistes, cette découverte me paraît
dispensable.
Sibelius
– Symphonies n°1 & 3 – Royal Philharmonic, Hughes (Rubicon)
→
Il y avait fort longtemps que je n'avais pas entendu le Royal
Philharmonic, qui ne fut jamais l'orchestre le plus intéressant, le
plus virtuose ou le plus engagé des royaumes unis… Les derniers
enregistrements de lui qui ont passé par-devers moi doivent remonter à
des captations des années 90… Il s'avère que nous n'avons toujours pas
affaire au phénix des hôtes de ses bois.
→ J'aime beaucoup Hughes,
qui parvient à animer des orchestres secondaires avec une certaine
ardeur bien tenue et une belle aération, comme ici. Dans Sibelius, un
peu de plus de structure et de chatoyance aurait sans doute été
nécessaire pour rivaliser avec les grandes versions, mais je trouve les
transitions très réussies, la mutation thématique s'y entend
remarquablement. Je vais donc y revenir et le laisser maturer,
peut-être que, malgré les timbres limités, j'en ferai un véritable
compagnon de route !
anonymes, Eccles, Lawes, Oswald, Purcell –
The Queen's Delight (English Songs and Country Dances of the 17th and
18th Centuries) – McGown, Musiciens de Saint-Julien, Lazarevitch (Alpha)
→
Délicieux ensemble de chansons délicates et entraînantes, avec les
sonorités acides et vivantes des Musiciens de Saint-Julien et la
savoureuse Fiona McGown.
→→ suite →→
→
Et, de fait, la Troisième me passionne par son grain, ses transitions
infinies, sa verve folklorisante qui ne masque jamais la complexité de
conception… Une merveille de chef, alors même que l'orchestre n'a pas
l'insolence des plus grandes formations – mais réagit très bien. Une
grande version !
Tālivaldis Ķeniņš
–Symphonies : 1, 2, Concerto (de chambre) flûte, clarinette, piano
& cordes ; Concerto piano, percussions & cordes – National
de Lettonie, Poga (Ondine)
→ Concerto de chambre : belle
prolifération babillarde de sons disparates au sein d'une langue assez
romantique… on songe par exemple à Martinů.
→ Concerto
piano-percus : ambiance lyrique très étale, avec jolies
superpositions harmonies (on songe par endroit au Premier Concerto pour
piano de Schnittke).
→ Très belles choses dans les symphonies, qui
n'accrochent pas nécessairement l'oreille distraitement, mais le détail
contient de belles tournures sibeliennes, et manifestement une
structure soignée et stimulante. À laisser mûrir, je crois qu'on tient
un disque de qualité !
Mozart
– La Betulia liberata – Piau, Forsythe, Iervolino, Pablo Bemsch, Di
Pierro ; Les Talens Lyriques, Rousset (Aparté)
→
Seul oratorio achevé de Mozart, commandé pour Padoue (et manifestement
jamais représenté sur place, ce titre étant lié dans les archives à
l'œuvre d'un compositeur local), c'est l'œuvre d'un compositeur de 15
ans, sur un livret de Métastase, où Holopherne a la particularité
d'être totalement absent – sa mort est rapportée par Judith elle-même
dans un long récitatif accompagné par les cordes, à la façon du viol
raté de Donna Anna. Seule incarnation du camp ennemi, son allié Achior,
prisonnier impuissant qui se convertit au judaïsme devant la puissance
du Dieu hébraïque.
→ L'œuvre consiste uniquement en une suite de
récitatifs et d'airs, quelques chœurs (peu marquants) mis à part ;
à cette âge, on ne dispose pas encore du meilleur Mozart évidemment.
Klengel, Schumann – Concertos pour
violoncelle – Gromes, Berlin RSO, Nicholas Carter (Sony)
→ Timbre moins impressionnant qu'en musique de chambre, moins rond,
plus « poussé ».
→
Très belle composition généreuse de Klengel, quoique très conditionnée
par les démonstrations de virtuosité (qui ne sont néanmoins pas banales
ni laborieuses).
→ Beau Schumann, lecture expansive, très ronde
(le spectre sonore est écrasé par les cordes) et lyrique, évoquant
davantage les années 1890 que le style milieu-de-siècle, mais réalisé
avec une force de conviction considérable !
→→ suite →→
→
Je déplore que les Talens Lyriques mettent leur énergie (et leurs
disques) au service d'une œuvre réellement mineure d'un
compositeur-vedette, mais je dois admettre qu'ils en fournissent ce
faisant de loin la meilleure version disponible au disque. L'Ouverture
qu'ils colorent à la Gluck est tétanisante, tandis que la mobilité
d'ensemble épargne l'ennui. Belle distribution également, en
particulier Iervolino – Bemsch qui change de voyelle en cours de
vocalisation et Di Pierro qui les hache rencontrent quelques limites
dans les coloratures, mais déclament remarquablement. Dommage que la
prise de son les mette très en avant, à l'ancienne – les chanteurs font
plus de bruit dans un récitatif que l'orchestre entier dans
l'Ouverture !
→ En effet, je n'ai pas écouté la version
historique de Rossi ni la très tradi de Hager (mais je vois ce que
c'est), et Gaigg (Orfeo Barockorchester) ou le très beau Favero
(Oficina Musicum) ne sont pas aussi luxueusement aboutis.
→ C'est donc recommandé si vous souhaitez absolument écouter du seria
de Mozart mineur mais bien servi.
Bononcini, Sonata da camera a 4
A. Scarlatti, Sonate a 4 senza
cembalo
Maddalena Lombardini Sirmen,
Quartetti
– Musica Fiorita (Pan Classics)
→
Véritables origines du quatuor à cordes que ces sonates pour 2 violons,
alto et basse continue… sans clavecin ! Très beau projet.
→
Les œuvres demeurent dans la veine « décorative » de la
musique de chambre baroque, sans l'ambition formelle de l'ère classique
ni bien sûr émotionnelle des romantiques. Mais suivre la filiation dans
une exécution aussi nette est passionnant !
→ La fugue lente de
la Deuxième Sonate de Scarlatti est remarquable, dans un genre
cependant très rétro, davantage évocateur du premier XVIIe, voire de la
Renaissance, que de l'avenir du quatuor. Et pourtant les couleurs
harmoniques obtenues évoquent le taciturne n°16 de Beethoven !
→
Lombardini Sirmen écrit déjà en revanche, une langue classique, sans
formules toutes faites, vraiment stimulant – ce mériterait réécoute
pour mesurer son apport au genre, mais ce ne me semble pas du tout
anodin.
Charpentier
– Méditations pour le Carême – García, Candela, Bazola ; Guignard,
Galletier, Camboulas (Ambronay)
→
Avec Médée, le fameux Te Deum et le Magnificat H.76, on tient là la
plus belle œuvre de Charpentier, inestimable ensemble de dix épisodes
de la passion racontés en latin (et s'achevant au miroir du sacrifice
d'Isaac, sans sa résolution heureuse !) par des chœurs tantôt
homorythmiques tantôt contrapuntiques, et ponctués de récitatifs de
personnages (diversement sympathiques) des Écritures. Merveille absolue
de l'harmonie, de la prosodie et de la poésie sonore.
→ Ce que
font Les Surprises est ici merveilleux, sens du texte et des textures
hors du commun, d'une noirceur et d'une animation dramatique
inhabituelles dans les autres versions de cette œuvre, et servi au plus
suprême niveau de naturel chanté. Un des disques majeurs du patrimoine
sacré français.
Bach Sons – Symphonies by J. C.
Bach, J. C. F. Bach, W. F. Bach & C. P. E. Bach – Controcorrente
Orchestra (Passacaille)
→ Écouté distraitement en travaillant, il faut que j'y revienne.
Semblait très bien (exécution remarquable en tout cas).
Mahler
– Symphonie n°7 – ON Lille, Bloch (Alpha)
→
Je n'aime pas trop la prise de son assez mate, cependant elle permet de
profiter avec précision de cette lecture au plus haut niveau, marquée
non seulement par la qualité technique, mais surtout par l'énergie
inextinguible imprimée par Bloch – qui a décidément transfiguré cet
orchestre en une phalange de classe mondiale !
→ Structure,
tension permanente, il n'y a que sur la couleur où l'on puisse trouver
plus luxueux chez des orchestres plus célèbres. Grande, grande version.
J'attends avec impatience le prochain disque de Bloch, quel qu'il
soit !
Bizet sans paroles : Chants du
Rhin, transcriptions – Gouin (Mirare)
→ Quelle douceur de toucher !
→ La Romance de Nadir récrite par Gouin se mêle au « vent
d'hiver » (Op.25 n°11) de Chopin, impressionnant.
→
Les colossales Variations chromatiques brillamment soutenues (avec plus
d'éclat et peut-être moins d'intériorité que Wagschal, il me faudra
réécouter les deux),
→ Transcription par Bizet du Concerto n°2
(déjà cyclopéen) de Saint-Saëns, qui en accroît encore les difficultés
et les rend constantes, en exigeant d'autant plus de musicalités que
tous les thèmes sont au pianiste, ainsi que le fondu. Gouin survole
tout cela avec une aisance à peine concevable.
→ Pas
nécessairement séduit par tous les choix de répertoire, mais panorama
très original de Bizet pianiste, Bizet transcrit, Bizet
transcripteur !
Bach
– Motets – Pygmalion, Pichon (HM)
→
Après des Messes incomparables et une Saint-Jean très stimulante,
j'avais été désappointé, sur le vif, par ces Motets. Au disque, on est
tout de même ébloui par la beauté des timbres du chœur – même si les
s'il est bien sûr difficile de retrouver la même mobilité expressive
que dans les versions à « un par partie ».
→ Dans le
domaine des versions à chœur, vraiment une belle version aux couleurs
remarquablement généreuses, qui a manifestement mûri au fil des
concerts de ces dernières années.
Gyrowetz 20-3, Haydn 77-1, Beethoven
1, Boccherini 90, Hansel 20-3, Beethoven 9, Donizetti 17, Beethoven 16, Schubert
14, Mendelssohn 2, Schumann 3, Czerny
28 Ab – Beethoven's World 1799-1851 : The Revolutionist & His
Rivals – Casal SQ (Solo Musica)
→
Quelle brillante idée ! Par un quatuor très allant et légèrement
acide, adéquat pour donner de l'élan à des œuvres de la période.
→
L'ajout des quatuors de Mendelssohn et Schumann laisse un peu
dubitatif, la génération n'étant clairement plus la même, contrairement
à Czerny qui était connu et estimé de Beethoven, quoique ses quatuors
soient plus tardifs que les autres corpus présentés ici.
→ Pas
véritablement de découverte fabuleuse dans les quatuors présentés ici.
Même le Czerny, dont tous les autres quatuors m'ont jusqu'ici
émerveillé – il est d'essence particulièrement classique par rapport
aux autres écrits dans ces mêmes années 1840-1850, bien qu'en la bémol…
Brahms
– Symphonie n°1 – Gewandhaus, Blomstedt (PentaTone)
→
Tempo assez modéré, pour une introduction pleine de majesté, un Brahms
qui fascine par la clarté de sa structure plutôt que par la vaine
séduction des timbres ou par sa rage. Pour autant, une version très
animée, qui ne rugit pas mais qui interpelle sans cesse. Grande, grande
lecture d'une décantation impressionnante.
Ivan Zajc (1832–1914) – Nikola Šubić
Zrinjski – Rijeka SO, Matvejeff (CPO)
→
Parution de l'œuvre la plus célèbre de tout le répertoire croate (sur
le versant semi-comique, CPO vient de publier Ero le farceur de
Gotovac) dans une version moderne remarquablement chantée et captée
avec une aération formidable, caractéristique des publications de CPO,
qui permet de goûter l'épopée dans toute son ambition.
→ Même si
musicalement, j'attends plutôt avec impatience la parution des opéras
de Hatze (plus riches), il faut avouer que ce Zajc-ci, avec sa façon
verdienne assez directe, réussit très bien à exalter son sujet – la
résistance de Zrinjski à Vienne face aux Turcs, s'achevant dans le
tableau vivant de la bataille finale !
→ Plaisir intense
d'entendre un orchestre « provincial » d'un tel niveau, et
surtout une école de chant encore assez typée, avec des émissions à la
fois slaves et assez frontales (un peu à la tchèque, toutes proportions
gardées).
Schubert
– Symphonies 2 & 3 – B'Rock Orchestra, Jacobs (Pentatone)
→
Sous une pochette impersonnelle marquée des initiales RJ, se trouve
effectivement la trace d'un parcours égotique dont le point d'arrivée
me laisse sceptique. Pourquoi tous les anciens chefs d'ensembles
baroques veulent-ils diriger du XIXe siècle ? Certains en ont
réellement renouvelé l'approche, comme Gardiner ou le Freiburger
Barockorchester, ou bien ont remis au goût du jour des répertoires peu
courus, comme Niquet… mais René Jacobs semble se contenter de jouer
dans son style un peu raide (que ne compensent plus la richesse et
l'inventivité des ornements ou réorchestrations, dans ce répertoire…)
les tubes déjà multi-enregistrés.
Heggie – Unexpected Shadows – Jamie
Barton (PentaTone)
→
Très tonal, puisant à tout un imaginaire contemporain grand public,
Heggie produit une musique à la fois sophistiquée et très accessible.
Cet album ne fait pas exception et Jamie Barton s'y montre déchaînée,
déployant de nombreuses facettes sonores de son talent – je ne l'avais
jamais entendue aussi bien timbrée, et elle maîtrise fort bien, malgré
le vibrato, le genre canaille de la chanson.
→ Hors contexte
dramatique (Moby-Dick, Dead Man Walking !), la musique de Heggie ne
bouleverse pas autant, mais ce reste un très bel album de musique
tonale et vocale d'aujourd'hui, avec des atmosphères quasi-cabaretières
tout à fait charmantes (Iconic Legacies autour des quatre First Ladies
Roosevelt, Lincoln, Kennedy, Bush).
→→ suite →→
→
Le résultat est bon, mais ressemble à tout ce qu'on a déjà entendu à ce
jour, les attaques plus franches, les tempi plus vifs, les orchestres
plus colorés… mais ici avec un systématisme (et dans les tutti un côté
orphéon pas toujours très réussi) qui ne me passionne pas
particulièrement.
→ C'est dans l'absolu un très bel
enregistrement, mais il n'y a aucune raison, dans le genre
« informé », d'écouter ce disque plutôt que d'aller du côté
des intégrales de Goodman, De Vriend, Immerseel ou Minkowski, dont les
qualités instrumentales et stylistiques sont comparables, mais avec un
sens poétique bien plus développé. Symétriquement, une petite déception
qu'un chef aussi talentueux que Jacobs fasse de bons Schubert plutôt
que des résurrections magistrales d'œuvres inconnues, comme il le fit
avec Conti ou Graun…
→→ suite →→
→
Le tout culmine dans l'irrésistible Statuesque qui présente plaisamment
des sculptures (Moore, Picasso, d'Hatchepsout, Giacometti, Victoire de
Samothrace…)… qui s'expriment à la première personne ! Dans une
harmonie riche, mais qui épouse uniquement l'expression et ne vole pas
la vedette : drôle et persuasif, peut-être le grand cycle de Songs
de ce début de XXIe siècle !
→ La Victoire de Samothrace :
« You don't even know where I was raised » / « No interest in what I'm
thinking or dreaming […], don't you notice anything you self-centered
son of a […], don't you notice or care : I don't have a HEAD ! ».
Gossec,
Symphonie à 17 parties ; Beethoven,
Symphonie n°5 — Les Siècles, Roth (HM)
→
Interprétation vigoureuse et abrupte de la Cinquième, qui place le
tranchant du trait avant la polyphonie – on entend assez peu les
parties intermédiaires, les vents colorent les cordes, mais le geste
général reste impressionnant. Le tout souligne davantage la filiation
avec l'écriture très verticale de Gluck (grands accords dramatiques)
que la personnalité de Beethoven (avec un soin de chaque contrechant,
un étagement de chaque couleur au sein de l'orchestre) ou sa modernité
(impression cinétique et linéaire, moins d'insistance sur le motif
circulaire).
→ Dans le scherzo, les bassons et les cordes sul
ponticello grincent d'une façon assez fantastique, très atmosphérique –
même si la prise de son augmente articificiellement leur dynamique.
Grétry – Richard Cœur de Lion – de
Hys, Mechelen, Loulédjian, Perbost, Boudet ; Le Concert Spirituel,
Niquet (CVS)
→
Enfin une version moderne, informée – avec les dialogues conservés sur
disque, Dieu merci ! – et remarquablement chantée, essentiellement
par des chouchous (de Hys, Loulédjian, Perbost, Boudet), aux voix
claires et expressives, le tout trépidé par Niquet. La production
visuelle de Pynkoski, d'un traditionnel luxueux (et non sans un second
degré salvateur), ajoutait à la splendeur, le DVD paraîtra peut-être.
→
Je comprends mieux, dans ce contexte, l'enthousiasme soulevé par la
pièce ; avec les dialogues, l'intrigue complète paraît un peu plus
trépidante ; avec une exécution informée, beaucoup de numéros qui
semblaient ternes révèlent de véritables beautés. Ce n'est pas le grand
opéra comique ni le plus grand Grétry, mais c'est un divertissement
particulièrement rafraîchissant et séduisant !
→→ suite →→
→
Très belle interprétation très aboutie de Beethoven, au grain superbe
typique des Siècles (assez sombre pour un orchestre sur instruments
d'époque), dans un genre qui n'est pas celui qui a ma faveur. Comme les
Haydn par Guy van Waas, c'est l'occasion de découvrir comment pouvaient
sonner ces œuvres telles que comprises et jouées par des artistes
français de l'époque.
→ Le beau Gossec est ici joué, de même, avec
une allure un peu militaire, très verticale et régulière, qui ne tire
pas tant, là encore, le parti des lignes intermédiaires que de l'élan
général.
Schmitt – Mélodies – Diethelm, Haug,
Gmünder, Perler ; Romer, Rushton (Resonus Classics)
→
Massif complexe et varié, tantôt dans l'épure contemplative (Op.4),
tantôt explorant des textures qui préfigurent quasiment les grandes
superpositions trillées d'accords à la Messiaen (Kérob-Shal).
→
Superbes voix, en particulier masculines, et diction tout à fait
décente dans l'ensemble malgré les accents forts (mais des camarades
soutiennent au contraire que c'est trop peu articulé, divergence entre
nous).
→ À connaître : singulier, évocateur, et bien servi.
Mozart
– « Magic Mozart », airs d'opéra et de concert, pantomimes de
Pantalon & Colombine – Devos, Piau, Desandre, Barbeyrac, Felix,
Sempey ; Insula Orchestra, Équilbey (Erato)
→ Insula Orchestra,
formé d'invidividualités extraordinaires, a ses bons jours et
quelquefois, suivant le chef et la préparation, un petit manque de
cohésion et/ou de vision. On entend un peu cette limite ici : la
prise de son ne révèle complètement pas les beautés souveraines des
timbres, et l'interprétation qu'imprime Équilbey ici paraît demeurer
assez traditionnelle, sans prendre le parti de l'orchestre à cordes.
→
Jolis airs très courus, pas forcément dans des versions de référence,
en dehors du second air de la Reine de la Nuit avec Jodie Devos, où les
respirations orchestrales, la focalisation vocale extrême et le geste
expressif des deux produisent l'une des plus belles interprétations
jamais gravées de cette pièce rebattue !
Hummel
– Sonate en fa mineur, arrangements de Mozart (Concerto n°24) et
Beethoven (Symphonie n°1) pour piano, flûte, violon et violoncelle –
Visovan, Besson, Bernardini, Munckhof (Ricercar)
→ Très belle
interprétation, souple et frémissante, mettant en valeur les (toutes
petites) tensions et les progressions par de minuscules ralentissements
et détours de phrasé, dans une Sonate à la langue postclassique, mais
qui ménage de forts contrastes entre les épisodes majeurs et mineurs,
parcourues de fureurs soudaines qui sentent leur Beethoven. Quant au
final, et en particulier à son grand fugato, il explose tout à fait la
forme traditionnelle et évoque la démesure de la Hammerklavier !
Couperin,
Leclair, Blavet, B. Gilles, Naudot… – « Versailles » –
Gábor Boldoczki (Flügelhorn, trompette), Cappella Gabetta (Sony)
→
La Cappella Gabetta est toujours aussi frémissante, mais le cuivre
moderne posé par-dessus (accentué par la prise de son qui le met à
l'avant) tend à tout écraser, inévitablement, à rester déconnecté des
timbres mats et chaleureux des cordes en boyaux.
→ On se retrouve
ici, malgré le programme très original, devant une suite de jolies
mélodies qui ne tiennent pas beaucoup au corps. Des extraits d'opéras
auraient sans doute été plus pertinents, comme le montre la Contredanse
finale des Boréades.
→→ suite →→
→
Dans la Symphonie de Beethoven, malgré l'effectif très réduit, le piano
d'époque (avec la douceur de ses aigus et la force de son médium, sur
un Graf éblouissant de 1835) permet de dynamiser extraordinairement le
discours, mieux qu'avec n'importe quel orchestre cinglant ! Les
éléments d'origine sont tous présents car les parties sont réellement
récrites et réattribuées (ce qui est rare dans ce type
d'exercice : beaucoup plus de travail, un véritable travail de
compositeur), de façon à éviter d'omettre des lignes intéressantes au
profit de celles plus insignifiantes conservées pour les instruments
qu'on a conservés. Grâce à cela, on n'a jamais mieux entendu toutes les
lignes intermédiaires et contrechants de cette symphonie !
Single de Siobhán Stagg – Listen
(feat. Paul Hankinson & Dermot Tutty). (Records DK)
→ Mignon. Pas trouvé l'album.
Mahler – Das Lied von der Erde
(réduction De Leeuw) – Richardot, Saelens ; Het Collectif, De
Leeuw (Alpha)
→
Très belle et moderne réduction au grain remarquable (l'harmonium
remplit et colore très bien les espaces restants du spectre, le célesta
aussi). Direction furieuse de Reinbert De Leeuw, décidément un immense
chef, et instrumentistes absolument fulgurants et possédés !
Saelens
et Richardot sont merveilleux, timbre et expression inclus ; il
existe évidemment des diseurs plus précis, mais je ne crois pas,
globalement, avoir entendu version aussi enthousiasmante !
Schumann
– Kerner-Lieder, Ballades ('Stille Liebe') – Hasselhorn, Joseph
Middleton (HM)
→
L'impression de l'accentuation de son côté « baryton » (alors
que le matériau est potentiellement celui d'un baryton très aigu, voire
d'un ténor), qui étouffe un peu la voix et diminue l'aspect direct de
la voix (qui conserve ses problèmes de couverture inégale).
→ Pour
autant, le charisme qu'il manifeste dans ce répertoire, qu'il chante
depuis toujours (il allait loin dans les compétitions de lied, où il
m'avait beaucoup impressionné, bien avant qu'il ne finisse ses études
et ne remporte Reine Élisabeth !), demeure très persuasif, on sent la
respiration poétique qui s'allie à la musique, même si la voix, de
surcroît pas très phonogénique, conserve des lacunes techniques – il
lui sera difficile de s'imposer à l'opéra, ne serait-ce que pour passer
l'orchestre sans être happé ni s'épuiser.
→ Très bel album
néanmoins, qui touche juste, et avec naturel ! On n'a pas beaucoup
de versions aussi fluides des Kerner !
Melani – L'Empio Punito (1669) –
Auser Musici (Glossa)
→
J'avais de meilleurs souvenirs de cette variante donjuanesque
(Montpellier au début des années 2000 ?), tout de même un très
hiératique drame façon recitar cantando ; il se passe beaucoup de
choses par rapport à la concurrence des décennies antérieures, mais on
est loin de la générosité mélodique et dramatique des meilleurs opus.
Par ailleurs, l'accompagnement un peu chiche en couleurs et les voix
pertinentes mais pas très séduisantes n'aident pas.
À réécouter en
m'immergeant plus activement dans le livret (cette fois-ci, à l'oreille
seule, ce n'est pas suffisant), il semble y avoir tout de même de bien
belles choses.
Rameau,
Les Boréades – Luks (CVS)
→
Contre toute attente peut-être, les Tchèques qui ont brillé intensément
dans la musique italienne et habsbourgeoise se révèlent aussi
remarquablement rompus au style français. Jusqu'aux chanteurs (émission
claire, mixée, moelleuse et très projetée du baryton Tomáš Šelc en
Borilée, on croirait entendre un élève de Courtis !), tous excellents –
Cachet, Vidal, Kristjánsson, Brooymans… à couper le souffle.
→
Seule réserve, la prise de son que je trouve un peu frontale, très
proche des micros, assez massive et agressive, manquant d'atmosphère où
se déployer. Autrement, une interprétation d'opéra français comme on
n'en a pas tous les jours, pour un opéra où l'on avait le choix entre
Gardiner (distribution moins parfaite, récitatifs qui ont beaucoup
vieilli) et Christie (très dynamique, mais avec peu de couleurs, et là
aussi une distribution moins intéressante).
Cherubini – Missa solemnis en ré
mineur – Bernius (Carus)
→
Très bel ensemble remarquablement écrit, comparable au style de ses
requiems (riches en prosodie, travaillés sur la déclamation et au
besoin le contrepoint), mais avec des solistes très bien mis en valeur.
Le tout joué avec la finesse de trait et de style de Bernius.
Rameau,
Pygmalion (air et danses), Suites de Dardanus ; Dahlin, Orfeo
Barockorchester, Michi Gaigg (ints-1) (CPO)
→
Savoureuse interprétation très réussie (qui aurait mérité une
intégrale, pour une oeuvre déjà remarquablement servie au disque).
« Su le sponde del
Tebro » : Frescobaldi,
Haendel, Verdi arrangés pour Quintette de
cuivres – Stagg, membres du DSOB (Capriccio)
→
Chouette projet (cantate de Haendel qui donne sont nom à l'album,
extraits des Vêpres Siciliennes…), mais franchement, les timbres d'un
quintette de cuivres, ça manque de grâce – tout le monde s'accorde à
dire que le tuba n'aurait jamais dû être inventé.
Montéclair
– Cantates Ariane & Bacchus, Le Dépit Généreux, Concert n°1 pour
flûte – Carrie Henneman Shaw, Leela Breithaupt, Les Ordinaires,
Vinikour (Naxos)
→ Belles cantates, chantées par une voix très typée
américaine (beaucoup de souffle dans la voix pour faire léger) à la
diction moyenne. Superbe Concert pour flûte joué avec chaleur.
« Futurisme »,
la jeune école italienne – Schleiermacher (MDG 2019)
→ Francesco Balilla Pratella
(1880-1955) La Battaglia. (1913) // Très martelé.
→ Malipiero (1882-1973)
Preludi autunnali (1914). Toujours cette galanterie un peu élusive chez
Malipiero.
→ Alberto Savinio
(1891-1952) Les chants de la Mi-Mort (1914) /// Mélange de masses
menaçantes et d'échos de chants populaires, tellement futuriste et très
convaincant.
→ Casella
(1883-1947) La notte alta (1917) // 25 minutes en seul mouvement, dans
des harmonies et des atmosphères qui évoquent les Clairs de lune de
Decaux. Impressionnant.
→ Silvio Mix
(1900-1927) Stati d’animo (1923), Profilo sintetico musicale di F.T.
Marinetti (1924) // Belle solennité répétitive et aux échos étranges,
pour le Profil de Marinetti.
→ Et toujours la fermeté de touche de
Schleiermacher, démiurge du piano alternatif du premier XXe siècle. Son
legs, incroyablement vaste, est capital pour notre compréhension de
plusieurs mouvements musicaux fondamentaux.
BECK, F.I. / HAYDN, J. / GLUCK, C.W. / JOMMELLI, N. / TRAETTA, T. (Sturm und Drang, Vol.
1) - Symphonies and Opera Arias - (Skerath, The Mozartists, Iain Page)
(SIgnum 2020)
→ Beau disqued dans la veine dramatique postgluckiste aux cavalcades
régulières et au geste hiératique. Très réussi.
commentaires
nouveautés : rééditions
liste nouveautés :
rééditions
Bouzignac – Motets – Pages de la
Chapelle, Arts Florissants, Christie (HM)
→
Le hiératique précurseur Bouzignac mériterait de véritables versions
d'élite, mais le disque ne le sert pas très bien. Cet enregistrement
des jeunes Arts Flo ne fait pas exception : techniques vocales
hésitantes, style encore empesé (le sens du rebond est plus celui de
Paillard que des Arts Flo actuel), son général plus mou qu'incisif…
→
Version estimable, mais qui ne rend pas vraiment justice à ces œuvres
déjà sévères, dont les beautés ne sont pas très bien mises en valeur.
lambert airs de cour arts flo
secrets live annie fischer
brahms piano rafael orozco
vierne 24 pièces de fantaisie litaize
Mahler – Symphonies 1,4,5,6,7,9 –
SWR Baden-Baden, Rosbaud (SWR Classic)
→
Pour les symphonies que j'ai écoutées, des versions au spectre sonore
un peu disjoint (pas de lissage des timbres), mais d'une hauteur de vue
remarquable, profitant de l'aération pour donner sens et articulation
au discours, sans du tout sonner dépareillé. De grandes lectures qui
n'ont pas besoin du confort du studio avec un orchestre plus luxueux
pour se révéler. Très hautement recommandé.
autres
nouvelles écoutes : œuvres
autres nouvelles
écoutes : versions
Hummel
– Quintette piano-cordes – Hausmusic (warner)
→ Belle version avec piano ancien, d'une œuvre un peu formelle, mais
bien construite et dotée de mélodiques agréables, à défaut d'être le
Hummel le plus irrésistible (on peut tout de même songer par endroit au
Nonette de Czerny, ce qui n'est pas un mince compliment).
Zemlinsky
– Der Traumgörge – J. Martin, Protschka, Welker ; Frankfurt RSO,
G. Albrecht (Capriccio)
→ Le niveau au-dessus de Conlon (interprétation et captation), bien
plus liquide et transparent… Je redécouvre un beau drame décadent. Pas
le plus original ni paroxystique, mais tant de belles choses à écouter
à l'orchestre (solos de hautbois, de trompette qui sont assez
merveilleux…).
Vivaldi, Hummel – Concertos pour
mandoline –Kruglov, Northern Crown Soloists Ensemble
→ Les Vivaldi, très bien documentés, ne sont pas leur version de
référence (un peu lisse, quoique très valeureux), mais rayonnent
toujours de leur veine mélodique hors du commun. Le Hummel met en
valeur le même type d'atouts.
Saint-Saëns
– Symphonie n°3, Phaëton, Danse Macabre, Bacchanale –
Anthony Newman, Pittsburgh SO, Maazel (Sony)
→ Brillante exécution qui pétarade avec beaucoup de vigueur de trait et
de structure !
Heggie – Dead Man Walking
– DiDonato, Cutlip, von Stade, Brueggergosman, Mentzer ; Houston,
P. Summers (Virgin 2012)
→ Agréable, dans un goût musical assez mainstream ; je ne suis
peut-être pas assez saisi par l'histoire elle-même (prévisible dès le
premier tableau) pour que la musique d'accompagnement m'emporte assez.
À essayer à la scène.
Saint-Saëns
– Africa, Symphonie n°2 – Laura Mikkola, Tapiola Sinfonietta, J.J.
Kantorow (BIS)
→ Limpide et furieuse version de la sombre et vive Deuxième de
Saint-Saëns !
Leila Huissoud, (Album) L'Ombre (Label 440)
→ Toujours cette difficulté de saisir au vol des chansons marquantes,
mais un corpus général plus banal ou, comme ici, dans la même veine.
Mais j'apprécie beaucoup cette voix pincée qui permet de focaliser avec
dynamisme (et en décalage volontaire avec le propos parfois
frontalement leste ou désabusé).
Le vendeur de paratonnerres de Huissoud /
L'Orage de Brassens
Gassenhauer :
trio de Beethoven œuvres pour clarinette, contrebasse et piano :
Vera Karner, Dominik Wagner, Aurelia Visovan, Matthias Schorn…
Charpentier – Miserere pour les
Jésuites – Tubéry Charpentier – Miserere
pour les Jésuites – Daucé
- Belle œuvre dont l'aspect mouvant demeure caché dans ses plis
internes, absolument pas ostentatoire.
- Tubéry me séduit davantage (plus vif, plus déhanché), mais Daucé, au
diapason bien plus bas, dispose comme toujours de superbes couleurs (et
d'un certain manque de rebond assez préjudiciable, à mon goût).
Haendel
/ Mozart – Der Messias – H. Max (EMI)
Leïla Huissoud : La Vieille,
Infidèle… (bandes de concerts)
Schumann – Lieder (Kerner,
Ballades…) – von Otter, Forsberg (DGG)
→ Von Otter dans sa grande période, en pleine gloire et fruité, et
toujours ce sens du texte extraordinaire, ce goût de phrasé hors du
commun qu'elle n'a jamais perdus. Die Löwenbraut est à couper le
souffle. (Couplé avec son formidable Frauenliebe que je n'ai pas
réécouté.)
Viardot – Scène d'Hermione –
Patricia Adkins Chiti, Gianpaolo Chiti (YT)
- Belle scène dramatique, d'un Viardot inhabituellement rempli
d'emphase et de sérieux. Interprétation inintelligibles : joli
chant dans les joues, mais diction étrangère au français.
Dumora dans Fauré, Haendel...
Wildhorn – Dracula (dans sa version
anglaise cette fois) – représentation Broadway, puis studio
→ Impressionné, à Broadway maintenant les héroïnes finissent toutes
nues (les deux). L'aspect allusif autour de l'attraction physique pas
univoquement magique est devenu une assertion assez frontale… Pas
fanatique non plus, dans le studio, des voix qui gémissent à chaque
attaque, point trop n'en faut – tic stylistique très répandu
aujourd'hui quel que soit le répertoire (en pop au sens très large).
→ Sinon, la partition et l'intrigue demeurent toujours très prenantes,
l'ensemble fonctionne vraiment bien – moins, évidemment, quand on colle
les jolies chansons planantes les unes à la suite des autres dans un
enregistrement de studio, il faut vraiment avoir vu une production
complète au préalable pour goûter l'objet.
Gilles – Toutes les leçons de
Ténèbres pour le Mercredy – Boston Camerata
→ Un peu de rigidité pour ce chef-d'œuvre absolu (qui traite les
Lamentations en antiphonie soliste-chœur, et où la déclamation est
grande maîtresse), mais c'est au moins l'occasion de pouvoir
l'entendre !
Première fois que je parviens à toutes les entendre.
Niedermeyer – Le Lac – Novelli
→ Étrange voix nasale, qui sonne peut-être bien avec plus de
rayonnement en vrai. Diction très claire grâce à ce biais pas très
gracieux.
Gluck, Symphonies ; Orfeo
Barockorchester, Michi Gaigg (CPO)
→ On y retrouve le sens de la tension propre à Gluck, plutôt à son
meilleur ici (même si le but n'est pas du tout d'atteindre le même
pathétique et la même qualité mélodique que dans les opéras). Très
réussi, exécution incluse ; il n'y a pas de raison de se priver de
cette partie de son legs.
Holzbauer,
Symphonies ; Orfeo Barockorchester, Michi Gaigg (CPO)
→ Belles œuvres qui ne frappent pas par leur originalité mais
fonctionnent agréablement, dans le genre classique (et légèrement
dramatique) qui est le leur. Belle interprétation énergique, quoique
très peu colorée (on y entend surtout le tranchant des très belles
cordes).
(Je recommande en revanche vivement les opéras.)
réécoutes
œuvres (dans mêmes versions)
réécoutes versions
Dallapiccola – Vol de nuit –
Isabelle Vernet, soprano (Madame Fabien) Hélène Le Corre, soprano (Une
voix intérieure) François Le Roux, baryton (Rivière) Jérôme Corréas,
baryton-basse (Robineau) Yann Beuron, ténor (Pellerin) Guy Gabelle,
ténor (Le radiotélégraphiste) Jean-Marc Salzmann, baryton (Leroux)
Daniel Durand, Pierre Vaello, Patrick Radelet, Bernard Polisset,
ténors, basses (quatre employés) Choeur de Radio France Orchestre
Philharmonique de Radio France diretti da Marek Janowski. Registrazione
live effettuata alla Cité de la musique, Parigi, il 12 gennaio 1999.
Charpentier
– Méditations pour le Carême
→ en chapelle, Les Arts Florissants, Christie (HM) ***
→ en chapelle, Le Concert Spirituel, Hervé Niquet (Glossa) **
→ en chapelle, M.-C. Alain (BNF) **
→ Beekman, Getchell, Robbert Muuse ; Bolton, Benjamin Perrot,
Desenclos (Alpha) ****
→ García, Candela, Bazola ; Guignard, Galletier, Camboulas
(Ambronay) *****
Hummel – Quatuor avec clarinette –
Finotti (Naxos)
→ Veine très mozartienne (même début), la virtuosité des cordes en sus.
Une petite merveille, comme il en existe un certain nombre dans la
période pour la musique de chambre avec clarinette (Krommer,
Cartellieri, Neukomm, Weber, Hoffmeister, Bachmann…).
→ armand-louis couperin rousset
→ hammerschimidt, jesus stirbt, vox luminis
→ amirov, 1001 nuits
→ rubinstein le bal pour piano
→ zipoli in diamantina
→ "O! solitude, my sweetest choice" de Purcel/Britten (adaptation) sur
le texte de Marc-Antoine Girard de Saint-Amant.
→ toccata classics : mihalovici, proko by arrangement, szentpali,
ruoff…
→ anima rara par jaho
→ mzt van kuijk
→ vienne 1905-1910, richter ensemble
→ bruch ccto é pias
→ bach sons
controcorrent
→ london circa 1720
→ il genio inglese alice laferrière
→ rathaus & shota par stoupel
→ bruckner symph 0 hj albrecht orgue
→ weinberg symph 6 altenburg gera
→ turalngalila mannheim
→ nielsen œuvres violon-piano hasse borup naxos
→ fuchs sonates violon
→ fasch clavier
→ hithcock spinet :
burney & others
→ venice and beyond concerti da camera sonate concertate pour vents
→ leclair complete sonatas 2 violons
→ Petite Renarde Rattle
→ deshayes haidan 2 mezzos sinon rien
→ respighi chailly
→ ysaÿe 6 sonates par niklas valentin
→ earth music cappella de la torre
vermeer bologna
→ standley et ens contrast schubt
→ nature whispering
→ Petite Renarde Rattle
→ chant de la Terre I.Fischer RDS
→ lamento (alpha)
→ fasch
→ earth music capella de la torre
→ nielsen complete violin solo & piano, hasse borup
→ manén violon cc
→ quintette dubughon holst taffanel françaix
→ fuchs sonates vln
→ meyerbeer esule
→ bononcini polifemo
→ graund polydorus
→ polisu kaleidoscope ravel pia duo
→ aho symph 5 currie
→ anima gementem cano
→ purcell royal welcome songs
→ gombert messe beauty farm
mahler 4 turku segerstam
chosta 5 jansons bayrso
bruckner 4,5,6,7 munich PO gergiev
beethoven 7 saito kinen ozawa
beethoven sonates 8-11 giltburg
beethoven concertos piano sw chb bavouzet
ardeo SQ xiii
schwanengesang behle
→ bizet sans paroles gouin
→ respigni chailly scala
→ st-saêns chopin callaghan
→ Mülemann mzt
wohlhauser (neos)
john thomas duos harpe piano vol.1 (toccata)
arnold rosner requiem (toccata)
moszkowski orchestral vol 2
idenstam metal angel (toccata)
corigliano caravassius siegel pour guitare (orchid)
iannotta : earthing (wergo)
imaginary mirror hasselt (challenge)
lundquist symphonies (swedish society)
eklund symphs 3 5 11 norrköping (CPO)
peaceful choir
spisak works (dux)
zemlinsky, rabl : quatuors (Zimper, gramola)
goleminov SQ par sofia SQ
rachma par babayan DGG
huelgas the magic of polyphony
debussy intégrale alessandra ammara
mozart arias II regula mühlemann
bells, album athony romaniuk
écoutes à
(re)faire
→ Krogulski/Nowakowski
(Goerner)
→ Stolpe
HIGH ROAD TO KILKENNY (THE) - Gaelic Songs and Dances from the 17th and
18th Centuries (Getchell, Les Musiciens de Saint-Julien, Lazarevitch)
→ Lazzari, . Effet de
Nuit fait son effet, par contre, la symphonie est interminable et les
autres pièces symphoniques pas palpitantes (j'ai même trouvé la
rhapsodie spécialement niaise). son trio pour piano et sa sonate pour
violon ravi
→ Joubert (hors quatuors, je n'ai pas pris de notes), : la symphonie
No. 2 (moment ineffable dans le II avant un finale diabolique), le
concerto pour hautbois (sombre et véhément) et les pièces chambristes.
Le cycle vocal Landscapes, le trio pour piano avec beaucoup
d'atmosphères, ses sonates pour piano, surtout la No. 2,
→ tailleferre
→ final choral 2e partie Theodora
→ hummel
→ Marshall-Luck pour la Sonate violon d'Elgar
→ Requiem de Kastalsky par Slatkin
→ dallapiccola vol de nuit
→ Alla Pavlova musique
de film sous étiquette symphonique. C’est très sucré
→ Stacey Garrop l’aspect narratif de ses pièces (sa symphonie Mythology
collection de poèmes symphoniques
→ Ses quatuors
→ Lea Auerbach sa musique de chambre, souvent autour des variations,
jeux de miroirs au sein de la même pièce ou entre les pièces (les
mouettes du I dans son premier trio), ses motorismes, toutes ces choses
et plus encore me transportent.
→→ Ses deux trios pour piano et ses 24 préludes (surtout ceux pour
violoncelle et piano, même si violon et piano, un autre numéro d’opus,
sont de haute volée) seraient mes premières recommandations.
→ Gloria Coates Noir,
tourmenté, très râpeux
→ Rosalind Ellicott quelle verve mélodique ! Ses deux trios pour piano
→ En vitesse, Lucija Garuta a laissé un très beau concerto pour piano,
Louise Héritte-Viardot 3 quatuors de belle facture, Rita Strohl un
saisissant duo violoncelle/piano Titus et Bérénice. Elisabeth Lutyens
m’a été très difficile d’approche, mais elle a définitivement des
choses à dire.
→ Australiennes, comme Myriam Hyde, Elena Kats-Chernin et Margareth
Sutherland (Women of Note, permet de se faire une idée des noms qui
accrochent).
Emile Jaques-Dalcroze: La Veillée
par Le Chant Sacré Genève, Orchestre de Chambre de Geneve, Romain Mayor
abraham, hollaender
… les lecteurs assidus reconnaîtront que cette dernière liste est
largement constituée de copié-collés des explorations du seigneur Mefistofele, pilier des
conversations interlopes de céans.
… de quoi vous occuper quelque temps au coin du feu tandis que le monde
brûle.
La fin d'août et la rentrée… Avalanche de nouveautés (et de balades
sans musique) : je suis loin d'avoir couvert, pour cette fois, ce qui
m'intéressait prioritairement.
En train de découvrir les Schmidt
de Paavo Järvi & Radio-Francfort (qui semblent être une véritable
tuerie), pas encore essayé l'opéra de Bronsart,
et encore tant de choses à essayer… Septembre (et la pause estivale
dans la Grande Crise de la Fin du Monde ?) semble avoir déchaîné une
avalanche de parutions, plus ambitieuses (plusieurs opéras, genre
onéreux et plutôt moins représenté en nombre de parutions que les
autres), alors même que l'été était resté suffisamment prodigue pour ne
pas avoir le temps de tout découvrir.
À découvrir ce mois-ci ?
¶ Le duo alto-contrebasse de Dittersdorf,
l'arrangement de la Surprise
de Haydn pour quintette, les
beaux équilibres de Moszkowski,
le premier concerto de Vladigerov,
les trios à aspect français de compositeurs turcs (Ainar en tête), bien sûr la
parution attendue du Timbre d'argent de
Saint-Saëns.
¶ Si je n'ai pas été totalement emporté par l'intégrale Ives de
Dudamel, la période fut riche en interprétations très marquantes :
ainsi le disque d'arrangements d'opéras et pièces d'anches françaises de Jarry aux orgues royales,
les Haydn du Chiaroscuro SQ,
l'époustoubouriffante intégrale Schmidt
par Paavo Järvi
et… les Goldbergde Lang Lang. (J'en suis le
premier surpris – je ne vais tout de même pas mentir pour vous
extorquer votre confiance et ma bonne réputation.)
¶ Hors nouveautés, émerveillé de trouver de si belles formes sonates
(mêlant science de construction et thèmes vifs très
américano-folklorisants !) chez Ethel
Smyth (sonates violon-piano et violoncelle-piano, Quintette à
deux violoncelle…), que je n'admirais pas particulièrement dans ses
œuvres orchestrales. Sinon, exploration de la discographie du Leipziger Streichquartett
et du Chiaroscuro SQ,
de grandes satisfactions de ce côté-là.
Du vert au violet, mes recommandations.
♦ Vert : réussi !
♦ Bleu : jalon considérable.
♦ Violet : écoute capitale.
♦ Gris : pas convaincu.
(Les disques sans indication particulière sont à mon sens de très bons
disques, simplement pas nécessairement prioritaires au sein de la
profusion de l'offre.)
commentaires
nouveautés : œuvres
commentaires
nouveautés : versions
Schmidt – Symphonies – Frankfurt
RSO, Paavo Järvi (DGG)
→
Au sein de ce corpus extraordinaire, voire majeur, le plaisir
d'entendre une version qui s'impose d'emblée comme colorée,
frémissante, captée avec profondeur et détails, par un orchestre de
première classe, et surtout articulée avec ce sens incroyable des
transitions qui caractérise l'art de Järvi. Chacune des symphonies en
sort grandie. Indispensable.
Moszkowski – Suites 2 & 3
(œuvres orchestrales vol.2) – Sinfonia Varsovia, Ian Hobson (Toccata
Classics)
→ Superbe début en choral, aux vents seuls (on entend rugir le
contrebasson), suite de progression très brahmsienne lorsque arrivent
les cordes. Œuvres particulièrement éloquentes dans leur sobriété assez
entraînante (mais non sans métier ni subtilités !).
Bach
– Variations Goldberg – Lang Lang (DGG)
→ Admiratif de la force vitale qui émane de cet enregistrement :
tout ce qu'on reproche d'ordinaire à Lang Lang (la virtuosité sans
objet, l'amusement avec les touches plutôt que la recherche d'un propos
musical) se canalise pour produire le meilleur, un Bach digitalement
immaculé, mais qui palpite comme rarement, de surcroît servi par des
ornementations variées et informées stylistiquement (quelques ajouts
plus personnels également, très bienvenus dans les reprises).
→ Dans les parties plus lentes, il parvient simultanément à ménager une
suspension plus romantisante, d'un genre plus perahiaïsant. Je ne
comptais même pas écouter cette nouveauté (n'étant pas le plus grand
amateur des Goldberg, ni de Lang Lang à quelques exceptions près), et
j'en ressors électrisé.
What's Next Vivaldi ? (Vivaldi, Francesconi, Stroppa, Sollima,
Bartók…) – Kopachinskaja, Giardino Armonico, Antonini (Alpha)
→ Tissage de concertos de Vivaldi avec des oeuvres
contemporaines ; même les concertos sont contaminés par des
cadences en forme de happenings (grincements, cris, sorties de route).
Amusant, mais on ne reconnaît plus vraiment les oeuvres à force de
distorsion, le jeu prend la place de la musique, comme lorsque le
pianiste amateur s'amuse à jouer son Chopin façon boogy. Amusant une
fois, mais ce ne donne pas nécessairement envie de réécouter (ni
d'acheter).
Fauré,
Debussy, Ravel, Poulenc – Mélodies célèbres – Devieilhe, Tharaud
(Erato)
→ Belle lecture de ces pages courues, avec le retour d'une voix très
focalisée, nette et brillante malgré les récentes maternités. J'avoue
être plus sensible à des lectures où le texte est davantage mis en
valeur, mais le résultat musical est assez somptueux ici. Selon votre
sensibilité, donc.
Léopold Ier – Il Sagrifizio
d'Abramo + Miserere – Weser-Renaissance (CPO)
→ Œuvres de l'empereur du Saint-Empire. Dans un style très
premier-XVIIe (alors que son long règne s'étend sur la seconde moitié
du siècle et le début du suivant), déclamation assez sèche sur accords,
mais dotée d'une harmonie plutôt mobile et d'une belle collection de
lignes mélodies expressives. Un peu formel quelquefois, peut-être, mais
toute la palette du pathétique italien se trouve remarquablement
convoquée.
→ Très vivante version d'Abramo, aux voix nettes, au continuo très
épuré (peu de remplissage entre les accords) mais non sans poussée.
→ Moins convaincu par le Miserere, essentiellement traité comme une
cantate sacréee monodique (malgré le choix de varier les tessitures),
et jouée avec un statisme qui n'en tire pas le plus de tension possible
(sur une musique aussi simple, la tension m'apparaît comme une bonne
chose).
Britten,
Peter Grimes – Skelton, Bergen PO, Gardner (Chandos)
→ Belle version, captée un peu trop vaporeusement (alors que les bandes
vidéo du concert sur le vif étaient beaucoup présentes et tranchantes).
Comme toujours, la tension n'est pas facile à créer passé le premier
tableau, dans une œuvre très étale, et la prise de son accentue cette
impression, malgré une diction des protagonistes plus intelligible qu'à
l'accoutumée dans cette œuvre.
Pancho Vladigerov – Les 5 Concertos pour
piano – Moussev, Drenikov, Gatev, Pancho Vladigerov ; Bulgarie
NRSO, Xander Vladigerov
→ Étonnant corpus, débutant par un Premier au postromantisme vraiment
personnel, un contour mélodique propre, des enchaînements audacieux.
Mais variable selon les concertos et même les mouvements, avec des
morceaux qui imitent Chopin (final du Première) et un Quatrième qui se
tourne résolument vers Rachmaninov (et plutôt celui du n°2 !). Un peu
moins intéressant dans ce cadre.
→ Ébloui par Moussev dans le n°1, avec une chair, une ampleur, une
qualité de timbre que les non-slaves-orientaux ne parviennent que
rarement à déployer.
Haydn:
String Quartets Op. 76 Nos. 1-3 Chiaroscuro SQ (BIS)
→ Une exécution aussi organique, charpentée dans la structure, légère
dans la touche, dans les prises de son toujours extraordinaires de BIS
pour le quatuor (on ne fait pas plus aéré, proche, réaliste, c'est
comme écouter du premier rang !)… on dispose donc d'une nouvelle
référence assez absolue pour cet opus-sommet !
→ Le jeu des Chiaroscuro se caractérise par une diminution du sostenuto
(les tenues s'étiolent, s'éteignent après une entrée très charnue), qui
offre de nouvelles perspectives d'équilibres, davantage appuyées sur la
mobilité des entrées sur la permanence du son. (C'est donc
particulièrement enthousiasmant sur les 1 et 2, plus étrange sur
l'Empereur et son mouvement lent inhabituellement dégingandé.)
H. Andriessen: Miroir de peine -
Berlioz: Symphonie fantastique – Stotijn, Zuidnederland PO, Dmitri Liss
(Fuga Libera)
→ La plainte d'Andriessen sur ses grands aplats de cordes est très
impressionnante, et jouée avec une présence vibrante par tous les
interprètes.
→ La Fantastique a l'air très belle aussi, mais j'avoue ne pas avoir eu
la fantaisie de l'explorer sérieusement cette fois-ci.
Mahler
– Das Lied von der Erde – Connolly, R.D. Smith, RSO Berlin, V. Jurowski
(Pentatone)
→ Très belles couleurs, le grain de chaque instrument bien mis en avant
jusque dans les tutti. Chanteurs moins marquants, mais valeureux.
Rott – Symphonic Works vol.1 –
Gürzenich, Christopher Ward (Capriccio)
→ Des œuvres où la jeunesse est audible ; on perçoit frémir, çà et
là, les prémices de la Symphonie en mi, mais on reste globalement dans
l'ordre de poèmes symphoniques au romantisme bien balisé, par un
orchestre devenu de haute volée sous Stenz. Plaisant, en attendant les
autres volets.
Ives
– Les 4 Symphonies – Los Ángeles PO, Dudamel
→ Peu de versions disposent d'une prise de son lisible. Celle-ci, aérée
et habitée, permet de goûter davantage de détails au sein de ces
bijoux !
Lecture qui m'a paru, autrement, exalter assez peu les bigarrures de
ces partitions étranges.
Moscheles – Complete Piano Sonatas –
Michele Bolla (Piano Classics)
→ Premier romantisme remarquablement écrit et interprété, avec beaucoup
de générosité mélodique qui sert une belle progression du discours, et
une interprétation totalement enflammée. On sent les parentés avec
Beethoven dans les alternances contemplatives et tempêtueuses de
certains mouvements – la Romance de l'opus 41 !
→ Joué sur piano d'époque, avec prise de son un peu proche et dure.
Marchand,
Couperin, Dandrieu, Corrette, arrangements de LULLY (Atys, Armide), Purcell (Dido), Charpentier (Te Deum) et Rameau (Indes, Boréades) – Orgue de
la Chapelle Royale de Versailles, Gaëtan Jarry (CVS)
→ Stimulant et savoureux enchaînements de pièces spectaculaires, que ce
soient les grands dialogues écrits pour l'instrument ou les danses
issues d'opéras, où Jarry déploie un sens des déhanchements subtils
(qui ne caractérise absolument pas sa manière de chef !) et un sens des
contrastes de registration qui font de l'ensemble un régal
particulièrement accessible à toutes les oreilles.
Sa version à la fois hautement symphonique et très contrapuntique des
Sauvages parvient même à renouveler le bis le plus usé du répertoire
baroque.
Busoni – Œuvres pour deux
pianos : Fantasia contrappuntistica, arrangements de Schumann et
Mozart… – Ciccolini, Orvietto, Rapetti (Naxos)
→ Arrangements vivifiantes, exécutés avec une très grande netteté. Et
l'emblématique Fantaisie dans sa version encore plus démesurée, pour
deux pianos !
Alnar, Tüzün, Baran, Balcı – Trios
piano-cordes (turcs) – Bosphorus Trio (Naxos)
→ Alnar fait partie du « Groupe des Cinq » incluant les
compositeurs turcs les plus célèbres (dont Saygun et Erkin). Il était
le seul du groupe à disposer d'une formation sérieuse en musique
traditionnelle, et après des études de composition auprès de Joseph
Marx, il applique les modes et rythmes locaux dans ses œuvres – comme
ce trio de 1929 révisé en 1966, aux couleurs assez françaises (type
Koechlin-Ropartz-Cras) malgré son dépouillement. Très belle partition.
Tüzün s'inscrit dans une esthétique comparable.
→ Baran évoque les moments les plus étales de Koechlin ou Decaux,
alternant avec un lyrisme cabossé et inquiétant à la soviétique, comme
on en a dans les mouvements lents de Chostakovitch et Prokofiev… et
émerge soudain un bout d'ostinato de la Danse du Sabre de Gayaneh
(Khatchatourian) !
→ Moins convaincu par le plus jeune, Balcı, dont le langage tonal
vraiment simple semble traversés d'ostinati inspirés du riff, mais qui
fonctionnent mal à mon sens, si l'on n'a pas la possibilité de jouer
vraiment sur le beat. D'une manière générale, beaucoup de répétitions
pour un discours qui n'est ni très original ni très passionnant.
→ Globalement, trois très beaux trios sur les quatre, dont l'excellent
d'Alnar !
Saint-Saëns – Le Timbre d'argent –
Les Siècles, Roth (Bru Zane)
→ On ne nous l'avait pas survendu, c'est ébouriffant ! Non seulement la
partition est vraiment *différente* (alliages inédits avec doubles cors
anglais par exemple, séquences fondées sur des ostinatos orchestraux),
mais de surcroît, joué avec cette finesse et cette ardeur, Voilà du
boudin paraîtrait subtil et passionnant ! Je ne croyais pas (après
avoir entendu a peu ou prou tout son catalogue disponible) que
Saint-Saëns fût aussi passionné d'orchestration : multiples moments
sans premiers violons, ou aux bois seuls, ou quatre violoncelles solos…
Jusqu'à la chanson populaire de bas étage, sorte de parodie d'Offenbach
des Bouffes !
→ L'œuvre, de 1877 (et remaniée jusqu'en 1914), est assez indatable
stylistiquement : des archaïsmes façon Rossini / Meyerbeer, des
archaïsmes « hardis » façon d'Indy des Chansons & Danses, des
scènes où l'orchestre a sa thématique autonome (sans être wagnérien),
un style général qui reste très français-XIXe, avec des ruptures ou des
couleurs orchestrales qui ressortiraient davantage à l'avant-garde…
plus proche d'Étienne Marcel que de Samson ou des Barbares, assurément.
(le premier duo évoque celui d'Henry VIII, autre chef-d'œuvre).
→→ suite →→
→ L'intrigue elle aussi paraît n'appartenir à aucune époque : on a le
pacte faustien, la rédemption sulpicienne comme dans Robert (ou Gounod)
et même la bonne Hélène-Alice qui intercède auprès de Dieu, les
changements de décors dans des lieux naturels spectaculaires (Berlioz),
le démon omniprésent et protéiforme, les identités féminines mouvantes
des Contes d'Hoffmann, par les mêmes librettistes,mais l'abandon des
siens pour la quête d'absolu qui s'enfange dans des orgies sans but,
c'est tout à fait Der Ferne Klang de Schreker ! Alors que le livret est
structurellement une variation sur le Christmas Tale de Dickens, alors
qu'on a de jolies chansonnettes çà et là, ce qui domine est un climat
très sombre, désespéré, sale, décadent. Celui du péché qu'on ne peut
laver, du crime qui poisse sur votre peau. En cela, l'impression
générale coïncide assez avec Schreker, vains espoirs de Ferne Klang ou
Spielwerk, orgies de Ferne Klang ou Gezeichneten…
→ Le plateau est formidable également, la franchise de Devos, la clarté
de Yu Shao, les tourments de Montvidas… Autre raison du succès : les
instruments d'époque qui apportent une grande transparence, sur
laquelle les voix se déposent sans forcer, et surtout l'amour de cette
musique qui ruisselle de l'engagement incroyable des Siècles, à chaque
seconde, comme si elle était la plus belle jamais écrite !
HAYDN,. Symph 94 pour quintette
flûte & cordes / KRAUS / DITTERSDORF duo alto contrebasse –
« Music for a Viennese Salon » ; Night Music (Avie)
→ Splendide interprétation pleine de saveur sur instruments d'époque de
ces belles pièces chambristes de haute facture et de cet arrangement
très convaincant de la Surprise de Haydn.
Gassmann – Airs – Ania Vegry, NDRPO
Hanovre, David Stern (CPO)
→ Seria du milieu XVIIIe par une voix riche, nette, très timbrée (aux
voyelles peut-être insuffisamment individualisées), avec un orchestre
remarquablement informé. Les pièces ne m'ont pas bouleversé, mais
l'exécution est admirable, et documentent une part obscure du
répertoire (en dehors de son impayable Opera seria parodique, qui
n'existe même pas au disque je crois, qu'avons-nous eu de
Gassmann ?).
autres
nouvelles écoutes : œuvres
autres nouvelles
écoutes : versions
Smyth – Sonate violon-piano – Little
(Chandos)
→ Superbe œuvre (veine mélodique !), fantastique version (timbre et
éloquence !).
Arriaga,
Symphonie en ré – Galicía, López-Cobos (YT officiel)
Moszkowski (c-1) – Œuvres
orchestrales (Prélude & Fugue, Concerto pour violon, 5 Danses
espagnoles) – West Side Sinfonietta (NFM)
→ Concerto pour violon joli mais standard, 5 Danses très sympathiques
(piano et petit ensemble), Prélude & Fugue est le plus intense et
personnel.
Moszkowski (c-1) – Jeanne d'Arc,
poème symphonique en 4 mouvements (œuvres orchestrales vol.1) –
Sinfonia Varsovia, Ian Hobson (Toccata Classics)
Arriaga,
Symphonie en ré– Chambre de Suède, Zollmann (BIS 1997)
Hauer – Études pour piano, op. 22 –
Schleiermacher (MDG 2010)
→ Quoique écrit dans son système dodécaphonique, impression d'une
musique assez lisse, sorte de Chopin qui évite la mélodie et cherche
les détours. Très belle musique profondément apaisée, à défaut d'être
réellement déstabilisant / nouveau / stimulant.
J'aime assez (plus proche de Decaux que de Schönberg, clairement).
ARRIAGA,
J.C. de: Overture, Op. 20 / Herminie / Agar dans le désert (Basque
Music Collection, Vol. 10) (Basque National Orchestra, Mandeal) (claves
2006)
Beethoven
– Sonate violoncelle-piano n°3 Op.69 – Gastinel, Guy (Naïve)
Haydn:
String Quartets Op. 20 Nos. 4-6 Chiaroscuro SQ (BIS)
→ Très belle lecture sèche et vivante, manifestement sur instruments
modernes montés en boyaux (ou joués comme tels !). Très réussi.
Brahms – Sextuor 1, Quatuor en ut
mineur Op.61 – Leipziger SQ (MDG)
→ Très lumineuses, claires et élancées versions. Articulation limpide
particulièrement appréciable dans le quatuor.
Final italiana in Algieri :
Abbado, Varviso, Scimone
réécoutes
œuvres (dans mêmes versions)
réécoutes versions
Arriaga, Symphonie en ré – Concert
des NationsSavall (Alia Vox 1994) – bissé
Haydn – Quatuor Op.76 n°3 – St
Lawrence SQ (vidéo dans université texane)
Wagner – Das Liebesverbot : air
d'Isabella : Hass, Sawallisch (Orfeo)
liste nouveautés : œuvres
liste nouveautés : versions
liste nouveautés : rééditions
schmitt
mélodies
MONTÉCLAIR, M.P. de: Beloved and Betrayed - Miniature dramas for Flute
and Voice (C.H. Shaw, Breithaupt, Les Ordinaires)
The Queen's Delight (English Songs and Country Dances of the 17th and
18th Centuries) Les Musiciens de Saint-Julien
Bollon orchestral works
schumann hasselhorn
bouzignac te deum
motets arts flo
lambert airs de cour arts flo
secrets live annie fischer
brahms piano rafael orozco
→
jommelli requiem
→ novak piano ccto, wood nymph
→ titelouze messes retrouvées vol.2
→ bronsart Jery
→ quintette vent su le sponde del tebro
→ Bo, Pstrokońska-Nawratil & Moss: Chamber Works
Łukasz Długosz
boréades
Luks
goldberg harpe : ramsay
Xmas carols SWR vocal Ens
→ beeth sonates violon FP Zimmermann BIS
→ rameau pygmalion (CPO)
DFD Edition Orfeo vol 2, 3
→ fasch
→ earth music capella de la torre
→ nielsen complete violin solo & piano, hasse borup
→ manén violon cc
→ quintette dubughon holst taffanel françaix
→ fuchs sonates vln
→ meyerbeer esule
→ bononcini polifemo
→ graund polydorus
→ polisu kaleidoscope ravel pia duo
→ aho symph 5 currie
→ anima gementem cano
→ purcell royal welcome songs
→ gombert messe beauty farm
vermeer bologna
→ standley et ens contrast schubt
→ nature whispering
→ Petite Renarde Rattle
→ chant de la Terre I.Fischer RDS
→ lamento (alpha)
wohlhauser (neos)
john thomas duos harpe piano vol.1 (toccata)
arnold rosner requiem (toccata)
moszkowski orchestral vol 2
idenstam metal angel (toccata)
corigliano caravassius siegel pour guitare (orchid)
iannotta : earthing (wergo)
imaginary mirror hasselt (challenge)
lundquist symphonies (swedish society)
eklund symphs 3 5 11 norrköping (CPO)
peaceful choir
spisak works (dux)
zemlinsky, rabl : quatuors (Zimper, gramola)
goleminov SQ par sofia SQ
gombert masses beauty farm
mahler 4 turku segerstam
chosta 5 jansons bayrso
bruckner 4,5,6,7 munich PO gergiev
beethoven 7 saito kinen ozawa
beethoven sonates 8-11 giltburg
beethoven concertos piano sw chb bavouzet
ardeo SQ xiii
schwanengesang behle
→ bizet sans paroles gouin
→ respigni chailly scala
→ st-saêns chopin callaghan
→ Mühlemann mzt
écoutes à
(re)faire
→ Alla Pavlova musique
de film sous étiquette symphonique. C’est très sucré
→ Stacey Garrop l’aspect narratif de ses pièces (sa symphonie Mythology
collection de poèmes symphoniques
→ Ses quatuors
→ Lea Auerbach sa musique de chambre, souvent autour des variations,
jeux de miroirs au sein de la même pièce ou entre les pièces (les
mouettes du I dans son premier trio), ses motorismes, toutes ces choses
et plus encore me transportent.
→→ Ses deux trios pour piano et ses 24 préludes (surtout ceux pour
violoncelle et piano, même si violon et piano, un autre numéro d’opus,
sont de haute volée) seraient mes premières recommandations.
→ Gloria Coates Noir,
tourmenté, très râpeux
→ Rosalind Ellicott quelle verve mélodique ! Ses deux trios pour piano
→ En vitesse, Lucija Garuta a laissé un très beau concerto pour piano,
Louise Héritte-Viardot 3 quatuors de belle facture, Rita Strohl un
saisissant duo violoncelle/piano Titus et Bérénice. Elisabeth Lutyens
m’a été très difficile d’approche, mais elle a définitivement des
choses à dire.
→ Australiennes, comme Myriam Hyde, Elena Kats-Chernin et Margareth
Sutherland (Women of Note, permet de se faire une idée des noms qui
accrochent).
Vient de paraître une nouveauté étonnante, un nouvel engistrement d'un
Grétry inédit : Raoul Barbe-Bleue
– sous forme de livre-disque chez Aparté.
(Second étonnement pour moi, qu'on me charge d'en écrire la notice.)
Ma première réaction fut de demander : mais pourquoi enregistrer cet
opéra comique, ce Grétry précisément ? N'ayant pas vraiment reçu
de réponse, je me suis posé la question à moi-même : pourquoi cet opéra
? Quelques mots sous un angle distinct de la notice.
0. Mais d'abord : de quoi ça parle ?
[Ne pas lire ceci si vous n'aimez pas les spoilers.]
Isaure et Vergy sont de bonne
noblesse, mais ruinés. Les frères d'Isaure refusent Vergy et
choisissent Raoul (qui n'a pas de barbe bleue, précisons). Isaure,
manifestement séduite par les bijoux plus que par les vœux familiaux,
demande à Vergy de lui rendre ses serments.
Pourtant, dès qu'elle a épousé Raoul,
celui-ci la met à l'épreuve (on lui a prédit qu'il mourrait à cause
d'une femme curieuse) en lui confiant le trousseau avec la clef
défendue. Qu'elle ouvre évidemment, pour découvrir les têtes des
précédentes femmes. Vergy s'est entre-temps présenté au château sous le
déguisement de sa sœur (Anne, évidemment), mais ne peut lui venir en
aide : iels sont enfermé·es.
Raoul, furieux, promet la mort à Isaure, qui fait guetter à Vergy («
Vergy, ma sœur, ne vois-tu rien venir ? ») l'arrivée de ses frères à
qui elle a tenté de faire passer un message. Ceux-ci arrivent
finalement accompagné des pères des défuntes femmes, dont l'un tue
Raoul. Chœur de réjouissance.
[[]]
Une sélection de pistes de l'enregistrement Aparté.
1. Un opéra comique
tragique
En tant qu'opéra comique, Raoul
est assez sérieux : on y
rencontrera bien quelques traits de caractère plaisants (une amante
coquette séduite par des bijoux, un travestissement en femme, un
serviteur apeuré – c'est cependant devant une mort très crédible), mais
l'essentiel de l'enjeu reste un mariage forcé et une menace de mort
imminente. On y voit aussi [spoiler]
le méchant périr sur
scène[/spoiler].
Il faut dire que le librettiste, Sedaine,
était justement la vedette de la période pour son sens du naturel – et
avait beaucoup fait pour seconder le «
goût des larmes » dans l'opéra-comique, avec des tableaux
pathétiques comme dans Le Déserteur de
Monsigny, où un jeune homme, victime d'un quiproquo, est promis à
l'exécution publique et fait ses adieux aux siens dans le cachot où il
attend la mort. Ou bien l'exaltation de nobles sentiments, comme dans Richard Cœur de Lion du même
Grétry.
Le grand succès de l'année où fut représenté Raoul Barbe-Bleue (1789, j'y
reviens) était Les
deux petits Savoyards de Dalayrac (livret de Marsollier),
triomphe des bons sentiments : deux orphelins rencontrent un
gentilhomme revenant d'Amérique qui leur vient en aide… et s'avère,
grâce à un portrait, le frère de leur défunt père. Considérablement
plus apaisé, mais le même goût pour le pathétique dans le cadre d'un
genre qui porte mal son nom.
Raoul est donc un opéra doté
d'une véritable tension dramatique
: renoncer à son amour, résister à la curiosité, échapper à une mort
inéluctable, où la dimension d'opéra comique réside essentiellement
dans le format – numéros
musicaux assez brefs, entrecoupés de dialogues parlés.
2. Des sources
entremêlées
En bonne logique, Raoul Barbe-Bleue
se fonde essentiellement sur le conte
de Perrault, qu'il suit d'assez près : à part l'hésitation
d'Isaure devant l'offrande de bijoux de Raoul, rare vertige d'un
comique de caractère, et le déguisement bouffon de son amant (sous les
traits de la défunte sœur… Anne), à peu près tous les événements en
sont issus.
Pourtant Sedaine l'a tissé avec deux
autres sources, médiévales. Le nom de l'amant, Vergy, évoque
bien sûr La
Châtelaine de Vergy, mais l'intrigue elle-même a davantage à
voir avec le Roman
du châtelain de Coucy et de la dame de Fayel, autre hit du roman médiéval. Dans ce
texte, l'amant constant Coucy se présente au château de sa dame (sans
déguisement, évidemment), et le sire de Fayel, après l'avoir tué, en
sert le cœur en repas à sa femme – point commun avec la cruauté de Barbe-Bleue. On y trouve
donc le motif ajouté à Perrault.
Ce n'est pas tout à fait un hasard, dans la mesure où le sujet était en
vogue au théâtre, avec plusieurs tragédies dans les années 1770 : Fayel de Baculard d'Arnaud, Gabrielle de Vergy de Dormont de
Belloy – cette dernière fut ensuite parodiée en Gabrielle de Passy !
Même si l'accueil fut
globalement très favorable
(des reprises jusqu'en 1818 en France, et jusqu'en 1840 en Europe – à
Vienne), Sedaine et Grétry furent
accusés dans la presse (Mercure
de France en particulier, assez virulent) d'excéder leur mandat
par leur sujet (la tragédie étant exclue de la première salle Favart)
et tout à la fois (par Grimm) de manquer de noblesse.
C'est aussi cette particularité d'un opéra comique à la fois parodique
(référence au nom d'un conte pour cette histoire qui aurait pu paraître
réaliste) et assez sérieux, violent même (les femmes décapitées du
cabinet, l'exécution organisée sur scène, la mort de Raoul par l'épée
sous les yeux des spectateurs !), mêlant les sources (conte de Perrault
et matière romanesque médiévale), et juxtaposant aux sentiments les
plus nobles la bouffonnerie du travestissement, qui attire l'attention
par sa singularité. Un ouvrage
qui semble ne ressortir à aucun genre existant.
Pour
cet avis secourable,
Tu mériterais la mort.
3. Une témoignage
significatif d'une atmosphère politique ?
Rétrospectivement, ce qui peut paraître et se trouver représenté au
printemps 1789 ne peut que nous intriguer, surtout si l'on croit
y
déceler des prémices. Il ne faut pas s'exagérer ce type de cause,
considérant qu'on pouvait en cette période du règne de Louis XVI
publier à peu près n'importe quoi :
les censeurs étaient en réalité des
hommes de lettres, certes rémunérés par le pouvoir, mais on constate
que leurs choix étaient en général plutôt liés à l'intérêt potentiel
pour le public, à la garantie de sérieux que supposait l'obtention d'un
privilège d'impression, que par leur teneur politique. On est surpris,
aujourd'hui, de se rendre compte de ce qu'on laissait publier dans
l'Ancien Régime, sans même passer sous le manteau !
On trouvera dans ces pages une petite série sur Tarare
(été 1787), où la même question se pose : la Nature y explique très
rationnellement que les rois et les roturiers sont constitués des mêmes
atomes et jetés à leurs postes respectifs par le seul hasard, tandis
que l'intrigue y montre un tyran médiocre et envieux qui finit par se
suicider de rage d'être moins aimé que son capitaine vertueux (qu'il
persécute) par son peuple. Avec, en dépit de la fidélité à toute
épreuve du brave soldat, quelques paroles très dures sur le pouvoir
tyrannique – et quel vilain exemple ! Tout cela a très bien passé
la censure (Beaumarchais avait prévu une fin alternative où le méchant
monarque survivait, qui n'eut même pas besoin d'être considérée) – ce
fut paradoxalement plus difficile sous la Révolution, où l'on fit à
chaque changement de régime un ajustement politique de la fin
(Beaumarchais avait même prudemment – et catégoriquement – exigé, pour
se prêter à l'exercice, la garantie écrite de ne pas être inquiété si
jamais ce qu'il proposait déplaisait !).
Dans Raoul, le noble perverti
n'est plus simplement un enjôleur de villageoises, mais passe toutes
les mesures : assassiner une à une les filles de ses vassaux,
sous le
prétexte d'une ordalie matrimoniale ! Quant au commentaire qu'en
fait son serviteur (« si ses vassaux le perdaient, ils feraient tous
des feux de joie »), ou le chœur de réjouissance final, supposément
allègre et moral (« Ce tyran exécrable, / Ce monstre abominable /
Expire sous nos coups »), ils sont d'une franche violence sans grande
pudeur. Un aristocrate, tout de même, occis sans le moindre procès – et
dans la liesse générale, puisque sa mort fait office de dénouement et
de fête de mariage finale !
(Pour autant, il s'agit d'une justice de classe, une vengeance entre
aristocrates, et
pas du tout une révolte populaire
: il ne faut pas y voir une
préfiguration de troubles, simplement le témoignage d'une pensée en
mutation, où la noblesse n'est plus perçue comme une garantie de vertu.
On trouve aussi bien cela dans Don
Juan – l'intervention providentielle étant ici aussi le fait de
pères, quoique non spectres.)
4. Pourquoi cette
musique ?
Raoul Barbe-Bleue n'est
clairement pas l'œuvre angulaire du second XVIIIe siècle, ni la plus
personnelle, ni la plus surprenante, ni la plus subversive. Néanmoins,
si vous lisez cette notule ou écoutez le disque, êtes simplement
curieux de musique et de théâtre, j'attire votre attention sur quelques
beautés, que j'ai remarquées en lisant la partition (je n'ai pu avoir
accès à l'enregistrement avant la publication)… et qui se sont révélées
être les mêmes qui avaient plu aux critiques d'époque.
¶ Au sein d'un style très classique, une tendance moins habituelle à
brouiller les numéros clos,
ainsi la « scène » du retour
de Raoul, avec beaucoup de récitatifs et
de contrastes, pas réellement une forme close habituelle.
¶ L'alternance majeur / mineur,
parfois brutale (au sein d'un même
phrasé dans l'air de curiosité, d'un couplet à l'autre pour le duo de
renonciation aux serments), en tout cas expressive.
¶ L'air de la curiosité d'Isaure,
qui passe de la mélancolie
mozartienne au ton épique gluckiste probablement parodique, avec en son
centre les hésitations, écrit au fil du drame et non selon un canevas
formel précis.
¶ Airs concertati(avec
instrument solo), figuralismes
marquants (Osman exprime sa peur en
pointés rapides qui se retrouvent plus tard chez Corentin dans Le Pardon de Ploërmel de
Meyerbeer).
¶ La « symphonie » (musique
de scène) du dénouement, où en
à peine plus
d'une minute on enfonce la porte, met en déroute l'escorte de Raoul, on
ferraille… jusqu'à sa mort. Elle paraît assez lumineuse, du fait du
goût du temps, quoique tout à fait agitée. Il faut absolument suivre
les didascalies généreuses de Sedaine pour en saisir le sens.
¶ Mais le sommet de la partition est vraiment ce trio « de la tourelle
». Pendant les appels terribles de Raoul invisible, Isaure
demande à
Vergy s'il voit le secours arriver… et le figuralisme du « nuage de
poussière, qui s'élève de la terre », puis des chevaux, est très
réussi, s'élargissant progressivement comme les marches de l'époque
romantique (Marche au supplice dans la Symphonie fantastique, marche de Dalibor…), produisant une forte
impression en son temps.
¶ D'une manière générale, Grétry est toujours très inspiré (pour ne pas
dire carrément fulgurant) dans les
lignes de ses personnages de basse :
les deux airs de Céphale (peut-être les plus beaux airs de tout le
XVIIIe siècle, en ce qui me concerne), l'air de Guessler, et ici toutes
les interventions de Raoul (son air de séduction, son duo de menace
avec son serviteur, son air de rage, et ses interventions mortifères
dans le trio de la Tour) sont d'une qualité mélodique remarquable.
Ainsi, sans être un bouleversement fondamental, beaucoup de jolies
choses à glaner, d'autant plus avec un interprète de la classe de
Matthieu Lécroart.
Un nuage de poussière, qui s'élève de la terre…
5. Parlons boutique
Pour la petite histoire, rédiger cette notice – un projet un peu plus
officiel qu'une notule, où il faut donc vérifier chaque info, ne
pouvant attendre d'être éventuellement corrigé par la vigilance des
lecteurs, et qu'on vend de
surcroît – m'a pris d'une cinquantaine d'heures : s'immerger un peu
dans la partition, relire le conte et les romans
médiévaux, vérifier le contexte des genres à l'époque, la place dans
les carrières du librettiste et du compositeur, les parodies, etc. Et
bien sûr contrevérifier chaque fait / date / élément mentionné.
Voyage passionnant dans une époque, immersion dans un univers parallèle
constitué d'œuvres jamais rejouées qui constituait pourtant le
quotidien de celle dont on parle…
Mon conseil, pour l'écoute, est
vraiment de lire les didascalies.
La
diction est suffisamment bonne pour suivre sans le livret, mais si on
manque certains détails (la parure d'Isaure, le déguisement de Vergy,
l'ouverture du cabinet, la topologie de la tour, l'arrivée des
cavaliers, la bataille finale), non seulement on ne comprend pas bien
l'intrigue – comment passe-t-elle de la mort imminente d'une victime à
l'apothéose finale ? –, mais on passe à côté des subtilités et beautés
de la partition, articulées de près à ces détails.
6. Le disque
Comme je suis un garçon sans vergogne (ou un mélomane un peu trop
enthousiaste), je vais quand même commenter succinctement le disque qui
vient de paraître, sans chercher à vendre la soupe, mon avis tout nu. (S'il
m'avait vraiment déplu, je me serais sans doute tu, mais en
l'occurrence, je n'ajoute ni ne retranche rien de ce que j'aurais écrit
autrement – je n'ai eu aucun contact avec les artistes ni pendant la
production, ni après, il n'y a pas d'enjeu particulier à maquiller mon
opinion.)
Il faut d'abord souligner que non seulement les dialogues sont présents, et en
intégralité me semble-t-il (pas encore eu le temps de vérifier livret
en main, mais ce me semble très complet), mais ils ont été préparés
avec un soin tout particulier par les chanteurs, très variés et
expressifs. Alors que la tendance est souvent de les omettre, ou de les
traiter comme des parties subalternes, il faut souligner cet
aboutissement.
Comme d'habitude, prise de son
magnifique (c'était le métier de son fondateur), à la fois ample,
intime et très précise.
¶ Enfin un premier rôle pour Matthieu
Lécroart ! Noble, terrifiant, éloquence incroyable… Je ne
me suis jamais expliqué, depuis son Raymond dans Charles VI d'Halévy en 2005,
pourquoi sa carrière n'avait pas pris un tout autre tour, fait de
grands rôles partout… Je ne m'en plains pas personnellement, il exerce
beaucoup en Île-de-France dans des rôles moins courus qui m'intéressent
davantage (quel don Diègue suprême chez Sacchini !). Artiste majeur à
qui l'on offre un rôle à sa mesure, qui porte toute la vraisemblance de
l'ensemble de l'action, des situations, des atmosphères. Ses soupçons
vous glacent.
¶ Chantal Santon et François Rougier, artistes dont il
faut saluer la contribution à toutes sortes de répertoires rares
(tragédie en musique, opéra comique, cantates du Prix de Rome) ont
leurs bons et leurs mauvais jours (ou répertoires ?). Je trouve souvent
la première plus adéquate dans le grand romantisme que dans le baroque
(où le vibrato et le timbre ne sont pas toujours très congruents avec
le format des rôles). Elle est ici parfaite, très vivante et agile,
maîtrisant diction, mélancolie, emportement… De même pour François
Rougier, très à son aise. [Leur duo de la tour, où chaque valeur rythmique prend un sens – les longues pour répondre en suppliques à Raoul en bas, les brèves pour murmurer précipitamment à propos de l'arrivée des secours – est un bijou d'intelligence interprétative partagée.]
Je me suis posé la question du
caractère historiquement attesté du fausset
dans les dialogues de ce
type de rôle travesti. Je n'en sais rien du tout, mais je suis sûr que
les spécialistes des interprètes historiques ont des documents assez
circonstanciés sur la question. Ça a piqué ma curiosité, j'irai
chercher. (C'est en tout cas très bien réalisé par Rougier.)
¶ Mention spéciale à Enguerrand de Hys,
dont les grimaces vocales sont irrésistibles en frère abusif – tout en
conservant une beauté et une focalisation enviables du timbre !
¶ L'Orkester Nord (nouvelle
dénomination de l'excellent Orchestre Baroque de Trondheim) avait pour
l'occasion incorporé de nombreux Français dans ses rangs. Et, de fait,
le son, la manière, l'élan (et quelles couleurs !) sont au niveau de ce qui se fait de mieux
dans les ensembles spécialistes actuels. Seule petite réserve due au
grand accomplissement d'ensemble (qui s'est totalement estompée à la réécoute avec partition, fasciné au contraire par l'intelligence et l'articulation !), les effets de contraste et la tension
remarquablement maintenue masquent un peu les moments où la plume de
Grétry produit réellement une rupture (effets harmoniques,
figuralismes), tout est tellement animé tout le temps par Martin
Wåhlberg, et de la meilleure façon, qu'on pourrait aisément passer, à
l'écoute seule, à côté de quelques beautés très saillantes à la lecture
de la partition… d'où ce guide d'écoute.
Finalement, entre l'originalité de son livret aux sources et tons
mêlés, son emplacement particulier dans l'Histoire, sa jolie musique
pourvue de quelques beautés particulières et l'interprétation de toute
première eau, il y a de quoi, au minimum, satisfaire la curiosité
légitime des mélomanes curieux. Cela ne changera pas votre vie comme
l'a fait, je le sais, Tarare,
mais il y a réellement de belles satisfactions à retirer de ce voyage,
auxquelles j'espère que ce mot d'introduction vous aidera à accéder.
Sans reprendre l'ambitieux parcours (que j'avais cependant beaucoup aimé
constituer) autour des opéras rares donnés dans le monde, et présentés un par un (saison 2017-2018), car il y a
d'autres séries à achever (une décennie un disque, débuts de
symphonie…), voici une petite sélection de titres qui donnent envie de
se déplacer.
Cliquer sur l'image permet d'ouvrir le tableau.
a) Organisation
Quelques remarques méthodologiques :
♦ Contrairement à la précédente instance, je n'ai pas cherché à donner
un panorama de tout ce qui
était donné hors de l'ordinaire ; j'ai effectué une sélection personnelle de ce qui me
paraissait – à moi – tentant. On y retrouve tout de même l'essentiel
des titres rarement donnés, mais je n'y ai pas inclus les titres pour
lesquels le voyage me semblait moins justifié : œuvres courtes (je suis
fan du Maestro di cappella de
Cimarosa, mais 20 minutes de musique…), légères (beaucoup de petits
Offenbach), contemporains inconnus de moi, Philip Glass. J'admets que
ce soit moins intéressant que le vrai panorama, mais il existe une
différence significative en temps : voyez-le comme un recueil de conseils pour aller voir
quelque chose, plutôt qu'en tant que document encyclopédique sur l'état
de la programmation mondiale.
♦ Il a fallu effectuer un classement : j'ai choisi celui qui fait le
plus sens pour moi, par langue puis
par ordre chronologique approximatif des compositeurs. En
accédant au tableau, vous pourrez effectuer votre propre
classement par compositeur, ville, pays… selon vos priorités.
♦ Je tiens à préciser qu'étant issu d'un recensement à but personnel,
vous trouverez des incohérences
: j'ai relevé des dates à Tel-Aviv et Montevideo alors qu'il ne s'agit
supposément que d'Europe, ajouté quelques opéras (Clemenza di Tito, Pikovaya Dama) très régulièrement
donnés mais que j'ai envie de revoir cette saison… Je ne les ai pas
retirés du relevé, ça n'y retranche rien. Mais je suis conscient de ces
distorsions, oui.
♦ À cela s'ajoute que beaucoup de
saisons n'ont pas encore paru sur mes radars (notamment aux
Pays-Bas, en Europe Centrale…), et que je n'ai évidemment pas pu tout
surveiller et relever. Beaucoup de petites pièces (théâtres secondaires
moscovites !), notamment pour enfants ou à destination locales, ont
ainsi dû, hélas, m'échapper.
b) Quelques immanquables
Dans la vastitude de la proposition, quelques pistes (en gras, en
rouge).
Nadia Boulanger, La Ville morte, Göteborg.
Très grande compositrice, éclipsée par le destin tragique de sa petite
sœur Lili – et arrêtant la composition à sa mort –, elle a laissé un
opéra. Non pas d'après Rodenbach mais d'après D'Annunzio (hé oui), elle
achève en réalité l'œuvre de Raoul Pugno (qui nous est resté comme
compositeur de plaisantes mélodies). On ne dispose pas
d'enregistrement, ce sera une grande découverte.
… j'ai finalement fait le choix d'inclure, pour plus de clarté, de
brefs commentaires directement en face des titres. En sélectionnant
la case, le texte apparaît dans la barre du haut (et en
double-cliquant, il apparaît en entier).
Évidemment, je suis très tenté par les opéras contemporains tchèques,
lituaniens, lettons, grecs ou hongrois (toute une série en
janvier-février à Budapest !) que je ne connais pas !
c) Tableau
L'original, qui comporte davantage de colonnes (dont les pays et
commentaires !), qui peut être importé dans votre propre tableur et
sera potentiellement complété, figure ici.
(Voyez aussi les épisodes I & II, plus étayés, ou III.)
L'écoute hier soir de l'œuvre en salle, en conditions réelles, a mis en
valeur certaines lignes de force et confirmé ce qui ne restait qu'à
l'état d'intuition.
¶ L'œuvre frappe d'abord par sa variété
de moyens : un nombre incalculable de figures d'accompagnement,
d'astuces harmoniques, de types de climats mélodiques, qui se succèdent
à un rythme effréné. Les airs sont très
courts et immédiatement
enchaînés, voire interrompus, si bien que l'on ne peut presque
plus parler de numéros – l'intégration est encore plus forte que chez
Meyerbeer, il me semble ! L'étape suivante, c'est Wagner, et
encore, il existe quasiment des airs et duos ceints de récitatifs dans Die Walküre…
Harmoniquement aussi… les fausses cadences de l'air séditieux de
Calpigi, c'est stupéfiant, ou les enchaînements entre sections.
¶ De même pour le livret, il
se passe un milliard de choses à la
minute, si bien qu'en le réécoutant inlassablement depuis toutes
ces années, en le voyant en action deux fois en une semaine, je
parviens seulement à me familiariser avec certains détails – en
particulier les relations complexes entre l'eunuque Calpigi et le
sultan Atar (le second maudit et pourchasse sans cesse le premier, sans
jamais le châtier), la disposition du ballet interrompu de l'acte III
(avec l'échelle de soie et les lumières du sérail…), les quiproquos
accumulés dans le sérail au IV (chacun se faisant passer pour un autre
qui peut être, ultimement, lui-même, et croyant avoir été joué en
jouant celui qui voulait l'empêcher de le jouer), qui n'arrvient pas
simultanément, mais tombent en cascade à chaque réplique.
Par ailleurs, un
des rares livrets réellement drôles – l'exposition, très
concise, pose tout de suite la haine paradoxale du sultan (exécrant
être trop bien servi) en des termes délicieux, dont la bouffonnerie ne
retire rien à l'impressionnante cruauté (ni au désarroi attendrissant
du méchant). À ce titre, Beaumarchais ose des choses très rares avant
le XXe siècle, comme cet esclave qu'on croit récurrent et qui, après
une réplique anodine, est immédiatement occis par son prince – manière
qu'on fasse comprendre qu'on badine volontiers avec la mort. Glaçant,
surtout juxtaposé à cette esthétique encore gluckiste.
¶ Dans la longueur des phrases
(et l'abstraction de leur
propos, même hors des Prologue / Épilogue dans les nuées limbiques), on
sent l'homme de théâtre pas du tout rompu aux exigences spécifiques de
l'opéra. Certaines des punchlines
font huit vers avec inversions et enchâssements… avec l'extension de la
temporalité par le chant, les éventuels mots qu'on manque et
l'attention qu'on porte à la musique, dur de tout suivre à la première
écoute ! On y reconnaît d'ailleurs très bien la syntaxe du
Beaumarchais du Mariage…
Salieri s'en tire admirablement au demeurant, mais c'est un cas assez
unique de livret manifestement « amateur » (alors que les amateurs ont
toujours été légion dans le métier !) avant que les compositeurs ne
commencent à écrire les leurs (Wagner, hélas… puis pas mal de monde au
XXe, hélas aussi).
¶ Le nom de Tarare (en
principe une interjection dubitative ou agacée) tourne dans toutes les bouches en
permanence, on ne peut pas faire une imprécation, un souhait, une
action sans le mentionner, sous toutes les formes, sous tous les cris,
avec au sommet l'acte II où les soldats le brament (les initiés
riront) avec joie, ce serait l'équivalent de faire chanter
extatiquement : « Gnagnagnagna ! Gnagnagnagna ! » (à peu près la
signification de l'interjection Tarare
!). C'était le défi que Beaumarchais s'était lancé en conservant
le nom du personnage d'Antoine Hamilton (où Tarare est un conseiller du
Prince, d'abord rusé avant que d'être bienveillant) : il souhaitait,
par son caractère et à force d'invocations, réussir à faire aimer ce
nom ridicule du public. Musique irrésistible de Salieri aidant –
qui ne laisse jamais passer son nom sans le faire trompetter –, c'est
très réussi, si j'en juge le nombre de spectateurs qui chantaient ces
répliques-là en quittant le théâtre. J'avais rarement vu un public
aussi chantant en sortant d'un spectacle – et très certainement jamais
pour une œuvre pré-1800 !
Aussi étrange que ce puisse paraître, cette
particularité est peut-être ce qui fait la différence entre une belle
œuvre (qui regorge de mélodies irrésistibles, certes) et un
chef-d'œuvre aussi prégnant que Tarare,
dont le nom tournoie et vous habite longtemps après l'écoute… Un
peu comme pour Pelléas : on
vous dit un mot et vous avez envie de chanter la réplique qui
correspond (ce qui ne se produit pas avec des tubes d'un genre différent, comme Traviata ou Carmen).
Hé bien ici, on vous cite le titre et quatre ou cinq répliques viennent
chanter à votre bouche…
¶ Quelques autres remarques, davantage dans le détail, mais des aspects
qui m'ont réellement frappé en salle :
→ D'ordinaire, les récits de hors-scène servent à
compenser l'action qu'on ne peut montrer, ici ils s'y ajoutent (après
avoir montré un assassinat anodin au début du I, on a bien compris que
la bienséance…), avec une science du dévoilement progressif chez
Beaumarchais et une ardeur étourdissante chez Salieri. Récit de
l'enlèvement d'Astasie, du combat de Tarare contre le ravisseur, de
l'introduction pas si secrète dans le sérail… Nombreux, longs et virtuoses.
→ Le goût du métatextuel, là
aussi rare à l'opéra, même pour les œuvres plus récentes. Ainsi il est
fréquent que les numéros obligés reçoivent une forme d'explication
dramatique : le ballet monté à la hâte pour couvrir l'enlèvement,
commenté par Calpigi « On croirait voir ce spectacle de France / Où
tout va bien pourvu qu'on danse », ou bien l'ariette-conseil de
Spinette (un format très utilisé chez LULLY, cf. les
suivantes d'Armide), qui justifie sa répétition par le risque que son
mari ne l'ait pas bien comprise.
→ Enfin, je n'avais pas rêvé, il y a bel et bien des motifs récurrents – une première dans
l'histoire de l'opéra, je crois – en tout cas un, celui des
astuces bienveillantes de Calpigi pour secourir Tarare, motif léger et
dansant qui n'apparaît que lorsque le premier dévoile son véritable
visage secourable au second (trois ou quatre occurrences, assez en
évidence, mais pas identiques, adaptées à la musique du contexte, vraiment du letimotive !).
Je n'ai jusqu'ici rien dit de précis sur la distribution, d'abord parce
que je n'avais vu que la générale (et il n'est pas convenable de
communiquer des observations sur une
séance de travail, en particulier pour les chanteurs, qui chantaient le
lendemain, et dans une salle très différente), ensuite parce qu'elle
est assez idéale, tout simplement – mes contre-propositions n'auraient
été, en toute honnêteté, pas spécialement meilleures dans le cas où
elles auraient aussi bien réussi.
Je ne dis donc un mot que sur quelques détails, ceci n'est pas un
compte-rendu, une critique ou je ne sais quoi, juste quelques
réflexions sur les choix de distributions ou détails qui m'ont marqué.
Le choix de Karine Deshayes
(dont la voix est devenue assez large et ronde) a dû coûter cher en
cachet pour un rôle aussi court et secondaire, bien qu'il soit le
centre de l'intrigue (Astasie, l'épouse de Tarare enlevée par le
sultan)… mais c'était un coup de maître, les plaintes et cris un peu
stéréotypés (dont le grand « Tarare ! » à la fin, un aigu à cru
saisissant comme en écrivent plus tard Verdi et Wagner) de cette
victime archétypale deviennent immédiatement farouches et plus grands
que nature, c'est absolument parfait.
Lorsque, à l'époque des Horaces,
on avait annoncé Tarare en
2018, j'avais rêvé Mathias Vidal et surtout Bernard Richter (qui, vu
ses engagements dans des premiers rôles à Vienne, ne doit plus être
très intéressé par le pré-1800, ni dans les gammes de prix
envisageables…). Cyrille
Dubois est un excellent choix, mais dans une cette distribution
idéale, je n'ai pas pu m'empêcher d'entendre, en filigrane, l'héroïsme
que j'avais d'abord imaginé pendant plusieurs mois – Cyrille Dubois a
toujours ce côté gentil garçon,
ce qu'est Tarare assurément (et qui réussissait magnifiquement même
dans un rôle aussi complètement romantique que Gérard de Coucy chez
Halévy), mais il me manque, je crois, l'aspect impressionnant du
guerrier invincible, charismatique du personnage. Il est si aimable, si
poli, si modeste, qu'il séduit absolument, mais qu'on ne ressent pas
pourquoi tout le monde semble aussi impérieusement pressé de mettre son
nom à la bouche.
Il semblait un peu ému, aussi, et la voix n'a
réellement éclaté que dans les grands reproches de l'acte V, où il
était saisissant d'assurance et de vérité.
Par ailleurs, qu'on ne se méprenne pas : c'est un
commentaire sur un détail de ce que j'ai senti, plus relié à l'œuvre
qu'à l'interprète : Tarare, en plus de la partition, appelle dans
l'imaginaire quelqu'un qui soit jeune, beau, vaillant, délicat, tout à
la fois philosophe et athlète, doté de ce je-ne-sais-quoi qui fascine tout le
monde… je ne prétends pas que ce soit la faute des interprètes s'ils
n'ont pas à la fois la voix souple, le timbre clair, la couleur
héroïque, la taille haute et le torse bronzé ! À cela s'ajoute
que j'ai Howard Crook dans l'oreille, et que c'est possiblement le ténor que j'aime le plus dans
toute la musique enregistrée…
S'il faut parler spécifiquement de Cyrille Dubois, alors je
soulignerais avant tout la diction parfaite, le style ciselé (ces
appoggiatures sans vibrato où le timbre se colore légèrement, pour
mettre en valeur la tension mélodique et harmonique), du grand art.
Enguerrand de Hys, en
eunuque adjuvant, ose ajouter de la nasalité à son timbre, ce qui est osé (risque
d'être catalogué comme ténor de caractère, alors qu'il chante
superbement les lyriques et la mélodie), mais lui permet simultanément
d'être mieux audible et de jouir d'une plus grande palette expressive
sur les mots, dont il fait un usage foisonnant et irrésistible. Je lui
tire mon chapeau, vraiment. (Et son timbre, quoique pas à la mode, est
très beau comme ça.)
Jubilation absolue et univoque, comme à chaque fois, avec Jean-Sébastien Bou en Atar
: rien qu'en se mouvant dans l'étroit réduit de son pupitre, il possède
la scène… La déclamation emportée, la générosité du son jusque dans le
murmure, la finesse des intonations (mordant, drôle, à la fois distant
sur lui-même et immédiatement crédible), la rondeur du timbre qui passe
cependant très bien grâce à une assise sur un métal solide et
absolument pas agressif, il incarne l'absolu de ce que peut être un
baryton d'opéra. Chaque spectacle le confirme, et Atar lui fournit un
rôle à sa mesure, très long, très exubérant, très drôle et très
généreux vocalement.
De même, je suis frappé par les progrès des Talens Lyriques et
l'absence totale de lien avec ce qu'ils ont pu être, depuis Bellérophon (1,2,3) à peu près (2010) : ils avaient la réputation
(exagérée, mais pas tout à fait sans cause) d'une certaine indolence,
malgré le grand sens du style de Rousset (les danses ont toujours été
les plus élégantes du marché…). Leur Persée
chez Ambroisie en témoigne, même si Didon
de Desmarest, Cadmus et
Roland montre que, sous des
apparences peut-être plus ternes que la concurrence, la finesse était
patente.
Dans les années 2010, grand virage donc : à ces qualités s'ajoutent, et
de plus en plus, l'ardeur et la couleur. Ce que j'ai entendu hier soir,
avec ses cordes d'une chaleur, d'un grain, d'une sûreté hors du commun,
était absolument renversant. Les cors aussi, qui étaient réputés peu
fiables, n'ont rien mis à côté, et avec quelles iristations, alors
qu'ils étaient très généreusement sollicités.
Tandis que les Musiciens du Louvre, à force de XIXe, ont beaucoup perdu
en personnalité, que le Concert Spirituel, toujours très intéressant, a
pris un profil sonore moins adapté au XVIIe (il continue d'être
remarquable dans le XVIIIe), et que d'une manière générale les chefs
baroques qui ont eu du succès semblent avoir vécu comme une promotion
de pouvoir jouer du Beethoven et du Brahms (Harnoncourt, Gardiner,
Minkowski, Niquet, Hengelbrock, Poppen, Manze…) ou se content un peu de
rejouer sans cesse le répertoire qu'ils ont exhumé (Christie), je sais
infiniment gré à Christophe
Rousset d'être resté fidèle, malgré sa célébrité croissante, à
la mise en valeur de ce répertoire, à continuer de créer de nouvelles
œuvres – alors qu'on le sait, structurellement, si on publie un Don Giovanni, on trouve tout de
suite son public, et avec beaucoup moins de préparation nécessaire (ne
serait-ce que constituer et payer le matériel d'orchestre !)… jouer de
l'inédit réclame beaucoup plus de travail pour moins de succès. Et
quelles œuvres ! Outre l'intégrale LULLY
manifestement en cours – on n'avait pas de Bellérophon, et on avait si
cruellement besoin d'une Alceste,
par exemple, sans compter l'intérêt des volumes réenregistrés, comme Armide ! –, qui d'autre a donné
inlassablement ces titres inédits, dont la dernière proposition fut
cette intégrale des opéras français de Salieri ?
Une œuvre totalement atypique (et une des plus intéressantes de tout le
répertoire, je trouve) + une interprétation d'une qualité délirante +
un disque assuré, finalement il n'en faut pas beaucoup pour rendre
David content, n'est-ce pas ?
J'espère avoir l'occasion de revenir sur quelques détails plus musicaux
(notamment ces affaires d'enchaînements, d'harmonies, de leitmotive), ayant déjà quelques
idées de titres pas du tout provocateurs – « [guerre des gangs] Salieri
a peut-être tué Mozart, mais Wagner lui a tout volé ».
Cependant, en attendant, j'ai un programme de décembre à publier… et au
autre chef-d'œuvre, cette fois du XIXe, à présenter – Paul & Virginie de Massé, une
découverte assez incroyable. La notule est presque achevée, j'attends
l'autorisation de publier des extraits (sinon il faudra un petit délai
pour que je les enregistre moi-même).
Voici que reparaît le dernier Salieri en français qui restait à jouer
dans une version récente (il existe peut-être une ébauche de version
française de La Grotta di Trofonio,
mais a priori une simple
traduction, et probablement pas achevée), après le postgluckiste (en mieux) Les Danaïdes et l'atypique Les Horaces (avec ses Entractes qui
font avancer l'action en sortes d'étranges spin-off sacrés).
Mais Tarare en est, à mon
sens, le plus remarquable – et aussi l'un des opéras de langue
française les plus marquants de tout le répertoire.
Jeudi à Versailles, samedi à Vienne (Theater an der Wien), mercredi à
la Cité de la Musique, et le 9 décembre à Caen. Tout cela avant la
publication d'une intégrale chez Aparté.
CSS a déjà consacré un (début de) série à l'œuvre, où vous pourrez trouver des éléments sur sa
genèse, les principes de son livret, sa réception triomphale, ses
adaptations au fil des régimes politiques…
Je compte écrire quelques notules supplémentaires, notamment autour de
son aspect durchkomponiert
étonnant, de son harmonie mouvante… mais en attendant, une fois n'est
pas coutume, un véritable résumé.
[[]]
Gian
Paolo Fagotto, Orchestre Philharmonique de Strasbourg, Frédéric
Chaslin. Palais de la musique et des congrès de Straasbourg, 1991.
Pourquoi
faut-il aller voir Tarare ?
♥ Il s'agit du seul livret d'opéra
écrit par Beaumarchais. Il est assez étonnant, avec un Prologue
et un Épilogue allégoriques, où la Nature tient des propos absolument
séditieux qui ont étrangement été validés par la critique, sapant tout
le principe du mérite et de la naissance, donc de l'aristocratie, donc
de la monarchie française. Salieri se tire assez remarquablement de
phrases longues au contenu franchement abstrait. Le reste est une
intrigue de sérail plus traditionnelle, mais garnie de rebondissements
assez incroyables, à un rythme que n'osait pas même Le Mariage de Fiago !
♥ Tarare fut l'un des plus grands succès de l'histoire
de l'Opéra de Paris. Créé en 1787, il est repris par tous les régimes
successifs : monarchie constitutionnelle, Convention, Consulat,
Restauration… et jusqu'en 1841 (à Hambourg !). À chaque fois, la fin
est amendée : le tyran se tue initialement, ou bien règne en s'amendant
et prêtant sermant sur le Livre de la Loi (1790), ou n'a pas de
successeur (1795). La Convention extorque des modifications à
Beaumarchais, mais sous le Consulat, après sa mort, les ajustements se
poursuivent.
Dans la version de 1790, Tarare libère les brahmines et les bonzes,
permet le divorce des héros, accorde sa protection aux nègres (l'affranchissement, à la
lecture du livret, m'a paru plus ambigu), ce qui nous vaut une
magnifique ariette dans le style proto-banania qui ne passerait plus
très bien la rampe de l'opinion publique…
(vous pourrez lire tout cela plus en détail, avec les visuels d'époque,
dans la notule précédemment mentionnée)
♥ Le rythme dramatique y est
effréné, les actions virevoltent, les mouvements y sont presque
toujours vifs, les modulations nombreuses, les procédés
d'accompagnement très variés (beaucoup de pizz aux violons, par
exemple). On ne peut pas s'y ennuyer.
♥ La partition regorge de tubes («
De quel nouveau malheur », « J'irai, oui j'oserai », « Va, l'abus du
pouvoir suprême », « Saluons tous la belle Irza ») et de moments
irrésistibles (beaucoup d'ensembles et de chœurs aux mélodies très
marquantes).
♥ Elle met aussi en valeur les voix,
avec des écarts vocaux assez inhabituels pour l'époque, presque de
l'écriture pour spinto, en
particulier chez Astasie, ou le seul moment réellement sérieux de
Calpigi, son air sédicieux et ménaçant « Va, l'abus du pouvoir suprême
».
♥ La structure même de la partition est tout à fait inhabituelle,
novatrice, fascinante : les numéros
et les récitatifs restent certes audiblement séparés, mais il
sont imbriqués, comme dans du
Meyerbeer… beaucoup n'ont pas vraiment de début ni de fin, mais
s'enchaînent directement – le nombre de demi-cadences qui ne se
résolvent qu'une fois la suite lancée ! On peut vraiment
rapprocher cette conception de ce que fait Meyerbeer dans les années
1820-1830, et qui inspire évidemment Wagner par la suite. J'ai même
repéré des motifs récurrents
attachés à des personnages (Calpigi sûr, Astasie à vérifier, peut-être
une simple coïncidence sur un motif assez simple). Je ne crois pas que
ça existe ailleurs à cette date.
♥ Enfin, et ce n'est pas rien, s'il existait déjà un DVD avec
Jean-Claude Malgoire (Howard Crook, Jean-Philippe Lafont), très réussi
mais inégal (les voix féminines et les parties allégoriques sont
complètement inintelligibles), ce que j'ai entendu à la générale laisse
présager un disque qui règlera complètement la question, avec la meilleure équipe imaginable :
Wanroij, Deshayes, Hys, Dubois, Bou, Christoyannis, Boutillier, Martin,
grands spécialistes de la déclamation française, tous sous leur
meilleur jour – Jean-Sébastien Bou était en feu !
Quant aux Talens Lyriques, à
qui je pourrais tout pardonner tant ils sont à peu près les seuls à
être restés fidèles au défrichage de ce répertoire malgré leurs succès
(les Arts Florissants rejouent les mêmes titres qu'ils ont découverts
il y a trente ans, les English Baroque Soloists et les Musiciens du
Louvre font du XIXe, je pardonne au Concert Spirituel parce qu'il joue
certes du XIXe, mais tout aussi inédit), ce qui est sans doute moins
valorisant en termes de remplissage et de couverture critique que de
faire des Don Giovanni ou des
Fidelio, mais remplit un rôle
inestimable d'épiphanie du répertoire… ils se montrent sous leur
meilleur jour, colorés, mordants, ardents, exaltant chaque pièce dans
une course effrénée. Non seulement ils sont les meilleurs serviteurs du
répertoire, mais ils sont aussi devenus, je crois, le meilleur
truchement de l'esprit de ces musiques.
Comme les enregistrements Aparté ont lieu après les représentations
avec l'expérience du concert et que les prises de son sont toujours
superlatives, je vous laisse pressentir vos bonheurs à venir.
Tout ceci est loin de couvrir l'ensemble des mérites de Tarare, mais que vous y alliez pour
la place historique, l'originalité dramatique, la nouveauté de la
musique, les jolies mélodies, les notes aiguës, les beaux gosiers ou
les crincrins hystériques… chacune de ces catégories, seule, peut
mériter le déplacement, ou l'investissement dans le disque (délai d'un
an environ).
Comme c'est désormais l'usage régulier et périodique, vous trouverez
ici quelques impressions éparses, laissées en vrac, tirées
d'expériences d'écoute depuis trois mois, et livrées sans apprêt.
Simplement manière d'avoir trace de certains compositeurs dont je n'ai
pas le temps de parler dans une notule à part, mais qui méritent
peut-être votre attention… Évidemment, quand c'est pour confesser que
j'ai écouté un opéra de Vivaldi ou une symphonie de Brahms, ça revêt un
intérêt qui se limite au mieux au people,
mais je n'ai pas ébarbé, j'ai mis pêle-mêle toutes les choses que j'ai
pu trouver de vaguement rédigées.
À propos de la cotation :
Les binettes se lisent comme les tartelettes au citron ou lesputti:
elles ne concernent que les œuvres, pas les interprétations (en général
choisies avec soin, et détaillées le cas échéant dans le commentaire).
Ces souriards ne constituent en rien une note, et encore moins un
jugement sur la qualité des œuvres : ils indiquent simplement, à titre
purement informatif, le plaisir que j'ai pris à leur écoute. Je peux
avoir modérément goûté l'écoute de chefs-d'œuvre et jubilé en
découvrant des bluettes, rien de normatif là-dedans.
1 => agréable, réécoute non
indispensable
2 => à réécouter de temps en temps
3 => à réécouter souvent
4 => œuvre de chevet
5 => satisfaction absolue
Un 2 est donc déjà une bien bonne note, il ne s'agit pas de le lire
comme une « moyenne » atteinte ou non.
Pour cette livraison, vous trouverez en outre quelques sélections
discographiques.
Quelques écoutes très rapidement commentées et compilées sans ordre.
Découvertes
intrépides
¶ Nordheim – Quatuor– Norwegian SQ
Assez transparent, s'écoute bien, mais ne se passe pas grand'chose.
¶ Lazzari, Symphonie en mi bémol.
(bon, en fait j'avais déjà écouté, mais il ne m'en restait aucune
impression)
Entre Bizet (le scherzo) et Franck (le final, vraiment proche !).
Chouette.
¶ Tina Charles – I Love to Love
Croyez-le si vous voulez, mais je découvre. Ça ne se renouvelle pas
beaucoup, mais l'alternance refrain / couplet (unique) est assez
marquante !
Classiques
éprouvés
¶ Dvořák – Rusalka (acte II) – Neumann
¶ Pavel Vranický – Symphonie en ut,
« Pour la Paix avec la République Française » –
Radio de Hanovre, Griffiths (CPO)
¶ Pavel Vranický – Symphonie en ré Op.52
– Radio de Hanovre, Griffiths (CPO)
Tradi et animé, mais un peu rond et flou.
¶ Pavel Vranický – Symphonie en ré Op.52
– Chambre Dvořák, Bohumil Gregor (Supraphon)
Là aussi, tradi, mais ça claque !
¶ Pavel Vranický – Symphonie en ut mineur
Op.11 – Chambre Dvořák, Bohumil Gregor (Supraphon)
¶ Pavel Vranický – Symphonie en ré Op.36
– Chambre Dvořák, Bohumil Gregor (Supraphon)
¶ Pavel Vranický – Symphonie en ut
« Joie de la Nation Hongroise » – Chambre Dvořák,
Bohumil Gregor (Supraphon)
Les deux symphonies en ré (sans programme) sont merveilleuses, le
babillage des clarinettes dans le premier mouvement de l'opus 36, on
est vraiment entre Don Giovanni et Fidelio.
À cette époque, vraiment difficile de trouver un concurrent à Mozart,
mais les frères Vranický sont justement ceux qui peuvent se comparer à
ses accomplissements.
¶ Lalande – Regina Cœli – Ex
Cathedra, Skidmore
¶ Lalande – Cantate Domino – Ex
Cathedra, Skidmore
¶ Lalande – Cantate Domino – Ex
Cathedra, Skidmore
Le Cantate Domino ménage des airs magnifiques, d'une ampleur rare à
cette époque. L'ensemble Ex Cathedra est formidable (et je crois
reconnaître la voix d'Andrew Tortise en haute-contre solo, ou de
quelqu'un qui lui ressemble énormément ). Bissé.
¶ Lassus – 9 Leçons de Ténèbres – Pro Cantione
Antiqua (Musical Concepts)
Beauté ineffable, complète. Encore plus beau qu'à mon dernier passage.
Bissé :
¶ Lassus – 9 Leçons de Ténèbres – Pro Cantione
Antiqua (Musical Concepts)
Puis :
¶ Lassus – Prophetiæ Sibyllarum– Dædalus (Alpha)
¶ Lassus – Prophetiæ Sibyllarum– De Labyrintho
(Stradivarius)
Moins enthousiasmé par l'œuvre. Dædalus un peu sec, impression
d'uniformité accrue entre les pièces ; De Labyrintho plus souple (très
léger accent anglais ? voix de femme fine enfantine…).
¶ Lassus – Motets pour le dimanche de Pâques– Pro
Cantione Antiqua (Musical Concepts)
¶ Lassus – Requiem – Pro Cantione Antiqua (Musical
Concepts)
Pour les motets de Pâques, c'est peut-être l'interprétation qui les
hausse, mais pour le Requiem, vraiment un bijou !
Je ne suis pas un très grand consommateur de musiques de la
Renaissance, mais Dufay, Brumel et Lassus, voilà qui me laisse par
terre à chaque fois.
--
Un petit cycle Ludomir Różycki.
¶ Eros i Psyche. Cet opéra de de 1916 constitue un
bijou d'aspect étonnant : on peut y entendre, sans aucun effet
hétéroclite, l'influence de nombreux courants. On entend passer des
tournures qui font penser à Lalo (Le roi d'Ys), Massenet (Panurge),
Debussy, Puccini (les moments comiques de Tosca), R. Strauss (grandes
poussées lyriques, ou la fin quelque part entre Daphne, avec l'harmonie
plus slave des chœurs patriotiques de Guerre et Paix de Prokofiev…).
Tout cela dans une belle unité, un sens de la poussée, vraiment de la
très belle musique, une synthèse de l'art européen.
¶ Air tiré de Beatrice Cenci.
¶ Poème symphonique Mona Lisa (très
richardstraussien), par Wojciech Czepiel.
¶ Poème symphonique Le roi Cophetua, par Janusz
Przybylski.
¶ Poème symphonique Anhelli (très richardstraussien),
par Satanowski.
Et puis je vais me lancer dans les seules autres choses qu'on ait, les
concertos.
--
¶ Vaughan Williams – Symphonie n°5 – Liverpool RPO,
Manze (Onyx)
¶ Vaughan Williams – Symphonie n°6
– Liverpool RPO, Manze (Onyx)
Flatte plutôt le côté étale que l'originalité de ces symphonies. Pas
passionné, un peu frustré que Manze n'y déploie pas sa meilleure
netteté de trait.
¶ Larsson – Symphonie n°1 – Helsingborg SO, Manze
(CPO)
Une semaine n'est pas complète sans son petit shoot CPO. Même
si la poésie fonctionne moins avec orchestre qu'en quatuor, chez
Larsson.
--
¶Massenet,
Thaïs. Marseille 91 : Veltri avec Cassello, Sirera et van Dam. Très
belle version (il n'y en a pas tant où l'on entend bien l'orchestre
tout en restant plutôt bien chantées).
¶Massenet,
Thaïs. Au Stanislavski, en russe. (acte I seulement)
Les chœurs des cénobites par des Russes, c'est quelque chose.Sinon, l'adaptation est assez
peu réussie prosodiquement (beaucoup de rythmes changés, et ça ne tombe
pas toujours biendans
la langue).
¶Massenet,
Marie-Magdeleine. Version Loré : Command, Sebron, Lamy, Courtis.Bien
sûr très lisse et gentiment sucré, mais tout est beau, et les moments
de lumière sont très exaltants. (Évidemment, ce n'est pas prioritaire,
mais j'y reviens de temps en temps, ne serait-ce que pour la réussite duNoli me tangere.)
--
Różycki – Eros i Psyche (Operavision)
Tient toutes ses promesses. Même la naïveté du livret fonctionne très
bien.
¶ Kodály – Duo violon-violoncelle – J. Fischer,
Müller-Schott
¶ Schulhoff – Duo violon-violoncelle – J. Fischer,
Müller-Schott
¶ Ravel – Sonate violon-violoncelle – J. Fischer,
Müller-Schott
¶ Halvorsen – Passacaglia, d'après Haendel– J.
Fischer, Müller-Schott
¶ Legrenzi, La Divisione del Mondo, extraits
¶ Wagner – Das Rheingold, deuxième tableau – Solti
Bayreuth 1983
¶ Stravinski – Le Sacre du Printemps – Atlanta SO,
Levi (Telarc)
J'aime beaucoup leur association, mais ce n'est pas dans le Sacre
qu'elle fonctionne le mieux.
¶ Brahms – Quatuor avec piano n°2 – Capuçon, Caussé,
Capuçon, Angelich (Virgin)
Rarement donné hors des intégrales Brahms, car long (presque une heure
à lui tout seul), mais le meilleur des trois, même si j'aime beaucoup
le Troisième !
¶ Crusell – Concerto pour clarinette n°1 – Kriikku,
Radio Finlandaise, Oramo (Ondine)
¶ Crusell – Concerto pour clarinette n°2 – Kriikku,
Radio Finlandaise, Oramo (Ondine)
¶ Crusell – Concerto pour clarinette n°3 – Kriikku,
Radio Finlandaise, Oramo (Ondine)
Des mélodies de Mozart avec du ploum-ploum de ballet façon
Boïeldieu-Adam-Hérold, vraiment délicieux, surtout le 2 !
¶ Bartók – Concerto pour piano n°1 – Kocsis,
Budapest FO, Iván Fischer (Philips)
¶ Bartók – Concerto pour piano n°2 – Kocsis, Budapest
FO, Iván Fischer (Philips)
¶ Bartók – Concerto pour piano n°3 – Kocsis,
Budapest FO, Iván Fischer (Philips)
Le Deuxième, le Deuxième… quelle orgie !
(en termes de versions, il y a plus grisant, sinon)
--
¶ Prokofiev– Symphonie n°5 – Radio
Finlandaise, Oramo
Oh, à la fin du deuxième mouvement, exactement les mêmes intervalles et
rythmes que le début de « I could have danced all night » !
¶ Beethoven – Duo avec lunettes
obligées
Le Duo avec lunettes obligées de Beethoven, pas du tout une œuvre
anecdotique : la qualité mélodique de Mozart, l'animation des figures
d'accompagnement des derniers quatuors de Haydn, et une fougue qui
n'est qu'à lui.
Remarquable version en concert dans une église lusophone par
ici.
¶ van Gilse – Symphonie n°2 –
Symphonique des Pays-Bas (sis à Enschede), Porcelijn
Comme quelqu'un a commis l'imprudence de nommer Jan van Gilse devant moi, me voilà reparti pour
une intégrale de sa musique disponible, en débutant par la Symphonie
n°2 (ce début qui innerve tout !).
¶ van Gilse – Thijl
Par un orchestre aujourd'hui dissout, ou plus exactement fusionné, le Philharmonique d'Amsterdam (beaucoup de cas aux
Pays-Bas, comme Utrecht, la Chambre de la Radio…). Pourtant, qu'est-ce
qu'il était bon…
Œuvre assez radicale et étrange (le sprechgesang
en néerlandais, voilà qui dépayse), plutôt sombre, pas du tout
chatoyante comme le reste du van Gilse disponible, ni conformément à ce
que son sujet pouvait laisser supposer. Ses contemporains néerlandais,
pourtant en général plus tourmentés dans leurs symphonies, avaient pour
certains une veine bien plus lyrique et lumineuse à l'Opéra. Étonnant !
¶ Berlioz – Symphonie fantastique
– Orchestre d'État de l'URSS, Oskar Fried
Après avoir (beaucoup) écouté ses compositions, je découvre Oskar Fried là où il
est célèbre, comme chef.
Ourgh.
Ce n'est vraiment pas bon : cela ressemble aux orchestres de
conservatoires régionaux dont les musiciens sont bons mais dont les
effectifs tournent sans cesse (et manquent d'expérience). Tout
est si mou et vaguement précis… Le niveau a incroyablement monté,
et on ne peut pas parler ici d'effet Seconde guerre mondiale…
qu'était-ce donc au XIXe ? Il est vrai qu'il n'avait sans doute
pas l'habitude de collaborer avec l'Orchestre d'État de l'URSS.
¶ Mahler – Symphonie n°2 – Sk
Berlin, Oskar Fried
C'est certes mieux (enfin, pour ce qu'on peut percevoir des tuilages
inaudibles), mais lorsque je vois ce qu'on lit dans les critiques sur
les orchestres actuels (tout en se pâmant sur l'Âge d'or perdu…), il
faut vraiment se fier à son imagination plus qu'à l'écoute rigoureuse
des enregistrements. Même chez ces orchestres de première ligue, on se
trouve assez loin de la simple mise en place qu'on attendrait d'un
orchestre pro de ville moyenne, aujourd'hui.
¶ Beethoven – Sonates et variations
pour violoncelle et piano – Karttunen
Sur crin-crin et plong-plong ; et la meilleure version du marché !
¶ Sinding – Symphonie n°1 –
Philharmonie de la Radio de Hanovre, Dausgaard
Pour ceux qui aiment la symphonie de Rott, la Symphonie n°1 de Sinding
n'est pas sans point commun – l'Andante qui préfigure Parsifal et
Fafner, merveilleux de surcroît, ses appels de cor du scherzo… Je
la trouvais jusqu'ici gentiment lyrique, mais non : du niveau des trois
autres.
Il est vrai qu'elle est écrite assez tard, toute Première qu'elle est :
1892 – pour un compositeur né en 1856 ! Donc Parsifal est bel et bien dans
l'oreille, pas une parenté fortuite d'air du temps.
¶ Sinding – Symphonies 2,3,4 –
Philharmonie de la Radio de Hanovre, Dausgaard / Porcelijn
Quelles merveilles élancées du romantisme tardif ! Une autre voie
que celles de Brahms, Raff, Tchaïkovski ou Mahler.
On croit souvent que je parle de raretés pour la (ma) gloire ou par
simple curiosité ; pourtant le fait est que j'écoute plus souvent les
symphonies de Hamerik et Sinding que de Mendelssohn et Brahms (que
j'adore), ces dernières années. Plaisir différent et renouvelé : on
peut y entendre des choses qui n'existent pas dans le corpus réduit des
grands compositeurs célèbres… ou même, sans ambitionner davantage,
simplement y trouver des personnalités qui s'accordent mieux à la
nôtre, fussent-elles moins déterminantes sur le plan de l'Histoire de
la Musique.
¶ Mozart – Symphonies 39,40,41
– CMW, Harnoncourt
Incroyable comme il parvient (et de façon cohérente) à renverser
totalement le spectre (les vents priment), à mettre en avant les
trouvailles d'accompagnement, à tirer tout cela vers Gluck !
¶ Boulez – Domaines, pour clarinette
et ensemble – Portal
En 1968, c'était la création des deux versions de Domaines de
Boulez (clarinette seule, puis avec ensemble sollicité dans un ordre
libre). Ça n'a rien de très exaltant sur le papier, mais j'adore ce
truc : babillard mais très vivant, et comme des retours audibles de
matière.
--
Et quelques impressions un peu plus développées.
--
Meyerbeer
– Le Prophète – Philharmonique d'Essen, Carella (Oehms)
Donc écouté la production d'Essen, très bonne, mais je ne suis pas très
enthousiaste pour autant.
¶ Sur le plan de l'interprétation, tout le monde est impeccable, mais
ça manque un peu de saveur, tout est très bien chanté (Cornetti
peine quand même un peu dans son grand air du V, mais c'est très
difficile). Ça suffit pour faire décoller un Verdi ; pour Meyerbeer
c'est un peu plus frustrant, il faut des personnages aussi.
Et puis Carella n'était pas franchement un bon choix : il fait le même
Carella voluptueux qui fonctionne très bien dans le belcanto (tout est
rond et agréablemet coloré), mais là encore, on attendrait un peu plus
de drame.
¶ Surtout, ce n'est pas le grand Meyerbeer des Huguenots, du III de Robert, des épisodes masculins de Dinorah… peu de sourires là-dedans,
il reste surtout la pompe, et comme les interprètes ne tirent pas parti
de la saveur des personnages (ce qui est à peu près impossible dans
l'Africaine, mais pas dans le Prophète, où les ridicules ne sont pas
absents), tout ça correspond un peu à la grande choucroute décrite par
les détracteurs de Meyerbeer.
Le studio de Lewis parvient, par sa flamme particulère et son plateau
de folie (McCracken, Horne, Scotto, Bastin…), à rendre l'opéra
fascinant, mais par un orchestre allemand un peu gris avec un chef
italien un peu contemplatif et des chanteurs valeureux mais pas très
savoureux, je m'ennuie un peu. Ce n'est pas vraiment leur faute, c'est
juste que j'ai besoin de davantage pour adhérer. Meyerbeer est à la
fois très exigeant en termes de technique vocale (assez grands formats,
grande agilité, bonne projection, grande endurance…) et très délicat
quant à la juste expression et à l'épaisseur des incarnations par les
chanteurs. C'est ainsi.
--
Liszt – Eine Faust-Symphonie
Je vais réessayer pour la millième fois moi aussi : je n'arrive pas à y
trouver d'aspérité (certes, peu de mise en valeur par l'orchestration),
même dans le discours. Autant les poèmes symphoniques sont au moins
rigolos et expansifs, autant là…
Si je trouve une version déviante et illuminante, je vous dis.
(Sinopoli y est dans sa veine très homogène, vraiment pas ce qu'il faut
ici, essayé de multiples fois ; Bernstein, il me semble aussi que ça ne
m'avait pas trop impressionné.)
J'hésite entre Häselbock pour les crincrins (mais je le trouve raremen
exaltant) et Chailly pour la lisibilité.
Donc, Chailly-Concertgebouworkest : ça a l'air très
bien, tendu, transparent, mais trop de fondu, ça ressemble trop aux
autres versions, ça ne va pas fonctionner pour moi.
Donc je suis parti sur Haselböck sur crincrins : Dieu
que le son d'orchestre est hideux ! Ça grince de partout, même les
bois. Mais on entend parfaitement chaque entrée, chaque détail
d'orchestration, comme jamais je ne l'ai entendu dans un disque : ce
qu'il me faut.
Hé bien, c'est uniformément mélodique, et pas très marquant de ce point
de vue : de longues lignes étales, dont je me demande toujours à quoi
elles servent. Effectivement, comme souligné par Benedictus,
quelques coquetteries harmoniques surprenantes dans le mouvement de
Gretchen, avec ces harpes qui jouent une harmonie étrange, parente du
Binary Sunset dans A New Hope…
En revanche, on peut y entendre des choses dérobées (et magnifiées) par
Wagner, comme cette longue descente chromatique d'accords, comme pour
le sommeil de Brünnhilde.
--
Max Reger
– Eine
Ballettsuite.
Stupéfaction (et émerveillement) en découvrant cette Suite de ballet.
Cela ne ressemble ni vraiment à du ballet (hors la valse bien
dansable), ni même à de la musique germanique…
Malgré toutes les titres pittoresques incluant Arlequin ou Pierrot
& Pierrette, j'y entends beaucoup l'Oiseau de feu de Stravinski.
Aussi du ballet plus léger, plus français (à la façon de ceux de
Poulenc).
Impossible d'y reconnaître l'auteur un peu monumental (et assez gris)
de la Suite Romantique ou des épais Böcklin !
Il y a quand même un peu de Wagner, plus furtivement, dans les
harmonies ou les effets d'orchestration : retour vers les Ases dans le
dernier tableau de Rheingold, duos de Walküre ou de Tristan…
Je recommande très vivement (plutôt par Suitner / Sk Berlin que par C.
Davis / Radio Bavaroise ou même Zender / SWR, la différence d'animation
est assez considérable). Si vous aimez Reger, bien sûr ; mais aussi si
vous le détestez, puisque ça n'y ressemble en à peu près rien !
--
Henri
Rabaud – Mârouf, savetier du Caire
Revu à l'Opéra-Comique : Minkowski et
l'ONBA, avec Bou, Santoni, Teitgen, Leguérinel, Peintre, Legay,
Contaldo, Yu Shao, Bertin-Hugault…
Un extraordinaire babillage sous forme de pastiche orientalisant
exubérant et complexe, ravélien en 1914, harmoniquement aussi avancé
que Schreker à la même époque. Toujours stupéfiant.
Distribution de feu (Bou a encore
gagné en vaillance, et quel acteur !), production Deschamps qui reste
aussi réjouissante, et grande et belle surprise de l'ONBA, rajeuni et
féminisé, tendu à bloc, d'une acidité si française ! (Certes, toujours la même tendance à
ne pas faire la même longueur d'archet, et à finir par ne plus vibrer
les notes, sur les dernières chaises… mais ça ne se percevait pas à
l'oreille)
Le reste de la distribution est très
adéquat, en particulier la haute stature de Teitgen qui s'acquitte
parfaitement de la lourde tâche de succéder à Courjal (le timbre est un
peu moins immédiatement séduisant, mais le résultat est tout aussi
convaincant, comme toujours), et Lionel Peintre, avec son émission de
baryton ténorisant complètement ouverte, en grande forme hier soir.
Il y a clairement un vivier à faire renaître, des œuvres beaucoup plus
audacieuses et personnelles qu'il n'y paraît, dans ce début de siècle
français. A. Bloch, Dupont, Hirchmann, Nouguès, Gunsbourg, Salvayre…
On se trompe en le limitant à debussystes vs. tradis.
Parmi les grands moments :
∆ la folle embardée de la bastonnade (à la façon de la reprise
hystérisée de Robert le Diable par Korngold (voir ici : http://carnetsol.fr/css/index.php?2010/08/20/1587-fortune-de-robert-le-diable
),
∆ les doublures exaltantes de la marche du Sultan,
∆ le grand numéro polytonal au III, façon Aladin de Nielsen,
∆ la magie de la Caravane,
∆ les pizz et staccatos omniprésents,
∆ les rythmes complexes, les harmonies surprenantes qui outrepassent de
très loin le prétexte de la couleur orientale outrée,
∆ le concerto pour harpe permanent (jamais vu autant), dans opéra ou
symphonie !
--
[Rappel : les tartelettes sont toujours positives. Une tartelette n'appelle
pas forcément la réécoute, mais leur présence indique que j'ai
(subjectivement) apprécié, ce n'est pas une note sur cinq, rien à voir. Elles ne concernent que les compositions, pas les interprétations.]
À bientôt pour de nouvelles aventures !
Ce billet, écrit à par DavidLeMarrec dans la catégorie Carnet d'écoutes a suscité :
Sur le (mirifique) forum Classik, on trouve la saison 2018-2019 de l'Opéra de Paris
apparemment officielle et tirée des brochures (présentation au public à
la fin du mois). Avec les distributions assez complètes, manifestement (que je ne recopie pas ici, je vous laisse aller regarder).
C'est apparemment tiré d'un autre site (d'un forum où je ne vais plus,
je soupçonne), ces informations circulent vite, donc je ne vais pas
recopier ce qui a déjà été formalisé ailleurs, juste les titres et
quelques remarques.
► 17 titres.
► 1 opéra baroque (début XVIIIe), 2 opéras classiques (Mozart), 13
opéras romantiques, 2 opéras du XXe (dont Rusalka, créée en… 1901), 1 opéra du XXIe.
► 9 en italien (plus de la moitié !), 2 en allemand (grosse chute), 3
en français, 2 en russe, 1 en tchèque.
► 0 LULLY, 2 Mozart, 1 Rossini, 2 Donizetti, 4 Verdi, 1
Wagner, 0 Puccini, 0 R. Strauss
Considérant que les opéras
relativement rares sont des reprises (Iolanta, Rusalka), que Lady Macbeth de Mtsensk a été
donnée il y a une dizaine d'années (et finalement régulièrement à
Paris, où Chung, Gergiev et Haenchen, au moins, l'ont dirigée depuis
les années 90), sont surtout rares l'oratorio de Scarlatti, et Les Huguenots (et, par essence, la
création de Jarrell).
L'Opéra de Paris n'a clairement pas décidé de jouer au pionnier, mais
la plupart des titres sont à mon gré, et c'est tout de même un peu plus
varié et aventureux que la saison en cours (certes, pour trouver moins
aventureux, après, il fallait aller à Des Moines).
Les distributions sont
globalement très belles, et les nouvelles
productions données à des metteurs en scène en vue (même si
Bieito, Guth, Warlikowski, Tcherniakov ont eu leurs mauvais soirs,
notamment à l'Opéra de Paris). D'ailleurs toujours les mêmes metteurs
en scène à la mode (Castellucci revient aussi, et on aura van Hove),
aucune nouvelle production dans le genre tradi, le but est clairement
de changer l'image de la maison.
[À mon humble avis, outre qu'il est dommage de ne pas laisser le choix
au public, ces metteurs en scène font trop de productions par an pour
avoir le temps de produire, après des débuts très prometteurs, un
travail qui soit de la même qualité partout. Les premières production
de Guth et Bieito étaient d'une autre force que celles d'aujourd'hui…
Tcherniakov, c'est différent, c'est pile ou face.]
→ Pour ma part, la plupart de tout cela me tente. Et
malgré la distribution en volapük héroïsant, les Huguenots sont dirigés par Michele
Mariotti, capable d'exalter les contenus fins des accompagnements et de
maintenir la tension, presque le plus important.
→ L'autre grande nouvelle, c'est la Bérénice de Jarrell (annoncée
depuis longtemps, mais confirmée), l'un des rares compositeurs vivants
capables d'écrire un véritable opéra cohérent dans un langage du XXIe
siècle (son Galileo genevois
avait été une splendeur, farci d'ensembles richardstraussiens dans un
langage atonal-polarisé).
La liste :
A. Scarlatti – Il primo omicidio (« Le
premier meurtre »)
Mozart – Don Giovanni
Mozart – Die Zauberflöte
Rossini – La Cenerentola
Donizetti – L'Elisir d'amore
Donizetti – Don Pasquale
Meyerbeer – Les Huguenots
Berlioz – Les Troyens
Verdi – La Traviata
Verdi – La Forza del destino
Verdi – Simone Boccanegra
Verdi – Otello
Wagner – Tristan und Isolde
Tchaïkovski – Iolanta
Dvořák – Rusalka
Chostakovitch – Lady Macbeth de Mtsensk (dans sa version révisée Katerina Ismaïlova, je crois)
Jarrell – Bérénice
La folie des réservations pour juillet 2019 dans les salles parisiennes
va donc bientôt débuter…
1752 est resté célèbre, dans la
France musicale, comme le moment de la Querelle
des Italiens (ou Bouffons, la troupe reçue étant spécialiste du
genre buffo), sur les cendres
toutes chaudes de celle opposant LULLYstes et ramistes.
1752 est sans doute l'épisode le plus commenté dans les livres,
toujours
mentionné dans les ouvrages généralistes, et exploré en détail dans
nombre de publications spécialisées. Il faut dire que le moment, outre
son caractère spectaculaire qui attire, permet de poser de façon très
vivace les questions esthétiques, la pensée de la musique et les choix
de style d'alors… à quoi servait l'opéra dans l'esprit des
contemporains, quels étaient ses nécessités, ses buts ?
Je ne vais donc pas me lancer dans une redite inutile de cette histoire
où tous les philosophes (artistiquement manifestement plutôt bas de
plafond) se sont vautrés comme un seul homme dans la grosse farce
italienne, à la mesure de leur entendement mesuré. Par ailleurs, sur le
sens de l'accusation d'italianisme
dans la période précédente (sens à peu près complètement opposé, se
référant plutôt à la musique d'église italienne de la fin du XVIIe !),
il existe déjà une notule.
Non, je n'en dirai rien. Simplement, en fouinant dans les dates de
création pour d'autres de mes loisirs, je m'aperçois de ce que le changement de goût de l'ère gluckiste avait
massivement été préparé, et que cette affaire de comédiens italiens
n'était pas une simple apparition perlée, un petit saupoudrage mis en
vedette par la rumeur.
C'est même tout le contraire. En 1752, 1753 et 1754, voici
l'intégralité des œuvres vocales scéniques jouées pour la première fois
par l'Académie Royale de musique :
♦ 1752
→ 1 opéra français de Dauvergne (Les Amours de Tempé de Dauvergne),
→ 5 italiens (certes des intermèdes comiques, courts) de Pergolesi (La Serva Padrona, Il Giocatore, Il Maestro di musica), Latilla (La finta Cameriera), Di Capua (La Donna superba) ;
♦ 1753
→ 1 français de Mondonville (Titon et l'Aurore, dans une veine
qui nous paraît à nous lyrique et musicale, peut-être marquée par
Vivaldi, mais qui était la veine du goût français d'alors, des
Ramistes),
→ 2 français se revendiquant du goût italien et créés à l'Académie le
même soir, par Rousseau (Le Devin du village) et Blavet (le célèbre flûtiste, dont Le Jaloux corrigé est en réalité
une parodie, comme on disait,
d'airs tirés des trois opéras de Pergolèse donnés l'année précédente),
→ 7 italiens de Cocchi (La scaltra Governatrice), Pergolesi (Tracollo medico ignorante), Sellitto (Il Cinese rimpatriato), Di Capua (La Zingara), Latilla (Gli Artigiani arricchiti), Jommelli (Il Parataio), Ciampi (Bertoldo in Corte, sur un livret de
Goldoni)
♦ 1754
→ 1 seule création cette année-là,
italienne : I Viaggiatori de Leo.
Donc, sans exagération, une véritable submersion
sous les nouveautés italiennes, témoin de l'engouement, mais sans doute
aussi révélateur de l'agacement qui a pu naître, en miroir.
Pour autant, à partir de 1755, ces nouveautés disparaissent
totalement, et il faut attendre 1778 pour qu'elles retournent (et en
force : Paisiello, Anfossi par deux fois, Piccinni
par trois). S'ensuit, dans la veine gluckiste qui vient de s'imposer,
une vague de compositions dans le style français, où la fascination
pour le savoir-faire italien contribue à passer des commandes de
tragédies tout à fait françaises à des Italiens : Piccinnni, Sacchini,
Salieri, Cherubini, Paisiello…
Mais on mesure bien mieux l'engouement du public (et l'effroi des
contempteurs, ou simplement de ceux qui aimaient l'opéra tel qu'il
existait) devant ces simples ratios de créations en 1752-4,
objectivement… spectaculaires. Ce que je me permets de partager avec
vous.
--
Au demeurant, ce n'est pas, loin s'en faut, la première incursion
italienne dans le goût français, et chacune a provoqué simultanément
vaste engouement et violents débats.
►Les castrats importés par
Mazarin.
►Les opéras de Cavalli joués à la Cour (Ercole amante, avec ballets de LULLY),
inspirateurs du genre français par la suite.
► L'influence
des sophistications harmoniques et contrapuntiques du second XVIIe
italien sur la musique (religieuse comme scénique) française,
délectable pour nous (d'autant que le résultat sonne toujours
indubitablement français chez du Mont, Couperin ou Clérambault…), mais
sévèrement reçue par les contemporains.
► LULLY lui-même, évidemment, qui s'en est garanti en
promouvant un style spécifiquement français (mais assez distinct de la
sévérité de la musique des pastorales de Cambert). La série d'Italiens
qui volent le pain des Français dans les années 1780 : toutes ces tragédies en
musique écrites par Piccinni, Sacchini, Salieri, Cherubini.
► La domination de Cherubini, Paisiello et Spontini sous l'Empire.
► Le Grand Opéra largement impulsé et alimenté par les Italiens :
Rossini, Donizetti, Meyerbeer (qui revenait de succès éclatants dans le
belcanto, en Italie, lorsqu'il s'installe à Paris), Verdi…
Et à chaque fois, ce sont des italianités différentes, qu'il faudrait
redéfinir… Entre le raffinement de la musique d'église (moins monodique
et hiératique) au début du XVIIIe siècle et au contraire les impulsions
du belcanto par rapport au
drame continu au début du XIXe, ce sont des inflexions contradictoires,
au fil des théories et des modes – pas toujours correctement perçues
par les contemporains eux-mêmes, et pas toujours clairement perçues par
nous.
À partir du milieu du XIXe siècle, la musique italienne n'est plus du
tout à l'avant-garde (il lui faut assez longtemps pour s'échapper des
redites belcantistes, peu de neuf avant la fin du siècle), et la
musique allemande devient le nouvel étalon en France (la France étant
devenu un étalon européen pour l'opéra…), l'objet de toutes les
fascinations (Weber, Wagner, et bien sûr toute la musique
instrumentale), étudiée par tous les compositeurs tout en étant
volontiers dénigrée, avant même les grandes poussées patriotiques qui
suivent 1870.
Voici juillet, le moment d'un retour sur une saison musicale bien
remplie.
139 spectacles dans 69 lieux (dont 31 nouveaux) – 134 si je ne compte
pas, ainsi que c'était l'usage, l'été.
Ce sera aussi l'occasion de la grande remise annuelle de la récompense
suprême pour tout artiste informé, le putto
d'incarnat – qui est au diapason
d'or ce qu'est la médaille olympique de lancer de poids à la compétition de
pétanque de la félibrée.
Seule la rédaction de Carnets sur sol,
réunie en collège extraordinaire, est habilitée à le décerner, ce qui
garantit la clairvoyance de son attribution, et l'absence absolue de
collusion maligne.
Hautement respecté, il se matérialise par un putto de van Dyck, remis
directement à chaque lauréat sous forme d'un précieux carré de pixels.
Au delà du jeu des breloques, c'est aussi et surtout l'occasion de
mettre en valeur des œuvres, concerts ou interprètes qui n'ont pas
toujours été très exposés. Il est vrai que le travail de recherche de
ces concerts est un poste de dépense, en temps, assez considérable à
lui seul !
En fin de saison 2015-2016, nous promettions :
Nous songeons à louer une salle pour la cérémonie de l'an prochain,
avec retransmission en mondiovision et partenariat avec Medici.tv. Kim
Jong-eun a déjà proposé de
prêter le Salon Kim Il-sung de l'aile Ouest du Mémorial du Juche, mais
nous voudrions accueillir un public nombreux et cherchons une adresse
un peu moins enclavée en transports (on travaille le lendemain). Toute
proposition sérieuse acceptée.
Pour de dérisoires questions de visa et d'anéantissement imminent du
monde, le lieu de tenue de remise des
prix sera le même que celui de l'an passé, ici même, chez vous. En vous
remerciant chaleureusement de votre accueil.
Concerts, opéras, théâtre… En voici la liste, dans l'ordre de la
saison. Beaucoup ont été commentés, et quelques-uns ont servi de
présentation à une œuvre, un genre, une problématique transversale…
Hors décompte : août 2016. Ordinairement non inclus dans les précédents
relevés.
a) Comédie Nation – Marivaux, Les
Sincères(avec musique de scène a cappella) – collectif Les Sincères
b) La Huchette – La
Poupée sanglante, comédie musicale d'après G. Leroux
Puis, de septembre à juin :
1. Philharmonie – Bruckner, Symphonie n°7 –
Staatskapelle Berlin, Barenboim
2. Champs-Élysées – Tchaïkovski,
Symphonie n°5 / R. Strauss,
Vier
letzte Lieder – Damrau, Bayerisches Staatsorchester, K. Petrenko
3. Maison de la Radio – Schmitt,
Salomé / Ravel, Shéhérazade – d'Oustrac,
National de France, Denève
4. Philharmonie – Schumann, Szenen aus Goethes Faust
– H.-E. Müller, Staples, Gerhaher, Selig, Orchestre de Paris, Harding
5. Hôtel de Castries – Jazz vocal
6. Hôtel de Béhague – œuvres pour violon et piano d'Enescu, Bobescu…
7. Maison de la Radio – Poulenc, Les Biches /
Milhaud, La
Création du Monde – National de France, Denève
8. Châtelet – Faust
I & II de Goethe – Ferbers, R. Wilson, Berliner Ensemble,
Grönemeyer [notule]
9. Garnier – Cavalli, Eliogabalo –
García-Alarcón
10. La Commune – Kleist, Amphitryon –
Sébastien Derrey
11. Louvre – programme Cœurdu Poème Harmonique – Zaïcik, Le
Levreur, Goubioud, Mauillon, Dumestre
12. Foyer de l'Âme – Motets de Charpentier,
Pietkin… – Ensemble Athénaïs
13. Temple du Port-Royal – Haydn, Sept dernières Paroles
pour clarinette d'époque, clarinette d'amour et cors de basset
14. Saint-Louis-en-l-Île – Programme Venise
1610 – Vox Luminis, Capriccio Stravagante, Skip Sempé
15. Opéra Royal – Saint-Saëns, Proserpine –
Gens, M.-A. Henry, Antoun,
Vidal, Foster-Williams, Teitgen, Müncher Rundfunkorchester, Schirmer
16. Champs-Élysées – Bellini, Norma – Caurier
& Leiser, Rebeca Olvera, Bartoli, Norman Reinhardt, I Barrochisti,
Gianluca Capuano
17. Opéra Royal – Salieri, Les Horaces –
Wanroij, Bou, Talens Lyriques, Rousset
18. Champs-Élysées – Brahms,
Deutsches Requiem – Collegium Vocale, Champs-Élysées, Herreweghe
19. Champs-Élysées – Verdi,
Requiem – Santoni, Kolosova, Borras, D'Arcangelo, National de France,
Rhorer
20. Philharmonie – Debussy, Faune
/ Debussy, Jeux / Stravinski, Sacre
du Printemps – Nijinski restitué (ou réinventé), Les Siècles, Roth
21. Salle d'orgue du CNSM – Académie Européenne de Musique de Chambre
(ECMA) – Trio Sōra dans Kagel,
Quatuor Bergen dans Chostakovitch…
22. Salle d'orgue du CNSM – Académie Européenne de Musique de Chambre
(ECMA) – Trio Zadig dans
Schumann, Quatuor Akilone dans Chostakovitch…
23. Athénée (rénové) – Strindberg,
Danse macabre (en italien) – Desplechin
24. Maison de la Radio – 20 ans de
l'ADAMI – Barrabé, Duhamel, Scoffoni…
25. Sainte-Élisabeth-de-Hongrie – Messe
d'Innocent Boutry – Le Vaisseau d'or, Robidoux
26. Gennevilliers – Hirata, Gens de
Séoul 1909 (en japonais et coréen)
27. Maison de la Radio – Tchaïkovski,
Symphonie n°6 / Sibelius,
Symphonie n°2 – Phiharmonique de Radio-France, M. Franck
28. Gennevilliers – Hirata, Gens de Séoul 1919 (en japonais et coréen,
avec chants coréens)
29. Amphi Cité de la Musique – Soutenance musicale de l'enseignement du
violon en France au XIXe siècle – pièces pour violon et piano
(d'époque) d'Hérold, Alkan et Godard
30. Bastille – Les
Contes d'Hoffmann – Vargas, d'Oustrac, Jaho, Aldrich…
31. Salle d'orgue du CNSM – Hommage à Roland-Manuel
: piano et mélodies – Cécile Madelin…
32. Théâtre 71 (Malakoff) – Lü Bu et Diao Chan (opéra
chinois) – troupe agréée par le Ministère
33. Salle d'orgue du CNSM – Hommage à Puig-Roget
: piano et mélodies – Edwin Fardini…
34. Hôtel de Soubise – Airs et canzoni
de Kapsberger, Merula, Strozzi… – les Kapsber'girls
35. Abbesses – Goethe, Iphigénie en Tauride
– Jean-Pierre Vincent
36. Maison de la Radio – Sibelius,
Symphonie n°5 / Brahms,
Concerto pour piano n°1 – Lugansky, National de France, Slobodeniuk
37. Maison de la Radio – Nielsen,
Symphonie n°4 – Philharmonique de Radio-France, Vänskä
38. Philharmonie – Mendelssohn, Elias– Kleiter, A. Morel,
Tritschler, Degout, Ensemble Pygmalion, Pichon
39. Salon Vinteuil du CNSM – Mahler, Kindertotenlieder
(et présentation musicologique) – Edwin Fardini au chant
40. Salle Cortot – Beethoven,
Quatuor n°7 – Quatuor Hanson
41.
Athénée – Hahn, L'Île
du Rêve – Dhénin, Tassou, Pancrazi, de Hys, Debois,
Orchestre du festival Musiques au Pays de Pierre Loti, Masmondet
42. Philharmonie – Adams, El Niño – Joelle
Harvey, Bubeck, N. Medley, Tines, LSO, Adams
43. Salle Turenne – Bertali, Lo Strage degl'Innocenti
/ Motets de Froberger – membres du CNSM (Madelin, Benos…)
44. Salle Dukas du CNSM – masterclass de Gabriel Le Magadure (violon II
du Quatuor Ébène) – Trio de Chausson par
le Trio Sōra
45. Champs-Élysées – Mozart, Don Giovanni –
Braunschweig, Bou, Gleadow, Humes, le Cercle de l'Harmonie, Rhorer
46. Hôtel de Béhague – Mélodies orientalisantes (Louis Aubert, etc.) – Compagnie de
L'Oiseleur
47. Bastille – Mascagni, Cavalleria Rusticana
/ Hindemith, Sancta
Susanna – Martone, Garanča, Antonacci, Rizzi
48. Studio de la Philharmonie – Schumann, Märchenerählungen
/ Kurtág, Trio et Microludes – membres de l'EIC et de
l'OP
49. Champs-Élysées – Haendel, The Messiah –
Piau, Pichanik, Charlesworth, Gleadow, le Concert Spirituel, Niquet
50. Garnier – Gluck, Iphigénie en Tauride
– Warlikowski, Gens, Barbeyrac, Dupuis, Billy
51. Temple du Luxembourg – André Bloch,
Antigone / Brocéliande –
Compagnie de L'Oiseleur
52. Philharmonie – Schumann, Das Paradies und die
Peri – Karg, Goerne, OP, Harding
53. Châtelet – H. Warren, 42nd Street – G.
Champion, troupe ad hoc
54. Auditorium Landowski du CRR de Paris – Audition de la classe de chant baroque
55. Salle d'art lyrique du CNSM – Schumann,
Symphonie n°2 / Mozart,
Concerto pour piano n°9 – Classe de direction
56. Salle d'orgue du CNSM – Vierne, cycle Les Angéluspour soprano et orgue – Harmonie
Deschamps
57. Saint-Quentin-en-Yvelines – Sacchini, Chimène ou Le Cid
– Le Concerto de la Loge Olympique, Chauvin
58. Auditorium Landowski du CRR de Paris – de Mendelssohn à Aboulker, chœurs oniriques d'enfants
59. L'Usine (Éragny) – Ibsen, Hedda Gabler –
Paolo Taccardo
60. Studio 104 – Quatuors : n°4 Stenhammar,
n°2 Szymanowski – Royal Quartet
61. Salle d'orgue du CNSM – Cours public sur le premier des Trois Chorals de Franck – M. Bouvard, Latry et leurs
élèves
62. Philharmonie – Tchaïkovski,
Symphonie n°5 – ONDIF, Mazzola
63. Auditorium Landowski du CRR de Paris – Sonates avec violon : Debussy, Ropartz n°2 – Stéphanie Moraly
64. Amphi de la Cité de la Musique – Schubert, Der Schwanengesang –
Bauer, Immerseel
65. Cité de la Musique – Schumann, Liederkreis Op.24 – Gerhaher, Huber
66. Auditorium Landowski du CRR de Paris – Salomon, Médée et Jason,
acte II
67. Athénée – Strindberg, Danse Macabre (en italien) –
Desplechin
68. Champs-Élysées – Bizet, Carmen– Lemieux, Spyres, Bou, National
de France, S. Young
69. Salle d'art lyrique du CNSM – Durey,
Œuvres pour harmonie – Harmonie des Gardiens de la Paix
70. Champs-Élysées – Schubert, Die schöne Müllerin
– Goerne, Andsnes
71. Bastille – Wagner, Lohengrin –
Guth, M. Serafin, Schuster, Skelton, Konieczny, Ph. Jordan
72. Garnier – Mozart, Così fan tutte –
Keersmaeker, Losier, Antoun, Sly, Szot
73. Temple du Luxembourg – Paladilhe,
Le Passant – Compagnie de
L'Oiseleur
74. Châtelet – Offenbach, Fantasio –
Jolly, Philharmonique de Radio-France, Campellone
75. Temple de Pentemont – Motets de Campra
et Bernier, Troisième Leçon de
Couperin – Le Vaisseau
d'or, Robidoux
76. Trianon de Paris – Lecocq,
Le Petit Duc – Les Frivolités
Parisiennes
77. Le Passage vers les Étoiles – Méhul, Stratonice – Les
Emportés, Margollé
78. Studio-Théâtre du Carrousel du Louvre – Maeterlinck, Intérieur – comédiens-français
79. Temple du Saint-Esprit – Motets de Charpentier,
Morin et Campra
pour petits braillards – Pages du CMBV, musiciens du CRR de Paris,
Schneebeli
80. Amphi de la Cité de la Musique – Chambre de Usvolskaya, mélodies de
Vainberg, Chostakovitch, Prokofiev – Prudenskaya, Bashkirova
81. Salle d'art lyrique du CNSM – Cimarosa, Il Matrimonio segreto – H.
Deschamps, Perbost, McGown, Rantoanina, Lanièce, Worms, Orchestre du
CNSM
82. Salle des Concerts du Conservatoire – Haydn, Les Saisons dans la version de sa
création française – Palais-Royal, Sarcos
83. Conservatoire de Puteaux – Chansons à boire de Moulinié et LULLY,
poèmes de Saint-Amant –
Cigana, Šašková, Il Festino, de Grange
84. Salle Maurice Fleuret du CNSM – Schmitt,
La Tragédie de Salomé version
originale –
Orchestre du CNSM, étudiants de la classe de direction d'A. Altinoglu
85. Philharmonie – Mozart,
Symphonie n°38 (et spectacle afférent) – Orchestre de Paris
86. Oratoire du Louvre – Vêpres de
Monteverdi, Suite de danses de LULLY,
Concerto grosso de Noël de Corelli,
Soupers du comte d'Artois de Francœur
– Collegium de l'OJIF
87. Champs-Élysées – Beethoven,
Symphonies 1-4-7 – Orchestre des CÉ, Herreweghe
88. Philharmonie – Tchaïkovski, La Pucelle d'Orléans
– Chœurs et Orchestre du Bolchoï, Sokhiev
89. Maison de la Radio – Nielsen,
Symphonie n°2 – National de France, Storgårds
90. Odéon – T. Williams,Suddenly Last Summer –
Braunschweig
91. Champs-Élysées – Berlioz, Nuits d'Été, Schönberg, 5 pièces, Schumann, Symphonie n°2 – Gerhaher, Jeunes
Gustav Mahler, Harding
92. Bastille – Mendelssohn, A Midsummer Night's
Dream, Ouvertures, Symphonie pour cordes n°9 –
Balanchine, Orchestre de l'Opéra, Hewett
93. Salle d'orgue du CNSM – Concert lauréats Fondation de France : La Maison dans les Dunes de Dupont, Ophelia-Lieder de R. Strauss…
94. Champs-Élysées – Brahms, Vier ernste Gesänge et Deutsches Requiem – Orchestre des
CÉ, Herreweghe
95. Oratoire du Louvre – Leçons de
Ténèbres pour basse de Charpentier
– MacLeod, Les Ambassadeurs, Kossenko
96. Philharmonie – Mahler, Wunderhorn ; Bruckner, Symphonie n°4 – Gubanova, D.
Henschel, OPRF, Inbal
97. Conservatoire de Boulogne-Billancourt – Mendelssohn, Octuor ; Schönberg, Kammersymphonie n°2 ; Poulenc, Sinfonietta – OJIF, Molard
98. Salle Saint-Thomas d'Aquin – airs à une ou plusieurs parties de Lambert, Le Camus… – Š€ašková, Kusa, Il
Festino, de Grange
99. Athénée – Maxwell Davies, The Lighthouse – Le Balcon
100. Hôtel de Soubise – Trios de Tchaïkovski
et Chostakovitch (n°2)
– Trio Zadig
101. Richelieu – Marivaux, Le Petit-Maître corrigé –
Hervieu-Léger, comédiens-français
102. Salle Maurice Fleuret du CNSM – Spectacle théâtral et chanté
autour de la domesticité – élèves de la classe d'E. Cordoliani
103. Favart – Marais,Alcione – L.
Moaty, Concert des Nations, Savall
104. Hôtel de Soubise – Cantates de Clérambault
et Montéclair – Zaičik,
Taylor Consort
105. Menus-Plaisirs – Écosse baroque,
concert de soutenance – Clémence Carry & Consort
106. Salle d'orgue du CNSM – Programme de lieder et mélodrames d'Eisler – classe d'accompagnement
d'Erika Guiomar
107. Athénée – Rítsos, Ismène (musiques de scène d'Aperghis) – Marianne Pousseur
108. Saint-Germain-l'Auxerrois – Motets
baroques portugais – ensemble Calisto
109. Salle Maurice Fleuret du CNSM – Pelléas, L'Étoile, Cendrillon de Massenet – classe d'ensembles
vocaux (Bré, Lanièce…)
110. Salle d'orgue du CNSM – lieder de Schubert,
Nuits Persanes de Saint-Saëns, Caplet – (Gourdy, Ratianarinaivo…)
111. Champs-Élysées – Les Pêcheurs de Perles de
Bizet – Fuchs, Dubois, Sempey, National de Lille, A. Bloch
112. Champs-Élysées – Pelléas de Debussy– Ruf, Petibon, Bou, Ketelsen,
Teitgen, National de France, Langrée
113. Bibliothèque Marmottan – L.-A.
Piccinni, musiques de scène (La
Tour de Nesle, Lucrèce Borgia)
– conclusion du colloque sur la musique de scène en France
114. Bastille – Eugène
Onéguine – Decker, Netrebko, Černoch, Mattei, Orchestre de
l'Opéra, Gardner
115. Philharmonie – Aladdin de
Nielsen, Sept Voiles, Shéhérazade de
Ravel, Suite de L'Oiseau
de feu – Capitole, Sokhiev
116. Cathédrale des Invalides – Jensen,
Rheinberger, J.-B. Faure… mélodies et lieder commémoratifs de la
Grande Guerre – classe d'accompagnement d'Anne Le Bozec
117. Philharmonie – Symphonie n°2 de Mahler
– Orchestre de Paris, Harding
118. Saint-Saturnin d'Antony – Motets de Buxtehude, Telemann et Bernier – Françoise Masset
119. Saint-Louis de la Pitié-Salpêtrière – du Mage, Clérambault et pièces pour saxophone & orgue
120. Athénée – Déserts
de Varèse et Draculade Pierre Henry
réarrangé avec instruments acoustiques – Le Balcon, M. Pascal
121. Salle Fauré du CRR de Paris – Études
Latines de Hahn, Liebhabers Ständchen de Schumann… – étudiants du CRR
122. Champs-Élysées – Halévy, La Reinede Chypre –
Gens, Droy, É. Dupuis, Chambre de Paris, Niquet
123. Bouffes-du-Nord – Lemoyne, Phèdre– Wanroij, Axentii, de Hys, Dolié,
Loge Olympique, Chauvin
124. Favart – récital français en duo : Gluck, Chabrier, Bizet… – Arquez, Bou, Pordoy
125. Studio 104 – Motets de Guédron, Boësset, Constantin, Moulinié –
Correspondances, Daucé
126. Maison du Danemark – Contes
d'Andersen et leurs mises en musique – Françoise Masset
(accompagnée sur guitares début XIXe)
127. Saint-Eustache – Funérailles de
Purcell, Reger, Totentanz de Distler – Chœur de l'Orchestre de
Paris, Sow
128. Sainte-Jeanne-de-Chantal – Haendel, The Ways of Zion Do
Mourn – Le Palais-Royal, Sarcos
129. Favart – Saint-Saëns, Le Timbre d'argent
– Devos, Montvidas, Christoyannis, Les Siècles, Roth
130. Temple de Passy – Chœurs de Bonis,
Sibelius, Aboulker, Wennäkoski… – échange
franco-finlandais de chœurs amateurs
131. Cité de la Musique – Gade, grande cantate Comala – Opéra
de Rouen, Équilbey
132. Petit-Palais – Couperin et
Bach (suite française) pour
clavecin
133. Petit-Palais – Airs et duos de LULLYet Desmarest –
Pancrazi, Debieuvre
134. Hôtel de Soubise – Quatuors de Beethoven
n°7 et Debussy –
Quatuor Akilone
135. Notre-Dame-du-Liban – Chœurs d'inspiration populaire de Saint-Saëns, d'Indy, Schmitt et Poulenc – Chœur Calligrammes
136. Salle des Fêtes de la Mairie du IVe arrondissement – Quintettes à
vent de Debussy, Arnold, Barber, Ligeti – Chambre de Paris
137. Cour de Guise – Trios avec piano de Schubert n°2 et Ravel – Trio Zadig
138. Saint-Croix-des-Arméniens – Canzoni de Kapsberger, Strozzi, et Lamento della Pazzade Giramo – Kapsber'girls
139. Collégiale de Mantes-la-Jolie – Pièces pour orgue de Buxtehude, Mendelssohn, Franck et Vierne – Michel Reynard
2.
Liste des spectacles non vus
Ce pourrait paraître déraisonnablement rempli, et pourtant, il a fallu
renoncer à quantité de spectacles qui paraissaient à peu près aussi
appétissants (vie professionnelle ou personnelle, simultanéités de
concerts, envie d'autre chose, tarifs, concerts complets, etc.) :
→ musique de chambre de Cartan &
Lekeu,
→ les Cantates de Jacquet de La Guerre par La Rêveuse,
→ les chœurs de Franck et Daniel-Lesur,
→ le Philharmonia dirigé par Salonen (Beethoven 3, Sibelius 5),
→ les extraits des Éléments
de Destouches,
→ Dichterliebe avec harpe,
→ Charpentier par les étudiants du Conservatoire de Palerme,
→ cours public de cor ou de direction,
→ trio de Gouvy par le Trio Sōra aux Bouffes-du-Nord,
→ le Second Trio de Mendelssohn par le Trio Sōra à Soubise,
→ le Trio de Tchaïkovski par le Trio Sōra à la cour de Guise,
→ le Trio de Chausson par le Trio Sōra au musée Henner puis à Villecerf
(décidément !),
→ Leyla McCalla au violoncelle dans de la musique haïtienne,
→ Ariadne auf Naxos au CNSM,
→ la Neuvième de Mahler par Harding,
→ mélodies de L. Boulanger et Berkeley,
→ musique sacrée de Frémart-Bouzignac-Moulinié par Schneebeli,
→ Neuvième de Beethoven par le Philharmoniue de Bruxelles,
→ récital folk de Weyes,
→ Saint-Cécile de Chausson et le Septuor de Caplet à Notre-Dame,
→ Fidelio par la Chambre de Paris,
→ les monumentales variations de Rzewski sur El Pueblo unido salle Turenne,
→ les musiques de scène de Molière par Lombard, Dumora et Correas.
→ le Quinzième Quatuor de Beethoven par le Quatuor Arod,
→ Rameau par Kožená,
→ Hänsel und Gretel arrangé
pour cuivres et récitant,
→ Musique pour cuivres et cordes
de Hindemith par van Lauwe,
→ récital Desandre-Cochard,
→ trios de Chaminade et Bonis,
→ programme Guy Sacre et Boisgallais,
→ programme d'orgue Letton à la Maison de la Radio,
→ le Songe d'une Nuit d'Été de
Thomas par la Compagnie de L'Oiseleur,
→ The TempestSongbook de Saariaho par
l'Orchestre Baroque de Finlande,
→ Les Aveugles de Maeterlinck
à Vitry-sur-Seine,
→ Tafelmusik de Telemann au
château d' Écouen,
→ Ce qui plaît aux hommes de
Delibes par les Frivolités Parisiennes au Théâtre Trévise,
→ la BBC Wales dans Sibelius 5 à la Seine Musicale,
→ programme Lalo-Dukas-Ravel par Les SIècles,
→ Médée de Charpentier par
Tafelmusik de Toronto et Pynkosky,
→ mélodies de Vierne, Podlowski et Koster par Lièvre-Picard,
→ Ascension de Messiaen et
Widor 6 à Saint-Sulpice,
→ récital Louis Saladin et Salomone Rossi aux Menus-Plaisirs,
→ Musicalische Exequien de
Schütz et motets de la familel Bach par Vox Luminis,
→ Lura dans de la musique du Cap-Vert à l'Espace Cardin,
→ grands motets de Lalande à Versailles,
→ demi-Winterreise de
Bostridge & Drake au musée d'Orsay,
→ motets de Charpentier par La Chanterelle,
→ lieder de Weigl à la Maison de la Radio,
→ legs pédagogique du violoncelle français (Franchomme, etc.) au
château d'Écouen,
→ Diva de Wainwright,
→ Cécile Madelin dans des extraits d'Atys
au Petit-Palais,
→ Snegourotchka de
Rimski-Korsakov à Bastille (la seule rareté de l'année à Bastille, hors
le demi-Hindemith !),
→ récital d'opéra Meyerbeer-Février à la Philharmonie,
→ l'Yriade dans les Stances du Cid à
Favart,
→ Il Signor Bruschino aux
Champs-Élysées,
→ piano de Bizet, Saint-Saëns et Brahms par Oppitz,
→ « symphonie en si mineur » de Debussy à la Maison de la Radio,
→ récitals de mélodie Gens-Manoff,
→ Elisir d'amore avec
Poulakis et Lanièce au Théâtre des Variétés,
→ spectacle Les Madelon (Fontenay-le-Fleuyr),
→ Dvořak 9 au piano solo par Mařatka,
→ La Double Inconstance de
Marivaux à Richelieu,
→ madrigaux de Marenzio et Lejeune à la Bibliothèque de Versailles,
→ concert de la Fête de la Musique du Chœurs de l'Orchestre de Paris,
→ deux concerts de musique de chambre incluant Koechlin, au
Conservatoire de Bourg-la-Reine,
→ pièces symphoniques de Nováček, Warlock et Delius par van Lauwe,
→ Rigoletto avec Grigolo et
Lučić à Bastille,
→ Nozze di Figaro avec la
Chambre de Paris
→ quatuors de Kodály, Bella et Tansman par le Quatuor Airis au Centre
Culturel Tchèque,
→ Tableaux d'une exposition pour quintette à vent à Soubise,
→ Hippolyte de Garnier au
Studio-Théâtre,
→ L'Écume des jours à la
Huchette…
→ et bien d'autres.
Certains font mal à relire, mais je n'avais pas toujours le choix (ni
l'envie de vivre aussi reclus qu'en conclave, contrairement aux
apparences les spectacles ne sont pas du tout mon activité prioritaire).
Et je ne parle que de l'Île-de-France : on voit la difficulté pour
donner, malgré tout, un avis global sur la saison. Il faudrait être
beaucoup plus centré sur un répertoire précis, voire s'y mettre à
plusieurs, or en cette matière comme en beaucoup d'autres, je ne suis
que ma fantaisie…
3. Bilan général et comptes-rendus de concert
La plupart de ces concerts ont été commentés, je
n'ai pas la patience d'aller récupérer plus de cent liens, comme les
autres années, mais ils se retrouvent facilement en entrant les
mots-clefs dans la boîte de recherche à droite, ou, pour beaucoup, en
regardant dans le chapitre « Saison 2016-2017 » (les notules les plus
complètes ne sont pas classées là, mais il y a déjà une certaine masse
à parcourir).
En revanche, je commence la remise de prix par le
plus important : les œuvres révélées, les plus beaux spectacles de la
saison, les compagnies à suivre.
3a.
Œuvres découvertes
Je vous renvoie d'abord vers la notule-éditorial de la prochaine saison, qui
énumère les nombreux opéras rares remontés cette saison (§B). Saison
faste, donc.
Liste (pas du tout exhaustive) d'écoutes, avec de rapides commentaires
publiés à l'origine sur Classik ou Twitter (voir par exemple le fil du mois). Pas du tout soigné ni détaillé,
mais un bon moyen de donner envie d'écouter des choses dont je n'ai pas
forcément le temps de faire état ici.
Une fois que tout le monde aura ces deux lieux dans ses habitudes, je
pourrai arrêter les reports ici.
En rouge, je signale les nouveautés
discographiques.
Porter la mitre et lorgner sous les jupes.
François LEMOINE, Ricordo de
la coupole de la chapelle de la Vierge à Saint-Sulpice (années 1730)
Conservé au presbytère de Saint-Sulpice.
Baroque et
classique
Peu d'écoutes de ce côté, ce mois-ci.
¶ Ottone de Haendel.
Assez déçu par l'œuvre très peu saillante (en tout cas le premier tiers
: je me suis lassé). Par Petrou
aussi, étonnamment terne. Et
vocalement, très beau mais assez uniforme (Čenčić, Hallenberg, Sabata).
Quitte à écouter du seria, il y a de grandes œuvres disponibles chez
Haendel, ou des raretés de Hasse ou Porpora autrement avenantes (noms
sur demande), voilà.
Claude-Guy HALLÉ, Ricordo du tableau Saint Paul à Lystre pour
Saint-Germain-des-Prés (1717)
Conservé au Musée Carnavalet
Néanmoins : Ce n'est pas lui, mais seulement Le petit page avec la lampe.
Romantisme
allemand
¶ Début d'une nouvelle
intégrale des Sonates de Beethoven, par mon
#chouchou Giovanni
Bellucci (ma référence dans Schubert ou Liszt).
Netteté d'articulation, soin de l'ornementation,
science précise du rubato, un beau fondu presque sans pédale, sens du
chant… on retrouve tout cela. Peut-être que pour Beethoven, l'enjeu est
un peu
grand sans pédale, et j'entends quelques apprêts un peu sophistiqués ou
une petite froideur / dureté en enfilant les Sonates à la suite.
Mais l'une des plus belles propositions pour ces premières sonates !
¶ Beethoven, 6 Quatuors Op.18, Takács
SQ.
Le son est large, certes, mais la précision de trait
et la finesse d'esprit sans égales.
Depuis que j'ai découvert leur opus 76 de Haydn, je
ne parviens pas,
dans l'immense discographie, à en écouter d'autres sans frustration.
¶ Intégrale Eisenlohr-Naxos
des lieder de Schubert, volume 9 (Eiche, Fuhr).
Beaucoup de belles pièces pas très données. Lorsque
je rencontre celles
que j'ai jouées et chantées, le texte se déroule immédiatement, et je
sens encore les gestes vocaux dans ma bouche, la résistance du piano
sous mes doigts.Pax vobiscum, An die Leier, Jägers Liebeslied, et bien
sûr Schiffers Scheidelied, un
de ceux dont on se demande pourquoi ils ne sont pas des tubes !
Belle voix de Markus Eiche, mais transposé un peu
grave, l'expression est étouffée. Un des rares volumes sans Eisenlohr.
¶ Échanges autour de versions récentesdu Winterreise
(Padmore-Lewis, Finley-Drake, Bauer-Immerseel, Bauer-Mauser,
Harvey-G.Cooper, Rose-Matthewman…) et
des versions pour basse (Holl-Grubert, Moll-Garben,
Talvela-Gothóni, Polgár-Schultsz, Bastin-Kneihs, Vogel-Dunckel,
Gmyria-Ostrin…).
¶ Et la grosse claque du soir : reconstitution de l'Inachevée de
Schubert par Venzago (arrangement et direction).
Je me suis plongé dans ses notes explicatives :
reconstruction
narrative fantaisiste, mais sens très fin des nécessités musicales.
J'ai déjà publié une notule à ce sujet, l'écart entre le propos et
le résultat est fécond.
Il affiche une tranquille satisfaction quand même
étonnante,
jugeant son mouvement récrit « le plus exaltant de la symphonie »,
et affirmant, à propos de son patchwork schubertien,
que « Mahler aurait été enchanté » ! #MrGuéridon #BerliozStyle
¶ Schubert – Quatuor n°15 –
Kremer, Ma & friends.
Supra-mou, une collection de solistes qui n'ont pas dû beaucoup
répéter, alors que l'un et l'autre peuvent être de magnifiques
chambristes.
¶ Norbert Burgmüller – Quatuor
n°4
Petit bijou tempêtueux du premier romantisme, comme ses symphonies.
¶ Liszt – Orpheus –
Phiharmonique de Berlin, Mehta
Version très généreuse et voluptueuse, on perçoit encore mieux le côté
piano-orchestré, mais aussi les grandes beautés de la pièce.
¶ Mendelssohn – Symphonie n°3 – Freiburger
Barockorchester, Heras-Casado (HM)
¶ Mendelssohn – Symphonie n°4 – Freiburger
Barockorchester, Heras-Casado (HM)
Cette version atypique (Mendelssohn par un orchestre en principe
spécialiste du cœur du XVIIIe italo-germanique) se réécoute vraiment
très bien ! Le choral du début de la 3 est un peu dépareillé,
certes, mais sinon, ces couleurs comme ravivées par abrasion, un régal.
Il y a peut-être mieux (pour la 4 en particulier, assez vive pour
sonner très vive et fine sur instruments modernes – Dohnányi-Cleveland,
Ashkenazy-DSOB, Tennstedt-Berlin !), mais ce demeure tout à
fait exaltant et revivifiant !
¶ Mendelssohn – 3 Psaumes – Chœur de la Cathédrale
d'Oslo, Kvam (Nimbus)
Dans ces pièces en majesté, un certain manque de fermeté ici…
d'ordinaire j'apprécie considérablement la grandeur douce de ce chœur,
pas du tout opératique (amateurs de haute volée ? spécialistes du chant
sacré ?), mais ici, on perd beaucoup en impact dramatique – or, Richte
mich Gott… !
¶ Écouté le Parsifal d'Elder avec
Hallé, donné aux Proms il y a quelques
années, dans la prise de son toujours phénoménale du label de
l'orchestre.
Vision très hédoniste, assez lente, comme
contemplant ses propres
timbres, qui serait un premier choix, avec une bonne distribution
(Dalayman et Cleveman juste après leur faîte), n'était Tomlinson qui ne
peu plus lier ses notes, et seulement pousser ses aigus.
Vu la quantité de texte à dire, malgré un résistance
au temps pas si
mauvaise, tout de même une réserve sérieuse si on ne collectionne pas
les Parsifaux !
¶ Brahms – Sérénade n°1 – Capella Augustina, Spering
Décevant, lecture décente mais assez terne pour une version HIP, et du
Spering en particulier. J'en reste donc à Boult-LPO et
Chailly-Gewandhaus. Mais il m'en reste encore plein à essayer (le
problème est que je réécoute Boult à chaque fois…) : Bertini, McGegan
(Philharmonia Baroque !), Jaime Martín avec Gävle, Ticciati-Bamberg,
Kertész-LSO (j'ai dû écouter ça il y a très longtemps),
Haitink-Concertgebouworkest (idem), Abbado avec les jeunes Mahler,
Bongartz avec la Philharmonie dresdoise…
Putto chirurgien, très
appliqué.
Jacques BLANCHARD, Saint Sébastien (années 1620-1630).
Musée Bossuet.
Romantisme
français
¶ Le Freischütz version Berlioz,
tellement meilleur que l'original. Quels récitatifs (de la même couleur
que les airs), quelle fluidité !
¶ Réécoute de La
Reine de Chypre d'Halévy,
le V enfile vraiment les
tubes (voir explication un peu plus macrostructurelle sur CSS) : « Malgré la foi suprême », «
S'arrête la victime », « Guerre à
Venise » !.
Le reste n'est pas vilain non plus ! Je confirme mon
impression, de loin le meilleur Halévy (avec les parties de Noé qui ne sont pas de Bizet – non
pas que celles de Bizet soient laides, au contraire, mais elles ne sont
pas d'Halévy !).
¶ Saint-Saëns – La Muse et le Poète
Ressemble assez aux vilaines caricatures qu'on peut lire sur lui dans
les Histoires de la Musique. Pas fabuleux : peu de matière musicale (et
pas très originale), une dimension concertante un peu didactique
(dialogues…), sans vraiment être très évocateur. J'aime passionnément
quasiment tout Saint-Saëns, mais la maison ne fait pas de miracles non
plus.
¶ Dans l'album
romantique-français-tardif-rare de Gens et Niquet, très
intéressé par le sens dramatique de Niedermeyer
(promis par Bru Zane en intégralité).
En revanche, les airs isolés (sulpiciens de
surcroît), malgré la beauté de la voix, je salue mais n'y reviendrai
pas souvent.
Rares sont les récitals d'opéra auxquels je reviens,
les airs étant en général les parties moins intéressantes musicalement,
dramatiquement.
À quand un récital de quintettes, sextuors et finals
?
(Déjà, de duos, comme Thébault-Pruvot-Talpain, c'est
autrement mieux !)
Parmi les beaux exemples, le récital de
Skovhus-Conlon, parcours qui raconte quelque chose.
Putto-atlante assez herculéen.
Plaque funéraire de Lazzaro Doria (notable gênois), attribué à
Giovanni Gagini (1486).
Romantisme
italien
¶ Verdi – Nabucco – Mariotti (C Major)
Avec Theodossiou, Ribeiro, Nucci, Zanellato.
Remarquable, ébouriffant, très finement dirigé, très
bien chanté. Je n'ai pas mieux en magasin.
Et l'œuvre, quel bijou – l'orchestration n'est pas
fabuleuse, mais pour le reste, les concertatos incroyables, la veine
mélodique ininterrompue, le drame qui calvalcade !
¶ Verdi – Nabucco –
Santi, Paris 1979 (Arthaus)
La mise en scène est très… tradi (tous les bras en
croix face à la
scène dans leurs grandes robes satinées de dorures), mais le plateau
fait toute l'impression : Bumbry, Cossuta, Raimondi ! J'aime un
peu
moins Milnes, aux portamenti très appuyés (et qui a moins de
graves que son partenaire ténor Cossuta), mais tout ça est remarquable,
et bien qu'épais, l'accompagnement vit très bien.
Je l'avais déjà écouté il y a longtemps (sans le
visuel), et c'est ce qui se faisait de mieux avant que n'arrive la
nouvelle génération de chefs raffinés dans ce répertoire.
¶ Verdi – Attila – Rinaldi, Christoff
¶ Verdi – Attila – De Biasio, Battistoni
Opéra qui a toujours ses fulgurances (les clefs de fa, passionnantes)
et ses longueurs. Pour une fois, déception avec la version parmesane :
les voix graves sont vraiment ternes, et ce ne peut pas passer dans un
opéra qui repose complètement sur leurs tempéraments !
¶ Verdi – Il Corsaro – Montanaro (C Major)
Un des meilleurs Verdi, pourtant un des moins donnés. Comme Oberto ou Stiffelio, c'est pourtant du
premier choix (je trouve ça nettement plus abouti que Macbeth et un peu plus trépidant
que Luisa Miller, par
exemple). Version exemplaire aussi, avec quatre chanteurs exceptionnels
et un chef intéressant.
¶ Verdi – Stiffelio – Qiu, Aronica, Battistoni
¶ Verdi – Stiffelio – Chelsea Opera Group
Quel opéra ébouriffant ! Et cette fin totalement
inattendue… Quel sujet, aussi : l'adultère de la femme d'un pasteur
contemporain !
Battistoni est ma référence habituelle, mais la
bande de cette compagnie de Chelsea est épatante. Miricioiu est certes
déclinante, mais le ténor Peter Auty est
une révélation étourdissante… on se demande pourquoi on embauche les
vedettes actuelles quand on a des gens comme lui. Une voix mixte ronde,
égale, glorieuse sur toute l'étendue… la diction est un brin
enveloppée, sans doute, mais le charisme vocal et la poésie de
l'instrument sont incroyables. Comment se fait-il qu'on ne se l'arrache
pas, à l'heure où les grandes maisons se contentent en général de
ténors vaillants mais aux timbres frustes ou aux aigus blanchis ?
¶ Verdi – Luisa Miller – Martínez, Vargas, Zanetti,
Paris 2008
L'œuvre, malgré ses faiblesses (dramatiques en particulier – il ne faut
pas avoir honte de se réclamer de Schiller !), ne manque pas de beautés
musicales, et Zanetti y est particulièrement passionnant. Netteté,
articulations expressives… l'orchestre dit beaucoup ici.
Au pied d'une
statuette ornementale de satyre en laiton doré, trois putti font de la musique sylvestre.
Objet étrange, puisqu'il est associé par l'orfèvre-vedette de l'Empire,
Odiot, à une coupe « sein » (à la forme non équivoque), et qu'il
récupère les putti de sa base
de vases à parfum qu'il avait fournis à l'impératrice Marie-Louise neuf
ans plus tôt, en 1810. (Une des spécificités du métier de fondeur est
qu'on peut effectivement réutiliser des modèles ou des fragments pour
tout type d'objet.)
Décadents
germaniques
¶ (Karl) Weigl – Symphonie n°6 – Radio de
Berlin-ex-Est, Thomas Sanderling (BIS)
Comme la 5, pas ultime, certes, mais du beau postromantisme bien fait,
plutôt sombre mais pas sophistiqué, qu'on aurait du plaisir à entendre
en plusieurs versions et au concert.
¶ (Karl) Weigl – Symphonie n°5 « Apocalypse » – Radio
de Berlin (ex-Est), Thomas Sanderling (BIS)
Effectivement, le premier mouvement est difficile à
encaisser (ces instruments qui s'accordent platement au début, et ces
trombones étiques supposément menaçants, vraiment pas à la hauteur de
son ambition). Et les Quatre Cavaliers sont assez déroutants – une
large part du mouvement est écrit dans le mode majeur avec une
orchestration légère qui fait la part belle aux flûtes…
En revanche, l'adagio évoquant le Paradis Perdu
réussit remarquablement son projet extatique, rien que pour ce quart
d'heure il faut écouter la symphonie, autrement un peu frustrante.
La Sixième est beaucoup plus régulière et
convaincante.
¶ (Karl) Weigl – Phantastisches Intermezzo – Thomas
Sanderling (BIS)
Ça virevolte comme le Scherzo fantastique de Stravinski, ça mérite
l'écoute.
¶ Hausegger – Aufklängen, Dionysische Fantasie–
Bamberg, Hermus. Ça vient de sortir chez CPO.
Il y a aussi Wieland der Schmied (mais lui plusieurs
fois gravé), le thème de l'opéra que Wagner n'a pas écrit…
C'est du du Schmidt en plus plus straussien, plus
lumineux, moins ronchon, du superbe romantisme tardif élancé et diapré.
¶ Mahler – Symphonie n°7 – Concertgebouworkest,
Chailly (Decca)
Limpide et coloré, bien bâti, j'aime beaucoup cette version. (Sans
atteindre mes plus chères, Jansons-Oslo, Stenz-Gürzenich…)
¶ Jan van Gilse – Symphonie
n°2 – Symphonique des Pays-Bas (sis à Enschede), Porcelijn (CPO)
Peut-être bien la symphonie que j'aime le plus de tout le XXe
siècle.
¶ R. Strauss – Capriccio –
Prêtre
Version avec Della Casa et Vienne, moins
intéressante que celle qu'il fit avec Lott (ma référence).
Un peu figé, voix que je ne trouve pas très typées :
Ch. Ludwig,
Kmentt, Kerns, Berry… Vienne vraiment sur la réserve aussi, comme
souvent.
Je crois que ça a été publié il y a relativement peu
de temps, ça n'existait pas il y a deux ou trois ans dans la
discographie.
¶ Diepenbrock – Zum grossen Schweigen
– Hagegård, Concertgebouworkest, Chailly
Belle balade orchestrale (sans valoir ses fresques
plus ambitieuses).
¶ Je trisse la Verklärte
Nacht d'Oskar Fried.
S'il y a bien une œuvre qui ferait un tabac en salle… Bouleversant à
chaque fois.
(Parce que les Vier
dramatische Gesänge de Gurlitt, ça vaut bien les Vier
letzte Lieder, mais je me doute que peux aller me brosser.)
On ne l'entend pas très bien sur le disque
(l'orchestre est capté un peu en arrière et vaporeux), mais il y a de
très belles choses en matière d'orchestration, des échos entre les
différentes parties, des contrechants de cor magnifiques, des moments
où les vents sont seuls pendant l'exultation finale. Encore plus
impressionnant que l'impression globale, en y regardant de plus près.
J'ai prévu d'enrichir la notule en conséquence, ou d'en faire une autre.
Dans quelque temps.
J'ai découvert qu'une intégrale des lieder de Fried
existait (par les mêmes chanteurs, Landshammer et Rügamer), et qu'une
énorme cantate devrait bientôt paraître, mais je ne trouve pas trace de
ces disques.
¶ Ben-Haim – Quatuor n°1 – Carmel SQ (Toccata)
¶ Ben-Haim – Quintette à deux altos – Carmel SQ
(Toccata)
Très bien. Pas aussi saillant que ses meilleures œuvres symphoniques,
mais j'y reviendrai pour approfondir.
¶ Ben-Haim – Symphonie n°2 –
Philharmonique de la Radio de Hanovre, Yinon (CPO)
Beaucoup plus lumineuse que la Première, proche de
la 2 de van Gilse, des 2 et 4 de Nielsen.
Dans les deux cas, les mouvements lents sont
extraordinairement prégnants.
Et le concerto grosso est encore meilleur, pas du
tout archaïsant d'ailleurs.
¶ Paul Ben-Haim – Symphonie
n°1 – Philharmonique de la NDR, Yinon (CPO)
¶ Paul Ben-Haim – Fanfare
pour Israël – Philharmonique de la NDR, Yinon (CPO)
¶ Paul Ben-Haim –
Métamorphoses symphoniques sur un choral de Bach – Philharmonique de la
NDR, Yinon (CPO)
Rien à voir ici, les trois œuvres sont très sombres,
beaucoup plus « modernes » que la Deuxième Symphonie. Le
mouvement lent de Première Symphonie est, comme pour la Deuxième,
particulièrement prégnant. Les Variations sont vraiment très diverses,
quoique toujours tourmentées (pas tant musicalement qu'expressivement)
et la Fanfare pour Israël résonne
plutôt comme une marche funèbre – assez peu éclatante, même dans la
douleur.
Dans les tableaux mariaux de Largillière (les deux vers 1730)
tout le monde, même les putti,
a les mêmes traits : ceux d'Anita Cerquetti.
XXe
français
¶ Confidence : le disque de mélodies que
j'ai, de loin, le plus écouté. (Gabriel
Dupont par Peintre & Girod, chez Timpani.)
¶ Mélodies
de Fauré par Lenaert et (Ph.) Riga.
Du Fauré aux [r] très roulés, avec
piano d'époque, très belle diction posée sur le timbre franc de
Lenaert. Je n'avais jamais remarqué le côté très aulnisant de Fleur jetée !
Attention, le timbre (que j'aime) n'est pas
voluptueux, c'est plutôt de
la taille/ténor baroque, il faut écouter pour l'équilibre général !
¶ Très belle réussite du disque Schindler-Debussy
avec l'Orchestre
de Franche-Comté:
la « Symphonie Pelléas » de Constant, dont on n'a que deux exemples au
disque (Märkl éloquent et élancé, Baudo plus sucré et fondu), sonne
très bien !
Seul détail qui donne l'avantage à Märkl et le
National de Lyon : le final du IV
n'est pas aussi ardent. Grandes lectures orchestrales de Pelléas dans les deux cas !
(Contrairement à l'infâme collage Leinsdorf
d'interludes, souvent joué,
le montage Constant inclut d'autres moments importants et cohérents,
pas seulement les interludes – dont une large partie du final du IV,
donc. Par-dessus le marché, les ponts sont beaucoup plus adroits et ne
semblent pas des tunnelets flottant sur une mer de Debussy.)
Le reste est moins intéressant : les Maeterlinck ne
sont pas le meilleur de Zemlinsky, la voix de Druet n'est guère
séduisante, et Le Bozec est pour la première fois de sa vie en petite
forme. Pour
les quelques Alma Schindler, on dispose d'aussi bons disques,
et procurant l'intégralité des lieder.
¶ Mariotte – Impressions urbaines
Un chef-d'œuvre du figuralisme mécaniste, du niveau
de Meisel… mais au piano !
Contrairement aux autres œuvres de cette veine,
d'ailleurs, c'est la poésie qui prévaut !
(existe par Blumenthal chez Timpani)
Là aussi, le disque de piano que j'ai, d'assez loin,
le plus écouté depuis sa parutition
¶ Honegger – Concerto pour violoncelle – Johannes
Moser, Radio de Saarbrücken, Poppen
Très beau celui-là aussi, j'y reviens souvent.
¶ Pour le reste, quelques opéras fétiches (L'Étrangerde d'Indy, Monna Vanna de Février,L'Aiglond'Ibert-Honegger dans la reprise de
Marseille avec d'Oustrac). Et puis Lazzari,
même si ce n'est pas La Lépreuse
: La Tour de feu,
prise assez inaudible (que ce soit chez Cantus Classics ou Malibran),
impossible de percevoir ce que fait l'orchestre.
¶¶d'Indy
– L'Étranger – Foster Ce mélange de motifs et harmonie wagnériens et
de chants populaires français, qu'est-ce que c'est fabuleux !
¶¶Février – Monna Vanna – Rennes
1958 (Quel dommage qu'il manque les dernières
répliques sur la bande Malibran !)
¶¶Ibert-Honegger – L'Aiglon – Dervaux Un des opéras que j'ai le plus écoutés, je
crois, mais je n'avais pas encore exploré cette version historique
(Boué, Despraz, Bourdin). Je croyais pourtant avoir entendu de grandes
versions orchestrales avec Lacombe, Nagano et Ossonce, mais je suis
frappé par la précision des climats campés par Dervaux, que je tenais
plutôt pour solide qu'inspiré. Vraiment épatant, il n'y a que Boué, un
peu aigrelette, qui soit en dessous des autres versions (il faut dire
que face à Cousin, Gillet et d'Oustrac, qui pourrait en mener large !).
¶¶Lazzari –
La Tour de feu – Ruhlmann 1944 Le son est vraiment trop défavorable (voix très
en avant, orchestre fort mais parcellaire) et le français trop mauvais
(génération où la diction était lâche, façon Lubin) pour pouvoir en
tirer quelque chose. Mais comme j'aime énormément La Lépreuse, je réessaie périodiquement.
Putto très grognon.
Clément BELLE, La
découverte de la profanation des saintes hosties à Saint-Merri
(1759)
Commémoration très expressive de cet événement survenu en 1722.
Peint et conservé à l'église Saint-Merri de Paris.
Fleurs
scandinaves
¶ Horneman – Quatuors 1 & 2
Du romantisme simple et lumineux, mais pas fade
comme du Gade (ou même les quatuors de Langgaard). Pas grand comme
Larsson plus tard, qui est beaucoup plus personnel, mais très beau de
tout de même.
Christian Horneman était un contempteur de Niels
Gade, qu'il
jugeait trop germanisant – de fait, Gade composait souvent en allemand
(des lieder, ou bien grande cantate Comala),
et pas nécessairement sur des sujets danois. Tandis que Horneman a
écrit une Ouverture de concert pour l'Aladdin
d'Oehlenschläger, la grande figure qui importe le
romantisme de Schiller, de Goethe et des Schlegel dans la langue
danoise (c'est l'œuvre pour laquelle Nielsen a écrit sa musique de
scène).
¶ Horneman – Suite de Gurre – National du Danemark,
Johannes Gustavsson (Da Capo)
Toujours dans cette veine, qui refuse tout à fait
les expressions tourmentées. Mais pas sans expression, loin de là ! –
je trouve ça plutôt mieux que les suites de Peer Gynt de Grieg…
Sur le même disque, on trouve Le Combat des Muses, avec parties
vocales, tout aussi réussi, et Kalanus.
Il existe un autre disque qui reprend partiellement le même programme,
par Schønwandt et la Radio Danoise. Je crois qu'avec le disque de
quatuors, ce sont les trois seules monographies discographiques
disponibles pour Horneman.
¶ Hamerik, Symphonie n°2.
Hamerik fait du Mendelssohn dans les années 1880,
mais les deux premières ne manquent certes pas de personnalité !
Probablement les deux symphonies auxquelles le mot «
poétique » s'appliquent le mieux, et tout en simplicité.
La façon dont le calme thème B du I de la 2 devient
une marche
altière, c'est rien, mais c'est beau. Ou le bucolisme de la 1, partout.
¶ Hamerik, Symphonie n°7.
Qu'est-ce que le niveau baisse…J'adore pourtant les
deux premières,
bien les 3-4-5, mais la fadeur de la dernière ! Je n'ai pas
réécouté
le Requiem en couplage, mais il est de la même farine.
¶ Hamerik – Quartetto
On dirait que Hamerik a cru que le suffixe en
« -etto » avait ici un sens diminutif ! Minuscule pièce d'une
dizaine de minutes, très jolie, mais beaucoup moins marquante, dans le
genre paisible-souriant, que les Horneman (son aîné de trois ans
seulement).
¶ Stenhammar, Symphonies.
Assez ternes sur tous les aspects, même si le final de la 2 (un peu)
plus folklorisant est sympa.
Tellement loin du charme naïf de la sérénade
simili-mozartienne ou de la densité d'écriture des quatuors (fabuleux) !
À tout prendre, ses concertos pour piano font de
bien meilleures symphonies !
(même les zébrures sibéliennes de la 2 ne sonnent
pas très hardies
; certes Neeme Järvi ne semble pas dans un jour de grande nervosité)
… Bien, en réécoutant les concerts, le Deuxième
Concerto est quand même bien
fade… et la Deuxième Symphonie par Westerberg, ça change tout, superbe
!
¶ Stenhammar – Sérénade – Chambre d'Uppsala, Mägi
Jouée avec cette verdeur, ça devient passionnant.
Et un véritable cycle Hagegård (qui a occasionné une récente notule).
¶ Grieg – 4 Psaumes – Hagegård Chœur de la
Cathédrale d'Oslo, Kvam (Nimbus)
¶ Rangström – 5 Poèmes de Bergman, La
Fleur sombre et autres cycles. Svendén, Hagegård, Schuback (chez
Musica Sveciæ).
De très belles atmosphères traitées dans la langue locale, ce qui n'est
finalement pas si évident chez les compositeurs nordiques.
¶ Hagegård, tubes d'opéra (Pagliacci, Faust, Rigoletto, Così,
Tannhäuser, Don Carlo) et airs suédois. Une belle grâce là où on ne
l'attend pas, et touours ce vibratello charmant.
La Romance à l'Étoile est l'une des plus belles que j'aie entendues,
dans un secteur pourtant fort chargé (DFD, Blanc, Mattei, Gerhaher…).
On sent la parenté d'école avec Mattei d'ailleurs, l'aisance du mixage
et des nuances en sus…
¶ (August) Söderman – Tannhäuser – Hagegård, Radio
Suédoise, Kjell Ingebretsen (Caprice)
Une vaste ballade dont les divers climats sont assez réussis. Elle
commence par des appels qui font écho aux trompes vascellaires de la
fin de Tristan.
¶ (August) Söderman – Kung Heimer och Aslog –
Hagegård, Radio Suédoise, Kjell Ingebretsen (Caprice)
¶ Aulin – Poèmes de Tor Hedberg – Hagegård, Radio
Suédoise, Kjell Ingebretsen (Caprice)
Comme toujours dans les mélodies d'Aulin, délicatement coloré.
¶ (Ragnar) Althen – Land du välsignade – Hagegård,
Radio Suédoise, Kjell Ingebretsen (Caprice)
Très beau chant patriotique, simple et élancé.
¶ (Andreas) Hallén – Junker Nils Sjunger till
Lutan (av Gustaf Wasas saga) – Hagegård, Radio Suédoise, Kjell
Ingebretsen (Caprice)
Autrement dit : l'aristocrate Nils joue du luthn extrait de saga.
¶ Alfvén – Skogen sover (La forêt repose) –
Hagegård, Radio Suédoise, Kjell Ingebretsen (Caprice)
¶ Stenhammar – Suède – Hagegård, Radio Suédoise,
Kjell Ingebretsen (Caprice)
Ce sont là les couleurs délicates du Stenhammar de la Sérénade.
Putti qui attirent
l'attention du photographe tandis que Jésus, au-dessus, est un peu
déchiré.
Noël COYPEL, une Crucifixion étrangement intitulée Le Christ pleuré par les anges.
(ce qui paraît tout sauf évident, garnements)
Musée Bossuet.
Britanniqueries
¶ Stanford – Stabat Mater
(conseil de Gilles Lesur)
Très inhabituel, une vision très dramatique et
extravertie de ce texte. J'aime beaucoup.
¶ Elgar– Quatuor – Villiers SQ
Bien joué comme cela ! Son calme un peu étale
fonctionne très bien ainsi, beaucoup mieux qu'à l'ordinaire.
¶ Delius – Quatuor – Villiers
SQ
Très ravélien en réalité, mais un Ravel pas du tout
frénétique comme celui du quatuor. Très, très beau.
¶ York Bowen, Symphonies n°1 & 2
(BBCPO, Andrew Davis). De très beaux morceaux de postromantisme
généreux !
¶ Robert Still – Quatuor n°1 –
Villiers SQ (Naxos)
¶ Robert Still – Quatuor n°2 –
Villiers SQ (Naxos)
¶ Robert Still – Quatuor n°3 –
Villiers SQ (Naxos)
¶ Robert Still – Quatuor n°4 –
Villiers SQ (Naxos)
Du jeune Schönberg au vieux Chosta, un corpus très
réussi dans un style évolutif mais homogène.
Du premier, complètement tonal même si
« avancé », on parcourt toute une évolution stylistique : le
2 évoque plutôt le jeune Schönberg ou les quatuors de Korngold, le 3
plutôt le jeune Chostakovitch, le 4 plutôt le dernier Chostakovitch,
tout cela en restant dans une couleur qui lui est propre. Par goût,
j'apprécie particulièrement le deux premiers, mais les quatres sont
remarquables. (Et le Quatuor Villiers est, ici, encore, absolument
parfait.)
Jean-Baptiste PIERRE, Renaud
dans les jardins d'Armide.
Musée municipal de Meaux.
Dans cette version, on ne voit pas le bouclier aux mains d'Ubalde.
Est-ce ce que tient le putto dissimulé
?
Ou bien un tambour de basque ? Un miroir ?
Slaves
¶ Présentement, les deux petits accordéons de la Deuxième Suite de Tchaïkovski !
On joue très peu ses Suites, qui valent pourtant les
symphonies !
Beaucoup plus de mouvements fugués, de couleurs, de
danse surtout. Ça se vaut, vraiment !
¶ Tchaïkovski – Symphonie n°1 – St. Luke's,
Heras-Casado (HM)
¶ Tchaïkovski – The Tempest – St. Luke's,
Heras-Casado (HM)
Vision allégée et sobre, comme on pouvait s'y attendre, sans être
fondamentalement différente en conception de la tradition.
¶ Taneïev – Quintette à deux altos – Taneyev SQ
(Northern Flowers)
L'une des meilleures œuvres de chambre de Taneïev
(le sommet restant plutôt le Quatuor avec piano, à mon sens), beaucoup
plus intéressante que les quatuors un peu académiques.
¶ Martinů – Concerto pour violoncelle
n°1 – Johannes Moser, Radio de Saarbrücken, Poppen
Splendide concerto (j'ai ai parlé plusieurs fois ici
même, sur CSS) – l'orchestre y dit beaucoup.
Et Moser est, à mon sens, le meilleur violoncelliste
soliste
actuel, d'assez loin… aussi bien maîtrise que son ou expression,
ébouriffant.
¶ Pawel
Łukaszewski, chœurs
sacrés. Très tradi, mais les chuintantes
des Chants Funéraires Kurpiens (en
polonais ou dialecte afférent), les
quintes dures, les petits agrégats suspendus à la mode
traditionnelle sont réellement délicieux. Le legs latin est plus
insignifiant. Et ne me dites pas que c'est introuvable, ça vient d'être
édité (ou
réédité) chez Warner. Si vous aimez Tormis, même veine.
¶ Avet Terterian – Symphonie n°3
(chez ASV).
L'usage des percussions seules et des effets de
cordes (glissando) est assez ludique, et ce devrait bien fonctionner en
salle avec un public néophyte; en
revanche, côté matière musicale, c'est comme chez Say, il faut chercher.
Mais j'ai peut-être manqué des choses au delà du
premier mouvement : j'ai dû m'interrompre, et j'avoue humablement ne
pas avoir (étrangement) trouvé de temps pour m'y remettre.
Nous sommes peut-être aux Invalides, mais les putti sont bien portants.
(Vous noterez le front napoléonien du second.)
¶ Moisson du jour un peu moins exigeante.
Mendelssohn baroqueux, Verdi fin, Tchaïkovski
allégé, postromantisme carinthien, pop coréenne 2000's
Dont :
¶¶ Davichi – Hot Stuff
¶¶ Narsha (avec Miryo) – 나 언제나
그대곁에 있어요
¶ Je découvre avec un disque Bernstein
par Minnesota-Oue (pas Berlin-Abbado quand même !) l'existence
de ce modeste label. |:-o
¶ Diodet-Lamareille, Ce que c'est qu'un
drapeau.
Qu'est-ce que ça fonctionne bien !
Versions Thill, Dona, Patard et puis Mestral, Noté…
Plutôt que Thill que tout le monde connaît, Dona…
(Patard est seul à faire le couplet central et ne
fait que
celui-là, étrangement – le moins intéressant, dans un ton un peu
négatif pas très congruent avec le principe de la chanson patriotique.)
¶ Luis Fonsi – Despacito
Faut bien se cultiver.
¶ J'ai aussi écouté, un peu incrédule, les chansons racistes de l'Expo coloniale de
1931. Nénufar
est
particulièrement frappant (la reprise en chorus « Nénufar — Nénufar ! —
T'as du r'tard — T'as du r'tard ! — Mais t'es un p'tit rigolard »…).
[texte
complet]
Oui, quand même.
(On notera avec intérêt la fortune pré-1990 de
l'orthographe « nénufar ».)
(Possiblement un autre sous-entendu raciste,
d'ailleurs.)
Jean-Baptiste PIERRE, Renaud
dans les jardins d'Armide.
Musée municipal de Meaux.
Quelle est la femme ?
Concerts
♫ J'avais déjà mentionné quelques mots sur Le Timbre d'argent
de Saint-Saëns. En voici une autre version, un peu plus lisible. La bande est disponible sur France
Musique. L'Opéra-Comique en publiera une version vidéo, je crois (ou
était-ce Alcione ?), et Bru
Zane devrait le publier en CD.
♫ Lamento della Pazza de
Giramo et canzoni de
Kapsberger et Strozzi par les Kapsber'girls, un programme un peu plus vert que le précédent (et à mon avis des œuvres moins
intéressantes), mais qui promet beaucoup lorsqu'il sera rodé !
♫ Encore une fois le Trio Zadig, cette fois dans Ravel et Schubert (et
aussi conversation sur Classik).
♫ Quintettes à vent de Barber, Ligeti, Arnold, et
(arrangé de) Debussy.
♫ Déjà mentionné le mois dernier, mais c'était un concert de juillet,
et il mérite bien une seconde mention : Chœurs de
Saint-Saëns, d'Indy, Schmitt, Poulenc – Chœur Calligrammes,
Estelle Béréau (Notre-Dame-du-Liban). Quand des post-wagnériens comme
d'Indy et Schmitt se passionnent simultanément
pour le folklore
français… jubilatoire et très riche à la fois, un répertoire qui n'est
pas du tout documenté par le disque. Témoignage très précieux, et dans
le top 10 des concerts de la saison…
… et j'ai encore pour la troisième fois manqué le Trio Sōra (Tchaïkovski et Chosta 2, j'avais ma
place d'ailleurs…), que je languis de réentendre !
Putto courant sans
pieds ailés.
Daniel SARRABAT, L'Enlèvement
d'Europe (comme vous pouvez le deviner à senestre).
Musée Bossuet.
►Atmosphères prégnantes de Saint-Laurent à Beaumont-sur-Oise.
► Visite de la cathédrale de Meaux. Espace extraordinaire. [récit
en cours]
► Visite de Dourdan. [récit partiel, je vois que je n'ai pas
mentionné l'église en particulier, ni l'histoire du restaurateur
viollet-le-ducal…]
► Exposition 1870 aux Invalides, plus didactique qu'artistique,
mais avec un superbe Doré en cadeau.
► Détails de l'expositionBaroque des
Lumières (tableaux d'églises françaises aux XVIIe et XVIIIe
siècles) au Petit-Palais.
► Le musée Bossuet dans l'ancien palais épiscopal de
Meaux. Superbe fonds de peintures françaises XVIIe-XVIIIe. [récit en
cours]
L'Amour
sans bandeau ne fera pas grâce à la nymphe qui s'enfuit.
Une autre vision, beaucoup plus déterministe.
(Cratère d'ornement à l'extérieur de l'hôtel de ville de Meaux; seconde
moitié du XIXe.)
Quelques
lectures citées
→ Fil Byron
: relecture du Corsair,
citations d'extraits. En cours.
→ Extraits et citations tirés de la seule biographie d'Eugène Scribe – par Jean-Claude
Yon, historien. Où je n'ai pas trouvé les réponses à mes questions sur l'absence de scandale de Robertle diable ; comme souvent dans ce
type de biographie, Yon cherche surtout à réhabiliter le sérieux,
l'humanité, la paternité des œuvres de son chouchou, plutôt qu'à
expliquer les raisons littéraires de sa place, et y parle assez peu des
contenus des œuvres, très peu d'opéra. Le contexte de sa production,
ses rapports avec les autres écrivains ou les directeurs de théâtre
sont très précisément documentés, mais ne laisse pas de place pour
répondre à ce qui m'intéressant – d'autres monographies seraient à
écrire. Ici aussi, exploration en cours.
Les Clefs du cœur.
François LEMOINE, Ricordo
de la coupole de la chapelle de la Vierge à Saint-Sulpice (années 1730)
Conservé au presbytère de Saint-Sulpice.
Annexe :
Les
tartelettes ?
Les tartelettes sont une cotation purement personnelle que je n'ai pas
retirée lorsqu'elle figurait déjà. Elles n'ont aucun lien avec la
qualité objective ou l'audace des œuvres, elles témoignent uniquement
de mon intérêt subjectif à les écouter.
Elles ne tiennent pas compte des interprétations (sinon ce devient trop
complexe, aussi bien pour moi que pour celui qui veut écouter l'œuvre
et n'a pas forcément le même disque).
Il ne faut donc pas les lire comme les étoiles « objectives » des
magazines (ou des webzines qui se prennent au sérieux) qui servent à
donner ou pas la moyenne aux enregistrements. Pas mon univers.
Pas déplaisant, mais pas nécessaire à réécouter.
Exemples : Certaines symphonies mineures de l'ère classique. (Plutôt
Stamitz que Vaňhal ou Cannabich, mais ce
dépend vraiment des opus.) Les lieder de Brahms. Messagesquisse de Boulez.
Agréable, à réécouter de temps à autre.
Exemples : Les lieder strophiques de jeunesse de Schubert. Tannhäuser de Wagner. Domaines de Boulez.
Très belle œuvre, à réécouter souvent. [Concerne donc une très large
part du répertoire.]
Exemples : Die Dichterliebe
de Schumann, Lohengrin de
Wagner.
Un œuvre particulièrement enthousiasmante, à réécouter le plus souvent
possible.
Exemples : Parsifal de
Wagner. Il Trovatore de
Verdi. Les lieder d'Alma Schindler-Mahler. Dialogue de l'ombre double de
Boulez.
La poignée des œuvres de chevet, celles qui parlent le plus
immédiatement et le plus intimement.
Exemples : la Première Symphonie
de Czerny, le Via Crucis de
Liszt, le dernier tableau de Das
Rheingold de Wagner, Arabella
de R. Strauss, les lieder en duo Op.14 de Reger, Dieverklärte Nacht de Fried…
Ainsi, à part la tartelette seule qui est un peu mitigée (agréable mais
oubliable, proche de l'indifférence), la seule présence de tartelettes
indique que j'ai aimé. Un Tx3 n'est donc pas une note « moyenne », mais
au contraire déjà la marque des grandes œuvres – la différence avec les
deux degrés supérieurs relevant de ma plus arbitraire inclination.
Exceptionnellement, dans les cas graves, il arrive que je distribue des
tartelettes au citron meringué, qui sont à la vraie tarte au citron ce
qu'est Bachar el-Assad à Gandhi.
Je n'ai pas aimé du tout, du tout. Ça ne me parle pas / c'est moche.
Exemple : L'œuvre orchestrale d'Olga Neuwirth.
C'est insupportable, grotesque, scandaleux. Et surtout ça fait mal.
Exemple : L'œuvre pour orgue de Philip Glass.
Je suis mort.
Je mets ces diverses tartelettes quand je suis sur Classik
parce que ça m'amuse, que ça fait un
repère visuel, que ça permet de provoquer gentiment,
mais ça n'a pas grande utilité : ce ne
témoigne que des déviances de mes goûts, et ne garantit rien sur vos
propres dilections. D'où l'intérêt des mots, qui permettent de
caractériser
plutôt que de noter…
Les musicologues ont aujourd'hui établi avec assez de précision le
détail du métabolisme d'Halévy. Retour sur un aspect essentiel de la
vie musicale du XIXe siècle.
Pardon.
Halévy n'avait pas, comme Meyerbeer, la fulgurance d'orchestrations,
d'alliages, d'enchaînements inédits, la hauteur de vue sur la
construction dramatique. C'est en revanche un compositeur très
talentueux, au solide métier, suffisant pour créer un tube quand il le
veut.
Ses opéras n'atteignent pas les enchaînements incroyables des meilleurs
moments de Meyerbeer – les ensembles enchâssés dans le III de Robert, les I, IV et V des Huguenots, le I et le II de Dinorah… Mais Halévy se garantit le
succès, outre par la qualité lui aussi de sa prosodie et de sa tenue
musicale, par sa capacité à lancer tout à coup des airs qui sont
instantanément gravés dans l'oreille.
Petites démonstrations (très superficielles, et forcément
fragmentaires, je laisse par exemple
de côté La Magicienne et Noé, pourtant des œuvres estimables
– voire enthousiasmante pour la seconde).
Tout le monde a dans l'oreille La Juive (1835),
qui a ses fulgurances dans les ensembles, mais qu'on ne remonterait
peut-être pas sans son air-phare, « Rachel, quand du Seigneur » –
étrangement, on ne joue presque jamais la cabalette sur scène, encore
moins avec sa reprise, alors qu'elle sort du même tonnel ! [Supposément
parce qu'elle est inchantable – certes, aiguë, avec un centre de
gravité vraiment haut pour un ténor dramatique, mais rien
d'insurmontable non plus, Florestan est plus tendu encore…]
[[]]
« Rachel, quand du Seigneur »
acte IV de La Juive,
(Léon Escalaïs)
L'œuvre est suffisamment prisée pour inaugurer le Palais Garnier en
1875, 40 ans après sa création.
Opéra intrinsèquement probablement plus faible, moins soigné dans ses
ensembles, Charles
VI (1843), où une paysanne d'arcomorphe protège la France, se
sauve par une chanson patriotique extrêmement prégnante – Halévy en
était conscient, il l'utilise à plusieurs reprises dans l'ouvrage, dès
l'acte I, et en ensemble final à l'acte V.
[[]]
« La France a l'horreur du servage » / « Guerre aux tyrans »
(le tube commence à 2'45)
acte I de Charles VI,
(Mathieu Lécroart en Raymond, puis Bruno Comparetti en Dauphin)
Simple mélodie très conjointe (notes qui se suivent), sans altérations,
et pourtant unique, marquante dès la première audition. Elle est
d'ailleurs utilisée par degrés dans toutes la scène : chanson du
baryton, écho du chœur, reprise plus haute du ténor-Dauphin, puis chœur
d'affrontement où elle domine à nouveau.
Pour La Reine de
Chypre(1841), c'est
encore mieux : l'acte V est un acte patriotique (la rébellion du
royaume de Chypre gouverné par un français contre la mainmise politique
de Venise), d'où sourdent plusieurs très belles mélodies, et en
particulier ce non-duo d'amour. [Catarina Cornaro a dû épouser un autre
homme à qui elle est fidèle et Gérard de Coucy s'est fait moine.]
[[]]
« Malgré la foi suprême »
(le tube commence à
1'10)
acte V de La Reine de Chypre,
(Sébastien Droy puis Véronique Gens,
Orchestre de Chambre de Paris, Hervé Niquet)
Là aussi, instantanément, on ne l'a jamais entendu, mais Halévy le
répète sous plusieurs formes (variant les accompagnements, les
personnages, le reprenant en duo et avec des lignes alternatives…) et
on ressort de la salle en l'ayant toujours dans l'oreille, sans aucun
effort.
À part un très bref emprunt mineur, la mélodie est comme pour les
précédents très peu accidentée, des bouts de gamme quasiment, des
appuis harmoniques simples, pas d'altérations accidentelles.
Sur un petit balancement adéquat de barcarolle (l'ombre portée de
Venise est partout), un autre très beau moment mélodique.
Ce n'est peut-être pas un immense compositeur dans l'absolu, mais avec
ce métier-là, on peut faire un grand compositeur d'opéra comme il le
fut !
Annexe :
[[]]
« Sigurd va mourir ! »
(le thème commence à 0'30)
second duo (dans le même acte !) Hilda-Brunehild,
acte IV de Sigurd
d'Ernest Reyer,
(moi)
[Si vous le pouvez, passez outre la qualité de réalisation (on
peut difficilement considérer que c'est chanté, pour commencer…), j'ai
fait ça il y a une dizaine d'années et je ne retrouve pas les bandes
plus récentes un peu plus soignées. De toute façon, il n'y a pas grand
choix : ce duo est coupé dans toutes
les versions données de Sigurd
à ce jour (j'en ai attrapé une demi-douzaine).]
L'œuvre a un demi-siècle de plus que La
Reine de Chypre, mais en entendant tout récemment la remise au
théâtre de la pièce d'Halévy, j'ai été frappé par la parenté, aussi
bien dans le procédé (le thème simple et prégnant, l'addition de
trémolos de violons en doublure de la reprise de la soprane) que dans
la structure, avec la répétition espacée du thème, entrecoupé par des
échanges dramatiques de forme libre. Chez Reyer, après deux
énonciations successives dans le duo, ce thème (attaché au regret du
monde céleste) revient à la clarinette alors que Brunehild est en train
de mourir de la mort de Sigurd.
[Dans les versions usuelles (si le mot peut être approprié pour Sigurd !), ce motif apparaît juste
après la coupure, donc privé de son sens.]
Manifestement, la manière d'Halévy n'a pas été sans partisans. (On
rappelle souvent que Wagner a loué la qualité de l'ouvrage, mais il en
a aussi été le transcripteur pour la première réduction piano-chant,
chez l'éditeur Maurice Schlesinger.)
J'attends avec beaucoup de curiosité ma lecture prochaine de La Dame de Pique et du Juif errant du même auteur…
J'essaierai de faire quelque chose de plus joli que pour Sigurd si je trouve de jolis
moments ou de vrais tubes.
Les
commentaires sur la première partie du mois d'avril-mai se
trouvent
ici.
Je tente une nouvelle forme, plus économe en temps. Je me suis essayé à
de rapides esquisses à la sortie des concerts – non plus globales, mais
attachées à quelques détails, assez la philosophie que je peux me faire
du commentaire de spectacle, une collection de petits événements,
d'évidences jusque là masquées… (plutôt que d'établir si le chef est un
génie / un imposteur / un routinier ou si la soprane a un bon
professeur de chant)
Depuis le printemps, je publie donc en temps réel (pendant les
ouvertures à l'italienne ou les arias à colorature, ça fait passer le
temps[1]) une poignée
d'impressions après le concert, via le compte Twitter attaché
à Carnets sur sol. Et je me
dis que c'est au moins aussi intéressant que les impressions globales
que je donnais, en résumé global : le format et les circonstances en
rendent la rédaction moins soignée, mais ce sont des détails plus
précis qui affleurent, sans chercher à parler de tout. Je retrouve la
philosophie des tentatives, jusqu'ici toujours un peu frustrantes,
d'écrire des instantanés sous
le calendrier annuel de septembre, ou bien de nourrir aléatoirement Diaire sur sol.
Par ailleurs (et surtout), comme ces babillages sont déjà écrits, ils
me libèrent du temps pour préparer des notules sur des sujets moins
éphémères et superficiels, s'il est possible, que mes impressions de
spectateur.
Je n'hésiterai pas à ajouter des précisions avec de petites flèches. → Oui, de très petites flèches !
Essayons. Comme pour le planning du mois, les avis sur l'intérêt du
format sont appréciés.
--
[1] Avant de recevoir des messages d'insultes de visiteurs de
passage, je précise l'absence de sérieux de la pointe. Et je dois
reprendre (très doucement, c'est toujours suffisant) de plus en plus
souvent mes voisins qui traitent leur messagerie pendant les concerts…
il faudra vraiment que les salles se mettent à faire des annonces
là-dessus.
A.
Disques et bandes
Sur le modèle des Carnets d'écoutes, une petite liste succincte
d'enregistrements écoutés au fil des jours (très loin d'être
exhaustive, juste au gré de ma fantaisie), comme je n'ai plus le temps
d'en faire proprement pour CSS. Ça peut toujours donner des idées ou
des envies.
♦ Une arrivée tout juste à temps à la
bibliothèque Marmottan de Boulogne pour La Tour de Nesle d' A. Dumas et Lucrèce Borgia de V. Hugo avec
leurs musiques de scène !
♦ Longtemps crues perdues, tout juste retrouvées, les musiques de
Louis-Alexandre Piccinni, petit-fils illégitime de Niccolò, en
réduction :
♦ Flûte, violon, violoncelle, piano. Écrit à l'origine pour un
orchestre complet.
♦ Ce sont des ponctuation très courtes, destinées à appuyer un moment
de théâtre, sans être non plus spectaculaires (du mode majeur
inoffensif).
♦ C'est agréable, mais témoigne une fois de plus du retard constant de
la musique sur les esthétiques littéraires :
♦ le Werther de Pugnani fait
du Haydn, les mélodrames de Dumas et Hugo du Beethoven de jeunesse, de
même Baudelaire par Godard ou Duparc…
→ Voyez la notule consacrée au Werther de Pugnani, musique écrite au XVIIIe siècle !
♦ Sur scène, la démesure et les coïncidences hénaurmes des situations
font sourire, mais finissent par fonctionner.
♦ L'équivalent de ces gros films spectaculaires auxquels on finit par
adhérer contre toute raison.
♦ Tout cela dans le cadre d'un colloque co-organisé par le @cmb_v
sur les musiques de scène.
♦ J'en ai profité pour discuter avec deux doctorants et les interroger
sur l'absence de scandale de Meyerbeer
–
→ en 1830, voir un héros fils du démon
culbuter une abbesse damnée sur l'autel
d'une sainte tout en dérobant une relique, ça me paraissait
raisonnablement suffisant
pour susciter une réaction, au moins
dans la presse catholique. Et pourtant, que des éloges sur la hardiesse
des décors, le pathétique de la situation, la variété de la musique, la
prégnance des atmosphères… rien sur la moralité de l'exercice.
♦ Même en province, l'accueil à Robert le Diable fut triomphal,
sans beaucoup de réserves morales.
♦ D'après mes interlocuteurs, c'est que la masse critique de jeunes
romantiques était déjà suffisante pour peser sur l'accueil des autres.
♦ Je ne suis pas complétement satisfait par la proposition, mais c'est
une autre piste qui s'ajoute aux miennes, pas si nombreuses à être
satisfaisantes (et sans nul doute moins étayées).
♦ Tout cela confirme que
1) Dumas c'est rigolo (admirable, il ne faut pas pousser) ;
2) décidément pas fanatique des Hugo en prose.
♦ Le grand affrontement avec d'Este est une accumulation minutieuse de
toutes les ignominies, c'est l'interminable gibet de L'Homme qui rit.
♦ Pour une version restituée, remarquez que les comédiens voulaient
garantir l'accent italien des noms et prononçaient donc… Férraré.
#perdu
♦ Retour d'Onéguine : que de détails subtils
qui fourmillent dans cette parition et qu'on n'entend vraiment qu'en
salle !
♦ C'est le paradoxe Tchaïkovski, tellement simple à écouter et
tellement sophistiqué à la lecture.
→ Ce serait un autre sujet de notule…
♦ Rien que le début, et tous ces thèmes folklorisants très intuitifs sont
en réalité farcis de chromatismes et
modulations.
♦ En salle, c'est l'occasion de relever certains détails comme les alliages de bois à l'unisson dont il
raffole :
♦ dans les symphonies, c'est plutôt clarinette-basson (profondeur), ici
hautbois-clarinette, ce qui procure un halo vibrant au hautbois.
♦ Autre détail, lorsque Tatiana indique Onéguine sans le nommer (он)
dans le tableau de la lettre (I,2),
♦ apparaît le motif de son
refus (нет! нет!) dans le dernier tableau.
♦ Ou la jalousie de Lenski, exprimée par un court motif hautbois puis
cor, qui revient lors de la supplication d'Olga en cor puis hautbois.
→ (acte II, tableau 1 – l'anniversaire
de Tania)
♦ Pour le fil sur l'œuvre, c'est là : twitter.com/carnetsol/stat…
Pour la soirée de Bastille, c'est ici (y étaient également quelques
compères…).
♦ Je veux Edward Gardner comme
directeur musical ! Déjà formidable dans la Première Symphonie avec le @nationaldefce ou au disque dans Walton,
♦ il imprime ici une palpitation et une intensité permanentes, sans
jamais se départir d'une forme de maîtrise et de hauteur. \o/
♦ Vraiment un enchantement de tous les instants dans une œuvre aussi
riche orchestralement ;
♦ dans l'acoustique exceptionnelle de Bastille pour les orchestres, on
ne s'alarme plus trop des petits sémaphores vaguement sonores là-bas.
♦ Fort bons d'ailleurs, Mattei
sonne très bien, avec de beaux graves (les sol 1 de son ensemble
d'entrée !) et une superbe stature scénique.
♦ Quel contraste avec Tézier qui grommelait ses sons magnifiques dans
son coin ; Mattei charismatique, ardent et distant comme son personnage.
♦ La voix de Netrebko est
devenue large et très assurée pour un rôle d'innocente timide (sans
parler du bronzage glorieux quand le livret la décrit récurremment
comme notablement pâle), mais les aigus s'illuminent remarquablement,
♦ et comme la diction de tous est inaudible dans le hangar à bateau, ça
passe très bien dans ces conditions. (On ne la dirait pas russe…)
♦ Mon chouchou Černoch
paraissait contraint, pas du tout radieux comme dans Rusalka dans les mêmes lieux,
j'étais un brin déçu.
♦ Et quelques autres petits plaisirs, les quatre bois solos magnifiques
(et un basson à la française aux aigus de cor anglais !),
♦ Gardner qui laisse claquer les timbales avec des têtes dures, de très
beaux ralentissements en connivence avec Netrebko…
20 mai Nielsen, R. Strauss, Ravel, Stravinski
par le Capitole, Crebassa et Sokhiev.
Philharmonie de Paris.
♦ En route pour la musique de scène d'Aladdin de Nielsen, pour l'une des pièces
majeures d'Oehlenschläger, le
grand dramaturge danois.
♦ C'est lui qui transcrit dans le paysage danois, en quelque sorte,
l'esprit des Schlegel et de Goethe. @philharmonie
♦ Surpris, à la lecture, de constater qu'Ibsen a beaucoup emprunté à
son Håkon Jarl pour sa meilleure pièce, Les Prétendants à la couronne.
♦ Auteur aussi d'une belle pièce sur le Corrège.
♦ Outre Ibsen, on dit qu'il a influencé Scribe ; je n'ai jamais pu
vérifier si Hugo l'a lu, mais indéniablement une parenté d'aspirations.
♦ Il est très peu joué et quasiment pas traduit, mais une fréquentation
de qualité, à laquelle la musique de scène de Nielsen rend hommage.
♦ La musique de scène complète, enregistrée par Rozhdestvensky (chez
Chandos), n'est pas extraordinaire, la Suite fait l'affaire (mais c'est
mieux lorsqu'elle est donnée avec chœur ad libitum).
♦ Quelques grands moments bien sûr : le dialogue hautbois-basson de la
Danse hindoue qui évoque la Symphonie n°4, la dévastation des
prisonniers façon n°5, et l'extraordinaire marché persan polytonal.
♦ Je me suis demandé pourquoi, @ONCT_Toulouse,
dans le final de l'Oiseau,
les altos et violoncelles en homophonie tiraient-tiraient
♦ pour les uns et tiraient-poussaient pour les autres. Vu le niveau
hallucinant, pas une simple divergence des chefs de pupitre ?
Pour le reste, toujours cet engagement impressionnant chez cet
orchestre. Pourtant je n'ai pas tout à fait sombré dans la douce
hystérie de l'extase musicale, justement parce que cette perfection un
peu « internationale » n'a pas autant de saveur pour moi que les
petites tensions, les petits accidents d'une formation plus modeste, ou
que des couleurs très typées. C'était magnifique néanmoins.
Je ne suis pas étonné que Xavier
n'aime pas Aladdin, et j'ai trouvé plus de limites à la pièce
en vrai qu'au disque, j'en conviens (notamment à cause des basses
toujours un peu épaisses chez Nielsen, contrebasses très mobiles mais
ça manque d'assise au bout du compte). Néanmoins c'est une très belle
œuvre, tirée d'une musique de scène pour Oehlenschläger, le passeur de
Goethe au Danemark et le modèle du jeune Ibsen – qui s'est servi du Håkon
hin Rige comme de canevas pour ses Prétendants à la Couronne,
une de ses meilleures pièces à mon avis. Bref, il faut le voir comme de
la musique scénique, et dans ce cadre, je trouve que son pouvoir
évocateur est assez puissant.
Par ailleurs, il y a quelques moments de bravoure comme le marché
polymodal, même s'il manquait le chœur ad libitum (et j'ai
trouvé, ici comme à plusieurs reprises dans le concert, que les
trombettes-trombones-tuba écrasaient un peu le reste du spectre, par
moment, surtout dans une salle où les cordes sont statutairement
défavorisées). C'est quand même remarquablement consistant pour un
hors-d'œuvre, par rapport aux jolies ouvertures qu'on nous sert parfois.
Pour l'amplification, je m'empresse de préciser que Marianne Crebassa
n'en a absolument pas besoin, et que du même endroit, on l'entendait
très bien auparavant. Mais là, ce son très global qui semblait sortir
des murs du parterre (simultanément à l'émission du son) était très
suspect.
J'étais apparemment assez seul à l'avoir remarqué (en revanche, un
autre spectateur m'a dit qu'il y avait eu de la sonorisation manifeste
pour l'Orfeo des Arts Florissants…), et la Philharmonie m'a
répondu catégoriquement que non, seuls les récitants étaient sonorisés.
C'est
étrange, dans la mesure où les instruments traditionnels du concert
Savall avait aussi été sonorisés, et où j'avais entendu entendu
Crebassa, même salle, mêmes places, de façon très projetée, mais sans
cette impression qu'elle a des bouches dans les murs. Vous
voyez, vous voyez, je parle déjà comme Maeterlinck… Je ne suis
pas pleinement convaincu (et ça m'a vraiment gêné, pas à cause de la
sonorisation, mais du résultat moins net qu'auparavant), mais je ne
veux compromettre la réputation de personne, donc je ne conteste pas
leur réponse (avant plus ample mesure, du moins).
27 avril Qui a tué la bonne à la tâche ?
Spectacle de la classe théâtrale (Emmanuelle Cordoliani) des étudiants
en chant du CNSM.
Salle Maurice Fleuret.
♦
Épatant spectacle au @CnsmdParis autour de la
domesticité : beaucoup de très beaux ensembles rares (Le Docteur Miracle de Bizet, Reigen & Miss Julie de Boesmans…),
♦ .@CnsmdParis avec certains de
mes chouchous (la subtile M. Davost, le tellurique E. Fardini), et de
très belles découvertes (les mezzos !).
→ Je vois au passage, dans le nouveau
programme de l'Athénée, qu'Edwin Fardini obtient un récital entier, au
même titre que Marianne Crebassa ou Stanislas de Barbeyrac, j'avais
confiance en son avenir (les voix graves aussi maîtrisées, et aussi
sonores, sont rares !), mais je suis enchanté de le voir se concrétiser
aussi vite.
♦ Déjà vu A. Charvet en photo, mais pour les deux autres, je vais mener
l'enquête, il manque un nom dans le programme. Bientôt sur CSS.
→ Après enquête : j'avais donc
particulièrement aimé le tempérament d'Ambroisine Bré. La voix est un
peu douce, pas forcément très grande projection, mais un scène de la
scène évident et une très belle musicalité.
♦ Deux heures sans entracte habitées de bout en bout, dans une
exploration littéraire et musicale suggestive et très complète ! @CnsmdParis
♦ Jamais vu de chœur au Concert des
Nations de Savall (l'Orfeo ne compte pas vraiment). Apparemment ad hoc,
excellent français !
#Alcione
♦ Une des choses étonnantes, à Alcione, était que Jordi Savall, qui bat
sur le temps, dirigeait aussi tous les récitatifs. Inhabituel.
♦ La Marche des Marins d'Alcione de Marais a vraiment des parentés
étonnantes avec Auprès de ma blonde (exactement la même époque).
Au chapitre des surprises, les solistes (Hasnaa Bennani et Marc
Mauillon, du moins), chantaient dans les chœurs. Quelle surprise
fulgurante que d'entendre la partie de Mauillon (partie de taille,
naturellement moins exposée dans les chœurs que les dessus et basses…)
faire tonner les contrechants des chœurs infernaux, à l'acte II !
Sinon, globalement, un spectacle qui ne m'a pas démesurément
enthousiasmé : la salle de l'Opéra-Comique n'a pas la meilleure
acoustique du monde (un peu étouffée) et surtout la scène sans cadre
choisie par Louise Moaty laissait les voix se perdre… Cyril Auvity ou
Sebastian Monti étaient inhabituellement fluets vocalement, alors que
ce soit d'excellentes techniques assez glorieuses pour ce répertoire.
Metteurs en scène, vraiment, avoir un mur de renvoi n'est pas un
accessoires, ça change tout pour faire porter la voix, et donc
l'émotion, des interprètes. Et sans doute pour leur confort vocal –
donc pour leur liberté scénique.
Néanmoins, alors qu'il s'agit de l'une des tragédies en musique
d'avant-Gluck que j'aime le moins, d'assez loin, je ne me suis pas
ennuyé un seul instant et y ai enfin trouvé des clefs d'écoute.
9 mai Récital de la classe d'ensemble
d'ensembles vocaux du CNSM : Pelléas, Chabrier, les Cendrilon.
Salle Maurice Fleuret.
♦ Ce soir au @CnsmdParis :
ensembles vocaux tirés des Cendrillon d'Isouard, Viardot, Massenet (duo
et scènes du premier tableau du III), plus Pelléas (fontaine et souterrains !)
et L'Étoile de Chabrier
(quatuor des baisers).
♦ Vous avez eu tort de ne pas venir… Je suis encore tout secoué de ce Pelléas de Marie Perbost,
Jean-Christophe Lanièce et Guilhem Worms… au disque, le piano paraît
mince,
♦ .@CnsmdParis mais dans une
petite salle, le piano de Damien Lehman en révèle toutes les aspérités
rythmiques et harmoniques… quel voyage !
♦ (et puis le plaisir plus superficiellement narcissique d'avoir eu
raison contre un prof du CNSM sur une question de chronologie)
#NonMais
11 mai Récital de la classe de lied et de
mélodie de Jeff Cohen au CNSM
Salle d'orgue.
Rituel annuel pour moi, l'événement qui m'a rendu indéfectiblement
fidèle au CNSM… entendre d'excellents techniciens vocaux pas encore
abîmés par les violences de la scène, accompagnés par de vrais
accompagnateurs inspirés (et pas leur chef de chant perso ou le
pianiste soliste à la mode), dans des programmes variés et souvent
originaux. Pour le lied et la mélodie, c'est très rare.
♦ Et puis ce sera @CnsmdParis. Pas de #MarrecProtégés
ce soir (et un nouveau venu), mais quel programme !
Nuits persanes de Saint-Saëns, Fables de La Fontaine de Caplet, Songs of Travel de Ralph Vaughan Williams…
♦ Superbe découverte d'Olivier Gourdy,
les Nuits Persanes incluaient
les mélodrames de Renaud, et Pierre
Thibout (1,2) toujours aussi prégnant !
→ Les Nuits persanes
sont une orchestration / réorganisation des Mélodies persanes de Saint-Saëns, son plus bel
ensemble de mélodies. Ici jouées avec piano, mais dans l'ordre du poème
symphonique, et avec les parties déclamées sur la musique et les
interludes (réduits pour piano).
Olivier Gourdy est un
enchantement : une voix grave radieuse et maîtrisée, pas du tout ces
beaux naturels frustes qu'on rencontre si souvent dans ces tessitures
(l'aigu est très bien bâti, ici). Ses extraits du Winterreise étaient assez forts, et
assez exactement calibrés pour ses qualités expressives.
12 mai Bizet – Les Pêcheurs de Perles – Fuchs, Dubois, Sempey, ON Lille,
Alexandre Bloch
Au TCE.
C'était le rendez-vous du tout-glotto
parisien – ce qui, en raison de mes mauvaises
fréquentations, ne m'a que fort peu laissé le loisir de rédiger quoi
que ce soit.
J'ai été tout à fait enthousiasmé par la direction d'Alexandre Bloch : chaque récitatif
est ardent, l'accompagnement pas du tout global et un peu mou, mais au
contraire calqué sur le drame, tranchant, expansif. Et une gestion des
libertés rythmiques des chanteurs qui montre un grand talent de fosse.
Le National de Lille n'est pas l'orchestre le plus joliment coloré du
monde (toujours un peu gris), mais il compense totalement par cette
énergie, en faisant des Pêcheurs
un drame palpitant plutôt qu'une jolie carte postale
(extrême-)orientalisante.
Côté glottologie :
¶ Julie
Fuchs gère remarquablement l'élargissement de sa voix, sans
sacrifier la diction ni la couleur, avec beaucoup de naturel – je ne me
figure pas le travail gigantesque que ce doit être pour passer aussi
promptement des coloratures les plus légers à de vrais lyriques.
¶ Cyrille Dubois est un peu
limité par la puissance, mais la qualité de la diction est, là aussi,
très bonne. Je trouve qu'il ajoute un peu de patine à sa voix, la
projette moins franchement, pour semble un peu plus lyrique, mais rien
de bien méchant. Et les glottophiles purulents (pourtant très nombreux
dans la salle) ont grandement acclamé son air malgré la nette rupture
vers le fausset de sa dernière phrase. Si même les
glottophiles-héroïques se mettent à s'intéresser à l'essentiel, le
monde peut peut-être être sauvé.
¶ Agréable surprise chez Florian
Sempey, dont j'ai déjà eu l'occasion de dire qu'il incarnait
assez exactement une façon de (bien) chanter que je n'aime pas, du tout
: voix trop couverte (ce qui abîme la diction, aplanit son
expression et limite sa projection), une seule couleur vocale, nuances
dynamiques très limitée (du mezzo-piano
au forte, pas beaucoup plus),
postures de fier-baryton assez univoques… Pourtant, dans le rôle payant
de Zurga, qui a depuis toujours – comme en atteste ceci, gribouillé alors que je n'avais pas dépassé
ma vingtième année… – attiré mon plus grand intérêt, je remarque au
contraire qu'il fait l'effort de moins couvrir le haut de la tessiture,
ce qui réinsuffle de la couleur et limite les aigus. D'une manière
générale, le personnage, sans disposer d'une gamme de nuances infinies,
fonctionne bien, pas du tout de frustration cette fois-ci, même si je
pourrais citer des dizaines d'autres titulaires plus à mon gré (et
moins chers).
Schadenfreude assumé : Sempey
fait une grosse contre-note (à vue d'oreille un la, un si bémol,
quelque chose comme ça, d'un peu exceptionnel pour un baryton) à la fin
d'une pièce collective (il faut que je réécoute la bande pour redire
laquelle)… il prend la pose et attend les applaudissements… tandis que
le public, qui n'est pas sûr de devoir applaudir à chaque numéro,
hésite et ne se décide pas. C'était cruel, parce qu'il réalisait
vraiment un joli exploit, mais j'avoue que j'étais assez content qu'il
ne soit pas récompensé pour étaler de la glotte pure. (Très beau succès
aux saluts au demeurant, et assez mérité.)
Très belle soirée, et en réécoutant cette œuvre
(celle que j'ai le plus vue sur scène, je m'aperçois, à égalité avec le
Vaisseau fantôme et Così fan tutte !), je suis une fois
de plus saisie par l'absence absolue de superflu : tout est marquant,
intense, inspiré, pas une seconde ne paraît un pont simplement
nécessaire, un petit remplissage statutaire. Peu d'œuvre ont cette
densité en mélodies incroyable, cette variété de climats, tous
superlatifs, qui s'enchaînent. Même dans les airs, souvent le point
faible en la matière, rien à moquer – « Me voilà seule dans la nuit »
est même à placer au firmament de tous ceux écrits. C'est encore le duo
d'amour que je trouve le moins renouvelé.
Elle est revenue en grâce, j'ai l'impression, après
une éclipse dans les années 70 à 2000 avec l'internationalisation du
répertoire, et cette fois-ci en grâce à l'échelle du monde… Ce n'est
que justice, je ne vois pas beaucoup d'opéras français du XIXe siècle
de cette constance – que ce soient les tubes comme Faust ou les gros chefs-d'œuvre
comme Les Huguenots. Et
particulièrement accessible avec ça.
15 mai Debussy – Pelléas et Mélisande – Ruf, ONF, Langrée
Au TCE, avec Petibon, Bou, Ketelsen – et Courcier, Brunet, Teitgen.
Pour
l'instant, étrangement, ça ne m'a toujours pas bouleversé en salle…
[...] Non, même Braunschweig, c'est vraiment l'œuvre qui ne prend pas.
Au piano (alors que je n'aime pas Pelléas au piano d'ordinaire) ça
passait bien mieux lors d'extraits entendus mardi au CNSM… c'est assez
étrange.
Je tâcherai de me
placer au-dessus de la fosse pour profiter de l'orchestre, au TCE, on
verra si ça change quelque chose.
En effet. Je suis sorti complètement euphorisé
de l'expérience, chantant les répliques des cinq actes dans le désordre
dans les rues parisiennes…
Distribution vraiment parfaite pour les six principaux,
orchestre incroyablement intense, mise en scène sobre, adaptée au lieu
(angles de vue réduits), pas mal vue… et puis la musique et le texte,
toujours immenses.
C'était une orgie du début à la fin. Je ne veux plus jamais écouter de
musique, voilà, c'est fini.
La conversation se poursuit :
● [Bou]
J'étais étonné
qu'il chante encore Pelléas à ce stade de sa carrière, alors qu'il fait
beaucoup de rôles de barytons graves, voire de basses baroques. Donc
j'étais enchanté de l'entendre : et le côté très mâle de la voix est
compensé sur scène par son allure juvénile – j'ai totalement acheté le
côté postadolescent.
Pour les aigus, c'est vrai, c'est étonnant, la
voix est magnifique et extraordinairement épanouie dans les aigus,
jusqu'au sol 3, très facile, sans aucune fatigue… mais les sol dièses
sont difficiles, presque escamotés, et les la 3 ratés en effet. Mais
honnêtement, je m'en moque… ces la ne sont pas forcément des points
culminants, et le second, amené par une phrase entière en fausset,
s'intègre très honnêtement au reste.
● [Ketelsen]
La voix perd en impact lorsqu'il chante
fort, se plaçant plus en arrière et couvrant beaucoup, mais sinon,
c'est vraiment du cordeau. Hier soir, un mot manquant (pas le seul, pas
mal de décalages, Petibon et Teitgen, surtout – quelques-uns vraiment
évident, mais sinon, difficile de faire autrement, sur scène dans cette
œuvre) et un déterminant changé (« le » au lieu de
« mon », quelque chose comme ça…), c'est tout. Diction
immaculée, vraiment digne d'un francophone, voix franche… un peu sombre
pour mon goût personnel, mais vraiment au-dessus de tout reproche, et
très convaincant, même physiquement dans son rapport à la mise en
scène.
● [Petibon]
J'aurais cru que tu n'aimerais pas ces
sons droits (à un moment, elle fait même un son droit qui remonte, à la
manière des « ah ! »
de la tragédie lyrique ), mais oui, tout est très maîtrisé. J'aime moins la
voix que Vourc'h, mais en salle, elle m'a plus intéressé, comme plus
libre – possiblement parce que j'étais beaucoup plus près.
C'est vrai qu'elle chante le rôle depuis longtemps, en plus (j'ai une
bande au NYCO au début des années 2000, avec piano). Elle a beaucoup
mûri sa voix et son personnage (pas aussi intéressant à l'origine,
évidemment).
●
Pour moi,
on peut déjà considérer, si on ne regarde pas aux quelques notes
manquantes chez Bou ou décalées chez les autres, qu'on est dans la
perfection, si on considère le résultat. Souvent, il y a un chanteur un
peu moins bon (ici, c'était Arnaud Richard en berger et médecin, ce
n'était pas bien grave), quelque chose qui ne prend pas. Non, vraiment
pas ici. Et l'orchestre était l'un des plus beaux que j'aie entendus
dans l'œuvre, peut-être même le plus beau, le plus intense, le plus
détaillé.
Ou sur Twitter, avec peu de détail mais une petite
#PelléasBattle avec plein de citations.
♦ Ce soir. Pelléas. @TCEOPERA. Ce n'est pas ma
fauuuuute !
(C'est quelque chose qui est plus fort que moi.)
♦ « Et la joie, la joie… on n'en a pas tous les jours. »
@TCEOPERA#RandowStyle
♦ Mais tout est sauvé ce soir. Quelle
musique, quel texte, quel orchestre formidable ( @nationaldefce
), quel plateau parfait !
♦ Même la mise en scène de Ruf, très sobre,
bien conçue pour ce théâtre, fonctionne parfaitement. Et Langrée
respire l'expérience partout.
♦ Assez hystérisé ce soir ; et déjà une demi-douzaine
de notules en vue sur plein de détails. \o/
#PelléasRulz
♦ Complètement euphorisé, je chante les répliques des
cinq actes dans le désordre dans les rues de Paris…
♦ Yniold exceptionnel,
déjà, et tous les autres aussi, à commencer par l'orchestre. Ce
hautbois solo, ce cor anglais, ces cors, ces altos !
♦ @OlivierLalane@ChrisRadena
L'illusion était remarquable : à côté, même Julie Mathevet, c'est
Obraztsova !
♦ @guillaume_mbr Il faut dire que le V est
toujours un peu tue-l'amour, et que Langrée réussit paradoxalement plus
de continuité dans lII,4 que le IV,2 !
♦ Mais même au V, la séquence de Golaud insoutenable, et cet ut dièse
majeur final dont on voudrait qu'il ne finît jamais !
♦ Pelléas, c'est un comme les épisodes de Star Wars, farci d'Easter eggs pour les fans… le
nombre d'autoréférences discrètes, incroyable.
♦ Et les fans sont tout aussi fanatisés, bien sûr. Avec raison. (Pas
comme avec le poète du dimanche Wagner.)
♦ Bien, je vous laisse, je dois arranger mes cheveux pour la nuit.
(Pourquoi avez-vous l'air si étonnés ?)
24 mai Mahler, Symphonie n°2, Orchestre
de Paris, Daniel Harding.
À la Philharmonie de Paris.
Au
chapitre des anecdotes, A. Cazalet a couaqué, pané et pigné tout ce
qu'on voudra, comme quoi être méchant n'est pas gage de qualité
artistique. (Je
dis ça je dis rien.)
Après Cologne, passage par la
Philharmonie, donc. J'ai beaucoup aimé la conception de Harding, des
cordes très mordantes (j'aime beaucoup dans l'absolu, mais c'est
véritablement salutaire dans cette salle où elle sont statutairement
défavorisée), des détails très lisibles, une battue bien régulière et
un tempo rapide. C'était même un peu droit à la fin, sans ruptures de
métrique spectaculairement audibles, mais très beau néanmoins sur
l'ensemble du parcours – de loin le plus beau premier mouvement que
j'aie entendu, peut-être même en incluant disques et bandes.
Seule petite frustration très
évitable : l'orgue distrait trop à la fin, et couvre le chœur, ça
enlève l'impression d'apothéose patiemment bâtie et se fond mal avec le
reste. Par ailleurs trop fort, pas adroitement registré, ça ne
fonctionnait pas et empêchait de s'intéresser simpement à la fin – un
peu comme ces percussions exotiques que tout le monde regarde au lieu
d'écouter la musique…
Mais enfin, c'était excellent, le
moelleux des trombones (et du tuba, on n'a pas tous les jours de beaux
tubas !), le hautbois solo très présent, les fusées de cordes
extraordinairement nettes, l'impression d'un ensemble vraiment engagé,
d'une progression permanente… J'ai trouvé l'orchestre encore meilleur
que sous Järvi.
Et l'œuvre, je n'en dis rien parce
que ceux qui vont poster dans ce fil ou le lire l'ont tous dans
l'oreille, mais c'est bien beau tout ça.
Sur l'orgue spécifiquement :
J'ai trouvé ça étonnant aussi, mais à mon avis c'est
difficile à régler dans cette salle (sur le côté du second balcon de
face, j'entendais clairement plus l'orgue d'une oreille que d'une
autre), et surtout ça tient à l'instrument de type néoclassique : il
n'y a pas l'épaisseur d'un bon Cavaillé-Coll, c'est tout de suite
translucide, des sons blancs qui traversent l'orchestre et se fondent
mal.
D'une manière
générale, de toute façon, je n'aime pas ces ajouts d'orgue dans les
finals : ça détourne l'attention, et ça prive finalement de l'essentiel
(pour quelques pauvres accords plaqués qui figurent déjà dans
l'orchestre et le chœur…). Le moment où l'humanité du chœur advient, on
nous met une grosse bouse au timbre complètement distinct par-dessus,
et entrecoupée de silence, difficile de rester dans la musique.
Donc ce n'est pas
tant la faute de Harding à mon avis, mais ce n'est pas pire que si mon
voisin avait un peu gigoté à ce moment, ça ne ruine pas non plus un
concert.
25 mai Motets de Buxtehude, Bernier et
Telemann par Françoise Masset.
À Saint-Saturnin d'Antony
♦ Mission Françoise Masset <3 cet
après-midi, avec Bernier, Buxtehude (un motet-chaconne) et Telemann, à
Antony.
→ Avec les deux
violonistes du quatuor Pleyel.
♦ Nous sommes 3 spectateurs dans la salle et ça
commence dans un quart d'heure. #oh
♦ J'aime beaucoup le tout jeune
gothique de Saint-Saturnin.
♦ Finalement s'est rempli au dernier moment, plutôt bien.
Diction toujours incroyable et l'aigu toujours aussi lumineux. <3
♦ Motet de Bernier qui mélange les sources
liturgiques, traitement très virtuose et italien, pas le Bernier que
j'aime le plus.
♦ En revanche, Telemann extraordinairement expressif,
et Buxtehude débridé (une chaconne à quatre temps en feu d'artifice !).
C'est épatant : Françoise Masset a toujours eu un timbre avec une belle
clarté sur une sorte d'appui blanchi, comme une voix mûrissante, et il
n'a pas bougé d'un pouce depuis ses débuts. Et toujours ce sens
particulier de la diction.
28 mai Orgue baroque français,
contemporain français, et improvisations saxophone-orgue. Chapelle Saint-Louis de la Pitié-Salpêtrière.
♦
Concert du Mage / Clérambault et improvisations
saxophone-orgue à Saint-Louis de la Pitié-Salpêtrière.
♦ Orgue vraiment difficile (un peu grêle, plusieurs jeux à
réharmoniser),
♦ et on sent (inégalité et agréments) que ce n'est pas le répertoire
premier de l'organiste. Néanmoins chouette alternance !
♦ Pas adoré la pièce d'Yves Arques : Décroissance ne figure guère son
programme (économique !), et n'apporte pas grande substance musicale. ♦ En revanche, Noire Acmé de
Tom Georgel, sorte de rondeau modernisé, est immédiatement opérant, et
très agréable.
♦ Malgré ses appuis nettement écrits, la Chaconne de Buxtehude flotte
comme un canevas harmonique brahmsien ; pas évident de jouer sur cet
orgue.
♦ Les tuilages de la Canzone de Bach, est-ce une question de pratique,
sont beaucoup plus nets et mieux registrés.
♦ Dans ce plan en étoile un brin labyrinthique, on trouve aussi un
orgue de chœur dans un coin (mais pas d'antiphonie possible).
♦ Ultima latet – la dernière
heure t'est cachée. La maxime oklm dans un hoſpital.
Et d'autres remarques sur l'iconographie du lieu dans le fil Twitter correspondant.
2 juin Déserts de Varèse et Dracula de Pierre Henry.
Le second dans une version ré-instrumentalisée (à partir des bandes
magnétiques d'origine).
♦ C'était donc le @theatreathenee, au détour d'une
issue de secours qui n'est manifestement destinée qu'au péril imminent.
Quel dépaysement !
♦ Toujours aussi indifférent à la partie bande de Déserts de Varèse. La
partie instrumentale, tant copiée depuis, très impressionnante.
♦ En revanche je la trouve plus agréable en retransmission que dans un
petit théâtre (toujours fort volume !).
♦ C'est aussi le risque de monotonie avec les pièces sans discours
harmonique repérable (malgré les échos de strates / motifs / timbres).
♦ Néanmoins, je suis très content, je voulais découvrir l'œuvre en
salle depuis longtemps et ça fonctionne plutôt bien.
♦ Je suis à présent en train d'écouter l'arrangement pour ensemble de
Dracula de Pierre Henry… à l'extérieur de la salle !
♦ Tuba contrebasse à fond, grosse caisse permanente, et surtout le son
blanc des haut-parleurs. Même derrière les portes, ça fait mal !
♦ J'avais été avisé de me placer à l'écart, je n'ai pas été piégé !
♦ Et puis ce n'est pas comme si je perdais la subtilité extraordinaire
de la musique d'Henry :
♦ serviles ressassements des préludes de Siegfried et Walküre, avec
ajouts de petits bruits d'oiseaux ou de clochettes,
♦ saturation permanente de l'espace sonore… cela manque tout simplement
d'esprit, un comble quand on utilise Wagner.
♦ On croirait qu'Henry s'est arrêté aux disques d'ouverture et n'a
jamais vraiment écouté Wagner pour jouer les mêmes scies très peu
variées !
♦ Seul micro-moment de grâce, la fin de l'orage de la Walkyrie, où «
Wes Herd dies auch sei » est esquissé par un piou-piou. Sourire.
♦ Je ne quitte *jamais* un spectacle avant terme, hors contraintes
physiques majeures,mais devoir écouter la fin de l'extérieur, jamais
fait !
♦ Voilà que c'est pareil pour le Crépuscule, on dirait qu'il n'a écouté
que le début du Prélude du Prologue. |:-|
♦ Et je commente en direct le concert à la manière des événements
sportifs, une première aussi ! :o
♦ En attendant la fin – comment peut-on rendre Wagner si gras et si
trivial ?
(la réponse pourrait contenir le mot
tubas) –
♦ Comble de pied-de-nez, la pièce s'achève juste avant un moment
parfait pour ces nombreux cuivres,
♦ sur un accord non résolu, celui qui précède l'éclatement du thème du
Walhall dans Rheingold. #insoutenable#DéclarationDeGuerre
22 mai Récital de la classe d'accompagnement
vocal d'Anne Le Bozec.
À la cathédrale Saint-Louis des Invalides.
Le fil Twitter peut en être suivi ici.
♦ Invalides : récital de lied (classe d'accompagnement A. Le Bozec @CnsmdParis) déplacé dans la
cathédrale pour cause de courses automobiles !
♦ Étonnant, quantité de gens « importants » (musiciens, journalistes
célèbres) dans l'assistance, pour un récital d'accompagnement du CNSM.
♦ (quand ce n'est pas aux Invalides, la nature de l'auditoire est assez
différente)
♦ Des Wagner en français, des pièces de circonstance évoquant la
défaite de 70… et tout cela remarquablement joué.
♦ Même la pièce de J.-B. Faure n'est pas son tube Les Rameaux (mais
tout aussi simple et persuasif !).
Un programme épatant : mélodies et
lieder de Liszt, deux Wagner en français, Cornelius, Jensen,
Rheinberger, Saint-Saëns, Bizet, Massenet, Duparc, d'Indy, Chausson…
à quoi s'ajoutaient les Souvenirs de Bayreuthde
Fauré & Messager (sans reprises, mais intégraux, joué comme de la
grande musique par Jean-Michel Kim et Simon Carrey !) et, sommet de
l'ensemble, cette chanson de Jean-Baptiste Faure – grand baryton, et
compositeur simple et efficace dont on a beaucoup joué (moi inclus) sa
mélodie sur Les Rameaux (une
faveur qui se poursuit chez les anglophones). Ici, Pauvre France !, une évocation
cruelle de la défaite de 1870, avec sa Marseillaise en lambeaux.
Outre mes chouchous vocaux (le glorieux Edwin Fardini, la délicate
Cécile Madelin, la prometteuse Makeda Monnet, le moelleux de Brenda
Poupard…) dont j'ai eu plusieurs fois l'occasion de parler, l'occasion
d'apprécier les accompagnateurs, tous excellents sans exception. Quelle
différence avec les sous-pianistes de jadis, qui n'exprimaient rien
d'autre que la terreur de couvrir la voix du soliste.
Parmi cette excellente troupe, de belles choses à signaler plus
particulièrement : ainsi Jeanne Vallée
manifeste une précision miraculeuse dans l'accompagnement, toujours exactement au même endroit que sa
chanteuse, même dans les parties librement déclamées ; ou bien Cécile Sagnier, pour de belles
constructions sonores – un beau crescendo
enveloppant dans le « Tournoiement » des Mélodies persanes (encore !) de
Saint-Saëns.
Et surtout Célia Oneto Bensaid,
déjà une très grande : des traits (et ces petites anticipations de
basse caractéristiques) dignes des pianistes solistes dans le Liszt
virtuose de Die drei Zigeuner, qui n'empêchent
nullement une transparence très articulée, jusque dans l'insignifiant
accompagnement harpé de la Romance
de Mignon de Duparc où la transparence absolue et la finesse de
l'articulation forcent le respect… le tout déposé sur un son d'une très
grande classe. Un accompagnement de cette qualité dispense quasiment de
disposer de bons chanteurs, rien que l'écouter nous raconte tous les
mots du poème.
C.
Absences
Pour être encore un peu plus long, je mentionne que je n'ai pas pu tout
faire : j'aurais voulu voir Tafelmusik
à Écouen par des membres du CNSM, Ce
qui plaît aux hommes de Delibes au Théâtre Trévise par les
Frivolités Parisiennes, la Cinquième Symphonie de Sibelius par la BBC
Wales à la Seine Musicale, le programme Lalo-Dukas-Ravel des siècles,
la Médée de Charpentier par
Pynkosky et Toronto, le programme Vierne-Podlowski-Koster de Vincent
Lièvre-Picard au Conservatoire de Fresnes, l'Ascension de Messiaen et
la Sixième Symphonie de Widor à Saint-Sulpice, Louis Saladin et
Salomone Rossi par un chantre du CMBV aux Menus-Plaisirs, l'Exquien de
Schütz et des motets de la famille Bach par Vox Luminis, Lura à
l'Espace Cardin, les grands motets de Lalande par Dumestre et Šašková à
la Chapelle Royale, le demi-Winterreise de Bostridge-Drake avec du
Britten au Musée d'Orsay, Charpentier par La Chanterelle et Martin
Robidoux, entendre enfin l'ensemble vocal explorateur Stella Maris…
J'avais même prévu de marcher 15km aller (et autant retour) pour voir
le trio chouchou Sōra dans Chausson (et Kagel et
Ravel) à Villecerf, loin de tout réseau hors transport scolaire, mais
par les premières grosses chaleurs (30°C ce jour-là, et sur terrain
découvert), ce n'était pas raisonnable.
Mais, pour des raisons de simultanéité / prix / disponibilité
professionnelle / circonstances / envie, j'ai dû me contenter du (déjà
trop large) contenu exposé ci-dessus.
D.
Balades
Enfin, puisque la saison s'y prête, j'ai aussi mené quelques périples
sylvestres (souvent nocturnes) dont certains commentés : la rencontre
de Jeanne Poisson en forêt de Sénart, le bois des Roches de Saint-Chéron (avec un bout d'Exposition Universelle), la voie Louis XIII en forêt de Verrières, ou encore
dans les champs de blé de la plaine de France, seul au milieu des
sangliers (périple complet)…
Voici
pour ces points d'étape. À bientôt pour de nouvelles aventures !
Ce billet, écrit à par DavidLeMarrec dans la catégorie Saison 2016-2017 a suscité :
Puisque
je n'ai pas le droit de m'en abstraire (oui, on m'a crié qu'on
m'aime, et je bougonne, parfaitement),
voici quelques petites recommandations pour le mois de juin à Paris et
un peu au delà, avant de basculer dans l'univers assez différent des
concerts d'été.
Cette fois encore,
pour des raisons de praticité, je me
limite à une
petite expansion de ce que j'ai déjà collecté pour mon usage personnel,
donc en région Île-de-France essentiellement. La sélection ne se limite
pas à Paris ou, du moins, est faite après la lecture des programmes de
la plupart des salles de la région – en musique en tout cas, puisque
l'offre de théâtre est tellement incommensurable que je me limite à
indiquer quelques-unes de mes marottes.
Je proposerai plus tard un retour sur les différents concerts vus en
mai et non couverts par la dernière notule de bilan.
C'est que je souhaite, comme déjà exposé, limiter le temps passé à la
chronique du temps pour explorer plutôt les œuvres, comme fait
récemment avec Alcione de
Marais, le théâtre de marionnettes de Maeterlinck, les musiques de
scène de Chausson ou le répertoire du triangle… Le temps d'écriture
étant structurellement limité (ne serait-ce que par le temps passé à
voir les spectacles, et à écouter les disques, à lire les partitions…
et par tout le reste d'une vie), autant le faire porter sur des
domaines où l'offre est moins abondante que le commentaire de
spectacles.
En rouge figurent les concerts qui me paraissent particulièrement
prometteurs – je n'irai pas nécessairement, mais je suis confiant sur
l'intérêt des œuvres et/ou le résultat.
Ou bien, une autre possibilité
d'activité en juin.
(Clairière française stéréotypique, presque caricaturale,
trouvée à l'Est de Saint-Chéron –
pris le 13 mai dernier à 19h21, si vous êtes curieux.)
Baroque italien
☼ Madrigaux de Marenzio, Luzzaschi, Le Jeune,
Monteverdi et Flecha pour le récital de fin d'études d'une chantre du
CMBV (voix de dessus). Bibliothèque municipale de Versailles, le 21 à
19h.
☼ Vêpres de Monteverdi par
Pichon le 11 à la Chapelle Royale de Versailles. En avant les couleurs !
☼ Concert de fin d'études d'un chantre du CMBV (haute-contre) dans des
œuvres (rares) de Salomone Rossi
et Louis Saladin. Hôtel des
Menus-Plaisirs (Versailles), le 30 mai à 19h. Gratuit.
Baroque français
♥ Concert de fin d'études d'un chantre du CMBV (haute-contre) dans des
œuvres (rares) de Salomone Rossi
et Louis Saladin. Hôtel des
Menus-Plaisirs (Versailles), le 30 mai à 19h. Gratuit.
♥ Airs de cour Louis XIII par
l'ensemble Correspondances : Constantin
(l'un des compositeurs du Ballet de
la Nuit), Boësset et Moulinié. Le 11 à 18h30, Maison de
la Radio.
♥ Airs de cour de Lambert et Charpentier par l'Yriade et son
directeur musical Cyril Auvity. Opéra-Comique, le 16.
♥ Grands motets de Lalande à
la Chapelle Royale les 30 et 31 mai. Pas les plus intéressants à mon
sens, incluant notamment le fameux Te
Deum, loin d'être son œuvre la plus rafinée comme le Confitebor ou surtout le miraculeux
Jubilate Deo omnis Terra,
enregistré une seule fois par Colléaux, jamais réédité ni réenregistré.
Mais c'est le Poème Harmonique qui officie, et avec littéralement les
meilleurs : Šašková, Negri, Auvity, Clayton, Morsch !
♥ Charpentier sacré aux
Blancs-Manteaux le 1er : Messe des morts, Te Deum, Dixit Dominus, par
le chœur amateur La Fontenelle, préparé toute l'année par l'excellent
spécialiste Martin Robidoux. Seul obstacle : le prix, 20 à 25€
pour un chœur amateur (et des œuvres qui ne sont pas, hors du Dixit Dominus, si rares).
♥ Rattrapage possible pour Alcione
de Marais, donnée à l'Opéra
Royal de versailles le 9 et le 11.
♥ L'Ode de Fortune de Pancrace Royer par une basse-taille
chantre du CMBV (récital de fin d'études) le 7 à 19h, à l'Hôtel de
ville de Versailles. Gratuit.
XVIIIe siècle
□ Royer et Duphly,
les aspects spectaculaires puis galants du clavecin du milieu du XVIIIe
siècle par les élèves du Conservatoire du VIIe arrondissement, à
l'Hôtel de Soubise, le 28.
□ Immanquable, la résurrection de laPhèdre de Lemoyne,
l'un des grands succès
de la période post-gluckiste, un compositeur dont on n'avait encore
rien. Aux Bouffes-du-Nord, Julien Chauvin la remonte en version de
chambre pour 4 chanteurs et 10 instruments. Sa dernière tentative dans
ce genre, pour Atys de
Piccinni (mais en plus seulement sous fortme d'extraits), était un
enchantement. Du 8 au 11 juin, tarif unique de 30€.
□ Amandine Beyer et du pianoforte, dans Mozart et Dussek notamment. Seine Musicale, le
24 à 16h30.
Opéra
romantique français
† La Princesse de Chypre d'Halévy
le 7 au TCE (Gens, Niquet). L'œuvre (je l'ai jouée, il y a lontemps)
n'est pas le plus grand Halévy, clairement, loin des fulgurantes, même
ponctuelles, de La Juive ou
de Charles VI
(« jamais en France, jamais l'Anglais ne règnera »), mais les
récitatifs sont fermement prosodiés et les ensembles nombreux. Ensuite,
mélodiquement et harmoniquement, l'ensemble est un peu chiche : ça ne
ressemble pas à du belcanto romantique, mais ce n'est pas forcément
beaucoup plus complexe – les altérations, il faut les attendres. Comme
l'action avance bien et que sa construction générale tend justement à
exalter le naturel et le théâtre, ce devrait très bien fonctionner en
salle.
J'y serai, mais je vends deux (bonnes) places au-dessous des
prix du marché (25€ au lieu de 30).
† Airs d'opéra français par Brahim-Djelloul, Guèze, Sempey, pas
forcément
la fête vocale pour les deux derniers, mais une très belle sélection
Rossini, Meyerbeer, Halévy,
Thomas, Delibes, Chabrier, Reyer, Messager, Hahn,
Saint-Saëns… Je bouillonne du détail de ce qu'on pourrait donner – même
si je crains qu'une partie soit confisquée par des airs virtuoses
plutôt que par des trios, surtout considérant l'intitulé diva
et la conception co-confiée à Brahim-Djelloul (les autres étant décrits
comme des compléments)… Accompagnement par Pasdeloup, le 11 à 16h30.
[Oh, mais je vois que Julien Dran remplace Sébastien Guèze, excellente
nouvelle, même si je me demande ce qu'on pourra en entendre au fond de
la Philharmonie – enfin, vu que les derniers « réglages » rendent les
voix immenses, peut-être pas.]
† Récital d'opéra français pas trop fréquent (Chabrier notamment) par Arquez et
Bou à l'Opéra-Comique, accompagnement au piano. Devrait être très
intense par ceux-là.
† Le Timbre
d'argent de Saint-Saëns,
que je n'ai jamais écouté ni lu (mais les opéras de Saint-Saëns sont
tous excellents). Je l'ai déjà dit, j'attends beaucoup Frédégonde, qui a l'air très beau à
la lecture, d'une richesse plutôt comparable aux Barbares,
mais Agnès Terrier nous le survend comme l'un des meilleurs livrets de
tous les temps, et comme une œuvre d'une densité musicale particulière,
alors je tâche de ne pas trop lâcher la bride à mon exaltation et me
contenterai d'être au rendez-vous la bave aux lèvres.
Musique de
chambre romantique et postromantique
→ Les grands standards de la guitare : Weiss
(transcrit, mais comme le luth s'écrit aussi en tierces et quartes, les
doigtés demeurent comparables), Giuliani
(dont la naïveté gracieuse ne manque pas de séduction), Albéniz, Piazzolla, Hôtel de Soubise le 17.
→ Le violoncelle français du
XIXe siècle au château d'Écouen le 10. Franchomme
& friends, je suppose, je n'ai pas encore le programme, mais c'est
manifestement dans une perspective un peu érudite, par des musiciens du
CNSM, ce devrait être intéressant. Gratuit sur réservation.
→ Festival Bru Zane de musique de chambre aux Bouffes du Nord. Très
appétissant, mais cher pour de la musique de chambre (25€, c'est plutôt
de l'entrée de gamme pour de l'opéra dans les grandes maisons), alors
que l'offre est déjà riche dans la capitale, donc je ne recommande
qu'avec mesure, même si les interprètes sont remarquables. Quintette de
La Tombelle le 12, Trio de Gouy par le Trio Sōra le 15, récital Gens-Manoff le 16…
[Le Trio Sōra joue un quatuor
de Gouvy, puis se mêle à d'autres musiciens pour des œuvres (un peu)
moins rares : Lekeu, Chanson
perpétuelle
de Chausson. Dans le cadre du festival Bru Zane aux Bouffes du Nord –
toujours le même problème du tarif élevé concernant les standards de la
musique de chambre à Paris, mais ce sera magnifique.]
→ Variations de Bizet (impressionnantes), Appassionato de Saint-Saëns, Rhapsodies de Brahms et Prélude, Choral & Fugue de Franck
par Oppitz salle Turenne le 16. Décidément, après Rzewski plus tôt dans
la saison, le lieu de la virtuosité alternative au piano.
→ Quintettes de Brahms et Castillon
au Musée d'Orsay le 13 à 12h30. Avec Heisser et le Quatuor Cambini
Paris (sur instruments anciens, Julien Chauvin premier violon).
→ Quatuors de Beethoven (n°7)
et Debussy par le Quatuor Akilone. Hôtel de Soubise, le 24.
→ Lucas Debargue, un des jeunes pianistes très intéressants même dans
les répertoires rebattus, à la fois virtuose, exécutant très structuré
et doté d'une réelle personnalité musicale, joue un programme Schubert-Szymanowski à l'église
d'Auvers-sur-Oise, le 29 à 21h.
→ Concert de quatuor au musée Moreau (le 13) : Beethoven 10 et Bartók
5 – mais par des membres de l'Orchestre de Paris, c'est-à-dire avec une
habitude (et un nombre de répétitions surtout !) moindre que chez les
ensembles constitués, même de faible renom (j'avais été frustré par leur Schumann-Kurtág, mais ce reste
valable pour la plupart des quatuors d'orchestre).
Lieder et
mélodies
♪ Programme soprano-guitare avec Julia Jérosme à L'Isle-Adam (21h) le
22. Paganini, Giuliani, Mertz, Tarrega. (20€.)
♪ Wagner (Wesendonck), Brahms,
Gounod, Duparc, Chausson (Chanson perpétuelle), par Deshayes
et Cassard salle Turenne, le 9.
♪ Lieder de Weigl (un
bon
symphoniste post-romantique, assez spectaculaire) à la Maison de la
Radio le 10 à 16h. Couplage (pour remplir, mais pas aussi utile), avec
la Nuit transfigurée (celle
de Schönberg, hélas).
♪ Pour ceux qui se se le demandaient, le programme d'Anja Harteros a
enfin paru : Schubert, R. Strauss, Berg,
pas que des scies au demeurant, mais mon pari insensé « comme son
public est captif, elle va oser la confrontation Pfitzner / Schreker »
était… un pari insensé. Je revends ma place, bien sûr. Ça partira très
vite, faites vite signe si vous êtes intéressé.
♪ Hölderlin-Fragmente et Winter Words de Britten par le duo Bostridge-Drake
(qui jouera auparavant la première moitié du Winterreise, au musée d'Orsay le
1er. Probablement complet, mais ce devrait être bien dans ce petit
espace.
♪ Fabien Hyon propose une fois de plus un programme
original et ambitieux. Au Petit-Palais à 12h30, le 15. Ohana, Falla, Turina, Granados, Canteloube, et les cocasses (pas
musicalement…) Hermit Songs de
Britten.
♪ L'inaltérable Françoise
Masset dans un programme avec guitare à la Maison du Danemark le
14 à 19h.
Musiques
chorales
♫ L'étrange cantate de Niels Gade
autour d'Ossian
est jouée par Laurence Équilbey avec l'Orchestre de l'Opéra de Rouen.
On peut prévoir une exécution qui n'est pas la plus vive pour une œuvre
qui n'est pas la plus saillante, mais le fait même de le donner attise
immanquablement la curiosité – d'autant qu'un commentateur de céans
affirmait, plus tôt dans la saison, que ce n'était pas si mal.
♫ La Maîtrise de Radio-France chante Britten
et Cui (et Lauridsen en français le 20 à 19h à
Bondy. Gratuit.
♫ Le formidable Chœur de
l'Orchestre de Paris donne un programme pour la Fête de
la musique le 21. Et tout l'après-midi se succèderont, dans la cour de
l'Hôtel de Soubise, des concerts gratuits de formats très divers.
Autres
spectacles bizarres
♣ Concert du Prix de direction
du CNSM à la Cité de la musique le 22 (programme peu original, je ne
l'ai pas relevé). Gratuit.
♣ « Symphonie en si mineur »,
reconstitution de fragments de Debussy
par Colin Matthews (également
orchestrateur des Préludes,
me semble-t-il), à la Maison de la Radio le 16. Je préviens, ce n'est
pas très bon : ça ne ressemble pas à du Debussy (même pas vraiment à
celui de L'Enfant prodigue et
du Gladiateur)
et ce n'est pas de la grande musique. C'est surtout le plaisir de voir
écrit sur le poème « symphonie de Debussy », ce qui m'amuse tout autant
que les programmateurs, manifestement.
♣ Un concert-installation
soviétique au Centquatre, le 8.
♣Dracula de Pierre Henry
à l'Athénée, les 2 et 3 juin. Je n'arrive pas à trouver d'informations
précises sur l'œuvre : je me doute bien que ce ne doit pas être un
arrangement servile de l'intrigue de Stoker, mais il doit y avoir Déserts
de Varèse dedans (partie orchestre ou partie bande ? – la première est
un bijou, la seconde… a vieilli), et aussi la présence du Balcon,
ensemble instrumental spécialiste. Quelle est donc la part d'Henry
? Le concept d'ensemble ? Narratif, atmosphérique ?
J'aimerais bien pouvoir déterminer si c'est plutôt une économie
générale façon Lighthouse
ou façon Ismène.
♣ Une création de Czernowin (enfin,
déjà jouée aux Pays-Bas, me semble-t-il, et coproduite avec la
Philharmonie) le 14 à la Cité de la Musique, mais de ce que j'ai
entendu de sa musique vocale, c'est touffu, moche, sans ligne
directrice perceptible et assez vain… mais d'autres aiment beaucoup.
En tout cas, ce n'est pas du contemporain qui trace le lien avec
l'ancien monde, la tonalité, les pôles, plutôt du
contemporain-bricoleur (s'il y a des amateurs, ça se rapprocherait plus
d'une esthétique du genre des Nègres
de Levinas, je dirais).
Je m'étais promis d'écouter l'œuvre avant de dire des généralités
négatives sur la compositrice (qui m'a tellement déplu que je l'ai peu
écoutée, et peux donc me tromper lourdement à son sujet), mais on est
en juin dès le milieu de la semaine et il faut bien que je publie
l'agenda, alors je me limite à la transmission de mon sentiment –
disons que j'ai pris la peine d'écouter sa musique, et que c'est
toujours une première indication sur sa situation stylistique…
♣Diva de Rufus Wainwright – plutôt célèbre
pour ses chansons, notamment sa reprise du Hallelujah de Leonard Cohen (dont
il est le quasi-gendre, bref) dans une version de type ballade, alla
Buckley. Une cantate pour chanteuse lyrique, censée être amusante, bien
faite – consonante, certes, mais sans naïveté, il y a un réel métier
derrière. Je l'ai écoutée (sans avoir le texte) lorsque le disque est
sorti, ce n'est pas mal, si je n'avais pas plusieurs autres concerts
plus urgents le même jour, j'y serais allé. Le 10 à la Philharmonie.
♣ En théâtre, une Médée en néerlandais d'après Euripide
qui se finit le 11. Je n'ai pas noté où. [Mais les relectures
d'antiques m'effraient un peu, je ne crois toujours pas en avoir vu une
bonne… entre les demi-teintes (Iphigénie
en Tauride de Goethe) et les francs naufrages (Amphytrion deKleist) des auteurs eux-mêmes, et
toutes les errances possibles dans leurs réalisations (ces dernières
années, Les Oiseaux à la
Comédie-Française, ou Antigone
en grec moderne à l'UNESCO), je suis devenu méfiant.
Les commentaires d'étape sur les spectacles déjà vus viendront ensuite
: cette notule est garantie 100% préjugée, purement supputative.
Ce billet, écrit à par DavidLeMarrec dans la catégorie Saison 2016-2017 a suscité :
En assistant au concert-spectacle Mozart à la Philharmonie (pour voir
la Pragoise par un orchesrtre
préparé par Zaccharias), j'ouvre la note de programme, censée présenter
les œuvres à un public non averti – très différent des publics
habituels des salles de concert, j'y reviendrai prochainement, question
très intéressante (qu'entendons-nous selon nos habitudes d'écoute ?).
Par ailleurs claire et assez bien faite, qu'y trouvé-je alors ?
Il est évidemment passionnant de s'interroger sur le statut de Mozart (est-il si génial – suivant les œuvres et les jours, mon avis varie
sensiblement…), et très légitime de mentionner le mythe du génie
maudit, appliqué à tellement d'autres, et dont Mozart, à la vie moins
établie que celle des musiciens de cour des XVIIe et XVIIIe siècles,
devient une sorte de matrice idéale pour les Romantiques : fulgurances
innées, aventures multiples, finalement admiré pour de mauvaises
raisons (le petit prodige plus que le grand compositeur), et fin
mystérieuse et tragique.
Mentionner Salieri n'est pas illégitime dans ce sens-là, puisque
Pouchkine, en théâtralisant la question du maître surpassé par l'élève,
en explorant le vertige de la fin brutale d'un génie qui aurait pu tout
changer, a par avance façonné les représentations de la place de
Mozart.
Mais pourquoi écrire ce « certainement », pourquoi cette « légende »
(donc supposément élaborée sur des fondements véridiques). De même que
Meyerbeer pour Wagner, Salieri a mis le pied à l'étrier à Mozart, et
n'a bien sûr eu aucune implication de près ou de loin dans sa mort –
des dizaines de causes possibles existent, et Salieri
n'y a pas sa part. La seule intervention de Salieri dans la vie de
Mozart fut celle d'un protecteur, pas d'un rival.
Par ailleurs, et j'ai souvent eu l'occasion de le souligner, si une
bonne partie de son catalogue est effectivement tout à fait banal, un
certain nombre d'œuvres se révèlent particulièrement originales, et
assez spectaculairement abouties (comme ses trois opéras français ou
ses Variations symphoniques sur la Follia, peut-être la première œuvre
affirmant un tel souci d'orchestration, au sens contemporain du terme).
Et l'on sait très bien d'où provient le mythe : Pouchkine utilise la
figure de Salieri comme le symbole commode de celui qui, dépassé par
l'effet de ses actes de bonté, se retrouve rongé par l'envie – c'est
peut-être ce que ressentait Salieri, mais je crois pas qu'on en ait
trouvé de traces écrites, à supposer que le succès de Mozart (réel mais
pas à un degré inhabituel) ait eu de quoi rendre jaloux un compositeur
aussi établi, lui-même accueilli par de grands triomphes à Vienne ou à Paris).
Ce qui est un conte allégorique plutôt qu'une pièce historique connaît
une belle fortune (dont la mise en musique par Rimski-Korsakov),
jusqu'au film de Milos Forman, diffusé par des générations de
professeurs de collège et de parents plein d'espoir… La représentation
du Salieri médiocre, veule et malveillant s'est imposée dans
l'imaginaire populaire, comme l'accessoire d'un conte dont Mozart
serait le seul personnage réel.
Tout cela est très bien documenté, la ligne de succession de Pouchkine
à l'avis de l'homme de la rue est limpide – dès lors, pourquoi utiliser
cette formulation qui laisse planer le doute, qui nous dit «
probablement pas », là où l'on est sûr que non ? Au même titre qu'Anne
d'Autriche n'a probablement pas
eu de jumeaux de pères différents, ou que Mars n'est probablement pas peuplé
d'humanoïdes sinople aux yeux gastéropodisés.
Ce serait simplement dommage dans une notice destinée au public assidu
des concerts ; mais pour un concert tout public, cette légèreté
favorise des représentations fausses déjà installées par la fiction,
qu'il aurait très facile d'éclairer ou de rectifier.
Sur les sites spécialisés, une belle moisson de raretés disponible actuellement ; voilà l'occasion de parler un peu plus
amplement d'un domaine à peu près vierge hors de Pologne. Je ferai
prochainement un point sur les vidéos d'opéra rares et/ou exaltantes
disponibles en ce moment en ligne.
En l'occurrence, The Opera Platform a mis à disposition Goplana
de Władysław Żeleński, que je
vous invite à découvrir pendant ou après cette notule.
Peut-être commencer par des conseils de prononciation : « Staniswouaf Moniouchko » et « Vouadisvouaf Jèlèniski
».
Des compositeurs d'opéra
polonais au XIXe siècle, on ne connaît
guère que Stanisław Moniuszko
– et encore, on ne le joue jamais en
France, très rarement hors de Pologne, il existe peu de disques, et pas
forcément des intégrales, pas toujours avec le livret non plus… Alors
Żeleński, qui n'a jamais été aussi populaire…
Néanmoins, Żeleński, de la
génération suivante (né en 1837 contre 1819
pour Moniuszko), propose une musique globalement plus intéressante.
Moniuszko écrit du Auber (et
pas du très grand Auber) à la polonaise,
opéra-comique à numéros bien clos, encore marqué par l'influence du
belcanto, essentiellement des
cantilènes ou des airs de caractère avec accompagnement simple en
ploum-ploum. (Cela dit, Halka
– 1846 – est beaucoup plus séduisante et dramatique que l'assez
translucide Manoir Hanté –
1862 – dont il ne faut espérer ni le fantastique du Vampyr, ni la fantaisie charmante
de la Dame Blanche, pourtant
antérieurs de plus de 30 ans
!)
Chez Żeleński, le discours
musical est continu, et à défaut de beaucoup moduler, l'accompagnement adopte un peu plus de
variété.
Goplana
(1895) raconte les manipulations des fées pour trouver un mari à leur
gré, menaçant le pauvre navigateur ou manipulant le prince, à coups de
sorts, de mensonges, de doubles amours, d'épreuves, de jalousies, de
menaces. Pourtant, la musique frappe par son sage sérieux et son peu de
spectaculaire (ou même de figuralisme), comme arrêté au modèle d'Euryanthe de Weber (1823 !).
Même en comparant aux opéras des nations d'Europe peu réputées pour
leur avant-gardisme, cet opéra a des décennies de retard. Thora på Rimol
de Hjalmar Borgstrøm, dans la Norvège de 1894, évoque au minimum le Wagner du
Vaisseau fantôme (1841) dans
un orchestre plus luxuriant et une harmonie plus mobile ; Rusalka [notules
1, 2, 3] de Dvořák, chez les Tchèques en 1900, est certes à des
années-lumières de Pelléas ou
Elektra, dans la même
décennie, mais explore des motifs et des harmonies sophistiquées qu'on
ne pouvait pas entendre avant le Wagner de maturité (et donc, le temps
de l'assimilation, guère avant les années 1880-1890).
Chez Żeleński, l'orchestration
repose sur des principes qui n'excèdent pas la science du milieu du
XIXe siècle (et plus celle de Schumann ou du premier Verdi que celle de
Meyerbeer ou Berlioz !). Je crois néanmoins que cette impression
d'homogénéité entre les différents tableaux tient grandement à
l'interprétation de l'Opéra National Polonais de Varsovie, dont le
style épais et un peu indifférent ressemble à celui qui faisait tout
jouer identiquement au milieu du XXe siècle, avant les révolutions
stylistiques. Jouée avec plus de tranchant et d'engagement, la
partition révèlerait mieux ses beautés.
Pourquoi le conseiller, dans ce cas ?
Car il s'agit d'un véritable
dépaysement : il est très rare d'entendre un opéra polonais, et
encore plus dans la langue polonaise ; les plus fréquents dans le monde
doivent être Les Diables de Loudun
de Penderecki… en allemand, et Le
Roi Roger de Szymanowski, très typé, pas celui où le détail de
la langue n'est pas le plus immédiatement sensible.
Et, malgré les réserves formulées, si ce n'est pas un chef-d'œuvre, ce
n'est pas pour autant un mauvais opéra : le livret est très dépaysant, une
bizarre tragédie à base d'intrigues légères de femmes conspiratrices
(qui finissent par tourner très mal, certes, dans les dernières
minutes), dans un univers folklorique qui ne ressemble guère aux autres
opéras. La musique continue,
sans être très marquante, échappe à la fragmentation en numéros et
coule agréablement. Le ballet de l'acte III, rempli de danses
traditionnelles, n'est pas inintéressant non plus.
Surtout, The Opera Platform
propose une expérience exceptionnelle : capté en HD, le spectacle est surtitré simultanément en polonais et en anglais, ce qui
permet à la fois de suivre le détail du texte prononcé et le sens de
chaque séquence, beaucoup plus précisément qu'avec des sous-titres
monolingues. Et c'est un plaisir qui n'a pas de prix – on devrait faire
ça systématiquement pour tous les spectacles donnés et pour toutes les
vidéodiffusions.
(La même maison avait d'ailleurs proposé, il y a quelques mois, Straszny dwór,
le Manoir hanté de Moniuszko – mais il fallait choisir une traduction
unique, je crois. Un site qui tient ses promesses d'exploration
européenne !)
L'occasion également, pour les plus joueurs d'entre nous, d'observer
quelques particularités plaisantes de la langue polonaise, comme la
prononciation du « y », qu'on résume souvent par [é], comme dans «
Szymanowski », mais qui peut aussi être un beau [i] slave, plus rond
que le [i] standard (comme dans « Władysław ») et qui peut même
se prononcer plutôt [a] en fin de mot.
Contrairement à ce que l'on dit parfois de la médiocrité de l'école de chant polonaise (voir par
exemple cet entretien (quatrième question en partant de la
fin) où un jeune chanteur souligne que Beczała et Kwiecień ont été
formés en réalité en Allemagne et aux États-Unis), on peut aussi
profiter d'un plateau remarquable : deux rôles de ténor écrasants, très
longs, placés haut et réclamant une assez bonne largeur, chantés avec
une aisance remarquable.
Et pourtant, il est vrai, la langue polonaise, placée assez en arrière
et farcie de consonnes sèches (sans vibration des cordes vocales),
n'est guère favorable au chant intrinsèquement.
L'expérience est réellement à tenter.
(Vous remarquerez au passage qu'être un metteur en scène réputé en Pologne
n'a pas exactement la même signification visuelle qu'en Europe plus
occidentale…)
À bientôt pour de nouvelles aventures, avec des suggestions de
programme pour janvier : en
Île-de-France, on jouera Lambert, Le Camus, Sacchini, Chaminade,
Humperdinck, Alfvén, Mel Bonis, Stenhammar, Ešenvalds, Sandström,
Hindemith, Milhaud, Tormis, Kalniņš, Vasks, Guy Sacre et autres bijoux
que vous manqueriez possiblement sans cela !
La subjectivité a ses sinuosités et ses pièges imprévus. Il n'y a
pas une semaine, je suggérais (fin de notule) aux spectateurs blasés
d'aller (se faire) voir dans les merveilles des
formations discrètes dans les petites salles.
Et aujourd'hui, je m'apprête à
déverser mon fiel sur le plus vieil orchestre d'Europe et mes doutes sur
l'un des chefs les plus célèbres au monde. Quelle ironie.
1. Se convertir à Bruckner.
Je crois que j'ai accédé depuis peu à Bruckner – en tout cas aux
symphonies, j'ai toujours révéré les motets (mais leur filiation
mendelssohnienne ne les rend pas du tout aussi spécifiques). J'avais
déjà tâché de débrouiller les mots que l'on met sur son
orchestration très spécifique, sur les (semi-)préjugés de son
tempérament d'organiste. Mais, pour ce qui est de prendre régulièrement
du plaisir aux 11 symphonies, ce n'est que dans les deux dernières
années que je peux réellement me sentir inclus dans le camp des
brucknériens – et, comme cela est naturel, le mouvement s'accompagne
presque d'une lassitude pour les (fulgurants) tours d'histrions de
Mahler. Doucement, j'ai dit presque. Mais le jeu de balançoire entre
les deux, tout artificiel qu'il puisse paraître, se vérifie.
François BOUCHER, Bruckner et
Mahler sont sur une branche…
Huile sur toile issue de la collection Beurdeley.
C'est qu'à l'inverse de Mahler
qui ne séduit jamais autant que lorsqu'il surprend, et parvient à tenir
pendant des dizaines de minutes une tension ininterrompue, Bruckner
intéresse au contraire (à l'instar de Wagner) d'autant plus quand on
est durablement pénétré de sa logique mélodique, qui permet de mieux
sentir les nécessités d'enchaînement qui paraissent autrement assez
obscurs, voire arbitraires – si l'on peut même parler d'enchaînements
chez quelqu'un qui n'aime rien de plus que de vous laisser frustré en
interrompant son discours au milieu d'un climax pour repartir sans
transition vers tout à fait autre chose… Lorsqu'on peut précéder la
logique qui y préside, le plaisir devient tout autre.
Ses points culminants ne sont
pas vaine puissance et doublures superflues, mais plutôt la résultante,
presque logique, de tous les éléments énoncés patiemment (et, ce qui
est atypique, successivement) : l'agglomération de ce qui a déjà été
dit. Assez wagnérien donc (façon final du Crépuscule), même si l'aspect
de l'orchestration (évidemment !), de l'harmonie et des motifs
eux-mêmes l'est rarement, à quelques quasi-citations près.
2. Se préparer à
l'expérience.
Ayant depuis ce temps accumulé les écoutes, j'étais assez avide
d'entendre une musique aussi physiqueen concert, et pour laquelle je
m'étais beaucoup préparé à coups d'intégrales entiers. D'autant que mes
trois seules expériences (n°2
OPRF Inbal, point de départ d'un intérêt progressivement renouvelé,
n°5 OP P.Järvi, n°9 OPRF Inbal) furent d'éclatantes réussites.
Je ne m'abusais pas complètement, j'avais conscience de qui j'allais entendre, et j'avais
même écouté en partie la nouvelle intégrale Barenboim (en plus des deux
précédentes déjà explorées) – jolie, des détails intéressants, quoique
vraiment lent, épais et surtout assez figé. Toutefois, pas d'alarmes, mes goûts
brucknériens sont assez tolérants, bien sûr tournés vers la sècheresse
d'Andreae ou Venzago, mais aussi vers les grands ensembles de
Jochum-Berlin et même de l'intégrale Karajan, assez peu aimée des
brucknériens ; pour une fois, je n'aime pas forcément plus les lectures
cursives de Neuhold que le classicisme apaisé et les couleurs
mozartiennes de Masur… un peu tout en somme, sauf les lectures
vraiment épaisses, grumeleuses et opaques. Et encore, Celibidache avec
le Philharmonique de Berlin m'enchante dans la Septième, lentissime
mais d'une intensité exceptionnelle – chose qui ne le caractérise pas
vraiment d'ordinaire, plutôt tourné vers son propre système
contemplatif bouddhico-bizarre.
Entre le caractère impérieux des masses sonores, la magie propre du concert – son
attention propre et toutes les autres dirigées vers le même endroit, il
y a là une forme de légitimité collective qui se révèle un puissant
adjuvant pour aimer ce qu'on aurait trouvé indifférent, voire
désagréable, au disque –, la découverte en salle de cet orchestre
quasi-légendaire (vers 1570 !), et tellement avenant au disque, sous
Suitner (entre 1964 et 1990), puis sous Barenboim depuis 1992… je
pouvais être confiant sur ma propension à m'émerveiller.
Par ailleurs, si je n'ai jamais trop vu
la singularité (en tout cas positive) de Barenboim, quelques signes intéressants se sont
manifestés récemment, avec une intégrale Schumann d'une clarté, d'une
nervosité et d'une qualité de coloris qu'on ne lui avait jamais
entendues auparavant. Un Schumann ample, mais certainement pas pâteux –
un peu à la façon des sérénades de Mozart par Colin Davis, rien moins
que baroqueuses, mais révélant mainte moirure qui rendra tout aussi
bien justice aux œuvre. Autant ses Beethoven étaient très réussis mais
assez « standards » dans leur filiation traditionnelle, autant il
semblait essayer quelque chose de neuf dans ses Schumann, pourtant un
répertoire qui aurait dû exalter les limites de sa pâte très homogène
et de ses articulations peu incisives.
3. Continuer à maudire
Barenboim.
Empêché pour le concert de la Cinquième de Bruckner (et manqué le
Barenboim pianiste, que j'ai en revanche toujours grandement prisé), je
fais donc connaissance avec la Staatskapelle Berlin et Daniel Barenboim
hier soir, pour la Septième Symphonie.
Autant je pouvais craindre un manque de lisibilité et de tenue dans les
élans fugués de la Cinquième (ou un excès de monument dans ses grandes
verticales), autant la Septième me paraît taillée sur mesure pour
Barenboim, ne souffrant guère de la lenteur ni de l'ampleur. Au
contraire, sa générosité thématique, avec des lignes plus longues que
dans les œuvres précédentes, permet d'étirer à loisir tempo et pâte
sans perdre de vue l'essentiel – attitude beaucoup plus dommageable aux
deux premières symphonies numérotées, par exemple.
Depuis l'arrière-scène, une
fois de plus l'occasion de mesurer les propriétés de cathédrale de la
Philharmonie de Nouvel… Le retour du son, dans les endroits les plus
proches de la scène (sauf à être dans les premiers rangs et à ne
recevoir quasiment qu'un son direct), subit une réverbération très longue – sans
compter, dans le Mozart, il y avait au bas mot cinq secondes de
rémanence trouble à la fin des mouvements (sept, c'est Saint-Sulpice,
le genre de lieu où il est quasiment impossible physiquement de produire de la
musique audible).
Le concerto pour vents
(hautbois, clarinette, basson, cor) de
Mozart – ou quelqu'un d'autre…
il en a écrit un, mais on n'est pas complètement persuadé que ce soit
celui-là ! – était bien sûr joué à l'ancienne, assez peu vif d'esprit
et d'articulation ; après l'impression fugace d'entendre Böhm avec le
Philharmonique de Berlin, c'est plutôt le sentiment d'épaisseur qui
domine ; même avec un petit orchestre (trois contrebasses tout de même,
pour un concerto mannheimois), le résultat tire résolument vers le pâteux. Là aussi, je n'ai pas de
doctrine forte : je n'ai rien contre un Mozart moelleux et voluptueux,
et je ne cherche pas tout prix le boyau dans ce répertoire… mais aussi
lent, pour une œuvre d'une densité musicale mince (le classicisme est
toujours périlleux en salle, mais quand c'est du mauvais Mozart, c'est
d'autant plus difficile), l'ensemble finit par paraître pauvre et
inutilement long.
Van Dyck, Putto de CSS jouant avec
le gras de Barenboim.
Au demeurant, l'orchestre est
loin d'être laid ; des cordes vraiment allemandes, très rondes et
homogènes, une très belle clarinette solo transparente, presque acide,
et le hautbois solo d'orchestre pendant le concerto (second hautbois,
une dame, je vérifierai plus tard, leur site ne fait pas la part belle
aux musiciens) disposait aussi d'une belle franchise et d'un atypique
et séduisant vibrato. C'est avant tout ce qu'en fait Barenboim – c'est
pareil lorsqu'il dirige la Scala, Berlin et même dans certains cas
Chicago.
Après avoir attendu patiemment la fermeture du robinet de Mozart (en
finissant par penser vaguement à autre chose), arrive l'œuvre attendue
(mais pourquoi prendre une heure de notre vie, entracte inclus, pour faire
semblant de jouer Mozart, alors que personne ne vient pour ça ?), voici
la Septième Symphonie de Bruckner.
Je tiens à m'en excuser tout de
suite, le public était manifestement très content, les commentaires lus
d'autres mélomanes enthousiastes (même ceux qui n'avaient pas aimé la
Cinquième de la semaine dernière), on a confié de grandes maisons à ce
chef vénérable, qui a bien davantage étudié la musique que moi, et je
ne prétends surtout pas avoir raison contre tout le monde. Je ne puis
néanmoins dire que ce que j'ai entendu, à tort (vraisemblablement) ou à
raison.
Première chose qui frappe, l'épaisseur,
du son (où sont passées les parties intermédiaires ?) comme de
l'esprit. L'œuvre se prête bien à la lenteur, mais cela n'inclut pas
nécessairement les trémolos prosaïques – et même, au premier mouvement,
des tutti assez peu
homogènes.
→ À propos de trémolos, assez étonné de voir pendant une assez longue
période des trémolos réalisés dans le sens inverse (et entre le violon
solo et le chef d'attaque derrière lui !), très rare dans les
orchestres de très haut niveau, je me demande pourquoi. Quelle œuvre
éprouvante pour les poignets, cela dit (trémolos à peu près permanents
aux cordes).
Étrangement, le deuxième mouvement
est assez rapide, ce qui n'empêche pas l'absence à peu près totale de
tension : même les grandes marches harmoniques enflent très lentement
et calent. C'est même vérifiable visuellement : Barenboim suggère
beaucoup les effets de masse et de souffle (littéralement), et agit
beaucoup moins sur les progressions. Plutôt qu'une mutation progressive
vers le climax, j'y entendais une vaste flaque, où toutes les ruptures
étaient gommées, dans un climat plus morose que véritablement intense.
Ce n'est pas une question de niveau, il n'y avait
pas à redire sur la réalisation technique (sauf sur le climax très
opaque, saturé de lignes de cordes secondaires au détriment des parties
thématiques aux cuivres), mais plutôt de conception : le grand choral
n'était jamais présenté comme une rupture, mais comme un simple thème
secondaire, et son articulation très legato
lui ôtait son caractère affirmatif, presque verbal. J'ai beau chercher,
je ne vois pas bien l'intérêt du parti pris (sauf à supposer que plus
homogène et plus legato est
forcément meilleur).
Le scherzo siégeait évidemment
sur le versant massif (lourd, plus exactement) et pas du côté de la
danse ou du folklore.
D'une manière globale, je n'ai pas réussi à être intéressé par ce qui
m'a semblé le plus caractéristique de la vision de Barenboim : spectre sonore bouché (cordes
thématiques quasiment seules audibles), refus de la rupture (ce qui rendait
certains passages peu intelligibles, puisque précisément fondés sur la
discontinuité), vision de Bruckner comme un grand aplat immobile. C'est
précisément ce dernier point qui est le plus frustrant, puisqu'on a
vite l'impression d'entendre sans cesse le même climat, sans
altération, au sein d'un langage qui ne brille déjà pas, au naturel,
par sa variété.
Putto de CSS constatant
l'ampleur des lignes intermédiaires inaudibles.
Détail en stuc de l'Oratorio del Santissimo Rosario di San Domenico, à
Palerme.
J'étais très envieux de mon
voisin, totalement conquis (comme à peu près toute la salle,
semble-t-il), qui prenait de grandes inspirations au moment des
articulations-clefs, et qui semblait jubiler complètement, confiant à
sa femme tout ce que j'aurais aimé entendre sur la qualité de
construction des crescendos, des retours thématiques… Ce n'est pas
faute d'avoir essayé d'écouter l'œuvre toute nue, de ne pas prêter
garde à l'interprétation, et de tout simplement profiter du plaisi
d'entendre l'œuvre en vrai (pour la première fois de surcroît !). Ça
fonctionne assez bien d'ordinaire, mais j'étais déjà trop frustré de
m'enfermer alors que le temps invitait à la balade en forêt profonde,
ou trop irréconciliablement éloigné de ce que proposait Barenboim – et
Bruckner (comme Meyerbeer par exemple) est fragile, il peut devenir
pénible s'il est interprété à rebours de sa logique musicale propre.
Alors que Beethoven, y compris massacré autant qu'on voudra, restera
toujours jubilatoire, ses ressorts étant différents.
Croyez bien que je suis fort fâché (et
passablement honteux) de sortir d'un concert aussi prestigieux en
émettant une réprobation si uniforme (à défaut, je l'espère, d'être
trop outrancière), mais elle reflète si bien tout ce qui m'a tenu
éloigné de Bruckner – l'extériorité, l'immobilité, le tapage, l'odeur
de moisi.
Je me suis demandé aussi la raison de cette disposition des seconds violons et altos à droite (donc
instruments tournés loin de la majorité du public) qui ne faisait que
renforcer le déséquilibre au détriment des parties intermédiaires, sans
que la nécessité antiphonique soit très évidente dans Bruckner.
4. Dans/pour le public.
La salle, pleine, semblait très satisfaite. Sans être au point du
délire, l'accueil était très chaleureux, et l'essentiel du parterre, de
l'arrière-scène et quelques portions du second balcon se sont levés
pour acclamer Barenboim (et non l'orchestre, c'était très clair). Je
n'ai pu, en toute honnêteté, faire de même, et ai joué seul les vilains
petits canards blasés. Public d'initiés manifestement : pas de toux, ni
d'applaudissements entre les mouvements… en revanche, dès que le
premier musicien a cessé de pousser ou de souffler, alors que la salle
était encore complètement saturée de résonance, des avalanches
d'applaudissements que j'ai trouvées un rien philistines.
Il est vrai que, même depuis le parterre (où l'on m'a gracieusement
replacé), l'acoustique un peu grumeleuse a sans doute accentué les
problèmes, et l'orchestre n'a sans doute pas eu le temps, comme les
intervenants réguliers, d'en tirer le meilleur parti.
Barenboim maîtrise par cœur les œuvres du soir, ce qui force
l'admiration – mais en même temps, vu l'étendue très relative de son
répertoire, ça relativise, sûr que c'est plus difficile à assurer pour
Antoni Wit, Gerd Albrecht ou Lothar Zagrosek… [Par ailleurs, il en est
quasiment toujours resté aux mêmes éditions des symphonies de Bruckner,
ce qui facilite d'autant la tâche.]
Il prodigue de nombreuses grimaces à
ses musiciens, faisant mine des les gourmander, sans qu'il soit
possible de déterminer s'il leur reproche leur manque d'attention à ses
consignes ou les incite simplement à prendre du plaisir aux belles
choses qu'ils font déjà.
Dernière anecdote, l'impression bizarre
lorsque le chef d'attaque à la droite du second violon solo se
précipite pour lui tendre le verre d'eau au pied du podium ;
évidemment, il n'est pas prudent, à son âge, de faire cambrer le Maître
du haut de son piédestal, mais l'empressement fébrile, aussi bien pour
le tendre que le reposer, a quelque chose d'un culte monarchique un peu
suranné, l'impression d'apercevoir une figure semi-divinisée – et la
réaction du public ne fait que prolonger l'atmosphère. Pourtant,
Barenboim n'est pas une superstar populaire comme d'autres chefs, mais
sa célébrité et sa cote de sympathie chez les mélomanes semble
décidément très élevée.
Pour ma part, je n'ai jamais beaucoup prisé Barenboim, toujours assez épais et
opaque, et contrairement à bien de ses contemporains (Abbado et surtout
Mackerras, au contact des interprétations musicologiques, Muti au sein
de son style propre, mais même Haitink…), n'a jamais semblé évoluer
dans ses conceptions, comme s'il n'avait jamais réinterrogé les
pratiques de ses débuts, ou jamais écouté ce qui se produisait autour
de lui.
Au sein d'un legs rarement indispensable, il
existe cependant de très beaux disques : son Elektra avec Polaski,
certains de ses Wagner (Tannhäuser par exemple, Tristan bien sûr), ses
concertos de Mozart (surtout grâce au pianiste qu'il est, certes), les
symphonies de Beethoven avec la Staatskapelle Berlin, et par-dessus
tout ses Schumann très singuliers ce même orchestre.
Pour la Staatskapelle Berlin,
la sélection serait immense, je renvoie à celle de la notule qui y est consacrée.
5.
Aimer Bruckner.
Après avoir démoli à peu près tous les aspects de ce que propose
Barenboim, je puis difficilement m'esquiver sans proposer quelques
médications (et occasions de se gausser de moi, c'est de bonne guerre).
Dans la Septième Symphonie, pas mal de possibilités :
¶ les tradis, où l'ampleur
générale et la densité du pupitre de cordes sont capitales : Jochum-Berlin, Celibidache-Berlin, Karajan-Berlin, Jochum-Dresde ;
¶ les hédonistes, où les
équilibres timbraux sont particulièrement choisis : Suitner-Staatskapelle Berlin,
Jansons-Concertgebouworkest,
Venzago-Bâle
(inhabituellement modéré), Chailly-DSO Berlin ;
¶ les dramatiques, davantage
tournés vers la construction, parfois avec une certaine noirceur
(Sanderling !) : P.Järvi-Radio
de Francfort (Hesse), Böhm-Radio
Bavaroise, Giulini-Philharmonia,
Sanderling-Stuttgart ;
¶ les classiques, apaisés et
épurés, tel Masur-Gewandhaus
;
¶ les cursifs, plus rapides et
directionnels, au besoin violents, comme Kreizberg-Wiener Symphoniker
(très doux, lui), Furtwängler-Berlin (1942), Andreae-Wiener Symphoniker, Mravinsky-Leningrad ;
¶ et bien sûr les réductions et
transcriptions : l'Adagio
réduit pour piano par Bruckner (par Fumiko Shiraga, strates miraculeuses) ; celle de la symphonie
entière pour dix musiciens,
c'est-à-dire quintette à cordes (deux violons, alto, violoncelle,
contrebasse), clarinette, cor, piano à quatre mains et harmonium,
commandée par Schönberg à Erwin
Stein, Hanns Eisler et Karl Rankl, dont il existe au moins deux
superbes réalisations, le Thomas
Christian Ensemble chez MDG et le Linos Ensemble chez Capriccio.
De quoi se rassasier largement sans recourir à Barenboim (dont les
intégrales ne sont pas vilaines, sans se distinguer particulièrement
non plus).
Pour le cycle complet, le choix
ne manque pas parmi les grandes versions très habitées (Andreae, Jochum, Karajan, Inbal, Chailly, Skrowaczewski, Venzago…) ; pour ma part, je
trouve particulièrement satisfaction dans la nouvelle intégrale d'Inbal sur
le vif à Tokyo (Orchestre Métropolitain, chez Exton), particulièrement
intense, Jochum
à Dresde (surtout pour la première moitié du cycle, et il faut
apprécier les cuivres très
acides et même tout à fait stridents), Masur à
Leipzig (d'une paix incroyable, sans être le moins du monde relâché).
6. Le
point acoustique
Pour terminer, je remarque une difficile réacclimatation à l'acoustique
de la Philharmonie : il est assez désagréable de ne pas entendre le son
directement, voire de l'entendre brouillé par une réverbération très
généreuse, et même de très bonnes places, très proches de l'orchestre.
Seuls endroits d'où l'on entend (très) bien, là où l'on est le plus
loin, parce que le son, quoique réverbéré, ne nous parvient qu'en une
fois, et non avec l'écho de toute la longueur de la salle. Les qualités
sonores de cette salle asymétrique peuvent d'ailleurs drastiquement
varier d'un côté à l'autre, et même à quelques sièges de distance dans
le même bloc. Il faut un certain temps pour isoler les bons endroits,
et les places les plus chères ne sont pas extraordinaires à vrai dire.
Le concept des nuages était
super mignon (et les espaces sont particulièrement beaux, comme
derrière le parterre, dommage de ne pas les aménager !), mais
forcément, pour de la musique qui réclame l'audition de parties
intermédiaires et une certaine précision, c'était clairement une fausse bonne idée.
Espérant que vous ne lui tiendrez pas trop rigueur de ces bougonneries
qu'elle a tenté de circonstancier,
la joyeuse cohorte des korrigans & putti de céans vous donnent
rendez-vous bientôt pour des aventures plus agréablement exemplaires et
édifiantes.
Ce billet, écrit à par DavidLeMarrec dans la catégorie Domaine symphonique a suscité :
Cette année encore, petit tour d'horizon des œuvres plus rares qui
passeront en France (et en Europe) dans la saison à venir. Classés par
genre (chronologique et linguistique).
♥ Indique la cotation d'un spectacle vu.
♣ Indique la supposition personnelle de l'intérêt du spectacle.
(1 indique plutôt un conseil négatif, à partir de 2 le conseil est
positif, et de 3 plutôt vivement conseillé.)
CSS à la conquête de l'Europe.
Étranges putti sexués – dont
l'un aux traits de l'impératrice ! – dans le décor de la bibliothèque de
Napoléon à Compiègne. Sur les bagages, il est inscrit Buon
viaggo in Cor… (« Bon voyage en Cor… ») et Posa piano (« Repose-toi bien »).
PREMIERS OPÉRAS
Rossi
– Orfeo – Bordeaux, Caen, Versailles
Encore présente cette saison, la production déjà en tournée la saison
passée. Œuvre historiquement incontournable, remarquable musicalement,
et servie au firmament par les artistes (Ensemble Pygmalion, et
Francesca Aspromonte en Euridice). [notule]
→ ♥♥♥♥♥
Cavalli
– Eliogabalo – Garnier
Un Cavalli rare, avec García Alarcón (grandement pourvu pour ce style),
Fagioli et Groves. → ♣♣♣♣
Cavalli
– La Calisto – Strasbourg
Le Cavalli emblématique, dans un environnement surprenant de talentueux
non spécialistes : Rousset, Tsallagova, Remigio, Genaux, de Mey. → ♣♣♣
OPERA SERIA
Haendel
– Israel in Egypt – Reims
Bijou absolu de l'oratorio (surtout si la version retenue contient la
déploration d'origine). Avec les Cris de Paris et les Siècles, très
appétissant. (Direction Jourdain, avec notamment Redmond, Boden et
Buffière). → ♣♣♣♣
Vivaldi
– Arsilda, regina di Ponto – Caen
Un Vivaldi rare, avec le fulgurant Vaclav Luks. → ♣♣♣ (parce que je
n'aime pas plus le seria que
ça, mais sinon…)
Porpora
– Il Trionfo della divina giustizia – Versailles
Oratorio virtuose, avec le fin du fin de l'école seria française : Staskiewicz,
Galou, et en prime Negri. → ♣♣♣ (idem)
OPÉRA FRANÇAIS XVIIIe
Lalande-Destouches
– Les Éléments – Louvre
Extraits (excellent interprétés) de cet opéra-ballet paré d'un grand
succès en son temps. Le disque vient de paraître et vaut vraiment le
détour. → ♥♥♥♥
Marais
– Alcyone – Favart
Retour d'une œuvre qui n'a pas, je crois bien, été rejouée depuis
Minkowski au début des années 90. Le livret de La Motte n'est pas bon,
et ce n'est pas le meilleur titre de Marais, mais les danses sont
belles (et la tempête légendaire). Ce sera joué par Savall, qui n'a pas
toujours brillé dans ce répertoire (il ne faut pas se fier aux disques
Alia Vox, fabuleusement captés et traités, qui ne reflètent pas la
sècheresse réelle de l'ensemble) ; il semble néanmoins s'être amélioré,
et s'être entouré ici d'excellents spécialistes. → ♣♣
Rameau
– Zoroastre – Versailles
Suite des explorations de Pichon, avec ce titre splendide très peu
joué. Avec Piau, Mechelen, Courjal, Immler. → ♣♣♣♣
Boismortier
– Don Quichotte chez la Duchesse – Compiègne
L'une des œuvres les plus jubilatoires de tout le répertoire de
l'opéra. Néanmoins la production des époux Benizio rend discontinu ce
qui était au contraire d'une densité extraordinaire (les ariettes ne
font pas une minute, tout n'est que de l'action !). → ♥♥♥ (l'œuvre vaut
le maximum, mais le résultat est ce qu'il est… mitigé)
Sacchini
– Chimène ou le Cid – Massy, Saint-Quentin-en-Yvelines
Le dernier opéra français de Salieri, après Les Danaïdes et Tarare,
deux chefs-d'œuvre absolus. Les espoirs sont grands, a fortiori
en considérant le sujet et les conditions de remise à l'honneur :
Rousset, Wanroij, Lefebvre, Dran, Dubois, Bou, Foster-Williams,
Lefebvre ! → ♣♣♣♣♣
Lemoyne
– Phèdre – Bouffes du Nord, Caen
Recréation d'un opéra de la fin de la tragédie en musique. Véritable
découverte. → ♣♣♣♣
BELCANTO ROMANTIQUE
Rossini
– Elisabetta, regina d'Inghilterra – Versailles
L'un des plus mauvais Rossini, pauvre comme un mauvais Donizetti :
l'impression d'entendre pendant des minutes entières de simples
alternances dominante-tonique, sans parler des modulations à peu près absentes, le tout au
service d'une virtuosité qui ne brille pas forcément par son sens
mélodique.
Pour compenser, une direction nerveuse sur instruments anciens (Spinosi
& Matheus) et une distribution constellée de quelques-uns des plus
grands chanteurs en activité, Alexandra Deshorties (une des plus belles
Fiordiligi qu'on ait eues), Norman Reinhardt (Kunde redevenu jeune !), Barry
Banks… → ♣♣
Rossini
– Ermione – Lyon, TCE
Tournée lyonnaise annuelle, cette fois sans Pidò. Avec Zedda, Meade,
Spyres, Korchak, Bolleire.
Rossini
– Il Turco in Italia – Toulouse
Le plus bel opéra de Rossini, de très loin : un livret remarquablement
astucieux que Romani (avec une posture méta- très insolite pur
l'époque) emprunte à Mazzolà (il existe donc un opéra de Franz
Seydelmann sur le même sujet, que je suis en train de me jouer, j'en
parlerai peut-être prochainement) ; la musique est du meilleur Rossini
comique, avec des ensembles extraordinairement variés et virevoltant,
mais elle s'articule surtout parfaitement à un drame finement conçu.
Avec Puértolas, Corbelli (Geronio) et Spagnoli (Selim). → ♣♣♣♣♣
Donizetti
– Le convenienze ed inconvenienze teatrali – Lyon
Donizetti comique très peu donné, dans une mise en scène de Pelly, avec
Ciofi et Naouri.
Verdi
– Ernani – Toulouse
On n'est plus exactement dans le belcanto, même si Verdi en reprend
alors encore largement les contours, mais c'est plus facile à classer
comme ça, pardon. Très peu donné en France, celui-là ; un massacre de
l'original (non voulu par Verdi, mais la censure lui a imposé de
changer tout ce qui faisait la spécificité du texte d'Hugo… on se doute
bien que le roi dans l'armoire, prévu par Verdi, faisait tordre le nez
aux Autrichiens), donc il ne faut pas en attendre un livret marquant,
mais il dispose musicalement de bien de jolies choses déjà très
spécifiquement verdiennes, des airs très personnels et de superbes
ensembles.
Avec Bilyy (miam) et Pertusi. → ♣♣♣
OPÉRA FRANÇAIS XIXe
Meyerbeer
– Le Prophète – Toulouse
Depuis combien de temps n'avait-il pas été donné en France ? Plus
tardif, d'un sarcasme plus politique et moins badin que ses succès
antérieurs (Robert et Les Huguenots),
le Prophète dispose d'un livret à nouveau d'une audace exceptionnelle,
où le pouvoir aristocratique signifie l'oppression (sans aucun recours
!), où la religion est le cache-misère de toutes les ambitions et le
refuge de tous les fanatiques, où la mère prend la place de l'amante,
et où le héros, après avoir chanté sa pastorale, commet un crime de
masse… Musicalement, moins de chatoyances que dans la période
précédente, plus guère de belcanto non plus, mais la sophistication
musicale et orchestrale reste assez hors du commun pour l'époque. À
part Berlioz, Chopin, Schumann et Liszt, qui écrivait des choses
pareilles dans les années 40, avant la révolution wagnérienne ?
On voit d'ailleurs tout ce que la déclamation continue et le travail de
réminiscence a pu inspirer à Wagner, à qui Meyerbeer mit le pied à
l'étrier pour la création parisienne de Tannhäuser – avec la gratitude
qu'on connaît, c'est Wagner.
Peut-être pas très adéquatement dirigé par Flor, il faudra voir. Avec
Gubanova, Osborn et Ivashchenko. → ♣♣♣
Halévy
– La Reine de Chypre – TCE
Voilà un Halévy qui n'a guère été redonné. Assez différent de la Juive,
si j'en crois mon exécution domestique il y a quelques années : des
récitatifs bien prosodiés, beaucoup d'ensembles et de chœurs, mais un
langage très simple, très mélodique, presque belcantiste, qui n'a pas
du tout la même sophistication que CharlesVI,
La Magicienne, et bien sûr les plus complexes La Juive et Le Déluge. Mais exécution très
prometteuse, par le Concert Spirituel, avec Gens, Laho, Dupuis, Huchet,
Lavoie. → ♣♣♣
Halévy
– La Juive – Strasbourg
Encore un grand succès du livret subversif (et pourtant très populaire)
signé Scribe. La direction de Lacombe fait très envie, la reprise de la
mise en scène de Konwitschny (que je n'ai pas vue, mais il me semble
que ça a déjà été publié) m'inspire moins confiance, et le manque de
grâce de Saccà (Éléazar) aussi. Mais il y aura Varnier en Brogni et
même Cavallier en archer… → ♣♣♣
Adam
– Le Chalet – Toulon
Pas grand'chose à se mettre sous la dent dans cette courte petite
histoire, mais c'est très plaisant, et interprété par des grands :
Tourniaire, Devos, Droy, Rabec. → ♣♣
Adam
– Le Toréador – Rennes
Dirigé par Tingaud, le célèbre opéra à variations, très plaisant et
payant. → ♣♣♣
Thomas
– Hamlet – Marseille
J'hésite à le faire figurer dans la liste… l'œuvre est devenue (et à
juste titre !) un véritable standard, il n'est pas de saison où on ne
la joue en France, en Suisse ou en Belgique… Une série avait été
proposée sur la transformation
du matériau de Shakespeare aux débuts de CSS, et à l'époque où les
prémices de la mode n'étaient pas encore une mode. Comme souvent, une
superbe distribution : Ciofi, Brunet, R. Mathieu,
Lapointe, Barrard, Bolleire, Delcour ! Moins enthousiaste sur
Foster, qui défend généreusement ce répertoire, mais dont le style
n'est en général ni soigneux, ni tout à fait adéquat. Néanmoins, ce
sera très bien (mise en scène de Boussard qui devrait être bien). → ♣♣♣♣
Massenet
– Don César de Bazan – Compiègne, Thaon-les-Vosges
Remarquable production de ce qui était quasiment le dernier opéra (en
tout cas parmi ceux qui ne demeurent pas perdus) à être remonté de
Massenet, longtemps cru brûlé. Superbement chanté (Dumora,
Sarragosse), superbement accompagné (Les Frivolités Parisiennes,
l'orchestre remporte un Putto d'incarnat cette année dans le bilan qui
sera publié), mise en scène riche et avisée. L'œuvre en elle-même
hésite entre un sinistre jeu de cache-cache avec la mort (qui vous
rattrape parfois) et une transformation vaudevillesque du pourceau
d'Épicure en mari soucieux du respect des usages. Musique plutôt
légère, mais d'une finition remarquable. → ♥♥♥♥
Saint-Saëns
– Le Timbre d'argent – Favart
Nouveauté chez Favart. Pas encore eu le temps de jouer la partition,
mais forcément un bon a priori
(opéra de Saint-Saëns + sélection Favart…). → ♣♣♣♣
Saint-Saëns
– Proserpine – Versailles
Autre inédit, pour la tournée annuelle de la Radio de Munich (qui n'est
pas la Radio Bavaroise, notez bien) en partenariat avec Bru Zane. Ulf
Schirmer dirige, avec Gens, Marie-Adeline Henry, Vidal, Antoun, Lavoie,
Foster-Williams, Teitgen ! → ♣♣♣♣♣
Offenbach
– Geneviève de Brabant – Nancy
Un chouette Offenbach servi par une équipe épatante : l'habitué
Schnitzler, Buendia (de l'Académie Favart, dans Cendrillon de Viardot
et l'Écureuil Bleu de Dupin), R. Mathieu, Piolino, Huchet, Grappe, Ermelier… → ♣♣
MUSIQUE DE SCÈNE ROMANTIQUE
Grieg
– Peer Gynt – Limoges
Dirigé par Chalvin, avec Kalinine en Anitra. (Chanté en VO, je ne peux
pas dire comment sera le reste du dispositif, sans doute des résumés en
français.)
SLAVES
Tchaïkovski
– La Pucelle d'Orléans – Philharmonie de Paris
Très rare en France, et interprété non seulement pas de vrais russes,
mais par la troupe du Bolshoï elle-même (dirigée par Sokhiev).→ ♣♣♣♣♣
Rimski-Korsakov
– Snégourotchka – Bastille
Là aussi, rareté à peu près absolue sur le sol français. Tcherniakov en
promet une relecture érotisante (propre à choquer le jeune public,
précise l'avant-programme de l'Opéra…). Distribution bizarrement
attelée (Garifullina dans le rôle-titre, mais aussi D'Intino et
Vargas…). → ♣♣♣
Dvořák
– Rusalka – Tours
Rusalka s'est pas mal imposée hors d'Europe centrale. Prélude, je
l'espère, à l'importation d'autres titres de haute valeur (Armida, Dalibor, Libuše, Fiancée de Messine, Šárka…).
Ici, c'est même avec une distribution étrange, très française, avec
Manfrino et Cals (Princesse Étrangère !), ce qui m'effraie un rien, je
dois dire. En revanche, l'excellent Micha Schelomianki en Ondin (rôle
dont il est de plus très familier), et la voix n'est pas trop
russe-ronde pour du tchèque.
L'œuvre est une merveille absolue qui se révèle encore mieux en salle. [livret, musique, discographie exhaustive] → ♣♣♣
Stravinski
– The Rake's Progress – Caen, Rouen, Limoges, Reims
De jolies choses dans la distribution (Marie Arnet, excellente
mélisande ; Isabelle Druet en Baba ; Stephan Loges en père Trulove),
mais un opéra déjà faible dirigé avec la raideur de Deroyer, je ne suis
pas complètement tenté. → ♣♣
Prokofiev
– L'Ange de feu – Lyon
Si Guerre & Paix est le
plus impressionnant scéniquement et dramatique (l'un des plus avenants
mélodiquement aussi), L'Ange de feu
est le plus impressionnant musicalement de toute la production lyrique
de Prokofiev – c'est d'ailleurs la matière-première de sa Troisième
Symphonie. Avec Ono, Syndyte, Efimov, Naouri. → ♣♣♣♣
XXe SIÈCLE DIVERS
… où l'on trouve énormément d'œuvres légères, en réalité.
Hindemith
– Sancta Susanna – Bastille
Sujet mystico-érotique sur une musique très dense, du Hindemith très
décadent, qui doit beaucoup plus à Salome
que n'importe quelle autre de ses œuvres. Avec Antonacci, couplé avec Cavalleria Rusticana (avec
Garanča), une assez chouette association. → ♣♣♣♣
Britten
– Owen Wingrave – Amphi Bastille
… mais par l'Atelier Lyrique de l'Opéra, dont je n'aime pas du tout les
choix de recrutement, ni les spectacles. Déjà donné pour leur Britten (Lucrèce), je passe. → ♣♣
Sauguet
– Tistou les pouces verts – Rouen
Sauguet n'est pas un immense compositeur, mais il a une fibre
théâtrale, ce devrait être sympathique. → ♣♣♣
Rota
– La notte di un nevrastenico – Montpellier
Avec Bruno Praticò et le formidable Bruno Taddia, œuvre comique que je
n'ai pas testée. → ♣♣♣♣
Rota
– Aladino e la lampada magica (traduit en français) – Saint-Étienne
Avec Larcher, Buffière, Tachdjian.
Autre nouveauté pour moi, qui me rend bien curieux. → ♣♣♣
Menotti
– The Telephone – Metz Menotti – Amelia al Ballo – Metz
Le sommet du Menotti « conversationnel » (en version originale – il
existe aussi une excellente version française), d'une fraîcheur
jubilatoire, couplée avec son plus célèbre opus de type lyrique. Très
beau choix, dirigé par Diederich, avec la jeune gloire Guillaume
Andrieux.→ ♣♣♣♣ CONTEMPORAINS
Du côté des vivants à présent.
Gérard
Pesson – La Double Coquette – Lille
Fin de la tournée. Bricolage des Troqueurs
de Dauvergne avec des moyens « musicologiques » : Ensemble Amarillis,
Poulenard (toujours étincelante), Villoutreys, Getchell. On peut le
voir comme un moyen de toucher des droits à la façon du coucou, de
remplir les quotas de musique contemporaine sans effrayer le public, ou
bien comme une façon de rendre plus dense cette œuvre très légère qui a
beaucoup vieilli et paraît peu consistante jouée seule, difficile de
trancher. → ♥♥♥
Roland
Auzet – HIP 127 – Limoges
Moneim
Adwan – Kalîla wa Dimna – Lille
Joué à Aix cet été. Le principe du métissage avec le chant arabe
classique est sympa, mais ça ne marche pas, et le livret, sa mise en
scène, également statiques, ne sont pas bons non plus. → ♥
Lionel
Ginoux – Vanda – Reims
Lucia
Ronchetti – Pinocchio – Rouen
Pas très optimiste vu la tête de son Sonno
di Atys,
particulièrement peu intelligible (pourtant, le sommeil d'Atys n'est
pas spécifique au mythe, ce doit être une référence à LULLY…), à
l'opéra ce ne doit pas être un langage très compatible. → ♣♣
Ici encore, pas un langage très prosodico-compatible à mon avis. Je
n'ai pas été très convaincu par ce que j'ai entendu de Matalon
jusqu'ici, mais le cahier des charges d'un ompéra étant forcément
différent… → ♣♣
Violeta
Cruz – La Princesse Légère – Compiègne
Marius
Felix Lange – Schneewittchen – Colmar, Strasbourg, Mulhouse
Arthur
Lavandier – Le premier meurtre – Lille
Tout jeune. Pas entendu.
OPÉRETTES ET COMÉDIES MUSICALES
J.
Strauß – Eine Nacht in Venedig – Lyon
Lehár
– Le Pays du sourire – Tours (Avec Philiponet, Droy, Dudziak)
Messager
– L'Amour masqué – TM Lyon
Christiné
– Dédé – Marseille Lopez – Prince de Madrid – TM
Lyon Lopez – La Route fleurie –
Marseille Scotto – Violettes impériales –
Marseille Bernstein – Candide – Toulouse,
Bordeaux Sondheim – Sweeney Todd – Toulon Mitch Leigh – L'homme de la
Mancha – Tours Jerry Bock – Un Violon sur le
toit – Massy, Avignon
Un petit phénomène Luis Mariano semble-t-il, entre Lopez et Scotto
! Sinon, le jubilatoire Candide,
la comédie musicale la plus opératique de Sondheim (pas sa meilleure),
et la fameuse pièce de Leigh illustrée par Brel, chantée par Cavallier
(pas de la grande musique, mais les basses aiment bien chanter ça
semble-t-il Jérôme Varnier en donne aussi en récital). Dédé
est à recommander avant tout pour le théâtre, avec une intrigue très
vive et des caractères plaisants, tandis que la musique légère jazzy n'est pas ce qui frappe le
plus l'attention.
Je ne m'avance pas sur des cotations ici, ça dépend tellement des
inclinations de chacun… En ce qui me concerne, Sweeney Todd me
laisse plutôt froid (mais est considéré comme une œuvre majeure de
Sondheim), tandis que je n'ai rien contre Lopez et Scotto
(particulièrement mal vus, mais en salle, ça coule très agréable)… Idem
pour J. Strauß et Lehár, il faut être dans l'humeur adéquate (je n'en
raffole pas personnellement, mais c'est musicalement plutôt bien tenu).
AILLEURS EN EUROPE
À part la création très inattendue d'un opéra de Kurtág à la Scala (Fin de partie, un choix moins
surprenant), les raretés sont surtout des spécialités locales :
¶ les deux Erkel célèbres à
Budapest (Bánk bán et Hunyadi László), plus le Ténor de Dohnányi (et la Reine de Saba de Goldmark),
¶ deux Dvořák semi-rares
(célèbres mais à peu près jamais donnés hors des terres tchèques, Le Diable & Katia et Le Jacobin) à Prague,
¶ Sakùntala d'Alfano à Catane,
¶ Peer Gynt d'Egk à Vienne,
¶ Doktor Faust de Busoni à Dresde,
¶ Oberon de Weber & Die Gezeichneten de Schreker pour le festival munichois
de juillet 2017.
Restent Rimski-Korsakov (Le Coq d'Or à Bruxelles) et Britten, Curlew River à Madrid et Death in Venice à la Deutsche Oper
Berlin, moins congruents.
D'ici quelques jours devraient paraître à la fois le bilan de la saison
écoulée (avec remise de breloques !) et la sélection de concerts du
mois de septembre.
Ce billet, écrit à par DavidLeMarrec dans la catégorie Saison 2016-2017 a suscité :
Inutile de revenir sur l'image menteresse entretenue contre Salieri par
la mythologie de Pouchkine, et abondamment réactivée par le film de
Forman :
le médiocre jaloux de l'élève génial. Dans la réalité, Salieri fut
généreux avec Mozart comme Gluck le fut avec lui-même (en lui laissant
écrire les Danaïdes sous le
nom du maître avant de révéler l'identité de Salieri, de façon à éviter
toute cabale)… et c'est aussi l'un des compositeurs les plus
remarquables de son temps :
¶
dans le seria,
il n'y a pas
meilleur récitativiste,
où les lignes sont tout sauf automatiques et pauvres, mais au contraire
très sensibles aux appuis du texte (et assez mélodiques, au demeurant)
; voir par exemple L'Europa
Riconosciuta ;
¶ à l'orchestre, il propose le premier grand tour de force
d'orchestration, avec ses Variations
sur la Follia, où les associations de pupitres créent des
couleurs très diverses selon les variations, et alors tout à fait
inouïes ;
¶ dans le domaine de l'opéra français, il propose deux jalons majeurs :
— Les Danaïdes en 1780, sorte d'über-Gluck, mais pourvu d'un
sens de la prosodie, de la déclamation, de la mélodie, du drame et de
la danse nettement supérieur (et où l'on trouve le patron exact de
l'Ouverture de Don Giovanni –
1787) ; on y entend la réforme de Gluck mais traitée sans sa rigidité
(et sa relative pauvreté), comme gagné par la souplesse de ses ancêtres
;
— Tarare en 1787, sur un
livret de Beaumarchais… une écriture lyrique assez complètement
inédite. (Repris ensuite pour Vienne en italien comme Axur, re d'Ormus,
qui ne produit pas tout à fait le même effet, même si une bonne partie
de
la musique est identique – ne serait-ce que la prosodie, pensée pour le
français avec beaucoup de précision.)
Il écrit également Les Horaces
pour Versailles en 1786, sur un livret de Guillard d'après Corneille,
qui doit être redonné à l'automne prochain sur les lieux de sa
création, sous la direction de Christophe Rousset. N'ayant pas encore
lu la partition, je n'ai rien à en dire pour l'heure.
Je reviendrai un peu plus loin sur son invention du drame wagnérien,
mais d'abord une (longue) incursion du côté du livret.
(Dessin préparatoire pour le costume du Grand Prêtre.)
2. Tarare, entre
Lumières révérencieuses et fin de l'aristocratie
(Costume pour Atar.)
On présente en général Le Mariage de
Figaro comme le comble de l'irrévérence de Beaumarchais, mais Tarare
pourrait tout aussi bien y figurer : exactement de la même façon, tout
en proclamant son attachement aux hiérarchies existantes (vu les lieux
de représentation, il ne s'agissait pas de se montrer exagérément
séditieux !), le
livret distille quantité de maximes qui font prévaloir le mérite
individuel et l'application sur la naissance, et de façon très
explicite.
Par
ailleurs, Tarare pousse
la
remise en cause encore plus loin : non seulement le Sultan est
tyrannique, mais il ne sert pas seulement de repoussoir nécessaire dans
le cadre du drame, comme c'est en général le cas (ou d'un exemple
d'égarement par les passions, comme Almaviva)… il est aussi le support
d'une réflexion plus générale sur le pouvoir et les dangers de
son
exercice total et solitaire.
Le
sujet : En un mot, le sultan Atar, jaloux des succès de son
capitaine Tarare,
fait ravager sa maison et secrètement capturer son esclave favorite,
qu'il place dans son propre sérail. Tarare finit par s'en apercevoir
et, avec l'aide de Calpigi, prisonnier chrétien qui lui doit la vie et
intime du sultan, s'introduit dans le sérail au prix de toutes sortes
de déguisements, quiproquos et coups de théâtre. Le tout est jalonné de
brahmanes véreux (ici appelés brahmes),
de jeunes incompétents avides de combats, de jeux orientaux et de
supplices tout aussi exotiques, de culte hindou, de combats et exploits
hors scène, de chansons piquantes ou séditieuses, et d'intervention
sauvages de personnages allégoriques… C'est l'économie dramatique du Mariage de Figaro placé dans le
sérail déréglé des Lettres Persanes
(chez un Usbek hindou), avec des chansons, des batailles et de la
philosophie dedans.
Le texte est parcouru de très nombreuses répliques qui dressent un
portrait de société ambitieux, dont la prétention est
ouvertement
exemplaire (les allégories qui ouvrent et, plus rare, closent le drame
en attestent)… et qui diffère assez notablement de la société d'Ancien
Régime. En 1787.
L'histoire qui est racontée est déjà celle d'un souverain tyrannique,
oisif et sans mesure, qui passe ses loisirs à jalouser ses sujets et à
organiser le malheur de son chef des gardes, Tarare, courageux,
constant et plein de bonté, qui lui a sauvé la vie. Le caractère vain,
mesquin et dérisoire du sultan Atar est, en soi, une prise de position
sur le danger de la tyrannie, un potentiel discrédit sur le
caractère
sacré de tout prince.
On pourrait considérer qu'il s'agit d'un de ces
nombreux contes de souverains orientaux, bien sûr très éloignés des vertus
exemplaires nos rois, et le héros
pourrait paraître, par son sens de l'honneur, du devoir et de la
fidélité, remettre à leur place les
véritables valeurs en refusant le trône,
s'il doit être arraché à celui qui l'a reçu de Dieu ou de sa généalogie
: « Oubliez-vous, soldats usurpant le pouvoir, / Que le respect des
rois est le premier devoir ? » (acte V), ou encore « Je ne suis point
né votre maître. / Vouloir être ce qu'on n'est pas, / C'est renoncer à
tout ce qu'on peut être » (ibidem).
Le problème réside dans le fait que si Tarare est bel et bien un sujet
modèle, ne
projetant jamais de renverser son souverain, même en mesurant l'étendue
de son infamie, et jusqu'à sa malveillance personnellement dirigée (lui
ravissant son amante pour le tourmenter, cherchant à le faire
assassiner)… ce sont à peu près les
seules maximes que l'on peut trouver en faveur du régime politique traditionnel
(de type autocratique).
À l'acte II, Tarare, Tarare lui-même se fait rebelle (« Oui j'oserai :
[...] je franchirai cette barrière impénétrable [du sérail] »),
menaçant
(« affreux vautour ») et même séditieux
(« Ne me plains pas, tyran, quoi qu'il m'arrive / Celui qui te sauva le
jour / A bien mérité qu'on l'en prive ! »).
[[]]
Howard Crook, Deutsche Händel Solisten, Jean-Claude Malgoire, Schwetzingen
1988 (seule version commercialisée, en DVD).
Quant à son fidèle Calpigi (le
seul chrétien dans un pays de brahmanes), esclave d'Atar, mais devant
sa vie à Tarare, il explique plus clairement les fondements de la
science politique : « Va ! l'abus du
pouvoir suprême / Finit toujours par l'ébranler »
(c'est même le
refrain de son seul air) – sans parler de son indignation visible (« et
l'on m'ose nommer ! », comme si le Sultan pouvait être insolent envers
l'esclave) et des menaces très explicites
contre son Prince.
[[]]
Gian
Paolo Fagotto, Orchestre Philharmonique de Strasbourg, Frédéric
Chaslin. Palais de la musique et des congrès de Straasbourg, 1991.
Dans mon édition musicale de 1790, après les refontes
révolutionnaires, le
récitatif est toujours attribué à Calpigi, mais l'air, contrairement au
livret imprimé de 1790, échoit à Tarare – ce qui est parfaitement
logique, puisque
Tarare est amené, dans cette version (comme on le verra plus
tard), à prendre la place d'Atar. La divergence plaide néanmoins pour
l'erreur d'impression, considérant que le texte n'a pas été retouché et
que Tarare y vanterait assez immodestement (au contraire de toute la
logique émotionnelle du personnage) ses exploits à la troisième
personne.
(Cliquer pour ouvrir en grand dans un nouvel onglet.)
La musique de Salieri s'attarde
ici assez spectaculairement sur la reprise du refrain, le répétant
inlassablement, sensiblement plus que ce n'est l'usage, et culminant
même avec une progression harmonique inhabituellement développée et
même un aigu isolé, triomphant, sur
un orchestre en point d'orgue–
chose parfaitement exotique au XVIIIe siècle, où le goût glottophile
révérait l'agilité virtuose, mais s'intéressait beaucoup moins aux
aigus glorieux isolés (on en trouve peu dans les partitions, ils sont
généralement des moments de passage, et pas des points culminants).
L'insistance me paraît à vrai dire d'une insolence plutôt inouï – ce
qui me rend même curieux des convictions politiques de Salieri.
L'un dans l'autre, on pourrait encore balancer sur le sens à donner à
tout cela, mais le Prologue (et, beaucoup plus rare, l'Épilogue) ne
laissent pas grand doute : la Nature prend elle-même la parole pour
expliquer comment tout cela fonctionne.
PROLOGUE :
Les atomes aléatoires
Les humains sont de petits vermissaux impermanents, c'est dit, et la
Nature ne s'occupe guère de leur attribuer des places, c'est entendu.
On note, au passage, que Dieu demeure présent (nommé plus
loin « Brama », mais le décalque est particulièrement transparent) ;
pourtant il reste simplement à l'état
de silhouette veillant aux cohérence des lois de la physique
(qu'il a ou non conçues, on ne nous le dit pas).
Ou encore :
Les hommes ne sont que des amas
mécaniques d'atomes, pis encore, des
parasites qui vivent au dépens des autres êtres vivants. Ce postulat
entre déjà en concurrence avec l'idée
de Providence, et indépendamment
du débat religieux que cela peut susciter sur l'éventuelle
contradiction avec l'interprétation du canon catholique, met en
question le fondement même du pouvoir du souverain, si celui-ci
s'appuie sur le sacré – si les choses sont disposées par hasard, ou du
moins mécaniquement, et non à dessein, comment justifier son rang
supérieur ?
Si jamais le spectateur choisissait d'y voir une allégorie
inoffensive du Destin à la manière des anciens, Beaumarchais élabore un
dialogue entre le Génie du Feu (le soleil, quoi) et la Nature, qui lève
toute ambiguïté :
… car la Nature se vante de s'amuser à mélanger les atomes et les
humains et à les jeter sur l'échiquier de l'existence sans plan
préalable. La leçon est explicite : les
Grands s'abusent s'ils croient
devoir leur rang à quelque mérite transcendant ou inné. Dans une
société encore fondée sur l'inégalité des conditions sociales et une
hiérarchie liée à la naissance et à l'onction du sacré, je suis assez
fasciné que la censure ait laissé publier et dire ces vers – même si la
veine philosophique, peu propice au débit de l'opéra, a été assez peu
goûtée des spectateurs (c'est aussi un moment moins inspiré de la
musique de Salieri, qui a fait ce qu'il a pu pour se tirer de cet objet
bizarre, à une époque où le matériau adéquat n'existait pas). Ce type
de discours abstrait est effectivement plus caractéristique de l'opéra
germanique avant-gardiste du début du XXe que de la fin du XVIIIe… et
toujours difficile à mettre en musique.
Il existe une édition purgée de cet endroit (humains dérisoires et
puissants abusés), mais c'est celle de l'anthologie des Didot en 1813,
après la mort de Beaumarchais et sous d'autres régimes monarchiques qui
ont imposé leurs modifications à leur tour (on en parle au §6, que je
publierai une autre fois). En 1787,
ce fut bel et bien publié comme je l'ai montré.
PROLOGUE : Discours de l'égalité des ombres
La suite du Prologue fait intervenir des
ombres, toutes identiques, choisies arbitrairement par la Nature
pour sa démonstration – c'estle
paride Così fan tutte
appliqué aux âmes ! La tonalité de l'ensemble, moins sarcastique
vis-à-vis de l'ordre établi, n'en demeure pas moins dans un style très Déclaration Universelle des Droits de
l'Homme
: en dépit des hasards de la naissance, tous sont fondamentalement
égaux, de la même glaise mais aussi des mêmes vertus originelles.
Pour couronner le tout, on voit les ombres supplier la Nature de ne pas
les diviser ainsi (et cela suppose que les méchants tyrans sont
fondamentalement issus d'un Principe innocent ou gentil) :
Je reste là aussi un peu songeur : ces
temps plus heureux sont-ils
ceux où l'on peut écrire ces rêveries idéalistes sans être censuré
(donc le présent de l'auteur), ou ceux d'une autre ère à venir (qui
suppose, en bonne logique, la fin de l'aristocratie) ?
ÉPILOGUE et moralité
Après le couronnement de Tarare par le peuple, malgré lui, l'opéra se
clôt (chose à peu près sans exemple) sur un Épilogue en bizarre
apothéose, qui sert de moralité à l'apologue :
(avec un festival de coquilles dans le premier vers du duo)
« Mortel, qui que tu sois, Prince, Brame ou Soldat ;
HOMME ! ta grandeur sur la terre,
N'appartient point à ton état,
Elle est toute à ton caractère. »
Voilà une conclusion idéologique assez martelée pour un spectacle
destiné au divertissement – et joué à l'Académie Royale de Musique…
Et pourtant, je n'affabule pas, la censure l'a bien lu :
3. Mais
que fait la police ?
Si
le remplacement de Dieu par des allégories est monnaie courante (sise
sur des théories élaborées de correspondances entre les fables
approximatives des Anciens et la vraie religion révélée, longuement
débattues au siècle précédent, en particulier pour les peintres), le
propos du caractère aléatoire de la
distribution des places sociales, et même de l'hérédité
(chaque humain provenant, dans cette représentation, d'atomes et
d'ombres tous frères), a quelque chose de profondément subversif, sapant méthodiquement tous les fondements naturels et spirituels
du pouvoir royal.
Je ne laisse pas de m'étonner que la censure n'y ait rien trouvé à
redire – cette période était-elle déjà si libérale, ou à vau-l'eau, que
les fonctionnaires missent le tampon sur une pièce qui laissait en
lambeaux le principe même d'aristocratie, tout en tournant le clergé en
ridicule ? (Car je n'ai pas insisté sur ce point, le pontife
méchant étant un motif habituel dans les opéras, mais les prêtres sont
ici particulièrement corrompus, se contentant d'abuser de leur pouvoir
pour rendre des oracles à leur guise !)
Beaumarchais semblait plus préoccupé (à
juste titre, si l'on en juge par le type de reproches ensuite reçus,
esthétiques et non politiques) par
l'absence de véritable divertissement final,
et par l'adhésion limitée du public à son ton philosophique, que par
l'opposition des autorités ou même la désapprobation politique.
À telle enseigne qu'il avait écrit une fin alternative où tout le monde
(même Urson, le chef des gardes !) pouvait chanter et danser pour
célébrer le nouveau souverain Tarare (qui règne tout de même « par les
loix & par l'équité ») et l'avait soumis, comme les autres
changements, à la censure pour agrément. Comme le dit Calpigi pendant
le divertissement du sérail : « Je dis… qu'on croira voir ces
spectacles de France, / Où tout va bien, pourvu qu'on danse. »
Beaumarchais, dans sa recommandation, indiquait préférer la fin
philosophique, mais accepter que l'autre soit jouée si nécessaire – le censeur valida les deux (et,
d'après ce que j'ai cru retirer des comptes-rendus d'époque, on joua la
version voulue par Beaumarchais, qui ne recueillit justement pas un
grand assentiment malgré le spectaculaire succès général de l'œuvre).
Tout éclairage d'un spécialiste de la période est évidemment bienvenu –
je n'ai rien trouvé dans les ouvrages spécialisés ; on y parle des
succès des représentations, éventuellement des amendements, mais rien
sur le caractère subversif du texte à l'époque de son écriture (qui
débute en 1774, donc pas tout à fait à la veille de la Révolution).
(Costume du ballet.)
=>
Et après ?
Deux
autres épisodes sont déjà prêts et
seront publiés en temps voulu (puis reportés sous cette première
notule).
¶ §4 et §5, aux origines de Tarare
: histoire de la commande (auto-saisine de Beaumarchais), les sources
littéraires (conte philosophique), les sens du mot (localité,
agriculture, interjection, projet de Beaumarchais).
¶ §6 et §7, l'accueil de Tarare
: réception du public, débats de censure (pas avec les autorités que
l'on aurait cru !) et, plus intéressant, les très nombreuses
altérations de l'œuvre sous tous les régimes politiques qui se
succèdent de l'Ancien Régime à la Restauration, période au cours de
laquelle Tarare est
régulièrement repris avec un succès qui ne se dément pas – et assez
tard pour qu'Adolphe Nourrit puisse le chanter !
Après cela, il restera quelques mots à dire du projet réel de
Beaumarchais (on n'aura parlé jusqu'ici que de ce que le public
en
perçoit, mais la volonté de l'auteur ne s'y superpose pas
complètement), puis à aborder la
musique,
où il y a énormément à dire
aussi, tant elle se distingue de son époque pour regarder vers la
logique du drame continu et total du milieu du XIXe siècle. (Préfigure
l'économie dramatique à l'œuvre chez Meyerbeer, Verdi ou Wagner.)
ÉPISODE 2 : l'histoire d'un nom et les mutations sous les sept-régimes
Sept régimes, c'est-à-dire monarchie, monarchie constitutionnelle, Convention, Directoire, Consulat, Empire, Restauration… chacun organisant au moins une reprise de Tarare… en en changeant la fin !
Voici donc la suite de la découverte de l'étrange Tarare. Dans le premier épisode – à la suite duquel cette nouvelle
notule vient d'être ajoutée, pour faciliter la lecture –, on s'était
attardé sur la doctrine philosophique semée dans l'ouvrage par
Beaumarchais. Cette fois-ci, c'est l'origine même du nom du héros, et
surtout la réception publique et politique, ainsi que les mutations
subséquentes de la pièce, qui vont nous occuper : tout cela tisse, vous
le verrez, une relation particulièrement étroite avec les événements
politiques du temps.
Pour vous permettre de suivre avec plus de facilité, outre le court
argument proposé dans la notule d'origine, vous pouvez trouver le texte
complet de la version de 1787 sur Google Books, ainsi que deux
versions, celle de Malgoire
publiée en DVD (chantée en volapük à l'exception de Crook et Lafont,
mais jouée de façon « informée ») ou celle, inédite, de Chaslin
(par une équipe francophone, mais orchestralement épaisse, plus
conforme au Gluck des années 60) – je conseille celle de Malgoire.
4.
Avant Tarare
Il
m'est un peu difficile de distinguer la légende de l'histoire avérée,
cela réclamerait plus ample investigation (et excèderait quelque peu
mon sujet), mais voici toujours ce qu'on trouve autour des origines de
l'opéra de Beaumarchais.
Tout débute avec Iphigénie en Aulide
dont la création à Paris en 1774
donne le coup d'envoi. Beaumarchais rencontre à cette occasion Gluck,
sans se présenter d'abord, et l'on raconte que celui-ci aurait
identifié l'auteur à ses opinions claires sur la musique ; ils auraient
alors projeté de faire un opéra ensemble. Beaumarchais achève très vite
sa version préparatoire en prose de Tarare,
mais lorsque le livret est achevé (c'est un mois après la création du Mariage de Figaro,
en 1784), Gluck décline très poliment en alléguant son âge – que ce
soit par peu d'intérêt pour des paroles en l'air aimablement prononcées
deux lustres plus tôt, par peu de conviction envers la matière très
particulière que lui soumet Beaumarchais, ou par réelle lassitude,
personne ne pourra jamais le déterminer sauf à ce que le chevalier
Gluck ait tenu un journal intime pas encore exhumé.
Le compositeur propose en revanche de lui envoyer son élève et protégé,
Salieri. Beaumarchais le reçoit
avec
une diligence et une chaleur dont l'intéressé se souvient des
années plus tard : logé chez Beaumarchais, et visité chaque jour par
son hôte constatant l'avancée des travaux, immanquablement félicité
avec
chaleur. La correspondance de Beaumarchais montre à ce propos
un enthousiasme sincère, manifestement heureux qu'un compositeur
s'investisse dans un projet qu'il n'avait pas les moyens de mettre
lui-même en musique (malgré sa volonté première, et quelques esquisses
musicales envoyées à Salieri pour la « chanson du Nègre » dans la
refonte de 1790), reconnaissant le dévouement de Salieri, renonçant
à bien des beautés qu'il avait écrites pour rendre les scènes plus
denses (obsession de Beaumarchais, on y reviendra).
(Maquette de costume de l'équipe de Louis-René Boquet pour la
création d'Iphigénie.)
5.
L'origine de la fable
Beaumarchais, dans une intrigue de sérail à la mode (avec un sultan
cruel, une amante captive, un ami de l'intérieur…) a en réalité
emprunté le nom de Tarare au
conte (assez long) Fleur
d'Épine d'Antoine Hamilton.
Le héros y est
aussi le conseiller (plutôt que le général) d'un Calife, mais le reste
de l'intrigue et des caractères sont bien différents : Tarare y est
bien plus osé et adroit, et il y est question de vie à la Cour, de
princesse et de sorcière…
Néanmoins, Beaumarchais n'en tire pas que la phonétique à la fois
exotique,
simple et sonore : à chaque fois qu'est désigné Tarare, la mention fait
entrer le sultan Atar, homme
féroce
et sans frein (dit le programme d'époque), en fureur ; et
souvent, comme chez Hamilton, le nom
de Tarare se répète comme en écho.
Ce n'est plus dans une accumulation comique de dialogues :
L'une des premières
apparitions de Tarare chez Hamilton :
Autre exemple d'écho :
… chez Beaumarchais au contraire, l'apparition du nom de Tarare, très
fréquente, surtout dans la bouche du sultan furieux, est toujours chargée d'éclat dramatique
– elle est même à deux reprises
l'origine de coups de théâtre !
D'abord au temple, à l'acte II : le Grand Prêtre Arthenée avait prévu
de faire promouvoir son fils Altamort chef de l'armée, mais le garçon
du temple, choisi pour sa simplicité, fait un étrange lapsus, repris
par les cris d'enthousiasme du peuple et de la garde.(Difficile de
réentendre ce nom sans avoir ces chants à l'oreille, par la suite…)
[[]]
Nicolas Rivenq, Deutsche Händel Solisten, Jean-Claude Malgoire, Schwetzingen
1988.
Puis, à l'acte III, les couplets où Calpigi raconte sa triste vie sur
un mode plaisant, afin de réjouir
la Cour du Sultan et célébrer la noce forcée au sérail d'Astasie,
bien-aimée de
Tarare : le seul mot interrompt la fête en précipitant le souverain
comblé dans une fureur meurtrière (manquant d'occire ses serviteurs au
hasard dans une scène subséquente). Et, à nouveau, le nom passe sur
toutes les lèvres.
[[]]
Successivement Eberhard Lorenz, Zehava Gal, Jean-Philippe
Lafont, Anna Caleb,
Deutsche Händel Solisten, Jean-Claude Malgoire, Schwetzingen 1988.
Une belle réexploitation théâtrale du principe, donc.
Au demeurant, « tarare » est un
véritable mot, qui dispose de plusieurs significations :
il n'y a pas de relation avec la ville du Rhône, près de
Lyon d'un côté, de Montbrison
de l'autre (où ni Beaumarchais ni Salieri n'ont jamais dû mettre les
pieds), ni (malgré l'hypothèse d'Hélène Himelfarb, séduisante mais pas
vraiment concordante avec les écrits de Beaumarchais lui-même sur la
question) avec la machine
agricole (une vanneuse, alors novatrice, on en trouve des
planches dans l'Encyclopédie).
En revanche, le sens qui ne devait pas manquer de frapper les oreilles,
surtout dans ce contexte répétitif, est celui de l'interjection tarare, un équivalent de tralala
– aussi
bien pour les refrains des chansons que pour signifier « mais bien sûr,
cause toujours ». Les auteurs des huit parodies de l'ouvrage ne s'y
sont pas tompés, renommant le héros Gare-Gare, Fanfare, Bernique, et
plus proche encore, Turelure ou Lanlaire. Remplacez Tarare par Taratata
ou Lanlaire dans les extraits précédents et observez l'effet.
(Cliquez sur la carte pour l'afficher.)
Ce résultat n'était pas dû à une imprudence de Beaumarchais : il
explique en effet dans sa correspondance qu'il souhaitait voir s'il
pouvait mener le public à estimer ce
nom
qui n'était rien (ce qui cadre au demeurant parfaitement avec le propos
philosophique de la pièce) ; il revendique aussi d'avoir voulu « égayerle ton souvent un peu sombre que
l'intérêt m'a forcé d'employer » par l'apparition et la répétition de
ce nom un peu dérisoire.
Cela lui fut bien sûr reproché lors des premières représentations : non
seulement le sujet (il est vrai qu'il tient un peu du
vaudeville-au-sérail), mais aussi le nom du héros, assez peu dignes de
l'Académie Royale de Musique – où l'on jouait les œuvres sérieuses,
héritières des tragédies en musique de LULLY, continuant généralement à
reprendre les sujets mythologiques.
6.
Quel
accueil pour Tarare en 1787 ?
Je reviendrai plus tard sur la musique,
mais elle a généralement été
considérée à l'époque (à grand
tort) comme assez plate, trop peu
mélodique, sans doute parce que son geste de composition continue a
paru assez exotique en un temps où l'ariette était toute-puissante, et
où la critique ne jurait que par Gluck (avec un parti pris assez outré
qui ne laisse pas d'étonner vu les similitudes, voire les qualités
supérieures de ses collègues en exercice à paris). Sans surprise, on a
particulièrement goûté les couplets de Calpigi « Je suis né natif de
Ferrare » (fondé sur un simple balancement en 6/8 ; tout à fait
strophique, avec un refrain en sus à l'intérieur de chaque couplet –
l'une des pages les plus simples de l'opéra).
L'accueil réservé au livret
est autrement intéressant. On a beaucoup moqué ses vers mal faits ou
assez impossibles, et il est vrai que la syntaxe est quelquefois bien trop longue pour le débit
parlé, et encore plus chanté : Mais
pour moi, qu'est une parcelle, / À travers ces foules d'humains, / Que
je répands à pleines mains, / Sur cette terre, pour y naître, / Briller
un instant, disparaître, / Laissant à des hommes nouveaux, / Pressés
comme eux, dans la carrière, / De main en main, les courts flambeaux /
De leur existence éphémère. Par ailleurs, on le voit bien, en
plus de ces mots trop éloignés les uns des autres, le caractère abstrait du propos rend difficile de
suivre si on manque un mot. Quinault avait très bien théorisé (et
réalisé) le fait qu'utiliser un vocabulaire limité et des expressions
figées permettait au public de suivre même en passant à côté d'une
syllabe ou de quelques mots… Ici, même en ayant tous les mots, il faut
convoquer une sérieuse dose de concentration pour suivre – à la
lecture, ce n'est pas bien compliqué, mais au rythme distendu imposé par la présence
de musique, même avec une diction parfaite, et même en ayant
déjà lu le texte, c'est un véritable
défi !
Les contemporains ont aussi été assez dubitatifs sur l'ambition totalisante de ce drame
(intrigue héroïque très sérieuse, mais mêlées de beaucoup de pitreries,
de scènes de quiproquos, et littéralement bardé, sur ses extrémités, de
philosophie). Ainsi la Nature
devisant avec le Génie du feu des causes des rangs humains et des
caractères, de la naissance et du mérite individuel, en jouant avec des
Ombres indistinctes figurant les futurs protagonistes du drame. Même
les passages censément mélodiques se répandent en références aux
théories scientifiques existantes : Froids
humains, non encore vivants ; / Atomes perdus dans l'espace : / Que
chacun de vos éléments, / Se rapproche et prenne sa place / Suivant
l'ordre, la pesanteur, / Et toutes les lois immuables / Que l'Éternel
dispensateur / Impose aux êtres vos semblables. / Humains, non encore
existants, / À mes yeux paraissez vivants. C'est la figure
traditionnelle de l'invocation des Ombres ou des Enfers, un classique
depuis Lully (même si sensiblement moins en vogue dans ce dernier quart
du XVIIIe siècle), mais dans une forme qui ne cherche plus l'effet sur
le spectateur, et vise plutôt une sorte
de pédagogie – on pourrait quasiment parler de vulgarisation.
On a donc, comme pour Scribe, tiens donc, particulièrement admiré le
sens dramaturgique de Beaumarchais, avec
ses grands coups de théâtre, sa tension permanente, et le débat n'a pas vraiment insisté sur la
portée politique de ce tyran déchu, remplacé par un monarque
sans naissance élu pour ses vertus, ni sur la moralité faisant l'éloge
du caractère contre le rang.
Tarare produit en tout cas une
très substantielle recette, et
Grimm note même l'intérêt
extraordinaire du public dans sa Correspondance :
Les spectateurs, que l'on voit se renouveler à chaque
représentation de cet opéra, l'écoutent avec un silence et une sorte
d'étourdissement dont il n'y a jamais eu d'autre exemple à aucun
théâtre.
Les rapports du temps attestent que le concours était tel
que l'on avait prévenu qu'il était indispensable d'avoir déjà réservé,
qu'on ne laisserait pas entrer les habituels titulaires de faveurs et
d'exemptions, et qu'une garde de 400 hommes avait été dépêchée pour
contenir la foule qui se pressait pour essayer d'entrer le jour de la
création.
Les lettrés ont pu se moquer de certains aspects, mais Tarare fut un succès public assez considérable.
On trouve d'ailleurs quantité
d'arrangements de l'Ouverture, d'airs vocaux (les plus légers,
notamment Ainsi qu'une abeille
et bien sûr Je suis né natif de
Ferrare) ou d'airs de danses pour des exécutions domestiques
(violon-piano, violon-alto, etc.), des
parodies (7 dans l'année 1787, alors que la création n'avait eu
lieu qu'en août !), et même un
ouvrage de critique artistique du Salon
de peinture de 1787, consistant en un dialogue entre Tarare (l'ingénu
qui apprécie les qualités) et Calpigi (l'esthète italien informé et
exigeant). Le second volume de cette œuvre anonyme, reproduit
ci-contre, débute même avec plusieurs références directes au contenu de
l'opéra, notamment les origines géographiques des deux personnages et
le Ahi povero ! tiré du
refrain de l'histoire de Calpigi à l'acte III.
Plusieurs sources déclarent que Beaumarchais avait retiré l'œuvre de
l'affiche dès novembre, en raison d'une certaine incurie des acteurs au
fil des représentations, mais on trouve trace de 33 représentations
pour cette première série, qui s'étend jusqu'en 1788… Je ne peux pas me
prononcer, en l'état, sur les raisons de l'interruption des
représentations.
Plus encore que le contexte de la création, l'histoire des reprises est
assez fascinante, et très contre-intuitive :
7.
Quatre
reprises pour Tarare, sous
quatre nouveaux régimes politiques :
¶En 1790, ère de monarchie
constitutionnelle, Beaumarchais étoffe le final de l'ouvrage (renommé Tarare ou le Despotisme – le titre complet étant à
l'origine Tarare ou le roi d'Ormus)
en faisant régner le nouveau
souverain par le Livre de la loiqu'on lui remet, et les ordres de l'État se mêlent dans une
ronde en chantant sa louange, lui recommandant de veiller à l'équité.
On y trouve aussi de nombreux reflets des prises de position du temps :
— Tarare libère les brahmines et les bonzes
de leurs vœux, car les vrais
citoyens, ce sont les époux et les pères. (Autrement
dit, il recommande aux moines de se mettre à fricoter – écho au mariage des
prêtres.)
— Il permet le divorce à
Spinette et Calpigi (castrat devenu eunuque), le tout assorti de danses
comiques mimant la séparation de couples.
— Il accorde sa protection aux nègres(il reste une ambiguïté sur leur
affranchissement…). L'image que se fait Beaumarchais de ces peuples se
lit
dans le projet d'ariette qu'il envoie à Salieri en 1790 (en lui
fournissant un projet de mélodie tiré de sa transcription d'un air
traditionnel) :
(exemple précoce du style proto-banania)
Par ailleurs, Salieri a pour l'occasion totalement récrit l'Ouverture.
Dans cette version de 1790, Beaumarchais continue sa pédagogie en
lançant quantité de maximes dans
son final, adapté à la politique du temps : « La liberté n'est pas
d'abuser de ses droits », « La liberté consiste à n'obéir qu'aux lois
», « Licence, abus de liberté, / Sont les sources du crime et de la
pauvreté », en mettant en scène une foule désordonnée que les soldats
font doucement reculer.
Étrangement, ce n'est pas
Ignorez-vous, soldats usurpant le pouvoir / Que le respect des rois est
le premier devoir ? qui attire les réserves de Sylvain Bailly,
maire de Paris, mais Nous avons le
meilleur des rois / Jurons de mourir sous ses lois, qu'il
demande à Beaumarchais « de changer et d'adoucir » afin de permettre la
reprise.
La pièce est jouée régulièrement
jusqu'à la chute de la monarchie constitutionnelle en 1792, dans une atmosphère houleuse
(indépendamment du très grand succès
public, que les démonstrations politiques ne doivent pas
occulter), chaque parti
s'élevant pour ou contre chacun de ces tableaux (dans un beau tapage
lors des premières représentations, tradition qui ne date pas d'hier) : le loyalisme
de Tarare, la monarchie constitutionnelle, le mariage des prêtres, le
divorce, la semi-émancipation des esclaves (hardie pour les uns, timide
pour les autres), la restriction des libertés pour la paix civile… en
convoquant les grands sujets du temps, Beaumarchais fait de son opéra
un lieu de débat. Mais c'est à dessein : il a semble-t-il dépêché des
huissiers à plusieurs reprises pour contraindre les acteurs à conserver
le texte écrit.
¶ En 1795,
la Convention souhaite
reprendre la pièce (dont les décors et costumes ont coûté fort
cher), avec les aménagements nécessaires à la nouvelle situation
politique. Beaumarchais, alors en exil, s'y oppose, mais on se doute
bien que ses désirs étaient peu de chose en la circonstance. En
cherchant un peu plus de précisions, j'ai pu trouver un acte qui
atteste des négociations : Mme Beaumarchais obtient des officiels de la
Convention finissante un acte (reproduit ci-dessous, je le trouve assez
éclairant) dans lequels ceux-ci s'engagent à ne pas retenir contre son
mari les répliques qui pourraient être considérées comme offensantes,
et à prendre sur eux la responsabilité des réactions au texte de
l'opéra. Par ailleurs (et ceci paraît contradictoire), ils affirment le
principe que l'auteur pourra demander les changements de son choix, et
même rétablir le Prologue (il est vrai pas du tout gênant, sa
philosophie compromettant surtout la monarchie héréditaire). Pourtant,
il n'a pas été joué alors que Beaumarchais y tenait beaucoup ; je
suppose (sans fondement particulier, dois-je préciser) que Beaumarchais
n'a pas voulu s'attirer davantage d'ennuis alors que d'autres
acceptaient de prendre les risques. Par ailleurs, son épouse lui avait
quelques mots rassérénant sur la cause de cet abandon : « ce prologue est d'une
philosophie trop supérieure aux facultés des individus composant
maintenant l'auditoire , [...] le sublime est en pure perte » ;
peut-être s'est-il rendu à cette conclusion.
(Cliquez sur les deux premières vignettes pour les voir en
pleine page.)
C'est son ami Nicolas-Étienne Framery,
auteur de livrets de comédies à ariettes puis d'opéras comiques
(notamment avec Sacchini, et même pour son sérieux Renaud), traducteur d'opéras
italiens (dont les airs du Barbier
de Séville de Paisiello) et du Tasse, surintendant de la musique
du comte d'Artois, fondateur d'une société d'auteurs et compositeurs
dramatiques chargée du (difficile) recouvrement des droit, auteur d'un Avis aux poètes lyriques, ou De la
nécessité du rythme et de la césure dans les hymnes ou odes destinés à
la musique, aussi l'un des rares commentateurs du temps à
s'occuper précisément du contenu musical et pas seulement de sa
description littéraire, qui opère les nombreux amendements au livret.
Évidemment, une fois que le sultan s'est donné la mort, Tarare ne peut
accepter l'hommage de son peuple : «
Le trône ! amis, qu'osez-vous dire ? / Quand pour votre bonheur la
tyrannie expire, / Vous voudriez encore un roi ! » et à la
demande d'Urson « Et quel autre sur
nous pourrait régner ? », de répondre « La loi ! ».
C'est là que se produit l'inversion
étonnante : Tarare,
mettant ouvertement en cause la monarchie héréditaire, remplacée par
l'acclamation d'un homme sans titres nommé Taratata Koztužur (la
signification du mot « tarare »), n'avait pas produit de scandale
politique en 1787 – on s'est moqué de sa philosophie et surtout de ses
vers, mais on ne s'est guère récrié (semble-t-il : je n'ai pas lu tout
ce qui a été produit, ce serait un travail à temps plein, un peu
excessif dans le cadre d'une notule) contre ses opinions sur le
meilleur gouvernement des hommes.
En 1795, le public réagit vivement aux vers du cinquième acte, chantés
par un Citoyen :
Sur le tyran portons notre
vengeance, Du long abus de la puissance Tout le peuple à la fin est las.
… en l'appliquant à la Convention ! C'est-à-dire que tout
l'appareil de propagande anti-monarchique était systématiquement
utilisé, par le public, contre le pouvoir actuel (et déclinant), qui
venait de promulguer la Constitution de l'an III – dans laquelle était
prévue la réélection forcée des deux tiers des membres de la
Convention. Alors que le pouvoir voulait renforcer sa propagande en
faisant tonner l'opéra contre les rois, il offre au public l'allégorie
de son propre régime – à travers l'image de la royauté, un
comble.
Pourtant, en 1787, la censure le lisait avec attention, et Beaumarchais
sortait d'un de ses nombreux procès… mais le scandale ne s'est pas
allumé où l'on aurait cru.
C'est l'une des choses les plus intriguantes à propos de Tarare :
les royautés et l'Empire se sont assez bien accommodés de son propos
sédicieux, dont fut surtout victime, paradoxalement, la Convention.
¶ En 1802,
sous le Consulat, l'ouvrage est repris avec les modifications
politiques afférentes (c'est après la mort de Beaumarchais), puis en 1819 sous
Louis XVIII, où, comprimé en trois actes et tout à fait amputé
de ses composantes philosophiques, Tarare
reprenait sa place d'opéra sans conséquence – son héros se prosternant
à la fin devant le tyran repenti, qui lui rend son commandement
militaire et sa femme. La bonne fortune de Tarare se poursuit, sans que
j'aie connaissance des adaptations exactes, avec des reprises en 1824, 1825, 1826,
également à Londres
(1825) et Hambourg (1841),
longévité tout à fait exceptionnelle
pour un ouvrage des années 1780,
et par-dessus quel nombre de bouleversements politiques !
Même si Beaumarchais en fut la première victime, il ne faut pas croire
qu'il n'ait pas cherché à tirer parti de ces fluctuations du pouvoir ;
en 1789, briguant le poste de représentation de la commune, il souligne
dans un mémoire que Tarare
avait préparé, et même hâté la Révolution :
Ô citoyens, souvenez-vous du temps où vos penseurs,
inquiétés, forcés de voiler leurs idées, s'enveloppaient d'allégories,
et labouraient péniblement le champ de la révolution ! Après
quelques autres essais, je jetai dans la terre, à mes risques et
périls, ce germe d'un chêne civique au sol brûlé de l'Opéra.
L'influence de Tarare se mesure, outre à son affluence initiale et à
ses nombreuses reprises, au généreux amoncellement de parodies, dès les premiers mois :
créé à l'été 1787, l'opéra dispose de pas mois de 7 parodies à la fin
de l'année : Bernique ou le Tyran
comique, Lanlaire ou le Chaos,
Fanfare ou le Garde-Chasse, Colin-Maillard, Bagarre, Ponpon, Turelure ou le Chaos perpéturel –
on peut voir les références diversement précises au projet de
Beaumarchais. S'ajoute Gare-Gare
pour la reprise de 1790.
7. Le
projet de Beaumarchais
Dans les prochains épisodes, on reviendra sur les motivations de
Beaumarchais, les idéaux à l'œuvre, les conditions d'élaboration. Puis
il sera temps d'approcher de plus près la musique et son projet
étonnamment wagnérisant. Avec un peu de patience.
On
parle de choses hautement intéressantes et pas seulement parisiennes,
des œuvres elles-mêmes ou de ce qui fait la musique, mais ça râle en
coulisse, on veut des comptes-rendus – après tout, héritage d'un
premier site aujourd'hui désaffecté, Carnets
sur sol n'est-il pas hébergé sous le nom de domaine operacritiques ? Comme, il
faut bien se l'avouer, je vais voir des choses hautement passionnantes,
je finis par condescendre à un survol des concerts dont je n'ai pas
fait état depuis janvier. Comme me le dit mon portier lorsque nous
échangeons nos salutations mensuelles, ma munificence sera ma perte.
Passion de Sondheim
Les critiques étaient positives quoique plus mesurées que les années
précédentes, mais de mon côté, tout de bon de la déception : c'est un
petit Sondheim, où les
trouvailles habituelles font défaut.
¶ Je n'ai pas lu le roman de Tarchetti
(vraiment pas mon chouchou dans la scapigliatura).
James Lapine en tire quelques
bons dispositifs, comme ces lettres qui permettent aux absents de
s'incarner sur scène, où ces voix de personnages du passé qui se mêlent
à l'action présente, aussi tangibles et simultanées que l'est le
souvenir.
Pour le reste, là où le roman devait être, au milieu du XIXe siècle,
une originalité malsaine (un officier admiré qui se trouve persécuté
par une femme laide, puis épris d'elle), un peu dans le goût d'Armance de Stendhal, on remarque
surtout le caractère très prévisible de l'ensemble. Au lieu d'une pièce
qui fasse méditer sur les voies habituelles de l'amour (l'attraction
pour la jeunesse et la beauté est, à défaut d'être toujours décisive,
sensible pour tous), on assiste à une succession très répétitive de
phrases où gît le mot amour
et les leçons afférentes sur ce qu'est l'amour véritable… Le style
tient plus du manuel de développement personnel de gare que du grand
roman évocateur.
¶ Musicalement non, ce n'est pas une fête incommensurable : la musique
est certes continue et ne se limite pas à de simples ritournelles, mais
on y repère peu de thèmes marquants, dont certains repris et usés tout
au long de l'ouvrage. Parmi les quelques trouvailles, toujours de beaux
ensembles (mais Sondheim a
fait tellement meux), l'entrée de Fosca sur cette mélodie de hautbois
(qui semble assez directement inspirée par l'entrée d'Arabella dans
l'opéra éponyme de Strauss). Les poussées lyriques tchaïkovskiennes ou
korngoldiennes sont aussi assez convenues.
¶ Visuellement, la mise en scène de Fanny
Ardant, beaucoup moins spectaculaire qu'à l'accoutumée au
Châtelet pour ces musicals-grand-opéra
(Les Misérables,
Carousel,
Sunday in the Park
with George, Into the Woods…), ne comble pas
vraiment ces manques. Quelques moments bien vus, vraiment dans le goût
de Lapine, comme ces personnages absents qui disent leur lettre et
viennent soudain quitter l'arrière-scène, descendre de leur tapis
roulant pour venir intervenir de façon plaisante. Néanmoins, d'une
manière générale l'absence cruelle d'humour, qui se prête peu au genre
ni surtout au talent des deux auteurs, n'est pas compensée
scéniquement. Devant ces toiles en lignes noires (comme sur l'affiche)
qui alternent pour figurer les changements de lieux, tout demeure assez
littéral.
À cela s'ajoute la grande bévue de l'apparition finale de Fosca en robe
écarlate, comme si elle était devenue belle par l'amour – en d'autres
termes, on passe deux heures de prêchi-prêcha sur un amour différent
des autres, tout ça pour aboutir au fait que l'héroïne devient jolie.
Censé regarder au delà des apparences physiques, on ne fait renforcer
le préjugé : « quel exploit, tout de même, d'accepter d'aimer quelqu'un
de laid, de le faire devenir beau – car on ne peut aimer que quelqu'un
de beau ».
¶ Les interprètes, en revanche, choisis pour beaucoup sur une triple
compétence (chant lyrique, chant de type musical, anglais impeccable),
forçaient l'admiration. Erica Spyres
(Clara, la première amante de Giorgio), véritable spécialiste, brillait
par sa voix fine et tranchante, où l'on remarque en particulier des [i]
très denses et timbrés (ce qui est rare dans ce type de technique) ; Ryan Silverman (Giorgio), dans le
plus gros rôle de la soirée, maîtrise tous les registres expressifs
avec une voix de baryton ample comme à l'Opéra et nette comme au musical, d'un naturel parfait ; Kimy McLaren, elle aussi compétente sur tous les
fronts, immédiatement persuasive dans son tout petit rôle de maîtresse
éconduite ; Damian Thantrey,
épais et prégnant faux comte vrai libertin ; enfin Natalie Dessay, qui n'est pas la
plus impressionnante du plateau (on aurait sans doute trouvé mieux avec
une spécialiste, moins rempli le théâtre aussi), mais qui se montre
irréprochable, d'un anglais très aisé, et d'une technique tout à fait
assimilée (mécanisme
I, voix de poitrine très peu utilisée chez les femmes à l'Opéra),
loin des petits soupirs désagréablement soufflés et difficilement
audibles qui avaient marqué ses débuts dans ce répertoire – la voix est
tout à fait timbrée à présent, on suppose le grand travail de réforme
que cela a dû supposer (ce qui permet de ne pas entendre une artiste
déclinante, mais tout simplement une artiste capable de supporter son
rôle).
Contrairement à d'autres titres très remplis, il restait beaucoup de
places, surtout dans les catégories basses étrangement – mais
considérant que ni le titre, ni le sujet, ni les critiques n'avaient
quelque chose de particulièrement attirant, c'est peut-être normal.
Ce n'est pas du tout une soirée désagréable, elle s'écoute même sans
aucune difficulté, mais disons que pour du Sondheim, on se situe plutôt
vers une sorte de Sweeney Todd
(livret de Wheeler) avec moins de mélodies et pas d'humour, et guère du
côté de ses formidables opéras de caractère avec Lapine.
Lalo – La Jacquerie, création – David
Achevée à la demande de la famille par Arthur
Coquard après la mort du compositeur (à partir du seul premier acte, lui-même inachevé – donc essentiellement une œuvre de Coquard), jamais redonnée depuis la création à Monte-Carlo, la partition ne
paraissait pas bouleversante après la radiodiffusion de Montpellier ; pas de révélation
non plus en salle, et surtout pas l'acte de la main de Lalo.
Le livret est une horreur, qui
ferait hurler de rire s'il n'était pas aussi peu spirituel : tous les
passages obligés y sont, mais traités avec une maladresse incroyable
pour des littérateurs, même médiocres – farci de mal dits,
de bafouillages peu clairs ou redondants… On a l'impression que toutes
les phrases (je n'ose parler de vers) ont été écrites par un apprenti
poète sur un coin de nappe, les pieds reposant tranquillement sur un
brasier de sangsues ardentes – c'est à peu près aussi intelligent que
ça ; et pourtant, un amateur d'opéra en a vu, des livrets douteux.
Les deux premiers actes ne contiennent musicalement
à peu près rien à sauver, à part une suite continue et décousue
d'épisodes, où l'on ne sent ni l'opéra à numéros, ni le flux continu
meyerbeerien avec des jointures travaillées. Pas de mélodies saillante,
ni d'effets d'orchestration… à la fin du XIXe, on en était quand même
rendu à un peu mieux que du belcanto à la française sans récitatifs,
sans airs et sans agilité. Les actes III et IV sont meilleurs, surtout
le dernier, fondé sur un ostinato qui, de plutôt dansant, devient
sauvage et menaçant. La fin évoque, par certains côtés, l'ambiance du
final de Sigurd de
Reyer.
Je m'explique modérément pourquoi, dans le choix immense du romantisme
français enfoui, Bru Zane a
jeté son dévolu sur cet ouvrage-ci, malgré ses beautés – à part que
tous avons tous envie d'épuiser le catalogue des opéras de Lalo (Fiesque
était un enchantement).
Par-dessus le marché, l'enthousiasme ne submergeait pas les musiciens…
le Philharmonique de Radio-France
était, en plus du style qui lui est plutôt étranger (ce n'est vraiment
pas leur son ni leur habitude, en cela pas de quoi les blâmer), d'une
mollesse inaccoutumée, et même d'une quasi-désinvolture : ils jouent un
Korngold immaculé, mais un petit Lalo (et même pas dans les moments
d'accompagnement), il parviennent à faire des départs décalés !
Il
suffisait de regarder la longueur d'archet, élément en général
révélateur : même du côté des premières chaises, on était plutôt
économe. Alors, avec une œuvre déjà fragile…
Assez déçu que Patrick Davin,
pourtant d'ordinaire un excellent spécialiste du répertoire lyrique
français, n'ait pas réussi à insuffler ce supplément à ses musiciens.
Côté chant, Edgaras Montvidas
plutôt en méforme (tout à fait inintelligible, et la voix, coincée à
l'intérieur, peine à sortir) ne reproduit pas les séductions de son
récent Dante (ou chez David) ; Nora
Gubisch
est toujours aussi mal articulée, mais le volume sonore et l'énergie
compensent très bien au concert (c'est plus difficile, trouvé-je, en
retransmission). Enfin Florian Sempey
me laisse toujours aussi dubitatif : la voix, trop
couverte, trop tassée sur ses fondements, ne parvient pas à sonner au
delà du simple forte,
et se trouve régulièrement submergée par l'orchestre, sans pouvoir
claquer davantage dans les moments dramatiques ; cela bride
complètement son expression, aussi bien la nuance fine (interdite par
la charpente trop contraignante) que dans le lâcher-prise des grands
épanchements. N'importe lequel des choristes
de Radio-France
(qui nous ont gratifié d'un superbe chœur en voix mixte, ce qui prouve
qu'il existe bel et bien un problème de direction, et non pas de
qualité du recrutement !) donne plus de son, c'est pourquoi son
chouchoutage actuel me laisse interdit. Ce serait une valeur sûre dans
un ensemble vocal, mais pour des rôles dramatiques, il manque tout de
même quelques qualités essentielles.
Enfn Véronique Gens, qui sera
sans doute un jour un symbole de l'Âge d'or des années 2000-2010, « à
l'époque où les chanteurs savaient encore chanter », et dont on parlera
comme on le fait aujourd'hui de Tebaldi ou de Mödl. Une Princesse,
absolument : l'élocution est d'une clarté parfaite alors que la voix
est moelleuse, la ligne évidente alors que le geste vocal est flottant,
la projection aisée alors l'émission n'est pas métallique… et
par-dessus tout, toujours en tirer parti pour donner vie aux
personnages, au verbe… ce livret épouvantable devient poème sous sa
touche d'une élégance souveraine qui n'interdit pas l'incandescence.
Et, comme à chaque fois, je me demande comme il est possible de
soutenir vocalement tous ces paradoxes : une émission un peu amollie
devrait ne pas être intelligible, une diction aussi précise devrait
abîmer le timbre de la partie haute de la voix, voire l'affaisser… et
pourtant la voilà, volant de première mondiale en première mondiale (ce
qui est beaucoup plus dangereux, évidemment, que de prendre des risques
dans des rôles bien balisés), sans manifester la moindre faiblesse. Je
vois d'ici ce qu'on dira d'elle dans cinquante ans. Et acquérir cette
notoriété très largement dans le baroque et les français rares…
LULLY forever
Au Théâtre des Champs-Élysées, extraitsde :
Chaos de REBEL Thésée de LULLY Persée de LULLY Acis& Galatée de LULLY Armide de LULLY
Médée de CHARPENTIER
Dardanus de RAMEAU
Scylla & Glaucus de LECLAIR
Von Otter, Naouri, Le Concert d'Astrée, Emmanuelle Haïm
Contrairement à l'annonce sur le site du Théâtre, toujours pas mise à
jour, beaucoup moins de Rameau et beaucoup plus de LULLY
! Il était donc impossible de le manquer. Je n'aime pas beaucoup
la formule du récital d'opéra, mais lorsqu'il y a de grands récitatifs
et des duos entiers, comment résister ? Ce sera d'ailleurs mon
second récital lyrique (hors lied) de la saison, le premier étant
consacré à… des scènes de LULLY. (Haïm avec les formidables étudiants du CNSM : Madelin,
Hyon, Benos…)
Comme prévu, pas très intéressant dans la réalisation : Anne-Sofie von Otter véritable
musicienne, mais ne pouvant plus du tout chanter au-dessus de la nuance
mezzo piano, elle ne peut
guère varier les effets, et tout paraît identique. L'orchestre est
obligé de jouer très doucement dès qu'elle prend la parole… on la
croirait changée en chanteuse à texte (or, sans micro…) ; cela étant,
sa maîtrise du très peu qui lui reste force l'admiration, tout reste
très net et elle tente des choses à rebours pas mal vues (l'invocation
infernale de Circé, tout en nuances douces).
La voix de Laurent Naouri
continue de s'empâter à l'intérieur du corps, mais l'autorité naturelle
de la voix, le retour ponctuel d'un peu de métal et l'abattage lui
permettent de tenir décemment la rampe, même si les duos de ces deux
gloires déclinantes a forcément quelque chose d'un peu inférieur à ce
que réclament les pages.
Tout cela, on le savait avant de venir : c'était l'occasion d'écouter
un programme jouissif qui n'aurait jamais été donné si on avait choisi
à la place M.-A. Henry et T. Lavoie (mais on aurait pu avoir d'Oustrac
et Costanzo, par exemple…). En revanche, assez déçu (voire, il faut
l'admettre, un rien irrité) par Le
Concert d'Astrée, qui pendant toute la partie LULLY
joue à l'économie : la longueur d'archet n'est pas utilisée, même par
le violon solo, et tout paraît terne et compassé. Un peu à l'inverse de
ces orchestres modernes qui jouent le baroque en style, j'avais
l'impression d'entendre des instruments naturel imiter le style de
Marriner… Troisième expérience en salle avec cet orchestre (que j'aime
énormément au disque, à peu près tout le temps), troisième déception.
Jusqu'ici, j'avais mis la chose sur le compte des effectifs
inhabituellement vastes (Médée, et
surtout Hippolyte et Aricie),
qui créent inévitablement un peu d'inertie, mais cette fois, on était
en petit comité. Pourtant, tous ne s'économisaient pas (cordes graves
souvent remarquables, en particulier le contrebassiste), mais du côté
des violons et altos, quand même le cœur de l'affaire si l'on veut un
peu de tension, le manque d'intérêt pour certes musique, certes moins
valorisante et moins « écrite » que du Rameau, transpirait
désagréablement (ou alors quoi ?). La seconde partie était très bien en
revanche ; pas particulièrement colorée, mais alerte et engagée.
Pourtant, quelques mois plus tôt, Emmanuelle
Haïm tirait des merveilles des jeunes musiciens enthousiastes du
CNSM – je vous assure, c'est vraiment le lieu où les musiciens ne sont
pas encore blasés, tout sauf des bêtes à concours mécaniques, et
quasiment tout y est gratuit, il faut fréquenter cet endroit !
(Ce ne sont que des hypothèses, je prends toute autre explication, mais
le fait est que, vu le plateau, on comptait un peu sur l'animation des
accompagnateurs.)
Accueil très poli, mais pas particulièrement enthousiaste : ça a
satisfait ceux qui venait pour le programme, mais je doute que ça ait
fait beaucoup de bien à la cause de LULLY auprès d'un plus
vaste public. L'ambiance post-concert après un récital de seria n'est vraiment pas
comparable, même lorsqu'il n'est pas trop exaltant.
Sibelius –
Symphonie n°3 – Paavo Järvi
Étrange, alors qu'elle est ma chouchoute du corpus pour ses qualités
primesautières, beaucoup moins impressionnante que les autres entendues
à ce jour (2,5,6,7). L'Orchestre de
Paris aussi m'a paru très légèrement plus épais, la lecture de Järvi moins originale que pour le
reste du corpus. Peut-être l'aiment-ils moins. Il est vrai aussi que
les masses en jeu sont moindres et que le mouvement lent, de simples
variations pas très complexes, séduisent peut-être moins à l'exposition
brutale d'une salle de concert – vérification faite, elle est toujours
aussi formidable au disque.
Bruckner –
Symphonie n°9 – Eliahu Inbal
Ici, c'est simple : Inbal,
pourtant considéré comme plutôt neuf et audacieux lors de son intégrale
avec Francfort, se montre considérablement plus
fougueux, et me donne la plus belle Neuvième
que j'aie jamais entendue, incluant tous mes chouchous dans le confort
du disque (où, pour cette symphonie, je ressens souvent, certainement
de mon fait d'ailleurs, des baisses de tension).
Comme pour sa Deuxième
également avec le Philharmonique de
Radio-France (et, on l'espère, comme pour sa Quatrième l'an prochain), Inbal
prouve qu'avec l'âge (80 ans révolus, désormais), il gagne en vitalité
: dans un tempo très allant, tout reste tendu comme un arc… comme dans
une symphonie de Mahler, au lieu de laisser opérer le silence des
ruptures entre les épisodes brucknériens, il reprend toujours en
laissant un substrat de la tension déjà accumulée, sans jamais la
relâcher jusqu'à la fin. J'aurais volontiers pris une tranche de final
en bis (qu'il a pourtant enregistré), sans lassitude.
Là aussi, la réverbération de la Philharmonie
offrait une atmosphère ample et recueillie parfaitement adéquate
pour l'œuvre (et le son du Philhar').
La pièce de Widmann qui
occupait la première partie, une Suite pour flûte et orchestre dans une
atonalité familière et très aimable, entendait imiter les formes
anciennes sans les faire toujours bien entendre, très homogène,
agréable mais sans histoire. Le contraste avec le mouvement final, qui
cite la Badinerie de Bach (et l'accord de Tristan), fait froncer le
sourcil : c'est très sympathique (et les déformations du thème, comme
autant de sorties de route très « vingtième », sont très réussies),
mais on ne peut se défendre de se dire que pour tirer des
applaudissements, il faut emprunter aux maîtres du passé qui ont mieux
réussi… J'avoue avoir douté (et je n'en suis pas fier) de l'honnêteté
du compositeur lorsqu'il termine ainsi, dans un ton léger complètement
différent de toute cette pièce plutôt suspendue et méditative, une
œuvre qui n'appelait pas vraiment l'enthousiasme spontané du public –
alors que le dernier mouvement a fait un bis parfait, que j'ai moi-même
réentendu non sans une certaine jubilation, et au moins autant pour le
travail de récriture de Widmann que pour le joli original de Bach.
Français
du XXe – ONF, Fabien Gabel
Un programme constitué pour moi à la Maison
de la Radio : Soir de Fête,
le jubilatoire petit poème de Chausson ; Printemps, la plus belle œuvre
orchestrale de Debussy ; Les Animaux Modèles, le
chef-d'œuvre (hors œuvres vocales) de Poulenc,
juste après Les Biches. Restait
le Concerto pour orgue de Poulenc, moins heureux, mais
l'entendre joué généreusement en concert avec les superbes cordes du National permet de mieux saisir ses
équilibres, assez bien écrits en réalité par Poulenc.
Je suis étonné de remarquer, une fois de plus, que ces œuvres que je
vénère, donc, me touchent beaucoup moins en concert qu'une bonne
choucroute germanique très structurée. Je suppose que le côté
atmosphérique rétribue moins l'attention analytique, que l'aspect moins
discursif de l'écriture déroute un peu plus, et que les contrastes
moindres ne raniment pas le spectateur de la même façon – j'en suis
fort marri, mais une mauvaise symphonie de Bruckner semble produire
plus d'exaltation sur moi que ces pièces qui sont pourtant, au disque,
mon plus cher pain quotidien. Amusant. Intéressant.
Le nouvel orgue de la Maison
de la Radio n'est en revanche pas une merveille… sonorités blanchâtres
et aigres, qui sonnent par ailleurs très étouffées (ce qui est peu
étonnant, vu l'étroitesse de la zone de montre). Par bonne fortune, les
phrasés d'Olivier Latry (merci
pour le Widor !) permettaient
de s'intéresser à quelque chose de passionnant sans trop s'arrêter sur
les timbres disgracieux.
Musique de
chambre française : Castillon, Saint-Saëns, Fauré
Exactement les mêmes impressions : le Quatuor
avec piano de Castillon et le Second Quatuor à cordes de Saint-Saëns,
bijoux qu'il faut réellement fréquenter (même si moins essentiels que
le Quintette de l'un et les Quatuors avec piano de l'autre),
m'ont fait un effet limité en salle (studio
104, membres de l'Orchestre
National de France). Je n'ai pas réellement d'explication, à
part une disposition limitée à ce moment-là, une vérité différente du
concert, où l'écoute est distincte du disque, et où le quatuor de
Beethoven ou même de Chostakovitch semble tellement plus propre à
susciter la fascination et l'enthousiasme.
Le jeu des musiciens (pourtant éperdument admirés dans leur programme
Roslavets-Szymanowski-Berg-Ravel de 2013) était un peu symphonique,
sans doute, avec un grain un peu large, pas l'allure effilée des
membres de quatuors, mais ce n'était pas de là que provenait cette
impression. Peut-être l'après-midi passé à chanter de l'opéra français
du XIXe siècle avait-elle complètement altéré mon jugement.
En tout cas, ce sont des œuvres de grande valeur, écoutez la
retransmission ou jetez une oreille aux disques !
Il n'y a pas grand'chose à en dire parce que c'était sublime de bout en
bout, et que l'œuvre est suffisamment jouée et enregistrée pour qu'on
ne cherche pas à vanter ses mérites. Gianandrea
Noseda impulsait une urgence (à tempo très vif, tout le temps)
que tenait très bien l'Orchestre de
Paris, le Chœur de l'Orchestre
était superbe, très flexible et impressionnant, avec des voix plus
claires que les gros chœurs de maisons d'Opéra (ou de
Radio-France…), la quadrature du cercle. Côté solistes,
excellente surprise avec Erika
Grimaldi, pas très intelligible mais d'un engagement et d'un
impact remarquable ; moins enthousiaste sur Marie-Nicole Lemieux
(le chant en gorge limite l'impact de la voix et empêche les aigus de
sortir avec facilité), dont les succès me restent un peu énigmatique,
énergie mise à part, et sur Michele
Pertusi qui
couvre exagérément (beaucoup de [eu] partout) et demeure en retrait sur
le plan sonore et expressif par rapport au reste du quatuor, dans une
sorte de grisaille. Néanmoins, pas de réel point faible : ces deux-là
étaient un peu moins exceptionnels que tout le reste, mais ne
déparaient en rien.
Comme si ce n'était pas suffisant, les progrès de Saimir Pirgu
stupéfient… la voix est maîtrisée de bout en bout, sur toutes les
configurations. Éclatante en émission pleine, elle s'illumine, comme en
suspension, dans les moments délicats de l'Ingemisco («
Inter oves ») et de l'Offertoire (« Hostias »), à l'aide d'une émission
mixte très légère, qui paraît prendre naissance dans les airs. Et tout
cela au service du texte et de la rhétorique liturgique, pas d'effets
de manche hors sol.
Ne vous fiez pas aux enregistrements, qui laissent entendre des
coutures désagréables, toute une constellation de petites duretés dans
la voix : le chant lyrique est conçu pour être entendu de loin, et de
loin, la voix est d'un équilibré parfait – de près, effectivement, ses
captations ne sont pas aussi exaltantes et ses disques, quoique fort
valables en temps de disette verdienne, sont tout sauf nécessaires.En
concert, à l'inverse, le grain paraît dense et régulier,
particulièrement beau.
À cela s'ajoute la satisfaction d'entendre cette musique pouvoir
s'exprimer dans toute sa démesure dynamique sans que les pppppp ne s'évaporent et sans que
les ffffff ne saturent
jamais la Philharmonie. Grand
moment.
Bilan et
prospective
Ce n'est pas fondamentalement très intéressant (plus révélateur sur moi
que sur les œuvres, à vrai dire), mais la différence d'efficacité des
œuvres (voire des voix) entre le disque et le concert reste un sujet
assez fascinant, qui éclaire notamment la réception des pièces au
moment de leur création – on voit sans peine, en salle, pourquoi
Meyerbeer et Wagner, auxquels on peut assez facilement rester
insensible au disque, magnétisent instanément. Et ce rapport
d'efficacité éclaire la domination germanique dans les hiérarchies
musicales, indépendamment même de l'innovation et de l'aboutissement
structurel.
Je dois préciser que si pour rendre compte j'ai émis des réserves, j'ai
néanmoins passé d'excellentes soirées à chaque fois, et ne suis
vraiment pas sorti en fulminant de la salle (un peu fâché contre le
Philhar' et le librettiste à l'entracte de La Jacquerie, je l'avoue, mais la
suite justifiait tout de même le déplacement).
Je toucherai un mot à part pour Don César de Bazan, ouvrage de jeunesse de Massenet inspiré par le personnage
de Ruy Blas, recréation très
attendue et qui comble les espoirs, en attendant une parution
officielle. La production doit encore un peu tourner, il me semble ;
vraiment à voir.
Ce billet, écrit à par DavidLeMarrec dans la catégorie Saison 2015-2016 a suscité :
Une nouvelle première mondiale par Bru Zane, et donc
impatiemment attendue, qui sera prochainement publiée au disque. Dans
l'attente, vous pouvez voir la vidéo du concert munichois de dimanche (achevé,
lui) sur le site de la Radio Bavaroise.
Le sujet ne pouvait que rendre curieux ; le nom de Godard un peu moins,
après lecture des partitions de Jocelyn
et de La Vivandière, assez
couramment trouvables dans les fonds de partitions anciennes. Des
œuvres bien faites, mais sans grand relief musical, tout coule
doucement, avec de jolies mélodies pas trop marquantes sur des
harmonies qui, sans être pauvres ou maladroites, ne cherchent pas
l'originalité. Disons qu'à tout prendre, j'aime mieux me lire ou
m'écouter un Gounod ou un Thomas, plus inventifs, plus sensibles à la
spécificité de ce qu'ils mettent en musique.
J'avais commenté ici la parution discographique des quatuors, plus
intéressants, sans constituer non plus des révélations majeures. On
pouvait espérer que, comme pour Victorin de Joncières, Godard s'adapte
à la forme musicale choisie ou, dans le pire des cas, que comme pour Félicien David, on finirait pas trouver
une œuvre (Christophe Colomb, Herculanum…) qui échappe à la ces
habitudes un peu lisses.
Ce n'est pas vraiment le cas, mais considérant que l'exhumation
d'opéras de langue français est un peu la marotte de CSS, je peux
difficilement ne pas en toucher un mot.
2.
Alighieri réinventé
Le livret présente l'Enfer et le Paradis uniquement à l'acte III, au
cours d'un rêve prémonitoire de Dante, endormi aux champs sur la tombe
de Virgile célébré par les Écoliers. Si, si.
L'acte dédié à la Divine Comédie s'ouvre, donc, sur une
tarentelle de « groupes divers de pasteurs et de femmes portant des
gerbes de blé », qui s'affairent autour du tombeau de Virgile ainsi
invoqué :
Mais le temps, plein de toi, ne peut être oublié
Et ton œuvre est notre Évangile.
Dans un commun amour scellant notre amitié
Nous restons frères en Virgile !
Le reste ne vaut pas mieux : Dante est un pacifiste prêt à combattre
pour Béatrice (tentative d'intégrer ses amitiés gibelines à la trame),
à qui il conte fleurette dans un coin de boudoir (tandis que la
suivante de sa dame soupire aussi après lui), en est séparé par un
futur mari cornu, et vient tranquillement au couvent recevoir ses
déclarations d'amour avant qu'elle ne meure dans ses bras (on ne sait
trop pourquoi, d'ailleurs, si ce n'est que c'est la fin de l'opéra).
Bref, comme dans le pire des livrets de seria, on aurait pu remplacer son
nom par celui de n'importe quel héros à la mode, et en tout cas
certainement pas d'un poète – car, à l'exception de la courte
fréquentation de Virgile au III et de la promesse d'immortaliser
Béatrice à la fin, on ne voit pas bien ce qu'il aurait de distinctif.
Le tout dans une langue bien plate, ressassant des situations depuis
longtemps démonétisées en 1890, comme si le projet était de reproduire
la richesse des tableaux de Faust en l'appliquant à une autre figure
littéraire. Le prisme biographique pour atteindre l'objectif n'était, à
tout le moins, pas très passionnant.
Mes deux voisins se sont littéralement tenus les côtes pendant tout le
premier quart d'heure de l'acte III. J'aurais aimé les en blâmer, mais
voir l'ombre de Virgile, traité en Jésus au milieu de danses italiennes
exécutées parmi les moutons par des bacheliers mélancoliques, a rendu
ma propre stupeur impuissante à s'indigner.
Après ce spectacle, lorsque Virgile paraît, il éprouve évidemment
quelque difficulté à imposer sa majesté. Il en va de même pour
l'inévitable Lasciate ogni speranza,
limité à une interrogation rhétorique de Dante au sein de son rêve : «
Faut-il laisser toute espérance ? », qu'on laisserait presque passer
inaperçue, tant la valeur n'en est pas du tout équivalente à
l'allégorie initiale.
On voit bien pourquoi l'œuvre, souffrant de surcroît de conditions de
création défavorables (acte III joué rideau fermé, chœurs pas la
hauteur…), était destinée à choir, du moins dans une musique propre à
transfigurer cet épais gloubi-boulga particulièrement peu sapide.
Pourtant, Édouard Blau (Alfred, celui de Sigurdet
d'Esclarmonde, est son cousin) n'est pas toujours médiocre : au
moins aussi exécrable pour Le Cid,
mais tout à fait valable pour Le roi
d'Ys et bien sûr Werther.
3.
Composer sans Wagner
La musique vaut mieux que le livret, mais ce n'est pas non plus une
révélation fulgurante.
Godard n'écrit pas de formes fermées (mais en 1890, c'est bien le moins
!), assez peu de moments ressemblent à des airs (le lamento de Béatrice y arrive assez
bien, le reste est vraiment intégré, n'appelle pas l'isolement ni les
applaudissements), et même pas de Prélude, le chœur des Florentins
(Guelfes et Gibelins) fait très rapidement son entrée ; pour autant sa
musique ne tire pas le meilleur parti de cette souplesse structurelle.
La musique de Godard, de simples mélodies assez peu dansantes (on
pourrait comparer ça à du Gounod sans l'évidence mélodique et le sens
de la modulation, à du Thomas sans la qualité de la déclamation et du
rythme), s'orchestre à coups de grosses doublures de trompettes ou de
trombones-tuba, unissons et homophonies (écriture en accord, tout le
monde sur le même rythme) y sont la norme – il ne faut pas en attendre
de beaux contrechants dans les parties intermédiaires.
Il aimait à se vanter, nous dit Bruneau, de ne jamais avoir ouvert une partition
de « ce bon monsieur Wagner », et cela s'entend : sans réclamer de lui
un wagnérisme hors de propos, il aurait au moins pu s'instruire auprès
des partitions de Meyerbeer, car l'œuvre semble alterner les contrastes
sans réelle nécessité. Je me suis demandé, par exemple, au début de
l'acte II, si les solos de bois servaient une métaphore renaissante ou
« romaine », mais il semble, en réalité, qu'ils interviennent de façon
assez arbitraires, comme de jolis moyens de renouveler les couleurs,
sans lien direct avec les affects et les situations. Cette gratuité se
révèle au bout du compte un peu frustrante.
Dans l'acte du rêve infernal, on est frappé par la disproportion du
sujet par rapport aux moyens convoqués, de timides marches harmoniques
(le même motif repris en montant un palier de la gamme), de simples
cors en syncope pour l'apparition de Virgile (comme dans une reprise de
thème chez Tchaïkovski, pas exactement la pointe de l'inédit) et même
un thème qui s'apparente au trio « Marsch ! Marsch ! Marsch ! Trollt
euch fort ! » de l'Enlèvement au
Sérail. Pourtant, les figuralismes les plus réussis à
l'orchestre évoquent étonnamment ceux utilisés par Rachmaninov dansFrancesca da Rimini
(1905) ; mais le moins qu'on puisse dire est que la science harmonique
et orchestrale ne se compare guère.
L'instrumentation paraît de surcroît assez déséquilibrée vis-à-vis des
voix, avec un orchestre très fourni tandis que les chanteurs sont sur
des notes faibles de leur tessiture – je me demande d'ailleurs comment
tout ce monde pouvait tenir dans la fosse de Favart, sauf à alléger
sérieusement l'effectif des cordes et à déséquilibrer encore davantage
l'ensemble.
Sa grande audace doit être l'utilisation du Dies iræ pour annoncer la mort de
Béatrice.
Ce n'est pas que l'œuvre n'ait pas ses bons moments, comme
l'affrontement entre la suivante (mollement) éprise et le (futur) mari
très jaloux, qui évoque (en beaucoup moins marquant) celui de Leyla et
Zurga dans les Pêcheurs de perles,
le charmant solo de hautbois au début de l'acte IV, l'air d'adieu de
Béatrice dépourvu de virtuosité (pas étonnant que la créatrice l'ait
refusé), très beau, le duo étrangement léger de la dernière rencontre
entre les amants… Mais tout cela reste de l'ordre du plaisant, pas
vraiment de la grande intensité non plus. D'une manière générale, les
actes I et II sont vraiment faibles, tandis que les deux derniers
(Virgile-enfer-paradis, couvent) contiennent un certain nombre de
sujets de satisfaction.
4.
Pourquoi Dante ?
Alexandre Drawicki opère un travail salutaire et assure de nombreux
choix clairvoyants (Sémiramis
de Catel, La
mort d'Abel, Cinq-Mars, Le Paradis perdu, Les Barbares…), mais j'avoue que si
je m'explique Le Mage de
Massenet (pas convaincu, mais il est légitime de vouloir les avoir tous
à disposition), je reste assez frustré par des choix comme le cycle
Félicien David (même si Colomb et
Herculanum
sont d'une qualité très inattendue), Dimitri
de Joncières ou ce Dante,
qui illustrent plutôt l'ordinaire de la composition du XIXe français
dans ce qu'elle a d'un peu routinier : des gens qui savent écrire, mais
qui ne cherchent pas particulièrement à en faire quelque chose d'un peu
personnel.
Une version propre de Sigurd, Salammbô
ou Gwendoline, des œuvres
lyriques manquantes de grandes figures (Frédégonde de Saint-Saëns, La Légende de saint Christophe de
d'Indy, les Pierné, Les Pêcheurs de
la Saint-Jean de Widor, de grandes réussites de surcroît), des
pièces qui magnifient la forme du grand opéra comme Patrie !
ou La Dame de Monsoreau, raffinés
harmoniquement comme Salvayre, Hirchmann, Février, d'Ollone (Le Retour, un sacré bijou), ou qui
ont une portée symbolique comme L'Aigle
de Nouguès… rien de tout cela ne serait de refus. Pour ne parler que
des (post-)postromantiques, car il y a tout autant à faire dans la
première moitié du XIXe siècle, où les choix ont jusqu'ici été tous
heureux (sauf Les Bayadères
de Catel, mais je tenais à les entendre, moi le premier, malgré la
partition qui m'avait parue assez peu marquante à la lecture).
Je suppose que c'est une démonstration volontaire de ce qui se faisait,
et cela peut se défendre, explorer le fonds réel du répertoire (encore
qu'ici, ce soit celui d'un échec) plutôt que les exceptions
avant-gardistes retenues par les histoires de la musique. Mais, à
l'usage, je trouve que des partitions comme celle-ci restent confinées
à un intérêt documentaire, ce qui n'est, vu le public déjà assez
restreint de ce répertoire, pas la première des priorités.
Je ne néglige pas la part de subjectivité, bien entendu : un certain
nombre de camarades meyerbeero-regeriens (et plus que cela, LULLYstes,
pelléasisants…) m'ont confirmé avoir beaucoup apprécié Dimitri de Joncières.
5. Au
service de la France
Il faut dire aussi que, contrairement aux habitudes de Bru Zane,
l'exécution n'était pas totalement satisfaisante.
L'Orchestre de la Radio de Munich
(qui n'est pas celui dit de la Radio Bavaroise) et son directeur musical Ulf Schirmer avaient surpris, l'an
passé, par leur justesse stylistique dans Gounod. Les timbres conservent leur étrange
crudité (et en particulier cette clarinette solo surpuissante, sans
vibrato, incroyablement persuasive et présente), mais en bien moins
bonne part cette fois : l'ensemble m'a paru assez lisse, et surtout
raide, pas du tout sensible aux souplesses de cette musique qui ne peut
pas vivre en s'appuyant sur une structure (tout à fait absente, ce sont
des épisodes plus ou moins bien juxtaposés, comme la plupart du temps
dans la musique française de l'époque). L'effort de créer un climat
n'était pas patent (peut-être moins motivés par cette partition ?).
Le Chœur de la Radio Bavaroise,
lui non plus, n'atteignait pas du tout les mêmes cîmes (beaucoup de
visages différents) : absolument inintelligibles là où il s'étaient au
contraire distingués par le naturel et la clarté de leur français.
Disparue aussi, cette souplesse dans le dégradé mixte du pupitre de ténors ; même les voix
féminines, vraiment au-dessus de l'ordinaire des grands chœurs
permanents, paraissent un peu moins fraîches.
Par ailleurs, les autres chanteurs (à l'exception de Véronique Gens
bien sûr, d'Andrew Foster-Williams, et dans une moindre mesure
d'Edgaras Montvidas) utilisent aussi une phonation à la fois un peu
lourde et pas du tout typée française, si bien qu'il est très difficile
de suivre le détail de l'action sans livret – j'ai découvert un peu
tard l'existence de http://www.bruzanemediabase.com, qui réunit des
articles de fond et les livrets des œuvres concernées.
Bru Zane insiste beaucoup sur l'adéquation stylistique et sur le
travail de la langue, mais ici, contrairement à ses habitudes, on était
non seulement en deçà de ses standards, mais aussi en deçà de ce qui
est le minimum souhaitable. S'il faut plisser le front pour suivre ou
avoir le nez dans la brochure à acheter ou imprimer à la maison, une
partie du projet part en fumée.
C'était pour partie imprévisible, je l'admets : Jean-François Lapointe était
méconnaissable. Alors que, même récemment, la voix a toujours été très
sonore, parfois dure, même, elle semblait bloquée à l'intérieur,
aisément couverte par l'orchestre malgré les harmoniques très denses
sollicitées, et le texte impossible à saisir. On aurait dit une
technique totalement différente, je ne m'explique pas bien ce qui s'est
passé – peut-être une méforme, puisque la bande de Munich, deux jours
plus tôt, est meilleure. En tout cas, ce n'était pas un mauvais pari
pour la qualité de la langue.
Pour ceux qui s'en sortent bien,
Andrew Foster-Williams, malgré une émission très couverte,
teintée de [eu], semble devenir toujours meilleur, toujours plus
naturel dans sa diction exacte et expressive, malgré une tessiture,
encore une fois, trop basse pour sa nature – ce qui a un impact sur son
volume sonore, mais pas sur son équilibre vocal qui demeure inchangé,
respect.
Je peux m'expliquer aussi le choix d'Edgaras
Montvidas, un très rare cas de gain de notoriété internationale
en chantant des raretés – Bru Zane doit être fier de l'avoir déniché,
et l'utiliser en conséquence. Le français n'est pas parfait, et lui est
de toute évidence peu naturel (l'emplacement de la voix n'est pas du
tout français), néanmoins il est toujours correctement articulé, et
surtout sa voix très particulière se prête bien à des rôles vaillants
qui ne doivent pas être bûcheronnés pour autant. La voix, placée en
arrière et toujours couverte (il émet tous ses sons avec une sorte
d'effort teinté de [eu]) demeure claire et rayonne de façon sonore, en
distinguant malgré tout les voyelles de façon nette. La tierce aiguë
est même assez impressionnante. Tout cela est probablement lié à un
type d'émission très vertical : le son est peut-être produit en
arrière, mais monte haut dans les résonateurs crâniens, ce qui ne crée
pas du tout l'effet « bloqué » de nombre de ses confrères chez qui
l'impédance est si haute que le son ne sort plus (syndromes Wottrich et
Behr, que j'aime beaucoup au demeurant).
Cette étrangeté et cet impact sont assez séduisants, je dois dire, même
si, dans l'absolu, je voudrais entendre du français plus naturel comme
Castronovo l'an passé (et, si possible, gourmand comme chez Vidal).
Évidemment, au-dessus de tout le monde, plane toujours Véronique Gens, qui combine le
timbre molleux, le verbe haut et délicat, une forme d'autorité très
particulière qui ne passe pas par l'impact vocal (elle laisse la voix
s'amollir et flotter au lieu de chercher les harmoniques dures, mais
pas par pis-aller comme beaucoup de collègues, car le soutien est bandé
comme un arc et lui permettrait tout à fait d'attraper ces autres
couleurs). Elle conserve ce soir-là un brin moins de squillo (éclat trompettant,
harmoniques hautes) que d'habitude, sans doute l'effet à la marge de
rôles bas et larges qui semblent n'avoir quasiment pas affecté sa
technique ni son instrument, immaculés, et elle paie cette technique
d'aigus un peu tirés lorsqu'on dépasse le si bémol (donc un ou deux par
opéra), mais alors quelle beauté extraordinaire du timbre, à la fois
altier et familier, et quel verbe direct, là aussi permis par cette
émission souple. C'est pourtant une configuration plus fragile, mais sa
régularité dans l'excellence prouve à quel point la chanteuse reste en
maîtrise absolue de l'exercice.
Effet très impressionnant, sur « Je
vais mourir / Mais dans tes bras », deux pages avant la fin, d'entendre
la voix détoner soudain, comme si le soutien se dérobait, puis voir
l'actrice jouer l'effondrement, rattrapée par sa suivante. Il s'avère
que, si elle n'est pas réellement morte sur scène (simple chute de
tension, chacun lui souhaite de prendre soin d'elle et de se rétablir
promptement), Véronique Gens entre dans la prestigieuse tradition
mythologique des acteurs qui disparaissent avec leur personnage – et
ici, dans une synchronisation parfaite, privant simplement Dante de sa
dernière promesse (et le public de la fin de l'ouvrage). A posteriori d'autant plus
impressionné qu'aucune imperfection, aucune distance n'était audible
dans son chant de toute la soirée, jusqu'aux deux dernières notes
s'effondrant en même temps que le personnage et qu'elle-même.
Bru Zane sortira cela dans la collection « Opéra Français » chez
Singulares, et je ne déconseille évidemment pas l'achat, pour la
documentation écrite et sonore, même si ce n'est pas forcément le
volume que vous devez acquérir en priorité si d'aventure vous ne
disposez pas déjà de tous.
Décor du second tableau de l'acte III de Robert le Diable : procession des
nonnes damnées (et lubriques), scénographie d'Henri Duponchel et décors
de Pierre-Luc-Charles Cicéripour
la création salle Le Peletier en 1831.
1. Point de départ
La question paraît pourtant évidente, mais il se révèle difficile d'y
trouver des réponses, même partielles, dans la presse du temps ou les
bibliographies spécialisées.
Comment les opéras de Scribe (totalement incontournable à l'Opéra : il
fallait lui proposer une collaboration ou à tout le moins lui demander
sa bénédiction pour pouvoir être joué, d'où procèdent tant de
partenariats avec d'autres librettistes), et en particulier ceux écrits
pour Meyerbeer, ont-ils pu connaître cet accueil enthousiaste, manifestement sans
mélange ?
Je ne nie pas leurs qualités
exceptionnelles, bien au contraire : on à affaire à des œuvres
qui figurent à la fois parmi les plus
neuves et audacieuses du temps (dans les sujets aussi bien que
dans la musique) et parmi les plus
séduisantes pour un vaste public
(ambitus vocal, virtuosité, couleur locale, danses, grands effets
théâtraux, orchestration colorée et solos, évidence mélodique, motifs
populaires, le tout servi sur un rythme dramatique assez effréné).
Meyerbeer les mûrissait longuement (il a finalement bien peu produit
pendant son long règne parisien, là où d'autres proposaient un à deux
opéras par an, ou bien se partageaient avec d'autres genres…), et leur
impact n'est pas du tout immérité : leur qualité de finition et leur
nouvelle vision de l'art lyrique avaient tout pour modeler le cours de
l'histoire de l'opéra dans l'Europe entière.
On voit bien tout ce que la musique a de neuf, d'exaltant,
d'accessible, de pittoresque ; on voit aussi la nervosité et la variété
des trames, assez peu stéréotypées, loin du schéma canonique des
amoureux empêchés par le jaloux : Scribe prêtait même attention à ne
pas reproduire les mêmes ensembles aux mêmes endroits, ainsi qu'en
témoigne sa correspondance avec Auber à qui il refuse un trio
soprano-ténor-basse final à cause des similitudes possibles avec Robert.
Cependant, on ne peut s'empêcher de se demander comment, dans la France
de 1831, à peine sortie de la censure grandissante de l'ère de Charles
X, on a pu représenter un tel sujet,
sur la scène éminemment officielle
de l'Opéra de Paris (successivement Académie Royale, Théâtre Impérial,
Théâtre National, Opéra National)… sans susciter de polémique.
Car, tout de même, nous avons le héros
(rôle-titre, ténor, amoureux, soucieux de sa gloire, respectueux de ses
parents, tout ce qu'il faut), rejeton
d'un démon, qui envoie une jeune fille à une tournante
organisée par ses camarades de jeux de hasard, et qui va dérober sur le
tombeau d'une sainte une relique sacrée en culbutant une nonne damnée
sur l'autel… et tout cela se déroule sur
scène, pas sous forme de récit horrifié et réprobateur par un
messager quelconque. Par ailleurs, le
personnage le plus accessible et sympathique reste le diable,
très émouvant dans ses sentiments paradoxaux de père (damner son fils
pour le retrouver en Enfer), et pourvu d'un solide sens de l'humour –
on voudrait représenter le Mal comme un jeu badin qu'on ne s'y
prendrait pas mieux.
Pis, ce fut le ballet des nonnes
damnées (et en particulier le rôle d'Hélène, l'abbesse lascive)
qui remporta le plus de suffrages
de la part du public et de la critique.
Comment est-il possible qu'il n'y ait pas eu au minimum un débat sur la
moralité du sujet, sur la corruption ?… on projetterait ça dans les
salles aujourd'hui, ce serait interdit aux plus jeunes, et pourtant
tout le monde désormais se moque comme d'une guigne du blasphème.
Affiche annonçant la création, avec le nom des chanteurs et
danseurs.
2. Ce que
disent les textes
Or, lorsqu'on parcourt la presse du temps (et les exégètes
d'aujourd'hui), il n'est question de rien de tout cela. Globalement,
c'est un immense enthousiasme qui accueille Robert le Diable,
en particulier à propos de l'acte III (l'acte infernal, où Bertram
invoque les démons aux sons d'une valse souterraine, persécute la sœur
de lait de Robert qui s'accroche sans effet à une grande croix, pousse
Robert à commettre le sacrilège et invoque les nonnes damnées !),
effectivement saisissant sur tous les plans, qui se manifeste.
De même pour Les Huguenots,
où la France catholique applaudit tout de même le pire miroir de sa foi
; ou encore pour Le Prophète,
qui fonde un nouveau culte autour d'un pauvre aubergiste, tout en
approuvant d'une certaine façon son ambition à changer une société dont
rien ne régule l'injustice… et ne dissimulant guère le jubilatoire
potentiel destructeur de ce pouvoir nouveau. On pourrait attendre, de
la part d'une France quand même catholique, quelques réticences à
applaudir ces sujets.
Pourtant, on loue les qualités
théâtrales, la nouveauté
formelle (notamment de la musique), l'union des styles (grande
déclamation française, airs ornés à l'italienne, richesse harmonique et
orchestrale issus d'une formation germanique), laqualité
de la musique, du spectacle visuel… Les critiques portent
essentiellement sur la qualité de la
langue (syntaxe douteuse, vers malhabiles – ce qui n'est pas
faux, les forces de Scribe résident ailleurs), soit sur le manque de noblesse de son
traitement, sur ses raccourcis (amours de vaudeville dans les Huguenots – « Ciel ! mon mari »,
presque littéralement –, et plus étrangement le manque d'ancrage
historique). Mais on ne parle jamais
du sens.
Croquis de Pierre-Luc-Charles Cicéri pour les tombeaux de l'acte
III de Robert le Diable ; 1831.
3. Détail
des remarques portées sur
Robert le Diable
Vu qu'il s'agit à la fois de son sujet le plus osé et de son succès le
plus spectaculaire, j'ai fait le choix de m'attarder sur Robert (1831) : si ça passe pour
lui, ça passe logiquement pour les autres.
Au sein du concert d'éloges, quelles réserves furent donc formulées,
et, pour ceux qui ont protesté (beaucoup de compositeurs
jaloux, disons-le tout de suite…), à partir de quels critères ?
Je ne vais pas reproduire ici de critiques d'époque : d'une part, je
n'ai pas pu les réunir toutes et m'en suis donc largement remis aux
exégètes plus récents qui ont fait cet effort à temps complet ; d'autre
part, celles que j'ai consultées ne sont pas très intéressantes, se
perdant en considérations superficielles et en formules toutes faites,
finalement très peu descriptives (d'où mes préventions, lorsqu'on
s'appuie sur des témoignages aussi imprécis, pour ceux qui veulent en
faire le support d'un
dogme d'interprétation ou un étalon de la vérité des formats
vocaux).
Globalement, la presse se montre très favorable : les détails
habituellement moqués, comme les ratés de mise en scène (la Taglioni
près d'être écrasée par le couvercle de son cercueil ; les nuages qui
se détachent et tombent aux pieds d'Alice ; pis, Nourrit en Robert
descend avec Bertram dans le sous-sol à la fin de l'opéra alors qu'il
est censé être sauvé !), sont
mentionnés sans perfidie, et les
réserves assez marginales.
On cite souvent les chiffres (quasiment sans exemple) des
représentations parisiennes, mais pour mesurer l'universalité de son appréciation,
on peut aussi considérer l'échelle mondiale : présenté à la fin de
l'année 1831 à Paris, il est donné à Londres, Berlin, Liège,
Strasbourg, Dublin en 1832 (année où la Légion d'Honneur est remise à
Meyerbeer, alors qu'il s'agissait de son premier opéra français !) ; à
Vienne, Bruxelles, Copenhague, Anvers et Marseille en 1833, à
Amsterdam, Budapest, Saint-Pétersbourg, New York, La Haye, Bratislava,
La Haye, Brünn et Lyon en 1834, à Bucarest et Prague en 1835, et même
notamment à La Nouvelle-Orléans et Calcutta en 1836 ! En 3 ans,
ce sont 10 pays, 77 théâtres ; en 8 ans, on atteint les 1843 théâtres
(européens) paraît-il, en tout cas toutes les grandes villes du
continent (Rome, Milan, Florence, Venise, Bologne, Turin, Stockholm,
Varsovie, Lisbonne, Ljubljana…). Si le grand opéra est déjà
l'équivalent du blockbuster,
alors Robert est le décalque
assez parfait de Star Wars
(vu partout, références universelles qui marquent toute la production
postérieure et la culture populaire, niveaux de lecture accessibles au
profanes ou propres aux esthètes…).
Outre les reproches sur le style des
vers de Scribe, on a surtout évoqué le temps assez éclaté entre les actes
et le pivot du Prince de Grenade,
qui n'apparaît guère et qui n'est pas très détaillé. Le caractère indécis de Robert
a fait gloser, pas forcément par la négative (Heine pousse même le
zèle, ambigu mais pas ouvertement hostile, jusqu'à l'interpréter comme
le miroir de l'incertitude du temps).
Le caractère « fantastique » du
livret a aussi suscité quelques réserves, mais davantage sur le
principe (de la part de ceux qui n'aiment pas ce type de matière) que
sur son usage précis par Scribe et Meyerbeer. Parmi ceux-là,
Mendelssohn témoigne en 1832 : « Le sujet est romantique, c'est-à-dire
que la diable y joue un rôle, cela suffit aux yeux des Parisiens pour
constituer le romantique, la phantaisie. » En revanche, il est
assez marqué par les deux scènes de séduction (je suppose qu'il est
question de séduction infernale, donc les deux grands duos avec
Bertram, au III et au V, sommets effectivement).
Reste, bien sûr, le biais des jalousies de compositeurs et de
l'antisémitisme : Auguste Villemot rapporte en 1858 (je n'ai pas
vérifié le fondement éventuel de l'anecdote) que Rossini aurait dit
qu'il reviendrait sur la scène musicale « lorsque les Juifs auront fini
leur sabbat ». Et puis, bien sûr, Wagner – et ce, alors même que Tannhäuser avait été programmé à
Paris notamment grâce à l'influence de Meyerbeer (mais qui l'horrible
Richard Wagner poignardait-il, à part ses amis ?).
Peu de chose, en somme, même en cherchant. Oh, il y a bien dû y avoir
des prêcheurs un peu exaltés, sortes d'abbés Bethléem en liberté, qui
ont dû épiloguer sur le signe avant-coureur d'Apocalypse que constitue
la mise en scène de la débauche au milieu des pires sacrilèges, mais
ils ont manifestement eu suffisamment peu d'influence pour ne pas faire
surface dans les sources les plus significativesde l'actualité
artistique du temps.
Esquisse de Charles Cambon pour la tente de Robert au premier
acte ; 1831.
Précédemment, gravure d'Alexandre Lacauchie figurant Julie
Dorus-Gras en Alice – créatrice du rôle, qu'on distribuait alors à un
format plus léger et agile qu'aujourd'hui, manifestement, puisqu'elle
tenait aussi Eudoxie dans La Juive
et Marguerite de Valois dans LesHuguenots.
4. Hypothèses
Vient maintenant le temps des hypothèses : pourquoi le scandale facile
(surtout lorsqu'on voit les querelles ridicules sur les décors des
productions d'opéra à cette époque) qu'on pouvait supposer n'a pas eu
lieu ?
Au demeurant, Louis Véron, qui proposait là, après sa nomination suite
aux « Trois Glorieuses », sa première véritable nouvelle production,
devait bien se douter que ce n'était pas jouer à pile ou face ; ni
l'expert Scribe ; ni le patient Meyerbeer. Alors ?
¶ D'emblée, on peut écarter la piste
de la vénalité,
entretenue par quelques contemporains (et sans doute confortée par un
fonds d'antisémitisme) ; on a éventuellement quelques traces de
transactions, mais les carnets personnels de Meyerbeer nourrissent la
suspicion dans deux cas maximum, ce qui est bien peu pour acheter un
succès planétaire.
De toute façon, quelques éditorialistes achetés n'auraient pas fait
taire une salle indignée, surtout à propos de sujets aussi essentiels
que la vertu et la foi.
¶ J'ai beau essayer de rester informé, je ne suis pas spécialiste de la
période : sans doute m'abusé-je, tout simplement, sur la nature du ressenti catholique
dans la première moitié du XIXe siècle. J'avais le sentiment que la
Révolution et les changements incessants de régime avaient au minimum
exacerbé sa dimension politique, mais cet angle n'a manifestement pas
été soulevé à l'époque – ou alors de façon très marginale.
¶ C'est peut-être aussi que l'Opéra a atteint une telle réputation de lieu de perdition,
de divertissement sans substance – où l'on va éventuellement voir
danser ses protégées subventionnées avant de les faire sauter sur ses
genoux dans un fond de loge de la salle Le Peletier (qui précède le
lupanar de Garnier, où Robert
sera aussi abondamment joué) – que personne ne songe à s'insurger que
les spectacles n'y soient pas parfaitement moraux.
¶ Plus intéressant, il est bien possible que le sérieux du sujet n'ait
pas été surestimé par le public : certes, les effets de scénario et de
mise en scène ont dû saisir violemment l'assistance, mais,
après tout, Robert le Diable était
un conte médiéval bien connu, transmis en
particulier par la Bibliothèque Bleue et les pantomimes – de la même
façon que Don Giovanni était
un sujet de théâtre à marionnettes à la fin du XVIIIe, et que ses
situations pouvaient être utilisées dans un drame semi-sérieux. Les démons de Robertrestent des représentations très
archaïques pour les croyants du XIXe siècle, avec ces formes très concrètes, présentes dans la
vie quotidienne sous des aspects trompeurs, à combattre presque
physiquement – dans le goût de ces histoires de diables dupés (comme
les différents Pont-du-Diable, où l'âme du premier passant, prix de
l'ouvrage, est finalement celle d'un chien), des entrelacements du
surnaturel avec le naturel (la naissance de Merlin par Boron)…
Nous sommes habitués à voir le XIXe siècle par sa littérature, avec les
personnages de Scott, avec Faust…
pourtant ces figures étaient déjà, bien sûr, exotiques, et le rapport à
la moralité et à la religion qu'on y lit sont déjà des représentations
fantasmatiques, sans lien avec les croyances réels. En somme, Robert était si loin de la vraisemblance pour le
XIXe siècle qu'il ne pouvait pas choquer.
¶ Le public avait au demeurant
été préparé : le Freischütz n'avait, certes, pas
encore été donné dans la version respectueuse de Berlioz (en 1841, et
le Robin des bois de
l'adaptation Castil-Blaze ne brillait pas exactement par son sens du
fantastique nébuleux), mais la mode
du fantastique démoniaque n'était pas neuve, l'année précédente
Nerval, puis Musset et Vigny l'année de la création de Robert (1831) publient des textes à
dominante diabolique ; l'atmosphère
médiévale coïncide avec l'hystérie Scott ; enfin la structure du livret de Scribe
proviendrait d'une pièce allemande autour duPetermännchen, autre sujet fantastique dont le
public français n'était peut-être pas familier, mais qui ne constituait
donc pas non plus une nouveauté absolue. Bref, le romantisme était déjà
là depuis quelque temps, même si sa transposition aussi explicite et
paroxystique sur scène était une première : changement de degré plutôt
que de nature, disons.
¶ Je m'interrogeais aussi, outre l'aspect sacrilège de ce qui est
montré, outre les blasphèmes éventuels des démons et des héros égarés
sur scène, et qui peuvent être perçus, manifestement, comme de pures
figures de fable, sans aucun impact réel, sur la critique systématique des cultes par
Scribe : les catholiques sanguinaires des Huguenots, la farce mystique du Prophète (qui suscite plusieurs
massacres), l'oppression des Inquisiteurs ennemis du savoir dans L'Africaine… Cela ne se limite pas
à l'institution religieuse, on voit bien les fidèles bornés (comme le
brave Marcel) quelle que soit la religion, depuis la réforme douteuse
des Anabaptistes en Westphalie jusqu'aux Églises majoritaires
traditionnelles. Ici, ce n'est plus
de la fable, on sent un propos, une suspicion contre la bonne
volonté et les excès de pouvoir (la question de la foi étant toujours
secondaire par rapport à celle de l'appartenance à un clan ou du
service d'un dessein politique) de la part des cultes et de ceux qui
s'en réclament.
Je n'ai pas vraiment de réponse là-dessus, mais l'unanimité qui accueille les opéras de
Scribe m'étonne, puisque dans ces années, attaquer les Églises
(et les fidèles !) tenait vraiment d'une prise de position politique,
dans le cadre d'oppositions violentes, pas du tout consensuelles – et
Scribe était au contraire celui dont le savoir-faire satisfaisait tout
le monde. Je doute que cela puisse passer inaperçu seulement lorsqu'il
s'agissait d'une fiction sur sur une scène d'opéra… La question reste
entière, et tient sans doute dans la perception exacte de ces
phénomènes, sur lesquels doit exister une documentation abondante.
[On fait grand cas des positions anticléricales de Verdi, par exemple,
et qui sont pourtant en général bien moins violentes – leur
manifestation la plus évidente, si l'on passe la raillerie sévère de Stiffelio en 1850 (pasteur
protestant trompé par son épouse), se trouve bien sûr chez
l'Inquisiteur hautement politisé et les moines fanatiques de Don Carlos,
sur un livret (du Locle & Méry) très typé Scribe… mais cela date de
1866 !]
¶ Enfin, et c'est peut-être le plus important, on mesure sans doute
mal, à l'écoute ingénue par un spectateur du XXIe siècle, quelle fut
l'impression dominante. Les
spectateurs semblent surtout avoir été émus, en réalité, par les intercessions féminines
(Alice au pied de la croix, Isabelle suppliant Robert d'abandonner ses
pouvoirs magiques, Alice lisant la dernière lettre de la mère de
Robert…), et en particulier par la foi naïve d'Alice, sœur de lait de
Robert, qui remet le salut de son âme dans les mains de la Providence.
Et ce n'est pas seulement uné émotion de grisette, on la trouve vantée
sous des plumes éminentes (les prières d'Alice sont ce que George Sand
loue le plus). Pour le ténor Mario, Meyerbeer avait même ajouté une
prière de Robert, à l'acte II, où il demande la bénédiction de sa mère
défunte (« C'est que j'ai de ma sainte mère oublié les leçons, source
du vrai bonheur !… Oh ! ma mère, ombre si tendre… ») ; et, à l'acte V,
coupé dès avant la première, une longue adresse paternelle de Bertram «
Robert, ô mon fils ».
Le spectateur d'aujourd'hui est probablement plus intéressé par le
déchirement de Bertram ou de Robert que par les figures de saintes qui
les entourent, leur soufflant la voix de la raison et la volonté du
Ciel ; mais en fin de compte, il est probable qu'on ne voie que ce
qu'on veut bien voir : pour le public de la création, c'est
manifestement ce pathos religieux à la mode, mélange de foi naïve et de
piété filiale, qui a surtout suscité l'admiration. Tout cela signifie
que là où nous apprécions un spectacle
bien complaisant sur ses aspects démoniaques, avec un diable au
verbe brillant et quantité de manifestations infernales somptueusement
composées, les gens auxquels il était
destiné ont perçu l'ensemble comme une démonstration (certes tapageuse) à la
gloire de la décence, de la famille, de la foi. Et, par
conséquent, les personnages et scènes à rebours de la morale
constituent de nécessaires repoussoirs, et non des modèles.
Il n'est pas certain, par exemple, qu'on aurait pu représenter des
vampires ou zombies aimables ou
sympas, véritables héros
incompris, comme cela se fait dans la production cinématographique
d'aujourd'hui.
Jenny Lind en Alice, au pied de la croix à l'acte III de Robert le Diable. Lithographie
anglaise de 1847.
Précédemment, Nicolas-Prosper Levasseur, créateur de Bertram,
dans son costume de scène (gravure de Maleuvre).
5. Vers un bilan
Il reste bien des éléments à ajouter ou confirmer – et notamment,
je n'ai pas fait de recherches sur le sujet, sur la réception des
catholiques vis-à-vis du miroir peu amène tendu par Les Huguenots (je suppose que la
vertu de Valentine sert d'emblème à tous les catholiques de bonne
volonté) –, mais il semble, en fin de compte, que si ce qui me semblait
hardi n'a pas dérangé, c'est que l'œil
du XXIe siècle se méprend peut-être sur les lignes de force perçues par
les spectateurs de 1831.
==> Les récits faisant appel aux démons étaient assez communs, et
les horreurs déjà bien familières du théâtre (témoin les mélodrames de
boulevard et leur modèle Pixerécourt). Ajoutez à cela le caractère
archaïsant du conte médiéval, déjà perçu comme lointain. L'Opéra était
de toute façon un lieu de divertissement, considéré par principe comme
immoral et dont on ne prenait pas le propos trop au sérieux.
==> La dominante de l'œuvre est plutôt, du point de vue de 1831, le
triomphe de la vertu – là où, en 2015, nous sommes surtout frappés par
la séduction du mal, autrement plus stylé.
S'il s'agit d'une histoire exemplaire, alors il n'y a pas lieu de
s'effaroucher des crimes qui y sont commis.
On pourrait tenir le même raisonnement pour LesHuguenots ou Le Prophète : la vogue du roman
historique, du drame romantique (et son mélange des genres), les élans
de générosité qui terminent les ouvrages (Nevers meurt pour protéger
des innocents qui ne sont pas de son culte, les autres se sacrifient
pour ne pas renoncer à leur foi, et dans Le Prophète, une fois la piété
filiale revenue, tous ceux qui ont péché sont immolés) l'emportent sur
tous les contre-modèles temporaires qui les parcourent.
Voilà pour ces quelques hypothèses, incomplètes, mais le sujet n'est,
étrangement, jamais abordé de front par les commentateurs d'époque ou
d'aujourd'hui que j'ai pu parcourir.
Deux friandises en sus :
Plusieurs tableaux existent par Manet et Degas (ici le second),
preuve de la vivacité de la perception de l'œuvre comme symbole même de
l'opéra en France, jusque dans la seconde moitié du XIXe siècle. Les
bassons sont judicieusement mis en évidence (exécutant des duos très
exposés lors de la procession des nonnes damnées), mais au fond de la
fosse, sont-ce aussi des bassons (les doublait-on alors ? il doit
exister des études sur ce phénomène, largement en vogue au milieu du
XXe pour interpréter les compositeurs de l'époque classique ou du début
du romantisme, face à des effectifs importants en cordes) ou simplement
les hampes des harpes ?
Lithographie de Jules Arnout représentant la salle Le Peletier
vers 1850, lors d'une représentation de Robert le Diable. Particulièrement
familière, allez savoir pourquoi.
[Ci-gît un prologue non écrit sur le mode un peu de CSS dans un monde de brutes.
Chacun le rétablira à son gré avec la nuance souhaitée.]
Pour accompagner votre lecture, la Deuxième Symphonie est audible
gratuitement en flux légal par ici.
Vladimir Vladimirovitch Chtcherbatchov
selon la graphie française, mais on trouve plutôt
Shcherbachov sur les disques
(ou Shcherbachev, ou pour se
conformer à
la prononciation Shcherbachyov).
En russes, c'est Щербачёв,
ce qui se prononcerait plus ou moins Ch'erbatchiof
(avec un chuitement
sifflant du [ch], un peu comme les « -ich » allemands). Bref,
non seulement il n'y a pas beaucoup de disques (de publiés, et encore
moins de disponibles), mais alors il va vous falloir une sacrée
patience pour mettre la main dessus !
Pour ne rien arranger, son oncle Nikolaï (lui, c'est Vladimir) était
aussi compositeur – mais je ne crois pas qu'on ait grand'chose de lui
au disque, peut-être quelques pièces pour piano dans un coin.
1889-1952. Compositeur
futuriste, puis soviétique, il
a traversé à peu
près toutes les configurations possibles à cette époque : élève de
Liadov, gagnant sa vie comme accompagnateur pour Diaghilev, il est
soldat en 14-17, puis chef du département musical du Commissariat à
l'Éducation, et finit professeur au Conservatoire de Leningrad (et
Tbilissi), où il enseigne notamment à Popov et Mravinski.
Sa biographie explique assez bien les écarts immenses qu'il existe
selon ses périodes et ses œuvres. Au disque, on trouve très peu de
choses, mais l'écart est immédiatement perceptible.
¶ La Seconde Sonatepour piano (1914) est encore très
romantique, parcourue d'audaces qui ne sont pas encore du futurisme :
du Scriabine de la fin de la première période, disons.
¶ Le Nonette (1919) pour
soprano,
flûte, quatuor à cordes, harpe, piano et mime est un bijou absolu, un
sommet de l'art futuriste, d'une liberté extrême tout en restant d'une
perception très intuitive. À la fois inouï et immédiatement beau – si
je ne devais sauver que dix œuvres dans le patrimoine musical, il y a
fort à parier qu'il n'y figurerait pas dans les dernières places !
¶ L'opérette Capitaine
Tabac
(1943), dont la suite orchestrale a été enregistrée, utilise un langage
léger et sommaire, visant le pur divertissement – à côté, Moscou quartier des Cerises (de
Chostakovitch), ce seraient les Gurrelieder.
¶ La Symphonie n°5 « Russe »,
créée en 1948 dans un but de propagande (exaltant les luttes et
la victoire de 1945), marque par son soviétisme sommaire : grandes
lignes « blanches », très pures, sur une harmonie assez sinistre, avec
les mélodies déceptives et cabossées assez caractéristiques de la
musique soviétique.
Plutôt du sous-Khrennikov (dont cette symphonie n'a ni les jolis
frottements, ni l'instinct populaire), très frustrant.
Il existe aussi un opéra inachevé sur Anna
Karénine (1939) et de la musique de film, pas mal de musique de
chambre également.
Entre les deux groupes, la Deuxième
Symphonie « Blokovskaya » (1925) n'a paru que fort discrètement,dans les publications
dématérialisées de l'American Symphony Orchestra (voir ci-après).
C'est la première œuvre réellement essentielle parue depuis le Nonette (qui devait être le premier
disque comportant du Chtcherbatchov, à moins que ce ne soit la Sonate –
la première monographie au CD, parue chez BIS dans la collection des
symphonies de guerre soviétiques, n'a pas dix ans), et elle confirme
qu'à travers les périodes, il faut creuser le legs de Chtcherbatchov,
qui a de toute évidence beaucoup à dire, et de façon très personnelle.
La Deuxième Symphonie inclut une soprano, un ténor solos et des chœurs,
pas permanents, mais très présents dans le vaste dernier mouvement, le
plus dense musicalement – qui dure la moitié d'une symphonie d'une
heure.
Le résultat est étonnant : l'œuvre ne sonne vraiment pas typiquement
russe, et tire plutôt vers de la musique décadente germanique de la
toute meilleure farine, d'où seule semble se distinguer une forme
d'expansion, de générosité moins formelle, plus slave en effet. On
pourrait la décrire comme une Sixième
de Tichtchenko (ou une Troisième de Szymanowski) récrite
dans le style du Poème de l'Extase
et de la Deuxième de Mahler,
pour situer sa forme particulièrement libre et son ton pas du tout
russe, plus proche de l'oratorio allemand – enfin, l'hypothétique
oratorio écrit par (Joseph) Marx dans le style de sa Herbstsymphonie.
Autrement dit, une expansion formidable dans une forme libre mais
sophistiquée, une harmonie chatoyante, des effets de masse
impressionnants sur une musique raffinée – combinant lyrisme et
complexité. Assez jubilatoire, voilà qui changerait d'autres symphonies
chorales du répertoire, et rencontrerait un succès équivalent (ça coûte
moins cher que la Huitième de Mahler, en plus).
Leon Botstein et l'American Symphony Orchestra servent
avec une grande facilité et une réelle implication cette œuvre
techniquement exigeante (aidés de très bons chanteurs : Concert Chorale
of New York, Michael Wade Lee et Marina Poplavskaya, qui se montre
particulièrement magnifique ce soir-là).
L'orchestre est très peu connu en France, alors qu'il est en réalité
l'un des principaux pourvoyeurs de musique symphonique à New York.
Fondé en 1962 par Leopold Stokowski alors qu'il avait
80 ans, il a enchaîné les directeurs musicaux à un rythme assez élevé
dans les années 80, mais Leon Botstein
en tient la direction depuis 1992,
une longévité rare désormais à la tête des orchestres prestigieux.
Ils sont en résidence à Annandale-on-Hudson
(État de New York), au Richard B Fisher Center for the Performing Arts
au Bard College, mais se produisent très régulièrement à New York, au Symphony Space et surtout au Carnegie Hall lors des Vanguard
Series (où se concentrent les raretés).
Chose amusante, le but de l'orchestre était à l'origine de rendre la
musique accessible à tous (notamment en matière de prix), et c'est
aujourd'hui l'orchestre le plus exigeant en matière de répertoire
nouveau – donc peut-être un peu plus un orchestre de spécialistes,
tandis que les néophytes iront entendre Beethoven ou Dvořák par le
Philharmonique ?
En effet la politique de Leon Botstein
est de travailler sur des thématiques
lors de ses concerts (historiques, artistiques, etc.), et surtout de faire entendre des chefs-d'œuvre qui ne
sont plus joués. Et, de même que pour Lui, je n'emploie pas le
mot en vain : son goût est véritablement infaillible. Point d'œuvrettes
sympathiques de compositeurs célèbres, ou de jolies pièces agréablement
décoratives d'inconnus qui brossent l'oreille peu avertie dans le sens
de la cochlée, non, non : du vrai chef-d'œuvre exigeant, difficile à
exécuter et différent, enrichissant pour le public.
C'était déjà le cas au disque : Die
Ägyptische Helena, Der Liebe
der Danae, deux des meilleurs Strauss peu célèbres (auxquels
j'ajouterais Intermezzo et
surtout Friedenstag) et une
anthologie américaine (Copland-Sessions-Perle-Rands) avec l'American
SO, mais aussi Le Roi Arthus
de Chausson, Ariane et Barbe-Bleue
de Dukas, A World Requiem de
John Foulds avec le BBCSO, une monographie Joachim avec le London
Philharmonic, la Troisième Symphonie
de Glière avec le LSO et la Première
Symphonie de Bruno Walter avec la NDR. La faillite de Telarc l'a
empêché de poursuivre ses investigations lyriques… dans un premier
temps.
Car, avec la possibilité de la dématérialisation
et de la vente directe au consommateur (pour un coût minime : seulement
la prise de son, vu qu'il n'y a pas d'objet ni de visuel individualisé,
et que la distribution est assurée par les sites spécialistes eMusic,
Amazon, iTunes, Deezer, qui peuvent stocker sans difficulté des disques
à faible tirage), Botstein et l'American SO ont multiplié les publications (150
volumes, dit le site – et pour avoir parcouru la liste, ce n'est pas
une exagération). Quelques œuvres du répertoire (la Trente-Huitième de
Mozart, Sixième et Huitième de Beethoven, la Neuvième de Schubert, le
Prélude de Tristan, le
Cinquième Concerto de Saint-Saëns le Sacre de Stravinski…) pour ceux
qui veulent entendre leur orchestre dans les standards, mais l'écrasante majorité sont des pièces
extrêmement rares (et, pour la plupart, au minimum très intéressantes),
dont quelques premières mondiales (et beaucoup d'autres très difficiles
à trouver).
Ce fonds exceptionnel regroupe des œuvres d'une difficulté hallucinante
que seul un grand orchestre peut porter sans dénaturer, et traverse les époques avec un éclectisme
impressionnant – car le style
reste toujours très informé et respectueux, avec une souplesse
assez confondante.
Que publient-ils ?
Des compositeurs patrimoniaux des Amériques
:
R. Thompson – Symphonie n°2
V. Thomson – Symphony on a Hymn Tune
Barber – First Essay
Cowell – Atlantis
Cowell – Variations pour orchestre
Cowell – Symphonie n°2
Chávez – Symphonie n°1, «
Sinfonia de Antigona »
Chávez – Sinfonia India
Crumb – Variazioni
Beaucoup de patrimoine allemand,
en particulier chez les décadents
début-de-siècle :
Spohr – Le Jugement Dernier (oratorio)
Czerny – Psaume 130
Schubert – Die Verschworenen
Liszt – Hunnenschlacht
Liszt – Psaume 13
Wagner – Das Liebesmahl der Apostel
Bruckner – Psaume 150
Brahms – Rinaldo (très belle
version)
Raff – Ouverture pour La Tempête
R. Strauss – Symphonie n°2 (opus 12)
R. Strauss – Bardengesang
R. Strauss – Hymne olympique
R. Strauss – Austria
R. Strauss – Die Tageszeiten –
la grande fresque chorale (difficile à trouver en intégralité), et
superbement rendue
Hausegger – Wieland der Schmidt
– un beau poème symphonique (première mondiale)
Zemlinsky – Psaume 23
Schreker – Der ferne Klang
Schoech – Nachhall
J. Marx – Eine Herbstsymphonie – l'une des symphonie les plus
démesurées, décadentes et contrapuntiques de tout le répertoire (qui ne
se trouvait déjà qu'en dématérialisé, dans des versions moins virtuoses)
F. Schmitt – Psaume 47
Wellesz – Symphonie n°2
Braunfels – Don Juan (poème
symphonique)
Antheil – Ballet mécanique
Hindemith – Le long dîner de Noël
Dessau – In memoriam Bertolt Brecht
Dessau – Haggadah shel Pesah
K. A. Hartmann – Hymne symphonique
Plus étonnant, du répertoire
russe et surtout soviétique :
Tchaïkovski – Le Voïévode
Taneïev – L'Orestie
Lourié – Chant funèbre sur la mort d'un poète
Chtcherbatchov – Symphonie n°2
Popov – Suite symphonique n°1
Miaskovski – Silentium,
d'après un poème de Poe
Chostakovitch – La Puce
Weinberg/Vainberg – Concerto pour trompette
Tichtchenko – Symphonie n°5
Ou les jeunes italiens modernes
:
Malipiero – Pause del Silenzio I
Pizzetti (Trois Préludes à Œdipe de
Sophocle – lequel ?)
Casella – Italia
Petrassi – Coro di morti
Dallapiccola – Volo di notte
Dallapiccola – Canti di prigionia, Canti di liberazione
Et pêle-mêle :
Stanford (Symphonie n°3, Variations de
concert sur un air anglais), Enescu (Symphonie n°1), Martin (Les Quatre Éléments), Chadwick
(Ouvertue Rip van Winkle), Sessions (Symphonie n°1), Carpenter
(Concerto pour violon, Skyscrapers), Still (Africa, Symphonie n°2), Ben-Haïm
(Symphonie n°2), Tal (Symphonie n°2), Panufnik (Sinfoni di Sfere),
Tuille (Ouverture romantique), Klenau (Ouverture Klein Idas Blümen), Suk (Scherzo
fantastique), Piston (Symphonies n°2 & 4, Concerto pour violon
n°1), Matthus (Responso), M.
Steinberg (Suite pour Les
Métamorphoses), Siegmeister (American
Holiday), Takemitsu (Cassiopeia),
Achron (Épitaphe à la mémoire
d'Alexandre Scriabine), Berio (Rendering),
Bantock (Prélude aux Bacchanales),
Brüll (Ouverture de the Golden Cross),
Janáček (Le Fils du Flûtiste),
Seter (Midnight Vigil),
Kajanus (Aino), Gerhard (Don Quixote), Nielsen (Symphonie
n°3), Raitio (Les Cygnes),
Saint-Saëns (Orient et Occident),
Fuchs (Sérénade n°1, Symphonie n°3), Rubin (Symphonie n°4), Holmboe
(Symphonie n°8), R. Wilson (Triple concerto pour cor, marimba et
clarinette basse)…
On trouve même une collection assez développée d'opéra (quasiment que des bijoux,
très bien interprétés de surcroît, même les opéras français sont
chantés dans une langue respectueuse et un style orchestral adéquat) :
Weber – Euryanthe, avec William Burden – l'œuvre
ne devient pas passionnante pour autant, seul disque dont je vois sorti
mitigé ; il faudrait vraiment des instruments d'époque et beaucoup
d'énergie pour rendre ça ingestible sur la durée
Spohr – Le Jugement Dernier
(oratorio)
Meyerbeer – Les Huguenots
Schumann – Szenen aus Goethes «
Faust » – avec Andrew
Shroeder et Michael Spyres !
Saint-Saëns – Le Déluge
(oratorio)
Saint-Saëns – Henry VIII
Suppé – Franz Schubert – œuvre présentée ici
Chabrier – Le roi malgré lui – avec Frédéric Goncalves
R. Strauss – Die Liebe der Danae –
une nouvelle version avec d'autres chanteurs !
Schreker – Der ferne Klang
Dallapiccola – Volo di notte
Vous remarquerez que les œuvres sont toujours présentées seules,
courtes ou longues, l'enregistrement n'en concerne qu'une à la fois –
ce qui nous extirpe des contraintes du disque format concert.
Je ne les ai pas toutes citées. Dans l'ensemble, toutefois, les raretés
sont légion. Leur site ne mentionne que cinq premières mondiales
(Czerny, Hausegger, Lourié, Braunfels, Rubin), mais il me semble qu'on
en a beaucoup d'autres – sans parler de tous ceux où l'enregistrement
est seul disponible.
Étrangement, le catalogue n'est pas disponible sur le site
officiel de l'orchestre, c'est pourquoi j'ai pris un peu de temps
pour les chercher dans les sites de vente dématérilisés et les classer.
Le jeu en vaut la chandelle : il n'est pas toujours facile de
déterminer ce qui vaut la peine d'être entendu (même si, chez Timpani
par exemple, et même chez les décadents
de CPO, le déchet est rare), et cette
collection constitue un guide hautement fiable. Aussi bien par l'intérêt des œuvres abordées que
par la qualité constante de
l'exécution. La virtuosité et la cohésion de l'orchestre, bien
sûr, mais aussi et surtout la capacité
à se conformer au style – il est rarissime que des spécialistes
des grosses machines du postpostromantisme germanique arrivent à se
fondre dans les contraintes du classicisme et de l'opéra français.
Excellente surprise en découvrant ce compositeur (1828-1885), né à Manosque, ayant étudié à Paris avec Halévy – d'ailleurs auteur d'une comédie lyrique / opéra comique (mes sources ne sont pas claires [1]), Les deux Billets, jouée salle Herz et salle Pleyel en 1868) –, mais spécialisé dans la musique de chambre. On trouve quelques jolies choses de lui au disque (pièces avec cor, trio avec clarinette, quintette pour piano et vents…), mais au sommet se situe ce Septuor (1860) dont – ce n'est pas une coïncidence ! – on trouve au moins quatre versions différentes.
C'est une sorte de Czerny plus tardif et plus mélodique, d'une simplicité raffinée et très généreuse (quelque part entre la rigueur formelle de Czerny et les trouvailles de Dubois), assez irrésistible en ce qui me concerne.
Il est écrit pour quatre cordes (une de chaque tessiture jusqu'à la contrebasse), clarinette, basson et cor, donc assez loin, de prime abord des typologies habituelles – qui incluent le hautbois, faute de quoi le violon mène la danse par défaut –, mais en réalité, le septuor n'étant de toute façon pas un ensemble canonique, on trouve peu d'exemples « réguliers ». Beethoven et Berwald avaient choisi la même formation, mais Ries incluait un second cor et un piano au lieu du basson et de l'alto, Hummel la flûte, le hautbois et le piano au lieu de la clarinette, du basson et du violon (voire la trompette au lieu du cor), Moscheles le piano au lieu du basson, Kalkbrenner le hautbois et le piano au lieu du violon et de l'alto, Onslow les cinq vents, la contrebasse et le piano, Spohr la flûte et le piano au lieu de l'alto et de la contrebasse…
En somme, sa nomenclature est assez classique lorsqu'il s'agit de septuors sans piano.
La monographie chez ATMA (par Les Vents de Montréal), seul disque exclusivement consacré au compositeur, est évidemment à recommander (et c'est une belle interprétation, tout en rondeurs) ; néanmoins, si l'on parle uniquement du Septuor, j'aime davantage la lecture plus franche et vive de l'Ensemble Charis pour SWR Music – de surcroît couplée avec un bon Quintette pour piano et cordes de Goetz, un très beau Quintette à cordes d'Onslow et, quasi-tube du disque, le septuor de Berwald dans une très belle version.
Il existe aussi la version de l'Ensemble Acht chez Thorofon, moins brillante instrumentalement, couplée avec un Octuor (très bien écrit, sans être superlatif non plus) du compositeur (allemand) Ferdinand Thieriot. Enfin, je n'ai pas encore écouté celle de l'Octuor de France chez Calliope (couplée avec le Septuor de Beethoven).
À recommander pour les amateurs de musique de chambre avenante et pas trop formelle – aux amateurs de musique de chambre française du XIXe ou de pièces à vent, plutôt qu'à ceux de Schumann et Brahms, disons. [L'un et l'autre n'étant absolument pas exclusifs, il va sans dire.]
Symphonies romantiques alternatives
Quand on en a assez de réécouter Beethoven, Schumann et Brahms, il existe d'autres solutions. Je ne dis pas que ce soit aussi bien (encore que, concernant Brahms, ça puisse se discuter), mais c'est tout de même de la musique profondément enthousiasmante dans certains cas. Petite réécoute ces derniers temps de quelques-uns d'entre eux : Czerny (surtout la Première, une des plus belles symphonies de tous les temps, du Mendelssohn beethovenisé), Sinding (étonnamment tempêtueux), (Norbert) Burgmüller (avec des scherzos et finals particulièrement roboratifs), van Gilse (les deux premières sont de l'excellent post-Brahms), d'Albert (déjà dans un post-romantisme pastoral plus typé XXe – les concertos pour piano, en revanche, débordant de soli, forment un véritable pendant à ceux de Brahms, et le concerto pour violoncelle évoque celui de Dvořák en moins mélodique et plus raffiné).
En revanche, toujours pas convaincu par celles de Herzogenberg, tantôt formelles façon Brahms, tantôt pittoresques, mais jamais très marquantes (pourtant, avec la NDR & Beermann, CPO n'a pas fait les choses à moitié !). C'est bien dans la musique de chambre qu'il faut le fréquenter sans réserve.
Le nouveau son du Philharmonique de Berlin
En attendant ses nouvelles aventures, chacun poursuit l'écoute attentive de l'orchestre emblématique de tous les autres, et, après m'être laissé dire grand mal de l'enregistrement du Troisième Concerto pour piano de Prokofiev (Lang / Rattle), je ne reviens pas de mon émerveillement : point de cogne, les bûcheronnées de Lang se font caresses et la pâte de l'orchestre, plus transparente que jamais, comme si l'âme de Berlin était désormais contiguë à celle de Debussy plutôt qu'à celles de Brahms ou R. Strauss.
Tout cela est assez significatif de la mutation débutée dès la mort de Karajan, et particulièrement accélérée par Rattle, non seulement en ouverture du répertoire, mais surtout en matière de son, qui ne se caractérise plus par son fondu mais par une limpidité exemplaire. (Ce n'est pas pour rien que Rattle est plus ou moins le plus grand interprète de Debussy et Ravel qui fut jamais.) On parle souvent de baisse de niveau, et sans doute que la transition fut difficile (Abbado n'étant de plus, ainsi qu'en atteste son passage à la Scala, pas fondamentalement un très grand bâtisseur de sons – il l'est devenu, certes, mais bien plus tard) depuis une identité germanique opaque et suave un peu univoque, vers le magnifique orchestre polyvalent qu'il est devenu. Il n'empêche que le résultat est désormais enthousiasmant.
Du Prokofiev diaphane et délicat, surtout dans ces concertos martelants, ce n'est pas tous les jours, et nous en sommes tout réjouifié.
Classique au vert : Voces8, Brahms, Gossec, sonorisation
Sous un chapiteau au milieu du Parc Floral de Paris de Vincennes, une des rares séries de concerts estivaux, le week-end : à 16h, un vrai concert d'1h15 à près de 2h… Pour 6€ l'entrée, confortable rétribution. Public mêlé, où l'on croise aussi bien des habitués en manque que des estivants candides.
Tous les concerts, pour le confort acoustique, sont sonorisés, mais assez habilement, je dois dire : le son reste très localisé, simplement renforcé par confort par le système (qui spatialise assez finement). C'est salutaire pour les petites voix de Voces8 (surtout pour les spectateurs sur les côtés), plus discutable pour la musique de chambre (instruments suffisamment puissants, les micros mettant impitoyablement en valeur la moindre fluctuation de timbre ou de justesse), et même assez étrange pour la musique symphonique. Mais ainsi, tout le monde entend, et les équilibres sont plutôt respectés.
Vu pour ma part trois concerts.
¶ Voces8 (finalement découvert comment on le prononçait : « votchès », à l'italienne, et « eight », à l'anglaise – j'étais tenté par « vokès/votchès ottavæ », mais je me doutais bien que je m'égarais) propose un mélange de musique contrapuntique du début du XVIIe siècle (sacrée ou non) et de tubes de la chanson, du gospel ou du jazz réalisés spécialement pour huit voix a cappella par leur arrangeur attitré.
Ils excellent aussi bien dans l'un que dans l'autre ; voyez par exemple leurs Motets de Bach, référence absolue, même si la version au disque avec les doublures instrumentales est un peu moins hallucinante. Leurs voix très douces et flexibles (technique lyrique de chœur et pas d'opéra, en fait) leur permet de ménager des transitions très aisées vers les techniques de chant propres à la chanson (voir là), avec une exactitude stylistique à chaque fois assez épatante.
Pour ne rien gâcher, présentation dans un très bon français par la moitié des membres de l'ensemble, et sens de la chorégraphie, un certain enthousiasme communicatif : à la fois très grand public et de très grande qualité.
¶ Schumann et Brahms par Pierre Fouchenneret (violon), Victor Julien-Laferrière (violoncelle) et Hortense Cartier-Bresson (piano). Fantasiestücke en version violoncelle, Première Sonate pour violon, Kinderszenen, et côté Brahms, le monumental Premier Trio (1854, mais ici dans la version révisée courante, plus brève).
Les timbres n'étaient pas très flattés par les micros, mais j'ai été très séduit par la façon de mettre en valeur les derniers temps de chaque mesure, de rendre la poussée plus prégnante et naturelle (le balancement du 6/8 dans la Sonate de Schumann, par exemple). Et puis quelle enchantement d'entendre (première occasion en ce qui me concerne) le Premier Trio de Brahms ! Presque trop de musique, même dans cette version courte de 1889… au bout des deux premiers mouvements, on est déjà presque repu de beautés. En tout cas, l'occasion de profiter de ces œuvres programmées régulièrement (même très souvent, du côté des Schumann), mais que le tourbillon des raretés ne laisse pas forcément le loisir d'aller entendre pendant la haute saison.
¶ Symphonie Op.6 n°3 de Gossec, Second Concerto pour flûte et Symphonie n°29 de Mozart par Juliette Hurel, l'Orchestre de Chambre Pelléas et Benjamin Lévy. La symphonie de Gossec (un peu la sensation de la soirée, aussi bien sur le principe que sur le résultat) était étrangement jouée en tranches, premier mouvement au début du concert, dernier mouvement à la fin, et mouvement lent porté disparu. Mais il était un peu rude pour Mozart d'être joué en telle comparaison, même avec d'aussi belles œuvres programmées : le premier mouvement de Gossec, très typé opéra gluckiste, mais avec beaucoup plus de matière proprement musicale, comme le dernier mouvement (un immense fugato sombre) sonnaient comme une démonstration de virtuosité vis-à-vis d'une face plus galante de Mozart (encore que, les deux premiers mouvements de la 29e, tout de même !). À en juger par les réactions de notre compagnie et de tout le public, mon impression a été largement partagée.
L'Orchestre de Chambre Pelléas joue sur instruments modernes avec des modes de jeu « informés », avec un spectre très aéré, au détriment quelquefois de l'expression – le style est là, mais l'impact dramatique est parfois ténu, alors même que les tempi de B. Lévy sont assez spectaculairement vifs. Je crois néanmoins que l'orchestre (tout petit ce soir, cordes en 4/4/2/2/1 !), certes pas complètement exempt de faiblesses (la justesse, très honorable, n'est pas celle des ensembles d'élite), a monté en gamme au fil des années. À suivre, ils pourraient tenir une niche intéressante (actuellement occupée à Paris par l'Orchestre de Chambre, mais ailleurs en France…).
Expériences très valorisantes pour le public, dans un contexte qui n'incite guère à la solennité des salles de concert – les bruits extérieurs sont présents, mais l'effet de plein air empêche aussi les sons parasites de se mélanger à la musique. (D'où l'utilité de la sonorisation, sans doute.)
Concours de chant de Clermont-Ferrand 2015
Spécialisé à l'origine dans le lied, la mélodie et l'oratorio (bien qu'un peu dilué désormais, pour des raisons d'insertion professionnelle…), le concours a cette année couronné Elsa Dreisig. Les extraits proposés (opéra) ne la montrent pas sous son meilleur jour (un peu d'acidité), mais c'est l'une des plus hallucinantes récitalistes de lied ou mélodique que j'aie jamais vues… même en se comparant aux grandes idoles documentées par le disque, elle figure parmi les meilleures, à tous les niveaux de la voix, de l'expression et du jeu… sans mentionner la plasticité exceptionnelle entre les styles. Pas très étonnant que dans une compétition de jeunes chanteurs, elle écrase un peu durement la concurrence – on ne dispose que d'extraits, mais on entend surtout de bons chanteurs à côté, pas des artistes absolument épanouis. Reste à espérer que l'opéra (qui lui offrira surtout des rôles légers à suraigus, vraisemblablement) ne la détraquera ni ne la détournera de son répertoire de prédilection (dont, il est vrai, un chanteur ne peut vivre – qui, aujourd'hui, à part Goerne, finance sa blonde paie son loyer avec le lied ou la mélodie ? même Kirchschlager et Gerhaher doivent faire de l'opéra ou de l'oratorio).
En tout cas, elle a gagné un engagement pour une production prochaine, puisque c'est le principe de ce concours – qui, au lieu de dépenser des prix, en profite pour faire son recrutement. Utile pour tout le monde.
Je n'ai pas encore regardé en entier les vidéos proposées par Classiquenews
Fin d'un monde
Ce n'est pas musical, mais la musique étant de plus en plus indéfectiblement liée aux tuyaux – en tout cas si l'on veut disposer d'un peu plus d'offre que dans les rayons désertiques des disquaire –, je découvre avec effroi des logiciels et même des sites qui ne peuvent être chargés qu'en se connectant avec un compte Google ou Facebook. Encore, les sites ou logiciels uniquement développés pour des portables, ça peut s'expliquer (utilité particulière, systèmes d'exploitation différents…), mais conditionner le simple accès à un site (je ne parle même pas d'inscription !) à la possession et au partage de données aussi tentaculaires, c'est assez terrifiant. La Toile que j'ai connue s'effiloche.
Verdi
Beaucoup écouté de versions alternatives des opéras de maturité (disons, à partir de Macbeth-Stiffelio) de Verdi, il faudra en toucher un mot : les studios couramment disponibles sont très loin d'avoir la même saveur que ces versions échevelées sur scène, par des voix plus typées et des artistes beaucoup plus concernés. (Dire que nombre d'entre nous découvrent Verdi avec le New Philharmonia de Gardelli, Abbado ou Muti…)
Mais ce serait un peu long, d'autant que les réécoutes se poursuivent dans la perspective de la préparation d'une vaste notule qui lèvera tous les mystères d'une notion glottologique fondamentale. On parlera discographie plus tard.
Parsifal
Parce qu'on ne peut pas faire un carnet d'écoutes sans un peu de Wagner.
¶ Réécoute de Levine 1985 (Meier, P. Hofmann, Estes, Sotin, à Bayreuth). Ma version de chevet, toujours aussi étonnante : c'est la plus lente de toute la discographie (un peu plus que Goodall, nettement plus que Knappertsbusch), et pourtant elle paraît avancer très vive, toujours tendue comme un arc, élargissant la poésie de chaque instant sans jamais faire perdre de vue les rapports harmoniques et la « directionnalité » du propos (le problème des versions Knappertsbusch, par exemple). Et puis, une fête vocale (Estes un peu moins que les autres, mais il paraît souffrant avec beaucoup de panache). Cette version est tellement magnétique qu'à chaque fois, je me mets le III en entier, puis ai envie d'essayer le I… et me réécoute tout jusqu'à la fin du III. À chaque fois.
¶ Réécoute de Janowski 2011 (DeYoung, Elsner, Nikitin, Selig), une autre de mes versions indispensables (Selig offre le Gurnemanz le plus naturellement parlé de la discographie, fascinant à suivre avec le texte ou la partition), et ici, il se produit l'inverse : la direction est plutôt rapide si on observe les minutages, mais rien ne paraît pressé, on a l'impression d'un déploiement d'une grande plénitude. (On pourrait en dire autant d'Armin Jordan.) Moins de grain que Levine, mais orchestralement, peut-être le plus bel acte III de la discographie… (Vocalement, Elsner et DeYoung ne sont pas aussi solides que la plupart des concurrents, mais dans du Wagner, ce n'est pas si important.)
¶ Réécoute de Krauss 1953 (Mödl, Vinay, London, L. Weber), vive, cursive et lumineuse dans une atmosphère assez crasseuse (son nébuleux de l'orchestre, chanteurs poisseux…), un paradoxe assez fascinant.
¶ Découverte de Goodall 1971 (Shuard, Vickers, Bailey, Hendrikx, McIntyre), que j'avais laissé passer lors de sa publication en 2008 par le label du Royal Opera House de Covent Garden. Pourtant, la franchise de Shuard, la tenue de Bailey, la curiosité de Goodall (surtout depuis la découverte de ses magnifiques Meistersinger en anglais), tout m'y aurait poussé.
L'orchestre est assez imprécis (et même le chœur, dans la section a cappella avant la scène d'Amfortas, plutôt débraillé…), dû sans doute à une lenteur qui excède la maîtrise technique du chef, mais j'y ai découvert un grand wagnérien, jusqu'ici totalement passé sous mon radar (pourtant passablement enragé, comme on l'aura noté) : Louis Hendrikx. Gurnemanz de haute stature, vraie voix de basse, mais au timbre assez clair, à l'expression douce, et dôté un léger vibrato rapide très séduisant, et très rare dans ces tessitures. L'un des grands titulaires du rôle, splendide vocalement et sensible à l'expression (les deux ne se rencontrent pas toujours, ainsi qu'en attestent Crass ou Holl, par exemple).
Pourtant, au disque, j'ai cherché, on ne semble guère disposer que de son Gessler dans le Guillaume Tell de Rossini sinistrement mis en boîte par Gardelli. Même sous le manteau, assez peu de bandes semblent avoir circulé ; comment peut-on arriver au ROH dans un rôle majeur et le chanter aussi bien, sans laisser plus de traces avant et après ? Témoignages bienvenus.
Apparemment, la version Goodall est plus lente de quelques minutes que Levine 1985 (4h42 contre 4h30 pour son studio de 1984 et 4h40 pour Levine 1985), quasiment rien, mais elle paraît toujours lente… et même par moment immobile (fin du I) ! Pas forcément une immobilité magnétique par ailleurs : elle donne surtout le temps d'entendre l'orchestre canarder dans les tenues impossibles et les départs mal réglés. Le tempo n'est vraiment rien à côté du caractère insufflé par le chef, clairement.
L'Enfant et les Sortilèges par Ozawa
Vient de sortir chez Decca. Dans une discographie qui comporte beaucoup de très grandes réussites de natures très différentes (Bour, Ansermet, Maazel, Maag, A. Jordan, Dutoit, Rattle…), ce n'est ni le meilleur français, ni la meilleur technique vocale, ni la meilleure caractérisation des rôles (d'assez loin !) ; en revanche orchestralement, chaque trait claque avec une variété de couleurs impressionnante : on a l'impression d'entendre une version lyrique de L'Oiseau de feu !
L'orchestre du Saito Kinen se révèle vraiment formidable, et la version doit, rien que pour cela (même par rapport à la perfection à la plus hiératique et ludique de Maazel), être entendue.
Couplage avec une très belle version des Shéhérazade de Tristan Klingsor : Susan Graham est y un peu moelleuse à mon goût, mais dans un français très valable, et avec une facilité sur toute la tessiture qui est rarement atteinte.
Gli Ugonotti
Le fameux enregistrement de Gavazzeni à la Scala (Sutherland, Simionato, Corelli, Ghiaurov) pour Les Huguenots de Meyerbeer, malgré toutes ses qualités orchestrales et vocales, a toujours été un repoussoir pour moi, et je voulais le retenter. Le passage en italien, qui appauvrit certes le spectre vocalique, n'est pas trop tragique, considérant les qualités limitées de versificateur de Scribe. Et les contenus ne sont pas trop distordus au passage.
En réécoutant le duo de l'acte IV, j'ai moins boudé plaisir qu'autrefois : d'abord parce que Giulietta Simionato irradie complètement, déborde de feu et de jeunesse, dans un rôle souvent donné à des voix dramatiques mates, qui n'ont pas cet éclat ou cette arrogance. Valentine est censée être timide, ce n'est donc pas du tout un problème, mais ce degré de luxe est difficile à bouder.
Orchestralement aussi, on supporte tellement de versions aux orchestres en déroute, que même la Scala de ces années peu scrupuleuses offre un confort très supérieur – on sent une facilité, une absence de fébrilité qui sont assez agréables, d'autant que Gianandrea Gavazzeni, à son habitude, ne lésine pas sur la tension.
On peut même inclure Franco Corelli dans les satisfactions : tant de santé vocale a de quoi défriser le glottophile le mieux permanenté. Et c'est aussi là que s'arrête la satisfaction : car Corelli (et l'ensemble de l'esprit de la soirée avec lui) est purement vocal, purement héroïque… Toute la distanciation du texte de Scribe (et de la musique de Meyerbeer), qui regarde avec tendresse des héros tout de même assez maladroits, rendus exemplaires par les circonstances, mais manifestement peu à l'aise avec elles, n'ayant justement pas les codes de la contenance héroïque… se perd. On entend du drame avec du panache, mais la malice, le petit amusement qui point derrière le drame [2] manque à peu près totalement. On entend un Verdi d'un autre genre (or, chez lui comme chez Hugo, le comique renforce surtout l'ironie tragique), assez direct, doté de très belles mélodies, mais les composantes malicieuses, la couleur locale qui réhaussent l'ensemble sont tout à fait occultées : un très bel opéra « vocal », mais je n'ai pas l'impression d'entendre le chef-d'œuvre que je révère tant.
Néanmoins, si on ne peut se satisfaire de cela pour découvrir ou fréquenter l'œuvre sur le long termes, il y a là de quoi s'offrir un joli shoot glottophile lorsque le besoin s'en fait sentir.
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Pardon pour le fourre-tout facile, d'autres notules un peu moins superficielles (sur l'évolution des formes et des langages musicaux, les opéras cachés de Debussy, la technique vocale ou les mutations de Mélisande…) sont en préparation, celle-ci permettra de patienter quelque temps.
Notes
[1] La comédie lyrique, de plus en plus usuelle à partir de la seconde moitié du XIXe siècle, suppose en général une pièce entière chantée, contrairement à l'opéra-comique où les « numéros » sont entrecoupés de dialogues parlés. Il n'y a cela dit pas de règle absolue, la « comédie lyrique » n'étant pas un genre fixe.
[2] En ce sens, l'esthétique de Scribe est à rebours de celle des grands drames romantiques de Hugo ou Dumas : les allègements comiques, chez eux, renforcent le sentiment du tragique, l'impression du caractère dérisoire de la vie. Chez Scribe au contraire, le badinage et le comique de caractère mettent un peu décontraction dans des sujets très sérieux : on joue avec son honneur et sa vie, mais on peut, dans le cadre même de cet accomplissement, se montrer gauche ou naïf.
Ce billet, écrit à par DavidLeMarrec dans la catégorie Carnet d'écoutes a suscité :
Concerts, opéras, théâtre… En voici la liste, dans l'ordre de la saison (n'inclut pas les expositions en nocturne, évidemment). La plupart ont été commentés, avec un changement en fin de saison : comme chaque année, tentative de recentrer CSS sur des sujets de fond plutôt que sur l'écume des théâtres parisiens. Mais la tentation est tellement grande de témoigner des belles choses qui passent… Nous verrons pour la saison prochaine.
Cependant, chaque notule donne en principe l'occasion de dire un mot des pièces jouées, des styles à l'œuvre, en explorant parfois d'un peu plus près le livret ou la partition (par exemple pour Uthal, L'Elisir d'amore, Rusalka ou Nausicaa)… si votre curiosité vous pousse à les lire ou les relire, temps a été pris de remettre le chemin (pas toujours évident) pour chaque titre.
Hôtel de Soubise – 3 Chants de l'Atlantide de Connesson, Trio d'Ives, Trio n°2 de Brahms – Aya Kono, Alain Meunier, David-Huy Nguyen-Phung
Garnier – La Fille mal gardée de Lanchberry – Ashton, Guérineau, Heymann, Orchestre de l'Opéra, Philip Ellis
Hôtel de Beauvais – Octuors à vent de Mozart & Beethoven – Membres de l'OChb Paris
Hôtel de Sully – Symphonie n°31 de Mozart, Concerto pour flûte et harpe – Bernold, Ceysson, OChb Paris
Pas que des raretés (quelques bien belles tout de même, comme Rubino, Leclair, Toch ou Connesson, et des premières mondiales dont Les Festes Vénitiennes, Uthal, Cinq-Mars, Au monde…), mais quasiment que des grandes soirées.
Un peu de statistiques à présent.
2. Commentaires manquants
¶ n°49 : La Fiancée du Tsar ; l'œuvre la plus romantique et la plus généreuse de Rimski-Korsakov, à mon sens. En tout cas, celle qui, tout en étant la plus proche des traditions, est la plus directe, et bien qu'expansive, dans un patron assez familier – livret impressionnant également. L'ONDIF, entendu en salle pour la première fois, était très impressionnant, aussi bien en technique et en style qu'en chaleur d'exécution, grande découverte. Chez les chanteurs aussi, avec des clivages étonnants entre Kulaeva (voix très impressionnante, très corsée, mais tout en bouche, donc concurrencée par l'orchestre) et Azizov (métal, solidité, ampleur et rage stupéfiants… pilier du Bolshoï, sans étonnement – voilà un chanteur taillé pour Bastille !)… l'excellence peut suivre différents chemins (les autres étaient superbes aussi, d'aileurs).
¶ n°57 : Le concert Gerhaher n'a pas été commenté, par excès d'ambition : une notule est toujours prévue, non pas sur le concert, mais sur les différents tuilages de techniques qui permettent à Gerhaher sa mobilité expressive hors du commun (couverture particulière, voix pleine ou voix mixte, vibrato ou non, effet anche ou non, etc., le tout pouvant être diversement combiné).
¶ n°62 : Peer Gynt en 24 langues, dans un arrangement pour sextuor (quatuor à cordes + piano + contrebasse) très bien fait et remarquablement joué. En revanche, sans texte de salle ni surtitres, et affreusement mâchonné (c'est une chorale d'amateurs qui s'amuse sympathiquement avec les langues, mais qui n'a pas vraiment de maîtrise de la question), avec des voix pas du tout projetées… le temps peut paraître long (surtout lorsqu'on a emmené des amis dont on peut prévoir qu'ils vous disputeront à la sortie…).
En revanche, le découpage du parcours express de Peer Gynt (la pièce, écrite en tableaux clos, s'y prête) est assez réussi, l'essentiel est là. Pour retrouver la musique de scène complète, bien jouée et bien dite, je renvoie à Wilson-Tourniaire.
¶ n°64 : Koopman et le Philharmonique de Radio-France forment une solide association. Les attaques deviennent plus fine sur un son allégé mais qui demeure large… Koopman met un peu à distance le caractère dramatique des œuvres, en ménageant peu de contrastes, d'une façon qui peu paraître un peu décorative… mais dans la Deuxième de Beethoven, son sens de la danse (scherzo inégalé !) emporte toutes les réserves, pour une vision de Beethoven beaucoup moins vindicative ou ardente qu'à l'accoutumée.
¶ n°66 : Connesson, Ives et Brahms à l'Hôtel de Soubise. L'organisation la plus désordonnée de tous les temps (pour un festival de plein air, aucune solution de repli, des spectateurs doivent écouter le concert dans la pièce d'à côté !), mais un très beau programme. En particulier les Chants de l'Atlantide pour violon et piano, où Connesson ne fait pas le catalogue de ses talents (comme quelquefois…) mais utilise au plus précis sa connaissance incroyable de tous les ressorts de la musique tonale (élargie) pour servir un programme très détaillé (on voit s'approcher l'île sous le soleil, au delà des Colonnes d'Hercule, puis on assiste à des danses, etc.). Des formules récurrentes, de superbes couleurs harmoniques, tout est réuni pour ne pas perdre les ingénus et pour satisfaire le public qui veut du neuf ou du profond.
¶ n°67 : La Fille mal gardée à Garnier. Toujours une jubilation particulière à cette œuvre ; Lanchberry réutilise très adroitement les nombreux états de la partition, réorchestre, compose des pastiches… ce n'est pas un modèle pour les classes d'écriture ou d'orchestration, mais c'est simple et grisant. De même pour la chorégraphie facétieuse d'Ashton. Côté pieds, je n'ai pas pu voir Marc Moreau, et si Mathias Heymann me séduit par sa maturité héroïque (pas forcément le Colas attendu, mais c'est impressionnant), je suis en revanche un peu frustré par le sérieux papal d'Éléonore Guérineau (dans le rôle le plus primesautier du répertoire…), avec des effets un peu trop appliqués pour amuser tout à fait. [Peu importe, toujours fantastique à voir et entendre.]
¶ n°68 : Octuors à vent dans la cour de l'Hôtel de Beauvais. Cadre exceptionnel, et musique de plein air (avec des bijoux que je rêvais d'entendre en vrai depuis longtemps, en particulier pour la Onzième Sérénade de Mozart)… moment où tout était adéquat.
¶ n°69 : Symphonie n°31 et Concerto pour flûte et harpe de Mozart dans le jardin de l'Hôtel de Sully. Là aussi, formidable décor, avec un contrechant permanent, depuis la vigne rampante, d'oiseaux exaltés à la tombée du jour… Un peu perplexe, pour un concert d'une heure, sur la coupure de la réexposition dans la symphonie (déjà en trois mouvements). Mais là aussi, enchanté de pouvoir entendre ma symphonie chouchoute de Mozart en vrai, et a fortiori dans ces conditions !
3. Statistiques : lieux fréquentés
Malgré une sixième saison parisienne, on ne s'encroûte pas : pour 69 dates, on a 32 lieux, dont 10 nouveaux ! Une moyenne de deux concerts par salle, donc, et d'une nouvelle salle sur trois. (Ces découvertes figurent en gras.)
Opéra Bastille IIIII II Philharmonie de Paris IIIII I
Cité de la Musique IIIII
Opéra Royal de Versailles IIII
Église des Billettes IIII
Pleyel IIII
Théâtre des Champs-Élysées IIII
CNSM (salle d'orgue) III
Opéra-Comique III
--
Bouffes du Nord II
Athénée II Nouvel Auditorium de la Maison de la Radio II
Gaveau II
Oratoire du Louvre II
Opéra Garnier II
--
Centre Culturel Tchèque I
Chapelle du lycée Henri IV I
Saint-Séverin I Théâtre du Nord-Ouest I
Saint-Quentin-en-Yvelines I
Temple du Luxembourg I
Théâtre byzantin de l'Hôtel de Birague I
Théâtre des Abbesses I
Amphi Bastille I Cathédrale Saint-Louis des Invalides I
Auditorium du musée d'Orsay I Studio 104 de Radio-France, rénové I Notre-Dame-du-Liban I Saint-Eugène-Sainte-Cécile I Petit salon de musique de l'Hôtel de Soubise I Cour de l'Hôtel de Beauvais I Jardin de l'Hôtel de Sully I
Cette année, les chiffres sont assez logiques de ce point de vue : lieux d'opéra, de baroque français, de lied & mélodie, de musique de chambre un peu rare, et en général d'exhumations ou de concerts un peu alternatifs (concerts a cappella).
Malgré ce qui a pu être dit (par moi-même y compris) sur la saison de Bastille (fort peu aventureuse), j'y ai semble-t-il tout de même trouvé mon compte – certes, 3/7 sont des soirées Arthus… Et bien sûr, entrée fracassante, à l'échelle d'une demi-saison, de la Philharmonie.
4. Statistiques : genres écoutés
Opéra : 25 (dont français 17, italien 3, anglais 2, allemand 1, tchèque 1, russe 1 ; dont tragédie en musique 5, classique 2, romantique 8, grand opéra 1, décadent 4, début XXe 5, cœur vingtième 1, contemporain 2)
Lied & mélodie : 14 (dont allemand 8, français 5, italien 4, tchèque 2, anglais 1 ; dont madrigal 2, air de cour 2, symphonique 1, cabaret 1)
Musique vocale sacrée : 9 (dont baroque italien 2, baroque français 5, baroque allemand 1, obikhod 1, début XXe 1, chœurs contemporains 1)
Symphonique : 8 (dont baroque 1, classique 3)
Musique de chambre : 7 (dont octuor à vent 1, contemporain 3)
Chœurs profanes : 5
Théâtre :4 (Schiller 1, Ibsen 2, Maeterlinck 1)
Spectacle musical : 4 (dont musique de scène 2)
Ballet : 3 (dont baroque 1)
Récital d'opéra : 1
Clavecin : 1
Orgue : 1
Chanson : 1
Jazz : 1
Pop : 1
Les proportions reflètent finalement assez bien ma vision du monde. À l'exception du théâtre, où je n'arrive vraiment pas à trouver l'offre qui me fait déplacer, malgré la pléthore hallucinante de maisons. Faute de temps, certes, mais pas seulement.
Une bonne année pour la diversité linguistique à l'opéra, ce n'est pas comme ça tous les ans, hélas.
5. Statistiques : époques musicales
XVIe2 I
XVIIe1 IIIII
XVIIe2 IIIII IIII
XVIIIe1 IIIII III
XVIIIe2 IIIII IIIII I
XIXe1 IIIII IIIII II
XIXe2 IIIII IIIII IIIII IIIII I
XXe1 IIIII IIIII IIIII IIIII II
XXe2 IIIII IIIII II
XXIe IIIII I
Exactement comme chaque année : cet indicateur n'est pas tant révélateur de mes goûts que de la disposition de l'offre… on arrive très vite à râcler ce qui se fait aux XVIIe et XVIIIe. Le gros de l'offre se concentre aux XIXe et première moitié du XXe.
Par ailleurs, pour le répertoire symphonique, les œuvres de cette période sont en général celles qui ont la meilleure plus-value sonore en salle (les mahléro-straussiens par exemple), ce qui incite bien sûr au déplacement.
6. Orchestres et ensembles
Nouvelle catégorie cette année.
20 formations différentes, dont 8 découvertes (les premières écoutes en salle sont en gras).
Orchestre de l'Opéra de Paris (6)
Philharmonique de Radio-France (5)
Orchestre de chambre de Paris (4)
Les Arts Florissants (4)
Les Musiciens du Louvre (3)
Orchestre de Paris (2)
Radio de Munich
Orchestre National d'Île-de-France
Orchestre Ut Cinquième
Orchestre Pasdeloup
Orchestre Symphonique de Mulhouse
Orchestre National de Russie
Orchestre de la Fondation Gulbenkian
Ensemble Intercontemporain
Les Nouveaux Caractères
Opera Fuoco
Le Concert Spirituel
Les Talens Lyriques
Le Poème Harmonique
Ensemble ad hoc des Conservatoires de Paris, Palerme et Boulogne-Billancourt
Là aussi, les retours tiennent plus de contraintes structurelles : si on va voir de l'opéra et du ballet, on tombe forcément sur l'Orchestre de l'Opéra, sur le Philharmonique (ou l'Orchestre de Paris) pour un certain type de répertoire orchestral décadent ou rare, sur les ensembles spécialistes lorsqu'on remonte dans le temps…
L'Orchestre de Paris est désormais à son faîte, et (à l'exception notable du Philharmonique de Slovénie) doit être le plus bel orchestre que j'aie entendu en salle, et sur un nombre de soirées plutôt impressionnant. Contrairement à d'autres phalanges beaucoup plus prestigieuses et virtuoses (et malgré le caractère proverbialement exécrable – ce n'est pas un ragot, je l'ai personnellement vérifié – d'un nombre significatif de ses membres éminents !), il dispose d'une plasticité incroyable à travers les styles. Corollaire négatif, il peut bien sûr devenir assez terne et ennuyeux s'il n'est pas un minimum stimulé, mais on n'a pas l'impression d'entendre toujours la même chose – il serait difficile à identifier à l'aveugle, à mon avis.
Sinon, découverte émerveillée du parent pauvre munichois, l'Orchestre de la Radio de Munich (à part le Concertgebouworkest, je ne crois pas avoir entendu en salle d'orchestre techniquement aussi sûr), qui n'est pas celui de la Radio Bavaroise, mais manifeste un sens du style étonnant dans Cinq-Mars, pourtant très loin de son univers habituel. Et quel investissement chaleureux pour un orchestre de radio !
Spécialisé dans la transmission envers tous les publics, l'Orchestre National d'Île-de-France, itinérant et abordable, m'a impressionné par sa générosité dans une partition (Rimski-Korsakov) qui met vraiment à nu le potentiel d'un orchestre… Il y a plus coloré ou plus virtuose, mais l'entrain (et la maîtrise au-dessus de tout reproche) de ces musiciens, à qui l'ont fait à mauvais droit une réputation de seconde zone, me les fait davantage aimer que les orchestres superlatifs et paresseux.
Autre ravissement, plus inattendu, l'orchestre amateur Ut Cinquième, d'une justesse parfaite, et capable de s'investir, de phraser, de tenir un tempo ambitieux… non seulement c'est techniquement meilleur que bien des orchestres de cacheton, mais c'est beaucoup plus convaincant que bien des soirs d'orchestres professionnels.
Il ne faudrait pas croire que, pour autant, tout soit beau… Le National de Russie m'a paru tellement international (à part le cor solo), et de surcroît totalement à la dérive avec l'annulation de son chef (mais pourquoi le violon solo n'a-t-il pas dirigé au lieu de dépêcher un chef si peu à l'aise avec les habitudes de l'orchestre ?). C'était un cas particulier, mais le profil de l'orchestre ne pas séduit pour autant.
Quant à l'Orchestre de la Fondation Gulbenkian, vu son épaisseur et la difficulté de le discipliner à de simples figures légères d'accompagnement, je me suis figuré qu'il devait avoir un effectif plus mouvant que je croyais (cacheton massif ?). Il ne haussait pas la partition, en tout cas.
7. Chœurs
Là aussi, une nouvelle catégorie. 19 ensembles, dont 11 découvertes en salle.
Les Arts Florissants 4
Chœur de l'Opéra de Paris 4
Chœur de l'Orchestre de Paris 3
Chœur de la Radio Bavaroise
Accentus
Chœur des Musiciens du Louvre
Chœur national russe Svenshnikov
Chœur de Chambre de Namur
Aedes
Chœur des Nouveaux Caractères
Conservatoires Paris-Palerme-Boulogne-Billancourt
Mångata (ensemble féminin)
Athénaïs (ensemble féminin à 6)
Tirsi e Clori (ensemble à 4)
Resonance of Birralee (liturgique-variété-pop)
Saint-Quentin-en-Yvelines (amateur)
Choeur russe de Paris-Zmamenie (amateur)
OpéraLyre (amateur)
Chorale Auberbabel (amateur)
Là aussi, nécessairement fortuit (sauf l'absence du Chœur de Radio-France, que j'évite très soigneusement pour des raisons esthétiques et pratiques mainte fois exposées). Néanmoins, toujours un plaisir de croiser certains d'entre eux (Accentus et le Chœur de l'Orchestre de Paris, en particulier).
Cette année, la star était incontestablement le Chœur de la Radio Bavaroise (qui officie avec les deux orchestres de la maison) : glorieux mais souple, en particulier du côté du pupitre de ténors, capable de vaillance comme de superbes dégradés de voix mixte dignes des meilleurs chœurs de chambre. Jamais de saturation harmonique désagréable comme dans les chœurs de maisons d'opéra (ou Radio-France), et une aisance linguistique impressionnante (en l'occurrence leur français, dans Cinq-Mars), sans même considérer que ce répertoire constitue tout sauf leur pain quotidien !
Le Chœur national russe Svenshnikov (mêlant des chanteurs à techniques lyriques robustes à d'autres dotés techniques « traditionnelles » de voix très pures et moins projetées, en particulier chez les femmes) figurait aussi parmi les grands enchantements de la saison – volupté de l'écriture par vague dans les mises en musique de l'obikhod.
Chez les petits ensembles, Athénaïs mérite vraiment le détour au disque comme en vrai, et Mångata explore toujours les œuvres liturgiques insolites du XXe siècle, issues de parties négligées du monde musical (Hongrie, Amérique latine…).
8. Remise de prix
C'est vain, mais c'est rigolo.
(Sont nommés seulement les plus beaux…)
Meilleur concert baroque de la saison, sont nommés : Andueza & La Galanía, Lislevand & friends, Huitième Livre par Agnew, Vespri de Rubino
Attribué à : Vespri de Rubino
Meilleur concert symphonique, sont nommés : Tchaïkovski par P. Järvi, Szymanowski-Mahler par V. Petrenko, Haydn par Norrington, Beethoven par Koopman
Attribué à : Tchaïkovski par P. Järvi
Meilleur opéra en version de concert, sont nommés : Les Boréades par Minkowski, Cinq-Mars par Schirmer, anthologie française de Minkowski, Nausicaa de Hahn, La Fiancée du Tsar par M. Jurowski
Attribué à : Cinq-Mars par Schirmer
Meilleur opéra en version scénique, sont nommés : Les Festes Vénitiennes par Carsen-Christie, L'Elisir d'amore par Stern, Rusalka par Carsen-Hrůsa, Au Monde par Pommerat-Davin
Attribué à : Rusalka par Carsen-Hrůsa
Meilleur concert de lied ou mélodie, sont nommés : Elsa Dreisig, Franz-Josef Selig, Magdalena Kožená, Ruth Ziesak
Attribué à : Elsa Dreisig
Meilleur concert de musique de chambre de la saison, sont nommés : ECMA, Auryn Streichquartett, Kono-Meunier-Nguyen-Phung, Octuor à vent de l'Orchestre de Chambre de Paris
Attribué à : ECMA
Théâtre, sont nommés : Lille Eyolf d'Ibsen par Bérès, La Mort de Tintagiles de Maeterlinck par Podalydès, Knox & Coin
Attribué à : Tingagiles
Œuvre en première mondiale (re-création), sont nommés : Les Festes Vénitiennes de Campra, Uthal de Méhul, Cinq-Mars de Gounod, Nausicaa de Hahn
Attribué à : Cinq-Mars de Gounod
Œuvre en première mondiale (création) : Solaris de Fujikura, Au Monde de Boesmans
Attribué à : Au Monde de Boesmans
9. Ressenti
Quelques moments d'éternité :
la Cinquième de Tchaïkovski par l'Orchestre de Paris et Paavo Järvi, évidence et ardeur hors du commun dans les structures, les phrasés, la chaleur ;
la résurrection de Cinq-Mars de Gounod, sa meilleure œuvre à mon avis ;
les Vespri del Stellario di Palermo de Buonaventura Rubino, un enchaînement ininterrompu de cantiques jubilatoires d'une heure et demie, irrésistible ;
Rusalka dans la mise en scène par Carsen (un sommet de féerie et d'adresse), et par une distribution de feu (Aksenova, Kolosova, Diadkova, Černoch, Ivashchenko, Axentii, Gnidii !), chacun incarnant quasiment un absolu.
La mort de Tintagiles de Maeterlinck mis en scène par Podalydès, avec la musique de Knox et Coin. Terrifiant. Je n'ai jamais été saisi comme cela au théâtre, et la musique (très homogène malgré ses origines très disparates, du XVIe jusqu'à Berio en passant par de gentils romantisants comme Clarke) est magnifique.
Cinq spectacles au sommet de ce que j'ai pu voir dans ma vie de spectateur.
Et puis des soirées exceptionnelles, comme on en voit peu :
la restitution tant attendue des Festes Vénitiennes de Campra ;
le Premier Concerto de Szymanowski et la Septième Symphonie de Mahler par le Philharmonique de Radio-France, Baiba Skride et Vasily Petrenko : parmi les musiques qui gagnent le plus à être entendues avec les équilibres et l'impact physique de la salle… et avec un investissement et un abandon étourdissants ;
ensembles de musique de chambre européens au CNSM, où l'on pouvait entendre des raretés, et surtout des jeunes formations qui éclipsent la plupart de leurs aînés (Hanson, Akilone, Arod…) ;
la Fiancée du Tsar de Rimski-Korsakov (et là encore, servie de quelle façon !) ;
l'Elisir d'amore, ce petit monument de plénitude primesautière, sur instruments d'époque, et remarquablement distribué ;
liturgie russe à Gaveau par le chœur Svenshnikov ;
Purcell, Haydn, RVW et Britten, sans vibrato, par Norrington… programme original, varié, exécution passionnante (même si discutable – à part dans Haydn, où c'est souverain, sans discussion) ;
la Fille mal gardée à Garnier, sa simplicité inestimable faisant mouche à chaque fois.
Par ailleurs, beaucoup d'autres soirées d'où, pour les œuvres ou pour les interprètes, et souvent les deux, on ne pouvait ressortir que profondément enchanté : voir enfin le Roi Arthus de Chausson, le Pré-aux-clercs d'Hérold ou Nausicaa de Hahn, le récital français de Minkowski, les premiers baroques d'Andueza, Ariadne avec Mattila, les motets de Nivers par l'ensemble Athénaïs, le concert à trois guitares (baroques) Lislevand & friends, les classes de Jeff Cohen, Webern par les Auryn, les cycles de lieder de Mendelssohn et Schumann arrangés par Reimann (avec Ziesak !), les Poèmes pour Mi par Kožená et Uchida, Schubert et Rudi Stephan par Selig et Huber, Adriana Lecouvreur, cantates italiennes du XVIIe avec Galou et Dantone, la Deuxième de Beethoven par Koopman, les Boréades par Minkowski, le Huitième Livre de Monteverdi par Agnew, les Wunderhorn rares par Gerhaher, Mångata, les Chants de l'Atlantide de Connesson, Au Monde de Boesmans et encore pas mal d'autres choses…
Il y a eu quelques frustrations, mais la plupart étaient finalement plus liées aux conditions pratiques qu'à la qualité des concerts : la salle littéralement mortifère du Théâtre du Nord-Ouest, l'équilibre amateur-pro pas très réussi pour Peer Gynt, le remplacement de dernière minute de Pletnev pour le concert Tchaïkovski du National de Russie, l'acoustique du bas de l'auditorium de la Maison de la Radio pour la Symphonie de Franck, celle des côtés du second balcon à la Philharmonie pour les Royal Fireworks (et la misère de la « création lumières »), le choix d'œuvres sucrées dans les catalogues des compositeurs et la traduction anglaise de la Fugue de la Géographie de Toch (par ailleurs excellente soirée)…
Je ne vois que deux choses vraiment ratées : la Cinquième de Chostakovitch dirigée par Kuokman (rarement autant ennuyé, il ne se passait rien) et La Révolte de Villiers de L'Isle-Adam (parce que la pièce est sans intérêt autre qu'idéologique, et qu'aujourd'hui le combat est sacrément d'arrière-garde).
Saison particulièrement généreuse, donc. Merci Paris, merci Île-de-France !
10. Chanteurs
Et, comme chaque année, beaucoup d'interprètes exceptionnels dont je ne peux pas forcément parler à chaque fois… Leurs noms sont rassemblés, et je fais une petite remise de prix.
Légende :
¶ Formidable comme d'habitude
¶ Opinion améliorée par rapport à une précédente expérience (pas forcément devenu inconditionnel, mais impressionné par l'évolution)
¶ Première audition en salle
Sopranos : Elsa Dreisig, Julie Fuchs, Barbora Sojková-Kabátková, Dagmar Šašková, Emmanuelle de Negri, Raquel Andueza, Véronique Gens (2x), Sarah Tynan
Je voudrais insister sur Sarah Tynan, vraiment à suivre. Dans la partition très difficile de Fujikura, elle impose une maîtrise instrumentale et même un grain de timbre qui forcent l'admiration. Un lyrico-dramatique qui promet beaucoup.
Mezzo-sopranos : Guillemette Laurens, Alisa Kolosova, Agunda Kulaeva.
Alisa Kolosova dégage une présence magnétique, aussi bien scéniquement que vocalement, avec une largeur et un feu peu communs. Elle est encore très jeune. Si la voix n'évolue pas trop vide, un des gros potentiels de demain (enfin, chanter un grand rôle à Bastille, on peut considérer que le potentiel est abouti – mais je parle même d'un potentiel de starisation).
Contre-ténors, falsettistes : lol
Ténors : Jean-François Lombard, Marcel Beekman, Cyril Auvity, Serge Goubioud, Cyrille Dubois, Marcus Farnsworth, Tom Randle, Michael Spyres, Alexey Tatarintzev, Stanislas de Barbeyrac, Pavel Černoch, Benjamin Bernheim, Yann Beuron
Barytons : Marc Mauillon, L'Oiseleur des Longchamps, Christian Gerhaher, Mathieu Dubroca, Oded Reich, Mathieu Lécroart, Igor Gnidii, Philippe Sly, Andrew Foster-Williams, Frédéric Goncalves, Martin Gantner, Elchin Azizov
(barytons-)Basses : Lisandro Abadie, Cyril Costanzo, Dimitry Ivashchenko, Nicolas Courjal
¶ Difficile de remettre un prix à une seule personne… Outre les qualités exceptionnelles de timbre, de diction, d'investissement de Véronique Gens (encore plus à l'aise dans le rôle romantique de presque-mezzo chez Gounod que dans Alceste !), toujours cette douceur très déclamatoire, il y a tellement à faire chez les ténors et les barytons : la suspension extatique incroyable de la voix mixte très légère de Jean-François Lombard, la vaillance et la maîtrise absolue de plusieurs techniques par Benjamin Bernheim, la clarté mixte très typée et très bien projetée du tchèque Pavel Černoch (mon chouchou cette année chez les ténors) ; et puis chez les barytons, on a le grain très dense de Philippe Sly, rien de sombré ni de forcé, une émission très directe, les harmoniques très serrées de l'ukrainien Igor Gnidii (qui chante comme s'il parlait, avec des mots qui coulent, une évidence et une autorité verbales comme on n'en a plus entendu depuis les russes des années 50) ou à l'inverse la rondeur extraordinaire de Martin Gantner, qui épanouit son son avec une sorte de voix mixte qui porte jusqu'au fond de Bastille et lui permet de déclamer simultanément avec puissance et proximité.
--
Je tâcherai de faire un bilan sur les déccouvertes des autres années, n'ayant jamais pris le temps de le faire… mais il y a déjà assez de quoi occuper les vacanciers désœuvrés avec ces petites listes !
Ce billet, écrit à par DavidLeMarrec dans la catégorie Saison 2014-2015 a suscité :
Berlin est l'une des villes les plus richement dotées au monde en matière d'orchestres permanents (moins loin de Londres, vainqueur toutes catégories). Et si la dénomination londonienne est claire, à Berlin, l'Histoire a laissé une grande confusion.
Pour commencer, voyons la liste actuelle. En laissant de côté les ensembles spécialistes à géométrie variable (les orchestres baroques, par exemple, contiennent très peu de musiciens titulaires, n'ont pas forcément de salle attitrée, etc.), on se trouve plus ou moins à dix orchestres permanents.
Suivent les descriptions et les extraits sonores (à ouvrir dans une nouvelle fenêtre pour accompagner votre écoute, par exemple).
1. Les orchestres berlinois
Trois orchestres de fosse :
– Staatskapelle Berlin
– Deutsche Oper
– Komische Oper
Deux orchestres de radio :
– Rundfunk-Sinfonieorchester Berlin
– Deutsches Symphonie-Orchester Berlin
Trois orchestres prévus pour le concert symphonique :
– Berliner Philharmoniker
– Konzerthausorchester Berlin
– Berliner Symphoniker
Deux orchestres de chambre :
– Mahler Chamber Orchestra
– Philharmonisches Kammerorchester Berlin
Un orchestre de variétés :
– Orchester des Friedrichstadt-Palastes
… et sans doute quelques autres. Déjà, pour entendre le Komische Oper ou les Symphoniker sans se rendre à Berlin, il faut se lever de bonne heure !
2. La valse des noms
Pour les orchestres de fosse, c'est facile, chacun correspond à un théâtre lyrique (la Staatskapelle, plus vieil orchestre du monde encore en activité, étant l'orchestre de fosse de la Staatsoper unter den Linden…).
Pour les orchestres de concert / symphoniques, ce n'est pas trop complexe encore (davantage avec les dénominations, j'y reviens) : l'Orchestre du Konzerthaus a été institué par la RDA pour concurrencer le Philharmonique, sis en RFA. Quant aux Berliner Symphoniker, créés à la fin des années 60, je n'ai jamais trop vu à quoi ils servaient. Ils jouent surtout de grands classiques, c'est même leur slogan (« nous jouons les classiques du classique »), je suppose qu'ils sont plus ou moins les équivalents des orchestres municipaux parisiens (qui eux, font vraiment des efforts en matière d'originalité de répertoire), destinés à toucher un vaste public plutôt qu'à chercher l'excellence immaculée à destination des mélomanes chevronnés ou snobs. En tout cas, les bandes n'abondent pas hors d'Allemagne.
C'est pour
les deux orchestres de radio que nous allons vous demander un
instant de concentration, merci. Après la capitulation de 1945, la radio est
restée du côté Est de la ville, et en 1946, on fonde donc un équivalent avec
son propre orchestre (la RIAS,
acronyme allemand pour Radio du Secteur Américain – ''Rundfunk im
amerikanischen Sektor''). Lors de la Réunification, la Radio Est a conservé
sa dénomination radiophonique (Rundfunk-Sinfonieorchester
Berlin), tandis que l'ancienne RIAS est désormais Deutsches Symphonie-Orchester Berlin
(sorte de National d'Allemagne…).
Le problème est que, dans l'intervalle, l'Allemagne occidentale reprenant
son indépendance, la RIAS a été appelée RadiodeBerlin,
exactement comme à l'Est, ce qui a causé quelques entrecroisements de noms.
Parfois, la différence tient simplement à l'ordre des mots, ou à la graphie
(Sinfonie/Symphonie,
Rundfunk/Radio,
etc.)…
Dit comme ça, ça paraît à peu près clair (peut-être). Mais lorsqu'il s'agit
de savoir qui s'appelle comment à une date donnée, ou qui fait quoi sur un
disque, ça devient tout de suite plus délicat. Voici les difficultés qu'on
avait soulevées ici même il y a deux ans, en incidente du Tchaïkovski
de Günter Wand (code couleur pour vous aider : chaudes pour l'Est,
froides pour l'Ouest) :
Le Deutsches
Symphonie-Orchester Berlin est l'orchestre actuel issu de
l'ancienne radio de Berlin-Ouest (fondé en 1946). A l'origine, c'était
même la RIAS,
c'est-à-dire la radio du secteur américain (Rundfunk im amerikanischen
Sektor). Son nom cause quelques problèmes d'identification, puisque de
1956 à 1993, il était appelé Radio-Symphonie-Orchester
Berlin, tandis que l'orchestre de Berlin-Est a
toujours été appelé (dès sa création, en 1923), Rundfunk-Sinfonieorchester
Berlin, soit exactement le même sens – tous deux
abréviés en RSOBerlin. Ainsi on se retrouve avec
des enregistrements de Riccardo Chailly (directeur dans les années 80 de
l'orchestre Ouest) où RSOBerlin
apparaît seul sur la pochette, si bien qu'on peut douter de la provenance
(a fortiori puisque désormais, ce qui inclut les dates de
réédition, seul l'orchestre anciennement à l'Est se nomme RSO
Berlin !).
Ce n'est que l'une des nombreuses complexités de la vie orchestrale
berlinoise - par exemple, le Rundfunk-Sinfonieorchester
Berlin se produit régulièrement au Konzerthaus,
comme... le Konzerthausorchester
Berlin(fondé en 1952), qui devait être le pendant à
l'Est du Philharmonique de Berlin. Lorsqu'on considère
qu'il s'appelait à l'époque le Berliner
Sinfonie-Orchester, et qu'il existe depuis 1967 à l'Ouest le Symphonisches
Orchester Berlin, aujourd'hui Berliner
Symphoniker... on voit l'importance de placer les mots
dans le bon ordre !
Évidemment, les chefs (même permanents) peuvent voyager d'un orchestre à l'autre, ainsi
Lothar Zagrosek qui enregistra les Gezeichneten avec le DSO Berlin, mais qui a été par
la suite directeur musical de l'Orchestre
du Konzerthaus, ce qui ne contribuera pas à éclairer
les mélomanes dans quelques années. De plus, si l'on traduit en anglais (comme souvent sur les pochettes) ou
en français, on obtient souvent exactement la même expression pour
désigner ces orchestres, ce qui n'est pas pour faciliter la tâche des
auditeurs de bonne volonté.
Le projet de fusion entre DSO Berlin, Radio(-Est) et Konzerthaus, souhaité par les autorités pour des raisons évidentes de rationalisation économique, ayant échoué, il faudra encore que l'honnête mélomane se plie à cette gymnastique un certain temps… De toute façon, les disques déjà enregistrés ont déjà ce problème d'étiquette ! Quand on vous dit qu'il ne faut pas faire des guerres, maintenant vous savez pourquoi.
3. Identités individuelles
À présent, un mot tout de même sur chacun.
Orchestres de fosse
La Staatskapelle Berlin : l'orchestre (parmi les plus anciens du monde, constitution en 1570, pas du tout avec les mêmes pupitres !) de la Maison d'Opéra la plus prestigieuse de Berlin. Répertoire essentiellement constitué des piliers du répertoire. Sous Barenboim, son rayonnement comme formation symphonique s'est accru, mais là aussi dans de très grands classiques (Beethoven, Bruckner…). Vous pourrez trouver une présentation beaucoup plus détaillée dans cette notule. Son profil sonore a toujours été homogène et plutôt enclin au grandiose.
Directeurs musicaux : Agricola, Reichardt, B. A. Weber, Spontini, Meyerbeer, Nicolai, R. Radecke, J. Sucher, R. Strauss, L. Blecher, E. Kleiber, C. Krauss, Karajan, Keilberth, à nouveau E. Kleiber, Konwitschny, Suitner, Barenboim.
Disques : Le choix ne manque pas… Parmi les grands disques, il faut écouter les deux derniers actes de Tristan par Furtwängler (lien sonore), la Deuxième de Mahler et la Septième de Bruckner par Suitner (pourquoi pas ses deux Così), la Troisième de Schumann par Barenboim (lien sonore) – éventuellement sa Huitième de Beethoven et son Tannhäuser…
L'Orchestre de la Deutsche Oper se trouve au contraire dans une maison récente : l'institution, ouverte en 1912, a été rebâtie en 1961 dans un style parking-bureau-Corbusier très caractéristique. La maison et l'orchestre sont un peu moins prestigieux, mais le positionnement est assez identique, même si la Deutsche Oper ose quelques originalités (comme son cycle Meyerbeer actuel, incluant Le Pardon de Ploërmel en version opéra-comique cette saison et l'édition critique de Vasco de Gama la saison prochaine) : essentiellement du grand répertoire. (C'est le paradoxe lyrique de Berlin : une offre plus importante que n'importe où ailleurs, et un répertoire pas plus ouvert pour autant.)
Directeurs musicaux : Waghalter, Walter, Adler, Rother, Dammer, Fricsay, R. Kraus, Hollreiser, Maazel, G. Albrecht, López-Cobos, Sinopoli, Frühbeck de Burgos, Thielemann, Palumbo, Runnicles. Beaucoup de grands chefs abusivement considérés comme secondaires (Kraus, Maazel, Albrecht, Sinopoli, Palumbo…).
Disques : Le chœur (pas le plus formidable, d'ailleurs) a beaucoup collaboré avec le Philharmonique et Karajan, et les excellentes bandes radio existent, mais il est plus difficile de citer des disques majeurs (considérant que je ne m'abaisserai pas à promotionner Carmina Burana et que la fameuse Aida avec Sinopoli laisse surtout entendre le cymbalier…). À mon sens, ce sont les Lulu et surtout Wozzeck avec Böhm, extrêmement intelligibles et très lyriques (traités avec l'évidence de la musique tonale), qui s'imposent pour entendre cet orchestre au meilleur de sa générosité. Lien sonore.
L'Orchestre de la Komische Oper, maison inaugurée en 1892 pour y programmer de l'opérette, s'est depuis spécialisé dans les productions de langue allemande – originaux légers ou traductions d'œuvres célèbres. Dans les faits (pour une raison toujours aussi obscure), on y joue désormais assez peu de titres par an, dont une bonne partie sont des œuvres célèbres en langue originale. On trouvera ainsi, la saison prochaine, Don Giovanni de Mozart dans une traduction allemande récente, Les Contes d'Hoffmann d'Offenbach en français mais avec des dialogues allemands, et Aida de Verdi en version originale.
Il se distingue de ses orchestres concitoyens par un son d'ensemble très franc, et même acide dans les vents, assez inhabituel pour un orchestre allemand – j'aime beaucoup personnellement (sans doute parce que ça ressemble davantage à un orchestre tchèque).
Directeurs musicaux : Oberfrank, R. Reuter, Kreizberg, K. Petrenko, C. St.Clair, Lange, Nánási.
Disques : On trouve peu de choses (une Symphonie Fantastique, trois volumes monographiques sur Siegfried Matthus, une intégrale très tradi de L'Allegro, il Penseroso ed il Moderato de Haendel, tout ça chez Berlin Classics), mais on dispose grâce à CPO de trois disques symphoniques consacrés à Josef Suk (pour des pièces très supérieures aux œuvres symphoniques « célèbres » de Suk), qui en plus de leur programme original et très convaincant rendent vraiment justice à l'orchestre… et présentent la curiosité de faire entendre Kirill Petrenko avant son accession aux plus hautes fonctions – déjà une poussée et une évidence assez hors du commun, dans une musique qui aurait pu s'empâter. Lien sonore.
Orchestres de radio
Le Rundfunk-Sinfonieorchester Berlin, ex-Radio-Est, a abondamment été représenté au disque sous étiquette Eterna (désormais en
CD sous Berlin Classics et certains labels à licence) ou Capriccio. Bien qu'il ait abondamment (comme son homologue de l'Ouest, d'ailleurs) enregistré les décadents germaniques, son son n'est pas toujours caractérisé par une transparence exceptionnelle – en réalité, cela dépend beaucoup des prises de son. On peut ainsi
Directeurs musicaux : Seidler-Winkler, Jochum, Celibidache, Abendroth, Kleinert, Rögner, Frühbeck de Burgos, Janowski.
Disques : Parmi la quantité de très bon disques, figurent quelques sommets absolus de l'histoire de l'enregistrement. Meistersinger et surtout Parsifal par Janowski (les deux sur le podium des meilleures versions de tous les temps), Troisième Symphonie de Mahler par Rögner (clarté des plans et douce tension permanente), Die ersten Menschen de Rudi Stephan dirigés par Rickenbacher (un détail d'instrumentation capiteux, proche de la crudité, magnifique), Die verklärte Nacht d'Oskar Fried dirigé par Foremny (l'orchestre sonne plus opaque, c'est surtout l'œuvre documentée qui est capitale), les Vier dramatische Gesänge de Gurlitt dirigés par Beaumont (idem). Pour entendre l'orchestre, donc : l'acte III de Parsifal [lien sonore], le final de la Troisième de Mahler [lien sonore] ou les Premiers Hommes de Stephan.
Le Deutsches Symphonie-Orchester Berlin, ex-RIAS (Radio de l'Ouest), d'abord célèbre pour son partenariat avec Fricsay, très volumineusement documenté au disque (et en général révéré par les mélomanes et les revues), a lui aussi beaucoup travaillé sur le legs alternatif et innovant du début du XXe siècle germanique. Exactement pour la Radio de l'Est, la diversité des prises de son fait entendre des profils très différents, même à époque égale. Néanmoins, la tendance est à plus de détail, avec un profil sonore qui se caractérise plus par la précision des arrière-plans que par la recherche de fondu – en revanche, le son d'orchestre est aujourd'hui superbe, rien à voir avec les cordes rêches de l'époque Fricsay.
Directeurs musicaux : Fricsay, Maazel, Chailly, Ashkenazy, Nagano, Metzmacher, Sokhiev. Entre Maazel et Chailly, un intervalle de 8 ans sans chef permanent, avec des interventions récurrentes de Jochum, Leinsdorf, G. Albrecht, Rozhdestvensky, Marriner…
Disques : Là aussi, en tant qu'orchestre de radio, on dispose à la fois d'un assez bon nombre de captations et d'une grande variété de répertoire, en particulier en ce qui concerne le répertoire décadent ou « dégénéré » dont l'orchestre s'est fait une spécialité. Du côté des témoignages anciens, j'aurais envie de recommander les Nozze di Figaro par Fricsay (lien sonore ; timbres peu séduisants, mais une qualité de phrasé et d'atmosphère saisissante) ; pour les raretés, l'Acte préalable de Scriabine-Nemtine par Ashkenazy (lien sonore ; œuvre colossale, et interprétation à la hauteur de sa complexité et de sa virtuosité immenses), deux versions de Die Gezeichneten de Schreker au compteur (Zagrosek et Nagano – prenez Zagrosek, Nagano (1,2,3,4) est très coupé et la mise en scène occulte pas mal d'aspects du livret – lien sonore), Wozzeck de Gurlitt par G. Albrecht (lien sonore ; moins transparent qu'à l'habitude, mais œuvre majeure menée sans coup férir). Pour le grand répertoire aussi, plusieurs témoignages hors du commun, à mon avis les meilleurs jamais laissés pour les œuvres concernées, comme la Troisième de Beethoven (lien sonore), la Cinquième de Bruckner (lien sonore), les Cinquième (lien sonore) et Sixième de Tchaïkovski (lien sonore) – tout cela dans des prises de son très physiques chez Hänssler, sous la direction de Günter Wand : lisibilité maximale, couleurs chaleureuses, tension énorme (mais une tension lumineuse, transcendante).
Orchestres symphoniques / de concert
Les Berliner Philharmoniker (leur dénomination se fait par un pluriel désignant les musiciens, en accord avec leur principe électif : « les Philharmonistes de Berlin ») constituent bien sûr l'orchestre superstar de la capitale, du pays et du monde – à telle enseigne que pour le nommer, les mélomanes disent en général « Berlin », tout simplement. On en avait déjà touché un mot ici. Leurs caractéristiques ont énormément évolué au fil des ans, de la rudesse sombre des années Celibidache et Furtwängler à la rondeur transparente de Rattle aujourd'hui, en passant par la très étrange période Karajan et son son chantilly inimitable, écrasé par des cordes d'un moelleux sans égal. L'orchestre porte encore l'empreinte, dans son profil sonore, des choix esthétiques de Karajan, mais en fait désormais tout autre chose, en respectant mieux les styles abordés – la personnalité de l'orchestre continue de tempérer les options des chefs, mais les Philharmoniker jouent désormais le premier romantisme ou le XXe français et russe avec un sens du style indéniable.
Leur répertoire aussi s'est grandement élargi : il ne faudrait pas se laisser abuser par la production discographique (étant l'orchestre le plus célèbre du monde, et peut-être le plus virtuose, on lui fait bien sûr enregistrer tous les piliers du répertoire où il est censé « faire référence »), car le concert permet d'entendre beaucoup de choses originales, souvent des œuvres considérables mais moins courues.
Directeurs musicaux : von Brenner, von Bülow, Nikisch, Furtwängler, Borchard (pour quelques mois en 1945), Celibidache, Furtwängler à nouveau, Karajan, Abbado, Rattle, K. Petrenko.
Disques : Étant peut-être l'orchestre le plus enregistré de la planète, le choix est large. On peut procéder par période : la Quatrième Symphonie de Mendelssohn avec Celibidache (lien sonore ; très directe, dans un style qui n'a plus jamais été celui de Berlin par la suite), la Quatrième Symphonie de Schumann par Furtwängler (lien sonore), les symphonies de Beethoven par Abbado à Rome (lien sonore ; retrouvailles du style juste et de la possibilité du chambriste), les symphonies de Brahms par Rattle (où les qualités instrumentales cèdent le pas à une recherche de clarté absolue des plans et à des articulations inédites).
La période la plus intéressante est à mon sens celle d'aujourd'hui, où la radio et la plate-forme web de l'orchestre documentent des répertoires très différents, et souvent des soirées où l'engagement des musiciens est beaucoup plus patent qu'en studio, ne restant plus dans le confort du beau son ou de la virtuosité, mais allant chercher la couleur spécifique des musiques, la lisibilité maximale des plans internes aussi bien que de l'architecture et de la « directionnalité » de la partition. Sous Rattle, les Français ont été particulièrement bien servis, avec les meilleurs Pelléas (en 2006) et Shéhérazade (avec Kožená) de tous les temps.
Et pour Karajan ? Malgré l'exagération de ses tropismes, il y a beaucoup de grandes choses. Pour les parcourir, essayez par exemple sa Cinquième de Beethoven (version Clouzot, explosive), ses Missa Solemnis (d'une générosité hors du commun si l'on supporte le chœur terne du Wiener Singverein), sa Troisième de Beethoven (lien sonore ; intégrale de 1977, avec un orchestre infini comme la mer), son Tristan de studio (lien sonore ; controversé à cause d'une distribution étrange, mais d'une splendeur et d'une intensité orchestrales inégalées). Et, pourquoi pas en complément, des visions assez abouties issues du « grand son Karajan » des années 70-80 (pas forcément en style, mais très persuasives) : son Fidelio de studio, son Lohengrin, son Aida chez EMI, ses différentes Symphonies de Brahms, ses Quatrième et Septième de Bruckner… Dans cette période, il existe aussi nombre de témoignages discographiques importants de chefs invités : par exemple l'ardeur et la douceur extrêmes de la Quatrième de Mendelssohn par Tennstedt. Lien sonore.
À l'Est, le Konzerthausorchester Berlin fut fondé, en 1952, comme le rival du Philharmonique de Berlin, situé à l'Ouest. Il portait alors le nom de Berliner Sinfonie-Orchester, mais n'eut jamais le même prestige en matière de son, de chefs permanents (les trois derniers sont impressionnants, mais n'ont pas forcément la réputation proportionnée à leur mérite) ou de faveur du public. Les témoignages officiels ne sont pas extrêmement abondants par rapport aux autres grands orchestres berlinois (même Herbig, pourtant chef permanent, a plutôt laissé des enregistrements avec d'autres orchestres). Avec Sanderling, et même au delà de son mandat, il avait une intensité particulière avec des timbres très différenciés, robustes, légèrement agressifs, qui entraient merveilleusement en accord avec les visions peu amènes du chef. Aujourd'hui, je trouve que leur son est devenu assez banal, un bon orchestre allemand parmi tant d'autres. Et même s'ils s'intéressent eux aussi au répertoire décadent, leur impact dans la mise à l'honneur des répertoires alternatifs est sans comparaison avec les plus audacieux de la capitale.
Directeurs musicaux : H. Hildebrandt, Smetáček (en guise de transition comme « premier chef invité), K. Sanderling, Herbig, Flor, Schønwandt, Inbal, Zagrosek, I. Fischer.
Disques : Hélas, assez peu de choses, alors que certaines associations ont dû être intéressantes. Il faudrait thésauriser les témoignages radio (dans l'immensité des autres possibles, pour des orchestres qu'on est en droit d'aimer davantage…) pour s'en faire une représentation fidèle. Dans l'état de la discographie, je peux surtout recommander quelques grands classiques par Kurt Sanderling, des disques d'ailleurs assez universellement appréciés : le Premier Concerto de Brahms avec Hélène Grimaud, les œuvres concertantes de Rachmaninov avec Peter Rösel (mais qui mettent, forcément, avant tout en valeur le pianiste), et bien sûr l'intégrale délicieusement granuleuse des Symphonies de Sibelius. Lien sonore.
Je n'ai pas voulu, vu leur importance secondaire dans le panorama, surcharger la liste des confusions possibles ; néanmoins les Berliner Symphoniker, créés plus récemment (1967), portent le même nom qu'un orchestre de l'Est (fondé dans les années 50 et dissout dans les années 80). Les Symphoniker actuels, dont on parle ici, étaient à l'origine nommés Symphonisches Orchester Berlin (provenant de la fusion du Berliner Symphonisches Orchester et du Deutsches Symphonieorchester – ils auront vraiment essayé toutes les combinaisons !). Ils sont spécialisés dans le répertoire le plus courant, beaucoup de « tubes », leur slogan étant qu'ils jouent « les classiques du classique », et ne sont pas représentés dans les discographies des magazines et les discothèques des mélomanes. En revanche, ils servent fréquemment d'ambassadeur en tournée dans le monde. Les disques révèlent un très bon orchestre (avec des sonorités très claires et typées, inhabituelles en Allemagne, comme pour le Komische), mais il est assez difficile de s'y retrouver dans tous ceux nommés « Berlin Symphony Orchestra » : les erreurs de classement, au moins chez les distributeurs, sont nombreuses. Vous pouvez au moins tenter ce disque où figure leur directeur musical, pas de confusion possible. Programme très grand public, mais exécution remarquable de justesse, d'une grande générosité aussi.
De même pour les directeurs musicaux : le plus célèbre d'entre eux doit être Alun Francis (chef remarquable par ailleurs !) dont l'exposition médiatique se limite à peu près à ses contributions au catalogue CPO – Toch, Wolf-Ferrari, Milhaud, Kabalevski, Pettersson, Cowell, Searle, Klemperer (dont certains avec le DSO Berlin et la Radio-Est !) – et à ses Donizetti et Offenbach pour Opera Rara. Tous disques très-dignes d'intérêt (et même davantage), mais qui ne permettent pas d'entendre les Berliner Symphoniker.
Orchestres de chambre
En laissant de côté les ensembles baroques, on en trouve au moins deux à Berlin.
Le Mahler Chamber Orchestra, formé en 1997 autour de Claudio Abbado avec des membres du Gustav Mahler Jugendorchester (Orchestre de Jeunes Gustav Mahler, sis à Vienne depuis sa fondation en 1986 par le même Abbado) qui avaient passé la limite d'âge mais souhaitaient continuer de jouer ensemble. (Ils sont aussi inclus dans le fameux Orchestre du Festival de Lucerne.) L'orchestre est gouverné selon le principe de collégialité cher à Abbado (reproduit également pour son Orchestre Mozart).
Ce n'est un orchestre de chambre que dans le sens le plus lâche du terme : je les ai moi-même vus jouer iTristan/i, pas exactement une nomenclature de poche ! Mais la formation par défaut contient relativement peu de cordes par rapport aux grands orchestres sédentaires.
Leur son, peut-être à cause de la diversité des origines, n'est pas extrêmement typé, et leur répertoire, quoique revendiquant de tout embrasser du baroque au contemporain, se concentre largement sur le romantisme tardif et le XXe doux. Peut-être pourrait-on mentionner leur coloris plutôt sombre pour un orchestre de cette taille (et la grande qualité des bois).
Disques : Il n'y a pas tellement de disques, et j'en ai peu à recommander : ils ont fait de belles choses avec Daniel Harding notamment, mais quasiment rien qui me paraisse une référence totalement incontournable. Plutôt que leur Quatrième de Mahler (lien sonore) ou leur Turn of the Screw, je recommanderais leurs Mozart aixois sur le vif (Don Giovanni en CD (lien sonore) et Così fan tutte en DVD, très nets, voire secs, mais hautement dynamiques et poétiques).
Le Philharmonisches Kammerorchester Berlin (fondé en 2002 sous le nom de Berliner Kammerphilharmonie) n'a pas du tout le même rayonnement international : il s'agit d'une association à but non lucratif, qui se produit à la Philharmonie, au Konzerthaus, organise des masterclasses de direction d'orchestre autour de chefs célèbres… mais son rôle n'est pas du tout, contrairement à la plupart des autres orchestres de cette liste, de rivaliser pour éblouir les mélomanes du monde entier.
(Il existe aussi un Deutsches Kammerorchester Berlin, mais je n'ai pas réussi à déterminer s'il s'agissait de la même formation.)
Il est probable qu'il en existe quelques autres, mais ce n'est de toute façon pas le cœur du sujet.
Orchestre de variété
Nous reste l'Orchester des Friedrichstadt-Palastes, mais je ne suis pas trop sûr de ce qu'il contient – bien sûr, il y a des guitares amplifiées et des synthétiseurs, mais y a-t-il aussi une nomenclature traditionnelle ? J'en doute un peu, et pas dans les soirées que j'ai pu entendre, mais je ne puis l'affirmer non plus.
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Ai-je besoin de préciser que ce sont les deux orchestres de radio qui retiennent le plus mon intérêt, aussi bien pour le style que pour le répertoire ? [Et puis j'adore le Komische pour sa typicité, même si on l'entend peu souvent.]
Ainsi se termine notre voyage à travers la forêt de symboles des orchestres berlinois ; de quoi décrypter ce que vous écoutez, et probablement de quoi faire de bonnes rencontres discographiques. D'autres villes sont en projet (et, même pour Londres, encore plus fournie mais moins abmbiguë, ce devrait être plus court).
Nombre de liens (sonores notamment) ont été disséminés dans la notule (en particulier dans les sections discographiques), ceci devrait vous occuper quelque temps en attendant la prochaine.
Ce billet, écrit à par DavidLeMarrec dans la catégorie Pédagogique a suscité :
Séries de brèves autour d'écoutes ces derniers temps.
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A. Quelques œuvres et disques
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Kurt ATTERBERG : Älven, Symphonies, Concerto pour cor, Quatuors
Après avoir longtemps considéré qu'en dehors de sa Première Symphonie (que je révère complètement), Atterberg s'était largement limité à un style postromantique allégé agréable, je reviens fortement sur ce sentiment. Il faut dire que sur ces compositeurs dont on parle peu (et Atterberg est loin d'être le plus mal loti), il est difficile de trouver l'aiguillon pour vous encourager à poursuivre lorsque votre avis est mitigé – sans cette (amicale) pression prescriptive des ouvrages et des pairs, il est évident que je serais passé à côté de Bach, de Bruckner, de Ligeti, de plusieurs Wagner… Sur ces personnages moins célébrés, il faut faire soi-même les choix de ce qui mérite d'être réécouté pour réévaluation et de ce qu'on n'a pas le temps de retenter. Je m'étais un peu dit que, justement, les symphonies d'Atterberg n'étaient pas une priorité.
À tort, donc, puisqu'à la réécoute de l'intégralité du corpus, je suis extrêmement séduit. Par la Première toujours, sorte de Dixième de Dvořák (en un peu plus lyrique et un peu moins « facile »), mais aussi par la Deuxième, dans une veine très proche ; par les références foklorisantes de la Quatrième, par les timides modernités de la Sixième, par la grande mise en scène narrative des chants de la Neuvième, par les influences françaises de la Troisième…
Les Quatuors, eux aussi, méritent amplement d'être écoutés régulièrement, d'un romantisme généreux mais sans ostentation, un plaisir de la juste mesure qui sied tellement bien au genre.
Quant au Concerto pour cor, c'est l'un des très rares, peut-être le seul que j'aie entendu, à ne pas chercher l'épate sautillante, et à plutôt montrer ses capacités en termes d'atmosphère et de coloris… Assez belle veine mélodique aussi, ce qui n'est pas là non plus la qualité la plus évidente de la littérature pour l'instrument.
Enfin, Älven, « La Rivière », évident équivalent de la Symphonie Alpestre, à l'argument très détaillé, mais dont le résultat paraît tellement plus poétique, peut-être à cause du sujet et de ses effets de flux miroitant, ses soudains changements de caractère, son évolution organique… En tout cas, là encore, la qualité du lyrisme et, chose moins audible auparavant, la finesse d'une orchestration traditionnelle mais non dépourvue d'effets suggestifs, en font une œuvre vraiment jubilatoire, surtout en suivant les étapes qui nous conduisent vers le large…
… et honnêtement, ces œuvres feraient un tabac en concert.
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Marin MARAIS – Alcyone – Minkowski
Cette tragédie, malgré sa belle musique, est surtout restée célèbre à cause de sa tempête, usant d'effets d'orchestration nouveaux qui ont beaucoup surpris à l'époque, et qui de notre point de vue
postérieur ouvrent la voie aux figuralismes ramistes.
Il faut dire que le livret de La Motte, suite complètement décousue de situations-types, n'est qu'un prétexte aux effets de couleur caractéristiques de la tragédie en musique (chœurs d'hyménée, prières dans des temples antiques, songes agréables, scènes d'enchantements infernaux, danses de marins…), et se résume au schéma extrêmement simple d'un mariage interrompu par un amant jaloux servi par un grand prêtre véreux. Tout s'emballe un peu (oracle, dieux, enfers, tempête, enlèvement…), et les obstacles finissent pas se lever à grands coups de deus ex machina. On se situe dans la lignée de Dardanus et de Glaucus & Scylla, dans un genre qui doit beaucoup à La Motte, précisément (Omphale est tout à fait dans le même genre prétexte, où en plus il ne se passe absolument rien – réjouissances à la cour d'Omphale, plutôt un sujet de ballet en fait… et encore…).
En revanche, malgré une distribution que je n'aime pas vraiment (Huttenlocher assez couvert et très sombre et uniforme, pas vraiment en style ; Jennifer Smith déjà très aigre et pas très exacte en déclamation), et où émergent tout de même Ragon dans le meilleur rôle de sa vie et la jeune Gens (qui sonne alors vraiment soprano léger, tout en ayant déjà toutes les qualités de timbre, de souplesse et d'éloquence qui font sa gloire aujourd'hui)… malgré cette distribution donc, je suis fasciné par l'interprétation un peu passée de mode désormais de Minkowski.
Ce n'est pas vraiment nerveux, ça sonne un peu « baroqueux d'il y a longtemps », plus génération Pinnock-Parrott que Fasolis-Spinosi, mais l'artifice du studio est exploité à son meilleur : ces récitatifs accompagnés au théorbe solo (superbes réalisations, ce n'était pas Monteilhet chez les Musiciens du Louvre à l'époque d'ailleurs ?), murmurés par les chanteurs, sur les harmonies mouvantes de Marais, c'est une jubilation qui n'est pas possible en concert – où la nécessité de traverser l'espace conduit nécessairement à l'usage de la viole de gambe et à privilégier la plupart du temps le clavecin, voire à multiplier les instruments du continuo.
C'est réellement une belle qualité, que de nous faire entendre ce qui n'est possible que dans des salles d'un format où, désormais, l'on ne monte plus d'aussi coûteuses productions.
Le disque est complètement épuisé, mais on peut l'écouter gracieusement à basse qualité ici.
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Kronthaler – The Living Loving Maid
L'album vient de sortir. Concept original : du baroque du XVIIe (Monteverdi, Purcell), pour soprano et deux guitares amplifiées. Assez amusant et plaisant, mais on reste un peu au milieu du gué : la chanteuse fait la plupart du temps du vrai lyrique (soprano léger, donc ce n'est pas trop tonitruant, mais l'émission reste de la véritable voix de tête renforcée) et captée d'assez loin, avec un champ naturel, tandis que le signal des guitares est écrêté comme dans les mix discographiques de pop.
Ce n'est pas mal, mais l'écart est un peu bizarre.
Ce ne sont pas non plus de grands réalisateurs de basse continue, ce qui fait qu'on reste dans une approche à la fois traditionnelle (pas vraiment de groove là-dedans, ni de réécritures) et plutôt moins riche et originale que ce qu'y font les spécialistes actuels (qui font paradoxalement bien plus de recherches de textures, de rythmes et de contrechants).
When I Am Laid in Earth est vraiment meilleur, avec son chant plus relâché (la voix est moins soutenue, dans une tessiture beaucoup plus basse, et prend ainsi une jolie couleur voilée plus à propos) et ses (modestes) diminutions instrumentales… il faut dire que la pièce s'y prête très bien, elle aurait tout pour devenir, dûment arrangée, un hit de pop !
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Trouver les véritables héroïnes chez Mozart
En lisant un peu la partition de Così fan tutte, je remarque que Fiordiligi (dont la voix est pourtant plus longue et le centre de gravité plus… central) fait en réalité systématiquement les parties hautes dans les ensembles, par rapport à Despina (qui a pourtant des lignes qui suggèrent plus de liberté dans l'aigu). Je suppose qu'il s'agit de mettre en valeur l'héroïne (ou le chanteuse, je ne peux pas certifier la nature de la logique) dans les ensembles, ce qui n'est pas forcément confortable vocalement mais paraît assez logique. Une façon d'éviter le syndrome Berta (dans le final du premier acte du Barbier de Rossini, la voix qui tient la mélodie est celle du personnage le plus secondaire…).
On retrouve le même procédé dans Die Entführung aus dem Serail, où dans le quatuor de l'acte III « Nichts ist so hässlich als die Rache », Konstanze, qui a certes du suraigu mais aussi plus de poids vocal, chante des lignes à la tierce de Blondchen (alors qu'il doit être plus difficile, pour un grand lyrique avec des graves, voire un « dramatique d'agilité » comme les nomment les nomenclatures italiennes, de chanter sotto voce, comme indiqué, des lignes aussi hautes).
Il est plus difficile de le remarquer dans les Noces (où Susanna a à la fois la tessiture, l'âge et la place dramatique de la jeune première), même si certaines chanteuses illustres ont choisi d'inverser leurs lignes dans les ensembles en fonction de leur aisance personnelle – en particulier dans le trio avant le final de l'acte II (« Susanna, or via sortite »), qui demande plusieurs montées legato vers le contre-ut.
Pour le reste, Mozart apparie très souvent les voix aiguës, quelles que soient leur couleur, leur largeur et leur caractère : Servilia et Vitellia dans les deux finals de la Clémence, le chœur final de Don Giovanni…
Mais ce choix dicté par la logique hiérarchique des rôles ou par le drame, plutôt que par le simple caractère pratique de l'aisance vocale et des équilibres choraux, m'a toujours intrigué.
Joué dans l'annexe réduite de la Staatsoper (le Théâtre Schiller ne fait que 990 places, contre 1400 sous les tilleuls), l'occasion pour Tcherniakov de faire du théâtre. On se situe ici davantage dans la micro-direction d'acteurs (comment cela passe-t-il, au fond de la salle ?) et dans la relecture critique, comme son Onéguine (très intense sans s'éloigner forcément des ressorts du livret) qu'aux relectures sauvages de son Don Giovanni ou de sonTrouvère (qui ne conservaient que des liens très lâches avec l'original).
La portée « philosophique » change (mais vu ce que vaut Wagner dans ce domaine, ce n'est pas un crime), et la légitimité de la foi est par exemple remise en question, mais le fonctionnement dramatique de l'œuvre reste assez échangée, fondée sur une communauté de pauvres hères qui attend une purification surnaturelle pour revivre, posant toutes les questions de l'enfermement et du rapport entre le groupe et la foi intime. Les chevaliers (devenus des vagabonds) sont peut-être un peu dégradés, mais ils ne sont déjà pas très admirables chez Wagner, et l'antithèse avec l'acte II où se posent toutes les questions de l'existence individuelle dans le monde demeure intacte. Pas vraiment d'audaces visuelles ou conceptuelles qui feraient lever le sourcil, plutôt un travail de théâtre assez bien fait. On peut s'interroger sur la nécessité de faire moche visuellement pour y parvenir, mais là encore, le sujet autour de la décadence l'autorise assez facilement.
J'ai été plutôt intéressé, en fait : un Parsifal un peu plus mobile et narratif qu'à l'accoutumée, sans que Tcherniakov ne parte dans ses délires personnels.
Musicalement, chacun est conforme à sa réputation : Barenboim épais, Wolfgang Koch un peu dur mais très vaillant, Pape un peu gris et pas très profond, mais irréprochable. Andreas Schager, qu'on n'entend jamais en France (je ne crois pas qu'il ait jamais fait autre chose que l'Apollon de Daphne en 2014) est assez idéal : voix claire mais ferme, jamais forcée,
expression soignée mais simple, et acteur investi, alors même que le rôle s'y prête peu et que la mise en scène ne lui fait pas exactement camper les héros intrépides.
Mais la grande sensation, qui justifie vraiment le visionnage, c'est Anja Kampe, qui consume totalement le plancher, rien qu'en restant plantée sur scène – ce qui, considérant la structure du rôle de Kundry, s'avère fort utile. Et alors, vocalement, on se situe sur les plus hauts sommets : souple comme un soprano, mais bas-médium plein comme un mezzo, tout en sonnant avec clarté, et éloquente avec ça.
La voix, ronde et plutôt en arrière, semble très présente, et peut solliciter un squillo soudain (éclat trompettant) très impressionnant dans l'aigu. Et ses grimaces espiègles sont à fondre…
J'ai testé à l'audio seul, le verbe manque peut-être de précision, mais cela reste magnifique… et avec le visuel, à peu près hors de pair.
Comme on peut toujours le voir sur CultureBox, condisciples wagnéropathes, ne vous faites pas prier.
La minute glottophile de Carnets sur sol vous a été présentée avec le soutien de la Caisse des Héros et Orthophonations.
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Iphigénie en Tauride : Bruno Taddia
Diffusé en février sur Arte Concert, mais plus tard que prévu m'a-t-il semblé. Antonacci promettait beaucoup, mais le rôle la place (étrangement, alors qu'il n'est pas tendu) plutôt dans ses soirées totalement floues (comme ses Nuits d'été, par exemple), où le texte n'est absolument plus articulé… si bien que la différence avec une autre se fait plutôt avec le timbre, qui n'est ni le plus séduisant, ni le plus juvénile du marché. Davislim est certes un excellent Pylade, mais la millième mise en scène à poupées (Hemleb), l'orchestre un peu mou (la Suisse Romande, mais pourtant Haenchen a beaucoup travaillé le répertoire classique, et de façon pas imperméable à la musicologie – peut-être même le répertoire qu'il a le plus enregistré) ne font pas de la soirée une référence absolue.
En revanche, j'ai été fasciné par l'Oreste de Bruno Taddia, d'une rondeur et d'une souplesse exceptionnelles ; en réalité, il chante en permanence en voix mixte, ce qui est très rare pour un baryton. Et j'ai été très surpris de constater que malgré l'homogénéité soyeuse de la voix, le larynx est extrêmement mobile, et peut remonter très haut dans les aigus en nuance piano. Fascinant, et superbe incarnation, très différente des héros combattifs habituels.
Car, ainsi que l'a dicté Tao-Lseu à ses disciples : la Vérité est ailleurs.
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Déjà, si vous n'êtes pas d'ici, vous pouvez trouver tous les conseils pour une magnifique saison là-bas (nous avons même ajouté ajourd'hui une nouvelle recommandation).
Pour la sixième année consécutive, voici le moment de lancer des suggestions de divertissement pour la saison prochaine. Une fois de plus, et comme pour à peu près tout ce qu'on trouve dans ces pages, nul désir d'exhaustivité. Je me contente de vous livrer mes relevés pour ma consommation personnelle : l'éventail reste très large, puisqu'il permet de choisir, mais ne contient pas absolument toute la programmation. De même pour mes gribouillages (§ indiquant ma motivation, le foncé ma prévision, et les astérisques des places déjà réservées), qui ne témoignent que de mon intérêt personnel — ça prenait trop de temps à retirer, donc vous saurez si j'ai plus envie de voir du Protopopov que du Roslavets le jeudi midi.
Pour un relevé généreux, je recommande Cadences, qui dispose désormais d'un site (les dates sont plus facile à lire sur le magazine en PDF que sur la base en ligne, mais les deux sont bienvenus). Clairement, la qualité de leur base rend assez caduque la mienne en tant que masse.
Néanmoins, ayant relevé manuellement les dates chez plusieurs dizaines de salles et associations, certaines n'apparaissent pas chez Cadences, et on trouve parfois, dans ces contrées interlopes, quelques petites pépites. J'essaierai, pendant la saison, de maintenir les annonces de concerts un peu atypiques, de façon à mettre en valeur ce que vous pourriez ne pas vous consoler de manquer.
Pour compléter ce qui a déjà été proposé, CSS continue de fureter pour vous du côté des œuvres moins données et des salles moins exposées. Les liens renvoient pour la plupart vers des notules sur les œuvres ou les interprètes en question.
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Mardi 1er avril :
20h, CiMu : Donnerode de Telemann par Opera Fuoco et Arsys. Avec la Sixième Cantate de Bach.
Mercredi 2 avril :
20h, CiMu : The Tempest de Purcell (très belle partition), par Philip Pickett.
Jeudi 3 avril :
18h, Prix des Muses de la fondateur Singer-Polignac (sur invitation seulement, mais je crois qu'il doit suffire de la demander) – avec notamment le Quintette avec piano de Thomas Adès !
19h, CNSM : Classe d'art lyrique. Le programme n'est toujours pas indiqué, le Conservatoire a promis de me l'envoyer lundi. Mise à jour : saynètes lyriques. Entrée libre.
Vendredi 4 avril :
19h, CNSM : Classe d'art lyrique (même programme, indéterminé, que le jeudi). Mise à jour : saynètes lyriques.
20h, Grand Salon des Invalides : marches de compositeurs français par l'ensemble Amarillis. Chambonnière, Lully, Desjardin, Montéclair, Philidor l'Aîné, Couperin. 9 à 15€.
20h30, Église des Billettes : Cantates de Charpentier, Jacquet de La Guerre et Clérambault, avec Hasnaa Bennani (programme d'après son site). Dire que je l'ai vue chanter pour le récital de fin d'année au CRR... elle était d'ailleurs la seule à mieux chanter sur scène que lors de la répétition générale. Le programme original indiquait Chapentier, Clérambault, Marais, Montéclair et Rameau – sans doute pas entièrement vocal de toute façon. Seul un claveciniste et une gambiste sont crédités, ce qui n'est pas possible non plus (il faut au moins un « dessus », voire deux). 22€.
Samedi 5 avril :
16h, Muséum d'Histoire Naturelle : Œuvres de Purcell, Bridge, et Britten, pour le conte musical Maurice, le dodo voyageur. (Apparemment gratuit, à vérifier.)
16h, IRCAM : Œuvres d'étudiants de l'IRCAM. Entrée libre.
18h, IRCAM : Idem.
20h, Massy : Ullmann, Der Kaiser von Atlantis, mis en scène par Louise Moaty, avec Pierre-Yves Pruvot en guest star. Louise Moaty se situe dans la mouvance lazarienne des éclairages à la bougie et des fronts de scène, pour ce qui est du baroque. Mais qu'en est-il pour l'opéra du XXe siècle ? L'œuvre est à voir en tout cas, si on ne l'a jamais essayée... pas forcément la plus profonde musicalement, mais un univers décadent étrange auquel il faut se frotter au moins une fois. C'est déjà fait pour ma part, au disque et sur scène.
20h30, Salon musical Bonaparte (VIe arr.) : Raquel Camarinha (soprano et Matteo Cesari (flûtiste) dans Aperghis, Jolas, Saariaho, Sciarrino, Dusapin et Furrer. 10-15€.
Dimanche 6 avril :
15h, Fondation Dosne-Thiers : Le Trio Primavera joue Schubert, Schumann, Bartók, et surtout Hubay et Popper, dont les occasions d'être entendus sont plutôt peu fréquentes. 16-25€.
17h, Musée d'art et d'histoire du judaïsme : Ferdinand Halphen, mélodies (et vu qu'il y aura aussi un violon, probablement de la musique de chambre). Un excellent compositeur, dont les partitions ne circulent, me semble-t-il, qu'à l'état de manuscrit. Dans le genre fin-de-siècle post-fauréen (mais plutôt post-dernier-Fauré), il a laissé nombre de merveilles. 15-20€.
18h, La Péniche Opéra : Offenbach, Le financier et le savetier (dirigé par le grand spécialiste Jean-Christophe Keck). Une des œuvres à très petit effectif d'Offenbach, assez sympathique. Attention, il y a beaucoup de dialogues et pas énormément de musique.
12h30, Saint-Roch : trios pour deux hautbois et cor anglais. Le laborieux trio de Beethoven, mais aussi du Read et du Blake. On n'entend pas ça tous les jours. Entrée libre.
20h, Massy : Combattimento de Monteverdi par l'Yriade, Auvity, Geslot et Lefilliâtre ! 15-25€. Même considérant qu'Auvity rayonne moins en italien, et que la tessiture est un peu basse, c'est très tentant.
20h, Amphi de la CiMu : Herculanum de David et Le dernier jour de Pompéi de Joncières, en version piano (avec notamment Gabrielle Philiponet et Marie Lenormand). Le principe de découvrir des raretés absolues est bien sûr exaltant, mais pour avoir lu les partitions, je ne suis pas sûr que ça mérite vraiment le déplacement. Ce sont des partitions assez secondaires de leur époque, à mon humble avis.
20h30, Saint-Roch : Haydn et Britten par les Petits chanteurs de Sainte-Croix. 20-25€.
20h30, Notre-Dame : Messiaen (Et expecto resurrectionem mortuorum), Bruckner – la Deuxième Messe, la plus originale et la plus belle. J'ai cru un instant que ce serait avec des enfants à la place des femmes, mais la Maîtrise regroupe en réalité tous les chœurs attachés à Notre-Dame. Donc pas si rare que ça. Côté orchestre, ce sera celui du Conservatoire. 12-20€
Mercredi 9 avril :
20h30, Saint-Quentin : Ullmann, Der Kaiser von Atlantis, mis en scène par Louise Moaty, avec Pierre-Yves Pruvot en guest star. Louise Moaty se situe dans la mouvance lazarienne des éclairages à la bougie et des fronts de scène, pour ce qui est du baroque. Mais qu'en est-il pour l'opéra du XXe siècle ? L'œuvre est à voir en tout cas, si on ne l'a jamais essayée... pas forcément la plus profonde musicalement, mais un univers décadent étrange auquel il faut se frotter au moins une fois. C'est déjà fait pour ma part, au disque et sur scène.
20h30, Péniche Opéra : Kammermusik de Henze d'après Hölderlin, par des élèves du CRR de Boulogne.
Jeudi 10 avril :
12h30, Mairie du IXe arr. : Delphine Armand joue (au piano) Rameau, Mozart, Chopin, Ravel et Mantovani (une nouvelle pièce ?). Entrée libre.
17h30, Versailles (Chapelle Royale) : Carissimi, Bouzignac, du Mont, Campra par les Pages et Chantres du CMBV, et le Conservatoire de Versailles. Entrée libre.
19h30, Maison du Danemark : Bedrossian et Pesson par l'ensemble 2e2M. Entrée libre.
20h, Musée d'Orsay : Crossley-Mercer et Schneider font les Magelone Romanzen de Brahms, insérés dans le reste du texte de Tieck, dit par Luc Schiltz. Pas fou de l'œuvre littéraire ni musicale, personnellement, mais c'est un discpositif qu'on n'entend pas tous les jours. Témoignage sur la dernière fois.
20h, TCE : Quintette pour clarinette de Meyerbeer, Sérénade pour cordes et vents de Rossini, un Quatuor de Donizetti, et par du beau monde (Charlier, R. Pasquier, Noras).
20h30, salle Gaveau : un spectacle bizarre sur l'Évangile de Luc. Des extraits de quatuors de Schubert, Janáček, Lekeu, Ravel et Webern, avec récitant.
20h, Châtelet (Foyer) : Scarlatti et Cage par David Greilsammer. Je n'ai pas cherché le détail du programme, mais ce peut être rigolo. 25€.
20h, Grand Salon des Invalides : Bach & fils (W.F. et C.P.E.), par les étudiants du Conservatoire de Paris. 5€.
20h, CiMu : Superbe programme dans le genre « XXe officiel » avec Dialogue de l'ombre double et Anthèmes de Boulez, le Kammerkonzert de Ligeti, plus du Stravinski (pour clarinette) et du Mantovani. 18€.
20h30, Péniche Opéra : Kammermusik de Henze d'après Hölderlin, par des élèves du CRR de Boulogne.
21h, Suresnes (Théâtre Vilar) : Grands motets de Charpentier par l'Ensemble Correspondances.
Samedi 12 avril :
18h, Soubise : Œuvres pour quintette à vents de Dvořák, Grieg, Farkas, Belthoise, Tomasi et Bernstein. 7-12€.
20h, Reid Hall (VIe arr.) : Pièces pour violon et piano de Wieck-Schumann, Chausson, Debussy, Messiaen, Dutilleux. Libre participation.
20h, CiMu : Soirée « Turbulences ». En deuxième partie, beaucoup de compositeurs du second XXe de première catégorie : Webern, Yun, Kurtág, Donatoni, de Mey, Mantovani.
Dimanche 13 avril :
16h, Pleyel : Schubert et Brahms par le Quatuor Artemis et Leonskaja, mais aussi Officium breve de Kurtág, une de ses compositions les plus fortes.
20h, Garnier : Debussy, Cras, Jolivet, Françaix. Après une expérience frustrante avec les musiciens de l'Opéra en musique de chambre, je ne suis pas sûr de recommander, mais le programme est comme souvent très original.
Lundi 14 avril :
20h, Amphi Bastille : lieder & mélodies de Schubert, Berlioz, Gounod, Wolf, Hahn, Pfitzner, Berg et Silvestrov ! À mon humble avis, un récital qui va rencontrer les mêmes difficultés que celui de Ricarda Merbeth avec un programme similairement ambitieux : de près et avec piano, une voix aussi large, même pourvu d'une belle expression comme Janina Baechle qui officie ce soir-là, ne peut qu'être décevante (voire instable). Les coutures de la voix et la grosseur du grain prennent vite le pas sur l'expression et même la musique. Malgré la meilleure volonté de l'auditeur. Il n'empêche, programme très alléchant.
Mercredi 16 avril :
20h, Musée du Louvre : Les Folies Françoises et Patrick Cohën-Akenine accompagnent les solistes de l'Atelier Lyrique de l'Opéra dans Rameau. (Vu les voix entendues pour Lucrèce, j'avoue que ça fait peur. Mais ils seront très bien secondés, au moins.) 16-32€.
20h, Invalides : Monteverdi, Caccini et Sances par Claire Lefilliâtre, Ophélie Gaillard et l'Ensemble Pulcinella. 9-15€.
Jeudi 17 avril :
20h, Centre culturel tchèque : Airs de Stefano Landi par Dagmar Šašková et l'ensemble Il Festino (dirigé du théorbe par son partenaire habituel Manuel de Grange). Après de grandes émotions dans le répertoire français, je me réjouis de les retrouver. 10€.
Dimanche 20 avril :
16h, Saint-Louis-en-l'Île : Chœurs orthodoxes russes et chants traditionnels, par le Chœur Rimski-Korsakov (de Saint-Pétersbourg). 14-23€.
18h30, CRR de Paris : Concert des lauréats du concours Flame. Parmi les membres du jury, Viorica Cortez, Dana Ciocarlie et Bruno Rigutto (les autres sont moins célèbres comme solistes internationaux). Gratuit, je suppose ?
Je m'arrête au 20, cela nous laisse trois semaines pour compiler quelques autres friandises. Ne manquez pas de rapporter vos expériences, elles sont utiles à tous...
Pour ma part, sont prévus pour cette période : Die Schöne Müllerin de Breslik le 3, qui devrait être une tuerie ; le récital Halphen (j'attends cette occasion depuis longtemps) le 6, Into the Woods le 8 ou le 10, Charpentier le 11 (peut-être), Farkas & co à Soubise le 12, Šašková le 17, chœurs orthodoxes le 20 (peut-être). Mai sera prioritairement consacré au théâtre (deux pièces données en russe et trois Shakespeare), il y aura peut-être moins à signaler.
Ce billet, écrit à par DavidLeMarrec dans la catégorie Saison 2013-2014 a suscité :
Sur vos impôts et sur les assiettes qui passent dans le ciel, comme à tout le monde. Mais en tant que mélomanes, on vous ment sur l'Angleterre.
Oui, on vous a dissimulé pendant des années que de Gaulle, puis Mollet, avaient voulu nous dissoudre dans les britonneries et nous faire courber l'échine devant un tyran – et, ce qui est pire s'il est possible, une femme. C'est horrible, mais c'est du passé.
Non, je parle d'une forfaiture plus immense encore, dissimulée, tels les petits hommes verts à Roswell, au fil de rapports circonstanciés qui enterrent l'insupportable vérité sous des étages de froids arguments bureaucratiques, pour partie falsifiés, pour partie convaincus.
Et je suis prêt à faire effondrer le système sur ses bases pour vous révéler la Vérité.
Car, oui, mes amis.
Il existe de la (bonne) musique anglaise entre Purcell et Britten.
2. Là où notre héros se dresse contre l'iniquité
Bien sûr, vous vous en doutiez : un peuple entier, fût-il barbare et enthéiné, ne peut cesser d'écrire de la musique pendant deux siècles – et donc, tout à fait accidentellement, d'en produire parfois de la bonne.
Mais le principe, reproduit d'Histoire de la musique en Histoire de la musique, d'émission en émission, entendue dans tous les discours, allusivement cité dans tous les articles, semble acquis : il y a peut-être Haendel (mais né et formé en Allemagne, puis en Italie), il y a bien quelques victoriens académiques, mais de la musique digne d'intérêt, passé Byrd et Purcell et avant le vingtième siècle, on n'en trouve pas. De la soupe qui imite platement ce qui se fait en Europe, guère plus.
Courageusement, au péril de ma vie, je me lève donc et, tendant la main à un ennemi à bon droit honni, mais injustement accusé, je déclare :
Ce n'est pas vrai.
Certes, je ne suis pas à la hauteur de l'éloquence de mes modèles (quelque part entre Roland et Gandhi, je suppose). Néanmoins, comme je ne suis assurément pas disposé (ni destiné, je le crains) à mourir pour soutenir cette cause dangereuse, heureux lecteur, je me dispense d'y ajouter ce que Voltaire n'a pas dit.
3. L'Angleterre musicale
Bien sûr, aux XVIIIe et XIXe siècles, la vie musicale anglaise n'a pas la vitalité des nations « spécialistes », qui forment l'Europe entière (Allemagne, Italie) ou modèlent ses goûts (Italie, France). Néanmoins, sa production ne se limite pas au simili-seria post-haendelien, ni aux très-gracieuses sullivaneries victoriennes. Et parmi un corpus qui n'a pas, il est vrai, l'audace des nations continentales les plus pionnières en matière de musique, en particulier au centre de l'Europe (et à Paris), on peut rencontrer un certain nombre d'œuvres de grande qualité, qui mériteraient d'être redonnées, peut-être régulièrement.
Jusqu'en 1822, date de la création de la Royal Academy of Music, il n'existait aucune institution nationale pour former les compositeurs ; fait amusant, tandis que cela advenait pour des motifs en grande partie de fierté nationale, Lord Burghersh fit appel au harpiste français Nicolas Bochsa. Non seulement il leur fallut 150 ans pour avoir l'idée de copier l'Académie Royale de Musique, mais en plus ils n'arrivaient pas eux-mêmes à imiter un modèle économique datant de Louis XIV.
Robin des Bois et ses joyeux compagnons divertissant Richard Cœur de Lion dans la forêt de Sherwood.
De Daniel Maclise (même génération, aîné de sept ans de Macfarren), spécialisé dans l'illustration de succès théâtraux de son temps – même s'il ne s'agit pas ici d'une représentation de l'opéra de Macfarren. Huile sur toile, 111 x 155 cm, conservé au Musée Municipal de Nottingham.
George Macfarren est quasiment l'incarnation idéale de cette Angleterre musicale qui s'épanouit à l'ombre de l'Europe : né à Londres, en 1813 (la même année que Verdi et Wagner), il compte parmi les premiers élèves de l'Academy, dès 1829, et à fin de ses études, en 1836, y devient professeur d'harmonie et de composition. En 1875, il en devient directeur : une véritable figure tutélaire de l'art institutionnel britannique.
Pas de voyage de formation à l'étranger, et néanmoins une musique fortement marquée par les courants en vogue en Europe.
4. Aspect général
Avant de poursuivre plus avant, vous voulez sans doute vous faire une image plus précise de ce qu'écrit notre homme, et particulièrement dans Robin des Bois (1860).
L'Ouverture pot-pourri à la française en donne sans doute un bon aperçu :
La saison des frimas peut-elle nous offrir
Les fleurs que nous voyons paraître ?
Quel dieu les fait renaître
Lorsque l'hiver les fait mourir ?
La période semble être propice à la publication très concentrée des grandes soirées lyriques du moment. Petit tour d'horizon pour que vous en manquiez le moins possible.
¶ Niobé de Steffani, un opéra seria complet du dernier compositeur mis à l'honneur par le traditionnel album de fin d'année de Bartoli. Par les forces du Festival de Boston : O'Dette et Stubbs dirigent, tandis que Karina Gauvin, Philippe Jaroussky et Terry Wey chantent ! http://liveweb.arte.tv/fr/video/Niobe/
Musique de l'ère classique
¶ Les Danaïdes à l'Opéra Royal de Versailles, un des plus hauts chefs-d'œuvre de Salieri et de la tragédie lyrique réformée. Une belle version qui tient assez bien ses promesses, sans les défauts qu'on pouvait redouter (mollesse de Rousset dans un opéra où la trépidance fait tout). Tassis Christoyannis n'a jamais été aussi électrique, vocalement et dramatiquement. http://fr.medici.tv/#!/les-danaides-salieri-les-talens-lyriques-opera-royal-de-versailles
¶ L'Africaine de Meyerbeer à la Fenice. L'exécution n'en est pas merveilleuse (français très moyen, voix très couvertes qui manquent de clarté et de fraîcheur pour ce répertoire), mais tout de même solide, plutôt meilleure que la moyenne des autres captations de l'œuvre. Ensuite, comme il s'agit du seul opéra français de Meyerbeer et d'une des très rares œuvres de Scribe sans une once d'humour, un côté choucroutisant affleure dangereusement, même s'il demeure plutôt à la pointe de son époque.
En l'absence d'édition critique et d'exécution non-post-brucknérienne, on peut avoir l'impression d'écouter le Klagendelied de Mahler ou les Gurrelieder de Schönberg : un truc assez moderne, contenant quelques bijoux, mais quand même à peu près inécoutable dans sa continuité. Par ailleurs, Kunde, qui promettait beaucoup, s'est manifestement abîmé sur d'autres œuvres lourdes et centrales : les harmoniques hautes ont disparu, donc il doit forcer pour monter et se faire entendre, ce qui engendre un gros vibrato très disgracieux et assez instable.
Néanmoins, l'objet est suffisamment rare pour mériter l'attention, en attendant la parution chez CPO d'une version (sans doute pas idéalement linguistiquement et stylistiquement) originale de l'œuvre, sous le titre Vasco de Gama. http://www.medici.tv/#!/l-africaine-meyerbeer-opera-la-fenice
¶ Tous les milieux glottophiles bruissent des débats autour de La Traviata de Verdi, mise en scène par Dmitri Tcherniakov à La Scala – et, devant un public qui a ses habitudes, forcément conspuée. À vue de nez, considérant quelques brefs extraits, ça semble assez écoutable et regardable, mais je laisse les lecteurs de CSS m'informer sur le sujet... dans cette ample liste, ce n'est certainement pas la vidéo prioritaire. http://liveweb.arte.tv/de/video/La_Traviata_in_der_Mailander_Scala/
¶ Par ailleurs, Arte Live Web a proposé, pendant toute l'année 2013, une intégrale vidéo des opéras de Verdi, à partir des productions les plus récentes (pour la plupart italiennes). Par nature, forcément inégale, mais c'est l'occasion inespérée de voir Un Giorno di Regno, Il Corsaro ou Alzira en vidéo, et plusieurs de ces titres sont remarquablement chantés : le Falstaff de Modène est complètement idéal, les Vespri Siciliani et le Stiffelio de Parme très bons, le Don Carlo de Modène et l'Aida de Parme tout à fait valables, et puis l'Otello de Salzbourg et le Trovatore de Parme très prestigieux. Il faut se presser un peu en revanche : les premières vidéos sont déjà hors ligne. Commencez donc par les plus anciennes... http://www.arte.tv/sites/fr/verdi/
¶ Hamlet de Thomas (liste des notules de la série de CSS) à la Monnaie, par Marc Minkowski et Olivier Py.
La distribution d'origine était tout simplement idéale : Stéphane Degout en alternane avec Franco Pomponi (Hamlet), Sonya Yoncheva en alternance avec Rachele Gilmore (Ophélie), Jennifer Larmore en alternance avec Sylvie Brunet (Gertrude), Bernard Richter en Laërte, et même Henk Neven en Horatio et premier fossoyeur ! Le pauvre Jérôme Varnier, grand phraseur et voix édifiante, qui pourrait tenir Claudius avec bonheur, se trouve encore cantonné dans les spectres aphoristiques... il faut dire que dans ces rôles-pivots, il est tellement bon, qu'il est un peu facile de l'appeler à la rescousse, tandis qu'on trouve plus facilement des basses nobles ou chantantes pour Claudius (en l'occurrence, un baryton-basse, Vincent Le Texier, a fait l'affaire). Il est vrai qu'en l'occurrence le déclin de la voix devient un peu audible, et que l'aigu s'est largement glacé, mais c'est un constat de sous-distribution qu'on peut faire pour toute sa carrière.
Mais Yoncheva a été remplacée par Lenneke Ruiten (la voix sonne sans doute un peu âgée pour Ophélie, mais le timbre évoque avec force le meilleur de la tradition française, d'Andrea Guiot à Ghyslaine Raphanel), et Bernard Richter par Rémy Mathieu – choix astucieux : une bonne diction, une voix mixée et pourvue des mêmes accents étranges, même si l'instrument n'est pas aussi glorieux.
La distribution proposée dans la vidéo, avec Degout et Brunet, est l'inverse de ce que j'aurais choisi (il est vrai cela dit que le statut médiatique et la différence de projection de Degout, ainsi que l'absence de documentation de Brunet, le justifient assez bien) ; mais faute d'avoir Yoncheva, je suis content d'entendre Ruiten plutôt que Gilmore – étant entendu que toutes les combinaisons faisaient envie, en fait. http://culturebox.francetvinfo.fr/hamlet-au-theatre-royal-de-la-monnaie-146449
La mise en scène de Py est plutôt réussie (avec plein de réserves personnelles sur sa lecture, mais dans un ensemble cohérent et soigné), et la direction de Minkowski est remarquable, parmi ce qu'il a fait de mieux dans le répertoire du XIXe : animée, colorée, mais sans sècheresse comme ses Wagner ou ses premiers Meyerbeer, n'exaltant pas les coutures comme dans ses Huguenots, et ne refusant pas le lyrisme (« Doute de la lumière » s'épand sans retenue ni raideur, l'expansion d' « Ombre chère »). Les soli sont magnifiques (hautbois en particulier, un instrument qu'il met toujours en valeur comme personne), le sens de la texture dans les moments de mystère forcent l'admiration.
Plutôt agréablement surpris par Degout, Hamlet peu sympathique qui se défend assez bien, et qui semble sensiblement moins mûr ou métallique que j'aurais pu le craindre ; Ruiten, Brunet, Mathieu sont admirables, pour diverses raisons, mais tous bien dits, engagés, pourvus de timbres agréables... et d'une manière générale très congruents avec le style et leurs personnages. Grande version, à mettre aux côtés des réussites de Plasson (nombreuses distributions), Billy ou Langrée, notamment.
Petite sélection de raretés et autres friandises en France et dans le voisinage francophone pour la saison qui débute. En gras lorsque motivé par les œuvres, souligné lorsqu'il s'agit des distributions.
Quatre groupements : Renaissance, baroque & classique ; romantisme ; XXe siècle ; contemporain. Avec leurs commentaires pour aider au choix, et des renvois vers les notules contenant des informations.
Suite à la demande croissante en coulisses (croyez-le ou non, j'ai dû embaucher une autre secrétaire, sans parler des gardes du corps pour me protéger des ardeurs des plus impatients), notre petite usine poulpiquette a accéléré ses cadences pour fournir l'authentique planning saisonnier de Carnets sur sol, en véritable html massif. Malgré tout le soin accordé à la confection de nos pixels, il est possible que des erreurs se soient glissées, en particulier dans les dates. Vérifiez toujours pour les concerts qui vous intéressent, car le bureau des réclamations a été fermé (pour financer la nouvelle secrétaire, évidemment), et le standard ne dispose pas encore d'interprète fluide en lutin-français.
Pour cette cinquième année, il n'est peut-être plus nécessaire de préciser que non seulement il est impossible d'être exhaustif, mais que de surcroît les choix opérés sont dus à mes seuls tropismes et inclinations ; beaucoup d'autres choses de premier intérêt figurent dans les programmes sans que j'aie pris ma vie pour les recopier. En revanche, dans la masse présélectionnée, il y a sans doute matière à découvrir des salles moins courues et des œuvres peu jouées, pour pas mal de gouts différents.
Si cela peut aider à hiérarchiser, je n'ai pas eu la patience de retirer le légendage personnel : le signe § indique le degré de prévision, le signe ¤ l'improbabilité de ma présence. Je n'ai pas conservé la couleur qui apparaît sur l'agenda pour la présélection, mais peu importe, on peut très bien naviguer sans. Les astériques sont sans importance (à part pour moi, puisque j'ai déjà les billets).
Vous pouvez retrouver les précédentes saisons, chacune disposant en commentaires de liens renvoyant vers des échos des soirées vues :
(On met aussi Der Fliegende Holländer version parisienne dans la remorque. Tout cela est semble-t-il à venir chez Naïve !)
Le Palazzetto Bru Zane frappe encore une fois un grand coup. Profitant éhontément de ce soporifique anniversaire Verdi-Wagner (pourtant, ce n'étaient pas les noms qui manquaient), voici qu'est présenté au public cet opéra dans l'ombre de l'Histoire - qui ne s'est pas demandé, en lisant une biographie même sommaire de Wagner, ce qu'il était advenu de son livret une fois acheté par l'Opéra de Paris, qui s'en était chargé, à quoi cela ressemblait-il ?
Fin du duo Senta-Troïl, et grand trio final du mariage (modérément festif). Loin de représenter la diversité de l'oeuvre, mais assez révélateur de ce que peuvent être les grands moments de la partition.
La curiosité était d'autant plus grande qu'il était très difficile de trouver des partitions (en dehors d'arrangements de salon) de Dietsch, et même des renseignements un peu précis sur cet opéra - sans avoir non plus remué ciel et terre, je n'ai tout de même à peu près rien trouvé, ce qui est assez peu commun, y compris pour des compositeurs absents du disque.
D'où la question qui brûlait les lèvres : chef-d'oeuvre méconnu par préjugé face à Wagner, ou bien oeuvre médiocre que même la comparaison avec Wagner ne pouvait rendre écoutable ?
Depuis mardi (et très bientôt à Grenoble et Vienne), le public a sa réponse. Et Carnets sur sol, dans sa munificence proverbiale, va vous la donner.
1. (Pierre-)Louis Dietsch (1808-1865)
Comme de coutume, je ne vais pas m'étendre sur les données contextuelles : il existe désormais un peu de matériel critique sur Dietsch, et on trouve le minimum nécessaire sur la Toile pour situer le bonhomme. Ce qui n'est pas forcément disponible en revanche, c'est ce à quoi ressemblait factuellement l'oeuvre. Là, les lutins de CSS entrent en lice.
Il suffit de savoir qu'il a débuté contre contrebassiste, puis organiste, maître de chapelle à Paris (Saint-Paul-Saint-Louis, Saint-Eustache, plus tard la Madeleine), et, à partir de 1840, chef de chant à l'Opéra, poste privilégié pour observer les tendances du répertoire.
Deux choses sont, à mon sens, particulièrement révélatrices dans sa formation :
=> son parcours dans le versant "savant" de la musique vocale, où les compétences techniques en composition sont plus exigeantes qu'à l'Opéra où l'effet et la vocalité peuvent primer ;
=> sa Messe solennelle à quatre voix, choeur et orchestre de 1838, qui lui a valu la notoriété (et même une décoration par le roi de Prusse), était dédiée à Meyerbeer.
2. Qu'est-il advenu du synopsis de Wagner ?
Je ne dispose pas de détails privilégiés sur la question, n'ayant même pu accéder au livret (ces gros malins de Château-de-Versailles-Spectacles ne vendent pas de brochures à l'entracte, je cours après l'achat du programme de la saison depuis octobre...). Mais la structure et les profils diffèrent assez du Vaisseau que nous connaissons, vraisemblablement à cause des retouches ultérieures de Wagner pour son propre drame. En effet Wagner écrit son livret (en français, semble-t-il, comment se fait-il qu'on n'en trouve pas trace facilement ?) lors de son séjour misérable en France - sans emploi de chef, sans possibilité de faire jouer Rienzi, il copie des partitions et écrit des articles pour payer les dettes de son couple. Une audition à l'Opéra de Paris lui permet de vendre le texte ; la musique qu'il avait commencée (ballade de Senta et choeur festif des marins de l'acte III) n'est pas acceptée. Il compose après ce refus, pendant l'année 1841, sa propre musique, ce qui doit coïncider avec la genèse du propre Hollandais de Dietsch (création à l'automne 1842).
Il est possible - mais je n'ai d'élément précis sur cette question, et je me méfie des affirmations relayées de génération en génération sur des sources que je n'ai pas lues... on est souvent surpris - qu'il ait donc changé son livret à l'occasion de sa composition musicale.
En tout cas, dans le livret de Paul Foucher et Henri Révoil (retouches, arrangement, ou refonte complète à partir du sujet originel ?) pour Dietsch :
=> Tout commence au début de ce qui est l'acte II de Wagner, quasiment avec la romance de Minna (Senta), un procédé liminaire habituelle dans l'opéra français, qu'on retrouve massivement chez Hérold, Meyerbeer, Halévy, Auber... L'amoureux (Magnus) est aussi éconduit sans trop de ménagement, mais le signe distinctif du hollandais n'est pas la ressemblance au portrait, mais une blessure éternelle au bras (faite par le père de Magnus, tué lors de sa rébellion contre le pacte diabolique de son capitaine). Les psychologies entrent en interaction dans un ordre opposé au livret allemand : Minna tombe amoureuse de Troïl (également le nom du marin maudit dans le Schnabelewopski de Heine qui a inspiré Wagner) avant de découvrir son identité, et non à cause de celle-ci. Evidemment cela change complètement les places respectives de l'Idéal et de l'Amour.
Magnus-Erik a un rôle encore plus important de dévoilement, puisqu'en les mariant, il découvre la marque d'infamie.
=> Le livret ménage une suite de numéros et de tableaux de caractère (il est possible que des ballets aient été coupés, cependant il ne s'agit pas d'un format Grand Opéra), assez statique (une scène pour chaque action, entre chaque personnage, chacun avec son air...) alors même que la musique est construite de façon très moderne et continue. On est loin, littérairement parlant, de la poussée inexorable du drame dans la version allemande, où les personnages prennent de l'épaisseur, sans se dévoiler eux-mêmes, par leurs actes. Chez Dietsch, chacun vient bien traditionnellement dévoiler sa subjectivité dans "sa" scène.
Livret moyen, donc - alors que le Fliegende Holländer est le seul livret wagnérien de la maturité que je trouve sans faiblesse.
3. La musique de Dietsch
Il faut le dire, c'est un coup de théâtre. Que je ne m'explique pas bien.
=> D'abord parce que l'oeuvre utilise beaucoup de procédés assez caractéristiques du Vaisseau de Wagner : leitmotive (notamment un thème de la Rédemption par l'Amour !), usage de ponctuations avec instruments nus pour faire monter la tension lors des entrées, trémolos omniprésents, lyrisme orchestral de style comparable, clausule extatique avec harpe (chose que Wagner ajoute seulement dans sa seconde version du Vaisseau !)... Avec son style propre bien sûr, mais comme si Dietsch avait lu la partition et s'était inspiré, avec son style propre, des idées musicales - d'une partition que Wagner n'a apparemment jamais laissée à l'Opéra. Bref, une concordance de pensées troublantes.
=> Une oeuvre qui prend le meilleur de son époque : beaucoup de moments évoquent le langage d'Hérold (le style des mélodies en particulier !), mais les efforts d'orchestration ont beaucoup à voir avec Meyerbeer (on songe même, dans le grand duo central, au mouvement lent de la Symphonie en ut de Bizet !), les cantilènes se réfèrent au belcanto (ce style de chant ne se trouve pas en France avant les années 1810, voire 1820), les danses sont d'un folklorisme endiablé qui évoque le Freischütz (pour lequel il écrira d'ailleurs un ballet en 1846... il avait sûrement déjà fréquenté la partition en 1842 ; une des cabalettes évoque même celle d'Ännchen), le tout débute par une ouverture suspendue, pointée et menaçante dans le goût de Rigoletto (pas encore écrit), le récit chromatique de Magnus fait écho au style des lectures de lettres dans les opéras du temps et, plus précisément, au spectre d'Hamletde Thomas (1868)...
=> De manière plus générale, musicalement, même si sa consonance est sans commune mesure avec les frottements et les quintes à vide du Holländer, on a affaire à une oeuvre de grande qualité, qui culmine, exactement comme Wagner, dans ses ensembles. Le duo Minna-Magnus (qui évoque les portions les plus lyriques du duo Senta-Holländer), le duo Minna-Troïl (dont la matière de la partie la plus tempêtueuse est extrêmement proche du trio de l'orage de Dinorah de Meyerbeer), le trio final sont très impressionnants, des poussées de fièvre musicales assez comparables à ce qui se passent dans l'oeuvre de Wagner.
Et avec cela, pas vraiment de parties faibles - même si ces trois dominent nettement.
Une très belle oeuvre qui méritait clairement d'être réentendue, et peut-être pas qu'une fois.
4. Les questions posées
Devant cet opéra qui n'avait pas laissé de trace dans la postérité, le seul proposé au public par Dietsch semble-t-il, on se prend à rêver.
Est-ce une coïncidence, et a-t-on laissé échapper ce petit bijou assez visionnaire, qui s'approprie manifestement avec un rare talent les leçons de style d'Hérold et les leçons d'orchestration de Meyerbeer, avec un peu de danses frénétiques de Weber ? Ou bien est-ce une oeuvre tout à fait normale, et nous gave-t-on d'Halévy et d'Auber en laissant le public dans l'ignorance d'une veine plus originale, dont beaucoup d'autres opéras seraient témoins ?
Je penche plutôt pour la première hypothèse, dans la mesure où je n'ai jamais lu de partition d'opéra avec ce genre d'ambition purement musicale à cette époque en France, en dehors de Meyerbeer. Mais considérant que Dietsch n'était pas vraiment accessible, sauf à être chercheur dans ce domaine, il est tout à fait possible qu'il en reste d'autres.
Sélection de spectacles en mai en Ile-de-France (et un peu au delà). Outre les grandes salles parisiennes, on pourra se balader au Temple du Luxembourg, à l'Athénée, au Musée d'Orsay, à Versailles, à Herblay, et même à Cologne...
Il y a tellement à faire que je n'ai pas osé ouvrir Cadences à la page fatale qui alourdit immanquablement mon agenda d'un ou deux spectacles dans le mois... Mais si vous souhaitez le faire, il y a sans doute de petits récitals de lied ou de petits concerts de musique sacrée qui m'ont échappé. Le Requiem de Ropartz était donné sur une assez longue période en Île-de-France, par exemple.
En gras, mes choix, si jamais vous désirez m'offrir un macaron (comestible ou solide, selon votre appréciation de ces pages) à l'entracte...
2 mai - Richelieu - Shakespeare, Troilus & Cressida
J'y espère le même succès que pour les Commères d'Andrés Lima, même si je suis en général un peu moins intéressé par le (bon !) travail de Ruf.
4 mai - Bastille - Mahler, Symphonie n°3, chorégraphie Neumeier
Je ne suis pas convaincu par ces principes en général, mais la Troisième me paraît très bien se prêter à l'exercice visuel et en particulier chorégraphique - indépendamment du programme originel qui ne me passionne pas particulièrement.
5 mai - Cologne (Mülheim) - Schreker, Die Gezeichneten
Les extraits vidéos qui circulent ont l'air engageants - Stefan Vinke n'a jamais chanté comme cela, ce qu'on entend là est fantastique ! Vu les minutages, un compère pronostique une version intégrale ou peu s'en faudra.
Une catégorie entière est dévolue à cette oeuvre sur CSS.
7 mai - TCE - Mozart, Don Giovanni, Rhorer, Braunschweig
Vu que l'a Mezzo enregistré et diffusé, je vais sans doute m'abstenir de me déplacer dans un théâtre malcommode (salutations à mon voisin du dessus qui s'est samedi essuyé trois fois les pieds sur mes cheveux !) et vraisemblablement complet. Don Giovanni n'est de toute façon vraiment pas l'oeuvre qui sied le plus au style de Braunschweig. Les extraits entendus rappellent que Rhorer, qu'on entend beaucoup désormais dans le répertoire romantique (avec un intérêt variable), s'est fait un nom avec sa langue maternelle : Mozart (et Salieri).
Version en italien et en quatre actes (voir ici la nomenclature des très nombreuses versions possibles : Paris 1866, Paris 1867, Londres 1867, post-Naples 1871, Milan 1884, Modène 1886... et beaucoup d'arrangements entre elles pour les enregistrements commerciaux).
Pas de compte-rendu, mais quelques remarques :
=> Qu'est-ce que c'est mal orchestré. Je n'avais jamais testé Don Carlo en salle, mais on ne peut pas dire que Meyerbeer et Wagner aient été digérés... Les doublures éléphantesques partout...
En revanche, le dernier acte sonne très bien : plus récitatif, plus inventif à l'orchestre, de très nombreuses modulations expressives, des lignes mélodiques plus surprenantes... le grand air d'Elisabeth est clairement un de ces airs cursifs, interrompus de récitatifs, typique du grand opéra à la française, tandis que le grand duo qui suit évoque l'écriture du Wagner de Lohengrin (en bien mieux, naturellement).
Parce que Falvetti est réellement un compositeur fascinant du second XVIIe, stylistiquement quelque part entre les débuts déclamatoires de l'opéra et le culte de la voix dans des airs fermés au XVIIIe siècle. Alarcón, qui officiera, a déjà défendu cette musique avec beaucoup de présence.
L'Ippolito d'Almeida à Ambronay.
Dernière oeuvre (1752) du portugais Francisco António de Almeida, qui a malheureusement écrit ses opéras uniquement en italien. Il faut s'attendre à du seria, même si la forme sérénade pourrait tirer l'oeuvre vers quelque chose de plus informel. Vraie découverte.
Dvě vdovy (« Les deux veuves ») de Smetana à Angers.
Quatrième de ses neuf opéras, écrit après Dalibor : excessivement rare sur scène.
Moses und Aron de Schönberg à Strasbourg.
Avec Franz Grundheber en Moïse de surcroît. Le prélude à une saison extrêmement aventureuse et riche à Strasbourg.
Rienzi de Wagner à Toulouse.
Je ne recommande pas forcément d'aller entendre ça, c'est même le seul opéra de Wagner que je n'aime pas, un pudding qui sert à faire beaucoup de tort à Meyerbeer quand on lui compare ce machin sans une once d'humour, et sans grande inspiration non plus. Un monument seulement par ses dimensions. Mais ça a le mérite de n'être jamais joué. (Prenez cette phrase comme vous voudrez !)
Ce billet, écrit à par DavidLeMarrec dans la catégorie Saison 2012-2013 a suscité :
Pour la quatrième année consécutive, je publie mon planning de concerts. Ayant regardé un assez grand nombre de salles, il est possible que vous repériez l'une ou l'autre soirée que vous n'aviez pas relevée auparavant. N'ayant pas obtenu de dérogation d'ubiquité (malgré une demande chaque année renouvelée au Ministère des Cultes, mais l'attente semble plus longue qu'à Bayreuth), je me contente essentiellement d'évoquer l'Ile-de-France, malgré une escapade prévue à Strasbourg pour Der Ferne Klang de Schreker.
Comme je suppose que dans la masse proposée, on a besoin d'un peu de hiérarchie, j'explique la légende que j'utilise pour mon compte (et que je n'ai pas d'intérêt à ôter) : le signe § indique le degré de prévision, le signe ¤ l'improbabilité de ma présence. Pour ceux où j'ai d'ores et déjà décidé de me rendre, la ligne est en couleur. Ceux dont j'ai déjà acheté les billets sont précédés d'astérisques.
Vous pouvez retrouver les précédentes saisons, chacune disposant en commentaires de liens renvoyant vers des échos des soirées vues :
L'occasion, au détour de ces représentations autour du monde (et en l'occurrence au Théâtre du Châtelet), de s'interroger sur les façons de composer un opéra, au fil de l'histoire et aujourd'hui.
1. Public et contexte des représentations (le 30 juin) - 2. L'oeuvre - 3. Place dans l'Histoire - 4. Vers une nouvelle école du drame lyrique ?
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1. Public et contexte des représentations
Comme prévu, l'étiquette opéra contemporain était répulsive pour le grand public, et l'étiquette musique de film était négative pour la critique. Il restait d'ailleurs pas mal de places, ce qui est étonnant pour une apparition de Domingo - alors que même le lied fait salle comble avec Kaufmann, certes au faîte de sa gloire vocale.
C'est bien cette double appartenance qui intéressait les lutins, qui se sont rendus (en petit comité) parmi la meilleure société qui assistait à l'une des dernières apparitions vocales de Plácido Domingo - du moins avant l'amorce de sa nouvelle carrière de basse profonde.
Le public a réservé un accueil très enthousiaste - debout, et faisant relever le rideau très longtemps après le retour des lumières dans la salle - qu'on peut attribuer assez vraisemblablement à la présence de la légende vivante sur scène, mais c'est aussi un signe que l'oeuvre n'a pas déplu (peut-être la référence filmique a-t-elle aussi été appréciée ?).
C'était manifestement, aussi, un public plus "ingénu" que le public d'opéra habituel, pas un public de spécialistes, mais plutôt la nouvelle cible du Châtelet de Choplin, un public un peu plus familial, de curieux qui ont envie de faire une expérience à la croisée des styles, de se laisser surprendre.
Cela consiste certes, aux yeux des amateurs d'opéra, à se priver d'une partie de l'offre lyrique traditionnelle, mais on y gagne une offre qui n'existait pas et qui mérite vraiment d'être proposée : comédie musicale, créations à la croisée des styles (témoin la comédie musicale de Villa-Lobos la saison passée, Pop'pea la saison prochaine), opéras contemporains hors des sentiers de la modernité habituelle (The Fly de Howard Shore, Le Vagabond ensorcelé de Rodion Chtchédrine), et tout de même quelques oeuvres lyriques traditionnelles, parfois rares (Les Fées de Wagner, Cyrano de Bergerac de Franco Alfano)...
Bref, contrairement à ce qu'on avait beaucoup lu ou entendu chez les mélomanes, la gent farfadesque souhaitait vivement s'y rendre, et avec un a priori assez positif de surcroît.
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2. L'oeuvre
L'oeuvre a été accueillie favorablement par le parterre poulpiquisant. Il s'agissait, conformément aux attentes, d'une écriture de type filmique : un langage assez consonant, où domine le lyrisme des cordes. Et aussi d'autres choses plus profondes, sur lesquelles on revient tout de suite.
D'un point de vue structurel, il faut saluer l'usage de la poésie de Neruda, prétexte à air ("Desnuda"), noeud de l'action (le plagiat victorieux de Mario), ou encore ponctuation de l'action. C'est généralement la faiblesse des oeuvres dramatiques qui font hommage à un artiste : la vie de l'artiste n'est pas la plus passionnante, et rien ne peut traduire la spécificité d'un peintre ou même d'un musicien ancien dans un opéra... On reste au degré le plus superficiel, à la paraphrase en somme.
Or ici, la poésie de Neruda innerve tout le drame et en nourrit même l'intrigue, une belle réussite, une belle plus-value, qui met en valeur l'usage de la langue espagnole, rare à l'opéra (Albéniz lui-même composait en anglais...).
N'ayant pas encore ni lu le roman originel, ni vu le film-source (c'est en projet), impossible de juger de l'adaptation lyrique, il y aura peut-être matière à nouvelle notule dans ce cas ; néanmoins, en l'état, le livret fonctionne bien malgré la fragmentation de ses scènes (des changements de lieux brutaux, peu "théâtraux"). Le découpage en actes reste certes artificiel, et le pourquoi de l'oeuvre attend le troisième et dernier pour se manifester - néanmoins, on s'attache à cette routine avec les personnages, dans un sujet peu tendu et peu paroxystique, inhabituel à l'opéra.
L'écriture vocale n'est ni d'un récitatif très véridique, ni d'un mélodisme particulièrement inspiré : la ligne vocale s'intègre à la musique, sans relief spécifiquement faible ni accusé.
L'oeuvre culmine dans le récit (matérialisé par un véritable flash-back musical) de la mort de Mario dans la manifestation où il lit son poème : la gestion des masses sonores, le choeur s'entrechoquant avec l'orchestre, constitue réellement le moment fort, musicalement, de toute l'oeuvre (plus banale, d'une certaine façon). C'est aussi le moment fort du point de vue de l'émotion, mais de façon assez déconnectée de la musique, étrangement : la musique impressionne et la situation touche, séparément.
Sans avoir rien d'extraordinaire, l'oeuvre est réellement séduisante.
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3. Place dans l'Histoire
Il est particulièrement intéressant de s'attarder sur la construction de l'oeuvre. Daniel Catán n'est pas un compositeur prestigieux, dans le sens où il n'écrit pas dans un style neuf, ni des oeuvres qui représenteraient l'aboutissement d'un style, même conservateur (il est parfois qualifié de "néo-romantique", si ce terme a un sens).
Et son type d'écriture s'apparente ici à de la musique de film. On pourrait le rapprocher de Marius et Fanny de Vladimir Cosma, qui était une très belle réussite dans un style anti-classique d'une certaine façon. Ce qui signifie ?
Voyons cela :
Traditionnellement, l'opéra s'écrit dans une alternance entre récitatifs (pour faire progresser vite l'action, on suit les inflexions de la voix parlée) et "numéros" (les moments de bravoure vocale et musicale : airs et ensembles). A partir de la seconde moitié du XVIIIe siècle, les finals s'émancipent et deviennent de la musique en continu, faite de récitatifs accompagnés à l'orchestres, de tirades, d'ensembles, le tout de haute teneur musicale.
Puis arrivent les premiers drames en musique à flux continu - Rossini (Guillaume Tell, 1829), plus encore Meyerbeer (Robert le Diable, 1831) et Wagner (''Der Fliegende Holländer, 1843), où les récitatifs sont tellement soignés et tellement intégrés au reste de la musique (Meyerbeer interrompt ses numéros par ses récitatifs, Wagner fait conclure ses airs par des récitatifs, bref impossible de les retirer) qu'on doit les considérer au même titre que les numéros, comme de la "musique pure".
En suivant cette voie, les compositeurs vont épouser tout simplement les contours du drame, en utilisant les moyens que réclament telle ou telle situation (en particulier les français à partir de Chausson et d'Indy, et les germaniques après Wagner, mais aussi Puccini...).
Enfin, les compositeurs vont pour certains développer, en particulier à la suite de Wagner (décidément central à tout point de vue dans l'histoire de l'opéra...), une substance musicale progressivement au fil d'une même scène, voire de l'opéra tout entier (leitmotive, mais aussi matériau thématique propre à un moment précis).
L'opéra a dont deux façons de s'écrire :
=> à "numéros", mais cela ne se fait plus, sauf dans l'opérette / comédie musicale (mais de façon évidente, à cause des dialogues parlés - de plus le genre ne descend pas de l'opéra, en réalité) ;
=> de façon linéaire, en suivant le drame ;
=> en maintenant la tradition du développement en musique classique, au moins en conservant une couleur commune dans l'oeuvre, et en conservant des unités de matériau thématique au moins au sein d'une même scène.
Les trois prositions peuvent se nourrir les unes des autres et cohabiter. Dans Die Walküre de Wagner, les trois se rencontrent : on dispose bel et bien de vestiges de l'alternance récitatif-air (typiquement les "Adieux de Wotan", précédés d'un "récitatif" moins mélodique avec Brünnhilde), mais tout est conçu pour suivre le texte, dans ses plus petites inflexions... et cependant jaillissent des motifs récurrents qui structurent l'oeuvre de façon plus globale.
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4. Vers une nouvelle école du drame lyrique ?
Ce qui surprend est que Daniel Catán, malgré une certaine unité de ton (mais plus par style propre que par choix spécifique de couleur), malgré certaines parentés mélodiques (ici aussi, pas forcément volontaires), et malgré aussi certains retours thématiques (ponctuels et bien trouvés), n'adopte réellement aucune des trois propositions.
Bien sûr, on y trouve des moments identifiables comme des airs ("Desnuda", typiquement) ou des duos (le duo d'amour qui précède le mariage, à l'acte II, également pénétré du sonnet). Mais la musique n'épouse pas au plus près la déclamation, loin s'en faut, et ne développe pas non plus un discours musical élaboré.
En réalité, et c'est là que la chose devient intéressante, Catán traite son opéra comme un film, exactement comme Cosma. Ses unités ne sont pas musicales ou vocales, ce sont des unités d'action. Chaque scène a sa musique (certes pas très typée d'une scène à l'autre, même si l'on dispose des interventions du phonographe et du très beau lyrisme orchestral qui accompagne la séance d'enregistrement des sons d'Italie). Les scènes ne sont pas subtilement liées, elles se juxtaposent plutôt.
Cette "nouvelle" façon (surtout due à des compositeurs non spécialistes) est tout de même ancienne, on peut la remonter sans problème à l'Opéra d'Aran de Gilbert Bécaud (1962), qui ne fait pas le moins du monde école, mais qui est le premier d'une liste d'opéras au ton "grand public", renouant avec la facilité d'accès des siècles précédents. La contamination de la comédie rend parfois les frontières ténues, comme Call me Ishmael de Gary Goldschneider (composé de 1987 à 2003), et on avait déjà souligné l'influence inverse, de l'opéra sur la comédie musicale (Les Misérables de Schoenberg / Boublil).
Le côté séquentiel se retrouve aussi dans des oeuvres bien plus inscrites dans le XXe siècle "savant", comme 1984 de Maazel, où les différents tableaux sont également très segmenté, sauf l'acte III, immense arche insoutenable, dans une style chostakovitchobergien assez terrifiant, au meilleur sens du terme. Ici aussi, on n'entend pas un opéra traditionnel aux actes I et II (indépendamment du mélange des genres avec incursions, désormais habituelles, du jazz et de la chanson populaire).
J'avais été assez dubitatif (surtout que le poème était écrit dans une langue d'une assez grande maladresse) en écoutant Cosma, parce que j'y voyais toutes les faiblesses d'écriture (prenant un procédé, il l'éreintait sur dix minutes, le temps de sa scène, et pliait sa prosodie à sa trouvaille musicale)... mais en réalité, cela fonctionne assez bien pour créer du climat. Quelque chose en phase avec notre temps de zappeurs, en tout cas, ces saynètes cloisonnées.
Il Postino n'atteint pas l'intérêt ni le charme de Marius et Fanny, et ne mérite pas forcément d'être redonné, mais j'y retrouve ces qualités et cette nouvelle méthode d'écrire un opéra. Peut-être par faiblesse, manque de méthode ou de culture (?) au départ, mais le résultat ouvre une voie intéressante.
En tout cas une alternative plus viable auprès du public que l'opéra défragmenté, antiprosodique et antidramatique, qui prévaut chez beaucoup de compositeurs aujourd'hui (qui essaient d'assujetir le théâtre à leur style musical - ce qui est mal). Bien sûr, pas tous, mais le fait qu'un théâtre musical d'avant-garde cohabite avec un théâtre musical qui provienne du même héritage, mais se destine à une écoute plus facile et à un public plus large, me paraît très sain et stimulant. Les deux sont utiles, surtout s'ils existent simultanément.
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5. Et Domingo ?
Ah oui, puisque 95% des requêtes qui vont aboutir ici le seront vraisemblablement pour avoir de ses nouvelles : il va très bien. En tant que provincial jusqu'à une date encore fraîche (et pas spécialement à l'affût des "grandes affiches"), je l'entendais pour la première fois, et j'ai été frappé par son volume sans effort et son éclat (alors qu'il sonne désormais un peu lessivé en retransmission). Même avec l'imagination, on peine à se représenter l'électricité qu'il devait dégager il y a dix ans, sans parler des années 70 et 80... En l'état actuel, ça ne méritait sans doute pas l'ovation si insistante du public, mais eu égard aux services rendus et à l'énergie, malgré son record absolu du nombre de rôles abordés, pour en aborder toujours de nouveaux à son répertoire, y compris des créations...
La mise en scène de Ron Daniels, tout à fait littérale, ménage quelques beaux moments. D'abord l'effet de zoom lorsque la partie mobile du plateau s'approche du spectateur (effet qui est un peu trop répété par la suite), ensuite et surtout la très belle trouvaille de la projection, pendant les enregistrements des sons d'Italie, sur deux supports simultanément : le fond de scène, mais aussi le rideau translucide devant la scène, si bien qu'on éprouve l'impression de nager réellement dans cette eau, comme enfermé dans la projection - assez impressionnant. Nul doute que le procédé n'est pas neuf, néanmoins il était non seulement très à propos, mais surtout remarquablement réalisé.
Sinon, Jean-Yves Ossonce a fait ce qu'il a pu avec ses talents de phraseur lyrique pour tirer ce qu'il pouvait d'un fort bon Orchestre Symphonique de Navarre dans une partition pas toujours adroite (écriture en accords, peu contrapuntique, ce qui cordes aidant, crée l'impression de longs aplats à peine parcourus de colorations de cors...), le Choeur du Châtelet se révèle plein de relief, Cristina Gallardo-Domâs (Matilde Neruda) paraît un peu fatiguée (la voix s'est aigrie, et on lui confie désormais les rôles d'épouse, mauvais signe), Amanda Squitieri (Beatrice Russo) se révèle vaillante et maîtrisée malgré ses opacités et son timbre un peu dur, Patricia Fernandez (la tante Donna Rosa) tire le profit scénique d'un beau rôle de caractère (la seule "opposante", et gentille en plus) malgré une voix vraiment moche pour son âge, Victor Torres (Giorgio) sonne assez bien dans sa langue, moins fruste qu'à l'accoutumée, Laurent Alvaro développe toujours de façon plus impressionnante sa stature vocale (grosse projection), et en Mario Ruoppolo Daniel Montenegro (j'aurais choisir Charles Castronovo, mais l'alternance n'était pas indiquée et mes disponibilités étaient limitées) a un joli timbre un peu sombre, façon Castronovo, mais assez mal projeté, se diffusant réellement mal dans la salle - incarnation scénique en revanche de qualité.
Voilà, hop, tout le monde est servi.
Et la réflexion sur le genre opéra a gagné un peu de grain à moudre avec cette oeuvre.
Maeterlinck est surtout resté célèbre pour son Pelléas et Mélisande, grâce à la surface médiatique de Debussy, mais on associe souvent abusivement, de ce fait, sa poésie dramatique à un univers uniquement allusif.
Certes, le silence, les réseaux symboliques horizontaux, la puissance de l'imaginaire stimulé par les "blancs" dans ce que signifie le texte, tout cela y a le plus souvent sa part (si l'on excepte certaines pièces un peu hors de la norme comme son Oiseau bleu).
Néanmoins, dans d'autres pièces, et pour s'en tenir à l'opéra, dans les livrets pour Dukas et Février, il en va autrement. Le livret d'Ariane développe au contraire une succession d'actions et d'opinions très nettes, même si Maeterlinck ménage un assez grand nombre d'interstices. Il ne s'agit pas vraiment un poème dramatique chargé de représenter une vignette, une part de vie ou de réalité humaine, mais davantage d'un apologue plus ou moins clos pour lui même, qui amène une démonstration.
Evidemment, une démonstration façon Maeterlinck, avec tout ce que cela suppose de parentés avec les fromages savoyards.
Maeterlinck le considérait comme un libretto d'opéra féérique, sans prétention, et il est un fait que sa portée reste plus limitée que d'autres de ses ouvrages, malgré son très grand sens de l'atmosphère. Le titre complet nous renseigne au demeurant fort bien sur son caractère de fable : Ariane et Barbe-Bleue ou La Délivrance inutile. L'oeuvre a en effet tout d'une représentation, sur un mode à la fois allégorique et domestique, de la servitude-volontaire.
La différence serait encore plus flagrante avec Monna Vanna, puisqu'il y est question assez ouvertement de viol (l'épouse de Guido Colonna, gardien d'une place assiégée et clairement située géographiquement, dont se livrer nue sous un manteau au chef ennemi pour permettre de sauver la ville), et que les scènes d'amour ont quelque chose des bluettes sentimentales qu'on voyait sur les écrans en France dans les années trente, à coups de souvenirs nostalgiques d'enfances à la campagne.
Sans parler du final de transfiguration des amants : bref, la recette de Pelléas n'est pas unique chez Maeterlinck, même si plusieurs traits, en particulier dans l'expression verbale, perdurent.
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2. Une musique
Sans que je puisse m'expliquer tout à fait pourquoi, je rencontre toujours une grande difficulté à caractériser la musique de cette oeuvre, assez loin des habitudes de Dukas, et tout à fait singulière bien que parfaitement inscrite dans le courant des novateurs français de l'époque.
Le langage est tout à fait classable esthétiquement : on est dans ce postwagnérisme transcendé par le nouveau goût français, celui des opéras de Chausson, d'Indy, Lekeu, Debussy, Dupont, Fauré, Cras, Ropartz, Février... et dans un registre moins onirique (pour les sujets ou pour les musiques) les opéras de Bruneau, Lazzari, Magnard, G. Charpentier, Bloch, Hirchmann...
La lecture de la partition montre elle aussi beaucoup de similitudes avec Pelléas, montrant des alternances d'aplats - où tout passe par l'harmonie et l'orchestration - avec des tournures rythmiques plus complexes (notamment le goût pour les surpointés, les fusées qui ne démarrent pas sur le temps, et bien sûr l'alternance fréquente, voire la superposition, entre binaire et ternaire). Ici aussi, la déclamation est réinventée pour être la fois "vraie" prosodiquement (ce n'est pas tout à fait réussi) et liée à la musique, détachée des inflexions quotidiennes.
Pourtant, quelque chose (m')échappe dans cette oeuvre. Toujours tendue, continue, sombre, avec quelques rayons aveuglants de clarté (en symbiose impressionnante avec la question centrale du retour à la lumière dans le livret), mais si difficile à décrire : ça ne sonne pas comme du Wagner bien que ça hérite totalement de sa conception du drame (longues tirades, continuité absolue, prééminence de l'orchestre, "abstraction" de la prosodie avec des mélodies assez disjointes, invention continue de l'harmonie, expressivité majeure des timbres instrumentaux), ça ne sonne pas non plus comme du Debussy bien que ça en soit totalement parent (couleurs harmoniques, carures rythmiques, type mélodique, conception de l'orchestre, et même des citations de Pelléas[1]). C'est peut-être bien le versant français qui est le plus fuyant, plus difficile à organiser en critères vérifiables : au fond, on pourrait penser en en écoutant des extraits que cette musique est tout aussi bien allemande (pas si lointaine du Barbe-Bleue de Bartók non plus, dans l'invention et la chatoyance orchestre des ouvertures de portes).
Bref, la densité, la pesanteur de son ton ont quelque chose d'assez singulier, qui sonne homogène mais qui se trouve comme déchiré par différents moments toujours radieux et étonnants : l'ouverture des portes, l'amplification spectaculaire du chant des femmes prisonnières depuis le souterrain, quand la porte interdite est ouverte (un choeur toujours plus nombreux et toujours plus soutenu par l'orchestre), les apparitions de la lumière, l'entrée des paysans au III, et d'une façon générale l'ensemble de l'acte III (caractérisations de chaque épouse, ou encore la fin).
Une vraie personnalité là-dedans, même si, me concernant, j'avoue volontiers que cet opéra est, parmi la première partie de la liste (des postwagnériens "oniriques") que je proposais plus haut, bien moins prenant que la moyenne (au niveau de Pénélope de Fauré et d'Antar de Dupont, deux opéras dans lesquels je me laisse un brin moins transporter). Il me faut à chaque fois l'ensemble de l'acte I pour être réellement plongé dans l'oeuvre.
Mais il est vrai qu'ensuite, et à plus forte raison en salle, lorsqu'on débouche sur les folies musicales de cet acte III, nourri au demeurant par un livret qu'il épouse d'assez près... ce n'est pas une petite impression qui se ressent.
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3. Problèmes d'interprétation
D'abord, il faut dire le bonheur de tous les lutins du monde d'entendre cette musique en concert. Ceux qui s'y sont prêtés ne sauraient être assez remerciés.
Notes
[1] On entend bien sûr la citation du motif de Mélisande dans l'oeuvre de Debussy, dans la même orchestration, lorsqu'elle est présentée à Ariane, puis lors de l'éloge de ses cheveux, de façon plus ostentatoire aux cordes. On retrouve au passge quantité de liens dans le livret avec le traumatisme aquatique, le moment de midi... Mais on entend aussi à plusieurs reprises des motifs musicaux qui font songer aux entrées subites de Golaud aux actes III et IV, ou bien aux souterrains. La composition d'Ariane débute en réalité un an avant la création de Pelléas, commencé bien auparavant, d'où l'hommage évident et les influences sous-jacentes.
Tout à fait inutile, vu tout ce qui a été dit sur ces représentations en particulier et sur Wagner en général, mais je suis chez moi et je fais ce que je veux. J'aurai tout de même quelques remarques anecdotiques sur l'ouvrage et, concernant l'interprétation, un petit rectificatif à apporter sur ce qui a été dit sur Kerl.
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Sur l'oeuvre
Il est difficile, particulièrement en salle, de ne pas être frappé par les parentés avec les autres oeuvres de grande maturité de Wagner : lorsque Wotan s'éloigne au II, on entend le récit de Gurnemanz ("Titurel, der fromme Held"), lorsque Siegfried joue du pipeau, on entend la "trompette en bois" du final de Tristan, lorsque Siegfried arrive sur le rocher enchanté, on entend les violons rêveurs des Meistersinger.
Lorsqu'on entend l'oeuvre pour la première fois en salle, on est assez admiratif (indépendamment de l'incontestable complexification du langage harmonique et rythmique, de la sophistication de l'orchestration) de l'intégration bien plus fine des leitmotive, devenus très nombreux et constituant le discours plus qu'ils ne le ponctuent. Parfois simultanés, parfois évoluant de l'un vers l'autre... et donc la correspondance à tel ou tel concept n'est pas toujours aussi évidente qu'il y paraît !
Indépendamment aussi de la musique magnifique, je trouve tout de même ces opéras wagnériens trop longs : avec une telle densité, donner l'acte III seul suffirait tout à fait. Le poème de Siegfried étant de surcroît particulièrement lent (et mauvais...), on souffre un peu en contemplant l'art du ressassement de Wagner : typiquement, il ne développe jamais une idée, ne la fait pas miroiter, mais se contente de la rabâcher, pendant la scène entière, voire au delà.
On souhaite souvent, sur Carnets sur sol, que des raretés soient jouées. Mais de quoi parlez-vous, à la fin ?
Voici une petite liste de souhaits, limitée au domaine de l'opéra (sinon, c'était la mort du petit cheval) ; loin d'être exhaustive évidemment, mais elle peut donner une idée de certains pans totalement négligés du répertoire, alors même qu'on ne joue que quelques titres dans une période ou un style.
Les lutins locaux sont évidemment tout disposés à préciser la raison de leurs choix aux habitués comme aux visiteurs de passage.
LEGENDE :
| * : disponible au disque
| ** : il existe des enregistrements, hors commerce, auxquels j'ai eu accès
| *** : je n'ai aucun enregistrement, mais j'ai lu ou joué la partition
| **** : totalement indisponible, bandes sonores comme partitions (j'ai en revanche pu lire le livret dans certains cas)
Evidemment, il est toujours possible que la disponibilité d'enregistrements nous ait échappé... On peut opportunément nous le préciser en commentaire ou par courriel.
On parle beaucoup du sujet sur CSS, mais finalement, on n'a pas encore dressé de point de vue surplombant pour reclasser tous ces gens dans leur époque et leur style.
Voici donc une très rapide nomenclature, proposée sur un site voisin, avec un ton un peu informel.
Le chant a la particularité évidente d'être un instrument intégré au corps humain. Ce faisant, il ne peut être contrôlé visuellement comme toute autre pratique instrumentale. Et il pose donc des difficultés de perception et d'action sur ses mécanismes au chanteur débutant.
C'est pourquoi on se propose ici d'énoncer un petit vade mecum à destination du chanteur débutant, avec quelques conseils qui nous paraissent salutaires pour éviter les erreurs.
2. Préalable en forme d'avertissement
Tout ce qui est dit et écrit sur le chant l'est souvent sous la forme de vérités intangibles, partagées très honnêtement par celui qui les énonce, comme on le ferait pour un article de Foi. Il faut donc se défier de tout ce qui prétend résoudre tous les problèmes ou s'appliquer à tous les chanteurs. Il y a beaucoup de façons d'émettre un son correct, même à l'intérieur de la seule tradition opératique (qui se prétend très souvent supérieure aux autres, mais cet axiome est amplement discutable).
Ainsi, on va se limiter ici à donner des pistes de choses à éviter et de choses à faire, sans chercher à vendre une technique ou une vérité - que chacun recherchera ensuite selon sa physiologie, son tempérament, ses objectifs de répertoire, l'offre de cours de son secteur...
Ce sont de toute façon essentiellement des conseils issus d'observations empiriques qui se révèlent tout simplement de l'ordre du bon sens... mais qui ne sont pas souvent énoncés avant la prise de cours...
De surcroît, il est prudent, comme pour n'importe quelle autre source, d'appliquer cette défiance raisonnable aux préceptes mêmes qui seront proposés sur cette page. Et c'est bien ce qui est difficile en chant : on ne peut pas faire confiance à ses perceptions, mais on ne peut pas non plus faire (pleinement) confiance aux autres...
3. Puis-je travailler seul ma voix ?
Il est tout d'abord très fortement déconseillé d'apprendre seul. Il se trouve que les lutins sont totalement autodidactes (réellement : jamais aucun cours), mais c'était avec une assez ancienne fréquentation critique des enregistrements lyriques, des lectures de commentaires sur les techniques qui y sont utilisées, etc. Par ailleurs, la technique développée répondait à un besoin précis (lied et baroque français en particulier) qui ne nécessite pas la construction d'une grande machinerie très sonore. Pas sûr qu'on puisse faire aisément de même pour bâtir une voix wagnérienne opérationnelle dans de grandes salles.
C'est un chemin difficile et hasardeux, qui peut toujours être tenté lorsqu'on ne fait confiance à aucun professeur, mais qui ne peut échapper à la catastrophe qu'à condition d'avoir déjà une culture auditive de ce qu'est le son d'opéra émis sainement.
Bref, à moins d'avoir des exigences très précises ou d'habiter dans un lieu reculé où sévit un seul briseur de voix, prenez un professeur.
4. Ma voix est-elle exploitable à l'Opéra ?
Oui. Toutes les voix, même laides et microscopiques, peuvent devenir belles et bien projetées, avec parfois un timbre très différent de la voix parlée. Non pas qu'on puisse obtenir n'importe quelle voix avec chaque individu, mais les possibles sont larges (et généralement surtout limités par le choix initial du professeur...).
En revanche, les voix ont des limites naturelles :
Leur hauteur et leur étendue ne peuvent pas être complètement modifiées. On ne choisit pas d'être basse profonde plutôt que ténor léger, par exemple.
Leur caractère et leur volume sonore sont limités - typiquement, les grandes voix pour les répertoires les plus lourds sont souvent émises avec de grands résonateurs, c'est-à-dire qu'il est rare d'être capable de chanter Wagner si l'on fait moins d'1m65 et de 60 kilos (ou inversement d'avoir les aigus de la Reine de la Nuit en mesurant 1m85 pour 90 kilos).
Certaines habitudes de phonation et certaines caractéristiques physiologiques aident certaines voix, à travail égal, de produire des résultats bien plus probants. Il ne faut pas en déduire pour autant que parce qu'on a une voix à construire, on n'est bon à rien ; mais que certains organes soient plus prédisposés au chant lyrique, c'est un fait généralement partagé.
Si l'on ne cherche pas à outrepasser ces limites, tout est possible en réalité, selon le type de technique que l'on choisit d'adopter. C'est bien pour cela que le choix d'un professeur ne peut pas se faire à la légère : il oriente à la fois votre couleur vocale, vos aptitudes techniques et stylistiques, votre répertoire. Il vous ouvre des portes et vous en ferme d'autres.
5. Comment trouver un bon professeur ?
C'est la grande question. Mais un peu de méthode permet d'éviter quelques écueils.
=> Contrairement aux autres instruments, l'institution n'est absolument pas une garantie de qualité. Des professeurs de conservatoires réputés peuvent être catastrophiques tandis que des professeurs d'école de musique ou en cours particuliers peuvent être excellentissimes.
Ce n'est donc pas le critère discriminant, à part pour des raisons de carrière (le diplôme) ou de prix (les cours particuliers sont évidemment chers).
=> Il faut d'abord se demander ce que l'on veut chanter et dans quel contexte. Lully, Vivaldi, Bellini, Verdi, Wagner, le lied, la mélodie ? Le choix du professeur ne sera pas le même selon qu'on désire avoir un legato parfait ou une diction incisive, un timbre radieux ou une puissance dévastatrice.
Même chose, si l'on n'a pas d'ambition professionnelle, on peut se contenter d'une voix pas surpuissante pour chanter le grand répertoire dans son salon ou de petites églises. Il ne faut pas faire le même choix si l'on rêve de saturer Bastille.
=> Une démarche intéressante est de cibler des interprètes que l'on aime (si possible qui ont une bonne technique aussi !) et de faire quelques recherches sur leurs professeurs, de façon à voir chez qui ils ont acquis ce que l'on aime chez eux, cette conduite de ligne impeccable, cette diction merveilleuse, cette richesse de timbre ou cette franchise d'émission...
=> Dans le doute, il est peut-être (mais c'est purement une hypothèse personnelle) plus prudent d'aller voir un baroqueux (école française en particulier), qui posera quelques bases en respectant l'instrument et sans brusquer la voix, quitte à ensuite chercher quelqu'un d'autre pour amplifier le volume. On voit tellement de voix presque irrémédiablement grossies, tubées, blanchies, opacifiées...
=> Quasiment tous les professeurs se revendiquent de "l'authentique technique italienne". Dans la plupart des cas, si certaines bases sont communes, on reste assez loin de cette fameuse chimère (il existait de toute façon des techniques extrêmement disparates en Italie à l'époque du supposé Age d'Or...) et c'est purement un argument commercial. Se fier donc uniquement à son objectif de départ (qu'est-ce que je veux chanter et comment ?), et pas aux promesses de filiation, à part si ce professeur a réellement été durablement l'élève d'un autre professeur important.
6. Quels sont les préalables avant un premier cours de chant ?
Le cours de chant est un exercice difficile. Au début de l'apprentissage, l'instrument varie énormément selon les agressions extérieures (temps de sommeil, temps de parole dans la journée, stress, composition du dernier repas, taux d'humidité...). Quelques conseils pour en tirer parti.
=> Les chanteurs professionnels et les professeurs ne sont pas toujours cultivés sur leur art. Avoir une solide culture du chant lyrique (répertoire, techniques) et avoir une idée de ce qu'est une émission saine est très fortement conseillé pour ne pas se perdre. Car le professeur peut donner de mauvais conseils, ou fournir des images maladroites, ou d'excellents conseils appliqués de travers par son élève.
Il faut donc à la fois être suffisamment confiant pour suivre la route qu'il trace et suffisamment informé et critique pour ne pas croire que ce qu'il est dit est forcément la meilleure chose possible. Les chanteurs qui vénèrent leur professeur de chant sont rarement excellents. Et tous ceux qui ont un peu l'ambition de progresser en changent plusieurs fois...
Il serait peut-être même judicieux d'apprendre d'abord à écouter, de se faire une culture "vocale" avant que de pratiquer, quitte à repousser d'un an ou deux ses débuts.
=> Dans le même ordre d'idée, s'enregistrer très régulièrement (un micro à 5€ branché sur un PC suffit). L'idéal est même de s'enregistrer tout le temps, pour évaluer ou retrouver quelque chose qu'on a produit pour la première fois. Et cela évite la tension lorsqu'on branche exceptionnellement l'enregistreur.
On peut ainsi observer les évolutions positives ou négatives, effectuer des vérifications, retrouver des sensations. Et surtout juger de ce que l'on fait. L'enregistrement est impitoyable, et fait très mal à l'amour-propre la première fois. Mais il est le retour le plus lucide que vous puissiez avoir sur votre propre voix. Il y a certains paramètres, notamment la présence vocale (en particulier pour les voix de basse) qui ne sont pas restitués par le micro, mais l'essentiel (à commencer par le timbre et la justesse) est tout à fait audible.
On voit donc l'intérêt de disposer d'une culture du chant lyrique avant les cours, de façon à pouvoir se juger comme on jugerait un autre interprète, et à ne pas se laisser tromper par ses propres artifices.
=> Ne jamais essayer d'imiter un chanteur, d'enrichir ses sons ou de trafiquer sa voix : il est plus raisonnable de chanter en "voix naturelle" au début, comme de la chansonnette, proche de sa voix parlée, et laisser le professeur guider, plutôt que de vouloir "faire opéra" en tubant et engorgeant, si bien qu'on prendra de mauvaises habitudes difficiles à corriger malgré toute la bonne volonté de votre formateur.
C'est un défaut très commun que les professeurs ne demandent pas toujours à leurs élèves d'éviter : il y a une forme de pudeur à vouloir "faire opéra" dès le début - ce qui ne sert absolument à rien.
Quant à l'imitation d'un chanteur célèbre, elle peut être intéressante ponctuellement, munie d'un micro, pour essayer d'identifier ses "trucs". C'est la plupart du temps voué à l'échec, mais ce peut permettre de trouver des choses intéressantes chez soi. Mais ce doit rester un exercice de découverte, comme l'enfant qui fait des glossolalies, et surtout pas une voie de travail.
=> Plus pratique, une douche pour purifier les sinus et assouplir les muqueuses, ou un plat un peu gras (un peu de pâté ou de thon à l'huile sur deux tranches de pain font l'affaire), en évitant les mets acides ou sucrés, permettent au débutant de sentir son organe plus souple et libre. Ce genre de précaution devient inutile avec la technique, mais se révèle très rassurant lorsque l'élève est encore hésitant.
=> Avant de devoir prendre un cours ou chanter devant un public, chantez un peu la veille et chantez un peu le jour même, quelques heures plus tôt. Le fait d'être chauffé va permettre à l'instrument de répondre correctement aux sollicitations, plus efficacement que si vous ne vous chauffez qu'au moment de la séance.
=> N'essayez pas de chanter dans les heures qui suivent le réveil, ça ne fonctionne pas.
=> Demandez à votre professeur de ne chanter que dans des langues que vous maîtrisez parfaitement, à un niveau de natif. L'anglais (langue très "vocalique", souple et en arrière) et même le français (grâce aux nasales) sont particulièrement recommandables pour placer une voix.
L'immense majorité des professeurs imposent à leurs élèves des morceaux dans des langues que ceux-ci ne maîtrisent pas. Il faut absolument demander à travailler dans sa langue, quitte à chanter le même morceau en récupérant une vieille version traduite ou en bidouillant soi-même une traduction (voire en demandant ici même...) : on ne peut pas placer de façon stable les voyelles et l'articulation d'une langue qu'on ne maîtrise pas. C'est une absurdité du système à laquelle les professeurs ne sont pas très sensibilisés ; il n'y a pas de raison en revanche qu'ils s'opposent, pour la plupart, à une version traduite de leur morceau.
Plus tard, vous pourrez chanter dans des langues que vous maîtrisez moyennement (pas en-dessous, sinon c'est forcément moche), mais pour trouver ses repères, attendez un peu avant de chanter Mozart en allemand et Verdi en italien. On peut admettre une tolérance pour l'anglais, puisque son placement est assez confortable et conforme aux besoins du chanteur.
7. Quelles sont les bases à acquérir en priorité ?
Tout dépend évidemment de la méthode. Mais au cours des premiers mois (disons les deux premières années), vous devez acquérir plusieurs choses. La plupart des professeurs utilisent des images, qui peuvent être plus ou moins fluctuantes et interprétées assez différemment, n'hésitez pas à demander un peu de détail sur les données physiologiques en jeu, ce peut permettre d'avoir des repères plus stables.
=> Avant toute chose, chantez détendu. La tonicité est ensuite nécessaire, mais le préalable est toujours la détente, et tout le monde est d'accord sur ce point. Vous ne devez ressentir ni solliciter aucune constriction, aucun resserrement, aucune dureté dans votre acte phonatoire. Si vous chantez totalement détendu, même sans technique, la voix sonnera déjà agréable. Peut-être minuscule, instable, fausse... mais c'est déjà là le premier pas, qui conditionne tous les autres. Vous pouvez aussi vous accompagner de gestes souples en chantant, pour ne pas vous rigidifier. D'où le conseil de marcher un peu avant de pratiquer, pour bien détendre le corps.
=> Maîtrise du souffle. On parle du soutien du son. La respiration abdominale (le ventre se gonfle sans forcer et les épaules ne montent pas à l'inspiration, puis le ventre rentre doucement à l'expiration). C'est la respiration du nourrisson et du sommeil, celle qui permet, en "ouvrant" les côtes flottantes, d'avoir une assise pour tenir ses notes sans détimbrer ni détonner.
On peut s'entraîner, dans un premier temps, simplement à cordonner l'inspiration et l'expiration aux mouvements du ventre. C'est un exercice très apaisant de surcroît, utilisé dans les méthodes de relaxation.
=> Flottement du palais mou et relèvement de l'arrière de la langue. La partie mobile du palais doit se soulever (sans obturer les cavités nasales au niveau de la luette) pour créer une cavité de résonance, comme une voûte. Surtout, l'arrière de la langue qui obstrue la gorge doit se relever pour faire passer et résonner le son. C'est ce que veulent atteindre les professeurs en parlant de "patate chaude" ou de "balle de ping-pong" au fond de la bouche. La dernière image n'est pas mauvaise du tout.
De façon pratique, pour y arriver, n'hésitez pas à articuler votre son (je dirais même, pour que ce soit naturel, votre mot), de façon détendue, sans hésiter à bien ouvrir la bouche (le menton se décroche un peu vers le bas). Cela permet de libérer l'arrière de la bouche, de détendre les muscles et d'obtenir cet arrondissement. Vous pourriez penser par exemple à imiter les orateurs d'autrefois, avec leurs trémolos dans la voix, qui chantent presque en parlant : c'est ce placement qui change tout. [Précisons qu'il y a plusieurs écoles sur l'ouverture de la bouche, donc qu'on pourra vous dire des choses plus radicales ou tout à fait contraires, sans que ce soit forcément mauvais pour vous.]
=> Penser la verticalité du son. Pour bien résonner, le son doit passer vers les cavités nasales (sans pour autant sonner "nasal") avec l'ouverture de la luette, aussi penser le son comme partant depuis le bas du corps vers l'arrière du crâne peut aider à trouver un bon placement. Il y a des tas d'autres astuces et écoles, c'en est une facilement opérante pour le débutant, mais si votre professeur vous propose autre chose, il n'y a pas d'objection.
Les francophones peuvent s'appuyer sur le placement de leurs voyelles nasales pour sentir ce qui doit se passer sur toutes les voyelles.
=> Vous serez amené aussi à trouver la façon saine et efficace d'émettre chaque voyelle, qui ne sera pas forcément (et même probablement pas, sauf exception) celle que vous utilisez pour parler dans la vie de tous les jours. Prêtez bien attention aux configurations qui fonctionnent quand vous les rencontrez dans votre travail (émission aisée, belle couleur à l'écoute), c'est cela qui va vous permettre de bien chanter.
Par exemple, prononcer les [è] en s'appuyant sur le palais (quasiment [èy]) permet de les passer avec beaucoup de facilité, et l'effet n'en est pas vilain du tout. Tout simplement parce qu'ainsi vous localisez le [è] à l'endroit de la bouche où le rendement est bon...
Vous verrez aussi qu'il y a de multiples façon (pas toutes satisfaisantes) de négocier la voyelle difficile qu'est le [i].
Et évidemment ces choix de voyelles dépendent du degré de couverture de votre voix, du choix de répertoire, de la tradition vocale dans laquelle s'inscrit votre professeur. Ici encore, de multiples solutions, dont certaines ne sont pas très probantes, mais dont plusieurs sont différentes et pourtant valables !
=> Pour obtenir tout cela, en plus d'imiter les orateurs des temps anciens, vous pouvez aussi chanter comme si vous vous énerviez de façon exaltée : cela sollicite spontanément le soutien et aide à trouver les bons résonateurs, du moins en partie. C'est un chant un peu par à-coups, que vous pourriez essayer sur un récitatif un peu énervé, mais cela permet au début, à défaut de travailler son legato, de se découvrir des notes aiguës et de timbrer correctement des valeurs courtes. Souvent un bon point de départ.
=> Au début, il est sans doute souhaitable de privilégier la "connection" et l'harmonie détendue avec l'instrument, quitte à perdre en volume (et quitte à ne pas chanter trop haut dans la tessiture, dans un premier temps). Tant que le souffle et le soutien ne sont pas vigoureux, et que les résonateurs ne sont pas sollicités de façon sonore, il est plus raisonnable de chanter doucement avec son instrument, de façon à conserver le timbre et le positionnement sur le souffle. De cette façon, vous pouvez obtenir un beau timbre dès le début, et progressivement, au fil de l'amélioration de votre soutien, l'amplifier, sans le dénaturer : double garantie d'une voix agréable et d'une absence de forçage à toutes les étapes. [Evidemment, suivant le répertoire que vous visez, ce précepte qui fonctionnera très bien pour le baroque ou la mélodie sera insuffisant pour Wagner ou même Verdi.]
D'une manière générale, même accompagné par un instrument ou des instruments sonores, ne cherchez pas à chanter fort : avec la technique, le chant puissant se fait sans effort : si vous forcez pour chanter fort, c'est que vous chantez mal.
=> Demander à son professeur de travailler la voix mixte peut être un choix judicieux (s'il en est capable, ce qui n'est pas toujours le cas), puisque cela permet une plus grande facilité et clarté d'émission, et surtout facilite l'adaptation à de nombreux répertoires.
Par ce biais, on évite également de forcer et de se blesser, en travaillant en harmonie avec ses moyens et son instrument.
=> D'autres paramètres, comme la position des lèvres (en trompette ou libres) ou le décrochage de la mâchoire dans l'aigu (sans jamais pousser en avant le menton, mais certains le recommandent comme préalable et d'autres le limitent... chacun avec des exemples de bons résultats) dépendent intimement de la tradition de chant à laquelle vous vous conformerez. Il y a beaucoup de conseils sur ces questions, mais rien d'impératif en réalité.
8. Comment surveiller mes progrès ?
Quelques préceptes simples.
=> Vous enregistrer très souvent, on insiste. Ainsi vous pouvez comparer ce que vous dit votre professeur, ce que vous appliquez, et ce que cela produit. Songez bien que vous ne pouvez pas entendre votre propre voix à moins de vous enregistrer. Plus vous y serez habitué, plus vous pourrez observer votre évolution de façon pertinente. Pour éviter les surprises, faites vos prises autant que possible dans les mêmes lieux, avec la même position de micro (trop près ne permet pas de saisir la projection, trop loin gomme les défauts), et en les écoutant sur le même système de restitution. Sinon, on peut être victime d'illusions.
=> Sur ces enregistrements, surveillez en particulier le rapport timbre / fatigue. Vous devez obtenir un timbre agréable, sans sonorités parasites, et sans fatiguer. Certaines positions confortables sont moches à l'écoute, et certains effets agréables à l'oreille peuvent masquer des forçages.
=> Plus tard, vous pourrez vérifier à partir de vos sensations corporelles, mais ici aussi, pas de règles générales : selon la façon dont vous émettez, vous pouvez avoir une sensation de pureté ou au contraire de richesse du son...
L'auditorium du Musée d'Orsay donnait, il y a déjà quelques semaines, un programme absolument fascinant autour du Prix de Rome, à l'occasion de l'exposition consacrée à Jean-Léon Gérôme, sous l'intitulé contre-productif et courageux "l'académisme en musique". Si l'on a tardé à en faire état, c'est à cause de la vastitude des commentaires - et des projets - que ce concert appelle.
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1. Les académismes
Tout d'abord, pour prolonger l'allusion opérée en sous-titre par ce concert, il est amusant de noter que personnellement, si je suis très sensible à l'académisme en musique, je ne le suis pas du tout de la même façon en peinture. J'admire intensément Bouguereau, indépendamment de toute notion de bon goût, mais il est indéniable qu'il dispose d'une manière et d'une force toutes particulières. Les compositions sont souvent monolithiques, voire un peu fades, avec un décor réduit et des poses très affirmées, mais la puissance du trait et de l'expression a quelque chose qui fait écho avec les exaltations que peut procurer, par exemple, la lecture des vers de la Fin de Satan de Hugo. Un académisme, mais avec une forme de crudité maîtrisée assez singulière.
Il y a aussi des académiques qui peuvent paraître anecdotiques, mais dont la confrontation sur place avec la toile peut laisser une impression profonde. Il en va ainsi de la Rolla d'Henri Gerveix, si banal en reproduction, mais dont les blancs, vus en réalité, éblouissent intensément, comme si le jour de cette fenêtre portait un reflet à peine supportable sur cette chambre aux couleurs candides.
En revanche, Gérôme (comme beaucoup d'autres), que je n'ai à ce jour contemplé qu'en reproduction, est typiquement ce que je n'aime pas dans ce courant.
Pourquoi, alors, aimer la musique académique ?
La différence est assez simple, pour ne pas dire évidente. La musique est en soi un art abstrait, qui se réfère à des formes conventionnelles. Contrairement au langage, la musique s'exprime forcément avec un nombre fini de tournures : il existe un nombre illimité de rythmes de phrase et de couleurs d'assemblages de mots, mais le rythme de base en musique et surtout l'harmonie obéissent à des règles plus limitées. On a ainsi la mesure, qui oblige les rythmes à s'inscrire dans une durée prédéfinie et à chaque fois reconduite, ou les enchaînements harmoniques permis. Evidemment, le vingtième siècle a subverti tout cela, mais on pourrait discuter longuement du résultat sur la musique contemporaine : est-elle belle, intelligible, directe, profonde, émouvante ? Oui, dans certains cas... qui sont loin d'être majoritaires (et souvent le fait de compositeurs classés comme conservateurs).
En somme, la musique a toujours besoin de cadres précis, mais ne désigne rien en particulier. Un compositeur académique illustre une forme prédifinie, mais qui n'a pas de signifié traduisible en langage. Et un compositeur novateur apporte des nouveautés, des distorsions par rapport à un cadre "académique" préexistant. Par exemple Beethoven élargit la notion de développement, ou utilise de minuscules motifs très rythmiques comme thèmes pour toute une symphonie (le cas emblématique de la Cinquième...). Ou encore Wagner qui fait de nouveaux enchaînements ou ajoute des notes étrangères dans ses accords... ce qui crée des émotions auditives nouvelles par rapport aux accords que l'oreille était habituée à percevoir.
En revanche, la peinture figurative dispose toujours d'un signifié très facile à exprimer en mots : on peut décrire la scène, lire l'histoire du sujet représenté... C'est pourquoi l'académisme, en restant très proche d'une façon acquise de représenter ces sujets, a quelque chose de beaucoup plus littéral et pauvre que la musique, qui laisse finalement moins de place à l'équivoque et à l'imaginaire. L'académisme de la fin du XIXe siècle, l'Académisme pictural, a de plus une telle maîtrise technique que l'illusion presque photographique finit par aplatir le sujet lui-même : à force de se rapprocher d'un certain réalisme, l'art perd son rôle d'esthétisation.
Bien entendu, cela souffre de grandes nuances, parce qu'il existe en réalité beaucoup de choses qui font que les "pompiers" célèbres ont souvent leur caractère propre, qui s'éloigne à dessein de la pure illusion mimétique.
Mais en musique, les compositeurs classés comme académiques ou pompiers (Hérold, Meyerbeer, Mendelssohn, Saint-Saëns, Alexis de Castillon...) se révèlent très souvent pourvus de qualités assez personnelles. Saint-Saëns se montre au besoin un imitateur très spirituel comme dans Henry VIII ou un innovateur post-wagnérien inspiré comme dans Les Barbares[1].
Plus encore, chez les académiques français, on remarque un sens de l'humour assez développé, une forme de distance permanente qu'entretien le compositeur d'opéra avec ses personnages, qui empêche l'empathie totalement sérieuse. Et ce n'est pas seulement lié à Scribe, on le trouve dès le début du XIXe siècle, chez Hérold par exemple. C'est évidemment moins sensible chez ceux qui pratiquaient d'abord la musique de chambre, et en particulier les allemands...
Bref, l'académisme n'a pas tout à fait le même sens dans les deux disciplines. Et, de toute façon, ce qui fait tout le prix de ces artistes est toujours la petite marge malicieuse d'originalité qu'ils s'autorisent, une forme de mot d'esprit ou de clin d'oeil d'autant plus sensible qu'il s'inscrit dans une oeuvre cohérente et prévisible.
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Et on était donc très intéressé par le concept, surtout que l'infamie que l'on fait désormais porter sur les académiques empêche la publication, faute d'acheteurs, de ces oeuvres du Prix de Rome. La disparition du concours, désormais remplacé par l'attribution institutionnelle d'une bourse sans épreuves, a ajouté à sa confidentialité - il faut déjà être un peu cultivé pour voir de quoi il retourne.
Depuis le romantisme, la doctrine du créateur-démiurge a de toute façon rejeté l'idée d'un art fait de codes permanents : seul les novateurs sont des grands (ils le sont souvent, mais ils ne sont pas les seuls à l'être !), et cela a aussi abouti à cette coupure avec les publics au cours du vingtième siècle. A force d'innover pour eux, les artistes ont en quelque sorte devancé la culture commune, mais de beaucoup trop loin pour être suivis ! D'autant qu'en musique ne se pose pas la difficulté de l'abstraction vs. figuralisme... simplement il faut que l'émotion qu'apporte une couleur harmonique (le Moyen-Age vivait bien la tierce comme une dissonance !) évolue pour que l'appréciation du public puisse suivre...
Dans le prochain épisode, on parlera plus précisément du programme de la soirée.
Notes
[1] L'oeuvre n'a jamais été enregistrée - sauf par nos soins, mais trop imparfaitement pour être publiée, à ce jour -, mais les Symphonistes Européens en donneront le Prologue à Lille début 2011, apparemment avec Mathieu Lécroart en récitant ! Ce sera un rendez-vous à ne pas manquer.
Pour une fois, une nouveauté toute fraîche et (presque) grand public sur CSS. Un mot sur ce récital très attendu.
La peine de mort devrait être rétablie (après avoir dûment déchu de nationalité) pour ceux qui confient la photoshopisation des joues de ténors aux stagiaires préposés au touillage décaféiné.
Les lutins n'aiment pas le principe même du récital, qui sélectionne généralement les mêmes airs de bravoure hors contexte, souvent des moments musicalement et textuellement assez faibles, et qui empêchent par leur isolement toute adhésion au drame. Des suites de vignettes souvent dans le même caractère de plus, car suivant la thématique du récital, on retrouve le même type de tournures (tout simplement parce que l'air est un format prévu pour entrer dans un tout dramatiquement et musicalement cohérent, avec la plupart du temps des formes canoniques).
Avec tout ce qu'on attend désormais de Jonas Kaufmann, champion de la transversalité stylistique avec à la fois une très grande intelligence de la langue, de la psychologie, du phrasé, et une grande présence vocale, on ne pouvait qu'être juste satisfait, voire déçu.
Pourtant, les craintes d'un objet un peu lisse ou monotone, comme les extraits vidéos de ce studio, qui faisaient entendre un vibrato un peu élargi, n'étaient que de vaines fausses alertes.
En effet, il est difficile de trouver :
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1) Un récital d'opéra aussi cohérent et audacieux.
On a déjà expliqué ici les ambiguïtés de ce qu'on appelle le vérisme, qui est littérairement parlant une réplique italienne du naturalisme français, mais qui englobe musicalement tout le postverdisme, avec une expression lyrique dotée de longues lignes assez straussienne (mais jamais interrompues) et un raffinement harmonique, un usage des motifs récurrents qui héritent directement de Wagner.
On répugne généralement à y impliquer Puccini, et même chacun fait tout pour exempter son champion de cette étiquette souvent vécue comme péjorative : pour les amateurs de voix qui constituent l'immense majorité des amateurs d'opéra italien, la "tradition vériste" est celle d'excès peu subtils dans les effets vocaux - sanglots, cris, accents sous forme d'élévation des notes écrites...
Néanmoins, cette école postverdienne et postwagnérienne est stylistiquement assez homogène. On peut en exclure Ponchielli qui dispose encore d'une grammaire assez stable et verdienne et n'est pas encore imprégné de ce lyrisme straussien, mais Catalani, Leoncavallo, Mascagni, Cilea, Zandonai, Respighi, Alfano peuvent en de larges mesures y être apparentés. Même si certains sujets sont historiques, même si certains aspects tiennent parfois de la conversation en musique, même si certains de leurs opéras échappent à ce style (par exemple I Medici de Leoncavallo, d'un raffinement assez proche des recherches allemandes et françaises sur le timbre, l'harmonie et même le soin du livret).
Dans ce disque, qui exclut Puccini, c'est donc le postverdisme dans son acception la plus large (incluant même Ponchielli) qui est sollicité, bref tout l'opéra "fin de siècle" italien, y compris le wagnéro-inspiré Boito (mais finalement pas si différent de la grammaire des autres).
Alors que ces ariosos (ce ne sont pas des airs à reprise et ils sont courts, s'insérant dans le flux dramatique, à la wagnérienne) sont généralement peu propices au récital, leur choix, leur agencement et l'interprétation maintiennent l'intérêt vif de bout en bout.
Vous trouverez dans cette notule beaucoup de liens vers des développements autours des sujets ici abordés (sur les oeuvres et sur la technique vocale).
A partir de la représentation du mardi 21 septembre 2010, sous le haut patronage de R. D.-W.
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Il est toujours difficile de revenir sur une oeuvre particulièrement chère et riche. On peut se contenter, donc, de rappeler que le Hollandais Volant constitue une prolongation de l'esthétique du premier romantisme. Si vous écoutez l'Ouverture du Vampire de Marschner, antérieure d'une dizaine d'années, vous serez frappé non seulement de la construction thématique identique (ouverture pot-pourri brillante, alternance comme dans l'ouverture française du Grand Opéra ou chez Weber et même chez certains italiens, comme le Nabucco de Verdi, de thèmes lents et vifs tirés de l'opéra, et s'achevant dans une cavalcade assez spectaculaire et jubilatoire), mais également des parentés mélodiques et harmoniques, la couleur d'ensemble étant profondément identique. Le fantastique des deux sujets n'est pas sans lien non plus avec un goût d'époque (Der Freischütz, Robert le Diable, Der Vampyr, Hans Heiling...), et certaines figures qui paraissent peut-être audacieuses si l'on a écouté que Weber sont en réalité déjà présentes chez Marschner, en particulier les orages.
[Si vous pouvez écouter Günter Neuhold dans cette oeuvre, c'est lui qui rend le mieux cette filiation. Elle était néanmoins assez audible mardi soir chez Schneider, très grand interprète de Fidelio.]
Mais cette oeuvre ne peut être résumée à ses origines allemandes, on y entend aussi certains traits italiens, en particulier son goût du lyrisme (les doublures de violoncelles dans le duo Senta / Hollandais), et surtout les deux airs d'Eric, de véritables cantilènes belcantistes, avec gruppetti, longues lignes, accompagnements en arpèges brisés.
[Pour s'en convaincre, l'enregistrement de Woldemar Nelsson est idéal, la filiation italienne est poussée assez loin avec beaucoup de bonheur.]
Et cependant, comme déjà Les Fées, mais à un degré infiniment supérieur, la partition dépasse de loin tout cela. Bien sûr, elle continue à adopter une intégration musicale des récitatifs (et non pas des dialogues comme dans le Vampyr), mais ce n'est plus sous forme de récitatif assez sec et dépouillé, servile prosodiquement. Ce sont de véritables ariosos, au moins aussi performants que les récitatifs de Meyerbeer, et même encore plus intégrés et musicaux. La frontière entre "numéros" et récitatifs devient ainsi très ténue.
L'usage des motifs lui aussi se révèle profondément novateur. Grétry utilisait déjà la caractérisation instrumentale (le trio de flûtes attaché aux récitatifs du personnage d'Andromaque) ; pour les personnages Meyerbeer a été l'un des premiers à utiliser des motifs récurrents très nets, avec leur orchestration attachée (pizz et timbales sur un accord majeur égrené pour Bertram dans Robert le Diable). Wagner pousse la chose plus loin : le motif devient structurant pour l'ensemble de la musique. Certes pas avec la plasticité et la complexité qu'il acquerra dès Tristan, mais à un degré finalement supérieur à Tannhäuser et Lohengrin. Le motifs ne s'attachent plus véritablement à des personnages, plutôt à des entités ou des idées (le vaisseau fantôme, la Rédemption...). Et c'est sans cesse que l'on entend les appels du vaisseau, qui émergent d'autres musiques (la fin de la chanson du Pilote, le choeur des marins fêtards à l'acte III). Le motif n'est pas simplement cité, il imprègne la musique dans son ensemble.
D'une façon plus générale, le raffinement musical, le spectaculaire très réussi des figuralismes maritimes (mais très denses musicalement, leur intérêt ne se limite pas du tout à de l'imitation de la nature), les surprises se rencontrent ici à un degré assez rarement atteint par n'importe quel autre compositeur d'opéra à cette époque - Meyerbeer y compris.
[La version Böhm exalte beaucoup cet aspect innovant en donnant à la partition une dimension qui excède largement l'opéra romantique germanique.]
Enfin, la tension continue du livret et son équilibre rendent le résultat totalement enthousiasmant, et en permanence - où sont les tunnels ?
Un exemple est assez frappant : ses scènes de genre sont à la fois pittoresques, amusantes et très reliées au drame. Les fileuses faussement anecdotiques mettent ainsi en avant la singularité de Senta et son attente d'un autre genre, plus sombre et inquiète.
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La soirée a de toute façon été merveilleuse en entendant une oeuvre de ce calibre servie à haut niveau. Je suis par ailleurs en désaccord avec la plupart des commentaires que j'ai pu lire, parfois le fruit de souhaits un peu épidermiques ou alors plongés de considérations assez idéologiques (quand un vieux chanteur doit se retirer, par exemple).
Je vais donc tâcher de m'en tenir à ce qu'on pouvait constater, et non pas à ce que l'on aurait pu souhaiter : si on m'avait confié la distribution, clairement, je n'aurais pas embauché les interprètes des trois rôles principaux et sans doute aurais-je même choisi un autre chef - il est toujours possible (et naturel) de rêver mieux que l'excellence qu'on a déjà.
Suite à cette question très bien vue d'un fidèle lecteur, T-A-M de Glédel, revenu aux sources de la partition de Robert le Diable :
Nonnes qui reposez, pour basses ?
Je n'avais jamais percuté, mais en regardant la partition ce soir, c'est idéal pour baryton (Ramey est tellement sombre que ça paraît plus grave)... La fin de l'air, c'est quoi la note ? Je n'ai pas l'envolée sur ma source!!
... on propose une petite réflexion sur la distinction entre tessitures à la seule lecture (en particulier dans l'opéra français du XIXe siècle), et aussi quelques précisions sur la réelle version écrite (et jamais exécutée) de la fin de cet "air" (plutôt une "scène" ou un "arioso", toujours cette porosité des "numéros" chez Meyerbeer).
On pourrait en dire autant de la fin de "Rachel, quand du Seigneur" dans La Juive d'Halévy, dont la dernière ligne mélodique est toujours octaviée pour plus d'effet.
(Alors un des côtés de la pierre se soulève lentement, entraînant ses remblantes attaches de lierre, laissant pendre des cheveux d'herbe, et, de l'ombre humide du trou de Robinson, on voit sortir à demi un Flambeau mystérieux et cocasse, l'uniforme verdi, les moustaches pleines de brindilles, le nez terreux, l'oeil gai.)
FLAMBEAU, tout en soulevant la pierre, entonnant d'une voix
sépulcrale le grand air du dernier succès de l'Opéra
Plus que les Huguenots, c'est Robert, le premier opéra français de Meyerbeer, qui est resté dans les mémoires. Pourquoi diable, et où cela, au juste ?
Retour sur le contenu, mais aussi sur le contexte de Robert et de l'oeuvre de Meyerbeer.
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1. Les Huguenots, le chef-d'oeuvre de Meyerbeer
Bien que Robert ait eu le prestige, Les Huguenots est cependant son oeuvre qui a été la plus jouée et enregistrée, avec justice d'ailleurs : de tous ses ouvrages, c'est celui où l'inspiration musicale est la plus variée et la plus constante, absolument aucune baisse de tension et un livret qui est sans doute aussi le chef-d'oeuvre d'Eugène Scribe. Un sens de la danse permanente, partout des modulations (ce qui est alors fort rare), des formes à "numéros" [1] toujours ponctuées d'ensembles et très bien intégrées aux récitatifs, ces récitatifs étant extrêmement mélodiques et cependant parfaitement justes prosodiquement, du lyrisme non dépourvu d'humour... Chaque acte a sa couleur propre (festif au I, bucolique au II, pieux et tempêtueux au III, éclatant et lyrique au IV, sombre et menaçant au V), ce qui est également très rare à cette époque. Et même très rare en règle générale : les compositeurs les plus doués parviennent à varier leur coloris d'une oeuvre à l'autre (le champion absolu en étant Massenet), mais on a rarement vu des actes aussi finement "typés".
Les Huguenots sont tout simplement, ne serait-ce qu'eu égard à leur date, un jalon majeur de l'histoire de l'opéra, par leur originalité et leurs richesses. Et cela, quoi qu'on puisse lire par ailleurs sur le prétendu pompiérisme ou la vacuité de la partition : ce sont des affirmations qui attestent souvent, pour l'une qu'on n'a pas perçu les audaces musicales ni l'humour, pour l'autre qu'on n'a jamais lu la partition et pas souvent entendu de Rossini, de Verdi ou de Gounod.
[Evidemment, il va sans dire qu'on peut tout à fait légitimement ne pas aimer Meyerbeer, mais ces procès sont souvent commis par des gens qui ne l'ont guère écouté ou qui s'appuient sur des arguments plus politiques - un symbole bourgeois...]
Dans les autres oeuvres majeures de Meyerbeer en français (Robert, Le Prophète, Dinorah ou Le Pardon de Ploërmel[2]), on rencontre de grandes fulgurances, mais aussi des moments plus convenus ou plus plats musicalement. Clairement, Les Huguenots mérite sa fortune scénique et discographique.
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2. Mais dans la culture commune ?
En dépit de tout ce que nous avons dit, c'est Robert le Diable qui hante les mémoires. Il y a plusieurs raisons à cela.
Première étape allemande
Meyerbeer était à l'origine un pianiste doué et admiré dès le jeune âge (des concerts à sept ans), formé notamment par Muzio Clementi, puis en puis en composition par Carl Friedrich Zelter (la parenté est réellement intéressante...). A l'âge de vingt ans (1811), il commence à présenter ses quatre premières oeuvres lyriques (en allemand : un oratorio, un opéra deux sinspiele), mais elles n'obtiennent aucun succès malgré ses voyages (après Berlin, Vienne, Paris, Londres...).
La strate italienne
Il se rend finalement en Italie (possiblement sur les conseils du bon Salieri). C'est là qu'il entend Tancredi de Rossini, une révélation pour lui. Il écrit alors force ouvrages dans le genre de l'opera seria romantique (six opéras), avec ses formes closes (récitatif totalement utilitaire et airs très développés) et sa vocalisation d'agilità e di forza ("agile et puissante"), qui contraste avec les moirures certes virtuoses du XVIIIe siècle. Clairement de la littérature pyrotechnique, dont l'intérêt n'est pas toujours très élevé [3].
Néanmoins, il otient un véritable succès en 1826 avec son Crociato in Egitto ("Le Croisé en Egypte"), qui le voit joué partout en Europe.
L'aboutissement parisien
Rossini quittant l'Italie pour venir composer à Paris, Meyerbeer profite de sa propre programmation au Théatre-Italien en 1827 pour suivre les pas de son modèle.
A l'exception de la parenthèse 1842-1847 où il est appelé à diriger l'Opéra de Berlin (nommé directeur général de la musique de Prusse !), composant un singspiel (Ein Feldlager in Schlesien : "Un camp en Silésie") et programmant Wagner (Rienzi et Der Fliegende Holländer), Meyerbeer demeure à Paris et élabore très longuement ses ouvrages. Qu'on en juge : 1826-1831 pour Robert le Diable, 1832-1836 pour Les Huguenots, 1835-1849 pour Le Prophète, 1849-1854 pour L'Etoile du Nord (version française du Feldlager écrit en 1843-1844), 1854-1859 pour Le Pardon de Ploërmel (renommé Dinorah lors de la première révision, incluant des récitatifs à la place des dialogues parlés - pour Londres) et 1837-1864 pour L'Africaine ! Un rythme très inhabituel pour un compositeur professionnel, mais ses succès parisiens étaient tels qu'il pouvait se permettre ce soin sans risquer l'indigence (avec seulement deux opéras-comiques, dont un adapté d'un singspiel précédemment composé et l'autre révisé en comédie lyrique ; et quatre "Grands Opéras").
Conséquences
Robert le Diable est donc le premier jalon d'une période de triomphe qui n'a que peu d'équivalents dans l'histoire de la musique. C'est sans doute pour cela qu'il frappa tellement l'imagination.
L'Apothéose de Meyerbeer, entouré des personnages de ses quatre drames sérieux pour Paris : Nélusko et Sélika pour L'Africaine, Robert et Bertram dans Robert le Diable, en train de boire à l'acte I(Alice en Jeanne d'Arc derrière ?), Jean de Leyde et les trois anabaptistes (Jonas, Zacharie et Mathisen) dans Le Prophète, enfin Valentine et Raoul qui semblent dans la seconde moitié de l'acte IV des Huguenots, mais Marcel l'épée au repos laisse penser qu'il s'agit du mariage informel de l'acte V. Si ce n'est pas de la vénération, peindre un tel tableau !
Par ailleurs, cette première pièce française du compositeur remporte en elle-même un triomphe dont les auteurs rapportent qu'il n'eut guère d'équivalent dans l'histoire du spectacle lyrique.
Il n'est pas douteux non plus que la matière elle-même a impressionné fortement les contemporains, avec son sujet non plus seulement historique, mais aussi fantastique - et pas du merveilleux biblique, mais plutôt du fantastique moyenâgeux, assuré non pas par la main salvatrice de Dieu (comme dans Moïse et Pharaon de Rossini en 1827 d'après la version italienne de 1818 ou Nabucco de Verdi en 1842), mais pas les démons contre les hommes. Si le sort de Robert reste incertain, celui de Raimbaud, parti gaîment se damner à l'acte III, n'est tout simplement pas traité, et laisse craindre le pire.
Causes endogènes
Comme ce sera plus tard le cas de façon encore plus saisissante pour Les Huguenots, chaque acte dans Roberta sa couleur propre (ce qui est nouveau et qu'on retrouvera moins nettement dans ses drames ultérieurs). Les actes impairs sont dévolus à la question de l'enfer et du salut (actes de Bertram), les actes pairs à l'amour (actes d'Isabelle).
I : Scène de jeu dans un camp médiéval, avec ses allures dansantes et babillardes, ses défis, ses exactions.
II : L'espérance d'un amour malheureux.
III : Scènes infernales.
IV : L'amour forcé.
V : Victoire des forces angéliques.
Chaque acte est donc extrêmement typé. Mais les liens d'unité restent forts, car Meyerbeer utilise quelques motifs récurrents. Certains n'ont rien de spécialement nouveau, ils servent d'écho (Bertram reprend des thèmes pour rappeler des souvenirs à Robert). En revanche, on y trouve des choses qui annoncent le leitmotiv, et donc c'est, à titre personnel, la première occurrence que j'aie rencontré dans le répertoire que j'ai pu parcourir.
Il n'apporte pas encore de sens comme ce sera le cas à partir du Wagner de la maturité (qui est le premier à lui faire jouer un rôle de complément indispensable au livret - c'est peu le cas avant Tristan et Rheingold), mais contrairement aux échos thématiques qui pouvaient exister ponctuellement chez les compositeurs antérieurs (on trouve de ces citations déjà dans les récitatifs de Serse de Haendel, en 1738 !), Meyerbeer attribue à ce motif :
un lien avec un personnage : Bertram a son motif très reconnaissable (allers-retours d'arpège en majeur), qui accompagne chacun de ses mauvais conseils à Robert ;
une orchestration précise : cordes en pizzicato[4] et timbales, ce qui procure une impression d'étrangeté assez saisissante (le procédé est furieusement original à cette date, et même Berlioz osera peu ce genre de nudités, cet espèce de squelette sonore) ;
une récurrence forte, sur plusieurs actes ;
une irradiation de toute l'oeuvre : dans le grand air de l'acte V (Je t'ai trompé, je fus coupable), on réentend ces figures de pizzicato mêlés à des arpèges majeurs, sans que le motif soit textuellement cité.
On ne tire pas un sens profond de cela, mais cette identité musicale marque la première pierre du leitmotiv.
Par ailleurs, Meyerbeer est un très grand orchestrateur, l'un des tout premiers à utiliser les couleurs (et textures, témoin l'alliance pizz / timbales !) instrumentales pour soutenir le drame. Ce n'est plus simplement un solo de violon, de trompette, de hautbois ou de clarinette, comme on en trouvait au XVIIIe siècle, pour dialoguer avec le soliste vocal, mais réellement une recherche de couleur, de climat. C'est très perceptible par exemple à l'arrivée d'Alice à l'acte III, où les bois seuls parlent, sans réelle assise grave, donnant l'impression du frémissement de la forêt et du silence relatif qui entoure la fiancée abandonnée. Et ce sera encore plus vrai avec l'usage de la clarinette basse, instrument sans doute pour la première fois soliste, seule dans tout l'orchestre pendant cinq bonnes minutes au dernier acte des Huguenots !
A part les ébouriffantes Variations sur la Follia d'Espagne de Salieri (1815), je ne vois pas d'exemple semblable, à cette date, d'usage de l'orchestre comme une ressource de coloris brut.
Les figures rythmiques aussi caractérisent fortement, sous forme de danses imaginaires ou stylisées, les différences sections (valse infernale, figures lancinantes dans le grave des menaces de Bertram à Alice...). C'est l'une des forces de Meyerbeer, son drame bondit toujours, y compris physiquement.
Le tout culmine évidemment à l'acte III, avec son alignement de morceaux de bravoure et son atmosphère incroyable. En 1831, qui était préparé à entendre cela ! Ceux qui avaient un peu fréquenté l'opéra allemand, certainement (dès 1821, le Freischütz de Weber utilise des recettes fantastiques semblables, puis bien sûr le Vampyr de Marschner en 1828). Les amateurs d'opéra-comique et d'opéra italien, sans doute pas du tout.
On trouvera donc dans cet acte :
Un duo bouffe entre le fiancé d'Alice et le démon de l'histoire.
Valse infernale et air de Bertram (le démon révèle alors être le père de Robert), avec vocalisation et aigus spectaculaires, suivi d'un interlude en forme d'orage (très belles harmonies).
Un air élégiaque d'Alice, suivi d'un duo avec Bertram puis d'un trio attacca[5] avec Robert. C'est un peu la partie molle de l'acte, plus contemplative et statique, moins riche musicalement.
Un duo patriotique exaltant où Bertram pousse Robert à dérober une relique magique.
Invocation des nonnes damnées par Bertram. Puis levée des spectres : sans voix, tout est fondé sur le rythme deux croches / blanche, avec des pizzicati aux cordes graves et entrecoupés de duos de bassons solos. Enfin intervient le ballet des nonnes damnées, assez joyeux, mais plutôt mystérieux, une sorte d'exultation infernale, auquel se mêle la pantomime de Robert, tour à tour courageux, effrayé et enfin séduit par la danseuse principale, jusqu'à commettre le sacrilège. Enfin le choeur infernal en coulisse hurle sa joie.
C'est ce dernier ensemble qui a le plus fortement marqué l'imaginaire, on en voit bien la dimension spectaculaire.
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3. Qu'en reste-t-il ?
Représentations intégrales
Robert, plus encore que les Huguenots remontés très épisodiquement, a totalement disparu des scènes depuis le milieu du XXe siècle, avec l'internationalisation du répertoire (qui supposait bien évidemment la disparition de certains titres "locaux"). On pourra bien citer quelques exceptions, comme ses exécutions au Festival de Martina Franca (2000) et au Staatsoper de Berlin (2001), mais globalement, plus rien depuis très longtemps.
Il faut dire qu'en plus de la mauvaise réputation de ces oeuvres, renforcée par la malignité de certains envieux (à commencer par le proverbialement ingrat Wagner), cela coûte cher puisqu'il faut beaucoup de décors, beaucoup de personnages, beaucoup de répétitions - et que la majorité du public rechigne à des spectacles trop longs (parce qu'il faut alors débuter avant le repas ou finir après les derniers bus). De leur côté, les "experts" (selon les cas, on peut ou non y inclure la critique) tempêteront si on leur coupe telle ou telle partie qu'ils jugent importante.
Beaucoup d'investissement pour un retour un peu hypothétique, donc. Mais on a déjà exposé plus en détail tout cela.
Discographie
Autant la discographie des Huguenots, parsemée d'intégrales indisponibles, existe, autant celle de Robert est des plus réduites.
Sanzogno 1968 : Version en italien, bien chantée, mais archicoupée (et en dépit du bon sens, y compris des moments très valorisants et "faciles").
Fulton 1985 : Tiré des représentations de Garnier, avec une splendide distribution (Anderson, Lagrange, Vanzo, Ramey). Joué avec esprit et une grande exactitude dans le style et les couleurs d'un répertoire dont Fulton était un brillant spécialiste. Soirées électriques, dont il existe aussi un témoignage, assez différent mais tout aussi intéressant, avec Rockwell Blake (alternant avec Alain Vanzo). Souvent épuisé et souvent réédité chez divers labels plus ou moins officiels (en ce moment, c'est Gala qui est disponible).
Palumbo 2000 : Les représentations de Martina Franca. Plutôt bien chanté dans l'ensemble, malgré un Robert pas très élégant (Warren Mok), mais l'orchestre n'est pas un premier choix et la captation en plein air rend tout un peu sec. Tout à fait convenable, mais pas très exaltant : on perd beaucoup du climat, on entend tout d'un peu loin.
Il existe aussi une captation des représentations berlinoises de 2001 (Minkowski), mais elle est uniquement publiée par des labels pirates en ligne qui ne reversent pas de droits aux interprètes, je le crains - et aussi je m'abstiendrai de les indiquer. De toute façon, elles sont correctes mais un rien tièdes.
On constate aisément l'état de délabrement avancé (et d'accessibilité toute relative) de l'héritage. Dans le commerce, on ne trouve couramment que Palumbo en fin de compte, qui ne rend pas tout à fait justice aux beautés d'écriture de la partition.
Souvenirs visuels
Ce qui nous reste, c'est donc, déjà, l'image. Car si vous feuilletez un ouvrage qui parle de Meyerbeer ou effectuez une recherche en ligne, vous serez immédiatement confronté à la célèbre gravure du ballet du troisième acte de Robert qui se trouve également... au frontispice de Carnets sur sol ! (Les lutins l'ont simplement inversée pour des raisons esthétiques et un peu retouchée.)
C'est même une image qu'on emploie souvent pour évoquer l'Opéra de Paris au XIXe siècle (alors situé salle Le Peletier). Il faut admettre qu'elle a une certaine allure, qu'elle a souvent été reproduite, qu'elle évoque un épisode important, et qu'elle évoque toute une esthétique à elle seule.
(Il existe aussi un tableau de Camille Roqueplan, plus anecdotique, représentant la seconde partie de l'acte IV des Huguenots, on a dû le mettre en illustration d'une autre notule. Le voici.)
Souvenirs littéraires
Ce succès rend Robert quasiment proverbial, au même titre que Rachel-quand-du-Seigneur se substitue chez Proust au prénom seul sous l'influence du succès de La Juive d'Halévy.
Ensuite ils prièrent [Mme Bordin] de leur désigner un morceau.
Le choix l’embarrassait. Elle n’avait vu que trois pièces : Robert le Diable dans la capitale, le Jeune Mari à Rouen, et une autre à Falaise qui était bien amusante et qu’on appelait la Brouette du Vinaigrier.
Gustave Flaubert, Bouvard et Pécuchet (1881), chapitre V (celui dévolu à la littérature).
Dans le village de Chavignolles, cette veuve, propriétaire de terres, qui ne songe qu'à obtenir la parcelle des Écalles par tous les moyens, n'a vu qu'une seule pièce de théâtre "sérieuse" et à Paris : Robert le Diable (nous sommes dans les années quarante du XIXe siècle, elle a donc dû assister à une représentation des premières années). Moment éclairant sur l'aspect absolument central de cette oeuvre dans la culture lyrique, musicale et théâtrale française.
La juxtaposition saugrenue avec le commentaire positive sur La Brouette du Vinaigrier ne fait qu'accentuer l'impression que cette oeuvre appartenait à la culture commune, et que chacun, du moins au delà d'une certaine élévation sociale, était susceptible de la voir, quand bien même il n'aurait eu aucune idée des règles et enjeux qui y sont mis en oeuvre.
Plus encore, Mme Bordin découvre juste avant ces lignes Phèdre de Racine, et affirme immédiatement après notre extrait « on sait ce qu'est un Tartuffe » - sans avoir, manifestement, lu la pièce. Aussi, Robert (avec tout ce que cela peut contenir de moqueur évidemment) constitue ici la seule référence littéraire, et de façon plausible, dans le domaine du théâtre de prestige. Voilà qui est frappant (à défaut de prouver quoi que ce soit) sur sa place singulière - les auteurs utilisent récurremment Robert comme le type même de la pièce à succès que tout le monde va voir. Et c'est rarement fait avec une grande tendresse, d'abord pour les besoins des oeuvres (l'opéra n'y étant qu'un lieu ou une référence qui sert de support à l'intrigue), mais aussi en raison du statut de référence académique de Meyerbeer, déjà considéré de son vivant (et malgré son succès démentiel) avec circonspection, représentant l'ordre établi (alors même que les livrets de Scribe sont assez subversifs par certains aspects) - ce qui n'est jamais très sympathique à des romantiques.
Bref, une citation qui confirme, l'air de rien, la place singulière de Robert dans l'imaginaire collectif.
Au passage, les ressources de la recherche numérisée permettraient d'opérer, d'une façon peu coûteuse en temps, une recherche à large échelle pour mesurer la façon dont l'oeuvre resurgit dans les textes du temps et d'après.
De plus, son imaginaire fantastique prête plus aisément au trouble du romanesque que l'Histoire-fantaisie des Huguenots.
On a déjà vu comment Georges Rodenbach dans Bruges-la-Morte (1892) fait naître le trouble à partir d'une ballerine qui interprète Hélène, l'abbesse damnée qui entraîne Robert au sacrilège. On perçoit d'emblée, et plus encore à la lecture, tout l'intérêt symbolique que peut en retirer un romancier.
Cependant l'orchestre venait d'entamer l'ouverture de l'œuvre qu'on allait représenter. Il avait lu, sur le programme de son voisin, le titre en gros caractère: Robert le Diable, un de ces opéras de vieille mode dont se compose presque infailliblement le spectacle en province. Les violons déroulaient maintenant les premières mesures.
Hugues se sentit plus troublé encore. Depuis la mort de sa femme, il n'avait entendu aucune musique. Il avait peur du chant des instruments. Même un accordéon dans les rues, avec son petit concert asthmatique et acidulé, lui tirait des larmes. Et aussi les orgues, à Notre-Dame et à Sainte-Walburge, le dimanche, quand ils semblaient draper par-dessus les fidèles des velours noirs et des catafalques de sons.
La musique de l'opéra maintenant lui noyait les méninges; les archets lui jouaient sur les nerfs. Un picotement lui vint aux yeux. S'il allait pleurer encore? Il songeait à partir quand une pensée étrange lui traversa l'esprit: la femme de tantôt qu'il avait, comme dans un coup de folie et pour je baume de sa ressemblance, suivie jusqu'en cette salle, ne s'y trouvait pas, il en était sûr. Pourtant elle était entrée au théâtre, presque sous ses yeux. Mais si elle ne se trouvait pas dans la salle, peut-être allait-elle apparaître sur la scène ?
Profanation qui, d'avance, lui déchirait toute l'âme. Le visage identique, le visage de l'Épouse elle-même dans l'évidence de la rampe et souligné de maquillages. Si cette femme, suivie ainsi et disparue brusquement sans doute par quelque porte de service, était une actrice et qu'il allait la voir surgir, gesticulant et chantant? Ah! sa voix? serait-ce aussi la même voix, pour continuer la diabolique ressemblance – cette voix de métal grave, comme d'argent avec un peu de bronze, qu'il n'avait plus jamais entendue, jamais ?
Hugues se sentit tout bouleversé, rien que par la possibilité d'un hasard qui pourrait bien aller jusqu'au bout; et plein d'angoisser il attendit, avec une sorte de pressentiment qu'il avait soupçonné juste.
Les actes s'écoulèrent, sans rien lui apprendre. Ii ne la reconnut pas parmi les chanteuses, ni non plus parmi les choristes, fardées et peintes comme des poupées de bois. Inattentif, pour le reste, au spectacle, il était décidément résolu à partir après la scène des Nonnes, dont le décor de cimetière le ramenait à toutes ses pensées mortuaires. Mais tout à coup, au récitatif d'évocation, quand les ballerines, figurant les Sœurs du cloître réveillées de la mort, processionnent en longue file, quand Helena s'anime sur son tombeau et, rejetant linceul et froc, ressuscite, Hugues éprouva une commotion, comme un homme sorti d'un rêve noir qui entre dans une salle de fête dont la lumière vacille aux balances trébuchantes de ses yeux.
Oui! c'était elle ! Elle était danseuse ! Mais il n'y songea même pas une minute. C'était vraiment la morte descendue de la pierre de son sépulcre, c'était sa morte qui maintenant souriait là-bas, s'avançait, tendait les bras.
Et plus ressemblante ainsi, ressemblante à en pleurer, avec ses yeux dont le bistre accentuait le crépuscule, avec ses cheveux apparents, d'un or unique comme l'autre...
Saisissante apparition, toute fugitive, sur laquelle bientôt le rideau tomba.
Hugues, la tête en feu, bouleversé et rayonnant, s'en retourna au long des quais, comme halluciné encore par la vision persistante qui ouvrait toujours devant lui, même dans la nuit noire, son cadre de lumière... Ainsi le docteur Faust, acharné après le miroir magique où la céleste image de femme se dévoile !
(Fin du troisième chapitre.)
Et puis on trouve aussi ce même moment-culte dans cette parodie de l'invocation des nonnes damnées qu'on citait pour commenncer. L'ancien grognard Flambeau, agent de conspirateurs français pour faire revenir un Napoléon sur le trône impérial, cherche à faire fuir le duc de Reichstadt. Lors du bal, il s'est dissimulé dans une infractuosité du jardin autrichien dont il avait été question aux actes précédent. Il y parle donc depuis "sous terre", avant de ressusciter comme l'abbesse Hélène, d'où la charmante plaisanterie.
Il se trouve que l'épisode est parfaitement en situation, puisque Robert est créé en 1831, et que le Duc meurt de la tuberculose en 1832 (et sa mort se produit peu de temps après sa tentative d'évasion). Pour plus ample propos sur cette pièce, on peut se reporter à cette notule.
Mais de quel air parlez-vous ?
Précisément, cet air est celui qui survécut à l'oubli, et aujourd'hui encore, les jeunes basses le chantent en récital et les chanteurs célèbres l'enregistrent. Il faut dire que c'est facile, spectaculaire et très valorisant. Pour mémoire, le voici par les forces du Lutin Chamber Ensemble, il nous avait servi à tester l'incorporation de vidéos sur le service YouTube.
Oui, il figure plusieurs fois à la suite, pas nécessaire de tout vous infliger. C'est dommage, j'ai coupé la suite avec la procession des Nonnes, cela vous obligera à aller jeter une oreille au disque.
Non ? Vous êtes trop épuisés par cette longue notule ? Alors voici (oui, je suis très gentil, on me le dit souvent).
Thomas Fulton dirige l'Orchestre de l'Opéra de Paris en 1985.
C'est ce passage aussi (Invocation et Procession) qui est parodié par Korngold, en en explosant le matériau dans un bref instant de Die Tote Stadt, opéra inspiré du roman de Rodenbach. On en avait détaillé le procédé ici, avec tous les exemples musicaux nécessaires.
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4. Ebauche de conclusion
Avec cela, vous avez déjà un petit panorama et une explication de la fortune de Robert le Diable, premier opéra français de Meyerbeer, aux qualités musicales inédites, au sujet assez saisissant. Sa place chronologique et son caractère onirique expliquent pourquoi, alors qu'il n'est plus guère joué, et pas forcément le plus estimable des Meyerbeer, il demeure très présent dans un certain imaginaire collectif, essentiellement au travers de la fin spectaculaire de son acte III.
Et on espère que la balade, suscitée par l'envie de partager ces quelques métamorphoses (et de lire, pour une fois, du bien de Meyerbeer, quitte à l'écrire soi-même...) vous aura diverti.
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5. Prolongements internes
Quelques autres entrées autour de Meyerbeer sur CSS :
Autour de Robert le Diable :
Parodie de Robert dans La Ville Morte de Korngold.
Et, d'une façon générale, beaucoup de correspondances avec les autres Grand Opéras étudiés dans la catégorie appropriée.
Notes
[1] Les moments musicaux forts, qui s'opposent aux récitatifs plus sobres pour faire avancer l'action. Ce sont les airs, duos, trios, quatuors, choeurs censés communiquer des émotions ou faire briller les solistes. On les numérotait sur les partitions (et on les vendait ensuite en fascicules séparés), d'où leur nom.
[2] L'Etoile du Nord est assez faible et L'Africaine souffre d'un esprit de sérieux assez pénible, sans que la musique, certes assez recherchée, soit tout à fait la hauteur. Quitte à faire prétentieux, Wagner soutient son projet. Par ailleurs, Meyerbeer n'ayant pas pu retoucher son oeuvre après les représentations, les tunnels ou faiblesses auraient peut-être, comme il l'avait toujours fait, été rectifiées à l'épreuve de la scène, avant impression.
[3] A ce propos, je précise cependant que je pense quasiment la même chose de certains Rossini de la même esthétique, et qu'il faut donc relativiser, peut-être, mon sentiment à ce sujet. Toutefois Il Crociato est assez loin d'une certaine forme de grâce et de mélancolie présentes dans La Donna del Lago, on est plus proche de la glottolalie monumentale de Semiramide, sans le moment extraordinaire du songe d'Assur.
[4] Pizzicato : Pincement avec les doigts d'une corde d'instrument à archet.
[5] Attacca : Enchaîné sans pause. C'est-à-dire qu'ici Robert survient dans le duo sans que celui-ci ne se soit interrompu.
Passionnés depuis longtemps, comme en témoignent ces pages, par Zampa, les lutins qui peuplent ces augustes lieux se sont enfin plongés, tout récemment, dans la partition.
Le final de l'acte II (dont nous allons tirer beaucoup d'exemples) dans son entier, afin de juger sur pièces.
La place de la clarinette dans la partition et la parodie de Don Giovanni. (On en avait déjà observé une dans le Vampire de Marschner, voir à l'acte IIa.)
Et, à la lecture, donc, on est frappé par maint détail. Non pas que l'oeuvre soit novatrice évidemment, mais elle témoigne d'un raffinement véritablement rare à cette époque, qui la rapproche grandement de l'esprit de Meyerbeer, son contemporain (1831 pour Zampa).
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1. Le livret
La gentille dérision du librettiste Mélesville sur ses personnages, bien sûr, en particulier le jeune premier (chose fréquente chez Scribe), qui a toujours quelque chose d'un peu maladroit, de presque gracieux par sa candeur malhabile. C'est ici difficile à justifier par le livret, c'est plus en sentiment diffus que pour Raoul qui se ridiculise devant la reine ou Jean de Leyde qui s'égare dans ses engagements politiques ; mais tout de même, le malheureux Alphonse qui se méprend sur l'amour qu'on lui porte et insiste comme un niais en acculant l'aimée à l'aveu bien franc, manière de compenser l'incapacité absolue de son amant à décrypter des allusions limpides - c'est assez amusant. Et dans un contexte qui n'est pas tragique comme dans Callirhoé (où Agénor semble aussi quelque peu enrhumé du cerveau), on en sourit gentiment ici, ainsi qu'en quelques autres occasions, surtout si les dialogues parlés favorisent un peu la bonne humeur.
Camille Roqueplan (1803-1855), Valentine et Raoul, représentation du duo de l'acte IV. Conservé au Musée des Beaux-Arts de Bordeaux, mais je n'ai étrangement jamais pu le voir... Autant dire que ce chef-d'oeuvre n'est pas vraiment l'image de marque la plus prestigieuse qui puisse être.
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2. Rythmes, harmonies, orchestration
Et surtout la qualité d'écriture musicale. Hérold écrit une musique très modulante et expressive. Les carrures rythmiques régulières n'empêche pas d'oser, comme chez Mozart, des choses un peu décalées, du procurent du rebond ou du caractère aux différentes sections : un certain nombre de figures ne débutent pas sur le temps par exemple.
Et plus que tout, de pair avec l'évolution des sentiments, Hérold ménage sans cesse des modulations (c'est-à-dire des changements de tonalité de référence, donc de couleur), ce qui n'était pas utilisé à l'époque à ce rythme effréné. Cela explique la variété de ce que l'on entend, et qui ne lasse pas comme peuvent le faire d'autres oeuvres du même caractère, mais beaucoup plus linéaires (on en trouve chez Grétry, Spontini, Rossini, Cherubini notamment).
On allie ainsi le rythme virevoltant à la progression émotive, ce qui est très exaltant à l'arrivée.
En tout cela, on rejoint grandement le souci d'écriture de Meyerbeer. Le Pré aux clercs, le seul autre opéra de Hérold à peu près disponible (au moins en partitions, on en trouve facilement en occasion - parce que pour les disques, c'est franchement une autre histoire), dispose de qualités semblables et d'un soin tout particulier au climat des accompagnements à l'orchestration pourtant excessivement simple, mais n'a pas l'envergure musicale, il me semble, de l'écriture de Zampa (qui, précisément, est plus complexe dans ses figures d'accompagnement et plus soigné dans le choix des couleurs orchestrales).
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3. La bizarrerie de l'orgue
L'acte II se termine par une longue séquence d'orgue (une à deux minutes), seul, des accords ad libitum et sans mesure mais de plus en plus brefs, avec des couleurs harmoniques assez étonnantes, pas vraiment consonantes, vraiment menaçant comme peut l'être l'union d'une jeune amante forcée au mariage par le terrible corsaire. L'orchestre se contente de conclure très brièvement ensuite.
Ce passage solo constitue une rupture assez inacoutumée. Autant Verdi pourra trente ans plus tard lui faire débuter un acte dans La Force du Destin, autant lui faire conclure brutalement un acte, et avec ce degré d'instabilité dans le discours musical, c'est vraiment étonnant.
Cela entre de toute façon dans la logique d'une imbrication assez meyerbeerienne des différents "numéros" normalement bien isolés. La structure des morceaux canoniques (l'air de Zampa du début de l'acte II par exemple) est d'ailleurs assez fantaisiste, avec beaucoup de sous-parties et d'évolutions, sans nécessairement les habituelles reprises destinées à équilibrer le tout.
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4. La voix de Zampa
Enfin, l'écriture même du rôle-titre a quelque chose de très surprenant, que je ne crois pas avoir vu dans aucun autre opéra. Selon les moments, et au sein du même "numéro" si nécessaire, la portée peut être en clef de sol (pour ténor, donc jouée à l'octave inférieure) ou en clef de fa !
Où l'on voit que Zampa, dans cet opéra où les quatre rôles masculins importants sont tous ténors, peut tenir la ligne qui est harmoniquement la basse de l'accord. Tout cela pourrait pourtant être noté aisément en clef de sol. Pour les lignes les plus basses, Hérold prévoit qu'un choriste peut tenir dans certains ensembles réduits le rôle d'un Corsaire basse.
On peut même rencontrer ces changements de clef pour des airs, comme ici à la fin de l'acte I.
Le rôle lui-même est extrêmement exigeant, évoluant du sol grave (sol 1, la limite basse pour un baryton), au contre-ut (ut 4, la limite haute pour un ténor, à part formats vraiment léger), et un contre-ut qui doit être aisé, exécuté au fil d'une vocalise. On trouve même deux mesures contiguës où les deux notes extrêmes sont sollicitées !
A l'acte II.
Ce n'est donc pas un baryténor (le ténor grave de Licinius dans la Vestale, chantable par un baryton), mais bien un véritable ténor avec une extention grave hors du commun - beaucoup de moments expressifs se trouvent sous l'ut 2 (la limite basse pour un ténor est le si bémol 1, et l'ut 2 est déjà peu audible en règle générale).
Mais la démarche d'alterner les clefs est vraiment surprenante, signe d'une réflexion plus que superficielle sur la composition - c'est une initiative que les aligneurs de notes n'auraient pas forcément songer à appliquer.
Bref, ceux qui ont sifflé Richard Troxell lors des premières représentations de la production à l'Opéra-Comique, parce que son timbre était un peu métallique et pas celui d'un oiselet bellâtre (ce qui était, on l'aura compris, aussi absurde dramatiquement qu'impossible vu la typologie du rôle), ceux-là étaient non seulement des goujats, mais en plus des imbéciles.
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En somme, la lecture de la partition réservait encore quelques surprises très favorables sur le soin d'écriture de ce petit bijou. Il faudra bien un jour publier un disque de cela, tout de même. Lorsqu'on songe qu'on a quelques Adam pas tous prioritaires, tellement de Messager en doublon, et toujours pas un Hérold ! (Je ne vais même pas parler des intégrales des Sonates pour piano de Beethoven, ce serait déloyal.)
N.B. : Bien que nous disposions de plusieurs versions, pour des raisons pratiques tous les extraits sont tirés de la version Christie radiodiffusée lors de la première série (mars 2008) de représentations à l'Opéra-Comique, dont voici la distribution commentée. (Une seconde série, avec Jaël Azzaretti remplaçant Patricia Petibon et Noël Lee remplaçant Bernard Richter, a eu lieu au même endroit en décembre 2008, mais n'a pas été captée pour la radio.)
C'est en tout état de cause une version superlative, ce qui ne nous laisse pas trop de regrets sur ce choix dicté par la logistique.
(Cette notule comprend des illustrations musicales inédites.)
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1. Un symbole
Emile Paladilhe (1844-1926) fait partie de ces compositeurs français de premier plan en leur temps précipités dans l'oubli par la prédominance mondiale des oeuvres germaniques (ou italiennes pour l'opéra), et des esthétiques qui leur son attenantes. Aussi, le 'goût français', pour le romantisme (et surtout pour la période suivante d'une puissance imaginative et qualitative qui n'a que peu d'équivalents), est-il désormais peu intégré par les musiciens et les auditeurs, qui les jouent et les jugent souvent à l'aune des canons germaniques.
On juge cette musique invertébrée formellement, on juge son goût du figuralisme et du 'programme' vulgaire. C'est évidemment se méprendre comme juger un opéra de Lully à l'audace harmonique ou un opéra de Verdi à la complexité orchestrale.
On l'a déjà abordé à propos du répertoire de piano français, totalement absent des salles de concert (à l'exception de Gaspard de la Nuit de Ravel et des Préludes et Images de Debussy - et encore, de façon assez peu fréquente) : la musique germanique privilégie la structure, l'invention purement musicale ; la musique italienne est d'abord sensible à l'évidence de la mélodie et la gloire des lignes vocales ; la musique française, elle, privilégie avant tout l'évocation et les climats. Il s'agit donc de suggérer des images poétiques, sans chercher nécessairement la cohérence, l'innovation ou la 'pureté'.
C'est aussi dans cette perspective qu'il faut considérer les opéras français, où le texte a souvent plus d'importance qu'ailleurs, jouant d'égal à égal avec la musique. Parce qu'on en attend des inventions musicales structurelles (il y en a pourtant, mais à un niveau de détail et moins dans la macrostructure peut-être) ou de l'osentation vocale, on peut en être déçu. Et le public qui n'a plus l'occasion d'y être exposé ne peut de toute façon que s'en détourner.
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2. Qui ?
Emile Paladilhe, à peu près oublié, dont il n'existe à peu près rien au disque (l'oratorio des Saintes-Maries de la Mer doit être à peu près la seule mono(disco)graphie consacrée à ce compositeur, réduit à une piste ici ou là) était pourtant une figure centrale de la musique française du dernier quart du XIXe siècle. Inité très tôt à l'orgue à Montpellier dont il était originaire, il se rend dès neuf ans à Paris et obtient (personne ne fit mieux) le Premier Prix de Rome à seize ans. On le signale aussi comme ami de Bizet. Tout cela trace le portrait, en dépit de tout ce que l'auditeur déconnecté des exigences stylistiques qui prévalaient alors pourra dire, d'un grand technicien de la composition.
Il est inutile de se répandre en détails superflus sur un catalogue qu'on ne peut de toute façon écouter. Signalons simplement qu'en tant que compositeur de prestige, Paladilhe composait essentiellement de la musique lyrique : opéras, oratorios, mélodies (dans des genres assez variés). Il a bien entendu écrit aussi de grands poèmes symphoniques et de la musique de chambre surtout destinée à l'exécution brillante en concours.
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3. Patrie !
Patrie (avec ou sans point d'exclamation) est l'oeuvre la plus célèbre de Paladilhe, la seule, à dire vrai, qui ait conservé un rien de présence dans l'esprit de la postérité. Ce fut son plus grand succès, un des opéras les plus populaires en France jusque pendant la première moitié du vingtième siècle. Créée en 1886 à l'Opéra de Paris, elle utilise le livret de deux grands littérateurs dramatiques de l'époque, Victorien Sardou (père premier de Tosca) et Louis Gallet (qui a bien réussi et bien raté, selon les cas [1]).
Dans Patrie, tout se fonde sur le modèle du Grand Opéra à la française : cinq actes, contexte historique, personnages nombreux, scènes de foule, numéros obligés, récitatifs très soignés créant une douce continuité entre des "numéros" très intégrés (souvent entrecoupés de récitatifs, peu isolables ou moins mémorables mélodiquement que les récitatifs), présence d'humour, etc. C'est un Grand Opéra moins malicieux, moins vocal, plus solennel que celui de Meyerbeer - on se situe à l'époque de Mermet, Salvayre et Reyer. Les ballets à cette époque sont aussi sensiblement réduits à néant.
Le sujet lui-même ne doit pas être pour rien dans le succès. Il conte à front renversé par rapport au Don Carlos de Schiller, du Locle, Méry et Verdi l'histoire de l'insurrection des Flandres espagnoles : cette fois-ci non vu depuis la puissance dominante (même si cette révolte était exaltée), mais de l'intérieur. Un groupe de gentilshommes flamands décide de restaurer une République pour les sauver de la cruauté de la loi martiale des reîtres d'Ibérie. Ils se réunissent dans l'ancien Hôtel de Ville, chez le sonneur Jonas (basse bouffe), sous l'impulsion du noble Rysoor (baryton héroïque), plein d'idéaux et de désintéressement (une sorte de Posa à l'âge mûr), incarnation du sublime et moteur de l'action tout à la fois.
Il découvre cependant que sa bien-aimée le trahit avec son compagnon d'armes Karloo (ténor lyrico-dramatique). Lors de la grande réunion de l'acte IV où ils font sonner les cloches, ils sont tous pris par le gouverneur (le duc d'Albe, basse noble), trahis par la seule qui savait. Rysoor fait alors jurer vengeance à Karloo (sauvé par la fille du gouverneur) qui a contracté cette immense dette morale à son égard.
Et tout ce que je puis préciser, c'est que Karloo est un garçon bien obéissant, qui nous procurera un final dans le goût du Trouvère, où l'exécution de ses amis concorde avec celle, hors de la place publique, de la femme traîtresse.
Après la défaite de 70, on peut imaginer quelles émotions pouvaient susciter à Paris la représentation d'une tentative d'affranchissement malheureuse.
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4. Extraits
Les gloires du chant du début du vingtième siècle ont cependant, comme pour Reyer, laissé quelques extraits fameux : l'air patriotique de Rysoor (extrait de la scène de préparation de la révolte, au début de l'acte IV), et la bénédiction du corps de Jonas par Rysoor à la fin du même acte, une fois tous prisonniers et voués à la mort.
Dans les extraits maison que je propose ici, on entendra la scène patriotique dans son entier (avec l'introduction orchestrale, les échanges entre personnages puis le grand arioso patriotique qui lance la révolte), ce qui est une première mondiale en enregistrement. Et on commence avec un extrait de l'acte I, lui aussi jamais enregistré, et même jamais rejoué depuis la dernière représentation de Patrie, il y a désormais... longtemps.
Le langage de Paladilhe est simple, il se caractérise par des lignes assez épurées, à la fois mélodiques et sobres, sans rengaines ostentatoires, et sans recherche de complexité. Le soin apporté au récitatif est constant, et les airs sont plutôt des ariosos fondus dans la continuité dramatique. Orchestralement, on imagine quelque chose de pas toujours délicat, mais les harmonies simples et expressives, et parfois discrètement raffinées, font vraiment du beau travail pour susciter l'adhésion (témoin le choral sans doute aux cuivres qui débute la scène patriotique présentée ci-après).
Comme de coutume, j'inclus un extrait de ce qui précède pour nous mettre dans l'atmosphère et ne pas créer l'illusion de "numéros fermés", même si cette scène a une cohérence propre.
Un ténor de caractère, La Trémoille, un français bien pimpant (dans le même registre d'autocaricature que ce qu'on trouve dans Le Roi malgré lui de Chabrier) est en visite aux Pays-Bas espagnols, à l'occasion du carnaval. (On entend un extrait de la fin de son air.) Il rencontre son ami Rysoor (baryton héroïque), noble néerlandais et patriote. Celui-ci lui propose alors un récit dont la parenté, aussi bien thématique (dans le texte) que musicale, est frappante avec la grande description de Rodrigue de Posa dans Don Carlos. Avant plus ample commentaire, en voici le texte :
RYSOOR
Oui, c'est le Carnaval ! Cette place où naguère
Retentissaient les chants joyeux, le choc des verres,
Est pleine de bandits - sûrs de l'impunité,
Et tels que des corbeaux dévorant la Cité !
Oui, l'Espagne triomphante,
Rorte des maux qu'elle enfante,
Prend racine à notre seuil,
On nous tue, on nous fusille,
Il n'est pas de famille
Que l'on n'ait mise en deuil.
Pour affirmer sa puissance,
La ruine est partout - et partout le gibet !
Tout soldat est bourreau, certain de la sentence :
Pourvu qu'il tue, il peut tuer comme il lui plaît !
Voilà la sanglante tuerie
Que promènent sur notre sol
Les oppresseurs de la patrie !
Voilà le Carnaval que nous fait l'Espagnol !
LA TREMOILLE
Quelle horreur !
Nous sommes ici au tout début de l'acte I (qui débute d'ailleurs sans Ouverture), et on repère d'emblée certaines références évidentes à Don Carlos. Rodrigue dit ainsi :
Cette paix ! La paix du cimetière ! ...
Est-ce la paix que vous donnez au monde ?
Vos présents sont l'effroi, l'horreur profonde !
Tout prêtre est un bourreau, tout soldat un bandit !
Le peuple expire, il gémit en silence,
Et votre empire est un désert immense
Où le nom de Philippe est maudit ! Oui, maudit !
On décrit la même région (et Patrie est le côté "application pratique" de l'affaire), et on est presque littéralement dans les mêmes termes. Musicalement aussi, on retrouve le tumulte suggestif à l'orchestre, un peu moins moderne chez Paladilhe que dans la refonte du duo par Verdi après l'échec napolitain de 1871. Plus encore, le chromatisme descendant et ascendant est presque totalement identique, avec les trémolos en plus, au moment du bannissement d'Eboli par Elisabeth de Valois, à l'acte IV.
Par ailleurs, sur le langage de Paladilhe lui-même, voyez avec quel naturel de l'affirmation presque badine "Oui, c'est le Carnaval" on progresse vers les paroxysmes (avec des fa#3 [2] qui 'claquent' à répétition) - à la fois la montée de l'horreur de l'évocation et l'augmentation de l'indignation patriote de Rysoor. La déclamation respire toujours amplement, jusque dans les séquences les plus oppressantes, et l'éclat conserve toujours une certaine noblesse d'expression, quelque chose de presque hiératique. On est loin de l'expression très expansive et mélodique des Italiens, assurément. D'autant plus que l'orchestre ne fait pas qu'accompagner, mais ponctue vraiment de façon personnelle, colore aussi. Et l'harmonie change au fil des émotions : sans être révolutionnaire du tout, elle ne se laisse pas deviner, si bien que le tableau dressé par Rysoor laisse toujours en haleine. Un large récitatif qui est tout autant un morceau de bravoure que pourrait l'être un air.
Et tout l'opéra se tient à ce niveau.
Qu'on se rassure, on y rencontre aussi du cantabile[3], mais clairement pas autant que de la déclamation.
Notre séquence suivante est témoin de tout cela.
=>
Ici, avant la révolte (manquée), Rysoor rêve, en haut du beffroi où ils vont sonner l'heure fatale, au monde qui s'ouvre à eux. C'est le véritable héros de l'opéra puisque le ténor (Karloo) est terni par ses penchants séducteurs qui vont précisément trahir Rysoor - et les perdre tous deux à leur tour.
Après le choral énoncé dans le médium grave par les cuivres (et repris dans le médium aigu par les flûtes) - à en juger par l'écriture de la particelle (au piano seul, donc des déductions) -, les conspirateurs entrent sur une monodie [4], conduits par le sonneur Jonas, qui leur montre les lieux, et notamment la salle du Conseil où les figures de pierre de leurs aïeux ont été décapitées. Karloo survient, annonçant les derniers préparatifs ; Rysoor invite chacun à prendre courage, et contemplant les lieux, rêve au glorieux passé qui va se réveiller, avec pour signal les cloches : Cette cloche qui sonne, c'est l'appel déchirant d'une mère à ses fils !
La scène se clôt avec la dispersion feutrée et l'encouragement doucement protecteur de Rysoor, s'achevant sur la reprise du choral, sans doute s'éteignant aux cordes.
Un des très beaux moments de l'opéra.
En voici tout de suite le texte :
JONAS
Par ici ! Doucement !
UN NOBLE CONSPIRATEUR
. . . . . . . . . . . . Où sommes-nous ?
JONAS
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Chez moi !
Chez mes cloches ! Ici, l'escalier du beffroi ;
Là-haut, la salle où nos seigneurs de la commune
S'assemblaient autrefois. Sous ce rayon de lune,
Les voilà tous, voyez, là, couchés sur le sol -
Décapités par l'infâme espagnol !
CHOEUR DE CONSPIRATEURS
Quel abandon ! Quel funèbre silence !
RYSOOR
Mes amis, patience !
Un nouveau soleil va resplendir sur nos fronts !
Dormez, morts glorieux, dormez - nous vous éveillerons !
KARLOO
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Tout va bien. Dans Bruxelles
Dix mille hommes armés attendent notre appel.
J'ai prévenu Kornelis, Bakerseel.
Plus de chaînes, partout j'ai fait libre passage !
RYSOOR
Ainsi donc, l'heure est proche ! Ah, mes amis - courage !
[Récitatif introductif]
C'est ici le berceau de notre liberté ! [5]
Ici, nos pères ont fondé ces lois,
Que nous allons défendre !
Je crois les voir toujours et je crois les entendre
Dans ces lieux où battait le coeur de la cité.
[Arioso]
Plus sinistre est la nuit, plus joyeuse est l'aurore -
Oui, malgré l'espagnol, ce coeur palpite encore,
Ce cadavre est vivant aux créneaux du beffroi,
Spectre vengeur de la patrie, aux coups du tocsin [6]
Qui se dresse et crie : "O peuple flamand, lève-toi !"
Et vois : le peuple vient,
Sa grande âme frissonne,
Il vient, bravant tous les défis.
Il sait pour qui lutter : cette cloche qui sonne,
C'est l'appel déchirant d'une mère à ses fils !
CHOEUR DE CONSPIRATEURS
Aucun ne tremble !
RYSOOR
. . . . . . . . . . . . . . . Aucun ne tremble. [7]
Eh bien, allez, et debout tous :
Prévenez nos amis, et revenez ensemble,
Que pas un seul ne manque au rendez-vous.
Seul l'arioso avec son court récitatif introductif a été enregistré (il se trouve même dans des éditions modernes en séparé), de même que le court arioso Martyr obscur du même personnage au même acte. Tout ce qui précède C'est ici le berceau de notre liberté est donc un inédit absolu, qui permet de replacer cet air dans un contexte esthétique et dramatique - ce qui est toujours très précieux à mon avis.
Par ailleurs, je trouve, d'une façon plus personnelle, le style des enregistrements existants, pourtant par de très grands chanteurs que j'admire beaucoup (Arthur Endrèze, Ernest Blanc...), tout en force, pas très séduisants par rapport au personnage héroïque mais élégant de Rysoor. [Je concède tout à fait cependant que ma typologie vocale tire le rôle vers quelque chose de presque galant qui crée un déséquilibre dans l'autre sens, on pourra me le reprocher à bon droit - trop français, en quelque sorte.]
On voit d'emblée et d'un coup d'oeil la disymétrie très hétéroclite des vers utilisés, mais à la lecture, leur découpage en milieu de phrase et surtout leur rythme sont vraiment sujets à caution (certains ne riment avec rien, d'autres sont constitués de la répétition du même membre, d'autres enfin ont une syllabe de trop - on l'a indiqué en note lorsque nécessaire). Et dans le même temps, on respecte scrupuleusement ce qui n'était alors plus qu'une "rime pour l'oeil" (la concordance de la liaison supposée, même non prononcée, en fin de vers).
Il est probable que Paladilhe en ait retouché certains par commodité, mais au point de mutiler la régularité, cela est rare ; et quoi qu'il en soit, la maîtrise technique de la versification reste assez rudimentaire ici.
Par ailleurs, le résultat n'est pas vilain si on le considère comme de la prose, loin s'en faut - plutôt touchant, même. Et l'ensemble de l'oeuvre a beaucoup de rythme. Mais nous avons plus affaire à des spécialistes de la macrostructure dramaturgique qu'à des orfèvres du verbe...
Musicalement, le récitatif suspendu de la scène qui précède, où celui plus solennel, mais toujours doux, qui ouvre l'air, sont souverains, délicatement ciselés, chargés de climat mais avec une certaine distance presque optimiste ; quant à l'arioso avec son accompagnement plus agité, il remplit parfaitement sa fonction incantatoire, et son extinction murmurée à la voix plus aux cordes est un grand moment. Vraiment une très belle réussite.
Quant à l'interprétation, je rappelle simplement aux visiteurs de passage qu'il s'agit d'un enregistrement qui ne prétend pas fournir une version sérieuse de la partition ; c'est simplement une prise faite pendant un moment de loisir, où je dois tenir à la fois piano et chant (prise de son maison également), ce qui ne laisse pas la possibilité de fournir la finition d'un enregistrement du commerce. C'est simplement à titre indicatif, la possibilité offerte de découvrir une musique autrement inaccessible, et l'invitation pour ceux qui peuvent à ouvrir les partitions.
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5. Des conclusions ?
On espère tout d'abord que la balade a été à votre gré.
Ensuite, le résumé de cette petite exploration est simple : Patrie ! est quelque chose de bien chouette qui mériterait d'être remonté et enregistré. Son ton à la fois héroïque et badin pourrait tout à fait séduire, de même que les meilleurs Meyerbeer, le grand public, également les amateurs de Verdi et de Gounod, et peut-être plus généralement d'opéra français. C'est un ouvrage fort long, certes, et avec force personnages, mais il n'est pas si difficile techniquement pour orchestre et chanteurs. On ne se gêne pas à couper un tiers d'un acte des Gezeichneten pour économiser des salaires et assurer la liaison avec les derniers métros, quitte à saboter le propos esthétique de l'ouvrage entiers ; alors on peut tout à fait rogner un peu sur Patrie' qui n'aurait pas sa chance autrement.
Le reste de la production de Paladilhe n'est pas forcément du même intérêt : les mélodies sont assez aimables (comme chez Reyer en somme) et son oratorio des Saintes-Maries, également sur un poème dramatique de Louis Gallet, présente assez peu d'aspects saillants, tout dans une consonance agréable mais un peu molle qui ne me le fait pas vraiment recommander. Dans ce goût, Lazare et le Requiem de Bruneau, ou bien Marie-Magdeleine de Massenet (du même librettiste) touchent quand même occasionnellement (et même fréquemment pour le dernier exemple) à une forme de grâce qui me paraît plutôt absente de ce Paladilhe-là.
Dommage, puisqu'il s'agit de la seule intégrale disponible au disque et jouée de loin en loin... Mais en ce qui concerne les lutins, tant qu'à inviter à l'aventure, autant ne pas conseiller de la marchandise de seconde catégorie. Aussi en avons-nous fourni de la première à vos oreilles (bienheureusement, on l'espère) ébaubies.
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6. Poursuivre les explorations
En ce qui concerne le répertoire français, vous pouvez (notamment) consulter :
La catégorie consacrée aux concerts physiques ou virtuels de CSS. Vous y trouverez notamment du Wagner en français, du Reyer (Sigurd et Salammbô), du Cras et la Radio Farfadets.
Ingrédients et invariants du Grand Opéra à la française.
Autour deSigurd et Salammbô de Reyer : première mondiale d'un duo inédit de Sigurd, présentation de Salammbô et extrait en première mondiale (avant la recréation marseillaise).
Les différents (et très nombreux) états de la partition du Don Carlos de Verdi (commande parisienne en français - voir les autres Verdi sur le même patron).
Transmutation du Shakespeare en métal français : série sur Hamlet d'Ambroise Thomas (livret Jules Barbier & Michel Carré).
[1] Le Roi de Lahore et Thaïs du côté des réussites, Le Cid et Le Rêve (Bruneau pour ce dernier) de l'autre côté. Mais il a aussi collaboré à beaucoup de Saint-Saëns : Le Déluge, La Princesse jaune, Etienne Marcel, Proserpine, Déjanire ; et aussi avec Gounod (Cinq-Mars) et Bizet (Djamileh).
[2] On ne peut pas exiger du baryton d'aller au delà du sol3, donc on se trouve bien en bout de tessiture, avec un effet de tension évident (et de volume sonore).
[3] Caractère de ce qui est lyrique, très conjoint et legato (lié) : typiquement la manière d'écrire et de chanter des Italiens dans les sections lentes.
[5] Oui, la versification est bien étrange dans ces deux premiers vers... Est-ce de la prose, ou bien > Paladilhe a-t-il procédé à des modifications ? Des mètres irréguliers, pas de rimes...
En projet pour les prochaines semaines, CSS concocte un programme de
concert chargé de présenter, à travers
des pièces majoritairement peu jouées (voire
totalement inédites, même au microsillon), une
histoire sommaire de l'opéra français. Du moins
jusqu'à l'époque où l'orchestre
devient tellement raffiné qu'il me faudra un accompagnateur
(ou accompagner un chanteur, peu importe) : pour faire vite,
à partir de Pelléas.
Voici une ébauche de programme possible dans lequel il
faudra sélectionner quelques titres.
L'astérique indique une oeuvre (ou un passage) qui n'est
plus disponible au disque. La double astérique indique une
oeuvre (ou un passage) jamais enregistrée.
Dans la lignée des notules autour des Fées et de la Défense d'aimer, les lecteurs pourront écouter cette série d'émissions autour de Das Liebesverbot et Rienzi, sur les archives d'Espace 2 (Radio Suisse Romande).
(Merci à Caleb pour le bon tuyau.)
Entre autres atouts, cette émission assez vivante propose une vision positive de ces oeuvres sous-estimées, des parallèles éclairants, un décorticage au piano et l'appui sur les écrits de Wagner lui-même, très peu exploités dans les présentations les plus courantes.
Le premier extrait diffusé est vraiment bellinien en diable, même si dans la suite de ce duo, quelque chose d'irrésistible apparaît, qui ne ressemble à rien d'autre (même pas à du Wagner, d'ailleurs). C'est le moment qui rend vraiment cet opéra indispensable.
Pour Rienzi, je suis beaucoup moins dithyrambique, je trouve ça à peine comestible (et je bondis lorsqu'on le compare - souvent - à du Meyerbeer, dont l'évidence, le sens de la danse et le recul souriant n'ont rien en commun avec cette choucroute apatride...).
Avec quantité d'exemples sonores pour tout saisir concrètement.
Le vibrato est un facteur déterminant dans l'appréhension de la voix chantée, puisque la tenue d'un son, contrairement à la voix parlée, entraîne la perception d'une oscillation. Il est pour beaucoup dans l'adhésion ou la répulsion à une voix (ou un style de chant). La même voix vibrée ou non vibrée peut être à proprement parler transfigurée.
[On vous passe l'hymne versifié au vibrato écrit dans notre folle jeunesse , où Mireille rime avec treille.]
Exemple :
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Wiegenlied D.498 de Schubert par Gundula Janowitz et Irwin Gage. Dans ses Schubert, Janowitz réduit volontairement le vibrato pour donner un aspect plus sec, plus populaire à la voix, comme la berceuse d'une femme du peuple (un brin sublimée tout de même). Elle perd du coup en générosité et bonne partie de sa beauté, mais c'est un choix assez logique et tout à fait pertinent sur le principe : le lied à cette date est encore connecté à un imaginaire de la chanson populaire.
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La même interprète avec Herbert von Karajan et le Philharmonique de Berlin dans la gravure légendaire des Vier Letzte Lieder de Richard Strauss (ici, Beim Schlafengehen). Ici, du fait de l'ampleur de l'orchestre, du lyrisme de la ligne, de la tessiture aérienne, Janowitz utilise à plein son vibrato très particulier.
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Le vibrato est propre à une voix détendue. Il est dû au fait que l'appareil phonatoire a du jeu (en particulier les cordes vocales qui bougent), et n'est donc pas rigidement maintenu, vibre en harmonie avec le son émis. C'est donc plutôt un signe de bonne santé vocale. Un son ample et sain sera vibré, et tout l'instrument (le corps, donc) entrera en sympathie, en résonance avec le son produit.
Cependant, il existe deux paramètres fondamentaux pour comprendre le vibrato, avec des implications à la fois vocales et stylistiques.
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1. Vitesse de battement
Le vibrato est une oscillation autour d'une note : le son va alternativement plus haut et plus bas que la note écrite. La répétition de cette note centrale se produit à distance plus ou moins rapprochée.
Vibrato rapide (la note centrale est souvent répétée) :
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Magdalena Kožená dans l'extrait le plus célèbre d'Ariodante de Haendel, le fameux Scherza infida. Ce n'est pas sa version discographique, mais un concert mémorable avec le Kammerorchester Basel (Orchestre de Chambre de Bâle) dirigé par Paul Goodwin. Sur les notes tenues, on entend nettement la répétition du son central, à une fréquence très rapprochée.
Vibrato lent (le mouvement est plus espacé, on peut compter le nombre de répétitions de la note centrale) :
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L'air de confiance patriotique de Koutouzov dans Guerre et Paix de Prokofiev, dans la version extrêmement coupée de Valery Gergiev au Met de New York. A cette date (2002), on perçoit très bien le vibrato de Samuel Ramey, et on pourrait compter, lors de l'émission d'un son, le nombre de fois que la vibration s'entend.
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2. Amplitude des hauteurs
L'amplitude est le second paramètre toujours cité dans la littérature (même si cela me paraît insuffisant, ce sont tout de même les deux essentiels).
Il s'agit tout simplement de la distance parcourue par le vibrato autour de la note écrite. Ce peut parfois aller jusqu'à atteindre les notes adjacentes.
Vibrato de faible amplitude :
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Jeanette MacDonald dans... Meyerbeer ! Le page Urbain à la fin du premier acte des Huguenots : le récitatif Nobles seigneurs, salut ! et sa cavatine Une dame noble et sage. On connaît l'histoire extraordinaire de cette chanteuse de revue qui, repérée par Lubitsch, va se produire dans son premier parlant avec Maurice Chevalier, et finir par chanter les héroïnes de Gounod (Marguerite et Juliette) à travers toute l'Amérique. Ici, la bande son du film Maytime de Robert Z. Leonard (1937).
Dans ses films, elle alterne avec une rare inspiration chansons de cabaret et performances opératiques. J'avoue ne pas avoir entendu beaucoup mieux que sa Marguerite en particulier, avec un excellent français et une expression délicate et fine que peu de 'concurrentes' ont ainsi maîtrisé. Car elle a hérité de ses expériences de cabaret une forme d'expression directe, qui ne se préoccupe pas que de la qualité du legato, Dieu merci.
Son Urbain est moins célèbre, c'est pourquoi on l'a privilégié même si la vocalisation est imparfaite. Le petit retard au début de la cavatine est demandé par le réalisateur, elle aperçoit son amant dans la salle.
On entend nettement sur les notes tenues que la voix ne parcourt que des zones très rapproches du son de départ, que la vibration se fait de façon très adjacente au son (qui reste parfois fixe), comme une surface aquatique liquide qu'on effleure.
Vibrato de grande amplitude :
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Kristine Ciesinski à la fin du premier acte des Gezeichneten de Franz Schreker (Metzmacher 2007). Ici, le vibrato parcourt un bon demi-ton, on pourrait écrire plusieurs notes, ce n'est pas seulement une note qui se déforme, on parcourt vraiment une grande distance. Dans son cas, ce n'est pas beau, mais c'est souvent le cas avec les 'grands' vibratos.
Je vais paraître prêcher contre ma paroisse, néanmoins je suis assez d'accord avec le préjugé qui postule que les voix lyriques sont moins belles, moins émouvantes et moins intelligibles que celles du chant populaire.
Mais je vais tâcher d'y apporter quelques éclairages.
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1. Le timbre
La plupart du temps, les voix d'opéra sont en effet de grosses voix très 'fabriquées' (je veux dire très loin du timbre parlé), qui ont ces caractéristiques parce qu'il s'agit d'être audible par-dessus un orchestre pléthorique pendant trois heures et sans micro, à des hauteurs assez vertigineuses. D'autres types d'expression musicale peuvent se passer de cette technique spécifique, tel le muezzin, parce que l'effort est bref. Ou alors parce que l'accompagnement est léger et le public proche.
Ce sont dans ce sens des voix d'abord athlétiques avant d'être émotionnelles. Ce profil arrive aussi dans la variété bien sûr, notamment pour chanter certaines comédies musicales (voir par exemple l'usage du 'belting' qui permet de soutenir des tessitures très élevées sans grossir la voix), mais leur technique, micros aidant, n'empêchent pas de posséder un timbre plus "direct", plus proche de la voix parlée.
La relation entre La Ville Morte et Robert est le type même de lieu commun musicologique souvent répété, rarement démontré. Il est véritable toutefois, et même en dépassant l'explicite du livret.
Il n'y a toutefois pas de quoi en faire un fromage : plus personne n'écoute Robert (déjà, sans même parler d'intégrale des opéras de Meyerbeer, ni même de versions potables, si les principaux étaient disponibles sur le marché, ce serait chouette), et la citation est plus que furtive. Mais c'est amusant, regardons.
Reprenons simplement et démontrons.
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1. Le roman-source
Il convient tout d'abord préciser que le roman de Georges Rodenbach, Bruges-la-Morte, est très éloigné de la niaiserie du livret de Paul Schott, qui hérite certes des meilleures trouvailles, mais en perdant la qualité d'évocation très forte du symbolisme de Rodenbach. Plus que tout, la fin que Schott aménage (le meurtre final était un rêve, et le héros le reçoit comme un avertissement) est très loin de la puissance du final du roman : une fois les deux femmes réunies en une seule, morte, il rentre paisiblement dans son calme veuvage et s'installe dans son fauteuil pour écouter les bruits de la fin de la procession.
Beaucoup de moments sont ainsi furieusement affadis (la dimension religieuse toute-puissante, les raisons du départ de la servante), à tel point qu'on croirait observer une entreprise de démonstration de la vanité de vouloir transcrire la belle prose en drame lyrique de qualité. Jusqu'à la chausse-trappe d'imaginer une fin gentiment consensuelle. Décidément, Korngold n'est pas un décadent qui 'gratte'...
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2. Meyerbeer dans le roman-source
Ce fut une surprise, presque la fin d'une légende ; et le triomphe des malins qui avaient toujours souri quand on parlait du veuf inconsolable.
Hugues, par on ne sait quel fluide qui se dégage d'une foule quand elle s'unifie en une pensée collective, eut l'impression à ce moment d'une faute vis-à-vis de lui-même, d'une noblesse parjurée, d'une première fêlure au vase de son culte conjugal par où sa douleur, bien entretenue jusqu'ici, s'égoutterait toute.
Cependant l'orchestre venait d'entamer l'ouverture de l'œuvre qu'on allait représenter. Il avait lu, sur le programme de son voisin, le titre en gros caractère: Robert le Diable, un de ces opéras de vieille mode dont se compose presque infailliblement le spectacle en province. Les violons déroulaient maintenant les premières mesures.
Hugues se sentit plus troublé encore. Depuis la mort de sa femme, il n'avait entendu aucune musique. Il avait peur du chant des instruments. Même un accordéon dans les rues, avec son petit concert asthmatique et acidulé, lui tirait des larmes. Et aussi les orgues, à Notre-Dame et à Sainte-Walburge, le dimanche, quand ils semblaient draper par-dessus les fidèles des velours noirs et des catafalques de sons.
La musique de l'opéra maintenant lui noyait les méninges ; les archets lui jouaient sur les nerfs. Un picotement lui vint aux yeux. S'il allait pleurer encore? Il songeait à partir quand une pensée étrange lui traversa l'esprit : la femme de tantôt qu'il avait, comme dans un coup de folie et pour je baume de sa ressemblance, suivie jusqu'en cette salle, ne s'y trouvait pas, il en était sûr. Pourtant elle était entrée au théâtre, presque sous ses yeux. Mais si elle ne se trouvait pas dans la salle, peut-être allait-elle apparaître sur la scène ?
Profanation qui, d'avance, lui déchirait toute l'âme. Le visage identique, le visage de l'Épouse elle-même dans l'évidence de la rampe et souligné de maquillages. Si cette femme, suivie ainsi et disparue brusquement sans doute par quelque porte de service, était une actrice et qu'il allait la voir surgir, gesticulant et chantant ? Ah ! sa voix ? serait-ce aussi la même voix, pour continuer la diabolique ressemblance – cette voix de métal grave, comme d'argent avec un peu de bronze, qu'il n'avait plus jamais entendue, jamais ?
Hugues se sentit tout bouleversé, rien que par la possibilité d'un hasard qui pourrait bien aller jusqu'au bout; et plein d'angoisser il attendit, avec une sorte de pressentiment qu'il avait soupçonné juste.
Les actes s'écoulèrent, sans rien lui apprendre. Ii ne la reconnut pas parmi les chanteuses, ni non plus parmi les choristes, fardées et peintes comme des poupées de bois. Inattentif, pour le reste, au spectacle, il était décidément résolu à partir après la scène des Nonnes, dont le décor de cimetière le ramenait à toutes ses pensées mortuaires. Mais tout à coup, au récitatif d'évocation, quand les Dallerines, figurant les Sœurs du cloître réveillées de la mort, processionnent en longue file, quand Helena s'anime sur son tombeau et, rejetant linceul et froc, ressuscite, Hugues éprouva une commotion, comme un homme sorti d'un rêve noir qui entre dans une salle de fête dont la lumière vacille aux balances trébuchantes de ses yeux.
Oui ! c'était elle ! Elle était danseuse. Mais il n'y songea même pas une minute. C'était vraiment la morte descendue de la pierre de son sépulcre, c'était sa morte qui maintenant souriait là-bas, s'avançait, tendait les bras.
Et plus ressemblante ainsi, ressemblante à en pleurer, avec ses yeux dont le bistre accentuait le crépuscule, avec ses cheveux apparents, d'un or unique comme l'autre...
Saisissante apparition, toute fugitive, sur laquelle bientôt le rideau tomba.
Hugues, la tête en feu, bouleversé et rayonnant, s'en retourna au long des quais, comme halluciné encore par la vision persistante qui ouvrait toujours devant lui, même dans la nuit noire, son cadre de lumière... Ainsi le docteur Faust, acharné après le miroir magique où la céleste image de femme se dévoile !
(Chapitre III.)
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3. Meyerbeer dans le livret
Paul Schott poursuit le parallèle entre la voix de la morte et de la vivante (affirmée par Rodenbach dès le début du chapitre IV), mais réutilise Meyerbeer à un autre moment : il fait danser Marietta (Jane Scott du roman) devant des amis saltimbanques une scène de Robert Le Diable improvisée. Il s'agit du grand solo dansé de l'abbesse damnée Hélène, qui a tant fait pour la réputation de l'ouvrage. C'est d'ailleurs une gravure représentant ce moment qui figure au frontispice de Carnets sur sol (on en a inversé l'orientation pour des raisons esthétiques).
Ce moment préfigure l'atteinte à la relique-cheveu : c'est déjà un sacrilège, car cette danse profane d'opéra, qui figure des damnées, est exécutée au son de l'orgue de la grande Procession. Paul Schott en fait au demeurant le moment de première rupture spectaculaire et très réussie théâtralement entre Hugues (devenu Paul) et Jane (devenue Marietta), là où le roman souligne surtout les absences suspectes de Jane comme motif de grief.
Ce sont plutôt les allers et retours d'affects assez répétitifs qui suivront qui seront un peu pesants sous prétexte de psychologie (pas très réussie).
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4. Meyerbeer dans la musique
Nous y voici.
Voici l'extrait complet de la danse de Marietta à l'acte II.
Carol Neblett (Marietta), Rene Kollo (Paul), Anton de Ridder (Victorin), Hermann Prey (Fritz) dans la version d'Erich Leindorf avec l'Orchestre de la Radio Bavaroise (studio RCA).
Mise à jour : cette notule comporte de nombreuses citations et de nombreux extraits musicaux.
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1. Un extrait
Il cita des gens qui avaient cessé d’exister depuis plusieurs siècles, et qu’il paraissait avoir connus personnellement. Je ne pouvais pas nommer un pays si éloigné qu’il ne l’eût visité, et je ne me lassais pas d’admirer l’étendue et la variété de son instruction. Je lui fis la remarque qu’il devait avoir eu un plaisir infini à tant voyager. Il secoua tristement la tête.
— Personne, répondit-il, n’est à même de connaître la misère de mon lot ! Le destin m’oblige d’être constamment en mouvement ; il ne m’est pas permis de passer plus de deux semaines dans le même endroit. Je n’ai pas d’amis dans le monde, et cet état d’agitation perpétuelle m’empêche d’en avoir. Je voudrais bien déposer le fardeau de ma déplorable existence, car j’envie ceux qui jouissent du repos de la tombe ; mais la mort m’échappe et fuit mes embrassements. En vain, je me jette au-devant du danger : je plonge dans l’océan, et les vagues me rejettent avec horreur sur le rivage ; je m’élance dans le feu, et les flammes reculent à mon approche ; je m’expose à la fureur des brigands, et leurs armes s’émoussent et se brisent sur mon sein ; le tigre affamé tremble à ma vue, et l’alligator s’enfuit devant un monstre plus affreux que lui. Dieu m’a scellé de son sceau, et toutes ses créatures respectent cette marque fatale. Je suis condamné à inspirer la terreur et l’aversion à tous ceux qui me voient ; déjà vous sentez l’influence du charme, et d’instants en instants vous la sentirez davantage.
Non, ce n'est pas une version romancée du Fliegende Holländer de Wagner.
Pourtant, la proximité est grande. Jugez-en vous-même avec cette version bilingue.
Caressez le crâne du baryton pour entrer dans sa (séduisante) cervelle de conteur.
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L'apparition du baryton standard
Le baryton, tel qu'il est identifié aujourd'hui, apparaît à l'orée du XIXe siècle. On l'a dit, les premiers rôles susceptibles d'être tenus aujourd'hui par des barytons sont des emplois de basse aiguës, surtout des basses bouffes : dès Elviro dans Serse de Haendel, mais surtout dans Rossini, les rôles de maris trompés ou d'amants éconduits (Don Bartolo, Messer Taddeo, Don Geronio...). Les effets comiques passent par une tessiture haute et des effets vocaux, moins loisibles à des voix de basse (A un dottor della mia sorte est ainsi condensé dans le haut de la voix). On trouve déjà quelques barytons authentiques, comme le Figaro du Barbier, qui n'est ni jeune premier, ni opposant imposant.
Car c'est encore dans l'interstice que se loge le baryton : il est la voix éclatante qui n'est pas celle du jeune premier ; il est la voix grave qui n'a rien de noble. Ce sera donc la voix de Figaro (l'aide brillant des amants, pas amant lui-même) ; ce sera aussi la voix de Lysiart (Euryanthe de Weber), l'ennemi, mais l'ennemi sans pouvoir, le traître insidieux.
Et bien sûr Faust chez Spohr (dès 1816) : Faust ne peut pas être le modèle de l'amoureux sans arrières-pensées, étant un vieil homme - certes visionnaire, mais aussi quelque peu lubrique. Par contraste avec la basse sépulcrale du démon, il fallait une voix intermédiaire. Les ténors sont alors les amoureux authentiques auxquels Faust fait barrage (Franz, le fiancé de Röschen). Schumann utilise ensuite la même catégorisation dans ses Scènes de Faust (1843-1853). [Le baryton-démiurge est une catégorie qui demeurera très usitée jusqu'à aujourd'hui, avec les créations récentes d' Et si Bacon de François Cattin, ou, plus intéressante, de Galilée de Michael Jarrell.]
Il va de soi que ces pistes ne sont pas des constantes, mais des tendances, chaque compositeur étant libre d'en faire à sa guise. Néanmoins, les codes et les attentes sont très forts, et il n'est pas possible, avant la seconde moitié, voire la fin du XIXe siècle, de distribuer un opéra sans proposer par exemple un ténor à aigus pour jouer le jeune premier.
Evgeny Kissin et Nikolaï Lugansky, deux un grands pianistes au répertoire très étendu. Au moins vingt pièces de Chopin pour l'un, auxquelles il faut ajouter facilement dix de Rachmaninov pour le second.
Il y a quelque chance qu'ils croient encore que le dieu Bucy est une figure de priape de quelque carrefour parisien.
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1. Le récital de piano aujourd’hui
Le récital de piano, comme l’ensemble de la musique de chambre et très large part de la musique symphonique, a consacré la domination absolue de la pensée musicale allemande. Ce n’est pas une question de nationalité, à la vérité vérité, mais bien une question de conception même de la musique. Une forme d’incarnation de la pensée de façon très différente selon les peuples – puisqu’en musique, il existe vraiment deux peuples très différents entre l’Allemagne et l’Autriche d’une part, la France d’autre part.
Il serait un peu fastidieux d’explorer comparativement, par rapport à notre objet, les différentes écoles nationales de piano. Simplement, arrêtons-nous sur celle qui a triomphé.
Grâce au disque, et particulièrement en cet âge d’or que nous vivons, tous les répertoires sont accessibles, même les plus improbables, et à petit prix. Mais le concert, lui, obéit à une logique beaucoup plus rigoureuse : en l’espace d’un soir, il faut remplir la salle ; on ne peut pas compter sur une critique a posteriori ou une reconnaissance tardive de l’intérêt d’un compositeur pour rentrer dans ses frais. En matière de programmation musicale de spectacle vivant, avoir raison avant tout le monde est certes glorieux, mais catastrophique pour la perennité du théâtre, fût-il soutenu par la dea ex machina – nommée Subvention par les poëtes.
On y programme donc avant tout les œuvres les plus connues. Et, en matière de piano, le spectre est plutôt étroit : Mozart, Beethoven, les trois dernières Sonates de Schubert, Schumann, Chopin, Berlioz , Liszt, (parfois) Brahms, (parfois) Ravel.
C’est que la musique y est conçue comme un tout organique, qui n’exprime pas directement d’émotions, qui n’est pas « à programme ». La perfection formelle, la puissance de sa structure vont à elles seules toucher, transporter dans un autre monde. C’est l’opinion majoritaire aujourd’hui encore où, par opposition aux goûts du grand public, l’esthète préfèrera la musique abstraite. Et il est vrai qu’elle ouvre des mondes que le seul mimétisme de la nature ou de la vie des hommes ne délivre pas.
Le parangon de cet esprit se trouve chez le tout-puissant Beethoven, capable de transformer un motif banal en un univers cohérent, profond, immense ; simultanément dansant, vertigineux, virtuose et méditatif.
Comme à l’habitude, il n’est donc pas question de contester la hiérarchie négativement : les grands noms méritent tout à fait leur place, cela nous paraît incontestable. En revanche, l’oubli a beaucoup de causes, souvent pratiques (conditions de création, goût du temps…) ou idéologiques (choix d’une époque au nom du bon goût).
[Voir le reste de la série sur 'lesfeesdewagner'.]
1.2.2.
Les préfigurations
Malgré le caractère de creuset qu'on a
observé dans l'épisode
précédent, Les
Fées
préfigurent, ou plutôt présentent
déjà plusieurs caractéristiques du
Wagner de la maturité.
Evidemment, on ne peut que songer à ses trois premiers
opéras « de la maturité
» à plusieurs reprises : grandes
poussées de lyrisme qui rappellent Tannhäuser,
en particulier vers la fin de l'acte III, lors de la victoire finale
(sans parler de l'usage très littéral et pas
très heureux de la harpe solo pour figurer la lyre, sans
réelle stylisation, également en vigueur dans cet
opéra), choeurs tuilés extraordinaires qui sont
parents de Lohengrin...
Plus que tout, la parenté de certains thèmes avec
le Fliegende
Holländer est frappante. On entend ainsi la
dernière partie du duo entre Senta et le Hollandais
dès l'Ouverture, avec son rebond très
spécifique :
;;
Fin de l'Ouverture des Fées
(Jun Märkl, Radio munichoise).
;;
Duo du Vaisseau Fantôme avec Gwyneth Jones et
Thomas Stewart (Böhm, Bayreuth, DGG).
Et, sans doute plus anecdotique, on entend que Wagner fait
déjà joujou avec le motif qui deviendra
le motif
récurrent de la colère de Wotan
à partir de Walküre.
Il semble être content de lui et bien le regarder en action,
en empilant sa répétition d'un seul coup.
;;
On
a déjà évoqué les
questions récurrentes de rédemption, en
particulier par
le sacrifice de la femme, et on en retrouve ici des
composantes dans le livret, de même que la force terrible du
mot - qui porte tout pouvoir, mais qui n'est pas
maîtrisé par le héros en
quête. Même Isolde et Tristan, faute de
pouvoir exprimer avec justesse le contenu de leurs émotions,
se hâtent vers leur perte. Le motif (textuel) du pacte rompu
et du blasphème maladroit est même la figure
décisive de l'acte II (la malédiction).
Inutile d'évoquer la délivrance de la vierge
surnaturelle inanimée, le metteur en scène l'a
fait pour nous en un sympathique clin d'oeil qui nous a fait
agréablement sourire - un anneau couleur braise descend sur
Ada lors de sa pétrification.
Lorsqu'on lit sur Pelléas, certaines influences sont régulièrement invoquées, sans qu'elles soient toujours étayées. On met de côté le précurseur Ernest Fanelli, qui utilise déjà, dans une oeuvre globalement pittoresque comme il sied à son temps, certaines harmonies ou formules musicales qui deviendront chez Debussy le fondement même d'un langage complet.
Les farfadets avaient évoqué pour plaisanter une parenté musicale étonnante entre un thème très secondaire des Huguenots de Meyerbeer et les premières mesures de l'oeuvre, mais à moins d'une réminiscence involontaire, il n'y a guère de raison d'y voir autre chose qu'une (très utile) coïncidence.
L'influence de Richard Wagner, elle, est toujours attestée, et elle se perçoit assez aisément : opéra à la fois 'orchestral (avec de surcroît quelques pièces d'orchestre isolées merveilleuses) et 'prosodique', où la langue est mise à nu. Il s'agit aussi d'un drame continu dont les airs ne sont jamais que des tirades que le néophyte peut trouver un peu grises, et sans ensembles.
Par ailleurs, la recherche chromatique, aussi bien sur le plan du coloris que de l'harmonie, la puissance des atmosphères laissent bien percevoir que, sans jamais l'imiter musicalement, Debussy hérite de la démarche musicale de Wagner. Jusqu'à, peut-être, l'usage de leitmotive... parfois tu par les commentateurs, parfois sous-entendu, quelquefois affirmé - comme par Olivier Py dans le film de Béziat, non sans une certaine maladresse comme on l'a relevé :
On a déjà proposé un mode d'emploi des motifs et symboles dans Pelléas, que les différents articles de la série complètent plus précisément, par l'exemple. Il y manque beaucoup de choses, et surtout un point un peu précis sur l'usage de leitmotive très différents de ceux que la tradition musicale utilise. [Et ici non plus, on n'est pas en accord avec l'interprétation très simplifiée de Py, qui en fait des motifs-décor, que je dirais à la manière de Richard Strauss et Franz Schreker (des béquilles compositionnelles chez eux, qui plus est), ce qu'ils ne sont pas chez Debussy, il me semble.]
CSS avait même relevé quelques citations frappantes du dernier Wagner, en particulier de Parsifal, dans certains interludes (le tout premier en particulier).
On peut trouver les exemples musicaux qui appuient nos gentilles trouvailles dans une des premières entrées de la série sur Pelléas.
L'influence de Modeste Moussorgsky est parfois invoquée, mais rarement avec précision, comme une chose diffuse qui circule dans la musicographie depuis des lustres et que tout le monde ne prend pas le temps de vérifier. CSS n'étant pas non plus le lieu de l'érudition universitaire, on le fera simplement par l'exemple musical, ce qui, sans rien prouver, laisse réfléchir - et permet accessoirement de s'amuser un peu.
On reviendra aussi sur les leitmotive, ci-dessous et dans de prochaines aventures.
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Début de l'acte I de Boris Godounov (l'écriture de Pimène), version de Jerzy Semkow (EMI 1976, avec Talvela).
Présente dans les trois versions de Boris Godounov, l'introduction de l'acte I, avec ce motif ondulant, s'apparente très nettement à celui plus tard utilisé par Debussy pour l'entrée de Golaud. Il s'agit d'une sorte de gamme ascendante, sans altération, mais hésitante, repassant plusieurs fois d'une note à l'autre.
Contrairement à Debussy, Moussorgsky utilise un motif binaire, qui évoque à la fois la contemplation (ou même la lassitude d'une nuit de veille), mais crée aussi un climat un peu inquiet, l'expression d'un homme dans un système clos ou en ruine.
Berlin dispose de huit orchestres permanents célèbres, hors formations baroques.
Ayant des dénominations à peu près totalement similaires et s'amusant à en changer - petits facétieux - très régulièrement, il est peut-être utile d'y mettre un peu d'ordre.
On a fait le choix d'être exhaustif autant que possible, ce qui devrait permettre à terme, sur une seule page, de pouvoir se repérer dans l'ensemble de l'offre berlinoise.
On y a introduit pour être tout à fait complet :
des rappels historiques (création, titulaires de la direction musicale) ;
une présentation des directeurs musicaux présents et passés ;
des commentaires sur les caractéristiques (son, répertoire) ;
une présentation des lieux d'exercice avec leurs spécificités ;
un commentaire sur la vie musicale de la capitale.
Et plein de jolies images des salles.
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Ce n'est pour l'heure que le début de la série, sans quoi ce serait long à lire d'une traite, et un peu fastidieux à préparer. Au programme aujourd'hui : le Philharmonique, une liste des Opéras de la capitale, et une présentation un peu détaillée pour la Staatskapelle (unter den Linden).
Etat des lieux de l'offre musicale lyrique et fuites (enthousiasmantes) sur les saisons de Nicolas Joel à l'Opéra de Paris. (De la folie pure, pour être plus précis.)
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Situation
Quoi qu'on en dise - et Dieu sait que les esthètes adorent ratiociner sur le passé - on vit réellement un âge d'or en matière musicale, y compris en matière d'opéra. Peut-être pas pour la création en elle-même, mais pour la diversité, la qualité et l'accessibilité de l'offre.
La qualité, on l'a déjà évoquée : le niveau orchestral a considérablement augmenté (les spécificités locales s'étant partiellement effacées, mais pas nécessairement pour le pire !), il reste toujours de grandes voix en petit nombre (comme à chaque époque, les médiocres et les affreux étant toujours présents eux aussi), peut-être moins de voix parfaitement saines et haut placées (la manière de parler a évolué, et surtout l'usage de plusieurs langues étrangères rend considérablement plus difficile l'apprentissage et l'exécution), mais en tout cas des interprètes infiniment plus subtils théâtralement.
L'accessibilité, elle, est très nette : tarifs réduits pour les jeunes et les demandeurs d'emploi, bons plans de dernière minute, absence d'exigence dans la plupart des théâtres du monde d'une tenue particulière, et surtout le disque ! Le disque qui couvre un répertoire toujours plus vaste, devenu extrêmement facilement disponible avec les médiathèques et l'Internet, pour toujours moins cher.
Justement, la diversité de l'offre est elle aussi croissante - du moins dans l'Eldorado de l'Opéra, à savoir une poignée de pays d'Europe occidentale et nordique, les seuls lieux où l'Opéra ne se limite pas à la resucée d'un fonds de répertoire Mozart-Rossini-Verdi-Puccini-etparfoisWagner en boucle. (Les programmations américaines sont généralement terrifiantes, sans parler des pays fortement isolés comme les slaves orientaux, concentrés sur leur répertoire joué de façon tout à fait provinciale, ou des pays sans tradition opératique - cf. la programmation effrayante de l'Opéra d'Istanbul, pourtant si proche...) Les théâtres de jadis jouaient largement leur répertoire national propre, plus quelques grands titres internationaux importés. L'apparition de la radio a favorisé l'exploration très exhaustive du répertoire national négligé, mais toujours dans les mêmes limites géographiques (et parfois temporelles, ne serait-ce qu'eu égard aux contraintes de style et de date du premier opéra composé dans la langue...).
Aujourd'hui, dans ces pays privilégiés, on s'efforce dans chaque théâtre de produire aussi des choses originales, peu jouées, des recréations de diverses époques en langues diverses.
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Saison prochaine
Et il semblerait qu'à Paris, après une ère Mortier riche en découvertes, certes limitées aux goûts de son directeur, s'ouvre comme nous l'espérions une autre période faste. [Parce que même en province, on reçoit la radio, et que cela peut remettre à l'honneur des compositeurs, créer un climat favorable à de nouveaux enregistrements ou ouvrages, fluidifier la circulation de témoignages anciens, etc.]
Nicolas Joel serait plus consensuel, on le savait, et indubitablement un grand défenseur du répertoire français négligé du XIXe siècle. Il avait, semble-t-il, pensé depuis longtemps à remonter les Huguenots de Meyerbeer, oeuvre mythique s'il en est du répertoire national, dès qu'il en aurait les moyens.
Cela se confirme dans les informations qui sont parvenues jusqu'à nous, et cela s'étend même de façon très appétissante à des oeuvres majeures du XXe siècle qu'on ne savait pas dans ses bonnes grâces, et qu'on doit à ses nouveaux moyens, à son bon goût ou à sa lucidité d'être, manifestement, bientôt programmées.
La saison à venir n'est plus un secret pour personne. Parmi les choses un peu rares, on peut relever côté françaisMireille de Gounod (un manifeste en ouverture de saison !), la reprise de Platée vraiment devenue une production culte et totalement entrée au répertoire, du moins tant que l'équipe Minkowski-Pelly la porte ; côté italien, Andrea Chénier de Giordano, type d'oeuvre classée vériste (et qui ne l'est que musicalement) qu'on ne voit en effet guère en France, et la Donna del Lago de Rossini, festival glottique manifestement distribué à des spécialistes de premier ordre (DiDonato, Barcellona, Flórez et Meli, dirigés par Roberto Abbado) ; et une belle nouvelle un peu inattendue du côté allemand, puisqu'on disposera, outre de l'ébauche d'un Ring, ce qui ravira sans doute beaucoup de monde, d'une Tote Stadt de Korngold (où l'on nous promet Riccarda Merbeth, Robert Dean Smith et Stéphane Degout dirigés par Pinchas Steinberg !), oeuvre désormais au répertoire des maisons germaniques et parfois jouée en France, mais pas à Paris, et d'une reprise du récent Faust de Philippe Fénelon, une belle réussite bien dans l'héritage germanique XXe. Billy Budd est également prévu.
Par ailleurs, Joel semble distribuer de façon plus luxueuse et plus régulière que Mortier (qui faisait selon l'intérêt qu'il portait à l'oeuvre), et l'on verra notamment sur place, parmi d'autres exemples, Waltraud Meier, Matthias Goerne (ou Vincent Le Texier selon les sources) et Hartmut Haenchen pour la reprise de Wozzeck ; Werther avec en alternance Álvarez et Kaufmann (plus Koch, Plasson et Jacquot) ; une Sonnambula dirigée par Pidò et mise en scène par Marelli (accessoirement, on y entendra Dessay et Pertusi, ce qui n'est pas plus mal), etc.
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Promesses enivrantes
Mais le plus fort reste à venir. On nous promet de monter pour la première fois à Paris quelques-uns des plus grands opéras jamais composés. (A côté, faire Cardillac et Louise avec des reprises, c'était presque mesquin, pour donner une idée !)
A présent, reste à voir ce qui sera tenu et ce qui ne pourra se réaliser.
Voilà bien l'exemple d'un spectacle dont on aurait mille occasions de dire du mal, et qui pourtant laisse un souvenir très positif.
Droits : Pierre Grosbois.
Auber n'est déjà pas le plus grand compositeur d'opéra-comique, loin de la maîtrise musicale de Boïeldieu, du charme naïf d'Adam ou du théâtre vigoureux d'Hérold, pour citer ses prédécesseurs directs les plus illustres. Fra Diavolo, de surcroît, n'est pas l'un de ses ouvrages majeurs, loin s'en faut - du sous-Rossini doté d'assez peu de relief -, mal servi par un livret de Scribe manifestement fatigué. Il est vrai que l'oeuvre est assez tôt dans la carrière longue du compositeur.
Devinant que le programmateur n'était pas non sans responsabilité, indépendamment du choix de l'oeuvre, nous avions préparé l'amère suite de reproches suivants, en pensant que l'oeuvre était, à l'image de certaines des meilleures pièces d'Auber, largement portée par la dimension théâtrale réjouissante de ses dialogues - soit qu'il fassent tout de bon l'essentiel de l'intérêt de l'oeuvre (Les Diamants de la Couronne), soit qu'ils lui ménagent des prolongements comiques très bienvenus et charmants (Le Domino noir).
Surtout, l'ensemble du spectacle est considérablement affaibli par la suppression presque intégrale des dialogues. Il faut le rappeler encore et encore, l'opéra-comique n'est pas un opéra sans récitatifs bavards, mais une forme qui comprend texte parlé et musique, sans que l'un ou l'autre soit facultatif. La plupart de ses pièces ne se soutiendraient pas seules, et la musique isolée, de même, perd tout son sens, même en conservant les paroles.
Il y a sans doute une part d'a priori à considérer l'opéra comme un genre uniquement musical, très courant, qui a pu présider à ce raccourcissement du spectacle. Le public n'aime pas les spectacles trop longs, il s'ennuie, il travaille le lendemain, il manque son métro, et c'est une préoccupation bien légitime. Le théâtre, quant à lui, quelle que soit la durée d'une même oeuvre, ne demande pas plus cher pour ses places alors qu'il paie l'électricité et les répétitions. Il paraît donc assez naturel de perpétrer ce sacrilège, pour des intérêts mutuels bien compris - ou par aveuglement esthétique.
Par ailleurs, les deux chanteurs principaux étant étrangers, et malgré un français très appliqué, manifestement un peu attentifs dans les dialogues, il est probablement que le choix de la réduction de voilure théâtrale provienne aussi de là.
Le problème est que l'oeuvre en perd tout son sens : certes, Scribe avait sans doute passé de mauvaises nuits avant d'écrire son livret, ou épuisé son génie au préalable en quelque autre endroit, mais on peut imaginer que l'air de présentation [et ici nous avions prévu la vérification...] de Fra Diavolo ne pouvait intervenir au dernier acte, sans qu'il ait lui-même largement énoncé ses motivations et sa psychologie auparavant, ne serait-ce que pour lui donner un semblant de contenu que l'action lui prête déjà bien peu.
Eh bien non. L'enfilade de numéros musicaux faibles est en réalité prévue dans la pièce, que les dialogues ponctuent en réalité assez brièvement et superficiellement.
Dans notre souvenir (la version Soustrot / Mesplé / Gedda bien célèbre), l'oeuvre était certes nettement moins réjouissante que les deux autres que nous avons citées, et largement moins prenante que Manon Lescaut - Fra Diavolo étant en réalité plus vocal et moins théâtral. Mais nous n'avions pas conservé ce souvenir d'indigence si prononcée du côté du texte.
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Malgré tout, le frais divertissement moral de l'opéra-comique agit, avec des conditions de représentation aux vertus inégales.
Côté mise en scène, signée par le couple Jérôme Deschamps / Macha Makeïeff, il a beaucoup été souligné l'absence à peu près totale de direction d'acteurs, ce qui est tout à fait exact. Malgré le soin de Sumi Jo à se montrer alerte et à bouger de son mieux lorsqu'on lui en donne l'ordre, malgré le très beau maintien de Kenneth Tarver - les bras en croix et une jamble légèrement ployée derrière l'autre, dans toutes les scènes -, on peut trouver cela un peu suffisant à faire vivre une oeuvre où l'atmosphère sympathique prime sur toute qualité d'écriture...
Beaucoup de littéralité sur un plateau assez nu, quelques idées sympathiques, souvent proches du gag, comme les mouvements des soldats, les têtes enfoncées dans leur habit, qui peuvent soudainement se mettre à danser quelque tarentelle mécanique en symétrie avec les petites paysannes. Dans le même esprit, le tapis roulant couleur locale, qui fait défiler soldats et paysannes en habit traditionnel comme des santons prévus pour Dinorah est assez amusant. Ou encore, et ce sera à peu près tout, les deux compères imprudents de Fra Diavolo, munis de leurs tonneaux en toute circonstance - sauf à les troquer, dans l'auberge, contre les fougères arrosées par les naseaux de l'âne empaillé accroché au mur. Bien qu'assez insuffisant pour soutenir une oeuvre, cela suffit cependant, il faut bien le reconnaître, à mettre des farfadets de gentille humeur.
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L'étrange Diavolo
Avant d'en venir à l'exécution musicale, un mot sur la musique. Le thème musical de l'incontournable romance fondatrice rappelle évidemment, au moment de l'invocation du Nom, Robert le Diable de Meyerbeer, créé un an plus tard (1831) à l'Opéra de Paris. Mais plus encore, le thème du grand air de Diavolo rappelle de façon un peu saisissante pour qu'il n'y ait pas eu inspiration l'air à l'amour du Pré aux Clercs d'Hérold (Oui, le dieu des Amours / Guette une fillette toujours - 1832).
Mais vu les dates, si inspiration il y a eu, c'est de la part de l'aîné Hérold (Meyerbeer, lui, planchait dans son coin depuis longtemps, peu de production et toujours très soignée), et non d'Auber.
En revanche l'air de la perte des bijoux de Lady Pamela est clairement inspiré, aussi bien pour son contexte que pour sa musique, du Voyage à Reims de Rossini, un compositeur modèle très évident d'Auber pour Fra Diavolo. Et, pour le coup, il y a nette antériorité : la création du Viaggio a Reims date de 1825.
Le début de la Romance de l'acte I.
Autre caractéristique, tandis que Zampa constituait un pastiche de Don Giovanni, Fra Diavolo cite explicitement Othello (Milady à propos de la jalousie de son mari), et en effet à l'acte II le bandit, en faisant exploser les couples au moyen de preuves dérobées, tient bel et bien la place d'un Iago, ce qui est malheureusement peu exploité par la mise en scène.
En fin d'article, on développe aussi d'autres hypothèses sur la réception très mitigée de cette production.
Enfin, Fra Diavolo, le pivot du drame, se présente étrangement à l'acte III comme un brigand sympathique, ce qui était certes sont premier aspect, mais son attitude à la mode de Sherwood, respectant les fillettes, volant les aisés avares, mais recevant dignement les pélerins, laisse quelque peu dubitatif après son comportement de mufle à l'acte II, en compromettant deux femmes honnêtes (ou à peu près) pour sauver son intérêt personnel. Le personnage vogue ainsi d'une extrémité à l'autre de la surface ondoyante du bandit sympathique, sans qu'on puisse très bien s'arrêter sur sa psychologie réelle, qui reste très insaisissable, assez peu cohérente. Alors qu'il est au premier acte l'ami de la morale d'opéra-comique en rappelant à la jeune fille que son honneur a plus à redouter de son galant que de Fra Diavolo, il est pourtant exclu du jeu comme irrécupérable au dernier acte, alors qu'il pourrait fort bien se repentir et prendre l'habit saint qu'il a toujours vénéré. Dans la mise en scène, ce qui est amusant mais très bizarre, il est fusillé (par une armoire de cave à vins) ; l'information ne figure pas sur les livrets qui ne mentionnent rien lorsque de l'arrestation, mais je doute que la mort puisse être infligée de la sorte dans une fin d'opéra-comique à un brigand d'opérette, à moins de vouloir coller absolument à l'histoire de Michele Pezza, qui est de toute façon mort pendu en place publique et non fusillé au détour d'un chemin... [Autre hypothèse amusante : il y aurait pu avoir confusion du côté de la régie avec l'autre Fra' Diavolo, Salvatore Ferreri, bandit indépendantiste sicilien de la première moitié du XXe siècle, effectivement tué par le capitaine des carabiniers.]
Bref, le personnage de roublard sympathique mais peu galant, doté d'un sens moral mais pas amendable est assez peu aisé à appréhender, comme si Scribe n'avait pas su se décider entre plusieurs possibles.
A la suite d'un petit débat avec Morloch, spécialiste international des pirates généreux et des expéditions extrême-orientales ratées, le moment est venu pour les lutins de revenir sur cette oeuvre, l'objet de deux des premiers articles publiés sur Carnets sur sol. Retranscription informelle.
Le Pardon de Ploërmel (création londonienne sous le titre de Dinorah, la même année qu'à Paris), sans doute en raison de sa création à l'Opéra-Comique, est désigné comme un opéra-comique. L'occasion de vérifier, encore une fois, le caractère flottant et peu rigoureux des dénominations que les compositeurs eux-mêmes accolent à leurs oeuvres.
Au sens technique, donc, Dinorahest plutôt une comédie lyrique, c'est-à-dire une oeuvre certes d'essence comique (et encore...), si on prend en considération la légèreté de son ton (plus que de son sujet, pas si éloigné de la Sonnambula de Bellini) et certains passages d'essence drolatique. (Attention toutefois, c'est celle qu'on propose, mais la dénomination n'est pas encore employée à l'époque. C'est la catégorie d'Arabella ou de Colombe.)
Ce n'est pas un opéra-comique dans le sens où il ne se trouve pas de dialogues parlés entre les numéros lyriques, mais seulement des récitatifs (et des numéros pas toujours très individualisés, mêlés de récitatifs ou s'enchâssant, comme c'est l'usage chez Meyerbeer). [Sur la question du genre de l'opéra-comique, voir ici.]
Ce ne peut pas être un Grand Opéra pour des raisons qu'on rappelle :
- pas de sujet historique ;
- pas cinq actes, ni même quatre ;
- pas de grand ballet ;
- pas de ténor lyrique à contre-notes ;
- pas d'enjeux potentiellement tragiques (au sens le plus élevé).
En réalité, faute de pouvoir utiliser un terme anachronique, et surtout faute d'être parfaitement convaincu par le caractère essentiellement comique (?) de Dinorah (il s'agit plutôt d'un 'sérieux léger'), nous proposerons une autre appartenance un peu plus loin.
L'humour est, par essence, affaire de situations, de mots ou de références. La musique semble donc s'y prêter relativement peu, et il est vrai que ce n'est pas l'endroit où son expression (souvent abstraite) excelle le plus sûrement.
Toutefois, les compositeurs se sont prêtés au jeu, et si l'on dit que c'est rarement avec bonheur, c'est aussi parce qu'on n'a pas toujours cherché.
Il existe, à la disposition des compositeurs, un certain nombre de procédés qui peuvent prêter à sourire. En voici un essai de nomenclature.
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Catégorie a : Les mots
L'humour peut bien sûr être porté par le texte, dans la mise en musique d'une oeuvre littéraire (A1). Auquel cas la musique le seconde tout au plus (A2).
Catégorie A1 : Dans Cadmus & Hermione de Lully, les pointes excercées contre la vieille nourrice coquette, la quasi-stichomythie de la fin de la scène porte bien plus le comique que la musique qui soutient essentiellement le récitatif, sans effets spécifiques.
Catégorie A2 : Dans Eugène le mystérieux de Jean-Michel Damase, les traits humoristiques passent aussi par la répétition de la même structure : décalage des vocabulaires, protestations, rimes attendues... mais aussi, d'un point de vue musical, opposition entre expression calme d'un problème (en contraste avec les mots utilisés), contestation par deux ténors-conseillers (dans cet enregistrement, judicieusement un ténor de caractère et un ténor léger, incarnant à leurs voix seules un vieux précepteur et un jeune élégant), et résolution brutale par un mot tout aussi vulgaire que le premier dans une phrase musicale de courbe descendante, très désinvoltement affirmative - et commentée par un trombone bouché et moqueur, d'une façon à chaque fois différente. Le retour des mêmes moments musicaux typiques crée aussi du comique, même s'il n'existerait pas sans le texte.
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Catégorie b : Images de la vie réelle
A défaut de mots, la musique peut disposer d'un référent précis, illustrer de façon plaisante des éléments du réel (des trombones qui se tordent de rire, des violons qui miaulent...).
Catégorie B : Dans Schneewittchen de Heinz Holliger, d'après Robert Walser, le chant du Prince, qui débute la longue deuxième scène, est frappé de suspicion - comme l'ensemble des personnages du conte par rapport à leur statut traditionnel. Sa déclaration amoureuse s'égare en de nombreux méandres qui imitent de façon trop excessive pour être honnête le chant d'oiseau (qu'on retrouve sous d'autres formes à l'orchestre avec l'arrivée des bois). Il ne s'agit pas d'une coïncidence, le reste de l'oeuvre n'étant pas écrit ainsi - la grand ornementation sur Nachtigall ("rossignol") le confirme aussi. Aux questions de Blanche-Neige, sorte de volatile décérébré, le Prince répond certes Liebe, mais ridiculement ornementé, trop insistant. Jusqu'à provoquer l'intervention de cuivres cassants qui semblent exprimer l'exaspération muette de Blanche-Neige.
Au passage, vous aurez noté la beauté fabuleuse de cet orchestre : il s'agit d'une oeuvre de premier ordre, l'un des plus beaux opéras de la seconde moitié du vingtième siècle, et dans un livret certes agencé en monologues (pas plus que Götterdämmerung, Pelléas, Salome ou Elektra ...), mais parfaitement digeste.
Catégorie B : Ocean of Time (2003) de Lars Ekström, heavyhardrocker pas nécessairement inspiré, mais qui a écrit par ailleurs de la musique savante sublime, dont cet opéra qui est, lui aussi, parmi les quelques sommets de la seconde moitié du vingtième siècle.
Ici, une section lyrique est interrompue par un trombone qui se contorsionne avant de s'effondrer de rire jusqu'à contaminer le choeur.
Inutile de chercher les références, nous ne disposons de l'enregistrement que parce que nous écoutions (totalement par hasard) la NRK , qui retransmettait ce concert du Berwald Hall de leurs voisins suédois avec un an de différé.
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Catégorie c : Les figures musicales
Il est possible que les figures musicales elles-mêmes, par leur excès, suscitent l'amusement, de façon quasiment abstraite (C1), sans qu'il existe de référence précise. Cela peut se manifester dans les moqueries à l'égard de la musique contemporaine, mais les compositeurs peuvent eux-mêmes jouer de cette étrangeté pour créer des effets étonnants.
Dans certains cas, l'excès est volontairement poussé jusqu'à l'ironie, par un surraffinement, une surcharge, etc. (C2)
Il se peut aussi que la figure amène tout simplement un effet surprenant, une rupture. (C3)
Catégorie C1 : La ballade des Enfants de la Nuit tirée des Diamants de la Couronne d'Auber, que nous avions déjà présentée plus en détail. Les figures massives (et gratuites !) du choeur ont quelque chose de plaisant, surtout opposées à la grâce souriante de la cantilène.
Catégorie C2 : Un des cas les plus évidents de figures musicales humoristiques est bien sûr l'ornementation excessive, gratuite, histrionique et dépourvue de sens. Ici, l'exultation amoureuse se pare de contours assez... excentriques.
Oeuvre d'une spécialiste de l'humour en musique, Isabelle Aboulker (ici interprétée par Patricia Petibon, autre délicieuse azimutée de service).
Catégorie C3 : La ''Polka des Paysans'' de Johann Strauss II impose aux musiciens de l'orchestre (en tout cas à ceux qui ne soufflent pas...) de chanter un thème en plus de le jouer. Ce détail, qui fait tout le sel d'une partition déjà assez roborative, survient de façon non préparée et, par son incongruité, impose le sourire.
On perçoit bien qu'il s'agit de non professionnels du chant, car bien que les Viennois (ici sous la direction de Carlos Kleiber) chantent parfaitement juste - ''noblesse oblige'' - on entend bien que les aigus se resserrent un peu. L'effet pittoresque en est tout à fait délicieux.
La version Harding, très sèche et rapide, qui exalte de façon assez inouïe les rythmes écrits par Mozart. (Peter Mattei en Don Giovanni, Gilles Cachemaille en Leporello, Gudjon Oskarsson en Commandeur ; Mahler Chamber Orchestra.)
Dans la version donnée par Yves Abel à Wexford en 1993, la filiation a été poussée jusqu'à reproduire le même type de cri traditionnel au moment où Don Juan serre la même du Convive de pierre. (On entend ici, en plus de la musique d'Hérold, Mary Mills et John Daniecki.)
La parenté est frappante non seulement par la thématique, mais aussi par la structure (le défi lancé à la statue qui finalement vient prendre la proie en vertu des pactes inconséquents qu'elle a contracté avec l'au-delà). Ici, évidemment, l'intrigue à sauvetage fait que l'intervention de la statue représente plus un dénouement forcé de vaudeville. Il faut dire qu'on a plaisamment échappé à une reconnaissance à la croix de ma mère, lorsqu'Alphonse de Monza, frère du mutin, s'aperçoit de ce qu'il s'agit de son frère. Le librettiste Mélesville s'amuse à repousser immédiatement cette solution pour un lieto fine anticipé, et convoque le spectaculaire et le merveilleux pour faire disparaître cette autre figure de Don Juan, transgressant tous les devoirs sacrés, se moquant des pactes - et diablement moins sympathique que son modèle.
Musicalement, mêmes paroxysmes, à ceci près que tout est condensé, et que la mort survient en un instant - il s'agit d'un divertissement, et les questions de la repentance et du salut n'y trouvent pas vraiment leur place. Le caractère moralisateur de l'opéra-comique de Favart s'est largement estompé, et n'en reste plus que l'esprit bon enfant.
En réponse à une question posée en d'autres lieux bien famés.
Tout dépend de la façon de considérer la chose.
Sur le plan de l'aboutissement musical, la contrainte du texte sera bel et bien un handicap (constitué par le respect de la prosodie et de la logique dramaturgique). Ecouter un opéra sans livret est tout de bon un sacerdoce, parce que la musique est sujette à des utilités que nous ne comprenons pas, imite une prosodie dont nous ne connaissons pas la raison interne.
En revanche, on peut considérer que l'interaction entre plusieurs arts accroît l'émotion (la musique se charge d'affects, le théâtre prend une dimension plus physique).
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Pour les lutins - et ce n'est pas pour le plaisir de se montrer contrariant - la forme ultime, ce serait plutôt le lied. Et pour le coup, on peut en écouter sans texte (même si on perdra inévitablement les trois quarts du plaisir), en musique pure.
Un genre mixte comme l'est la musique vocale a des avantages précis, et notamment l'intérêt soutenu que réclame une musique appuyée sur un texte (impossible de perdre le fil), ou bien le caractère de l'écoute d'un texte en action, ou animé par une atmosphère musicale - moins étouffant que la lecture silencieuse et solitaire.
(Par ailleurs, l'opéra est, pour les amateurs de ce genre de friandise, une occasion unique de profiter de théâtre en langue exotique sous-titré.)
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Mais il existe un problème, et qui par sa fréquence empêche absolument de placer l'opéra au sommet de la hiérarchie des genres (sinon par inclination personnelle pour tel ou tel critère, comme dans notre cas) : les arts n'y sont pas nécessairement présents au même niveau d'excellence, ce qui peut considérablement abîmer l'ensemble. La qualité littéraire ou l'urgence dramatique dans l'opéra seria, par exemple, laissent généralement (et sérieusement) à désirer.
Ceux qui se hissent sur les sommets en associant qualité littéraire du livret et écriture musicale hors du commun - et qui de surcroît rendent leur interaction signifiante - peuvent peut-être prétendre à quelque chose de particulier, mais ils ne sont pas si nombreux.
On peut citer quelques-uns des abonnés aux pages laudatives de CSS :
Faute de temps pour terminer ce soir l'un des nombreux articles en court de réalisation, un avant-goût de ce nous comptons vous communiquer bientôt en entier.
La plate-forme Deezer ayant passé des accords avec les ayants droit (éditeurs et SACEM), il est loisible de proposer, légalement, leur catalogue sur des sites personnels (il demeure simplement défendu d'enregistrer le flux). On pourra revenir sur les limites éthiques et les enjeux culturels et économiques de l'opération - qui ouvre bien des possibilités pour CSS.
Aujourd'hui, ce sera juste piquer la curiosité, avec une oeuvre assez peu appréciée des verdiens, et inconnue des autres.
Il faut dire - mais c'est un secret - qu'elle est imitée de... Meyerbeer. (Comme quoi, lorsqu'on y met de la bonne volonté, le génie d'une pièce s'explique aisément.)
Ici, vous entendez un duo d'affrontement (à l'acte I, seul l'un des deux connaît le lien de parenté qui les unit) ; une scène de réjouissances à la faveur de noces, bientôt le théâtre d'une révolte politique ; enfin un ballet évoquant les Quatre Saisons (de l'Hiver au Printemps). Quelques moments choisis pour mettre en appétit, juste ce qu'il faut.
Je crois qu'il est inutile de souligner l'investissement assez exceptionnel des interprètes, et, au premier chef, de l'orchestre.
En écoutant un entretien donné par Nicolas Joël à propos du Faust de Gounod qu'il met en scène à Orange...
=> Une propension au jugement de valeur assez large sur l'esthétique et la morale d'une oeuvre qu'il sert pourtant en toute littéralité (et qui n'est pas forcément si nulle que cela).
=> "Méphistophélès n'est pas Satan, c'est un diable de deuxième catégorie" montre un souvenir un peu lointain du Faust de Goethe, où l'hésitation est constante entre un diable majeur, voire le diable majeur, un prince des ténèbres dialoguant d'égal à égal avec Dieu, le conseillant même - l'équivalent évident du Satan de Job (2.5) -, et un démon servant les desseins d'une puissance qui le dépasse, récoltant pour elle son lot d'âmes, à la façon des diables burlesques médiévaux.
=> Enfin, affirmer qu'il s'agit du premier diable de l'opéra français, c'est un peu fort ! Que fait-on, dans ce cas, de Bertram dans Robert Le Diablede Meyerbeer, et déjà de Méphisto chez Berlioz ! D'autant plus impardonnable qu'il ne s'agit pas d'oeuvres secondaires et que le caractère plaisant de ces diables gouailleurs et somme toute peu redoutables est tout à fait comparable à celui de Gounod...
Pour les lutins qui comptaient sur le nouveau directeur de l'Opéra de Paris pour remonter Meyerbeer, on est plutôt mal parti...
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Ce n'est pas pour le plaisir d'épingler (voire de stigmatiser), mais la vidéo présente sur Concert Classic a effectué un montage dont il ne reste à peu près que cela, ce qui fait beaucoup tout à la fois...
... Et nous permet accessoirement de faire bouillir la marmite avec un peu de littérature allemande, de catholicisme et de Grand Opéra - la routine.
Né en 1847 à Toulouse, et mort dans ses environs en 1916. Egalement chef de choeur, chef d'orchestre et critique musical (notamment dans Gil Blas), Gaston Salvayre est l'auteur d'une dizaine d'oeuvres scéniques, largement concentrées dans le dernier quart du XIXe siècle.
Parmi elles, quatre ballets :
Les Amours du diable, 1874
Le Fandango, 1877 - sur un argument du couple Henri Meilhac / Ludovic Halévy
La Fontaine des fées, 1899
L'Odalisque, 1905
Et côté opéra :
Un opéra comique : Solange, 1909
Trois oeuvres de format Grand Opéra à la française :
Le Bravo, 1877, sur un livret d'Emile Blavet en quatre acte
Riccardo III, créé à Saint-Pétersbourg en 1883, sur un livret de Ludovic Halévy
La Dame de Monsoreau, sur laquelle nous allons nous attarder
Deux oeuvres lyriques moins conventionnelles :
un drame lyrique en quatre actes d'après Goethe, Egmont (1886, livret d'Albert Wolff et Albert Millaud)
Sainte Geneviève, une « fresque musicale » créé à Monte-Carlo en 1919.
La dédicace de l'opéra Le Bravo. Source : MusiMem.com.
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Le compositeur
A notre connaissance, aucune oeuvre de Gaston Salvayre, fût-ce par extraits, n'a été gravée sur support sonore. Pour la petite histoire, il est repéré par Ambroise Thomas au conservatoire municipal de Toulouse, et part étudier à Paris, jusqu'à l'obtention du Grand Prix de Rome en 1872 avec sa cantate Calypso.
Son activité de compositeur, peut-être en raison d'inimités avivées par une carrière de critique pas toujours diplomatique, a été critiquée dès son vivant. Alors qu'il maîtrisait le piano (il avait même travaillé avec Liszt à la Villa Médicis), l'orgue et la direction d'orchestre et de choeur, il était perçu comme un laborieux.
Il est désormais considéré comme un académique, et si le jugement se conçoit en comparaison avec ses contemporains Debussy ou Koechlin, il se dément totalement à la lecture des partitions - mais encore faut-il les trouver et ne pas renâcler devant la confrontation, assis au piano, avec le texte musical lui-même.
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L'oeuvre
La Dame de Monsoreau se situe à la fin de sa période d'activité majeure dans le domaine scénique - elle fut créée le 30 janvier 1888 à Paris. Il s'agit explicitement d'un Grand Opéra en cinq actes. En effet, la durée doit en approcher les quatre heures, si nous en jugeons par notre déchiffrage de la première moitié de l'acte I (qui fait une généreuse demi-heure, certes en comprenant l'Ouverture...).
Le livret d'Auguste Macquet est constitué à partir de la pièce co-écrite par Alexandre Dumas et Auguste Macquet, sur la matière du roman historique du premier.
Après déchiffrage du début de l'oeuvre, nous pouvons en tirer quelques remarques. On découvre une oeuvre d'une assez grande richesse musicale, qui trace une filiation directe avec Meyerbeer (légèrement modernisé évidemment), extrêmement modulante, très mobile dramatiquement. Les numéros [1] disparaissent de plus en plus, et on se permet d'inverser les tessitures masculines habituelles [2], mais on retrouve les ingrédients obligés du Grand Opéra, avec beaucoup plus de fidélité que chez Thomas ou Reyer.
Ainsi cette première scène de l'acte I [3], d'emblée dans la tourmente de l'action la plus noire (et totalement ancrée historiquement), comprend en son centre un équivalent de la romance initiale habituelle au genre, mais ici extrêmement narrative, avec beaucoup de mobilité musicale, absolument pas une forme fixe.
Les ensembles s'enchaînent à une vitesse folle, avec beaucoup de scènes de caractère, comme le trio d'effroi (qui n'est pas sans rappeler celui du troisième acte de Don Carlos) qui entend la chasse du Duc se rapproche. Les nombreux seconds rôles grouillent, plus ou moins incarnés, mais tous pourvus d'une psychologie.
Le livret se montre d'une efficacité extrême (avec un suspense parfait), et musicalement Salvayre excelle à déployer des figures psychologiquement très opérationnelles, variées, et travaillées harmoniquement. Il s'en dégage tout à la fois la pesanteur du drame et la souplesse extrême de la manière. Dès la première lecture, il est incontestable qu'on se trouve ici en présence d'une oeuvre du niveau du meilleur Meyerbeer, mais de son temps, avec un enrichissement harmonique accru et une segmentation en numéros réduite - l'orchestre épousant sans doute un peu plus le texte et un peu moins la forme musicale.
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Premières impressions
L'oeuvre, finalement, lorgne plus vers Henri Hirchmann (même si Wagner et Debussy ne sont pas encore passés par là) que vers ses contemporains Ambroise Thomas, Ernest Reyer et Jules Massenet, bien plus stables dans la structure musicale à numéros et l'harmonie assez sages. Alors que, paradoxalement, Gaston Salvayre hérite avec beaucoup plus de minutie du format Grand Opéra.
Une réussite éclatante qui demande à être confirmée par la suite du déchiffrage, et qui dépasse de loin, en tout cas, les autres grands formats méconnus comme la Jeanne d'Arc de Mermet ou Patrie de Paladilhé. A vrai dire, nous nous attendions plus à ce dépouillement musical presque indigent. Rien que l'acte d'ouvrir la partition, de ce point de vue, représentait une surprise.
Si nous avons le loisir de les préparer correctement, on pourrait, pourquoi pas, proposer des extraits de la réduction piano, puisque cette fois-ci, l'Opéra de Marseille ne répondra pas nécessairement à nos voeux la saison prochaine. (L'oeuvre paraît bien plus intéressante de Salammbô, au demeurant, qui a surtout le mérite de permettre de prolonger la connaissance de l'auteur du Sigurd, qui intrigue à juste titre.)
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Mise à jour du 6 août 2008 : seconde scène du premier acte
La seconde scène du premier acte présente un riche mariage, redoutant la venue d'hommes terribles (de vrais Zampa !). La danse renaissante conçue avec des imitations majestueuses sur une harmonie simple, tantôt baroquisante, tantôt tout de bon classique (avec l'utilisation de l'accord de septième de dominante dont la quinte demeure tenue pour aboutir sur l'accord de tonique, typique des résolutions de mouvements lents classiques). En réalité, cette danse enjouée sur laquelle se greffent les dialogues, à la manière de l'Henry VIII de Saint-Saëns, se montre terriblement proche du bref ballet des Huguenots (première scène de l'acte V), ce qui atteste une fois de plus d'une filiation meyerbeerienne très attentive - mais ici, sa charge dramatique est encore supérieure, puisqu'en plus de l'effet d'attente de la catastrophe, le livret n'indique pas au juste la nature des événements à venir, et les dialogues inquiets des époux contrastent avec la joie ambiante (on peut aussi penser, très immédiatement antérieur à la période d'exercice de Salvayre, au premier acte du Don Carlos de Verdi).
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Anecdotes
On peut ajouter à l'attention de nos lecteurs quelques amusettes.
[1] Le numéro est une entité musicale indépendante, hérité de l'opéra seria. Des récitatifs destinés à faire avancer l'action encadrent des passages isolés plus lyriques pour soliste, ensemble de solistes ou choeur : des morceaux de bravoure musicale qu'on nomme "numéros" parce qu'ils étaient numérotés par les éditeurs. Et souvent distribués en feuillets séparés à l'usage des amateurs - qui avaient alors une très large place dans la vie musicale active.
[2] Le ténor est aussi judicieusement l'opposant dans l'Hernani d'Henri Hirchmann, entrant sans le savoir dans la filiation de Francoeur & Rebel. C'est plus troublant que la soprane à suraigus, diabolique, d'Isabeau de Bavière dans Charles VI d'Halévy - qui est à l'époque une configuration héritée du seria, donc datée : qu'on pense à Rinaldo, Europa Riconosciuta, Zauberflöte...
[3] Scène au sens opératique, c'est-à-dire le premier tableau de l'acte I, le second imposant un changement de décor. Une sorte de prologue, ici, en fin de compte, mais ce format n'est pas usuel dans le Grand Opéra.
(Mise à jour du 23 septembre 2008 : en fin d'article, nous avons enregistré des extraits de l'oeuvre pour Carnets sur sol.)
L'Opéra de Marseille, dont on susurrait qu'il remettrait en scène Sigurd, dix-sept ans après sa précédente exécution (avec notamment Cécile Perrin et Jean-Philippe Lafont), propose finalement Salammbô !
Rien que pour nous faire mentir, naturellement, puisque nous avions pris le pari que cet opéra, pour diverses raisons que nous allons vous livrer, ne serait jamais remonté...
Gravures représentant plusieurs scènes de l'opéra.
Etat de la discographie
L'oeuvre est nettement moins fondamentale que Sigurd[1] - mais Sigurd a déjà été joué il n'y a pas si longtemps à Marseille (il y a dix-sept ans), et à Montpellier en 1993 et 1995. Tandis que de Salammbô, il n'existe à notre connaissance dans les trois quarts de siècle passés qu'un extrait du second air du rôle titre, par Germaine Martinelli, pas fabuleusement interprété, et peut-être même pas reporté sur CD.
Il n'en existe donc aucune intégrale enregistrée, ni officielle, ni officieuse.
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Etat de la partition
Néanmoins, la réduction piano-chant se trouve aisément (et c'est une bonne nouvelle que le matériel d'orchestre existe toujours pour pouvoir remonter l'ouvrage [2]) chez les bouquinistes, et c'est par ce biais que CSS peut vous présenter l'ouvrage, suite à des lectures régulières de l'ensemble de l'oeuvre.
Il faut toutefois s'attendre, vu la durée réelle de l'oeuvre (trois heures minimum), à des coupures conséquentes à Marseille.
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L'oeuvre
Salammbô, le dernier opéra de Reyer, est une fort belle oeuvre, moins raffinée cependant que Sigurd. On rencontrera quelques facilités orientalisantes dans la mélodie (des descentes sinueuses de gammes en octaves, qui lorgnent parfois vers des debussysmes qui devaient être dans l'air du temps), et harmoniquement, bien que moins efficace de Sigurd, la recherche en est comparable : très soigné et assez inventif pour de l'opéra français. On ne pâlit pas face au modèle modulant meyerbeerien ; en particulier, on hérite d'un souci de sans cesse renouveler la poussée dramatique au moment où les phrases musicales pourraient retomber. On trouve même (ce qui n'est pas le cas de Meyerbeer, époque oblige) un certain nombre d'accords enrichis (certes avec mesure) ou d'anticipations qui créent de petites tensions pas très audacieuses, mais sensibles. A l'inverse, certaines pages sont remplies par un seul accord parfait arpégé, ce qui ressemble parfois à du remplissage, tout en suivant d'un peu loin les recettes de Sigurd.
Le livret d'après le roman de Flaubert est dû à Camille du Locle, également colibrettiste de Sigurd (d'apèrs le Nibelungenlied) et du Don Carlos de Verdi (d'après Schiller).
Reyer s'est toujours plongé dans des atmosphères lointaines, témoin :
Le Sélam, ode symphonique sur un texte de Théophile Gautier (1850) ;
Sacountala, ballet ;
La Statue, également dans un environnement oriental (malgré le frontispice très 'chevalier chrétien' de l'édition destinée aux familles), qui semble à la lecture assez schématique et faible, essentiellement centré autour de son vaste ballet (1861) ;
Erostrate, dont la partition est introuvable, car pas diffusée au grand public en raison de son échec immédiat, ce qui pique notre curiosité vu la réalisation très intéressante de ses deux opéras suivants, Sigurd et Salammbô...
Sigurd, dans l'atmosphère épique du Nord sauvage ;
Salammbô, dans une antiquité qui sonne assez arabisée à l'oreille contemporaine.
Malgré quelques tournures orientales attendues, Salammbô séduit par son sens incontestable du climat et par ses péripéties très esthétisées. Un opéra qui, sans être majeur, dispose de toutes les qualités pour toucher. On dépasse largement la qualité et l'intérêt de certains Massenet souvent joués comme Manon ou Don Quichotte.
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L'impossible résurrection
Nous prédisions cependant, malgré les séductions d'une pièce d'après Flaubert sur l'imaginaire d'un programmateur et des spectateurs ; malgré l'orientalisme plaisant, malgré la qualité de la partition, malgré le souffle de certaines scènes ; nous prédisions en effet que Salammbô ne serait jamais remontée.
[2] Le matériel d'orchestre, pour les pièces qui ne sont pas des standards, est loué aux orchestres. Seul l'éditeur dispose d'une copie, et par voie de conséquence, pour les oeuvres rares qui n'ont pas besoin d'être présentes en plusieurs exemplaires, si le grenier brûle, est inondé ou si les rongeurs connaissent un petit surcroît d'activité musicophage, l'orchestration peut être perdue sans retour (si jamais les manuscrits ne sont pas bien rangés dans une bibliothèque...).
Jean-Michel Damase n'a pas connu le succès auquel il avait droit, sans doute plus qu'un Françaix (provocateur mais souvent auteur de remplissages musicaux) ou qu'un Rosenthal (qui n'a pas eu une carrière fameuse comme compositeur, avec des compositions extrêmement légères, aux confins du music-hall), avec un sens de la déclamation et des situations hors du commun.
S'il est joué aujourd'hui, c'est plutôt grâce au manque de pièces du répertoire pour trompette qu'à l'inspiration enthousiasmante de ses opéras.
L'Opéra de Marseille sous la direction de Renée Auphan a remis au programme L'Héritière (un drame) et Colombe (une comédie sentimentale) sur deux années successives, avec la formidable Anne-Catherine Gillet, et la seconde a été diffusée sur France Musique[s]. Certains des lecteurs de CSS ont donc peut-être entendu ces oeuvres.
Manière de mettre en appétit, on se propose d'explorer par la marge l'oeuvre de Damase, par son art du clin d'oeil musical assez réjouissant.
On peut commencer par proposer l'opéra miniature, en abyme, qui ouvre le dernier acte de Colombe, et qui collectionne les clichés stylistiques de façon franchement amusante.
Voici l'objet dans son ensemble, vous pouvez vous amuser à deviner qui est pastiché :
Si vous n'avez pas trouvé les références, vous pouvez cliquer sur "la suite".
L'oeuvre recycle malicieusement, jusque dans son titre, le thème de Don Juan, en châtiant un impie et séducteur de femmes, par le pouvoir surnaturel d'une statue. On y rencontre jusqu'au défi au mort - non pas une invitation à dîner, mais une nouvelle promesse de fiançailles, pour une soirée.
Le personnage principal, tout de même séduisant vocalement, concentre cependant toute la charge réprobatrice de la morale ; son valet se montre vénal mais de bien meilleure volonté. A tout point de vue, il s'agit bien d'un avatar du mythe de Don Juan - sur le mode léger.
Avec tous les éléments, on l'a vu, de l'opéra comique, du pittoresque, du rocambolesque, une structure précise et des moments obligés, une forte dimension morale - l'opéra comique était alors un spectacle familial.
L'engloutissement de Zampa. Est-il nécessaire de lister les points communs ? Les trombones menaçants, la main glacée, la palpitation de tout l'orchestre en une fanfare infernale, le lieto fine en contraste immédiat... Jusque dans le texte et l'écriture musicale, on s'inspire de la version mozartienne du mythe. Clin d'oeil évident. Pour le reste, la fin dévote annonce plutôt, sinon l'apothéose de Tannhäuser, du moins Gounod (Faust et Mireille).
Musicalement, tout est de surcroît de premier choix, aussi bien les romances que les ensembles. On songe à certains des meilleurs moments de l'opéra français de l'époque. Le trio de la frayeur de Dandolo annonce déjà le l'air de terreur de Corentin et le duo de la défiance dans Dinorah (Le traître morbleu a lu dans mon jeu), et la quatuor est digne des meilleures scènes de pétrification de Rossini (Guillaume Tell) et Verdi (Vêpres Siciliennes, Don Carlos), avec une entrée décalée des personnages sur le même motif mélodique qui sera également retenue pour Nabucco.
La cavatine initiale, très rossinienne, la beuverie joyeuse (à la façon d'O vin, dissipe la tristesse d'Hamlet de Thomas pour le soliste, et de Bonheur de la table / Bonheur véritable des Huguenots de Meyerbeer pour le choeur), tout cela s'inscrit au carrefour des styles, comme une synthèse idéale des tons d'une époque.
Trio et quatuor et l'acte I. On note la proximité du personnage de Dandolo avec Corentin de Dinorah. Vous goûterez aussi la qualité exceptionnelle des dialogues parlés.
La recréation à l'Opéra-Comique de Zampa ou la fiancée de marbre en constitue la seule trace sonore complète un tant soit peu satisfaisante depuis bien longtemps. Certes, l'ouverture en est (relativement) célèbre ; certes, la partition se trouve aisément chez les bouquinistes ; certes, on l'avait joué peu auparavant en Allemagne avec des dialogues traduits. Mais le compte n'y était pas, ni en termes de connaissance de l'oeuvre, ni en rayonnement, ni surtout en style.
L'initiative de la programmation de Jérôme Deschamps est donc une bénédiction, dont CSS a pu profiter par la marge grâce à la providentielle radiodiffusion de France Musique[s].
Petite évocation, avec extraits à l'appui : une reprise est prévue la saison prochaine (avec Jaël Azzaretti et Noël Lee à la place de Patricia Petibon et Bernard Richter).
Extrait de l'ouverture. William Christie dirige les Arts Florissants.
Asger Hamerik (1843-1923) appartient à cette catégorie de compositeurs nordiques qui ont perpétué jusqu'à une période très tardive un langage totalement romantique et consonant, souvent doté de programmes et de sous-titres.
Pour cette raison, ils sont considérés comme sans influence (avec quelque raison) dans l'histoire de la musique, dont ils participent pourtant, et méprisés, valeurs du progrès et de l'originalité obligent [1].
D'une certaine façon, leur classement dans la catégorie easy listening est tout à fait justifiée, ce qui n'enlève rien, au demeurant, à leurs qualités intrinsèques. A recommander chaleureusement aux néophytes.
[1] Des valeurs toujours primordiales aujourd'hui dans les modes d'évaluation de l'art. Le fait d'avoir énoncé la chose en premier ou d'avoir eu de l'influence est un critère fort pour juger de la qualité d'un compositeur - sauf pour Meyerbeer, ce qui est profondément injuste.
A noter : il s'agit bien d'une classification de l'esthétique du corpus mélodique, et non de celle du compositeur, il peut exister des différences nettes.
Bien entendu, comme toute classification, il s'agit de choix, contestables par nature, et les 'franges' en sont toujours problématiques. On peut tout à fait en discuter en commentaires si besoin, bien évidemment.
En gras figurent les corpus dont nous recommandons particulièrement la connaissance. Mis à part Poulenc, que nous avons ajouté dans la liste car incontournable dans le genre, ce choix est bien entendu à considérer avec sa part de subjectivité : une suggestion d'écoute, en quelque sorte.
Attention, leur intérêt est à replacer au sein de chaque genre. Qu'on ne s'attende pas à rencontrer le même type de volupté esthétique chez Vierne et chez J.-B. Faure !
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1. L'avant-mélodie : la romance
Jean Paul Egide MARTINI (pseudonyme) - 1741-1816
Wolfgang Amadeus MOZART - 1756-1791
Franz SCHUBERT - 1797-1828
2. L'émancipation de la mélodie
Giacomo MEYERBEER (pseudonyme) - 1791-1864
Gioacchino ROSSINI - 1792-1868
Hector BERLIOZ - 1803-1869
Richard WAGNER - 1813-1883
Théodore GOUVY - 1819-1898
3. La mélodie de salon
Des textes littéraires de qualité, mais traités sur le mode esthétique de la romance. A l'exception de Jean-Baptiste Faure (baryton de son état), tous sont essentiellement connus comme compositeurs d'opéra. Si bien que leur mélodie tient plutôt de la cantilène, ou au mieux de la pièce de caractère. On trouve aussi un certain nombre de mélodistes, mais qui ne sont pas passés à la postérité, il serait fastidieux de les citer tous ici. Nous proposerons en temps utile des disques-anthologies pour se familiariser avec ce genre - pas extrêmement passionnant de toute façon.
On le répète ici, l'angle choisi a été celui de la disponibilité au disque. Le choix du sujet s'imposait en raison de la difficulté à mettre sur la main sur des enregistrements à la fois en style (contrairement à beaucoup de choses "internationales") et un peu fouillés (contrairement à un certain nombre de vieilles cires).
On l'organise non pas par alphabétique ou ordre strictement chronologique, mais par groupes stylistiques, le long d'une ligne à peu près chronologique.
Comme, vu l'ampleur de la tâche, il se trouvera nécessairement des ajouts au fil même du traitement des différents groupes, voici un plan général de l'entreprise.
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On peut commencer par évoquer brièvement les corpus les mieux servis :
Non, aucune provocation dans le titre, vous faites erreur.
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Une chose étonnante qui me frappe à l'écoute de la mort de Siegfried : les leitmotivs qui reviennent prennent la couleur du motif du réveil de Brunehild dans Sigurd.
Et ce ne peut être une influence, puisque Sigurd, bien que créé en 1884 (contre 1876 pour Götterdämmerung), a été écrit sensiblement auparavant, et se montre plus proche des sources du Nibelungenlied (sans chercher à le faire fusionner de façon bancale avec le récit de Ragnarok). Si Reyer y utilise des leitmotivs, c'est en réalité en référence à l'esthétique de Wagner au moment de Lohengrin...
Par ailleurs, on l'a déjà dit, il s'agit plutôt d'une survivance du Grand Opéra à la Française, adaptée à l'époque de Gounod et Thomas, que d'un pastiche wagnérien.
La parenté est d'autant plus étrange, car Wagner n'avait pas connaissance non plus de cette oeuvre, et on l'imagine difficilement influencé par la scène française depuis son reniement envers son bienfaiteur Meyerbeer - qui lui avait permis d'être joué à Paris, faveur insupportable d'un compositeur trop institutionnel pour ses ambitions, et que Wagner cache ensuite sous le dégoût antisémite (qui ne recouvre qu'imparfaitement une gêne très perceptible).
N.B. : Le commentaire de la dernière intégrale (Brahms) figure ici.
Un essai d'étude rationnelle du phénomène des
intégrales à prix plancher. Les raisons ; les enjeux,
avantages et inconvénients ; le moyen de se décider ; les
alternatives.
Commentaire également du contenu précis du coffret
Beethoven.
J'apprends aujourd'hui qu'un site maudit [l'histoire sera pour une
autre fois] a dévoilé la prochaine intégrale
Brilliant, à savoir une intégrale Beethoven. [J'ai
l'honneur de vous annoncer que, devant témoins, interrogé
sur le contenu possible d'une intégrale en cent disques, j'avais
avancé le nom du sourd grincheux de Bonn. Un emploi de directeur
de la communication m'attend à Brilliant.]
Comment cela fonctionne-t-il ?
Faut-il acquérir ces intégrales ?
Avec en bonus les recommandations si l'on choisit de se passer
d'intégrale.
Puisque je fus perfidement accusé de conserver jalousement Bajazet pour moi seul, alors même qu'il figure explicitement dans mon carnet mondain (voir colonne de gauche), étalons notre effroyable compromission au grand jour. Séduit par son parcours fortement évocateur autour de l'alouette, je le prolonge ici brièvement.
Répertoire alphabétique des principaux noms propres et sujets abordés.
La fonction recherche en haut à droite du carnet (opérationnelle pour les billets seulement, pas pour les commentaires) permet ensuite de retrouver aisément l'article recherché (patronyme + mots-clefs de la note).
Pour une classification plus chronologique, on peut se reporter à l'index thématique.
Encore une fois, c'est sur
demande que j'ai produit cette introduction informelle à l'oeuvre
française de Verdi. Présentation très succincte des oeuvres, et rapide
présentation discographique, ce qui explique le ton un peu pressé, un
peu à l'emporte-pièce. Je le produis néanmoins ici, à titre indicatif.
Pour la petite
histoire, Verdi est le compositeur le plus enregistré, devant Wagner,
Mozart & Puccini (ex aequo), Donizetti (!), Richard Strauss,
Haendel, Bellini.
Etait posée la question des opéras français (à mon humble avis les
meilleurs) de Verdi. Très meyerbeeriens, et d'ailleurs Les Vêpres ont
été écrites par Scribe, et Don
Carlos en partie par Du Locle (également
librettiste du Sigurd de
Reyer, oeuvre que les habitués de CSSconnaissent
bien).
1. Les trois oeuvres françaises de Verdi
Jérusalemest un rifacimento (une
refonte) d'I Lombardi alla prima crocciata, avec toute la
musique de circonstance et les grandes scènes dramatiques réclamés par
le genre du Grand Opéra à la française. Persistent les airs à
cabalette, mais le style n'est plus du tout donizettien, on regarde
plus vers Halévy, disons. [Mais du bon Halévy.]
Les Vêpres siciliennes, titre déjà
ironique,
sont dans la veine du meilleur Scribe (texte d'Eugène Scribe sur une
révolte historique, à la façon des Huguenots
ou du Prophète), avec un
équilibre dramatique
parfait. Verdi tire tout le nécessaire de la succession de Meyerbeer
quant à l'économie dramatique au sein de chaque acte, économie
d'habitude bien plus transversale pour travailler sur le drame dans son
ensemble, et non sous forme d'actes-miniatures. De l'excellente musique
aussi.
Don Carlos, bien évidemment, mérite
le détour.
Sur un livret de Camille du Locle et Joseph Méry, d'après Schiller.
L'original français dispose d'une introduction (choeur des bûcherons et
grand ensemble, avec superposition du choeur des chasseurs qui ouvre
les versions italiennes en cinq actes) et d'un grand ballet (où Eboli
échange son costume avec la Reine, au III). Sans parler de la
déploration sur le choeur de Posa, qui reprend le merveilleux Lacrymosa
du Requiem. Le duo Philippe/Posa, modifié en son milieu, moins
chromatique et moins vocal, se fonde plus profondément sur le dialogue,
le protocole, que sur les violentes réclamations politiques de Posa. La
fin débouche pianissimo dans
le choeur des moines.
Les Vêpres siciliennes et Don Carlos sont les deux seules
oeuvres à
avoir initialement été écrites pour la scène française (Jérusalem
répondait à une commande de "la grande boutique", mais n'est
qu'une
refonte).
Il existe aussi des versions françaises des opéras les plus célèbres de
Verdi. On en trouve volontiers des partitions, plus infidèles au texte
que les Wagner, souvent revus avec une petite connotation moralisante,
voire bigote (Rigoletto, Traviata sous le titre de Violetta...). Certaines sont
contemporaines de
Verdi. Celle du Trouvère par
exemple, avec des danses ajoutées, comme
ce fut le cas pour Macbeth.
On trouve au disque le Trouvère (Dynamic,
mal chanté et mal capté) et un très beau Rigoletto (J. Etcheverry,
Massard, Vanzo, Doria).
2. Influences plus ou moins sérieuses, sensibles dans Pelléas et Mélisande
Il se trouve que Debussy a été très impressionné par Wagner et a influencé Messiaen ou Takemitsu, c'est un fait. Mais il y a plus amusant encore : ce paragon de modernité ouvre son unique opéra, un de ses meilleurs ouvrages, par un thème emprunté (ou du moins identique) à celui d'une séquence très secondaire d'un opéra de Meyerbeer.
_______________________________
Dans les Huguenots, à l'acte III, le complot qui se trame pour assassiner le jeune huguenot Raoul de Nangis - afin de venger l'affront fait à la famille catholique des Saint-Bris - est interrompu, de façon très efficace (à la fois car on évite des détails fastidieux et car on sollicite simultanément l'attente du spectateur). Un archer paraît et, bon veilleur de nuit, fait rentrer la foule qui vient de terminer son ballet bohémien frénétique (invariablement coupé à la scène), pour l'heure du couvre-feu.
Rentrez, habitants de Paris,
Tenez-vous clos en vos logis ;
Que tout bruit meure,
Quittez ces lieux
Car voici l'heure,
L'heure du couvre-feu.
Il s'agit là d'une séquence secondaire des Huguenots. Sachant le succès planétaire de Meyerbeer à Paris et la présence de ses ouvrages au répertoire jusque dans la première moitié du vingtième siècle (jusqu'à la mondialisation des programmations, en fait), on peut s'amuser de cette coïncidence troublante en écoutant la séquence qui a l'honneur d'ouvrir le chef-d'oeuvre intergalactique de Debussy :
.
Troublant, n'est-il pas ?
Suites à des pressions par courrier, nous sommes dans l'obligation de publier ce soir un troisième épisode de cette série.
Avec pour ambition avouée de pulvériser le record du billet le moins lu. Titre très prometteur pour réaliser l'objectif. Qui s'intéresse aux conventions ? La subversion, depuis le dix-neuvième siècle, est devenue la norme morale de l'art.
Quoi qu'il en soit, manière de poursuivre la publication de ces quelques données sur le théâtre chinois, trop méconnu [il n'existe quasiment pas de pièces traduites en français, une demi-douzaine maximum - un peu en anglais, en revanche], poursuivons.
Les ténors, une tentative de classification. Un truc casse-figure pas possible.
La seconde partie de cette aventure ténorine a de la même façon été réalisée sur demande.
VOICI, comme promis, le second volet de cette
visite de l’univers ténorin.
Du plus grave au plus aigu, du plus sombre au plus
clair.
L’étendue est constituée par
l’ensemble des notes que le chanteur peut atteindre. La tessiture
est la zone de l’étendue où il se déplace avec le
plus d’aisance.
L’ut 3 est le do central d’un clavier de piano (classification
française). Pour repère, les voix de basse sont comprises
entre l’ut1
et le fa3, de baryton entre le sol1 et le sol3, de soprane entre le si
bémol 2 et le mi bémol 5.
Les catégories qui suivent sont extrêmement
fluctuantes
selon les ouvrages. On a essayé d’en retenir le maximum, en en
présentant les traits communéments admis et en
précisant à l’intérieur
de chaque type ceux qui sont plutôt des sous-catégories.
Mais on aurait
pu dédoubler Heldentenor et ténor héroïque,
ce n’est pas exactement la
même chose, comme expliqué dans la rubrique.
Il y a aussi les catégories trop précises, tel "di forza"
(comme Mario
Del Monaco), qui ne correspondent pas réellement à un
réseau de rôles,
ou à un nombre trop réduit parfois. Le "fort ténor", qui se veut l’analogie du ténor
"di forza", est
en fait un type historique de voix, (comme Georges Thill, Guy Chauvet
ou, hors de l’époque, Gösta Winbergh) qui a eu cours en
France, et qui
permettait de chanter des rôles lyriques lourds, des rôles
dramatiques,
des rôles héroïques. Un baryton dramatique aux grands
moyens (pouvant
chanter plus lourd) mais avec des possibilités d’expression
(pouvant
chanter plus léger) ; ce n’est donc pas une
catégorie vocale précise -
mais plutôt l’expression de moyens vocaux.
On a cherché, plutôt que de multiplier les
exemples, à
utiliser ceux qui semblaient les moins ambigus. On a aussi
évité de
citer des oeuvres trop rares - d’où l’absence notable de
vingtième
siècle dans les rôles.
BARYTON-MARTIN : Ténor doté d’un cerveau,
dit-on. Baryton à la voix claire, à l’aigu
développé. Tire son nom du chanteur
qui a "créé" la catégorie. On y trouve parfois des
"ténors paresseux",
comme Jacques Jansen. Rôles les plus
célèbres : Pelléas, Danilo de La veuve
joyeuse (Lehár).
Etendue : la 1-si bémol 3.
TAILLE : Voix de ténor
grave spécifique au baroque français. Employé dans
les choeurs ou comme
soliste dans les oeuvres liturgiques. Sonorité douce et
caressante. Exemples de rôles :
=> "Laudate nomen ejus" dans Jubilate deo omnis terram,
Grand Motet de Michel-Richard De Lalande.
=> La partie de ténor du Messiah de Haendel s’en
rapproche fortement. Exemples d’interprètes :
=> Ian Honeyman.
HELDENTENOR ou TENOR HEROÏQUE :
Voix de ténor destinée à chanter les rôles
les plus lourds chez Wagner
(Tristan et Siegfried principalement). Par extension, on l’applique
parfois un peu abusivement à l’ensemble des premiers rôles
ténor
wagnériens. La confusion est entretenue par les
interprètes qui ont
chanté à la fois les deux types de rôles, tel
Wolfgang Windgassen.
La couleur en est généralement sombre, assez barytonnante
(Ramón Vinay a fini en Iago d’Otello
de Verdi !), la puissance très grande, et le timbre pas
toujours beau.
C’est un répertoire assez exclusif - le chanteur détimbre
facilement
dans le répertoire plus léger. Le contre-ut est
nécessaire, mais
souvent crié...
On parle de ténor héroïque pour des rôles
très lourds, essentiellement français (Enée des Troyens
de Berlioz), souvent inspirés par l’esthétique
wagnérienne (Samson chez Saint-Saëns).
Etendue : ut2-ut4. Tessiture très longue, toute
l’étendue doit être maîtrisée. Exemples de rôles :
=> cf. notice ci-dessus. Otello de Verdi. Exemples d’interprètes :
=> Lauritz Melchior, Max Lorenz, Wolfgang Windgassen, Hans Hopf. On
se plaint souvent de la disparition de cette catégorie, aussi
les rôles
sont souvent tenus par des ténors dramatiques lourds (Siegfried
Jerusalem, Ben Heppner, Robert Dean Smith). Les quelques
représentants
actuels sont souvent très spécialisés dans ces
quelques rôles
(Christian Frantz). Le timbre est alors souvent ingrat.
TENOR DRAMATIQUE : Voix de ténor sombre.
Destiné à des rôles plutôt lourds, avec des
épanchements lyriques cependant.
Etendue : ut2-ut4. Tessiture centrale. Exemples de rôle :
=> Don Carlos de Verdi (lorsque chanté à la
façon italienne, et non
comme le grand lyrico-dramatique à la française
originellement prévu).
=> Lohengrin ou Siegmund (Die Walküre) de Wagner. Exemples d’interprètes :
=> James King
=> Jonas Kaufmann
=> Peter Seiffert
=> Mario Del Monaco
TENOR LYRIQUE : Voix plus
légère, moins sombre, plus "pure", plus souple que le
ténor dramatique.
On lui réserve généralement des lignes
mélodiques longues et
flatteuses. Le ténor lyrique est en quelque sorte, dans
l’imaginaire
collectif, l’archétype du ténor.
Variante : le lirico spinto est très utilisé
par Verdi. C’est
un ténor lyrique avec un très grand ambitus et des
possibilités
dramatiques. (comme Riccardo du Ballo in maschera).
Etendue : ut2-ut4. On lui requiert régulièrement le
contre-ut (ut4) de
poitrine. Tessiture un peu plus aiguë que le ténor
dramatique. Exemples de rôles :
=> Le duc de Mantoue dans le Rigoletto de Verdi.
=> Roméo dans Roméo et Juliette de Gounod
=> Gennaro dans Lucrezia Borgia de Donizetti Exemples d’interprètes :
=> Alfredo Kraus
=> Luciano Pavarotti
=> Roberto Alagna
=> Marcelo Alvarez
=> Ramón Vargas
TENOR DEMI-CARACTERE : On
y trouve bon nombre de rôles français moyennement lourds,
on y utilise
volontiers la voix mixte à partir du médium aigu - art du
chant qui se
pratique très peu désormais. Peut monter plus haut dans
l’aigu,
notamment en voix mixte.
Etendue : ut 2 - ut 4 . Exemples de rôles :
=> Nadir dans les Pêcheurs de perles de Bizet.
=> George Brown dans La dame blanche de Boïeldieu.
=> Les premiers rôles dans les opéras-comiques d’Auber.
Exemples d’interprètes :
=> Alain Vanzo
=> John Aler
=> Rockwell Blake. La virtuosité n’entre pas, sans doute
à tort,
dans les classifications traditionnelles. On pourrait considérer
que le
ténor rossinien est un ténor demi-caractère
musclé et très agile, parce
que les rôles comiques sont plutôt des tenori di grazia
agiles, et les
rôles sérieux sont plutôt des ténors lyriques
agiles. R.Blake est, lui,
un ténor demi-caractère agile, et Chris Merritt, un
ténor
lyrico-dramatique agile !
TENORE DI GRAZIA : Format
léger qui vise, comme l’indique son nom, à la
séduction. Il se trouve
chez Mozart et aussi dans le belcanto romantique (Nemorino de L’Elisir
d’amore de Donizetti). La voix doit être assez souple.
Etendue : ut2-ut4. Tessiture assez réduite (sol2-la3). Exemples de rôles :
=> Chez Mozart : Don Ottavio (Don Giovanni), Exemples d’interprètes :
=> Tito Schipa
=> Léopold Simoneau
=> Stuart Borrows
TENOR LEGER :
Voix claire, plutôt réservée à
l’Opéra-Comique, particulièrement dans
la seconde moitié du XIXe siècle, puis à
l’opérette. Il peut user de
voix de tête pour réaliser les aigus les plus
périlleux.
Etendue : ut 2 à ut 4. Exemples de rôles :
=> Zéphoris dans Si j’étais roi (Adam). Exemples d’interprètes :
=> André Mallabrera
=> les ténors d’opérette
Attention ! On a parfois tendance à confondre
ces trois catégories, qui sont il est vrai perméables.
Luigi Alva est
un ténor léger spécialisé dans les emplois
di grazia (ce qui lui vaut
d’être aujourd’hui largement contesté après des
années de triomphe). Le
ténor demi-caractère est si l’on veut l’avatar
français du tenore di
grazia, mais il est plus exigeant vocalement, et se rapproche souvent
du ténor lyrique. Certains rôles sont des même des
lyrico-dramatiques
avec un brin d’esprit demi-caractère ; c’est le cas,
typiquement, des
rôles de Meyerbeer (Robert le diable, Raoul de Nangis, Jean de
Leyde,
Vasco de Gama), qui pouvaient être chantés en voix mixte
ou en voix de
poitrine - historiquement, Nourrit et Duprez les ont chantés
avec
succès.
Quant au ténor léger, il est parfois confondu avec les
autres selon la lourdeur des rôles : Gérald de Lakmé
(Delibes) est un léger plus lourd qu’un rôle
d’opérette, et peut se
rapprocher du demi-caractère. Il est souvent rattaché
à des rôles de
héros qui refusent radicalement l’héroïsme.
TENOR DE CARACTERE
Sa voix est souvent nasale ou peu vibrée, car il s’agit avant
tout de
dresser un portrait. Il s’agit de l’anti-ténor-héros, qui
s’exprime
parallèlement à l’action principale. La voix n’est pas
conçue pour être
belle, mais pour exprimer des affects, souvent comiques. On trouve
parfois la classification de "ténor aigu", peu usitée,
qui recoupe
largement cette catégorie et celle du haute-contre (donc peu
pertinente).
Etendue : ut 2 à ut 4 Exemples de rôles :
Courts mais très nombreux.
=> Monostatos dans Die Zauberflöte (Mozart)
=> Les trois valets dans Les Contes d’Hoffmann (Offenbach)
=> Le Tanzmeister (maître à danser) dans le Prologue d’Ariadne
auf Naxos (R.Strauss)
=> Le Capitaine de Wozzeck (Berg) Exemples d’interprètes :
=> Heinz Zednik, version lourde (peut chanter Loge ou Mime dans le Ring
wagnérien) ; catégorie nasale
=> Michel Sénéchal, version
lyrico-légère (a chanté Vincent de Mireille
de Gounod, un rôle demi-caractère) ; catégorie
nasale et peu de vibrato
=> Jean-Paul Fouchécourt, lyrico-léger
également ; peu de vibrato
HAUTE-CONTRE
Ténor aigu qui était employé pour les héros
de la tragédie lyrique
(l’opéra baroque français). La voix en est claire,
progressivement
mixte en s’élevant, le ton doit en être à la fois
vaillant et charmant,
sans aucune violence. Il incarne le raffinement du genre et son
goût du
texte (par opposition aux infinies coloratures italiennes
contemporaines), qui grâce à ce type de voix est d’une
intellegibilité
parfaite - les harmoniques graves parasites sont gommées par
l’usage de
la voix mixte.
La tessiture se situe assez haut, toujours dans le médium aigu,
même si l’aigu n’est pas requis. Exemples de rôles : Tous les héros de la tragédie lyrique :
=> Lully : Cadmus, Atys, Phaëton, Roland, Persée,
Renaud (Armide), Thésée...
=> Charpentier : Jason (Médée)
=> Desmarest : Enée (Didon)
=> Destouches : Agénor (Callirhoé)
=> Leclair : Glaucus (Scylla & Glaucus)
=> Boismortier : Don Quichotte (Don Quichotte chez la
Duchesse)
=> Rameau : Dardanus, Zoroastre, Platée... Exemples d’interprètes :
Ces chanteurs peuvent tous chanter des rôles de
demi-caractère, de taille (moins exigeant), voire dans certains
cas de lyrique.
=> Guy de Mey
=> Bruce Brewer
=> Howard Crook (l’exemple-type)
=> John Mark Ainsley (par ailleurs récitaliste de lieder,
plutôt demi-caractère)
=> Gilles Ragon (peut chanter jusqu’au lyrico-dramatique)
=> Mark Padmore
=> Stephan van Dyck (autre exemple parfait)
A ne pas confondre : Le CONTRE-TENORn’a pas de lien avec
le ténor. Ce terme signifie simplement que la voix se situe
au-dessus du ténor. Il s’agit en réalité de falsettistes
- certains préfèrent utiliser ce terme, plus
explicite -, c’est-à-dire
de chanteurs qui utilisent la voix de tête (le registre de
fausset).
Ils peuvent être ténors ou barytons, à
l’origine ! Le contre-ténor
n’est pas une catégorie en soi : il existe des
contre-ténors alto et
des contre-ténors soprano. On n’en rencontre pas en musique
baroque
française. Exemples de rôles :
=> l’alto soliste du Messiah de Haendel (on en trouve en
règle génrale beaucoup dans les oratorios et cantates
baroques) Exemples d’interprètes :
=> James Bowman (le premier à retravailler en tant que
falsettiste)
=> Paul Esswood (alto)
=> Charles Brett
=> Andreas Scholl (alto)
=> David Daniels (alto)
=> Bejun Mehta (alto)
=> Brian Asawa
=> Philippe Jaroussky (soprano, qui s’essaie désormais
à l’alto)
=> Un cas entretient la confusion : Gérard Lesne, un
falsettiste
autodidacte qui chante aussi bien des rôles de
contre-ténor dans
l’oratorio italien que des rôles de haute-contre dans les
cantates
françaises ! Il se dit haute-contre, sans doute pour des
raisons de
style, mais est vocalement à classer comme contre-ténor. Autre piège :
Pour des raisons de publicité (faire comme les castrats) de
vraisemblance (les femmes guerrières ne font pas recette), et
aussi du
fait de l’envie des contre-ténors célèbres
d’élargir leur répertoire
(très réduit, et équivalant à presque rien
à l’opéra), on fait
aujourd’hui tenir des rôles de castrats aux contre-ténors
(comme les
rôles-titre des opéras de Händel : Rinaldo,
Giulio Cesare...), qui ont
par ailleurs du mal à se faire entendre en salle.
En effet, ces rôles étaient conçus pour castrats
alto ou voix de
contralto féminin, interchangeables, et les contre-ténors
de l’époque
étaient réservés à la musique sacrée
ou à de plus petits rôles. Ils ne sont donc pas des
rôles de contre-ténors,
même si ceux-ci peuvent être engagés pour les
chanter de nos jours. La
voix d’un contre-ténor n’a rien à voir avec celle d’un
castrat - plus
féminine, plus agile et plus puissante. Les contre-ténors
n’étaient pas
des falsettistes, d’où leur plus grande aisance.
A noter : on peut attribuer, on l’a vu, ces classifications
à un rôle ou à un interprète. On remarque
qu’il y a des mélanges. Ainsi, Don Basilio peut
être interprété par des tenori di grazia ou des
ténors de caractère (voire des ténors
légers).
De même, sans dévoyer l’esprit de ses rôles, Gilles
Ragon a chanté successivement Jason de la Médée
de Charpentier, Platée de Rameau (rôles de haute-contre),
Raoul des Huguenots de Meyerbeer (rôle lyrique lourd),
Ferrando dans le Così fan tutte de Mozart (rôle di
grazia), Thésée dans Les rois
de Fénelon (rôle dramatique, voire héroïque),
et va aborder Werther de
Massenet (rôle lyrico-dramatique). On remarque qu’il a
éprouvé des
difficultés dans Ferrando (son rôle le plus "léger"
hors répertoire
baroque) et dans Raoul (seulement vocales et très acceptables),
un
format lourd pour lui. Alors qu’il a chanté avec plus d’aisance
vocale
des rôles plus légers, plus lourds et plus centraux que
ceux-là.
Il y a aussi le cas de Nicolaï Gedda,
qui a chanté dans toutes les langues et tous les styles. Il a
ainsi
abordé avec succès TOUTES les catégories solistes,
heldentenor
excepté : du ténor dramatique très lourd
à la haute-contre, en passant
par les grands lyriques, les ténors demi-caractère, di
grazia, de
caractère ou légers ! Et avec une bonne
maîtrise des styles
spécifiques. Plácido Domingo pose un autre problème, puisqu’il
a aussi abordé
un répertoire allant du ténor héroïque (en
studio) au tenore di grazia,
mais toujours avec le même style de lirico-drammatico spinto...
Autant dire qu’il s’agit seulement de repères,
bon
nombre de rôles et d’interprètes se trouvant à
cheval entre deux
classifications (qui varient sensiblement d’un ouvrage à
l’autre, d’une
tradition à l’autre), et souvent en recouvrant plusieurs. On
voit ainsi
des mezzo-sopranes chanter Fidelio (soprane dramatique, Fidelio
et Leonore de Beethoven) ou Isolde (soprane dramatique, Tristan
und Isolde de Wagner), ou des sopranes chanter Oktavian
(mezzo-soprane lyrique, Der Rosenkavalier de Richard Strauss). Certains rôles, comme Dorabella ou Despina du Così
fan tutte de Mozart, très hybrides, sont impossibles
à classifier rigoureusement,
en l’absence de telles distinctions à l’époque de la
création. On les
distribue soit à des sopranes demi-caractère
(légères mais plus
sombres), soit à des mezzo-sopranes assez légères
(de Teresa Berganza à
Angelika Kirchschlager) - hélas parfois aussi à des
mezzo-sopranes aux
moyens plus écrasants.
Et beaucoup d’interprètes varient au cours de leur
carrière, tel Dietrich Fischer-Dieskau, qui de baryton aigu
à ses débuts (1941-1950 - il chantait le Winterreise
en tonalité originale !) est rapidement devenu baryton
lyrique (1950-1975) pour finir baryton de caractère (1975-1992).
En réalité, pour être totalement
pertinent, il faudrait
subdiviser cette classification en écoles selon les nations
chantantes
et les époques. Là, on pourrait approcher une certaine
pertinence.
Un autre sujet intéressant serait le rapport des
compositeurs avec les ténors, et la place qu’ils occupent dans
leur
schéma vocal et dans leur dramaturgie - ou la façon
qu’ils ont
d’influencer leur écriture. Mais ce n'était pas le lieu
sur Vocalises.net, plus focalisé sur la technique vocale et la
pratique amateur.
Pour ''tenter'' de clarifier brièvement certains problèmes épineux.
Un petit retour sur la classification des ténors, afin d'y entendre plus clair, s'imposait ainsi.
Le ténor fascine bien sûr par son aigu,
charmant ou éclatant, suave ou puissant. Mais le ténor
n’est pas unique, loin s’en faut.
Manière de clarifier au maximum les choses, on va étudier
la question sous deux angles : par période, puis par type.
EVOLUTION CHRONOLOGIQUE
Avant de commencer, un mot sur l’origine de
l’opéra.
L’origine de l’opéra
Dans les années 1570, se réunit à Florence un
cénacle autour du comte Giovanni Bardi, la Camerata.
Les réflexions de ce groupe de poètes et de compositeurs
conduisent à
l’idée que la musique vocale polyphonique alors en vigueur ne
permettait pas de saisir l’essence du texte dit, alors que la musique
pouvait jouer un rôle d’exaltation textuelle remarquable. Vers
1590, la
seconde Camerata, la plus célèbre, se tient chez
le mécène Jacopo Corsi. On y trouve des écrivains
comme Ottavio Rinuccini (futur librettiste des incontournables Dafne,
Euridice de Peri et Arianna
de Monteverdi) et des compositeurs comme Giulio Caccini, Jacopo Peri,
Emilio de Cavalieri. De leurs réflexions naît la
première commande et
la première création d’un opéra en Occident :
la Dafne de Peri,
à la demande de Ferdinand Ier de Médicis, et joué
au Palazzo Pitti pour
les noces de Marie de Médicis et d’Henri de Navarre. L’oeuvre
est
réputée indigeste, mais le genre, s’appuyant sur le
principe fameux du recitar cantando (déclamer en
chantant) va rapidement se développer au début du
XVIIe siècle (L’Euridice de Peri, La Rappresentazione
d’Anima e di Corpo de Cavalieri, L’Orfeo de Monteverdi, La
Callisto de Cavalli, Il Ruggiero de Francesca Caccini...).
1. La Genèse : le non-ténor
Pourquoi ce rappel ? Parce qu’à l’origine, les
typologies n’existaient
pas, en dehors de la répartition des parties dans la polyphonie
vocale,
selon la tessiture. Aussi les premiers opéras qui se
préoccupent avant
tout de texte
ne se soucient-ils guère de ces questions. Orfeo ou Ulisse
(Monteverdi)
peuvent aussi bien être chanté par des ténors au
médium intense que par
des barytons bénéficiant d’un aigu homogène. En
tout état de cause, on
n’attend pas d’ornements fleuris, et encore moins d’ajouts d’aigus
intempestif : le chant doit simplement renforcer la puissance
évocatrice de la déclamation.
2. L’apparition des rôles
Sautons allègrement au tournant du XVIIIe
siècle. A cette seconde étape, on trouve deux
modèles.
a) L’opéra en Europe
L’Europe entière, sauf exceptions localisées (certaines
villes allemandes, ou pour l’oratorio), n’emploie que l’italien,
comme langue internationale de l’opéra. Dans l’opera seria
(sérieux) de cette époque on trouve un amour infini de
l’ornementation. Fasciné par le pouvoir de la voix, le public
réclame toujours plus de virtuosité, de fantastique
dans le traitement vocal des personnages. Aussi on s’éloigne
radicalement du culte du verbe qui présida à la naissance
du genre opéra. Deux traits caractérisent l’idéalisation du
personnage propre à cette époque :
=> le caractère irréel, aigu de la voix. Les
rôles masculins sont chantés par des femmes à la
tessiture basse (mezzo-sopranes et contralti) ou par des castrats. Les
ténors, moins aigus que les castrats (alto ou soprano), donc
moins "idéaux", ne tiennent que les rôles de
pères manquants ou de comprimari (rôles
utilitaires très brefs) - et les basses, plus fréquentes,
de méchants ou de serviteurs.
=> la virtuosité dans les da capo (reprise du
premier des deux thèmes, dans tous les airs de l’opera seria),
domaine où excellaient les voix de femmes, plus souples, et les
castrats, entraînés depuis leur plus jeune âge.
Ceux-ci étaient plus à
leur aise dans l’ajout des diminutions, ainsi nommées
car on réduisait les valeurs de durée, de façon
à obtenir des coloratures
(emploi d’une série de notes sur une même voyelle) plus
impressionnantes : réduire les valeurs de durée a
pour effet, en
l’occurrence, de laisser la place pour en ajouter d’autres,
ornementales. La ligne devient alors plus sinueuse, les notes plus
nombreuses et moins longues - chaque interprète écrivait
les siennes
pour le da capo. Les ténors avaient moins de
facilités physiques
pour soutenir ces valeurs rapides. A l’époque,
l’esthétique n’était pas
dans l’ajout d’aigus éclatant, mais de valeurs rapides et
virtuoses de
voix naturellement aiguës. Les ténors tenaient dont les
utilités, ou
alors des rôles ingrats, tels les pères dont on aime
à se débarrasser :
Farnace chez Vivaldi, Mitridate, Idomeneo chez Mozart...
Mais les Français étaient là.
b) La tragédie lyrique
Dans l’Europe conquise par l’idiome romaine, un petit peuple
d’irréductibles gaulois résistait. A Paris, la
scène était tenue par
des opéras en français, le genre de la tragédie en
musique ou tragédie
lyrique. Les héros de la tragédie lyrique
(pêle-mêle Renaud, Phaëton,
Zoroastre, Roland, Atys, Cadmus, Dardanus, Persée,
Argénor, Jason...)
sont tenus par des ténors à la tessiture (part de la voix
où le
chanteur est le plus confortable) assez aiguë, qu’on nomme haute-contre.
Certains ouvrages généraux font la confusion avec le
contre-ténor, on y
reviendra. Les sujets sont toujours mythologiques, et le héros
en est à
la fois tendre et héroïque - comme son commanditaire et
premier fan,
Louis XIV. Cette voix à la fois claire et ferme permet en outre
une
grande intelligibilité du texte, qui avait encore la
préférence chez
les Français. C’est en somme toute ici que le ténor a
pour la première
fois la place de choix.
A la même époque, dans les choeurs, les solistes de
cantates
religieuses ou des rôles secondaires, on trouve l’existence d’une
voix
de ténor grave, la taille.
3. Les grands emplois
A partir de la seconde moitié du XVIIIe
siècle,
sans doute sous l’influence de l’opéra français (et sans
que ce soient
des haute-contre, car la tragédie lyrique a disparu), les
ténors
enfourchent régulièrement des rôles importants
dans les opéras italiens, toujours dominants en Europe. Voir Don
Ottavio (Don Giovanni) ou Ferrando (Così fan tutte)
chez Mozart.
Jusqu’alors les chanteurs mixaient les aigus,
c’est-à-dire qu’ils mélangeaient voix de tête et
voix de poitrine. La révolution se fait au début du
dix-neuvième siècle, où Gilbert Duprez invente
l’ut de poitrine. On peut désormais pousser des aigus
éclatants et percutants, d’une voix sombre.
Les rôles de ténor deviennent ainsi plus lourds, d’abord
à Paris, dans
le Grand Opéra à la française (Spontini,
Meyerbeer, Halévy...), puis
partout en Europe, avec des spécificités pour les
répertoires les plus
fréquentés, comme :
=> le ténor verdien, dit lirico spinto,
à la tessiture et à la ligne de chant longues, mais
à la voix "sombrée"
=> le heldentenor
ou ténor héroïque, prévu pour les rôles
les plus lourds de Wagner
(Tristan et Siegfried principalement), puis chez Richard Strauss, de
façon beaucoup plus lyrique (Der Kaiser dans Die Frau ohne
Schatten, voire Bacchus dans Ariadne auf Naxos). Le dix-neuvième consacre l’avènement du ténor
comme héros quasi-exclusif des opéras ;
en drame comme en comédie, il est le plus souvent brave et
amoureux.
Quelques rôles secondaires de ténor de caractère
subsistent, en
contrepoint au panache des premiers.
Le vingtième siècle voit le retour
à des formats plus légers,
mais dans l’ "ère du soupçon", le ténor ne
peut plus être crédible,
et il est souvent malfaisant ou ridicule. La catégorie la plus
utilisée
est celle du ténor de caractère, la plus expressive mais
pas la plus
"jolie", délibérément.
David LM - lirico-lungo
P.S. du 24 octobre 2007 : Un classement abondamment commenté des différentes voix de ténor a également été publié à la même époque sur CSS.
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