Emplois vocaux : les critères objectifs & les « voix du rôle »
Par DavidLeMarrec, samedi 9 février 2013 à :: Pédagogique - Glottologie :: #2192 :: rss
Les amateurs d'opéra discourent à l'infini sur les questions de voix du rôle. Untel a-t-il le droit de chanter Telrôle, etc.
Pourquoi ?
Parce qu'il existe la tradition, et quantité de témoignages sur les créateurs de rôles souvent écrits sur mesures pour une flexibilité, une puissance, une couleur particulières. Je ne suis personnellement pas convaincu de la possibilité de remonter ainsi le temps avec exactitude, mais il est un fait que la voix du rôle reste une préoccupation majeure pour les chanteurs (et même chez ceux qui n'ont pas l'ambition de la voie professionnelle).
D'où la question du jour : pourquoi Tito Schipa ne peut-il pas chanter Tristan ?

Tessiture sintetiche avec couleurs, du professeur Gaetano Scarano. Rome 2000.
Ces dogmes largement indiscutés semblent faits pour donner envie à tous ceux qui ne se satisfont pas des arguments de l'authenticité, ou des impératifs esthétiques supposés, de découvrir ce qui empêcherait, concrètement, Jean-Paul Fouchécourt de faire Otello.
Les classifications des voix varient selon les époques, les pays, les genres abordés, et même d'une personne à l'autre (difficile de trouver deux personnes avec exactement la même nomenclature !) - et je ne les trouve pas vraiment pertinentes, car très souvent démenties, et incompatibles entre elles. J'aurai l'occasion de parler en particulier de la Fach allemande, conçue pour le recrutement dans les théâtres, et qui ne recoupe pas du tout la réalité des partitions, des styles et des exigences vocales.
Je crois qu'on peut isoler trois paramètres relativement objectifs, qui permettent de justifier ou d'infirmer, selon les cas, ces classements conçus a priori.
La tessiture
Le plus simple de ces paramètres, et compris de tous, tient dans l'étendue (notes extrêmes) et la tessiture ("centre de gravité") du rôle. Une voix qui n'a pas les notes du rôle (étendue) ou qui se trouve en difficulté dans la zone la plus utilisée de la partition (tessiture - comme le serait une partition de basse écrite sans cesse entre l'ut 3 et le fa 4, ou de ténor demeurant essentiellement entre le sib 1 et le la 2) ne peut pas ou ne doit pas en principe le chanter.
La puissance
La seule raison objective qui interdit à un ténor léger de chanter les wagnériens réside en réalité dans la puissance. Les rôles dramatiques doivent rivaliser avec un orchestre sonore : il faut donc que le métal (harmoniques formantiques de la voix), la projection et le volume soient suffisants pour être entendus.
Mais pour des rôles peu concurrencés par l'orchestre, comme Otello de Verdi (ponctuations très sonores, mais rarement en même temps que le chanteur), ou chez Wagner Tannhäuser, Lohengrin, Walther, Siegmund, voire Parsifal, il serait en réalité techniquement possible d'engager des chanteurs beaucoup plus légers que les habitués de ces rôles (pas des ténors légers, qui s'étoufferaient dans le grave, mais des lyriques de format moyen, assurément).
La couleur
Ce dernier paramètre n'est pas mesurable comme les autres, mais on peut plus ou moins s'entendre sur ce qui est une voix claire ou sombre, un son léger, lyrique ou dramatique.
Il est en réalité optionnel (une voix étroite bien projetée dans le nez peut être beaucoup plus sonore qu'un dramatique un peu étouffé), mais il est important pour la crédibilité dramatique des personnages : on imagine mal un Otello à la voix étroite, incapable d'éclats ou de noirceur. On ne voudrait pas non plus d'un Siegmund galant, dont l'ardeur aurait la grâce distanciée d'un héros lullyste.
Mais il entre dans ces choix une très large part de subjectivité, puisque concrètement, rien n'empêcherait d'outrepasser ce paramètre - c'est plutôt une question de style (les grandes déclamations dans le médium serait molles avec une voix trop légère ou aiguë, les délicatesses sonneraient trop empesées avec un format trop large) et de goût personnel.
En ce qui me concerne, étant particulièrement sensible à la clarté d'articulation, j'ai tendance à aimer les rôles larges chantés par des formats plus légers ; d'autres au contraire recherchent les rôles prévus pour petits formats lorsqu'ils sont chantés avec des voix plus glorieuses. Certains ne supporteront pas d'entendre des wagnériens dans Bach ou Haendel, d'autres souffriront difficilement des voix trop claires ou mixées dans le "grand répertoire" romantique.
En dehors de ces trois critères, les autres arguments sont en réalité des positions de principe, qui n'ont pas vraiment de fondement autre que "moral", "historique" ou "idéologique" - en tout cas pas musical. Il ne faut pas parce que ce n'est pas bien, parce que ce n'est probablement pas comme lors de la création, parce que ça a toujours été comme ça, mais en réalité l'exploration des enregistrements réalisés au cours du vingtième siècle montre la diversité incroyable des typologies vocales possibles et opérantes pour un même rôle.
Commentaires
1. Le mardi 12 février 2013 à , par malko
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