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Scribe plus grand que Racine, Robert plus fort que Phèdre

Ensuite ils prièrent [Mme Bordin] de leur désigner un morceau.

Le choix l’embarrassait. Elle n’avait vu que trois pièces : Robert le Diable dans la capitale, le Jeune Mari à Rouen, et une autre à Falaise qui était bien amusante et qu’on appelait la Brouette du Vinaigrier.

Gustave Flaubert, Bouvard et Pécuchet (1881), chapitre V (celui dévolu à la littérature).

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Voilà un extrait à ajouter dans la notule consacrée à l'impact de Robert le Diable dans la culture européenne.

Dans le village de Chavignolles, cette veuve, propriétaire de terres, qui ne songe qu'à obtenir la parcelle des Écalles par tous les moyens, n'a vu qu'une seule pièce de théâtre "sérieuse" et à Paris : Robert le Diable (nous sommes dans les années quarante du XIXe siècle, elle a donc dû assister à une représentation des premières années). Moment éclairant sur l'aspect absolument central de cette oeuvre dans la culture lyrique, musicale et théâtrale française.

La juxtaposition saugrenue avec le commentaire positive sur La Brouette du Vinaigrier ne fait qu'accentuer l'impression que cette oeuvre appartenait à la culture commune, et que chacun, du moins au delà d'une certaine élévation sociale, était susceptible de la voir, quand bien même il n'aurait eu aucune idée des règles et enjeux qui y sont mis en oeuvre.

Plus encore, Mme Bordin découvre juste avant ces lignes Phèdre de Racine, et affirme immédiatement après notre extrait « on sait ce qu'est un Tartuffe » - sans avoir, manifestement, lu la pièce. Aussi, Robert (avec tout ce que cela peut contenir de moqueur évidemment) constitue ici la seule référence littéraire, et de façon plausible, dans le domaine du théâtre de prestige. Voilà qui est frappant (à défaut de prouver quoi que ce soit) sur sa place singulière - les auteurs utilisent récurremment Robert comme le type même de la pièce à succès que tout le monde va voir. Et c'est rarement fait avec une grande tendresse, d'abord pour les besoins des oeuvres (l'opéra n'y étant qu'un lieu ou une référence qui sert de support à l'intrigue), mais aussi en raison du statut de référence académique de Meyerbeer, déjà considéré de son vivant (et malgré son succès démentiel) avec circonspection, représentant l'ordre établi (alors même que les livrets de Scribe sont assez subversifs par certains aspects) - ce qui n'est jamais très sympathique à des romantiques.

Bref, une citation qui confirme, l'air de rien, la place singulière de Robert dans l'imaginaire collectif.

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Au passage, les ressources de la recherche numérisée permettraient d'opérer, d'une façon peu coûteuse en temps, une recherche à large échelle pour mesurer la façon dont l'oeuvre resurgit dans les textes du temps et d'après.

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Pour prolonger :



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Commentaires

1. Le dimanche 4 décembre 2011 à , par T-A-M de Glédel

« La Brouette du vinaigrier » est une pièce qui conserve sa petite réputation dans les ouvrages d'histoire du théâtre, s'il s'agit bien du drame bourgeois de Mercier.

Je ne l'ai pas lu mais je ne sais pas si elle mérite un tel mépris.

2. Le dimanche 4 décembre 2011 à , par DavidLeMarrec

Est-ce que j'ai une tronche à mépriser les auteurs négligés ?

Je me suis contenté de remarquer que les deux autres oeuvres étaient des drames "non-sérieux" (et pas du comique institutionnalisé comme Shakespeare ou Molière), et je suis assez persuadé que Flaubert a délibérément mis ensemble ces trois références contradictoires pour faire sourire, c'est un procédé central dans tout ce roman. Je subodore d'ailleurs qu'il ne doit en porter aucune très haut dans son coeur.

:)

3. Le lundi 5 décembre 2011 à , par Guillaume

Je te soupçonne plongé dans la (re?)lecture de la spirale bouvardopécuchienne, une grande expérience de lecture, dire qu'il a compulsé 1500 livres de tout acabit pour écrire ce livre...
Il faudra peut-être aussi un jour réhabiliter Scribe de manière approfondie, sur pièce (non, ce n'est pas une demande de notule !), parce que même dans les vers, tout n'est pas à jeter - enfin dans ses meilleurs livrets. Peu de vers des Huguenots sonnent mal ou artificiels, il y aurait des choses à dire sur la poétique scribienne (et sur sa construction dramatique bien sûr !)

4. Le mercredi 7 décembre 2011 à , par DavidLeMarrec

Oui, B&P constitue une sorte de voyage sarcastique assez étonnant à travers la connaissance, et très bien documenté (avec des ouvrages réels et des données pas du tout fantaisistes).

Pour Scribe, j'avais projeté un travail plus académique sur le sujet, mais en lisant la pauvreté de ses innombrables vaudevilles, je me suis ravisé. Il existe déjà de toute façon une thèse transversale de Jean-Claude Yon, convertie en livre grand public (Eugène Scribe, la fortune et la liberté chez Nizet), par un évident admirateur de l'auteur. Il reste plus à faire chez plus obscur, Scribe est déjà célèbre et documenté (ses oeuvres complètes sont disponibles...), même si l'avis général, comme pour Meyerbeer, est souvent méprisant.

Et contrairement à Meyerbeer, qu'on peut défendre avec des données objectives (rien qu'en décrivant les partitions, on voit bien qu'on n'a pas affaire à une oeuvre banale pour son époque, mais bien à quelque chose d'original et assez neuf), Scribe demande préalablement d'adhérer à sa poétique du spectaculaire. Ce qui peut plus facilement être objectivé en sa faveur, c'est bien sûr son goût de la distanciation vis-à-vis de ses héros, quelque chose d'ailleurs bien plus proche de notre goût présent.

Quand je parle de la versification, il y a quand même des faiblesses objectives, même quand ils fonctionnent très bien, avec des chevilles évidentes, ou des rimes faciles, impures ou pauvres (voire avec des mots de la même famille...).

Mais bien sûr, je suis totalement d'accord avec toi, son économie* dramatique est absolument magistrale. Elle est d'ailleurs la cause de ses succès gigantesques, à mon sens.

* au sens de construction raisonnée et pas de sobriété, hein !

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David Le Marrec

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