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Nonnes qui reposez sous cette couche de poussière - vous entendons-nous ?


Suite à cette question très bien vue d'un fidèle lecteur, T-A-M de Glédel, revenu aux sources de la partition de Robert le Diable :

Nonnes qui reposez, pour basses ?

Je n'avais jamais percuté, mais en regardant la partition ce soir, c'est idéal pour baryton (Ramey est tellement sombre que ça paraît plus grave)... La fin de l'air, c'est quoi la note ? Je n'ai pas l'envolée sur ma source!!

... on propose une petite réflexion sur la distinction entre tessitures à la seule lecture (en particulier dans l'opéra français du XIXe siècle), et aussi quelques précisions sur la réelle version écrite (et jamais exécutée) de la fin de cet "air" (plutôt une "scène" ou un "arioso", toujours cette porosité des "numéros" chez Meyerbeer).

On pourrait en dire autant de la fin de "Rachel, quand du Seigneur" dans La Juive d'Halévy, dont la dernière ligne mélodique est toujours octaviée pour plus d'effet.

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C'est à lire ici.

Et on renvoie aussi vers notre série de quatre notules sur l'histoire du baryton, qui peut éclairer certains aspects.

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(Pour faciliter le référencement dans et hors de ce carnet, je reproduis ici ce qui n'est qu'un texte de commentaires, donc moins soigné et plus allusif qu'une notule.)

Oui, ça ne descend pas bien bas !

Alors, plusieurs réponses :

=> La fin de l'air est une tradition, tous les enregistrements que tu trouveras l'ont. Sur la partition, l'air se conclut, pour le chanteur, par l'exécution du même arpège de si mineur (on achève donc sur un si 1).

Pourquoi l'ai-je exécuté ainsi et non conformément à la partition ? Tout simplement parce que j'ai mis en illustration de cet article une prise faite il y a plusieurs mois, initialement pas du tout prévue pour la publication mais pour mon usage personnel.

Ensuite, pourquoi n'ai-je pas respecté la partition, même pour moi ?
- Parce que je n'ai rien de spécialement dévot de ce côté : j'abomine les ténors qui sont capables d'ajouter un contre-ut avec point d'orgue dans un air en si majeur, mais si la tradition (ou ma fantaisie) trouve des choses convaincantes, j'achète.
- Parce que la réitération de l'arpège n'est pas très intéressante : deux fois la même chose, et musicalement pas extraordinaire. Dans la version modifée, on a plus de veine mélodique et une belle tension.
- Enfin, même si ce n'est pas réellement entré dans mon raisonnement, vu la nature de ma voix, il n'était pas illogique de déplacer un peu le centre de gravité de l'air vers le haut.


=> C'est un fa# 3 que tu entends. Il est permis de le réclamer à une basse (on le trouve par exemple à la fin de Philippe II de Don Carlos, mais tenu comme cela, c'est quand même très inhabituel), au moins en passant, je crois qu'on en trouve dans la Damnation de Faust et peut-être dans . Pour le sol 3, c'est hors tessiture et rarissime. Là, tout de suite, je ne vois que Hagen - pas le nôtre, mais celui de l'horrible W*** - et Méphistophélès chez Gounod ; cependant dans un cas, c'est un rôle inhumain écrit n'importe comment, dans l'autre c'est censé être un rire, qui peut donc (et doit) être plus ou moins crié.

Ce n'est pas si incompatible avec une basse dans la mesure où les basses de typologie française au XIXe siècle sont très proches de barytons, en fait : beaucoup de médium aigu.


=> Par ailleurs, c'est un véritable air de basse, très central. La technique d'une basse ou d'un baryton est très semblable (le baryton est conçu comme une basse aiguë et non comme un ténor grave). La seule différence majeure est le centre de gravité, plus bas pour une basse, et tu vois ici qu'on a beaucoup de choses écrites entre le si 1 et le la 2. Par ailleurs la basse a une assise qui lui donne généralement de façon immédiate et naturelle une étendue plus longue, si bien qu'à l'état brut, il est fréquent qu'une basse débutante monte plus haut qu'un baryton débutant.

Autrement dit, la plupart des airs de basse sont chantables par des barytons, d'autant que le grave y est beaucoup moins sollicité que n'est l'aigu dans les airs pour baryton. En outre, manquer un aigu s'entend énormément, tandis que qu'un grave manqué est simplement inaudible, ce qui est beaucoup moins problématique.

C'est avant tout une question de couleur, et il est évident que même en sombrant ma couleur claire, je n'ai pas tout à fait l'autorité terrifiante d'un démon de l'enfer, je le crains. Ce n'est pas bien grave pour un diable assez sympathique comme celui-ci, mais pour chanter un vieillard vénérable comme don Ruy Gomez de Silva, le Prince Grémine ou un personnage de grande stature comme le Grand Inquisiteur, on voit bien que ça pose quelques problèmes (Raimondi s'en tire admirablement, mais avec une personnalité très puissante, un contrepied pas très apprécié du public glottophile et quand même avec une vraie voix de basse, même claire).

Enfin, il y a la question de la projection. Avec piano dans une salle de dimensions modestes, aucun problème, mais un baryton peinerait quand même un peu plus à faire entendre une tessiture assez basse. (Cela dit, pour Bertram, et même pour cet air, c'est tout à fait faisable par la plupart des barytons !)

C'est donc bien un air de basse, et au sein d'un rôle plus aigu de "basse à la française".


(Pardon, j'ai grassé certains endroits, pas parce que tu es incapable de lire, mais pour que les lecteurs qui parcourraient la page puissent repérer rapidement l'information traitée.

Je vais d'ailleurs signaler ta question plus clairement, parce qu'elle est très intéressante.)
Et pour les lecteurs qui ne l'auraient pas parcourue, la série de quatre notules autour de l'histoire du baryton permet, je pense, de clarifier mon propos ici un peu ramassé (on est toujours un peu limité en commentaires).


Bravo et merci pour ce retour aux sources très pertinent ! :-)

J'essaierai d'enregistrer la version originale, en plus je risque fort être le premier...



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Commentaires

1. Le dimanche 5 septembre 2010 à , par T-A-M de Glédel

fa# 3 en voix de poitrine... Ahah!! Je reviendrais quand j'aurais travaillé... ou jamais!!

Merci pour les explications en tout cas.

2. Le dimanche 5 septembre 2010 à , par DavidLeMarrec

Tu n'es pas obligé de le faire puis qu'il n'est pas écrit, mais je confirme que si tu y tiens, en fausset ça fait moins d'effet...

J'ai fait une prise aujourd'hui de la version originale. Le grave n'était pas suffisamment chaud, donc je ne suis pas satisfait du résultat, mais je peux te le faire passer en privé si tu veux. (Enfin, pas de surprise de toute manière, c'est juste deux fois l'arpège descendante de si mineur. Il suffit d'accentuer le second "Nonnes" et ça sonne assez bien.)

3. Le jeudi 14 juin 2012 à , par antoine :: site

Il s'agit d'un des trois airs de mon répertoire avec un fa#3 (je suis une basse) avec l'air de Padre Guardiano dans la Force du Destin (deux fa#3 très tendus et pas si bien amenés que cela à la fin de l'air) et la cabalette du premier air de Zaccharie dans Nabucco.
Le fa#3 de Meyerber est effectivement tenu mais il n'est pas paradoxalement pas le plus difficile. Il est très bien amené et ne donne pas l'impression d'être aussi tendus et difficiles que ceux de la Force du Destin. Pour une basse chantante, c'est tout à fait faisable.

4. Le jeudi 14 juin 2012 à , par DavidLeMarrec

Bonjour Antoine,

C'est exact, ce fa# brille facilement, facilité aussi par la voyelle très commode. Mais il est extrapolé, exactement comme celui de la cabalette De ma gloire éclipsée.

Ceux de Guardiano sont évidemment moins faciles (un saut de neuvième et un autre qui est dans un moment où la tessiture barytonne beaucoup), mais ils sont notés comme optionnels, et surtout conçus dans le cadre d'un choeur à l'unisson avec barytons et ténors : ils peuvent être un peu tendus, granuleux ou criés, ce n'est pas réellement gênant comme dans un solo.

Le seul inévitable, c'est celui de Zaccaria, à la fin d'une montée subite et bien tendue, oui.

Mais il en existe d'autres, par exemple Alcide dans Omphale de Destouches (mais à 392 Hz à l'origine), "The people that walked in darkned" dans le Messie (mais à 415, même si l'on souvent joué à 440 ou plus), Méphisto chez Berlioz comme chez Gounod, Hagen chez Wagner (jusqu'au sol 3, là aussi dans des configurations bien inconfortables) ou chez Reyer, etc.

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