Meyerbeer - Robert le Diable & Petrika Ionesco
Par DavidLeMarrec, mercredi 24 août 2011 à :: Opéra romantique français et Grand Opéra :: #1814 :: rss
1. Vidéo
Je découvre (à vingt-cinq ans d'intervalle) la mise en scène de l'enregistrement fameux de Fulton - dont les pirates sont disponibles par intermittence chez les vendeurs officiels. J'avais déjà entendu le son de ces soirées vidéo (avec Rockwell Blake à la place d'Alain Vanzo pour le disque, deux lectures de caractère profondément différent), mais je vois pour la première fois plus que des extraits du visuel.
L'occasion, en disant mon sentiment, de revenir sur certains enjeux de mise en scène de Meyerbeer.
Comme elle n'a jamais été publiée officiellement (c'est-à -dire en rémunérant les artistes), j'indique son existence en libre accès :
en ligne aux lecteurs intéressés.
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Ce que je vois est sensiblement frustrant, par contraste surtout avec l'aspect puissamment évocateur des bandes audio. Néanmoins, je ne trouve pas beaucoup de plus-value à suivre la mise en scène ici :
2. Scénographie
Armures de plates partout (pour un personnage daté entre le XIe et le XIIIe siècle). C'est un cliché habituel dès qu'il est question du Moyen-Age, d'imposer des armures typées Renaissance, mais sur scène, cela a le très grand désavantage d'encombrer la mobilité des chanteurs et surtout de les rendre considérablement plus difficiles à distinguer les uns des autres qu'avec des étoffes.
Le plateau étant nu, on ne voit de surcroît que de la ferraille errante, pas très agréable pour l'oeil. Sans parler du tintamarre afférent.
A l'acte II, c'est différent, on a bien un fond de scène détaillé, mais d'un degré de kitscherie qui n'a rien à voir avec la sincérité du pompiérisme qu'on attribue (à tort d'ailleurs) à Meyerbeer. Le décor évoque davantage les temples extrême-orientaux que les palais siciliens, alors que la mise en scène multiplie pourtant les accessoires "réalistes".
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3. Parti pris
Plus profondément, l'esthétique générale semble plus être fécondée par des visionnages répétés de Ken Russell que par le ton pince-sans-rire caractéristique des livrets de Scribe, à la fois empathique et légèrement moqueur vis-à -vis de ses héros. Le metteur en scène semble vouloir créer de force une atmosphère inquiétante et désespérée dans Robert, qui ne peut pas être tout à fait prise au sérieux au vu du livret. Celui-ci, sans avoir les qualités de second degré des Huguenots, ne laisse toutefois pas la place à une noirceur suffisamment complète (et la musique non plus) pour pouvoir soutenir cette lecture "noire" si elle est trop univoque.
Il suffit d'observer le début du troisième acte. Il n'est pas exceptionnel que les romantiques (mais Meyerbeer et Scribe sont parmi les premiers à le faire) qu'on mêle du comique au tragique le plus désespéré. Mais ici, ce n'est pas seulement un personnage indépendant de l'intrigue (Raimbaud) qui est touché, tel don César de Bazan dans Hernani, ou Fra Melitone dans La Forza del Destino de Verdi.
Dans ce troisième acte, c'est la figure même du diable qui est touchée... un diable des contes médiévaux, qui dupe les faibles et qui peut être lui-même dupé par les esprits forts. En rien un seigneur des ténèbres tout-puissant. Notre Bertram, diablotin parmi d'autres, et soumis à l'autorité central du Mal, tient davantage du démoneau de la légende méridionale du Pont du Diable (on la rencontre par exemple à Montoulieu en Ariège ou à Saint-Jean-de-Fos dans l'Hérault) que du seigneur omnipotent qui gouverne jusqu'aux desseins de Dieu dans le Livre de Job ou le Faust de Murnau.
Toute la façon dont Bertram s'amuse à inciter Raimbaud à boire est vraiment traitée sur le ton de la comédie, et affecte grandement la perception du spectateur sur la gravité de la cérémonie infernale qui s'ensuit. On pourrait attribuer à Scribe (et à un certain nombre d'autres librettistes de l'époque) le goût de cet allègement qu'on prête souvent à Stendhal. Il y a là une réalité assez étendue du goût littéraire français à cette période.
Je suis donc assez dubitatif sur la pertinence du choix de la solennité univoque par Petrika Ionesco.
Le moment qui bénéficie véritablement de ce choix est le ballet, très suggestif, réellement terrifiant et sans vulgarité. Visuellement, de plus, même si la vidéo l'occculte en grande partie par ses gros plans, le faux désordre des trajectoires des danseurs a quelque chose de puissamment plastique.
Je ne crois pas que ce soit volontaire, mais certaines des religieuses damnées, en nuisette-demi-tutu, ne bannissent pas tout à fait le sentiment de distanciation du reste de l'oeuvre (qu'on peut de toute façon omettre à ce moment-là ).
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4. Direction d'acteurs
Et je ne suis pas convaincu non plus par les mouvements scéniques. Les mouvements se réalisent quelquefois lorsque la musique est agitée, voire pendant des récitatifs rapides, c'est-à -dire lorsqu'il n'y en a pas besoin, tandis que le statisme est de mise lorsque, précisément, le texte n'avance pas.
Je renonce à exprimer mon opinion sur les traits d'humour (inquiétant ?) du metteur en scène, avec sa "pornographie" entomologique qui se veut suggestive ou drôle, sans doute, mais dont le caractère démonstratif (et gratuit) accuse plutôt sa dose de balourdise.
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5. Bilan
En d'autres mots : j'aime pas. Non pas que ce soit indigne, insupportable ou ridicule, mais cette mise en scène me paraît davantage retrancher qu'ajouter à l'oeuvre. On s'habitue cela dit sur la durée, on n'en vient tout de même pas à être gêné ; et le ballet est assez prenant.
Meyerbeer est difficile à mettre en scène, c'est certain, puisqu'il faut gérer à la fois la durée de l'oeuvre, la longueur de certains airs (surtout dans Robert, tout le personnage d'Isabelle est sujet à immobilité !), des scènes de foule et d'apparat massives, de la grandiloquence... et une petite distanciation qui affleure régulièrement.
Néanmoins, on y parvient mieux à mon sens en faisant confiance au livret (qui est très efficacement bâti) qu'en cherchant à forcer les aspects qui seraient censés parler davantage à notre air du temps.
Une fois de plus (c'est un lieu commun de la scène lyrique depuis au moins trente ans), on repère une disjonction profonde entre la conception musicale et la conception scénique, parce que le chef Thomas Fulton gère au contraire l'ensemble de ces facettes avec beaucoup d'esprit.
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6. Prolongements
Au passage, l'observation de l'originalité des titres proposés pendant cette saison 1984-1985 à Paris laisse rêveur, même le spectateur d'aujourd'hui. Pas tant par leur rareté absolue que par l'accumulation d'oeuvres qui, a priori, ne remplissent pas spontanément les salles. Il est vrai que Garnier et Favart sont si petits pour une ville comme Paris qu'on arrive vite au complet, si peu que le compositeur soit un minimum célèbre ou que les chanteurs aient suffisamment de notoriété...
- Autour des préjugés sur Meyerbeer
- Fortune et postérité de Robert le Diable (voir ici pour les liens plus étroits avec La ville morte de Rodenbach et Korngold).
Commentaires
1. Le jeudi 25 août 2011 à , par Pierre
2. Le jeudi 25 août 2011 à , par DavidLeMarrec
3. Le vendredi 26 août 2011 à , par Pierre
4. Le vendredi 26 août 2011 à , par DavidLeMarrec
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