[[]]
« Pianistes » du Carnaval des
Animaux de Saint-Saëns, qui débute par une progression du type
Hanon. (Argerich & Freire.)
Un soir, alors que je rentre d'une journée de labeur consacrée à
illuminer le monde de ma profonde sapience et à porter toujours plus
haut le flambeau de l'Humanité, j'ouvre
Twitter – car pour être sage et ascète, en est-on moins homme ?
J'y découvre qu'un mien compère se lance dans le piano en pleine force
de l'âge – et dans l'interstice étroit de fiançailles suivies
d'épousailles. Devant cet acte de courage, et lisant son désir d'être
soutenu en cette ordalie, je m'apprête à le féliciter.
Quand. Je lis son aveu terrible.
«
Je travaille mais je sais que dans ma
bibliothèque, la Méthode Rose me regarde et me juge.
»
Méthode Rose, Hanon, Déliateur, trois noms de l'Antéchrist.
J'ai bien sûr commencé par l'encourager, mais je n'ai pu m'empêcher de
mentionner que mon avis, en ce qui concerne l'utilité des gammes, était
mitigé. Et j'ai promis d'en reparler.
Cette notule va me susciter l'indignation et le mépris de tous les
musiciens sérieux, non sans raison peut-être ; pour autant, je crois
qu'elle soulève quelques questions qu'on n'ose pas toujours formuler,
et qu'elle propose quelques contestations de l'ordre établi dignes
d'être soulevées – que le respect de nos maîtres et devanciers ont tôt
fait d'étouffer avant même que d'éclore en nos consciences tremblantes.
Comme je ne respecte rien, que rien ne m'est sacré – pas même Bach ou
Oïstrakh –, me voici. J'accepte donc les avanies à venir, elles seront
mon fardeau et ma contribution au Bonheur des Peuples.
1. La Tradition Immortelle
Je croyais naïvement qu'on n'utilisait plus guère la Méthode Rose, ni
les Czerny (avant un niveau plus avancé du moins). Mais le Hanon reste
une valeur sûre des épreuves imposées aux jeunes pianistes.
Et pourtant, je disconviens, sinon de leur utilité, du moins de la
pertinence de leur utilisation étendue.
Je vous propose donc un petit tour d'horizon des enjeux de cette
pratique ancestrale cruelle.
2. Vers l'Idéal
Beaucoup de professeurs, et c'est un réflexe bien naturel, souhaitent
tirer le meilleur de leurs élèves, et sont peut-être même attentifs à
cultiver les dons des plus prometteurs. Il ne s'agit pas d'être
insuffisamment rigoureux et de gâcher un futur génie : tout le monde
doit bénéficier d'emblée du meilleur enseignement !
Dans ce cadre, si l'on veut des musiciens sérieux, oui, il faut
pratiquer gammes ou vocalises (dont le statut est un peu moins
dispensable, j'y reviendrai), pour parfaire le geste à l'infini. C'est
entendu, et je ne le conteste pas. (Désolé, je ne vais pas non plus
vous fournir le prétexte ultime pour ne jamais faire de gammes dans
aucune situation, retournez à votre véritable clavier au lieu de me
lire vous donner des excuses !)
Cependant, peu de musiciens se destinent finalement à la carrière ; en
particulier ceux qui, comme mon compère fiancé – cachons-le sous le
pseudonyme L.N. –, débutent tardivement et sous forme de cours
particuliers hors cursus diplômant. Pour lui, quel est l'enjeu de subir
le Déliateur et ses semblables ?
3. L'intérêt pratique
Faire des gammes (ou des exercices), c'est évident mais il est toujours
mieux de le rappeler, apporte deux bénéfices concrets.
a) En faisant travailler de façon systématisée des enchaînements, elle
permet de développer une réponse musculaire égale, voire de renforcer
certains doigtés naturellement faibles – il y a pléthore de ces
choses-là pour renforcer l'annulaire, chez Hanon par exemple.
b) Les compositeurs utilisent, même indépendamment des traits
virtuoses, des bouts de gamme (puisque ce sont les notes de base du
langage égrenées les unes à la suite des autres, on en a toujours des
portions qui affleurent) ou des arpèges (puisque ce sont les accords
constitutifs de l'harmonie, qui permettent de créer une sorte de «
tapis » sonore), et en connaître les doigtés en amont permet de gagner
du temps lorsqu'on étudie, déchiffre ou travaille un morceau.
D'accord. Donc les gammes servent à être plus solide digitalement. Et
c'est maintenant que je vais tout casser.
4. Superfétatoires
Je commence par l'évidence : beaucoup de pianistes amateurs apprennent
un nombre de réduit de morceaux, et de difficulté limitée. Pour eux,
quel est l'intérêt de consacrer leur temps d'apprentissage à
systématiser des réflexes dont ils n'auront pas l'usage ?
→ Si c'est pour jouer des balades de Tiersen ou accompagner des
cantiques, aucun trait digital complet n'est requis, préparer du Hanon
est une perte de temps.
→ Si c'est pour jouer deux morceaux par an, le temps d'apprentissage
est si étendu sur chaque pièce qu'on a tout à fait le temps d'étudier
individuellement chaque bout de gamme présent, chaque faiblesse des
doigts : travailler ça de façon systématisée dans les douze tons est
absolument hors de proportion pour le but recherché, ce serait comme
travailler La Campanella
avant de jouer Au clair de la lune
avec un seul doigt.
→ Si c'est pour se faire plaisir, pourquoi dépenser ce rare temps de
loisir en exercices rébarbatifs – qui n'ont aucune, mais alors vraiment
aucune valeur musicale.
Ce temps limité serait beaucoup plus pertinent utilisé dans des
morceaux qui fassent plaisir, et si la perfection ou la représentation
en concert n'est pas l'objectif, pourquoi s'astreindre à ce type de
préparation punitive, qui n'a de sens que pour former l'élite ?
Ceci pose aussi la question du rapport à la perfection dans le
classique, que je trouve souvent assez malsain – on apprend
l'inhibition plutôt que le lâcher
prise, le respect tremblant de la lettre plutôt que l'abandon à
la musique – ce qui rend chez beaucoup insurmontable de pratiquer à
plusieurs ou de participer à une pièce musicale non écrite. Je dis dans le classique, mais c'est
peut-être plutôt dans le classique
en France, tant les points communs sont puissants avec les
langues étrangères, où l'on apprend à maîtriser la grammaire des question tags avant que d'arriver à
demander une baguette de pain pas trop molle, rendant
impossible la communication à moins de la perfection, et suscitant sans
doute cette forme de nonchalance vis-à-vis des étrangers : on se refuse
à parler une langue si l'on n'est pas sûr de son accent et de sa
grammaire.
5. Et si le pianiste était un
humain ?
Encore plus sottement pratique, sans doute, cet aspect : enseigner un
instrument par l'application de protocoles méthodiques et exhaustifs
néglige un aspect essentiel… la psychologie.
Oui, dans l'absolu, pour tout bien jouer, il est utile de connaître
parfaitement chaque constituant récurrent dans les morceaux, afin de
mutualiser l'effort en amont des œuvres qu'on joue, et de minimiser le
travail sur chaque œuvre prise individuellement. C'est vrai.
Mais les pianistes – en tout cas les amateurs qui n'ont pas que ça à
faire de leurs journées d'oisifs
inutiles à la société à parfaire des ploums-ploums en appuyant sur des
morceaux d'éléphants assassinés – peuvent aussi légitimement
objecter que cela rend le tarif d'entrée très élevé pour jouer des
choses parfois assez simples. Et cette méthode repousse l'accès au
plaisir, quand elle ne l'interdit pas tout simplement.
Car en plus de prendre sur le temps de plaisir – quand on commence le
piano à l'âge mûr, le but est-il vraiment de faire des gammes parfaites
pour pouvoir jouer les concertos de Liszt à Carnegie Hall ? –, cette
pratique sous-entend que le but de la pratique est la perfection. Or,
n'étant pas atteignable pour l'amateur dilettante, elle le plonge dans
une sorte de relation coupable avec son instrument, « je ne pratique
pas assez », « mon morceau n'est pas propre ».
Autant je veux bien concevoir que pour les professionnels, mal jouer un
morceau, c'est grave (encore
que certains semblent très bien vivre avec ça…), autant pour un
honnête homme qui veut simplement accéder pour soi-même aux plaisirs de
la musique, faire entrer cette relation de perfection impossible et de
culpabilité permanente me paraît franchement contre-productive. Non
seulement cela prend du temps sur celui dévolu au plaisir lui-même,
mais de surcroît la démarche elle-même sous-entend que le but tend vers
la perfection – pourtant inaccessible quand on ne pratique
qu'occasionnellement.
6. Les autres approches
Dernier élément avant de proposer quelques conseils et de suivre
quelques autres pistes.
L'approche « fais tes gammes d'abord », outre qu'elle me paraît assez
infantilisante – reléguant la sensibilité et l'intuition au rang de
coquetteries, ou de préoccupations pour
grandes personnes – occulte toute une part de ce qu'est la
pratique musicale.
Elle est légitime pour ceux qui souhaitent un bon niveau en instrument
(et encore, j'apporterai peut-être plus loin quelques nuances à cela),
mais pour tous ceux qui ont d'autres objectifs que l'excellence
technique, elle fait perdre du temps sur d'autres aspects aussi
importants – plus importants, même, à mon gré.
¶ Le déchiffrage. Si l'on est absorbé sur les histoires de doigts, on
travaille moins de nouvelles choses puisqu'on refait tout le temps les
mêmes exercices. C'est pourquoi beaucoup d'amateurs classiques
connaissent cinq morceaux par cœur qu'ils jouent en boucle et mettent
des semaines à monter une nouvelle pièce. C'est dommage, il y aurait
(pour certains d'entre eux, tout dépend des tempéraments et des buts de
chacun) plus de plaisir à tirer en découvrant au clavier les morceaux
qu'ils ont dans l'oreille ou à découvrir de nouvelles choses qu'à
rester enfermés dans leur tout petit univers, et à se pétrifier devant
toute nouvelle partition.
Évidemment, pour le déchiffrage, je tiendrai le même discours (et plus
encore : je ne vois pas du tout à
quoi ça sert) que pour les gammes, je ne vois pas l'intérêt de
faire ça avec des méthodes systématiques, on peut simplement lire
régulièrement de vrais morceaux.
¶ L'improvisation. Bien sûr, connaître des formules digitales toutes
faites est d'une grande aide, mais au lieu de s'obséder sur la
perfection et l'égalité de son Déliateur, on peut tout aussi bien
travailler le lâcher prise et
l'exploitation de l'imagination, où l'imprécision et l'erreur sont
admises. C'est une autre discipline, largement aussi légitime, et
probablement plus plaisante pour les amateurs qui ne pourront jamais
jouer aussi bien que leurs modèles, mais pourraient inventer des
univers sonores qui leur soient propres…
¶ Et, tout simplement, le travail technique ciblé sur le morceau qu'on
travaille. Est-il vraiment nécessaire de bosser la gamme d'ut dièse
majeur quand l'essentiel des œuvres qu'on joue auront au maximum cinq
altérations à la clef ?), ou même celle de sol s'il se trouve qu'on
travaille pendant un an seulement des œuvres bémolisées ? S'il y
a tel bout de gamme, on peut l'étudier dans le cadre de la partition.
[[]]
Première étude d'après Chopin de Godowsky (avec deux fois plus
de traits difficiles, simultanément), par Hamelin.
7. Corollaires
Il ne faut pas tirer de ces remarques l'idées que les gammes et
exercices sont mauvais en soi. En revanche, j'avouerai que les
enseigner en préalable à toute pratique relève peut-être, à mes yeux,
de la tradition paresseuse. (Chers professeurs et chers
musiciens, pour toutes insultes, vous pouvez écrire à
davidlemarrec chez online point fr, je les lirai avec tendresse et intérêt.)
Je trouve plus intéressant, s'agissant d'une pratique de loisir (chose mal admise en
général, y compris chez les mélomanes), de s'interroger sur les désirs
de l'élève. S'il veut avoir la fierté de monter des morceaux robustes,
alors les gammes ne paraissent pas hors de propos – du moins s'il a
suffisamment de temps à y consacrer pour que cela ne dévore pas son
temps de jeu sur la musique proprement dite.
Même dans ce cas, à la vérité, je ne vois pas forcément la plus-value
de ces exercices ennuyeux, mais il est vrai qu'on peut toujours les
pratiquer en lisant le journant ou regardant la télé, comme du vélo
d'appartement. On peut très bien travailler la technique localement :
pour que le Hanon ait de l'intérêt, il faut vraiment avoir l'ambition
de jouer des notes bien égales, et en faire suffisamment pour que cela
porte ses fruits !
Si le but est plutôt de jouer des musiques qu'on aime, de découvrir des
choses en farfouillant dans des partitions, de faire de la musique avec
des amis, d'improviser… alors je ne vois pas du tout l'intérêt de la
chose. C'est un peu comme le réflexe de frapper les petits enfants : on
l'a fait pendant des siècles et ça a très bien marché, mais on se rend
compte que ce n'est pas du tout indispensable, et qu'on le faisait
surtout parce que c'était commode pour ceux qui enseignaient plutôt que
pour ceux qui apprenaient. (Oui, parfaitement, je compare la Méthode
Rose au martinet, pour ne pas dire au silice – parce que je pense que
pour partie, ce mode d'apprentissage relève du réflexe transmis plutôt
que de la nécessité impérieuse. Ça marche, je ne le nie pas, mais on
pourrait faire aussi bien avec considérablement moins d'efforts
superflus.)
L'enseignement musical français a d'ailleurs la réputation d'être
particulièrement peu intuitif et très formel – les Hongrois font aussi
des gammes, assurément, mais l'approche est aussi beaucoup plus
complète et sensible, d'une certaine façon.
8. Cas particuliers
J'ai beaucoup parlé du piano, puisque c'était l'instrument choisi par
mon camarade fiancé. Le travail systématisé m'y paraît particulièrement
peu pertinent pour les élèves qui n'ont pas de projet professionnel
musical, pour toutes les raisons évoquées.
Pour les instruments à cordes, où la corne aux doigts est nécessaire et
où l'écart entre les notes doit être appris (n'étant pas déjà préparé
avec des touches fixes), ou bien pour les vents, où les muscles de la
bouche, la pression labiale doivent être apprivoisés, faire des
exercices me paraît moins incongru. Cependant ma réflexion générale sur
la primauté des gammes reste valable : elle me paraît souvent démesurée
et hors de rapport avec les objectifs de l'étudiant.
Pour les chanteurs, les vocalises sont encore plus nécessaires, puisque
l'instrument doit être chauffé pour marcher. Mais il y a, là encore,
une différence entre chauffer une voix pendant un quart d'heure, et
faire une demi-heure d'exercices purs. Par ailleurs, en travaillant
ainsi, on déconnecte l'instrument du texte, on uniformise les voyelles…
ça permet d'obtenir du bon legato,
mais là encore, pour un chanteur occasionnel, travailler avec pour
entrée le naturel et la saveur du texte ne me paraît pas totalement
incongru. Aucun professeur n'enseigne ce type d'approche non
systématisée, donc je ne sais pas si cela marche – mais lorsqu'il m'est
arrivé de coacher des
chanteurs avec ce type d'approche, j'y ai en tout cas constaté des
évolutions très encourageantes. [Je ne peux pas, faute de recul
suffisant, savoir si cela procède] d'une impression personnelle sans
fondement, de mon charisme personnel ravageur ou vraiment de l'approche
que j'ai choisie…]
Dans le même esprit, énormément d'amateurs en chant se limitent à « ce
qui est bon pour ma voix », ce qui a beaucoup de sens pour les
professionnels – s'il faut assumer 70 soirs par an avec orchestre,
autant que ce soit dans une tessiture confortable et pas avec des
prérequis de puissance gigantesques –, mais absolument aucun pour les
amateurs. Pour commencer, si vous chantez avec piano, que vous chantez
du Wagner ou du Mozart, ça ne change rien… il ne faut pas forcer, mais
si vous chantez « dans votre voix », vous pouvez très bien interpréter
Brünnhilde avec votre voix de soprano léger sans vous faire mal. Par
ailleurs, en tant qu'amateur, vous chantez peu en principe, donc si
vous faites 20 minutes d'Elektra une fois par semaine, vous ne risquez
vraiment rien (à condition encore une fois de ne jamais forcer, de
s'arrêter si ça fait mal, de ne pas imiter les grosses voix, etc.).
Je crois qu'il est simple de comprendre que si les professeurs et les
professionnels y font attention, c'est que préparer une production avec
plusieurs semaines de répétition, suivie d'une série de représentations
où il faut chanter tout le rôle d'une traite (et même si on est en
méforme), par-dessus un orchestre de 200 musiciens, en répétant de très
nombreuses fois les mêmes phrases éprouvantes, oui, c'est dangereux
pour la voix. Avec un piano une fois par semaine, honnêtement vous
chantez ce que vous voulez, faites-vous plaisir. [Je peux en
témoigner dans ma chair : chanter l'Immolation
de Brünnhilde, même pour un homme, c'est difficile parce que Wagner
écrit n'importe comment pour la voix, mais avec accompagnement de
piano, aucune fatigue vocale particulière.]
Et pourtant ce tabou demeure extrêmement puissant – à la vérité je
connais peu de chanteurs amateurs qui osent chanter régulièrement hors
de la zone définie par leur prof, alors même qu'ils n'ont aucune, mais
alors aucune ambition de carrière, ni même parfois d'entrer dans des
ensembles amateurs ou de donner des petits récitals… Là encore, on
raisonne comme si la perfection était un préalable pour avoir le droit de faire de la musique.
Je ne dis pas que chacun doive faire ainsi, mais si vous avez envie de
jouer mal des chefs-d'œuvre et de chanter dans une voix qui n'est pas
la vôtre des rôles pour lesquels on ne vous embaucherait jamais… qui
vous retient ?
Tout cela permet de dresser la démarche gammes comme, à mon sens,
extrêmement partielle et inutilement cohérente : il existe d'autres
voix moins pénibles pour les amateurs, suivant leurs désirs. Comme
simplement s'exercer sur leurs morceaux plutôt que sur des études
digitales dénuées d'intérêt, et dont le bénéfice, à l'intensité de leur
pratique, reste douteux.
9. Autobiographie
Après avoir dit tout cela, je suppose qu'il est loyal que j'indique d'où je parle.
Je ne proviens pas d'une famille de musiciens. Je n'avais tellement pas
les codes qu'en arrivant au conservatoire (d'où je fus bientôt retiré),
on me fit très vite comprendre, à cinq ans, que je n'avais pas
d'oreille et que je ferais mieux de trouver d'autres centres d'intérêt
que la musique. J'ai continué hors du conservatoire, mais cela situe
simplement que j'ai pu observer tout cela avec l'œil du candide – d'où,
peut-être, le fait qu'il n'y a pas pour moi de bonne façon de pratiquer la
musique, seulement des désirs personnels qui varient selon les
individus.
En pratiquant le piano, puis l'orgue, j'ai toujours refusé de pratiquer
les exercices systématisés (le Hanon, me concernant) dont je ne voyais
pas l'intérêt. Mon objectif n'était pas la virtuosité, je voulais
plutôt – cela n'étonnera personne – essayer moi-même les œuvres que
j'aimais, et plus tard découvrir celles qui n'étaient pas enregistrées.
Passer du temps à parfaire mes réflexes digitaux était retranché au
temps de ma pratique de découverte, je n'en voyais pas l'intérêt.
Le fait intéressant est que l'absence d'exercices méthodiques n'est pas
un obstacle insurmontable, puisque, assez jeune, on m'a proposé la
titularisation à la tribune d'une cathédrale d'une grande ville de
France – comme quoi il était possible de jouer correctement sans passer
par la Méthode Rose. J'ai décliné pour exercer mon métier actuel, qui
m'amuse infiniment plus que le travail de précision nécessaire pour
être un bon instrumentiste professionnel. Mais cela appuie mon propos
sur le caractère pas si incontournable que cela des gammes ; ce qui est
irremplaçable en revanche, c'est le travail, on ne peut pas y échapper
si on veut bien jouer. Que cette préparation se fasse avec des
exercices systématiques, c'est commode si l'on veut progresser en vue
de concours (ce n'était pas mon cas, proposition faire de gré à gré,
sans doute une des dernières tribunes proposées de cette façon…), parce
que cela permet de travailler tout de suite les aspects critiques, mais
ce n'est pas forcément à ce point la base de tout – et ne devrait pas
l'être pour ceux des amateurs qui n'ont pas un projet d'excellence.
Ma pratique musicale s'est donc plutôt portée sur le déchiffrage –
j'improvise hélas médiocrement, même si la pratique du continuo m'améliore doucettement
sur ce point –, si bien que je peux lire à vue (avec beaucoup de
fautes) à peu près n'importe quoi. Il m'est arrivé de jouer (à peu près
sans erreur) en première lecture du Dutilleux (simple) ou du Messiaen.
En revanche, comme je n'ai pas bossé mes gammes, je joue mal. Donc je
peux jouer du Wagner à vue, je n'ai pas de pudeur avec ça, si l'on
passe les fausses notes, les rythmes fantaisistes, les harmonies
inexactes. Cela fait de moi un mauvais musicien, assurément, parce que
je refuse de passer de mon temps de loisir sur cette Terre à des
contraintes rébarbatives. Mais cela répond aussi parfaitement à mes
attentes : je ne veux pas faire de concerts, je veux juste pouvoir
accompagner des chanteurs, faire de la musique avec mes amis, découvrir
des partitions non enregistrées – en cela, mon travail répond très
exactement à mes objectifs, et je me sens ainsi très à l'aise dans mon
rapport avec la musique.
Un jour, dans un conservatoire parisien, un raccord avant le concert…
le pianiste était introuvable, la soprane était stressée de ne pas
pouvoir retenter quelque chose qu'elle avait essayé à son dernier
cours. Y a-t-il un pianiste dans la salle, etc., je me dévoue en
prévenant que ça vaudrait ce que ça vaudrait, et en première lecture,
j'ai vaguement accompagné, avec des fautes évidemment, un air de Bizet
que je n'avais jamais lu. Ça a rendu service, c'était une expérience
très satisfaisante (et assez émouvante pour moi, de découvrir ainsi de
façon tout à fait improvisée la partition de cet air que j'adore). Je
sais très bien que le palier entre bidouiller ça et le jouer proprement
en concert est immense pour moi, et me réclamerait des heures de
pratique hebdomadaire supplémentaires, que je ne suis pas prêt à
retirer de mes autres activités. Je ne fais qu'adapter ma pratique à
mes objectifs – dans ce cadre, je ne vois pas trop à quoi le Hanon me
servirait. Les gammes sont davantage utiles pour la lecture à vue, oui,
dans la mesure où l'on en rencontre beaucoup et que les avoir dans les
doigts évite de se vautrer à l'instant donné.
Si je prends le temps de partager cela, ce n'est pas pour me hausser du
col : je suis un musicien de niveau médiocre, je ne m'en cache pas – et
c'est parfois mal compris. Je n'ai pas de pudeur particulière à mal
jouer, pour moi le plaisir est de mettre ses mains dans la mécanique,
comme on désosserait un moteur sans savoir le remonter, juste pour
observer sa constitution.
[Je me rends compte aussi, une fois écrit tout cela, que j'avais
peut-être peur d'être accusé de vouloir saper l'enseignement musical
parce que je n'y connais rien ou parce que je suis frustré, voire de me
faire juger par ceux qui se disent « Le Marrec il ferait mieux de faire
ses gammes plutôt que de recommander aux autres d'être aussi mauvais
que lui ».]
Cependant ma position est souvent mal comprise : les mélomanes très
occasionnels sont évidemment impressionnés (et manquent tout à fait la
dimension désinvolte de l'exercice « oh mais tu joues Wagner tu es un
grand musicien »), les musiciens sérieux voient parfois cela comme de
la prétention. Le quiproquo me peine quelquefois lorsque c'est avec des
amis qui sont meilleurs musiciens que moi : souvenir que les chanteurs
voulaient faire Salomé ; et
moi d'ouvrir la partition et de dire « oh, c'est tranquille, il y a une
note à chaque main » – dans la réduction piano, il y a des moments où
le nombre d'informations est finalement assez réduit, à ma grande
surprise. Et là, je sens tout le monde assez gêné – parce qu'autour de
moi, on considère probablement que cela réclamerait beaucoup de travail
(sous-entendu, pour être bien fait). J'essaie bien d'expliciter à
chaque fois, pourtant ; lorsque je dis « pas de problème, je le fais »,
c'est pour signifier que je suis capable de le jouer à mon standard
(c'est-à-dire qu'on reconnaisse vaguement Salomé sans que ce soit forcément Salomé…) et que je suis prêt à
essayer de les accompagner, pas pour décréter que « Strauss c'est
fastoche » et encore moins que je suis un dieu du piano qui peut tout
jouer. A fortiori pour ceux
qui m'ont entendu et savent mon absence absolue de remords à mettre des
pains partout lorsqu'on me lance un chef-d'œuvre sous les doigts.
Peut-être est-ce perçu comme un jugement de valeur implicite – je
prétends pouvoir jouer des choses que ceux qui jouent mieux que moi
pensent ne pas pouvoir jouer ? (Donc sous-entendu que je suis le
meilleur, alors qu'il est évident je ne suis pas bon, ce qui dévalorise
tout le monde ?)
Je suppose que, justement, le statut central des exercices et de
l'exactitude, dans l'apprentissage de la musique, conditionne cette
perception. Le côté « je gratte trois accords sur ma guitare mais je
vais jouer du prog underground » choque beaucoup moins dans des
répertoires qui valorisent moins l'excellence que la convivialité. En
tout cas, je retire une véritable satisfaction en ayant creusé ces
aspects qui m'intéressaient – plutôt que ceux que j'étais censé
travailler comme élève. Aucune
fierté, aucune honte : je joue tout, et ça donne ce que ça donne, voilà
tout.
Jusqu'à présent, personne ne m'a convaincu d'arrêter Wagner – j'ai eu
des réactions surprises quelquefois (sur le mode « ah oui, tu oses »),
mais considérant que Wagner était un sale type qui ne mérite aucun
respect, je ne vois vraiment aucune raison valable de m'abstenir si
cela m'amuse.
Si je partage tout cela, d'une façon inhabituellement intime en ces
pages, c'est pour essayer de situer la nature de ma prise de position :
il ne s'agit pas de l'amertume de quelqu'un qui a souffert des
exercices (j'ai tout simplement refusé de les faire quand ils me
paraissaient superflus par rapport à mes objectifs) ; il ne s'agit pas
non plus de l'avis éclairé d'un virtuose du piano qui aurait une
méthode alternative d'excellence à proposer et des dizaines d'élèves
célèbres à montrer en exemple. Pour autant cette opinion n'est pas
seulement une vue de l'esprit de quelqu'un assis derrière sa pile de
disques : il faut la voir comme un témoignage du fait que d'autres
voies sont possibles. Et que, d'une façon générale, les élèves n'osent
pas verbaliser leurs objectifs à leurs professeurs : si vous souhaitez
découvrir un nouveau morceau chaque semaine plutôt que de faire des
gammes ou chanter hors de votre tessiture, vous pouvez très bien vous
mettre d'accord avec lui et laisser tomber la Méthode Rose ou les
Vaccai. Libre au professeur d'accepter de se conformer à vos objectifs
ou de décliner votre offre en considérant qu'il poursuit une forme
d'idéal.
Si j'ai pris mon exemple personnel – je ne suis pas très à l'aise avec
cela, mais je ne connais pas d'autres parcours du genre, puisque ceux
qui ne font pas leur Hanon ne sont probablement pas devenus des
virtuoses célèbres ! –, c'est que j'ai l'impression qu'un certain
nombre de frustrations ou d'objectifs non atteints, chez les musiciens
amateurs, sont liés à cette forme d'autocensure… on suit l'objectif du
professeur, qui vous forme comme un pro, au lieu de formuler réellement
ce dont on a besoin. (Les professeurs devraient aussi, à mon sens, s'en
enquérir, mais à la vérité, si vous prenez des cours particuliers, tout
est entre vos mains !)
L'un des nombreux passages du final de Salomé avec une note à chaque main.
10. Leçons de vie
À défaut de vous donner de bons conseils de piano, voici toujours cette
grande leçon de vie : verbalisez vos besoins. Et ne laissez pas la
tradition choisir à votre place comment vous devez faire les choses.
Les exercices, certains y prennent du plaisir ; d'autres y perçoivent
des progrès qui leur facilite ensuite l'accès aux œuvres, foncez.
En revanche s'ils vous ennuient, s'ils vous détournent de votre piano,
s'ils vous causent des crises de culpabilité parce que vous ne «
travaillez pas assez »… dépenser de votre temps dans du Déliateur, ou
même des gammes, n'est peut-être pas la bonne option. Il n'est pas
illégitime d'avoir pour objectif de jouer des morceaux sans qu'ils
soient en place, d'improviser plutôt que de respecter les partitions,
en somme de faire de la musique sans excellence, pour le plaisir. Et il
n'est pas indécent de le dire à son professeur, pour que vous
travailliez dans le même sens au lieu d'essayer de lui dissimuler que
vous n'avez « pas assez travaillé » – ce qui ne veut rien dire, le
travail d'un amateur doit être corrélé à son plaisir et à ses
objectifs, pas à la discipline de l'élève modèle en train de préparer
les concours.
Évidemment, le seul moyen de progresser, c'est de pratiquer ; il est
évident que si vous ne jouez pas, vous ne progresserez pas. En revanche
vous pouvez pratiquer de bien des façons, et toutes ces façons sont
légitimes. La musique est censée nous procurer des satisfactions,
pas des
frustrations sans fin fondées sur des objectifs démesurés et dépourvus
de sens.
N'ayez donc pas peur d'utiliser contre vos professeurs la gamme
d'arguments que je mets à votre disposition… Vous pouvez lui laisser
mon adresse pour les messages indignés.
Je suis évidemment ouvert à toutes les propositions déshonnêtes pour
écrire d'excellents ouvrages de développement personnel : Pourquoi vous n'avez pas besoin de réviser
pour les examens, Pourquoi vous avez le droit de laisser vos enfants
pleurer, Pourquoi vous ne devez plus faire le ménage…
(oui, je me suis quand même rendu compte que cette notule
ressemblait à ça)
Estimés lecteurs, mélomanes contemplatifs ou praticiens assidus,
portez-vous bien en attendant le prochain
effondrement-de-la-civilisation (et autres règlements sur le burkini).
Ce billet, écrit à par DavidLeMarrec dans la catégorie Discourir a suscité :
Préambule : l'histoire de l'Ukraine pré-1800 en quelques secondes.
Au
Moyen-Âge, l' « Ukraine » (le mot et le concept n'existent pas
vraiment) est incluse dans le royaume
polono-lituanien (qui
occupe une grande verticale Nord-Sud). Cela explique les doublets de
vocabulaire polonais / russes dans le lexique ukrainien.
À partir du XVe siècle, des paysans ruthènes (la quatrième langue slave
orientale avec le russe, le biélorusse et l'ukrainien) orthodoxes, qui
refusent le servage et l'assimilation aux Polonais catholiques, sont
utilisés comme rempart contre les Tatars puis les Turcs : ce sont les
fameux Cosaques, ces hommes
libres redoutés, et considérés comme les
ancêtres de l'Ukraine en tant qu'État.
Aux XVIe-XVIIe siècles, les révoltes cosaques finissent par chasser les
Polonais avec l'aide des Tatars et des Russes – ces derniers font des
Cosaques un État-tampon jouissant d'une certaine autonomie, une Marche
(« Ukraine »).
À la fin du XVIIIe siècle, l'Ouest de l'Ukraine (Galicie) est intégrée
dans l'Empire autrichien, tandis que Catherine II supprime leur
autonomie aux Cosaques, devenant de ce fait membres de l'Empire russe.
Il va de soi que je ne suis absolument pas spécialiste de l'histoire de
l'Europe orientale, j'ai superficiellement lu quelques repères sur le
sujet, et je partage pour ceux qui, aussi candides que je l'étais il y
a quelques jours, y trouveront de quoi penser. (Je me figure qu'il
existe toutes sortes de débats nuançant ce que j'esquisse ici.)
Pour ce qui nous intéresse à présent, en lien direct avec l'histoire
musicale du pays.
Avec le romantisme et le
souffle de 1848, les
Ukrainiens s'emparent de
leurs propres mythologies et
de leur propre folklore musical,
comme
partout en Europe. Le phénomène n'est pas limité aux compositeurs :
la population éduquée étudie la langue populaire, l'Histoire et les
histoires. C'est l'apparition des municipalités dans les villes
(hromada / gromada), du panslavisme libéral, du désir de maîtriser son
destin et de prendre fierté dans sa culture propre. Cependant, après
l'insurrection polonaise de 1863, l'Empire refuse ce frémissement : le
nom d'Ukraine est remplacé par celui de « Petite Russie » ; il est même
interdit d'imprimer des livres en ukrainien.
En Galicie, il subsiste des écoles enseignant l'ukrainien – on perçoit
donc très bien aujourd'hui cet héritage linguistique –, mais les élites
y sont majoritairement polonaises.
Dans ce cadre, les compositions qui exaltent la culture ukrainienne
s'inscrivent dans une fenêtre
temporelle et politique assez étroite,
entre l'apparition d'une musique à l'occidentale à la fin du XVIIIe
siècle (mais largement inspirée par la musique italienne et
conditionnée par les besoins de la liturgie orthodoxe, ainsi qu'on l'a vu), voire la naissance du
sentiment national fort au fil du premier XIXe siècle, et
l'interdiction de la diffusion de la langue ukrainienne par l'oukase
d'Ems en 1876. Cela explique sans doute qu'on ait peine à identifier
aisément une musique intrinsèquement ukrainienne – tout a été fait pour
l'éviter.
[Moi
aussi, j'ai longtemps cru que le terme de « Petite Russie » était le
terme affectueux désignant un peuple frère, ainsi qu'on me l'a appris,
un hommage aux origines de l'Empire russe. En réalité, l'Ukraine est le
paillasson de la Russie depuis la fin du XVIIIe siècle – je vous passe
les
épisodes mieux connus des repressions politiques au XXe siècle, de
l'élimination des syndicats comme des élites, de l'abolition de la
République, de la famine organisée, etc. En somme, ce qui se
passe aujourd'hui n'a dû surprendre personne d'informé, je crois – oui,
je fus surpris.]
Le chanteur, compositeur, ethnologue et statisticien Hulak-Artemovsky.
6.2.2. Hulak-Artemovsky
Semen Hulak-Artemovsky(1813-1873)
peut
aussi être graphiéGulak et Artemovskiy, suivant les partis
pris de translittération du Г « guè » cyrillique (Гулак-Артемовский)
.
Hulak (soyons familiers) a d'abord été un baryton à succès. Il est
formé à Kyiv (au Séminaire
théologique !), repéré
par Glinka qui cherchait un Ruslan pour son opéra Rouslan & Loudmila (considéré
comme l'opéra fondateur de l'école russe). En connaissant les aspects
rossiniens qui subsistent dans cette partition, ou en ayant lu les épisodes précédents, vous ne serez pas surpris
qu'on ait envoyé Hulak pour se former en Italie – il fait ses débuts à
Florence en 1841. Il brille à l'Opéra, à Saint-Pétersbourg comme à
Moscou : Masetto, Ashton dans Lucia
di Lammermoor…
Compositeur donc tourné vers la voix, et resté célèbre surtout
localement, pour des chansons
ukrainiennes et… Запорожець за Дунаєм (« Les
Zaporogues au delà du Danube »), l'un des tout premiers opéras à
succès
écrits en ukrainien. L'œuvre est même créée d'abord au Mariinsky de
Saint-Pétersbourg, et le compositeur y participe comme chanteur
(1863,
puis au Bolchoï de Moscou
l'année suivante) !
À présent que nous avons tous un peu l'histoire de la
région à l'esprit, vous voyez bien ce que le sujet a de spécifiquement
ukrainien : elle raconte la
libération des Cosaques de
Zaporijia prisonniers des Turcs, à travers
une petite histoire de fuite amoureuse manquée. [Mais oui,
Zaporizhzhia, désormais lieu
emblématique de la résistance ukrainienne,
autour de la fameuse centrale nucléaire. Cet endroit, au Sud-Est du
pays actuel, vers l'embouchure du Dniepr, était le fief des Cosaques
d'où émana plus tard l'État ukrainien.]
Finalement rattrapés, tous obtiennent leur pardon et peuvent retourner
sur
leurs terres. Un opéra des origines de la nation, et aussi de la
captivité, une sorte de Nabucco
à l'ukrainienne ! Rencontre de civilisations rivales également.
Gai et folklorisant,
on peut y voir une collection de chansons autant qu'un opéra ! Voyez
par exempe l'arioso de Karas, le rôle tenu par le compositeur
lors de la création. Mais on y rencontre aussi des airs très lyriques,
par exemple celui du Sultan.
Mais dès 1876 et l'oukase d'Ems bannissant l'ukrainien, l'opéra est interdit de représentation. Il ne
revient sur scène qu'à partir de 1884, par une troupe ukrainienne.
Ses premiers opéras datent des
années 1850 : Українcькe Beciлля
(« Noces ukrainiennes », 1851) est, si je comprends bien mes sources
(en ukrainien…), une collection de chansons qu'il regroupe pour servir
de structure à une petite intrigue (où il chante lui-même le
beau-père), Hiч на Iвaна Kyпaлa
(« La veillée d'Ivan Koupala », 1852).
Au disque, il n'existe que des bribes de tout cela.
Pour finir, trois anecdotes qui me paraissent révélatrices.
¶ Hulak
n'est pas qu'un chanteur, il est aussi un représentant de cette
élite éclairée, un honnête homme
qui s'intéresse à la médecine
populaire et… aux statistiques.
Il publie ainsi un ouvrage Tableaux
statistiques et géographiques des villes de l'Empire russe,
alors même que sa carrière bat son plein (1854). Sa démarche de mettre
en valeur le folklore et la langue n'est donc pas à rapprocher d'une
forme de chauvinisme nationaliste, elle est plutôt le fruit d'un
intérêt pour le vaste monde, d'une sorte d'éveil de la conscience à une
multitude de disciplines et de patrimoines, à commencer par celui que
l'on a près de soi et que l'on a longtemps négligé.
¶ En
février 2013, pour les 200 ans de sa naissance, la Banque
nationale d'Ukraine émet une pièce en
argent, signe que le compositeur, même s'il n'a pas à l'étranger
la même réputation emblématique que Lysenko, est toujours considéré
comme un maillon considérable dans la formation de l'identité
ukrainienne.
¶ En février 2020, avant la première fin-du-monde, l'Opéra de Kyiv donnait l'opéra Les Zaporogues au delà du Danube.
Dans ces mêmes jours, l'Opéra de
Donetsk proposait La Fiancée
du Tsar – qui raconte comment le tsar russe Ivan le Terrible
extorque le consentement des femmes qu'il aime, mais le raconte tout en
le glorifiant… Ce n'est pas seulement un symbole, c'est aussi le
symptôme de deux visions du monde qui s'entrechoquaient déjà, celle
d'une nation ukrainienne autonome (qui, se crispant autour de la guerre
civile à l'Est, a par moment rejeté la langue russe), et, en miroir, le
mythe d'une Russie protectrice – d'une protection prédatrice, comme
protège le parrain ou le souteneur. L'opération spéciale humanitaire de
maintien de la paix et de bisous sur le nez a évidemment fait voler en
éclat ces tensions fines qui pouvaient s'exprimer dans la culture
(voire dans une guerre qui pouvait être considérée, peut-être à tort,
comme civile) pour établir
aussi clairement qu'il est possible, désormais, des lignes de fractures
dans les ruines et le sang, lignes sur lesquelles il n'est même plus
possible de discuter – considérant le mur de l'information totalement
divergente. Mais il est frappant de constater comment ces œuvres et ces
langues émanent d'une part d'un fonds culturel spécifique et profond,
annoncent d'autre part des fractures entre les territoires et les
peuples.
Vue
intérieure de l'Opéra de Kyiv.
Je fais une pause ici :
il y a beaucoup à dire sur Lysenko
évidemment, la superstar de l'opéra en ukrainien, j'aurais peur de
faire un peu trop long – et je manque un peu de temps, je dois écrire
le programme de salle de mon festival chouchou… De surcroît, j'ai mis
la main sur une version discographique de Taras Boulba de Lysenko, dont
je n'avais à ce jour entendu que des extraits (accompagnés au piano).
Publiée par Melodiya, d'ailleurs, ce qui permettra d'oser quelques
commentaires plus généraux. Je rencontre aussi quelques pépites dans le
piano de Lysenko, que je vais creuser. À suivre en direct ici.
J'espère que la suite arrivera bientôt, une fois digéré ces nouvelles
écoutes, et une fois complété les quelques choses que je voulais vous
raconter sur ledit Lysenko.
--
Que peut-on retirer de cette notule ?
J'avais déjà mentionné, dans l'épisode 2 « La Grande Matrice », autour des sources
folkloriques communes, qu'il n'était pas évident de différencier, du
simple point de vue musical, le patrimoine sonore russe du patrimoine
ukrainien. Je ne doute pas que ce soit possible, mais chez les
compositeurs les plus emblématiques, cela reste difficile : les talents
ukrainiens ont étudié en Italie, sont allés exercer en Russie jusqu'à
leur disgrâce ou leur mort ; la plupart sont de toute façon considérés
comme des pierres angulaires du patrimoine russe, comme Anton
Rubinstein ou Alexander Mossolov…
Cet épisode 4, autour de l'école nationale ukrainienne du milieu du
XIXe siècle, apporte à mon sens une coloration différente : il existait
une conscience ukrainienne, et une musique qui se fondait sur le
folklore (histoires et mélodies), dont la saveur se distingue des
œuvres russes de la même période. Il existait même une certaine tension
entre les deux mondes : Lysenko refusa à Tchaïkovski, si je me rappelle
bien – je dois justement procéder à ces vérifications pour la prochaine
notule – la traduction d'un de ses opéras pour une exécution en
Russie. Pour lui, la langue était véritablement consubtantielle de son
œuvre, et le projet même de ses compositions était de mettre en valeur
un patrimoine spécifiquement ukrainien, pas d'en faire un succès
international à forme variable. 30 ans à peine après l'éclosion de
l'opéra ukrainien, l'oukase d'Ems règle brutalement la question en
bannissant les œuvres en ukrainien des scènes – du moins celles
contrôlées par l'Empire russe, mais je ne crois pas qu'il y ait eu une
activité musicale ukrainienne particulièrement vivace en Galicie, où
l'Empire austro-hongrois garantissait cette liberté linguistique. (Le
degré de précision des recherches à effectuer pour le vérifier
outrepasse en tout cas de très loin le temps que je peux dépenser pour
une notule. Disons que parmi les compositeurs emblématiques de ce
temps, aucun n'est issu de cette région.)
Tout cela à l'époque où la Norvège invente les deux néo-langues nationales, où les
peuples des villes se soulèvent de Paris à Budapest et un peu partout
en Italie… Il y a là quelque chose de puissant dans l'évolution des
consciences nationales à l'échelle de l'Europe, abondamment documentée
par les historiens, mais qui touche aussi jusqu'à l'existence des
langues… et à l'esthétique musicale !
Non seulement il existe un projet ukrainien spécifique, donc, mais en
regardant l'histoire politique d'un peu plus près, je découvre pour ma
part l'oppression structurelle exercée par la Russie depuis le XVIIIe
siècle : révoquant des droits (indépendance des Cosaques, liberté
linguistique…), supprimant jusqu'au nom d'Ukraine (ce pauvre mot qui
voulait déjà dire « État-tampon »)… Petite-Russie, que je croyais
affectueux, reflet de cette fraternité dont on nous a temps parlé, est
en réalité un euphémisme puissamment orwellien, qui en interdisant un
mot, tente d'interdire la pensée. Le communisme n'a pas inventé la
langue de coton, ni l'éthique de l'Ogre.
Je trouve – mais possiblement parce que je suis peu cultivé au départ –
que cette notule permet de compléter le constat du deuxième épisode :
il est difficile de différencier la musique ukrainienne de la musique
russe… mais il existe une aspiration à une musique spécifiquement
ukrainienne, et cet indifférenciation est surtout le fruit de
structures géopolitiques : les meilleurs musiciens Ukrainiens étaient
éduqués en Russie ou partaient y exercer (en se conformant
éventuellement au goût des élites locales), des portions de leur
identité étaient interdites et leurs élites régulièrement décimées par
le pouvoir russe voisin. S'il n'y a pas beaucoup de musique audiblement
ukrainienne, c'est donc moins par manque de désir de ou distinction
réelle que par une impossibilité politique, les talents étant exilés et
les spécificités locales réprimées.
Je pensais naïvement que la musique permettrait de sublimer notre
désarroi devant l'opération spéciale humanitaire de maintien de la paix et de
distribution de ganaches à la framboise. En réalité, elle nous y
renvoie violemment : nous sommes les témoins bien involontaires de
structures destructrices à l'œuvre depuis des siècles.
--
À part tout cela, j'espère que vous avez une belle vie – et que le
tabouret, la
corde et le lustre sont rangés dans un endroit peu accessible.
À bientôt, peut-être, si la démence de notre frêle espèce nous en
laisse le luxe.
Pour compléter :
→ le reste de la série Ukraine, arrangée dans un chapitre
spécifique ;
→ le fil Twitter que je complète et développe dans
cette série CSS (celui de Twitter en est déjà loin, en plein XXe) ;
→ la série un jour, un opéra pour laquelle j'avais repéré,
justement, ces Zaporogues ;
→ la playlist
Spotify autour de Hulak & Lysenko.
Ce billet, écrit à par DavidLeMarrec dans la catégorie La musique en Ukraine a suscité :
Plusieurs événements ont infléchi le cours éditorial de Carnets sur sol :
→ ma fantaisie, fin 2021, de présenter
les compositeurs que l'on
aurait pu fêter en 2022 ;
entreprise assez chronophage en cours de traitement (nous en sommes aux naissances de 1872, et le temps d'arriver à
1972, l'année touchera probablement à sa fin…) ;
→ l'opération spéciale humanitaire de maintien de la paix et de
distributions d'oursons en peluche en Ukraine, qui a conduit à cette série autour de la musique ukrainienne. Quelques
dizaines de compositeurs à présenter, dont une grosse partie est déjà
rédigée et prête, mais je n'en ai publié que trois ; à cela s'ajoutent
des conseils d'écoute en musique folklorique ukrainienne et quelques
autres aspects. Ce sera long, mais c'est plutôt un atout, dans la
mesure où le pays mettra longtemps à panser ses plaies, et où la
rémanence de la culture (musicale parmi d'autres) sera sans doute
difficile : l'idée est justement de ne pas se limiter à l'émotion des
premiers jours mais à nourrir notre conscience de l'existence de cette
culture jusqu'alors un peu sous les radars, peu importe si la
série est filée sur des années ;
→ ma préparation d'un récital, incluant des traductionsfrançaises chantables de lied dont
j'aimerais présenter (comme pour le Rossignol de
Berg, par exemple) les tensions et enjeux. Notamment Schubert
(achèvement de ce Winterreise au
long cours…), Clara Wieck-Schumann, Alma Schindler-Mahler… ;
→ ma participation au prochain festival Un Temps pour Elles,
spécialisé dans la musique (en général inédite !) de compositrices. En
rédigeant les programmes, je rencontre ou formalise des histoires ou
des notions qui peuvent trouver leur place ici. Les programmes sont
imprimés donc courts, je peux donc partager quelques versions un peu
plus longues ici. (Ce seront tout de même des formats courts, soumis à
votre curiosité.)
Tout cela occupe mon temps disponible, évidemment, et limite mes
recherches pour CSS ; mais va aussi tout simplement occuper une partie
de la ligne éditoriale de Carnets
sur sol, retardant sans doute la suite de séries (que je sais
attendues) comme « Une décennie, un disque » ou « la Bible en musique ».
Je sais que le Monde est impatient ; mais le Monde devra ronger son
frein néanmoins…
Aujourd'hui, donc, je partage l'une de mes découvertes à l'occasion de
la préparation du festival : Sophie
Gail, compositrice de romances… et d'opéras comiques ! Je
découvre, un peu ébaubi, qu'il était donc possible de faire réellement
carrière à l'opéra (et pas n'importe où, au Théâtre Feydeau, salle
officielle de l'institution qui est devenue aujourd'hui, dans un
nouveau théâtre, l'Opéra-Comique) en étant une femme, dans les années
1810 – et sans causer de scandale qui occulterait les œuvres
elles-mêmes.
Le programme que j'ai été chargé d'introduire tisse les Romances de la
compositrice avec les œuvres d'une poétesse d'aujourd'hui. (Je ne sais
pas si je suis encore autorisé à dévoiler la programmation, donc je
n'en dis pas plus pour l'heure.) Je n'ai pu trouvé, sur tous
supports, qu'une piste unique (assez ancienne…) de disque qui
documente les œuvres de Sophie Gail, mais ce sera tout de même
l'occasion de parler un peu du genre de la Romance – d'autant que le récital
que je prépare, et dont je serai amené à exploiter certains aspects ici
(traductions notamment), sera également centré autour du sujet.
Vous pouvez cliquer sur les liens pour entendre les sons…
« — Dans une tour obscure
Un roi puissant languit,
Son serviteur gémit
De sa triste aventure.
— Un regard de ma belle
Fait dans mon tendre cœur
À la peine cruelle
Succéder le bonheur. »
(Extrait de la romance « Une fièvre brûlante » de l’opéra
comiqueRichard Cœur de
Lion de Grétry.)
L’Allemagne a son lied,
adopté pour retrouver le frisson de la chanson populaire et glissant
doucement vers un plaisir de connaisseurs des classes sociales
supérieures, voire vers un laboratoire purement musical, osant ce qui
était impossible dans des pièces de concert où il fallait plaire à un
public plus vaste.
La France a la
romance. Poème populaire attesté depuis le Moyen-Âge, il tombe
en désuétude avant d’être remarquablement prisé au XVIIIe siècle : le
principe est initialement le même, une mélodie simple, un texte sans
sophistication qui évoque en général des amours mélancoliques, une
saveur populaire ou champêtre. C’est l’époque où les opéras comiques présentent la vie à la campagne comme un idéal où
l’humain est sans malice ; c’est aussi celle où une reine de France se
fera bâtir hameau et laiterie pour se rêver bergère.
La romance connaît un succès phénoménal et devient un
véritable objet musical, transposable en version instrumentale (témoin
celles de Beethoven pour violon & orchestre ou celles de
Mendelssohn, certes d’un abord simple mais pas dépourvues d’ambition
musicale), mais aussi une forme très appréciée de la haute société :
elle évoque, dans les grands salons urbains, une simplicité lointaine
et d’une certaine façon exotique.
Certaines ont profondément marqué leur temps : Partant pour la Syrie (texte), écrite par Hortense de Beauharnais (alors reine de Hollande
!), servit d’hymne national officieux, un demi-siècle plus tard, au
Second Empire. Vous qui d’amoureuse
aventure de Dalayrac
(tiré de Renaud d’Ast) a lui, été arrangé sous les paroles
« Veillons au salut de l’Empire », autre hymne officieux (du
Premier Empire). Une fièvre brûlante
innerve tout l’opéra Richard Cœur de
Lion de Grétry, repris
du violon ou de la voix, et sert de pivot dramatique à toute l’intrigue
(Beethoven en a fait 8
Variations). Semblablement, Plaisir d’amour de Martini a traversé les siècles,
devenu l’allégorie centrale de l’intrigue dans une pièce de théâtre des
époux Goetz au milieu du XXe siècle (qui a servi de base pour
l’emblématique The Heiress de Wyler), et
demeure encore chanté régulièrement dans les albums des chanteurs, lyriques
ou non.
La romance a cependant toujours refusé, à l’inverse
du lied, d’essayer la sophistication ; le genre voix-piano qui sert de
laboratoire musical, à partir du second XIXe siècle, sera appelé «
mélodie ». Romance est donc synonyme de simplicité : des couplets
récurrents (avec ou sans refrain), une mélodie immédiate, un
accompagnement qui n’attire pas l’attention, un sujet amoureux servi
par un poème simple.
« Air sur lequel on
chante un petit Poeme du même nom, divisé par couplets, duquel le sujet
est pour l’ordinaire quelque histoire amoureuse & souvent tragique.
Comme la Romance doit être écrire d’un style simple, touchant, &
d’un goût un peu antique, l’Air doit répondre au caractere des paroles
; point d’ornemens, rien de maniéré, une mélodie douce, naturelle,
champêtre, & qui produise son effet par elle-même, indépendamment
de la maniere de la Chanter. Il n’est pas nécessaire que le Chant soit
piquant, il suffit qu’il soit naïf, qu’il n’offusque point la parole,
qu’il la fasse bien entendre, & qu’il n’exige pas une grande
étendue de voix. Une Romance bien faite, n’ayant rien de saillant,
n’affecte pas d’abord ; mais chaque couplet ajoute quelque chose à
l’effet des précédens, l’intérêt augmente insensiblement, &
quelquefois on se trouvé attendri jusqu’aux larmes, sans pouvoir dire
où est le charme qui a produit cet effet. »
(dans le Dictionnaire de la
Musique de Rousseau)
Sophie Garre
(1775-1819), connue sous son nom d’épouse Sophie Gail, était au cœur de
cet engouement. Écrivant déjà des airs lorsqu’elle était mariée, elle
se livre pleinement à la carrière après son divorce, en 1801. Elle écrit cinq opéras comiques dans les
années 1810, représentées au Théâtre Feydeau (le lieu principal de la
création d’opéras comiques en ce temps) : Les deux Jaloux, Mademoiselle de Launay
à la Bastille, Angéla ou L’Atelier de Jean Cousin, La Méprise et La Sérénade. L’accueil en est bon,
y compris chez ses collègues compositeurs – Méhul notamment.
Dans le même temps, en 1816 et 1818, elle se produit
en tournée à Londres et en Allemagne, où elle exécute elle-même les
Romances de sa composition, qui remportent un vif succès. Elle propose
de nouvelles tournures dans ses compositions, et certaines, comme Celui qui sut toucher mon coeur,
connaissent une telle vogue qu’on dénombre au moins cinq variations
instrumentales écrites sur sa mélodie – dont une pièce bien plus
tardive de Louise Farrenc pour flûte et piano (l’opus 22, de 1831).
Il faut dire que Sophie Gail avait été formée très
sérieusement, et s’étant mise après son mariage à l’étude théorique,
par des professeurs qui avaient sensiblement son âge : l’Autrichien
Neukomm, le spécialiste des compositions d’inspiration grégorienne
Perne (collègue de Félix Danjou), le grand musicologue (observateur,
compositeur, théoricien pionnier y compris de la polytonalité) Fétis –
qui était son cadet.
« La réunion de
talents qu’on trouvait en Mme Gail la rendait fort remarquable.
Profondément musicienne, elle accompagnait la partition avec aplomb et
intelligence, chantait avec goût et avec beaucoup d’expression, formait
de très-bons élèves, et composait avec facilité de jolies choses qui
ont obtenu une vogue décidée. »
(Biographie universelle des
musiciens de Fétis.)
Sa vie méritera sans doute aussi l’attention des
chercheurs et des romanciers, elle semble trépidante : une femme qui
entre 1790 et 1820 parvient à s’imposer comme compositeur d’opéra (et
dont la compétence est saluée par le public et ses pairs), menant dans
le même temps une vie sentimentale très libre – en plus de celui issu
de son mariage, elle a quatre fils, de quatre pères différents ! –,
voilà qui aurait de quoi nourrir la réflexion et, sans doute,
l’imagination.
[Elle m'évoque ma chère Sophie Arnould (1,2,3) de Luzarches…]
Voici pour cette esquisse, qui appellera d'autres pour certains
programmes. J'ai constellé l'article de liens qui vous donneront des
pistes d'écoute ou de lecture si jamais le temps vous paraissait un peu
long.
À bientôt, estimés lecteurs. Puissiez-vous survivre dans ce monde semé
d'embûches, au moins jusqu'à la prochaine notule !
Ce billet, écrit à par DavidLeMarrec dans la catégorie Portraits a suscité :
À présent que je dispose d'un agenda complété de toutes les grandes saisons 2023
qui viennent de paraître (Garnier, Bastille, Philharmonie,
Champs-Élysées, Radio-France, Versailles, Seine Musicale…), on se
plaint en me disant « mais il y a déjà trop de choix, comment choisir ?
».
Je tente donc de contribuer à votre bien-être avec cette petite
sélection rapidement commentée de concerts qui me paraissent
particulièrement prometteurs. Évidemment, je ne puis deviner ce que
chacun a entendu, il y a donc quantité d'œuvres et de concerts au
programme assez habituels qui seront très bien et auxquels vous pourrez
prendre beaucoup de plaisir si vous ne les avez pas déjà entendus vingt
fois…
J'ai tâché de l'organiser de la façon la plus claire possible, en
classant les genres du plus grandiose au plus intime, et à l'intérieur
de chacun, par ordre chronologique approximatif d'âge des compositeurs
ou de composition des œuvres. Comme cela, vous pouvez ne chercher que
le baroque ou le vingtième en regardant au début ou à la fin de chaque
genre, ou bien vous limiter à l'opéra, au lied, etc.
Puisque vous me lisez, vous le savez déjà, mais les meilleurs concerts
sont souvent les tout petits qui ne sont annoncés que deux semaines à
l'avance et qui permettent, pour un tarif très modique, d'être tout
près des interprètes dans une petite salle où l'on entend très bien,
dans une atmosphère de communion particulier et avec des propositions
souvent plus originales – on ne saurait trop recommander de tenter les
soirées du CNSM, notamment les ateliers lyriques qui sont de véritables
propositions scéniques souvent très supérieures aux mises en scène
dispendieuses mais assez statiques qui prévalent aussi bien chez les tradi que chez les regie…
Il vous faudra donc, pour en tirer le meilleur, jeter un œil régulier à
l'agenda pour ne pas les manquer… je les inscris dès que possible, mais
il m'arrive d'apprendre deux jours avant qu'un opéra inédit est joué
dans tel conservatoire, par telle institution pas du tout musicale ou
par telle micro-compagnie passée sous mon radar…
A.
Opéra scénique
Sacrati, La Finta Pazza par la
Cappella Mediterranea (3,4 décembre)
→ Opéra du XVIIe italien, donc primauté à la déclamation et action en
général plutôt statique. Je ne suis pas encore allé entendre celui-ci,
mais les critiques ont été absolument dithyrambiques. LULLY, Armide par Pitoiset
& Le Poème Harmonique (12,13,14 mai)
→ Le chef-d'œuvre de LULLY, avec prononciation restituée et mis en
scène, par une très belle équipe. Grétry, La Caravane du
Caire par Pynkoski et Le Concert Spirituel (9,10,11 juin)
→ Pynkoski réussit à chaque fois des tours de force scéniques (rendre Richard Cœur de Lion palpitant !) ;
ce Grétry-ci, dont Napoléon a fait donner un extrait lors de sa prise
de Moscou, demande aussi à être mis en valeur et je suis très curieux.
(Le Concert Spirituel était électrisant dans Richard, et la distribution reprend
beaucoup de chanteurs en commun.) Stravinski, Poulenc : Le
Rossignol (en français !) et Les Mamelles de Tirésias par Les Siècles
(mi-mars)
→ Version prévue par Stravinski, elle n'existe que dans un vieil
enregistrement de la RTF, très bien chanté, mais où l'on entend mal
l'orchestre. Et sur instruments d'époques ! Avec les rares Mamelles, une soirée de folie en
perspective.
Britten, Peter Grimes à l'Opéra
Garnier (février)
→ Pas donné depuis très longtemps à Paris, un drame original et prenant
autour des rumeurs dans un village – avec en sous-main, comme dans Billy Budd, un propos sur
l'homophobie. Privilégiez plutôt les dernières dates, le temps que
l'orchestre se chauffe : ce n'est vraiment pas le même en fin qu'en
début de série !
Stockhausen, Freitag par Le
Balcon (14 novembre)
→ Suite du grand cycle Licht.
Temporalités distendues, dispositifs dramatiques / scéniques / musicaux
toujours surprenants, il y a toujours quelques longueurs, mais
l'expérience marque très longtemps, et la musique n'est pas si
difficile d'accès… c'est autre chose,
et cela mérite complètement d'être essayé.
B. Ballet Adès, The Dante Project,
ballet de McGregor (mai)
→
Si l'on s'intéresse à la musique dans le ballet, il y a fort longtemps
qu'on n'a plus trop de quoi se satisfaire à l'Opéra, où l'on a pourtant
eu dans les périodes pré-Dupont des ballets sur des musiques de Franck,
Copland, Rangström, Sauguet, Damase, Morton Gould… Cependant cette
proposition-ci paraît bien tentante, par un compositeur syncrétique et
souvent inspiré, auquel la forme variée et discontinue du ballet
devrait très bien fonctionner. Sur un sujet a priori porteur de contrastes
spectaculaires.
→ On remarque au passage qu'il faut désormais « Project » dans le nom
pour vendre des musiques plus rares (Walton, Weinberg…), quand ce n'est
pas du « Beethoven project » pour refourguer deux sonates à titre !
C. Opéra en concert
LULLY, Thésée par Les Talens
Lyriques (22 mars)
→ L'opéra de LULLY qui a connu le plus grand succès jusqu'en 1730 ! Contre
toute attente, car c'est probablement, après Psyché II, le moins inspiré de son
auteur. Il a été plus souvent repris que, par ordre décroissant : Atys, Amadis, Roland, Armide, Phaëton,
Cadmus et Alceste !
→ Il n'a pas été redonné en France depuis Le Concert d'Astrée il y a
une quinzaine d'années (et auparavant, ce devait être le concert de fin
de stage à Ambronay il y a un peu plus de 20 ans, dirigé par Christie,
avec notamment Legay, d'Oustrac, Novelli et Immler dans la distribution
!), et ce n'est pas non plus une œuvre inintéressante : son premier
acte est une succession vertigineuse de combats audibles hors scène, de prières, de récits de guerre… une des pages les plus impressionnantes de toute
l'histoire du genre !
Jacquet de La Guerre, Céphale & Procris par A Nocte Temporis
avec Cachet et Mauillon (22 janvier) → Une des plus belles tragédies en musique du XVIIe siècle :
on attend avec une impatience ardente qu'elle soit remontée
(prononciation restituée, ici ? Mechelen la pratique avec son
ensemble, certes dans une perspective moins exagérément archaïsante que
Green-Lazar-Dumestre), le livret a un remarquable potentiel dramatique,
et la sophistication de la musique rend son écoute passionnante et
saisissante.
Charpentier, Médée par Le
Concert Spirituel (27 mars)
→ Œuvre qui contient à la fois les plus beaux duos d'amour de
l'histoire de l'opéra et la scène des Enfers la plus terrifiante de
toute la tragédie en musique. Ici, avec la prise de rôle tant attendue
de Véronique Gens ! (mais attention, le rôle est vraiment grave pour
elle, ça ne la flattera pas à son maximum).
Mlle Duval, Les Génies par
l'Ensemble Caravaggio (7 mars) → De Mlle Duval, on ne sait à peu près rien : aussitôt son
opéra joué, elle disparaît de nos radars : s'est-elle mariée, tout
simplement ? Très curieux de l'entendre (tout début
XVIIIe). Philippe d'Orléans, La Suite
d'Armide par la Cappella Mediterranea (2 juillet)
→ Formé et aidé par Gervais, Philippe d'Orléans écrit des opéras dans
une veine hardie, qui doit beaucoup à l'influence italienne (tellement
que l'on soupçonne des fautes d'harmonies ou de copie…). Pas aussi
ébouriffant que Penthée (et
livret bien plus sage, mais grand plaisir d'entendre pour la première
fois une version intégrale !
Rameau, Castor & Pollux
version 1737 par l'Orfeo Orchestra de Budapest (13 mai)
→ Version bien supérieure dans son économie dramatique (tout n'y est
pas joué d'avance, Pollux hésite bel et bien) à la version de 1754 (qui
dispose en sus de quelques moments musicaux très réussis), et qu'on
entend très peu. L'occasion de profiter de récitatifs assez
extraordinaires qui disparaissent en partie dans sa refonte. Le seul
opéra de Rameau qui dispose d'une telle tension dramatique – le
caractère décoratif ou indolent de ses livrets constituant la
principale faiblesse de son catalogue pour le public d'aujourd'hui.
Rameau, Zoroastre, par Les
Ambassadeurs (16 octobre) → Livret très désordonné, regorgeant de rebondissements
exagérés, qui a la particularité de mettre en scène le panthéon
zoroastro-mazdéen. Musicalement trépidant, très animé de bout en bout. Gluck, Iphigénie en
Aulide, par le Concert de la Loge Olympique (7 octobre) → À la création, tout le monde pleurait dans la salle. Moins
tendu que son pendant de Tauride, de très beaux moments, un vrai sens
mélodique, avant que Gluck ne radicalise encore son style dépouillé –
qui conserve ici encore quelque chose des galanteries rococo de ses
prédécesseurs.
Mozart, Così fan tutte par la
Chambre de Bâle & Antonini (24 mars)
→ Mozart par cet orchestre et ce chef, voilà qui va ravir tous les
amateurs de crincrins et pouêt-pouêts !
Bertin, Fausto par Les Talens
Lyriques (20 juin)
→ Personne ne sait ce que cela vaut : Louise Bertin, fille du directeur
du Journal des Débats, à qui Hugo voulut complaire en écrivant un
livret (La Esmeralda) tiré de Notre-Dame de Paris, n'éblouit pas
trop dans ce seul opéra publié (mais dans des circonstances
imparfaites). On l'avait accusée ailleurs de laisser Berlioz écrire une
partie de l'œuvre – apparemment il n'aurait fait qu'aider à
l'orchestration, pas extraordinaire au demeurant. J'ignorais même
qu'elle avait écrit d'autres opéras, et n'ai eu le temps de chercher
aucune information sur ce Fausto.
Quoi qu'il en soit, c'est du neuf absolu, par une compositrice de grand
opéra à la française (il n'y en a pas beaucoup !).
Massenet, Hérodiade par Car,
Borras, Semenchuk, Dupuis, l'Opéra de Lyon et Rustioni (25 novembre) → Réservoir d'airs très marquants pour toutes les tessitures
(les airs de soprano, ténor, baryton et basse sont toujours programmés
en récital depuis un siècle !), dans un opéra un peu démonstratif et
statique, mais qui fouetté par Rustioni devrait être particulièrement
séduisant. Massenet, Grisélidis par le
National de Montpellier (4 juillet)
→ Mon Massenet chouchou (avec Cendrillon, Thaïs et Amadis), peut-êter
celui que j'aime le plus. Très récitatif, très dramatique, le Démon
tente une femme vertueuse et se joue du mari. Tout cela avec un humour
très français et une qualité mélodique qui se coule dans une forme
libre qui évite l'air. Très animé, un des meilleurs opéras de langue
française (et dans une très belle distribution).
Gilberto Gil, Amor azul (2,3,4 décembre) →
L'opéra de Gilberto Gil est reprogrammé. Je n'ai aucune idée de l'angle
par lequel il aborde le genre, mais ce sera du neuf, probablement
imparfait et rafraîchissant.
D. Musique symphonique
Cherubini, Mercadante
et Boïeldieu symphoniques
par la Chambre de Paris (17 octobre) → Symphonies (et concerto pour harpe !) de compositeurs du
premier XIXe, très rarement donnés en concert, et par l'orchestre le
plus à même de leur rendre justice !
Farrenc, Symphonie
n°2 par
Insula Orchestra (29-30 septembre)
→ Le disque des 1 & 3 avait été une révélation pour un peu tout le
monde sur la qualité de ces œuvres (que je ne tenais pas en très haute
estime). Précieux de disposer aussi de la 2, et pas sûr qu'il y ait une
sortie de disque à la clef !
Bruckner (s4), Messiaen (Ascension) par l'OPRF
& Chung (17 mars)
→ Chung m'a très profondément marqué dans la Sixième, je courrai
l'entendre ici.
Holmès : Andromède, Pologne,
Nuit & Amour… par le National de Metz (4 février)
→ Les grands poèmes symphoniques d'Augusta Holmès, d'une veine marquée
par Wagner – à l'écoute, il y a pas mal de points commun avec les pages
symphoniques de Lekeu.
Bertin, Farrenc, Holmès, Danglas,
Bonis, Grandval, Jaëll : pièces symphoniques et concertantes par
la Chambre de Paris (23 juin)
→ Programme de compositrices symphoniques : ce que j'en connais n'est
pas le sommet du répertoire symphonique, mais ce sera assurément
différent et stimulant. Mahler 9 par Chung (9
décembre)
→ Mêmes raisons que précédemment : très envie d'entendre à nouveau la
maîtrise de Chung dans de grandes pages symphoniques très
architecturées.
Sibelius (s1), Salonen (cc violon), Lindberg (Feria) par l'ONDIF
(14 mars)
→ Très beau programme original et au contenu musical dense, qui ira à
merveille à l'un des orchestres les plus engagés et enthousiastes de la
scène française.
R. Strauss : 4 interludes d'Intermezzo, Légende de Joseph,
Monologue de Chrystothemis… par Asmik Grigorian / OPRF / Franck (1er
avril)Weill :
Symphonie n°2 par l'Orchestre de Paris (8-9 février)
→ Raretés de Richard Strauss : la Légende de Joseph n'est pas le
chef-d'œuvre des chefs-d'œuvre, mais Intermezzo et Chrysothemis, je
prends très volontiers. Comme tout ce qui est neuf. Et puis le
décadentisme germanique est l'un des meilleurs répertoires du Philhar',
où le luxe de ces cordes homogènes et lyriques fait merveille.
Bartók (Prince de Bois
intégral), Brahms (cc
piano 1) par Trifonov / ONF / Măcelaru
→ Măcelaru change tout en or, alors dans des œuvres aussi riches, d'un
format plus ambitieux que celles qui sont traditionnellement jouées par
le National, je suis très curieux.
N. Boulanger
(violoncelle-piano), Copland
(symphonie avec orgue), Piston
(Prélude), Carter
(Concerto flûte) : pièces symphoniques et chambristes rares par Pahud /
OPRF / Franck (11 janvier)
→ Programme étrange, mais la Symphonie de Copland (remaniée ensuite en
n°1 en réorchestrant les parties dévolues initialement à l'orgue), le
concerto de Carter ou le Prélude de Piston sont très rarement donnés,
et issues de gens qui savent écrire pour l'orchestre.
Stucky, Barber (cc violon), Sibelius (s5) par SFSO &
Salonen (10 mars)
→ À nouveau un programme qui sort des sentiers battus, même si le
concerto de Barber reste un concerto pour violon…
Rihm (Jagden und Formen) et Varèse (Déserts) avec vidéos de
Viola, par l'EIC (22 janvier)
→ Deux pièces majeures du XXe siècle, le grand cycle motorique et très
accessible de Rihm qui fait la part belle aux bois et les interludes
avec cuivres varésiens de Déserts, de quoi se vautrer dans l'orgie de
la virtuosité orchestrale et des tuilages atonals infinis…
E.
Musique sacrée
Allegri Rossi A. Scarlatti, motets… par
Alarcón (6 octobre) → Italiens qui couvrent tout le XVIIe siècle, dans des
styles s'étageant de la fin de la Renaissance aux débuts du seria, par l'un des meilleurs (et
plus inventifs !) spécialistes.
AntonioDraghi, Le Don de la vie
éternelle par la Cappella Mediterranea (3 juillet)
→ Oratorio italien de la seconde moitié du XVIIe siècle
(qu'entendra-t-on dans la Chapelle Royale, dont l'acoustique est
mauvaise ?).
Lenzi, Boffi, Couperin & nos contemporains :
Lamentations et Méditations par l'Escadron volant de la Reine (31 mars)
→ Italiens rares et Troisième Leçon de Couperin (pour le Mercredy) à
l'occasion du Vendredi saint à Radio-France.
Charpentier, Méditations pour
le Carême par Les Arts Florissants (31 mars)
→ L'une des œuvres les plus sidérantes de toute la musique sacrée.
J'avais présenté la Deuxième ici, et Les Arts Florissants vont en
donner l'intégralité ! Expérience toujours bouleversante, déjà
vécue à l'Oratoire du Louvre en 2015 (par Le Poème Harmonique).
Gilles, Requiem par Helsinki BO
et Chantres CMBV (8 décembre) → L'Introït absolument ineffable (avec ses pointés et ses
silences) et le tuilage de l'Offertoire (parmi mes boucles favorites) rendent cette œuvre
profondément marquante, parmi d'autres beautés. Il est rarement donné,
il faut se précipiter. Lalande, Campra, Bernier, Gervais
: motets par Chantres CMBV & Haïm (17 novembre) → Très bel attelage de compositeurs sous influence
ultramontaine (pour les trois derniers), sensibles au contrepoint et
aux explorations harmoniques, et peu joués.
Gervais, grands motets par Les
Ombres (23 novembre) → Le maître de chapelle et professeur de Philippe d'Orléans,
programme dévolu à ses seuls grands motets (donc avec dialogues entre
solistes et chœurs), un petit événement ! Beethoven, Missa Solemnis par
Le Concert des Nations (22 mai)
→ Considérant le succès de leurs symphonies, assez enthousiaste
d'entendre ce haut chef-d'œuvre dans une version crincrinnante avec un
orchestre recruté parmi les meilleurs spécialistes.
Verdi, Requiem par Heever,
Semenchuk, Tetelman, Teitgen, Orchestre de Paris, van Zweden (26-27
avril)
→ Ça, c'est souvent donné, mais le plateau est hallucinant, on a
regroupé quatre des voix les plus insolentes du marché vocal actuel
! Et c'est payant ici. Avec en plus le Chœur de l'OP qui excelle
dans cette œuvre avec sa douceur et sa netteté, et van Zweden qui
paraît-il anime toujours de façon très convaincante cet orchestre,
promesse de moments assez intenses !
F. Chœur
Reinecke & Schubert :
pièces pour chœur et quelques instruments par le Chœur de
Radio-France et Ruf en récitant (20 décembre)
→ Reinecke est connu pour ses pièces pour flûte d'un romantisme très
apaisé, mais il a aussi commis des symphonies beaucoup plus
tempêtueuses, dans un style très premier-XIXe quoiqu'elles soient
contemporaines de Brahms ! (Il faut dire que l'histoire-bataille
telle qu'on nous l'enseigne, en musique, néglige les œuvres qui
représentaient les courants majoritaires, en général moins hardis. Tous
les compositeurs du second XIXe ne sont pas wagnériens !)
→ Cette pièce a l'air très originale, renforcée d'instruments isolés,
et bénéficiant d'un récitant.
Mendelssohn : Christus,
Première Nuit de Walpurgis par Accentus et Insula Orchestra (16 mars)
→ Christus est une très belle cantate digne des grands Mendelssohn
choraux, tandis que la Nuit de Walpurgis, mieux connue, est une sorte
de messe profane, d'oratorio de théâtre qui ressemble assez, par ses
aspects plus massifs que le Mendelssohn habituel, à un compromis avec
l'univers schumannien. (Sur instruments anciens et avec un beau chœur,
miam.)
Mendelssohn Schumann Reinberger
Saint-Saëns par la Maîtrise de RF (14 octobre) → Quelques-uns des meilleurs compositeurs pour l'a cappella, dans des œuvres à
chœurs multiples, et pas l'un des meilleurs chœurs d'enfants du monde.
●Massenet, Farrenc, Paladilhe, Roussel,
Chausson, Saint-Saëns, Chabrier, Sohy, Chaminade, Bonis par la
Maîtrise de Radio-France (16 mai)
● Chœurs de
Grandval, Guilmant, Saint-Saëns,
Renié, Dubois, Bonis, Caplet, Duparc, La Tombelle, Labole, Boëllmann,
Sohy, Delibes, Chaminade et Gounod par le Chœur de Radio-France
(19 juin)
● Duparc, Bonis, L. Boulanger, Schmitt,
Fauré, Castagnet : chœurs et arrangements choraux par le Chœur
de l'Orchestre de Paris (17 janvier)
→ Trois programmes français qui fréquentent à la fois la fin XIXe
siècle et le début du XXe, avec des grands représentants de l'époque,
donc un programme plutôt consacré aux arrangements pour chœur : ce sera
la grande fête !
Poulenc (Assise), Villette, Britten : Motets par Accentus
(30 juin)
→ Les plus beaux chœurs de Poulenc avec quelques autres vignettes
toutes de dépouillement, par un chœur qui les connaît très bien. Beau
cadeau ! Schnittke (Concerto pour
chœur), Rachmaninov
(Vêpres) par MusicAeterna (25 mars)
→ Peut-être les deux plus grands jalons du patrimoine choral russe,
mais le concert est suspendu pour l'instant – MusicAeterna étant
largement financé par une banque russe, ses fonds risquent de se tarir,
et ses autorisations de déplacement risquent de se faire plus
difficultueuses, de part et d'autre.
Tormis : chœurs par le Chœur de
l'Orchestre de Paris (14 mars)
→ Tormis est le grand représentant letton d'une veine chorale qui puise
aux sources du folklore : il était à la fois musicologue collecteur et
compositeur, et sa musique, simple et dansante, reflète ces influences.
Parfois des arrangements ou recréations de chansons existante. Très
accessible, mais pas sans richesse, il est très rare non seulement de
bénéficier d'un concert qui lui soit entièrement consacré, et de
surcroît par un chœur français – sans doute une première !
G.
Musique de chambre Lassus, Gabrieli, Rossi, Bassano,
Marini, Falconieri, Monteverdi, Merula… passacailles avec des
membres de l'OCP (26 novembre)
→ Passacailles en folie du premier XVIIe siècle italien !
Lombardi Sirmen, Quatuor n°5
par des membres de l'OPRF, couplé avec des concertos pour piano de
Haydn et Mozart (9 juin)
→ Compositrice passionnante dont les duos pour violon et les quatuors,
à la fin du XVIIIe siècle, portent à leur sommet une sophistication
inhabituelle dans le répertoire galant. Parmi les pièces de chambre les
plus marquantes de cette période, à mon sens.
→ Couplage étrange, pourquoi jouer ceci dans un concert marketté comme
à la gloire du pianiste Piotr Anderszewski ? (Ces fous vont me
contraindre à aller entendre un concert de concertos pour piano
classiques…)
Haas, Krása, Webern : quatuors
par les meilleurs membres de l'OCP (Hughes, Parruitte, Cardoze…) (10
décembre) → Quatuors décadents très rarement entendus en France par
des membres de l'Orchestre de Chambre de Paris, qui ont de véritables
qualités de chambristes (Olivia Hughes est l'ancien violon 2 du Quatuor
Ardeo) : à les entendre, on croirait un quatuor constitué ! Chostakovitch, Symphonie n°14
pour deux pianos et percussions (7 novembre) → Proposition très originale, qui fait fort envie (les deux
solistes sont là également). C'est à la Philharmonie, mais Radio-France
propose, du même arrangeur, la n°5 pour un effectif similaire (ce dont
la nécessité m'apparaît moins impérieuse… qui aime la Quinzième de
Chostakovitch ?). Messiaen, Chants d'oiseaux par
Boffard et… les chanteurs d'oiseaux (30 mars)
→ Dans le Musée de la Musique, idée stimulante de tisser les Catalogues
d'oiseaux et autres intégrations de Messiaen… avec une évocation de
leurs originaux.
Nancarrow & Ligeti par le
Quatuor Béla (4 mars) → Les deux quatuors de Ligeti et un quatuor de Nancarrow
(très fortement admiré de Ligeti, qui le mettait au niveau d'Ives et
Webern…), promesse d'une soirée qui change des standards du répertoire
et de leurs équilibres habituels.
H.
Lied & mélodie
Airs de
cour de Guédron, Boësset,
Lambert, Le Camus par Les Arts Florissants (27 mai)
→ Le concert d'airs de cour annuel de la Cité de la Musique, par
quelques-uns des meilleurs spécialistes.
Clérambault,
Dandrieu, Dornel, Louis Antoine Lefebvre, Montgaultier et Louis Antoine
Travenol, cantates par Le Consort (29 novembre)
→ Cantates françaises (inédites !) par le meilleur ensemble
spécialiste.
Schubert, Der Schwanengesang
par Boesch & Martineau (15 mars)
→ Au disque, la version que je trouve la plus marquante de ce cycle
apocryphe. La voix de Boesch sonne bien en salle, il n'y a pas de
raison que ce ne soit pas grand aussi en cocnert !
Schubert, lieder orchestrés (et
extrait d'Alfonso und Estrella) par les Prégardien et l'OCP (9 février)
→ Le petit plus réside dans Alfonso,
un chef-d'œuvre dont les airs et duos méritent le déplacement
indépendamment du programme. Et puis, quitte à écouter du lied
orchestré, autant le faire avec un orchestre agile et avec les
meilleurs spécialistes du chant expressif allemand…
Lieder de
Schubert, Schumann, Wagner,
Loewe, Wieck, Brahms, Wolf, Reger, Pfitzner, Sommer, par Marlis
Petersen (14 juin)
→ Programme très varié d'une très belle voix.
Beethoven Schubert Rihm par
Nigl et Pashchenko, piano Gebauhr 1855 (15 février) → Le programme du disque paru chez Alpha : la voix si
particulière (très mixée) de Nigl (qui sonne comme un ténor moelleux)
lui permet une expressivité hors du commun. Bouleversé par sa Meunière,
passionné par ses Schubert ; le cycle de Rihm ne me paraît pas le
meilleur de ce qu'a produit le compositeur, mais c'est l'occasion
d'entendre un récital varié, et accompli à un degré à peine concevable.
Sur piano d'époque, pour ne rien gâcher.
Nadia & Lili Boulanger par
Richardot & Fornel (20 mars)
→ L'une des voix les plus marquantes de notre temps dans ces mélodies
ciselées et très peu données en concert.
J'espère que tout ceci vous fournira les repères nécessaires pour
effectuer les bons choix de vie et ne pas être lassé à la fin de la
saison en décrétant que, décidément, vous avez tout entendu et que les
saisons sont toutes les mêmes. C'est largement vrai, mais… la
multiplicité de l'offre permet, en glanant la marge de chaque salle, de
s'amuser assez vivement !
Pour le reste (en particulier en musique de chambre et mélodies, mais
aussi en symphonique avec les orchestres van Lauwe, Elektra, Ut5,
COSU…), il faudra guetter les annonces tardives des petits ensembles et
des conservatoires.
À
bientôt pour de nouvelles aventures : expérimentations de tragédie en
musique, nouvel épisode biblique, exploration des usages des thèmes
patriotiques français, suite des anniversaires, ou du panorama des compositeurs ukrainiens tiennent la corde.
(On me réclame aussi une notule sur les
représentations musicales du coït – ce qui constitue une occasion
tentante de reparler de la terrible Mona Lisa
de Schillings –, mais je ne suis pas tout à fait sûr d'obtempérer : la
constitution, partition en main, des exemples musicaux assortis du
visionnage des différentes positions traditionnelles pour le viol – car
ne nous mentons pas, dans le théâtre lyrique, je ne vais pas rencontrer
beaucoup de représentations sonores du consentement éclairé – risque
d'occuper un peu trop inconfortablement mon loisir.)
Dans l'intervalle, j'ai été mandaté pour écrire le programme
de mon festival préféré : mon rythme de publication en sera peut-être
temporairement affecté, mais je tâcherai au moins de vous nourrir en
matériau ukrainien. Et les commentaires d'écoutes restent complétés au
quotidien.
--
P.S. : Malgré tout le soin mis à la confection, le passage de mon éditeur à la version définitive a ménagé des sauts de ligne intempestifs. Je ne vais pas avoir le temps de tout corriger, il faudrait refaire la mise en forme manuellement pour chaque entrée (alors que j'y ai déjà passé beaucoup de temps). Mes excuses pour l'inconfort de lecture.
Ce billet, écrit à par DavidLeMarrec dans la catégorie Saison 2022-2023 a suscité :
Je poursuis la série (#1 Questions de langue,#2 La Grande Matrice), car il ne s'agit pas de se lasser. À défaut de
pouvoir agir, nos vœux sont là, ainsi que la mémoire d'une culture qui
va peiner à se rebâtir. (Je suis un peu navré de ne pas avoir de
compositeurs yéménites à honorer pour faire bonne mesure, n'y voyez pas
de mauvaise volonté ethnocentrée de ma part – on est simplement
en-dehors de ma zone de relative compétence.)
Quelques
compositeurs ukrainiens importants, choisis parmi ceux dont il sera
question !
5. Qu'est-ce qu'un
compositeur ukrainien ?
Comme mentionné dans la notule précédente,
la distinction entre langage musical ukrainien et russe paraît, à grand
échelle, une chimère. Il existe bien sûr des nuances significatives,
notamment dans le folklore – je reviendrai sur le folklore polyphonique
caractéristique de l'Ukraine dans une notule prochaine, un travail de
collecte impressionnant a été réalisé il y a quelques années, et révèle
une pratique musicale d'une qualité particulièrement remarquable.
En revanche à l'échelle des compositeurs de musique sacrée ou de
concert, il est à peu près impossible
de proposer une distinction musicale entre
la sphère ukrainienne et la sphère russe.
Pour plusieurs raisons :
¶
les frontières de l'Ukraine fluctuent énormément entre son époque
polono-lituanienne, où elle s'étend plus à l'Ouest et au Nord
qu'aujourd'hui, et l'époque soviétique, où elle s'élargit largement
vers l'Est ; pas toujours évident de décider qui est ukrainien et qui
est russe (ou autre chose) ; ¶
les grands compositeurs ukrainiens, que ce soit à l'époque des tsars ou
des soviets, exercent à Saint-Pétersbourg ou Moscou, où ils ont même,
pour certains, étudié, si bien que leur style est en réalité celui qui
prévaut dans les capitales russes.
J'ai donc fait le choix d'une définition généreuse de l'ukrainité : tout compositeur
qui peut par un biais ou l'autre être considéré comme ukrainien
(ancêtres, naissance, langue lieu de vie…) sur une portion de
territoire qui correspond plus ou moins à l'Ukraine d'une époque
quelconque, peut être inclus.
Cela nous permet, au passage, d'interroger cette notion dans le cadre
de la musique. On comprend d'autant mieux le qualificatif de peuples frères devant le nombre de grands compositeurs russes
qui sont d'une façon ou d'une autre ukrainiens,
et vice-versa – même si depuis 2014, la politique et les conflits ont
accentué le sentiment d'appartenance à des entités distinctes que la
guerre dont nous sommes les infortunés témoins et acteurs va sans doute
figer assez solennellement, et pour longtemps.
Aussi, la mission que je donne sera de présenter des figures
importantes de la culture locale, afin de vous inciter à découvrir ce
corpus assez passionnant… je ne chercherai pas à trancher
qui est ukrainien et qui ne l'est pas, puisque la notion de compositeur
ukrainien, faute de différence stylistique palpable, demeure une notion essentiellement politique.
Ils étudient en Italie ou en Russie, utilisent des modes ou des thèmes
russes et ukrainiens : exactement comme les Russes en somme.
6. Les grands
compositeurs ukrainiens
6.1. La Triade d'or
Aux origines de la musique russe
autonome – c'est-à-dire non écrite par des compositeurs italiens de
passage ou installés –, trois compositeurs… tous nés, voire formés,
dans l'Ukraine d'alors !
Berezovsky, Bortnyansky, Vedel restent aujourd'hui encore les figures
archétypales des ancêtres glorieux lors de la naissance de la musique
proprement russe… Pour l'Histoire, ils sont les premiers « russes » à
avoir composé de la musique symphonique. Mais ils sont surtout au
répertoire pour leur contribution à l'Obikhod – les compositions qui
forment la liturgie musicale orthodoxe russe.
¶ Maksym Berezovsky
(1745?-1777) est né à Hlukhiv – Oblast de Sumy, au Sud de la frontière
russe, dans la région de Kharkiv. C'était alors la capitale d'un
État-tampon cosaque d'ethnie ukrainienne – les fameux Zaporogues. Donc
bel et bien un État ukrainien (même si pas le même que celui de Kyiv).
L'église Saint-Nicolas (1693) de Hlukhiv est d'ailleurs caractéristique
du baroque ukrainien.
Il est recruté comme chanteur dans des opéras seria
à Saint-Petersbourg, où il devient membre de la Chapelle italienne du
Palais impérial. Il y étudie sur place auprès de Galuppi, avant d'être
envoyé en Italie où il étudie, auprès de son condisciple Mysliveček,
avec le maître Martini.
Il est resté comme le premier compositeur de symphonies, d'opéras, de
sonates pour violon & piano en Russie, et considéré comme l'un des
grands ancêtres de la musique russe.
Voici donc la première symphonie jamais retrouvée
d'un compositeur russe, qui est… ukrainien. Quand on vous dit que c'est
l'Ukraine qui envahit la Russie, vous ne voulez pas le croire ! Côté musique sacrée, je vous recommande le très beau disque de
Yurchenko (chez Claudio ou CDK), commenté récemment dans les écoutes
de CSS (Cycle Ukraine
#10).
¶ Dmytro Bortniansky (1751-1825), à
peine son cadet, mais qui a vécu beaucoup jusque beaucoup plus tard,
est né à
Hlukhiv lui aussi. Il étudie aussi auprès de Galuppi, qui l'emmène
lui-même en Italie ; il remporte de grands succès à Modène et Venise en
composant des opéras seria,
puis à Saint-Pétersbourg, quatre opéras sur des livrets français en
deux ans (1786-1787) ! Toutes ces œuvres françaises sont dues au
même librettiste, Lafermière, sur des thèmes variés typiques de
l'opéra comique : Le Faucon, La Fête du seigneur, Don Carlos, Le fils-rival ou La moderne Stratonice.
Cependant sa notoriété, comme pour Berezovsky, s'est transmise jusqu'à
nous par ses grands concerts choraux sacrés, dont beaucoup sont restés
dans la tradition de l'Obikhod, et marquants pour la naissance d'une
tradition 'classique' de chant sacré en Russie.
Voyez par exemple les disques de Poliansky pour explorer
ce fonds.
¶ Un peu
moins célèbre que les deux autrs hors d'Ukraine et de Russie, Artemy Vedel (1767-1800) naît à
Kyiv, y étudie, puis poursuit à Saint-Pétersbourg et Moscou, lui aussi
avec un maître italien (Sarti).
Il laisse lui aussi beaucoup de musique sacrée considérée comme
importante, jusqu'à ce qu'en 1797 le tsar Paul Ier (fils de Catherine
II et de son mari Pierre III… ou de son amant Saltykov), décrit comme
notoirement fada, interdise toute musique hors de la seule liturgie.
Ses partitions, par exemple celles
sur les Psaumes
(et qui osent parfois une recherche de contraste dramatiques, d'effets
proprement musicaux…) sont alors occultées pour longtemps.
Ces trois figures sont un exemple éclatant de l'entrelacement de ces deux cultures,
une sorte d'intrication slavique
: indubitablement ukrainienne, indiscutablement russe, la zone sécante
des deux aires est particulièrement large, et il serait vain de vouloir
leur attribuer une appartenance exclusive. (Vous le verrez… ce n'est
pas fini.)
Dans le prochain épisode, nous irons du côté des romantiques cette
fois-ci revendiqués uniquement par l'Ukraine (bien que leurs œuvres
aient été jouées et appréciées en Russie), et qui ont, par le
truchement de l'opéra, de la mélodie, des reprises de thèmes musicaux
folkloriques dans leur musique de chambre, ou encore par l'usage de la
langue ukrainienne, revendiqué leur spécificité nationale au XIXe
siècle.
Je n'ose plus former des vœux en guise d'envoi,
considérant que d'ici
la prochaine notule la
biologie, la guerre ou la politique nous auront très possiblement
livrés à tous les diables.
Tandis que je poursuis ma documentation des anniversaires 2022 (la suite bientôt, j'espère) et
de la musique ukrainienne (quand je ne m'égaie pas sur les chemins à la
recherche des églises de la campagne francilienne et adjacente), je ne
voudrais pas vous laisser désœuvrés.
C'est pourquoi je signale à nouveau deux outils qui sont mis quasiment
quotidiennement à jour, et que vous pouvez sauvegarder facilement dans
vos favoris sur ordinateur ou téléphone.
¶ L'agenda des concerts, ma sélection minutieuse de
concerts que même Cadences ou l'Offi ne voient pas (des merveilles dans
de petites salles et des concerts au chapeau…). Il est particulièrement
à jour, puisque j'y ai inclus mon relevé de ce qui me paraissait le
plus marquant dans la saison 2023 de l'Opéra
de Paris (date par date et alternance de chanteur par alternance
de chanteur !), du Théâtre des
Champs-Élysées (énormément de titres d'opéra français très
stimulants, dont Grisélidis de Massenet et Le Rossignol de Stravinski
!), la première moitié de la saison de la Philharmonie (je n'ai pas fini à
cette heure) et même la pré-saison non encore officiel de l'Opéra Royal de Versailles (dont
quelques pépites dès longtemps attendues…). 2023 commence à se remplir
!
[Ne fondez tout de même pas trop d'espoirs sur les titres programmés
cet hiver nucléaire, vous l'avez constaté d'expérience
ces deux dernières années.]
¶ Le nouveau format de commentaire en direct de mes écoutes
discographiques est vraiment pratique pour moi (instané, sans me
prendre trop de temps ni engorger CSS),
je le poursuis en espérant qu'il trouve aussi son chemin vers les
lecteurs. Chaque jour, j'indique la pochette, les références et un
petit commentaire (parfois quelques jours plus tard, il ne faut pas
hésiter à aller vérifier plus bas) pour les écoutes que je fais. Cela
me permet de documenter les nouveautés en temps réel – et de vous
laissez quelques suggestions d'écoutes pour les autres œuvres.
Beaucoup de très belles nouveautés ces deux dernières semaines :
musique sacrée de Dreyer, un
incroyable récit figuratif d'Edelmann
(en français), les tempêtueux quatuors classiques d'Eberl, intégrale des mélodies de Franck, Siberia de Giordano (plus sophistiqué que le
Giordano connu), la fameuse Sonate debussyste d'Ireland (couplée avec une Sonate en si de Liszt très
marquante), la suite très persuasive des parutions orchestrales de Vladigerov, un opéra italien
passionnant du chef Marinuzzi,
musique d'église d'Ian King,
concertos pour violon d'Eleanor Alberga…
et bien d'autres choses qui ne sont pas des nouveautés, dont une
cinquantaine de disques consacrés à mon cycle Ukraine !
J'envisage de reporter aussi certaines séries publiées au jour le jour
sur Twitter, comme cette sélection commentée de disques Naxos marquants – j'en ai depuis relevé
une autre dizaine d'indispensables, il y a une véritable notule à
proposer là-dessus.
Et, bien sûr, s'annonce la poursuite en parallèle sur Twitter et sur Carnets sur sol de la série autour
du patrimoine musical ukrainien. Celle sur Twitter est un peu plus
avancée, en particulier autour des compositeurs :
Anton Stépanovitch Arenski, pour de la musique sans prise de
tête.
[[]]
Premier mouvement du Trio n°1
d'Arenski par le Trio Zeliha
(Mirare).
[Manon Galy, Maxime Quennesson, Jorge González Buajasan]
1. Événements – ma vie
Plusieurs petits événements de ma vie de mélomane ont concouru à me
faire poser cette question : où va
le classique ?
¶ conversant sur le prochain directeur musical (pas encore nommé) du
Concertgebouworkest ;
¶ me rendant écouter un trio de vedettes (Batiashvilli, G. Capuçon,
Thibaudet) jouer Haydn, Brahms et (courageusement) Arenski ;
¶ puis la
reprise de la Khovanchtchina
de Moussorgski (et quelques autres compositeurs) très réussie et
favorablement accueillie à l'Opéra Bastille ;
¶ écoutant une amie me demander : « que penses-tu que sera l'opéra dans
100 ans ? ».
(Notule écrite avant
la publication de la saison très peu originale de la Philharmonie de
Paris, mais qui fera sans doute écho, lorsque vous aurez lu les deux
documents, à ce qu'on aurait pu souhaiter ou imaginer de différent.)
2. La loi des
nombres
Pour remettre ces questions en
perspective.
Même au sein des cultures de l'élite sociale, la musique classique
constitue une niche.
Sans doute parce qu'elle ne transmet pas d'idées,
mais aussi parce que
si l'on peut toujours discuter sans trop regarder une expo de peintres
abstraits, il faut vraiment prendre
son mal en patience si l'on fait
semblant d'aimer Wagner ou Boulez. Il est difficile d'en tirer un sujet
de conversation durable qui ne soit pas trop technique, alors que tout
le monde peut avoir, de l'extérieur, une opinion et des remarques sur
le travail de Christo & Jeanne-Claude.
Par ailleurs, il faut bien avouer que la musique est
d'un abord plus
abstrait (surtout qu'on y trouve beaucoup de musique purement
instrumentale, et qui ne sert même pas à danser !), il faut vraiment
s'y immerger pour sentir la différence entre les langages, comprendre
comment ils évoluent – en particulier au vingtième siècle, lorsque les
styles deviennent touffus et les logiques internes aux œuvres
difficiles à appréhender, même pour des mélomanes aguerris. Dans une
exposition de peinture, même sans les codes, on voit tout de suite
l'évolution entre le figuralisme et l'abstraction, les couleurs… En
musique tout paraît abstrait.
Une forme sonate, des variations, ce sont des
structures
intellectuelles, pas du sensible – on n'entend pas spontanément les
parentés dans les développements ou les diminutions,
il faut vraiment tendre l'oreille, se concentrer, conceptualiser dans
son esprit la mélodie d'origine et essayer de la retrouver…
Toutes choses qui font que, même chez les publics
les mieux préparés,
l'intérêt actif pour la musique n'est
pas aussi répandu que pour le
théâtre, la peinture… Il suffit de compter le nombre de représentations
pour une pièce de théâtre, même exigeante (tous les jours sur plusieurs
semaines) et les concerts uniques
en musique classique, et qui peinent
quelquefois à remplir.
Déjà, la musique classique n'est pas en très bonne
posture de ce point
de vue : comme elle a renoncé depuis longtemps à son lien avec la
chanson et la danse, que le cinéma a remplacé l'opéra dans le rôle de
divertissement à grand spectacle, que les commandes religieuses ont à
peu près disparu, que l'élite politique et économique écoute davantage
Bob Dylan et Alain Bashung que David Diamond et Jean-Yves Daniel-Lesur,
et surtout que la culture sonore collective n'a pas suivi (comme
espéré) les
évolutions de la musique classique au vingtième siècle – la musique de
film a intégré jusqu'à Prokofiev et Penderecki, mais à peu près rien au
delà (et encore, on ne les supporte qu'en tant que « musiques de
tension », on ne les écouterait jamais seules)… voilà donc la musique
classique plongée dans une niche au
sein même des populations les plus
cultivées.
Certes, on lui conserve la déférence qu'on accorde aux choses
inaccessibles ; les gens qui n'y connaissent rien la qualifient
volonters de « Grande Musique » et pressentent toute sa richesse
potentielle… mais il en va de la musique classique comme d'Arte, tout
le monde admire et peu pratiquent.
À l'heure où la richesse des pays européens ne
paraît plus illimitée,
où les urgences paraissent brûlantes du côté de la santé, de la
vieillesse, de la justice, de l'éducation (notamment aux médias), et à
présent de la guerre… on
peut légitimement se demander si, lorsque le mur budgétaire
sera
rencontré, ce n'est pas l'art qui passera le premier par-dessus bord.
Et en particulier l'art du petit nombre – petit nombre qui n'appartient
même pas à une élite dirigeante, et ne sera donc pas protégé.
Que faire, dès lors, pour ancrer la musique
classique dans la vie d'un plus grand nombre et ne pas le laisser
mourir ?
3. La musique de musée
Il était question, avec des
compères,
de la nomination du prochain directeur musical du Concertgebouworkest,
l'un des plus virtuoses orchestres au monde (moi je voudrais plutôt
Metzmacher ou
Venzago, pour leur botter les fesses, mais l'un a trop
mauvais caractère, l'autre n'est pas assez starisé et trop radical dans
ses découvertes et ses choix interprétatifs).
Et soudain je me rends compte qu'on discute passionnément de qui va
diriger Beethoven, Brahms
et Mahler pour cinq ans : pas exactement la pointe de l'actualité de la
vie musicale, en
réalité.
L'une des tendances qui ne prête pas à l'optimisme,
dans la musique
classique, est le taux de reproduction
des mêmes compositeurs et des
mêmes œuvres, quasiment tous très anciens. Non seulement on joue
largement les mêmes œuvres de
maison en maison, de saison en saison,
avec un renouvellement à la marge seulement, mais de surcroît ces
œuvres sont écrites par des compositeurs
morts, qui appartenaient, on
peut le dire, à d'autres civilisations.
Quel rapport entre le public de
LULLY
ou de Mozart, et celui qui peuple les salles
aujourd'hui ? Les lieux mêmes ne sont plus adaptés et ne
reflètent plus les équilibres de cette musique, ni son mode de
consommation – les sièges étroits en fond de loge sans visibilité, on
peut les expliquer si l'Opéra est un lieu où l'on tient société tout en
profitant vaguement de productions qui pouvaient être reprises et
revues sur des
années… moins si l'on vient écouter religieusement un chef-d'œuvre dans
la vision innovante, profonde et puissante d'un metteur en scène en
vue.
Et c'est en effet l'image que renvoie le classique
hors de son propre
public : une musique du passé,
au mieux de bourgeois, au pire
d'aristocrates, en tout cas réservée à une élite (ce qui n'est
historiquement pas complètement vrai, le peuple pouvait accéder aux
tragédies en musique données à Paris après la Cour, et plus tard
écoutait les opéras italiens debout au parterre !), et reflétant un âge
révolu ; une musique de bonnes
manières,
conçue pour ne surtout pas décoiffer, ne pas susciter d'affects trop
violents, ne certainement pas évoquer directement notre société
actuelle.
Une musique qui sert à se reconnaître entre gens bien éduqués qui ne
parlent pas trop fort et savent rester sagement assis.
C'est évidemment un raccourci totalement réducteur –
bien sûr que la
tragédie en musique danse tout le temps, que les livrets de Da Ponte
nous parlent de passions universelles, qu'Elektra ou Les Diables de Loudun
n'ont rien de policé et d'aimablement superficiel, que Manga Café
(Zavaro) ou Les Bains macabres (Connesson)
nous parlent de ce qu'est l'émoi sentiment au XXIe siècle, etc. Par
ailleurs,
l'amateur de musique classique le sait, c'est dans ce genre qu'on a
poussé le plus loin la recherche musicale elle-même : les musiques
amplifiées ont fait des recherches sur le son méchant ou choquant, mais
lavéritable subversion du langage même
(de l'enchaînement des accords,
de la grammaire, de la forme aussi), on la trouve chez Wagner, chez
Liszt, chez Decaux, chez R. Strauss, chez Schönberg… pas chez les Beach
Boys, Iron Maiden ou Sonic Youth.
[Je précise, afin d'éviter toute méprise, qu'il ne
s'agit nullement d'un jugement de valeur : je souligne le paradoxe de
l'image que l'on a du classique
compassé alors qu'en réalité c'est lui qui a le plus sauvagement
bousculé le langage musical. Cela ne préjuge en rien de l'intérêt
comparé des catalogues de chacun, il existe tout un tas
d'expérimentations pénibles et pas très fructueuses au XXe, qui ne
valent décidément pas une chanson bien écrite.]
Pour autant, il est vrai que l'essentiel de ce qui est joué
renvoie bel
et bien à un passé très lointain,
et correspond aux goûts (si l'on
compare avec la chanson de chaque époque) d'un temps tout à fait
révolu. L'harmonie de Beethoven n'est plus celle que l'on entend dans
les musiques de film, ou même, pour rester du côté de la simplicité,
des chansons commandées par Disney.
Même s'il ne s'agit que d'une impression
superficielle, essentiellement
exprimée par ceux qui connaissent mal le corpus, cela révèle une
question assez profonde et alarmante
: lorsque le répertoire est figé,
que 95% des œuvres sont déjà des reprises (et anciennes !),
n'assiste-t-on pas au simple souvenir d'un art du passé, qu'on joue par
nostalgie mais qui n'est en réalité plus qu'un musée ? Voire un
art folklorique local réservé à
une élite,
assimilable aux cabarets pour touristes de destinations exotiques où
certaines traditions ne survivent plus que pour les étrangers.
Vu le peu de succès de ses créations, trop souvent mal calibrées quant
à leur sujet, leur économie dramatique, leurs lignes vocales trop
difficiles (et peu ou pas intelligibles par les spectateurs), on peut
se poser la question.
[Là encore, il existe dans l'absolu beaucoup de
merveilles récemment
écrites à découvrir, mais sont-elles proportionnellement suffisantes
pour démontrer que la musique classique vit encore, autrement que par
le truchement du souvenir de ce qu'elle a été ?]
4. Les bonnes œuvres
Avant même que de poser la question de la nouveauté (j'y viens
ensuite), l'adaptation du répertoire à un public susceptible de
l'entendre se pose, à mon sens.
Pendant
la semaine où j'ai commencé à rédiger cette notule, j'ai assisté, à
l'Opéra Bastille, à la reprise de LaKhovanchtchina
de Moussorgski (de Moussorgski et de tous ses amis et
successeurs !), et
contemplé avec plaisir l'enthousiasme du public pour cet opéra long et
complexe. Que c'est rafraîchissant, un livret sans héros (souvent en
carton : insipides ou franchement déplaisants, pour ne pas dire
horrifiants), qui ne parle pas uniquement des cinq minutes qui
précèdent le mariage ou la mort des deux protagonistes, qui nous
présente des caractères disparates auxquels nous ne sommes pas obligés
de nous identifier, qui nous fait une évocation de l'Histoire (certes
en comprimant de nombreux épisodes entre eux de façon assez…
personnelle), et dont les rebondissements ne semblent pas obéir à une
logique dramaturgique formelle et préétablie.
La chaleur du lyrisme,
l'utilisation de thèmes folkloriques, rendent l'opéra russe, quelle que
soit sa complexité, toujours très avenant pour le public ; je me
demande toujours pourquoi on n'en programme pas davantage, en tout cas
à l'Opéra de Paris qui a les ressources pour recruter les voix
athlétiques requises.
En miroir, la
pertinence des choix lorsque l'on monte des œuvres qui
sortent de l'habitude laisse pensif : Enescu ou Hindemith, ça a
beaucoup d'intérêt, mais ce n'est pas le plus à même de soulever
l'enthousiasme des masses – cela s'adresse à un public déjà très
informé, et en tout état de cause, ce n'est vraiment pas ce que le
répertoire négligé a de plus immédiatement (ni de plus profondément)
exaltant en magasin !
Plus frappant encore, cette expérience la veille :
La
Philharmonie de Paris donne peu de musique de chambre (ce n'est en tout
état de cause pas vraiment son rôle), et c'est en général dans la Salle
des Concerts de la Cité de la Musique, déjà à la vérité trop grande
pour cela, ou dans son petit amphithéâtre (200 places environ), parfois
aussi dans son studio de répétition pour orchestre. Cependant, lorsque ce sont des
célébrités qui sont susceptibles de
remplir, on leur fait l'honneur de la grande salle. On peut ainsi y
entendre du piano ou même du violoncelle solo (en arrière-scène, ce
doit être une expérience… partielle !), plus rarement de petits
ensembles de chambre – peu de trios ou quatuors sont assez starisés
pour remplir 2400 places.
Néanmoins, à nouveau la semaine
où j'ai commencé cette notule, le trio de vedettes Batiashvili / G.
Capuçon
/ Thibaudet proposait un concert donné dans la grande salle, avec un
Trio de Haydn, le Deuxième de Brahms et le Premier d'Arenski.
Ma voisine, une retraitée venue
de Nice, qui accompagnait surtout son
mari mélomane, était un peu ennuyée d'entendre du Brahms – elle sait
qu'elle n'y comprend pas grand'chose. Je la rassure sur le fait que
c'est en réalité assez normal, une musique tout de même plus fondée sur
la sophistication de la forme que sur la séduction mélodique immédiate
; et je lui annonce une seconde partie plus confortable avec Arenski.
De fait, je l'ai vue se
balancer au rythme de la musique et crier de joie à la fin.
Cet petit échange m'a fait me reposer une
question qui affleure souvent à mon esprit – joue-t-on les bonnes
œuvres ?
Je sais qu'on me fait parfois le procès
(légitime) de privilégier les
raretés parce que j'ai déjà trop écouté de choses (et que mes
préoccupations ne concernent donc nullement ceux qui écoutent plus
occasionnellement de la musique, ce qui est vrai), voire le (mauvais)
procès de mettre en avant les choses rares pour me distinguer. [C'est
un soupçon injuste, mais au demeurant pas totalement fantaisiste :
lorsqu'on trouve une pépite
inattendue, l'effet de surprise a son rôle, et on la chérit comme un
jardin secret, une gemme à nous… je ne nie pas que ce processus puisse
interférer dans le surplus de chaleur avec lequel je parle des œuvres
moins jouées.]
Pourtant, cet épisode illustre bel et bien l'intérêt
de jouer d'autres
choses que le fonds de répertoire usuel : il y a beaucoup de pans
stylistiques qu'on ne joue jamais ! Qu'on ne propose pas
des
sous-symphonies de Beethoven ou des sous-concertos de Mozart pour me
faire plaisir à moi le rassasié, je le comprends. (Même si, pour les
habitués, avoir six fois Mahler 1, La
Mer ou LeSacre,
ça lasse,
franchement… j'en connais, sans doute minoritaires évidemment, qui ne
vont plus guère au concert à cause de
ça, ou qui remettent sans cesse à la prochaine fois – puisqu'on entend
la même chose à chaque saison. Je me figure que ce destin m'attend à
moyen terme, moi qui suis encore un peu le provincial émerveillé et le
ravi de la crèche…)
En revanche, comme chaque
mélomane a sa sensibilité, il est regrettable
qu'on ne propose pas de choix plus
large : on offre essentiellement,
dans les récitals de piano,
Beethoven-Chopin-Schumann-Brahms-Debussy-Ravel-Rachmaninov. Ce qui ne
rend pas justice à l'ampleur de l'offre réelle. Que fait-on des grands cycles figuratifs pour piano, pour ceux qui n'aiment pas
les grandes formes-sonates
? Ou bien de tout le motorisme soviétique ? J'en parle
volontiers, parce qu'on pourrait croire que je n'aime pas le piano, ne
me déplaçant guère pour ce genre de récital (qui m'ennuie assez vite,
ne serait-ce que parce qu'à force, j'en connais assez bien toutes les
œuvres) ; alors que j'ai précisément une passion pour les français
figuratifs (les cycles de Dupont, Decaux, Mariotte, Koechlin !) ou les
expérimentations soviétiques (Feinberg, Protopopov, Mossolov…). Des
univers esthétiques qui ne sont à peu près
jamais joués en concert – à
Paris, avec l'offre démentielle, on arrive
à avoir un concert de temps à autre (presque tous les ans), mais à
Bordeaux, Lille ou Marseille, je crois qu'il ne faut pas trop espérer
en entendre un jour.
Alors que c'est une proposition
totalement différente, qui n'a rien à voir avec le plaisir des
œuvres romantiques allemandes.
Et on pourrait l'étendre à tous les genres : pourquoi ne
joue-t-on
jamais de symphonies romantiques russes (Kalinnikov, Glazounov…) qui
auraient un succès fou, ou anglaises (symphonies de Bliss, Moeran,
Walton, voire certaines de Vaughan Williams dont c'est pourtant
l'anniversaire
cette année…), alors qu'elles seraient beaucoup plus accessibles à un
vaste public que Bruckner, en vérité ?
5. Programmation et
hiérarchie de valeurs
Pourquoi, alors, joue-t-on des choses plus
difficiles, pas moins chères à monter, et qui ne remplissent pas
toujours mieux ?
C'est que, à mon sens, la programmation semble obéir
à une loi implicite de légitimité musicale,
probablement issue de la formation musicale (et des habitudes) de
ceux-là même qui conçoivent la programmation, que ce soit à l'échelle
des musiciens (chambristes, orchestres…) ou des commanditaires (les
salles, les commissions culturelles). Non seulement on joue des
compositeurs établis, qui ont fait leurs preuves à travers les siècles
et qui sont connus du public, mais leur point commun est en général
qu'ils ont marqué d'une certaine façon l'histoire du système
musical. On joue des révolutionnaires, ceux qui ont marqué une rupture,
ceux qui ont fondé un système, ceux qui ont marqué leur siècle de leur
empreinte… et ils sont certes capitaux pour comprendre ce qu'est devenu
le langage musical, surtout lorsqu'ils ont indélébilement marqué le
geste de composer – comme Beethoven ou Wagner.
Mais des compositeurs sophistiqués comme Bartók ou
Berg, qui ont certes leur public, et qui marquent une évolution
remarquable du langage musical, sont-ils
les plus indiqués
pour que cet art touche le plus grand nombre ? – très tourmentés, très
complexes, il est préférable d'être initié pour apprécier les enjeux de
ces compositions qui mêlent la tradition formelle et l'exploration
harmonique, et qui explorent très loin.
[Je vous passe de surcroît l'obsession des Hongrois
qui sont nombreux à assurer qu'on ne peut pas comprendre Bartók sans
baigner dans la langue et le folklore ; ou les professions de foi de
snobisme qui adorent Berg parce qu'on est sûr de ne pas y croiser les
gens vulgaires qui aiment les mélodies. Toutes choses qui confirment le
caractère peu intuitif de ces œuvres, par rapport au nombre de fois
qu'on les programme.]
Je précise ma pensée : il est très bien que ces
compositeurs soient joués, ils sont importants ; mais le fait qu'ils
soient joués tout le temps,
au détriment d'autres pans du répertoire tout aussi intéressants,
totalement différents et quelquefois plus accessibles, me laisse
dubitatif sur la façon dont on pense usuellement le répertoire.
L'impression reçue est que les concerts sont conçus pour les musiciens,
pour ceux qui ont eu une éducation musicale et pourront comprendre ce
qui est en jeu. Typiquement, Brahms, c'est grand si l'on s'intéresse à
la forme, mais pour une écoute ingénue, on peut trouver des
compositeurs plus immédiatement séduisants (plus carrés dans le rythme,
plus abondants en mélodies…). Tout dépend si un concert est supposé
présenter les meilleurs
compositeurs, ou de la musique qui peut plaire à tous les publics. Et
l'on voit bien par là que l'offre de musique
classique tend à se donner une mission
qui tient davantage du musée que de la séduction. Avec quelques
exceptions de machins intrinsèquement pas très bons mais qui restent
populaires, comme Má vlast ou
les Carmina burana – au
demeurant des œuvres pas si accessibles que ça, à mon sens.
D'où l'attitude que j'adopte depuis toujours et
qui me fait passer pour un troll ou un snob, alors qu'elle me paraît
parfaitement évidente : je cherche des œuvres qui touchent ma
sensibilité, et ce ne sont pas
toujours les pionniers ou
les compositeurs qui ont atteint la célébrité qui y réussissent le
mieux – ne serait-ce que parce que certains courants esthétiques ne
sont guère représentés… (Pour entendre du baroque allemand en dehors de
Bach, il faut être patient… Dommage pour moi, qui dans les cantates
préfère souvent les harmonies de Telemann ou Schürmann.)
Je me demande même s'il n'y a pas là une forme de forfaiture vis-à-vis du public,
en servant une vision de l'Histoire de la musique plutôt que l'intérêt
de ceux qui paient leur billet et consacrent leur temps à tel concert.
Mis à part « Beethoven 5 parce que ça ramène du monde », je ne suis pas
convaincu que la question « qu'est-ce qui enthousiasmerait notre public
si on le lui faisait découvrir ? » préside à la conception de beaucoup
de programmes.
Il suffit d'écouter les entretiens donnés par les
artistes : « j'avais envie de jouer ce concerto depuis longtemps », «
j'ai rencontré le compositeur et on a décidé de proposer une pièce »,
etc. (Je ne parle même pas des chanteurs avec le rituel « c'est bon
pour ma voix », eux n'en sont même pas encore rendus à se demander ce
qu'ils voudraient pour eux-mêmes !)
Je ne dis cependant pas que ce soit nécessairement un mal : assurément en choisissant
ainsi, on entend surtout de la très grande musique de haute qualité,
ce qui est plutôt un bénéfice par rapport à d'autres genres musicaux où
ce sont la mode du moment et les achats d'espaces publicitaires qui
déterminent ce qu'on entend en concert…
Mais je crois que cette « confiscation » de la constitution du
répertoire – selon une idée de ce que doit être la meilleure
musique – se fait quelquefois au
détriment du public,
et il est alors sain de simplement poser la question. Je n'ai pas
d'influence sur la constitution des saisons, mais je peux toujours
verbaliser ce qui me paraît largement impensé. Vous en ferez ce que
vous voulez, lecteurs et programmateurs.
6. Que jouer ?
Il y aurait des notules entières à écrire pour
proposer des programmes susceptibles de plaire plus directement au
public tout en renouvelant le répertoire – en symphonique, la Première
de Kalinnikov, la Troisième de Glière, la Troisième de Liatochynsky, la
Deuxième de Chtcherbatchov, ce pourrait changer de Tchaïkovski,
Prokofiev et Chostakovitch, et peut-être même de façon avantageuse pour
le public – quand on joue les symphonies faibles de Chosta & Proko,
ce n'est pas toujours l'extase.
Entre les programmes thématiques (il y aurait du
monde pour les trois premiers que j'ai cités, si on insistait sur leur
ukrainité) et simplement les bonbons (l'Ouverture de Thora på Rimol de
Borgstrøm, le Scherzo fantastique de Suk !) à glisser dans un
programme, il y aurait de quoi faire beaucoup de propositions qui
dynamiseraient un peu le concert classique, en y proposant de
l'imprévu, mais de l'imprévu à même de susciter l'enthousiasme – pas
les créations ou les raretés obligées dont tout le monde attend
poliment la fin.
Côté création, il existe déjà ce genre de format,
mais les salles communiquent très peu en amont sur le style du
compositeur, si bien que c'est en général la (divine) surprise une fois
dans la salle.
Je laisse donc de côté la question de ce qu'il
faudrait faire – j'avais d'ailleurs déjà proposé des pistes l'an dernier, dans une notule qui avait
bien marché.
(Et je suis bien sûr disponible à titre gracieux
auprès des programmateurs qui souhaiteraient des idées – certains m'ont
déjà approché, mais à peu près personne n'en a rien fait. La dernière
fois, c'était le New York City Opera, qui a fait faillite dans l'année,
avant de présenter le grand projet.)
7. Dis tonton
David, qu'est-ce sera l'opéra dans 100 ans ?
À
la fin de cette même semaine, alors que je disposais d'un matériel
largement suffisant pour une longue notule-éditorial, une amie chère,
que pour d'évidents soucis d'anonymat je nommerai C. me dit tout à coup,
comme quelqu'un qui attendrait un grand malheur dans un beau jardin
:
— Que penses-tu que sera l'opéra dans 100 ans ?
Et de m'expliquer que l'opéra contemporain avait une difficulté à
trouver le curseur juste, voulant être ancré dans son temps mais
continuant de mettre en musique des biographies de poètes, de culture
de niche assez sophistiquée, et ne se tirait pas de sa « double face ».
… la suite dans une seconde notule : voilà deux semaines que CSS est
orphelin de publication, et il y aura encore un peu à dire sur cet
(autre) sujet.
Que tirer de tout cela ?
Je me dis qu'au lieu de reproduire sans cesse les
mêmes schémas connus des concerts tels qu'ils sont depuis un peu plus
d'un siècle, on pourrait à bon droit s'interroger non seulement sur le
format, mais aussi sur la pertinence de jouer seulement un nombre
restreint d'œuvres qui nous met dans une sorte de posture de conservation plutôt que de
création – je ne parle pas de rejouer des œuvres du passé oubliées, ce
qui apporte bel et bien du nouveau, mais bien répéter sans cesse les mêmes œuvres du passé.
Plus encore, l'automaticité du choix des
compositeurs que l'on met au programme, « les grands » qui sont dans
les histoires de la musique, mériterait d'être réétudié : non pas
qu'ils ne soient pas dignes de valeur ; je ne nie même pas qu'ils
soient peut-être même les plus importants du point de vue de leur
influence historique, et pour certain de leurs apports nouveaux dans le
développement du langage musical ; mais sont-ils les plus indiqués pour
séduire le public ? N'y aurait-il pas de la place pour autre
chose que pour un cours de solfège ? Ou bien le classique doit-il à tout prix
susciter une grave admiration poliment ennuyée ?
Je ne dis surtout pas qu'il faille bannir la musique
de chambre de Brahms et l'orgue de Bach, certainement pas, mais il y
aurait sans doute d'autres choses à proposer, au lieu de répéter
seulement les mêmes choses. De jouer 4 Septième de Chostakovitch et 6 Première de Mahler en une saison,
alors qu'on ne propose jamais rien dans les univers très différents des
Britanniques, Italiens, Sudaméricains… et cela pourrait parler à
d'autres personnes, ou simplement renouveler les horizons de ceux qui
ont déjà souvent entendu ces quelques mêmes titres.
Ce n'est qu'une pensée comme cela, en observant ces
quelques événements de la vie quotidienne concertophile autour de moi.
Apostille
Les
nouvelles saisons du Théâtre des Champs-Élysées et de la Philharmonie
ont paru aujourd'hui ; le moins que l'on puisse dire est que le concert
chambriste ou symphonique ne sera pas profondément renouvelé en 2023…
Heureusement la saison opéra français du TCE est exceptionnelle, et les
salles additionnées d'Île-de-France ainsi que les petites compagnies
permettront de ménager, à nouveau, de belles découvertes. Le festival Un Temps pour
Elles reprend pour sa
troisième saison de folles découvertes dans le Val d'Oise, dès juin
cette année ! Les orchestres amateurs Elektra et Ut Cinquième
proposent des pièces inédites de Cras, le chœur Calligrammes du
Rheinberger cette semaine…
Ce billet, écrit à par DavidLeMarrec dans la catégorie Discourir a suscité :
(Le précédent volet, autour de la langue ukrainienne
et de son rapport à la musique, a été complété.)
3. La Grande Matrice
Une large part de la musique russe se
fonde sur des thèmes folkloriques
russes : beaucoup des mélodies prenantes qu'on entend dans les œuvres
emblématiques de Tchaïkovski,
Moussorgski, Rimski-Korsakov, Arenski… sont en réalité
des thèmes préexistants.
Ces mélodies sont en général tirées du premier recueil du genre, et le
seul à ma connaissance avant un regain d'intérêt à la fin du XIXe
siècle : Collection de Chansons
populaires russes avec leurs mélodies,
de Nikolay Lvov &
Jan Prač (souvent sous
la forme Ivan Prach), plus
communément connue sous le nom de «
Lvov-Prač Collection ». Lvov était l’ethnographe qui a collecté
les chants (également architecte, et à ses heures perdues poète,
historien, géologue, etc.), Prač le compositeur qui les a transcrits de
façon nette, incluant même leurs accompagnements au piano.
Ce recueil est fondamental pour comprendre la constitution de la
musique russe au XIXe siècle : énormément de thèmes utilisés par les
principaux compositeurs que nous connaissons y sont empruntés. Et un
certain nombre sont en réalité des
thèmes ukrainiens !
Par exemple celui-ci suggéré par le Prince Razumovsky pour les
variations de Beethoven
sur des thèmes populaires (Op.107 n°7):
[[]]
(version Anna Besson)
(Quant « l'air russe » du Quatuor Op.59 n°1 – Beethoven –, je n'ai pas
réussi à
trouver s'il était ukrainien ou non.)
[[]]
(version Belcea)
Ayant été pris de court par la discourtoisie homocide de certain
satrape de l'Orient slave, je suis actuellement en train de chercher à
identifier l'origine des mélodies collectées par Lvov, afin d'en
distinguer les ukrainiennes – je discuterai un peu plus loin si cette
démarche a réellement un sens…
Je n'y suis pas encore parvenu pour la plupart de celles qui
m'intéressent, beaucoup de sources à éplucher, car je n'ai sans doute
pas encore trouvé le bon ouvrage de synthèse qui identifie la
provenance de chaque mélodie publiée – je n'ai aucun doute que ça
existe, me reste à trouver qui l'a fait, ou à glaner mes réponses
mélodie par mélodie. L'occupation est fort divertissante, exaltante
quelquefois, mais elle devrait prendre encore quelques semaines et j'ai
un public à nourrir, après avoir annoncé la tenue de cette série
exceptionnelle !
Je me contente donc, pour poser les choses dans cette notule-ci, de
signaler quelques occurrences parlantes.
Par exemple « Gloire au Soleil », la mélodie qui accompagne le
couronnement de Boris Godunov chez Moussorgski :
[[]]
(version Semkow)
À la fin de l'extrait, après la séquence terrifiante des cloches de
liesse, vous entendez le chœur débuter à nu ; il reprend même, sans
énormément d'imagination, son texte conclusif, Slava ! (« Gloire ! »).
(C'est ainsi que Slava
Putin se traduit opportunément en allemand par Heil Hitler.)
Mais on peut aussi le retrouver en d'autres occurrences, comme le
furieux fugato final du Deuxième Quatuor à cordes d'Arenski.
[[]]
(Ying SQ, chez Dorian Sono Luminus.)
Autre exemple, le fameux thème final de L'Oiseau de feu de Stravinski est en réalité
emprunté à une mélodie folklorique, Le
Pin près de la porte (où une jeune fille va voir secrètement son
amoureux), qui avait déjà été repérée par Rimski-Korsakov et utilisée
dans l'une de ses romances.
[[]]
(Final de l'Oiseau,
Jansons / Oslo chez Simax.)
[[]]
(Nuit, romance Op.8
n°2, où le même matériau est utilisé par touches, comme décomposé par
Rimski.
Vous entendez Prudenskaya & Garben, chez CPO.)
Même configuration pour le première thème (au basson) du Sacre du Printemps – Stravinski –, déjà présent
dans La Foire à Sorochintsi
de Moussorgski.
Ce peuvent être aussi des hymnes
orthodoxes, comme au début de l'Ouverture
1812 de Tchaïkovski,
qui peuvent, si elles ont été composées par la Triade d'Or (M. Berezovsky, Bortniansky, Vedel), très bien provenir
de compositeurs ukrainiens –
mais c'est alors, il faut bien l'admettre, de la musique « russe » écrite pour la
chapelle impériale de Saint-Pétersbourg dans un style très calibré, ce
qui rend la question de l'origine géographique du compositeur moins
pertinente.
Je n'ai pas encore eu le temps de remonter les très nombreuses pistes,
mais j'ai de véritables interrogations sur les origines de maint thème
dans Onéguine – Tchaïkovski – comme les
chœurs de paysans ou le rapide récit du mariage de Filippievna :
[[]]
(Arkhipova, Orchestre de Paris, Bychkov)
Dans BorisGodunov – Moussorgski – aussi, les
emprunts semblent très nombreux. Mais il faudrait vérifier ce qui est réellement repris et ce qui est
composé dans le style mélodique et les modes harmoniques de la
chanson populaire pour tenir un propos pertinent – ce que je suis en
train de faire, mais ce devrait me tenir – sauf à trouver ma Pierre de
Rosette – occupé quelques semaines encore.
À l'exception de la toute première présentée (Beethoven pour flûte,
effectivement ukrainienne), je n'ai pas encore vérifié la provenance de
ces mélodies populaires « russes » : je voulais d'abord ancrer le
principe de leur utilisation massive
dans le tissu musical russe. Pour des mélodies certifiées
ukrainiennes, sans que j'aie même besoin d'effectuer mes vérifications
– je les ai opérées en réalité, mais elles étaient fluides comme une
page Wikipédia bien faite… –, on peut évidemment commencer par se
tourner vers la Deuxième
Symphonie de Tchaïkovski
(« Petite russienne », la Petite
Russie désignant traditionnellement l'Ukraine). Le premier
mouvement et bien sûr le dernier mouvement – variations débridées, sur
le même thème utilisé pour la Grande Porte de Kiev des Tableaux d'une Exposition de Moussorgski – sont des
mélodies ukrainiennes.
[[]]
Début du final de Tchaïkovski 2.
Tonhalle de Zürich, Paavo Järvi.
[[]]
La Grande Porte de Kiev, Moussorgski.
Byron Janis.
4. L’impossible
distinction
[[]]
Extrait du Prélude de la Khovanchtchina de Moussorgski
(orchestration Rimski-Korsakov).
Opéra de Sofia, Margaritov (Capriccio).
Évidemment, les compositeurs utilisent aussi les modes (échelles de gammes
spécifiques) du folklore russe,
pour en retrouver la couleur – sans que ce soient nécessairement des
citations. Je n'ai ainsi pas pu trouver de source au Prélude de la Khovanchtchina de Moussorgski, dont la
mélodie – pourtant très typée – est apparemment attribuée, dans les
quelques sources consultées (encore une fois, je suis loin d'avoir
achevé la recherche sérieuse sur ces questions), au compositeur
lui-même. De même, les thèmes du premier mouvement de la Première Symphonie de Kalinnikov, que j'avais déjà cité comme un modèle de typicité folklorique,
paraissent trop lyriques, voire trop difficiles, pour être directement
empruntés – ils peuvent être adaptés, bien sûr.
[[]]
Extrait du premier mouvement de la Symphonie n°1 de Kalinnikov
(exposition).
Orchestre Symphonique National d'Ukraine, Theodore Kuchar
(Naxos).
Et les opéras de Moussorgski
(ceux à thème russe : Sorotchintsi,
Boris, Khovanchtchina… pas Salammbô
évidemment) regorgent de traits et de détails dans ce goût, qui
paraissent davantage des mouvements mélodiques à la manière de… que des
adaptations littérales de chansons préexistantes.
C'est d'une certaine façon le degré
supérieur d'intégration du folklore : plus besoin de le citer,
il constitue lui-même la matière première de la pensée musicale.
J'en reviens à l'Ukraine. Un grand
nombre de ces thèmes « russes » proviennent d'Ukraine (et, selon
la ville et la date, il pouvait en effet s'agir de zones de Russie…),
ce qui fait que la musique russe
intègre dans son identité la plus profonde des éléments ukrainiens.
Et symétriquement les compositeurs
ukrainiens ont fait sensiblement la même chose, écrivant avec du
matériau folklorique d'origines
diverses à travers l'Empire (Glière écrit même deux
opéras en langue ouzbèque !)… ou bien embrassant les codes italiens (Berezovsky), français (Bortniansky),
pétersbourgeois (Anton
Rubinstein), moscovites (Roslavets, Mossolov), avec un résultat
qui n'a plus rien de national ou local – typiquement, Roslavets (d'ascendance
ukrainienne, né en Ukraine, ayant étudié à Konotop et enseigné à
Kharkov) n'est pas moins avant-gardiste abstrait que le Moscovite Scriabine.
[[]]
Le deuxième des 5 Préludes
de Roslavets (1922).
Tatyana Lazareva (Chandos).
Car, il faut bien le dire, après avoir écouté beaucoup du legs des
compositeurs ukrainiens célèbres (Berezovsky, Bortniansky, Vedel, Anton Rubinstein, Hulak-Artemovsky, Lysenko, Youferov, Glière, Bortkiewicz, Roslavets, Feinberg, Liatochynsky, Mossolov, Silvestrov, Skoryk, Stankovych, Poleva… voire en osant un
peu d'appropriation culturelle, Kalinnikov, Popov et Prokofiev), je ne perçois pas bien ce qui les différencierait
fondamentalement des compositeurs russes – déjà, beaucoup d'entre eux sont de fait des
emblèmes de la musique russe elle-même, et ont profondément
marqué la vie culturelle des deux capitales russes. Même des artistes
plus ancrés localement comme Glière,
Roslavets, Liatochynsky ou Silvestrov ne présentent
pas de spécificité qui les distingue immédiatement – ils sont
spécifiques, oui, mais plus au sens de « personnel » que d' « ukrainien
».
Peut-être y a-t-il quelque chose à glaner dans la relavité naïveté du
langage de Lysenko
(et Hulak-Artemovsky
?), mais c'est possiblement une illusion d'optique : on joue peu la
génération d'opéras entre Glinka
et Tchaïkovski, et il
y a fort à parier que le langage musical ne serait pas si différent. Au
moins a-t-on la langue ukrainienne
dans le cas de ces compositeurs, qui change de toute façon la couleur
générale – les finales des mots sont très différentes, quelque chose de
plus clair, pépiant et étroit, très doux par rapport aux ronronnements
du russe.
C'est là la terrible conclusion de cet épisode : je ne suis pas sûr
qu'il existe une musique de concert ukrainienne qui se singularise
spectaculairement de la musique russe. Kiev avait un très bon centre de
formation musicale, mais le cœur de la vie concertante et scénique se
trouvait clairement à Saint-Pétersbourg et Moscou, et les compositeurs
se sont conformés aux goûts du souverain ou de ces villes.
La musique nous redit à sa façon l'intrication de ces deux destinées,
tout simplement parce qu'à l'échelle de temps qui est celle de la
musique de concert (à partir de la fin du XVIIIe siècle en Russie), on
parle bel et bien de deux entités largement communes, voyages aidant.
En revanche, il existe bel et bien des compositeurs
ukrainiens, qu'ils le soient par la démarche d'exaltation
nationale ou simplement par leurs origines, leur lieu de naissance ou
leur éducation : je vous proposerai d'en faire le tour. La liste est impressionnante, de
compositeurs dont on n'aurait jamais pensé qu'ils venaient ailleurs que
de Russie, tant ils sont emblématiques
(le premier compositeur d'une symphonie russe ; le fondateur du
Conservatoire de Saint-Péterbourg ; etc.).
Quoi qu'il en soit, la musique n'est pas là pour célébrer des identités
exclusives : les deux civilisations étaient étroitement mêlées, n'en
faisaient peut-être qu'une (du point de vue musical du moins), mais la
situation épouvantable nous donne l'occasion de parler de musiques
qu'on n'a pas l'habitude d'écouter – et, qui sait, de programmer à
l'Ouest ? C'est ce à quoi je m'emploierai ; je souligne
simplement par honnêteté le fait que, dans sa grande remise en
perspective, c'est un choix qui manifeste davantage une solidarité politique présente
qu'une réalité esthétique passée.
Peut-être faudrait-il nuancer cela plus tard dans le vingtième siècle
avec des compositeurs qui intègrent un patrimoine spécifique –
j'entends beaucoup la parenté avec Chostakovitch et Weinberg chez Skoryk, mais il y a
possiblement des traits plus proprement ukrainiens dans les thèmes
populaires utilisés, dans cette Ukraine semi-indépendante ? Je
n'ai pas encore assez exploré les compositeurs ukrainiens qui ont
exercé à la fin de l'ère soviétique et après la chute du Mur pour en
juger, pour l'instant.
Compléments
Dans les prochains épisodes, je m'attarderai un peu plus sur les
spécificités de la musique populaire (polyphonique !) d'Ukraine, et je
vous proposerai (au détriment des portraits de l'anniversaire 2022, qui
vont prendre un certain retard en conséquence…) un petit aperçu des
principaux compositeurs ukrainiens.
Par ailleurs, écoutant par envie et pour les besoins de la cause
beaucoup de musique ukrainienne en ce moment, vous pouvez également
jeter un œil régulier à mon fichier d'écoutes, mis à jour plusieurs
fois par jour, et qui contient une mention « cycle Ukraine
» au-dessus des disques concernés.
Je vous souhaite, dans l'intervalle, une belle survie dans ce monde
encore un peu plus moche que celui que je vous ai laissé la dernière
fois. C'est un péché que l'amour et
le monde est mal fait, grand-mère.
L'état du monde a pour conséquence, heureuse ou tragique, que Carnets sur sol bouleverse sa
programmation. Le simple citoyen ne pourrait faire mie pour prévenir
les désastres que la folie des hommes provoque. Aussi, je vais tâcher
d'être utile là où je puis l'être : dans les actualités toujours si
répétitives, on nous parle aujourd'hui de plus près d'une région du
monde assez peu en cour d'ordinaire.
Comme tout le monde est avide de savoir et de comprendre, je paie mon
écot en vous proposant un petit point sur la musique ukrainienne – qui
soulève en outre des enjeux assez passionnants, aussi bien
géopolitiques (vous les déduirez vous-mêmes) que purement musicaux :
sur la forme musicale, sur la nature du travail de compositeur, et
évidemment sur ce que veut dire composer de la musique nationale.
1. La langue (et
l'opéra)
Avant que d'en venir à la musique, un mot sur la langue.
Je vous encourage vivement, pour votre bonne humeur, à vous plonger
dans l'étymologie du mot même
de « russe », qui est particulièrement réjouissante : les
Russes tirent leur nom de Slaves qui obéissaient à des Vikings suédois
dénommés en finnois (Ruotsi) – nous dit l'étymologie actuellement la
mieux en cour. Il existe évidemment d'autres hypothèses, pour certaines
démenties depuis, qui minimisent ces origines métèques en prenant
plutôt la rivière Ros, affluent du Dniepr, comme source du mot.
Autre chose intéressante dans le cadre de la musique vocale :
l'ukrainien appartient certes au groupe des langues slaves orientales (avec le
russe, le biélorusse et le ruthène), mais il a la particularité d'avoir
développé un grand nombre de doublets,
dans son vocabulaire, avec le polonais.
Les élites du pays étaient russes ou polonaises & lituaniennes, et
ne parlaient pas le vieux slave oriental. Aussi, l'ukrainien a
développé des synonymes très nombreux qui proviennent soit du russe,
soit du polonais. Si bien qu'une professeure de polonais, avec qui je
conversais autrefois, m'avait affirmé que c'était « à peu de
choses près la même langue ». Le très peu que je maîtrise de ces
deux idiomes me laisse penser que ce n'est pas vraiment le cas – elles
appartiennent à des groupes différents, et même à l'oreille, la rondeur
du son et le choix des finales n'est pas du tout équivalent. En
revanche, en termes de vocabulaire, oui, les locuteurs des deux pays
peuvent très bien se comprendre ; c'est sans doute ce que voulait
signifier mon interlocutrice.
Cela a deux implications, à mon sens, quand on écoute de l'opéra :
a) Il n'existe pas d'opéra en langue ukrainienne qui se soit imposé au
répertoire hors d'Ukraine, à ma connaissance. L'opéra se développe
tardivement en Russie (XIXe siècle essentiellement) et il répond à une
exaltation du sentiment national en Ukraine, qui advient au moment du
Printemps des Peuples, pendant la seconde moitié du XIXe siècle.
De même que l'ukrainien n'est pas simplement un sous-dialecte du russe,
il ne faut pas percevoir
l'opéra ukrainien comme unevariante de l'opéra russe : les buts
attendus sont justement d'exalter un patrimoine local.
b) De là découle un second enjeu, sur lequel je n'ai pas de réponse.
(Je vais me renseigner.) Les opéras écrits en ukrainien privilégient-ils le lexique d'origine russe
ou le lexique d'origine polonaise ? Ou bien n'y a-t-il pas
de règle d'un opéra à l'autre, voire au sein d'un même opéra ? Ce
serait intéressant sur la question de la représentation de soi, en tout
cas.
2. Trouver un disque
Vous aurez noté la présence finale du
« y » dans les translittérations françaises (alors que
le « i ») est de rigueur pour le russe, lié à des
spécificités étymologiques entre les différents types de [i].
Il faut donc toujours le « y » final aux patronymes, mais
pour les [i] intermédiaires, vous l'avez vu, en français comme en
anglais, ce n'est pas toujours opéré de même par les translittérateurs.
Ainsi l'on peut écrire Lyatoshinsky
ou Lyatoshynsky en translittération anglaise, et Liatochinsky ou Liatochynsky en
version française… Pourquoi ? Le [i] central est utilisé par ceux qui le transcrivent depuis son patronyme en russe, le [y] depuis son patronyme en ukrainien…
Lorsque vous cherchez un disques avec un compositeur ukrainien, essayez bien toutes les configurations possibles non seulement habituelles en sh / ch / tch / tsch (etc.), mais aussi avec « i » vs. « y ». En effet la plupart des patronymes ukrainiens célèbres, a fortiori avec les musiciens avec une carrière en Russie, peuvent s'écrire aussi bien en ukrainien qu'en russe.
Or, l'ukrainien a deux [i] : « і » comme le nôtre, et le « и » comme les russes (qui se transcrit « y » lorsque provenant de l'ukrainien, pour le distinguer). C'est pourquoi, en anglais comme en français, vous pourrez trouver plusieurs orthographes concurrentes (et correctes). Ces jours-ci, chacun peut donc choisir de privilégier les formes en « y », qui valent même pour des prénoms qu'on transcrira en « i » en russe : Valentyn, Borys…
À cela s'ajoute la préférence (plus souvent respectée en français qu'en anglais) pour la translittération de « я » en « ia » plutôt qu'en « ya », autre source de divergence autour des [i]…
De quoi rajouter encore un degré de complexité (et de relégation) à la
quête des disques, en plus de celles habituelles aux amateurs de
musique russe.
Pour terminer, j'ajoute un petit fait amusant : Naxos a réédité toute son intégrale
des symphonies de Liatochinsky en 2014
(l'année Maïdan & Donbass). Je ne sais si c'était un geste
militant, une opportunité éditoriale considérant le regain d'intérêt
pour la culture ukrainienne (mais qui va se précipiter sur du
Liatochinsky en réaction à une guerre ?), ou une coïncidence – un
processus éditorial prend du temps, et coûte de l'argent.
On entend très bien, dans cette captation des années 50 d'un opéra de
Lyssenko, avec des voix très articulées et captées de très près, les
différentes avec le russe, ici tout paraît rond mais plus en avant,
moins en bouche, comme un compromis entre le russe et le polonais en
effet, on dirait presque du russe prononcé avec un placement à la
française, quelque chose d'un peu aplati dans l'accentation.
En somme, vraiment pas la même langue.
J'ai prévu de passer en revue quelques spécificités de la musique
ukrainienne, ses principaux compositeurs, et de fournir quelques
conseils discographiques. La suite au cours de cette série.
Mais en attendant les publications, vous pouvez aussi suivre en temps
réel les écoutes (et les commentaires) du petit cycle d'écoute que je
me réalise pour moi-même autour de la musique ukrainienne, dans la
nouvelle liste des écoutes.
Je poursuis ma quête : partager les écoutes, les notes, les conseils
rédigés au quotidien… sans que cela ne prenne tout mon temps de notule
disponible.
Après plusieurs années à prendre le temps de les classer et de les
mettre en forme, pour un résultat assez massif qui intéresse certains
forcenés mais assez peu exploitable pour la plupart des lecteurs,
j'imagine, je fais la tentative (sur le modèle fructueux de l'agenda de
CSS) d'un format plus souple : en vrac, mais en temps réel, parfait
pour grapiller des idées d'écoute. Je mets aussi quelques repères pour
que vous trouviez ce que vous cherchez (nouveautés, disques ou œuvres
recommandés, etc.).
Ce sera à nouveau un Google Doc, sur ce lien, que je reproduis en haut de la page pour
le rendre accessible à partir de toutes les notules du site («
Nouveautés disco & autres écoutes », en haut à gauche en bleu).
Parmi mes derniers coups de cœur : les concertos pour violon de Röntgen
et Hubay, le Winterreise d'Appl,
un opéra tragique décadent de Kienzl appelé Le Ranz des Vaches, la résurrection
réussie d'un opéra de Marinuzzi, chef italien très important de la
première moitié du XXe siècle…
Et un gros cycle autour de La
Khovanchthina, incluant un grand nombre des versions
officiellement publiées.
Inspiré par ce modèle cartographique réjouissant, je me livre à
cette petite évocation : les candidats 2022 comme personnages d'opéra.
Arthaud : Berthe (Meyerbeer, Le Prophète).
Gentille villageoise qui bascule en mode super-vénère et finit par tout
brûler, son fiancé, sa belle-mère, le prêcheurs et la ville.
[[]]
(Margherita Rinaldi)
Poutou : Masetto (Mozart, Don Giovanni).
Assez énervé contre les puissants. A tout prévu pour reprendre ce qui
appartient au petit peuple – mousquet, pistolet…
[[]]
(Piero Cappuccilli)
Mélenchon : Carlo Gérard
(Giordano, Andrea Chénier).
Nostalgique des tribunaux révolutionnaires. Rapport ambigu à la
justice. Doit dire des choses intéressantes, mais crie surtout très
fort.
[[]]
(Renato Bruson)
Roussel : Semyon (Prokofiev, Semyon Kotko).
Gentil citoyen du rang, pas trop progressiste, un peu victime de l'air
du temps.
[[]]
(Victor Lutsiuk)
Hidalgo : die Gänsenmagd / la Gardeuse
d'oies (Humperdinck, Königskinder).
A l'habitude de marcher dans le caca lorsqu'elle revient du travail. En
l'état des sondages, seul un Prince généreux pourrait l'élever au rang
de souveraine.
[[]]
(Helen Donath)
Taubira : Zerbinette (R.
Strauss, Ariadne auf Naxos).
Débarque sur un bout de caillou déjà surpeuplé. Dérange tout le monde
qui était déjà installé. Repart avant la fin. Fait beaucoup de bruit quand elle s'exprime,
mais personne n'est trop sûr de ce qu'elle raconte ni de ce qu'elle
veut faire au juste de tous ces mots.
[[]]
(Hilde Güden)
Jadot : Antonio (Mozart, Le Nozze di Figaro).
Vous aurez beau parler du mariage de sa nièce, des forfaitures du
Comte, de l'expansion russe ou du pouvoir d'achat, il en reviendra
toujours à l'état de ses géraniums piétinés.
[[]]
(Philippe Sly)
Macron : Syme (Maazel, 1984).
Parle trop. Invente des nouveaux mots. Finit toujours par vous
embrouiller lorsque vous voulez discuter, et par gagner.
(Syme est celui qui travaille au dictionnaire de novlangue.)
[[]]
(Lawrence Brownlee)
Pécresse : Maria-Amelia (Verdi,
Simone Boccanegra).
Cherche à complaire aux hommes de pouvoir autour d'elle, ménage ses
loyautés, et finit par ne plus avoir la place de parler.
[[]]
(Barbara Frittoli)
Lassalle : Somarone (Berlioz, Béatrice & Bénédict).
D'un orgueil absolument sans mesure avec son talent, il semble toujours
saoul comme un cochon lorsqu'il cherche à produire des phrases.
[[]]
(Gabriel Bacquier)
Asselineau : Henri III
(Chabrier, Le Roi malgré lui).
Issu des gouvernants, mais lutte contre le pouvoir. S'il n'y a pas de
complot contre lui, il en créera avec beaucoup de bonne volonté !
[[]]
(Bernard Demigny)
Le
Pen : Jeanne (Honegger, Jeanne
d'Arc au Bûcher).
Veut sauver la France, mais trahie de toutes parts, ça sent de plus en
plus le roussi.
[[]]
(Sylvie Rohrer)
Zemmour : Bégearss (Corigliano,
The Ghosts of Versailles).
Prospère sur la discorde qu'il crée et semble aussi immortel que
cauteleux et difforme.
« Coupez-le en deux, chaque moitié revit. Tranchez-le en morceaux,
il demeure, il rampe toujours, escalade les murs, il est pure volonté,
creuse le sable brûlant – vive le ver ! »
[[]]
(Brenton Ryan)
(Bien sûr, Ciotti aurait été Spoletta, il a tellement la voix, le
physique et les inflexions du rôle – je ne peux jamais le prendre au
sérieux, j'entends toujours le personnage de fiction lorsqu'il parle,
le pauvre !)
--
En plus de vous avoir (peut-être) amusés, j'espère vous avoir incité à
réentendre ces petits bijoux, pour vous tirer de la déprime
pré-électorale !
Le Poème Harmonique achève cette semaine à Paris une tournée avec cet
opéra (déjà nommé zarzuela)
qui est à la fois une pastorale, une tragédie mythologique à machines,
et en fin de compte une cantate politique allégorique déguisée…
L'opéra baroque espagnol est très mal documenté, et je me réjouis de le
voir ainsi présent sur des scènes françaises importantes (Caen, Rouen,
Limoges, Amiens et l'Opéra-Comique, ce n'est pas rien
!), tout en bénéficiant d'un enregistrement chez un label bien présent
dans les bacs (Alpha).
Ce sera aussi l'occasion de me poser la question de pourquoi, malgré
tout, ça ne fonctionne pas totalement…
Contexte
Opéra emblématique de son temps, puisqu'il est l'œuvre du maître de
chapelle de Carlos II, puis brièvement – avant d'être exilé à Pau car
trop proche de l'ancienne dynastie – de Felipe V. C'est-à-dire que
Sebastián Durón a été à la fois le grand compositeur de la Cour
madrilène avant et après l'accession des Bourbons au trône d'Espagne.
La partition anonyme de Coronis
a fini par être attribuée (en 2009 !) à Durón après étude de son
écriture musicale, manifestement de façon assez convaincante. Elle est
créée en 1705 devant la cour de Philippe V et se détache des zarzuelas traditionnelles qui
alternent le parlé et le chanté : ici, tout est chanté de bout en bout,
alors qu'en principe, le chant était proportionnellement minoritaire,
servant à rendre plus prégnantes les émotions à des moments forts du
texte.
En pleine guerre de Succession d'Espagne, il s'agissait manifestement
d'une œuvre de propagande, aux influences extérieures fortes – pour un
souverain (Philippe d'Anjou) qui avait de toute façon été biberonné à LULLY,
Collasse, Desmarest et Campra… Mais ce ne sont pas les influences
françaises qui dominent, j'y reviens plus loin.
Malgré la forte impression faite par la partition et le livret, remplis
de batailles spectaculaires entre dieux, Durón est exilé auprès de
l'ancienne famille régnante.
Le visuel de la série de Rouen.
Le sujet
Le livret est assez étonnant, dans la mesure où rien ne semble
fonctionner comme le résumé pourrait le laisser supposer.
La trame est franchement pauvre : Coronis, une nymphe de Thrace, est
courtisée par Neptune et Apollon (dans son incarnation solaire), qui se
font une guerre implacable, tuant au passage toute la population des
petites divinités des bois qui leur rend pourtant un culte fidèle.
S'ajoutent à cela les nombreux avertissements de Protée (devin comme
dans Phaëton), les rares
disputes d'un couple de comparses (Sirena et Menandro, qui conservent
le souvenir des scènes plaisantes de zarzuela) et surtout l'amour
malheureux de Triton, créature secondaire des eaux et monstrueuse sur
terre, qui hésite à forcer Coronis tout en respectant sa faiblesse, et
finit occis par Apollon sans autre forme de procès.
L'essentiel du livret tourne autour de la lutte à mort des deux dieux,
sans du tout étudier les inclinations de Coronis, dont on ne sait
absolument rien du début à la fin : quel est son caractère, qui
aime-t-elle… rien de tout cela n'est étudié. Vraiment une coquille
vide, objet de désirs masculins conjugués, qui n'a même pas le temps
d'être présentée.
Le personnage est tiré du Livre II des Métamorphoses d'Ovide : elle est
la mère d'Asclépios ! Son nom permet évidemment d'en faire une
allégorie de la couronne d'Espagne, ce qui est probablement la raison
pour laquelle ses sentiments ne sont jamais étudiés sur scène : elle a
peur de Triton, elle fuit la colère des dieux jaloux à qui elle rend
successivement les honneurs, et en fin de compte elle choisit un amant
avec une justification qui laisse rêveur… mais point d'émois
personnels, de sentiments pour qui que ce soit.
En principe, dans une telle intrigue, Coronis devrait jouer à la Belle
et la Bête, et distinguer la constance de Triton (c'est un peu un forceur, mais il est gentil et il
l'aime sincèrement, la beauté n'est pas tout, etc.), ou à tout le moins
rejeter des amants présentés comme égaux (eux non plus n'ont pas de
psychologie, ils sont simplement fâchés de ne pas être choisis),
lointains, destructeurs.
Et pourtant : tout le monde dit du mal de Triton, seul personnage à
exprimer des sentiments personnels, tourmenté à la fois par son désir
et par la peur d'abuser de Coronis lorsqu'elle apparaît sans défense,
évanouie en pleine nature ou sauvée par lui en pleine mer. Finalement,
Apollon le tue (sans motivation apparente) après que le « monstre » a
sauvé Coronis du déluge provoqué par Neptune.
Après la destruction du Temple de Neptune par les rayons d'Apollon, de
la Thrace tout entière par les flots de Neptune, Iris vient annoncer la
paix : que Coronis choisisse son amant, et tout le monde se soumettra.
(Considérant qu'elle n'a jamais exprimé son intérêt pour ces dieux
violents qu'elle ne connaît pas, le choix est un peu glaçant.)
Là aussi, sans motivation apparente, elle choisit le plus violent et le
plus fort – avec pour simple justification qu'il peut tuer par le seul
exercice de sa volonté (!!) –, Apollon. Sachant qu'elle ne devient
absolument pas sa femme, bien sûr, et que chez Ovide Apollon finit par
la tuer pour son infidélité – il ne fait pas de sens d'humaniser
exagérément ce type de fable, mais elle doit, en somme, se rendre
disponible pour un dieu volage et jaloux qu'elle n'a pas choisi (enfin
si, choisi parmi deux choix également effrayants…).
Dans une logique allégorique, on comprend très bien pourquoi Coronis
(la Couronne d'Espagne) choisit nécessairement Apollon dans son
incarnation solaire, symbole de la dynastie française qui a commandé
l'opéra et auprès de qui Durón cherche à éviter la disgrâce… Toutefois
dans la logique des événements scéniques, voir Coronis choisir ainsi,
sans manifester de joie ni d'affliction, le meurtrier de son sauveur, a
quelque chose de profondément dissonant, pour ne pas dire glaçant.
Tout cela est tellement étrange, d'autant que la conduite des dieux
paraît bien peu glorieuse pour une œuvre commandée par la Cour, rendant
les Grands également coupables de tourmenter des populations innocentes
afin d'affirmer symboliquement un pouvoir qui ne les intéresse qu'eux
deux.
En somme, le livret est particulièrement ennuyeux (une pause aurait été
bienvenue pour encaisser ces deux heures de presque rien), mais a de quoi
susciter perplexité et réflexions – un metteur en scène un peu plus
inspiré aurait pu jouer sur cette question de Coronis objet de désir
sans contenu (plein de possibilités, de l'objet magique au propos
féministe militant).
La musique
En Espagne, comme en Italie, les chanteuses ne sont pas en odeur de
sainteté… mais le processus n'est pas tout à fait équivalent. Alors que
dans les États Pontificaux règnent les castrats, qui épargnent la
présence de femmes nécessairement impures, en Espagne, les hommes qui
ont la meilleure éducation musicale sont réservés aux offices, tandis
que les femmes, qui ont souvent été éduquées à la maison, chantent les
œuvres profanes. On trouve donc à l'Opéra très peu d'hommes, hors des
personnages âgés qui sont tenus par des ténors (comme ici Protée). Les
rôles masculins sont simplement tenus par des voix de femme plus
graves.
Tout cela produit à l'écoute, toute
gender fluidity bue, une certaine uniformité (ainsi qu'un
dépaysement certain, en entendant Neptune chanté par une mezzo…).
Stylistiquement, l'œuvre de 1705 regarde résolument vers le XVIIe
siècle : on reste ancré dans le langage et la forme d'un opéra de
Legrenzi (années 1670), voire de Rossi (années 1640), où le récitatif
prime. Cependant l'orchestre est quasiment tout le temps sollicité à
plein effectif, un récitatif accompagné permanent, toujours à la
frontière de l'arioso.
On y perçoit fugacement quelques harmonies qui évoquent Haendel, mais
les véritables références qui viennent à l'esprit sont d'abord
Monteverdi (pour les duos homorythmiques qui ne sont pas clos comme des
« numéros » de seria) ou
Purcell (né la même année que Durón, pour la mort de Triton), donc très
archaïsantes pour un opéra européen du début du XVIIIe siècle – or, si
j'en crois le spécialiste Raúl Angulo, l'œuvre est regardée comme un
jalon particulièrement innovant en Espagne (notamment à cause de son
aspect durchkomponiert, mais
aussi de ses emprunts au style italien, patents en effet – même s'ils
ont un demi-siècle de retard).
Le visuel de la série de Favart.
Moments forts
Tout de même quelques belles réussites à mettre au crédit du
compositeur, comme ces chœurs de présentation à quatre parties vocales (cuatros) où les divinités
sylvestres commentent le début d'action.
Je doute cependant de l'authenticité de certains moments, comme ces
interludes jouant du flamenco sur guitares baroques – dont
l'inspiration stylistique paraît tout droit sortie du XIXe espagnol.
J'ajoute un indice supplémentaire : on dispose de la nomenclature
d'origine, et on n'y trouve pas de cordes grattées (mais le continuo
n'est peut-être pas indiqué, je trouve étonnant qu'il n'y ait pas même
de clavecin quelque part), ce qui rend l'exécution de ces pièces peu
probables. [Je note au passage le très grand éloignement de l'orchestre
attesté par les sources, avec 16 violons et 4 contrebasses, avec celui
de Dumestre, beaucoup plus chiche en cordes frottées mais très riche en
cordes grattées et pincées, avec deux guitaristes-théorbistes, un
claveciniste, une harpiste !]
C'est pourquoi je m'interroge également sur le meilleur moment de
l'œuvre : les larmes de Triton deviennent une tempête et l'orchestre
déchaîné entame de trépidantes variations sur la Follia di Spagna en
trémolos et fusées, dans un langage très éloigné du reste de l'opéra (à
ce moment-là, pour la seule fois, on sent bien le contemporain d'Alcione de Marais !). Cet écho
humoristique me paraît également étrangement en décalage avec tout le
ton très calibré et pas du tout méta-
de l'ensemble du livret. Je parie sur l'inclusion par Dumestre d'une
pièce extérieure, comme l'excellent Prélude qui ouvre l'opéra (en
réalité une Courante italienne du
célèbre organiste Cabanilles).
[Après réécoute : la pièce ne semble pas figurer sur le disque, indice
supplémentaire.]
De même pour le solo de basson, très exposé, pas simplement une ligne
de basse qui est soudain mise à nu, mais une véritable ligne principale
: je m'interroge sur le caractère écrit de la chose (dont je ne suis
pas très convaincu à vrai dire).
Pour le reste, je n'ai pas été très impressionné : on doit censément
rencontrer des airs à da capo,
des séguédilles, des ariettes strophiques, mais je n'en ai guère senti
la coupe. Les plaintes à l'italienne semblent se dérouler sans frapper
une mélodie – est-ce le fait d'un langage différent de nos habitudes ?
–, des semblants de chaconne à la française apparaissent au détour de
répliques, mais sans jamais se concrétiser non plus dans la mélodie ni
la danse.
Je n'ai clairement pas été très séduit.
Réalisation scénique
En mettant à distance le sujet (cette femme indifférente aux massacres
et/ou objectifiée, que d'échos avec notre temps, elle pourrait avoir un
téléphone portable et regarder TikTok ou faire la queue dans un
commissariat), ou du moins en le réactivant comme Jos Houben &
Emily Wilson pour Cupid and Death
de Shirley, Locke & Gibbons (production de l'Ensemble
Correspondances, en tournée en ce moment), avec des jeux incluant le
public, en décalant certains éléments pour leur faire prendre un relief
plus comique ou plus actuels, il y avait sans doute moyen de tirer
quelque chose de ce livret absolument plat, mais tellement impavide et
choquant qu'il y aurait eu matière à lui faire dire un peu plus qu'il
ne dit.
Hélas, Omar Porras propose surtout quelques pyrotechnies pour les
entrées d'Apollon, mais conserve tous les personnages dans des costumes
un peu pâles et assez équivalents entre nymphes, divinités secondaires
et dieux… Ennui également de ce côté-là.
(Ana Quintans en Coronis – c'était Marie Perbost qui tenait son
rôle à Paris.)
Réalisation vocale
Mais le véritable problème, pour redonner toutes ses chances à cette
œuvre et à ce répertoire, ce n'étaient ni les arrangements avec la
musicologie, ni la mise en scène… pourquoi diable se contraindre à
recréer une œuvre difficile à soutenir (mais qui documente un aspect
fondamental du théâtre européen), en le jouant sur des instruments
d'époque… pour le faire chanter par des francophones (dont l'espagnol
n'est clairement pas le point fort) et de surcroît par des techniques
vocales qui reflètent les nécessités techniques… du XIXe siècle ?
Je suis assez inconditionnel des qualités verbales et expressives de
Cyril Auvity (Protée, qui essayait vraiment de faire sonner son espagnol par ailleurs,
même s'il était audiblement francophone), et je me roulerais volontiers
dans les moirures profondes de la voix d'Anthea Pichanik (Menandro)…
pour le reste, Marie Perbost (Coronis), Isabelle Druet (Triton),
Victoire Bunel (Sirène), Marielou Jacquard (Apollo), Caroline Meng
(Neptune) chantaient avec des techniques qui égalisent le timbre et
modifient les voyelles, qui bien que le fondu parfait de leurs voix
éteignait absolument, surtout dans ces tessitures basses, la
possibilité de phraser ou de colorer (et aussi, accessoirement, de projeter le son).
Je ne suis pas forcément un fanatique du procédé de la couverture massive et unifiée : je
la vois plutôt comme une technique d'appoint, qui doit être une licence
pour modifier à la marge l'émission, et non comme le centre de toute la
technique, voire son esthétique même, comme c'est le plus souvent le
cas aujourd'hui, et de plus en plus chez les chanteurs baroques, hélas.
Même au XIXe siècle, je lui trouve des défauts.
Mais elle se justifie, par commodité du moins, pour chanter des
répertoires où il faut chanter très au delà du passage et où la voix
doit encaisser une certaine tension de la phonation : cette
accommodation des voyelle et cette recherche du legato, du velours,
permet de gérer de longues lignes très mélodiques et tendues.
Pourquoi diable utiliser cela lorsqu'on chante des lignes quasiment à
hauteur de la voix parlée, et qui sont essentiellement du récitatif ne
requerrant ni homogénéité de timbre ni legato ?
J'ai vraiment eu l'impression d'entendre la même voix sur tous ces
rôles, et une seule couleur. Chez Eugénie Lefebvre (Iris), il restait
un peu d'éclat, et Caroline Meng avait pour elle la profondeur de la
voix, mais les autres me faisaient l'effet de Kiri
Te Kanawa chantant du musical
theatre.
Ce n'est pas leur faute, ce sont d'excellentes chanteuses que je révère
(j'adore Perbost d'ordinaire, Bunel est une véritable artiste qui a
beaucoup mûri ces dernières années, Lefebvre carrément une de mes
chanteuses préférées…), mais vu les tessitures, l'écriture vocale, la
nature de leurs techniques et surtout la présence d'une langues pour
laquelles elles n'étaient pas formées… il fallait de petites voix bien
projetées et tranchantes, maîtrisant la langue, du type Lucía
Martín-Cartón.
Ou alors, si l'on voulait absolument ces chanteuses, il fallait
transposer plus haut, pour que la couverture leur serve à quelque chose
et que leur voix puisse s'épanouir. (Mais on entendait bien le manque
d'expérience de placement de l'espagnol, qui ne rayonnait pas.)
En somme, pourquoi choisir les conditions d'un éteignoir sur une œuvre
qui n'était déjà pas évidente ?
Si j'en parle ici, ce n'est pas pour juger en chaire la très belle
initiative d'élargir le répertoire vers des horizons nouveaux, mais
plutôt, j'espère que vous l'aurez perçu, pour m'interroger sur la
logique qui prévaut lorsque, dans un projet si ambitieux, on opère des
choix en décalage manifeste avec tout le reste de la démarche.
D'une manière générale, j'ai l'impression que depuis que Christie ne
forme plus les jeunes chanteurs à la déclamation et que le baroque est
devenu suffisamment à la mode pour être abordé par des chanteurs plus
généralistes, on ne se pose plus guère la question du chant. On joue
sur instruments anciens, on étudie les traités pour savoir quel
effectif, quel mode de jeu adopter, et puis on invite Sarah Bernhardt
pour interpréter Armide, Gilbert Duprez pour chanter Amadis.
Ce m'attriste quelque peu, puisque cela me retire une part assez
conséquente du plaisir que j'ai à fréquenter ce répertoire. Comment les
musicologues, les chefs, les conseillers, le public ne perçoit-il pas
le problème qu'il y a à embaucher pour LULLY des
chanteurs formés avec une technique conçue pour chanter Verdi ?
Ce ne serait pas un problème majeur si cela fonctionnait, mais en
réalité, le résultat est qu'ainsi on sacrifie à la fois la couleur, la
diction et la projection, ce qui commence à faire beaucoup. Et certains
chanteurs font même massivement carrière dans ce répertoire, alors même
que leur fondement technique est intrinsèquement en contradiction avec
tout ce que l'on sait des chanteurs d'autrefois, et tout simplement en
contradiction avec les nécessités pratiques (clarté des mots,
possibilité d'éclats, etc.) de ces œuvres.
Mechelen et Dolié font des choses remarquables dans le XIXe (et avec
une belle sensibilité d'artiste dans la mélodie et le lied), mais qu'on
les embauche récurremment pour de la tragédie en musique me laisse
assez interdit.
Ce n'est évidemment qu'une parole d'auditeur, certains paramètres
m'échappent sans doute – à commencer par le fait qu'il n'existe
quasiment plus de classe de chant où l'on apprenne spécifiquement la
technique baroque, et qu'il faut donc récolter des voix déjà formatées
à l'esthétique XIXe ; ou bien l'effet de troupe, le recours aux copains
qu'on connaît bien et dont on sait qu'ils sont solides, etc.
Peut-être aussi le fait qu'on évite les instruments trop clairs et
légers par peur de ne pas remplir les théâtres à l'italienne du début
du XXe, bien plus grandes que celles d'origine – mais c'est, là encore,
faire une erreur d'appréciation, c'est l'inverse en réalité, les voix
plus claires et libres s'entendent mieux, en tout cas pour les
répertoires où il n'y a pas de concurrence de l'orchestre !
J'espère que ces méditations ne vous auront pas trop attristé. La bonne
nouvelle est que le public (et les copains) ont globalement paru très
contents de ce qu'ils avaient entendu, ce dont je me réjouis. (Pour
eux, et parce que cela signifie que nous aurons sans doute à nouveau
des œuvres jamais entendues.)
En tout état de cause, et quel que soit le résultat : gratitude à ceux
qui font l'effort de renouveler le répertoire. Mille fois un Coronis pas tout à fait majeur ou
convaincant plutôt qu'une grande version de Giulio Cesare ou des Indes Galantes. Merci de nous
permettre de continuer à découvrir !
Ce billet, écrit à par DavidLeMarrec dans la catégorie Discourir a suscité :
Devant la quantité d'enregistrements écoutés, et sur lesquels j'écris
pour moi-même, je m'interroge toujours sur le format pour les partager
au mieux. Je sais que certains camarades ou lecteurs de passage aiment
avoir un avis sur les nouveautés, ou des idées d'écoutes – et j'aime
assez l'idée qu'au bout de quelques années, on puisse trouver, en
cherchant sur le site, beaucoup d'éléments croisés sur beaucoup plus de
compositeurs que les entrées habituelles, avec un nom par publication,
ne me laisseront jamais aborder sérieusement.
Hélas, mettre en forme mes brouillons prend beaucoup de temps sur mes
autres travaux pour CSS, et je cherche, depuis que j'ai débuté ce défi,
un moyen de conjuguer la mise à disposition un minimum utilisable et
attractive de ces notes… avec un temps raisonnable à y consacrer.
J'ai donc changé, pour cette année, mes notes qui étaient organisées en
tableau difficilement exportable sur une page web, au profit d'un
format brut qu'il suffit de mettre en couleur et de coller dans une
notule. À voir à l'usage (pour vous, ce ne devrait visuellement pas
changer grand'chose).
Cycles
Beaucoup de symphonies romantiques germaniques (Loewe, Gade…), un grand
cycle danois (Kunzen, Kuhlau, Dupuy, Gade, Heise, Hamerik, Langgaard),
un autre consacré à Grétry, beaucoup de Karg-Elert et un gros arrêt sur
Kienzl, ce mois-ci. Mais aussi les chorals et le quatuor de Franck, les
concertos pour violon de Röntgen, le baroque autrichien et tant
d'autres petites choses à explorer.
Énorme coup de cœur en découvrant l'ensemble Ars Antiqua Austria et sa
discographie consacrée au baroque et au classicisme autrichiens, avec
une vitalité qui m'a immédiatement conquis, alors que la musique
instrumentale baroque n'est a priori
pas la matrice de mes plus grands frissons.
Et bien sûr ce qu'il faut pour préparer les notules anniversaires
(Davaux, Dupuy, Graener, Alfvén, Perosi… mais ça ne réclame pas de se
forcer beaucoup !).
J'ai aussi poursuivi à réécouter en boucle le motet Astra Cœli de Jean-Noël Hamal, en
découvrant sans cesse de nouveaux détails qui concourent à l'exaltation
ressentie à l'écoute. (Écriture orchestrale très précisément pensée
pour mettre en valeur, sans y paraître, la tension de la ligne vocale.)
La légende
Pour gagner du temps, j'ai changé ma légende (au profit de symboles
présents par défaut sur un clavier).
Je ne saurais insister assez, à nouveau, sur le fait qu'il ne s'agit en
rien d'une note, ni même d'une évaluation de qualité des
enregistrements. Ce sont simplement des repères, pour moi d'abord et
pour mes lecteurs qui le souhaitent ensuite, pour guider vers ce qui
doit être écouté ou réécouté en priorité. Ce sont des indications sur
mon ressenti, mes émotions : il y a certains enregistrements
techniquement hasardeux que je vais apprécier, et d'autres impeccables
qui vont me laisser totalement froid, tout cela étant évidemment
pondéré par mon tropisme personnel pour les œuvres jouées, la rareté de
la proposition, l'humeur du moment, voire (pour ceux qui y croient) le
matériel de reproduction sonore…
Comme mes repères globaux à trois niveaux n'étaient pas toujours
parlants pour moi-même (œuvre fabuleuse mais interprétation terne,
œuvre terne mais interprétation qui l'exalte…), j'ai conservé les
repères à trois niveaux mais les ai répartis entre œuvre et
interprétation.
Ce qui donne des symboles, en fin de titre, de ce type : !/+++ **.
! : Très bonnes œuvres.
!! : Œuvres fabuleuses.
!!! : Va changer votre vie.
+ : Très bonne interprétation.
++ : Interprétation particulièrement remarquable.
+++ : Va bouleverser vos perceptions.
* : Très bon disque, à écouter !
** : Disque formidable, à écouter d'urgence !
*** : Vous n'entendrez plus la musique de la même façon.
Il peut exister une décorrélation entre mon ressenti sur l'œuvre /
l'interprétation et celui sur le disque en général, ce n'est pas
forcément une erreur. Ce peut notamment être tempéré par l'offre
discographique : une symphonie de Beethoven (à !!! sur l'œuvre, donc)
avec une interprétation à ++, vu l'offre pléthorique, peut très bien
avoir une opinion de * sur le disque.
Comme d'habitude, le fait même d'avoir une « récompense » signifie que
je recommande le disque. Si je ne suis pas très touché, je mets un « .
», ce qui ne veut pas dire que ce soit mauvais, mais que je ne vois pas
de plus-value majeure à écouter l'œuvre, l'interprétation ou le disque
en question. (Encore une fois, avis purement personnel, je peux tout à
fait me tromper, ou simplement ne pas avoir les mêmes attentes que
d'autres mélomanes tout aussi valeureux.) Il existe quantité de
disques parfaits, mais je réserve les « *** » pour ceux qui me
paraissent changer notre perception, régler la question d'une
discographie, faire découvrir un pan du répertoire génial et inexploré,
etc. Sinon la plupart seraient à !!!/+++ *** et on ne serait pas très
aidé pour choisir ses écoutes.
Si vraiment j'ai trouvé quelque chose de raté (le son sature tout le
temps, les interprètes jouent faux, le disque inclut du Philip Glass),
je mets ¤ (¤¤, ça n'arrive jamais, il faudrait vraiment que ce soit
honteux comme une symphonie de Philip Glass).
En rouge, les nouveautés du
mois. En gras, les disques que
je recommande tout particulièrement.
Si jamais j'ai omis d'ôter les « ° », ce sont mes repères pour les
disques que j'écoute pour la première fois ou pour les nouveautés.
Le tout est classé par genre, puis par ordre chronologique très
approximatif (tantôt la génération des compositeurs, tantôt la
composition des œuvres, quelquefois les groupes nationaux…) au sein de
chaque catégorie, pour ménager une sorte de progression tout de même.
(Oui, vous aurez remarqué que ce n'est pas le mois des jolies-pochettes.)
Grétry – L'Amant jaloux – Celeste
Lazarenko, Alexandra Oomens, Jessica Aszodi, Ed Lyon, Andrew Goodwin,
David Greco ; Pinchgut Opera, Melissa Farrow (Pinchgut Opera) !!/+ **
→ Compagnie sise à Sydney, qui fait du très beau travail, dont témoigne
cette seule version CD de L'Amant jaloux depuis l'antique version
Doneux avec Mesplé (disque qui ne rend pas du tout justice à l'écriture
orchestrale et au rythme de la comédie, et discutable y compris sur le
plan du chant).
→ Ici, les accents ne sont pas parfait, les voix féminines assez
opaques et moches, mais l'orchestre dispose du style approprié (ainsi
qu'Ed Lyon, bien sûr !), et le rythme tournoyant du drame est
pleinement là, ainsi que toutes les beautés instrumentales disposées
par Grétry.
Hérold – Le Pré aux clercs – Gulbenkian SO, McCreesh !!/+ *
Halévy – La Reine de Chypre – Gens,
Dubois, Dupuy ; OCP, Niquet (Singulares) !!/+++ **
F. David – Herculanum – Gens,
Deshayes, Montvidas, Courjal (Singulares) !!/+++ **
F. David – Christophe Colomb – Santon,
Behr ; Les Siècles, Roth (Singulares) !!/+++ **
Gounod – Le Tribut de Zamora –
Holloway, Montvidas, Christoyannis (Singulares) !!/+++ **
Offenbach – La Vie parisienne
(version restituée de 1866) – Christian Lacroix ; Devos, Buendia,
Briand, Huchet, Mauillon, Leguérinel ; Musiciens du Louvre, Romain
Dumas (Arte Concert 2022) !/++ *
→ La (première) mise en scène de Lacroix est peu élégante et peu
lisible. Distribution remarquable, mais qui n'est pas dans son meilleur
jour : Buendia, Briand, Huchet étrangement en retrait de leurs
fulgurances habituelles ; mais Devos et Leguérinel brûlent les planches
et chantent remarquablement, tout de même ! Et l'œuvre, malgré le
rehaussement supposé par ces numéros perdus et restitués pour la
spremière fois, reste tout de même enserrée dans ses trépidations un
peu primaires et son livret à la fois peu lisible et peu profond.
→ Mais dans le cadre de ce qu'est La Vie parisienne, une version qui
vaut la peine, en particulier pour la qualité des textures et de
l'engagement des Musiciens du Louvre !
Saint-Saëns – Le Timbre d'argent – Les
Siècles, Roth (Bru Zane) !!/+++ **
Debussy –
Pelléas & Mélisande – Santoni, Behr, Duhamel, Teitgen ; Les
Siècles, Roth (HM 2022) !!!/+++ ***
→ Très convaincu par la lecture orchestrale totalement renouvelée grâce
aux instruments anciens, et à la science de gérer individuellement
chaque pupitre par Roth. Très belle distribution également, Santoni
très « vocale » mais au cordeau, Behr qui n'a jamais été aussi éloquent
qu'ici (sans l'impression d'effort articulatoire énorme qui prévaut
d'ordinaire chez lui). Un peu moins enthousiasmé par Duhamel,
incarnation très homogène, uniment sombre, émission assez en arrière
qui le limite dans ses éclats aigus ; mais le timbre reste très beau et
l'artiste généreux.
→ Sur les représentations avec Santoni, Teitgen, Les Siècles, j'avais
dit quelques mots ici : https://twitter.com/carnetsol/status/1448542505704755200
.
Hahn – Ô mon bel inconnu – Gens, Dubruque, Dolié ; O Avignon-Provence,
(Bru Zane) !/+ *
Lattès – Le Diable à Paris – Tassou,
Dubroca, Frivolités Parisiennes (B Records 2021) !!!/+++ ***
→ Quelle merveille, farcie de tubes (essayez le compactage incroyable
de moments de caractère dans le final de l'acte I), et interprétée
absolument idéalement par des interprètes qui écoutent de couvrir leur
voix comme des chanteurs d'opéra (tout en en ayant toute la robustesse
!), et font vivre tous les frémissements de ce livret absolument
loufoque. (Le Diable, convoqué par deux cheminots en mal de beauté ou
d'argent, accepte de rendre les âmes contre un séjour à Paris pour
échapper à sa femme.)
→ Nouveauté de l'année dernière dont j'avais déjà fait un autre petit
commentaire, déjà très enthousiaste.
--
OPÉRAS ITALIENS
(Pierantonio) TASCA – A
Santa Lucia – Derilova, Kapfhammer, Marschall, Paulsen, Wade ; Dessau
Anhalt Theater Chorus, Dessau Anhalt Philharmonic, Markus L. Frank (CPO
2022) !!/+ **
→ Dans le goût sonore de Cavalleria Rusticana, une autre histoire
terrible de jalousie féminine et d'hommes inconséquents, mais avec
davantage de richesse dans la musique, même si la couleur en est très
proche. Chanté avec des techniques qui ne sont pas au niveau de ce que
nous ont laissé les générations précédentes, avec un italien très
international et des voix parfois hululantes (le ténor est quand même
très bon), ce reste une expérience réellement intéressante.
--
OPÉRAS ALLEMANDS
Loewe – Die drei Wünsche – Klepper,
(Jonas) Kaufmann, Hawlata, SWR Stuttgart, Peter Falk (Capriccio 1998)
!!/++ **
Kienzl – Der Evangelimann – Donath,
Wenkel, Jerusalem, R. Herrmann, Moll ; Radio de Munich, Zagrosek
(Warner) !!!/+++ ***
→ Écouté cinq fois ce mois-ci, quelle bien belle œuvre aux élans
irrésistibles ! (et servie ici superlativement)
Kienzl – Don Quixote – Mohr (CPO) !!/++ **
--
OPÉRAS ANGLAIS
Haendel – Semele – Labin, Skerath,
Blondeel, Savinoya, Zazzo, Newlin, (Andreas) Wolf ; Chœur de Chambre de
Namur, Millenium Orchestra, García Alarcón (Ricercar 2022) ./+ .
→ Une distribution qui promettait (en particulier Blondeel, Zazzo et A.
Wolf), mais malgré l'animation sans reproche de García Alarcón, je
trouve l'œuvre toujours assez pâle, et les émissions plutôt blanches et
flasques des chanteuses n'aident pas à soutenir l'intérêt. En concert,
avec la différenciation visuelle des attitudes physiques, ce devait
bien fonctionner, mais disque, tout paraît un peu étale et égal,
manquant de l'invention et des couleurs ordinairement dispensées par
Alarcón… (Il se met à enregistrer des choses célèbres, rien ne va plus
!)
--
OPÉRAS SCANDINAVES
Kunzen – Holger Danske – Bonde-Hansen,
Rørholm, Elming ; Schønwandt (Dacapo) !!!/++ ***
→ Déjà commenté dans de précédents épisodes, une sorte de Flûte
enchantée romantisante en danois, partition assez exceptionnelle.
→ Bissé.
Dupuy – Ungdom Og Galskab (Youth and
Folly) – Elming, Cold ; Collegium Musicum Copenhagen, Schønwandt
(Dacapo 1997) !!!/+++ ***
→ x5.
--
OPÉRAS RUSSES
Moussorgski – Sorochinskaya yarmarka (Sorochintsi Fair) (completed by
V. Shebalin) – Ljubljana Opera, Hubad (Naxos Historical, 1955,
réédition ) !!/++ **
Moussorgski – Sorochinskaya yarmarka (Sorochintsi Fair) (completed by
V. Shebalin) – Guennadi Troitzki, Antonina Kleschova, Ludmila
Belobraguina , Alexei Ousamanov, Iouri Elnikov, Alexander Poliakov,
Sergei Troukatchev ; Choeurs De La Radio De L'U.R.S.S., Orchestre
De La Radio De L'U.R.S.S., Yuri Aranovich (vinyle de 1969)
→ Version vraiment empesée...
LULLY, Desmarest, Charpentier… –
« Passion » – Gens, Les Surprises, Bestion de Camboulas
(Alpha 2021) !!!/+++ ***
→ Déjà présenté précédemment. L'air-chaconne d'Astérie dans Circé de
Desmarest, petite merveille.
A. Scarlatti, Haendel, Vivaldi,
Sorro, Caldara – « A Baroque Tenor : Arias for Annibale
Fabbri » – Marco Angioloni, Ensemble Il Groviglio, Stéphane Fuget
(Pan classics 2022) !!/+ *
→ Concept habituel de l'album autour d'un interprète historique, ici
« Balino ». Beau choix d'airs, vraiment prenants, et
inhabituel pour célébrer un ténor dans le seria pré-1750, où ce sont
rarement des tessitures mises en valeur.
→ L'accompagnement est remarquablement, plein d'esprit et de vivacité,
mais une certaine interrogation concernant le soliste : la voix est
belle, mais incomplètement formée (elle sonne encore en partie
« parlée »), ainsi que nombre d'excellents étudiants qui
doivent encore mûrir. Je m'interroge donc un peu sur la pertinence de
graver ceci avec lui ou à ce moment de sa carrière : le disque, lui, ne
va pas mûrir, et on est mis un peu mal à l'aise, par moment, par le
timbre partiellement formé.
Mozart – airs
de Lucio Silla, Mitridate et des Da Ponte « Mozart x 3 » –
Elsa Dreisig, Basel KO, Langrée (Erato 2022) !!!/+++ **
→ Programme absolument pas original, mais réalisé avec une qualité de
moelleux vocal, de coloration et d'expression tout à fait remarquables.
(Voyez en particulier la façon expressive dont Dreisig mixe voix et de
tête et de poitrine en descendant dans les médiums !)
Carafa – « Ah! Fermate … Raoul! … Perche non chiusi », acte
II de Gabriella di Vergy – Yvonne Kenny, Doghan ; Geoffrey Mitchell
Choir, Philharmonia Orchestra, David Parry (Opera Rara) !/+ *
→ Voir ici.
° Carafa – « Quell'aspetto … quegl'accenti ! », acte III de
Gabriella di Vergy – Matteuzzi, B. Ford ; Academy of St. Martin in the
Fields, David Parry (Opera rara) !/. *
→ Voir ici.
Carafa – « L'amica encor non torna » dans Le Nozze di
Lammermoor – DiDonato Opéra de Lyon, Minasi (Virgin 2014) !/+ *
→ Voir ici.
Gade – extrait Elverskud (Elf-King's Daughter), Op. 30 – Lauritz
Melchior, Studio orchestra (Danacord, publication 1987)
→ Bissé (parce qu'il ne m'en restait rien !).
Youmans, Beydts, Lattès, Hahn, Messager, Yvain, Caryll, Berger,
Fourdrain, LeBoy, Hope Temple, Haydn Wood – « Tea for Two » –
Decouture, Brocard, Frivol'Ensemble (Naxos 2018) !/. .
→ Deux chanteurs que j'aime beaucoup en concert, mais pour un récital
au disque, cela s'avère manquer un peu de brillant. Les arrangements de
Michard pour ensemble de chambre sont délicieux.
Corigliano – Air du Ver (des Ghosts of Versailles) – Graham Clark, Met
(vidéodiffusion de la production) !!!/++ ***
Corigliano – Air du Ver (des Ghosts of Versailles) – Robert Brubaker,
LA Opera, Conlon (DVD Bridge ?) !!!/++ **
Corigliano – Air du Ver (des Ghosts of
Versailles) – Brenton Ryan, Jalisco PO, Plácido Domingo (vidéodiffusion
d'Operalia, Guadalajara 2016) !!!/+++ ***
Corigliano – Air du Ver (des Ghosts of Versailles) – Tenor Adrian
Dwyer, Kelvin Lim au piano (YT, Londres 2017) !!!/+ **
Biber – Karneval in Kremsier – Ars Antiqua Austria, Gunar Letzbor (Pan
Classics) !/++ *
Édouard Dupuy – Overture to «Youth and Folly» – Swiss Orchestra,
Lena-Lisa Wüstendörfer (YT, capté en 2019 à la Tonhalle de Zürich) !!/+
**
→ https://www.youtube.com/watch?v=UkIfYOeQy4M
ADAM, A.: Jolie Fille de Gand (La)
[Ballet] (Queensland Symphony, Mogrelia) (Naxos 2022) ./. .
→ Œuvre assez peu exaltante, vraiment du ploum-ploum bas de plafond
pour jarrets ; et par l'orchestre jamais très beau du Queensland, la
double peine d'une certaine façon.
Kuhlau & Gade (Elverhøj), Mikel (Les Lanciers), Lange-Müller –
« DER ER ET YNDIGT LAND » – Inger Dam-Jensen, Poul Elming,
Johannes Soe Hansen, Michael Kristensen ; Radiosymfonikerna du
Danemark, Schønwandt (Dacapo 2007) ./+ .
→ Beaucoup de danses légères dans cette anthologie, qui comporte
l'intérêt d'inclure des extraits d'opéras qui ne sont pas disponibles
au disque, comme la Petite Christine de Gade (chantée par Elming !) ou
Il était une fois de Lange-Müller.
Thrane, Udbye, Haarklou, Ole Olsen, Apestrand, Elling, Borgstrøm, Eggen
– « Ouvertures d'opéras norvégiens » – Opéra National de
Norvège, Ingar Bergby (LAWO 2021) !!/+ **
→ Écume d'un patrimoine enfoui où se révèlent de véritables
personnalités mélodiques et dramatiques (toutes sont de style
romantique) – et enfin une seconde version de l'ouverture de Thora på
Rimol, le chef-d'œuvre tétanisant de Borgstrøm !
→ Que ne rejoue-t-on cela sur les scènes de Norvège, puis partout
ailleurs, fût-ce en traduction ! !!/++
TCHAIKOVSKY, P.I.: Snow Maiden (The) (Snegurochka) (Erasova, Archipov,
Vassiliev, Russian State Chorus and Orchestra, Chistiakov) (Brilliant
Classics, réédition sous licence 2018) !/++ *
→ Belle version incarnée et plutôt typée, d'une œuvre dans l'ensemble
joliment décorative – mais les tourbillons de l'entracte du II restent
franchement impressionnant !
Mussorgski – Extraits de La foire de Sorotchinski & La
Khovanchtchina – Philharmonia Orchestra, Walter Susskind (réédition BNF)
ALFVEN, H.: Midsummer Vigil / Den forlorade sonen / Bergakungen /
Festspel (Alfven, Westerberg) (1954-1957) (Swedish Society)
→ Direction pleine d'humour des danses du Fils prodigue par Alfvén
lui-même !
Lopez, Pitrès – Il était un petit navire, ballet pantomime –
Orchestre Robert Lopez (BNF)
→ Musique de scène où la chanson est reprise à l'orchestre en mineur
tourmenté !
→ En dématérialisé seulement : https://www.deezer.com/fr/album/13057310
.
Haendel – Apollo e Dafne, Armida
Abbandonata – Kathryn Lewek, John Chest, Il Pomo d'Oro, Francesco Corti
(PentaTone 2022) !/+ *
→ Armide fonctionne vraiment très bien, et l'accompagnement d'Il Pomo
toujours aussi électrisant ! Vocalement, les voix (même John
Chest que je trouve pourtant remarquable en salle !) sonnent un peu
larges et amollies par rapport à la finesse des lignes écrites, mais
tout le mondde tient très bien son rang.
Beethoven – Cantate sur la mort de l'empereur Joseph II, WoO 87 –
Mullerova, Adlerová, Voraček, Chadima ; Prague Mixed Choir, South
Bohemia Chamber PO, Jiří Petrdlík (Arcodiva) !!/. .
→ Des bouts de Fidelio (notamment la fin du II – hautbois amoureux et
réjouissance). Chœur amateur à la technique vraiment sommaire (et pas
toujours juste). Vu qu'il y a un peu de choix, autant éviter celle-ci.
Beethoven – Cantate sur la mort de l'empereur Joseph II, WoO 87 –
Matthews, Mumford, Banks, Foster-Williams ; SFSO & Ch, Michael
Tilson Thomas (SFSO) !!/+ *
→ Très bien.
Beethoven – Cantate sur la mort de
l'empereur Joseph II, WoO 87 – Margiono, Verebely, (Ulrike) Helzel,
(Clemens) Bieber, Shimell ; Deutsche Oper, Thielemann (DGG) !!/++ **
→ Contre toute attente, la version la plus vivante, d'assez loin.
Shimell est particulièrement charismatique dans son grand récit.
Beethoven – Cantata on the accession of Emperor Leopold II – Ch.
Schäfer, C. Bieber, von Halem ; Deutsche Oper, Thielemann (DGG) !/+ *
Gade – Erlkönigs Tochter – Junker,
Weisser, Danish National Vocal Ensemble, Concerto Copenhagen, Mortensen
(Dacapo 2018) !!!/+++ ***
Gade – Korsfarerne (Les Croisés) – Rørholm, Westi, Cold ; Canzone
Choir, The Camera Choir, Choir 72, Aarhus Music Students Chamber Choir,
Aarhus SO, Frans Rasmussen (BIS 1990) !/+ *
Gade – Baldurs drøm, Fruhlings-Botschaft – Rørholm, Elming, Høyer ;
Canzone Choir, Helsingborg SO, Rasmussen (Dacapo) !!/++ **
Bliss – Mary of Magdala + Meditations on a Theme by John Blow – Dame
Sarah Connolly, James Platt ; BBC Symphony Chorus BBC Symphony
Orchestra, Sir Andrew Davis (Chandos) ./+ .
Jeremiah Clarke : Ode on the Death of Henry Purcell / Purcell : Music
for the Funeral of Queen Mary, Welcome to All the Pleasures… – album
« Son of England » – Watson, Tamagna, Thompson, Buffière ;
Les Cris de Paris, Le Poème Harmonique, Dumestre (Alpha 2017) !!/+++ **
→ La cantate de Clarke est une merveille de contrepoint souple et
éloquent, très touchante !
Lalande – Dies iræ, Miserere, Veni
Creator – Ensemble Correspondances, Daucé (HM 2022) !! / ++ **
→ Je n'ai pas vérifié les solistes. À l'oreille, je dirais Weynants,
Richardot et Collardelle ?
→ Dommage, alors qu'il reste autant de motets inédits de Lalande, de
réenregistrer toujours les mêmes – pas forcément les meilleurs au
demeurant, témoin Jubilate Deo omnis terra, enregistré seulement sur un
antique disque Erato avec la Grande Écurie dirigée par Colléaux,
indisponible depuis des lustres alors que c'est une tuerie de bout en
bout !
→ Une fois cette frustration exprimée, on ne peut que reconnaître les
qualités de Daucé ici : il privilégie comme toujours la couleur et le
climat de recueillement à la rhétorique verbale et au mouvement de
danse. Je m'en plains quelquefois (ce n'est pas mon inclination), mais
c'est ici superbement réalisé et très adéquat. Parmi les plus belles
versions qu'on ait de ces motets, et le Veni Creator, qu'on entend
moins souvent, est une petite merveille. On apprécie aussi ces solistes
qui ne cherchent pas la singularité appuyée dans le timbre ou
l'expression (sauf Richardot évidemment, mais elle se coule dans
l'esprit général), comme s'ils faisaient un pas hors du chœur (ce qui
est le cas, en réalité, même s'ils ont une carrière de soliste, ils
chantent aussi leur partie chorale), ce qui procure une atmosphère
d'humilité assez touchante.
Ramhaufski, Hochreither – « Festive Masses for Lambach
Abbey » – St. Florianer Sängerknaben, Ars Antiqua Austria, Gunar
Letzbor (Accent) !!/. *
→ Beaux contrepoints lents doublés aux sacqueboutes, même s'il faut
supporter les petits braillards à l'autrichienne, pas les plus
confortables à écouter !
→ Interprétation un peu discontinue (des 'blancs' entre les blocs
orchestraux) et pas très dynamique, un peu déçu d'AAA ici !
Aumann – Requiem – Ars Antiqua Austria, Gunar Letzbor (Pan Classics
2011) !/++ *
Jean-Noël HAMAL – Motets – Scherzi
Musicali, Achten (Musiques en Wallonie 2021) !!!/+++ ***
→ (En particulier « Ah! si langet cor » et surtout
l'architube coloraturé et tuilé « Miles fortis ».)
→ x10.
Beethoven – Messe en ut – M. Marshall,
Wulkopf, Dallapozza ; Radio Bavaroise, Wand (1982, édité par Hänssler
Profil en 2007) !!/++ **
→ Seconde version disponible par Wand (il en existe aussi une autre,
plus ancienne, de la Radio de Cologne).
→ Concert qui n'est pas le plus gracieux ou le plus précis, mais porté
par une force souterraine impressionnante.
Beethoven – Messe en ut – Audrey
Michael, Bizineche, M. Schäfer, Michel Brodard ; Gulbenkian de
Lisbonne, Corboz (Erato, réédition 2006) !!/++ **
→ Toujours cette belle ferveur propre à Corboz, qui emporte l'auditeur.
Beethoven – Messe en ut – Palmer, Watts, Tear, Keyte ; St. John's
College Choir Cambridge, Academy of St. Martin in the Fields Orchestra,
George Guest (Decca) !!/+ *
→ Petits braillards inclus, effet très étrange.
Beethoven – Messe en ut – Margiono, C. Robbin, Kendall, Miles ; ORR,
Gardiner (Archiv, réédition 2015) !!/++ *
→ Hélas prise de son un peu lointaine et bouchée, qui limite le plaisir
des instruments anciens.
Beethoven – Messe en ut – van Kampen, Danz, K. Lewis, Michel Brodard –
Stuttgart Gächinger Kantorei, Stuttgart Bach Collegium, Rilling
(Hänssler) !!/++ *
Toujours très bien mené, beau discours, un peu lisse peut-être par
rapport à la réussite absolue de son Christ au Mont des Oliviers (ou de
ses oratorios de Mendelssohn).
Loewe – Die Auferweckung des Lazarus – Eva Kirchner, Kammerloher, WDR,
Froschauer (Capriccio 1997) !/. *
→ Plus opératique (dans le goût de Genoveva de Schumann), mais
difficile de juger de ses qualités dans cette exécution assez molle –
très bien chantée en revanche.
→ Couplé avec des chœurs a cappella intéressants, mais là un peu trop
mollement exécutés pour pouvoir disposer d'un avis éclairé.
Loewe – Das Sühnopfer des neuen Bundes
(Oratorio de la Passion) – Mauch, Malotta, Poplutz, A. Burkhart ;
Arcis-Vocalisten Munich, L'Arpa Festante, Thomas Gropper (Oehms 2019)
!!/+++ ***
→ En réalité une Passion, où l'on retrouve toutes les caractéristiques
du genre : Évangéliste en récitatifs, chorals, chœurs d'action,
airs solos (très brefs ici), on entend très bien la parenté avec Bach
(et les oratorios de Mendelssohn).
→ Très bien écrit dans l'ensemble, beau romantisme apaisé, avec une
veine mélodique régulièrement inspirée. On peut aussi relever quelques
fulgurances, comme le chœur de libération « Nicht dieser, sonder
Barabban ! » ou l'air d'alto « Ach seht, der allen
wohlgethan », où l'empreinte du meilleur Bach (chœurs d'action de
la Saint-Jean, Es ist vollbracht…) se fait vraiment sentir, mais
transcrit dans l'univers sonore de Mendelssohn.
→ Exécution formidable : sur instruments anciens, une couleur de cordes
incroyable (l'impression d'une grande lyre à archet…), particulièrement
vivant et habité dans son texte (très intelligible), ses situations,
ses formules musicales.
→ Bissé.
F. David – Le Jugement Dernier / 6 Motets religieux – Ch Radio
Flamande, Brussels PO, Niquet (Singulares) !/+++ *
Moniuszko – « Sacred Choral Music » : Messe en la, motets –
Musica Sacra Warsaw-Praga Cathedral Choir, Łukaszewski (DUX) !/+ *
Perosi – La risurrezione di Lazzaro (+ Il gran sasso
d'Italia) – Gavarini, Popescu, Puddu, Camastra,
Guidotti ; I Polifonici, Nuova Cameristica di Milano, Sacchetti
(Bongiovanni) !/. *
Perosi – La Strage degli Innocenti – Fons Amoris Coro, Carlo Coccia
Symphony, Sacchetti (Bongiovanni) !/+ *
Alfvén – Herrans bön (The Lord's Prayer), Op. 15 – Iwa Sörenson,
Brigitta Svendén, Christer Solen, Rolf Leanderson ; Stockholm Motet
Choir, Storkyrkans Kor, Norrköping SO, Gustaf Sjokvist (Bluebell 1989)
!/. *
→ Sorte de vaste motet de 45 minutes.
Paray – Messe pour les 500 ans de la mort de Jeanne d'Arc (Mercury)
!/++ *
→ Bissé.
--
SYMPHONIES FRANÇAISES
F. David – Symphonie n°3, poèmes symphoniques – Brussels PO, Niquet
!/++ *
MESSAGER, A.: Symphony in A major /
FAURÉ, G.: Allegro symphonique / FRANCK, C.: Symphonic Variations
(Ferey, Orchestre Symphonique du Mans, Gendille) (Skarbo 2001) !!/++ **
Saint-Saëns – Symphonie n°3 – Dupré,
Detroit SO, Paray (Mercury) !!!/++ ***
→ Mainte fois.
Perosi – Orchestral Music (Suite Venezia) – Bellasi, F. Pavone, Nuova
Cameristica di Milano, Orchestra Sinfonica Stabile di Alba, A.
Sacchetti (Bongiovanni) !!/. **
→ Très belles œuvres instrumentales, calmes et raffinées, plus subtiles
que ses oratorios davantage tournés vers une expression épurée de la
foi.
→ Bissé.
Martinucci – Symphonie n°2 en fa – Philharmonia, d'Avalos
--
SYMPHONIES GERMANIQUES
Aufschnaiter – Dulcis Fidium Harmonia:
symphoniis ecclesiasticis concinnata - opus 4 M. DCC. III – Ars Antiqua
Austria, Gunar Letzbor (Arcana 2019) !!!/+++ ***
→ Musique instrumentale jubilatoire, et jouée avec un allant
irrésistible !
Haydn –
« Haydn 2032, Vol.11 : Au goût parisien » Symphonies
2,24,82,87 – Kammerorchester Basel, Giovanni Antonini (Alpha 2022)
!!/+++ ***
→ Oh les doublures de flûtes très grétrystes ! Très vivant et
coloré, et la 24 est un délice méconnu ! Vivement recommandé.
Beethoven –
Symphonies 6,7,8,9 – Le Concert des Nations, Jordi Savall (Alia Vox
2022) !!!/+++ ***
→ Du même niveau que le premier volume. Peut-être rien de très
singulier ou surprenant, mais tout est porté à un tel niveau que c'est
possiblement l'interprétation discographique la plus constante en
termes de qualité superlative…
→ À distinguer en particulier : la précision et le timbre insolent des
cordes (qui résonnent comme si tout était joué sur des cordes à vide,
en particulier impressionnant dans les accords !), et le timbalier en
furie (mais très musical, comme s'il jouait des thèmes).
→ J'apprécie aussi que malgré son caractère « musicologique »
très affirmé, Savall ne cherche pas à remporter les records de vitesse
façon Currentzis (ou, en concert, Rousset) : le final de la 7 est pris
à un tempo qui permet d'entendre les volutes de cordes, la tension des
progressions harmoniques du développement, les allègements poétiques du
spectre… et ne se contente pas de faire sonner les accents de
trompettes à chaque mesure (si l'on va trop près du tempo indiqué par
Beethoven, c'est fatalement ce qui se produit).
→ Un vrai talent aussi, dans le détail, pour faire vraiment sonner les
spécificités de texture et de couleur de chaque moment, Beethoven fait
beaucoup alterner les masses, et Savall rend ces contrastes avec
beaucoup de précision et de poésie.
Schubert – Fierrabras &
Symphonie restituée – Venzago (2022) !/++ *
→ Pas une révélation, en particulier la symphonie restituée. Je n'ai
pas encore lu les notes d'intention de Venzago pour voir si elles sont
aussi fantaisistes de que sa narration fantasmagorique de la véritable
Inachevée qui aurait été complète (il y a une notule sur le sujet…).
Bonne exécution sinon, mais Venzago a fait mieux – dans l'Inachevée
notamment !
Loewe – Symphonie n°1 en ré mineur – Philharmonie de Lorraine, Jacques
Houtmann (UMG / DGG) !!/+ **
Gade – Symphonies n°2 & 8, In the Highlands – Danish National,
Hogwood (Chandos) (!/++) *
Mendelssohn,
Meeresstille und glückliche Fahrt / Bruckner, Symphonie n°6 – MDR
Leipzig, Rögner (Genuin, publication 2022) !!/+++ ***
→ Couplé avec l'Inachevée, la Pastorale et les Variations Mozart de
Reger (tout cela me tente moins). Prise de son incroyable, on retrouve
les qualités de fluidité, de clarté et de tension de Rögner, mais
magnifiée par les timbres à la fois précis et typés de la Radio de
Leipzig, et servie par une prise de son d'une vérité incroyable.
Brahms –
Concerto pour violon, Symphonie n°1 – Degand, Cercle de l'Harmonie,
Rhorer (NoMadMusic 2021) !!!/+++ ***
→ Formidables couleurs renouvelées, et dans le concerto, ce que tire
Degand de cordes en boyaux est tout simplement hallucinant d'aisance et
de musicalité. Versions majeures, et très différentes.
Alfvén – Orchestral Music (Alfven
Conducts Alfven 1932-1952) : Cantate pour les 500 ans du Parlement
Suédois, Symphonies 3 & 4 – Royal Stockholm Philharmonic, Alfvén
(Phono Suecia 1997) !!!/+++ ***
→ Versions par Alfvén lui-même, splendidement restaurées et publiées
par Phono Suecia (on entend très bien le détail !), je crois qu'elles
surpassent tout par leur caractère direct, net et emporté à la fois.
→ Sa longue vie nous permet de l'entendre diriger ses propres œuvres,
et de profiter de l'humour avec lequel il dirige les danses du Fils
prodigue, ou de la flamme qui habite son interprétation de sa cantate
pour les 500 ans du Parlement Suédois, ce que vous trouverez chez lui
de plus proche d'un opéra ! Il a aussi été capté dans ses
symphonies (3 & 4) avec le Philharmonique Royal de Stockholm. Et je
suis frappé de la vivacité de jeu, de la clarté du spectre, de
l'exaltation du rebond et des références folkloriques dans la
Troisième, avec une sorte d'emphase souriante et volontairement
exagérée, comme un personnage d'opéra un peu grotesque qui chante sa
chanson avec une pointe d'excès. Absolument délicieux, très différent,
et réellement convaincant – probablement le compositeur à m'avoir le
plus convaincu dans ses propres œuvres ! Quant à la Quatrième,
très cursive (on croirait qu'il dirige Don Juan de R. Strauss, tant
l'orchestre fulgure !), elle inclut la participation de la jeune…
Birgit Nilsson !
→ Trissé.
Graener – Œuvres orchestrales, vol.2 :
Symphonie en ré mineur, Échos du royaume de Pan, Variations Prinz Eugen
– Radiophilharmonie de Hanovre, W.A. Albert (CPO) !!!/+++ ***
→ Voir ici.
→ Bissé.
→ Prinz Eugen 7 fois.
Graener – Œuvres orchestrales, vol.3 : Comedietta, Variations sur un
chant russe – Alun Francis (CPO) !!/++ **
→ Voir ici.
--
SYMPHONIES DES ÎLES BRITANNIQUES
(William) Wordsworth – Symphonie
n°7 (Orchestral Music, Vol. 4) – Liepaja SO (Toccata Classics 2022) ./+
.
→ Rien relevé de particulièrement remarquable lors de cette (première)
écoute. Il faudrait réeessayer naturellement.
--
SYMPHONIES SLAVES
(Moritz) Moszkowski – Orchestral
Works, Vol. 3 – Sinfonia Varsovia, Ian Hobson (Toccata Classics 2022)
!/++ *
→ Moins exaltant que les deux précédents volumes (que je recommande
vivement aux amateurs de romantisme paisible).
Mosolov – Symphony No. 5 & Harp
Concerto – Taylor Ann Fleshman, Moscou SO, Arthur Arnold (Naxos 2020)
!!/++ **
→ Un délice tout particulier que ce concerto pour harpe très étrange,
qui échappe totalement à l'esprit habituel de dialogue et de virtuosité
apparente des concertos. J'y reviens souvent.
(Aurelio)
Barrios y Morales – « Anthology of His Symphonies » – Orquesta
Sinfónica de Coyoacán Nueva Era A.C., Rodrigo Elorduy (Sterling 2022)
!!/++ **
→ Petite merveille d'un romantisme doux (et mexicain, mais absolument
aucune couleur locale ici).
→ Bissé.
VILLA-LOBOS, H.: Symphonies Nos. 1 'O Imprevisto' and 2 'Ascenção' (São
Paulo Symphony, Karabtchevsky) (Naxos 2017) !!/+ *
→ Quadrissé.
Gade – « King Frederik IX Conducts the Danish National Radio
Symphony » : Échos d'Ossian (Dacapo publication 2000)
→ Manque absolu d'entrain, ressemble à une marche militaire empesée, en
fait de mystères battus par le vent des Hébrides…
Gade – Échos d'Ossian – Rheinland-Pfalz State Philharmonic Orchestra,
Ole Schmidt (CPO 1995)
→ Sonneries très lentes, et équilibres de l'orchestre pas très beaux
(ni timbres), mais beaucoup de vie dans les épisodes intermédiaires.
Gade – Échos d'Ossian – National de la
Radio Danoise, Hogwood (Chandos) !!!/+++ ***
Arensky – Variations on a Theme of Tchaikovsky, Op. 35a (pour orchestre
à cordes) – Moscow Symphony Orchestra, Kerry Stratton (Dorian Sono
Luminus) ./. .
Dukas, L'apprenti Sorcier / Tchaïkovski, Casse-Noisette /
Bach-Stokowski, Toccata & Fugue en rém – Bernard Herrmann (Decca)
!/+ *
Novák – Toman et la Nymphe des bois –
Hrůša (Supraphon) **
Novák – Nikotina – Brno PO, Jílek
(Supraphon) !!!/++ ***
Ravel – La Valse, Le Tombeau de
Couperin, Alborada del Gracioso, Une Barque sur l'Océan… – Stockholm
RPO, Oramo (BIS 2022) !/+ *
→ Prise et jeu très clairs, mais je n'y trouve pas la plus-value
spectaculaire des couleurs d'Oramo dans Elgar, Nielsen ou Sibelius,
sans doute parce que Ravel est suffisamment précisément orchestré pour
ne changer qu'à la marge d'une interprétation à l'autre.
Kienzl - Symphonic Variations on the Strassburglied (Zu Strassburg auf
der Schanz) from the opera Der Kuhreigen op.109a (1925? pub. 1934) -
Stuttgart Radio-sinfonieorchester, Fritz Mareczek (archive YT)
→ Trissé.
Radolt – Concertos pour luth viennois
– Hubert Hoffman, Ars Antiqua Austria, Gunar Letzbor (Challenge
Classics 2008) !!/++ **
Telemann, Platti, Vivaldi &
Geminiani – « Concerti all'arrabbiata » – Freiburger
Barockorchester, Gottfried von der Goltz (Aparté 2011) ./. .
→ Écouté devant l'enthousiasme d'un compère ici présent, je n'ai à la
vérité, comme je le redouté, pas perçu de différence notable avec les
autres disques de ce genre : il y a même plus coloré, plus typé, plus
virtuose… (Mais il faut dire que les Freiburger d'aujourd'hui, en
particulier avec Goltz, me paraissent toujours assez lisses et léchés,
pas vraiment ce que j'ai envie d'entendre dans des œuvres qui ne
débordent déjà pas de surprises.)
Graupner – Ouvertures et Concertos pour chalumeaux – Ars Antiqua
Austria, Gunar Letzbor (Challenge Classics) !/++ *
Dittersdorf – Harp Concerto in A Major – Andrea Vigh, Budapest Strings,
Béla Bánfalvi !!/. .
Haendel, Boïeldieu – Concertos pour harpe – Marisa Robles, ASMF, Iona
Brown (Decca) !!/. *
Haendel, Dittersdorf, Boïeldieu – Concertos pour harpe – Claudia
Antonelli, Innsbrucker KO, Hans Ludwig Hirsch (Arts 2012) !!/+ **
Davaux – Symphonie concertante mêlée
d'airs patriotiques – Le Concert de la Loge Olympique, Chauvin (Aparté)
!!/++ **
Dupuy – Concerto pour flûte n°1 –
Collegium Musicum Copenhagen, Schønwandt (Dacapo 1997) !!/+++ ** → Quadrissé.
Dupuy – Concerto pour basson en la mineur – Christian Davidsson ;
Sundsvall ChbO, Niklas Willén !/++ *
Dupuy – Concerto pour basson en ut mineur – Sambeek ; Orchestre du Sud
des Pays-Bas, Spering (YT) !!!/++ **
Dupuy – Concerto pour basson en ut
mineur – Sambeek ; Suède ChbO, Ogrintchouk (BIS 2019) !!!/+++ ***
Bernhard Romberg – Concerto pour flûte en si mineur, Quintette pour
flûte et cordes – John Wion */. .
→ Interprétation à l'ancienne.
Bernhard Romberg – Concertos pour
violoncelle 2 & 6, Rondo capriccioso – Raphael Wallfisch, London
Mozart Pleyers, (CPO 2022) !/+ *
→ Le meilleur de Romberg est à chercher dans ses duos et surtout dans
ses symphonies. Ses concertos, vaillamment gravés les un après les
autres par CPO, restent de jolies pièces de virtuosité un peu galante.
Bernhard & Andreas Romberg – Ouverture Mendoza (A.), Ouverture de
concert (B.), Violin Concerto No. 3, Cello Concerto No. 2 – Yury
Revich, Lionel Cottet, Hofer Symphoniker, Luca Bizzozero
→ Comme toujours, Bernhard deux crans au-dessus.
Brahms –
Concerto pour violon, Symphonie n°1 – Degand, Cercle de l'Harmonie,
Rhorer (NoMadMusic 2021) !!!/+++ ***
→ Formidables couleurs renouvelées, et dans le concerto, ce que tire
Degand de cordes en boyaux est tout simplement hallucinant d'aisance et
de musicalité. Versions majeures, et très différentes.
Brahms – Concerto pour piano n°2 – Magaloff, Den Haag, Otterloo (VOX)
→ Déçu, très figé, assez lent, véritables césures entre les phrases,
comme si tout le monde se découvrait le jour même de l'enregistrement.
J'attendais mieux de cet équipage qui n'a produit que des merveilles !
Röntgen, Amanda Maier, Brahms –
Concertos pour violon – Cecilia Zilliacus ; Malmö Symphony Orchestra,
Västerås Sinfonietta, Kristiina Poska (dB Productions 2022)
!!/++ **
→ Maier est nettement plus marquante dans le beau romantisme simple de
ses œuvres de chambre qu'ici. Le concerto en fa dièse mineur de (son
mari) Röntgen, dont c'est la seule gravure que je connaisse (il existe
un autre très beau concerto, en la mineur, chez Centaur).
Röntgen, Hubay, Chausson – Concertos
pour violon : en lam, n°3, poème – Ragin Wenk-Wolf (Centaur 2006)
!!!/++ ***
→ Le concerto de Röntgen est en particulier une merveille de caractère,
qui vaut bien les grands standards connus. Comme pour ses sonates avec
violon, Röntgen se distingue particulièrement avec cet instrument
(alors que les concertos pour violoncelle ressemblent à Dvořák en moins
exaltant, que les concertos pour piano et surtout les symphonies sont
assez plats…).
Tchaikovski – Andante & Finale
Op. 79 (arr. S. Taneyev for piano and orchestra) – Hoteev, Tchaikovsky
Symphony, Fedoseyev (Hänssler réédition 2021) !/+ *
→ Final vraiment lent, qui ne lui fait pas gagner en légèreté. Sinon,
bien sûr très articulé avec du grain, mais vraiment moins grisant que
Glemser-Wit.
Tchaikovski – Troisième Concerto,
Andante & Finale Op. 79 (arr. S. Taneyev for piano and orchestra) –
Glemser, Polish National O Katowice, Wit (Naxos 1996) !!/++ ***
→ Bissé le concerto, trissé l'Op.79.
Boïeldieu, Saint-Saëns, Pierné, Renié – « French Concertos for
Harp » – Xavier de Maistre !!/++ *
Sibelius, Stenhammar, Nielsen, Svendsen, (Daniel) Nelson – Romances
& danses pour violon & orchestre – Zilliacus, Västerås
Sinfonietta, Koivula (Intim Music 2004) !/++ *
→ Pas des chefs-d'œuvre, mais plaisir d'entendre le suraigu qui tinte
chez Zilliacus, dans ce répertoire peu couru.
Bruch, Bloch,
Ravel, Korngold – Kol Nidrei, From Jewish Life, 2 Mélodies hébraïques,
Concerto en ut – Edar Moreau (Erato 2022) !!/+++ **
→ Grande version de Kol Nidrei ! Et réussites partout ailleurs,
dont le rare concerto de Korngold. Décidément Moreau, après
Offenbach-Gulda, nous offre du neuf de grand intérêt !
→ Bissé.
Mosolov – Symphony No. 5 & Harp
Concerto – Taylor Ann Fleshman, Moscou SO, Arthur Arnold (Naxos 2020)
!!/++ **
→ Un délice tout particulier que ce concerto pour harpe très étrange,
qui échappe totalement à l'esprit habituel de dialogue et de virtuosité
apparente des concertos. J'y reviens souvent.
Schubert – Octuor + Quartettsatz – Edding SQ, Northernlight (Phi) !/++ *
→ Sur instruments anciens (issus de l'Orchestre des Champs-Élysées, vu
le label ?), très vivant et fluide.
Arensky – Quatuors 1 & 2,
Quintette piano – Ying SQ (Dorian Sono Luminus) !!!/++ ***
→ Le final du 2 est fondé sur le même thème russe qui sert au
couronnement de Boris Godounov et au final du Septième Quatuor de
Beethoven. L'intégration de la thématique populaire dans les formes
sonates, variations et fugatos est vraiment réjouissante chez Arenski !
TANEYEV, S.I.: Piano Quintet, Op. 30 / Piano Quartet, Op. 20 (Yudina,
Beethoven Quartet) (1953-1957) (RCD) !!!/+++ ***
→ Versions très engagée comme on pouvait s'y attendre. En particulier
dans les mouvements lents (l'adagio du quatuor, avec ses contrastes
volubiles, tétanisants…).
Taneïev – Intégrale des Quintettes –
Martinů SQ (Supraphon) !!!/+++ ***
→ Très belle version intense, et quelles œuvres ! La marche
obstinée et poétique du quintette avec piano, le premier mouvement
foisonnant du quintette à deux violoncelles, l'adagio expansif très
intense du quintette à deux altos… !
TANEYEV, S.I.: Chamber Music - Piano Quintet / Piano Quartet / Piano
Trio (Zassimova, Breuninger, Krznaric, Heichelbech, Lörcher) (CPO)
!!!/++ **
→ Version très allemande, un peu sage mais avec de beaux timbres
équilibrées, et non dénuée d'intensité. Œuvres très marquantes (les
mouvements lents sont absolument extraordinaires), très au-dessus des
quatuors ou des symphonies, à mon sens.
--
AUTRES QUINTETTES
Andreas Romberg – 3 Quintettes à flûte, violon, 2 altos, violoncelle –
Ardinghello Ensemble (MDG) !/+ *
Dupuy – Quintette pour basson et cordes et la mineur « A Bassoon
in Stockholm... » – Agrell (BIS 2016) !/+ *
→ Couplé avec du Berwald.
Baermann, Rejcha – Quintettes avec
clarinette – Karl Schlechta, Maggini SQ (SWR Classics Archive,
publication 2017) !!/+ **
Beethoven – Quatuor n°8 – Takács SQ (Decca) !!!/++ **
Schubert –
Intégrale des quatuors à cordes – Quatuor Modigliani (Mirare 2022)
!!!/+++ ***
→ Beaux sons boisés, élancés au point qu'on croirait presque entendre
des vents ; très allant, quatuors de jeunesse traités avec beaucoup de
sérieux et d'investissement.
→ Les 14 et 15 sont d'une insolence insensée. Seul le 13 m'a paru
sensiblement en deçà des meilleures propositions de la discographie. Le
reste saisit. Intensément.
→ Voilà une intégrale qui rejoint, dans un goût plus chaleureux et
tendu, la pointe-de-diamant des Diogenes, la lumière exaltée des
Leipziger, la netteté des Verdi, parmi les grandes intégrales qui
prennent ce corpus au sérieux…
→ Prise de son fantastique, on entend merveilleusement le fondu mais
aussi chaque voix très distinctement, ce qui est très rare, même assis
au premier rang. Mirare a en outre fait le choix d'une réverbération
ample et agréable, avec un petit côté cathédrale qu'on n'a jamais dans
une salle de spectacle !
→ Bissé.
Schumann – Quatuors – Modigliani SQ !!/++ **
Gade – Chambre vol.4 : Quatuor en fam, Quintette à cordes en fam,
Novelettes clar pia – MidtVest Ensemble (CPO 2019) (!/+++) *
Brahms – Quatuors à cordes 1,2,3 – Budapest SQ (Sony)
Dvořák – Quatuor 8 – Panocha SQ (Supraphon) !!/. .
→ Un peu déçu par la petite placidité et le son pas très typé.
Dvořák – Quatuors 8 & 10 – Albion Quartet (Signum) !!/*
→ Beaucoup de douceur et de musicalité, très réussi.
Dvořák – Quatuors 8 & 11 – Vlach SQ Prague (Naxos) !!/++ **
→ Dans ce qui sont (avec le 9 et le 10) les meilleurs quatuors Dvořák
(à mon gré), en tout cas ceux dont les développements soutiennent le
mieux l'intérêt et surprennent suffisamment pour ne pas paraître
laborieux, très belle surprise que d'entendre, sur un Naxos de cette
période, la meilleure maîtrise instrumentale et le son le plus typé de
ce rapide parcours discographique !
Arensky – Quatuors 1 & 2,
Quintette piano – Ying SQ (Dorian Sono Luminus) !!!/++ ***
→ Le final du 2 est fondé sur le même thème russe qui sert au
couronnement de Boris Godounov et au final du Septième Quatuor de
Beethoven. L'intégration de la thématique populaire dans les formes
sonates, variations et fugatos est vraiment réjouissante chez Arenski !
Perosi – Quatuors à cordes 1 à 3 – Ensemble L. Perosi (Bongiovanni)
!!/. **
→ Ça ne joue pas tout à fait juste, et on sent que les musiciens
manquent un peu de liberté technique, mais interprétations tout à fait
honorables de ce très beau corpus postromantique, riche et bien écrit !
Ginastera n°1, Halffter Ocho Tientos,
Bartók n°2 – « Terra » – Cuarteto Quiroga (Cobra Records
2017) !!!/+++ ***
--
--
CHAMBRE : QUATUORS PIANO-CORDES
TANEYEV, S.I.: Piano Quintet, Op. 30 /
Piano Quartet, Op. 20 (Yudina, Beethoven Quartet) (1953-1957) (RCD)
!!!/+++ ***
→ Versions très engagée comme on pouvait s'y attendre. En particulier
dans les mouvements lents (l'adagio du quatuor, avec ses contrastes
volubiles, tétanisants…).
TANEYEV, S.I.: Chamber Music - Piano Quintet / Piano Quartet / Piano
Trio (Zassimova, Breuninger, Krznaric, Heichelbech, Lörcher) (CPO)
!!!/+ *
→ Version très allemande, un peu sage mais avec de beaux timbres
équilibrées, et non dénuée d'intensité. Œuvres très marquantes (les
mouvements lents sont absolument extraordinaires), très au-dessus des
quatuors ou des symphonies, à mon sens.
--
--
TRIOS AVEC PIANO
Beethoven,
Ries, Punto, Danzi – « Horn and Piano: A Cor Basse Recital » – Teunis
Van Der Zwart, Alexander Melnikov (2022) !!/+++ **
→ Délicieux, entraînant, en particulier Ries et Danzi, avec le
pianoforte particulièrement savoureux de Melnikov… Les timbres naturels
se fondent remarquablement.
Reinecke – Trios piano-cordes –
Trio Hyperion (CPO 2022) !/+ *
→ Assez brahmsiens, en moins aventureux dans la forme et les rythmes
(m'a-t-il semblé en première écoute et à l'oreille seule). Le Premier
est très beau.
→ Inclut un arrangement pour trio du Triple concerto de Beethoven… on
ne perd pas beaucoup en supprimant l'orchestre de toute façon, mais
l'œuvre ne se révèle pas plus dense pour autant.
Reinecke – Trios pour clarinette, alto & piano, 3 Phantasiestücke
pour alto & piano – Carol Robinson, Pierre Lénert, Jeff Cohen !/+ *
Ernest Moeran – Chamber Music –
Fidelio Trio (Resonus Classics 2022) !!/++ **
→ Très belles pièces, très marquées par Fauré et le jeune Debussy pour
le Trio, par le Debussy de maturité pour la sonate violon-piano.
--
--
CHAMBRE : PETITS ENSEMBLES BAROQUES
Bertali – Prothimia Suavissima (Sonates à 3 ou 4) – Ars Antiqua
Austria, Gunar Letzbor (Arcana) !!/++ **
Aumann –
Chamber Music in the Abbey of St. Florian – Ars Antiqua Austria, Gunar
Letzbor (Challenge Classics 2022) !!/+++ ***
→ Du baroque viennois, assez différent de ce qu'on entend d'ordinaire,
et tout à fait passionnant, dans une interprétation particulièrement
vivifiante !
Biber – Sonatae Tam Aris Quam Aulis Servientes (Sonates à 5 ou 8) – Ars
Antiqua Austria, Gunar Letzbor (Arcana) !/++ *
--
CHAMBRE : TRIOS À CORDES
Bernhard Romberg – Trio à cordes n°1 en mi mineur (1824) – par
Christoph Dangel, Katya Polin, Stefan Preyer ./. .
→ Sur instruments d'époque.
Elfrida Andrée, Amanda Maier, Laura Netzel – « Breaking Waves -
Flute Music by Swedish Women Composers » – Paula Gudmundson, Tracy
Lipke-Perry (MSR Classics 2019) !!
--
DUOS À CORDES
Polevá – Gulf Stream dans sa version alto-violoncelle – Катерина
Супрун, Золтан Алмаши (YT 2012)
→ Mélange le Prélude de la Première Suite pour violoncelle de Bach avec
l'Ave Maria de Gounod (prévu pour se fixer sur le Premier Prélude du
Clavier bien tempéré), puis inverse les instruments (violoncelle en
harmoniques pour faire l'aigu). Amusant et plaisant, mais la
compositrice va autrement loin dans son quatuor piano-cordes paru l'an
passé chez Naxos, et vanté ici même !
--
DUOS : VIOLON-PIANO (ou continuo)
Pandolfi Mealli – Pandolfi Mealli: Sonate à violino solo (Opera terza)
– Ars Antiqua Austria, Gunar Letzbor !/++ *
Ernest Moeran – Chamber Music –
Fidelio Trio (Resonus Classics 2022) !!/++ **
→ Très belles pièces, très marquées par Fauré et le jeune Debussy pour
le Trio, par le Debussy de maturité pour la sonate violon-piano.
--
DUOS : VIOLONCELLE-PIANO
Bernhard Romberg – The Complete Cello Sonatas – Hannah Holman, Réne
Lecuona (Blue Griffin 2013) !!/++ **
→ Très proche de celles de Beethoven, avec une vituosité plus affichée
et un sens mélodique plus séduisant (un peu plus souple, il faut dire
qu'on est dans la génération d'après !).
--
--
DUOS : 2 PIANOS
MAHLER, G.: Symphony No. 2 (arr. B. Walter for 2 pianos) (Maasa
Nakazawa, Athavale) (Naxos 2016) ./. .
→ Pas grisé par la transcription (on entend le squelette, mais il
manque beaucoup de détails et d'effets) ni par l'interprétation
(attaques assez épaisses, un peu molles), ni par le résultat global –
vraiment pas du tout le même frisson (et je ne suis pas suspect de ne
pas donner crédit aux réductions !) que la symphonie d'origine.
→ Pour autant, très intéressant de l'entendre différemment, on y prend
beaucoup de plaisir. Curieux d'entendre une transcription mieux faite
et surtout une interprétation plus survoltée, plus engagée dans
l'évocation symphonique.
Bach, Abel – Suites pour violoncelle sur viole – Lucile Boulanger
(2022) !/++ *
--
SOLOS : LUTH, THÉORBE, GUITARE…
R. Ballard – Premier livre de luth –
Richard Kolb (Centaur 2019) !!!/+++ ***
J.S. Bach – Sonatas & Partitas For Lute – Hopkinson Smith
--
SOLOS : ORGUE
ROSSI, M.: Toccate e correnti (Music
for Organ and Harpsichord) (Castagnetti) (Brilliant 2015) !!/++ **
→ Folies chromatiques (et sur tempérament inégal, ça frotte !) des
toccate 3 et surtout 7 !
Titelouze, Racquet, L. Couperin,
Jullien, Grigny, Corrette – Œuvres pour orgue – Cathédrale de Rodez,
Frédéric Muñoz !!!/+++ ***
°Pachelbel – Vol.1 : Musicalische Sterbens-Gedancken, Ciaccona in F
Major (POP 15) – Christian Schmitt (CPO)
Pachelbel – Vol.2 : Chaconne en sol –
Essl (CPO) !!!/+++ ***
Daquin, Dandrieu, Corrette… – Noëls français pour orgue (Aux grandes
orgues de la cathédrale d'Auch) (Stereo Version) – Marie-Claire Alain
(BNF) !!/++ **
Franck – 3 Chorals – M.-C. Alain
(Erato 1976, réédition Apex) !!/++ **
→ Registration peu éclatante, mais très belle poussée constante, qui
tient en haleine !
Franck – 3 Chorals – Guillou (Dorian
Sono Luminus) !!/++ **
→ Qualité de la registration qui permet une réelle progression
marquante !
Franck – 3 Chorals – Latry (DGG) !!/++
**
→ Version aux timbres assez brillants, conduite avec ampleur mais
véritable sens de la progression, de grandes respirations amples qui
font impression.
Franck – 3 Chorals – Saint-Ouen de Rouen, Joris Verdin (Ricercar) !!/+ *
→ Vif, mais vraiment des fonds bouchés de Cavaillé-Coll, qui gâchent un
peu tout…
Töpfer – Sonate en ré mineur – Die Ladegast-Orgel der St.
Johannis-Kirche zu Wernigerode, Reinhardt Menger (FSM 1992) ./¤ .
→ Me fut chaudement recommandé, mais pas beaucoup aimé. J'ai même
plutôt détesté le premier mouvement. L'impression que les harmoniques
sont beaucoup trop hautes dans les mutations du plein-jeu, pour
commencer ?
→ Quant à l'écriture, ce ressemble vraiment à de l'orgue pour
organiste, avec les grandes figures inspirées de JS ou CPE, mais
lissées par un langage Mendelssohn-Merkel et une forme simple plutôt
Dubois. Ça m'évoque assez ce que j'aime pas chez Bach (tous ces
intervalles moches de seconde mineure), et vraiment ce que n'aime pas
chez les imitateurs de Bach. Un côté pièce de démonstration pour
facteur-accordeur.
→ Le mouvement lent est beau, joliment mélodique, entre Widor et
Dubois, ni indigne ni très singulier.
→ Dans le dernier mouvement, mêmes problèmes que le premier (en plus je
trouve l'ensemble joué très mollement, c'est pas toujours synchronisé
entre les mains et les sections, ça bave un peu de partout) :
l'instrument, les pseudo-bachismes, les unissons brucknériens mais
moches, les résolutions téléphonées… Je retenterai, vraiment pas
concluant cette fois !
°ANDRIESSEN, H.: Chorals Nos. 1-4 / Sonata da chiesa / A Quiet
Introduction / Offertorio / Thema met variaties (Saunders) (Brilliant
2015) ./. .
→ Une seule pièce marquante, pas le meilleur Andriessen, comme souvent
à l'orgue chez les compositeurs non spécialistes.
Karg-Elert – Intégrale de l'œuvre pour
orgue vol.1 : Chorale Improvisations Op.65, Livre 6 – Stefan Engels
(Proprius) !! **
→ Vraiment du choral retravaillé, très convaincant ! (Et chez certains,
comme le n°39, du sacré contrepoint agité !)
Karg-Elert – Intégrale de l'œuvre pour
orgue vol.11 : Chorale Improvisations Op.65, Livres 5 & 6 – Stefan
Engels (Proprius) !! **
→ De petites merveilles organistiques, belles harmonies dans un style
libre qui évoque en effet l'improvisation. Énormément de charme.
Karg-Elert – Intégrale de l'œuvre pour
orgue vol.12 : 3 Impressions, Hommage à Haendel, Partita n°1 – Stefan
Engels (Proprius 2021) !! **
→ Inclut les monumentales variations d'Hommage à Händel, qui se
déploient lentement de façon assez spectaculaire.
Messiaen – Messe de la Pentecôte,
Livre d'orgue (Intégrale pour orgue, vol.5) – Rudolf Innig (MDG) !!/+++
***
Petr EBEN – Job – Howard Lee
(récitant), David Titterington (orgue, David Titterington & Howard
Lee (Multisonic 1992) !!!/+++ ***
--
SOLOS : CLAVECIN
ROSSI, M.: Toccate e correnti – Vartolo (Naxos) !!/+ *
ROSSI, M.: Toccate e correnti (Music
for Organ and Harpsichord) (Castagnetti) (Brilliant 2015) !!/ ++ **
→ Folies chromatiques (et sur tempérament inégal, ça frotte !) des
toccate 3 et surtout 7 !
Haendel – Intégrale des Suites – Cuckston (Naxos) !/++ **
--
SOLOS : PIANO
Beethoven – Sonate 14 (final) –
Valentina Lisitsa (YT)
Moussorgski – Tableaux d'une
exposition – Valentina Lisitsa (enregistrement 2019, publication YT
2021) !! / +++ ***
→ La façon de timbrer de façon symphonique, de gérer la nudité des
grands accords de la Porte de Kiev, est proprement stupéfiante.
Messiaen, Takemitsu, Léon Milo – « … à Olivier Messiaen »,
pièces pour piano et interludes acousmatiques
(« soundscapes ») – Suzanne Kessler (Oehms 2013)
→ Je n'ai pas adoré les interludes acousmatiques, mais la classe
bidouillée de Messiaen autour de Pelléas était assez amusante (collages
de sections qu'il joue, détournant le texte ; ou encore accord qui
résonne à l'infini pendant le cours reprend…), et les trois Regards
remarquablement joués !
Mélodies
populaires anonymes XVIIe-XIXe – Lefilliâtre, Goubioud, Buffière ;
Poème Harmonique, Dumestre (concert Besançon, France Musique 2021)
!!!/+++ ***
→ Même programme qu'Aux marches du palais, mais avec Buffière au lieu
d'Horvat comme basse, ce qui change les équilibres de façon
intéressante (j'aime beaucoup les deux !).
Bonis, Polignac, Holmès, Viardot,
Chaminade, Folville, Béclard d'Harcourt, Faye-Jozin, Ferrari –
« Ombres », Women Composers of La Belle Époque – Laetitia
Grimaldi (BIS 2022) !/++ **
Hahn, Debussy – Mélodies &
Chœurs (Études Latines, Damoiselle Élue) – Karg, Brower, Behle, Nazmi ;
G. Huber, Chœur de la Radio Bavaroise, Howard Arman (BR Klassik 2022)
!!/++ *
Fauré
(Mirages), Caplet (5 ballades françaises), Debussy (Beau soir), Ravel
(Don Quichotte), Honegger (Petit cours de morale, Saluste du Bartas),
Poulenc (2 Apollinaire, Parisiana), Roderick Williams (Les ténèbres de
l'amour) – Roderick Williams, Roger Vignoles (Champ Hill Records, 2022)
!!/++ ***
→ Quel bouquet incroyable de cycles très rares ! Et de qualité.
Et interprétés avec une précision d'intentions remarquable, pas
simplement chantés à la volée. (L'œuvre de R. Williams est très
convaincante et se fond très bien dans l'esthétique des autres cycles.)
→ Le répétiteur n'a pas bien bossé, il y a quelques mots faux
(« qui g(i)eint, qui pleure »). Sinon le français est
vraiment bon, et l'artiste toujours aussi marquant. (Le timbre est
moins beau en français, je crois.)
Paul Delmet – Chansons –
Enguerrand Dubroca, ténor ; Yuko Osawa, piano (émission France Musique
2022) !/+ *
→ Tiré d'une intégrale en cours des chansons de Paul Delmet, abordée
d'un point de vue sérieux / lyrique, avec beaucoup de bonheur.
Mélodies viennoises avec petit
ensemble – Groissböck (Gramola 2022) !/+ *
Graener – 5 Lieder zu Gedichten von Borries von Munchhausen: No. 3. Der
alte Herr – Heinrich Schlusnus, Sebastian Peschko (chez Documents,
label japonais)
Graener – Der Rock (d'un cycle de Morgenstern) – Prey (DGG)
Graener – Neue Galgenlieder von Christian Morgenstern, Op. 43b – Herman
Wallén, Kristjan Randalu (chez Antes)
--
--
MÉLODIES D'AUTRES NATIONS
Carafa – Calipso (dans il salotto vol.2) – Enkelejda Shkosa, David
Harper (Opera Rara)
--
--
CHANSON
« Nénufar, t'as du r'tard » – (Marche officielle de l'Expo
coloniale de 1931) !!/++ **
→ Le racisme le plus franc, mais dans sa version souriante, peut-être
même pas conscient de lui-même. Au demeurant, j'aime beaucoup cette
chanson musicalement, très entraînante (le chœur !)… fascinante aussi :
chaque vers mènerait aujourd'hui à de la prison ferme (et non sans
fondement !).
Simon & Garfunkel – « Live From
New York City, 1967 » !/++ * → Beaux effets du chant à deux en
homorythmie, sur accompagnement très sobre.
Bert Jansch – album Bert Jansch !/++ * → Sobre et plutôt mouvant et
personnel.
Bruce Springsteen – Nebraska !/+ .
→ Un peu rauque et américain mainstream.
Anne Briggs – album Topic ./+
→ Belle voix typée et pincée, mais un peu homogène dans les
accompagnements et répétitif. Parties a cappella un peu longues.
Léon Milo, Messiaen, Takemitsu – « … à Olivier Messiaen »,
pièces pour piano et interludes acousmatiques
(« soundscapes ») – Suzanne Kessler (Oehms 2013)
→ Je n'ai pas adoré les interludes acousmatiques, mais la classe
bidouillée de Messiaen autour de Pelléas était assez amusante (collages
de sections qu'il joue, détournant le texte ; ou encore accord qui
résonne à l'infini pendant le cours reprend…), et les trois Regards
remarquablement joués !
__Nouveautés à écouter :__
Shostakovich – String Quartets No. 3 & No. 8 – Novus Quartet
(Aparté 2022)
philippe pierlot hume meditation
ancerl live
R. Strauss & Reger: Lieder mit und ohne Worte, Georg Michael Grau
Handel: Semele, Choeur de Chambre de Namur, alarcon
Gloria Dresdensis, Dresdner Barockorchester
D'Agincour: Pièces de clavecin, 1733 - Vol. 1, Stéphane Béchy
Araja: Capricci; Pellegrini: Sonatas ; Enrico Bissolo
Pohádka - Tales from Prague to Budapest ; Laura van der Heijden
Beethoven: Rondino & Wind Octet - Mozart: Serenade ; MIB Wind
Ensemble
A London Symphony, Lynn Arnold (pour pianos 4M et orgue)
Chapí: String Quartets Nos. 3 & 4 ; Cuarteto Latinoamericano
Arcadelt: Sacred Works ; Josquin Capella
Baroque Christmas Cantatas from Central Germany II ; Anne Stadler
kenins symphonies
__À écouter :__
Ginastera mélodies Milena, Toccata terza de Michelangelo Rossi par
francesco cera (tempéraments), Quiroga disco, karg elert piano, Sonate
Op. 25 n° 2 (« Vent de nuit ») de Medtner, Koechlin basson 3
pièces opus 34, dialogos dalmatica & josaphat, töpfer & merkel,
rhorer brahms 1, hillborg beast sampler,
Martinů, Foerster & Novák: Cello Concertos par Jiri Barta, Jakub
Hrusa, Prague Philharmonia
KODALY: String Quartets Nos. 1 and 2 Label Hungaroton
chausson concert faust melnikov
- GADE: Echoes of Ossian / Hamlet Overture / A Summer's Day in the
Country / Holbergiana Suite
- gade chœurs sacrés chandos
- gade schiotz
https://www.nml3.naxosmusiclibrary.com/catalogue/item.asp?cid=DACOCD456&workId=37665
- gade vilhelm herold
https://www.nml3.naxosmusiclibrary.com/catalogue/item.asp?cid=NI7880&workId=37665
- Messe en ut : Beecham, Wand, Corboz, Marriner, Rilling,
Tilson-Thomas, Hickox, Gardiner, Chailly, Gielen…
- octuor schubert nvelles vsns : hoeprich, linos, nordic, Academy of
Ancient Music Chamber Ensemble…
- wand
- elming, rorholm, cold, schonwandt, dausgaard…
- bliss marie magdala
- haendel cuckston
- kirchschlager heggie
- Ernst Bacon, Trio avec piano n°2 - Lincoln Trio
- intégrale lalande
- intégrale grétry (messe)
- disco zilliacus
- disco Ragin Wenk-Wolf
__À réécouter :__
- kuhlau, réécoutes Bru Zane, nielsen commotio flamme, toch, brahms
quats, messiaen livre,
- SINIGAGLIA, L.: String Quartet Works (Complete), Vol. 1 - String
Quartet, Op. 27 / Brahms Variations / Hora Mystica (Archos Quartet),
Messiaen: Complete Organ Works Vol. 5
- gade symphs
https://www.nml3.naxosmusiclibrary.com/catalogue/item.asp?cid=CHAN9767&workId=148371
- gade comala
- ROMANTIC HARP CONCERTOS
- Harp Music - REINECKE, C. / SAINT-SAËNS, C. / GERVAISE, C. / PIERNÉ,
G. (Middle Ages to the 20th Century) (Michel, Mildonian, Jamet, Storck,
Polonska)
- lambert mauillon
Cette masse de belles parutions récentes ou anciennes devrait vous
permettre de patienter quelques semaines avant une prochaine livraison
de ce genre !
À gauche : Moniuszko, Carafa.
À droite : Graener, Alfvén.
[[]]
Variations sur « Prinz Eugen » de Paul Graener.
Radiophilharmonie de la NDR de Hanovre (pas le Symphonique, sis
à Hambourg, qui fut dirigé par Wand ou Hengelbrock),
une des plus belles discographies d'Allemagne.
W.A. Albert (CPO).
(Pour la démarche et la légende, vous pouvez vous reporter à lapremière partie(au bas de laquelle
j'ai également servi cette nouvelle fournée de gourmandises.)
Mort en 1872
(150 ans du décès)
Stanisław Moniuszko.
→ Artiste majeur en Pologne,
considéré comme le compositeur
emblématique d'opéra. Pour le piano, il y a bien sûr Chopinski
et Paderewski (en outre politiquement capital) ; pour la musique
d'aujourd'hui Penderecki, mais pour les amateurs d'opéra, la figure
majeure, c'est Moniuszko.
→ Pourtant, à l'écoute, je ne trouve pas ses œuvres les plus célèbres
très passionnantes.
→
→ Straszny
dwór(« Le Manoir hanté ») est un opéra comique
manifestement écrit sur le modèle d'Auber – et ce ne serait pas un très
grand Auber, des ariettes à ploum-ploum, peu marquant mélodiquement
dans l'ensemble. Le sujet, lui, est apparenté aux instrigues
fantastiques un peu bouffonnes façon Boïeldieu (La Dame blanche) ou Adam (Le Farfadet).
→ → Halkaest tout l'inverse : une
hypertragédie. Une fille séduite descend, au fil de ses espoirs déçus,
de la certitude de sa perte et de la méditation de sa vengeance, dans
l'abîme suscité par la trahison la plus noire Tout est moche et tout
finit très mal. C'est un peu Jenůfa,
avec un côté emphatique comme les drames de Dumas ou Pixerécourt… et
une musique qui s'apparente plutôt à du Weber sage (plutôt celui d'Abu Hassan ou du ventre mou d'Euryanthe). L'œuvre est plutôt
convaincante, mais je vois mal, là aussi, comment faire triompher une
musique qui n'est pas complètement exceptionnelle sur une scène dont ce
n'est pas du tout la langue. (Ou alors il faudrait mobiliser des moyens
exceptionnels côté chant et mise en scène – il ne se passe vraiment
rien à l'acte II, elle se plaint sans écouter son autre soupirant qui
se plaint aussi – mais à ce compte-là, pourquoi ne pas placer l'effort
sur une œuvre qui pourrait réellement s'imposer au répertoire ?)
→ → Ses autres opéras, tel Paria, son opéra de jeunesse à
sujet bouddhique, sis à Bénarès, écrit dans un goût italien pour
s'introduire auprès du public européen, ne m'ont pas paru plus
marquants…
● Je recommande donc plutôt des genres qui ne sont pas les plus
célébrés chez lui :
●● Les seules œuvres que j'ai réellement trouvées hors du commun sont
ses cantates, Milda et Nijoła (Philharmonique de Poznań
dirigé par Borowicz chez DUX) : on y rencontre une superbe déclamation
polonaise (et très bien mise en valeur, chantée et accompagnée), et
doté d'une qualité mélodique toute particulière. Je recommande ceci
très vivement !
●● la Messe en laet des motets (album « Sacred Music » chez
DUX, par Łukaszewski), très recueillis et consonants, pas vraiment
personnels mais réellement agréables
au meilleur sens du terme (attention, il existe un autre disque,
consacré aux Messes polonaises
et chanté par le même chœur, qui m'y avait semblé de sensiblement moins
bon niveau) ;
●● le Premier Quatuor, également d'un beau
romantisme simple. Les Plawner chez CPO ne m'ont pas complètement
emporté ; c'est mieux par le Quatuor Camerata chez DUX, donné avec son
Deuxième et le Premier de Dobrzyński ; mais surtout, si vous pouvez le
trouver, le disque issu de la compétition Moniuszko (il y a toute une
série, passionnante), avec l'ãtma SQ (sur instruments anciens) et le
Quartetto Nero, à nouveau chez DUX : ces jeunes musiciens surpassent
toute la concurrence en tension, timbres, urgence, lisibilité, et
haussent considérablement la réception de ces œuvres. (Toute cette
série de la Compétition Moniuszko chez DUX mérite largement le détour,
au passage : ainsi dans ce disque, on peut découvrir la prégnance
mélodique hors du commun des œuvres de Henryk Melcer-Szczawiński, et il
en va de même pour beaucoup d'autres découvertes sur les autres
volumes.)
● Du côté de ses opéras célèbres : on trouve des vidéos, les deux ont
été diffusés sur Operavision.eu (même deux versions différentes du Manoir !). Ce peut aider (si vous
êtes patient).
■ Au disque, DUX est là pour nous, avec son travail exceptionnel en
qualité, en quantité, en audace… Au concert, je ne suis pas persuadé
qu'on puisse réellement produire des étincelles devant un public non
polonais. Mais j'accueillerais avec grand plaisir une cantate !
On pourrait coupler ça avec une symphonie de Szymanowski ou Penderecki
qui ferait déplacer un peu de monde sans être totalement téléphoné, et
puis un petit concerto de Chopin avec Martha Argerich pour assurer le
remplissage. (On pourrait aussi imaginer des programmes « Partage de la
Pologne » ou « Pologne martyre », associée à un discours historique /
pédagogique, qui entrerait assez bien dans les missions de la
Philharmonie (et dans notre futur européen proche ? vu les
opinions géopolitiques des candidats à la Présidence…).
■ C'est là où le principe de l'anniversaire trouve ses limites, parce
que si l'on veut de la musique polonaise lyrique, il existe tout de
même un certain nombre de chefs-d'œuvre considérables avec Żeleński,
Nowowiejski, Różycki ou Penderecki ! Ceux-là pourrait remporter
un véritables succès – en plus du Roi
Roger de Szymanowski qu'on pourrait redonner un jour dans une
production qui le laisse un minimum intelligible (coucou Warlikowski).
Michele Carafa.
→ Napolitain venu étudier à Paris avec Cherubini, auteur de 29
opéras, dont Jeanne d'Arc à Orléans
et La Belle au bois dormant
!
● Au disque, on ne dispose semble-t-il d'aucun opéra intégral. Une cantate avec piano, Calisto (dans « Il Salotto »vol.2 chez Opera Rara), un air deLe Nozze di Lamermoordans le récital « Stelle di Napoli
» de Joyce DiDonato,
et deux scènes de Gabriella
di Vergy, l'une dans un récital Matteuzzi avec Bruce Ford
(atrocement captés), l'autre dans un récital d'Yvonne Kenny (accompagné et mené
avec beaucoup de présence par le même David Perry mou avec Matteuzzi !)
qui est le meilleur témoignage qu'on puisse trouver de la musique de
Carafa. Tout cela s'apparente à du belcanto bon teint, avec les mêmes
formules que partout ailleurs. Plutôt joliment fait au demeurant (en
particulier les introductions développées, ou certains récitatifs un
peu rapides), mais absolument rien de singulier, pour le peu qu'on en
puisse juger.
■ Je serais évidemment ravi qu'on reprenne l'une de ses œuvres, en
particulier française, pour pouvoir se faire une idée sur pièce. À
l'occasion d'un petit cycle Jeanne d'Arc où
l'on pourrait jouer l'opéra de Mermet (qui se tient !), la
cantate d'Ollone
(plutôt bien faite également, même si peu spectaculaire) et bien sûr
l'oratorio d'Honegger,
voire l'opéra de Verdi
? Un petit partenariat entre salles parisiennes ? Versailles et
TCE reprennent Mermet avec Bru Zane, la Philharmonie fait d'Ollone et
reprend son Honegger réussi, et l'Opéra de Paris se garde le Verdi parce
qu'il ne sait rien faire d'autre, ça vous dit ? Ce serait
parfait pour brosser dans le sens du poil l'électorat du futur
président de droite que nous aurons (lequel, je n'en sais rien,
mais je ne cours pas grand risque à pronostiquer qu'il ne sera
certainement pas de gauche), considérant l'Opéra de Paris pour
lequel toute la France paie, que le Peuple de France en ait pour sa
fierté, on célèbre Jeanne ! (et on joue plein d'opéras russes,
cf. supra – de toute
façon Gergiev est le seul chef étranger à pouvoir venir quand le monde
s'effondre)
Nikolaos Mantzaros.
Carlo Curti.
[[]]
Premier mouvement de la Troisième Symphonie d'Alfvén,
Philharmonique Royal de Stockholm,
dirigé par le compositeur (Phono Suecia).
Né en 1872
(150 ans de la naissance)
Alors là, 1872, c'est l'année de folie ! J'essaie de classer en
commençant par ceux que j'ai le plus envie de voir reparaître !
Paul Graener.
→ Je commence par un cas difficile. Graener, né à Berlin, tôt orphelin,
occupe de hautes responsabilités,
professeur de composition au Conservatoire de Leipzig, de Vienne,
directeur du Mozarteum de Salzbourg, du Conservatoire Stern de Berlin…
et aussi membre de la Ligue de
combat national-socialiste pour la culture allemande, du parti
nazi, vice-président de la Reichsmusikkamer…
il devient particulièrement joué à
partir de 1933, quand le nouveau régime fait la place nette de
tous les dégénérés dans le
style, les idées ou la généalogie… La presse officielle lui est
favorable, ses thématiques s'alignent aussi avec l'idéologie du parti,
il a alors du succès. Il faut dire qu'il est plutôt bon élève : il
participe activement à la cabale contre Michael Jary en désignant sa
musique comme « babillage musical culturellement bolchévique de juif
polonais ».
→ Comme il meurt en 1944, il n'a pas pu essayer de s'expliquer / se
renouveler / se racheter / se karajaniser, et sa musique s'est tout
naturellement tarie au concert – on avait assez d'efforts à dépender
pour réintégrer les nazis qui
ne l'avaient pas fait exprès ou d'oublier qui étaient vraiment
Böhm ou Schwarzkopf, sans s'occuper en plus des morts qui ne
demandaient rien. Pas évident à brander
pour un concert d'aujourd'hui, clairement. (Et cela nous renvoie vers
l'épineuse question crime & musique, ou sous sa forme plus
ludique, génie & vilenie.)
→ Néanmoins, si l'on peut passer sur ces questions (une large partie de
sa musique est désormais dans le domaine public, et on n'est pas près
de lui élever des statues), et découvrir (comme je le fis) sa musique
sans avoir conscience de sa personnalité (il a adopté des enfants quand
sa fille est morte, si ça peut aider et il souhaitait peut-être
devenir éleveur de chats), il y a quelques pépites à découvrir.
● Bien qu'auteur de nombreux opéras
et lieder, on ne trouve à peu près, hors le cycle des Neue Galgenlieder sur des poèmes de
Morgenstern (Wallén & Randalu, chez Antes). On trouve également un
lied par Schlusnus (poème d'un cycle de Munchhausen, chez Documents
notamment, label japonais trouvable sur les sites de flux européens) et
un autre par Prey (Der Rock,
aussi sur un poème de Morgenstern, dans son anthologie « moderne »
reconstituée par DGG). Vu l'expressivité de sa musique d'orchestre, je
serais très curieux d'entendre ses opéras Don Juans letztes Abenteuer (1914)
ou Der Prinz von Homburg
(1935). Il a aussi commis un Friedemann
Bach (1931), on voit l'écart d'inspiration avec une figure
d'artiste comme celle de Johnny
spielt auf (l'opéra de Křenek manifeste du zeitoper) !
● En musique de chambre, on ne
trouve guère que les Trios (Hyperion Trio, chez CPO), qui m'ont semblé
assez plats – une ligne mélodique vaguement brahmsienne, et assez peu
de contenu stimulant dans les accompagnements, l'harmonie ou la forme.
● C'est donc surtout du côté symphonique
que le legs est fourni, quoique peu vaste : Comedietta par Abendroth (chez
Jube Classics par exemple), Die
Flöte von Sansouci (suite de danses pseudo-baroque, d'une
ambition limitée, avec le compositeur à la flûte accompagné par le
Philharmonique de Berlin – publication CD par Archiphon sous le titre
peu spécifique « 78 rpm rarities: Raw Transfers »)… et sinon les quatre
volumes de CPO consacrés à sa musique orchestrale :
●● vol.1 : Comedietta, Variations sur un chant
traditionnel russe (thème assez sommaire, mais variations faites avec
beaucoup d'adresse orchestratoire), Musik am Abend, Sinfonietta. De
belles œuvres, d'un postromantisme assumé (plus conservateur que celui
de Schmidt, mais on entend clairement le contemporain de R. Strauss, ce
n'est pas du Brahms !) ;
●● vol.2 : Symphonie en ré mineur
« Le Forgeron Misère » (qu'il faut plutôt entendre comme un grand poème
symphonique, assez séduisant, qu'y chercher une grande arche formelle
étourdissante), Échos
du Royaume de Pan(son
œuvre la plus aventureuse parmi celles publiées, qui ,intègre des
formules impressionnistes à son langage postromantique germanique, avec
des harmonies riches et surprenantes, des couleurs inhabituelles), et
ce qui est pour moi son chef-d'œuvre absolu : les Variations sur « Prinz
Eugen ».
Variations
sur « Prinz Eugen »
« Prinz Eugen, der edle Ritter »
(« Le Prince Eugène, ce noble
chevalier ») est une chanson traditionnelle écrite juste après le siège
de Belgrade, victoire sur les Turcs du prince Eugène de Savoie en 1717
(première trace de la chanson, manuscrite, en 1719), restée dans
l'imaginaire sonore collectif allemand.
Sur cette base, assez sommaire
musicalement, Graener déploie toutes les possibilités d'un orchestre :
discrète marche-choral aux vents, explosion de lyrisme aux cordes
(augmentées d'énormément de contrechants de bois, de fusées aux cors
!), fugato pépiant inspiré
des Maîtres Chanteurs
(l'une de ses influences majeures, j'ai l'impression)… Les pupitres, de
la caisse claire aux trompettes, sont tous utilisés pour leur
caractère, leur coloration, avec une rare science, et surtout une
variété rare pour une variation : le thème, quoique toujours aisément
identifiable, se transmute au fil des épisodes, et chaque itération, au
lieu de paraître juxtaposée, semble découler tout naturellement d'une
transition ou d'une rupture digne des progressions d'une grande
symphonie à développement. Un bijou, absolument lumineux et
jubilatoire, que je ne puis recommander trop vivement (l'œuvre que j'ai
de loin le plus écouté ces trois dernières années, elle a donc mon
assentiment…) ;
●● vol.3 : Concerto pour piano,
Danses suédoises, Divertimento,
une autre Sinfonietta. Des
œuvres abouties mais dont la singularité me paraît moins évidente ;
●● vol.4 : Concertos pour flûte, pour
violon, pour violoncelle. Très marquants, ici le concerto est
vraiment conçu comme un tout organique et la virtuosité n'y paraît pas
le but… le soliste joue beaucoup, certes, mais peu de traits sont mis
en valeur, tout est intégré à l'orchestre, sans chercher à tout prix la
mélodie non plus : je trouve le principe très rafraîchissant, il
échappe à l'enflure habituelle de la forme concerto qui n'a pas
toujours ma faveur. Une proposition très différente, que je serais ravi
d'entendre en concert.
● Donc, à écouter, sans hésiter les volumes 2 & 4 de l'anthologie
CPO.
■ Comment rejouer cela au concert ? Clairement, pour du
symphonique ou de l'opéra, il faut de gros moyens, et avec les
sensibilités vives sur ce point (et la culture accrue de la
protestation dans les milieux artistiques), il y a de grandes
probabiités que le projet meure avant que d'aboutir. Un artiste qui
avait projeté de remonter une de ses œuvres de chambre a expliqué que
les musiciens avaient collectivement renoncé, trop mal à l'aise avec la
personne du compositeur pour en faire la promotion, fût-ce
indirectement.
Néanmoins, les Variations sur «
Prinz Eugen », en début d'un concert dont ce ne serait pas le
contenu principal, ou en conclusion de programme, je garantis que cela
galvaniserait l'auditoire ! (Après tout ça ne semble poser de
problème à personne de tresser des couronnes à Karajan, Schwarzkopf ou
Böhm, de jouer à tout bout de champ Carmina
Burana, alors pourquoi pas une ouverture de Graener – elle
appartient désormais au domaine public, ses ayants droit, si par
extraordinaire ils étaient solidaires des pensées de leur aïeul, ne
toucheront pas un sou…)
Hugo Alfvén.
→ Vous allez être déçu, je n'ai pas pu glaner d'anecdotes bien
croustillantes sur Alfvén. Il a fait son tour d'Europe pendant dix ans,
comme chef notamment, puis
s'est installé à Stockholm et à l'Université d'Uppsala, a composé, a
été le compositeur suédois du début du XXe a remporter le plus de succès – avec Stenhammar.
→ Sa musique est donc assez généreusement documentée, bien qu'on ne la
joue jamais en France – l'anniversaire serait-il donc l'occasion ?
● La priorité, ce sont les symphonies.
La 1 par Westerberg, la 3 par Svetlanov, la 4 par Willén… vous pouvez
ainsi tirer le meilleur de ces pièces. Westerberg est plus âpre, Willén
plus enveloppant et organique. N. Järvi, assez lumineux, n'est pas
celui qui révèle le mieux les audaces de cette musique, mais sa
fréquentation reste agréable. Quant aux versions par Alfvén lui-même,
splendidement restaurées et publiées par Phono Suecia (on entend très
bien le détail !), je crois qu'elles surpassent tout par leur caractère
direct, net et emporté à la fois.
● Ses musiques de scène valent
aussi le détour, comme Gustaf II
Adolf ou Bergakungen.
● Même s'il n'a pas écrit d'opéra, sa
musique chorale est très simple et très belle, et fait partie
des corpus de référence du legs suédois. On le trouve dans des
anthologies (le merveilleux Sköna Maj
des Lunds Studentsångare) ou dans la monographie « OD sings Alfvén »
(OD pour Orphei Drängar, les « serfs orphelins », l'ensemble vocal qu'a
dirigé Alfvén).
● Sa longue vie nous permet de l'entendre diriger ses propres œuvres, et de
profiter de l'humour avec lequel il dirige les danses du Fils prodigue, ou de la flamme qui
habite son interprétation de sa cantate pour les 500 ans du Parlement
Suédois, ce que vous trouverez chez lui de plus proche d'un opéra
! Il a aussi été capté dans ses symphonies (3 & 4) avec le
Philharmonique Royal de Stockholm. Et je suis frappé de la vivacité de
jeu, de la clarté du spectre, de l'exaltation du rebond et des
références folkloriques dans la Troisième,
avec une sorte d'emphase souriante et volontairement exagérée, comme un
personnage d'opéra un peu grotesque qui chante sa chanson avec une
pointe d'excès. Absolument délicieux, très différent, et réellement
convaincant – probablement le compositeur à m'avoir le plus convaincu
dans ses propres œuvres !
Quant à la Quatrième, très
cursive (on croirait qu'il dirige Don
Juan de R. Strauss, tant l'orchestre fulgure !), elle inclut la
participation de la jeune… Birgit Nilsson !
■ Franchement, au concert, cela passerait tout seul ! Le
folklorisme bigarré et très charpenté de la Troisième Symphonie, jubilatoire si
on la joue en respectant cette composante, comme le font Svetlanov ou
Alfvén lui-même, ou le grand monument plus farouche de la Quatrième, en un seul mouvement,
avec ses voix solistes sans paroles, dont le programme se réfère à un
rivage tourmenté – une œuvre très frappante, qui aurait tout pour
plaire au public mahléro-sibélien ! Et si c'est trop, un poème symphonique, il y a beaucoup
de très beaux, même si moins ambitieux : ce serait déjà ça de gagné
! Un petit effort Messieurs les programmateurs, une fois que le
monde aura terminé de s'effondrer ? L'accroche est facile en
plus, avec les « Symphonies des rivages du Nord battus par les vents »,
faites-le avec des projections
de vidéos de mer démontée si cela vous aide à remplir – ce serait-ce
pas le type de format qui a en principe la faveur de la Philharmonie de
Paris ?
1872 est particulièrement riche : je vous laisse avec ces quatre
compositeurs, dont deux figures majeures, avant d'en venir à quelques
autres géants également nés en 1872, dans les prochains épisodes : von
Hausegger, Halphen, Juon, Büsser, Perosi, Séverac, Scriabine, Vaughan
Williams… !
Prenez soin de vous. Carnets sur sol
prend soin de vos oreilles.
Ce billet, écrit à par DavidLeMarrec dans la catégorie Portraits a suscité :
Toujours dans l'esprit de rendre l'agenda le plus souple, accessible et
réactif possible, je tente une nouvelle adaptation : plutôt que de
mettre à jour le fichier régulièrement (dans les faits, même une fois
par semaine, c'est assez contraignant de transporter les données dans
le fichier, de le remettre à charger…), je tente le format Google Docs.
Le principe est toujours le même, format texte qui va beaucoup plus
vite. Je délocalise mon agenda personnel sur un autre logiciel en
sélectionnant seulement mes dates, et ce nouveau changement permet de
vous faire voir les ajustements et nouveautés en temps réel, dès que je les ajoute.
Les plus geeks-purulents-de-concert
d'entre vous danseront de joie !
L'adresse est évidemment beaucoup plus complexe, mais c'est le prix à
payer. Je la change dans le haut de page qui apparaît sur tous les
articles de CSS, vous y aurez ainsi un accès direct.
Je suis cette année, découragement des annulations aidant et évolution
de mes pratiques commandant – de plus en plus de petits concerts et de
moins en moins de soirées à Bastille ou même la Philharmonie –, assez
en retard sur mes relevés, il manque beaucoup de choses que je laisse
délibérément filer. Je n'ai pas noté la série des Noces de Figaro à Garnier, par
exemple. Cela viendra plus tard si mon agenda se fait trop vide.
Toujours preneur de retours évidemment. J'espère que le fichier restera
utile !
Ce billet, écrit à par DavidLeMarrec dans la catégorie Intendance a suscité :
(Photos de l'Opéra Royal de Versailles prises par mes soins le
soir du drame.)
Inspiré de faits réels (et récents).
Pour une fois, Carnets sur sol va
mettre du sel sur les plaies : je vous mène au cœur de l'expérience
d'un concert qui part dans le décor.
À quoi ça ressemble du côté du spectateur ? Qu'est-ce qui peut
causer la catastrophe du côté des interprètes ?
Vous le verrez, sous les apprêts d'une anecdote censée vous divertir,
il y a de quoi prendre conscience, pour les mélomanes, de la façon dont
se construit l'exécution musicale, de ce qui se passe en amont du
concert, des conditions pratiques de l'exercice de la musique, des
dangers de ce glorieux état, de l'épaisseur de la glace sur laquelle
dansent tous ces funambules de l'instant.
Tout commence par un petit récit. Je vous raconte l'aventure, que vous
avez peut-être déjà pu découvrir grâce à ma glorieuse présence sur les réseaux de l'instant, puis nous entrerons dans
les conjectures, les indiscrétions, les bruits de couloir… et surtout
une petite porte d'entrée sur ce qui peut causer un tel accident
industriel, et le danger qui est le pain quotidien – invisible aux yeux
du spectateur – de ces métiers où tout se joue en un moment, sur des
réflexes très précis.
#ConcertSurSol #66 …
Quelle expérience étrange !
Circé de Desmarest
(1694) sur
un livret de Madame de Saintonge,
que j'espérais depuis près de 20 ans
(et reportée deux fois à Versailles)… se révèle un décalque LULLYste un
peu paresseux, et joué dans des conditions… inhabituelles.
♠ Je vous raconte ?
[[]]
Seul extrait disponible au disque, l'air d'Astérie qui ouvre
l'acte II, ici par Véronique Gens, Les Surprises, Simon Bestion de
Camboulas (dans son récital Alpha « Passion »).
(Superbe interprétation d'ailleurs, et récital qui contient la plus
extraordinaire scène d'invocation de Médée
qui soit !)
Avant la
représentation
Projet des Nouveaux Caractères
(l'ensemble de Sébastien d'Hérin) remettant au théâtre pour la première
fois cette tragédie en musique, et incluant une restitution
organologique (effectif et instruments des 24 Violons du Roy).
→ Reporté début 2020.
→ Reporté début 2021.
→ Donné ce 11 janvier 2022, un soir seulement, juste après les
annulations des représentations de Georges Dandin dans ce même théâtre,
trois jours auparavant.
Un petit miracle.
Laurent Brunner, directeur de
Château de Versailles Spectacles, grimpe sur le proscenium et annonce :
« Véronique Gens a tout donné pendant ces cinq jours d'enregistrement,
mais à présent elle est souffrante et donnera seulement la réplique ».
(Finalement elle chanta très bien – mais à petit volume. Rien à avoir
avec ce jour où, chantant la dernière réplique de Béatrix mourant, elle
s'évanouit complètement sur scène, manquant de se fendre le crâne dans
la fosse – soignez toujours vos relations avec la mezzo du pupitre d'à
côté, ce peut vous sauver, sans exagération, la vie.)
L.B. poursuit : « J'ai eu la
délicieuse surprise de découvrir que le synopsis du programme est faux,
rien à voir avec l'œuvre à laquelle vous assisterez. Il vous raconte
les amours de Circé avec le Tibre, rien à voir, c'est bien l'histoire
avec Ulysse, tirée de L'Odyssée,
dont parle l'opéra de ce soir. »
[Ce fut un soir, ce fut un matin. Pôle Emploi était riche d'un nouvel
adhérent.]
J'ajoute, moi, que tous les chanteurs ne sont pas crédités dans le
programme de salle (notamment des rôles courts mais capitaux comme
Vénus) : ainsi ladite Vénus, excellente chanteuse issue du chœur, que
j'espère réentendre plus en longueur, n'est pas mentionnée. Romain
Bockler, qui chante Polite, l'amant du couple secondaire, se voit même
attribué le rôle de Phaebetor (divinité des mauvais rêves) qui
n'intervient que dans le Sommeil (chanté par Arnaud Richard)… C'était
la pagaille au service documentation & communication,
manifestement. (Mais par les temps qui courent, on sait bien que tout
doit être bouclé sans que les personnes compétentes ne soient
nécessairement disponibles.)
L'œuvre
Assister à la résurrection de témoignages sonores enfouis est toujours
un privilège, on ne le répètera jamais assez. Même lorsqu'on ne les
trouve finalement pas extraordinaires : on a le luxe de se faire un
avis, l'expérience est formidable en soi.
Circé appartient à cette veine
: beaucoup de quasi-plagiats de LULLY (exacte même écriture en
beaucoup d'instances), comme les scènes de jalousie dont l'harmonie et
les procédés rythmiques sont empruntés littéralement à Armide (ils viennent très
précisément de l'Ouverture, d' « Enfin il est en ma puissance », du
postlude du V), comme le Sommeil qui est un pur décdalque d'Atys, comme l'acte IV de torture
dont le dispositif doit manifestement au IV de Thésée…
Le livret de Madame de
Saintonge, pourtant tout à fait réussi dans Didon, présente de réels défauts.
Sa structure n'est pas très claire (beaucoup d'actions à cheval sur des
actes), mais elle présente surtout des incohérences
: Vénus annonce qu'Ulysse va aimer Circé, ce qui n'arrive pas ; Circé
prépare un piège pour faire souffrir Ulysse et son amante à l'acte IV,
mais à l'acte V les voilà libres sans plus d'explication (le piège n'a
pas fonctionné, tout simplement). Ces annonces
non suivies d'effet sont contraires à la grammaire dramatique la
plus intuitive, tout de même, surtout que le reste du livret est, en
particulier dans son vocabulaire et sa syntaxe, extrêmement
conventionnel.
Et contrairement à Didon qui
sublimait les emprunts LULLYstes (par ailleurs réussis dans ce cas,
comme la Chaconne !) par une inspiration de première farine (et de pâté
de foie supérieur), Circé
donne davantage à entendre le Desmarest de la pastorale Vénus & Adonis
: lisse, dénervé, très homogène, peu saillant en prosodie et mélodie.
Plutôt une déception, donc. Avec tout de même quelques très beaux moments :
✓ le chœur à fugato « Fais
durer ses plaisirs » à la fin du II (d'un genre typique de la
génération d'après LULLY, cf. les chants d'hyménée du I
de Callirhoé de Destouches ou
le Prologue de Pirame & Thisbé
de Francœur & Rebel) ;
✓ l'air en chaconne des
craintes d'Astérie au début de l'acte II (dans la lignée délicieuse du
duo d'amour de Roland ou de
l'air d'entrée de Callirhoé) ;
✓ le trio du Sommeil (le
prélude est fade, mais le trio vocal splendide, beaucoup plus riche
qu'Atys) ;
✓ la mort d'Elphénor, récitatif
assez nu et plutôt saisissant (racontée
en réalité à l'acte suivant, comme celle d'Athamas dans Philomèle) ;
✓ la petite chaconne
d'accompagnement du duo amoureux Éolie-Ulysse, délicieuse ;
✓ et la grande scène finale de
Circé, ébouriffante – où pour le coup la musique, tout en s'inspirant
clairement du caractère d'Armide,
est vraiment typique de Desmarest, et use
des procédés plus libres de la nouvelle génération, avec une ligne de
chant originale et très expressive. Un grand moment.
L'interprétation
De ce côté-là, c'était plus… étrange.
J'ai bien sûr beaucoup aimé Cécile
Achille(Éolie, aimée d'Ulysse)
– que je suis depuis le CNSM, belle voix bien faite et vraiment
investie dans l'expression (expression qu'on voyait passer sur son
visage, la façon d'émettre les sons avec sa bouche traduisait de façon
étonnamment éloquente les émotions !) – et surtout Vénus (la voix la mieux projetée,
une choriste non créditée), Véronique
Gens (Circé) remarquablement timbrée, même si le volume sonore
est beaucoup plus faible que d'ordinaire (de la méforme de grand luxe,
j'ai entendu bien pire !).
Il faut s'habituer aux manières très XIXe de Nicolas Courjal (Elphénor): couverture en [eu], rubato, allègements en soufflets…
mais la présence vocale est tellement extraordinaire…
Dans sa mort et son apparition spectrale, le grave est tellement riche,
soyeux et généreux qu'il donne l'impression de s'accompagner lui-même !
Caroline Mutel(Astérie) a énormément mûri et
progressé (diction beaucoup plus incisive, timbre moins flottant, plus
mordant) – peut-être est-ce aussi la tessiture beaucoup plus basse, qui
flatte bien mieux ses qualités. En tout cas je n'avais jamais adoré ses
aigus très flous, et ici, sans les aigus (le rôle doit culminer au
sol4, et à un diapason de près d'un ton plus bas que le nôtre !), ce
qu'elle faisait était véritablement remarquable. (Une nouvelle carrière
de mezzo à creuser dans les années à venir ?)
Mathias Vidal(Ulysse), à l'inverse, paraît en
général plus engoncé dans les rôles LULLYstes vraiment
graves pour son profil de ténor élancé. Il a au demeurant tous les
graves nécessaires (presque barytonnant), mais à cela s'ajoutent ses
manières emportées, qui font merveille dans la tragédie post-gluckiste
ou dans les opéras du XIXe s., mais qui sonnent un peu hachées et pas
toujours pleinement aristocratiques dans les opéras du XVIIe.
L'exécution
Et c'est à présent que tout devient totalement lunaire.
L'orchestre ne parvenait pas à jouer ensemble ni à suivre les chanteurs
! À de multiples moments, ce n'était tout simplement pas la bonne
partie qu'ils jouaient en même temps. Le chef cherchait bien évidemment
à rattraper les choses mais ses gestes restaient sans effet, les
musiciens et les chanteurs le regardaient perdus, sans en tirer l'aide
espérée. On voyait dans les entrées les pupitres, konzertmeister inclus, le regarder,
se tendre, tenter d'entrer au bon moment… et rater. C'est arrivé assez
souvent, en particulier dans le Prologue et les actes I & V.
Ce n'était pas tout le temps non plus, le reste était en place ; et ce
sont de très bons professionnels, ça ne ressemblait pas à du Schönberg.
Mais chez des professionnels de ce niveau, je n'avais jamais vu un tel
effondrement collectif.
Remarque semi-ingénue d'un camarade à l'entracte : « c'est une
audace propre à Desmarest, autant de liberté dans la prosodie par
rapport à l'accompagnement musical, c'était bien voulu ? ».
Cela se manifestait initialement par des décalages et des faux départs
inhabituellement nombreux et audibles, et une façon, pour les
chanteurs, de ne pas exactement respecter les valeurs écrites, de
chanter un peu comme l'on parle, dans une globalité qui a son point
d'arrivée et son point de départ, mais avec un détail rythme assez flou
(des pointés qui ne sont pas exactement des 3/4 de valeur, des doubles
croches qui traînent un peu, etc.). Rien de très spectaculaire
pour l'auditeur, on reconnaissait bien ce qu'on entendait.
Cependant la pagaille a tellement gagné en intensité à l'acte V que
l'orchestre a dû s'interrompre au début d'une danse : ils ne jouaient
pas du tout la même danse ou le même système dans la danse. Et ils ne
l'ont pas fait sourire aux lèvres et en s'adressant au public comme
cela advient quelquefois : « ah, ah, ça arrive, on s'est fait
avoir, allez on reprend ».
Non, ils étaient abattus.
Et Gens, l'une des chanteuses les plus capées (et captées) depuis
que l'on enregistre ce répertoire, totalement perdue dans son final de
bravoure, le sommet de l'opéra, commence en même tmeps qu'une
ritournelle (dix mesures en avance donc !) ; pourtant le violon est
écrit sur sa partition, même si c'est une réduction, confusion très
inhabituelle !
Elle aussi regardait le chef sans rien y comprendre. Et lui faisait des
signes, qui n'étaient toujours pas compris, et faisaient plutôt rater
davantage lorsqu'ils étaient suivis, créant un surcroît de flottement.
À ce moment (à cinq minutes de la fin), on a senti qu'ils lâchaient
tous prise. Fatigue aidant, plus rien ne passait. Pour les ponctuations
des récitatifs de cette grande scène finale, aucun accord n'était au
bon endroit. Les musiciens ont essayé d'abord d'attendre les fins de
phrase de la chanteuse, créant des blancs assez audibles, puis tous ont
fini, résignés, par jouer au fil de l'eau, sans trop compter les temps
: elle chante, ensuite on joue, etc. Véronique Gens, elle, a fini par
chanter à mi-voix la fin de sa tirade, comme n'osant pas déclamer tout
fort une ligne vocale erronée.
Malaise.
Problème
Soyons honnête : pour le spectateur, les décalages, ça se limite le
plus souvent à frimer avec les copains en relevant telle erreur pour
voir entre nous si on a une bonne oreille, comme un jeu des sept
erreurs en comparant avec le disque (ou, pour les plus sérieux, la
partition). C'est très bien, mais quelques fausses entrées, il ne faut
pas pousser, ça ne gâche pas un spectacle, loin s'en faut.
Et on ne va surtout pas leur en tenir rigueur pour un inédit monté en
temps de covid.
Ici, le problème réside dans le fait que ce n'était pas une erreur
ponctuelle, ni même trop fréquente : on sentait que les musiciens (et
même les chanteurs, par moment), marchaient sur des œufs.
Or, il s'agissait d'une œuvre que le public découvrait, et dont le
livret n'était ni très clair (et le programme de salle était faux…), ni
très palpitant (ses enjeux et coups de théâtre étant comme désamorcés
par ses propres contradictions), écrit dans une langue assez prévisible
et plate.
Musicalement aussi, beaucoup d'emprunts à LULLY, sans
que cela ne dynamise véritablement la composition, qui recèle
manifestement peu de fulgurances.
Et joué ainsi prudemment, avec
les musiciens absorbés par les temps à compter et les entrées à
réussir, le rubato des
chanteurs à comprendre (manifestement, ils étaient décontenancés par la
liberté de phrasés à certains moments, comme s'ils ne s'étaient pas
concertés), l'œuvre ne pouvait
bénéficier du coup de pouce nécessaire à prendre réellement vie.
Vrai également pour les chanteurs, un travail de précision sur la
prosodie aurait permis de faire claquer
certaines répliques.
C'est là que ce situait la difficulté, plutôt que sur le détail de ce
qui n'était pas en place et qui, honnêtement, n'aura gâché la vie (ni
même la soirée) de personne.
Les Nouveaux Caractères
Je m'empresse de préciser qu'il ne s'agissait pas d'une erreur de
casting. Les Nouveaux Caractères sont un
ensemble de premier plan. Il
suffit d'entendre ces extaits étourdissants de Grétry ou bien au
disque, les
couleurs formidables dans Les
Surprises de l'Amour (Rameau), ou en la mise
en valeur de l'écriture très violonistique de l'orchestre de Scylla
& Glaucus – le compositeur Leclair était précisément
virtuose du violon, et cet aspect très bien mis en valeur.
[[]]
Château de Versailles Spectacles n'a pas embauché n'importe qui au
doigt mouillé.
On ne peut par ailleurs pas leur en vouloir : d'abord, il s'agit d'un
inédit, et s'ils ne s'y étaient pas attelés courageusement (sachant
qu'on a toujours moins de public et de couverture presse lorsqu'on fait
un Desmarest plutôt qu'un Atys ou un Platée…), on ne l'aurait jamais
entendu – et j'aurais en ce qui me concerne continué de regretter qu'on
nous prive de ce probable bijou.
De surcroît, contrairement à beaucoup d'autres arts, la musique est un
art de l'instant : on peut
retoucher calmement un texte, une œuvre
picturale ou plastique, une installation, une pellicule, même
retravailler à froid une mise en scène… Mais pour la musique, il y a
toujours un moment où il faut se frotter à l'instant. Et la chose est
encore plus
technique que la récitation d'un texte comme au théâtre, la précision
requise doit se dérouler à des valeurs de temps inférieures à la
seconde.
C'est pourquoi il est très difficile, à mon sens, de juger sévèrement
des musiciens qui se trompent : ce n'est pas nécessairement qu'ils
n'ont pas travaillé. On peut rater quelque chose dans une demi-seconde,
une attention qui se détourne, un doigt qui glisse, une erreur de
perception d'un geste… Et pas de retouche possible dans un concert.
Défoncez le disque, si vous tenez absolument à être méchant ; mais pour
ce qui est du concert, il est vraiment difficile d'émettre un jugement
moral sur le travail des musiciens, sauf à être réellement informé
d'une désinvolture attestée. (Il
y a tout de même certaines attitudes qui ne trompent pas les soirs de
routine, coucou l'Opéra de Paris !) Mais je n'ai pas
observé ce type d'insouciance mardi soir, du tout. Plutôt de la
détresse et de
l'abattement.
Car pour moi le spectateur d'un soir, c'est un fait insolite. Pour eux
dont c'est le métier – et un métier assez peu rassérénant ces jours-ci
–
rater, ce doit être plutôt dur à vivre.
J'ai eu deux confirmations, de source interne, que le chef était
particulièrement tendu dans la journée précédant le concert, disant
même qu'il craignait un échec le soir. Ils avaient sans nul doute à
cœur de faire du mieux possible.
Pourquoi ?
Je tente quelques hypothèses plausibles et cumulables, en attendant
l'arrivée de renseignements complémentaires. (J'ai commencé ma petite
enquête, mais je n'ai pas encore tous les éléments. Si quelqu'un
d'entre vous est au
courant des véritables causes, je suis très intéressé.)
Comment est-il possible, lorsque l'on est des professionnels sérieux et
bien formés, de s'effondrer lors d'une représentation publique ?
Je pose la question non pour flétrir, mais pour tâcher de comprendre
les mécanismes à l'œuvre : les plus informés savent évidemment tout
cela, mais pour une partie du public plus mélomane-discophile ou
mélomane-spectateur peu porté sur la coulisse, il y a peut-être de
petites découvertes à la clef.
Je commence par ce qui est propre à ce concert.
--
a) La nouveauté
Quand on propose une œuvre inédite, on ne peut pas prendre de
raccourcis en écoutant le disque et en se disant qu'on va juste faire à
l'oreille comme ça sonne, chacun écoute sa partie et reproduit un peu
ce qu'il entend.
Si le temps de préparation individuelle ou de répétition collective
s'avère trop court, il n'y a pas de parachute comme lorsqu'on joue Don
Giovanni ou Carmen (chacun sait à peu près à quoi ça ressemble).
--
b) Les reports
Il est possible que le nombre de répétitions alloué ait été en partie
entamé par les précédentes annulations. Dans le même temps, les
musiciens embauchés ne sont peut-être plus tout à fait les mêmes ; les
présents auront tout oublié, et les nouveaux ont tout à apprendre. Tout
cela
rogne potentiellement sur le planning initial.
De fait, j'ai aperçu beaucoup de nouvelles têtes, de petits jeunes
jamais vus auparavant dans d'autres ensembles, ni surtout ici – en
réalité, si on compare à la vidéo de Grétry susmentionnée : personne
en commun.
--
c) La jeunesse
En dehors du continuo, où sévissaient quelques visages connus (parfois
perdus aussi, mais beaucoup plus sûrs d'eux : les deux plus célèbres de
l'orchestre, Benoît Hartouin au clavecin, Frédéric Baldassare à la
basse de violon étaient clairement ceux qui tenaient la maison), les
musiciens semblaient bien tendres, à peine sortis de leurs études. Dans
des conditions adverses, ils avaient sans doute moins de ressources que
les vieux routiers qui ont traversé toutes les surprises depuis des
décennies.
--
d) La lutherie
Le projet était couplé avec une recréation d'instruments anciens avec
des luthiers en lien avec le CMBV : l'idée était de restituer
l'instrumentarium des 24 Violons du
Roy – avec leurs dessus de violon
plus petits que les violons modernes, les hautes-contre de violon un
peu plus grands, les tailles de violon proches de l'alto, les énormes
quintes de violon et pour finir la basse de violon (un peu plus large
que le violoncelle).
C'était évidemment un enjeu supplémentaire, il faut maîtriser ces
instruments nouveaux, leur tenue, leurs écarts, et ils ne sont en
général pas prêtés longtemps avant les répétitions : on m'a raconté (à
l'occasion d'un autre concert) que pour
des vents, de facture très inhabituelle, avec de nouveaux doigtés et
tout… on les livrait une semaine
avant le concert !
Sur une œuvre nouvelle et avec des musiciens moins expérimentés, c'est
un degré de difficulté supplémentaire. (Quand je dis qu'on ne peut pas
commencer par blâmer les musiciens avant de s'informer sur les
conditions réelles des répétitions : apprendre une nouvelle spécialité
professionnelle en une semaine tout en travaillant sur un sujet
nouveau, voilà qui calme les velléités de vitupération.)
Jusque là, à peu près tous les ensembles sont susceptibles de vivre ce
genre de contrainte sans sortie de route majeure.
Mais j'ajoute une hypothèse très crédible (que je n'ai pas pu faire
confirmer pour l'instant), et bien dans l'air du temps.
--
e) Covid superstar
(Je disais « la covid » bien sagement auparavant, mais
j'aime
trop voir l'Académie Française prophétiser la Fin de la Civilisation
pour ne pas contribuer un peu à sa détresse quotidienne.)
Considérant les centaines de milliers de cas quotidiens, et
l'exposition structurelle des
musiciens (vie très communautaire, chanteurs et vents non masqués…), il
serait étonnant qu'il n'y ait pas eu des musiciens empêchés.
Et là imaginez : des pupitres entiers manquent potentiellement à
l'appel, peut-être dans des secteurs stratégiques du continuo ou des
chefs de pupitre. On arrive le jour suivant, et les nouveaux débarquent
sans avoir rien répété, ils découvrent même l'existence de l'œuvre (et
une fois encore, pas d'enregistrement pour se mettre rapidement dans le
bain, il faut lire sa partie, on n'a probablement pas trop le temps de
se pencher sur celle des autres). Et cela a pu potentiellement advenir
plusieurs fois pendant la semaine…
On mesure l'épuisement physique et nerveux de ceux qui voient le temps
passer sans pouvoir avancer, ainsi que de ceux qui débarquent tout d'un
coup. D'autant qu'il y a un disque à la clef, il ne faut pas se rater.
--
f) Les temps de répétition
Laurent Brunner, le directeur de la programmation de l'Opéra Royal, a
assuré que l'ensemble répétait depuis 5 jours, et qu'il y aurait encore
quelques jours pour finir l'enregistrement du disque (notamment les
traditionnelles retouches du concert, je suppose). En partant du
principe qu'on ne nous a pas menti (et c'est très probablement vrai,
puisque le disque ne va pas s'enregistrer tout seul !), ces cinq jours
n'ont pas été suffisants.
On peut bien sûr supposer que le concert a été donné trop tôt dans le
processus, pour pouvoir faire ensuite les retouches (cela arrive
quelquefois, mais je n'ai jamais vu de cas où ça se percevait aussi
palpablement).
Ou bien soupçonner le chef d'être peu
efficace en répétition, les
musiciens peu préparés… Mais tout cela, à vrai dire, on n'en sait rien
– et ce que j'ai entendu jusqu'ici des Nouveaux Caractères ne me laisse
pas penser qu'ils sont d'aimables fumistes qui se gobergent à la
subvention.
C'est le moment de lever un coin du voile sur la répétition dans ce
type de configuration. Pour monter une production de ce genre, il faut
des finances. Celles-ci sont
allouées par l'organisateur (ou la
coproduction). Et c'est lui qui fixe les coûts, voire les durées s'il
héberge les répétitions en son sein.
Concrètement : Château de Versailles Spectacles contacte Les Nouveaux
Caractères (ou bien Les Nouveaux Caractères soumettent leur projet,
tout dépend de qui vient l'impulsion). L'organisateur demande à
l'ensemble combien de jours de répétitions sont nécessaires pour monter
cette tragédie en musique de type post-LULLYste. Le chef
d'ensemble
fait une évaluation et communique proposition. En général (me souffle
une
source particulièrement bien informée), les organisateurs font une
contre-proposition de l'ordre de 30 à
50% de l'enveloppe souhaitée. Il faut donc être très efficace !
À charge ensuite à l'ensemble musical de décider s'il accepte ou non.
Mais il faut bien vivre, et sécuriser des engagements réguliers. En
général, on
accepte donc, tout en sachant que ce sera serré, et qu'on ne pourra pas
avoir le degré de finition dont on rêve.
Vous voyez le tableau : vous savez que vous avez moins de temps que
nécessaire pour tout boucler, mais le concert et le disque vous
attendent au bout du chemin. Ajoutez un effectif un peu plus jeune que
de coutume, des remplacements plus nombreux pour cause
de couronnement viral, et vous tenez la petite frange de
désorganisation qui peut faire la différence entre le succès (quitte à
ce que les musiciens soient frustrés de ne pas avoir pu aller plus
loin) et l'accident industriel.
Évidemment, plus un ensemble est
célèbre (et peut faire remplir sur son
nom, comme Les Arts Florissants ou Les Musiciens du Louvre, voire pour
l'ultra-niche de la tragédie en musique Les Talens Lyriques), plus il
peut négocier un nombre de services (sessions de répétition) élevé.
Comme d'habitude, la Victoire vole au secours du succès préexistant :
plus un ensemble est aguerri, plus on lui propose des conditions
favorables, ce qui assoit encore davantage son prestige lorsque le
concert paraît si léché – forcément, il peut recruter les meilleurs
instrumentistes avec un temps de répétition supérieur !
Vous comprenez à présent pourquoi Hervé
Niquet (qui certes, comme
beaucoup d'entre nous, ne devait pas adorer les Prologues) coupait dans
les tragédies en musique ? Cela fait moins de sections à
travailler… et permet d'optimiser le temps passé, pour faire du
meilleur boulot sur le reste.
Je fais partie de ceux qui ont râlé à l'époque (avant qu'il n'aille
voir vers d'autres répertoires plus à son goût / où on lui fiche
davantage la paix ?), parce qu'on enregistrait pour la première (et
sans doute dernière) fois un inédit, et qu'on ne le donnait pas
intégralement… mais d'un point de vue strictement économique et
pratique, le procédé se défend totalement.
À cela s'ajoute qu'il est régulièrement d'usage de répéter, en
particulier pour optimiser la présence du chœur et des solistes – aussi
pour gagner du temps – dans le
désordre. Ce peut produire de très beaux
résultats cohérents : les opéras enregistrés à Versailles par Les
Accents de Guy van Waas, dont La
Vénitienne de Dauvergne, Thésée de
Gossec et surtout le mirifique Céphale & Procris
de Grétry…
suivaient cette logique économique.
Si jamais les musiciens venaient d'arriver ou n'avaient pas une bonne
vision d'ensemble, il a pu y avoir du flottement en enchaînant des
numéros qu'on n'avait jamais (ou qu'une fois, j'espère qu'il y a eu une
générale !) joués en les enchaînant. Et Dieu sait qu'il y en a, des
petits morceaux de caractère très distincts qui s'enchaînent dans une
tragédie en musique !
Pour les chefs d'orchestre traditionnels (formés par des cours
spécialisés, virtuoses de la gestique, voyageant d'orchestre en
orchestre), les chefs d'ensemble baroque, qui n'ont pas le même savoir,
ne doivent pas être perçus comme de véritables chefs d'orchestre. Le
chef d'ensemble connaît
ses musiciens, a le temps de communiquer longuement avec eux. Il fait
moins de programmes, et les produit souvent en tournées, si bien que
tout a le temps de maturer en se parlant, sans avoir nécessairement de
technique de direction hors norme – comme je le mentionnais dans la
notule en question, il est extrêmement difficile pour un observateur
extérieur (ou même intérieur) de juger de la qualité d'un chef
d'orchestre, mais on peut lire de façon récurrente, et notamment de la
part de musiciens d'orchestre, des critiques acerbes sur l'incompétence
(au moins gestuelle) des chefs baroques reconvertis comme Minkowski,
Niquet, etc.
Pour résumer la problématique :
il existe deux types de postes de chefs
d'orchestre traditionnels.
a) Le directeur musical est
présent tout au long de la saison et sur
plusieurs années : il choisit (en accord avec la direction
administrative) le programme, les solistes et autres chefs à inviter,
fait travailler l'orchestre sur la durée (notamment sur l'identité
sonore, les dominantes de répertoire…). Le chef d'ensemble spécialiste
comme d'Hérin connaît ce travail, c'est celui qu'il mène au quotidien.
b) Chef invité
est un tout autre type de statut : il travaille,
l'espace d'un concert, avec un orchestre qu'il ne connaît pas forcément
bien. Certains chefs invités reviennent souvent, mais ils n'ont pas la
même tâche d'encadrement ni les mêmes responsabilités administratives.
Il faut donc être capable, le temps de deux ou trois services, en
général (un service est une session de répétition, 3h disons), d'avoir
mis en place 1h30 de musique et, pour éviter le four, d'avoir transmis
des souhaits esthétiques, mis en valeur détails, et quand c'est
possible d'avoir bien habité l'essentiel des œuvres… Si vous vous êtes
jamais demandé : « mais pourquoi l'ouverture / l'accompagnement du
concerto sonne moins bien que la symphonie ? » ou « c'est
incroyable, par moment le chef souligne des détails inédits, et à
d'autres tout le monde semble en pilote automatique »… c'est très
probablement lié à ce temps de répétition limité.
Les chefs très en vue ou les œuvres difficiles peuvent obtenir
davantage de services – il y
aura plus de répétitions pour Die
Soldaten de B.-A.
Zimmermann que pour une soirée, au hasard, Symphonie Pastorale & Triple Concerto… Mais
vous voyez bien l'enjeu d'être efficace en
répétition, et c'est pourquoi les musiciens d'orchestre jugent souvent
assez sévèrement les chefs bavards. S'ils commencent à arrêter la
musique à chaque fois qu'ils ont quelque chose à dire, on ne pourra pas
faire beaucoup de travail de mise en place ni d'interprétation… Les
chefs commentent donc pendant que l'orchestre joue, et surtout, ils
doivent disposer d'une gestuelle suffisamment expressive pour faire
comprendre le type de son ou d'articulation de phrasé qu'ils
souhaitent, sans tout verbaliser mesure par mesure !
Et c'est spécifiquement pour ce rôle de chef invité, qui débarque
quasiment le soir du concert (l'interprétation continue souvent à
s'affiner pendant le concert
!), et qui représente le cas de
l'immense majorité des chefs – assez peu, en proportion, ont leur
propre
orchestre, ou alors c'est l'orchestre qu'ils ont fondé et la question
de la gestique se pose beaucoup moins : ils se connaissent par cœur.
Vous voyez à présent où je veux vous mener : Sébastien d'Hérin, dont ce
n'est pas la formation, n'a aucune raison, ne prétendant pas à diriger
d'autres ensembles que le sien, d'avoir développé cette technique.
Mais l'autre soir, devant un orchestre profondément renouvelé, avec
sans doute beaucoup de nouvelles recrues, voire d'arrivées de dernière
minute pour sauver le concert… une belle technique de direction aurait
peut-être pu limiter le désordre par moment. Cela lui a sans
doute fait défaut ce soir-là, dans ces circonstances plutôt
exceptionnelles.
Tout cela non pas pour le blâmer (qui aurait pu imaginer, il y a deux
ans, l'effondrement du monde civilisé sous la pression d'armées
microscopiques ?), mais pour expliquer les flottements qu'on a pu
observer
lorsque les musiciens cherchaient du regard les indications du chef,
qui ne les donnait pas assez en avance (l'avance sur le temps, ça aide
à réagir !), ou pas assez clairement, et le plantage était dans ces
moments
inévitable.
C'est pourquoi j'ai choisi de vous entretenir de ce concert. La
tradition était déjà de toute façon d'évoquer les tragédies en musique
inédites écoutées, mais j'ai profité ici des imperfections insolites
pour essayer de remettre en perspective ce qui, dans un concert, paraît
aller de soi mais est à surmonter à chaque production… aucun ensemble,
aucun chef n'a jamais de temps illimité alloué… produire un bon
résultat, beaucoup en sont capables, mais un bon résultat en un temps
très court (voire insuffisant), c'est à chaque fois un défi, surtout si
l'on a une haute idée de son art.
[Parce que je me souviens aussi, après une représentation de Vanessa
de Barber par l'orchestre-atelier OstinatO, d'avoir pris le train
auprès du pupitre de bois qui s'esclaffait d'avoir joué n'importe
comment… Certains le vivent bien.]
Toutes mes pensées à Sébastien d'Hérin et aux Nouveaux Caractères : ce
fut sans doute un moment difficile, et j'espère qu'il ne nuira pas à
la carrière l'ensemble, qui a beaucoup à dire et à faire découvrir.
Merci, avant
toute chose, d'oser le répertoire inédit, moins payant, plus exigeant
et… plus périlleux. Rien que pour cela, tout mon respect, et ma sincère
gratitude.
Je suis prêt à retourner les entendre, surtout s'ils font Hippodamie,
Philomèle
ou
Créüse l'Athénienne !
Nos héros morts ou nés en cette année 2022 :
Dupuy au centre, puis de haut en bas Raff, Davaux, Hoffmann, Franck.
[[]]
Premier mouvement du Concerto pour basson en ut mineur d'Édouard
Dupuy.
Sambeek, Chambre de Suède, Ogrintchouk (BIS 2019).
(Pour la démarche et la légende, vous pouvez vous reporter à lapremière partie(au bas de la quelle
j'ai également servi cette nouvelle fournée de gourmandises.)
Mort en 1822
(200 ans du décès)
1822 Édouard Dupuy
(1770–1822) (ou du Puy, ou Du Puy…)
→ Quel gaillard que ce Dupuy ! Il naît en Romandie, canton de Neuchâtel, élevé par un
oncle musicien. De là, accrochez-vous : il part à Paris
étudier le piano avec Dussek et le violon avec Chabran. Il est aussi un
excellent chanteur, se produisant sur scène en Don Giovanni, un baryton
assez léger pouvant tout de même tenir au besoin les rôles de ténor et
de basse, voire chanter des parties en falsetto !
→
→ Il rencontre le frère de Frédéric de Prusse
et c'est le début d'un tour d'Europe : le voilà musicien, puis chanteur
au service de la chapelle du Prince. Mais il séduit, après les
actrices, trop de dames de l'aristocratie – et il se présente à
l'office du dimanche sans descendre de monture (non, je ne
parle pas des duchesses, tenez-vous enfin !) –, si bien qu'il
est expulsé du pays.
→ → Qu'à cela ne tienne, tournées
en Pologne, en Allemagne, et notre bougre
devient violoniste à l'orchestre de la Cour royale de Suède
; il y rencontre aussi un vif succès en chantant dans les opéras
comiques traduits de Grétry et Gaveaux, alors très en vogue dans le
pays – son accent français étant considéré comme un atout
supplémentaire. Mais il fréquente de trop près (i.e. soulève)
Sophie Hagman, la maîtresse royale officielle du prince Frederick
Adolf, et chante des airs à la gloire du Premier Consul, assez peu
goûtés en monarchie. Bannissement.
→ → Il faut bien se contenter du Danemark (où il se marie,
mais qui s'en soucie ?), où il atteint la gloire à de multiples titres
: succès retentissant pour son Ungdom
og Galskab (« Jeunesse et folie »), opéra comique appuyé sur un
livret de Bouilly pour Méhul ; triomphe dans le rôle-titre de Don Giovanni
; coqueluche des cercles mondains (ayant ses propres réceptions) ;
carrière d'officier militaire dans les Chasseurs Danois, où il mène une
résistance admirée face aux Anglais en 1807 ; enfin le dernier titre de
notoriété, celui que vous attendiez, il est pris en flagrant délit de
gros bisous avec la princesse héritière Charlotte Frederikke qui avait
sollicité ses leçons de chant !
→ → Mais entre temps… le prince
suédois est renversé et remplacé par Bernadotte, Dupuy peut retourner
en Suède comme rien
de moins que chef (sévère) de l'orchestre de la
Cour. On pense même qu'il enseigna au jeune Berwald.
● Peu de choses au disque, mais beaucoup de marquantes. Voici par quoi
commencer :
●● Le Concerto pour basson en ut
mineur, retrouvé par Bram van Sambeek – l'histoire de sa
résurrection est saisissante : le bassonniste avait demandé une copie
du Quintette (basson & quatuor à cordes) en la mineur, qui existe
aussi sous forme de concerto – ce quintette est sa seule œuvre un peu
jouée et enregistrée avec le Concerto pour flûte n°1 et l'Ouverture d'Ungdom og Galskab. Il avait reçu
par erreur ce concerto dont il ignorait l'existence ! L'univers
sonore en est très dramatique (certaines mélodies sont peut-être
empruntées à des opéras), on sent l'influence du drame d'école
cherubinienne dans ses tournures à l'éclat farouche et sombre. Le thème
B du premier mouvement est absolument ineffable, et son introduction
très originale : le thème A est joué seulement à l'orchestre, pendant
près de deux minutes, et le basson fait son entrée sur ce véritable
thème B… mais caché sous la clarinette qui chante la ligne supérieure
du thème ! Possiblement un clin d'œil du compositeur, puisque le
beau-frère du commanditaire était Crusell, le grand clarinettiste de
ces années, qui officiait dans lui aussi dans l'Orchestre de la Cour de
Suède… leur entrée était ainsi commune. Cette liberté formelle et ce
sent du contraste m'évoque beaucoup le premier mouvement du Concerto
l'Empereur de Beethoven, pour rester dans les menus compliments…
Splendide disque disponible chez BIS, parution de 2019 ou 2020, et l'un
de ceux que j'ai le plus écoutés cette année toutes catégories
confondues…
●● Son opéra comique à succès Ungdom og Galskab(d'après un livret pour Méhul par
Bouilly, l'auteur de Léonore
qui a servi à Gaveaux puis Beethoven) a été remarquablement enregistré
chez Dacapo (la branche danoise de Naxos, très richement pourvue en
raretés de qualité exceptionnelles, de Kunzen à Ruders en passant par
Hamerik), avec notamment les superstars vocales et artistes de premier
plan Elming, Cold et Schønwandt ! En bonus, le Concerto pour
flûte n°1, lui aussi assez dramatique, qui reprend des tèmes de
l'opéra.
■ Je peux comprendre que l'on ne représente pas d'opéras en danois (et
je ne vais pas revenir dans cette notule sur l'intérêt majeur dans ce
cas d'une version traduite…), mais les concertos remporteraient un vif
succès auprès du public.
On pourrait imaginer, au choix :
■■ Une soirée « Dupuy le séducteur » avec un récitant qui raconte de
façon plaisante ses aventures : Pauline Long des Clavières, Roger
Cotte, Gorm Busk, Vincent Alettaz ont mené des recherches assez
précises pour pouvoir soutenir une heure et demie de spectacle
entrecoupée de musiques, pour peu qu'une plume un peu adroite le
présente un peu savoureusement. Ce n'est pas mon idéal de spectacles,
mais on a pu vendre du Saint-George avec ce concept, je ne vois pas
pourquoi on ne pourrait pas vendre de la bonne musique avec la même
idée !
■■ Une soirée « Concertos classiques / premiers romantiques pour vents
», avec la flûte de Dupuy, le hautbois de Mozart (pour rassurer les
gens), la clarinette de Cartellieri (ou Crusell, ou Krommer…), le
basson de Hummel… On pourrait vraiment proposer un concept original,
intriguant, délicieux et convaincant. (Pendant ce temps la Philharmonie
invite La Scala pour jouer Pétrouchka et Oslo pour jouer Mahler…)
Jean-Baptiste Davaux (ou
d'Avaux)
→ Figure tout à fait considérable et pourtant quasiment pas représentée
au disque ni dans l'imaginaire collectif. Il se considérait lui-même
comme amateur, mais a laissé des opéras comiques à succès, des
symphonies très bien accueillies, et beaucoup de concertos et
symphonies concertantes, souvent programmées au Concert Spirituel et largement
fêtées par le public et la presse dans les années 1770-1790.
→
→ Venu étudier le violon à Paris, Davaux fréquente les cercles
littéraires, musicaux (notamment Martini et Saint-George), est membre
de la loge maçonnique des Neuf Sœurs (celle de Voltaire et Franklin )…
un garçon très inséré, et qui est aussi l'inventeur d'un « chronomètre » réalisé par Bréguet
lui-même, en réalité un métronome visuel. On sélectionnait le nombre de
temps par mesure, la vitesse de chaque temps avec la petite aiguille,
et la grande indiquait alors la pulsation. On est trente ans environs
avant Maelzel – qui, certes, est réputé avoir volé son propre système.
Un honnête homme complet, donc.
● Pour autant, à ma connaissance, une seule œuvre est actuellement
disponible au disque, la Symphonie concertante
mêlée d’airs patriotiques pour deux violons principaux (1794).
Dans deux excellentes versions couplées avec d'autres œuvres de la
période, celle du Concerto Köln de 1989 (qui n'a pas du tout vieilli)
et celle toute récente du Concert de la Loge Olympique, deux ensembles
qui se sont illustrés parmi les meilleurs interprètes des compositeurs
français de cette génération. On y entend, dans une veine
primesautière, des citations d'airs patriotiques, à peine ornées de
variations, qui ont l'avantage d'être aussi ceux que nous connaissons :
La Marseillaise dans le
premier mouvement, « Vous, qui d’amoureuse aventure » de Dalayrac (très
populaire sous la Révolution et recyclé ensuite en « Veillons au salut
de l'Empire ») dans l'adagio, la Carmagnole
et Ça ira dans le final… Très
réjouissant, aurait un énorme succès en concert, exactement comme à
l'époque où ces thèmes connus garantissaient par avance la sympathie du
public.
■ Sans même explorer plus avant le fonds du catalogue Davaux, imaginez
un concert « patriotique » au
moment judicieux, où l'on jouerait la Marseillaise
de Berlioz, Hermann & Dorothée
de Schumann (il existe aussi une version orchestrale des Deux Grenadiers), 1812 de Tchaïkovski, Feux d'artifice de Debussy, La nouvelle Babylone de
Chostakovitch (une BO)… et bien sûr, si l'on veut, le 25e Concerto pour
piano de Mozart… Cette symphonie concertante s'y glisserait avec
beaucoup de succès, et nul doute qu'un 14 juillet ou un week-end
d'élections, cela pourrait motiver un public beaucoup plus vaste que
l'ordinaire.
E.T.A. Hoffmann (en
réalité E.T.W. Hoffmann)
→ On présente souvent Hoffmann comme un écrivain, à l'instar de
Nietzsche ou Adorno, qui écrivait aussi un peu de musique. En réalité,
une grande partie de sa vie, y compris professionnelle, y a été
consacrée ! Il écrit au moins 13 œuvres pour la scène (et qui
sont jouées), des
cantates, de la musique sacrée, de la musique symphonique et
chambriste,
et il est même, à la fin des années 1800, chef d'orchestre au théâtre
de Bamberg !
→
→ Tout les commentateurs sont frappés par la sagesse de sa musique, en
opposition avec son imagination fantastique
dans ses écrits. Il admire Mozart, mais compose vraiment comme la
génération d'après, d'un romantisme évident, et qui conserve cependant
une partie de sa grammaire classique. Je concorde : même ses opéras
sont assez paisibles.
● Il m'a fallu beaucoup de patience, et notamment à l'occasion de cette
notule, pour rencontrer des œuvres qui méritent vraiment d'être
entendues pour des raisons purement musicales, et non par seule et
légitime curiosité d'entendre la musique pensée par le grand écrivain :
la plupart de son catalogue ménage très peu de surprises, de la jolie
musique du rang, bien faite, mais sans saillance qui traduise la
singularité d'un esprit. Presque des devoirs d'étudiant, qui cherche à
réutiliser habilement les tournures autorisées, et qui se fait
progressivement un métier en imitant ses pairs et en respectant les
règles.
●● Jolie Symphonie en mi bémol,
plusieurs fois enregistrée,
très bien réalisée par M.A. Willens chez CPO (très vivant)… mais la
comparaison avec
celle de Witt proposée en couplage (qui n'est pourtant pas la meilleure
de sa génération) est cruelle : dans l'une, tout est à sa place, d'un
bel équilibre, écrit en toute correction, tandis que l'autre propose
des gestes plus singuliers, la marque d'un compositeur qui réfléchit
sur la substance musicale et ne se contente pas de reproduire des
formules préexistantes. Pour autant, la symphonie d'Hoffmann, ainsi
jouée, mérite l'écoute.
●● Les opéras (ou le mélodrame Dirna) et la musique de chambre, qui figurent
désormais assez largement au disque, m'ont paru moins marquants,
vraiment la musique du rang de son temps : pas déshonorant, et même
impressionnant pour quelqu'un d'aussi talentueux par ailleurs, mais
assez peu de saillances pour justifier d'y passer beaucoup de temps
alors que le disque offre tant de choix plus exaltants.
●● C'est sans doute la musique
sacrée qui est la plus intéressante, la Messe et surtout le Miserere (plutôt la version
Bamberg-Beck chez Koch/DGG que R.Cologne-R.Huber chez CPO). Le disque
Beck permet de surcroît de disposer d'une bonne version de la
symphonie, c'est-à-dire de faire le tour de l'essentiel en un disque.
Mais je ne doute pas que vous ne soyez suffisamment curieux pour
essayer les opéras tout de même…
■ Le nom d'Hoffmann étant lui-même vendeur, on peut imaginer tous les
formats !
■■ Le concert-lecture bien sûr, par exemple avec sa musique de chambre
entre ses écrits. Mais attention au contraste entre la précision
évocatrice, les situations saisissantes de ses fictions, et la
conformité un peu lisse de ses compositions.
■■ L'écho, par exemple sa Messe
ou son Miserere en regards de bouts des Contes d'Hoffmann ou bien sûr de Don Giovanni.
■■ Un concert consacré aux
écrivains célèbres qui étaient également compositeurs, il y en a
quelques-uns (Nietzsche est tout à fait intéressant, Adorno pas
vraiment).
■■ D'une manière générale, il ne
serait pas très compliqué de glisser une piécette pour pimenter un
programme de l'époque, suscité la curiosité du public « oh, un truc
d'Hoffmann ».
Et aussi :
William Herschel (1738–1822).
Gaetano Valeri (1760–1822).
Maria Brizzi Giorgi.
Maria Frances Parke, dont c'est deux fois l'anniversaire cette année
(1772-1822).
Maria Hester Park (1775–1822).
Né en 1822
(200 ans de la naissance)
César Franck
→ J'irai vite sur Franck également : figure majeure de la musique (de
langue) française, le pont entre son auditoire parisien et le
chromatisme wagnérien qu'il fait infuser sur toute une génération de
compositeurs français dont les audaces nous fascinent ensuite. Je
trouve frappant qu'on entende chez Franck à quel point c'est aussi un
homme du monde qui a précédé : on entend ses années de formation dans
certaines de ses œuvres, je veux dire par là qu'on entend qu'il n'a pas
été, lui, éduqué par Franck, et que le socle de son art repose sur des
formules plus simples que celles qu'il a adoptées et diffusées par la
suite. Jusque dans les œuvres de maturité, il reste quelque chose d'un
peu stable et nu quelquefois.
● Son catalogue est amplement servi, quelques pistes si vous êtes
perdus.
●● Le plus décanté, dense et abouti,
représentatif de sa pensée chromatique aux extérieurs simples, réside
sans doute dans ses 3 Chorals
pour orgue. Énormément de versions, parmi lesquelles j'aime beaucoup
Guillou chez Dorian (la registration variée favorise la progression),
M.-C. Alain 1976 chez Erato / Apex (registration peu éclatant, mais
poussée constante), Latry (son brillant, respiration ample mais
toujours tendu).
●● Dans le même goût, mais plus ouvertement retors et sinueux,
bifurquant sans cesse entre les tonalités, que réellement décanté, le Quatuor en ré. Par exemple par les
Petersen chez Phoenix (si l'on aime le son un peu pincé et le vibrato
généreux) ou par les Danel chez CPO (si l'on veut avant tout de la
lisibilité et du mouvement plutôt que de la couleur).
●● La Symphonieen ré mineur est incontournable,
mais attention aux versions lourdes et germanisées que l'on rencontre
le plus souvent, y compris avec des orchestres français (Mikko Franck)
ou même des chefs français (Monteux). On perd alors beaucoup de
lisibilité et surtout d'intelligibilité… L'urgence de Cantelli, la
transparence d'Otterloo, la franchise très française de Gendille (quel
style !), la filiation française de Lombard et Langrée, ou plus
germanique mais très réussi, la rondeur tendue d'Arming ou l'élan
cursif de Neuhold… ce sont de bonnes adresses.
●● Pour disposer d'une idée de ce que produit l'éducation musicale de
Franck, il faut plutôt se tourner vers l'opéra… Je n'ai pas vérifié si Stradella avait
été publié en DVD, mais c'est un opéra qui donne à entendre tout un
versant italien, beaucoup plus nu et méconnu, de Franck, et assez
réussi. (Tandis que Hulda,
enregistrée récemment et bientôt donnée par Bru Zane, me paraît receler
assez peu de merveilles à la lecture comme à l'écoute…)
●● Peut-être plus abouti dans le genre du Franck-tradi, on peut aller
écouter ses mélodies et ses chœurs,
sacrés ou profanes. Par exemple avec le bel album paru l'année passée De l'autel au salon (Chœur de
chambre de Namur, Lenaerts, Musiques en Wallonie), qui fait entendre
des œuvres à la fois simples et manifestant une maîtrise précise des
moyens musicaux.
■ La musique vocale, mélodies et musique chorale, est sans doute ce que
l'on connaît le moins de lui. Ce serait l'occasion d'en mettre un peu
au programme. Cette saison, Bru Zane va déjà nous offrir Hulda dans les meilleures
conditions sonores imaginables (distribution et orchestre). Un petit
concert plus chambriste serait très bienvenu aussi.
Josef Joachim Raff.
→ Je connais mal Raff, et ce que j'en connais ne m'a que modérément
donné envie d'approfondir. Romantisme allemand assez épais, qui essaie
d'échapper au formalisme par des programmes, mais auquel il manque à
mon gré le sens de la surprise, du contraste, de l'orchestration, de la
mélodie aussi. Tout ronronne bien joliment et je n'ai à ce jour pas été
ébloui, en particulier par les symphonies, qui jouissent de la
meilleure réputation. Le catalogue étant vaste et bien documenté, il
m'aurait fallu plus de temps que je n'en ai pour chercher les pépites,
dans un goût qui me passionne moins que les autres individus dont j'ai
parlé ici.
→ Ce serait justement la tâche de l'anniversaire que de compter sur des
musiciens qui auraient déniché la pépite, comme le font Héloïse Luzzati
ou Francis Paraïso, et de leur laisser la place le temps d'une soirée
thématique où ils sauraient sléectionner le meilleur !
Luigi Arditi.
Faustina Hasse Hodges.
Betty Boije.
Vous le verrez, 1872 est encore plus concentré en grands noms – ou noms
de moindre renommée mais au catalogue ébouriffant ! C'est 1922
qui est un peu décevant, alors que 1972 tient très bien son rang
!
Mais si vous ne connaissez pas Dupuy et Davaux, ou si vous êtes un peu
curieux des aspects méconnus d'Hoffmann et Franck, vous devriez déjà disposer de quoi vous émerveiller un peu, en attendant.
Ce billet, écrit à par DavidLeMarrec dans la catégorie Portraits a suscité :
Comme point final à notre cycle de l'année autour des nouveautés discographiques (qui sait quelle forme
l'entreprise prendra l'an prochain), le moment est venu d'une sélection
très courte, qui contraste avec les tentations d'exhaustivité que vous
avez pu observer dans l'année.
Mais comme 10, ce serait tellement peu et trop cruel… j'ai commis
plusieurs tops 10. Pas un par
genre, μηδὲν ἄγαν, vous ne vous y retrouveriez pas.
Ce top 10 général (versions fulgurantes d'œuvres pas trop rabâchées) se
double ainsi d'un top 10 d'interprétations exceptionnelles d'œuvres
couramment jouées. Après une petite liste par genre des disques ayant
atteint la cotation maximale au cours de l'année, il sera triplé par
par les 10
disques hors nouveautés que j'ai le plus écoutés en 2021.
C'est parti !
A. Le grand top 10
(11, mais Alcione a en
réalité paru en 2020, disponible par la suite en numérique, époque à
laquelle je l'ai écoutée, début 2021.)
1. Interprétation extraordinaire d'Alcione,
issu des représentations à l'Opéra-Comique (qui m'avaient, étrangement,
un peu moins marqué). Orchestre composé de la fine fleur des musiciens
spécialistes de la tragédie en musique – en fait du Concert des
Nations, il y avait beaucoup de membres des principaux ensembles
baroques français, Thomas Dunford à l'archiluth en étant le
représentant le plus célèbre. Et surtout, Auvity et Mauillon dont la
singularité de timbre et l'expressivité verbale suprême magnétisent
chaque instant de leur présence.
Le commentaire que j'en avais fait : Marais – Alcione – Desandre, Auvity,
Mauillon ; Le Concert des Nations, Savall (Alia Vox 2021)
→ Issu des représentations à l'Opéra-Comique, enregistrement qui porte
une marque stylistique française très forte : dans la fosse, sous
l'étiquette Concert des Nations propre à Savall, en réa:lité énormément
de musiciens français issus des meilleures institutions baroques,
spécialistes de ce style), et un aboutissement déclamatoire très grand
– en particulier chez Auvity et Mauillon (qui est proprement miraculeux
de clarté et d'éloquence).
→ Le résultat est donc sans rapport avec l'équipe catalane du fameux
enregistrement des suites de danses tirés de cet opéra (1993), non sans
qualités mais pas du tout du même naturel et de la même qualité de
finition (instrumentale comme stylistique).
→ Les moments forts de la partition (la chaconne initiale de Pélée,
l'interruption du mariage, le naufrage, le duo de révélation
Pélée-Alcione…) s'en trouvent formidablement mis en évidence, et
permettent de goûter pleinement le génie mélodique et harmonique de
Marais.
→ Le frémissement interne de l'orchestre, magnifié par la prise de son
Alia Vox, parachève cet objet incontournable pour les amateurs de
tragédie lyrique.
→ Sans comparaison avec le studio Minkowski, pas très bien chanté
(Smith-Ragon-Huttenlocher-Le Texier, ce n'est pas la folie…), beaucoup
moins coloré et mobile, même s'il s'y trouve de beaux moments de
continuo très poétique.
2. Une nouvelle version de Drot og
Marsk, opéra politique de Peter Heise, un sommet du romantisme
mûr, très riche, aussi bien nourri du sens du drame verdien que de la
recherche musicale germanique, un peu le meilleur des deux mondes. Et
on ne croule pas sous les opéras en danois dans la discographie – Lulu de Kuhlau se trouve en ligne
(bande radio sur YouTube), je ne saurais trop vous recommander cette
merveille en attendant une incertaine parution discographique. Superbe
version par ailleurs, meilleure que la précédente. HEISE, P.A.: Drot og marsk (Royal
Danish Opera Chorus and Orchestra, Schønwandt) (Dacapo 2021)
→ Superbe drame romantique, dans la descendance tardive de Kuhlau,
remarquablement chanté et joué. Tout est fluide, vivant, inspiré, œuvre
à découvrir absolument ! (il en existait déjà une version pas trop
ancienne chez Chandos)
3. Tout à fait inattendus, ces motets d'un compositeur wallon, dans un
goût quelque part entre le Mozart de jeunesse et le meilleur Grétry.
L'air de ténor « Miles fortis », agile et épique (dans la veine de Fuor del mar ou de Se al impero, si vous voulez, mais
dans une ambiance harmonique et mélodique plus proche des airs de
Céphale ou Guessler), a tourné en boucle depuis sa découverte. Je ne
m'attendais pas à entendre du simili-seria
sacré dans une région secondaire d'Europe produire un résultat aussi
jubilatoire ! Hamal – Motets – Scherzi Musicali,
Achten (Musiques en Wallonie 2021)
→ Pour moi clairement plutôt du genre cantate.
→ Musique wallonne du milieu du XVIIIe siècle (1709-1778), très marquée
par les univers italien et allemand, pas tout à fait oratorio façon
seria ,pas tout à fait cantate luthérienne, avec de jolies tournures.
→ Côté dramatique post-gluckiste quelquefois, très réussi dans
l'ensemble sous ses diverses influences.
→ Le sommet du disque : l'air héroïque de ténor « Miles
fortis » qui clôt la cantate Astra Cœli, d'une agilité et d'une
vaillance parfaitement mozartiennes (augmentées d'une grâce mélodique
et harmonique très grétryste), et qui pénètre dans l'oreille comme un
véritable tube, ponctué par ses éclats de cor et ses violons autour de
notes-pivots…
→ Splendide interprétation des Scherzi Musicali, qui ravive de la plus
belle façon ces pages oubliées. Mañalich remarquable dans les parties
très exposées de ténor, à la fois doux, vaillant et solide.
→ Écouté 7 fois en quatre jours (pas très séduit en première écoute,
puis de plus en plus enthousiaste). Comme quoi, il faut vraiment donner
leur chance aux compositeurs moins connus, et ne pas se contenter d'une
écoute distraite pour décréter leur inutilité.
4. Les Quatuors d'Henri Vieuxtemps, ce sont (certes un demi-siècle plus
tard !) les quatuors égarés de Beethoven ! Sens remarquable de la
forme, mélodies un peu sévères mais marquantes, c'est à découvrir
absolument si l'on aime le gronchon idéaliste dont on a fêté
l'anniversaire jusqu'à la mi-saison : il faudrait regarder les
partitions de plus près, mais lors des premières écoutes, la qualité ne
m'a pas paru sensiblement moindre… Vieuxtemps – Les 3 Quatuors à cordes
– Élysée SQ (Continuo Classics)
→ Nouveauté fondamentale : trois nouveaux quatuors de Beethoven
composés par Vieuxtemps.
→ Je n'aime pas trop le son un peu dépareillé de cet ensemble, mais peu
importe vu ce qu'il document ici d'inestimable – il n'existait aucun
quatuor de Vieuxtemps au disque. (Même sur YouTube, on pouvait trouver
deux mouvements pour dans un concert de conservatoire. Pas davantage.)
Merci les Élyséens !
5. L'intégrale de Svetlanov, très typée et d'apparence sale,
ne donnait pas la pleine mesure de la singularité des symphonies de
Miaskovski, très différentes les unes des autres. Après la réussite de
la 21 en 2020, Vasily Petrenko récidive avec la 27, étonnamment intense
et lumineuse, et traitée avec un sens du style remarquable – le tout
servi par l'un des tout meilleurs orchestres du monde actuellement. Miaskovski (Myaskovsky), Symphonie
n°27 // Prokofiev, Symphonie n°6 – Oslo PO, V. Petrenko (LAWO 2021)
→ Saveur très postromantique (et des gammes typiquement russes, presque
un folklore romantisé), au sein d'un langage qui trouve aussi ses
couleurs propres, une rare symphonie soviétique au ton aussi
« positif », et qui se pare des couleurs transparentes,
acidulées et très chaleureuses du Philharmonique d'Oslo (de sa
virtuosité aussi)… je n'en avais pas du tout conservé cette image avec
l'enregistrement de Svetlanov, beaucoup plus flou dans la mise en place
et les intentions…
→ Frappé par la sobriété d'écriture, qui parle si directement en mêlant
les recettes du passé et une forme d'expression très naturelle qui
semble d'aujourd'hui. L'adagio central est une merveille de
construction, comme une gigantesque progression mahlérienne, mais avec
les thématiques et couleurs russes, culminant dans un ineffable lyrisme
complexe.
→ Bissé Miaskovski.
6. Chansons inspirées par la geste napoléoniennes, particulièrement
abouties dans celles arrangées à trois voix. (Et le Tombeau de
Joséphine, palimpsestant le Bon Pasteur de Romagnesi, quelle merveille
!) Sainte-Hélène, La légende
napoléonienne – Sabine Devieilhe ; Ghilardi, Bouin, Buffière,
Marzorati ; Les Lunaisiens, Les Cuivres Romantiques, Laurent
Madeuf, Patrick Wibart, Daniel Isoir (piano d'époque) (Muso 2021)
→ Chansons inspirées par la fièvre et la légende napoléoniennes,
instrumentées avec variété et saveur.
→ Beaucoup de mélodies marquantes, de pastiches, d'héroï-comique (Le
roi d'Yvetot bien sûr), et même d'hagiographie à la pomme de terre… Le
meilleur album des Lunaisiens jusqu'ici, aussi bien pour l'intérêt des
œuvres que pour la qualité des réalisations vocales.
7. La Princesse jaune révélée
par cette nouvelle interprétation au sommet, mais l'album vaut surtout
par les Mélodies persanes
dans leur version orchestrale, avec l'excellente idée de mandater six
chanteurs différents ! Je ne suis pas forcément convaincu par les
techniques des uns et des autres (on entend des limites dans l'ambitus,
le timbre, la diction…), mais l'investissement collectif et la beauté
de la proposition orchestrale (qui transfigure ce qui est déjà un
chef-d'œuvre au piano) réjouit totalement ! Beaucoup écouté. Saint-Saëns – La Princesse jaune –
Wanroij, Vidal ; Toulouse, Hussain (Bru Zane 2021) + Mélodies persanes (Constans, Fanyo,
Pancrazi, Sargsyan, Estèphe, Boutillier…)
→ Ivresses. Des œuvres, des voix.
→ Révélation pour ce qui est de la Princesse, pas aussi bien servie
jusqu'ici, et délices infinies de ces Mélodies dans une luxueuse
version orchestrale, avec des chanteurs très différents, et chacun
tellement pénétré de son rôle singulier !
8. Superbe orgue néerlandais dans du répertoire inédit du XVIIIe
français. C'est un peu l'idéal de ce que j'attends de la vie. Guillaume Lasceux – Simphonie
concertante pour orgue solo – St. Lambertuskerk Helmond, Jan van
de Laar (P4Y JQZ 2020)
+ Jullien : suite n°5 du livre I, Couperin fantaisie en ré, Böhm,
Vater unser, Jongen Improvisation-Caprice, Franck pièce héroïque
→ Le disque contenant le plus de Gilles Jullien, et une version
extraordinairement saillante de la Pièce Héroïque de Franck.
→ Quel orgue fantastiquement savoureux !
9. Peut-être est-ce parce que j'ai une centaine d'heures sur le sujet
entre la préparation de la notice du disque, puis celle de la notule, mais après une première écoute polie, j'ai
été totalement fasciné par cet univers très différent de ce que l'on
connaît du répertoire sacré allemand – ce chœur composé de deux
chanteurs ! ces récits reconstitués au moyen de patchworks
intertestamentaires ! Pfleger – Cantates « The Life and
Passion of the Christ » – Vox Nidrosiensis, Orkester Nord, Martin
Wåhlberg (Aparté 2021)
→ Musique du Nord de l'Allemagne au milieu du XVIIe siècle. Œuvres
inédites (seconde monographie seulement pour ce compositeur.
→ Plus ascétique que ses motets latins (disque CPO, plus expansif), je
vous promets cependant de l'animation, avec ses solos de psaltérion,
ses évangélistes qui fonctionnent toujours à deux voix, ses structures
mouvantes qui annoncent l'esthétique des Méditations pour le Carême de
Charpentier.
→ Par ailleurs, curiosité d'entendre des textes aussi composites
(fragments des Évangiles mais aussi beaucoup d'Ancien Testament épars),
ou encore de voir Dieu s'exprimer en empruntant les mots d'Ézéchiel et
en émettant des notes très graves (mi 1 - ut 1) sur des membres de
phrase entiers.
→ On y rencontre des épisodes peu représentés d'ordinaire dans les
mises en musique – ainsi la rencontre d'Emmaüs, ou la Cananéenne dont
la fille est possédée – écrits en entrelaçant les sources des
Évangiles, des portions des livres prophétiques, les gloses du XVIIe et
les chants populaires de dévolution luthériens, parfois réplique à
réplique…
→ De quoi s'amuser aussi avec le contexte (je vous en touche un mot
dans la notice de ma main), avec ces duels à l'épée entre maîtres de
chapelle à la cour de Güstrow (le dissipé Danielis !), ou encore
lorsque Pfleger écarte sèchement une demande du prince, parce que
lui sert d'abord la gloire de la musique et de Dieu. (Ça pique.)
→ Et superbe réalisation, conduite élancée, voix splendides et
éloquentes.
→ https://www.deezer.com/fr/album/213997932
10. Baroque centre-américain de première qualité, tout est ravissant et
entraînant ici !
Castellanos, Durón, García de Zéspedes, Quiros, Torres –
« Archivo de Guatemalá » tiré des archives de la cathédrale
de la ville de Guatemalá – Pièces vocales sacrées ou instrumentales
profanes – El Mundo, Richard Savino (Naxos 2021)
→ Hymnes, chansons et chaconnes très prégnants. On y entend passer
beaucoup de genres et d'influences, des airs populaires plaisants du
milieu du XVIIe jusqu'aux premiers échos du style de l'opéra seria (ici
utilisé dans des cantiques espagnols).
→ Quadrissé.
11. Une sorte de dernier Haendel (celui du Te Deum d'Utrecht, de The
Ways of Zion, du Messie…), plein de contrepoint très éloquent et
généreux – mais pragois. Brixi – Messe en ré majeur, Litanies –
Hana Blažiková, Nosek Jaromír ; Hipocondria Ensemble, Jan Hádek
(Supraphon 2021)
→ Alterne les chœurs d'ascèse, finement tuilés, très beau contrepoint
qui fleure encore bon le contrepoint XVIIe, voire XVIe… pour déboucher
sur des airs façon Messie (vraiment le langage mélodique de Haendel !).
→ Splendides voix tranchantes et pas du tout malingres, orchestre fin
et engagé, Blažiková demeure toujours aussi radieuse, jusque dans les
aigus de soliste bien exposés !
… j'ai dû exclure d'excellents albums, comme la symphonie de Dobrzyński
sur instruments d'époque, la Ferne
Geliebte de Nigl, le Winterreise
pour sax, théorbe et récitant (!), et j'aurais dû le faire pour Alcione et Lasceux-Jullien, car
bien que numérisés (ou simplement écoutés par moi) en 2021, ils avaient
été imprimés en 2020. Écoutez tout cela également (peut-être un peu
moins le Winterreise, qui est
aussi déviant que vous pouvez vous le figurer), ce sont des merveilles.
Je signale aussi ces
splendeurs écoutées avec ravissement, mais issues de la Radio :
¶ Verdi, Boccanegra (Gerhaher, Luisi,
Operavision)
¶ Wagner, Lohengrin (Pintscher, YT)
¶ Wagner, Rheingold (Ph. Jordan, France Mu)
¶ Wagner, Parsifal en version harmonium et trois solistes (Avro)
¶ Debussy, Pelléas (Roth, France Mu)
¶ Schmitt, Salomé intégrale Altinoglu (YT Radio de Francfort)
Et deux créations contemporaines géniales qui méritent l'inscription au
répertoire :
¶ Connesson, Les Bains Macabres (France
Mu)
¶ Hersant, Les Éclairs (Operavision)
B. 10
interprétations majeures du grand répertoire
Là aussi, quelques exclus dignes d'un détour (les Goldberg de Lang Lang, que je
n'attendais décidément pas là, ont été republiées en Deluxe avec des
compléments début 2021 mais avaient déjà été publiées au milieu de
2020) pour parvenir à cette sélection.
1. Intégrale inégale, mais les 1,2,4 et Roméo & Juliette sont
absolument électrisants, et assez neufs dans leurs choix (pas du tout
russes). Tchaïkovski – Symphonies n°2,4 –
Tonhalle Zürich, Paavo Järvi (Alpha 2021)
→ La Cinquième par les mêmes ne m'avait pas du tout autant ébloui qu'en
salle (avec l'Orchestre de Paris) – un peu tranquillement germanique,
en résumé. Hé bien, ici, c'est étourdissant. D'une précision de trait,
d'une énergie démentielles !
→ On entend un petit côté « baroqueux » issu de ses
Beethoven, avec la netteté des cordes et l'éclat des explosions, mais
on retrouve toute la qualité de construction, en particulier dans les
transitions (la grande marche harmonique du final du 2, suffocante, qui
semble soulever tout l'orchestre en apesanteur !), et au surplus une
énergie, une urgence absolument phénoménales.
→ Gigantesque disque. Ce qu'on peut faire de mieux, à mon sens, dans
une optique germanique – mais qui ne néglige pas la puissance de la
thématique folklorique, au demeurant.
2. Moi qui pensais de Mitridate qu'il
s'agissait d'une très belle œuvre de jeunesse où surnageaient surtout
quelques coups de génie (« Nel grave tormento » !), me voilà totalement
passionné par tout ce que j'entends dans cette version. Mozart – Mitridate – Spyres, Fuchs,
Dreisig, Bénos, Devieilhe, Dubois ; Les Musiciens du Louvre,
Minkowski (Erato 2021)
→ Cet enregistrement ébouriffe complètement ! Distribution
exceptionnelle – en particulier Bénos, mais les autres ne sont pas en
reste ! – et surtout orchestre totalement haletant, le résultat
ressemble plus aux Danaïdes qu'à un seria de jeunesse de Mozart !
3. Mendelssohn sacré à un-par-partie par Bernius. Ce n'est plus de la
musique, c'est de la pornographie conçue pour DLM. Et ça tient ses
promesses de netteté, de tension, d'inspiration, de séduction. Mendelssohn – Te Deum à 8, Hora Est,
Ave Maria Op.23 n°2 – Kammerchor Stuttgart, Bernius (Hänssler)
→ Bernius réenregistre quelques Mendelssohn a cappella ou avec discret
accompagnement d'orgue, très marqués par Bach… mais à un chanteur par
partie ! Très impressionnante clarté polyphonique, et toujours les
voix extraordinaires (droites, pures, nettes, mais pleinement timbrées
et verbalement expressives) du Kammerchor Stuttgart.
4. Nouvelle intégrale de référence pour Schumann. Il y a tout, Gerhaher
excelle particulièrement dans cet univers, et les autres chanteurs sont
aussi les meilleurs de leur génération (Rubens, Lehmkuhl…). Inégalé à
ce jour. Schumann – Alle Lieder – Gerhaher,
Huber, Rubens, Landshammer, Kleiter, Lehmkuhl, Mitterrutzner… (Sony
2021)
→ Magnifique somme regroupant les cycles Schumann de Gerhaher, parmi
les tout meilleurs qu'on puisse entendre et/ou espérer, et permettant
de tout entendre, avec bon nombre de nouveautés (tout ce qui n'avait
pas été enregistré, et même une nouvelle version de Dichterliebe).
→ Verbe au cordeau, variation des textures, mordant, tension, nuances,
c'est la virtuosité d'une expression construite qui impressionne
toujours autant chez lui !
→ Les artistes invités, ce n'est pas n'importe qui non plus, ces dames
figurent parmi les meilleures liedersängerin de leur génération
(Rubens, n'est-ce pas !). Les lieder prévus pour voix de femme sont
ainsi laissés aux interprètes adéquates.
→ De surcroît le livret contient des introductions, un classement clair
(même une annexe par poètes !) et les textes (monolingues, certes, mais
c'est toujours une base de départ confortable pour ceux qui veulent
ensuite des traductions).
5. Une interprétation fulgurante de Mahler 8 – Jurowski parvient à
transmettre quelque chose de la typicité russe aux timbres du LPO, et
Fomina en soprano principale, quelle volupté permanente ! (Elle
ne cède sur rien…) Mahler – Symphonie n°8 – Howarth,
Schwanewilms, Fomina, Selinger, Bardon, Banks, Gadd, Rose ; LPO
Choir, LSO Chorus, Clare College Choir, Tiffin Boys Choir ; LPO,
Jurowski (LPO Live)
→ Quel bonheur d'avoir des sopranos de la qualité de timbre de
Schwanewilms et Fomina pour cette symphonie où leurs aigus sont exposés
en permanence ! Barry Banks aussi, dans la terrible partie de
ténor, étrange timbre pharyngé, mais séduisant et attaques nettes,
d'une impeccable tenue tout au long de la soirée.
→ Par ailleurs, le mordant de Jurowski canalise merveilleusement les
masses – très beaux chœurs par ailleurs.
6. Approche très différente de l'ordinaire, pour un Schubert murmuré,
net, sans épanchements un peu gras, qui met la beauté à nu comme un
diamant taillé perd en masse mais gagne en irisation. Schubert – Quintette à cordes –
Tetzlaff, Donderer... (Alpha 2021)
→ Couplé avec le Schwanengesang de Julian Prégardien que je n'ai pas
encore écouté.
→ Lecture d'une épure assez fabuleuse : absolument pas de pathos,
cordes très peu vibrées, des murmures permanents (quel trio du
scherzo ! ), et bien sûr une très grande musicalité.
→ Très atypique et pudique, aux antipodes de la grandiloquence
mélodique qu'on y met assez naturellement.
7. La meilleure version du Quatuor de Messiaen que j'aie entendue, tout
simplement. D'une simple éloquence, exactement dans le projet,
échappant aux expressions un peu solistes des versions de prestige
habituelles. Messiaen – Quatuor pour la fin du
Temps – Left Coast Ensemble (Avie 2021)
→ Captation proche et très vivante, interprétation très sensible à la
danse et à la couleur, une merveille où la direction de
l'harmonie, le sens du discours apparaissent avec une évidence rare ! + Rohde: One wing
Presler, Anna; Zivian, Eric
→ Très plaisante piécette violon-piano, congruente avec Messiaen,
écrite par l'altiste membre de cet ensemble centré autour de San
Francisco.
8. Je ne m'attendais pas à trouver ce programme de salon, pas les
œuvres qui me touchent le plus, dans ma propre sélection ! Mais
le choix des instruments d'époque et la finesse des interprètes
magnifie totalement ce répertoire, et l'illusion d'être invité à un
petit événement privé est parfaite ! Couperin (Barricades mystérieuses) //
Liszt-Wagner (Liebestod) // Chopin (Prélude n°15) // Fauré (Sonate n°1,
Après un rêve, Nocturne n°6) // Hahn (À Chloris)… – « Proust, le
concert retrouvé » – Théotime Langlois de Swarte, Tanguy de
Williencourt (HM 2021)
→ Inclut des transcriptions de mélodies. Très beaux instruments
d'époque, belle ambiance de salon. Je n'ai pas eu accès à la notice
pour déterminer la proportion de musicologie / d'érudition pertinente
dans le propos – souvenirs trop parcellaires de la Recherche pour le
faire moi-même.
→ Langlois de Swarte « chante » remarquablement À Chloris ou
Après un rêve, tandis que le surlié feint de Willencourt fait des
miracles dans Les Barricades Mystérieuses. La Sonate de Fauré est menée
avec une fraîcheur et un idiomatisme que je ne lui connaissais pas,
aussi loin que possible des exécutions larges et poisseuses de grands
solistes plutôt aguerris à Brahms et aux concertos.
9. À nouveau, un opéra que je tenais pour secondaire et qui révèle un
potentiel dramatique insoupçonné (le final du II !) dans cette
interprétation de feu – et la fête garantie pour tous les glottophiles,
vraiment du grand chant d'aujourd'hui ! (Étrangement sur un petit
label au réseau de distribution limité, il n'y a vraiment pas de quoi
vendre aux admirateurs de Bellini, Rebeka et Camarena, souvent des
collectionneurs pourtant ?) Bellini – Il Pirata – Rebeka,
Camarena, Vassallo ; Opéra de Catane, Carminati (Prima Classics)
→ Disque électrisant, capté avec les équilibres parfaits d'un studio
(ça existe, une prise de studio pour Prima Classics ?), dirigé avec
beaucoup de vivacité et de franchise (Carminati est manifestement
marqué par les expérimentations des chefs
« musicologiques »), et magnifiquement chanté par une
distribution constituée des meilleurs titulaires actuels de rôles
belcantistes, grandes voix singulières et bien faites, artistes rompus
au style et particulièrement expressifs.
→ Dans ces conditions, on peut réévaluer l'œuvre, qui n'est pas
seulement un réservoir à airs languides sur arpèges d'accords parfaits
aux cordes, mais contient aussi de superbes ensembles et de véritables
élans dramatiques dont la vigueur évoque le final du II de Norma (par
exemple « Parti alfine, il tempo vola »).
10. Les pièces courtes post-debussystes de Stravinski regroupées dans
une très grande interprétation, suivie par une lecture très marquante
du Sacre… ! Stravinski – Feu d'artifice, Scherzo
fantastique, Scherzo à la Russe, Chant Funèbre, Sacre du Printemps –
NHK SO, Paavo Järvi (RCA 2021)
→ Splendide version très vivante, captée avec beaucoup de relief
physique, contenant quelques-uns des chefs-d'œuvre de jeunesse de
Stravinski (parmi ce qu'il a écrit de mieux dans toute sa carrière, Feu
d'artifice et le Scherzo fantastique…), ainsi qu'une version
extrêmement charismatique et immédiatement prenante du Sacre du
Printemps.
→ Järvi semble avoir tiré le meilleur de la NHK, orchestre aux couleurs
peu typées (même un brin gris, ai-je trouvé en salle), mais dont la
discipine et la solidité permettent ici une insolence et un aplomb
absolument idéaux pour ces pages.
C. Tour d'horizon
par genre
Pour information, voici les nouveaux enregistrements qui ont obtenu la
cotation maximale au cours de l'année, et que je recommande donc sans
réserve.
OPÉRA
Marais – Alcione – Savall
Mozart – Mitridate – Minkowski
Bellini – Il Pirata – Carminati
Verdi – Boccanegra – Auguin
Heise – Drot og marsk – Schønwandt
Saint-Saëns – La Princesse jaune – Hussain
Schreker – Ferne Klang – Weigle
Lattès – Le Diable à Paris – Les Frivolités Parisiennes
RÉCITALS
Salieri & Beethoven – « In Dialogue » – Heidelberg Symphoniker
LULLY, Charpentier, Desmarest, Rameau – « Passion » –
Gens, Les Surprises, Camboulas
SACRÉ
Guatemalá
Hamal, motets, Achten
Brixi, Messe en ré
Pfleger
Montigny, Grands Motets
Mendelssohn, Te Deum à 8, Bernius
ORGUE
Arrangements de LULLY par Jarry à l'orgue de la Chapelle
Royale
Lasceux-Jullien – « Robustelly » – Jan van de Laar
Karg-Elert – Intégrale pour orgue, vol.12 : 3 Impressions, Hommage
à Haendel, Partita n°1 – Steinmeyer de la Marienkirche de Landau/Pfalz,
Stefan Engels (Priory 2020)
Eben, Momenti d'organo, Ludger Lohmann
PIANO
Samazeuilh, Piboule
Bach Goldberg, Lang Lang
Chopin Polonaise-Fantaisie, Eckardtstein
LIEDER, MÉLODIES
Schumann, intégrale des lieder, Gerhaher-Huber
Schumann, Frauenliebe und Leben // Brahms, lieder – Garanča (DGG)
Beethoven, Schubert, Britten …– I Wonder as I Wander – James Newby,
Joseph Middleton (BIS 2020)
Biarent, Berlioz, Gounod, Bizet, Saint-Saëns, Chausson – mélodies
orientales « La chanson du vent » – Clotilde van Dieren,
Katsura
Mizumoto
Miaskovski – « Œuvres vocales vol. 1 » : Livre Lyrique,
12 Romances
d'après Lermontov, Sonate violon-piano – Barsukova, Pakhomova,
Dichenko, Solovieva (Toccata Classics 2021)
CHANSONS
Sainte-Hélène, la légende napoléonienne
« Heut' ist der schönste Tag - Tenor Hits of the 1930s »
D. Hors nouveautés,
les 10 disques les plus écoutés de l'année
Nouveautés
J'ai laissé de côté les nouveautés précédemment évoquées, mais Alcione de Marais, les motets d'Hamal, les Mélodies persanes
orchestrales de Saint-Saëns,
les chansons de l'album
Sainte-Hélène et les motets de Pfleger
comptent assurément parmi les albums les plus écoutés de l'année.
Notules et répétitions
Auraient aussi pu figurer les disques énormément écoutés pour écrire
des notules (cantates de Pfleger,
La mort d'Abel de Kreutzer, les symphonies de B. Romberg, Cristina regina di Svezia de Foroni, Mona Lisa de Schillings, Das Schloß Dürande de Schoeck) ou pour préparer du travail
en répétition (Le Déluge de Jacquet de La Guerre, Le bon Pasteur de Romagnesi, Les Diamants de la Couronne d'Auber)… Je me suis dit que c'était
une motivation annexe, et
surtout que les notules vous avaient déjà laissé le loisir de prendre
connaissance de ces œuvres et de ces disques.
Quatuors
Beaucoup de découvertes assez fondamentale cette fin d'année en matière
de quatuors, que je vous recommande vivement au passage : Schillings (CPO), Kienzl (CPO), Gade (surtout ceux en ré majeur et
mi mineur, CPO vol.5), Vieuxtemps
(Quatuor Élysée chez un petit label), Kabalevsky
(CPO), Rubinstein (CPO)…
Et voici donc un mot sur la sélection.
1. Le cycle Graener de CPO, en particulier ce volume, et en particulier
les Variations sur la chanson populaire à propos de la victoire
d'Eugène de Savoie contre les Turcs. Le miroitement instrumental et la
motricité irrésisible de ces variations en rendent le procédé à la fois
limpide et intriguant… Pour de la griserie pure de la force de la
musique, je me le passe encore et encore, des dizaines de fois cette
année… Graener – Variations orchestrales sur
« Prinz Eugen » – Philharmonique de la Radio de Hanovre, W.A. Albert
(CPO 2013)
→ On ne fait pas plus roboratif… mon bonbon privilégié depuis deux ans
que je l'ai découvert par hasard, en remontant le fil depuis le dernier
volume de la grande série CPO autour du compositeur (concertos par
ailleurs tout à fait personnels et réussis).
2. Parues l'an passé, une grande version des Méditations pour le Carême, chef
d'œuvre absolu du XVIIe siècle français : fragments d'Évangiles et de
textes vétérotestamentaires, en petites scènes incitant à
l'identification, à la réflexion… À un par partie et non en chapelle
ici ; les trois chanteurs sont merveilleux. Charpentier – Méditations pour le
Carême – García, Candela, Bazola ; Guignard, Galletier, Camboulas
(Ambronay 2020)
→ Avec Médée, le fameux Te Deum et le Magnificat H.76, on tient là la
plus belle œuvre de Charpentier, inestimable ensemble de dix épisodes
de la passion racontés en latin (et s'achevant au miroir du sacrifice
d'Isaac, sans sa résolution heureuse !) par des chœurs tantôt
homorythmiques tantôt contrapuntiques, et ponctués de récitatifs de
personnages (diversement sympathiques) des Écritures. Merveille absolue
de l'harmonie, de la prosodie et de la poésie sonore.
→ Ce que font Les Surprises est ici merveilleux, sens du texte et des
textures hors du commun, d'une noirceur et d'une animation dramatique
inhabituelles dans les autres versions de cette œuvre, et servi au plus
suprême niveau de naturel chanté. Un des disques majeurs du patrimoine
sacré français.
3. La musique de chambre d'Arnold Krug, représentant méconnu de l'école
allemande. Arnold Krug – Sextuor à cordes,
Quatuor piano-cordes – Linos Ensemble (CPO 2018)
→ Sextuor lumineux et enfiévré, une merveille ! Entre le dernier
quatuor de Schoeck et le Souvenir de Florence de Tchaïkovski !
→ Quatuor piano-cordes tout aussi intensément lyrique, avec quelque
chose de plus farouchement vital, d'un romantisme qui ne se cache pas.
Splendidement tendu, une autre merveille qui vous empoigne, tendu
comme un arc dans le plus grand des sourires !
→ Une des mes grandes découvertes chambristes récentes !
4. De même pour Koessler. Je me suis biberonné à ces deux disques de
chambre pendant des semaines… Koessler – String Quintet in D Minor /
String Sextet (Frankfurt String Sextet) (CPO 2007)
→ Très bien écrit ! Riche contenu d'un romantisme assumé, qui peut
rivaliser avec les grands représentants de second XIXe !
5. Le rondeau final du concerto de Hummel, le thème B du premier
mouvement de Dupuy, en qui l'on sent immédiatement le compositeur
dramatique… ineffables moments, qui ont fait plus d'un converti au
basson ces derniers mois ! Le meilleur bassonniste vivant est
accompagné par le meilleur orchestre de chambre actuel dirigé par le
meilleur hautboïste vivant. Édouard Dupuy – Concerto pour basson –
van Sambeek, Swedish ChbO, Ogrintchouk (BIS 2020)
→ On peut donc faire ça avec un basson ! Cette finesse
(changeante) de timbre, cette netteté des piqués, cette perfection du
legato, j'ai l'impression de découvrir un nouvel instrument. J'aurais
aimé la Chambre de Suède un peu moins tradi de son (comme avec
Dausgaard), mais je suppose que le chef russe a été formé à un Mozart
plus lisse (ça ploum-ploume un peu dans les basses…).
→ Quand au Dupuy, c'est une petite merveille mélodique et dramatique
qui sent encore l'influence du drame gluckiste dans ses tutti
trépidants en mineur, une très grande œuvre qui se compare sans peine
aux deux autres ! Le thème B du premier mouvement (d'abord
introduit à l'orchestre par un duo clarinette basson), quelle émotion
en soi, et quel travail de construction au sein du mouvement –
l'emplacement formel, l'effet de contraste des caractères…
→ Un des disques les plus écoutés en 2020, pour ma part ! Le thème
lyrique et mélismatique du premier mouvement est une splendeur rare. Et
ces musiciens sont géniaux (meilleur bassoniste du monde, meilleur
orchestre de chambre du monde, dirigés par le meilleur hautboïste du
monde…).
6. Cette chaconne en ut, à la française, mais développé avec une
science allemande, a un pouvoir incroyable – elle est en réalité
reconstituée par Michael Belotti, l'un des organistes de l'intégrale.
Découverte en entrant pour la première fois à Saint-Robert de la
Chaise-Dieu, cet été. Ce qui suscita une vaste notule. Pachelbel – Complete Organ Works, Vol.
2 – Essl, Belotti, J.D. Christie(CPO 2016)
7. Là aussi, peut-être est-ce ma contribution à l'entreprise, mais Raoul Barbe-Bleue mûrit en moi, et
ses tubes (comme Grétry écrit toujours magnifiquement pour les basses :
Guessler, Céphale, Raoul !) résonnent de plus en plus fréquemment dans
mes appartements. Grétry – Raoul Barbe-Bleue – Wåhlberg
(Aparté 2019)
→ Voyez la notule.
8. Grosse crise batave, et en particulier cycle Diepenbrock, dont
beaucoup d'enregistrements ont été collectés chez Etcetera au moment de
l'anniversaire, pour les 150 ans de sa naissance en 2012. Au sommet,
cet Hymne aan Rembrandt (par
Westbroek !). Diepenbrock – Anniversary Edition,
vol.4 – Westbroek, Beinum, Haitink, Spanjaard… (Etcetera 2021)
9. Le concert débute dans quelques instants. Je croise un visage connu.
« Vous savez, j'ai enfin retrouvé la trace d'une très belle symphonie
postclassique, d'un certain Jakub Goła̧bek. Je vous le recommande. »
Écoute le soir même. Énorme coup de cœur, écriture très vivante par un
ensemble sur instruments anciens très impliqué. Et couplé avec un des
miraculeux concertos pour clarinette de Karol Kurpiński, dans sa
meilleure version. Golabek, Symphonies / Kurpinski,
concerto pour clarinette – Lorenzo Coppola, Orkiestra Historyczna
(Institut Polonais)
→ Absolument décoiffant, des contrastes qui évoquent Beethoven dans une
langue classique déjà très émancipée.
10. & 11. Deux versions merveilleuses, l'une historique et l'une
moderne, les deux complètement abouties, de ce chef-d'œuvre de lyrisme
plein d'élan et de finesses – pourquoi ne joue-t-on que l'aimable Maskarade ? Je ne peux plus
m'en passer. Nielsen – Saul og David – Jensen
(Danacord) Nielsen – Saul og David – N. Järvi
(Chandos)
12. Une grande personnalité musicale découverte grâce aux judicieux
conseils de l'insatiable Mefistofele. (Ne
cherchez pas en ligne, Hyperion ne fait pas de diffusion en flux, «
gratuite » comme payante.) Cecil Coles – Fra Giacomo, 4 Verlaine,
From the Scottish Highlands, Behind the lines – Sarah Fox, Paul Whelan,
BBC Scottish O (Hyperion)
→ Belle générosité (Highlands à l'élan lyrico-rythmique réjouissant,
qui doit pas mal à Mendelssohn), remarquable éloquence verbale aussi
dans les pièces vocales. Bijoux.
13. Certes, on est en retard en Angleterre, mais en plus de ses très
beaux opéras réunissants les différents goûts européens, Macfarren a
aussi commis, au milieu du XIXe siècle, des symphonies très réussies
qui doivent beaucoup à Beethoven et Weber. Macfarren – Symphonies 4 & 7 –
Queensland PO , W.A. Albert (CPO)
→ Écriture qui doit encore beaucoup à Beethoven et Weber, d'un très
beau sens dramatique, trépidant !
→ Orchestre un peu casserole (timbres de la petite harmonie vraiment
dépareillés), mais belle écriture romantique.
En attendant que les nouveautés refleurissent après cette brève trève,
ou simplement pour vous nourrir du suc du meilleur, voilà qui devrait
vous tenir occupés jusqu'à la prochaine publication ! La suite
des anniversaires peut-être ? L'écrasante génération 1872 nous
attend !
En 2022 nous les fêterons dignement. Veuillez donc rester vivants, s'il
vous plaît.
► Extatiques d'avoir eu la
permission de recommencer (un peu) à vivre en 2021 ?
►► Préparez-vous à exploser de
bonheur : voici le programme des festivités en 2022 !
Bien plus complet que Cadences (et mieux calibré pour vos
goûts que l'Offi), voici le
glorieux agenda de Carnets sur sol
!
Il sera enrichi au fil des semaines, mais les
grandes salles et quelques chouchoutes (Athénée, conservatoires…) ont
été remplies jusqu'à la mi-mars.
Comme je suis seul à le constituer, le relevé est
bien sûr partiel et subjectif (je relève en priorité ce qui peut
m'intéresser…), mais tout de même assez vaste. De quoi vous donner, je
n'en doute pas, grands fous que vous êtes, des idées à travers tout
Paris – et quelquefois l'Île-de-France ! (Conseils randos /
patrimoine afférents sur demande.)
B. Enfant, on a tout notre temps
Les temps restant hautement incertains (on attend
dès à présent le mutant combiné avec la variole et la fièvre
hémorragique de Marburg pour relancer un peu la Saison 3), le relevé
s'arrête un peu avant le printemps (mais j'ai d'ores et déjà mentionné
quelques dates au delà).
Comme promis, je reviens sur le format simplifié :
je le trouve beaucoup plus commode, infiniment plus rapide (d'un
facteur 3 à vue de nez…), on voit plus facilement jour par jour, et à
charge ensuite à chacun de reporter dans son agenda personnel le
concert pour telle date donnée. Il me permet aussi de le remplir tandis
que je fais mes 3 à 6 heures de transports quotidiens, contrairement au
format tableau, très fastidieux à manipuler sur téléphone.
Mais je suis bien sûr preneur de retours, s'il y a
des choses à ajuster ou des besoins à satisfaire. (Ou simplement des
lauriers à jeter !)
Le contenu sera progressivement complété au fil des
prochaines semaines.
La salle Jehan Alain du CRR de
Paris, très bien représenté dans cette livraison.
C. Gratuit comme le
soleil, l'amour, l'amitié
Cette fois-ci, j'ai donc court-circuité la
hiérarchie des salles pour relever en priorité le plus intéressant :
les programmes des conservatoires, qui disposent d'avantages multiples
comme la gratuité, l'engagement des interprètes et surtout
l'originalité des répertoires. Le CRR de Paris, en particulier, fait
vraiment l'effort, sous l'impulsion de ses professeurs, de documenter
des pans entiers du répertoire français – de violon avec Stéphanie
Moraly, de tragédie en musique et opéra comique avec Stéphane Fuget /
Lisandro Nesis / Isabelle Poulenard / Howard Crook, de mélodie avec
Philippe Biros, de musique de chambre avec Philippe Ferro, Marie-France
Giret, Pascal Le Corre et Pascal Proust… et quelquefois même de la
symphonie, avec cette saison Gaubert, Ibert, Murail…
Quant au CNSM, c'est la garantie d'un niveau
équivalent à celui que l'on entend dans les grandes salles parisiennes.
Gratuitement. Depuis le premier rang. Dans des répertoires qu'on
n'entend pas d'habitude.
Les conservatoires d'arrondissement ou des communes
franciliennes (Versailles, Cergy, Pantin, Saint-Maur, Choisy,
Palaiseau…) méritent aussi la surveillance, de belles choses inédites
s'y passent régulièrement. Le plus difficile est d'être suffisamment
vigilant pour tout surveiller.
(Et, souvent, des soirées plus marquantes que ce
qu'on peut vivre au fond d'une grande salle avec des interprètes pour
qui ce type de concert représente une forme d'habitude, et dans un
répertoire que nous connaissons déjà tous par cœur.)
Si les caractères accentués sont déformés, n'hésitez pas à le
télécharger et à l'ouvrir dans un bloc-note ou éditeur de texte. (Et à
le signaler si le problème persiste.)
Je mets aussi le contenu en fin de notule, pour ceux qui
rencontreraient des difficultés de ce genre, mais il ne sera pas mis à
jour.
E. Chanter les
mêmes chansons
La signalétique reste la même que d'ordinaire :
*** capital, immanquable
** œuvre rare (et passionnante) et/ou interprétation qui fera date
* très intéressant
¤ intéressant, mais je n'ai pas prévu d'y aller (pas assez rare / trop
cher / j'aime pas les interprètes, etc.)
(( début de série
)) fin de série
AV place à vendre
? programme inconnu yy et ww sont des symboles personnels que
je n'ai pas enlevés (j'ai une place / je dois acheter une place)
Les lignes débutent soit par l'horaire, soit par un tiret, afin que
vous les repériez mieux. Le format texte rend l'ensemble moins immédiat
qu'un tableau, mais si vous regardez simplement les jours dont vous
avez besoin, c'est à mon sens encore plus pratique.
F. Le trajet
Vénus-Junon-la Terre
Comme je relève, dans l'immensité de l'offre,
essentiellement ce qui me plaît pour moi-même, je vous fournis aussi la
liste de salles dont je fais en général le tour (je ne puis le faire
pour toutes à chaque fois !) avant de publier l'agenda.
Institutions lyriques :
Opéra de Paris, Opéra-Comique, Châtelet, Athénée, Opéra Royal de
Versailles, Massy
Institutions symphoniques :
Philharmonie, Maison de la Radio, Théâtre des Champs-Élysées, Seine
Musicale, Gaveau, Invalides, Colonne, Wagram
Institutions chambristes :
Cortot, Fondation Singher-Polignac, Auditorium du Louvre, Musée
d'Orsay, La Scala Paris, Espace Bernanos, Espace Ararat (fermé pour 4
ans), Bal Blomet, Guimet (Les Pianissimes)
Conservatoires :
CNSM, CRR de Paris, PSPBB, CRR de Versailles, CRR de
Cergy, Conservatoires du XVIIIe, de Choisy-le-Roi, Pantin, Saint-Maur…
Salles qui programment quelques
opéras :
Bouffes du Nord, Marigny, BNF, Déjazet, Herblay,
Saint-Quentin-en-Yvelines
Théâtres qui programment un peu de
musique :
Théâtre Grévin, La Ferme du Buisson (Noisiel), Le Figuier Blanc
(Argenteuil)
Festivals (hors été) :
Philippe Maillard, Festival Marin Marais, Jeunes Talents (Archives
Nationales principalement), Concerts de la rue Bayard (fini), Forum
Voix Étouffées, Les Concerts de Poche, Inventio,
Les
Pianissimes (Guimet principalement), Baroque de Pontoise, Royaumont,
ProQuartet (Paris & 77)
Églises :
Église Américaine de Paris (chambre & vocal, souvent rare), The
Scots Kirk (chambre rare, fini), Saint-Merry (symphonique, chambre,
musiques du monde…), La Madeleine (concerts sacrés), Billettes,
Val-de-Grâce (concerts thématiques « patriotiques »)
Orgues :
Oratoire du Louvre (avec écran !), Saint-Eustache, La Trinité,
Saint-Louis de la Pitié-Salpêtrière, Temple de l'Étoile,
Saint-Pierre-de-Montmartre, Saint-Gervais-Saint-Protais, La Madeleine,
Saint-Sulpice, Saint-Roch, Saint-Antoine-des-Quinze-Vingts, Chapelle
Royale de Versailles, Houdan, Brunoy, Mantes-la-Jolie,
Orgue-en-France.org
Compagnies :
La Compagnie de L'Oiseleur, Les Frivolités Parisiennes, Orchestre de
Chambre de Paris, Il Festino, Ensemble Poséidon, Faenza, Les Épopées,
l'Orchestre d'Éric van Lauwe, Les Talens Lyriques, La Chanson
Perpétuelle, Les Monts du Reuil, Ensemble Athénaïs…
Artistes :
Dagmar Šašková, Jean-Sébastien Bou, Marc Mauillon, Gérard Théruel,
Claire-Élie Tenet, Sahy Ratianarinaivo, Kaëlig Boché, Trio Zeliha, Trio
Zadig, Trio Sora, Cuarteto Quiroga, Quatuor Tchalik, Quatuor Akilone,
Quatuor Hanson, Quatuor Arod, Le Consort, Patrick Cohën-Akenine, Sophie
de Bardonnèche, Héloïse Luzzati, Gary Hoffman, Célia Oneto-Bensaid…
Autres styles :
La Huchette (comédie musicale), Sunside (jazz), Duc des Lombards
(jazz), Quai Branly (musiques du monde)
Théâtre :
Comédie-Française, Odéon, Colline, Montansier, Gérard Philippe
(Saint-Denis), Les Amandiers, L'Usine, L'Apostrophe
(Rien qu'écrire la liste prend une heure… d'où la
nécessité pour moi d'alléger le processus et de n'effectuer qu'un
relevé sur un format rapide, du moins si vous voulez en profiter un peu
en amont.)
G. Tu dors, je rêve
éveillé
Pour ceux qui se demandent d'où proviennent ces titres – d'une de mes chansons
préférées. Suivez le lien.
Voici pour l'une des dernières notules industrieuses
de l'année, à l'heure où vous vous gobergez déjà – ne niez pas, on m'a
tout dit.
Profitez bien, protégez-vous, survivez, et revenez
au concert pour la seconde partie de saison. Nous serons là – si nous
avons survécu, ou si nous ne renonçons pas à revenir de notre province.
Cette huitième livraison sera aussi, selon toute vraisemblance la
dernière de l'année.
J'ai trop tardé, occupé à documenter les anniversaires (gros travail à
venir, pour l'immense génération 1872 !), à publier les nouveautés et
les écoutes. Conclusion : non seulement je les documente en décalé,
mais chaque semaine, je dois repousser la publication impossible de
l'ensemble des écoutes… La mise en forme prend trop de temps, il faudra
que j'agisse sur ce point.
Aussi, pour l'instant, à part les quelques non-nouveautés que j'ai
relevées en début de notule, je me contente dans cette livraison de
mentionner les parutions récentes.
Tout cela se trouve aisément en flux (type Deezer, gratuit sur PC ; ou
sur YouTube) et en général en disque. Il faut simplement pousser la
porte.
(Pardon, mes présentations de titres ne sont pas toutes normalisées, il
faut déjà pas mal d'heures pour mettre au propre, classer et mettre un
minimum en forme toutes ces notes d'écoutes. Il s'agit vraiment de
données brutes, qui prennent déjà quelques heures à vérifier,
réorganiser et remettre en forme.)
Cycles
J'ai moins écouté de nouveautés, à force de revoir toujours passer les
mêmes œuvres, les mêmes genres musicaux… Non pas qu'il n'y ait pas
(beaucoup !) de nouveautés dignes d'intérêt, comme vous verrez, mais
considérant l'ampleur de ma consommation, aller fouiller dans le fonds
préexistant ménage davantage de satisfactions.
Plusieurs découvertes marquantes hors des publications toutes fraîches,
donc : les œuvres sacrées de (Jean) Mouton,
le luth de Robert Ballard, le
Stabat Mater de DomenicoScarlatti (l'une des rares
survivances de son œuvre hors clavier), l'orgue de Lasceux, les œuvres vocales de Cartellieri et Schürmann, le Quatuor Scientifique
de Rejcha (j'étais passé à
côté au disque, le concert m'a dessillé), les symphonies de Goła̧bek, les motets du wallon
Jean-Noël Hamal (écoute en
boucle de Miles fortis, une
bonne quizaine de fois en deux semaines…),
les quatuors de Kienzl (quel
sens simultané de la mélodie et de la structure !)…
J'ai aussi mené des cycles méthodiques de découverte : les concertos et
opéras de Dupuy le Suédois,
les poèmes symphoniques et les quatuors de Novák, Karg-Elert (ce n'est pas le plus
célèbre de son catalogue qui est le plus enthousiasmant !), tout ce
qu'on trouve de Biarent, Lipatti (ses compositions), l'orgue
intégral de Leighton, Eben (Job, bon sang !)…
Je me dis que je devrais plutôt faire tout de bon une notule par cycle,
ou reprendre le principe du disque de la semaine, pour ne pas ensevelir
mes lecteurs… et avoir du temps à consacrer à d'autres sujets.
La légende
Les vignettes sont au maximum tirées des nouveautés. Beaucoup de
merveilles réécoutées ou déjà parues n'ont ainsi pas été immédiatement
mises en avant dans la notule : référez-vous aux disques avec deux ou
trois cœurs pour remonter la trace.
(Un effort a été fait pour classer par genre et époque, en principe
vous devriez pouvoir trouver votre compte dans vos genres de
prédilection.)
J'indique par (nouveauté) ou (réédition)
les enregistrements parus ces dernières semaines (voire, si j'ai un peu
de retard, ces derniers mois).
♥ : réussi !
♥♥ : jalon considérable.
♥♥♥ : écoute capitale.
¤ : pas convaincu du tout.
(Les disques sans indication particulière sont à mon sens de très bons
disques, simplement pas nécessairement prioritaires au sein de la
profusion de l'offre.)
Le tout est classé par genre, puis par ordre chronologique très
approximatif (tantôt la génération des compositeurs, tantôt la
composition des œuvres, quelquefois les groupes nationaux…) au sein de
chaque catégorie, pour ménager une sorte de progression tout de même.
A. Opéra
Beaucoup de titres, et quelques révolutions dans l'interprétation de
l'opéra italien.
nouveautés
Rossi
– Ézéchias (YT)
→ Cantate, rare évocation directe du règne d'Ézéchias, auquel on vient
de consacrer une notule. Et une cantate plutôt bien écrite. (Pas sûr de
recommander la version, qui sonne un peu comme la Foire au chapon.)
♥ Rameau
– Platée – Beekman, Auvity, Mauillon ; Les Arts
Florissants, Christie (HM 2021)
→ Belle version qui privilégié souvent le ton élégiaque sur la couleur
– pas nécessairement mon Rameau, et pas très bien capté (on entend
vraiment la sècheresse du théâtre, le changement d'emplacement des
comédies), ce n'est pas une révélation par rapport à l'histoire récente
de l'interprétation de l'œuvre.
→ En revanche la distribution époustoufle : Auvity, Beekman et
Mauillon, stupéfiants de projection naturelle en salle, et monstres
d'abattage !
→ Parution en somme bienvenue, considérant que la plupart des versions
marquantes ont été vidéodiffusées (et pas toujours en DVD).
♥♥ Rameau – Acanthe & Céphise –
Devieilhe, Wanroij, Dubois, Witczak ; Les Ambassadeurs & La
Grande Écurie, Kossenko
→ Incroyable ouverture, d'une profusion assez folle, réellement un
inédit et un inouï. L'intrigue est par ailleurs plus sympathique que la
plupart des galanteries du genre, avec quelques moments un peu plus
typés tragédie en musique, et le chœur final est magnifique. Le reste
demeure dans les étiages habituel des joliesses ramistes. (Orchestre
magnifique.)
Beck– L'Île déserte – (CPO 2021)
→ Diction difficile à suivre, style instrumental peu français (dans la
conception et surtout l'exécution) ; musique de Beck comme souvent
assez peu marquante : essai méritoire de redonner vie à cette figure de
la vie musicale bordelaise (que je n'ai jamais beaucoup admiré
jusqu'ici), mais pas un disque bouleversant.
♥♥♥ Mozart – Mitridate –
Spyres, Fuchs, Dreisig, Bénos, Devieilhe, Dubois ; Les Musiciens
du Louvre, Minkowski (Erato
2021)
→ Cet enregistrement ébouriffe complètement ! Distribution
exceptionnelle – en particulier Bénos, mais les autres ne sont pas en
reste ! – et surtout orchestre totalement haletant, le résultat
ressemble plus aux Danaïdes qu'à un seria de jeunesse de Mozart !
→ Bissé.
Mayr – L'amor conjugale – Santon,
Pérez, Agudelo, Rimondi, Gourdy, Fournaison – Opera Fuoco, David Stern
(Aparté 2021)
→ La portée du projet m'a échappé : un opéra bouffe du
rang, sans grandes saillances, interprété par d'excellents chanteurs un
peu hors de leur zone de confort (Santon, très grande musicienne, mais
pour du joli dans ce genre, la voix est vraiment trop large, grise et
vibrée ; Gourdy et Fournaison, chanteurs que j'adore en salle,
mais peu flattés par les micros), et présentés sur une pochette
Mondrian (mais pourquoi donc ?).
→ Au demeurant, Opera Fuoco est toujours épatant, vivant, coloré… (Mais
pourquoi jouer ceci plutôt qu'autre chose ?)
→ Il y a eu des représentations de lancement, auxquelles je n'ai pu me
rendre, peut-être des reprises à venir, à essayer pour tester sur
pièce, dans une véritable configuration dramatique ?
♥♥♥ Bellini – Il Pirata – Rebeka,
Camarena, Vassallo ; Opéra de Catane, Carminati (Prima Classics)
→ Disque électrisant, capté avec les équilibres parfaits d'un studio
(ça existe, une prise de studio pour Prima Classics ?), dirigé avec
beaucoup de vivacité et de franchise (Carminati est manifestement
marqué par les expérimentations des chefs
« musicologiques »), et magnifiquement chanté par une
distribution constituée des meilleurs titulaires actuels de rôles
belcantistes, grandes voix singulières et bien faites, artistes rompus
au style et particulièrement expressifs.
→ Dans ces conditions, on peut réévaluer l'œuvre, qui n'est pas
seulement un réservoir à airs languides sur arpèges d'accords parfaits
aux cordes, mais contient aussi de superbes ensembles et de véritables
élans dramatiques dont la vigueur évoque le final du II de Norma (par
exemple « Parti alfine, il tempo vola »).
Moniuszko – Le Manoir hanté
– Poznan (Operavision 2021)
→ L'œuvre, pourtant emblématique, ne m'a jamais convaincu, ni
dramatiquement (que c'est lourdaud, ce passage obligé par tous les
invariants des opéras comiques d'Auber…), ni musicalement (vraiment
plat à mon sens). Halka
mérite plus de considération, malgré le livret pesantissime (très
triste et difficile à endurer aujourd'hui), et surtout ses très belles
cantates, chroniquées cette année dans le cadre des nouveautés.
Franck – Hulda –
Philharmonique de Fribourg, Bollon (Naxos 2021)
→ Enfin une intégrale de l'œuvre ! Je l'attendais depuis
longtemps, bien que la lecture (rapide) de la partition ne m'ait pas
révélé de merveilles cachées (que c'est consonant pour du Franck !).
→ Intégrale hélas servie par des chanteuses aux voix opaques et
trémulantes – et à l'accent impossible. Le ténor et le baryton sont
tout à fait bons.
→ Toujours l'énergie, le relief et la transparence exemplaires de
Fabrice Bollon avec Fribourg, qu'on avait tant admiré pour ses Magnard.
→ L'œuvre n'est pas du grand Franck : orchestre opaque, mélodies
peu marquantes, bien moindre audace harmonique qu'à son ordinaire,
comme s'il se coulait de façon malaisée à la fois dans la simplicité de
l'opéra et le modèle monumental de l'opéra postwagnérien.
→ Son sens dramatique est par ailleurs remarquablement
inhibé (alors que le livret est plutôt exubérant, à la façon de La
Tour de Nesle de Dumas !) : lors de l'assassinat terrible qui
marque le point culminant de l'œuvre, la musique ne signale rien, même
pas un silence. Au disque, on ne s'aperçoit de l'événement que parce
que les personnages le disent. La musique ne s'est pas agitée d'un
pouce.
→ Bientôt donné dans de bien meilleures conditions par Bru Zane. Mais
l'œuvre est longue et pas nécessairement convaincante : je suis curieux
du résultat.
♥♥ Smareglia – Il Vassallo di Szigeth –
Cerutti (Bongiovanni 2021)
→ Très proche de l'esprit de Verdi, et très bien écrit. (Avec un
décalage temporel très conséquent : né en 1854 !). L'interprétation
n'est pas parfaite, comme toujours chez Bongiovanni, mais on les
remercie de documenter ces pans si mal servis de la musique vocale
italienne (leur grand cycle Perosi !).
♥ Guiraud, Saint-Saëns & Dukas –
Frédégonde – Kim, Sohn, Romanovsky, Opéra de Dortmund (vidéo
officielle 2021)
→ Ouvrage collectif achevé par Saint-Saëns à la mort de Guiraud,
conformément aux dernières volontés de celui-ci, et en partie orchestré
par le jeune Dukas, une histoire terrible de reine mérovingienne.
→ En lisant / jouant la partition il y a quelques années, j'avais été
saisi par l'intérêt de la chose… mais l'orchestration en semble assez
opaque, et chanté dans un français aussi incompréhensible et des voix
aussi opaques, on passe vraiment à côté. J'attends impatiemment la
venue à Tours dans une distribution francophone !
♥ Puccini-Matuz – acte II de Turandot,
pour 2 flûtes, violon, violoncelle, piano – Gergely Matuz & Friends
(YT 2021)
→ Ce n'est pas un disque, mais une nouvelle parution tout de même, très
attendue, le nouvel enregistrement d'un acte intégral d'opéra par
Gergely Matuz (qui a déjà publié le I de Tristan, les II & III du Crépuscule !).
→ Moins de transcriptions des lignes vocales que pour Tristan ou le
Crépuscule. Le piano aussi, produit un effet moins chambriste que la
version 2 flûtes + quatuor + contrebasse. Pour finir la matière
musicale, riche mais très tournée vers le pittoresque simili--oriental,
est moins intéressant en tant que telle.
→ Donc une belle transcription jouée de façon enthousiaste, mais pas
prioritaire par rapport à ses autres réalisations !
♥♥♥ Hersant – Les Éclairs – Lanièce, E.
Benoit, Bouchard-Lesieur, Rougier, Heyboer ; Aedes, Philharmonique de
Radio-France, Matiakh (Operavision 2021)
→ Une création mondiale et diable de chef-d'œuvre. J'en dis plus par là.
♥ Monteverdi – Il Ritorno d'Ulisse in
patria – Zanasi, Richardot ; Gardiner (SDG 2018)
♥♥ LULLY
– Alceste, actes I & II – Malgoire (Auvidis, réédition Naïve) → La focalisation de la voix de Sophie Marin-Degor est
miraculeuse ! ♥♥♥ LULLY – Alceste, actes I
& II – Rousset (Aparté) → Un des meilleurs disques de tragédie en musique, œuvre comme
exécution. ♥♥♥ LULLY – Isis, acte
IV – Rousset (Aparté)
♥ Campra – Tancrède –
Schneebeli (Alpha) → Déçu par l'interprétation à la réécoute, vraiment sage et même
un peu terne. (Malgoire c'était bien mieux, malgré le vieillissement du
style !) ♥ Marais – Alcione (Prologue,
acte I) – Minkowski (Erato) Les voix, c'est un peu le musée des horreurs… Ce Minko-là,
contrairement par exemple à son Phaëton,
a pas mal vieilli – tandis que l'Alcione
de Savall est au contrairement un accomplissement stupéfiant.
Georg Caspar Schürmann – Die getreue Alceste – Zumsande,
Karnīte, Müller, Harari, Ludwig, Drosdziok, Grobe, Heinemeyer,
Barockwerk Hamburg, Hochman (CPO)
→ Du seria écrit comme de la cantate sacrée à l'Allemande, avec
quelques chœurs à la française. Agréable.
♥ Grétry - Richard Coeur de Lion,
acte I - Doneux
→
Il faut écouter le disque de Versailles pour bien se rendre compte de
la qualité (épatante) de l'œuvre, ici c'est un peu malaisé.
Mozart – Il re pastore –
Harnoncourt
→ Pas passionnant ça.
Mozart – Lucio Silla –
Harnoncourt
→ Comme à chaque fois : belles intuitions mélodiques, mais que c'est
ennuyeux tout de même, sur la longueur. Et Harnoncourt, aux phrasés
courts, manque un peu de couleurs et de « reprise »
dramatique. On attend toujours une version émérite comme le Mitridate
de Minkowski (ou même de Rousset).
→ Même vocalement, je trouve que ces voix assez opaques, un peu
geignardes, ne font qu'accentuer l'impatience de l'auditeur que je
suis.
→ (Ce reste néanmoins probablement, vu l'état sinistré de la
discographie, le meilleur disque qu'on puisse trouver pour cet opéra…)
♥♥ Mozart – Der Schauspieldirektor
– Harnoncourt
♥♥
Mozart – Thamos – Harnoncourt
¤ Beethoven – Fidelio, « Mir ist
so wunderbar », « Das Gold » – Klemperer
→ Réécouté pour donner tort à un ami qui en disait le plus grand bien.
Effectivement, le soleil s'est couché avant qu'on atteigne le second
accord. (Et ce n'est même pas de la lenteur intense ou détaillée…)
♥♥♥ Beethoven – Fidelio –
Altmeyer, Jerusalem, Nimsgern, Adam ; GdHsLeipzig, Masur (Sony) → Quel orchestre rond et savoureux à la fois ! Quelle
distribution de feu ! (Jerusalem plane sur le rôle, Adam rayonne
comme
toujours dans les rôles de basse, et les seconds rôles sont fabuleux.)
♥♥♥ Beethoven – Fidelio, « Mir
ist so wunderbar » – Marzelline (Lucia Popp),
Leonore (Gundula Janowitz), Rocco (Manfred Jungwirth) & Jaquino
(Adolf Dallapozza). Leonard Bernstein
conducting the Chor und Orchester der Wiener Staatsoper, 1978
(DVD DGG 1978)
♥ Beethoven – Fidelio, final du I –
Marie McLaughlin, Gabriela Benačková, Neill Archer, Josef Protschka,
Monte Pederson, Robert Lloyd ; ROH, von Dohnányi (DVD Arthaus 1991)
→ Il existe deux Fidelio de Dohnányi dans le commerce ! Le CD avec
Ziesak-Schnaut-Protschka-Welker-Rydl (qui fait vraiment envie), et le
DVD de la même année, avec
McLaughlin-Benačková-Protschka-Pederson-Lloyd.
→ Le CD est depuis longtemps difficile à trouver, hélas (du moins en
flux) : je n'ai pas pu essayer – alors que Ziesak, comment rêver mieux
ici ?
→ Le DVD est très bien, même si Dohnányi n'y est pas dans ses soirs les
plus colorés / mordants. Lloyd est un peu impavide, mais Benačková
tient très bien sa partie, et Pederson est absolument terrifiant –
l'insolence vocale mais aussi la posture en scène, jeune, arrogant,
cruel.
E.T.A. Hoffmann – Dirna –
German ChbAc Neuss, Goritzki (CPO)
→ Mélodrame orchestral à plusieurs personnages, bien fait, sans se
distinguer particulièrement.
♥ E.T.A HOFFMANN – Liebe und Eifersucht – Seller,
Simson, Specht, Martin, Wincent, Ludwigsburg Castle Festival Orchestra,
Hofstetter
→ Singspiel joué avec beaucoup de vie par Hofstetter. Bonne œuvre.
♥♥ DUPUY – Ungdom Og Galskab /
Flute Concerto n°1 – Collegium Musicum de Copenhague, Schønwandt
(Dacapo 1997)
→ Sorte de singspiel suédois du romantisme encore classicisant, dans
une veine volontiers emportée et avec de très beaux ensembles, sorte
d'équivalent nordique aux opéras avec dialogues de Méhul.
→ Trissé.
♥♥ Foroni – Elisabetta, regina di
Svezia – Göteborg (Sterling)
→ Pour la notule.
→ Bissé.
OFFENBACH, J.: Grande-Duchesse de
Gerolstein – Ligot (Valentini-Terrani, Censo, Allemanno,
Orchestra Internazionale d'Italia, Villaume) – Trio de la conspiration
(Dynamic)
♥ HUMPERDINCK, E.: Hänsel und Gretel (Sung
in Italian) (Jurinac, Schwarzkopf, Streich, Panerai, Palombini,
Ronchini, Karajan)
→ Chouette version qui sonne bien en italien. Panerai y est tellement
charismatique ! (Évidemment, Scharzkopf sonne toujours aussi
bouchée et Jurinac très homogène et fondue.
♥ Stockhausen – Michaels Reise
– MusikFabrik, Rundel (Arte à Cologne)
→ (Je préfère l'acte I de ce Donnerstag
de Licht, mais c'est quand
même bien beau.)
B. Récital d'opéra
Des récitaux originals, mais aucun qui ne m'ait pleinement convaincu
par son propos ou sa réalisation.
nouveautés
Monteverdi,
landi, Belli, Telemann, Haendel – « Orpheus Uncut » – Vox
Nidrosiensis, Orkester Nord, Wåhlberg (Aparté 2021) → Objet étrange, fait de bouts d'œuvres sans être un
récital individuel. La qualité du son de l'ensemble se retrouve,
l'inventivité de Wåhlberg également, mais j'avoue ne pas avoir bien
compris le projet (je n'ai pas accès à la notice).
→ Je crois à la vérité que j'ai surtout été gêné par l'accent en
italien (l'accent bokmål de Stensvold lui procure une couleur très
singulière et touchante en allemand, mais en italien, la distance est
vraiment trop grande).
Lulier, Bononcini, Caldara… –
« Maria & Maddalena » – Francesca Aspromonte, I Barocchisti, Diego
Fasolis (PentaTone 2021)
→ Répertoire un peu tardif pour la voix d'Aspromonte, qui peut être si
expressive dans le XVIIe, mais paraît tout de suite poussée et
blanchie, aux voyelles beaucoup moins différenciées, lorsqu'il faut
donner dans un répertoire plus « vocal ». Dommage, elle
ferait fureur dans un récital Cavalli-Rossi-Legrenzi à base de grands
récits (quelle Euridice de Rossi ce fut !)…
Anna Netrebko
dans Wagner (Tannhäuser, Lohengrin, Tristan), Verdi (Don Carlo, Aida),
Tchaïkovski (Pikovaya Dama), Puccini (Butterfly), Cilea (Lecouvreur),
R. Strauss (Ariadne)… – « Amata dalle tenebre » – Scala,
Chailly (DGG 2021)
→ Récital sans aucune cohérence thématique, juste des airs que Netrebko
a peu chantés et qu'elle avait manifestement envie d'essayer. Ce n'est
pas un problèpme en soi et le résultat est fort probant, mais
l'interprétation n'est peut-être pas assez marquante pour donner envie
de réécouter.
→ La voix reste toujours aussi grande (et peu articulée),
intéressant surtimbrage grave en russe, plus étrange viscosité en
allemand…
→ Se distingue tout de même l'Isolde d'un moelleux, d'une ductilité,
d'une facilité assez extraordinaires. (Comme on a l'habitude de ne pas
y avoir des mots très détaillés, on ressent surtout les avantages ici !)
♥♥ Arne Tyrén
(basse) : Dupuy (opéra suédois), Bartolo Nozze en suédois, Rocco
Fidelio, Magnifico Cenerentola en suédois, Fille du Régiment duo
patriotique en suédois (Bluebell)
→ Voix magnifique et versions traduites éloquentes.
C. Ballet &
musiques de scène
nouveautés
AUBER,
D.-F.: Overtures, Vol. 1 - Le maçon / Leicester / Le séjour
militaire / La neige (Czech Chamber Philharmonic Orchestra, Pardubice,
D. Salvi) AUBER, D.-F.: Overtures,
Vol. 2 - Le concert à la cour / Fiorella
/
Julie / Violin Concerto (Čepická, Czech Chamber Philharmonic,
Pardubice, Salvi)
♥ AUBER, D.-F.: Overtures,
Vol. 3 - La Barcarolle / Les Chaperons Blancs
/ Lestocq / La Muette de Portici / Rêve d'Amour (Moravian Philharmonic,
Salvi)
♥♥
AUBER, D.-F.: Overtures,
Vol. 4 - Le duc d'Olonne / Fra Diavolo / Le
Philtre / Actéon / Divertissement de
Versailles (Moravian Philharmonic,
Salvi)
♥♥
AUBER, D.-F.: Overtures,
Vol. 5 - Zanetta / Zerline
(Janáček Philharmonic, Salvi)
→ Je ne suis d'ordinaire pas très enthousiaste devant les regroupements
d'ouvertures : isolées de leur contexte dramatique, assez semblables
quand on constitue des disques autour d'un même compositeur, et surtout
en général pas le meilleur de l'œuvre intégrale. Pour Auber, il en va
un peu autrement : ses ouvertures sont très bonnes, et si la forme en
est assez régulière, la typicité mélodique peut véritablement varier
assez fortement de l'une à l'autre.
→ Elles sont ici interprétées avec une bonne rigueur stylistique, sans
empâtement, et cela permet aussi de découvrir quelques pépites, comme
ce Divertissement de Versailles où l'on entend la Passacaille d'Armide
de LULLY, l'orage liminaire d'Iphigénie en Tauride ou encore « La
Victoire est à nous » de La Caravane
du Caire de Grétry ! De beaux ballets (tirés d'opéras)
dans le volume 5 : de belles pièces (légères, certes), et de belles
découvertes !
♥♥ Lord Berners – A Wedding Bouquet,
Luna Park – RTÉ, Kenneth Alwyn (Marco Polo 1996 réédité Naxos
2021)
→ Réjouissante fantaisie vocale, où s'expriment les consonances
loufoques de Berners. Réédition très bienvenue.
♥
Benda – Medea – Bosch
♥♥ Benda – Medea –
Prague ChbO, Christian Benda (Naxos)
→ Cf. notule.
D. Cantates profanes
E. Sacré
nouveautés
Tůma
– Requiem & Mirerere – Czesh Ensemble Baroque O (Supraphon
2021)
→ Pas du tout dans le goût du Brixi (adoré dans la précédente
livraison) : on est bien plus tard, au milieu du XVIIIe siècle, dans un
univers qui évoque bien pus Pergolèse. Et l'interprétation n'a pas non
plus l'acuité des meilleurs ensembles tchèques.
→ Bon disque, mais clairement pas mon univers, trop proche du seria.
♥♥♥ Jean-Noël HAMAL –
« Motets » – Scherzi Musicali, Achten (Musiques en Wallonie
2021)
→ Pour moi clairement plutôt du genre cantate.
→ Musique wallonne du milieu du XVIIIe siècle (1709-1778), très marquée
par les univers italien et allemand, pas tout à fait oratorio façon
seria ,pas tout à fait cantate luthérienne, avec de jolies tournures.
→ Côté dramatique post-gluckiste quelquefois, très réussi dans
l'ensemble sous ses diverses influences.
→ Le sommet du disque : l'air héroïque de ténor « Miles
fortis » qui clôt la cantate Astra Cœli, d'une agilité et d'une
vaillance parfaitement mozartiennes (augmentées d'une grâce mélodique
et harmonique très grétryste), et qui pénètre dans l'oreille comme un
véritable tube, ponctué par ses éclats de cor et ses violons autour de
notes-pivots…
→
Splendide interprétation des Scherzi Musicali, qui ravive de la plus
belle façon ces pages oubliées. Mañalich remarquable dans les parties
très exposées de ténor, à la fois doux, vaillant et solide.
→ Écouté 7 fois en quatre jours (pas très séduit en première écoute,
puis de plus en plus enthousiaste). Et largement une douzaine de fois
dans ces deux semaines depuis parution. Comme quoi, il faut vraiment
donner
leur chance aux compositeurs moins connus, et ne pas se contenter d'une
écoute distraite pour décréter leur inutilité.
♥ Henri HARDOUIN : Four-Part A
Cappella Masses, Vol. 2 (St. Martin's Chamber Choir, Krueger)
(Toccata Classics 2021)
→ Nettement moins bien chanté que le premier volet, je ne sais pourquoi
(ça sonne presque amateur cette fois-ci, alors que c'était très bien
dans le volume 1 de 2013, que j'ai écouté conjointement).
→ Messes a cappella rares de
la seconde moitié du XVIIIe siècles, très
dépouillées et marquant déjà le désir du retour au plain-chant qui
explose dans les années 1820-1830.
→ Belle musique dépouillée, vraiment conçues pour la prière.
♥ Verdi – Requiem – Norman, Baltsa, Carreras,
Nesterenko ; BayRSO, Muti (BR Klassik)
→ Voix évidemment impressionnantes (le grain de Baltsa, le fondu de
Norman…), mais interprétation orchestrale un peu blanche (le son de la
Radio Bavaroise…) accentuée par la mollesse d'articulation de Muti,
typique de sa période d'avant les années 90 bien avancées…
→ Il demeure cependant une raison puissante d'écouter cet
enregistrement le Libera me de Norman, dans sa meilleure voix
enveloppante, d'une intensité saisissante, d'une urgence à peine
soutenable.
→ Bissé le Libera me.
♥ Stanford – « Stanford
& Howells Remebered », Magnificat
à double chœur en si bémol, Op. 164 – The Cambridge Singers,
John Rutter (Collegium 2020)
→ Voix un peu grêles d'enfants et jeunes gens, pour une œuvre dont les
volutes enthousiastes, en contraste avec des sections recueillies,
évoquent furieusement Singet dem Herrn ein neues Lied, le motet le plus
allant et pyrotechnique de Bach.
→ Curieux d'entendre cela dans de meilleures conditions sonores !
♥♥♥ MOUTON, J.: Missa Dictes moy
toutes voz pensées (Tallis Scholars, Phillips)
→ Fabuleux disque, très organique, des Tallis Scholars (Gimell 2012),
très loin de leurs approches autrefois plus désincarnées – basses
rugissantes, contre-ténors caressants, entrées nettes, texte bien mis
en valeur.
→ Cf. notule.
♥♥ Claude Goudimel – Psaumes, Messe
– Ensemble vocal de Lausanne, Corboz (Erato)
→ Grand compositeur de Psaumes dans leur traduction française, à
l'intention des Réformés. Dans une langue musicale simple, plutôt
homorythmique, très dépouillée et poétique.
→ Au disque, une version un peu fruste chez Naxos. La lecture de Corboz
en revanche, pour chœur de chambre assez fourni, a très bien résisté au
temps et permet de saisir les beautés de verbe et d'harmonie de la
chose. (Couplé avec sa messe, très intéressante également.)
→ Cf. notule.
♥ Monteverdi – Il Ritorno d'Ulisse in
patria – Zanasi, Richardot ; Gardiner (SDG 2018)
BENEVOLI, O.: In angusita pestilentiae
(Cappella Musicale di Santa Maria in Campitelli di Roma, Betta)
→ Disque consacré à la Messe « In angusita pestilentiæ » (messe des
tourments de la peste !), intéressant dans son propos, mais un peu
laborieusement exécutée (voix pas toujours belles, captation pas très
claire, rythmes très rectilignes comme si l'on jouait de la musique du
XVe…).
♥
Johann Ernst BACH II : Passionsoratorium – Schlik,
Prégardien, Varcoe ; Das Kleine Concert, Hermann Max (Capriccio)
♥♥♥ Jean GILLES – Requiem –
Mellon, Crook, Lamy, Kooij, La Chapelle Royale Choir, Herreweghe (HM)
♥♥ Campa – Requiem – Malgoire
♥
Georg Caspar Schürmann – Cantates
– Bremen Weser-Renaissance, Cordes (CPO)
→ Dans le goût de Bach, assez réussi.
♥
Bach – Cantate BWV 68, dont le
« choral » air Ach, bleib bei uns, Herr Jesu Christ –
Schlick, Limoges, Coin
→ Dans l'esprit de l'Erfühllet de la BWV, cette fois avec violoncelle
piccolo. Très belle volutes.
→ Le reste de la cantate me passionne moins
♥♥ (Domenico) Scarlatti –
Stabat Mater – Immortal Bach Ensemble; Baunkilde, Lars; Ducker,
Michael; Meyer, Leif; Schuldt-Jensen, Morten (Naxos 2007)
→ Écrite à 10 voix réelles, une merveille aussi éloignée que possible
de l'épure de ses œuvres pour clavier. Une des rares survivances de son
legs sacré (largement détruit lors du tremblement de terre de
Lisbonne).
→ À un par partie !
♥
Haendel – Theodora HWV 68 –
Gabrieli Consort, Gabrieli Players, Paul McCreesh (Archiv)
→ Très bien côté exécution, mais l'oeuvre toujours aussi molle et peu
prenante.
♥ HARDOUIN, H.: Four-Part A Cappella
Masses, Vol. 1 (St. Martin's Chamber Choir, Krueger) (Toccata
Classics 2021)
→ Nettement mieux chanté que le second volet paru tout récemment, je ne
sais pourquoi.
→ Messes a cappella rares de
la seconde moitié du XVIIIe siècles, très dépouillées et marquant déjà
le désir du retour au plain-chant qui explose dans les années
1820-1830.
→ Belle musique dépouillée, vraiment conçues pour la prière.
♥ CARTELLIERI, A.C.: La Celebre
Natività del Redentore (Spering) (Capriccio)
♥♥ Cartellieri – Gioas, re di Giuda
– Detmolder ChbO, Gernot Schmalfuss (MDG 1997)
→ Cf. notule.
♥ Perne – Messe des solennels mineurs
(Kyrie), extrait de « Polyphonies Oubliées : Faux-bourdons
XVIe-XIXe » – Ensemble Gilles Binchois, Maîtrise de Toulouse,
Vellard (Aparté 2014)
♥♥ Perne – trois pistes
réparties sur deux disques, le Kyrie de la Messe des solennels mineurs
chez Aparté (programme passionnant de l'ensemble Gilles Binchois
consacré à ce renouveau XIXe du plain-chant, à faux-bourdon), et
Sanctus & Agnus Dei (messe non précisée) en complément du disque
Boëly de Ménissier dans la collection « Tempéraments » de Radio-France.
On y entend pour l'un la simplicité archaïsante, pour l'autre la
maîtrise contrapuntique de cette écriture. Rien de particulièrement
saillant en soi, mais la démarche me paraît tout à fait fascinante, un
écho à l'épopée de Félix Danjou – le disque de Ménissier est d'ailleurs
le seul à ma connaissance où l'on puisse aussi entendre sa musique !
♥♥ Liszt – Requiem –
Ferencsik (Hungaroton)
→ Cf. notule.
Liszt - Requiem R488 – Gruppo
Polifonico "Claudio Monteverdi"
→ Voix qui flageolent…
♥♥ Stanford – Requiem & extraits de
The Veiled Prophet of Khorassan – RTÉ, Leaper & Colman Pearce
(Marco Polo 1997)
→ Terne jusqu'à l'Offertoire, qui éclate en fugues très parentes du
Deutsches Requiem de Brahms. Sanctus diaphane qui prend son expansion
de façon très réussi !
♥♥♥ Howells, Pizzetti, Puccini – les
Requiem – Camerata Vocale Freiburg, Toll (Ars Musici 2010)
→ A cappella, aux inspirations grégoriennes, à la prévalence prosodique
et aux nombreux enrichissements harmoniques imprévus, le Requiem de
Pizzetti est un petit bijou (absolument pas italianisant) ; encore
surpassé dans ce genre par celui de Howells, d'une sobre profusion
absolument délectable.
→ Celui de Puccini ne contient que les cinq minutes d'Introitus, moins
marquant.
→ Timbres et incarnation splendides.
♥ EBEN, P.: Choral Music (In
Heaven) (Jitro Czech Girls Choir, Skopal) (Navona Records 2019)
→ Jolies psalmodies.
F. Autres chœurs
nouveautés
♥♥ Franck – Chœurs « De l'autel au
salon » – Chœur de Chambre de Namur, Lenaerts (Musiques en
Wallonie 2021)
→ De réelles pépites dans cette anthologie, avec des chœurs qui vont du
décoratif charmant à l'ambitieux chromatique. Le tout accompagné sur
piano et harmonium – d'époque !
→ Hélas, ce chœur émérite est capté étrangement, donnant presque
l'impression d'entendre les timbres un peu dépareillés et écrasés d'un
ensemble amateur – alors que je sais de source sûre, les ayant entendus
très souvent, que c'est un des excellents chœurs de l'aire francophone.
Ce n'est toutefois pas au point de gâcher l'écoute et la découverte,
loin s'en faut !
♥ Pizzetti – 3 composizioni corali +
2 composizioni corali – Chœur de la Radio Nationale Danoise,
Stefan Parkman (Chandos 1991)
→ Chœur un peu baveux, prise de son aussi. Œuvres atypiques
intéressantes, mais pas du tout la même intensité que le Requiem (a
cappella, aux inspirations grégoriennes, à la prévalence prosodique et
aux nombreux enrichissements harmoniques imprévus).
G. Symphonies
nouveautés
♥♥ Pavel Vranický / Paul Wranitzky
– Orchestral Works, Vol. 3 :
Ouvertures, Symphonies Op.25 en ré « La Chasse » et Op.33 en
ut – Cz Chb PO Pardubice, Marek Stilec (Naxos 2021)
→ Volume beaucoup plus accompli que les précédents, des œuvres plus
marquantes (l'énergie de la Symphonie en ré !) et une
interprétation beaucoup plus concernée et frémissante que les assez
placides parutions précédentes. Rend bien mieux compte de la qualité
d'écriture de P. Vranický, même si le plus singulier de son œuvre reste
à remettre au théâtre avec son Oberon.
♥♥♥ Mendelssohn – Symphonies 1 & 3
– SwChbO, Dausgaard (BIS)
→ Pas nécessairement de surprise, après être passé récemment entre les
mains de beaucoup de propositions extrêmes (comme Heras-Casado ou Fey),
mais on retrouve le fouetté et le moelleux simultanés qui faisaient
tout le sel de l'intégrale (assez idéale) de Dausgaard chez Beethoven,
avec le même orchestre. Grand sens du discours, des couleurs, véritable
mordant, mais aussi plénitude permise par l'orchestre traditionnel (qui
joue comme un ensemble spécialiste). Le meilleur de tous les mondes à
la fois.
♥ Bruckner – Symphonie n°2 –
Philharmonique de Berlin, Paavo Järvi (Berliner Philharmoniker 2021)
→ Comme on pouvait s'y attendre : très fluide, superbes
transitions remarquablement amenées dans un univers où ce peut paraître
assez contre-intuitif, mais un certain manque de contrastes à mon goût
pour soutenir pleinement l'attention (et rendre justice à l'écriture de
Bruckner).
♥♥ Tchaïkovski – Symphonie n°1,
Capriccio italien, Valse d'Onéguine – Tonhalle Zürich, Paavo Järvi (Alpha 2021)
→ Très pudique, retenu et dépouillé, beaucoup de charme (et absolument
pas russe), paradoxalement. (Le solo de hautbois du II, au lieu de
décoller par son lyrisme, semble rester à sa place comme on murmurerait
un poème.
→ L'agogique est vraiment carrée pour de la musique russe (alors que
Järvi est d'ordinaire l'empereur des transitions extensibles), les
timbres restent très tenus aussi, mais la conception tient très bien ce
parti pris inattendu.
→ Le final renoue avec les qualités motoriques entendues dans la n°2 et
dans Roméo. Idem pour celui du Capriccio italien.
→ La Valse d'Onéguine est jouée avec une insolence inusitée, comme un
véritable morceau de concert. (Ce sens dramatique fait rêver à ce que
pourrait produire Järvi en dirigeant un opéra de Tchaïkovski ou Rimski…)
→ Bissé.
♥ Tchaïkovski – Symphonie n°3,
Polonaise d'Onéguine, Marche du Couronnement – Tonhalle Zürich,
Paavo Järvi (Alpha 2021)
→ Là aussi, un peu carré mais bel éclat (avec un orchestre droit et peu
coloré), très réussi dans son genre même si moins grisant que les
meilleurs volumes.
→ Bissé.
♥♥♥ Saint-Saëns – Intégrale des
Symphonies – O National de France, Macelaru (Warner 2021)
→ Après avoir trouvé que Măcelaru rendait ces œuvres complètement
fascinantes, je me demandais si le coffret paru ce jour tiendrait la
rampe en face des souvenirs de concert.
→ OUI. Totalement. Limpidité, poésie, tension, on a vraiment le
meilleur de tous les mondes à la fois, beaux timbres et clarté,
charpente et élan…
→ Voilà qui remet ces symphonies à leur niveau réel, pas toujours
avisément orchestrées pour mettre en valeur un matériau qui est en
réalité de haute volée – et Măcelaru rééquilibre précisément les
aspects par lesquels les autres, même les meilleurs comme Martinon,
restaient modérément enthousiasmants.
♥♥ Walton, Vaughan Williams – Symphonie n°1 pour piano à quatre mains
(arr. H. Murrill) + Crown Imperial (arr. H. Murrill)
// Suite pour piano à 4 mains – Lynn Arnold (2021)
→ Fabuleuse expérience de vivre la radiographie des rythmes et
harmonies riches et complexes de l'une des plus belles symphonies du
XXe siècle !
♥ Florence PRICE :
Symphony No. 3 / The Mississippi River / Ethiopia's Shadow in
America (ORF Vienna Radio Symphony, Jeter)
Beaucoup de thèmes folkloriques, mais j'ai davantage été frappé par
l'aspect rhapsodique de la pensée que par la structure, cette fois.
Moins luxueux et moins architecturé, j'ai l'impression, que la version
Nézet-Séguin.
Walter Werzowa-Beethoven –
Beethoven X : The AI Project – Cameron Carpenter, Bonn
Beethoven O, Kaftan (Modern Recordings 2021)
→ Construction par une intelligence artificielle d'un scherzo et d'un
rondeau final pour une symphonie imaginaire de Beethoven.
→ Amusant sur le principe, peu convaincant dans les faits : on
retrouve des caractéristiques (le pom-pom-pom-pom de la Cinquième,
comme il y en a beaucoup, rejaillit nécessairement dans l'algorithme),
l'orchestration est plutôt bien imitée… mais il manque toutes les
idées, les ruptures, le sens de la mélodie ou de l'événement, qui
émanent ordinairement du compositeur. Ici, une jolie pièce décorative
et finalement prévisible… qui ne cadre pas vraiment avec ce que l'on
attend de Beethoven.
→ Je n'ai pas compris l'inclusion d'un orgue concertant dans le rondeau
final, ni le pourquoi de la seconde (« edited ») version, le
livret n'étant pas disponible sur les sites de flux que j'ai consultés.
Mais on s'éloigne d'autant plus de Beethoven, clairement.
→ Bissé.
H. Poèmes
symphoniques & Ouvertures
nouveautés
♥ MacMillan – Larghetto pour orchestre
– Pittsburgh SO, Honeck (Reference Recordings 2021)
→ Très doux, jolies tensions harmoniques simples. Manque un peu de
reprise rythmique.
→ Couplé avec une Quatrième de Brahms que je n'ai pas eu le temps
d'écouter. (Mais Pittsburgh-Honeck, ce doit être vraiment excellent.)
I. Lied orchestral
nouveautés
Messiaen
– La Transfiguration, Poèmes pour mi, Chronochromie – Daviet,
BayRSO, Nagano (BR Klassik)
→ Pas très enthousiaste sur la grisaille (proverbiale à mon sens) de
l'orchestre. Et la Transfiguration, c'est assez peu passionnant. Pas
les meilleurs Poèmes ni Chronochromie non plus, même si très léché dans
la direction.
I. Concertos
nouveautés
Aubert,
Leclair, Quentin, Exaudet, Corrette - Concertos pour violon -
Ensemble Diderot, Pramsohler (Audax 2021)
→ Le son de l'Ensemble Diderot reste toujours aussi étroit et pincé,
vraiment du violon soliste sur boyau accompagné par un tout petit
ensemble aux timbres un peu stridents, mais c'est là un beau tour
d'horizon du concerto français – où j'ai hélas avant tout remarqué
Leclair (et le coucou Corrette, qui fait comme toujours son nid dans
les mélodies des autres…).
Hoffmeister, Stamitz &
Mozart - Concertos pour alto - Mate Szucs, Anima Musicæ ChbO
→ Inclut une transcription du concerto pour clarinette. Interprétation
tradi pas très exaltante. Le concerto de Hoffmeister se tient, celui de
Stamitz ne m'a pas paru très dense.
♥ PRATTÉ – Œuvres pour harpe
concertante
: Grand Concert / Theme and Variations on a Swedish Folk Tune /
Souvenir de Norvège – Constantin-Reznik, Norrköping Symphony, D. Musca
(BIS 2021)
→ Très intéressant legs (avec de la véritable musique incluse) à la
harpe.
→ Trissé.
J. Musique de chambre
nouveautés
♥♥ Caix d'Hervelois – « Dans les pas de
Marin Marais » – La Rêveuse
→ Superbe parcours qui révèle un compositeur de premier intérêt, varié
et expressif – la viole de gambe sans l'aspect méditatif et sombre qui
caractérise Marais et surtout Sainte-Colombe. Une expression plus
ouverte et avenante, que j'ai été surpris de voir développée avec un
matériau d'aussi bonne qualité !
GYROWETZ, A.: String Quartets, Op. 42, Nos. 1-3 (Quartetto
Oceano) (OMF 2021) → Ceux, composés à peine plus tôt, parus chez CPO
m'avaient bien davantage convaincu, dans une veine à-peine-postérieur-à-Mozart.
♥ Pleyel – Quatuors
10,11,12 – Pleyel Quartett Köln (CPO 2021)
→ Quatuors d'un classicisme tardif, toujours de très bonne facture et
très bien servis ! L'intégrale se poursuit au même niveau
d'excellence.
Draeseke – Quatuor n°3, Scène pour violon & piano, Suite
pour 2 violons - Constanze SQ (CPO 2021)
→ Belles œuvres, sans saillances majeures, mais bien écrites. Petite
déception par rapport au volume précédent, qui m'avait hautement
réjoui.
→ Bissé.
♥ Henri Bertini – Nonette, Grand Trio
– Linos Ensemble (CPO 2021)
→ Belle musique romantique pour ensemble, toujours impeccablement
réalisée par le Linos Ensemble.
♥♥♥ LYATOSHINSKY, SILVESTROV, POLEVA
– « Ukrainian Piano Quintets » – Pivnenko, Yaropud,
Suprun, Pogoretskyi, Starodub (Naxos 2021)
→ Trois petites merveilles – en particulier Poleva, à la fois d'une
fièvre postromantique et tout à fait tendu harmoniquement comme il se
doit se son temps. Liatochinsky se révèle contre toute attente le plus
sage des trois.
♥ KLEBANOV, D.L.: String Quartets Nos.
4 and 5 / Piano Trio No. 2 (ARC Ensemble)
→ Début du Quatuor n°4 fondé
sur le le Carol of the Bells,
dans un traitement très minimaliste et tintinnabulant (forcément), qui
débouche sur un esprit beaucoup plus swingué, très intéressant,
persuasif et séduisant. Le reste m'a moins impressionné.
→ Bissé.
K. Bois solos
L. Cordes à main
nouveautés
♥♥ Salzedo, Tchaïkovski, Hasselmans –
« La Harpe de Noël » – Xavier de Maistre
→ En réalité de belles paraphrases et variations, virtuoses et assez
denses musicalement, autour de thèmes célèbres. Pas un disque de
bluettes sirupeuses, de véritables qualités musicales indubitablement.
Beaucoup de compositions et d'arrangements de Salzedo.
M. Violon
(solo ou accompagné)
nouveautés
♥ PADEREWSKI, I.J. / STOJOWSKI, S.: Violin
Sonatas (Pławner, Sałajczyk) (CPO 2021)
→ Beau romantisme passionné et très, très bien joué et capté.
→ Bissé.
♥ Maija EINFELDE –Sonate pour violon solo , Sonates
violon-piano 1,2,3 – Magdalēna Geka, Iveta Cālīte (Skani 2021)
→ Monographie consacrée à la compositrice lettonne du XXe siècle. J'y
entends d'abord de la musique « de violoniste », virtuose et
pas exagérément personnelle, trouvé-je. Mais le final de la Sonate pour
violon solo impressionne par sa calme virtuosité et par le creusé de
son ton.
→ Geka formidable évidemment,
mais ce n'est pas le répertoire qui met le plus en valeur sa
sensibilité.
N. Violoncelle
(Pas nécessairement intuitif de prime abord : le disque
Lasceux-Jullien chez le fameux label P4Y-JQZ.
On a bien le droit de mettre les pochettes qu'on veut et de nommer son
label chacun à son goût…)
O. Orgue &
clavecin
nouveautés
Orgues
de Sicile (collection « Orgues du monde », vol. 1) –
Arnaud De Pasquale (HM 2021)
→ Orgues dont le tempérament est très typé, mais dont il faut vraiment
voir le clavier unique, étroit et branlant, pour apprécier toute la
saveur. Aussi, par rapport au disque, qui ne met pas beaucoup en avant
cet aspect (je ne sais quelle en est la raison technique), la vidéo
promotionnelle qui montre le cliquetis de la traction mécanique du
Speradeo de 1666 de l'église San Pantaleone à Alcara Li Fusi est assez incroyable.
♥♥♥ Guillaume Lasceux – Simphonie
concertante pour orgue solo – St. Lambertuskerk Helmond,
Jan van de Laar (P4Y JQZ 2020) + Jullien : suite n°5 du
livre I, Couperin fantaisie en ré, Böhm Vater unser, Jongen
Improvisation-Caprice, Franck pièce héroïque
→ Le disque contenant le plus de Gilles Jullien, et une version
extraordinairement saillante de la Pièce Héroïque de Franck.
→ Quel orgue fantastiquement savoureux !
♥♥ Bruckner – Psaume + Symphonie n°2
(Arr. E. Horn for Organ) – Hansjörg Albrecht (Oehms 2021)
→ Le Psaume se prête très bien à la transcription, magnifique, et la
Deuxième symphonie est le premier Bruckner joué par H. Albrecht où je
ne trouve pas les possibilités d'un clavier sans attaques dynamiques
différenciées, sans plans finement réglables, frustrantes. Magnifiques
couleurs et atmosphères, cela fonctionne à merveille dans cette
symphonie, celle au ton le plus insolent et l'une des structure les
plus simples du corpus, j'ai l'impression (je l'aime beaucoup).
Saint-Saëns – Complete Music for
Organ – Michele Savino (Brilliant Classics 2021)
→ À écouter d'un bloc, un peu difficile vu la pudeur du corpus. (On
connaît mieux les grandes Fantaisies, plus ambitieuses…)
♥♥ Oscar Jockel, Bruckner – Bruckner-Fenster II, Symphonie n°1
(Arr. pour orgue, Erwin Horn), 3 Pièces pour orchestre, Marche en ré
mineur – Hansjörg Albrecht (Oehms 2021)
→ Moins intéressant que la symphonie n°2, le résultat paraît plus
statique, mais le planant et dense Bruckner-Fenster m'a tout à fait
réjoui !
♥♥ Petr Eben – Anthologie
d'orgue :
4 Danses bibliques, Variations sur Le bon roi Venceslas, des extraits
de Musique dominicale, Faust et Job – Janette Fishell (Pro Organo
2020)
→ Œuvres formidables, mais pour Job,
allez impérativement voir du côté de David Titterington avec Howard Lee
en récitant (chez Multisonic).
♥♥ Petr EBEN – Momenti d'organo,
Festium omnium sacrorum, De nomine Ceciliæ, In conceptione immacaculatæ
BMV, Arie Ruth, 4 Danses bibliques –Michiko Takanashi, Ludger Lohmann
(Pan Classics 2021)
→ Les pièces vocales sacrées sont un peu figées dans leur prosodie
minutieuse, en revanche les Momenti
d'organo
sont des merveilles de tonalité stable mais très enrichie, qui n'est
pas sans parentés avec l'univers de Messiaen (en moins radicalement
autre, bien sûr).
Fanny
Mendelssohn-Hensel – Piano Sonatas – Gaia Sokoli (Piano
Classics 2021)
→ Jolies sonates équilibrées, qui ne cherchent pas les grands
contrastes dramatiques, et très bien exécutées.
Dora Pejačević – 6
Phantasiestücke, Blumenleben, Walzer-Capricen, 2 Esquisses pour
piano, 2 Nocturnes, Sonate – Ekaterina Litvintseva (Piano Classics 2021)
→ Piano postromantique assez standard, pas du tout du niveau de son
incroyable musique de chambre, même si la Sonate finit par culminer en
un beau lyrisme.
→ Interprétation et captation tout à fait valeureuses.
♥♥ Walton, Vaughan Williams – Symphonie n°1 pour piano à quatre mains
(arr. H. Murrill) + Crown Imperial (arr. H. Murrill)
// Suite pour piano à 4 mains – Lynn Arnold, Charles Matthews (Albion
Records 2021)
→ Fabuleuse expérience de vivre la radiographie des rythmes et
harmonies riches et complexes de l'une des plus belles symphonies du
XXe siècle !
Mariotte Sonate en fa#m,
(Didier) Rotella Étude en
blanc n°2, Ravel Prélude 1913, Jacquet de La Guerre Suite en ré
mineur – Andrew Zhou (Solstice 2021)
→ Première occasion d'entendre le Mariotte, crois-je, au
disque ! Pas du tout aussi singulier que les Impressions
urbaines ou même les Kakémonos, loin aussi du richardstraussisme de sa
Salomé…mais tout de même un beau postromantisme enrichi.
→ La pièce de Rotella en hommage à Ravel est très réussie. En revanche,
l'exécution de la suite pour clavecin d'ÉCJdLG souffre vraiment de
toutes les difficultés liées au piano (agréments très lourds, staccato
peu gracieux, tempérament égal particulièrement plat), sans que
l'interprète parvienne à résoudre tous ces problèmes.
→ Prise de son difficile, dans un petit espace et acide, surtout pour
le Jacquet de La Guerre et le final du Mariotte.
Q. Airs de cour,
lieder & mélodies…
nouveautés
♥♥ Bousset, Leclair, Fedeli, Naudé
l'Aîné, Pinel, Lambert, anonymes… – « Vous
avez dit Brunettes ? » – Les Kapsber'girls (Alpha
2021)
→ Programme fascinant consacré à ces pièces tendres et pastorales
appelées Brunettes, et dont plusieurs recueils ont paru au début du
XVIIIe sièce chez Christophe Ballard.
→ Refusant la prononciation restituée et favorisant au maximum le
naturel des textes, l'ensemble propose une lecture extrêmement
persuasive de ces pièces. La voix de la soprane (Alice Duport-Percier),
douce, se marie merveilleusement à l'émission beaucoup plus tranchante
de la mezzo (Axelle Verner), alliance inhabituelle (d'ordinaire
inversée) qui permet une intelligibilité maximale de la musique et du
texte – de surcroît, les solos révèlent des voix intrinsèquement
sublimes.
→ Seule frustration, la prise de son très sèche d'Alpha, trop proche
des chanteuses, qui relègue et écrase l'accompagnement, toutc en
atténuant le fondu de leurs voix qui fait merveille en concert (j'étais
à celui de lancement Salle Colonne, l'équilibre était bien meilleur
même sans être au premier rang).
♥ Beethoven – Irish Songs –
Maria Keohane, Ricercar Consort, Philippe Pierlot (Mirare 2021)
→ Accompagnées à la harpe plutôt qu’au piano, avec violon sur boyaux,
interprétation atypique de ces beaux chants traditionnels arrangés par
Beethoven.
♥♥ Schubert – Die schöne Müllerin
– Andrè Schuen, Daniel Heide (DGG 2021)
→ Très belle version. Des efforts pour être expressifs à tous les
moments-clefs ; qualité d'articulation de la part des deux
artistes. J'aime beaucoup la façon dont ils caractérisent précisément
chaque moment de chaque lied.
→ Mais tout de même deux réserves pour ma part.
a) la transposition pour baryton
rend la partie de piano un peu épaisse et poisseuse, on perd un peu en
charme, malgré le grand soin des nuances ;
b) la substance de la voix du baryton. Dès que c'est fort, la
l'instrument est poussé, et la couverture est exagérée (de francs [eu]
pour des [è]...). En revanche toutes les nuances douces sont absolument
merveilleuses, pour ainsi dire inégalée.
→ Ce n'est pas la lecture que je trouve la plus personnelle ou qui me
touche le plus, il y a potentiellement de petites réserves techniques
sur la voix, mais sur le plan artistique, l'interêt de
l'interprétation, une grande version !
♥♥ Thorsteinson, Schumann – Lieder
(en islandais + Op.39) – Andri Björn Róbertsson, Ástríður Alda
Sigurðardóttir (Fuga Libera 2021)
→ Remarquable interprétation de Schumann, une voix aux belles moirures
graves. Les lieder islandais souffrent de la comparaison avec Schumann
(plus jolis que dramatiques, un peu lisses), possiblement aussi de ma
maîtrise linguistique bien moindre.
♥ Edouard Lassen – Lieder, mélodies
– Reinoud van Mechelen, Anthony Romaniuk (Musiques en Wallonie 2021)
→ Un grand succès de son temps. Très doux, très simple, très réussi. Et
le fondu de la voix de Mechelen se déploie idéalement dans ce contexte
romantique.
♥♥♥ Biarent, Salvador-Daniel,
Fourdrain, Berlioz, Gounod, Bizet, Saint-Saëns, Chausson –
mélodies orientales « La chanson du vent » – Clotilde van
Dieren, Katsura Mizumoto (Cyprès 2021)
→ Plusieurs véritables raretés dont les 8 Mélodies de Biarent, Alger le soir de Félix Fourdrain
ou l'entêtante Chanson mauresque de
Tunis de Francisco Salvador-Daniel ! Belle sélection de
pièces très persuasives.
→ Interprétation par un mezzo capiteux mais à la diction précise, la
voix sonne très « opéra » mais se coule remarquablement dans les
exigences de l'exercice.
♥♥ Debussy, Rihm, Strauss, Schönberg –
Ariettes oubliées (+ mélodies de jeunesse), 3 Hölderlin, Mädchenblumen,
Op.2 – Sheva Tehoval, Daniel
Heide (Cavi 2021)
→ Superbe voix, légèrement pincée, à l'aigu facile, aux graces clairs
et naturels, le tout dans un français impeccable.
♥♥ Schumann, Barber – Schöne Wiege
meiner Leiden, I Hear an Army – John Chest, Hans Adolfsen
(VocalCompetition YT, 2016)
♥♥ FARWELL, A.: Songs, Choral and
Piano Works (« America's Neglected Composer) (W. Sharp, Arciuli,
Dakota String Quartet)
→ Compositeur nord-américain qui a mis à l'honneur la musique
traditionnelle amérindienne en en insérant des thèmes arrangés dans sa
musique. D'après la notice, il souffre aujourd'hui des
thématiques débattues autour de l'appropriation
culturelle pour être remis à l'honneur.
Il est vrai que sa musique est de grand intérêt, conçues avec un très
beau métier et une belle inspiration personnelle ; vu son peu de
notoriété initial, la plus grande difficulté réside sans doute d'abord
là.
Je crois que vous avez là encore de quoi vous laisser surprendre… en
attendant d'éventuelles présentation de cycles hors nouveautés, avec
des exploration encore plus enthousiasmantes ! (En ce moment
même, Alfvén 2 par Svetlanov et la Radio Suédoise, quelle Épiphanie !)
À très bientôt pour de nouvelles aventures autour des anniversaires,
d'éditoriaux, de suggestions de découvertes ou de petites découvertes «
pédagogiques »… ce n'est pas sûr encore !
Destruction par Ézéchias des idoles assyriennes adoptées par son
père.
(Gravure servant à illustrer une traduction & paraphrase biblique, L'histoire du Vieux et du Nouveau Testament,
représentée avec des figures et des explications, la
fameuse « Bible de Sacy », « Bible de Port-Royal », « Bible de
Royaumont ». Ici, édition de 1770, soit 99 ans après la première
publication. Gravure probablement de Matthäus Merian.)
Retrouvez les précédents épisodes (pour l'instant, deux notules sur la
figure de Caïn jusqu'au XIXe siècle) dans le chapitre de la série.
Je rappelle tout d'abord le principe de cette série, débutée avec cette
année 2021.
L'idée de départ : proposer une découverte de la Bible à travers ses
mises en musique. Le but ultime (possiblement inaccessible) serait de
couvrir l'ensemble des épisodes ou poèmes bibliques jamais mis en
musique. Il ne serait évidemment pas envisageable d'inclure l'ensemble
des œuvres écrites pour un épisode donné, mais plutôt de proposer un
parcours varié stylistiquement qui permette d'approcher ce corpus par
le biais musical – et éventuellement de s'interroger sur ce que cela
altère du rapport à l'original.
Quelques avantages :
♦ incarner certains textes ou poèmes
un peu arides en les ancrant dans la musique (ce qui devrait satisfaire
le lobby chrétien) ;
♦ observer différentes approches possibles de cette matière-première
(pour les musiqueux).
Sur ce second point, beaucoup peut être appris :
D'une part le nécessaire
équilibreentre
♦ le langage
musical du temps,
♦
les formes liturgiques décidées
par les autorités religieuses,
♦
la nature même de l'épisode narré.
Sur certains épisodes qui ont traversé les périodes (« Tristis est
anima mea » !), il y aurait tant à dire sur l'évolution des usages
formels…
D'autre part le positionnement plus
ou moins distant du culte religieux :
niveau 1 → utilisé pour toutes les célébrations (l'Ordinaire des catholiques),
niveau 2 → pour certaines fêtes
ou moments spécifiques de l'année liturgique (le Propre),
niveau 3 → en complément de la messe proprement
dite (comme les cantates),
niveau 4 → en forme de concert sacré mais
distinct du culte (les oratorios),
niveau 5 → sous forme œuvres destinées à édifier le public mais représentées dans
les théâtres (oratorios hors églises ou opéras un peu
révérencieux),
niveau 6 → de libres adaptations
(typiquement à l'opéra, lorsque Adam, Joseph ou Moïse deviennent des
héros un peu plus complexes)
niveau 7 → ou même de relectures
critiques (détournements d'Abraham ou de Caïn au XXe siècle…).
À cette fin, j'ai commencé un tableau
qui devrait, à terme, viser l'exhaustivité – non pas, encore une fois,
des mises en musique, mais des épisodes bibliques. Il s'avère déjà que,
même pour les tubes de la
Genèse, certains épisodes sont très peu représentés – l'Ivresse de Noé,
pourtant abondamment iconographiée, est particulièrement peu répandue
dans les adaptations musicales.
Mais en plus du tableau, de petits épisodes détachés avec un peu de
glose ne peuvent pas faire de mal. (Comme ils seront dans le désordre,
ils pourront ensuite être recensés dans le tableau ou une notule
adéquate.) Nous verrons combien je réussis à produire, et si cela revêt
quelque pertinence.
Ézéchias sur son lit de
douleurs.
Gravure de Christoffel van Sichem II, première moitié du XVIIe s.
La guérison
miraculeuse d'Ézéchias
La
source
1. En ces jours-là, Ezéchias fut
atteint d'une maladie mortelle.
Esaïe, fils d'Amots, le prophète, vint lui dire : Ainsi parle le
SEIGNEUR : Donne tes ordres à ta maison, car tu vas mourir ; tu ne
vivras plus.
2. Ezéchias tourna son visage vers le mur et pria le
SEIGNEUR.
3. Il disait : S'il te plaît, SEIGNEUR, souviens-toi, je t'en
prie, que j'ai marché devant toi avec loyauté et d'un cœur entier, et
que j'ai fait ce qui te plaît ! Et Ezéchias se mit à pleurer
abondamment.
4. Alors la parole du SEIGNEUR parvint à Esaïe :
5. Va dire à Ezéchias :
Ainsi parle le SEIGNEUR, le Dieu de David, ton père : J'ai entendu ta
prière, j'ai vu tes larmes. J'ajoute quinze années à ta vie.
6. Je te
délivrerai, ainsi que cette ville, de la main du roi d'Assyrie ; je
protégerai cette ville.
7. Voici quel sera pour toi, de la part du
SEIGNEUR, le signe que le SEIGNEUR fera ce qu'il a dit :
8. Je fais
revenir de dix degrés en arrière, avec le soleil, l'ombre des degrés
qui est descendue sur les degrés d'Achaz. Et le soleil revint de dix
degrés sur les degrés où il était descendu.
(Prière d'Ézéchias après sa guérison : )
9. Ecrit d'Ezéchias, roi de Juda, lorsqu'il fut malade et survécut à sa
maladie.
10. Je me disais : quand mes jours sont en repos, je dois m'en aller
aux
portes du séjour des morts. Je suis privé du reste de mes années !
11. Je disais : Je ne verrai plus le SEIGNEUR (Yah), le SEIGNEUR (Yah),
sur la terre des vivants ; je ne contemplerai plus aucun être humain
parmi les habitants du monde !
12. Ma demeure est enlevée et exilée loin de moi, comme une tente de
berger ; comme un tisserand j'enroule ma vie. Il m'arrache du métier.
Du jour à la nuit tu m'auras achevé !
13. Je me suis contenu jusqu'au matin ; comme un lion, il brisait tous
mes os, du jour à la nuit tu m'auras achevé ! 14. Je poussais des petits cris
comme une hirondelle en voltigeant, je
gémissais comme la colombe ; misérable, je levais les yeux en haut :
Seigneur, je suis oppressé, sois mon garant ! 15. Que dirai-je ? Il m'a répondu,
et c'est lui-même qui a agi. Je
marcherai humblement pendant toutes mes années, à cause de mon amertume. 16. Seigneur, c'est par tes bontés
que l'on vit, c'est par elles que je respire encore ; tu me rétablis,
tu me rends à la vie. 17. Mon amertume s'est changée en
paix. Toi, tu t'es épris de moi au
point de me retirer de la fosse du néant, car tu as rejeté derrière ton
dos tous mes péchés.
18. Car ce n'est pas le séjour des morts qui te célébrera, ce n'est pas
la mort qui te louera ; ceux qui descendent dans le gouffre n'espèrent
plus rien de ta loyauté.
19. Le vivant, le vivant, c'est celui-là qui te célèbre, comme moi
aujourd'hui ; le père fait connaître aux fils ta loyauté.
20. Le SEIGNEUR m'a sauvé ! Nous ferons résonner mes instruments, tous
les jours de notre vie, à la maison du SEIGNEUR.
21. Esaïe avait dit : Qu'on apporte un gâteau de figues sèches et qu'on
l'applique sur l'ulcère ; et Ezéchias vivra.
22. Ezéchias avait dit :
Quel est le signe que je monterai à la maison du SEIGNEUR ?
Ésaïe 38:14-17, traduction de la Nouvelle Bible Segond.
« Ézéchias montre ses trésors aux ambassadeurs du roi de
Babylone. »
Gravure pour La Bible Populaire
(Hachette 1864).
Ézéchias mis en musique
Bien qu'étant rapportée en trois endroits (la fin de Rois 2, troisième partie de
Proto-Ésaïe, deuxième livre des Chroniques), la geste d'Ézéchias est
très peu représentée dans le monde musical – et, me semble-t-il du
point de vue de ma culture tout à fait lacunaire, très marginale
également dans les autres arts et dans la culture partagée de l'honnête
homme.
Il existe cependant une astuce : selon l'exégèse d'Ernest Renan (qui
vaut ce qu'elle vaut, à savoir une exégèse de 1890 publiée dans la Revue des Deux Mondes, que je suis
allé lire au bénéfice de cette notule– « Études d'histoire israélite :
Le règne d'Ézéchias, deuxième partie », Troisième Période, Vol.100, n°1
du 1er juillet 1890, pp. 32-57), le
Psaume II – pourtant traditionnellement attribué à David –
assez pourrait constituer une description politique du temps
d'Ézéchias.
Imaginez alors la quantité de musiques que l'on pourrait lui associer
! De Tallis (dans
les 9 Psalm Tunes for Archbishop
Parker's Psalter)et « Why Do the Nations » du Messiah de Händel jusqu'aux Chichester Psalms de Bernstein, en passant par les
nombreuses versions latines (« Quare
fremuerunt gentes ») du Psaume, très en vogue en France à
l'époque baroque avec les grands motets de LULLY, (Pierre) Robert et Charpentier,
puis chez les romantiques avec
Franck et Saint-Saëns (dans l'Oratorio
de Noël)… Un texte animé, qui produit de très belles mises en
musique (en particulier chez les baroques), aux contrastes saisissants.
C'est l'essentiel, à part quelques versions XX-XXIe de compositeurs peu
célèbres (inclus dans Odi et amo
d'UģisPrauliņš,
par exemple), de ce que j'ai rencontré au disque. Il doit en exister
des tombereaux d'autres en réalité, puisque ce psaume figure au
programme de l'office de Prime du
lundi, dans la règle de saint Benoît ! Il peut aussi bien
être dit que chanté dans ce contexte, si bien que beaucoup de versions
musicales, pas forcément toutes de grande ambition, doivent en exister !
Cependant, pour un épisode qui soit directement reliable à Ézéchias,
sans interprétation exégétique marginale, je n'en connais qu'un seul, je crois, dans la portion (très limitée) de la musique que j'ai pu fréquenter
au fil des années. Quelle coïncidence incroyable, il s'agit d'un
chef-d'œuvre absolu dont je voulais vous entretenir depuis longtemps.
Histoire
d'Ézéchias
Ézéchias, roi de Juda (il existe alors aussi un royaume distinct
d'Isräel, au Nord, avec pour capitale Samarie), à la fin du VIIIe
siècle avant nous, fait partie des rois exemplaires bibliques. Ami de
l'agriculture, améliorant l'approvisionnement en eau potable de
Jérusalem… l'économie est florissante et le temple de Salomon reçoit de
nouveaux ornements, devenant le lieu central du culte (destruction de Haut-lieux décentralisés sur le
reste du territoire).
Ce portrait laudatif est à concevoir en opposition avec son père Achaz,
qui refuse l'alliance des royaumes voisins contre la menaçante Assyrie,
pour finalement devoir, en désespoir de cause, donner tout l'or du
Temple aux Assyriens pour ne pas être lui-même pris d'assaut par ses
voisins. Le royaume voisin d'Israël tombe, une partie de sa population
est remplacée et déportée, les réfugiés affluent dans le royaume de
Juda.
Pour couronner le tout, Achaz embrasse les idoles assyriennes – dans 2
Rois 16:3, il est même raconté qu'il immole l'un de ses fils à Moloch.
Et dans 2 Chroniques 28:3, fils est au pluriel.
Ézéchias fait tout l'inverse : il revient à la religion de ses pères et
brave l'Assyrie. Le siège de Jérusalem n'est pas véritablement un
succès (Ézéchias s'en tire en livrant un tribut à nouveau tiré du
Temple), mais les Assyriens lèvent le camp sans prendre la ville. Les
textes parlent du carnage de 185000 hommes commis en une nuit par «
l'ange de Yahvé » – les exégètes supposent l'apparition d'une épidémie.
Alors qu'il est frappé, nous dit le livre d'Ésaïe, d'une maladie mortelle, Dieu intercède à
sa prière et le sauve. Le texte qui va nous occuper est tiré de la
louange d'Ézéchias après sa guérison.
Fin de la Deuxième Méditation
pour le Carême de Charpentier, tirée de l'édition de Vincent Carpentier.
Méditations
pour le Carême, n°2 (H.381)
Le mystère
Un mot en guise d'introduction à ce massif, l'un des sommets de toute
l'œuvre
de Charpentier – et, partant,
de la musique européenne du XVIIe siècle.
Il a la particularité d'être assez mal documenté : on dispose de
disques, mais de très peu d'éléments sur son origine. On sait que la
partition nous est seulement parvenue par la bibliothèque de Sébastien
de Brossard, autre représentant majeur du style ultramontain de la même
génération.
Il est probable qu'ainsi que la majorité de sa production sacrée, cet
ensemble cohérent de 10 pièces provienne de sa période chez les
Jésuites, au collège
Louis-Le-Grand ou à Saint-Louis-des-Jésuites
(actuelle Saint-Paul-Saint-Louis) – mais aucun document ne permet de
l'affirmer.
L'œuvre est tellement peu identifiée, et si atypique, qu'elle occupe,
dans le catalogue thématique Hitchcock (organisé par genre), la toute
fin de la liste des motets – faute de date ou de repère générique.
Elle n'est cependant pas énigmatique : son format correspond en tout
point à l'esprit rhétorique des motets de la liturgie Contre-Réforme,
où Carême et Semaine Sainte étaient l'occasion de fournir des sujets
musicaux assez riches, jusqu'à la célèbre mondanisation de l'office des Ténèbres.
Le détail de sa forme, assez original – dans le répertoire courant, on
n'en a guère d'exemple – se situe à
la jointure du court petit-motet (1
à 3 voix solos) contemplatif tiré des Psaumes
et du petit oratorio (ou «
histoire sacrée ») représentant en un quart
d'heure une action biblique beaucoup plus dramatique (tel qu'il en fit
autour de Judith, Esther ou du Reniement de Pierre).
Selon qu'on
considère ses parties isolées – dix
motets détachables, cohérents en
eux-mêmes, avec leurs récitatifs, leurs tirades solos, leurs « chœurs »
homorythmiques ou contrapuntiques – ou son ensemble – une histoire de
la Passion, remise dans son contexte large de l'état du monde
(!) et de
la filiation abrahamique –, ces Méditations
peuvent ressortir plutôt à l'un ou l'autre genre.
Ce ne sont d'ailleurs, autre bizarrerie, pas tant des méditations, pour
la plupart, que des narrations,
dans un format très resserré,
d'épisodes-clefs de la Passion
(la Cène, le Mont des Oliviers,
l'Arrestation, le Reniement, le Procès…) – mais elles contiennent des
réflexions qui n'appartiennent pas aux originaux, et invitent, par le
seul exemple montré ou par des versets écrits dans ce but, le fidèle à
s'interroger sur sa place dans ce monde où Jésus a vécu sa
Passion. En
filigrane, les modèles de votre vie sont-ils Abraham, Jésus, Pierre,
Judas ?
Architecture générale
D'où proviennent les textes ?
Ce sont 10 fragments tirés et arrangés de la Bible pour nourrir le
cheminement sur le Carême.
Étrangement, les livres savants que j'ai consultés parlent fort peu de
cette œuvre, dont on ne sait, il est vrai, à peu près rien. Mais aussi
bien dans les monographies charpentiéristiques que dans les notices des
disques concernés, et jusque dans les catalogues de référence du type
BNF, CMBV, VIAF, la provenance des textes n'est pas incluse – pis, il
est parfois suggéré qu'il s'agit de textes ad hoc,
préparés pour les besoins des gloses, des offices, des motets (alors
que tout, à l'exception de quelques détails ajustés, procède en réalité
d'un copié-collé des Écritures !).
J'ai donc dû
vérifier manuellement chaque segment de ces motets pour vérifier
exactement :
a) la provenance (qui conditionne l'implicite de ces textes) ;
b) leur degré de réécriture (l'écart par rapport au texte canonique
n'est pas, là non plus, anodin).
Je ne suis pas grand clerc et ne promets pas de ne pas avoir laissé
passé de détails, mais vous disposerez au moins d'un grossier canevas –
que je n'ai pas pu trouver, ni dans les sites spécialisés, ni dans les
catalogues officiels, ni en bibliothèque (je me doute bien que ça
existe, mais ça veut dire que ce n'est pas à disposition de n'importe
quel mélomane qui veut juste écouter son disque avec un minimum de
contexte).
On néglige peut-être aussi que les traductions modernes se réfèrent au
grec des Évangiles et à l'hébreu des textes vétéro-testamentaires… on
s'aperçoit, en lisant la vulgate utilisée par Charpentier, que les
nuances en sont assez différentes par endroit – je suis notamment
frappé du caractère plus consolateur des choix de traduction, peut-être
autant l'effet de l'esprit de notre temps que le retour aux textes
originaux. En somme, le texte mis en musique par Charpentier n'a pas
toujours la même couleur que les traductions qu'on peut en lire
habituellement.
Structure musicale interne
Le résultat, comme dit précédemment, tient aussi bien – chaque pièce
prise à part – du petit motet, que – considérant l'ensemble du parcours
– d'une sorte d'oratorio de la Passion.
Ici, ce sont trois voix, alternant homorythmie (pour les commentaires
méditatifs), canons, polyphonies diverses, dialogues
récitatifs ou quasi-ariosos, d'une façon qui n'est pas rigide mais
soumise à l'évolution du texte… De petits bijoux d'interaction
texte-musique.
L'œuvre
[[]]
par Les Surprises (chez
Musiques à Ambronay)
Stéphen Collardelle, haute-contre
Martin Candela, taille
Étienne Bazola, basse-taille
Juliette Guignard, viole de gambe
Etienne Galletier, théorbe
Louis-Noël Bestion de Camboulas, orgue, clavecin et direction
Vulgate retouchée pour le motet
Traduction DLM
Sicut pullus hirundinis sic
clamabo.
Meditabor ut columba.
Attenuati sunt oculi mei
suscipientes in excelsum.
Recogitabo tibi omnes annos meos
in amaritudine animae meae.
Domine si sic vivitur et in talibus vita spiritus mei,
corripies me et vivificabis me.
Ecce in pace amaritudo mea amarissima.
Comme le petit de l'hirondelle,
ainsi je proclamerai.
Je serai calme comme la colombe.
Mes yeux ont été affaiblis
à force de se lever vers le Ciel.
Je te rappellerai toutes ces miennes années
que j'ai passées dans l'amertume.
Seigneur, si c'est ainsi que tu m'insuffles la vie,
tu t'empareras de moi et me rendras à la vie.
Et voici ma plus amère amertume changée en paix.
Sicut pullus
hirundinis
: Ésaïe 38:14-17
Il s'agit donc de l'action de grâce d'Ézéchias après sa guérison
miraculeuse… mais au sein d'un cycle consacré à la Passion, quoi de
plus naturel pour parler du destin
de Jésus que de convoquer Ésaïe
?
Avec des coupures dans le texte
d'origine, mais dans les mots exacts de la vulgate, c'est une promesse
de consolation après l'affliction ;
prochaine ou lointaine, par
l'Éternel. Ésaïe annonçant le Messie tel que décrit dans les Évangiles
(ou plus exactement, les Évangiles tissant minutieusement des
parallèles avec les prophéties et métaphores d'Ésaïe), ces versets sont
aussi un choix naturel pour méditer sur le sens de la souffrance et
leurs résolution, en préparation de la Semaine Sainte.
Petit fait amusant qui m'a occupé quelques heures à comparer les
traductions, lire les articles spécialisés et interroger les quelques
clercs de ma connaissance : les traductions depuis la
vulgate traduisent l'épisode en mettant en avant que l'amertume trouble
la paix, tandis que les traductions plus récentes d'après l'hébreu
disent au contraire qu'à la souffrance succèdera un jour la paix. Je ne
parviens pas à déterminer s'il s'agit d'une divergence entre saint
Jérôme et l'hébreu, ou d'un changement de tradition. En tout cas il est
notable que pour les traductions de l'époque de Charpentier, le sens de
ces versets étaient plus
sombres que dans les traductions couramment disponibles aujourd'hui de
type Jérusalem ou Segond, et cela s'entend dans la mise en musique.
Pourtant, en lisant le latin du texte pour le motet de Charpentier, la
transposition au futur des deux premiers verbes (c'est aussi le cas
pour la fin) suppose plutôt que les cris et la prostration évoqués au
début de l'épisode seront la preuve de la joie profonde et de la
rédemption – alors que dans le texte d'origine dont j'ai placé une
bonne traduction plus haut, le consensus des traducteurs suggère
qu'Ézéchias était souffrant et fragile comme un petit oiseau.
Je serai bien sûr heureux de toute lumière sur ce sujet qui m'a occupé
quelque temps, sans qu'aucun des spécialistes que j'ai pu approcher
n'aient osé émettre une hypothèse.
Sicut pullus
hirundinis
: Charpentier H.381
(Œuvre de niveau 3.)
Quelques petits repères musicaux pour vous.
a) Début en fugato (les entrées
ont des divergences, contrairement à un
canon-type) autour de la simple exposition « ainsi que le petit
de
l'hirondelle, je crierai ».
b) Chaque voix a son verset solo
(la taille et la basse-taille sur le
même patron), avant que la haute-contre et la taille ne chantent
ensemble à la tierce (c'est-à-dire
la même mélodie à deux notes d'écart) : la période aboutit
enfin sur la clef de voûte de
l'ensemble, le mot « amertume », où le temps s'alentit, où les
figuralismes évoquent la plainte.
c) L'appel au Seigneur se fait à nouveau sur un très court moment en
fugato de 3 mesures, avant de
déboucher, pour évoquer la « vivification
» de l'âme, sur un soudain mouvement
à trois temps très élancé, avec
aigus exaltants de la haute-contre.
d) Retour au mouvement regulier à quatre temps, à nouveau en entrées
tuilées fuguées, pour évoquer ce fameux dernier verset sujet à
interprétation : ici, Charpentier le perçoit clairement comme un moment
où le sentiment d'affliction domine, et les frottements harmoniques
sont nombreux ; l'avancée
très progressive par glissements
chromatiques (on passe d'une tonalité à une autre, on
emprunte, ça frotte, c'est instable) finit sur un unisson sans
choisir entre la permanence du mineur sombre ou l'espérance finale du
mode
majeur.
Composition très sophistiquée, techniquement très avancée, dont
l'italianisme éhonté (ce grand chromatisme final
!) a dû fortement
impressionner – il est le seul, me semble-t-il, à pousser aussi loin
l'exercice d'un contrepoint aussi libre et d'une harmonie aussi
subversive, en cette fin du XVIIe français.
Discographie
Il existe quatre versions de cette pièce – je vous ai naturellement
proposé la plus belle.
ita
→ Les Arts Florissants
(Christie), quelquefois à un par partie, quelquefois à plusieurs (deux
?). Les voix sont un peu pionnières (Honeyman,
Laplénie, Cantor… pas le fondu qui prévaut aujourd'hui, moi j'aime),
l'exécution aussi, mais le caractère dramatique des tableaux est tout à
fait réussi !
→ Le Concert Spirituel
(Niquet), seulement la moitié des Méditations, à deux par partie
(Lenaerts & Auvity, Évreux & Honeyman, Buet & Nédélec),
très allant comme il se doit, mais le fait de chanter à deux bride
l'expressivité individuelle et rend plus saillantes les
micro-divergences d'intonation. Nettement moins probant qu'à un par
partie, à mon sens.
→ Ensemble Pierre Robert
(Desenclos). À un par partie (Beekman, Getchell, Muuse), très doux et
vivant, grande réussite.
→ Les Surprises (Bestion
de Camboulas). Celui que j'ai sélectionné, à un par partie (P. García,
Candela, Bazola), particulièrement vivant et animé, chanté avec
insolence, un régal de bout en bout.
Isaïe annonce à Ézékias le signe donné par Dieu des quinze
années de vie accordées : l'ombre doit-elle avancer ou reculer de dix
marches ? Ézékias choisit le prodige le plus incontestable :
l'ombre reculera. (Et Yahvé s'exécute.)
[Oui, je varie les graphies pour que vous puissiez, dans un
futur lointain, retrouver la notule !]
La mémoire
d'Ézéchias
En fin de compte, je n'ai rencontré aucune
œuvre qui raconte l'histoire d'Ézéchias : le Psaume II n'est pas
traditionnellement relié à son règne (et en tout cas rien d'explicite
ne permet de l'assurer avec certitude), et la seule mise en musique qui
lui soit ouvertement reliée, cet extrait d'Ésaïe mis en musique par
Charpentier… est en réalité anonymisée et remaniée, pour en faire une
méditation autour du pécheur qui espère en la miséricorde et la vie
éternelle, à l'occasion de la Semaine Sainte.
Je me figure qu'il existe forcément, dans la quantité vertigineuse d'oratorios à
sujets vétéro-testamentaires produits aux XVIIe et XVIIIe siècle en
italien, en allemand ou même en latin, un petit recueil d'airs à da capo qui prenne ce règne-là en
exemple. Mais je ne l'ai pas trouvé – vu l'ampleur des bases de données
consultées, il est vraisemblable que cela n'ait jamais été
officiellement enregistré sur disque.
Pourquoi l'avoir choisi ?
Le cas est intéressant à plusieurs titres :
a) il pose la question de la raison pour laquelle certains épisodes
nous parviennent plutôt que d'autres – alors qu'il y a ici tous
les
éléments utiles pour exalter la piété avec le profil de ce roi
préoccupé de questions religieuses, construire l'épopée avec la guerre
contre les Assyriens, assurer le spectaculaire avec le siège de
Jérusalem fatal aux assaillants, pourquoi a-t-on à ce point davantage
de versions musicales de Booz ou Saül ?
b) se posera aussi, en d'autres instances (l'Ivresse de Noé !) la
question pour laquelle des épisodes très commentés et iconographiés ne
sont jamais mis en musique
(c'est moins le cas ici, Ézéchias n'est pas
une figure emblématique) ;
c) il est possible d'utiliser un épisode pour autre chose que pour
lui-même ; ici, cet extrait d'un livre sacré est employé à
d'autres
fins, pour expliquer un autre moment (on passe du Tanakh au Évangiles, du récit « historique »
au conseil donné aux fidèles). (La chose avait atteint, vous vous en souvenez, des dimensions
particulièrement impressionnantes chez Pfleger, des patchworks où des
citations changent de personnages, une grande foire aux collages plus
ou moins en accord avec le sens premier des textes.)
J'avais reçu beaucoup de demandes pour poursuivre cette série. Les deux
derniers épisodes de Caïn sont longs à construire, je poursuis donc
ailleurs.
À bientôt, que ce soit pour une notule-édito, un bilan des nouveautés
discographiques ou la suite des anniversaires attendus en 2022 !
Apostille
La rédaction de cette notule s'étant étendue sur deux semaines, voici
j'ai fini par trouver, au moment où je la prépare pour pixellisation,
trace d'autres mises en musique du règne d'Ézéchias ! Exactement
ce que j'avais pu supposer : oratorio italien (probablement en latin,
chez Carissimi) & références exotiques chez des compositeurs
vivants.
→ Le n°22 des Hymnes [sic] and Songs for the Church d'Orlando
Gibbons (l'une des figures
majeures de la polyphonie anglaise du début du XVIIe siècle). « The
Prayer of Hezekiah : O Lord of Hosts, and God of Israel » (Tonus
Peregrinus, Naxos 2006).
→ Une cantate de Carissimi
évidemment ! (Corboz, Erato 1973 ; Erik van Nevel, Accent 1990).
→ Une cantate de Rossi en
italien (Pfammatter, Divox 2000, capté depuis le fond d'une cathédrale).
→ Le troisième mouvement de la Symphonie n°19 « Hallelujahs » d'Andreas Willschner, « Hallelujah of
Hezekiah » – chacun des cinq mouvements évocant un chant de louange
(Carson Cooman, Divine Art 2017).
Il faut que je me trouve le Corboz, qui m'avait
échappé car jamais réédité, ni en CD ni en dématérialisé, mais pour les
deux autres, on constate qu'il s'agit du même épisode de maladie
miraculeusement résolue – c'est elle aussi qui domine dans
l'iconographie, pour ce que j'ai pu en juger en parcourant les gravures
pour en décorer cette notule.
[… et voilà que je trouve la version d'Erik van
Nevel ! C'est en effet en latin.]
Voilà qui méritera peut-être une autre notule pour
compléter, une fois que j'aurai pu étudier un peu les textes…
À présent que je me suis simultanément contredit et donné raison (ce
qui n'a que l'apparence d'un paradoxe, si vous m'avez bien lu, estimés
lecteurs), et que j'ai tâché d'affiner publiquement le tableau
jusqu'ici dressé, je puis vous laisser vaquer à votre lecture.
Puisse-t-elle vous édifier ou vous divertir un tant soit peu.
on donne le même soir Curlew Riverde Benjamin BRITTEN et Amogkra de Sibusiso NJEZA.
L'un n'est chanté que par des hommes, l'autre que par des femmes.
La parabole de Britten, où une
femme folle cherche son enfant, est inspirée d'un Nō japonais du XVe
siècle, mais son livret est dû à un auteur né en Afrique du Sud,
William Plomer. Britten ascétique et étrange, l'une de ses œuvres les
plus personnelles.
Amogkra est
écrit dans une langue tonale de la région, le xhosa (son "xh" initial
transcrit un clic alvéolaire latéral aspiré !) – une des langues
bantoues utilisées essentiellement dans la région du Cap.
Le livret est dû à l'écrivaine Asanda Chuma Sopotela, et retrace le
parcours d'Uyinene Mrwetyana & Fezekile Ntsukela Kuzwayo, deux
Sud-Africaines victimes de violences – viol et assassinat en 2019 pour
la première, une étudiante, tandis que la seconde, après avoir accusé
le président Zuma de viol, avait dû fuir aux Pays-Bas avec sa mère,
après que leur maison fut brûlée par des partisans du pouvoir.
Le Cape Town Opera a été fondé
en tant que tel en 1999, issu d'une évolution qui remonte à l'Opera
School at the South African College of Music (à l'Université du Cap),
au début des années 20, sous l'égide du ténor italien Giuseppe
Paganelli.
Ce billet, écrit à par DavidLeMarrec dans la catégorie 1 jour, 1 opéra a suscité :
Une amie, enthousiasmée par le Requiem
de Campra, pose la question des plus beaux Requiem. Sujet
particulièrement vaste, mais j'ai tâché de lui complaire le plus tôt
possible, en jetant à la hâte les titres qui me venaient à l'esprit,
les versions pour bien débuter, les œuvres les plus frappantes, le tout
regroupé par thèmes (il s'agit d'une mélomane aux goûts spécifiques, LULLY-Messiaen
plutôt que Rameau-Bellini).
[[]]
Introitus du Requiem de
Campra, version Malgoire.
Je me dis que, faute de disposer des quelques années nécessaires à
produire une synthèse raisonnée des plus beaux Requiem, je peux
toujours vous proposer, dans le cadre des petites listes informelles
des Goblin awards, les conseils que je lui ai
rapidement prodigués.
1. Corpus
Petite liste des Requiem (majoritairement) célèbres auxquels j'ai
pensé.
Par ordre chronologique très approximatif de naissance des auteurs /
d'écriture / création / publication (dans une vraie belle notule, tout
aurait été bien classé…).
Puis les conseils de versions après les flèches.
Févin / Divitis→ Organum
Morales
Victoria
Lassus
Purcell, Funérailles de la reine Mary (pas un Requiem) → Gardiner
Lalande (Séquence seulement)
Jean Gilles → Sow ou Herrewehge I avec Mellon-Crook
Charpentier H.2, H.7, H.10
Campra → Malgoire
Biber
Haendel, The Ways of Zion Do Mourn → Parrott, Mallon, Wachner
Zelenka, pour Fridrich August Ier → Luks
Zelenka, pour Joseph Ier
Lotti
Gossec
Salieri
Michael Haydn
Mozart
Takemitsu (pour cordes)
Schnittke
Ligeti
Penderecki, Un Requiem polonais
Bernd-Alois Zimmermann, Requiem pour un jeune poète (textes composites)
Chesnokov, Requiem n°2 (en russe)
Kilar
Desenclos
2. Conseils
« Puisque c'est Campra qui t'a d'abord
séduite : il existe assez peu de Requiem intégraux dans le baroque
français. Les offices funèbres existaient évidemment, mais pour les
mises en musique, on rencontre le psaume De profundis clamavi ad te, Domine («
Des profondeurs de l'abîme j'ai appelé vers toi, Seigneur »), qui n'est
pas initialement lié à la Résurrection. Je te ferai une liste si tu le
veux, mais c'est autre chose que le Requiem, dont j'ai déjà proposé une
liste élargie contenant des offices funèbres excédant le texte du
Requiem latin.
On a aussi des traces de mises en musique de la
Séquence isolée (c'est-à-dire la partie spécifique à la messe des
morts, qui débute par Dies iræ
et parcourt des versets célèbres comme « Tuba mirum », « Liber
scriptus », « Quid sum miser », « Rex tremendæ majestatis », «
Recordare », « Ingemisco », « Confutatis maledictis », « Lacrymosa »…),
comme chez Lalande.
Dans un esprit qui n'est pas du tout paroxystique comme chez les
Romantiques.
Pour le baroque
français, outre Campra,
c'est Jean Gilles
qu'il faut connaître, remarquable pour sa marche liminaire dont les
rythmes pointés sont entrecoupés de longs silences ; ou pour l'entrée
en canon des solistes dans l'Offertoire, moment ineffable inclus dans
mes boucles favorites. Je te recommande la version
Sow, ou la première de Herreweghe (celle avec Mellon & Crook).
Parmi les grands
anciens, plus purement polyphoniques et donc probablement moins
calibrés pour ton goût, plutôt que Victoria ou Lassus, je te conseille Févin / Divitis (on ne sait
lequel des deux l'a composé !), par Organum, très savoureux (Doulce
Mémoire est excellent aussi dans un genre complètement opposé,
davantage appuyé sur la couleur que sur le trait). Et puis tout de
même, Morales, dont
le savoir-faire contrapuntique donne le vertige. Je ne sais si ce peut
te plaire, mais c'est à connaître.
Pour les Anglais,
deux pièces funèbres, non des Requiem, mais qui en tiennent lieu et
sont à connaître absolument :
→ la cérémonie pour Queen Mary (Purcell), pour son
recueillement saisissant, aux confins du silence ;
→ et The Ways of Zion Do Mourn
(Haendel), pour ses
tuilages vocaux à l'intensité affolante. Trouvable en cantate séparée,
ou bien inclus dans les première et troisième versions d'Israel in Egypt (supprimé dans
la deuxième), que tu trouveras notamment chez les excellents Parrott
(saisissante expression du désarroi), Mallon, Wachner…
J'aurai moins à te proposer chez les Classiques, où les Requiem n'ont,
pour ce que j'en connais, pas la même force. Mozart par Currentzis (ou
Mackerras-Gritton, ou Hickox, ou Herreweghe, C.Davis-BBCSO,
Harnoncourt-Yakar, Bernstein, C.Davis-Radio
Bavaroise, Christie, Malgoire I, Böhm-Siepi… le choix ne manque pas).
Pourquoi pas Michael Haydn,
qu'il connaissait et dont l'Introitus a inspiré celui que nous
connaissons tous désormais. Gossec.
Mais tout cela me paraît moins prioritaires – non que Mozart ne le
soit, mais tu le connais déjà bien.
C'est une tout autre histoire chez les jeunes romantiques : bien sûr les deux Cherubini, liés à l'histoire que tu connais, la pierre de Rosette du
grégorien, le succès des concerts spirituels, la défiance envers le
faste grégorien et pour finir le bannissement des femmes des cérémonies
funèbres parisiennes. Le premier
(ut mineur), pour chœur mixte, qui respecte les inflexions accentuelles
du texte latin, est vraiment fabuleux (par Grünert ou Spering, voire
Niquet – pour toi qui as tes habitudes musicologiquement conformes, je
dirais Spering en priorité). Le second
(ré mineur), pour hommes seulement, fut écrit par Cherubini pour
s'assurer que la musique pour sa propre mort ne serait pas interdite
(!), après la catastrophe des funérailles de Bellini. Il en existe peu
de versions (3), je te recommande Markevitch.
On pénètre à présent chez les gros Requiem dramatiques.
→ Comme le signalait Clément, le Requiem
de Berlioz doit
vraiment être écouté avec ses volumes et sa spatialisation, très
spectaculaires et physiques, en salle. Au disque, on entend surtout les
gros blocs pas très subtils (et il faut sans cesse jouer avec le
potentiomètre). Gouvy,
plutôt parent de Berlioz mais pas pour sa Messe des morts beaucoup plus
recueillie, mérite le détour, mais n'est pas prioritaire.
→ Verdi, de la folie
pure, tout en exubérance et en génie mélodique (essaie Fricsay pour que
ça ne dégouline pas).
→ Suppé, qu'on est
surpris d'entendre aussi mordant, est écrit dans un style similaire,
très dramatique, tout en éclats – et écrit lui aussi au cordeau.
→ Brahms, grands
récits de baryton et fugues chorales, épatant, tu devrais aimer cet
aspect très verbal / incantatoire. Versions : Maazel-Prey,
Tennstedt-Allen, Wit-Bauer, Giulini-DFD (surtout pas les autres
Giulini), Solti-Weikl… Particularité : le texte allemand n'est pas une
traduction de la messe des morts, mais constituté de fragments de
l'Écriture (plusieurs par mouvement !).
→ Stanford débute
doucement, mais à partir de l'Offertoire, les parentés avec les élans
de Brahms sont assez frappantes.
→ Bien sûr Dvořák, le
mieux psalmodié de sa catégorie, peut-être à la fois le plus saisissant
(terrifiant Dies iræ
infernal) et le plus poétique (le début de l'Offertoire aux vents
seuls, avec ses chœurs à l'unisson imitant le grégorien).
Borodine est à part :
il n'y a que le Dies iræ, il
n'y a pas de voix… et c'est particulièrement court. Mais très frappant.
À l'opposé, à partir du milieu du siècle,
apparaissent des épures, en
particulier françaises. Cécilianistes, néo-grégoriennes, ou
post-fauréennes, elles reviennent à la nudité du texte.
→ Liszt (au titre
français de Messe des morts),
remarquable et mal connu, dans le même esprit totalement dénué du Via Crucis, le contrepoint en sus.
Pour quatre solistes, chœur masculin et orgue, vraiment du texte et de
la musique dans leur ultime pureté. Il a aussi écrit un Requiem pour orgue seul, conçu
pour être joué en alternance avec le texte parlé de la messe des morts.
→ Fauré, que tu
connais. Particularité : très facile à chanter, d'où sa programmation
par tous les ensembles amateurs – il n'y a vraiment aucune difficulté
vocale, même pour les solistes on reste dans l'ordre de l'abordable. Tu
peux essayer la version de chambre pour renouveler l'écoute, bien que
je ne sois pas persuadé qu'elle soit meilleure que la traditionnelle
pour orchestre.
→ Saint-Saëns,
écrit dans le dépouillement extrême qui devait, depuis les controverses des années 1830, favoriser la prière.
→ Duruflé,
explicitement fondé sur les modes grégoriens, mais je te préviens que
l'ensemble ménage assez peu de contrastes et de drame.
→ Ropartz, dans le
même esprit que les précédents, le raffinement harmonique en prime.
→ Et, à la fin du XXe siècle, Desenclos,
très apaisé, comme du Poulenc très décanté.
→ Ailleurs en Europe, on retrouve le même esprit chez Chesnokov (véritable
écriture liturgique dans le style de l'Obikhod), et parfois avec plus
d'entrelacement des voix : Howells,
Pizzetti…
Le XXe siècle a aussi ses
grandes fresques dramatiques,
souvent nationales :
→ Foulds (en mémoire
de la Première guerre mondiale) et Britten (pour la seconde),
les deux incluant de la poésie profane au sein du texte liturgique
habituel.
→ Le Requiem polonais
de Penderecki.
Et bien sûr, plus composites et
étranges, les nuages de Ligeti, les textes collés de B.A.
Zimmermann…
Avec tout cela, tu devrais pouvoir varier les plaisirs funéraires
pendant quelque temps, manière de patienter jusqu'à la nouvelle fin du monde ! Sois sage dans
l'intervalle. »
3. En bref
On me souffle (pas ma commanditaire, qui n'aurait garde d'être aussi
impudente) que la liste est un peu touffue pour être explorée. Et on me
demande tout de bon : quels sont tes
préférés ?
Quoique secrètement révolté par l'impudeur de la requête, je m'y plie
avec grâce.
Déjà mis à jour dimanche, mais j'ai pris le temps aujourd'hui de
reporter toutes les dates du tableau + du nouvel agenda : l'agenda au
format texte est désormais complet jusqu'au 16 janvier, plus besoin pour vous de
jongler !
Il est moins joli, mais au moins il est possible de le maintenir à jour
régulièrement !
Rapide mise à jour de l'agenda. Il est désormais disponible dans le
lien en haut à gauche de toutes les pages du site, qui a été mis à
jour.
→ http://carnetsol.fr/agendacss.txt
Ce billet, écrit à par DavidLeMarrec dans la catégorie Saison 2021-2022 a suscité :
Effigies de Messieurs Benda, Mondonville, Daquin,
Cartellieri, Triebensee, Louis Ferdinand de Prusse.
(Pour la démarche et la légende, vous pouvez vous reporter à la première partie (au bas de la quelle j'ai également servi cette nouvelle fournée de gourmandises.)
Né en 1722
(300 ans de la naissance)
Jiří Antonín Benda.
→
Au service de Frédéric le Grand (de Prusse) puis du duc de Saxe-Gotha,
Benda (souvent indiqué Georg) a écrit, comme ses contemporains, des
sonates pour violon, pour flûte, pour clavecin, des symphonies (une
trentaine) et des concertos classiques (11 pour violon, et même 1 pour
alto dont l'attribution semble moins certaine).
→ Cependant sa notoriété provient de ses mélodrames (Ariadne auf Naxos, Medea, Pygmalion)
– au sens musical : du texte déclamé (parlé) accompagné de musique.
Pouvant durer jusqu'à 50 minutes (pour Médée),
ce sont de véritables scènes théâtrales très riches, avec un
accompagnement qui épouse au plus près l'action sans se découper en
numéros obligés comme à l'opéra.
● Selon les goûts, on peut choisir la déclamation très actuelle, un peu
criée, dans le récent disque Bosch, ou privilégier (c'est mon cas) la
déclamation plus élevée et consonante, plus équiibrée aussi, dans les
deux volumes de Christian Benda
(avec l'Orchestre de Chambre de Prague) chez Naxos.
■ Ce serait évidemment à représenter en traduction… ce qui ne pose pas
du tout les mêmes problèmes de rythme que pour l'opéra, celui-ci étant
laissé à l'appréciation de l'interprète ! Il suffit de traduire
par des phrases environ de la même amplitude, et le tour est joué
! Je rêve d'un couplage entre Ariane
ou Médée d'une part,
la Cassandre de Jarrell
d'autre part.
Johann Ernst Bach II.
(1722–1777)
→ Élève de Johann Sebastian Bach à Leipzig (il était le fils d'un
cousin au second degré de Bach, compositeur égcalement), il ne doit pas
être confondu avec Johann Ernst Bach I (1683-1739), qui était le fils
du frère jumeau (compositeur toujours) du père (qui, comme vous le
savez, composait) de Jean-Sébastien.
→ Dans son catalogue, de la musique sacrée (cantates, oratorios, pour
partie perdus) et des sonates pour clavier, d'un style encore baroque,
et même assez proche, je trouve, de la génération précédente, pas du
tout de l'oratorio marqué par le seria
en tout cas. J'en trouve la prosodie vraiment belle.
● Il existe très peu de disques où il est présent sur plus d'une piste.
●● Quoiqu'il n'y ait que deux pièces
disponibles sur le disque (consacré à la famille Bach pour orgue, par
Stefano Molardi chez Brilliant Classics, sur un orgue doux, très bien
capté et très bien registré), ce que j'ai trouvé de plus intéressant
chez lui sont ses Fantaisie
& Fugue, très marquées par le modèle de J.-S. : on entend
dans celle en fa majeur l'empreinte directe des traits et harmonies de
la Toccata & Fugue en
ré mineur, avec une couleur globalement plus lumineuse (pas seulement
liée à la tonalité majeure, c'est encore plus flagrant pour la Fantaisie & Fugue
en ré mineur), et un goût pour les épisodes opposés et discontinus
(comme dans les Fantaisies de Mozart, si l'on veut, quoique le style
n'ait évidemment rien en commun) – j'ai pensé à Bruckner quelquefois,
cette opposition soudaine entre le monumental écrasant et l'apaisé
presque galant. Vraiment des pièces intéressantes, très riches, surtout
les Fantaisies – les fugues ressemblent à son professeur en plus
appliqué et moins surprenant.
●● L'Oratorio de la Passion
(1764) gravé par Hermann Max (chez
Capriccio) permet de profiter sur la longueur de ses talents de
compositeur, dans un très bel environnement vocal de surcroît (Schlick,
Prégardien, Varcoe…).
■ Programmable dans un de ces concerts « famille Bach » évidemment.
Quant à le marketer sur son anniversaire propre, je ne suis pas sûr que
je m'y risquerais (remplissage) ! Mais pourquoi pas, dans un
concert 50/50 avec son prof Jean-Séb' !
Lucile Grétry.
→ Seconde fille du compositeur et de sa femme peintre, Lucile exerce à
la cour de Marie-Antoinette et écrit même de petites actions « mêlées
d'ariettes » (Le mariage d'Antonio
; Toinette et Louis – lequel
est perdu, texte et musique).
● Je n'ai pu mettre la main sur aucun disque comportant au moins une
piste de sa main.
Sebastián Ramón de Albero y Añaños.
Pierto Nardini.
John Garth.
Mort en 1772
(250 ans du décès)
Jean-Joseph Cassanéa de Mondonville.
→ Représentant majeur du grand motet
à la mode Louis XV
(17 écrits, 9 conservés, désormais tous enregistrés), particulièrement
admiré pour son écriture très élancée et son sens du figuralisme. Les
cataractes vocales et orchestrales d' « Elevaverunt flumina » dans Dominus regnavit,
la marche liminaire d'In exitu Israel,
la plénitude de l'immobilité gorgée de soleil d' « In sole posuit
tabernaculum suum » dans Cœli enarrant gloriam
Dei… Probablement les motets les plus marquants de toute la
période post-Louis XIV.
→ Aussi l'auteur d'opéras de types pastoraux (2 pastorales héroïques, 2
ballets héroïques, 1 pastorale languedocienne…) que je ne trouve, pour
les trois déjà enregistrés (Isbé,
Titon & L'Aurore, Les Feſtes de Paphos),
pas très exaltantes (sur des livrets d'une vacuité spectaculaire, de
surcroît), et d'une tragédie en musique qui n'a jamais été remontée (Thésée,
1765). Et de musique instrumentale (pour clavier, de chambre…), que je
ne trouve pas très saillante non plus, mais qui est bien documentée.
● En priorité, donc, les trois motets mentionnés, dans deux disques
extraordinairement interprétés : la netteté du trait chez Christie pour
Dominus regnavit et In exitu Israel, la poésie des
couleurs chez Coin pour Cœli
enarrant gloriam Dei, les deux pourvus des meilleurs solistes
possibles (Correas dans « In sole posuit » !).
■ Se couple facilement avec d'autres motets, ou au sein d'une
thématique (Babylone avec Dominus
regnavit ? fuite d'Égype avec In exitu Israel
?). Facile à présenter au public en plus, en mettant en avant l'aspect
immédiatement figuratif de l'écriture : parcours du peuple d'Israël,
description des flots déchaînés, ce devrait parler. Et l'on peut
s'appuyer sur des disques de haute réputation (le Christie est
extrêmement apprécié des amateurs de baroque français, et au delà).
Louis-Claude Daquin.
→ Élève de Louis Marchand, filleul d'Élisabeth-Claude Jacquet de La
Guerre, titulaire de Saint-Paul-Saint-Louis à Paris (alors qu'il était
en concurrence avec Rameau), successeur de Dandrieu à la Chapelle
Royale… Daquin est une figure majeure
des claviers français du XVIIIe siècle.
→→ Il a ainsi livré un Premier Livre de Pièces de clavecin
(qui contient le fameux Coucou,
quelquefois exécuté en bis par les pianistes d'antan…) et son Nouveau Livre de noëls,
qui présente 12 thèmes et variations sur les noëls traditionnels (« À
la venue de Noël », « Qu'Adam fut un pauvre homme », etc.).
→→ Il existe aussi deux messes, un Te Deum, des Leçons de Ténèbres, un
Miserere et une cantate, parmi les œuvres qui nous sont parvenues (un
certain nombre, pour la voix ou les instruments, étaient attestées mais
perdues). Je n'ai jamais vu de disques ni entendu parler d'exécution,
c'est étonnant.
● Je connais mal son clavecin, dans un genre décoratif (Louis XV) qui
n'a pas trop ma faveur. En revanche, pour la part la plus célèbre de
son legs, à savoir les noëls,
je vous recommande très vivement Adriano
Falcioni (Brilliant Classics 2017) qui a l'avantage de jouer
sur les flûtes et anches très françaises,
particulièrement nasillardes et typées, d'un orgue de la bonne époque
(Saint-Guilhem-le-Désert), remarquablement registré, et de façon assez
variée selon les pièces. Un délice à recommander à tous ceux qui
n'aiment pas l'orgue monumental qui joue des choses abstraites et fait
du bruit, façon Bach, Franck ou Widor.
■ Je suis sûr que les organistes en glissent déjà à Noël. Mais avec sa
notoriété, n'y aurait-il pas l'occasion, pour le CMBV ou les ensembles
baroques, d'exhumer ses œuvres vocales sacrées ? Il y aurait un
petit bonus de remplissage grâce au public qui a connu l'époque où le Coucou et ces noëls figuraient
parmi les classiques favoris.
Pierre-Claude Foucquet.
→ Une des pièces d'Armand-Louis Couperin porte son nom. Je n'ai pu
trouver aucune piste musicale incluant sa musique.
Francesco Barsanti.
Johann Peter Kellner.
Georg Reutter le Jeune.
Né en 1772
(250 ans de la naissance)
Antonio Casimir Cartellieri.
→ Né à Gdańsk de parents chanteurs (une mère lettonne de langue
allemande, un père italien comme vous le voyez), Cartellieri étudie à
Vienne (avec Albrechtsberger et peut-être Salieri), exerce en Pologne
et en Bohême (auprès du prince Lobkowicz) – il connaissait bien
Beethoven, personnellement et artistiquement : il fut le chef à la première du Triple Concerto et de la Troisième Symphonie !
→→ Cartellieri est à mon sens un
musicien majeur de son temps. Ses 3
concertos pour clarinette (plus un double !) sont possiblement
les meilleurs de la période classique et romantique,
très virtuoses mais surtout d'une générosité mélodique – et même d'un
sens dramatique – qui n'ont que peu d'exemple. Et plus encore,
l'intensité des affects de sa tempêtueuse Première Symphonie doit absolument
être vécue !
● Au disque, on a désormais un peu de choix :
●● de superbes divertimenti pour vents, quatuors
clarinette-cordes et sextuors à vent (par le merveilleux Consortium
Classicum, chez CPO et chez MDG). Les Quatuors
avec clarinette sont d'une délicatesse poétique absolument
merveilleuse ;
●● deux oratorios : l'un sur la Nativité (La celebre Natività del Redentore)
où l'on sent aussi bien passer Mozart que Méhul et Rossini (Spering
chez Capriccio), l'autre plus opératique (Gioas, re di Giuda,
Gernot Schmalfuss chez MDG… avec Thomas Quasthoff !) dans un style
classique augmenté de tournures plus dramatiques issues plus gluckistes
/ beethoviennes, sur un livret de Metastasio (qui contient notamment la
version en contexte de « Io tremo » / « Ah, l'aria d'intorno », l'air dramatique italien plus tard mis en
musique par Schubert,
auquel une notule avait été consacrée – la version de Cartellieri
évoque beaucoup le duo Anna-Ottavio sur le corps du Commandeur) ;
●● et surtout les œuvres dont je parlais précédemment : les concertos pour clarinette
répartis sur deux volumes chez MDG (captés avec beaucoup de naturel
comme toujours), magnifiés par la merveilleuse rondeur du démiurge
Dieter Klöcker, à mon sens l'un des meilleurs clarinettistes de tous
les temps
●● et surtout et les 4 symphonies par l'Evergreen
Orchestra et Gernot Schmalfuss (CPO), écoutez absolument la Première.
■ Les Quatuors avec clarinette
composeraient un couplage très naturel et convaincant avec le Quintette
clarinette-cordes de Mozart (mais si vous voulez plutôt le coupler avec
ceux de Neukomm, Hoffmeister, Baermann ou Reger, je vous autorise à ne
pas jouer les Cartellieri tout de suite),
■ Les concertos pour clarinette
et plus encore la Première Symphonie
feraient un triomphe en salle : ils sont immédiatement accessibles et
jubilatoires, en plus d'être en réalité remarquablement écrits. Un
concert qui vendrait « le chef qui a créé l'Héroïque était aussi un
compositeur de génie » pourrait probablement fonctionner, quitte à
jouer l'Héroïque en seconde partie pour assurer « le dialogue entre les
œuvres » (en réalité le remplissage, mais c'est tout à fait légitime).
■■ Il existe aussi d'autres concertos
qui
n'ont pas été rejoués à ma connaissance et dont les nomenclatures font
saliver : flûte, cor, basson, 2 flûtes, hautbois-basson (!),
hautbois-basson-cor ! Quelle fête ce pourrait être !
Josef Triebensee.
→ Passé à la postérité pour ses arrangements des opéras de Mozart en
octuor à vent – particulièrement Don
Giovanni et quelquefois la Clémence
de Titus, les arrangements des Noces
et le plus souvent de la Clemenza
étant le plus souvent dûs à son contemporain Johann Went ; pour Così,
c'est en général le toujours très en vie Andreas Tarkmann, génie de
l'arrangement, qui est choisi. Il a également composé ses propres
œuvres pour ce même ensemble de huit souffleurs : 2 hautbois, 2
clarinette, 2 bassons, 2 cors. (Et également arrangé Médée de Cherubini ou la Symphonie
n°92 « Oxford » de Haydn.)
→ Conception assez traditionnelle de l'arrangement, où des instruments
tiennent le rôle des solistes (hautbois, dont il jouait, pour « Deh se
piacer mi vuoi »,
clarinette pour « Vengo, aspettate », basson pour « Là ci darem la mano
», « Deh vieni alla finestra », « Del più sublime soglio » ou « Parto,
ma tu ben mio », cor pour « Ah, se fosse intorno al trono »),
respectant de près les accompagnements écrits par Mozart, dans un
résultat de sérénade lyrique très harmonieuse. Pas aussi inventif et
ravivé que Tarkmann, mais toujours très réussi.
● Beaucoup de choix parmi les disques. J'en cite quelques-uns.
●● Pour le maximum de typicité, il faut
écouter l'Oslo Kammerakademi
dans La Clemenza di Tito
(chez LAWO), saveur incroyable des timbres (ce cor phénoménal) et
vivacité éloquente du théâtre. Le disque de l'Ensemble à vent du
Philharmonique de Berlin reste assez indolent (et plutôt terne de
timbres, étrangement), je ne vous le recommande pas.…
●● Le disque du Linos Ensemble pour
Don Giovanni
(Capriccio) permet d'entendre une très large sélection, couplée de
surcroît avec le final du II virtuosement rendu par l'arrangeur du XXe
siècle Andreas Tarkmann. L'Octuor à vent de Zürich, autre sélection
très large pour un joli disque un peu plus sèchement capté chez Tudor,
utilise la fin écrite par Triebensee, beaucoup plus concise : elle
relie « Già la mensa è preparata » à « Quest'è il fin di chi fa mal »,
et boucle le tout en trois minutes !
●● L'Octuor à vent Amphion a
aussi bien enregistré des extraits de
Médée que les compositions de Triebensee, évidemment un peu moins
jubilatoires que les arrangements de Mozart.
■ Les orchestres qui ont la tradition d'extraire des solistes pour des
soirées de chambre (soit à peu près tous les orchestres parisiens de
premier plan : Opéra, Philharmonique, National, Chambre, Orchestre de
Paris…) pourraient tout à fait programmer sans grand risque les
arrangements de l'ami Triebensee, avec l'argument Mozart. C'est un
voyage absolument délectable, une façon différente de réinvestir ces
musiques très bien connues, et une démarche respectueuse, en fin de
compte, des traditions d'époque.
François-Louis Perne
(1772–1832).
→
D'abord choriste (1792) et contrebassiste (1799) à l'Opéra de Paris,
Perne est de 1816 à 1822 directeur du Conservatoire de Paris («
inspecteur général des Études de l'École royale de musique et de
déclamation »), prédécesseur immédiat de Cherubini.
→→ Il a avant tout été un chercheur et
essayiste, fasciné par la musique antique et le grégorien, réalisant un
certain nombre d'éditions de textes théoriques anciens (sur le rythme
antique, sur le rebec…), récrivant Iphigénie
en Tauride de
Gluck en notation grecque, s'intéressant aux liens entre la musique,
les autres arts, la société… Outre son travail d'éditeur, la majorité
de ses articles ont été publiées dans le périodique de Fétis, la Revue et gazette musicale de Paris.
→ Il n'est pas certain qu'il ait beaucoup produit, et la musique qu'il
laisse est surtout formelle, très marquée par les formats anciens
(fugue, canon…). Ses trois messes sont écrites dans un contrepoint
archaïsant, témoin de la vogue pour le retour au plain-chant grégorien
et à Palestrina dans les premières décennies du XIXe siècle. Avec toutes les controverses afférentes.
● Je n'ai pu mettre la main que sur trois
pistes réparties sur deux disques, le Kyrie de la Messe des solennels mineurs
chez Aparté (programme passionnant de l'ensemble Gilles Binchois
consacré à ce renouveau XIXe du plain-chant, à faux-bourdon), et
Sanctus & Agnus Dei non crédités en complément du disque Boëly de
Ménissier dans la collection « Tempéraments » de Radio-France. On y
entend pour l'un la simplicité archaïsante, pour l'autre la maîtrise
contrapuntique de cette écriture. Rien de particulièrement saillant en
soi, mais la démarche me paraît tout à fait fascinante, un écho à l'épopée de Félix Danjou – le disque de
Ménissier est d'ailleurs le seul à ma connaissance où l'on puisse aussi
entendre sa musique !
■ Je doute que l'on puisse faire entendre ce type de programme et
fédérer un public nombreux (Niquet a bien joué ce type de pièces rétro,
mais c'était avec des noms comme Gounod et Saint-Saëns !)… à moins d'en
faire un concert narratif « Les Aventuriens du grégorien perdu », « La
bataille de Paris » ou « Quand les femmes furent bannies des églises ».
Ce serait assez réjouissant à entendre narrer. (S'il faut quelqu'un
pour écrire le texte à titre gracieux, je suis là.)
Prince Louis Ferdinand de Prusse.
→ Neveu de Frédéric le Grand, il est avant tout soldat (et meurt au
front), mais aussi un pianiste
considéré de grande valeur. C'est pour lui que Rejcha écrit son
monumental L'Art de varier,
très vaste cycle (il se trouve au disque, mais je ne trouve vraiment
pas que ce soit le sommet de l'art du compositeur… je vous
recommanderais plutôt le Quatuor
scientifique, pensé dans une démarche toute différente) ; c'est
aussi le dédicataire du Troisième
Concerto de Beethoven !
● On trouve au disque de la musique de chambre (octuor, trios
piano-cordes, quatuor avec piano…) et des rondos pour piano et
orchestre : autour de Horst Göbel (et son trio) chez Thorofon (trois
volumes), du Trio parnassus pour SWR Music (parution uniquement en
dématérialisé) et le Valentin piano Quartet chez Musicaphon. L'Octuor
se défend joliment, mais quelle que soit l'œuvre, on demeure dans la
convention du temps ; non pas que ce soit plat, mais on y rencontre
assez peu de surprise et d'éclat, pas de thèmes très marquants non
plus.
■ Pourquoi pas oser un concert consacré aux têtes couronnées
compositrices… mais, à la vérité, j'aimerais mieux qu'on programme
d'abord de la grande musique oubliée.
Johann Wilhelm Wilms (1772–1847).
Thomas Byström.
Maria Frances Parke (1772–1822). Comme Campanus, c'est aussi son double
anniversaire cette année !
Voici pour cette livraison… Vous voyez combien non seulement on trouve
énormément de choses au disque, même de ces figures semi-obscures ;
mais de surcroît combien il ne serait pas si malcommode de glisser un
petit Cartellieri, ou de bien remplir avec Mondonville ou les
arrangements de Triebensee (petit format qui coûte moins cher de
surcroît). Messieurs les programmateurs, il ne tient qu'à vous de nous
égayer – et de nous éveiller au vaste monde au delà de l'horizon,
certes pourvu des plus belles montagnes, du démiurge Beethoven.
Je ne m'attarde pas ici. Quelques très grandes figures, célèbres ou
vraiment plus du tout au répertoire, nous attendent pour la prochaine
livraison – la septième va vous
étonner !
Ce billet, écrit à par DavidLeMarrec dans la catégorie Portraits a suscité :
(Pseudo) portrait de Franchinus
Gaffurius (par Léonard), puis portraits de Claude Goudimel, Ercole
Bernabei,
Denis Gaultier, Heinrich Schütz, Georg Caspar Schürmann,
Antoine Forqueray, Johann Kuhnau, Jan Adam Reincken.
Lettre ouverte
Chers programmateurs,
Veuillez trouver ci-après une liste
sélective de quelques compositeurs que vous pourriezmettre en avant pour l'année à venir, en
profitant de leurs anniversaires de vie et de mort.
Ne vous privez surtout pas de piller toutes idées à votre gré dans
cette liste.
Éthique de l'anniversaire
Je commence tout de suite par me disculper : je ne suis pas favorable
au principe de l'anniversaire.
Dans l'idéal, on devrait jouer les œuvres qui valent par leurs qualités intrinsèques
ou qui entrent dans un dialogue cohérent avec d'autres, documentent des
périodes ou des genres… pas les choisir parce que leur compositeur est
né il y a deux cents ans (quel choix particulièrement arbitraire,
extra-musical, et sans aucune plus-value !), était noir, était femme –
dans ces deux cas, le volontarisme permet cependant d'exhumer des fonds
qui restent autrement négligés –, était cycliste du dimanche amoureux
des platanes ou champion régional
du point-de-croix.
L'autre réserve tient à une simple question statistique : le génie
n'est pas obligatoirement réparti de
façon égale
selon les dates. Cela signifie qu'on ne jouera peut-être pas tel
compositeur de grand talent parce qu'il est mort une année trop riche,
et qu'on jouera tel autre un peu moins intéressant parce que néà une
date moins faste…
J'avoue que cette pensée me gêne toujours assez fortement – me dire que
notre connaissance du répertoire est bridée ou déformée par des
contraintes externes que nous
nous imposons, sans grand lien avec la
musique elle-même.
Pour autant je ne suis pas tout à fait naïf : pour remplir des salles
et vendre des disques (ce qui, même hors de l'argument économique,
reste le but de tout concert : être entendu !), avec des compositeurs
moins célèbres, il faut bien raconter
quelque chose.
Idéalement, un véritable récit
(le concert des Lunaisiens hier proposait « comment la chanson a-t-elle
nourri la légende napoléonienne ? »), quelque chose qui ait rapport avec la musique, soit par sonprogramme (les représentations de
la nature et de l'industrie dans la musique, on pourrait jouer du Knecht, du Mariotte et du Meisel ; ou les contes de Perrault & Grimm ?),
soit concernant la musique elle-même –
je rêve d'un cycle de concerts épousant le principe d' « Une décennie, un disque », permettant un parcours
express de l'histoire de la musique dans un genre donné (le quatuor à
cordes viennois, la musique a
cappella russe, la tragédie en musique française ou que
sais-je…). J'avais fait quelques suggestions dans cette notule.
Même si ce n'est pas l'angle le plus intéressant (ni, assurément, le
plus inventif !), l'anniversaire
reste un outil qui fonctionne. Notre espèce semble sensible aux
symboles de la récursivité du temps, et les pratiques de fêtes à date
fixe, de décompte des ans, quel que soit le sujet, paraissent partagées
par la plupart des cultures et sur des sujets aussi différents que les
créations d'entreprise ou les batailles du temps jadis.
Aussi, je m'y glisse pour suggérer par ce truchement ●quelques idées d'écoutes● aux
mélomanes – et qui sait, ■quelques
idées de répertoire■ marketing
inclusaux
artistes. En vert les
compositeurs que je présente (je suis obligé de
faire des choix, il va sans dire !), en rouge ceux qui me paraissent
fortement indiqués pour cette année 2022. Les grandes salles ont
bouclé
leur saison 2022 depuis
fort longtemps, mais les petits ensembles itinérants ont peut-être
encore un peu d'espace pour glisser un peu de Goudimel, de Certon, de
Reincken ou de Perne.
L'an 2022
En relevant 250 noms à partir
des centenaires et cinquantenaires de naissance et de décès, je croise
quelques très grands noms très bien documentés (Schütz, Franck,
Scriabine, Ralph Vaughan Williams…), mais pas de superstar susceptible
de toucher le grand public comme
Bach-Vivaldi-Mozart-Beethoven-Chopin-Liszt-Brahms-Ravel.
Aussi, il est probable que tout le monde laisse un peu tomber l'idée de
l'anniversaire, celui-ci volant en général au secours de la victoire et
servant à programmer et vendre encore plus de symphonies de Beethoven
(et même pas de ses mélodies irlandaises, ni même de ses sonates avec
violoncelle…).
À moins que ces brigands ne tentent l'astuce de compter en quarts de
siècle, pour les 125 ans de la mort de Brahms, les 175 de celle
de Mendelssohn ou les 225 de la naissance de Schubert et Donizetti !
La voie étant donc à peu près libre, voici ma sélection (évidemment
très incomplète) de compositeurs dont on pourra fêter un anniversaire
en 100 ou 50. (Je commence bien sûr, chaque année, par les morts,
puisqu'ils sont plus âgés par définition que ceux qui y naissent.) Je
tâche de préciser un peu qui ils sont, quels disques écouter, quelles
œuvres programmer.
Quoi qu'il en soit, qu'on se rassure : à la Philharmonie de Paris on
fêtera bel et bien les 162 ans de la naissance de Gustav Mahler !
Mort en 1222
(800 ans du décès)
Heinrich von Morungen.
→ Auteur et compositeur de Minnelieder. Il sera un peu difficile de lui
rendre justice : si les textes subsistent partiellement dans le Codex
Manesse, toutes les mélodies ont été perdues. (Un objectif pour
musicologue / arrangeur / compositeur contemporain ?) Certes, sa
faible notoriété dans le grand public rendra le concept invendable,
mais fêter le plus vieil anniversaire de l'année, quel panache !
Mort en 1272
(750 ans du décès)
Jehan Bretel.
Gautier d'Épinal (1272 est en réalité la date à laquelle on sait qu'il
était déjà mort).
Mort en 1372
(650 ans du décès)
Lorenzo da Firenze (peut-être mort en 1373).
Né en 1372
(650 ans de la naissance)
Johannes Cuvelier (aussi connu sous le nom de Jacquemart le Cuvelier,
date de naissance approximative)
Mort en 1422
(600 ans du décès)
Henry V d'Angleterre.
Mort en 1522
(500 ans du décès)
Jean Mouton (ou Jehan
Mouton – Jean de Hollingue de son vrai nom).
→ Ami de Josquin, compositeur également de grandes pièces sacrées. Sa
renommée est telle qu'il est régulièrement cité par les auteurs du
temps – jusque dans le prologue du Quart
Livre de
Rabelais ! Il a pour lui une fluidité très particulière, un sens
de la consonance verticale en même temps que de la polyphonie qui le
rendent particulièrement marquant – à mon sens.
→ À ne pas confondre avec Charles Mouton, luthiste important du XVIIe
siècle.
● Fabuleux disque (motets et Messe Dictes
moy toutes voz pensées),
très organique, des Tallis Scholars (Gimell 2012), très loin de leurs
approches autrefois plus désincarnées – basses rugissantes,
contre-ténors caressants, entrées nettes, texte bien mis en valeur.
■ Comme pour Goudimel ci-après, plutôt destiné aux ensembles
spécialistes, qu'on aimerait beaucoup entendre s'emparer de ce
répertoire ! (Organum, Doulce Mémoire, Les Meslanges…)
Franchinus Gaffurius.
→ Compositeur, mais avant tout théoricien.
Mort en 1572
(450 ans du décès)
Claude Goudimel.
→ Grand compositeur dePsaumes
dans leur traduction française, à l'intention des Réformés. Dans une
langue musicale simple, plutôt homorythmique, très dépouillée et
poétique.
● Au disque, une version un peu fruste chez Naxos. La lecture de Corboz
en revanche, pour chœur de chambre assez fourni, a très bien résisté au
temps et permet de saisir les beautés de verbe et d'harmonie de la
chose. (Couplé avec sa messe,
très intéressante également.)
■ Au concert, un ensemble spécialiste pourrait coupler quelques Psaumes
(ou toute messe) avec du Janequin ou du Josquin plus couramment
programmés. (Mais même un chœur traditionnel pourrait très bien s'en
charger. Sans doute pas trop difficile à mettre en place, et très
immédiatement beau.)
Pierre Certon.
→ Auteur de chansons.
● Le disque de la Boston Camerata a un peu vieilli, mais permet de
bénéficier de l'une des rares monographies.
■ Plus difficile à intégrer dans des programmes hors ensemble
spécialiste qui ferait un programme de chansons Renaissance. Mais
l'occasion pour eux de le faire !
Robert Parsons.
Christopher Tye.
Francisco Leontaritis (grec).
Né en 1572
(450 ans de la naissance)
Robert Ballard II
(possiblement né en 1575).
→ De la dynastie qui des fameux éditeurs, Robert Ballard laisse une
œuvre considérable pour le luth – à la vérité, mon corpus préféré ! –,
remarquable par sa prégnance mélodique. Il faut dire que ses Suites contiennent surtout des airs
de ballets transcrits (chants des ballets des contre-faits d'amour, ou des Insencez, ou encore de M. le Daufin),
des courantes, des gaillardes, bransles de la cornemuse et bransles de
village, pièces moins formelles que ce qui prévaut à l'ère Louis XIV…
● Formidable disque de Richard Kolb chez Centaur, très éloquent, capté
de près sans réverbération parasite. Sélection de pièces de premier
choix.
■ On peut espérer que les luthistes s'empareront de cette occasion pour
diversifier leur répertoire !
Thomas Tomkins.
Melchior Borchgrevinck.
Johannes Vodnianus Campanus (dont c'est le double anniversaire, étant
mort en 1622 !).
Moritz von Hessen-Kassel.
Edward Johnson.
Erasmus Widmann.
Daniel Bacheler.
Martin Peerson (peut-être le même que Martin Pearson).
Girolamo Conversi (date approximative de naissance).
Mort en 1622
(400 ans du décès)
Alfonso Fontanelli.
Giovanni Paolo Cima.
William Leighton.
Scipione Stella.
Giovanni Battista Grillo.
Johannes Vodnianus Campanus.
Salvatore Sacco.
Né en 1622
(400 ans de la naissance)
Ercole Bernabei.
Gaspar de Verlit.
Alba Trissina.
Jacques Lacquemant (DuBuisson, date approximative).
Mort en 1672
(350 ans du décès)
Orazio Benevolo (ou Benevoli).
→ Fils de Robert Bénevot, pâtissier français installé à Rome, il
fréquente Saint-Louis-des-Français et finit par composer pour la
Cappella Giulia (pour les offices publics de Saint-Pierre, par
opposition à Cappella Sistina pour les offices privés du pape). Il
pratique couramment les motets et messes à multiples chœurs et
nombreuses voix réelles – l'un de ses Magnificat atteint ainsi 16 voix réparties dans quatre chœurs (qui étaient
spatialisés, manière de pimenter le chose). De même pour la Messe « Si
Deus pro nobis ».
→ Ce n'est pas nécessairement le compositeur polychoral que j'aime le
plus – Legrenzi, Beretta, Merula et plus tard D. Scarlatti ont produit
des œuvres plus immédiatements éloquentes et mélodiques –, mais ce
serait l'occasion de l'exhumer un peu. Ou de le panacher, comme avait
fait Daucé pour ses concerts et son disque autour des motets &
messes à quatrechœurs.
● Essentiellement trois disques monographiques à ma connaissance : les deux Niquet (Missa Azzolina, Dixit
Dominus et Magnificat chez Naxos
; puis Magnificat et la grande Missa « Si Deus pro nobis » chez Alpha),
le second étant mieux capté et plus organiquement exécuté, avec de très
belles voix de véritables solistes (Boudet, Wattiez, Marcq, Favier…).
Et un disque de Cappella Musicale di Santa Maria in Campitelli di Roma
dirigée par Vincenzo di Betta
(chez Tactus),
consacré à la Messe « In angustia pestilentiæ » (messe des tourments de
la peste !), intéressant dans son propos, mais un peu laborieusement
exécutée (voix pas toujours belles, captation pas très claire, rythmes
très rectilignes comme si l'on jouait de la musique du XVe…).
■ Pas évident à remonter vu les forces en présence, mais un peu de neuf
ne serait pas de refus. Pourquoi pas un petit programme sur les Messes
polychorales, à spatialiser à la Philharmonie ou dans une prestigieuse
église de l'hypercentre parisien ? À tisser avec d'autres
compositeurs plus fascinants (Legrenzi !), voire avec du contemporain
(ou du Nono…), il faudrait juste le vendre comme l'événement vocal
spatialisé du moment, chanté dans la pénombre, quelque chose qui fasse
ressortir l'expérience sensorielle (de fait saisissante).
Denis Gaultier.
→ Cousin parisien d'Ennemond Gaultier de Lyon (qui était souvent appelé
Vieux-Gaultier), il est lui aussi luthiste, et leurs partitions étaient
parfois publiées avec le seul nom de famille, ce qui a mené à bien des
confusions dans les attributions, même de leur vivant. Autant j'aime
beaucoup Ennemond (et ses contemporains Gallot, Dufaut, Ch. Mouton…),
autant je n'ai pas été très ému de ce que j'ai entendu de Denis.
● Très belle monographie de Hopkinson Smith, toujours engagé et
poétique, même si le matériau ne me convainc pas ici.
■
Aisé à inclure dans un récital de luth solo, à supposer qu'on en
fasse beaucoup, ou dans un intermède instrumental de concert baroque –
si toutefois les interprètes veulent bien condescendre à laisser de
côté Kapsberger, Piccinini et Bach… Pas du tout urgent à réentendre, à
mon sens, comme Robert Ballard II (ou les autres noms cités).
Jacques Champion de Chambonnières.
→ Grand représentant du style Louis XIII de la suite pour clavecin, en
quelque sorte le grand ancêtre de toutes les superstars
louisquartoziennes. Le style en reste un peu rigide et sévère.
→ Outre les danses auxquelles on est acoutumé (allemandes, courantes,
sarabandes, gigues), on y rencontre une gaillarde et deux pavanes
! Intéressant pour sa généalogie plus que pour sa musique – on
est souvent frappé de la pauvreté du langage de la musique
instrumentale du règne de Louis XIII.
● Kenneth Gilbert chez Orion a vieilli (et n'existe qu'en volumes
séparés, difficiles à trouver), je recommande donc le double disque de
Franz Silvestri, de très bonne facture et bien capté, chez Brilliant
Classics.
■ Pour débuter en douceur un récital de clavecin français, en le
replaçant dans sa généalogie ?
Heinrich Schütz.
→ L'un des quelques grands noms de cette année, mais comme les autres,
sans doute insuffisamment starisé pour remplir sans un peu d'effort les
salles de spectacle. Il est l'auteur du premier opéra en allemand, Dafne
(1627), perdu, comme à peu près tout son legs profane, hormis ses
madrigaux (très italianisants, mais plutôt dans le sens de la joliesse
un peu plate que de la richesse chromatique) et quelques airs.
→ De nombreux motets subsistent, ainsi que plusieurs Passion. Son style s'étend de la
monodie néo-grégorienne (Passion selon
Matthieu !) et la modalité post-Renaissance (où l'harmonie n'est que le
produit quasiment accidentel de la polyphonie) jusqu'à la rhétorique
baroque, certes encore polyphonique, mais davantage fondée sur la
progression verbale et harmonique.
● Dans l'immensité de son œuvre, entièrement (et plusieurs fois)
enregistrée, deux propositions.
●● Le Musikalische
Exequien,
son chef-d'œuvre à mon sens, suite de tuilages d'une densité admirable,
et d'une poésie intense, vraiment à cheval entre le monde de Lassus et
celui de Buxtehude (avec un aspect plus avenant que les deux, façon
Louis Le Prince plutôt que Frémart ou Formé…). Kuijken (chez Accent), en tout petit
comité, est une merveille absolue. Mais les American Bach Soloists, Rademann,
Akadêmia-Lasserre sont
remarquables, Vox Luminis, Laplénie, Corboz, l'Asfelder Vocal Ensemble
(Naxos) s'écoutent très bien. Herreweghe et The Sixteen m'ont déçu à la
réécoute, une certaine mollesse tout de même par rapport à la tenue de
la concurrence !
●● Côté Passion, je suis surtout familier de celle
selon Matthieu, enregistrée
avec des options très diverses (j'ai dû à peu près toutes les écouter).
L'Ars Nova Copenhagen
(København) chez Da Capo est la plus finement pensée et réalisée, au
cordeau, pleine de vérité verbale et d'atmosphères. Celle de l'Opéra de Stuttgart
(Kurz), parue chez divers labels économiques (Classica Licorne, Bella
Musica…) offre un Évangéliste assez extraordinaire de moelleux et de
présence, dans une acoustique sèche très troublante, comme extirpé de
l'atmosphère terrestre.
■ On ne fera pas venir les foules avec un programme tout Schütz,
musique assez exigeante – bien que la Philharmonie ait déjà proposé un
programme scénique autour de
Lassus, assez bien rempli d'ailleurs ! –, mais la demi-heure de l'Exequien ferait du bien auprès de
motets de Bach, par exemple. Même les ensembles amateurs pourraient
oser des choses. (Et les Passion,
très nues, pourraient quasiment être programmées par les paroisses avec
les moyens du bord.)
Nicolaus Hasse (pas le compositeur de seria
!).
Né en 1672
(350 ans de la naissance)
Georg Caspar Schürmann (ou 1673).
→ Compositeur de Basse-Saxe et de Thuringe, auteur de plusieurs opéras
en langue allemande et de quantité de musique sacrée.
● On trouve Die getreue Alceste chez
CPO, du seria écrit
comme de la cantate sacrée à l'allemande, augmentée de quelques chœurs
dans le style français. J'aime bien davantage ses cantates (par les
Bremen Weser-Renaissance, chez CPO à nouveau), dans une esthétique
proche de Bach, et surtout sa Suite
tirée de l'opéra Ludovicus Piùs,
écrite dans un goût haendelien, mais avec une charpente musicale encore
plus ambitieuse, pour un résultat assez jubilatoire et très nourrissant
(Akademie für alte Musik Berlin chez Harmonia Mundi) !
■ Encore beaucoup de choses à découvrir, mais les ensembles baroques
pourraient au moins glisser une petite cantate dans leurs programmes
Bach : ça ne ferait pas un contraste très violent, et permettrait de
voir un peu ailleurs. (J'aime davantage que la plupart des cantates de
Bach, pour ma part, mais je ne dois certainement pas servir de
mètre-étalon en la matière !)
Antoine Forqueray.
→ Grand gambiste de son temps, considéré par Daquin comme l'égal de
Marais. Son œuvre nous est parvenue par une double publication de son
fils : comme pièces de violes et comme transcriptions pour clavecin –
possiblement avec des ajouts voire quelques compositions de sa main.
→ Sa vie (et celle de sa famille) fut assez animée :
sa femme, claveciniste, avait porté plainte à de multiples reprises
pour violences conjugales, et lancé une procédure pour vivre hors du
domicile, tandis que lui finit par l'accuser publiquement d'adultère…
et par faire emprisonner leur fils à la prison de Bicêtre – qui en est
libéré faute de fondement à la requête paternelle. Bref, un autre sale
type qui compose, on a l'habitude – coucou Jean-Baptiste, coucou
Richard.
● Grand classique, on croule sous les propositions des meilleurs
interprètes.
●● À la viole de gambe, Vittorio Ghielmi
chez Passacaille (très français,
très engagé), Pandolfo & Friends chez Glossa (intégrale ; grande
variété de textures et de couleurs), Ben-David & Baucher chez Alpha
(très enrichi, sans aucune lourdeur, un véritable sens stylsitique,
couplé avec du Couperin très réussi), Lucile Boulanger…
[Duftschmidt est un cran en-dessous, et Mattila (chez Alba) assez
sec, je n'ai pas trop aimé.]
●● Au clavecin, Le Gaillard
(superbe équilibre, altier, chantant et
âpre, mais publié chez Mandala et donc introuvable), Rannou (captée de
trop près, très orné et un peu arrangé, toujours d'une invraisemblable
richesse), Borgstede chez Brilliant (riche son comme toujours, un peu
régulier peut-être), Leonhardt, Beauséjour chez Naxos, Taylor chez
Alpha…
■ Une mission pour le Festival Marin Marais et quelques concerts
Philippe Maillard ? Ou d'ensembles chambristes épars, d'ailleurs.
Francesco Mancini.
Mort en 1722
(300 ans du décès)
Johann Kuhnau.
→ Romancier, traducteur, juriste, théoricien de la musique et surtout
compositeur, Kuhnau fut formé à Dresde puis à Leipzig, où il occupe le
poste de Thomaskantor comme prédécesseur de Bach. Musique sacrée
évidemment, mais aussi musique pour les claviers, et même des opéras –
hélas je ne sache pas qu'aucun d'entre eux ait jamais été capté.
→ Ses cantates sont écrites
dans le goût du temps, avec un véritable savoir-faire, et des sonorités
parfois plus archaïsantes, mêlant un peu de Monteverdi (l'harmonie) et
Purcell (le type de virtuosité vocale) à ses autres aspects davantage
Buxtehude et Haendel.On y rencontre aussi de très beaux ensembles dans
le goût de Steffani et Pfleger.
→ Son bijou le plus singulier réside dans ses étonnantes Sonates bibliques,
qui évoquent à l'orgue seul, en
plusieurs mouvements comme une cantate,
des épisodes épiques de l'Ancien Testament : « Combat de David &
Goliath », « Saül mélancolique et apaisé par le truchement de la
Musique », « Ézéchias agonisant et revenu à la santé », « La tombe de
Jacob »… Épisodes très animés, mélodiques et débordant de vie – ces
longues réjouissances à la fin de la sonate de David !
● Il existe une intégrale des œuvres sacrées chantées chez CPO (Opella
Musica & Camerata Lipsiensis, avec des couleurs particulièrement
douces et chaudes) et une intégrale de l'orgue chez Brilliant Classics
(Stefano Molardi, sur un bel orgue bien capté et très bien registré).
Jan Adam Reincken (ou Johann) (ou Reinken).
→ Clavériste et gambiste, cofondateur de l'Opéra de Hambourg (petite
enclave où l'on jouait non seulement de l'opéra allemand, mais même
multilingue !), c'est un grand représentant du stylus phantasticus
en vogue au Nord de l'Allemagne – même si, à l'écoute de l'auditeur
d'aujourd'hui, on est surtout frappé par la concentration formelle et
harmonique de ses œuvres, où l'abstraction et l'exigence l'emportent
plutôt sur les traits virtuoses ou figuratifs (qui ne sont certes pas
absents de son œuvre).
→ En 1705, Bach fait le voyage à Hambourg pour l'entendre, et manifeste
son admiration ; il est considéré comme l'une de ses influences
importantes.
● Si vous le trouvez, le disque de Clément Geoffroy (chez L'Encelade)
est une merveille d'intelligence discursive. À défaut, on trouve
facilement l'intégrale de Simone Stella (clavecin et orgue, en séparé
chez OnClassical puis réédité en coffret chez Brilliant Classics)). Je
n'ai écouté que la partie clavecin, sur un instrument pas très beau et
capté d'un peu trop près. Autre œuvre importante : Hortus musicus, des sonates pour 2
violons, viole de gambe et clavecin qui se trouve en diverses versions.
■ Là aussi, assez aisé pour les solistes (ou les chambristes baroques)
d'en glisser un peu lors d'un concert. La densité et le caractère peu
souriant de l'ensemble ne plaident pas nécessairement pour un concert
tout-Reincken (j'ai déjà testé, le fonds est suffisamment varié pour
s'y prêter très bien), mais en panachant avec du Bach à la sauce phantastica, l'astuce est toute
trouvée.
Francesc Guerau (ou 1717).
Ruggiero Fedeli.
Jean-Conrad Baustetter.
Maria Frances Parke.
… le temps passé à rédiger les notices étant assez considérable… je
vous donne donc rendez-vous pour la suite de la liste, jusqu'en 1972,
pour les prochaines livraisons, que je tâche de réaliser au plus tôt !
Le temps aussi pour vous, studieux lecteurs, de commencer à écluser les
univers qui se déversent incontinent sur vous.
Nous ferons ensuite, si vous le voulez bien, un petit bilan de la
moisson – ce que ça révèle (aléatoirement, comme soulevé précédemment…)
des pans enfouis de l'histoire de la musique, et ce qu'on peut
peut-être en tirer pour une programmation 2022.
À très bientôt, estimés lecteurs. Puissiez-vous, dans l'intervalle,
survivre aux frimas, aux covidages nouveaux et aux remugles vichyssois
fantaisistes. Le slalom, c'est la santé.
Seconde livraison
Effigies de Messieurs Benda, Mondonville, Daquin,
Cartellieri, Triebensee, Louis Ferdinand de Prusse.
Né en 1722
(300 ans de la naissance)
Jiří Antonín Benda.
→
Au service de Frédéric le Grand (de Prusse) puis du duc de Saxe-Gotha,
Benda (souvent indiqué Georg) a écrit, comme ses contemporains, des
sonates pour violon, pour flûte, pour clavecin, des symphonies (une
trentaine) et des concertos classiques (11 pour violon, et même 1 pour
alto dont l'attribution semble moins certaine).
→ Cependant sa notoriété provient de ses mélodrames (Ariadne auf Naxos, Medea, Pygmalion)
– au sens musical : du texte déclamé (parlé) accompagné de musique.
Pouvant durer jusqu'à 50 minutes (pour Médée),
ce sont de véritables scènes théâtrales très riches, avec un
accompagnement qui épouse au plus près l'action sans se découper en
numéros obligés comme à l'opéra.
● Selon les goûts, on peut choisir la déclamation très actuelle, un peu
criée, dans le récent disque Bosch, ou privilégier (c'est mon cas) la
déclamation plus élevée et consonante, plus équiibrée aussi, dans les
deux volumes de Christian Benda
(avec l'Orchestre de Chambre de Prague) chez Naxos.
■ Ce serait évidemment à représenter en traduction… ce qui ne pose pas
du tout les mêmes problèmes de rythme que pour l'opéra, celui-ci étant
laissé à l'appréciation de l'interprète ! Il suffit de traduire
par des phrases environ de la même amplitude, et le tour est joué
! Je rêve d'un couplage entre Ariane
ou Médée d'une part,
la Cassandre de Jarrell
d'autre part.
Johann Ernst Bach II.
(1722–1777)
→ Élève de Johann Sebastian Bach à Leipzig (il était le fils d'un
cousin au second degré de Bach, compositeur égcalement), il ne doit pas
être confondu avec Johann Ernst Bach I (1683-1739), qui était le fils
du frère jumeau (compositeur toujours) du père (qui, comme vous le
savez, composait) de Jean-Sébastien.
→ Dans son catalogue, de la musique sacrée (cantates, oratorios, pour
partie perdus) et des sonates pour clavier, d'un style encore baroque,
et même assez proche, je trouve, de la génération précédente, pas du
tout de l'oratorio marqué par le seria
en tout cas. J'en trouve la prosodie vraiment belle.
● Il existe très peu de disques où il est présent sur plus d'une piste.
●● Quoiqu'il n'y ait que deux pièces
disponibles sur le disque (consacré à la famille Bach pour orgue, par
Stefano Molardi chez Brilliant Classics, sur un orgue doux, très bien
capté et très bien registré), ce que j'ai trouvé de plus intéressant
chez lui sont ses Fantaisie
& Fugue, très marquées par le modèle de J.-S. : on entend
dans celle en fa majeur l'empreinte directe des traits et harmonies de
la Toccata & Fugue en
ré mineur, avec une couleur globalement plus lumineuse (pas seulement
liée à la tonalité majeure, c'est encore plus flagrant pour la Fantaisie & Fugue
en ré mineur), et un goût pour les épisodes opposés et discontinus
(comme dans les Fantaisies de Mozart, si l'on veut, quoique le style
n'ait évidemment rien en commun) – j'ai pensé à Bruckner quelquefois,
cette opposition soudaine entre le monumental écrasant et l'apaisé
presque galant. Vraiment des pièces intéressantes, très riches, surtout
les Fantaisies – les fugues ressemblent à son professeur en plus
appliqué et moins surprenant.
●● L'Oratorio de la Passion
(1764) gravé par Hermann Max (chez
Capriccio) permet de profiter sur la longueur de ses talents de
compositeur, dans un très bel environnement vocal de surcroît (Schlick,
Prégardien, Varcoe…).
■ Programmable dans un de ces concerts « famille Bach » évidemment.
Quant à le marketer sur son anniversaire propre, je ne suis pas sûr que
je m'y risquerais (remplissage) ! Mais pourquoi pas, dans un
concert 50/50 avec son prof Jean-Séb' !
Lucile Grétry.
→ Seconde fille du compositeur et de sa femme peintre, Lucile exerce à
la cour de Marie-Antoinette et écrit même de petites actions « mêlées
d'ariettes » (Le mariage d'Antonio
; Toinette et Louis – lequel
est perdu, texte et musique).
● Je n'ai pu mettre la main sur aucun disque comportant au moins une
piste de sa main.
Sebastián Ramón de Albero y Añaños.
Pierto Nardini.
John Garth.
Mort en 1772
(250 ans du décès)
Jean-Joseph Cassanéa de Mondonville.
→ Représentant majeur du grand motet
à la mode Louis XV
(17 écrits, 9 conservés, désormais tous enregistrés), particulièrement
admiré pour son écriture très élancée et son sens du figuralisme. Les
cataractes vocales et orchestrales d' « Elevaverunt flumina » dans Dominus regnavit,
la marche liminaire d'In exitu Israel,
la plénitude de l'immobilité gorgée de soleil d' « In sole posuit
tabernaculum suum » dans Cœli enarrant gloriam
Dei… Probablement les motets les plus marquants de toute la
période post-Louis XIV.
→ Aussi l'auteur d'opéras de types pastoraux (2 pastorales héroïques, 2
ballets héroïques, 1 pastorale languedocienne…) que je ne trouve, pour
les trois déjà enregistrés (Isbé,
Titon & L'Aurore, Les Feſtes de Paphos),
pas très exaltantes (sur des livrets d'une vacuité spectaculaire, de
surcroît), et d'une tragédie en musique qui n'a jamais été remontée (Thésée,
1765). Et de musique instrumentale (pour clavier, de chambre…), que je
ne trouve pas très saillante non plus, mais qui est bien documentée.
● En priorité, donc, les trois motets mentionnés, dans deux disques
extraordinairement interprétés : la netteté du trait chez Christie pour
Dominus regnavit et In exitu Israel, la poésie des
couleurs chez Coin pour Cœli
enarrant gloriam Dei, les deux pourvus des meilleurs solistes
possibles (Correas dans « In sole posuit » !).
■ Se couple facilement avec d'autres motets, ou au sein d'une
thématique (Babylone avec Dominus
regnavit ? fuite d'Égype avec In exitu Israel
?). Facile à présenter au public en plus, en mettant en avant l'aspect
immédiatement figuratif de l'écriture : parcours du peuple d'Israël,
description des flots déchaînés, ce devrait parler. Et l'on peut
s'appuyer sur des disques de haute réputation (le Christie est
extrêmement apprécié des amateurs de baroque français, et au delà).
Louis-Claude Daquin.
→ Élève de Louis Marchand, filleul d'Élisabeth-Claude Jacquet de La
Guerre, titulaire de Saint-Paul-Saint-Louis à Paris (alors qu'il était
en concurrence avec Rameau), successeur de Dandrieu à la Chapelle
Royale… Daquin est une figure majeure
des claviers français du XVIIIe siècle.
→→ Il a ainsi livré un Premier Livre de Pièces de clavecin
(qui contient le fameux Coucou,
quelquefois exécuté en bis par les pianistes d'antan…) et son Nouveau Livre de noëls,
qui présente 12 thèmes et variations sur les noëls traditionnels (« À
la venue de Noël », « Qu'Adam fut un pauvre homme », etc.).
→→ Il existe aussi deux messes, un Te Deum, des Leçons de Ténèbres, un
Miserere et une cantate, parmi les œuvres qui nous sont parvenues (un
certain nombre, pour la voix ou les instruments, étaient attestées mais
perdues). Je n'ai jamais vu de disques ni entendu parler d'exécution,
c'est étonnant.
● Je connais mal son clavecin, dans un genre décoratif (Louis XV) qui
n'a pas trop ma faveur. En revanche, pour la part la plus célèbre de
son legs, à savoir les noëls,
je vous recommande très vivement Adriano
Falcioni (Brilliant Classics 2017) qui a l'avantage de jouer
sur les flûtes et anches très françaises,
particulièrement nasillardes et typées, d'un orgue de la bonne époque
(Saint-Guilhem-le-Désert), remarquablement registré, et de façon assez
variée selon les pièces. Un délice à recommander à tous ceux qui
n'aiment pas l'orgue monumental qui joue des choses abstraites et fait
du bruit, façon Bach, Franck ou Widor.
■ Je suis sûr que les organistes en glissent déjà à Noël. Mais avec sa
notoriété, n'y aurait-il pas l'occasion, pour le CMBV ou les ensembles
baroques, d'exhumer ses œuvres vocales sacrées ? Il y aurait un
petit bonus de remplissage grâce au public qui a connu l'époque où le Coucou et ces noëls figuraient
parmi les classiques favoris.
Pierre-Claude Foucquet.
→ Une des pièces d'Armand-Louis Couperin porte son nom. Je n'ai pu
trouver aucune piste musicale incluant sa musique.
Francesco Barsanti.
Johann Peter Kellner.
Georg Reutter le Jeune.
Né en 1772
(250 ans de la naissance)
Antonio Casimir Cartellieri.
→ Né à Gdańsk de parents chanteurs (une mère lettonne de langue
allemande, un père italien comme vous le voyez), Cartellieri étudie à
Vienne (avec Albrechtsberger et peut-être Salieri), exerce en Pologne
et en Bohême (auprès du prince Lobkowicz) – il connaissait bien
Beethoven, personnellement et artistiquement : il fut le chef à la première du Triple Concerto et de la Troisième Symphonie !
→→ Cartellieri est à mon sens un
musicien majeur de son temps. Ses 3
concertos pour clarinette (plus un double !) sont possiblement
les meilleurs de la période classique et romantique,
très virtuoses mais surtout d'une générosité mélodique – et même d'un
sens dramatique – qui n'ont que peu d'exemple. Et plus encore,
l'intensité des affects de sa tempêtueuse Première Symphonie doit absolument
être vécue !
● Au disque, on a désormais un peu de choix :
●● de superbes divertimenti pour vents, quatuors
clarinette-cordes et sextuors à vent (par le merveilleux Consortium
Classicum, chez CPO et chez MDG). Les Quatuors
avec clarinette sont d'une délicatesse poétique absolument
merveilleuse ;
●● deux oratorios : l'un sur la Nativité (La celebre Natività del Redentore)
où l'on sent aussi bien passer Mozart que Méhul et Rossini (Spering
chez Capriccio), l'autre plus opératique (Gioas, re di Giuda,
Gernot Schmalfuss chez MDG… avec Thomas Quasthoff !) dans un style
classique augmenté de tournures plus dramatiques issues plus gluckistes
/ beethoviennes, sur un livret de Metastasio (qui contient notamment la
version en contexte de « Io tremo » / « Ah, l'aria d'intorno », l'air dramatique italien plus tard mis en
musique par Schubert,
auquel une notule avait été consacrée – la version de Cartellieri
évoque beaucoup le duo Anna-Ottavio sur le corps du Commandeur) ;
●● et surtout les œuvres dont je parlais précédemment : les concertos pour clarinette
répartis sur deux volumes chez MDG (captés avec beaucoup de naturel
comme toujours), magnifiés par la merveilleuse rondeur du démiurge
Dieter Klöcker, à mon sens l'un des meilleurs clarinettistes de tous
les temps
●● et surtout et les 4 symphonies par l'Evergreen
Orchestra et Gernot Schmalfuss (CPO), écoutez absolument la Première.
■ Les Quatuors avec clarinette
composeraient un couplage très naturel et convaincant avec le Quintette
clarinette-cordes de Mozart (mais si vous voulez plutôt le coupler avec
ceux de Neukomm, Hoffmeister, Baermann ou Reger, je vous autorise à ne
pas jouer les Cartellieri tout de suite),
■ Les concertos pour clarinette
et plus encore la Première Symphonie
feraient un triomphe en salle : ils sont immédiatement accessibles et
jubilatoires, en plus d'être en réalité remarquablement écrits. Un
concert qui vendrait « le chef qui a créé l'Héroïque était aussi un
compositeur de génie » pourrait probablement fonctionner, quitte à
jouer l'Héroïque en seconde partie pour assurer « le dialogue entre les
œuvres » (en réalité le remplissage, mais c'est tout à fait légitime).
■■ Il existe aussi d'autres concertos
qui
n'ont pas été rejoués à ma connaissance et dont les nomenclatures font
saliver : flûte, cor, basson, 2 flûtes, hautbois-basson (!),
hautbois-basson-cor ! Quelle fête ce pourrait être !
Josef Triebensee.
→ Passé à la postérité pour ses arrangements des opéras de Mozart en
octuor à vent – particulièrement Don
Giovanni et quelquefois la Clémence
de Titus, les arrangements des Noces
et le plus souvent de la Clemenza
étant le plus souvent dûs à son contemporain Johann Went ; pour Così,
c'est en général le toujours très en vie Andreas Tarkmann, génie de
l'arrangement, qui est choisi. Il a également composé ses propres
œuvres pour ce même ensemble de huit souffleurs : 2 hautbois, 2
clarinette, 2 bassons, 2 cors. (Et également arrangé Médée de Cherubini ou la Symphonie
n°92 « Oxford » de Haydn.)
→ Conception assez traditionnelle de l'arrangement, où des instruments
tiennent le rôle des solistes (hautbois, dont il jouait, pour « Deh se
piacer mi vuoi »,
clarinette pour « Vengo, aspettate », basson pour « Là ci darem la mano
», « Deh vieni alla finestra », « Del più sublime soglio » ou « Parto,
ma tu ben mio », cor pour « Ah, se fosse intorno al trono »),
respectant de près les accompagnements écrits par Mozart, dans un
résultat de sérénade lyrique très harmonieuse. Pas aussi inventif et
ravivé que Tarkmann, mais toujours très réussi.
● Beaucoup de choix parmi les disques. J'en cite quelques-uns.
●● Pour le maximum de typicité, il faut
écouter l'Oslo Kammerakademi
dans La Clemenza di Tito
(chez LAWO), saveur incroyable des timbres (ce cor phénoménal) et
vivacité éloquente du théâtre. Le disque de l'Ensemble à vent du
Philharmonique de Berlin reste assez indolent (et plutôt terne de
timbres, étrangement), je ne vous le recommande pas.…
●● Le disque du Linos Ensemble pour
Don Giovanni
(Capriccio) permet d'entendre une très large sélection, couplée de
surcroît avec le final du II virtuosement rendu par l'arrangeur du XXe
siècle Andreas Tarkmann. L'Octuor à vent de Zürich, autre sélection
très large pour un joli disque un peu plus sèchement capté chez Tudor,
utilise la fin écrite par Triebensee, beaucoup plus concise : elle
relie « Già la mensa è preparata » à « Quest'è il fin di chi fa mal »,
et boucle le tout en trois minutes !
●● L'Octuor à vent Amphion a
aussi bien enregistré des extraits de
Médée que les compositions de Triebensee, évidemment un peu moins
jubilatoires que les arrangements de Mozart.
■ Les orchestres qui ont la tradition d'extraire des solistes pour des
soirées de chambre (soit à peu près tous les orchestres parisiens de
premier plan : Opéra, Philharmonique, National, Chambre, Orchestre de
Paris…) pourraient tout à fait programmer sans grand risque les
arrangements de l'ami Triebensee, avec l'argument Mozart. C'est un
voyage absolument délectable, une façon différente de réinvestir ces
musiques très bien connues, et une démarche respectueuse, en fin de
compte, des traditions d'époque.
François-Louis Perne
(1772–1832).
→
D'abord choriste (1792) et contrebassiste (1799) à l'Opéra de Paris,
Perne est de 1816 à 1822 directeur du Conservatoire de Paris («
inspecteur général des Études de l'École royale de musique et de
déclamation »), prédécesseur immédiat de Cherubini.
→→ Il a avant tout été un chercheur et
essayiste, fasciné par la musique antique et le grégorien, réalisant un
certain nombre d'éditions de textes théoriques anciens (sur le rythme
antique, sur le rebec…), récrivant Iphigénie
en Tauride de
Gluck en notation grecque, s'intéressant aux liens entre la musique,
les autres arts, la société… Outre son travail d'éditeur, la majorité
de ses articles ont été publiées dans le périodique de Fétis, la Revue et gazette musicale de Paris.
→ Il n'est pas certain qu'il ait beaucoup produit, et la musique qu'il
laisse est surtout formelle, très marquée par les formats anciens
(fugue, canon…). Ses trois messes sont écrites dans un contrepoint
archaïsant, témoin de la vogue pour le retour au plain-chant grégorien
et à Palestrina dans les premières décennies du XIXe siècle. Avec toutes les controverses afférentes.
● Je n'ai pu mettre la main que sur trois
pistes réparties sur deux disques, le Kyrie de la Messe des solennels mineurs
chez Aparté (programme passionnant de l'ensemble Gilles Binchois
consacré à ce renouveau XIXe du plain-chant, à faux-bourdon), et
Sanctus & Agnus Dei non crédités en complément du disque Boëly de
Ménissier dans la collection « Tempéraments » de Radio-France. On y
entend pour l'un la simplicité archaïsante, pour l'autre la maîtrise
contrapuntique de cette écriture. Rien de particulièrement saillant en
soi, mais la démarche me paraît tout à fait fascinante, un écho à l'épopée de Félix Danjou – le disque de
Ménissier est d'ailleurs le seul à ma connaissance où l'on puisse aussi
entendre sa musique !
■ Je doute que l'on puisse faire entendre ce type de programme et
fédérer un public nombreux (Niquet a bien joué ce type de pièces rétro,
mais c'était avec des noms comme Gounod et Saint-Saëns !)… à moins d'en
faire un concert narratif « Les Aventuriens du grégorien perdu », « La
bataille de Paris » ou « Quand les femmes furent bannies des églises ».
Ce serait assez réjouissant à entendre narrer. (S'il faut quelqu'un
pour écrire le texte à titre gracieux, je suis là.)
Prince Louis Ferdinand de Prusse.
→ Neveu de Frédéric le Grand, il est avant tout soldat (et meurt au
front), mais aussi un pianiste
considéré de grande valeur. C'est pour lui que Rejcha écrit son
monumental L'Art de varier,
très vaste cycle (il se trouve au disque, mais je ne trouve vraiment
pas que ce soit le sommet de l'art du compositeur… je vous
recommanderais plutôt le Quatuor
scientifique, pensé dans une démarche toute différente) ; c'est
aussi le dédicataire du Troisième
Concerto de Beethoven !
● On trouve au disque de la musique de chambre (octuor, trios
piano-cordes, quatuor avec piano…) et des rondos pour piano et
orchestre : autour de Horst Göbel (et son trio) chez Thorofon (trois
volumes), du Trio parnassus pour SWR Music (parution uniquement en
dématérialisé) et le Valentin piano Quartet chez Musicaphon. L'Octuor
se défend joliment, mais quelle que soit l'œuvre, on demeure dans la
convention du temps ; non pas que ce soit plat, mais on y rencontre
assez peu de surprise et d'éclat, pas de thèmes très marquants non
plus.
■ Pourquoi pas oser un concert consacré aux têtes couronnées
compositrices… mais, à la vérité, j'aimerais mieux qu'on programme
d'abord de la grande musique oubliée.
Johann Wilhelm Wilms (1772–1847).
Thomas Byström.
Maria Frances Parke (1772–1822). Comme Campanus, c'est aussi son double
anniversaire cette année !
Voici pour cette livraison… Vous voyez combien non seulement on trouve
énormément de choses au disque, même de ces figures semi-obscures ;
mais de surcroît combien il ne serait pas si malcommode de glisser un
petit Cartellieri, ou de bien remplir avec Mondonville ou les
arrangements de Triebensee (petit format qui coûte moins cher de
surcroît). Messieurs les programmateurs, il ne tient qu'à vous de nous
égayer – et de nous éveiller au vaste monde au delà de l'horizon,
certes pourvu des plus belles montagnes, du démiurge Beethoven.
Je ne m'attarde pas ici. Quelques très grandes figures, célèbres ou
vraiment plus du tout au répertoire, nous attendent pour la prochaine
livraison – la septième va vous
étonner !
1822 – Dupuy, Davaux, Hoffmann… :
la perte des Reines du Nord, l'inventeur véritable du métronome,
l'auteur de génie qui compose…
Troisième livraison
Nos héros morts ou nés en cette année 2022 :
Dupuy au centre, puis de haut en bas Raff, Davaux, Hoffmann, Franck.
[[]]
Premier mouvement du Concerto pour basson en ut mineur d'Édouard
Dupuy.
Sambeek, Chambre de Suède, Ogrintchouk (BIS 2019).
(Pour la démarche et la légende, vous pouvez vous reporter à lapremière partie(au bas de la quelle
j'ai également servi cette nouvelle fournée de gourmandises.)
Mort en 1822
(200 ans du décès)
1822 Édouard Dupuy
(1770–1822) (ou du Puy, ou Du Puy…)
→ Quel gaillard que ce Dupuy ! Il naît en Romandie, canton de Neuchâtel, élevé par un
oncle musicien. De là, accrochez-vous : il part à Paris
étudier le piano avec Dussek et le violon avec Chabran. Il est aussi un
excellent chanteur, se produisant sur scène en Don Giovanni, un baryton
assez léger pouvant tout de même tenir au besoin les rôles de ténor et
de basse, voire chanter des parties en falsetto !
→
→ Il rencontre le frère de Frédéric de Prusse
et c'est le début d'un tour d'Europe : le voilà musicien, puis chanteur
au service de la chapelle du Prince. Mais il séduit, après les
actrices, trop de dames de l'aristocratie – et il se présente à
l'office du dimanche sans descendre de monture (non, je ne
parle pas des duchesses, tenez-vous enfin !) –, si bien qu'il
est expulsé du pays.
→ → Qu'à cela ne tienne, tournées
en Pologne, en Allemagne, et notre bougre
devient violoniste à l'orchestre de la Cour royale de Suède
; il y rencontre aussi un vif succès en chantant dans les opéras
comiques traduits de Grétry et Gaveaux, alors très en vogue dans le
pays – son accent français étant considéré comme un atout
supplémentaire. Mais il fréquente de trop près (i.e. soulève)
Sophie Hagman, la maîtresse royale officielle du prince Frederick
Adolf, et chante des airs à la gloire du Premier Consul, assez peu
goûtés en monarchie. Bannissement.
→ → Il faut bien se contenter du Danemark (où il se marie,
mais qui s'en soucie ?), où il atteint la gloire à de multiples titres
: succès retentissant pour son Ungdom
og Galskab (« Jeunesse et folie »), opéra comique appuyé sur un
livret de Bouilly pour Méhul ; triomphe dans le rôle-titre de Don Giovanni
; coqueluche des cercles mondains (ayant ses propres réceptions) ;
carrière d'officier militaire dans les Chasseurs Danois, où il mène une
résistance admirée face aux Anglais en 1807 ; enfin le dernier titre de
notoriété, celui que vous attendiez, il est pris en flagrant délit de
gros bisous avec la princesse héritière Charlotte Frederikke qui avait
sollicité ses leçons de chant !
→ → Mais entre temps… le prince
suédois est renversé et remplacé par Bernadotte, Dupuy peut retourner
en Suède comme rien
de moins que chef (sévère) de l'orchestre de la
Cour. On pense même qu'il enseigna au jeune Berwald.
● Peu de choses au disque, mais beaucoup de marquantes. Voici par quoi
commencer :
●● Le Concerto pour basson en ut
mineur, retrouvé par Bram van Sambeek – l'histoire de sa
résurrection est saisissante : le bassonniste avait demandé une copie
du Quintette (basson & quatuor à cordes) en la mineur, qui existe
aussi sous forme de concerto – ce quintette est sa seule œuvre un peu
jouée et enregistrée avec le Concerto pour flûte n°1 et l'Ouverture d'Ungdom og Galskab. Il avait reçu
par erreur ce concerto dont il ignorait l'existence ! L'univers
sonore en est très dramatique (certaines mélodies sont peut-être
empruntées à des opéras), on sent l'influence du drame d'école
cherubinienne dans ses tournures à l'éclat farouche et sombre. Le thème
B du premier mouvement est absolument ineffable, et son introduction
très originale : le thème A est joué seulement à l'orchestre, pendant
près de deux minutes, et le basson fait son entrée sur ce véritable
thème B… mais caché sous la clarinette qui chante la ligne supérieure
du thème ! Possiblement un clin d'œil du compositeur, puisque le
beau-frère du commanditaire était Crusell, le grand clarinettiste de
ces années, qui officiait dans lui aussi dans l'Orchestre de la Cour de
Suède… leur entrée était ainsi commune. Cette liberté formelle et ce
sent du contraste m'évoque beaucoup le premier mouvement du Concerto
l'Empereur de Beethoven, pour rester dans les menus compliments…
Splendide disque disponible chez BIS, parution de 2019 ou 2020, et l'un
de ceux que j'ai le plus écoutés cette année toutes catégories
confondues…
●● Son opéra comique à succès Ungdom og Galskab(d'après un livret pour Méhul par
Bouilly, l'auteur de Léonore
qui a servi à Gaveaux puis Beethoven) a été remarquablement enregistré
chez Dacapo (la branche danoise de Naxos, très richement pourvue en
raretés de qualité exceptionnelles, de Kunzen à Ruders en passant par
Hamerik), avec notamment les superstars vocales et artistes de premier
plan Elming, Cold et Schønwandt ! En bonus, le Concerto pour
flûte n°1, lui aussi assez dramatique, qui reprend des tèmes de
l'opéra.
■ Je peux comprendre que l'on ne représente pas d'opéras en danois (et
je ne vais pas revenir dans cette notule sur l'intérêt majeur dans ce
cas d'une version traduite…), mais les concertos remporteraient un vif
succès auprès du public.
On pourrait imaginer, au choix :
■■ Une soirée « Dupuy le séducteur » avec un récitant qui raconte de
façon plaisante ses aventures : Pauline Long des Clavières, Roger
Cotte, Gorm Busk, Vincent Alettaz ont mené des recherches assez
précises pour pouvoir soutenir une heure et demie de spectacle
entrecoupée de musiques, pour peu qu'une plume un peu adroite le
présente un peu savoureusement. Ce n'est pas mon idéal de spectacles,
mais on a pu vendre du Saint-George avec ce concept, je ne vois pas
pourquoi on ne pourrait pas vendre de la bonne musique avec la même
idée !
■■ Une soirée « Concertos classiques / premiers romantiques pour vents
», avec la flûte de Dupuy, le hautbois de Mozart (pour rassurer les
gens), la clarinette de Cartellieri (ou Crusell, ou Krommer…), le
basson de Hummel… On pourrait vraiment proposer un concept original,
intriguant, délicieux et convaincant. (Pendant ce temps la Philharmonie
invite La Scala pour jouer Pétrouchka et Oslo pour jouer Mahler…)
Jean-Baptiste Davaux (ou
d'Avaux)
→ Figure tout à fait considérable et pourtant quasiment pas représentée
au disque ni dans l'imaginaire collectif. Il se considérait lui-même
comme amateur, mais a laissé des opéras comiques à succès, des
symphonies très bien accueillies, et beaucoup de concertos et
symphonies concertantes, souvent programmées au Concert Spirituel et largement
fêtées par le public et la presse dans les années 1770-1790.
→
→ Venu étudier le violon à Paris, Davaux fréquente les cercles
littéraires, musicaux (notamment Martini et Saint-George), est membre
de la loge maçonnique des Neuf Sœurs (celle de Voltaire et Franklin )…
un garçon très inséré, et qui est aussi l'inventeur d'un « chronomètre » réalisé par Bréguet
lui-même, en réalité un métronome visuel. On sélectionnait le nombre de
temps par mesure, la vitesse de chaque temps avec la petite aiguille,
et la grande indiquait alors la pulsation. On est trente ans environs
avant Maelzel – qui, certes, est réputé avoir volé son propre système.
Un honnête homme complet, donc.
● Pour autant, à ma connaissance, une seule œuvre est actuellement
disponible au disque, la Symphonie concertante
mêlée d’airs patriotiques pour deux violons principaux (1794).
Dans deux excellentes versions couplées avec d'autres œuvres de la
période, celle du Concerto Köln de 1989 (qui n'a pas du tout vieilli)
et celle toute récente du Concert de la Loge Olympique, deux ensembles
qui se sont illustrés parmi les meilleurs interprètes des compositeurs
français de cette génération. On y entend, dans une veine
primesautière, des citations d'airs patriotiques, à peine ornées de
variations, qui ont l'avantage d'être aussi ceux que nous connaissons :
La Marseillaise dans le
premier mouvement, « Vous, qui d’amoureuse aventure » de Dalayrac (très
populaire sous la Révolution et recyclé ensuite en « Veillons au salut
de l'Empire ») dans l'adagio, la Carmagnole
et Ça ira dans le final… Très
réjouissant, aurait un énorme succès en concert, exactement comme à
l'époque où ces thèmes connus garantissaient par avance la sympathie du
public.
■ Sans même explorer plus avant le fonds du catalogue Davaux, imaginez
un concert « patriotique » au
moment judicieux, où l'on jouerait la Marseillaise
de Berlioz, Hermann & Dorothée
de Schumann (il existe aussi une version orchestrale des Deux Grenadiers), 1812 de Tchaïkovski, Feux d'artifice de Debussy, La nouvelle Babylone de
Chostakovitch (une BO)… et bien sûr, si l'on veut, le 25e Concerto pour
piano de Mozart… Cette symphonie concertante s'y glisserait avec
beaucoup de succès, et nul doute qu'un 14 juillet ou un week-end
d'élections, cela pourrait motiver un public beaucoup plus vaste que
l'ordinaire.
E.T.A. Hoffmann (en
réalité E.T.W. Hoffmann)
→ On présente souvent Hoffmann comme un écrivain, à l'instar de
Nietzsche ou Adorno, qui écrivait aussi un peu de musique. En réalité,
une grande partie de sa vie, y compris professionnelle, y a été
consacrée ! Il écrit au moins 13 œuvres pour la scène (et qui
sont jouées), des
cantates, de la musique sacrée, de la musique symphonique et
chambriste,
et il est même, à la fin des années 1800, chef d'orchestre au théâtre
de Bamberg !
→
→ Tout les commentateurs sont frappés par la sagesse de sa musique, en
opposition avec son imagination fantastique
dans ses écrits. Il admire Mozart, mais compose vraiment comme la
génération d'après, d'un romantisme évident, et qui conserve cependant
une partie de sa grammaire classique. Je concorde : même ses opéras
sont assez paisibles.
● Il m'a fallu beaucoup de patience, et notamment à l'occasion de cette
notule, pour rencontrer des œuvres qui méritent vraiment d'être
entendues pour des raisons purement musicales, et non par seule et
légitime curiosité d'entendre la musique pensée par le grand écrivain :
la plupart de son catalogue ménage très peu de surprises, de la jolie
musique du rang, bien faite, mais sans saillance qui traduise la
singularité d'un esprit. Presque des devoirs d'étudiant, qui cherche à
réutiliser habilement les tournures autorisées, et qui se fait
progressivement un métier en imitant ses pairs et en respectant les
règles.
●● Jolie Symphonie en mi bémol,
plusieurs fois enregistrée,
très bien réalisée par M.A. Willens chez CPO (très vivant)… mais la
comparaison avec
celle de Witt proposée en couplage (qui n'est pourtant pas la meilleure
de sa génération) est cruelle : dans l'une, tout est à sa place, d'un
bel équilibre, écrit en toute correction, tandis que l'autre propose
des gestes plus singuliers, la marque d'un compositeur qui réfléchit
sur la substance musicale et ne se contente pas de reproduire des
formules préexistantes. Pour autant, la symphonie d'Hoffmann, ainsi
jouée, mérite l'écoute.
●● Les opéras (ou le mélodrame Dirna) et la musique de chambre, qui figurent
désormais assez largement au disque, m'ont paru moins marquants,
vraiment la musique du rang de son temps : pas déshonorant, et même
impressionnant pour quelqu'un d'aussi talentueux par ailleurs, mais
assez peu de saillances pour justifier d'y passer beaucoup de temps
alors que le disque offre tant de choix plus exaltants.
●● C'est sans doute la musique
sacrée qui est la plus intéressante, la Messe et surtout le Miserere (plutôt la version
Bamberg-Beck chez Koch/DGG que R.Cologne-R.Huber chez CPO). Le disque
Beck permet de surcroît de disposer d'une bonne version de la
symphonie, c'est-à-dire de faire le tour de l'essentiel en un disque.
Mais je ne doute pas que vous ne soyez suffisamment curieux pour
essayer les opéras tout de même…
■ Le nom d'Hoffmann étant lui-même vendeur, on peut imaginer tous les
formats !
■■ Le concert-lecture bien sûr, par exemple avec sa musique de chambre
entre ses écrits. Mais attention au contraste entre la précision
évocatrice, les situations saisissantes de ses fictions, et la
conformité un peu lisse de ses compositions.
■■ L'écho, par exemple sa Messe
ou son Miserere en regards de bouts des Contes d'Hoffmann ou bien sûr de Don Giovanni.
■■ Un concert consacré aux
écrivains célèbres qui étaient également compositeurs, il y en a
quelques-uns (Nietzsche est tout à fait intéressant, Adorno pas
vraiment).
■■ D'une manière générale, il ne
serait pas très compliqué de glisser une piécette pour pimenter un
programme de l'époque, suscité la curiosité du public « oh, un truc
d'Hoffmann ».
Et aussi :
William Herschel (1738–1822).
Gaetano Valeri (1760–1822).
Maria Brizzi Giorgi.
Maria Frances Parke, dont c'est deux fois l'anniversaire cette année
(1772-1822).
Maria Hester Park (1775–1822).
Né en 1822
(200 ans de la naissance)
César Franck
→ J'irai vite sur Franck également : figure majeure de la musique (de
langue) française, le pont entre son auditoire parisien et le
chromatisme wagnérien qu'il fait infuser sur toute une génération de
compositeurs français dont les audaces nous fascinent ensuite. Je
trouve frappant qu'on entende chez Franck à quel point c'est aussi un
homme du monde qui a précédé : on entend ses années de formation dans
certaines de ses œuvres, je veux dire par là qu'on entend qu'il n'a pas
été, lui, éduqué par Franck, et que le socle de son art repose sur des
formules plus simples que celles qu'il a adoptées et diffusées par la
suite. Jusque dans les œuvres de maturité, il reste quelque chose d'un
peu stable et nu quelquefois.
● Son catalogue est amplement servi, quelques pistes si vous êtes
perdus.
●● Le plus décanté, dense et abouti,
représentatif de sa pensée chromatique aux extérieurs simples, réside
sans doute dans ses 3 Chorals
pour orgue. Énormément de versions, parmi lesquelles j'aime beaucoup
Guillou chez Dorian (la registration variée favorise la progression),
M.-C. Alain 1976 chez Erato / Apex (registration peu éclatant, mais
poussée constante), Latry (son brillant, respiration ample mais
toujours tendu).
●● Dans le même goût, mais plus ouvertement retors et sinueux,
bifurquant sans cesse entre les tonalités, que réellement décanté, le Quatuor en ré. Par exemple par les
Petersen chez Phoenix (si l'on aime le son un peu pincé et le vibrato
généreux) ou par les Danel chez CPO (si l'on veut avant tout de la
lisibilité et du mouvement plutôt que de la couleur).
●● La Symphonieen ré mineur est incontournable,
mais attention aux versions lourdes et germanisées que l'on rencontre
le plus souvent, y compris avec des orchestres français (Mikko Franck)
ou même des chefs français (Monteux). On perd alors beaucoup de
lisibilité et surtout d'intelligibilité… L'urgence de Cantelli, la
transparence d'Otterloo, la franchise très française de Gendille (quel
style !), la filiation française de Lombard et Langrée, ou plus
germanique mais très réussi, la rondeur tendue d'Arming ou l'élan
cursif de Neuhold… ce sont de bonnes adresses.
●● Pour disposer d'une idée de ce que produit l'éducation musicale de
Franck, il faut plutôt se tourner vers l'opéra… Je n'ai pas vérifié si Stradella avait
été publié en DVD, mais c'est un opéra qui donne à entendre tout un
versant italien, beaucoup plus nu et méconnu, de Franck, et assez
réussi. (Tandis que Hulda,
enregistrée récemment et bientôt donnée par Bru Zane, me paraît receler
assez peu de merveilles à la lecture comme à l'écoute…)
●● Peut-être plus abouti dans le genre du Franck-tradi, on peut aller
écouter ses mélodies et ses chœurs,
sacrés ou profanes. Par exemple avec le bel album paru l'année passée De l'autel au salon (Chœur de
chambre de Namur, Lenaerts, Musiques en Wallonie), qui fait entendre
des œuvres à la fois simples et manifestant une maîtrise précise des
moyens musicaux.
■ La musique vocale, mélodies et musique chorale, est sans doute ce que
l'on connaît le moins de lui. Ce serait l'occasion d'en mettre un peu
au programme. Cette saison, Bru Zane va déjà nous offrir Hulda dans les meilleures
conditions sonores imaginables (distribution et orchestre). Un petit
concert plus chambriste serait très bienvenu aussi.
Josef Joachim Raff.
→ Je connais mal Raff, et ce que j'en connais ne m'a que modérément
donné envie d'approfondir. Romantisme allemand assez épais, qui essaie
d'échapper au formalisme par des programmes, mais auquel il manque à
mon gré le sens de la surprise, du contraste, de l'orchestration, de la
mélodie aussi. Tout ronronne bien joliment et je n'ai à ce jour pas été
ébloui, en particulier par les symphonies, qui jouissent de la
meilleure réputation. Le catalogue étant vaste et bien documenté, il
m'aurait fallu plus de temps que je n'en ai pour chercher les pépites,
dans un goût qui me passionne moins que les autres individus dont j'ai
parlé ici.
→ Ce serait justement la tâche de l'anniversaire que de compter sur des
musiciens qui auraient déniché la pépite, comme le font Héloïse Luzzati
ou Francis Paraïso, et de leur laisser la place le temps d'une soirée
thématique où ils sauraient sléectionner le meilleur !
Luigi Arditi.
Faustina Hasse Hodges.
Betty Boije
Vous le verrez, 1872 est encore plus concentré en grands noms – ou noms
de moindre renommée mais au catalogue ébouriffant ! C'est 1922
qui est un peu décevant, alors que 1972 tient très bien son rang
!
Mais si vous ne connaissez pas Dupuy et Davaux, ou si vous êtes un peu
curieux des aspects méconnus d'Hoffmann et Franck, vous devriez avoir
déjà de quoi vous émerveiller un peu, en attendant.
Quatrième livraison
À gauche : Moniuszko, Carafa.
À droite : Graener, Alfvén.
[[]]
Variations sur « Prinz Eugen » de Paul Graener.
Radiophilharmonie de la NDR de Hanovre (pas le Symphonique, sis
à Hambourg, qui fut dirigé par Wand ou Hengelbrock),
une des plus belles discographies d'Allemagne.
W.A. Albert (CPO).
(Pour la démarche et la légende, vous pouvez vous reporter à lapremière partie(au bas de laquelle
j'ai également servi cette nouvelle fournée de gourmandises.)
Mort en 1872
(150 ans du décès)
Stanisław Moniuszko.
→ Artiste majeur en Pologne,
considéré comme le compositeur
emblématique d'opéra. Pour le piano, il y a bien sûr Chopinski
et Paderewski (en outre politiquement capital) ; pour la musique
d'aujourd'hui Penderecki, mais pour les amateurs d'opéra, la figure
majeure, c'est Moniuszko.
→ Pourtant, à l'écoute, je ne trouve pas ses œuvres les plus célèbres
très passionnantes.
→
→ Straszny
dwór(« Le Manoir hanté ») est un opéra comique
manifestement écrit sur le modèle d'Auber – et ce ne serait pas un très
grand Auber, des ariettes à ploum-ploum, peu marquant mélodiquement
dans l'ensemble. Le sujet, lui, est apparenté aux instrigues
fantastiques un peu bouffonnes façon Boïeldieu (La Dame blanche) ou Adam (Le Farfadet).
→ → Halkaest tout l'inverse : une
hypertragédie. Une fille séduite descend, au fil de ses espoirs déçus,
de la certitude de sa perte et de la méditation de sa vengeance, dans
l'abîme suscité par la trahison la plus noire Tout est moche et tout
finit très mal. C'est un peu Jenůfa,
avec un côté emphatique comme les drames de Dumas ou Pixerécourt… et
une musique qui s'apparente plutôt à du Weber sage (plutôt celui d'Abu Hassan ou du ventre mou d'Euryanthe). L'œuvre est plutôt
convaincante, mais je vois mal, là aussi, comment faire triompher une
musique qui n'est pas complètement exceptionnelle sur une scène dont ce
n'est pas du tout la langue. (Ou alors il faudrait mobiliser des moyens
exceptionnels côté chant et mise en scène – il ne se passe vraiment
rien à l'acte II, elle se plaint sans écouter son autre soupirant qui
se plaint aussi – mais à ce compte-là, pourquoi ne pas placer l'effort
sur une œuvre qui pourrait réellement s'imposer au répertoire ?)
→ → Ses autres opéras, tel Paria, son opéra de jeunesse à
sujet bouddhique, sis à Bénarès, écrit dans un goût italien pour
s'introduire auprès du public européen, ne m'ont pas paru plus
marquants…
● Je recommande donc plutôt des genres qui ne sont pas les plus
célébrés chez lui :
●● Les seules œuvres que j'ai réellement trouvées hors du commun sont
ses cantates, Milda et Nijoła (Philharmonique de Poznań
dirigé par Borowicz chez DUX) : on y rencontre une superbe déclamation
polonaise (et très bien mise en valeur, chantée et accompagnée), et
doté d'une qualité mélodique toute particulière. Je recommande ceci
très vivement !
●● la Messe en laet des motets (album « Sacred Music » chez
DUX, par Łukaszewski), très recueillis et consonants, pas vraiment
personnels mais réellement agréables
au meilleur sens du terme (attention, il existe un autre disque,
consacré aux Messes polonaises
et chanté par le même chœur, qui m'y avait semblé de sensiblement moins
bon niveau) ;
●● le Premier Quatuor, également d'un beau
romantisme simple. Les Plawner chez CPO ne m'ont pas complètement
emporté ; c'est mieux par le Quatuor Camerata chez DUX, donné avec son
Deuxième et le Premier de Dobrzyński ; mais surtout, si vous pouvez le
trouver, le disque issu de la compétition Moniuszko (il y a toute une
série, passionnante), avec l'ãtma SQ (sur instruments anciens) et le
Quartetto Nero, à nouveau chez DUX : ces jeunes musiciens surpassent
toute la concurrence en tension, timbres, urgence, lisibilité, et
haussent considérablement la réception de ces œuvres. (Toute cette
série de la Compétition Moniuszko chez DUX mérite largement le détour,
au passage : ainsi dans ce disque, on peut découvrir la prégnance
mélodique hors du commun des œuvres de Henryk Melcer-Szczawiński, et il
en va de même pour beaucoup d'autres découvertes sur les autres
volumes.)
● Du côté de ses opéras célèbres : on trouve des vidéos, les deux ont
été diffusés sur Operavision.eu (même deux versions différentes du Manoir !). Ce peut aider (si vous
êtes patient).
■ Au disque, DUX est là pour nous, avec son travail exceptionnel en
qualité, en quantité, en audace… Au concert, je ne suis pas persuadé
qu'on puisse réellement produire des étincelles devant un public non
polonais. Mais j'accueillerais avec grand plaisir une cantate !
On pourrait coupler ça avec une symphonie de Szymanowski ou Penderecki
qui ferait déplacer un peu de monde sans être totalement téléphoné, et
puis un petit concerto de Chopin avec Martha Argerich pour assurer le
remplissage. (On pourrait aussi imaginer des programmes « Partage de la
Pologne » ou « Pologne martyre », associée à un discours historique /
pédagogique, qui entrerait assez bien dans les missions de la
Philharmonie (et dans notre futur européen proche ? vu les
opinions géopolitiques des candidats à la Présidence…).
■ C'est là où le principe de l'anniversaire trouve ses limites, parce
que si l'on veut de la musique polonaise lyrique, il existe tout de
même un certain nombre de chefs-d'œuvre considérables avec Żeleński,
Nowowiejski, Różycki ou Penderecki ! Ceux-là pourrait remporter
un véritables succès – en plus du Roi
Roger de Szymanowski qu'on pourrait redonner un jour dans une
production qui le laisse un minimum intelligible (coucou Warlikowski).
Michele Carafa.
→ Napolitain venu étudier à Paris avec Cherubini, auteur de 29
opéras, dont Jeanne d'Arc à Orléans
et La Belle au bois dormant
!
● Au disque, on ne dispose semble-t-il d'aucun opéra intégral. Une cantate avec piano, Calisto (dans « Il Salotto »vol.2 chez Opera Rara), un air deLe Nozze di Lamermoordans le récital « Stelle di Napoli
» de Joyce DiDonato,
et deux scènes de Gabriella
di Vergy, l'une dans un récital Matteuzzi avec Bruce Ford
(atrocement captés), l'autre dans un récital d'Yvonne Kenny (accompagné et mené
avec beaucoup de présence par le même David Perry mou avec Matteuzzi !)
qui est le meilleur témoignage qu'on puisse trouver de la musique de
Carafa. Tout cela s'apparente à du belcanto bon teint, avec les mêmes
formules que partout ailleurs. Plutôt joliment fait au demeurant (en
particulier les introductions développées, ou certains récitatifs un
peu rapides), mais absolument rien de singulier, pour le peu qu'on en
puisse juger.
■ Je serais évidemment ravi qu'on reprenne l'une de ses œuvres, en
particulier française, pour pouvoir se faire une idée sur pièce. À
l'occasion d'un petit cycle Jeanne d'Arc où
l'on pourrait jouer l'opéra de Mermet (qui se tient !), la
cantate d'Ollone
(plutôt bien faite également, même si peu spectaculaire) et bien sûr
l'oratorio d'Honegger,
voire l'opéra de Verdi
? Un petit partenariat entre salles parisiennes ? Versailles et
TCE reprennent Mermet avec Bru Zane, la Philharmonie fait d'Ollone et
reprend son Honegger réussi, et l'Opéra de Paris se garde le Verdi parce
qu'il ne sait rien faire d'autre, ça vous dit ? Ce serait
parfait pour brosser dans le sens du poil l'électorat du futur
président de droite que nous aurons (lequel, je n'en sais rien,
mais je ne cours pas grand risque à pronostiquer qu'il ne sera
certainement pas de gauche), considérant l'Opéra de Paris pour
lequel toute la France paie, que le Peuple de France en ait pour sa
fierté, on célèbre Jeanne ! (et on joue plein d'opéras russes,
cf. supra – de toute
façon Gergiev est le seul chef étranger à pouvoir venir quand le monde
s'effondre)
Nikolaos Mantzaros.
Carlo Curti.
[[]]
Premier mouvement de la Troisième Symphonie d'Alfvén,
Philharmonique Royal de Stockholm,
dirigé par le compositeur (Phono Suecia).
Né en 1872
(150 ans de la naissance)
Alors là, 1872, c'est l'année de folie ! J'essaie de classer en
commençant par ceux que j'ai le plus envie de voir reparaître !
Paul Graener.
→ Je commence par un cas difficile. Graener, né à Berlin, tôt orphelin,
occupe de hautes responsabilités,
professeur de composition au Conservatoire de Leipzig, de Vienne,
directeur du Mozarteum de Salzbourg, du Conservatoire Stern de Berlin…
et aussi membre de la Ligue de
combat national-socialiste pour la culture allemande, du parti
nazi, vice-président de la Reichsmusikkamer…
il devient particulièrement joué à
partir de 1933, quand le nouveau régime fait la place nette de
tous les dégénérés dans le
style, les idées ou la généalogie… La presse officielle lui est
favorable, ses thématiques s'alignent aussi avec l'idéologie du parti,
il a alors du succès. Il faut dire qu'il est plutôt bon élève : il
participe activement à la cabale contre Michael Jary en désignant sa
musique comme « babillage musical culturellement bolchévique de juif
polonais ».
→ Comme il meurt en 1944, il n'a pas pu essayer de s'expliquer / se
renouveler / se racheter / se karajaniser, et sa musique s'est tout
naturellement tarie au concert – on avait assez d'efforts à dépender
pour réintégrer les nazis qui
ne l'avaient pas fait exprès ou d'oublier qui étaient vraiment
Böhm ou Schwarzkopf, sans s'occuper en plus des morts qui ne
demandaient rien. Pas évident à brander
pour un concert d'aujourd'hui, clairement. (Et cela nous renvoie vers
l'épineuse question crime & musique, ou sous sa forme plus
ludique, génie & vilenie.)
→ Néanmoins, si l'on peut passer sur ces questions (une large partie de
sa musique est désormais dans le domaine public, et on n'est pas près
de lui élever des statues), et découvrir (comme je le fis) sa musique
sans avoir conscience de sa personnalité (il a adopté des enfants quand
sa fille est morte, si ça peut aider et il souhaitait peut-être
devenir éleveur de chats), il y a quelques pépites à découvrir.
● Bien qu'auteur de nombreux opéras
et lieder, on ne trouve à peu près, hors le cycle des Neue Galgenlieder sur des poèmes de
Morgenstern (Wallén & Randalu, chez Antes). On trouve également un
lied par Schlusnus (poème d'un cycle de Munchhausen, chez Documents
notamment, label japonais trouvable sur les sites de flux européens) et
un autre par Prey (Der Rock,
aussi sur un poème de Morgenstern, dans son anthologie « moderne »
reconstituée par DGG). Vu l'expressivité de sa musique d'orchestre, je
serais très curieux d'entendre ses opéras Don Juans letztes Abenteuer (1914)
ou Der Prinz von Homburg
(1935). Il a aussi commis un Friedemann
Bach (1931), on voit l'écart d'inspiration avec une figure
d'artiste comme celle de Johnny
spielt auf (l'opéra de Křenek manifeste du zeitoper) !
● En musique de chambre, on ne
trouve guère que les Trios (Hyperion Trio, chez CPO), qui m'ont semblé
assez plats – une ligne mélodique vaguement brahmsienne, et assez peu
de contenu stimulant dans les accompagnements, l'harmonie ou la forme.
● C'est donc surtout du côté symphonique
que le legs est fourni, quoique peu vaste : Comedietta par Abendroth (chez
Jube Classics par exemple), Die
Flöte von Sansouci (suite de danses pseudo-baroque, d'une
ambition limitée, avec le compositeur à la flûte accompagné par le
Philharmonique de Berlin – publication CD par Archiphon sous le titre
peu spécifique « 78 rpm rarities: Raw Transfers »)… et sinon les quatre
volumes de CPO consacrés à sa musique orchestrale :
●● vol.1 : Comedietta, Variations sur un chant
traditionnel russe (thème assez sommaire, mais variations faites avec
beaucoup d'adresse orchestratoire), Musik am Abend, Sinfonietta. De
belles œuvres, d'un postromantisme assumé (plus conservateur que celui
de Schmidt, mais on entend clairement le contemporain de R. Strauss, ce
n'est pas du Brahms !) ;
●● vol.2 : Symphonie en ré mineur
« Le Forgeron Misère » (qu'il faut plutôt entendre comme un grand poème
symphonique, assez séduisant, qu'y chercher une grande arche formelle
étourdissante), Échos
du Royaume de Pan(son
œuvre la plus aventureuse parmi celles publiées, qui ,intègre des
formules impressionnistes à son langage postromantique germanique, avec
des harmonies riches et surprenantes, des couleurs inhabituelles), et
ce qui est pour moi son chef-d'œuvre absolu : les Variations sur « Prinz
Eugen ».
Variations
sur « Prinz Eugen »
« Prinz Eugen, der edle Ritter »
(« Le Prince Eugène, ce noble
chevalier ») est une chanson traditionnelle écrite juste après le siège
de Belgrade, victoire sur les Turcs du prince Eugène de Savoie en 1717
(première trace de la chanson, manuscrite, en 1719), restée dans
l'imaginaire sonore collectif allemand.
Sur cette base, assez sommaire
musicalement, Graener déploie toutes les possibilités d'un orchestre :
discrète marche-choral aux vents, explosion de lyrisme aux cordes
(augmentées d'énormément de contrechants de bois, de fusées aux cors
!), fugato pépiant inspiré
des Maîtres Chanteurs
(l'une de ses influences majeures, j'ai l'impression)… Les pupitres, de
la caisse claire aux trompettes, sont tous utilisés pour leur
caractère, leur coloration, avec une rare science, et surtout une
variété rare pour une variation : le thème, quoique toujours aisément
identifiable, se transmute au fil des épisodes, et chaque itération, au
lieu de paraître juxtaposée, semble découler tout naturellement d'une
transition ou d'une rupture digne des progressions d'une grande
symphonie à développement. Un bijou, absolument lumineux et
jubilatoire, que je ne puis recommander trop vivement (l'œuvre que j'ai
de loin le plus écouté ces trois dernières années, elle a donc mon
assentiment…) ;
●● vol.3 : Concerto pour piano,
Danses suédoises, Divertimento,
une autre Sinfonietta. Des
œuvres abouties mais dont la singularité me paraît moins évidente ;
●● vol.4 : Concertos pour flûte, pour
violon, pour violoncelle. Très marquants, ici le concerto est
vraiment conçu comme un tout organique et la virtuosité n'y paraît pas
le but… le soliste joue beaucoup, certes, mais peu de traits sont mis
en valeur, tout est intégré à l'orchestre, sans chercher à tout prix la
mélodie non plus : je trouve le principe très rafraîchissant, il
échappe à l'enflure habituelle de la forme concerto qui n'a pas
toujours ma faveur. Une proposition très différente, que je serais ravi
d'entendre en concert.
● Donc, à écouter, sans hésiter les volumes 2 & 4 de l'anthologie
CPO.
■ Comment rejouer cela au concert ? Clairement, pour du
symphonique ou de l'opéra, il faut de gros moyens, et avec les
sensibilités vives sur ce point (et la culture accrue de la
protestation dans les milieux artistiques), il y a de grandes
probabiités que le projet meure avant que d'aboutir. Un artiste qui
avait projeté de remonter une de ses œuvres de chambre a expliqué que
les musiciens avaient collectivement renoncé, trop mal à l'aise avec la
personne du compositeur pour en faire la promotion, fût-ce
indirectement.
Néanmoins, les Variations sur «
Prinz Eugen », en début d'un concert dont ce ne serait pas le
contenu principal, ou en conclusion de programme, je garantis que cela
galvaniserait l'auditoire ! (Après tout ça ne semble poser de
problème à personne de tresser des couronnes à Karajan, Schwarzkopf ou
Böhm, de jouer à tout bout de champ Carmina
Burana, alors pourquoi pas une ouverture de Graener – elle
appartient désormais au domaine public, ses ayants droit, si par
extraordinaire ils étaient solidaires des pensées de leur aïeul, ne
toucheront pas un sou…)
Hugo Alfvén.
→ Vous allez être déçu, je n'ai pas pu glaner d'anecdotes bien
croustillantes sur Alfvén. Il a fait son tour d'Europe pendant dix ans,
comme chef notamment, puis
s'est installé à Stockholm et à l'Université d'Uppsala, a composé, a
été le compositeur suédois du début du XXe a remporter le plus de succès – avec Stenhammar.
→ Sa musique est donc assez généreusement documentée, bien qu'on ne la
joue jamais en France – l'anniversaire serait-il donc l'occasion ?
● La priorité, ce sont les symphonies.
La 1 par Westerberg, la 3 par Svetlanov, la 4 par Willén… vous pouvez
ainsi tirer le meilleur de ces pièces. Westerberg est plus âpre, Willén
plus enveloppant et organique. N. Järvi, assez lumineux, n'est pas
celui qui révèle le mieux les audaces de cette musique, mais sa
fréquentation reste agréable. Quant aux versions par Alfvén lui-même,
splendidement restaurées et publiées par Phono Suecia (on entend très
bien le détail !), je crois qu'elles surpassent tout par leur caractère
direct, net et emporté à la fois.
● Ses musiques de scène valent
aussi le détour, comme Gustaf II
Adolf ou Bergakungen.
● Même s'il n'a pas écrit d'opéra, sa
musique chorale est très simple et très belle, et fait partie
des corpus de référence du legs suédois. On le trouve dans des
anthologies (le merveilleux Sköna Maj
des Lunds Studentsångare) ou dans la monographie « OD sings Alfvén »
(OD pour Orphei Drängar, les « serfs orphelins », l'ensemble vocal qu'a
dirigé Alfvén).
● Sa longue vie nous permet de l'entendre diriger ses propres œuvres, et de
profiter de l'humour avec lequel il dirige les danses du Fils prodigue, ou de la flamme qui
habite son interprétation de sa cantate pour les 500 ans du Parlement
Suédois, ce que vous trouverez chez lui de plus proche d'un opéra
! Il a aussi été capté dans ses symphonies (3 & 4) avec le
Philharmonique Royal de Stockholm. Et je suis frappé de la vivacité de
jeu, de la clarté du spectre, de l'exaltation du rebond et des
références folkloriques dans la Troisième,
avec une sorte d'emphase souriante et volontairement exagérée, comme un
personnage d'opéra un peu grotesque qui chante sa chanson avec une
pointe d'excès. Absolument délicieux, très différent, et réellement
convaincant – probablement le compositeur à m'avoir le plus convaincu
dans ses propres œuvres !
Quant à la Quatrième, très
cursive (on croirait qu'il dirige Don
Juan de R. Strauss, tant l'orchestre fulgure !), elle inclut la
participation de la jeune… Birgit Nilsson !
■ Franchement, au concert, cela passerait tout seul ! Le
folklorisme bigarré et très charpenté de la Troisième Symphonie, jubilatoire si
on la joue en respectant cette composante, comme le font Svetlanov ou
Alfvén lui-même, ou le grand monument plus farouche de la Quatrième, en un seul mouvement,
avec ses voix solistes sans paroles, dont le programme se réfère à un
rivage tourmenté – une œuvre très frappante, qui aurait tout pour
plaire au public mahléro-sibélien ! Et si c'est trop, un poème symphonique, il y a beaucoup
de très beaux, même si moins ambitieux : ce serait déjà ça de gagné
! Un petit effort Messieurs les programmateurs, une fois que le
monde aura terminé de s'effondrer ? L'accroche est facile en
plus, avec les « Symphonies des rivages du Nord battus par les vents »,
faites-le avec des projections
de vidéos de mer démontée si cela vous aide à remplir – ce serait-ce
pas le type de format qui a en principe la faveur de la Philharmonie de
Paris ?
1872 est particulièrement riche : je vous laisse avec ces quatre
compositeurs, dont deux figures majeures, avant d'en venir à quelques
autres géants également nés en 1872, dans les prochains épisodes : von
Hausegger, Halphen, Juon, Büsser, Perosi, Séverac, Scriabine, Vaughan
Williams… !
Prenez soin de vous. Carnets sur sol
prend soin de vos oreilles.
Ce billet, écrit à par DavidLeMarrec dans la catégorie Portraits a suscité :
Après plusieurs rencontres coup sur coup au concert,
ces dernières semaines, où mes voisins me confient « vous savez, je
suis venu parce qu'il était mentionné sur un super agenda que j'ai
trouvé en ligne, je peux vous donner le nom si vous voulez, CARNETS SUR
SOL », je me sens quelque peu obligé de reprendre du service sur
l'agenda de Carnets sur sol (CARNETS
SUR SOL, si vous préférez).
B. Le besoin
capital d'un agile agenda
Je rencontre une difficulté pratique, figurez-vous :
les meilleurs concerts, les petites mignardises extrêmement rares (le Quatuor scientifique de Rejcha,
l'intégrale des trios et quatuors en quarts de tons de
Wyschnegradsky, Le roi Pausole
d'Honegger, Ropartz & Langlais à l'orgue, Fugue de Barber &
Chaconne de Gubaidula, rien que cette semaine !) sont annoncées
tardivement (une à deux semaines avant échéance), ou relevées
tardivement de ma part (il n'y a pas de d'urgence de réservation).
Aussi, quand je publie l'agenda de Carnets sur sol, vous n'avez
finalement que le repérage général des grandes salles, et pas tous les
petits concerts gratuits / au chapeau qui proposent en général les
expériences musicales les plus intenses – être au premier rang d'un
concert de quatuor, de mélodie ou même d'opéra avec des moyens de
fortune n'a rien à voir avec le fait d'entendre les vedettes au fond de
Bastille – ou même dans les bonnes places de la Philharmonie.
C'est aussi un service important, à mon sens, à
rendre aux bourses étroites (tout le monde n'est pas Roberto Alagna) ou à ceux qui ne peuvent
pas immobiliser leurs dates trop longtemps à l'avance. Des concerts en
libre accès, peu onéreux, et où l'expérience physique est immédiate et
intense grâce à la proximité avec les musiciens, voilà qui n'a pas
d'équivalent dans les grandes salles.
Évidemment, si tout ce que vous désirez tient dans
l'opéra décadent du XXe siècle avec grand orchestre, ne vous fatiguez
pas à ouvrir l'agenda, seules deux maisons ont les moyens d'en
programmer. Pour à peu près toutes les autres configurations, y compris
l'opéra décadent du XXe siècle mis en scène mais arrangé pour petit
ensemble, ou l'opéra mis en scène avec orchestre mais du XIXe, (etc.),
vous trouverez de quoi vous égayer dans cette liste.
Le remplissage problématique du
Théâtre des Champs-Élysées le 30 septembre, deux heures avant le
récital Bernheim.
(explications infra)
C. Nouveau format
Pour y remédier – et parvenir à écluser les 70
institutions de ma liste « usuelle » –, j'ai résolu de reprendre les
fichiers au format texte.
Non pas que la raison vous passionne, mais si elle
pique votre curiosité :
¶ possibilité de remplir le tableau en
mobilité, ou à l'instant où j'aperçois un concert sur mes radars ; pas
besoin d'attendre d'être devant un clavier physique et une interface PC
pour pouvoir entrer les données ;
¶ beaucoup plus rapide (j'ai
rempli 20 salles en quelques heures, là où d'ordinaire j'en fais 2 à
4…).
Le résultat est assurément moins joli, mais ne me
paraît pas moins lisible, me permet quelques petites précisions
supplémentaire, et surtout me permet de remplir la liste en temps réel.
Sa publication et son partage, également, sont plus aisés. Si bien que
je pourrai, une ou deux fois par semaine, la mettre à jour de mes
dernières trouvailles. Vous y gagnerez assurément.
Comme je n'ai reporté que les principales dates
(celles où je pourrais aller), je vous laisse également la version
tableau, les deux se complètent. (Elle a été mise à jour récemment et
contient beaucoup de nouveautés.)
Je commence à avoir bien exploré l'offre des
différentes sources jusqu'à début janvier – le reste viendra ensuite.
La fin du monde semblant toujours au coin de la rue, je ne me hâte pas
trop.
D. Légende
La signalétique reste la même que d'ordinaire :
*** capital, immanquable
** œuvre rare (et passionnante) et/ou interprétation qui fera date
* très intéressant
¤ je n'ai pas prévu d'y aller (pas assez rare / trop cher / j'aime pas
les interprètes, etc.)
Les lignes débutent soit par l'horaire, soit par un tiret, afin que
vous les repériez mieux. Le format texte rend l'ensemble moins immédiat
qu'un tableau, mais si vous regardez simplement les jours dont vous
avez besoin, ce sera même plus pratique !
E. Les sources
Comme je relève, dans l'immensité de l'offre,
essentiellement ce qui me plaît pour moi-même, je vous fournis aussi la
liste de salles dont je fais en général le tour (je ne puis le faire
pour toutes à chaque fois !) avant de publier l'agenda.
Institutions lyriques :
Opéra de Paris, Opéra-Comique, Châtelet, Athénée, Opéra Royal de
Versailles, Massy
Institutions symphoniques :
Philharmonie, Maison de la Radio, Théâtre des Champs-Élysées, Seine
Musicale, Gaveau, Invalides, Colonne, Wagram
Institutions chambristes :
Cortot, Fondation Singher-Polignac, Auditorium du Louvre, Musée
d'Orsay, La Scala Paris, Espace Bernanos, Espace Ararat (fermé pour 4
ans), Bal Blomet, Guimet (Les Pianissimes)
Conservatoires :
CNSM, CRR de Paris, PSPBB, CRR de Versailles, CRR de
Cergy, Conservatoires du XVIIIe, de Choisy-le-Roi, Pantin, Saint-Maur…
Salles qui programment quelques
opéras :
Bouffes du Nord, Marigny, BNF, Déjazet, Herblay,
Saint-Quentin-en-Yvelines
Théâtres qui programment un peu de
musique :
Théâtre Grévin, La Ferme du Buisson (Noisiel), Le Figuier Blanc
(Argenteuil)
Festivals (hors été) :
Philippe Maillard, Festival Marin Marais, Jeunes Talents (Archives
Nationales principalement), Concerts de la rue Bayard (fini), Forum
Voix Étouffées, Les Concerts de Poche, Inventio,
Les
Pianissimes (Guimet principalement), Baroque de Pontoise, Royaumont,
ProQuartet (Paris & 77)
Églises :
Église Américaine de Paris (chambre & vocal, souvent rare), The
Scots Kirk (chambre rare, fini), Saint-Merry (symphonique, chambre,
musiques du monde…), La Madeleine (concerts sacrés), Billettes,
Val-de-Grâce (concerts thématiques « patriotiques »)
Orgues :
Oratoire du Louvre (avec écran !), Saint-Eustache, La Trinité,
Saint-Louis de la Pitié-Salpêtrière, Temple de l'Étoile,
Saint-Pierre-de-Montmartre, Saint-Gervais-Saint-Protais, La Madeleine,
Saint-Sulpice, Saint-Roch, Saint-Antoine-des-Quinze-Vingts, Chapelle
Royale de Versailles, Houdan, Brunoy, Mantes-la-Jolie,
Orgue-en-France.org
Compagnies :
La Compagnie de L'Oiseleur, Les Frivolités Parisiennes, Orchestre de
Chambre de Paris, Il Festino, Ensemble Poséidon, Faenza, Les Épopées,
l'Orchestre d'Éric van Lauwe, Les Talens Lyriques, La Chanson
Perpétuelle, Les Monts du Reuil, Ensemble Athénaïs…
Artistes :
Dagmar Šašková, Jean-Sébastien Bou, Marc Mauillon, Gérard Théruel,
Claire-Élie Tenet, Sahy Ratianarinaivo, Kaëlig Boché, Trio Zeliha, Trio
Zadig, Trio Sora, Cuarteto Quiroga, Quatuor Tchalik, Quatuor Akilone,
Quatuor Hanson, Quatuor Arod, Le Consort, Patrick Cohën-Akenine, Sophie
de Bardonnèche, Héloïse Luzzati, Gary Hoffman, Célia Oneto-Bensaid…
Autres styles :
La Huchette (comédie musicale), Sunside (jazz), Duc des Lombards
(jazz), Quai Branly (musiques du monde)
Théâtre :
Comédie-Française, Odéon, Colline, Montansier, Gérard Philippe
(Saint-Denis), Les Amandiers, L'Usine, L'Apostrophe
(Rien qu'écrire la liste prend une heure… d'où la
nécessité pour moi d'alléger le processus et de n'effectuer qu'un
relevé sur un format rapide, du moins si vous voulez en profiter un peu
en amont.)
F. Le mystère du
remplissage
Puisque je tiens ici captive audience, je pose la
grande question : où sont les hommes ? Les salles sont très vides
depuis la grande Fin du Monde, entre nouvelles habitudes prises pendant
les interruptions du spectacle vivant, peur de la contamination,
lassitude de l'inconfort du masque, refus de principe de la vaccination
ou de la présentation de son certificat (et, disent les mauvaises
langues, la mort d'une grande partie du public fortuné de la musique
classique)… Néanmoins, même en additionnant tout cela, je ne parviens
pas tout à fait à appréhender l'ampleur du phénomène : le compte n'y
est pas. Peut-être que ces frustrations accumulées n'ont pas tout à
fait rebuté le public habituel mais simplement espacé ses pulsions
d'achat… Si au lieu de faire deux dates dans l'année, on n'en fait
qu'une, le résultat cumulé peut être significatif.
L'Opéra de Paris a même donné des places de première
catégorie à ses abonnés pour remplir un tube de Donizetti (L'Elisir d'amore,
dans une production tradi mais mobile aimée d'à peu près tout le
monde)… Eux qui sont la seule maison de France à ne même pas donner de
tarif abonné à leurs abonnés. Eux qui jouent d'ordinaire à guichet
fermé quelle que soit la qualité du spectacle.
Chose certaine, les organisateurs le disent tous :
les salles se remplissent au dernier moment – ce qui constitue un grand
stress pour eux. On comprend bien ce qui pousse le public à ne pas
surinvestir l'avenir et à ne pas exagérer ses espoirs, après tant de
déconvenues. Par ailleurs, cercle vicieux : comme ce n'est pas plein,
il n'y a pas d'enjeu à réserver tôt.
(J'avoue participer à ce phénomène, mais ce n'est pas ma fauuuuute,
j'attends comme précisé supra
l'apparition d'éventuelles merveilles rares à déguster qui apparaissent
au dernier moment et dans les meilleures conditions possibles.)
Mais ce qui m'a le plus frappé, et qui a peu été
souligné, c'est l'opposition radicale entre les spectacles pleins et
les spectacles vides. D'ordinaire, toutes les soirées parisiennes sont
un minimum remplies. Ici, malgré la crise, les soirées courues sont
vraiment vendues à 100% (à Radio-France, pour le Palais Hanté de
Schmitt… ! – enfin, probablement plutôt pour le Concerto pour violon de
Tchaïkovski), et celles qui ne trouvent pas le public se trouvent
véritablement désertes. (Il y a quelquefois plus de monde sur scène que
dans la salle…)
Parmi les maisons qui continuent de bien remplir,
l'Opéra-Comique, la Philharmonie. Pour celles qui sont en difficulté,
l'Opéra de Paris et le Théâtre des Champs-Élysées, nettement en-dessous
de leur étiage habituel. Et il y a même quelques catastrophes
industrielles – au Châtelet, entre la fermeture d'un an et demi pour
travaux et le changement partiel de l'identité de la programmation avec
la nouvelle direction, il n'y a pas le même public fidèle, et c'est
assez spectaculairement désert – même pour Man of La Mancha !
J'ai été surpris de constater que Philippe Maillard
faisait salle comble (l'Oratoire du Louvre, ce n'est pas petit !) pour
des motets français inédits, ou mieux encore, le Palais-Royal
(Saint-Germain-des-Prés rempli !) pour des motets italiens très
polyphoniques et très rares. Sans aucune vedette.
En revanche, concerts plus occasionnels, d'endroits
ou d'ensembles qui n'ont pas de public régulier, c'est le vide
intersidéral, il n'y a personne.
Je suppose que c'est aujourd'hui que se paie la
politique de fidélisation du public. Day
of reckoning.
Je vous laisse parcourir ce nouvel agenda. N'hésitez
pas à communiquer vos remarques sur sa forme – en conservant à l'esprit
que je ne pourrai pas forcément faire à la fois complet, régulièrement
mis à jour et beau ! – ou
vos propres trouvailles.
Puissiez-vous y trouver quelques idées de sorties
(ou d'écoutes, Le roi Pausole
par Venzago ou le Quintette
piano-cordes d'Arenski par le Trio Rachmninov de Moscou, c'est
quelque chose !) avant que n'advienne la grande Fin du Temps – vu que
nous avons déjà passé la petite Fin du Monde.
Je serai quelque jour sans pouvoir publier ni
répondre vos commentaires. Ne me maudissez pas, et surtout, nymphe,
dans tes oraisons souviens-toi de tous mes péchés.
Ce billet, écrit à par DavidLeMarrec dans la catégorie Saison 2021-2022 a suscité :
[[]]
Fin de l'acte I, avec ses mélodies proches de La Traviata, ses trémolos
dramatiques qui évoquent Il Trovatore…
(Christine maudit les amants cachés et leur promet de les tenir séparés
à jamais.)
Les
chefs-d'œuvre des années 1840
Mon premier choix pour illustrer la période des
anées 1840 se serait évidemment tourné Les
Diamants de la Couronne
d'Auber,
le meilleur opéra de son auteur (qui n'en a pas commis beaucoup
d'indispensables) et (de loin) le meilleur opéra comique du XIXe
siècle, feu d'artifice de récitatifs intelligents, d'ensembles aux
dispositifs originaux, d'une intrigue atypique et jubilatoire, qui
existe de surcroît au disque dans une distribution étourdissante
(Raphanel, Einhorn, Arapian !) et en vidéo (régulièrement vidéodiffusée
la nuit par TF1, mais non commercialisée) dans une mise en scène de
Pierre Jourdan, tradi mais pleine d'esprit. Brigands, grottes secrètes,
faux moines, fonderies d'or, joyaux impériaux volés, ministre de Police
roulé, impostures multiples et bons sentiments se mêlent dans une
cavalcade musicale inspirée de bout en bout, en particulier pour son
premier acte, une des plus belles choses jamais produites par un esprit
français.
Mais… le disque Mandala de la fin des anées 90 est
indisponible depuis le début des années 2000, et le label, sans doute
disparu, ne publie rien en ligne et en dématérialisé ou flux… je crains
que ce ne soit vraiment difficile à trouver pour ceux qui n'habitent
pas à proximité d'une médiathèque bien achalandée. Aussi, le propos de
la série étant de proposer une découverte du répertoire par le disque,
je ne souhaite pas transformer l'exercice en chasse au trésor. Si
toutefois vous voyez le disque passer (ou mieux encore, la vidéo
rediffusée), jetez-vous dessus ! Que vous aimiez ou pas le genre
de l'opéra comique alla Scribe
(car c'est bien sûr lui, le maître-d'œuvre de ces folies), vous ne
trouverez pas mieux.
Le second choix logique se serait tourné vers leslieder
de Clara Wieck-Schumann,
qui recèlent quelques bijoux absolus du genre. Mais j'en ai déjà parlé
ici à plusieurs reprises (il y a même une catégorie dédiée
dans la colonne de droite, et j'apprête à redonner quelques éléments
biographiques sur sa vie !), et elle commence à être bien documentée
par
le disque et les concerts (son Concerto
pour piano,
pourtant plutôt une jolie chose qu'un chef-d'œuvre sans égal, est donné
deux fois cette saison à Paris !), à devenir emblématique du retour en
grâce des compositrices, comme Louise Farrenc – étrangement (faute de
fonds unifié et lisible ?), Alma Schindler-Mahler ne semble pas
bénéficier de cet engouement, contrairement à Luise-Adolpha Le Beau,
Henriëtte Bosmans, Charlotte Sohy ou Ethel Smyth, à juste titre en
cours d'exploration et réhabilitation.
Par ailleurs, à part la poignée gravée sur le fameux
disque de Cristina Högman & Roland Pöntinen (avec d'autres lieder
de Mesdames Mendelssohn-Hensel et Schindler-Mahler), je n'ai pas
nécessairement de disque incontestable à proposer, même s'il existe
plusieurs très belles propositions : Loges formidable
(Gritton-Loges-Asti chez Hyperion), et sinon de très valeureuses
propositions (Craxton-Djeddikar chez Naxos, Fontana-Eickhorst chez
CPO).
Foroni
s'est
donc imposé, parce que moins connu des lecteurs de CSS, et parce qu'il
apporte aussi une lumière intéressante sur l'histoire de la musique
telle que nous la percevons. J'y reviens dans la présentation.
[[]]
Le splendide air de baryton (Frederik Zetterström, ici) du début
de l'acte II.
(Carl Gustav arrive dans l'île de la Baie de Saltsjön par une nuit
illuminée par la lune.
Il sera bientôt informé – et horrifié – du complot contre Christine.)
Un peu de
contexte – a – Foroni avant Cristina
Jacopo Foroni avait tout pour réussir une grande
carrière musicale : fils d'un compositeur et chef d'orchestre, né pré
de Vérone et étudiant à Milan,
il s'y produit comme chef et pianiste
dès 1846 et reçoit commande d'un opéra créé en 1848 à la Scala, créé
alors qu'il n'a que 23 ans – Margherita. Il ne s'agit pas
encore d'un grand opéra sérieux mais d'un melodramma semiserio – dans le goût
du Déserteur de Monsigny et
de L'Elisir d'amore de
Donizetti (les lazzi
en moins) : Margherita aime un soldat, accusé à tort d'avoir attaqué le
Comte (Rodolfo, comme tous les comtes…) et jeté en prison par son
colonel. Celui-ci extorque le consentement au mariage de Margherita en
échange de la libération de l'amant, mais le Comte reconnaît dans la
personne du colonel son agresseur, et tout est bien qui finit bien.
Les dons du jeune homme sont admirés, mais dix jours
plus tard, ce sont les Cinq Journées
de Milan (aboutissement d'une
effervescence anti-autrichienne des élites nord-italiennes),
insurrection (inspirée par celle de février 1848 en France) à laquelle
participe activement le jeune homme. Pour échapper à la répression, il
part en tournée en tant que chef d'orchestre.
Pendant ce temps, à Stockholm, la troupe de l'impresario Vincenzo
Galli rencontre des difficultés : son partenariat avec l'Opéra Royal a
été rompu – les accès de colère du baryton Gian Carlo Casanova (le futur
librettiste de Cristina !)
et le mépris ostensible pour le répertoire italien (et les Italiens
eux-mêmes) de la part du chef local, Johan
Fredrik Berwald (cousin du Franz resté célèbre), a conduit le
groupe à retourner dans un théâtre secondaire de la capitale. Comble de
malheur, le chef d'orchestre de la compagnie part.
C'est ainsi que Jacopo Foroni, en quête
d'engagements, se retrouveen
décembre 1848 chef permanent de
ce petit équipage de chanteurs italiens en terre suédoise. Il dirige
avec grand succès Rossini (Il
Barbiere di Siviglia), Donizetti (Lucia di Lammermoor, Lucrezia Borgia, Lida
di Chamonix, Parisina d'Este…), Bellini (Beatrice di Tenda), Verdi (I Lombardi alla prima crociata).
Et dès mai 1849, il se présente au public local comme
compositeur, en donnant cette Cristina
qui nous occupe aujourd'hui. Il est piquant d'observer que pour cette
carte de visite, il adopte un livret
en miroir de sa propre
situation : Christine de Suède abdique et quitte son pays devenu
hostile pour
l'Italie, tandis que Foroni abandonne l'Italie où il risque la
condamnation pour des délits politiques – et se réfugie en Suède.
Un peu de
contexte – b – Foroni en Suède
Jusqu'à sa mort prématurée du choléra, la vie
artistique de Foroni est essentiellement constituée de succès : il
écrit des musiques de scène,
une « tragedia lirica » I Gladiatori(à l'origine un Spartaco, sujet un peu audacieux
écrit pour Milan et censuré comme tel par les autorités autrichiennes),
et une opérette comique suédoise Advokaten Pathelin (d'après La Farce de Maître Pathelin) ; il
reçoit d'une manière générale un accueil très favorable du public,
comme chef et comme compositeur.
Il faut dire qu'il a
très vite maîtrisé le suédois,
ayant une aisance pour les langues, ce
qui a sans doute grandement favorisé son intégration à la communauté
musicale locale – en plus de son
image d'enfant prodige de la grande nation musicale d'alors. Son
caractère était réputé avenant, sa personne plutôt
charismatique, son
travail orchestral exigeant (notamment vis-à-vis du travail personnel
des musiciens en amont des représentations).
[[]]
Imprécations de Christine contre son favori lorsque le complot
visant à la renverser est dévoilé.
(L'acidité assez nilssonienne de Liine Carlsson est particulièrement
audible dans ce passage !)
Compositeur :Jacopo FORONI
(1825-1858) Œuvres :Cristina,
regina di Svezia(« Christine, reine de Suède »)(1849) Commentaire 1 : ♣
Cet opéra a le mérite de documenter l'écriture d'opéra italienne hors
du belcanto à airs fermés (qui restait toujours implanté dans
ces
années) : en effet la plupart de ce que montre la discographie hors
Rossini-Donizetti-Bellini-Verdi est écrit dans une perspective plutôt
belcantiste et purement vocale que dramatique, façon Verdi. Si l'on se
fie à ce qui est publié, Verdi est le seul à utiliser certains
procédés, et surtout une gestion du temps dramatique aussi urgente et
resserrée, où de longues scènes récitatives ont une réelle substance
musicale et servent de pivot à l'action, voire de sommet à l'œuvre,
plutôt que les seuls moments d'épanouissement vocal. ♣Le livret, très dense en action, est
centré, comme vous l'auriez deviné sans me lire, à la fois sur
l'abdication (forcément) de
Christine de Suède, et sur (évidemment) ses
amours – ici son favori Magnus
Gabriel de la Gardie, qui aime en secret
la cousine de Christine. Le poème compacte, pour des raisons
dramaturgiques
évidentes, des événements qui se déroulent sur une dizaine d'années, et
pas nécessairement dans cet ordre – la Reine accepte le mariage de son
favori des années avant que l'abdication ne se profile. ♣ Foroni,
d'une douzaine d'années le cadet de Verdi, donne à entendre un langage
qui se rapproche bien plus de cette esthétique nouvelle que du belcanto
traditionnel : on y retrouve les trémolos et trépidations, les
ensembles bousculés, les duos d'affrontement asymétriques (où les
personnages ne font pas seulement leur stance à tour de rôle puis leur
joli duo homorythmique), et surtout les grandes « scènes » récitatives
où la musique et le drame sont bien plus libres… Dès son premier opéra,
au demeurant, on discute de ses influences, celle de la tradition
italienne transmise par son père Domenico, et celle issue de l'étude
des maîtres allemands (son maître, Alberto Mazzucato, lui a
enseigné
Bach et Beethoven). Clairement, il ne se situe plus dans la seule
tradition italienne belcantiste, conçue pour la glorification des voix,
qui s'étend du seria-à-castrats
du début du XVIIIe jusqu'à ce milieu du XIXe. Peu de choses
spectaculaires du point de vue du chant dans Cristina, on sent que l'énergie de
la composition est tout entière tournée vers la crédibilité des
psychologies et le rythme du drame. ♣ Foroni
peut donc simultanément être considéré comme le symptôme du prestige de
l'Italie à travers l'Europe, dont la norme, au moins en matière
d'opéra, irradiait ensuite toutes les autres écoles nationales… et
réciproquement comme le signe d'une perméabilité
de l'enseignement
italien aux nouveautés introduites par les écoles allemandes. ♣ Surtout,
j'y perçois une belle veine mélodique (d'un style évoquant le Verdi de Nabucco, du Trouvère…), un livret trépidant, un
véritable sens du rythme dramatique, des ensembles réellement mobiles
et inspirés : cet objet opéra mérite pleinement l'écoute,
indépendamment de sa place à la croisée des histoires du genre.
Interprètes : Liine
Carlsson, Daniel Johansson, Frederik Zetterström, Kosma Ranuer,
Ann-Kristin Jones, Anton Ljungqvist – Opéra
de Göteborg, Tobias RINGBORG Label :Sterling (2010) Commentaire 2 : ♣
De belles voix dans l'ensemble : en particulier le baryton clair et
noble Frederik Zetterström en
Carl Gustav, successeur de Christine, et le ténor Daniel Johansson en Gabriel, amant
de la reine. Liine Carlsson,
dans le rôle-titre, a la particularité de conserver une petite acidité
des attaques et du timbre qui évoquent assez Nilsson ou Caballé
– bien sûr le reste de l'émission, plus ronde et pas du tout aussi
large, n'est pas du tout pensé sur le même patron. ♣ Mais le
véritable prix de cet enregistrement – outre que c'est le seul, et
qu'il est bon de surcroît – réside dans la présence de l'Orchestre de l'Opéra de Göteborg,
qui apporte une finesse de trait et une précision d'exécution (avec des
timbres très nets), telles qu'on n'en entend pas très souvent dans les
exécutions d'opéra italien en Italie, en France et quelquefois en
Allemagne. Très belle réussite de ce point de vue, à laquelle s'ajoute
une prise de son agréable, avec de l'espace et un peu de réverbération,
mais qui laisse entendre très nettement les détails – les voix sot un
peu en avant de l'orchestre, mais sans le couvrir et pas trop proches
de nos oreilles.
… Nous arriverons donc, pour la prochaine livraison, en 1850. J'ai bon
espoir de parvenir à traiter la décennie 2020 (tout les disques sont
déjà sélectionnés !) avant que la dernière dose de rappel de vaccin ne
parcoure la dernière veine d'Afrique centrale.
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