Le Poème Harmonique achève cette semaine à Paris une tournée avec cet
opéra (déjà nommé zarzuela)
qui est à la fois une pastorale, une tragédie mythologique à machines,
et en fin de compte une cantate politique allégorique déguisée…
L'opéra baroque espagnol est très mal documenté, et je me réjouis de le
voir ainsi présent sur des scènes françaises importantes (Caen, Rouen,
Limoges, Amiens et l'Opéra-Comique, ce n'est pas rien
!), tout en bénéficiant d'un enregistrement chez un label bien présent
dans les bacs (Alpha).
Ce sera aussi l'occasion de me poser la question de pourquoi, malgré
tout, ça ne fonctionne pas totalement…
Contexte
Opéra emblématique de son temps, puisqu'il est l'œuvre du maître de
chapelle de Carlos II, puis brièvement – avant d'être exilé à Pau car
trop proche de l'ancienne dynastie – de Felipe V. C'est-à-dire que
Sebastián Durón a été à la fois le grand compositeur de la Cour
madrilène avant et après l'accession des Bourbons au trône d'Espagne.
La partition anonyme de Coronis
a fini par être attribuée (en 2009 !) à Durón après étude de son
écriture musicale, manifestement de façon assez convaincante. Elle est
créée en 1705 devant la cour de Philippe V et se détache des zarzuelas traditionnelles qui
alternent le parlé et le chanté : ici, tout est chanté de bout en bout,
alors qu'en principe, le chant était proportionnellement minoritaire,
servant à rendre plus prégnantes les émotions à des moments forts du
texte.
En pleine guerre de Succession d'Espagne, il s'agissait manifestement
d'une œuvre de propagande, aux influences extérieures fortes – pour un
souverain (Philippe d'Anjou) qui avait de toute façon été biberonné à LULLY,
Collasse, Desmarest et Campra… Mais ce ne sont pas les influences
françaises qui dominent, j'y reviens plus loin.
Malgré la forte impression faite par la partition et le livret, remplis
de batailles spectaculaires entre dieux, Durón est exilé auprès de
l'ancienne famille régnante.
Le visuel de la série de Rouen.
Le sujet
Le livret est assez étonnant, dans la mesure où rien ne semble
fonctionner comme le résumé pourrait le laisser supposer.
La trame est franchement pauvre : Coronis, une nymphe de Thrace, est
courtisée par Neptune et Apollon (dans son incarnation solaire), qui se
font une guerre implacable, tuant au passage toute la population des
petites divinités des bois qui leur rend pourtant un culte fidèle.
S'ajoutent à cela les nombreux avertissements de Protée (devin comme
dans Phaëton), les rares
disputes d'un couple de comparses (Sirena et Menandro, qui conservent
le souvenir des scènes plaisantes de zarzuela) et surtout l'amour
malheureux de Triton, créature secondaire des eaux et monstrueuse sur
terre, qui hésite à forcer Coronis tout en respectant sa faiblesse, et
finit occis par Apollon sans autre forme de procès.
L'essentiel du livret tourne autour de la lutte à mort des deux dieux,
sans du tout étudier les inclinations de Coronis, dont on ne sait
absolument rien du début à la fin : quel est son caractère, qui
aime-t-elle… rien de tout cela n'est étudié. Vraiment une coquille
vide, objet de désirs masculins conjugués, qui n'a même pas le temps
d'être présentée.
Le personnage est tiré du Livre II des Métamorphoses d'Ovide : elle est
la mère d'Asclépios ! Son nom permet évidemment d'en faire une
allégorie de la couronne d'Espagne, ce qui est probablement la raison
pour laquelle ses sentiments ne sont jamais étudiés sur scène : elle a
peur de Triton, elle fuit la colère des dieux jaloux à qui elle rend
successivement les honneurs, et en fin de compte elle choisit un amant
avec une justification qui laisse rêveur… mais point d'émois
personnels, de sentiments pour qui que ce soit.
En principe, dans une telle intrigue, Coronis devrait jouer à la Belle
et la Bête, et distinguer la constance de Triton (c'est un peu un forceur, mais il est gentil et il
l'aime sincèrement, la beauté n'est pas tout, etc.), ou à tout le moins
rejeter des amants présentés comme égaux (eux non plus n'ont pas de
psychologie, ils sont simplement fâchés de ne pas être choisis),
lointains, destructeurs.
Et pourtant : tout le monde dit du mal de Triton, seul personnage à
exprimer des sentiments personnels, tourmenté à la fois par son désir
et par la peur d'abuser de Coronis lorsqu'elle apparaît sans défense,
évanouie en pleine nature ou sauvée par lui en pleine mer. Finalement,
Apollon le tue (sans motivation apparente) après que le « monstre » a
sauvé Coronis du déluge provoqué par Neptune.
Après la destruction du Temple de Neptune par les rayons d'Apollon, de
la Thrace tout entière par les flots de Neptune, Iris vient annoncer la
paix : que Coronis choisisse son amant, et tout le monde se soumettra.
(Considérant qu'elle n'a jamais exprimé son intérêt pour ces dieux
violents qu'elle ne connaît pas, le choix est un peu glaçant.)
Là aussi, sans motivation apparente, elle choisit le plus violent et le
plus fort – avec pour simple justification qu'il peut tuer par le seul
exercice de sa volonté (!!) –, Apollon. Sachant qu'elle ne devient
absolument pas sa femme, bien sûr, et que chez Ovide Apollon finit par
la tuer pour son infidélité – il ne fait pas de sens d'humaniser
exagérément ce type de fable, mais elle doit, en somme, se rendre
disponible pour un dieu volage et jaloux qu'elle n'a pas choisi (enfin
si, choisi parmi deux choix également effrayants…).
Dans une logique allégorique, on comprend très bien pourquoi Coronis
(la Couronne d'Espagne) choisit nécessairement Apollon dans son
incarnation solaire, symbole de la dynastie française qui a commandé
l'opéra et auprès de qui Durón cherche à éviter la disgrâce… Toutefois
dans la logique des événements scéniques, voir Coronis choisir ainsi,
sans manifester de joie ni d'affliction, le meurtrier de son sauveur, a
quelque chose de profondément dissonant, pour ne pas dire glaçant.
Tout cela est tellement étrange, d'autant que la conduite des dieux
paraît bien peu glorieuse pour une œuvre commandée par la Cour, rendant
les Grands également coupables de tourmenter des populations innocentes
afin d'affirmer symboliquement un pouvoir qui ne les intéresse qu'eux
deux.
En somme, le livret est particulièrement ennuyeux (une pause aurait été
bienvenue pour encaisser ces deux heures de presque rien), mais a de quoi
susciter perplexité et réflexions – un metteur en scène un peu plus
inspiré aurait pu jouer sur cette question de Coronis objet de désir
sans contenu (plein de possibilités, de l'objet magique au propos
féministe militant).
La musique
En Espagne, comme en Italie, les chanteuses ne sont pas en odeur de
sainteté… mais le processus n'est pas tout à fait équivalent. Alors que
dans les États Pontificaux règnent les castrats, qui épargnent la
présence de femmes nécessairement impures, en Espagne, les hommes qui
ont la meilleure éducation musicale sont réservés aux offices, tandis
que les femmes, qui ont souvent été éduquées à la maison, chantent les
œuvres profanes. On trouve donc à l'Opéra très peu d'hommes, hors des
personnages âgés qui sont tenus par des ténors (comme ici Protée). Les
rôles masculins sont simplement tenus par des voix de femme plus
graves.
Tout cela produit à l'écoute, toute
gender fluidity bue, une certaine uniformité (ainsi qu'un
dépaysement certain, en entendant Neptune chanté par une mezzo…).
Stylistiquement, l'œuvre de 1705 regarde résolument vers le XVIIe
siècle : on reste ancré dans le langage et la forme d'un opéra de
Legrenzi (années 1670), voire de Rossi (années 1640), où le récitatif
prime. Cependant l'orchestre est quasiment tout le temps sollicité à
plein effectif, un récitatif accompagné permanent, toujours à la
frontière de l'arioso.
On y perçoit fugacement quelques harmonies qui évoquent Haendel, mais
les véritables références qui viennent à l'esprit sont d'abord
Monteverdi (pour les duos homorythmiques qui ne sont pas clos comme des
« numéros » de seria) ou
Purcell (né la même année que Durón, pour la mort de Triton), donc très
archaïsantes pour un opéra européen du début du XVIIIe siècle – or, si
j'en crois le spécialiste Raúl Angulo, l'œuvre est regardée comme un
jalon particulièrement innovant en Espagne (notamment à cause de son
aspect durchkomponiert, mais
aussi de ses emprunts au style italien, patents en effet – même s'ils
ont un demi-siècle de retard).
Le visuel de la série de Favart.
Moments forts
Tout de même quelques belles réussites à mettre au crédit du
compositeur, comme ces chœurs de présentation à quatre parties vocales (cuatros) où les divinités
sylvestres commentent le début d'action.
Je doute cependant de l'authenticité de certains moments, comme ces
interludes jouant du flamenco sur guitares baroques – dont
l'inspiration stylistique paraît tout droit sortie du XIXe espagnol.
J'ajoute un indice supplémentaire : on dispose de la nomenclature
d'origine, et on n'y trouve pas de cordes grattées (mais le continuo
n'est peut-être pas indiqué, je trouve étonnant qu'il n'y ait pas même
de clavecin quelque part), ce qui rend l'exécution de ces pièces peu
probables. [Je note au passage le très grand éloignement de l'orchestre
attesté par les sources, avec 16 violons et 4 contrebasses, avec celui
de Dumestre, beaucoup plus chiche en cordes frottées mais très riche en
cordes grattées et pincées, avec deux guitaristes-théorbistes, un
claveciniste, une harpiste !]
C'est pourquoi je m'interroge également sur le meilleur moment de
l'œuvre : les larmes de Triton deviennent une tempête et l'orchestre
déchaîné entame de trépidantes variations sur la Follia di Spagna en
trémolos et fusées, dans un langage très éloigné du reste de l'opéra (à
ce moment-là, pour la seule fois, on sent bien le contemporain d'Alcione de Marais !). Cet écho
humoristique me paraît également étrangement en décalage avec tout le
ton très calibré et pas du tout méta-
de l'ensemble du livret. Je parie sur l'inclusion par Dumestre d'une
pièce extérieure, comme l'excellent Prélude qui ouvre l'opéra (en
réalité une Courante italienne du
célèbre organiste Cabanilles).
[Après réécoute : la pièce ne semble pas figurer sur le disque, indice
supplémentaire.]
De même pour le solo de basson, très exposé, pas simplement une ligne
de basse qui est soudain mise à nu, mais une véritable ligne principale
: je m'interroge sur le caractère écrit de la chose (dont je ne suis
pas très convaincu à vrai dire).
Pour le reste, je n'ai pas été très impressionné : on doit censément
rencontrer des airs à da capo,
des séguédilles, des ariettes strophiques, mais je n'en ai guère senti
la coupe. Les plaintes à l'italienne semblent se dérouler sans frapper
une mélodie – est-ce le fait d'un langage différent de nos habitudes ?
–, des semblants de chaconne à la française apparaissent au détour de
répliques, mais sans jamais se concrétiser non plus dans la mélodie ni
la danse.
Je n'ai clairement pas été très séduit.
Réalisation scénique
En mettant à distance le sujet (cette femme indifférente aux massacres
et/ou objectifiée, que d'échos avec notre temps, elle pourrait avoir un
téléphone portable et regarder TikTok ou faire la queue dans un
commissariat), ou du moins en le réactivant comme Jos Houben &
Emily Wilson pour Cupid and Death
de Shirley, Locke & Gibbons (production de l'Ensemble
Correspondances, en tournée en ce moment), avec des jeux incluant le
public, en décalant certains éléments pour leur faire prendre un relief
plus comique ou plus actuels, il y avait sans doute moyen de tirer
quelque chose de ce livret absolument plat, mais tellement impavide et
choquant qu'il y aurait eu matière à lui faire dire un peu plus qu'il
ne dit.
Hélas, Omar Porras propose surtout quelques pyrotechnies pour les
entrées d'Apollon, mais conserve tous les personnages dans des costumes
un peu pâles et assez équivalents entre nymphes, divinités secondaires
et dieux… Ennui également de ce côté-là.
(Ana Quintans en Coronis – c'était Marie Perbost qui tenait son
rôle à Paris.)
Réalisation vocale
Mais le véritable problème, pour redonner toutes ses chances à cette
œuvre et à ce répertoire, ce n'étaient ni les arrangements avec la
musicologie, ni la mise en scène… pourquoi diable se contraindre à
recréer une œuvre difficile à soutenir (mais qui documente un aspect
fondamental du théâtre européen), en le jouant sur des instruments
d'époque… pour le faire chanter par des francophones (dont l'espagnol
n'est clairement pas le point fort) et de surcroît par des techniques
vocales qui reflètent les nécessités techniques… du XIXe siècle ?
Je suis assez inconditionnel des qualités verbales et expressives de
Cyril Auvity (Protée, qui essayait vraiment de faire sonner son espagnol par ailleurs,
même s'il était audiblement francophone), et je me roulerais volontiers
dans les moirures profondes de la voix d'Anthea Pichanik (Menandro)…
pour le reste, Marie Perbost (Coronis), Isabelle Druet (Triton),
Victoire Bunel (Sirène), Marielou Jacquard (Apollo), Caroline Meng
(Neptune) chantaient avec des techniques qui égalisent le timbre et
modifient les voyelles, qui bien que le fondu parfait de leurs voix
éteignait absolument, surtout dans ces tessitures basses, la
possibilité de phraser ou de colorer (et aussi, accessoirement, de projeter le son).
Je ne suis pas forcément un fanatique du procédé de la couverture massive et unifiée : je
la vois plutôt comme une technique d'appoint, qui doit être une licence
pour modifier à la marge l'émission, et non comme le centre de toute la
technique, voire son esthétique même, comme c'est le plus souvent le
cas aujourd'hui, et de plus en plus chez les chanteurs baroques, hélas.
Même au XIXe siècle, je lui trouve des défauts.
Mais elle se justifie, par commodité du moins, pour chanter des
répertoires où il faut chanter très au delà du passage et où la voix
doit encaisser une certaine tension de la phonation : cette
accommodation des voyelle et cette recherche du legato, du velours,
permet de gérer de longues lignes très mélodiques et tendues.
Pourquoi diable utiliser cela lorsqu'on chante des lignes quasiment à
hauteur de la voix parlée, et qui sont essentiellement du récitatif ne
requerrant ni homogénéité de timbre ni legato ?
J'ai vraiment eu l'impression d'entendre la même voix sur tous ces
rôles, et une seule couleur. Chez Eugénie Lefebvre (Iris), il restait
un peu d'éclat, et Caroline Meng avait pour elle la profondeur de la
voix, mais les autres me faisaient l'effet de Kiri
Te Kanawa chantant du musical
theatre.
Ce n'est pas leur faute, ce sont d'excellentes chanteuses que je révère
(j'adore Perbost d'ordinaire, Bunel est une véritable artiste qui a
beaucoup mûri ces dernières années, Lefebvre carrément une de mes
chanteuses préférées…), mais vu les tessitures, l'écriture vocale, la
nature de leurs techniques et surtout la présence d'une langues pour
laquelles elles n'étaient pas formées… il fallait de petites voix bien
projetées et tranchantes, maîtrisant la langue, du type Lucía
Martín-Cartón.
Ou alors, si l'on voulait absolument ces chanteuses, il fallait
transposer plus haut, pour que la couverture leur serve à quelque chose
et que leur voix puisse s'épanouir. (Mais on entendait bien le manque
d'expérience de placement de l'espagnol, qui ne rayonnait pas.)
En somme, pourquoi choisir les conditions d'un éteignoir sur une œuvre
qui n'était déjà pas évidente ?
Si j'en parle ici, ce n'est pas pour juger en chaire la très belle
initiative d'élargir le répertoire vers des horizons nouveaux, mais
plutôt, j'espère que vous l'aurez perçu, pour m'interroger sur la
logique qui prévaut lorsque, dans un projet si ambitieux, on opère des
choix en décalage manifeste avec tout le reste de la démarche.
D'une manière générale, j'ai l'impression que depuis que Christie ne
forme plus les jeunes chanteurs à la déclamation et que le baroque est
devenu suffisamment à la mode pour être abordé par des chanteurs plus
généralistes, on ne se pose plus guère la question du chant. On joue
sur instruments anciens, on étudie les traités pour savoir quel
effectif, quel mode de jeu adopter, et puis on invite Sarah Bernhardt
pour interpréter Armide, Gilbert Duprez pour chanter Amadis.
Ce m'attriste quelque peu, puisque cela me retire une part assez
conséquente du plaisir que j'ai à fréquenter ce répertoire. Comment les
musicologues, les chefs, les conseillers, le public ne perçoit-il pas
le problème qu'il y a à embaucher pour LULLY des
chanteurs formés avec une technique conçue pour chanter Verdi ?
Ce ne serait pas un problème majeur si cela fonctionnait, mais en
réalité, le résultat est qu'ainsi on sacrifie à la fois la couleur, la
diction et la projection, ce qui commence à faire beaucoup. Et certains
chanteurs font même massivement carrière dans ce répertoire, alors même
que leur fondement technique est intrinsèquement en contradiction avec
tout ce que l'on sait des chanteurs d'autrefois, et tout simplement en
contradiction avec les nécessités pratiques (clarté des mots,
possibilité d'éclats, etc.) de ces œuvres.
Mechelen et Dolié font des choses remarquables dans le XIXe (et avec
une belle sensibilité d'artiste dans la mélodie et le lied), mais qu'on
les embauche récurremment pour de la tragédie en musique me laisse
assez interdit.
Ce n'est évidemment qu'une parole d'auditeur, certains paramètres
m'échappent sans doute – à commencer par le fait qu'il n'existe
quasiment plus de classe de chant où l'on apprenne spécifiquement la
technique baroque, et qu'il faut donc récolter des voix déjà formatées
à l'esthétique XIXe ; ou bien l'effet de troupe, le recours aux copains
qu'on connaît bien et dont on sait qu'ils sont solides, etc.
Peut-être aussi le fait qu'on évite les instruments trop clairs et
légers par peur de ne pas remplir les théâtres à l'italienne du début
du XXe, bien plus grandes que celles d'origine – mais c'est, là encore,
faire une erreur d'appréciation, c'est l'inverse en réalité, les voix
plus claires et libres s'entendent mieux, en tout cas pour les
répertoires où il n'y a pas de concurrence de l'orchestre !
J'espère que ces méditations ne vous auront pas trop attristé. La bonne
nouvelle est que le public (et les copains) ont globalement paru très
contents de ce qu'ils avaient entendu, ce dont je me réjouis. (Pour
eux, et parce que cela signifie que nous aurons sans doute à nouveau
des œuvres jamais entendues.)
En tout état de cause, et quel que soit le résultat : gratitude à ceux
qui font l'effort de renouveler le répertoire. Mille fois un Coronis pas tout à fait majeur ou
convaincant plutôt qu'une grande version de Giulio Cesare ou des Indes Galantes. Merci de nous
permettre de continuer à découvrir !
Ce billet, écrit à par DavidLeMarrec dans la catégorie Discourir a suscité :
Comme naguère, vous trouverez ici le planning PDF
où apparaissent l'ensemble des dates et lieux sélectionnés, quantité de
petits
concerts (ou au contraire de concerts très en vue) dont je ne parle pas
ci-dessous.
N'hésitez pas à réclamer plus ample information si les abréviations
(tirées de mon planning personnel, destiné au maximum de compacité)
ou les détails vous manquent.
(Les horaires indiqués le sont parfois par défaut par le logiciel,
vérifiez toujours !)
0. Rétroviseur
Auparavant, les impressions d'avril, quantité de propositions
originales que nous avons pu honorer de notre vénérable présence.
Cliquez pour lire les impressions succinctes sur les œuvres et les
interprètes.
☼ De Belloy-en-France à Seugy : champs de la Pièce
Lucifer, Bois du Tremblay…
☼ De Luzarches Ouest à Saint-Martin-du-Tertre :
halle, Porte Grièche, ancienne collégiale, panorama, bois du Tremblay
(entre les tirs à balles réelles), bois de Mareil, Ferme de Trianon,
bois de Champlâtreux, Champs de la Sente de Jagny…
☼ De Belloy-en-France à Villaines-sous-Bois :
friches champêtres intra-urbaines, ancienne distillerie, bois de Belloy
(à Villaines et loin de Belloy), églises classées, chasse à l'abbé…
☼ Viarmes
Ouest
: Bois Carbonnier, Les Groux, Le Buisson Chantant, Les Longues Rayes,
Bois de Touteville, Bois de Chaville… entre champs et bosquets, sous
une pluie battante, entre les blés et ceinturé de coteaux.
☼ De
Luzarches Est jusqu'à Lassy
: château de La Motte, église Saint-Côme-et-Saint-Damien, caveau des
Sainte-Beuve, Thimécourt, église de Lassy, Gascourt, lavoirs, champs,
écuries…
☼ Saint-Quentin-en-Yvelines, l'impression de
déambuler dans une ville faite par des concepteurs de jeux de
plate-forme. (j'aime beaucoup, en réalité).
☼ L'Église de Belloy et ses incroyables voûtes XVIe,
en détail.
En raison de l'expiration de mon Pass UbiQui'T, je n'ai pu tout voir,
tout entendre. Par exemple le Pelléas de Guillaume Andrieux (la bande
révèle qu'il est le Pelléas ultime, du niveau de Pierre Mollet ou
Gérard Théruel !), ou les Métamorphoses de Strauss en version sextuor à
cordes données au Salon Vinteuil du CNSM.
Pour le reste, il suffit de jeter un œil sur le programme du mois de
mai publié fin avril et d'opérer les comparaisons.
À présent, la prospective.
J'attire en particulier votre attention sur quelques perles.
Classées par ordre de composition approximatif à l'intérieur de chaque
catégorie.
(En rouge, les œuvres rarement données – et intéressantes !)
(En bleu, les interprètes à qui je ferais confiance, indépendamment du
seul programme.)
('§' indique mon intérêt malgré mon indisponibilité, les astériques une place en supplément – à revendre, souvent.)
A. Opéras & cantates
♦ Cavalli, Erismena. Le
Théâtre Gérard Philippe invite Leonardo García-Alarcón, excellent
spécialiste de ces musiques, et il ne sera pas encombré cette fois des
gros tromblons qu'il avait dû se faire imposer à l'Opéra de Paris, pour
Eliogabalo. Avec la miraculeuse Francesca
Aspromonte,
meilleure déclamatrice italienne en activité.
Pour le reste, je ne suis pas convaincu par Cavalli en général, que je
trouve tellement moins intéressant que ses prédécesseurs (Peri, G.
Caccini, Monteverdi), contemporains (Rossi, même Landi) ou successeurs
(Legrenzi) immédiats, donc je ne suis pas bon juge de l'intérêt ou non
de se déplacer (pour situer, j'aime beaucoup la partie troyenne de Didone et supporte bien Artemisia ; tout le reste me laisse
froid).
Un peu cher par rapport à ce qu'on peut payer dans les petites
catégories d'ordinaire (tarif unique 35€), mais très raisonnable pour
un long spectacle d'opéra avec interprètes de premier plan e't mise en
scène.
♦ LULLY, Phaëton.
Il est assez rare qu'on donne des opéras de LULLY en
version scénique, sorti d'Armide.
Et ici dans la plus belle distribution qu'on puisse souhaiter : Mathias Vidal, Eva Zaïcik, Cyril Auvity, Léa Trommenschlager
! La fine fleur du chant baroque français (je n'aurais pas mieux
choisi moi-même, si vous mesurez le compliment). Version sans doute
chatoyante de Vincent Dumestre avec le Poème Harmonique… et le Chœur de
l'Opéra de Perm ! (musicAeterna, le terrain de jeu du méga-mégalo
Currentzis)
Donné sur trois ou quatre dates, de surcroît. Seule réserve : comme
c'est Lazar, il faudra sans doute souffrir le français restitué selon
Green (rien d'idéologique : je le goûte au théâtre, mais il voile
inutilement l'élocution à l'Opéra).
→ J'y suis allé avant la publication de la notule, quelques réactions par ici.
♦ Benda, Pygmalion. Il
s'agit d'un mélologue (ce qu'on appelle depuis plus volontiers un mélodrame, de la parole parlée
soutenue par de la musique) de 1779 sur un texte de Rousseau. Sans être
de la grande musique, c'est vraiment intéressant. Couplé avec un
mélodrame moderne commandé à Philippe Hersant et avec des lieder
orchestrés de Schubert (sur Goethe). Avec Natalie Dessay, le Paris
Mozart Orchestra et Claire
Gibault. (Orsay, donc tarif unique un peu cher.) Le 15.
♦ Mozart, Thamos, roi d'Égypte,
musique de scène de Mozart très rarement donnée (et même assez peu
enregistrée). Pas le plus grand Mozart, mais un côté cérémoniel et
tempêtueux qui regarde à la fois du côté de Haendel, Beethoven et
Mendelssohn, assez étonnant. À la Seine Musicale à partir du 25.
♦ Rossini, L'Italiana in Algieri.
Concert donné par les membres de l'Opéra de Bologne, avec une
belle distribution (Pirozzi
notamment…). Le 22.
♦ Gounod, Faust. Version originale
avec dialogues parlés (et, je suppose, des variantes musicales),
parrainée par Bru Zane, avec une distribution particulièrement
réjouissante (Gens, Bernheim,
Bou !) et sur instruments anciens (Les Talens Lyriques).
♦ Gounod,
La Nonne sanglante. Livret de Scribe et Germain Delavigne
d'après le segment correspondant du Moine
de Lewis. Déjà publié il y a quelques années, c'est un très bel
opéra, qui va bénéficier de la valeur d'Insula Orchestra et d'une
distribution de la plus haute francophonie : Santoni, Lebègue,
Spyres, Heyboer, Teitgen, Devos, de Hys… À partir du 2, à Favart.
♦ Deux opéras comiques inédits
(Hervé et Offenbach). Bouffes-du-Nord, là
encore un peu cher en prix plancher (25€ pour deux ténors et piano). Le
5.
♦ Bizet, Carmen les 7, 9
et 10 par l'Orchestre Ut
Cinquième (amateur, mais ça ne s'entend pas !) et notamment Daniel Galvez-Vallejo (qui a
très bien vieilli et fera un superbe José). Libre participation.
♦ Messager, le délicieux Les petites Michu,
célèbre chez les amateurs du genre léger, mais à peu près jamais donné,
à l'Athénée qui fait cela très bien. À partir du 19.
♦ Bernstein & Zavaro : Trouble in Tahiti + Manga-Café. Le
Zavaro doit être assez récent, je ne l'ai pas écouté (mais langage
accessible chez lui). Trouble in Tahiti est du musical ; Bernstein, sans être le
représentant le plus talentueux du genre, en maîtrise la grammaire et
tous les équilibres, c'est une très jolie pièce. À partir du 8.
♦ Récital de seriapar Desandre, Th. Dunford, J. Rondeau
et l'Ensemble Jupiter. Très bel attelage. Le 17.
♦ Récital d'airs et ensembles de
Gounod, sous l'égide de Bru Zane, à la Maison de la Radio,
incluant des pièces très rares (Mors
et Vita, Philémon & Baucis, La Reine de Saba…). Et très
belle distribution. Le 16.
B. Musique chorale
♦ Lassus, Madrigaux, Herreweghe. Pas le meilleur
de sa production, mais Lassus demeure toujours nourrissant, et
Herreweghe, contre toute attente, est vraiment à son aise en concert
dans les pièces de la Renaissance (ses petites tchèques ont des voix
bien fines et tranchantes taillées pour cela).
♦ Benevolo, Messe de
Saint-Louis-des-Français par Niquet (le disque vient de
sortir), à Versailles. Couplé avec le Miserere
d'Allegri. Le 17.
♦ Messe (vocale) de Titelouze
(première exécution, du contrepoint assez scolaire, rien à voir avec
les homorythmies majestueuses et radieuses de ses pièces pour orgue)
avec des doublures instrumentales (sacqueboutes notamment), motets de
Bournonville (on n'a que des bouts minuscules de quelques
minutes au disque, et c'est magnifique, pas forcément contrapuntique,
déjà une conception harmonique moderne, plus familière) et du Caurroy
(mieux documenté, et grand représentant de l'ère finissante du
contrepoint-roi) à Notre-Dame-de-Paris. Le 5.
♦ Le merveilleux Requiem de Gilles
avec quatre jeunes solistes très talentueux. (Couplé avec le Requiem de
Mozart, donc complet.) La
Grande Écurie & la Chambre du Roy – du fait du décès de
Malgoire, ce sera dirigé par le chef de chœur.
♦ Te Deum
de Blanchard et Blamont. Deux très belles œuvres à la charnière
de styles nouveaux. Le 30.
♦ Messe a
cappella de Gounod (Niquet, Chœur de la Radio
Flamande), le 3.
♦ Messe des
Pêcheurs de Villerville de Fauré et Messager, Septuor pour cordes
vocales et instrumentales, Chant Funèbre (et Chanson perpétuelle) de
Chausson, et L. Boulanger,
Debussy, Ravel, Séverac… Par le Quatuor Zaïde (ancien
lauréat du Concours d'Évian-Bordeaux) et un chœur féminin, à la Légion
d'Honneur (Saint-Denis). Le 9.
♦ Concert du Chœur de
l'Orchestre de Paris : Debussy, Ravel,
Poulenc a
cappella, des sommets qui requièrent des qualités spécifiques de
transparence et d'articulation, pour lesquelles ils sont idéalement
taillés. Ce sera une très grande expérience d'émotion chorale. Le 21,
donc gratuit. (Mais
il faudra arriver tôt, je suppose. Et supporter un public
potentiellement plus touriste que mélomane – pendant un de leurs
concerts Bruckner à Notre-Dame, mon voisin était juste venir pour faire
des photos et mitraillait avec les bruits d'obturateur pendant toutes
les pièces.)
♦ Concert
franco-finnois a cappelladu chœur amateur Ave Maris Stella, jumelé avec des invités de
Finlande. Le 15.
C. Musique symphonique
Ça sent la fin de saison.
♦ Sibelius, Symphonie n°1, la
moins donnée (il est vrai que c'est aussi la moins originale, quoique
tout sauf banale !), par le Phiharmonique
de Radio-France (vraiment taillé pour cette musique), dans un
couplage étrange avec du piano seul de Debussy par Andsnes (Estampes).
♦ Szymanowski, Concerto pour violon
n°2 ; R. Strauss, Suite tirée
de La
Femme sans ombre. Deux bijoux de rutilances orchestrales (les
deux concertos de Szymanowski sont plus nourrissants que n'importe
quelle symphonie du répertoire). Le 13.
♦Schmitt
(Cléopâtre, Suite n°2), Debussy-Koechlin
(Khamma), Roussel (Suite de Padmâvatî), Shéhérazade de Ravel…
programme français très original et dense à la Philharmonie, les 9 et
10.
D. Musique solo et
chambriste
♦ Le folklore de LULLY
et Purcell à Brahms, concert-démonstration dans le grand Studio
de la Philharmonie. Le 1er.
♦ Concert par Julien Chauvin à
l'Hôtel de Lauzun à 12h30, mais impossible de trouver les conditions
d'accès. Le 6.
♦ Nuit du Quatuor du Festival Bru Zane
aux Bouffes-du-Nord : quatre concerts d'excellents ensembles (Cambini, Ardeo, Modigliani…)
dans des quatuors français très rares – Rejcha, Onslow,
Gouvy, Gounod, Saint-Saëns… ! Seule réserve, c'est un peu
cher, comme toute la musique de chambre dans cette salle (25€ le
concert d'une heure, 40€ les deux heures…). Le 1er.
♦ Marguerite Canal, Sonate pour
violon et piano (avec Capuçon)
; Chausson, Concert ; Ravel,
Quatuor. (Canal, ça ressemble à du gentil Fauré-Ravel. Pas vertigineux,
mais joli.) Le 10.
♦ Quintettes à vent de Roussel, Cras,
Tournier, Pillois. Pas les sommets de leurs auteurs, mais de
très jolies pièces rafraîchissantes. Le 9.
♦ C'est aussi le moment des récitals de fin d'année : l'occasion, au
CRR et au CNSM, d'entendre (le PDF synoptique des récitals, pour la
plupart en journée néanmoins, se trouve sur leur site) des instruments
rarement proposés en solo, comme le contrebasson ou les ondes Martenot !
E. Lieder, mélodies &
airs de cour
♦ Cantates baroques françaises
par Eva Zaïcik et le (Taylor)
Consort. Elle vient de remporter le Deuxième Prix du Concours
Reine Élisabeth et chante en ce moment même à Versailles Lybie, le plus
beau rôle de Phaëton de LULLY.
Chair sonore et diction superlative, excellent continuo… Couplé avec
Purcell et Haendel, je crois que c'est sensiblement le même programme
que leur (fabuleux) récital à l'Hôtel de Soubise il y a quelques mois.
♦ Récital de mélodie en forme
de panorama des explorations de Christoyannis
& Cohen : Gounod, Lalo,
Godard, Saint-Saëns, La Tombelle seront de la partie ! Le
4.
♦ Mélodies françaises
rares par
Isabelle Druet : Bonis, Fauré, Duparc, Debussy, Hahn, Godard, N.
Boulanger, Chaminade, Offenbach, Dubois, accompagnée par un ensemble.
Le 6.
♦ Mélodies françaises par
Marianne Crebassa accompagnée par Fazıl Say. Je la trouve moins
saisissante, à cause même de la nature de la voix (très charpentée et
couverte) à l'opéra qu'en mélodie, mais elle passe toujours très bien
dans les salles, et est l'une des grandes interprètes actuelles des Shéhérazade de Ravel (pas si
souvent données avec piano, il faut dire que la réduction est
difficile, pas forcément confortable pour tous les accompagnateurs).
♦ Mélodies roumaines(Stephănescu, Brediceanu), russes
(Rachmaninov), anglaises (Balfe) françaises (Martini, Debussy),
italiennes (Bellini, Flotow, Tosti, Respighi) et airs d'opéras italiens
(Pergolesi et Paisiello) par Angela Gheorghiu, une sacrée surprise de
la voir sortir ce degré d'audace – même si je suppose que ce seront des
pièces, pour les rares roumaines, tout aussi gentilles que les autres du
programme… Je tâcherai néanmoins d'y être, le 17, si le flot de raretés
ne m'a pas déjà fait rendre gorge.
F. Spectacles transversaux
♦ Airs d'opéras italiens traditionnels par Inva Mula (Porgi amor, La
Fille du Régiment et La Vestale traduits en version italienne…) et pièces pour tuba solo de l'époque de
l'Empire. Inclut notamment la Marche Consulaire de Marengo… Le 7.
♦ Impact de Kierkegaard en France.
Table ronde à la très avenante Maison du Danemark, avec un peu de
musique pour vents (Mozart, Schubert).
G. Pour le plaisir de
retrouver quelques chouchous
Le mois étant très chargé, j'avoue bien humblement ne pas avoir
suivi de près mes ensembles favoris – priorité aux propositions
originales de répertoire. Il faut dire aussi, qu'avec les beaux jours,
beaucoup s'échappent de ma proximité immédiate pour aller dans les
festivals qui animent, l'été, les campagnes lointaines.
H. Théâtre
♦ Pour information, le cycle intégral
Ibsen du Théâtre du Nord-Ouest (dont on m'a dit qu'il était très
inégal, mais pas forcément mauvais) se prolonge pendant l'été, quelques
dates éparses en plus, au milieu d'autres choses. (Je réitère mon
avertissement aux personnes allergiques sur la quantité de poussière
présente dans les lieux.)
♦ De même, Comédiens
!, adaptation du livret d'I
Pagliacci de Leoncavallo par la troupe (de comédie musicale) qui
fit la jubilatoire Poupée sanglante
d'après Leroux et L'Écumedes jours d'après Vian, à nouveau
très bien accueilli par le public et la critique, est prolongé pendant
l'été.
Il m'a aussi semblé lire que la Poupée
sanglante était de retour pour une reprise (Théâtre de la
Huchette, toujours).
Voilà, vous avez de quoi
trouver tout ce que vous ne vouliez pas chercher. Bon juin !
Ce billet, écrit à par DavidLeMarrec dans la catégorie Saison 2017-2018 a suscité :
Psyché de LULLY
constitue un cas intéressant à la fois historiquement et
dramaturgiquement – un peu moins musicalement, j'y viens.
[[]] Scène de l'enclume.
Travaux des Cyclopes édifiant le palais de l'Amour pour Psyché
Version de Paul O'Dette & Stephen Stubbs chez CPO.
1. Isis ou
l'Apocalypse
Lorsque LULLY et Quinault présentent leur dernière
création en 1677, Isis, c'est
la catastrophe : l'intrigue de la persécution de l'amante (Io, devenant
par la suite Isis) de Jupiter – lequel finit, en guise de dénouement
heureux, par promettre de renoncer à l'amour ! – est lue à la Cour
comme la transposition mythologique
de l'emprise prédatrice de la Montespan
sur ses rivales.
L'interprétation est si répandue que l'œuvre est interdite et le librettiste Philippe
Quinault forcé à l'exil –
brièvement : en 1680, il donne Proserpine,
seuls deux opéras de LULLY lui auront échappé !
2. Genèse précipitée de Psyché II
Pour le nouvel opéra, composé à la hâte pour le remplacer (en trois
semaines, semble-t-il !), on fait appel à Thomas Corneille (cadet de
Pierre), qui réutilise le livret de Molière pour la tragédie-ballet Psyché de 1671 (écrite avec Quinault et
Pierre Corneille pour LULLY). Cette première Psychéest antérieure à la première tragédie en musique, Cadmus (1673) ; ce n'est pas encore un opéra, plutôt une
musique de scène, où des tableaux musicaux alternent avec les tirades
parlées.
Le but est d'écrire un livret qui lie
tous les divertissements déjà écrits par LULLY
(plus de la moitié de la musique finale de cette seconde Psyché), ce qui explique le
caractère moins affermi du style (qui évolue beaucoup entre Cadmus et Isis, entre Isis et Amadis), l'inclusion d'un
divertissement italien, l'aspect plus décoratif des différents
divertissements, nourrissant moins l'intrigue qu'ils ne s'y apposent.
Ainsi, de cette genèse compliquée provient sans doute le caractère moins
serré
de l'intrigue, entrecoupée de nombreux divertissements plus
pittoresques que dramatiques, dont ce grand lamento italien du I, un hapax dans
les
tragédies en musique de LULLY.
Peut-être à cause de cela, du manque de variété des situations (Psyché
est passive et victime de bout en bout), on ne peut pas y écrire les
mêmes élans ni les mêmes dilemmes que chez un héros actif comme Cadmus,
Admète, Thésée, Atys, Bellérophon, Cérès, Persée, Phaëton, Amadis,
Angélique ou Armide… Seul Isis
est ainsi fondé sur la victime principale, à ceci près que ses
pérégrinations apportent beaucoup plus d'animation et de pittoresque.
Psyché ou la conspiration du fard.
Quoique les articulations de l'intrigue soient
sensiblement identiques, le ton de l'opéra est complètement différent
du roman de La Fontaine (et
autrement sérieux), passant à côté de beaucoup des charmes du sujet.
Gravure de Raphaël
Sanzio-Marc-Antoine (1939) pour le roman.
3. Synopsis
Prologue :
Cas très rare (unique dans LULLY) où le Prologue
constitue non seulement une annonce directe (comme dans Atys, dont l'histoire est
introduite par Melpomène en personne), mais tout de bon une partie de l'action.
Flore, Vertumne et Palémon nous apprennent la jalousie de Vénus ; plus
spectaculaire encore, celle-ci vient en personne annoncer son désir de
se venger – seul cas que j'aie lu où un personnage du Prologue est
aussi un personnage principal de l'intrigue.
Acte I :
Les sœurs de Psyché parlent du serpent qui ravage le royaume et des
offrandes qu'est allé porter Psyché elle-même. On leur annonce l'oracle
qui réclame le sacrifice de leur sœur. [Plainte d'un groupe en
italien.] Elles se retirent sans oser l'en avertir. Malgré les plaintes
de son père, Psyché se rend au sacrifice.
Acte II :
Le palais est en construction pour l'Amour qui a sauvé Psyché. Vulcain
et les Cyclopes travaillent. Dispute conjugale sur la fidélité entre
Vénus suspicieuse et Vulcain cornu. Psyché rencontre l'Amour, qui prend
forme humaine (un chanteur ténor remplace alors la chanteuse qui
chante, selon la tradition, l'Amour) tout en défendant à Psyché de
chercher à le voir sous sa forme véritable.
Acte III :
Vénus tend son piège et propose la lampe fatale sous un déguisement,
lampe avec laquelle Psyché, conformément au cœur du mythe, découvre
l'apparence de l'Amour et le réveille par mégarde. Vénus revient se
révéler et s'enorgueillir de sa victoire. Cependant, si Psyché ramène
la boîte des secrets de beauté de Proserpine depuis les Enfers, elle
sera pardonnée. Psyché veut se suicider dans le Fleuve, mais le dieu
qui l'habite lui offre son aide pour pénétrer aux Enfers.
Acte IV :
Quoique tourmentée par démons et Furies, Psyché découvre que l'Amour a
intercédé pour elle, et on lui remet le présent.
Acte V :
Psyché, soucieuse de raviver sa beauté, ouvre la boîte et s'évanouit.
Vénus se moque à nouveau d'elle, mais Jupiter intervient, élevant
Psyché au rang d'immortelle, ce qui satisfait soudain la déesse.
Réjouissance générale.
[[]]
Persécution des Furies.
4. Implications sur le
livret
Les personnages de la version de 1671 sont conservés et l'action
sensiblement identique, en revanche les
caractères se révèlent considérablement
simplifiés ; les sœurs ne sont plus vaniteuses (ni drôles) ; le
roi ne se répand plus en de nobles discours théoriques sur la douleur…
tout est réduit à sa plus simple expression. On est passé du théâtre
parlé au format beaucoup plus concis du livret d'opéra.
Ce caractère stéréotypé de l'expression théâtrale lyrique avait été théorisé par Quinault : il est
indispensable de comprendre le texte, aussi, si un mot échappe, il faut
que les expressions puisent dans des formules figées, faciles à
retrouver même si la diction fait défaut.
Il est à noter que Fontenelle
a ensuite,comme pour Bellérophonl'année suivante (où s'était en plus incrusté
Boileau), revendiqué la
paternité du livret délégué par son oncle Thomas Corneille après en
avoir élaboré le plan. Il est un fait que l'œuvre n'a pas paru dans
l'édition d'époque du théâtre complet de Th. Corneille, tandis que
celle, plus tardive, forcément, de Fontenelle, les inclut.
[Au demeurant, ils peuvent bien se les
disputer par postérité interposée : ce ne sont des livrets à la gloire
ni de l'un ni de l'autre, surtout Psyché,
considérant les chefs-d'œuvre qu'ils ont par ailleurs produits : Médée pour le premier, Énée & Lavinie pour le second…]
5. Moments musicaux
Malgré l'atmosphère de plainte un
peu uniforme, l'assemblage disparate des
numéros musicaux (même s'il est abusif, pour le LULLY
d'après Cadmus, de parler de
numéros, les alternances entre récitatif et airs étant de plus en plus
lissées), la qualité moindre
de l'inspiration, Psyché a ses beaux moments :
► Acte I :
● Trio de plaintes
« Pleurons » (les sœurs Aglaure & Cidippe, et Lycas, qui
apporte la nouvelle), le plus bel
ensemble de l'œuvre – pas le plus original de LULLY,
mais très poétiquement réalisé sur une durée respectable.
● La longue plainte
italienne (une femme affligée, et deux hommes affligés qui la
rejoignent par moment). Je n'aime pas beaucoup ce passage très
décoratif, mais ce fut un hità l'époque (justement l'un des arguments de vente de Psyché tragédie en musique que
cette reprise de l'un des succès de Psyché
tragédie-ballet) ; par ailleurs son décalage avec la langue générale,
sa durée le rendent très remarquable. Le seul import italien dans un
opéra de LULLY (on en trouve
plus tard – 1693 – dans Médée
de Charpentier, en revanche).
● L'échange entre Psyché et le roi,
qui lui annonce la nouvelle. À mon sens (mais les réguliers savent combien mon goût
est déviant) le grand moment fort de
l'œuvre, très bien écrit – la situation bien sûr, mais aussi les
mots pudiques et intenses du père, le courage stoïque de Psyché –, et,
également, le récitatif le plus animé, le plus mélodique de toute
l'œuvre.
► Acte II :
● L'atelier des
Cyclopes, avec ses figuralismes
d'enclumes, un moment aussi unique dans le corpus que le fameux
Chœur du Froid d'Isis.
● La scène de ménage
la plus violente de LULLY : Vénus vient quereller
Vulcain qui se met au service d'une autre femme, sa rivale, en lui
bâtissant un palais alors qu'elle aurait dû mourir ; mais celui-ci lui
jette à la figure qu'elle a beau jeu de se sentir lésée après l'avoir
si souvent complaisamment cornufié. Ce dure un petit moment.
●● Il faut attendre
les retrouvailles de Cham et de sa femme partie avec un ange déchu dans
une nouvelle Sodome (!) dans Noé de Halévy & Bizet, ou
le vingtième siècle, avec des situations réalistes de jalousie
domestique, comme Intermezzo de R. Strauss ou Von Heute auf
Morgen de Schönberg,
pour rencontrer un tel emportement conjugal. [Il y a bien quelques
maris vengeurs chez Martin y Soler ou Rossini, mais c'est dans un cadre
plus formel de retour à l'ordre, et non pour goûter le simple plaisir
de la vaisselle brisée – ici, rien n'est résolu, pur échange de noms
d'oiseaux.]
●● Elle semble faire écho à celle d'Isis,
où Mercure badine avec Iris
pour la détourner de sa mission, causant tous deux à demi-mot d'amour
avant de s'aviser du stratagème et d'en retourner à leurs devoirs
concurrents, boudant. Néanmoins, contrairement à Isis, cette scène ne me paraît pas
musicalement particulièrement marquante, ni même aussi savoureuse dans
les mots.
► Acte III :
● De même que le
monstre et le sauvetage de Psyché ont été étrangement abandonnés dans
l'interstice entre les actes I et II (alors que la tragédie en musique
est précisément conçue pour accueillir le merveilleux invraisemblable
et le théâtre à machines !), la scène-clef de
la lampe (et les doutes qui la précèdent) apparaît comme particulièrement peu spectaculaire,
y compris dans son traitement musical.
● On retrouve cette confrontation
mi-tragique mi-comique (elle existe aussi dans le dépit jaloux
de Sangaride & Atys à l'acte IV d'Atys)
dans la nique que fait Vénus à sa rivale, à la fin de l'acte III, avec
des réponses non dénuées d'insolence chez Psyché, ce qui allège quelque
peu la solennité du moment (elle tente de se suicider juste après, tout
de même). Au demeurant, il ne se passe pas grand'chose musicalement
ici.
► Acte IV :
● Le trio des Furies est
très réussi, court, uniquement un numéro musical, mais écrit dans la meilleure veine des ensembles LULLYstes. LULLY a écrit
une scène de ce genre infernal pour tous ses opéras, sous des formes
diverses (remplacés par la malédiction de Mars à la fin du III de Cadmus). Celle-ci, à défaut d'être
probante dramatiquement (collage assez maladroit d'une mission sans
lien avec l'intrigue, rien que pour ménager un acte – très court
d'ailleurs – dans les Enfers), se distingue musicalement.
► Acte V :
● Belle chaconne
finale – uniquement instrumentale, mais déjà témoin du style de la maturité,
non sans parenté avec celle à venir de Phaëton (1683).
Itinéraire bis suggéré par La
Fontaine : au lieu du Fleuve, la barque de Charon.
6. Raisons d'une absence
On peut comprendre que, considérant qu'on ne disposait pas avant
l'intégrale en cours de Rousset, culminant en 2010 par l'indispensable
résurrection par Les Talens Lyriques de Bellérophon
(qui n'avait pas été joué depuis 1911 à Rouen, semble-t-il !), ni avant
les deux disques d'O'Dette & Stubbs (Thésée et Psyché II, donnés quelquefois,
jamais gravés), de la totalité des opéras de LULLY,
cette Psyché, probablement le
moins bon opéra de LULLY, ait été négligée par les
ensembles spécialistes. Thésée
avait au moins pour lui d'être l'opéra le plus joué en France jusqu'au premier
tiers du XVIIIe siècle – et de débuter de façon complètement extraordinaire
(avant de devenir irrémédiablement ennuyeux pendant quatre actes,
trouvé-je).
Les arguments pour monter Psyché,
dans un secteur de niche où il y avait de toute façon beaucoup de
chefs-d'œuvre à jouer, étaient raisonnablement moindres.
À ce jour, on n'a eu que Malgoire en
1987 à Aix (à une époque où Malgoire jouait le baroque français de
façon que nous trouvons peu musicologique aujourd'hui), O'Dette & Stubbs à Boston en
2007 (d'où émane le disque CPO, avec tout de même Carolyn Sampson,
Karina Gauvin, Mireille Lebel et Olivier Laquerre) et des extraits à
l'église luthérienne Saint-Pierre à Paris en 2010 par l'ensemble
semi-pro Les Muses s'aMusent (j'y
étais !). Christie n'a joué,
en 1999, que Psyché I. Il
manquait donc vraiment une version complète contrairement aux Muses et
un peu plus ardente qu'O'Dette & Stubbs.
Adieux de Psyché.
7. Un projet et une
représentation au CRR de Paris
Cette notule vient après avoir entendu, non pas le disque O'Dette /
Stubbs (tout à fait valable et valeureux, mais assez peu incarné :
déclamation peu mise en avant, voix banales, maintien raide des
récitatifs, couleurs un peu grises), mais après une représentation donnée au CRR de Paris
par des étudiants du CRR en chant et danse, avec un orchestre issu des CRR de Paris et Versailles, mais
aussi du Pôle Supérieur de
Boulogne-Billancourt et du Conservatoire
Départemental d'Orsay – c'est-à-dire quelques-uns des meilleurs
lieux de formation à cette musique (le CRR de Cergy et à plus petite
échelle le Conservatoire d'arrondissement de Paris VIIe font aussi ce
travail de spécialisation et de formation de la future élite baroque
française).
Préparés par Patrick Cohën-Akenine,
dirigés par Stéphane Fuget,
avec mise en scène (Manuel Weber),
chorégraphie (Sabine Ricou),
gestuelle et prononciation restituées (Lisandro
Nesis), c'était un travail très complet qui était offert. Mieux
qu'un travail, une véritable représentation de niveau professionnel.
Double défi que celui de produire un travail de cette qualité, et de le
mettre au service d'une œuvre par essence plus difficile. Avec les
niveaux en présence, on pouvait s'assurer un succès facile avec un Giulio Cesare ou un Don Giovanni. Merci d'avoir été au
bout de la démarche.
Début du fugato de
l'Ouverture – à cinq parties, caractéristique de l'écriture à la
française, prévue pour les 5 familles de violon.
8. Moyens instrumentaux
Car c'est une immersion totale : les jeunes musiciens jouent sur les 24 Violons du Roy (d'où la présence capitale de
Patrick Cohën-Akenine) prêtés par le
CMBV, c'est-à-dire avec les 6 dessus, 4 hautes-contre, 4
tailles, 4 quintes et 6 basses de violon, tous différents des violons,
altos et violoncelles actuels, avec une tenue par ailleurs plus basse
de l'instrument comme des archets ; même les basses de violon voient
leur prise d'archet avancée un peu plus vers le centre de la baguette.
Avec cela, un continuo de 2 violes de gambe et 1 basse de violon, avec
jusqu'à 4 théorbes dans les tutti (1
en temps de récitatif) et bien sûr clavecin et orgue positif.
Je n'aime pas trop ce dispositif, qui privilégie le fondu par rapport à
l'instrumentarium traditionnel plus aéré, où les lignes paraissent plus
indépendantes, mais ce trait n'était finalement que peu audible, eu
égard à la qualité de l'exécution.
[[]]
Déploration de Lycas et des sœurs.
9. Moyens scéniques
Sur scène aussi, restitution : rhétorique
gestuelle d'époque et, c'est plus frustrant, la prononciation restituée du français
– autant j'aime beaucoup la discipline qu'elle implique dans la pensée
de la langue parlée (je
ne rechigne pas moi-même, on vous le dira, à réciter Saint-Amant en
public en prononciation Louis XIII), autant dans la musique
chantée, où le compositeur a déjà contraint le galbe de la parole, elle
ajoute surtout à l'inintelligibilité, et conduit les voix à décentrer
leur placement. Alors qu'on dispose de jeunes artistes francophones qui
pourraient nous proposer un français limpide, le résultat est
généralement un peu grimaçant, sauf chez quelques rares spécialistes.
Mais cette représentation est aussi l'aboutissement d'un parcours de
formation : les instrumentistes pourront être amenés à jouer
sur des
copies d'instruments assez différents de leur cui-cui traditionnel et
les chanteurs n'échapperont pas, un jour ou l'autre, à une production
en restitué.
Plus gratifiant pour le public, véritable travail sur les agréments et ornements chez
les chanteurs, très abouti, avec de véritables diminutions très belles
et cohérentes, des accents expressifs maîtrisés comme chez les
meilleurs spécialistes, bravo.
[Ayako
Yukawa (Vénus) osait ainsi un chant presque parlé, représentatif
de ce qu'on peut lire des écrits du temps sur la façon des Français de
ne pas vraiment chanter.]
Vulcain exhorte les Cyclopes au Palais d'Amour.
10. Quelques chanteurs
Autre point très positif : aucun
chanteur médiocre (on avait un peu souffert précédemment avec
des voix diversement abouties, dont un ténor pas du tout en maîtrise
qui tenait les rôles exposés de haute-contre dans du Campra…), tous
(issus pour la plupart des classes d'Isabelle Poulenard et Howard
Crook, je suppose) maîtrisent les principes du chant, et un certain
nombre que je vais saluer en particulier peuvent même espérer une très
belle carrière, au moins dans ce répertoire !
∆ Claire-Élie Tenet(Psyché) était annoncée
souffrante, et en effet, elle devait s'accommoder d'une émission voilée
qui n'irradiait pas comme dans la récente Messe en si mineur de Lioncourt ; je crois néanmoins que la voix a des
qualités a faire valoir dans un répertoire plus lyrique – ductile avant
d'être déclamatoire. J'ai hâte de la réentendre dans son état
∆ Apolline
Ray-Westphal (Vertumne et l'Amour), très finement focalisée,
claire, sonore, bien incarnée dans le détail des mots, un régal et une
voix déjà prête pour la carrière dans ce répertoire.
∆ Aussi remarqué Anaelle Le Goff(Cidippe, la seconde sœur),
superbe halo vocal dans une tessiture pourtant très basse pour un
soprano. Reste à affermir la déclamation (mais la diction est saine, en
réalité, et parvenir à maintenant la liberté des voies aussi bas,
chapeau).
∆ Je n'aime pas beaucoup l'interminable
plainte italienne ; d'autant plus impressionné par la densité (du
timbre, de l'expression) de Marie Théoleyre
qui magnétise cette scène.
∆ Chez les Messieurs, trois basses assez exceptionnelles :
le noble Fleuve de Guillaume Vicaire,
l'Affligé et la Furie d'Antoine Amariutel
(voix de basse complètement timbrée, il est prêt techniquement, on va
se l'arracher, ces voix sont rares), le Roi d'Eudes Peyre,
très sûr, mais avec un aigu allégé et éclairci, qui lui permet de
phraser avec plus d'expression, idéal ici, dans ce récitatif – plus
beau moment de tout l'opéra.
On était loin des natures
généreuses et mal domestiquées des habituels étudiants basses. Et vu la
disette de ce type de voix dans ce répertoire… je me souhaite de les
revoir.
∆ Enfin, Maxim Jermann,
ténor prometteur pour ce répertoire : l'aigu, quoique facile, se pare
de belles résonances pharyngées façon Auvity… Les notes (dans une
tessiture haute très difficile) sont sans tension ; un véritable
caractère vocal se dégage, c'est précieux (et rarissime chez les
ténors).
J'espère les réentendre souvent – c'est qui est arrivé à Eugénie Lefebvre et Hasnaa Bennani peu de temps
après une superbe production du Pouvoir de l'Amour
(opéra-ballet de Royer) du CRR – où je les avais aussi distinguées.
Ce spectacle sera redonné à la salle des fêtes de Saint-Prix (Val
d'Oise) dimanche 21 janvier. LULLYstes, allez-y.
[[]]
Adieux de Psyché.
11. Le son
Conclusion : il nous manquait une version pleinement
représentative de cette œuvre non sans pièges – que nous pouvons
considérer avoir désormais (en dépit du raccourcissement de l'acte V,
d'où disparaissent Mars, Mome, Silène et les Satyres !).
[C'est mal, j'en conviens
mais je me suis fait une copie à fins personnelles, hors de question de
ne pas pouvoir réécouter ça !]
Comme je n'ai pas eu de réponse des concernés pour diffusion d'extraits
(dommage, tout à leur gloire) et que je n'aurai pas le temps avant
quelques jours de les retirer et remplacer si jamais c'est le drame, ce
seront des extraits du disque CPO. Il faudra donc vous déplacer pour
entendre leurs voix.
Et merci à P. L. et Érik sans qui, malgré ma veille minutieuse, ce
moment immanquable aurait échappé !
Chez La Fontaine, Psyché – plus futée – apaise Cerbère pour
entrer aux Enfers, dont la mythologie fait finalement un véritable
moulin (Orphée y part en balade, Pollux va y faire son marché, sans
parler d'Alcide qui y passe son temps libre pour une raison ou une
autre).
12. Sur Carnets sur sol
Je vous invite bien sûr à vous replonger dans les notules LULLY,
en particulier celle qui récapitule les caractéristiques
dramaturgiques, les moments forts musicaux et les versions
discographiques de tous ses opéras.
Tradition de toujours. Bilan du mois écoulé. Et quelques
recommandations pour ne pas manquer tous ces beaux concerts cachés
d'avril.
Cette fois encore, pour des raisons de praticité, je me
limite à une
petite expansion de ce que j'ai déjà collecté pour mon usage personnel,
donc en région Île-de-France essentiellement. La sélection ne se limite
pas à Paris ou, du moins, est faite après la lecture des programmes de
la plupart des théâtres de la région – en musique en tout cas, puisque
l'offre de théâtre est tellement incommensurable que je me limite à
indiquer quelques-unes de mes marottes.
Diagonale de putti dans les
loges de l'Oratoire du Louvre, sous les tribunes.
1.
Les combats
de mars
Quelques aventures sont encore prévues pour la dernière semaine du
mois, mais il faut bien effectuer un bilan avant le 1er avril pour
annoncer les concerts dignes d'intérêt…
Les renoncements sont toujours inévitables, et j'ai dû abandonner, pour
raisons tantôt personnelles, tantôt professionnelles (tantôt envie de
faire autre chose que des concerts, aussi…) :
– Le
jeune Sage et le vieux Foude Méhul (certes un de ses opéras
comiques un peu légers) à la BNF (tellement bien annoncé que je l'ai
découvert une heure avant le concert), étant déjà accompagné pour la Tragédie de Saloméintégrale de Florent Schmitt (ce qui est au
demeurant un choix très défendable) ;
– leRetour d'Ulysse
de Monteverdi dans une
fulgurante distribution ;
– le Boccanegra
luxueux en diable de Monte-Carlo (Radvanovsky, Vargas, Tézier,
Kowaljow…) ;
– le concert Copland-Barber-Bernstein
de l'ONDIF, que j'irai plutôt voir à Montereau (qu'il est beau de voyager, dit-on
dans cet opéra) ;
– enfin et surtout, la grande
rétrospective de la création contemporaine officielle depuis 50 ans,
à la Cité de la Musique (avec de très beaux choix de programme par
l'EIC) ; mais le même soir que la Jehanne
de Tchaïkovski, je n'avais guère de choix en réalité.
Ne croyez donc pas que je les aie boudés par mépris.
Par ailleurs, il y avait déjà de quoi s'occuper, avec 11 soirées rien
qu'entre le 2 et le 25 mars.
♣ Pas toujours des inédits mondiaux, mais des
choses qui ne passent que très exceptionnellement en France (voire dans
le monde…) :
♣♣ La
Pucelle d'OrléansdeTchaïkovski.
Par le Bolchoï
de surcroît : orchestre, chœur et troupe de solistes ! L'opéra
n'est à
peu près jamais donné hors de Russie (où il n'est pas exactement un
standard non plus), et le disque n'en documente que deux versions,
assez anciennes (la plus récente date des années 70). C'est une
étrangeté, puisque composée juste après Onéguine, elle marque, comme Mazeppa écrit juste après (et
contrairement à l'Enchanteresse,
à la Dame de Pique et à Iolanta
qui achèvent sa carrière lyrique), une sorte de retour vers un genre
plus formel du grand opéra historique, même musicalement. Les
récitatifs y sont en effet assez rigides, les airs et numéros assez
longs, pas du tout effleurés comme dans Onéguine
(où Tchaïkovski a vraiment épousé au plus près son sujet !). Néanmoins,
plusieurs grands moments de grâce, en particulier les grands ensembles
et les scènes de foule, et surtout les préludes de chaque tableau, où
l'on retrouve toute la virtuosité purement musicale (harmonie,
orchestrtion) de Tchaïkovski.
♣♣♣♣
L'opéra s'écarte
évidemment
des sources historiques, puisque Jehanne y vit une histoire d'amour
qui, dans une lecture assez mystique (façon Samson) et décadente,
consume ses forces et lui fait perdre sa légitimité. C'est à Chinon,
lors de la présentation de Jeanne, qu'on annonce le siège compromis
d'Orléans, et c'est son propre père qui la maudit ; marchant
ensuite à
peu près seule (avec son semi-amant) dans le forêt, elle se fait
capturer par les Anglais. Chaque acte développe un lieu différent de
façon assez habile : Domrémy, Chinon, Reims, Rouen.
♣♣♣♣
L'Orchestre du Bolchoï n'est
plus
très typé (hors les
remarquables cors translucides assez caractéristiques), la différence
passe, à tout prendre, plutôt par le style du portamento (ports de voix) des
violons dans les phrasés lyriques. Le
Chœur,
lui, est à couper le souffle : n'importe quel choriste pourrait chanter
à Bastille demain – les volumes et la perfection des voix, sans jamais
sembler désagréablement écrasants comme d'autres chœurs de
quasi-solistes (Chœur de Radio-France, la plupart des chœurs d'opéra de
France et d'Italie…). Côté troupe,
Anna Smirnova révèle
à quel point la tessiture très centrale du rôle-titre, recouverte par
l'orchestre, doit être un problème insurmontable pour le distribuer à
tout autre qu'elle ; Bogdan Volkov
(Raymond, son soupirant de Domrémy) comme toujours très élégant, Oleg Dolgov (Charles VII), autre
ténor limpide et élancé à la russe (toujours ces dégradés de couleurs),
superbe Anna Nechaeva (Agnès
Sorel), très charismatique dans un rôle très court… et par-dessus tout Stanislav Trofimov
(l'Archevêque), une voix quelque part entre Kurt Moll et Martti
Talvela, à la fois noire et lumineuse, profonde et pure, grave et très
aisée dans l'aigu. Mon chouchou personnel, l'Ange de Marta Danusevich
: une voix de soprano dont le timbre très fruité paraît celui d'un
mezzo lyrique, avec une richesse de coloris rare chez les voix hautes.
Et qui surmonte le chœur sans la moindre peine.
♣♣ LaDeuxième Symphonie de Nielsen(voir présentation)
par l'ONF et le spécialiste
(parmi la poignée des tout meilleurs) John
Storgårds.
L'une des plus belles symphonies de tout les temps, aussi considérable
que la Quatrième à mon sens (quoique moins complexe). En tout cas dans
mon TOP 5 du premier vingtième (il y aurait aussi van
Gilse 2, Schmidt 2, Sibelius 7, Walton
1 – pour le top 10, Atterberg 1, Alfvén
4
et Madetoja 2, assurément). Chaque mouvement est à la fois fascinant et
exaltant, culminant dans la reprise en climax du thème du mouvement
lent…
♣♣♣♣ Ce soir-là,
le grain naturel et tranchant des cordes de l'ONF des grands jours en faisait le
meilleur orchestre du monde. Et pour ne rien gâcher, nous eûmes le
plaisir d'entendre en vrai Fanny
Clamagirand
que j'admire depuis longtemps – pas un gros son, mais une beauté de
timbre et un goût parfaits. La création d'Édith Canat de Chizy n'était
pas pénible que son ordinaire, à défaut d'imprimer le moindre début de
sentiment de nécessité – la suite d'effets traditionnels, sans propos
thématique / structurel / climatique identifiable. En n'essayant pas
trop de s'intéresser au propos fuyant, le temps passe sans douleur. En
bis, une splendide sarabande de Bach (comme après chaque concerto pour
violon, certes).
♣♣♣♣ Accueil
toujours aussi catastrophique à Radio-France : sécurité
peu respectueuse (tout le contenu du sac retourné sans ménagement et
sans demander l'autorisation – en principe, on enseigne l'inverse aux
agents), replacement de force du public, même si les places d'arrivée
sont moins bonnes (alors qu'en principe, on propose
ce genre de chose). Toujours l'impression, donc, d'être à peine toléré
alors qu'on a payé sa place et qu'on voudrait juste ne pas être traité
comme un délinquant pour vouloir entrer dans la salle puis s'asseoir à
sa place.
♣♣♣♣ Salle
remplie au quart (uniquement les parties de face, et pas en
entier, sur deux étages des trois) : entre les artistes formidables
mais peu célèbres, Nielsen 2 qui n'est pas encore dans les habitudes du
public symphonique, et la création de Canat de Chizy, trop bien connue,
il est vrai qu'on avait cumulé les paramètres de désaffection (il
aurait fallu un concerto de Tchaïkovski avec Jansen en première partie,
et mettre Clamagirand-Chizy dans un concert avec Mahler 4 ou Beethoven
5 en seconde partie…).
♣♣ La Tragédie de Saloméde Florent Schmitt,
dans sa version originelle et intégrale pour petit orchestre (bois par
1). Un superbe cadeau d'Alain Altinoglu pour sa classe de direction
d'orchestre au CNSM… Présentation de l'œuvre (et éloge des musiciens)
faite tout
récemment.
♪ D'autres raretés, peut-être pas majeures, mais très intéressantes.
♫Il Matrimonio segreto de Domenico Cimarosa,
un opéra bouffe sur sujet domestique, succès immense et emblématique à
son époque – dès la création, bien avant la vénération bruyante de
Stendhal. Il m'est difficile, je l'avoue, de m'immerger totalement dans
une œuvre théâtrale aussi fragmentée (discontinuité maximale entre de
jolis airs très mélodiques qui évoluent peu, et les récitatifs secs), et les
coupures réalisées par Patrick Davin,
pour une fois, se défendent – sans quoi le spectacle aurait été très
long, et pas forcément plus riche (ce n'est pas comme couper
du Richard Strauss d'une heure et demie). Surtout, Cécile Roussat et Julien Lubek, une fois encore
(témoin leur Dido and Æneas de Rouen) montrent qu'ils sont les
metteurs en scène actuels les plus capables d'animer une scène, même
conçue comme immobile. Quoi qu'on pense de la musique et du livret (de
Giovanni Bertati, celui qui invente la mort liminaire du Commandeur
dans les multiples refontes de Don
Juan), le résultat était un grand moment de théâtre. La
principale réserve tient au style de l'Orchestre du CNSM, que Patrick
Davin fait sonner comme le studio Sanzogno… donc peu sensible aux «
nouveaux » apports musicologiques des soixante dernières années, disons.
♫♫ Les jeunes chanteurs,
bien connus de nos services, sont remarquables, en particulier Harmonie Deschamps, Marie Perbost (mainte fois louées en
ces lieux), et par-dessus tout Jean-Christophe
Lanièce qui révèle, en plus de ses talents connus de chanteur et
diseur, un charisme d'acteur phénoménal. Par ailleurs, la voix paraît
différente en italien, moins centrée sur la couleur et davantage sur
l'éclat, s'adaptant ainsi idéalement au répertoire.
♫ Les
Saisons de Haydn dans
la version (en français)
de leur création française (selon le vœu d'adaptation vernaculaire de
Haydn). Musiciens du Palais-Royal dirigés
par Jean-Philippe Sarcos dans
la salle néo-égyptienne de l'antique Conservatoire de Paris. Il y a
quelque chose de particulier à entendre cette musique dans la salle où
l'on joua pour la première fois les Symphonies parisiennes de Haydn, la
Fantastique de Berlioz, et où l'on donna pour la première fois
Beethoven en France… de quoi méditer sur le son des origines
(acoustique assez sèche, lieu d'où l'on entend bien partout, atmosphère
assez intime, et même une certaine promiscuité dans les loges).
♫♫ Pour le reste, je ne
suis pas un inconditionnel des oratorios de Haydn : de très belles
choses, mais l'ensemble me touche peu. La plus-value du français
n'était pas aussi bien mise en valeur que pour la Création, si bien que mon intérêt
s'est un peu émoussé, je dois l'avouer, sans que l'œuvre soit en cause.
♫♫ J'ai trouvé le français des interprètes (même Clémence Barrabé !) et du chœur très correct, mais assez peu
généreux vu le projet (Sébastien
Obrecht, ayant travaillé la partition en 48h, étant plus
expansif que ses compères). Alors que pour la Création, la limpidité du chœur
(mais il n'était pas constitué des mêmes personnes, quoique portant le
même nom…) et les couleurs de l'orchestre
m'avaient ravi, j'ai trouvé cette fois l'orchestre plus limité
(par rapport à la concurrence superlative en tout cas) et le chœur plus
indifférent au paramètre linguistique. Pour finir, Aimery Lefèvre devrait vraiment
s'interroger : en chantant aussi engorgé, il est inintelligible, la
voix ne porte pas du tout, et ses aigus sont difficiles (ce qui, pour
un baryton aussi jeune, est quand même peu rassurant). C'était déjà une
tendance dans David et Jonathas
il y a trois ou quatre ans, mais la voix commence vraiment à en
souffrir désormais.
♥ Des tubes personnels :
♥♥ In
Taverna avec l'ensemble Il
Festino – et Dagmar Šašková,
la meilleure chanteuse du monde. Programme entendu en septembre 2009, et que je cherchais absolument à
entendre : des airs à boire de
Moulinié et LULLY,
entrecoupés de déclamation en prononciation restituée (par le virtuose Julien Cigana) d'extraits d'éloges
du jus de la treille par La Fontaine, Rabelais, Saint-Amant ou Scarron
!
De quoi se mettre en train le dimanche à 10h du matin. L'heure a sans
doute un peu brouillé les cordes de la chanteuse, moins à son faîte que
de coutume, mais ce programme est simplement grisant, à tout point de
vue, l'une de mes grandes expériences de spectateur. (Il fallait pour
cela se déplacer au Conservatoire de Puteaux un dimanche matin assez
tôt, mais qui peut mettre un prix sur le bonheur ?)
♥♥ Le Concerto
pour la Nuit de Noël deCorelli
(par Karajan ou par les meilleurs baroqueux, toujours bouleversant, là
où tout le reste de Corelli paraît tellement plus décoratif…), une Suite tirée d'Atys deLULLY. Et
puis des extraits des Vêpres de la Vierge de Monteverdi
et la musique pour les Soupers du comte d'Artois de
Francœur. C'était le concert d'inauguration de la section
musique ancienne du tout récent OJIF
(Orchestre des Jeunes d'Île-de-France), censé être une formation de
haut niveau auto-professionnalisante, créée au printemps dernier. Très
bien exécuté (plein d'éloges et de petites réserves à émettre, bien
sûr), mais les conditions climatiques extrêmes laissaient peu le loisir
d'être ému : la porte largement ouverte sur la rue a vidé l'Oratoire du
Louvre de toute sa chaleur… un concert assis immobile à 10°C, c'est
plus pénible qu'exaltant, clairement. Un peu comme écouter Mozart
pendant qu'on vous arrache les ongles. Ou comme écouter du Glass dans
un jacuzzi avec une authentique glace italienne à la main sous le
soleil toscan. Difficile de se départir de la douleur.
♠ Oserai-je le confesser ? J'ai aussi assisté à des concerts d'un
conformisme vertigineux – et passé un excellent moment.
♠♠Symphonie n°38 de Mozartpar l'Orchestre de Paris à la
Philharmonie. (Certes, parce que je n'ai pas réussi à revendre ma
place, je croyais que c'était la seule œuvre au programme, et que
Zacharias dirigeait…) Inséré au sein d'un bizarre spectacle racontant
vaguement la relation de W.A. avec Leopold.
♠♠♠♠ Outre que la
(magnifique) symphonie était assez bien jouée (je l'aime avec plus de
tranchant, mais ce n'était nullement mou) et que le tarif était
ridiculement attractif (20€ pour toutes les places), expérience très
intéressante pour observer un public vraiment
différent. Les gens ont systématiquement applaudi entre les mouvements,
et personne ne leur a dit chut !
– voilà une excellente preuve qu'il ne s'agit pas d'initiés. Et ils ont
hésité en réclamant le bis, je crois qu'ils attendaient une conclusion
(moi aussi, à vrai dire), puisque Mozart et son père s'asseoient pour
regarder la symphonie (et le tout durait à peine plus d'une heure), on
pourrait attendre une petite fin théâtrale… Le violon solo Philippe
Aïche, dans son élégance habituelle, se lève alors et entraîne
l'orchestre avec un geste qui semble dire vous avez pas assez applaudi, tant pis
pour vous – on dit toujours qu'on veut s'ouvrir, mais on préfère
quand même traiter avec ses semblables, pas avec les bouseux qui
découvrent le concert.
♠♠♠♠ J'essaierai de produire une notule pour explorer
cette question des codes du concert et plus largement de la
compréhension de la musique classique – y a-t-il des limites à ce qu'on
peut faire aimer à un auditeur occasionnel ? Perçoit-on
réellement l'essence des œuvres quand on n'est pas musicien / mélomane
aguerri ? Sujet passionnant (et inconfortable).
♠♠ Symphonies
1, 4 et 7 de Beethoven
par l'Orchestre des Champs-Élysées
et Herreweghe. Enfin pu
entendre la Première en vrai… du niveau des plus grandes. Et la
dernière notule traite justement de la Quatrième.
Herreweghe ne cherche pas l'effet, tout est joué avec simplicité, une
sorte d'exécution-type sur instruments anciens, et cette musique est
déjà si forte que c'est assez parfait – en tout cas ce que je cherchais
ce soir-là. Étrangement, la 7 (pourtant à peine plus entendue que la 1
sur ma platine…) m'a moins fortement touché – peut-être parce que
j'entendais la 1 pour la première fois (la 7 que pour la seconde, cela
dit, et à 15 ans d'intervalle…), et que je me convertissais enfin
résolument à la 4.
♠♠ Les
Nuits d'Été de Berlioz
dans sa version (originale) pour baryton, par Christian Gerhaher… la franchise du
texte (il ose de ces sons ouverts !) est exceptionnelle, et le
caractère plus « parlé » d'un timbre de baryton tire l'œuvre hors des
évocations vaporeuses habituelles vers du texte brut – Théophile
Gautier en paraît presque sauvage et échevelé ! Par ailleurs les Piècesopus 16 de Schönberg,
que j'aime beaucoup, mais qui en concert manquent justement de
direction, de propos continu. D'éphémères belles associations de
timbre. Et pour finir, la Deuxième
Symphonie de Schumanndirigée par Daniel Harding : le public a trouvé
le Mahler Jugendesorchester formidable,
et il l'est d'ordinaire… pourtant, je lui ai (i.e. nous lui avons, un
contributeur de CSS y était aussi…) trouvé un petit manque de
tranchant, une superposition des timbres pas toujours parfaite,
quelques flottements (et même un trait de violons vilainement raté) :
les moments les plus rapides leur imposaient la performance, et ils
étaient alors remarquables, mais le reste du temps, il manquait un rien
d'abandon ou d'intensité, difficile à définir. Considérant leur âge
visiblement très tendre, c'est probablement le début d'une session, et
on entendait surtout la différence avec les orchestres permanents qui
jouent ensemble depuis des décennies.
♠♠♠♠ En tout cas,
contrairement à ce qu'on peut supposer (le Jugendesorchester, parrainé
par Abbado, à sélection internationale, multi-enregistré), les élèves
du CNSM, entendus en janvier dans la même œuvre, était deux coudées
au-dessus (au niveau des plus grands), aussi bien en matière de
précision que d'enthousiasme palpable.
♠♠♠♠ Il faudra bientôt
songer à imposer des quotas paritaires dans les cordes : trois hommes (dont le violoncelle
solo, certes, et deux dernières
chaises en violon). Tout le reste constitué de jeunes filles (toutes
blanches, ouf, on peut encore travailler à diversifier le recrutement).
♦ Pour finir, du théâtre :
♦♦ Suddenly
Last Summer de Tennessee Williams,
à l'Odéon. Braunschweig y
retrouve les lents
dévoilements des pièces d'Ibsen,
tout étant centré autour du récit du souvenir indicible de la mort de
celui dont tout le monde parle… à la différence que le dévoilement est
ici souhaité (et clôt la pièce, en sauvant peut-être les personnages),
et non vu avec effroi comme inévitable et destructeur. Belle pièce
néanmoins, plutôt bien dite, dans un jardin en plastique pas très
élégant et une mise en scène pas très mobile mais fluide, où l'on ne
retrouve pas les tropismes de Braunschweig pour les pull gris et les
murs en noir et blanc.
♦♦♦♦ Les comédiens sont
lourdement sonorisés, mais peut-il en aller autrement dans la salle de
1819, très vaste, et en tout cas très haute ? Pourtant, c'était
le siège du Second Théâtre-Français, là où Berlioz connut ses émois
shakespeariens, là où Sarah Bernhardt jouait Racine… Voilà qui
repose grandement la question de notre acceptation du son qui n'immerge
pas, ou, plus grave, de la technique vocale des comédiens d'aujourd'hui.
Vastes sujets.
Il est temps à présent d'interroger avril.
Putti-atlantes dans la salle de 1819 de l'Odéon, sous le regard
du mascaron.
2. La pelote d'Avril
Les vacances scolaires de la zone C font toujours décroître (pour une
raison inconnue) l'offre francilienne. Il y a néanmoins de quoi
s'occuper. Parmi tout ce qu'on peut voir, quelques soirées dont vous
avez peut-être raté l'annonce.
(Organisé plus ou moins par ordre de composition à l'intérieur par
catégorie.)
► Lieder et autres monodies vocales :
■ Le 29, Hôtel de Soubise, Eva Zaïcik
chante Léandre et Héro de
Clérambault, la Deuxième Leçon
de Ténèbres de Couperin et une cantate pastorale de
Montéclair. Générosité et grande expression au programme avec elle !
■ À la Cité de la Musique, Lehmkuhl
et Barbeyrac chantent des lieder de Schubert orchestrés. Avec
Accentus et Insula Orchestra, le 27.
■ Lieder de Clara & Robert
Schumann, de Brahms aussi, le 20 midi par Adèle Charvet (Orsay
ou Petit-Palais).
■ Lieder de Liszt, Wagner, Brahms,
Weill, Stolz, Zeira… et Viardot, par la mezzo Hagar Sharvit, aux
Abbesses le 23.
■ Pot-pourri des Lunaisiens
avec Isabelle Druet, salle Turenne le 21.
► Opéra :
■ Je signale en passant qu'à Rennes, le
6, l'ensemble Azur donnera des chœurs
tirés des Noces
de Thétis et Péléede Collasse,
l'un des ouvrages les
plus repris de la tragédie en musique, et qui attend toujours
d'être intégralement remonté de nos jours.
■ Bien sûr Alcyonede Maraisà l'Opéra-Comique ) : à partir du 26, Jordi Savall y rejoue
l'œuvre qu'on n'a guère dû entendre depuis l'ère disque Minkowski, au
début des années 1990. Je ne trouve pas tout à fait mon compte dans les
opéras de Marais, plus un musicien sophistiqué qu'un maître du
récitatif et de l'expression verbale fine, mais il faut admettre qu'Alcyone, malgré le risible livret
du redoutable Houdar de La Motte, a ses moments spectaculaires, dont la
tempête dont le figuralisme et les moyens nouveaux (pour partie italiens,
mais pas seulement) firent date. Même si Savall m'a plutôt effrayé
lorsque je l'ai entendu (il y a près de quinze ans) en jouer la Suite
de danses (que c'était sec !), l'équipe dont il s'entoure plaide pour
le sérieux de l'entreprise (quelle distribution vertigineuse !).
■ La
Fille des Neiges deRimski-Korsakov
à Bastille, évidemment, même si la relecture sexu(alis)ée de
Tcherniakov ne sera pas forcément propice à la découverte candide,
disons.
■ Une opérette mal connue de Maurice
Yvain, Gosse de riche, au Théâtre
Trévise (L'inverse par les Frivolités
Parisiennes, les 12 et 19 ; de la musique légère, mais qui sera
encore une fois servie au plus haut niveau, jouée avec la rigueur d'un
Wagner mais l'entrain de jeunes passionnés. d'un ballet joué par
l'Orchestre de l'Opéra, donc.)
■ Des extraits de Licht, le
méga-opéra de Stockhausen
présentés pour tous publics à 10h et 14h dans la semaine du 24, à
l'Opéra-Comique. Cela reprend aussi en septembre. Très intriguant
(d'autant qu'il y a vraiment de tout
dans cet opéra, du récitatif de musical
jusqu'aux œuvres instrumentales les plus expérimentales…).
■ The
Lighthousede Peter Maxwell
Davies à l'Athénée à partir du 21, un opéra-thriller assez
terrifiant, dans le goût du Tour
d'écrou : les marins d'un bateau de ravitaillement pénètrent
dans un phare dont les gardiens semblent avoir disparu. Musicalement
pas toujours séduisant (mais accessible et en rien rebutant, simplement
une forme de Britten atonal, quelques jolis effets instruments de type
cors bouchés en sus), mais très prenant, et ce doit être encore plus
fort sur scène !
■ Trompe-la-mort de
Francesconi se joue toujours à
Garnier. Je ne l'ai pas encore vu, mais de ce que je peux déduire de la
musique habituelle de Francesconi, il y aura de belles couleurs et de
belles textures ; leur adaptation à une structure dramatique et aux
contraintes d'une claire prosodie me laissent plus réservé, il faut
tester – j'ai lu tout et son contraire à ce sujet, excepté sur la mise
en scène de Guy Cassiers qui semble être partout louée.
► Sacré & oratorio :
■ Odes
de Purcell par Niquet
à Massy le 22.
■ Un office musical à Paris en 1675,
sur la musique de Charpentier,
par Le Vaisseau d'or(Sainte-Élisabeth-de-Hongrie,
le 1er, libre participation).
■ Leçons de
Ténèbres de Charpentier (plus
austères que les fameuses Couperin) par les excellents Ambassadeurs de
Kossenko, avec la basse Stephan MacLeod, probablement l'homme au monde
a avoir le plus chanté ces œuvres… Oratoire du Louvre, le 5.
■ Leçons de
Ténèbres de Couperin par
l'Ensemble Desmarest, Maïlys de Villoutreys et Anaïs Bertrand, rien que
d'excellents spécialistes (et une de nos protégées du CNSM, qui a déjà
de très beaux engagements).
■ Une Passion de Telemann à
la Cité de la Musique le 15 à 16h30… je n'ai pas vérifié laquelle, il
en a écrit quelques dizaines (je n'exagère pas), et dans des styles
assez divers, italianisantes ou plus ambitieuses musicalement, dont
certaines valent bien les Bach – et d'autres pas grand'chose. C'est
assez tentant néanmoins, on n'en entend jamais, toujours les Bach – et
quelquefois Keiser, sans doute parce qu'on l'a d'abord attribué par
erreur à son collègue lipsien.
■ Le Repas des
Apôtres de Wagner, sorte de longue choucroute
homophonique qui ressemblerait à du Bruckner sans aucune inspiration –
le Wagner de Rienzi, en somme. Mais c'est très rare (et pour cause).
Peut-être qu'en vrai, on en sent mieux la nécessité ? Couplé avec
le Second Concerto pour piano de Brahms et la Symphonie en ut de Bizet,
joués par la Garde Républicaine… amateurs de cohérence programmatique
et de belles notes d'intention s'abstenir.
■ Les Sept
Dernières Paroles, un des chefs-d'œuvre du spécialiste de
musique chorale sacré James MacMillan.
Couplé avec celles de Haydn,
d'abord écrites sans voix puis, devant le succès, réadaptées en
oratorio. Par l'Orchestre de Chambre de Paris à la Cité de la Musique,
le 15.
► Symphonique :
■ Un héros d'avril a dit : « ce que tu
as à faire, fais-le vite ». C'est
étrange, je vais lui obéir (a dit un autre
héros de séans). Je me contente donc de signaler la Quatrième Symphonie de Bruckner, pas du tout rare, mais
l'association Eliahu
Inbal-Philharmonique de Radio-France
produit toujorus de très grands moments de musique – et
particulièrement concernant Bruckner, j'attends toujours de trouver
l'équivalent de leurs Deuxième et Neuvième, entendues à Pleyel et à la
Philharmonie.
► Chambrismes :
■ Les dimanches à 17h, au club du 38
Riv', si vous aimez la viole de gambe
solo ou avec clavecin, il y aura trois concerts qui parcourront
assez bien ce répertoire. Je ne garantis pas l'excellence, ça dépend
des soirs pour l'Association Caix d'Hervelois qui les organise…
■ LesSept Dernières Paroles
de Haydn pour quatuor, avec
texte déclamé, à l'Amphi de la Cité de la Musique, le 14.
■ Nos chouchous duTrio
Zadig joueront Tchaïkovski
et Chostakovitch n°2 à l'Hôtel
de Soubise le 22.
■ Œuvres et arrangements pour harpe
à l'Hôtel de Soubise le 8 : Villa-Lobos
(études), Fauré (impromptu), Mendelssohn (romances), Bach (fantaisie
Chromatique), Schüker.Par
Pauline Haas. ■Piano original le
midi au Musée d'Orsay le 25 : Mompou, Takemitsu, Granados, Satie, et parce qu'il
faut bien vivre, Chopin, Debussy et Ravel, par Guillaume Coppola.
■ L'Octuor de Mendelssohn, la Seconde Symphonie de chambre de Schönberg
et la Sinfonietta de Poulenc
seront données au CRR de Boulogne-Billancourt et au Centre Événementiel
de Courbevoie les 13 et 14. Gratuit.
■ Extraits des quatuors de Walton (final)
et Bowen (mouvement lent), Phantasy pour hautbois et trio à cordes de
Britten, ses Métamorphoses
pour hautbois solo, Lachrimæ de Dowland, création d'un élève du CNSM…
Salle Cortot, le 1er, à 15h.
■ Menotti pour deux
violoncelles, et puis Bruch (Kol Nidrei), Tchaïkovski et
Schubert (Arpeggione) à
l'Auditorium du Louvre, le 28.
■ À Herblay, les Percussions clavier
de Lyon, le 28.
■ Pour finir, des cours publics du Quatuor Ébènedans les salles les plus intimes du CNSM, une expérience
extraordinaire de se mêler aux étudiants en plein travail, la dernière
fois, nous étions seuls, la partition sur les genoux, en train de
suivre l'évolution du Trio de Chausson. Magique. 10h à 19h les 26 et
27, si vous le pouvez. C'est gratuit.
► Théâtre, ce que j'ai prévu pour ma conso personnelle, rien que du
patrimoine pas très original :
■ Marivaux – L'Épreuve – Théâtre Essaion
■ Marivaux – Le Petit-Maître corrigé – salle Richelieu
■ Kleist – La Cruche cassée – salle Richelieu
■ Odéon – Soudain l'été dernier – Odéon. Fait pour ma part (cf.
commentaire supra).
■ d'après Zweig – La Peur – Théâtre Michel
■ d'après Renoir – La Règle du jeu – salle Richelieu
Dans la salle de l'ancien
Conservatoire, au centre des médaillons des grands dramaturges et
musiciens figurent, sur le même plan, Eschyle et… Orphée.
3. L'avenir de l'agenda de CSS
J'avoue éprouver une relative lassitude dans la confection de ces
programmes. Ils prennent pas mal de temps à élaborer, tandis que
j'aurais plutôt envie de parler de choses plus précisément étayées et
plus généralement musicales, moins liées à l'offre francilienne : des
bouts d'œuvre avec des extraits, des questions de structure musicale ou
de technique vocale, plutôt que d'empiler les commentaires sur des
concerts qui n'ont pas encore eu lieu, avant le premier du mois suivant…
Ces notules ne paraissent par ailleurs pas spécifiquement plus lues que
les autres – je laisse de côté les cas, hors concours, où je parle de
Callas, Carmen, des fuites dans les saisons parisiennes, ou des
quelques occurrences où je suis en tête de Google (opéra contemporain,
conseils aux jeunes chanteurs). Je me sens un peu le responsabilité,
puisque cette base de données existe, de promouvoir les ensembles qui
font l'effort et prennent le risque de proposer un répertoire
renouvelé, mais ce n'est pas un office particulièrement exaltant à
réaliser.
D'où cette question : y trouvez-vous un intérêt ? Vous en
servez-vous ?
Si cette notule reçoit moins d'une centaine d'éloges éloquents dans les
commentaires ci-dessous, je ne suis pas sûr de poursuivre ce format-ci
dans l'avenir. Du temps supplémentaire pour des notules de fond – il y
a La Tempête, musique de
scène de Chausson écrite pour marionnettes, un opéra d'un Prix de Rome
où Georges Thill tenait le rôle d'une grenouille amoureuse, et quelques
autres sujets qui sont, comme vous pouvez vous le figurer, un peu plus
amusants à préparer qu'un relevé fastidieux.
Quoi qu'il en soit,
les bons soirs, vous pourrez toujours effleurer la réverbération de ma
voix cristalline dans les coursives étroites des salles louches cachées
au fond des impasses borgnes.
Ce billet, écrit à par DavidLeMarrec dans la catégorie Saison 2016-2017 a suscité :
En ce temps d'épiphanie, l'occasion de dévoiler un peu d'intimité
musicale.
Après, avoir, une fois de plus, repris l'essentiel de l'acte II de l'Orfeo de
Rossi dans une boucle infinie – Che
può far Citerea, Al imperio
d'amore, la mort (vidéo là
de ces extraits) –, voilà le prétexte de partager quelques-unes de ces
pièces
ou des ces instants que je peux me repasser à très court intervalle et
à haute itération.
Le concept est un peu différent des instants ineffables,
qui ne supposent pas forcément la répétition ; ces boucles peuvent
être, du reste, des fragments, des mouvements ou des œuvres entières.
Il s'agit de
toutes ces pièces où l'on sent l'impulsion, en la finissant, de la
remettre immédiatement.
Chose que je fais rarement, du reste (une grande partie du répertoire
s'y prête peu, du fait de la pratique de la variation, du
développement…), les œuvres très mélodiques tendant naturellement à
s'émousser ; et c'est pourquoi ce petit partage, insolite, peut être
amusant.
Ordre (approximatif) par date de naissance.
♦ D. Le Blanc – « Les Mariniers adorent
un beau jour – [notules 1,2]
♦ A. Le Roy – « Ô combien est heureuse » – [notules 1,2]
♦ Anonyme fin XVIe – « Allons vieille imperfaite » – [notules 1,2]
♦ Monteverdi – Combattimento,
deux premières strophes – [notules 1,2,3]
♦ Anonyme premier XVIIe – Passacaglia della vita – [liste]
♦ E. Gaultier – La Cascade
♦ Kapsberger – « L'onda che limpida » [son]
♦ Kapsberger – « Fanciullo arciero » [son]
♦ Rossi – Orfeo : Che può far
Citerea – [notule & son]
♦ Rossi – Orfeo : Al imperio
d'amore – [notule & son]
♦ Guédron – Ballet d'Alcine « Noires fureurs » – [notules 1,2,3]
♦ Guédron – « Dessus la rive de la mer »
♦ Moulinié – « Que vous avez peu de raison »
♦ Moulinié – « Quelque merveilleuse chose »
♦ Moulinié – « Vous que le dieu Bacchus a mis »
♦ Lully – Cadmus : Chaconne
des Africains « Suivons l'Amour » – [notice]
♦ Lully – Thésée : Combats et
prières de l'acte I – [notule, hors-scène]
♦ Lully – Atys : « Atys est
trop heureux » – [notice]
♦ Lully – Amadis : Invocation
d'Arcabonne « Toi, qui dans ce tombeau »
– [notule]
♦ Lully – Amadis :
Déploration d'Oriane « Ciel ! ô ciel ! Amadis
est mort » – [notule]
♦ Lully – Amadis : Chaconne
finale « Célébrons en ce jour » – [notule]
♦ Lully – Roland : Duo &
Chaconne – [notice]
♦ Sanz – Canarios – [extrait]
♦ Charpentier – Médée : les 3
duos d'amour (II,IV,V) – [notule]
♦ Murcia – Folías Gallegas – [notule]
♦ Visée – Passacaille de la Suite en la mineur
♦ Lalande – Jubilate Deo omnis Terra
: « Populus ejus », « Introite portas »
♦ Lalande – Jubilate Deo omnis Terra
: « Laudate nomen ejus »
♦ Campra – Exaudiat te Dominus :
« Exaudiat te Dominus » [notice]
♦ Campra – Idoménée : «
Venez, Gloire, Fierté » [notule]
♦ Campra – Idoménée : «
Espoir des malheureux » [notule]
♦ Jacquet de La Guerre – première Passacaille en la mineur – [notule]
♦ F. Couperin – Offertoire de la Messe pour les Paroisses
♦ F. Couperin – Première Leçon de Ténèbres – [notice]
♦ F. Couperin – Troisième Leçon de Ténèbres – [notice] / [en attendant une discographie
exhaustive préparée depuis longtemps]
♦ Jean Gilles – Requiem : «
Requiem æternam »
♦ Jean Gilles – Requiem : «
Domine Jesu Christe » (dans l'Offertoire)
♦ Destouches – Callirhoé,
chaconne nocturne : « Ô Nuit, témoin de mes soupirs secrets » – [notule]
♦ Destouches – Callirhoé,
duos du I : « Ma fille, aux Immortels quels vœux venez-vous faire ? » /
« Mais, quel objet vient me frapper ? » – [notule sur les états de la partition]
♦ Destouches – Sémiramis : «
Flambeaux sacrés » – [notule]
♦ Bach – Motet Singet dem Herrn
: « Singet dem Herrn », « Lobet den Herrn in seinen Taten » [de même
discographie exhaustive dès longtemps préparée, à publier un jour]
♦ Bach – Air Erfüllet, ihr
himmlischen göttlichen Flammen de la cantate BWV 1
♦ Boismortier – Don Quichotte
: « Expire sous mes coups, discourtois enchanteur »
♦ Boismortier – Don Quichotte,
danses
♦ Mondonville – Cœli enarrant : « In sole posuit »
♦ Gluck – Iphigénie en Tauride
: air d'Oreste « Dieux qui me poursuivez »
♦ Gluck – Iphigénie en Tauride :
air d'Iphigénie « Non, cet affreux devoir »
♦ Grétry – L'Amant Jaloux :
quatuor « Plus d'égards, plus de prudence »
♦ Grétry – Guillaume Tell :
« Bonjour ma voisine » – [notule]
♦ Grétry – Guillaume Tell :
« Qui jamais eût pensé que cet homme
exécrable » – [notule]
♦ Salieri – Tarare : « De
quel nouveau malheur » – [notule]
♦ Salieri – Tarare : «
J'irai, oui j'oserai » – [notule]
♦ Mozart – Quatuor n°14, final
♦ Mozart – Così fan tutte :
trio « La mia Dorabella » – [chroniques de représentations]
♦ Mozart – Così fan tutte :
trio « Una bella serenata » – [chroniques de représentations]
♦ Mozart – La Clemenza di Tito
: duo « Come ti piace, imponi » – [exploration]
♦ Mozart – La Clemenza di Tito :
air « Parto, parto » – [exploration]
♦ Haydn – Quatuor Op.76 n°3, mouvements I & II
♦ Catel – Sémiramis : Duo de
désespoir « Sort redoutable » et final – [brève évocation]
♦ Beethoven – Final choral de la Fantaisie
chorale
♦ Beethoven – Quatuor n°8, mouvement lent
♦ Czerny – Symphonie n°1, mouvements I, III & IV [général, scherzo]
♦ Mendelssohn – Premier Trio avec piano : I, énoncé du thème
♦ Schubert – Die Schöne Müllerin
: « Pause » – [projet lied français]
♦ Schumann – Liederkreis Op.24 : « Es treibt mich hin » [présentation & discographie]
♦ Schumann – Liederkreis Op.24 : « Warte, warte du wilder Schiffmann » [présentation & discographie]
♦ Schumann – Liederkreis Op.24 : « Schöne Wiege meiner Leiden » [présentation & discographie]
♦ Schumann – Liederkreis Op.39 : « Überm Garten » [projet lied français]
♦ Verdi – Il Trovatore :
récit de Manrico « Mal reggendo »
♦ Verdi – Simone Boccanegra :
avertissement d'Adorno « Ah taci, il
vento ai tiranni »
♦ Verdi – Les Vêpres Siciliennes
: duo « Quel est ton nom ? » – [Verdi en français]
♦ Verdi – Requiem : Kyrie
♦ Verdi – Requiem : Ingemisco
♦ Verdi – Requiem : début du
Lacrimosa
♦ Verdi – Don Carlos :
déploration sur le corps de Posa – [éditions]
♦ Wagner – Tristan : postlude
du II
♦ Wagner – Rheingold :
première tirade de Loge
♦ Wagner – Rheingold : tirade
de Froh « Wie liebliche Luft » [notule à
venir]
♦ Wagner – Siegfried : tirade
« Wie des Blutes Ströme » [ordalie]
♦ Wagner – Die Meistersinger
: appel des Maîtres [son]
♦ Wagner – Parsifal :
interlude du I
♦ Wagner – Parsifal : annonce
du couronnement « Du wuschest mir die
Füße »
♦ Reyer – Sigurd : duo du
désenvoûtement « Des présents de Gunther » [chapitre Sigurd]
♦ Smetana – Dalibor : Marche
de Vladislav [détail du livret, œuvre & enregistrement libre, discographie
exhaustive]
♦ Smetana – Dalibor : fin du
I [détail du livret, œuvre & enregistrement libre, discographie
exhaustive]
♦ Smetana – Dalibor : début
du II [détail du livret, œuvre & enregistrement libre, discographie
exhaustive]
♦ Brahms – Premier Trio avec piano : énoncé du thème
♦ Brahms – Premier Trio avec piano : trio du scherzo – [scherzo]
♦ Brahms – Variations sur un thème de Haydn : choral initial &
variation
finale
♦ Brahms – Première Symphonie : énoncé du thème des variations finales
♦ Brahms – Quintette avec piano : thème principal du scherzo – [scherzo]
♦ Saint-Saëns – Chanson à boire du vieux temps
♦ Delibes – Lakmé : Quintette
« Miss Rose, Miss Helen, respectez les
clôtures »
♦ Tchaïkovski – Eugène Onéguine
: dialogues de cotillon et provocation
en duel [sources]
♦ Tchaïkovski – Pikovaya Dama :
serment à l'orage [brève discographie, mise en scène]
♦ Tchaïkovski – Pikovaya Dama
: hymne à la nuit [brève discographie, mise en scène]
♦ Tchaïkovski – Symphonie n°3 : mouvements extrêmes
♦ Tchaïkovski – Symphonie n°6 : mouvement III – [notule, possibilités d'interprétation]
♦ Dvořák – Rusalka : ballet
royal – [notules 1,2,3]
♦ Rott – Symphonie en mi : mouvements I et IV [liste de notules]
♦ Debussy – Quatuor, mouvement III, climax
♦ R. Strauss – Elektra :
tirade de Chrysothemis « Ich kann nicht sitzen
» [discographie]
♦ R. Strauss – Die Frau ohne
Schatten : envoi de l'air de l'Empereur «
Kann sein, drei Tage »
♦ R. Strauss – Die Frau ohne Schatten
: Erdenflug
♦ R. Strauss – Arabella : «
Ich weiß nicht wie du bist » (partie
centrale du duo du Richtige) [notules & discographie exhaustive]
♦ R. Strauss – Friedenstag :
marche des soldats Réformés [notule & son]
♦ Koechlin – Sonate pour violon et piano : final
♦ Koechlin – Quintette pour piano et cordes : final
♦ Mahler – Symphonie n°2 : à partir de l'entrée des chœurs [notule & lieder]
♦ Mahler – Symphonie n°7 : thème principal du dernier mouvement [autre notule]
♦ O. Fried – Die verklärte Nacht
[notule & son]
♦ L. Aubert – « La mauvaise prière »
♦ Schreker – Die Gezeichneten :
Entrée de Tamare [chapitre entier à remonter]
♦ Schreker – Die Gezeichneten
: Prélude du II [chapitre entier à remonter]
♦ Ireland – Sea-Fever [1,2]
♦ Le Flem – Symphonie n°1 : final
♦ Schoeck – Quatuor n°2 : thème principal [notule]
♦ Auric – 4 Chansons de la France
malheureuse : « La Rose et le Réséda » [notule]
♦ Walton – Symphonie n°1 [notule]
♦ Damase – l'Opéra dans Colombe [notule]
♦ Damase – Eugène le Mystérieux,
marche des Trois Couleurs [notule]
♦ Stockhausen – Mantra [parce que]
♦ Kalniņš – Mostieties, stabules un
kokles (psaume) [commentaire]
Légende :
Jardinière de Muller en biscuit (XIXe siècle). Ronde de putti.
Bien sûr, pour prolonger le plaisir, je ne puis trop vous inviter à
découvrir, outre les autres instants ineffables, d'autres œuvres de vaste
valeur, peut-être moins propices à si haute itération, mais à
fréquenter résolument. C'est la raison d'être de la section des Putti d'incarnat et autres Sélections lutins,
qui s'est progressivement enrichie de sélections de :
♫ symphonies,
♫ quatuors à cordes,
♫ musique sacrée,
♫ opéras contemporains,
♫ trios de toutes formes,
♫ quatuors avec piano,
♫ œuvres pour piano solo,
♫ sonates avec violon,
♫ lieder orchestraux,
♫ jubilation cosmique,
♫ concertos pour clarinette,
♫ chœurs profanes a cappella,
♫ mélodies maritimes,
♫ quintettes pour piano et cordes,
♫ concertos pour piano
♫ …et scherzos !
Listes enrichies au fil des ans et périodiquement
mises à jour.
Vos propres propositions sont bien sûr toujours bienvenues, soit pour
me faire compléter mes expéditions, soit pour attirer l'attention des
autres lecteurs sur des œuvres que je n'ai pas appréciées à leur juste
valeur.
Bonnes découvertes répétitives ! N'en abusez pas – pour ça, il y
a Philip Glass.
Cette année encore, petit tour d'horizon des œuvres plus rares qui
passeront en France (et en Europe) dans la saison à venir. Classés par
genre (chronologique et linguistique).
♥ Indique la cotation d'un spectacle vu.
♣ Indique la supposition personnelle de l'intérêt du spectacle.
(1 indique plutôt un conseil négatif, à partir de 2 le conseil est
positif, et de 3 plutôt vivement conseillé.)
CSS à la conquête de l'Europe.
Étranges putti sexués – dont
l'un aux traits de l'impératrice ! – dans le décor de la bibliothèque de
Napoléon à Compiègne. Sur les bagages, il est inscrit Buon
viaggo in Cor… (« Bon voyage en Cor… ») et Posa piano (« Repose-toi bien »).
PREMIERS OPÉRAS
Rossi
– Orfeo – Bordeaux, Caen, Versailles
Encore présente cette saison, la production déjà en tournée la saison
passée. Œuvre historiquement incontournable, remarquable musicalement,
et servie au firmament par les artistes (Ensemble Pygmalion, et
Francesca Aspromonte en Euridice). [notule]
→ ♥♥♥♥♥
Cavalli
– Eliogabalo – Garnier
Un Cavalli rare, avec García Alarcón (grandement pourvu pour ce style),
Fagioli et Groves. → ♣♣♣♣
Cavalli
– La Calisto – Strasbourg
Le Cavalli emblématique, dans un environnement surprenant de talentueux
non spécialistes : Rousset, Tsallagova, Remigio, Genaux, de Mey. → ♣♣♣
OPERA SERIA
Haendel
– Israel in Egypt – Reims
Bijou absolu de l'oratorio (surtout si la version retenue contient la
déploration d'origine). Avec les Cris de Paris et les Siècles, très
appétissant. (Direction Jourdain, avec notamment Redmond, Boden et
Buffière). → ♣♣♣♣
Vivaldi
– Arsilda, regina di Ponto – Caen
Un Vivaldi rare, avec le fulgurant Vaclav Luks. → ♣♣♣ (parce que je
n'aime pas plus le seria que
ça, mais sinon…)
Porpora
– Il Trionfo della divina giustizia – Versailles
Oratorio virtuose, avec le fin du fin de l'école seria française : Staskiewicz,
Galou, et en prime Negri. → ♣♣♣ (idem)
OPÉRA FRANÇAIS XVIIIe
Lalande-Destouches
– Les Éléments – Louvre
Extraits (excellent interprétés) de cet opéra-ballet paré d'un grand
succès en son temps. Le disque vient de paraître et vaut vraiment le
détour. → ♥♥♥♥
Marais
– Alcyone – Favart
Retour d'une œuvre qui n'a pas, je crois bien, été rejouée depuis
Minkowski au début des années 90. Le livret de La Motte n'est pas bon,
et ce n'est pas le meilleur titre de Marais, mais les danses sont
belles (et la tempête légendaire). Ce sera joué par Savall, qui n'a pas
toujours brillé dans ce répertoire (il ne faut pas se fier aux disques
Alia Vox, fabuleusement captés et traités, qui ne reflètent pas la
sècheresse réelle de l'ensemble) ; il semble néanmoins s'être amélioré,
et s'être entouré ici d'excellents spécialistes. → ♣♣
Rameau
– Zoroastre – Versailles
Suite des explorations de Pichon, avec ce titre splendide très peu
joué. Avec Piau, Mechelen, Courjal, Immler. → ♣♣♣♣
Boismortier
– Don Quichotte chez la Duchesse – Compiègne
L'une des œuvres les plus jubilatoires de tout le répertoire de
l'opéra. Néanmoins la production des époux Benizio rend discontinu ce
qui était au contraire d'une densité extraordinaire (les ariettes ne
font pas une minute, tout n'est que de l'action !). → ♥♥♥ (l'œuvre vaut
le maximum, mais le résultat est ce qu'il est… mitigé)
Sacchini
– Chimène ou le Cid – Massy, Saint-Quentin-en-Yvelines
Le dernier opéra français de Salieri, après Les Danaïdes et Tarare,
deux chefs-d'œuvre absolus. Les espoirs sont grands, a fortiori
en considérant le sujet et les conditions de remise à l'honneur :
Rousset, Wanroij, Lefebvre, Dran, Dubois, Bou, Foster-Williams,
Lefebvre ! → ♣♣♣♣♣
Lemoyne
– Phèdre – Bouffes du Nord, Caen
Recréation d'un opéra de la fin de la tragédie en musique. Véritable
découverte. → ♣♣♣♣
BELCANTO ROMANTIQUE
Rossini
– Elisabetta, regina d'Inghilterra – Versailles
L'un des plus mauvais Rossini, pauvre comme un mauvais Donizetti :
l'impression d'entendre pendant des minutes entières de simples
alternances dominante-tonique, sans parler des modulations à peu près absentes, le tout au
service d'une virtuosité qui ne brille pas forcément par son sens
mélodique.
Pour compenser, une direction nerveuse sur instruments anciens (Spinosi
& Matheus) et une distribution constellée de quelques-uns des plus
grands chanteurs en activité, Alexandra Deshorties (une des plus belles
Fiordiligi qu'on ait eues), Norman Reinhardt (Kunde redevenu jeune !), Barry
Banks… → ♣♣
Rossini
– Ermione – Lyon, TCE
Tournée lyonnaise annuelle, cette fois sans Pidò. Avec Zedda, Meade,
Spyres, Korchak, Bolleire.
Rossini
– Il Turco in Italia – Toulouse
Le plus bel opéra de Rossini, de très loin : un livret remarquablement
astucieux que Romani (avec une posture méta- très insolite pur
l'époque) emprunte à Mazzolà (il existe donc un opéra de Franz
Seydelmann sur le même sujet, que je suis en train de me jouer, j'en
parlerai peut-être prochainement) ; la musique est du meilleur Rossini
comique, avec des ensembles extraordinairement variés et virevoltant,
mais elle s'articule surtout parfaitement à un drame finement conçu.
Avec Puértolas, Corbelli (Geronio) et Spagnoli (Selim). → ♣♣♣♣♣
Donizetti
– Le convenienze ed inconvenienze teatrali – Lyon
Donizetti comique très peu donné, dans une mise en scène de Pelly, avec
Ciofi et Naouri.
Verdi
– Ernani – Toulouse
On n'est plus exactement dans le belcanto, même si Verdi en reprend
alors encore largement les contours, mais c'est plus facile à classer
comme ça, pardon. Très peu donné en France, celui-là ; un massacre de
l'original (non voulu par Verdi, mais la censure lui a imposé de
changer tout ce qui faisait la spécificité du texte d'Hugo… on se doute
bien que le roi dans l'armoire, prévu par Verdi, faisait tordre le nez
aux Autrichiens), donc il ne faut pas en attendre un livret marquant,
mais il dispose musicalement de bien de jolies choses déjà très
spécifiquement verdiennes, des airs très personnels et de superbes
ensembles.
Avec Bilyy (miam) et Pertusi. → ♣♣♣
OPÉRA FRANÇAIS XIXe
Meyerbeer
– Le Prophète – Toulouse
Depuis combien de temps n'avait-il pas été donné en France ? Plus
tardif, d'un sarcasme plus politique et moins badin que ses succès
antérieurs (Robert et Les Huguenots),
le Prophète dispose d'un livret à nouveau d'une audace exceptionnelle,
où le pouvoir aristocratique signifie l'oppression (sans aucun recours
!), où la religion est le cache-misère de toutes les ambitions et le
refuge de tous les fanatiques, où la mère prend la place de l'amante,
et où le héros, après avoir chanté sa pastorale, commet un crime de
masse… Musicalement, moins de chatoyances que dans la période
précédente, plus guère de belcanto non plus, mais la sophistication
musicale et orchestrale reste assez hors du commun pour l'époque. À
part Berlioz, Chopin, Schumann et Liszt, qui écrivait des choses
pareilles dans les années 40, avant la révolution wagnérienne ?
On voit d'ailleurs tout ce que la déclamation continue et le travail de
réminiscence a pu inspirer à Wagner, à qui Meyerbeer mit le pied à
l'étrier pour la création parisienne de Tannhäuser – avec la gratitude
qu'on connaît, c'est Wagner.
Peut-être pas très adéquatement dirigé par Flor, il faudra voir. Avec
Gubanova, Osborn et Ivashchenko. → ♣♣♣
Halévy
– La Reine de Chypre – TCE
Voilà un Halévy qui n'a guère été redonné. Assez différent de la Juive,
si j'en crois mon exécution domestique il y a quelques années : des
récitatifs bien prosodiés, beaucoup d'ensembles et de chœurs, mais un
langage très simple, très mélodique, presque belcantiste, qui n'a pas
du tout la même sophistication que CharlesVI,
La Magicienne, et bien sûr les plus complexes La Juive et Le Déluge. Mais exécution très
prometteuse, par le Concert Spirituel, avec Gens, Laho, Dupuis, Huchet,
Lavoie. → ♣♣♣
Halévy
– La Juive – Strasbourg
Encore un grand succès du livret subversif (et pourtant très populaire)
signé Scribe. La direction de Lacombe fait très envie, la reprise de la
mise en scène de Konwitschny (que je n'ai pas vue, mais il me semble
que ça a déjà été publié) m'inspire moins confiance, et le manque de
grâce de Saccà (Éléazar) aussi. Mais il y aura Varnier en Brogni et
même Cavallier en archer… → ♣♣♣
Adam
– Le Chalet – Toulon
Pas grand'chose à se mettre sous la dent dans cette courte petite
histoire, mais c'est très plaisant, et interprété par des grands :
Tourniaire, Devos, Droy, Rabec. → ♣♣
Adam
– Le Toréador – Rennes
Dirigé par Tingaud, le célèbre opéra à variations, très plaisant et
payant. → ♣♣♣
Thomas
– Hamlet – Marseille
J'hésite à le faire figurer dans la liste… l'œuvre est devenue (et à
juste titre !) un véritable standard, il n'est pas de saison où on ne
la joue en France, en Suisse ou en Belgique… Une série avait été
proposée sur la transformation
du matériau de Shakespeare aux débuts de CSS, et à l'époque où les
prémices de la mode n'étaient pas encore une mode. Comme souvent, une
superbe distribution : Ciofi, Brunet, R. Mathieu,
Lapointe, Barrard, Bolleire, Delcour ! Moins enthousiaste sur
Foster, qui défend généreusement ce répertoire, mais dont le style
n'est en général ni soigneux, ni tout à fait adéquat. Néanmoins, ce
sera très bien (mise en scène de Boussard qui devrait être bien). → ♣♣♣♣
Massenet
– Don César de Bazan – Compiègne, Thaon-les-Vosges
Remarquable production de ce qui était quasiment le dernier opéra (en
tout cas parmi ceux qui ne demeurent pas perdus) à être remonté de
Massenet, longtemps cru brûlé. Superbement chanté (Dumora,
Sarragosse), superbement accompagné (Les Frivolités Parisiennes,
l'orchestre remporte un Putto d'incarnat cette année dans le bilan qui
sera publié), mise en scène riche et avisée. L'œuvre en elle-même
hésite entre un sinistre jeu de cache-cache avec la mort (qui vous
rattrape parfois) et une transformation vaudevillesque du pourceau
d'Épicure en mari soucieux du respect des usages. Musique plutôt
légère, mais d'une finition remarquable. → ♥♥♥♥
Saint-Saëns
– Le Timbre d'argent – Favart
Nouveauté chez Favart. Pas encore eu le temps de jouer la partition,
mais forcément un bon a priori
(opéra de Saint-Saëns + sélection Favart…). → ♣♣♣♣
Saint-Saëns
– Proserpine – Versailles
Autre inédit, pour la tournée annuelle de la Radio de Munich (qui n'est
pas la Radio Bavaroise, notez bien) en partenariat avec Bru Zane. Ulf
Schirmer dirige, avec Gens, Marie-Adeline Henry, Vidal, Antoun, Lavoie,
Foster-Williams, Teitgen ! → ♣♣♣♣♣
Offenbach
– Geneviève de Brabant – Nancy
Un chouette Offenbach servi par une équipe épatante : l'habitué
Schnitzler, Buendia (de l'Académie Favart, dans Cendrillon de Viardot
et l'Écureuil Bleu de Dupin), R. Mathieu, Piolino, Huchet, Grappe, Ermelier… → ♣♣
MUSIQUE DE SCÈNE ROMANTIQUE
Grieg
– Peer Gynt – Limoges
Dirigé par Chalvin, avec Kalinine en Anitra. (Chanté en VO, je ne peux
pas dire comment sera le reste du dispositif, sans doute des résumés en
français.)
SLAVES
Tchaïkovski
– La Pucelle d'Orléans – Philharmonie de Paris
Très rare en France, et interprété non seulement pas de vrais russes,
mais par la troupe du Bolshoï elle-même (dirigée par Sokhiev).→ ♣♣♣♣♣
Rimski-Korsakov
– Snégourotchka – Bastille
Là aussi, rareté à peu près absolue sur le sol français. Tcherniakov en
promet une relecture érotisante (propre à choquer le jeune public,
précise l'avant-programme de l'Opéra…). Distribution bizarrement
attelée (Garifullina dans le rôle-titre, mais aussi D'Intino et
Vargas…). → ♣♣♣
Dvořák
– Rusalka – Tours
Rusalka s'est pas mal imposée hors d'Europe centrale. Prélude, je
l'espère, à l'importation d'autres titres de haute valeur (Armida, Dalibor, Libuše, Fiancée de Messine, Šárka…).
Ici, c'est même avec une distribution étrange, très française, avec
Manfrino et Cals (Princesse Étrangère !), ce qui m'effraie un rien, je
dois dire. En revanche, l'excellent Micha Schelomianki en Ondin (rôle
dont il est de plus très familier), et la voix n'est pas trop
russe-ronde pour du tchèque.
L'œuvre est une merveille absolue qui se révèle encore mieux en salle. [livret, musique, discographie exhaustive] → ♣♣♣
Stravinski
– The Rake's Progress – Caen, Rouen, Limoges, Reims
De jolies choses dans la distribution (Marie Arnet, excellente
mélisande ; Isabelle Druet en Baba ; Stephan Loges en père Trulove),
mais un opéra déjà faible dirigé avec la raideur de Deroyer, je ne suis
pas complètement tenté. → ♣♣
Prokofiev
– L'Ange de feu – Lyon
Si Guerre & Paix est le
plus impressionnant scéniquement et dramatique (l'un des plus avenants
mélodiquement aussi), L'Ange de feu
est le plus impressionnant musicalement de toute la production lyrique
de Prokofiev – c'est d'ailleurs la matière-première de sa Troisième
Symphonie. Avec Ono, Syndyte, Efimov, Naouri. → ♣♣♣♣
XXe SIÈCLE DIVERS
… où l'on trouve énormément d'œuvres légères, en réalité.
Hindemith
– Sancta Susanna – Bastille
Sujet mystico-érotique sur une musique très dense, du Hindemith très
décadent, qui doit beaucoup plus à Salome
que n'importe quelle autre de ses œuvres. Avec Antonacci, couplé avec Cavalleria Rusticana (avec
Garanča), une assez chouette association. → ♣♣♣♣
Britten
– Owen Wingrave – Amphi Bastille
… mais par l'Atelier Lyrique de l'Opéra, dont je n'aime pas du tout les
choix de recrutement, ni les spectacles. Déjà donné pour leur Britten (Lucrèce), je passe. → ♣♣
Sauguet
– Tistou les pouces verts – Rouen
Sauguet n'est pas un immense compositeur, mais il a une fibre
théâtrale, ce devrait être sympathique. → ♣♣♣
Rota
– La notte di un nevrastenico – Montpellier
Avec Bruno Praticò et le formidable Bruno Taddia, œuvre comique que je
n'ai pas testée. → ♣♣♣♣
Rota
– Aladino e la lampada magica (traduit en français) – Saint-Étienne
Avec Larcher, Buffière, Tachdjian.
Autre nouveauté pour moi, qui me rend bien curieux. → ♣♣♣
Menotti
– The Telephone – Metz Menotti – Amelia al Ballo – Metz
Le sommet du Menotti « conversationnel » (en version originale – il
existe aussi une excellente version française), d'une fraîcheur
jubilatoire, couplée avec son plus célèbre opus de type lyrique. Très
beau choix, dirigé par Diederich, avec la jeune gloire Guillaume
Andrieux.→ ♣♣♣♣ CONTEMPORAINS
Du côté des vivants à présent.
Gérard
Pesson – La Double Coquette – Lille
Fin de la tournée. Bricolage des Troqueurs
de Dauvergne avec des moyens « musicologiques » : Ensemble Amarillis,
Poulenard (toujours étincelante), Villoutreys, Getchell. On peut le
voir comme un moyen de toucher des droits à la façon du coucou, de
remplir les quotas de musique contemporaine sans effrayer le public, ou
bien comme une façon de rendre plus dense cette œuvre très légère qui a
beaucoup vieilli et paraît peu consistante jouée seule, difficile de
trancher. → ♥♥♥
Roland
Auzet – HIP 127 – Limoges
Moneim
Adwan – Kalîla wa Dimna – Lille
Joué à Aix cet été. Le principe du métissage avec le chant arabe
classique est sympa, mais ça ne marche pas, et le livret, sa mise en
scène, également statiques, ne sont pas bons non plus. → ♥
Lionel
Ginoux – Vanda – Reims
Lucia
Ronchetti – Pinocchio – Rouen
Pas très optimiste vu la tête de son Sonno
di Atys,
particulièrement peu intelligible (pourtant, le sommeil d'Atys n'est
pas spécifique au mythe, ce doit être une référence à LULLY…), à
l'opéra ce ne doit pas être un langage très compatible. → ♣♣
Ici encore, pas un langage très prosodico-compatible à mon avis. Je
n'ai pas été très convaincu par ce que j'ai entendu de Matalon
jusqu'ici, mais le cahier des charges d'un ompéra étant forcément
différent… → ♣♣
Violeta
Cruz – La Princesse Légère – Compiègne
Marius
Felix Lange – Schneewittchen – Colmar, Strasbourg, Mulhouse
Arthur
Lavandier – Le premier meurtre – Lille
Tout jeune. Pas entendu.
OPÉRETTES ET COMÉDIES MUSICALES
J.
Strauß – Eine Nacht in Venedig – Lyon
Lehár
– Le Pays du sourire – Tours (Avec Philiponet, Droy, Dudziak)
Messager
– L'Amour masqué – TM Lyon
Christiné
– Dédé – Marseille Lopez – Prince de Madrid – TM
Lyon Lopez – La Route fleurie –
Marseille Scotto – Violettes impériales –
Marseille Bernstein – Candide – Toulouse,
Bordeaux Sondheim – Sweeney Todd – Toulon Mitch Leigh – L'homme de la
Mancha – Tours Jerry Bock – Un Violon sur le
toit – Massy, Avignon
Un petit phénomène Luis Mariano semble-t-il, entre Lopez et Scotto
! Sinon, le jubilatoire Candide,
la comédie musicale la plus opératique de Sondheim (pas sa meilleure),
et la fameuse pièce de Leigh illustrée par Brel, chantée par Cavallier
(pas de la grande musique, mais les basses aiment bien chanter ça
semble-t-il Jérôme Varnier en donne aussi en récital). Dédé
est à recommander avant tout pour le théâtre, avec une intrigue très
vive et des caractères plaisants, tandis que la musique légère jazzy n'est pas ce qui frappe le
plus l'attention.
Je ne m'avance pas sur des cotations ici, ça dépend tellement des
inclinations de chacun… En ce qui me concerne, Sweeney Todd me
laisse plutôt froid (mais est considéré comme une œuvre majeure de
Sondheim), tandis que je n'ai rien contre Lopez et Scotto
(particulièrement mal vus, mais en salle, ça coule très agréable)… Idem
pour J. Strauß et Lehár, il faut être dans l'humeur adéquate (je n'en
raffole pas personnellement, mais c'est musicalement plutôt bien tenu).
AILLEURS EN EUROPE
À part la création très inattendue d'un opéra de Kurtág à la Scala (Fin de partie, un choix moins
surprenant), les raretés sont surtout des spécialités locales :
¶ les deux Erkel célèbres à
Budapest (Bánk bán et Hunyadi László), plus le Ténor de Dohnányi (et la Reine de Saba de Goldmark),
¶ deux Dvořák semi-rares
(célèbres mais à peu près jamais donnés hors des terres tchèques, Le Diable & Katia et Le Jacobin) à Prague,
¶ Sakùntala d'Alfano à Catane,
¶ Peer Gynt d'Egk à Vienne,
¶ Doktor Faust de Busoni à Dresde,
¶ Oberon de Weber & Die Gezeichneten de Schreker pour le festival munichois
de juillet 2017.
Restent Rimski-Korsakov (Le Coq d'Or à Bruxelles) et Britten, Curlew River à Madrid et Death in Venice à la Deutsche Oper
Berlin, moins congruents.
D'ici quelques jours devraient paraître à la fois le bilan de la saison
écoulée (avec remise de breloques !) et la sélection de concerts du
mois de septembre.
Ce billet, écrit à par DavidLeMarrec dans la catégorie Saison 2016-2017 a suscité :
Étrangement, en dehors de Rameau
(qui n'a pas du tout les mêmes mérites dramatiques, et se situe déjà
largement dans une veine plus ballettisante et décorative que la vraie
tragédie en musique des deux premières générations), c'est surtout Lully, à l'autre bout
du spectre donc, qu'on représente et
enregistre.
Ce n'est pourtant pas la musique la plus mélodique ni la plus élaborée,
dans ce genre : la génération suivante, avec Desmarest, Campra et
Destouches, semble considérablement plus facile d'accès aux oreilles
contemporaines (plus de générosité mélodique, plus de variété
harmonique, des drames plus violents…).
En dehors d'Achille & Polyxène
(justement parce que les actes II à V sont de son élève Collasse), on
dispose désormais, avec la parution discographique de Bellérophon en 2011, de
l'intégralité des tragédies en musique de Lully – une entreprise
commencée en 1983 avec la première Armide
de Herreweghe (retirée de la vente sur le désir du chef et dès
longtemps introuvable).
Certes, il a donc fallu près de trente ans, mais peu de compositeurs peuvent se vanter d'un
tel traitement de faveur, couvrant l'intégralité de leurs ouvrages
lyriques
(quitte à laisser de côté certaines œuvres mixtes comme les ballets et
divertissements chantés). Pour couronner le tout, la plupart sont
encore disponibles dans le commerce, et un certain nombre programmés de
temps à autre en Europe et en Amérique du Nord.
En ce qui concerne le baroque français, c'est même un exploit assez
unique (si l'on excepte Charpentier, qui n'a composé que deux opéras,
plusieurs fois enregistrés, et Rameau, dont l'ensemble des œuvres
d'envergure n'a été fini de publier qu'en 2015, avec Les Fêtes de Polymnie par
Vashegyi).
L'occasion de jeter un regard général vers les bijoux à ne pas manquer.
B.
Liste exhaustive
… des tragédies en musique de Lully, plus deux pastorales qui
s'approchent ou s'identifient au genre opéra. Avec des liens vers des
notules monothématiques pour approfondir.
Sauf mention contraire, les livrets sont de Quinault. Les « hits »
indiquent les passages célèbres, les « réussites » les moments qui font
particulièrement honneur à Lully.
Il faut être conscient que les danses, que j'ai peu mentionnées, ont pu
être de réels tubes, arrangées par les théorbistes, transcrites pour le
piano au début du XXe siècle…
1672
– Les Festes de l'Amour et de Bacchus
Caractéristiques
:
¶ Une Pastorale, grande répétition
générale avant le premier véritable opéra. Pas de grande action, mais
de petites scènes pittoresques où s'aiguise le sens de la déclamation.
[La partie ballet du livret est due à Bensérade.]
Hits
:
¶ Aucun.
Réussites
:
¶ Déguisement de Forestan par les
lutins railleurs (acte II) « Ah qu'il est beau / Ho, ho, ho, ho, ho, ho
! / Qu'il est joli / Gentil, poli ».
Discographie :
¶ CD Reyne (Accord 2004). Très bon.
1673
– Cadmus et Hermione
Caractéristiques
:
¶ Officiellement la première tragédie
en musique – Pomone de
Perrin & Cambert étant classée comme Pastorale. Écriture encore
assez sèche, surtout dans les récitatifs, marqués par une inspiration
italienne assez cavallienne. Mais déjà un sens de la danse très
particulier, et qui fait la marque distinctive du genre, plus encore
que la déclamation.
Hits
:
¶ « Belle Hermione » (air de Cadmus à
l'acte V), au répertoire avant le renouveau baroque.
¶ Chaconne des Africains, « Suivons, suivons l'amour, laissons-nous
enflammer » (acte I).
¶ Culte de Mars (fin de l'acte III).
Réussites
:
¶ Chaconne des Africains, « Suivons,
suivons l'amour, laissons-nous enflammer » (acte I).
¶ Duos comiques du triangle Charite-Nourrice-Arbas (acte II).
¶ Culte de Mars (fin de l'acte III).
¶ Dialogues comiques d'Arbas à la recherche du dragon avec Cadmus et
avec les Princes (acte IV).
Discographie :
¶ DVD Lazar / Dumestre (disponible). En
prononciation restituée. [Commentaires
du DVD, du spectacle.]
¶
Il existeune bande de Rousset à Beaune en 2000.
1674
– Alceste
Caractéristiques
:
¶ Début de la véritable déclamation
lullyste, à la fois très respectueuse de la prosodie et très mélodique.
Hits
:
¶ Air burlesque de Charon « Il faut
passer tôt ou tard / Il faut passer dans ma barque » (acte IV),
enregistré dès le début du XXe siècle.
¶
Duo d'adieu à Admète mourant (fin du II).
¶ Déploration sur la mort d'Alceste par un coryphée féminin et un chœur
mixte (acte III).
Réussites
:
¶ Regrets d'Alcide (récitatifs en I,1).
¶ Duo de Tritons « Malgré tant d'orages » (acte I).
¶
Duo d'adieu à Admète mourant (fin du II).
¶ Chœur d'annonce de la mort d'Alceste hors scène, tandis qu'Admète se
lamente sur scène (acte III).
¶ Marches funèbres d'Alceste (fin de l'acte III).
Discographie :
¶ Malgoire I (CBS 1974). Avec Felicity
Palmer, Bruce Brewer et Max van Egmond. Tout à fait introuvable
aujourd'hui.
¶ Malgoire II (Montaigne 1992). Avec Colette Alliot-Lugaz, Howard Crook
et Jean-Philippe Lafont. Lourd, terne et empesé, assez peu engageant à
écouter.
¶ Malgoire a depuis donné, en 2007,
une version assez définitive de l'œuvre (avec Véronique Gens),
uniquement captée par la radio.
=> Une nouvelle gravure est donc indispensable.
1675
– Thésée
Caractéristiques
:
¶ Le plus grand succès de l'histoire de
l'opéra baroque français : l'œuvre la plus souvent reprise, jusqu'au
milieu du XVIIIe siècle.Le livret en est pourtant fort sommaire
(histoire d'amour contrariée par un barbon couronné et une
enchanteresse hystérique)
, et la musique assez peu saillante en dehors de l'acte I. Difficile,
dans notre perspective contemporaine, d'être aussi impressionné que les
témoins d'alors.
¶ [Présentation.]
Hits
:
¶ Pas vraiment, même si le chœur est
combattants est furieusement marquant.
Réussites
:
¶ Début de l'acte I : combattants hors
scène « Il faut périr, il faut périr / Il faut vaincre ou mourir » et
prières des femmes dans le temple de Minerve sur la scène. [Présentation.]
Discographie :
¶ Stubbs / O'Dette (CPO 2007). Studio
un peu figé, surtout dans les récitatifs, mais suffisant pour une
découverte.
¶ Il existe une bande Haïm beaucoup
plus vivante.
1676
– Atys
Caractéristiques
:
¶ Réputé l'opéra favori du roi, c'est
aussi l'une des rares œuvres de Lully à se terminer de façon tragique
(dans les quelques autres cas, Roland est seulement en colère, Armide
reste une magicienne mécréante, elle aussi seulement malheureuse en
amour, et Phaëton qui meurt bel et bien est un contre-modèle), et
vraiment sans concession, malgré des épisodes comiques qui demeurent.
¶ Rare cas de Prologue lullyste clairement articulé à l'histoire des
cinq actes (Atys est présenté par les divinités allégoriques).
¶ [Présentation du livret à partir de la révision de Marmontel.]
Hits
:
¶ Entrée du Temps et de Flore « En vain
j'ai respecté la célèbre mémoire » (Prologue)
¶ Danses de la Suite de Flore
¶ Airs et danses de Zéphyr « Le Printemps quelquefois est moins doux
qu'il ne semble » (Prologue)
¶ Chœur « Préparons de nouvelles fêtes » (Prologue)
¶ Invocation à quatre « Allons, allons, accourez tous » (acte I)
¶ Chaconne « L'amour fait trop verser de pleurs »… « Quand le péril est
agréable » (acte I)
¶ Air de Sangaride « Atys est trop heureux » (acte I)
¶ Descente de Cybèle (fin de l'acte II)
¶ Air d'Atys « Nous pouvons nous flatter de l'espoir le plus doux »
(acte III)
¶ Scène du sommeil d'Atys (acte III)
¶ Air de Cybèle « Espoir si cher et si doux » (acte III)
¶ Chœur hors scène « Atys, Atys lui-même / Fait périr ce qu'il aime »
(acte V)
¶ Déploration finale « Que le malheur d'Atys afflige tout le monde »
(acte V)
Réussites
:
¶ Entrée du Temps et de Flore « En vain
j'ai respecté la célèbre mémoire » (Prologue)
¶ Danses de la Suite de Flore
¶ Airs et danses de Zéphyr « Le Printemps quelquefois est moins doux
qu'il ne semble » (Prologue)
¶ Chœur « Préparons de nouvelles fêtes » (Prologue)
¶ Entrée de Melpomène « Retirez-vous, cessez de prévenir le Temps »
(Prologue)
¶ Invocation à quatre « Allons, allons, accourez tous » (acte I)
¶ Tous les duos de l'acte I (Atys, Idas, Sangaride, Doris), dont la
chaconne.
¶ Air de Sangaride « Atys est trop heureux » (acte I)
¶ Air d'Atys « Nous pouvons nous flatter de l'espoir le plus doux »
(acte III)
¶ Air de Cybèle « Espoir si cher et si doux » (acte III)
¶ Dispute des amants (acte IV)
¶ Chœur hors scène « Atys, Atys lui-même / Fait périr ce qu'il aime »
(acte V)
¶ Malédiction d'Atys (acte V)
¶ Déploration finale « Que le malheur d'Atys afflige tout le monde »
(acte V)
Discographie :
¶ CD Christie studio (HM 1987). Très
figé, un peu glaçant (fait avant les représentations). [Commentaire.]
¶ Bandes vidéos des représentations
de 1987 dans la mise en scène de Villégier, saisissantes. [Commentaire.]
¶ CD Reyne (2010). Choix de simplicité, de nudité, très persuasif.
¶ DVD Christie (2011). Reprise et réfection de la mise en scène de
Villégier. Luxuriance très italianisante du continuo, somptuosité de toute
part.
1677
– Isis
Caractéristiques
:
¶ L'intrigue de la persécution de
l'amante de Jupiter
(Io, devenant par la suite Isis) a été lue à la Cour comme une
transposition mythologique de l'emprise prédatrice de la Montespan –
interprétation trop répandue qui força Quinault à l'exil. Le livret
n'est au demeurant pas le plus captivant de son auteur.
Hits
:
¶ Chœur des Peuples des Climats Glacés
(acte IV), avec son figuralisme hoquetant.
Réussites
:
¶ Duo burlesque Iris-Mercure (acte II),
d'une veine séductrice inhabituelle dans ces sphères olympiques.
¶ Chœur des Peuples des Climats Glacés (acte IV), avec son figuralisme
hoquetant.
Discographie :
¶ CD Reyne (Accord 2005). Très bien
chanté, un peu terne orchestralement.
1678
– Psyché (II)
Caractéristiques
:
¶ Livret attribué à Thomas Corneille,
puis revendiqué par Fontenelle (sans doute collectif). L'œuvre
réutilise le livret de Molière (secondé par Pierre Corneille et
Quinault) écrit pour la tragédie-ballet du même nom (pour partie
parlée) représentée au Carnaval de 1671.
¶ De cette genèse compliquée provient sans doute le caractère moins
serré
de l'intrigue, entrecoupée de nombreux divertissements plus
pittoresques que dramatiques, dont des lamenti italiens, un hapax dans les
tragédies en musique de Lully. C'est aussi, musicalement, son opéra le
moins marquant.
Hits
:
¶ Les Enclumes des Cyclopes (acte II).
Réussites
:
¶ Les Enclumes des Cyclopes (acte II).
Discographie :
¶ CD Stubbs / O'Dette (CPO 2008).
Correctement exécuté, mais un studio pas très vivant.
¶ Longue invocation infernale pendant
l'essentiel de l'acte II.
Réussites
:
¶ Tirades de Bellérophon (actes I et
II).
¶ Plaintes dans les climats dévastés
par la Chimère à l'acte IV (une Napée, une Dryade, Dieux des bois),
d'un style original, qui laisse sentir le vide et l'effroi avant la
forme ordinaire des déplorations polyphoniques.
Discographie :
¶ CD Rousset (Aparté 2011). D'un style
parfait. Sans mollesse. Disposant de quelques chanteurs extraordinaires
(Auvity et Teitgen). [Commentaire.]
1680
– Proserpine
Caractéristiques
:
¶ Retour de Quinault. L'amour principal
est ici celui d'une mère pour sa fille ; les amants sont campés par des
personnages secondaires mais omniprésents – les allégories aquatiques
Aréthuse et Alphée.
Hits
:
¶ Airs de Proserpine : « Goûtons dans
ces aimables lieux » (acte I), « Que tout se ressente de la fureur »
(acte III).
Réussites
:
¶ Les duos entre Aréthuse & Alphée
:
« Arrêtez, Nymphe trop sévère » (acte
I),
« Ingrate, écoutez-moi » (acte II),
« N'aurais-je point innocemment » (acte III),
« Pluton veut qu'avec vous nous demeurions ici » (acte IV)
« Quel cœur se peut assurer » (acte V)
=> Ils donnent toute sa saveur à
l'œuvre,
nous servant, malgré l'arrachement arbitraire d'une fille et au milieu
des climats hostiles des enfers, de rafraîchissantes scènes d'amants
bougons puis contents.
Discographie :
¶ CD Niquet (Glossa 2007). Grande
rondeur (présence massive des doublures de flûtes), continuo opulent.
Distribution assez formidable (D'Oustrac en Cérès, couple
Staskiewicz-Auvity). [Commentaire.]
1682
– Persée
Caractéristiques
:
¶ Contenu très épique, où le
spectaculaire ne se limite pas aux décors. Les combats contre les
monstres abondent (les Gorgones, le monstre marin),
et pas à travers des récits de seconde main, ils sont directement
représentés sur scène. Quinault suit de très près le résumé
d'Apollodore (en particulier la place de Phinée, l'oncle jaloux
d'Andromède).
Hits
:
¶ Air de Méduse : « J'ai perdu la
beauté qui me rendit si vaine » (acte III).
¶ Air du sommeil de Mercure : « Ô tranquille sommeil, que vous êtes
charmant » (acte III).
¶ Air d'Andromède : « Dieux ! qui me destinez une mort si cruelle »
(acte IV).
¶ Ballet du combat aérien de Persée contre Kêtos (acte IV)
Réussites
:
¶ Récitatif sarcastique de Phinée : «
Seigneur, vous m'avez destiné » (acte II)
¶ Air de Méduse : « J'ai perdu la beauté qui me rendit si vaine » (acte
III).
¶ Air du sommeil de Mercure : « Ô tranquille sommeil, que vous êtes
charmant » (acte III).
¶ Air d'Andromède : « Dieux ! qui me destinez une mort si cruelle »
(acte IV).
Discographie :
¶ CD Rousset (Ambroisie 2001). Un rien
terne, le drame n'est pas articulé avec beaucoup d'ardeur (alors qu'il
s'agit du plus épique des Lully, celui en tout cas doté du plus
d'actions directes), mais beau plateau, où culmine le Phinée
sarcastique de Jérôme Correas (l'une des plus fines incarnations
vocales de tous les temps). L'ensemble fonctionne très bien.
¶ DVD Pinkosky-Niquet (EuroArts 2005). Cyril Auvity plane (beau Mercure
de Colin Ainsworth, tout de même) au-dessus d'une distribution à
l'articulation très nord-américaine (en arrière), dans une mise en
scène chiche en moyens mais astucieuse. Hervé Niquet ne dirige pas le
Concert Spirituel, mais l'orchestre Tafelmusik de Toronto, qu'il fait
sonner assez sensiblement comme le sien. Beaucoup de vie orchestrale
qui permet au drame d'avancer sans faiblir.
1683
– Phaëton
Caractéristiques
:
¶ Première fois, dans l'histoire du
genre
(et un cas qui demeure rare) où le héros est un repoussoir. Pourtant
chanté par la haute-contre habituelle (car jeune, héroïque et galant),
Phaëton dresse le portrait d'un égoïste, pire, d'un impudent, dont le
châtiment final rassure peut-être plus qu'il n'afflige.
¶ Autre fait inhabituel, le couple amoureux authentique, des
personnages secondaires comme dans Proserpine,
inclut une basse-taille au lieu de la hautre-contre ordinaire (pour des
raisons évidentes d'équilibres des voix sur le plateau).
¶ [Présentation.]
Hits
:
¶ Serment du Soleil : « L'Envie accuse
à tort Climène »… « C'est toi que j'en atteste », dans une tessiture
très haut placée (acte IV).
¶ Réjouissances brutalement interrompue par la chute finale « Que l'on
chante, que tout réponde » (acte V).
Réussites
:
¶ Tout le rôle d'Épaphus (peut-être le plus beau de tout Lully) :
=> premier duo d'amour et d'adieu
avec Lybie : « Quel malheur ! »… « Que mon sort serait doux » (acte II)
;
=> duo d'affrontement avec Phaëton : « Songez-vous qu'Isis est ma
mère ? » (acte III) ;
=> imprécations devant le Temple d'Isis : « Vous qui servez Isis »
(acte III) ;
=> air : « Vous qui vous déclarez mon père » (acte V) ;
=> second duo d'amour et d'adieu avec Lybie : « Ô rigoureux martyre
»… « Hélas ! une chaîne si belle » (acte V)
¶ Serment du Soleil : « L'Envie accuse à tort Climène »… « C'est toi
que j'en atteste », dans une tessiture très haut placée (acte IV).
¶ Réjouissances brutalement interrompue par la chute finale « Que l'on
chante, que tout réponde » (acte V).
Discographie :
¶ CD Minkowski (Erato 1994). Lecture
anguleuse, qui privilégie l'éclat sur le fondu. Goût pour théorbe solo
dans les récitatifs. Quelques-uns des plus grands chanteurs de tous les
temps dans la distribution pour des rôles-clefs : Crook (Phaéton), Gens
(Lybie), Théruel (Épaphos).
Grande réussite.
¶ CD Rousset (Aparté 2013). Belle lecture, avec un continuo très subtil
au clavecin. Fort bien chanté aussi, avec des voix typées qui plairont
diversement. Petite réserve sur le caractère très audible des
changements de mesure, que Rousset tire vers un certain alanguissement
contemplatif (ce qui peut se défendre, mais reste étrange pour du
récitatif) et qui tendent parfois à freiner l'élan dramatique.
[Commentaire de Beaune, de Pleyel.]
1684
– Amadis
Caractéristiques
:
¶
Amadis apporte
une autre nouveauté : le
premier sujet d'opéra français qui ne soit pas
tiré de la mythologie grecque. [Contrairement à l'Italie qui
utilisait
volontiers des sujets tirés de l'Histoire, antique en particulier.]
Pendant très longtemps (jusqu'à Scanderbergen 1735,
en réalité), cette entorse se limitera à quelques grands romans
espagnols et épopées italiennes autour de héros médiévaux : Montalvo,
Ariosto, Tasso pour Quinault-Lully (puis Danchet-Campra, avec Tancrède), et un peu plus tard Silva-Essarts (La
Motte / Destouches).
¶ Avec Atys, l'un des très rares cas de
Prologue où le héros du drame est introduit ; alors qu'Atys est
présenté comme une histoire pour divertir le commanditaire, dans Amadis,
on désigne (à mots maigrement couverts) le roi comme le successeur
direct du héros – il faut dire que le parallèle est plus aisé avec le
chevalier tendre qu'avec le prêtre châtré…
¶ Beaucoup de convergences
avec Armide
qu'il semble préparer : matière médiévale, structure (contredanse très
proche dans le Prologue – acte I d'Armide
– ; récits de victoires et de mal d'amour au I ; enchantement du héros
désœuvré au II ; captivité et souffrances au III ; chaconne vocale au
V, ce qui ne se faisait plus depuis Cadmus
!), longues scènes comme celle d'Amadis au I.
¶ Musicalement, on est parfois étonné de la disparité entre la
relative platitude du deuxième acte et la force des deux derniers
(peut-être les
plus beaux de tout Lully), en particulier le quatrième.
¶ [Présentation – je suis d'ailleurs beaucoup moins
mitigé aujourd'hui sur les qualités de l'ouvrage.]
Hits
:
¶ Invocation de l'orage : « Espris,
empressés à nous plaire »… « Brillants éclairs, bruyant tonnerre »
(Prologue)
¶ Air d'Arcabonne : « Amour, que veux-tu de moi ? » (acte II).
¶ Air d'Amadis : « Bois épais, redouble ton ombre » (acte II). Souvent
mis au programme de récitals du début du XXe siècle – étrangement,
puisque très court, sans effet particulier et mélodiquement
particulièrement peu marquant. Sans doute était-il un peu plus aigu que
les autres et déstabilisait-il moins les ténors ? Si l'on voulait
mépriser Lully, on ne choisirait pas meilleur exemple. [Parmi les
versions disponibles, Rousset fait le choix avisé de le faire
ornementer, ce qui lui procure un peu plus de relief.]
¶ Duo et chœur de captivité « Ciel ! finissez nos peines » (acte III).
¶ Invocation par Arcabonne : « Toi, qui dans ce tombeau n'es plus qu'un
peu de cendre » (acte III).
¶ Grande scène d'Oriane (acte IV) : « À qui pourrais-je avoir recours ?
»… « Que vois-je ? ô spectacle effroyable ! »… « Il m'appelle, je vais
le suivre ».
¶ Intercession d'Urgande (fin de l'acte IV).
¶ Grande chaconne de quinze minutes avec les héros et le chœur «
Chantons tous en ce jour » (fin de l'acte V).
Réussites
:
¶ Invocation de l'orage : « Brillants
éclairs, bruyant tonnerre » (Prologue)
¶ Scène d'Amadis (trois grandes tirades à l'acte I – entrecoupées de
réponses de Florestan –, très inhabituelles dans ce
répertoire, et encore plus pour un personnage masculin) :
« Ah ! que
l'amour paraît charmant ! »
« Je pourrais l'obtenir par la force des
armes »
« Oriane, ingrate et cruelle »
¶ Air d'Arcabonne : « Amour, que veux-tu de moi ? » (acte II)
¶ Invocation par Arcabonne : « Toi, qui dans ce tombeau n'es plus qu'un
peu de cendre » (acte III).
¶ Grande scène d'Oriane (acte IV) : « À qui pourrais-je avoir recours ?
»… « Que vois-je ? ô spectacle effroyable ! »… « Il m'appelle, je vais
le suivre ».
¶ Grande chaconne de quinze minutes avec les héros et le chœur «
Chantons tous en ce jour » (fin de l'acte V).
Discographie :
¶ CD Reyne (Accord 2006). Un peu pâle,
et souffrant notamment d'une Arcabonne assez stridente. Point fort : le
tempérament exceptionnel des deux amantes (Laurens en altière Oriane,
Masset en éloquente Corisande, qui n'a alors plus rien d'un emploi de
soubrette-sans-aigus). [Commentaire.]
¶ Schneebeli 2010 (il existe une
bande de salle partielle captée à Massy).
Avec Katia Vellétaz, Dagmar Šašková, Isabelle Druet, Cyril Auvity,
Edwin Crossley-Mercer, Alain Buet. Comme toujours impressionnant par le
style impeccablement juste de Schneebeli, et un fort beau plateau (à
part les deux méchants qui s'amusent à chanter du nez en permanence).
¶ CD Rousset (Aparté 2014). Une petite merveille d'équilibre, avec des
danses d'une élégance remarquable, et soutenue par une distribution
choisie parmi les meilleurs (Auvity, Arnould, Tauran, Perruche,
Bennani…). [Commentaire.]
1685
– Roland
Caractéristiques
:
¶
Roland est la seconde tragédie en musique dont le rôle-titre
soit tenu par une voix grave (basse-taille), ce qui, contrairement à Cadmus, inaugure une licence pour
les opéras dont le héros est particulièrement guerrier et le plus
souvent éconduit (Tancrède, Pélops et Idoménée chez Campra, Alcide chez Destouches – mais plus étrange pour Pyrame, sorte d'Épaphus…). S'il n'est pas repoussoir
comme Phaéton, le personnage central reste cependant négligé par
l'amour et même assez inquiétant (le massacre final).
¶ C'est, je crois, l'un des opéras les plus homogènes et les plus
constamment soignés de tout Lully, alors même que les endroits très
typés y sont plus rares.
Hits
:
¶ Grande chaconne avec chœur « C'est Médor qu'une Reine si belle » (fin de l'acte
III).
¶ Fureur de Roland « Je suis trahi ! Ciel ! » (fin de l'acte IV).
Réussites
:
¶ Mélancolie d'Angélique (récits de
l'acte I).
¶ Grand duo en chaconne « Ah ! je souffre un tourment plus cruel que la
mort »… « Se peut-il qu'à ses vœux vous ayez répondu ? », puis chaconne
avec chœur « C'est Médor qu'une Reine si belle » (fin de l'acte
III). Une scène enivrante, un des sommets de tout Lully.
¶ Grande scène de Roland dans les bois « Ah ! j'attendrai longtemps »
(début de l'acte IV).
Discographie :
¶
Jacobs (aux Champs-Élysées en 1993
avec van Dam, à Montpellier en 1994 avec Naouri) a joué l'œuvre (un
répertoire dont il semble pourtant peu friand) avec un continuo très
riche et un véritable élan. Evidemment, le maintien est un rien raide,
mais le résultat demeure remarquablement vivant et convaincant.La bande de Montpellier circule.
¶ CD Rousset (Ambroisie 2004). Version peut-être un peu mesurée, mais
d'une grande grâce, qui livre pudiquement ses charmes aux fil des
réécoutes.
1686
– Armide
Caractéristiques
:
¶
Armide, par la qualité de finition de chaque fragment, constitue
probablement l'opéra le plus abouti de l'univers lullyste. Comme dans
Roland, une voix grave (bas-dessus), frappée mais dédaignée par l'Amour,
à laquelle on s'attache sans jamais perdre de vue qu'il s'agit plutôt
d'un contre-modèle – une sorcière métèque et mécréante, tout de même.
¶ Le drame, très cohérent et spectaculaire, est fortement caractérisé
par ses triomphes guerriers (acte I), ses enchantements pastoraux (et
aquatiques !) au II, son sommet infernal au III, et surtout son
intermède étrange (deux nouveaux personnages à l'acte IV, incluant même
un peu d'humour, ce qui n'était plus arrivé depuis Atys et Proserpine).
¶ [Présentations : fulgurances écrites – détails.]
Hits
:
¶ Dialogue de la Gloire et de la
Sagesse « Tout doit céder dans l'Univers » (Prologue).
¶ Scène du sommeil de Renaud, en particulier « Ah ! quelle erreur
! quelle jolie » (acte II).
¶ Grand monologue d'Armide « Enfin, il est en ma puissance » (fin de
l'acte II).
¶ Invocation de la Haine « Venez, venez, Haine implacable »… « Je
réponds à tes vœux, ta voix s'est fait entendre »… « Plus on connaît
l'Amour, et plus on le déteste »… « Sors, sors du sein d'Armide, Amour,
brise ta chaîne ».
¶ Grande passacaille avec haute-contre et chœurs « Les plaisirs ont choisi pour asile » (acte V).
¶ Monologue final d'Armide « Le perfide Renaud me fuit » (acte V).
Réussites
:
¶ Ouverture.
¶ Dialogue de la Gloire et de la Sagesse « Tout doit céder dans
l'Univers » (Prologue).
¶ Conseils des suivantes d'Armide « Dans un jour de triomphe, au milieu
des plaisirs » (acte I).
¶ Récit du rêve d'Armide « Un songe affreux m'inspire une fureur
nouvelle » (acte I).
¶ Entrée d'Hidraot « Armide, que le sang qui m'unit avec vous » (acte
I).
¶ Récit d'Aronte « Ô Ciel ! ô disgrâce cruelle ! »
(acte I). En neuf vers, l'un des plus forts récitatifs jamais écrits.
¶ Dialogue d'Artémidore et de Renaud « Invincible héros, c'est par
votre courage » (acte II).
¶ Duo d'invocation infernale « Arrêtons-nous ici, c'est dans ce lieu
fatal » (acte II).
¶ Chœur du sommeil « Ah ! quelle erreur ! quelle jolie » (acte
II).
¶ Grand monologue d'Armide « Enfin, il est en ma puissance » (fin de
l'acte II).
¶ Air d'Armide « Ah ! si la liberté me doit être ravie » (début de
l'acte III).
¶ Invocation de la Haine « Venez, venez, Haine implacable »… « Je
réponds à tes vœux, ta voix s'est fait entendre »… « Plus on connaît
l'Amour, et plus on le déteste »… « Sors, sors du sein d'Armide, Amour,
brise ta chaîne » (acte III).
¶ Duo d'amour de Renaud & Armide « Armide, vous m'allez quitter »
(acte V).
¶ Grande passacaille avec haute-contre et chœurs « Les plaisirs ont choisi pour asile » (acte V).
¶ Monologue final d'Armide « Le perfide Renaud me fuit » (acte V).
Discographie :
¶ CD Herreweghe I (Erato 1983).
Totalement retirée du marchée par Herreweghe lui-même. Le seul disque
de tragédie en musique sur lequel je n'aie jamais pu mettre la main, je
crois bien. Les extraits entendus justifient sans doute le repentir de
Herreweghe : c'était la première fois qu'on jouait une tragédie en
musique avec un souci musicologique, et quoique bon, le résultat peut
sonner un peu trop mou avec le recul des années.
¶ CD Herreweghe II (HM 1992). La version couramment disponible en CD,
rééditée il y a peu, et formidable en tout point : beaucoup de rondeur
et d'élégance, mais un drame tout à fait vivant, porté par des
chanteurs-diseurs exceptionnels (Laurens, Crook, Gens, Rime, Deletré…).
Seule étrange réserve, la passacaille, un peu indolente et assez peu
dansante.
¶ CD Ryan Brown (Naxos 2007). L'ensemble Opera Lafayette a proposé ce
qui était alors la seule alternative disponible à Herreweghe II, mais
quoique correctement chanté et exécuté, tout nage dans une telle
indolence (et dans des timbres si gris) qu'on parvient quasiment à
s'ennuyer. À déconseiller absolument pour débuter, et probablement sans
intérêt pour les habitués. Le seul disque médiocre de la discographie,
en réalité.
¶ DVD Carsen-Christie (Fra Musica 2008). Une lecture visuellement
marquante, et musicalement fulgurante (en particulier pour l'Armide de
Stéphanie d'Oustrac, mais aussi un continuo très généreux). La chaconne
est ébouriffante. Seule réserve : deux petites coupures (un vers à
l'acte I, et la scène du désenvoûtement au V), assez injustifiables,
même sur le plan dramaturgique (un vers orphelin et l'explication de
revirement de Renaud). Le couplage avec la version Herreweghe II permet
ainsi de tout avoir au meilleur niveau (intégralité et chaconne
réussie).
1686
– Acis et Galatée
Caractéristiques
:
¶ Retour tardif à la Pastorale, en
trois actes et un Prologue. Ce n'est pas une œuvre royale, plutôt une
commande de circonstance (donnée par le duc de Vendôme en l'honneur du
Grand Dauphin, au château d'Anet). Néanmoins, il s'agit d'une intrigue
théâtrale complète, c'est pourquoi je l'inclus dans ce petit horizon
des premiers opéras. On y traite de résurrection plus légèrement que
dans la tragédie (cela n'arrive pas avant Hippolyte &
Aricie de Rameau, me semble-t-il).
¶ Le livret (de Campistron) et la musique ne sont pas les meilleurs du
répertoire lullyste, mais les danses sont belles, et l'œuvre présente
la particularité de proposer fromage et dessert : une courte chaconne
vocale et une longue passacaille vocale et chorale !
Hits
:
¶ Chaconne de l'acte II « Qu'une
injuste fierté ».
¶ Scène de Galatée et déploration « Enfin j'ai dissipé la crainte »
(acte III).
¶ Grande passacaille finale de l'acte III « L'Amour veut qu'on jouisse
».
Réussites
:
¶ Chaconne de l'acte II « Qu'une
injuste fierté ».
¶ Marche « Qu'à l'envi chacun se presse » (acte II).
¶ Scène de Galatée et déploration « Enfin j'ai dissipé la crainte »
(acte III).
¶ Grande passacaille finale de l'acte III « L'Amour veut qu'on jouisse
».
Discographie :
¶ CD Minkowski (Arkiv 1996). Le
maintien est un rien raide, mais les danses sont très belles. Et puis
il y a Gens et Delunsch dans les chaconnes, quand même.
1687
– Achille et Polyxène
Caractéristiques
:
¶ Composition interrompue par la mort
de Lully, seuls l'Ouverture et le premier acte sont de sa main. Le
reste fut complété par son élève et esclave secrétaire
Collasse (celui qui écrivait toutes les parties intermédiaires du
matériel d'orchestre fourni aux musiciens royaux). Pour cette raison,
l'œuvre fut boudée à sa création, reprise une seule fois en 1712, et
jamais rejouée depuis semble-t-il, à l'exception d'une version de
concert à Hambourg en 2007 (Cythara-Ensemble dirigé par Rudolf Kelber).
¶ Préventions parfaitement infondées, Collasse est un grand compositeur
et, pour l'avoir lu et joué, l'acte V d'Achille et Polyxène est, dramatique
et musicalement, du niveau des grands Lully – récitatifs enflammés,
chœurs d'effroi, grand récit final. Aucune raison de ne pas remonter
ces ultimes mesures de Lully, en conséquence.
¶ [Présentation et extrait.]
Hits
:
¶ ?
Réussites
:
¶ Désespoir de Briséis, chœur de la
mort d'Achille et grande tirade finale de la mort de Polyxène (acte V).
Discographie :
¶ Ma petite glotte et mes gros doigts.
C.
Livrets
Petit tableau synoptique des évolutions. (On a mis en couleur les
caractéristiques inhabituelles. Dans la dernière colonne, le rouge
indique un opéra qui « finit mal », le vert un opéra dont l'issue est
considérée comme joyeuse – et plus la couleur est sombre, moins la gaîté
est de mise.)
–
Duel de rivaux (acte I).
– Coquette rouée (acte I).
– Chantage au mariage (acte II).
– Plaintes du vieux guerrier (acte II).
Amante.
Amants heureux.
3
Thésée
Quinault.
Jalousie
infondée (acte I).
Amant.
Amants heureux.
4
Atys
Quinault.
Dispute
d'amants (acte IV). (unique cas où concerne les personnages
principaux)
Amant.
Amants
morts, méchants désespérés.
5
Isis
Quinault.
Badinage
entre dieux (acte II).
Victime (vaguement amante).
Victime
sauvée, renoncement à l'amour.
6
Psyché
Th.
Corneille, Fontenelle.
Relatif ridicule des sœurs
jalouses (acte I).
Amante.
Amants heureux.
7
Bellérophon
Th.
Corneille, Fontenelle, Boileau.
Non.
Amant.
Amants heureux.
8
Proserpine
Quinault.
Vantardise
d'amant éconduit (acte II).
Victime.
Liberté
conditionnelle.
9
Persée
Quinault.
Non.
Amant.
Amants heureux.
10
Phaëton
Quinault.
Non.
Ambitieux impudent.
Impudent
châtié, amants partiellement sauvés. (on le suppose, mais ce
n'est pas dit)
11
Amadis
Quinault.
Non.
Amant.
Amants heureux.
12
Roland
Quinault.
Non.
Amant éconduit et brutal.
Héros
malheureux, amants heureux.
13
Armide
Quinault.
Brève
raillerie en miroir (acte IV).
Amante ennemie, éconduite
et dangereuse.
Magicienne
malheureuse, amant libéré.
14
Achille et Polyxène
Campistron.
Non.
Couple d'amants.
Amants
morts.
D.
Le plus beau ?
La quantité de moments forts ne déterminant pas nécessairement
l'intensité du flux général, et les rares versions conditionnant aussi
beaucoup notre perception, il est difficile de décerner les palmes.
À partir de Bellérophon, on
se situe vraiment dans la maturité lullyste, et à partir de Phaëton, la densité musicale
devient particulièrement impressionnante. Néanmoins, les chefs-d'œuvre
existent d'emblée : Alceste et Atys en témoignent, et même,
malgré ses archaïsmes, Cadmus
témoigne en maint endroit d'une inspiration de tout premier ordre.
Les LULLYstes distinguent en principe Atys
et Armide, qui sont
clairement les deux meilleurs livrets, et qui ménagent une quantité
assez immense de moments mélodiques ou pittoresques. Mais cela tient
aussi au fait que ce sont les seuls qu'on ait pu écouter et réécouter
depuis trente ans, et qui ont été servis par des productions aussi
exemplaires. Leur domination est justifiée (la musique d'Armide est de très haute volée, et
le livret dAtys d'une force
sans égale), mais on pourrait soutenir bien d'autres combinaisons.
À ce jour, je crois que je distinguerais avant tout Armide et Roland, pour le raffinement extrême
de leurs équilibres et le naturel de leur déclamation, mais Cadmus,Alceste, Atys, Phäeton, Amadis, et même Bellérophon, Proserpine ou Persée méritent de grands
honneurs. Je suis moins enthousiaste sur Thésée (le début de l'acte I est
formidable, mais le reste vraiment peu passionnant, à commencer par le
livret, et pourtant ce fut l'opéra de Lully le plus apprécié en son
temps !), Psyché et Isis, dont je perçois moins la
poussée générale (pourtant, le livret de Psyché est ravissant).
Quand j'aurai deux minutes, je tâcherai de confectionner une carte des chaconnes, mais pour l'heure, vous avez déjà de
quoi vous amuser à redécouvrir (ou rattraper votre retard).
Vu la densité de la fin de semaine, je n'aurai pas le temps de faire une réelle présentation d'Uthal de Méhul, qu'on recrée quasiment ce samedi à Versailles – j'en serai. Mais tout de même quelques sons et mots pour se mettre en appétit :
Il s'agit du début de l'œuvre, telle qu'enregistrée en 1972 par la BBC : la diction est locale, le style un peu neutre et le son d'époque, mais l'ensemble donne déjà un petit aperçu du caractère dramatique de l'œuvre. Ça ne semble pas du niveau d'Adrien, mais on est déjà dans du très bon Méhul, au moins dans la veine de Joseph (et pas dans celle plus lisse de Stratonice ou plus inoffensive de L'Irato).
Parmi les intérêts de redécouvrir l'œuvre, outre la musique elle-même (du bon Méhul bien interprété, ce devrait être très persuasif), son sujet, fondé sur la matière d'Ossian : Uthal, the love of a thousand maids, y affronte Larthmor (devenu Larmor pour les raisons prosodiques qu'on devine), et on y mentionne même Fingal !
Nous n'échapperons pas non plus aux interventions des Bardes narrateurs.
Pour accroître le caractère brumeux du sujet, Méhul n'utilise pas de violons, mais seulement des altos – appelés « quintes [de violon] » et séparés en deux parties, ce qui donne : quintes I, quintes II, basses (violoncelles), contre-basses. En revanche, le reste de la nomenclature réclame, outre les quatre bois par deux, au moins quatre cornistes (deux cors en fa, deux en ut, deux en mi bémol) et une harpe (la partition autographe admet le remplacement par un piano). Je n'ai pas fini mon exploration du manuscrit pour établir la présence (probable) de timbales, trompettes et trombones.
Il s'agit, formellement, d'un opéra comique, faisant alterner des dialogues parlés avec des numéros musicaux (assez complexes, souvent des ensembles contenant des « récits », c'est-à-dire, en l'occurrence, des récitatifs accompagnés par l'orchestre). Ma curiosité vient aussi de la structure en un acte – est-ce très court (et aurons-nous abondance de dialogues, pour une fois pas saccagés ?), ou est-ce une construction très libre ?
Pour finir, les apprêts versaillais font saliver les oreilles particulièrement envie. Déjà que Beuron et Bou mériteraient d'aller entendre à peu près n'importe quoi, alors dans ce programme inédit et entouré de Deshayes, Droy, van Mechelen, le Chœur de Chambre de Namur, les Talens Lyriques, sous la direction du spécialiste Rousset, qui avait fait forte impression dans les Danaïdes de Salieri – alors que j'y craignais un rien de mollesse… comment résister ?
--
Notez bien que le concert a été diffusé sur France Musique en direct et sera disponible à la réécoute lundi. Par ailleurs, un disque sponsorisé par le tout-puissant Palazzetto Bru-Zane est annoncé.
--
2. Sources
Comme je ne suis pas sûr qu'on lise énormément Ossian en France aujourd'hui, il est peut-être utile de dire un mot de l'usage que Méhul et son librettiste font de la matière d'Ossian. Leur opéra Uthal se fonde sur le poème Berrathon (du nom de l'île que gouverne Larthmor, le roi renversé), peut-être le plus célèbre de tout le legs d'Ossian – je vous en proposerai une autre version musicale légèrement ultérieure (allemande cette fois) avec un enregistrement maison, en guise de fin de de notule.
Si vous le souhaitez, on trouve une belle traduction de Berrathon en vers par l'académicien Pierre Baour-Lormian (spécialiste des poèmes d'évocation exotique : orient grec ou islamique, Moyen-Âge européen ou oriental… et même une épopée dédiée à L'Atlantide) sur Gallica, datant d'une époque (1827) encore marquée par l'engouement ossianique, et qui peut donner à sentir ce que les français d'alors pouvaient lire, même si la publication de cette traduction est de vingt ans postérieure à l'opéra de Méhul (1806). Vous le trouverez sous le nom plus explicite Uthal (je vous l'ai même mis à la bonne page). La matière est réorganisée, considérablement raccourcie (il reste au maximum 20% de Berrathon), purgée de ses contenus secondaires – pas d'élégie à Malvina, pas de pressentiment de la mort d'Ossian –, et certains détails appuyés selon le goût du temps (l'empathie d'Ossian pour la douleur d'un père, qui est suggérée dans l'original mais ne constitue pas du tout la conclusion ni le point culminant du propos) : il ne reste que l'histoire centrale, pas toujours exacte dans le détail, mais assez fidèle globalement dans ce qui reste – cela peut vous donner une idée pour vous permettre de comparer avec le livret de Jacques Bins (comte de Saint-Victor), utilisé par Méhul.
Je ne peux pas vous en conseiller de bonne traduction, mais vu son âge et son caractère emblématique, le texte anglais, qui ne présente pas de difficulté particulière (merci l'alibi de la traduction !), se trouve aisément en ligne sous tous les formats (fac-simile, PDF, formats liseuse, html ou texte…).
3. Créance de la matière d'Ossian en 1806
Manière de remettre les jalons en place : dès 1760, James Macpherson, passionné par la collecte, la traduction et l'imitation des poèmes gaéliques, publie la traduction de vieux poèmes écossais (Fragments of Ancient Poetry, Collected in the Hghlands os Scotland, and Translated from the Gallic or Erse Language). À partir de 1761, il commence à publier ses fragments d'une épopée sur le guerrier Fingal (issu de la mythologie celtique irlandaise), des poèmes (datés du IIIe siècle !) racontant des combats légendaires, où son fils Ossian prend lui-même la parole. L'engouement est puissant dans toute l'Europe et prépare grandement toutes les thématiques romantiques, même si le débat sur l'authenticité des textes fait rage dès le début. Beaucoup de monde, séduit par la prose rythmée (et, de fait, de nombreuses phrases peuvent se lire comme des vers mesurés anglais, en iambes : « My harp hangs on a blasted branch. ») et l'univers à la fois nébuleux (quantité de références un peu cryptiques et d'apostrophes rituelles) et assez accessible des poèmes, a envie de croire qu'on tient là un Homère propre au Nord de l'Europe. Les critiques ont donc aussi émané de partisans de la culture classique, pas uniquement à cause de raisons philologiques, mais aussi pour des motifs idéologiques (notre culture provenant en ligne directe des Grecs, Arthus étant un général romain ruralisé, etc.).
Néanmoins, Ossian reste très en vogue jusque dans les premières décennies du XIXe siècle. Il est cité sous ce nom par Chateaubriand dans son essai sur la littérature anglaise – à l'entrée Young, où il s'en sert, de pair avec Homère et Virgile, justement, pour montrer la préexistence d'images romantiques, avec leurs rêveries au sein de paysages lunaires ou tempêtueux.
Cet extrait date de mars 1801 : les soupçons sur la nature réelle des poèmes sont explicités depuis longtemps, mais le débat est toujours abondant et passionné pour déterminer l'authenticité de la matière de Fingal. En 1800, Malcolm Laing prenait la peine d'ajouter, en appendice à son History of Scotland from the Union of the Crowns to the Union of the Kingdoms, une « Dissertation historique et critique sur la prétendue authenticité des poèmes d’Ossian », où il accuse Macpherson d'avoir écrit lui-même les poèmes. En 1805, il publie une édition des poèmes qui connaît un grand retentissement : il y montre comment le texte pullule de références à d'autres poètes, caractérisant non seulement l'imposture de ces faux poèmes archaïques, mais aussi une tendance au plagiat (sans même parler des sous-entendus sur l'intérêt littéraire de l'objet d'arrivée), et relève des emprunts à l'Ancien Testament, à Homère, Catulle, Virgile, Tibulle et, plus compromettant, à Milton et Pope !
On voit comment les comparaisons sont parfois un peu lâches et assez discutables, mais démontrent – et je trouve cela très vrai, à la lecture ingénue – combien cette poésie déborde finalement d'images et de tournures très familières, pour une œuvre archaïque qui n'aurait pas eu de postérité pendant des siècles.
Laing est à son tour battu en brèche par Patrick Graham qui publie en 1807 un Essay on the Authenticity of the Poems of Ossian: in which the Objections of Malcolm Laing, Esq. Are Particularly Considered and Refuted qui se situe aussi sur le plan littéraire, en contestant notamment les parallèles forcés de Laing.
La critique porte aussi très largement sur le domaine factuel de l'attestation de poèmes anciens sur place, en Écosse. Les plus célèbres charges sont celles de Samuel Johnson, en raison de sa célébrité personnelle, mais aussi de sa recherche factuelle en interrogeant les locaux, qui relance violemment la querelle à une époque où elle s'était un peu apaisée (1775).
Dans la section du Journey to the Western Islands of Scotland consacrée à l'île de Sky, Johnson détaille les résultats pas très encourageants sur la vivacité d'un fonds populaire à ces balades écossaises :
I suppose my opinion of the poems of Ossian is already discovered. I believe they never existed in any other form than that which we have seen. The editor, or author, never could shew the original; nor can it be shewn by any other; to revenge reasonable incredulity, by refusing evidence, is a degree of insolence, with which the world is not yet acquainted; and stubborn audacity is the last refuge of guilt. It would be easy to shew it if he had it; but whence could it be had? It is too long to be remembered, and the language formerly had nothing written. He has doubtless inserted names that circulate in popular stories, and may have translated some wandering ballads, if any can be found; and the names, and some of the images being recollected, make an inaccurate auditor imagine, by the help of Caledonian bigotry, that he has formerly heard the whole.
I asked a very learned minister in Shy, who had used all arts to make me believe the genuineness of the book, whether at last he believed it himself? but he would not answer. He wished me to be deceived, for the honour of his country; but would not directly and formally deceive me. Yet has this man's testimony been publickly produced, as of one that held Fingal to be the work of Ossian.
It is said, that some men of integrity profess to have heard parts of it, but they all heard them when they were boys; and it was never said that any of them could recite six lines. They remember names, and perhaps some proverbial sentiments; and having no distinct ideas, coin a resemblance without an original. The persuasion of the Scots, however, is far from universal; and in a question so capable of proof, why should doubt be suffered to continue? The editor has been heard to say, that part of the poem was received by him, in the Saxon character. He has then found, by some peculiar fortune, an unwritten language, written in a character which the natives probably never beheld.
I have yet supposed no imposture but in the publisher; yet I am far from certainty, that some translations have not been lately made, that may now be obtruded as parts of the original work. Credulity on one part is a strong temptation to deceit on the other, especially to deceit of which no personal injury is the consequence, and which flatters the author with his own ingenuity. The Scots have something to plead for their easy reception of an improbable fiction: they are seduced by their fondness for their supposed ancestors. A Scotchman must be a very sturdy moralist, who does not love Scotland better than truth; he will always love it better than enquiry: and if falsehood flatters his vanity, will not be very diligent to detect it. Neither ought the English to be much –influenced by Scotch authority; for of the past and present state of the whole Earse nation, the Loivlanders are at least as ignorant as ourselves. To be ignorant is painful; but it is dangerous to quiet our uneasiness by the delusive opiate of hasty persuasion.
But this is the age in which those who could not read, have been supposed to write; in which the giants of antiquated romance have been exhibited as realities. If we know little of the ancient Highlanders, let us not fill the vacuity with Ossian. If we have not searched the Magellanick regions, let us however forbear to people them with Patagons.
En résumé, Johnson relève que ce fonds écossais se limite à quelque noms de mythologie (d'autres avaient essayé de prouver qu'on racontait ces histoires depuis toujours au coin du feu), et que ceux qui avaient témoigné par écrit de l'existence de ces sources se révélaient incapables de les citer eux-mêmes. Il attribue cela à une forme de fierté écossaise, qui aime se laisser abuser par ce qui peut hausser l'estime de leur pays.
Comparé à toutes les querelles savantes sur la crédibilité du texte, ce réquisitoire est violent par sa simplicité et sa discrétion mêmes : glissé au creux d'un ouvrage bien plus long et d'un tout autre propos, il montre que l'honnête homme ne peut constater l'absence des traditions attestées par certains partisans de la véracité d'Ossian.
Il serait fastidieux et assez hors de mon propos (dire un mot de l'Uthal de Méhul, au fil d'une paresseuse balade dans ses jolis alentours) de citer tous ceux qui ont contribué de façon significative à la controverse. En 1825, on trouve par exemple The Claims of Ossian Examined and Appreciated: an Essay on the Scottish and Irish Poems Published under That Name; in which the Question of Their Genuineness and Historical Credit Is Freely Discussed: Together with Some Curious Particulars Relative to the Structure and State of Poetry in the Celtic Dialects of Scotland and Ireland, dont l'auteur (Edward Davies) avait presque soixante-dix ans… On se figure difficilement la passion et l'hystérie autour du sujet.
Certains le considéraient comme l'égal ou le supérieur d'Homère (au passage, Macpherson publie sa traduction de L'Iliade avec un certains succès en 1773), et sa pénétration dans toute l'Europe fut considérable ; en particulier en Allemagne, où Herder fonda grandement sa théorie de la poésie populaire sur la foi de l'exemple d'Ossian, où Lenz traduisit Fingal en allemand, où Tieck en fit des imitations dans sa jeunesse (pour ne pas mentionner l'admiration, voire l'influence sur Goethe, Schiller, Claudius, Matthisson, Kosegarten ou Hölderlin. Bien sûr, la querelle faisait rage là aussi, et Jacob Grimm et les frères Schlegel postulaient au contraire l'imposture de Macpherson.
Aujourd'hui, il est établi que Macpherson a essentiellement utilisé des fragments de poèmes irlandais anciens (même pas spécifiquement écossais) qu'il a très largement enrichis, et surtout réorganisés dans cette grande forme épique (qui n'a pas du tout existé ainsi). Il existe d'ailleurs un certain nombre d'approximations et de déformations dans les attributions des différents personnages – que ce soit pour imiter la liberté des anciens Grecs, par manque de rigueur ou par licence poétique personnelle.
Pourquoi m'attardé-je sur tout cela ? Parce qu'en 1806, si l'on n'est pas encore assuré du statut réel d'Ossian, il passionne toujours, 45 ans après sa première publication… et l'on a déjà des doutes très étayés sur l'authenticité de la matière de Macpherson.
Et je crois que cela a un impact non nul sur la constitution du livret, dont je vais à présent faire état.
4. Ossian dans le théâtre lyrique français
Au début du XIXe siècle, plusieurs œuvres se succèdent : d'abord, dans un grand genre qui annonce grandement le grand opéra à la française (cinq actes et non plus trois, des divertissements, de grands moyens), Le Sueur (autre musicien-clef de l'Empire) propose Ossian ou Les Bardes (débuté dès 1795, donné en concert en 1802 sous le titre étrangement ballet-Louis XV Les Fêtes du Palais de Selma, puis créé en version scénique en 1804), pour l'Opéra de Paris (alors Académie Impériale de Musique). L'œuvre a un certain écho – je ne l'ai pas lue, mais je me suis laissé dire qu'Alexandre Drawicki (directeur scientifique et artistique du Palazzetto Bru Zane) ne trouvait pas essentiel de la remonter (il est vrai que Le Sueur n'est pas le musicien le plus passionnant de la période) –, et suscite même plusieurs parodies (Oxcessian – pour « Oh, que c'est sciant » – et Ossian Cadet ou Les Guimbardes, vaudeville en trois petits actes qui n'en font qu'un). Il faut dire qu'en plus de dispositifs scéniques (pour les apparitions fantomatiques des héros et des bardes à l'acte IV, une gaze rétro-éclairée qui fit grand effet), les moyens musicaux étaient aussi inouïs, au moins en termes d'effectifs (je n'ai pas encore eu le temps d'ouvrir la partition) : 12 harpes requises pour l'hymne au soleil levant !
Le sujet est largement tiré de Calthon and Colmal, et Ossian lui-même tient le rôle du jeune premier : sa fiancée Rosmala est menacée d'être ravie par les méchants Scandinaves adorateurs d'Odin qui déferlent sur la Calédonie – mais nous ne sommes pas encore dans le grand opéra meyerbeerien, la fin reste conventionnellement heureuse et se conclut, après une victoire militaire des calédoniens, par le plus légitime des nœuds. La structure du livret de Paul Palat-Dercy (complété par Jacques-Marie Deschamps) est celle d'une grande œuvre ambitieuse en cinq actes, forme rare pour la période – je n'en vois pas d'autres exemples dans les œuvres, du moins passées à la postérité ou que j'ai pu lire, avant la naissance du grand opéra à la française, à la fin des années 1820. Autrement dit, une œuvre particulièrement ample, dont les dimensions comme la structure évoquent la tragédie en musique de format Louis XIV ou Régence… une façon on ne peut plus prestigieuse et sérieuse de présenter la matière de Macpherson.
Un extrait suspendu de l'acte IV de l'opéra de Le Sueur.
Lorsque Méhul écrit Uthal (création en 1806), c'est pour la maison de l'esthétique opposée, l'Opéra-Comique, qui propose à son tour sa vision de l'épopée ossianique : à l'inverse de la commande de l'Opéra (de Paris), tout tient en un acte, bien qu'on puisse facilement y établir trois tableaux successifs (palais, falaise au bord de la mer, palais). Et, bien sûr, au lieu d'être entièrement chantée, l'œuvre musicale est entrecoupée de dialogues.
La proximité des créations a entraîné des soupçons sur le livret de Saint-Victor, plusieurs fois accusé d'avoir copié le livret écrit pour Le Sueur – je n'ai pas pris de la temps de faire la comparaison, le sujet étant assez périphérique à Uthal lui-même, mais la trame est en tout cas assez sensiblement différente.
On aura tout loisir d'épiloguer sur cette œuvre, mais dans le registre de l'influence lyrique française, on peut remarquer cette cantate de Méhul Le Chant d'Ossian, écrite en 1811 pour célébrer la naissance du Roi de Rome – et qui ressemble en réalité plus à un Prologue lullyste qu'à une œuvre dramatique. Ossian est convoqué pour servir de caution, asseoir une légitimité, mais n'est pas du tout caractérisé en tant que tel : « Pour chanter ce que tout présage / Illustre enfant ! tout doit s'unir : / Tu seras pour l'âge à venir / Ce que ton père est pour notre âge ». On aurait pu y mettre Orphée, Chrétien de Troyes ou Dante, c'était pareil : aucune couleur locale, uniquement une figure forte, légitime, à la fois ancrée dans la profondeur des âges et tout à fait à la mode, qui sert de parrain à l'enfant et au futur du régime.
[Tout amateur d'opéra se dit aussi, bien sûr, qu'il y aura, à une tout autre époque (1887), le plus célèbre legs ossianique du théâtre lyrique, avec l'air incontournable de Werther dans l'opéra de Massenet , « Pourquoi me réveiller », censé représenter une lecture d'une traduction amateur d'Ossian – qui sert de truchement à ses sentiments, évidemment. Mais en l'occurrence, c'est sans doute davantage une révérence à Goethe qui cite lui aussi Ossian qu'un intérêt trop vif pour les poèmes de Macpherson, pour lesquels l'intérêt comme la crédulité se sont sensiblement émoussés à la fin du XIXe siècle.]
5. L'histoire d'Uthal, (beau-)fils ingrat
Tous ces prolégomènes autour d'Ossian, malgré l'intérêt quasi-extatique que je ne doute pas avoir suscité, avaient un objet précis : Saint-Victor, le librettiste, prend des libertés considérables avec l'original. Cela n'a jamais été interdit, et encore moins pour un opéra comique, fût-il sérieux… Mais à ce point, je me suis demandé si les doutes sur l'existence du barde post-homérique n'avait pas autorisé une très libre adaption qu'on aurait hésité à faire d'Homère, Ésaïe ou Virgile – en tout cas à cette date (car si l'on songe au Noé d'Halévy, même s'il fut refusé par l'Opéra de Paris qui l'avait commandé pour 1860, on se rend compte qu'il n'y avait pas nécessairement de sujet sacré).
Contrairement à ce que dit la notice de Gérard Condé dans l'excellente présentation du site des Talens Lyriques (si je l'avais vue avant, j'aurais pu me dispenser de cette petite balade – je me console en me disant que la perspective n'est pas tout à fait la même, ni les sources manifestement…), qui attribue l'essentiel du sujet au poème The War of Inis-thona, l'essentiel de la matière provient de Berrathon, avec énormément d'altérations qui, pour la plupart, ne se trouvent pas non plus dans Inis-thona. [Néanmoins, cette notice et le reste de la documentation fournie par Bru Zane sont vraiment passionnantes, et comme elles ne recoupent que partiellement le sujet de cette notule, il faut lire l'une et les autres.]
The War of Inis-thona raconte (très succinctement !) l'histoire d'un roi (Annir) chassé par Cormalo qui lui a ravi sa fille, et remis sur le trône grâce à la valeur d'Oscar. L'opération, une fois la promesse faite, tient en fort peu de place :
They came over the desert like stormy clouds, when the winds roll them along the heath; their edges are tinged with lightning; the echoing groves foresee the storm! The horn of Oscar's battle is heard; Lano shook over all its waves. The children of the lake convened around the sounding shield of Cormalo. Oscar fought as he was wont in war. Cormalo fell beneath his sword: he sons of dismal Lano fled to their secret vales! Oscar brought the daughter of Inis-thona to Annir's echoing halls. The face of age is bright with joy; he blest the king of swords.
« Cormalo tomba sous les coups de son épée », et c'est tout. Règle assez universelle : plus c'est épique, plus c'est économe. (l'inverse n'étant surtout pas valable)
Il y a là certes plus ou moins le synopsis (banal) d'Uthal, mais rien des détails. Ceux-là se trouvent dans Berrathon, de pair avec une trame proche ; très beau poème assez subtilement construit, et dont la matière va nourrir les fantaisies de Saint-Victor.
Le contenu du livret est simple : Uthal a épousé Malvina, mais jugeant son beau-père Larmor trop âgé, il l'a déposé (et vaincu) pour prendre sa place. Malvina, après avoir imploré l'autre (premier « tableau ») et l'un (retrouvant son époux rebelle lors d'un étrange quiproquo sur une colline surplombant la plage), les voit reprendre les armes : Larmor reçoit des renforts de Fingal (le père d'Ossian, nommé dans la plupart des poèmes, envoyant ses guerriers rétablir la justice), et laisse Uthal, qu'il trouve seul auprès de sa fille, rejoindre ses guerriers pour mener une dernière bataille en nombres équitables. [Quand on y songe deux secondes, c'est quand même une étrange générosité que celle de la guerre : autant tuer le maximum de gens qui n'ont rien à voir dans leur querelle au cours d'une vraie bataille rangée… mais comme les autres personnages ne chantent pas, on s'en fiche un peu, à vrai dire.]
La troisième partie de l'acte voit Uthal, prisonnier, aux pieds de Larmor : celui-ci prononce non pas la mort, mais la flétrissure et le déchirement de l'exil. La jolie fin heureuse advient grâce à Malvina, qui après être restée aux côtés de son père injustement persécuté, prend à nouveau sa place au côté du malheureux, son mari – Larmor, ému de la perdre, pardonne à Uthal qui présente des excuses, et tout le monde chante un ensemble de réconciliation très décoratif.
Le poème d'origine est très altéré par le synopsis de Saint-Victor. Berrathon, du nom de l'île que régit Larthmor, débute par une élégie sur la mort de… Malvina, fille de Toscar (ami d'Ossian dont il va être question dans le reste du poème).
« où est la fille de Toscar ? — J'ai longé, ô fils de Fingal, les murs moussus de Tarlutha. La fumée du foyer s'était tarie : le silence était parmi les arbres de la colline. Les échos de la chasse avaient cessé. J'ai vu les filles de l'arc. Je les interrogeai sur Malvina, mais elle ne répondirent pas. Elles détournèrent la tête : un voile passa sur leur beauté. »
(Moi, je crois – sans même mentionner la finesse de la composition – que les ''mossy walls'' m'auraient mis la puce à l'oreille sur la date réelle du texte, mais je préjuge sans doute de mes forces.)
Malvina n'est donc pas un personnage de l'épopée, mais un personnage féminin lié aux tourments : l'élégie constitue vraiment un petit moment autonome au début du poème, de l'assez belle poésie en forme d'éloge, un peu rituelle, sur un modèle archaïque.
La jeune femme délaissée par Uthal existe, mais elle n'est ni sa femme, ni la fille du roi déposé : avant même de rencontrer quiconque, Toscar (le père de Malvina), et Ossian, encore jeune (« Les batailles de notre jeunesse furent nombreuses » ou encore « Un sanglier jaillit de la forêt ; ma lance perça son flanc. Je me réjouis de ce sang, et prévis ma renommée grandissante. »), entendent les chants de Nina-thoma, séduite et délaissée par Uthal – Toscar semble particulièrement intéressé.
… où l'on voit le fils de Fingal rendre visite à une jeune fille qui vit dans une grotte. (je m'amuse comme je peux)
J'aime assez l'image de cette voix « douce mais chargée de deuil, comme celle des bardes qui ne sont plus ». Nina-thoma n'a pas de rôle direct dans l'intrigue, mais elle va apporter un comble au pathétique final.
Après l'élégie sur la tombe de la Malvina, Ossian rapporte le sort de Larthmor, jeté dans un cachot par son fils (et non son beau-fils), le blond Uthal, « l'amour de mille jeunes filles ». Averti par Snitho, ami de Larthmor, Fingal envoie Toscar et son fils Ossian (qui raconte l'épisode) de Selma à Berrathon.
Uthal est ici présenté comme un rebelle contre nature, aucune empathie n'est recherchée – pas du tout le guerrier maudit déchiré entre l'amour de son épouse légitime et sa fierté de combattant. « Superbe était le fils de Larthmor! mais son âme était sombre. Sombre comme la face trouble de la lune, lorsqu'elle annonce l'orage. » Après quelques échanges de défi entre bardes, c'est la bataille.
Bien qu'en butte à des nombres supérieurs (« L'ennemi vint à nous comme une vague » – par ailleurs, même si on ne peut les supposer sans escorte, seuls Toscar et Ossian sont mentionnés…), les envoyés de Fingal défont les hommes d'Uthal au cours d'un affrontement dense (homme contre comme, bouclier contre bouclier, parmi les dards volants, les croisements de fers et le bruit du rebond des lances), Ossian occit Uthal (« Te voilà abattu, jeune arbre ! » – je ne veux pas surtraduire, mais il faudrait évidemment en français en faire une pousse ou en nommer un…).
L'éditeur de cette édition édimbourgeoise de 1792 (donc une trentaine d'années avant les premiers succès et débats autour des épopées fingaloises), que je n'ai pas réussi à identifier avec certitude (sont-ce des annotations de Macpherson lui-même, reprises dans cette édition augmentée, ou celles de Hugh Blair, professeur de rhétorique et de belles-lettres à l'Université d'Édimbourg, qui clôt l'ouvrage par une « dissertation critique » sur Ossian ?) d'utiliser un argument que je n'ai pas mentionné jusqu'ici, en faveur de l'existence réelle de ces poèmes : la moralité. Les héros pleurent la mort prématurée de leurs ennemis au lieu d'outrager leurs cadavres, pratique « si commune chez Homère, et après lui servilement copiée par tous ses imitations, le tendre Virgile non excepté ».
Ce n'est ici qu'un jugement de valeur incident, au passage d'une note soulignant la coutume des combats anciens ; mais dans la dissertation critique qui suit, Blair déploie la portée de l'argument jusqu'à l'associer à la supériorité (et donc la véracité) d'Ossian sur les autres grands poètes, notamment au fil d'une comparaison entre les caractères de Fingal et d'Othello (!) – Othello réagit trop tard, est submergé par l'émotion, alors que Fingal (un instant égaré en appelant son fils Ryno, mort au combat, pour une partie de chasse), se maîtrise en héros qu'il est.
Plus vertueux, donc reflet de temps plus anciens, donc véritable. Une logique qui nous échappe mais qui n'était pas isolée en ce temps : bon = vrai.
Après la mort d'Uthal, qu'on peut alors difficilement réunir à une femme qu'il n'a de toute façon pas, Nina-thoma meurt sur-le-champ (et sur le champ, d'ailleurs) d'affliction. On voit bien la difficulté d'aboutir sur une fin heureuse.
Assez beau moment, une sorte de ralenti littéraire : « Elle parut, pâle derrière ses larmes, et vit le bouclier ensanglanté d'Uthal ; elle le vit dans la main d'Ossian ; ses pas se tournèrent vers la lande. Elle y vola ; elle le trouva ; elle chut. Son âme la quitta dans un soupir. »
Et toujours cette jolie étrangeté d'Ossian présenté dans son propre récit tantôt à la première, tantôt à la troisième personne (indépendamment de l'époque de sa vie) : « Ossian's hand » et « My bursting tears » se succèdent ainsi.
Néanmoins le vieillard Larthmor est libéré, et l'on festoie dans son palais retrouvé, lui faisant accroire que son fils s'était retiré dans les bois, chargé de regrets. Mais en reconduisant ses sauveurs, il aperçoit la tombe sur la lande de Rothma où a eut lieu le combat :
« Qui, de mes héros, repose ici ? » Devant le silence, Larthmor comprend et se lamente, se plaint même d'avoir recouvré son trône, fût-ce au prix de sa propre liberté – dans un cachot où il aurait pu entendre de loin l'écho de ses pas.
On voit bien que la fin, baignée dans le plus pur désespoir d'un sauvetage inutile, est très éloignée des assauts de générosité et du chœur de concorde qui closent le livret de Saint-Victor : le fils impénitent est bel et bien mort, et son père s'en désole pour jamais. Néanmoins, on sent bien dans cet apitoiement l'esquisse de réconciliation qui, dans un contexte théâtral traditionnel, peut être attendu.
En tout cas, malgré son propos bien plus sombre et riche, Berrathon constitue un modèle beaucoup plus évident que La guerre d'Inis-thona pour cet Uthal de Méhul.
Autre originalité, le poème d'Ossian se clôt par un envoi étonnant, qui annonce la mort du vieil Ossian lui-même (qui s'est montré distant de son jeune lui-même pendant tout le poème, alternant les première et troisième personnes pour se désigner, même en dehors des dialogues) : son compagnon d'armes Toscar (père de la Malvina tôt fauchée et pleurée en ouverture du poème) est déjà parti sur un nuage, et la voix d'Ossian paraît, dans Lutha abandonnée, l'écho lointain du vent… seuls demeurent ses chants de la geste d'autrefois – là aussi, cette distance par rapport à soi-même fait bien sentir le caractère (remarquable mais) factice de ce corpus.
« My harp hangs on a blasted branch. » Pourrait-on mieux résumer à la fois le style et le ton des épopées de Macpherson ?
Les dernières lignes dévoilent la mort de Fingal et la fortune future des chants à sa gloire.
Au fil de ces extraits, utiles pour situer à la fois la matière, le style, la nature du coloris recherchés par Méhul, on se rend assez bien compte, me semble-t-il, d'une des vertus du legs du pseudo-Ossian, essentielle pour sa fortune future : outre un sens du style (et un raffinement structurel !) assez supérieur à ce qu'aurait été une œuvre ancienne constituée de strates d'oralité, répondant à d'autres codes esthétiques que les notres, on remarque l'assez grande facilité de lecture. Ces poèmes sont élégants, mais simples à lire : aussi, en Allemagne évidemment, mais également en France, on les a beaucoup lus, même avant qu'on les traduise proprement… et quantité de traducteurs, plus ou moins compétents, plus ou moins sérieux, plus ou moins fantaisistes, ont proposé, officiellement ou dans leurs propres cercles, leur propre version (en prose, en prose rythmée, en vers ; raccourcissant, amendant, réorganisant les matières…) des inventions de Macpherson.
Aujourd'hui encore, ils demeurent faciles d'accès… Et leur désuétude tient grandement, je le crains, à la déception face à l'inauthenticité de leur origine.
C'est pourquoi je me suis permis de flâner un peu complaisamment dans leurs beaux alentours : c'est une fréquentation décidément très agréable.
6. Quelques adaptations nécessaires
Dans cette riche source, il a fallu faire des choix, littéraires bien sûr, mais aussi structurels.
D'abord, Ossian et Toscar (le père de Malvina dans les textes d'origine) sont absents. Larmor n'est pas prisonnier, seulement défait en bataille et avide de vengeance – Uthal étant ici son ennemi, entré dans la famille par effraction en épousant sa fille Malvina. Les guerriers de Fingal sont bel et bien envoyés au service de sa cause juste, mais (même s'ils apportent, in fine, la victoire, ce qui prend tout son sel en ayant lu l'original où tout est narré de leur point de vue) ils ne sont figurés que par un chœur ; chœur plutôt terrifiant, en plus, car il incarne les peurs de destruction familiale de Malvina, et menace Uthal (les deux personnages dont le livret nous rend les plus proches).
Bref, même s'ils refusent généreusement d'attaquer un ennemi traîtreux mais isolé, ils sont assez peu sympathiques, et absolument pas différenciés.
Pour le reste, Saint-Victor utilise un livret versifié même dans les dialogues, essentiellement en alexandrins – assez bons d'ailleurs : ce n'est pas du niveau de Clément (superbe Médée syncrétique, recommandée !) ou des autres grands auteurs qui écrivaient du théâtre pur à la même époque, mais dans le cadre d'une alternance avec de la musique, ils ont à la fois suffisamment de simplicité pour être efficaces dans l'avancée avec l'action, et suffisamment de densité pour ne pas paraître ridicules face à la prose attendue.
Comme souvent chez Méhul (voyez Joseph, parmi les rares titres qui se trouvent aisément…), les « numéros » musicaux comportent beaucoup d'ensembles et contiennent dans plusieurs cas des structures complexes et déséquilibrées, faisant s'enchaîner du récitatif accompagné, des airs, des ensembles… Le tout enchâssé comme dans du Meyerbeer, avec des transitions pas toujours nettes (un aspect qui avait beaucoup déstabilisé Berlioz dans Robert ou les Huguenots). Déjà une tradition du flux naturel à la française – qui existe depuis Lully, de toute façon, mêlant de façon purement soumise au théâtre (ne cherchant pas du tout à rejoindre une macrostructure musicale abstraite) les ariettes au récitatif plus ou moins accompagné. Et cela perdure bien au delà : même chez Verdi, qui était quand même rompu aux airs clos (quitte à les intégrer très finement), les airs deviennent quelquefois étrangement faits dans ses opéras français (témoin le monologue de Philippe II, dont les thèmes principaux reviennent de façon tout à fait asymétrique, au milieu de sections plus récitatives, de caractère très différent et jamais répétées).
Parmi les bizarreries, les interventions des bardes (quatre voix du ténor à la basse, tantôt ensemble, tantôt laissant la parole au baryton solo) qui annoncent la fin de l'action peu de temps avant le dénouement, au moyen d'un chant supposément consolateur, mais qui se contente de changer les noms avec la couleur locale nécessaire :
Près de Balva, sur le nuage,
Je vois deux fantômes assis ;
C’est un père épuisé par l’âge
Qui sur son cœur presse son fils.
Hidallan jadis fut coupable ;
Il bravait un père offensé.
Le vieux Malthos inexorable
De son palais l’avait chassé.
[...]
Il court au chef dont le courage
À son aspect s'évanouit
Et le vieillard bouillant de rage,
Ne sait pourquoi son cœur frémit.
Quel est donc son jeune adversaire ?
C’est son fils qui s’offre à ses coups.
Il peut punir, mais il est père ;
Pardonner lui sembla plus doux.
Et comme toute prédiction, dans une fiction, ne saurait être gratuite (si on y passe du temps, c'est pour qu'elle ait une place signifiante dans la suite du récit), il n'est pas besoin d'être grand clerc pour deviner le caractère abysmatique – pour ne pas dire spoilerisant – du chant des bardes.
Bien sûr, la fin aussi, avec son quatuor vocal de solistes ajouté aux quatres bardes et aux chœurs, ne laisse pas de surprendre : cette fin heureuse est traditionnelle, certes, mais entendre le final de Rinaldo, Così fan tutte ou La Clemenza di Tito à la fin d'un nébuleux drame néo-gaélique a quelque chose d'insolite, même en le remettant en contexte des goûts du temps – la création à l'Opéra-Comique n'est pas sans effet sur ce type de contrainte structurelle. Avantage : il fait un joli bis assez évident à trouver pour clore une courte représentation (1h15 sans couper les dialogues !), plus facile que si tout le monde mourait, évidemment.
7. Spectre et équilibres
La grande innovation, très remarquée lors de la création, et très-remarquable dans la salle, tient dans l'absence absolue de violons : la nomenclature de l'orchestre ne contient comme « dessus » que des quintes de violon (que nous appelons aujourd'hui violons altos), divisés en deux groupes. Ce choix produit plusieurs effets, volontaires mais aussi induits.
¶ Le but est de créer un timbre voilé, une atmosphère un peu rauque et brumeuse, archaïsante et ténébreuse comme les poèmes d'Ossian. Le pari est assez réussi, même si le langage musical demeure grandement celui du temps : les couleurs harmoniques demeurent assez claires et simples, le romantisme y sied davantage dans le projet littéraire que dans la musique elle-même.
Néanmoins, dès l'Ouverture, on perçoit cet équilibre sonore inhabituellement dense et sombre, accentué par le jeu sur le chevalet des musiciens des Talens Lyriques, allant chercher une couleur un peu résonante et orageuse assez originale.
¶ En matière d'écriture pure, cette nouvelle disposition de la nomenclature entraîne une différence considérable par rapport à l'orchestre standard : il manque la ligne des altos (les deux pupitres d'alto occupant les parties traditionnellement dévolues aux violons I & II) et, de fait, les violoncelles ne jouent pas le même rôle, même dans Uthal, que le remplissage harmonique et rythmique des altos habituels. Et cela s'entend légèrement : l'équilibre des voix paraît un peu plus sommaire qu'à l'ordinaire, moins complet.
¶ On se rend compte de l'utilité de la tessiture des violons pour tenir des lignes mélodiques : le spectre harmonique apparaît un peu bas et diffus, les lignes ne sont plus aussi nettement audibles – comme si l'on avait tout transposé vers le pas.
¶ Enfin, et c'est l'effet induit le plus fâcheux, les timbres des chanteurs sont rapidement happés par l'orchestre : celui-ci joue en effet exactement dans les mêmes fréquences que la voix humaine, en particulier masculine, alors que les violons se situaient plus haut. C'est en particulier évident pour Jean-Sébastien Bou avec sa voix placée en arrière, peu dans les résonateurs faciaux : elle est puissante, mais n'a pas les harmoniques hautes pour se distinguer de l'orchestre, si bien que les deux se mêlent de façon un peu confuse.
Cela rejoint grandement les commentaires du temps (réunis ici, là et là), qui tantôt applaudissent à l'originalité de la couleur locale vraiment différente, tantôt sont gênés par le déséquilibre du spectre sonore qui en résulte.
Autre caractéristique, pupitre de cors assez généreux (deux en fa, deux en ut), et assez souvent sollicité.
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8. Autres spécificités musicales
L'œuvre, quoique à la pointe de son époque, n'est ni le chef-d'œuvre de la période (il faut absolument écouter Adrien de Méhul pour la fusion absolue entre musique et urgence dramatique, et Sémiramis de Catel avec les mêmes qualités et une invention musicale particulièrement prégnante – les deux se trouvent dans d'excellentes interprétations, en dématérialisé pour l'un, en livre-disque pour l'autre), ni l'œuvre la plus audacieuse de Méhul, malgré son dispositif original.
On y retrouvera beaucoup d'imposés de la tragédie en musique rénovée post-Gluck, même si le style s'en est beaucoup romantisé (les trémolos, par exemple, ont remplacé les fusées sur battues de croches pour susciter la tension – il suffit de comparer avec l'Amadis de Bach !).
À l'inverse de la tragédie en musique de « quatrième école », le canevas harmonique de Méhul est assez riche (on pourrait parler de « cinquième école », celle qui précède, voire inclut Spontini, avant que le drame romantique et le grand opéra ne prennent définitivement la relève, avec une codification assez distincte). Quelques modulations assez surprenantes figurent ainsi dans le premier grand ensemble et le chœur qui s'ensuit (deuxième tableau, sur la grève, avec les guerriers de Fingal).
Quelques instants nous transportent encore plus loin, comme le chœur de guerre qui évoque irrésistiblement des chasseurs weberiens (créant un décalage, du fait de l'évolution des styles, assez piquant pour l'auditeur d'aujourd'hui qui a d'abord découvert le procédé dans une scène badine du Freischütz !) ; mais, pour l'essentiel, le langage demeure savant mais sans surprises ni coups de génie majeurs. C'est peut-être justement cet aspect « air du temps » qui peut donner envie d'y consacrer une notule un peu plus vaste qu'à l'accoutumée, tant l'œuvre sert de belle occasion à se balader dans les matières littéraires et musicales du temps.
On trouve d'ailleurs, jusque dans le texte, des échos amusants avec la mode : « brave vengeur d'une juste querelle », évidemment, mais aussi des bardes consolateurs comme des confidents d'opéra ou des bouts de vers extrêmement fréquents sur la scène lyrique (du fait de leur valeur très visuelle et de leur concsion), comme « suivez mes pas » (tout un chœur est fondé dessus dans Sémiramis de Catel, par exemple – où, naturellement, il rime avec « trépas », ce qui est techniquement de qualité discutable).
Noté aussi quelques bizarreries prosodiques, dans les moments de grande égalité des valeurs (les blanches qui scandent l'harmonie à la fin d'un grand numéro, par exemple), avec des appuis étonnants (que n'aurait assurément pas osé Lully, et peut-être pas même Gluck) sur des déterminants (« leeeeeeeeeeeeeeeeeeees déserts », « duuuuuuuuuuuuuuuuuuuuu malheur »). C'est peut-être le plus insidieux indice de la fin de la tragédie en musique : la recherche musicale va définitivement primer sur le respect du texte, et l'opéra français va finalement moins se distinguer des autres modèles européens.
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9. Héros & interprètes
Les deux semblent se confondre, tant les présents sont assez fortement spécialisés à la fois dans l'exhumation de raretés et dans la restitution informée de ce style précis.
À tout seigneur tout honneur, les Talens Lyriques, en forme comme jamais ; décidément, après un début et milieu de décennie 2000 marqué par un tropisme vers une forme d'indolence, Christophe Rousset a retrouvé ces dernières années toutes ses qualités, et même davantage. L'œuvre virevolte, avec plus de couleur qu'à l'habitude, et l'on ressent en particulier dans cette œuvre au spectre harmonique un peu bas et massif tout l'intérêt de la lisibilité absolue des timbres d'instruments naturels – au lieu de se fondre en une pâte homogène comme avec les instruments modernes, ils se justaposent sans se mêler au contraire, ce qui permet d'entendre sans difficulté chacun d'entre eux, même avec un effectif relativement important.
En l'occurrence, du côtés des cordes, on avait 8 altos I, 6 altos II, 5 violoncelles et 3 contrebasses.
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(La suite, après l'inspection des sources, parcourant l'adaptation pour le livret ; la structure et les particularités de l'œuvre ; la nature de l'interprétation proposée à Versailes, est en cours de préparation, mais ceux qui rafraîchissent CSS tous les jours auront pu commencer à lire. Così sia premiata la fedeltà, dirait un satrape vertueux ou un tyran romain d'opéra seria. Bien sûr, je ne dirais jamais rien de tel pour ma part, je réprouve trop la cuistrerie.)
Comme chaque année, novembre est un mois particulièrement riche en découvertes potentielles… faites votre marché !
1er — Saint-Louis-en-L'Île, 16h — Polyphonies géorgiennes. Un beau répertoire qui mérite d'être découvert.
2 — Musée d'Orsay, 15h — Les Lunaisiens, l'ensemble d'Arnaud Marzorati, proposent les chansons du pacifisme de 1840 à 1918 (j'espère un disque, même si l'émission lyrique de Marzorati n'est pas idéale du tout pour les détails expressifs du répertoire chansonnier).
4 — Versailles — Scylla & Glaucus de Leclair par Les Nouveaux Caractères. Un opéra du milieu du XVIIIe, mais où la déclamation prime encore sur la galanterie, malgré la présence abondante de (très belles) danses. Les invocations infernales de Circé sont particulièrement impressionnantes, il n'y a guère que Charpentier qui puisse s'y comparer, dans sa Médée (mais plus de soixante ans les séparent !).
4 — Centre Culturel Tchèque — Dagmar Šašková interprète des chansons jazzistiques de compositeurs tchèques : Jaroslav Ježek, Josef Kainar, Jiří Suchý & Jiří Šlitr, Jiří Bulis, Milan Dvořák.
4 — Saint-Quentin-en-Yvelines — Le Winterreise mis en scène par Oida dans le bel arrangement chambriste de Nemoto, avec le très grand schubertien Samuel Hasselhorn et Didier Henry (toujours en grande forme).
En tant que spectateur, on a sans doute tendance à faire trop confiance à ses goûts : j'étais déçu de la saison de l'Opéra de Paris (je vais même probablement faire le voyage à Lyon pour voir Rusalka, plutôt que la production locale !), mais en fin de compte, il y a tellement à faire qu'on est bien content que toutes les salles ne proposent pas la même densité que Versailles en chefs-d'œuvres incontournables ou que l'Athénée en dispositifs intrigants.
On se retrouve d'ailleurs face au choix d'explorer à fond un domaine qui nous plaît — dans ce cas, en voyageant un tout petit peu, rien qu'en France, on peut être comblé ! — ou de varier les plaisirs (dans ce cas, le temps manque rien qu'à Paris). Je suis plutôt dans la seconde perspective (il y aura donc Decaux, Menotti, Uthal, Amendoeira et Bobby & Sue), mais pour ceux qui souhaitent plutôt approfondir la première, voici de quoi vous occuper un peu l'année prochaine.
Comme l'an passé, en gras les œuvres peu données et particulièrement intéressantes, en souligné les distributions très alléchantes.
Pour des considérations sur l'œuvre elle-même, on peut se reporter aux notules citées dans celle-ci.
La fin de l'acte III, le début de l'acte IV, la fin de l'acte V à Avignon.
1. L'œuvre à l'épreuve de la scène
Tancrède a été l'une des œuvres les plus reprises, hors Lully, de l'histoire de l'opéra d'Ancien Régime. Il y a peu d'autres exemples de tels succès (et un autre sera redonné l'an prochain). On se rend mal compte, sans doute, des critères qui ont poussé au succès ou à la chute des œuvres, surtout dans cette période étrange de la fin du règne de Louis XIV et de la Régence, où, libérés de la nécessité de plaire directement au Prince, les créateurs pouvaient explorer de nouveaux aspects : les œuvres dotées de bons livrets tombaient parce que trop audacieuses (musicalement surtout), tandis que les pastorales et les opéras ballets à entrées triomphaient. Tancrède est l'une des rares œuvres à sujet sérieux de cette période qui ait remporté un succès réellement éclatant.
L'apparition de l'Ombre de Didon dans Énée & Lavinie de Collasse (bel opéra, sur un remarquable livret de Fontenelle). Dessin de Jean Berain à la plume (encre brune), au lavis gris et brun, avec des traces de pierre noire (1690). Sélectionné pour illustrer les enchantements de la forêt à l'acte III.
Pour notre époque qui déprécie les formes récurrentes (l'une des vertus capitales des artistes étant l'innovation, concept qui de plus en plus central depuis le XIXe siècle), il est difficile de prendre du plaisir à ces ballets interruptifs trop divertissants (même si les librettistes s'efforcent de les rattacher à l'action, ils ne sont presque jamais des pantomimes, et encore moins des paroxysmes dramatiques), particulièrement les pastorales un peu molles, exaltant un cliché champêtre qui n'a plus de sens pour nous.
De même pour les répliques trop stéréotypées, pourtant absentes du théâtre classique, et délibérément utilisées sur la scène chantée pour permettre l'intelligibilité du spectacle même en manquant des mots.
Aussi, expliquer le succès singulier de Tancrède n'est pas évident. En revanche, sa construction vers de plus en plus d'intensité dramatique et musicale, simultanément, ne fait pas de doute, et a peut-être contribué, par l'émerveillement surpris et la suffocation qu'elle suscite, à l'accueil favorable de l'ouvrage. Je m'interroge davantage sur les reprises répétées, car tout ne me semble pas de la même eau.
Prologue très faible (on a même peine à écouter ce qui se dit), actes I et II laborieusement exposés (il ne se passe carrément rien d'important au I, qui n'aurait pu se mentionner en deux répliques au II), et sans musique marquante. Acte III largement occupé par la pastorale – ce qui est même, d'une certaine manière, un défaut de construction dans l'acte-pivot.
C'est à partir de la fin de l'acte III (affrontement impitoyable entre les deux amantes) que la veine mélodique, tout à fait absente jusqu'ici, commence à s'épanouir, et continue d'éclore dans l'acte IV d'amours et d'enfers, et bien sûr dans l'acte V guerrier où éclate le désespoir final en de multiples thèmes très entraînants.
Aussi, à l'entracte de mi-parcours, on a plus ou moins l'impression d'assister à une œuvre assez banale – ou, si l'on connaît déjà l'ouvrage, d'attendre que les choses sérieuses commencent.
Et pourtant, les moments de bravoure sont nombreux au total : duo d'affrontement au III (incluant notamment un air grave mais dansant avec flûte soliste simultanée, à l'italienne, et une grande déclamation, assez lullyste, de Clorinde seule), le célèbre « Sombres forêts » et le duo d'amour au IV, les récitatifs de Tancrède entrecoupés de trompette au V, et le dénouement terrible.
C'est un peu le syndrome Amadis : on s'interroge un peu au début, mais le tourbillon des deux derniers actes est tels qu'il contient le meilleur de leurs auteurs respectifs.
Pour le détail des contenus (l'usage des tessitures, les autres œuvres du temps, l'écriture musicale), je renvoie à nouveau aux notules précédentes.
2. État de l'œuvre à Avignon et Versailles
Je me contredirai néanmoins sur un point : pour la première fois, je n'ai pas ressenti l'homogénéité du langage musical, mais au contraire la grande disparité de l'ensemble, ou plus exactement la volonté de Campra de montrer la totalité des possibilités d'un opéra. Ariettes italiennes jusqu'au cœur de l'action chez les personnages principaux (rarissimes à cette date, peut-être même une première), pastorale dans quasiment tout l'acte III, scènes infernale et amoureuse juxtaposées à l'acte IV, et toutes les trompettes & timbales de l'acte V, absentes dans les autres actes, même des scènes de lutte.
Voilà qui a dû concourir au succès : l'impression d'exhaustivité des techniques utilisées par le compositeur.
Frontispice du livret de Roland de Lully & Quinault (un modèle évident, après Amadis, pour Tancrède, avec son héros au bras puissant, distribué à une basse-taille), dessin de l'atelier de Jean Berain à la plume (encre noire), au lavis gris et à l'aquarelle, avec quelques rehauts de gouache.
Pour ces représentations de 2014, il faut signaler la proposition d'une version alternative de la fin de l'ouvrage : au lieu de l'apparition d'Argant pour une séance de devinettes cruelles : « Dans la nuit, Clorinde a pris mes armes... et ta main... tu frémis, tu ressens tes malheurs », Clorinde revoit pour la dernière fois Tancrède, et la révélation a lieu pendant un duo d'amour d'une délicatesse suprême.
Il existe même une troisième fin (écrite avant celle-ci), d'une concision impressionnante, où Clorinde révèle très simplement, sans égards, ce qui s'est passé, tout en affirmant son amour (« Sous les armes d'Argant j'ai caché ton amante »), et où Tancrède n'a pas d'air final : « Elle expire, mourons... / Ah ! malgré votre effort, / Inhumains, la douleur saura finir mon sort ».
La première a été gravée par Malgoire (Erato, épuisé), et dans les extraits de Clément Zaffini (Pierre Vérany, sur instruments modernes). Les deux autres jamais. Difficile de choisir entre Argant et le long duo, qui sont par essence mutuellement exclusifs ; entendre en vrai cette fin alternative était, en conséquence, un enchantement. [Audible en début de notule.]
Toujours la même mission : partager les concerts atypiques que je rencontre en confectionnant mon planning.
Et voici mai, la saison des auditions de fin d'année. Je n'ai mentionné que ceux qui m'avaient particulièrement attié, mais en allant fureter sur les sites des institutions, on peut faire son marché. Tous les concerts dans les conservatoires sont en principe gratuits et libres d'accès.
Mais cette liste inclut également d'autres types de concert, évidemment.
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Jeudi 1er mai - Saint-Louis-en-L'Île, 16h - Musiques de l'Obikhod et musiques traditionnelles russes, par le chœur de jeunes femmes Rimsky-Korsakov de Saint-Pétersbourg. J'y étais le 21 avril, merveilleux.
Vendredi 2 mai - CNSMDP, 19h - Audition de classe de chœur, avec notamment Mompou (Ave Maria, on n'entend pas ça tous les jours !), Tippett, Connesson et MacMillan (le bijou Christus vincit !). Vous y retrouverez notamment Marie Perbost, Axelle Fanyo, Marthe Davost (entendue hier avec la classe de musique ancienne), Fiona McGown, Blaise Rantoanina, Benjamin Woh, et le miraculeux Jean-Christophe Lanièce (extraits sonores). Entrée libre.
Samedi 3 mai - Saint-Louis-en-L'Île, 16h - Konkordien-Kantorei de Mannheim dans Lassus, Bach, Mendelssohn, Brahms, Reger, Martin, Duruflé et Messiaen !
Samedi 3 mai - Salle Pleyel, 16h et 20h - Ballet cambodgien.
Dimanche 4 mai - Strasbourg, 15h - Doctor Atomic de John Adams, l'un des opéras les plus électrisants des quarante dernières années.
Dimanche 4 mai - La Péniche Opéra, 18h - La Bonne d'enfant d'Offenbach, direction Jean-Christophe Keck (qui est en plus du reste un très bon chef).
Lundi 5 mai - CNSM, 19h - Diplôme de musicien interprète.
Lundi 5 mai - CiMu - Concert Reich (dont Desert Music), Kristjan Järvi, MDRSO Leipzig.
Lundi 5 mai, jusqu'au 13 - Châtelet - Adams, A Flowering Tree, œuvre chatoyante autour d'une initiation à l'indienne.
Mardi 6 mai - Versailles - Tancrède de Campra mis en scène.
Mardi 6 mai - CiMu - Le Désert de Félicien David (Droy, Accentus, EOP, Equilbey). Je ne peux pas dire que je recommande ça, mais c'est rare.
Mercredi 7 mai - CRR de Paris, 18h - Audition de musique de chambre.
Mercredi 7 mai - CNSM, 19h - Ensembles vocaux.
Mercredi 7 mai - Versailles - Tancrède de Campra mis en scène.
Mercredi 7 mai - Colline - Début des représentations d'Aglavaine & Sélysette de Maeterlinck, jusqu'au début de juin.
10-12 mai - MC93 - Три сестры en VO, mise en scène Dodin.
Lundi 12 mai - CRR de Boulogne - L'Orestie de Xenakis.
Lundi 12 mai - Opéra-Comique - Début des représentations d'Ali-Baba de Lecocq. Une belle partition joviale, jamais enregistrée. Très belle distribution (Marin-Degor, Talbot, Christoyannis !), il faut seulement espérer que l'association Opéra de Rouen & Laurence Equilbey ne reproduise pas certaines mollesses passées.
Lundi 12 mai - Carreau du Temple - Début de la série La Nuit des rois, adaptation de Markowicz.
Lundi 12 mai - Théâtre de la Ville - Début de la série Le Roi Lear, par le TNP Villeurbanne.
Lundi 12 mai - Amphi Bastille - Lieder de Schumann (dont les Kerner-Lieder) par Michael Volle.
Désarroi d'Herminie à l'acte V : son frère Argant combat Tancrède. Avec une musique hors-scène inspirée de Thésée de Quinault & Lully, autre point commun entre les deux oeuvres. Catherine Dubosc (méconnaissable pour ceux qui sont familiers de ses Ravel) et Jean-Claude Malgoire, tiré du disque Erato capté à Aix-en-Provence.
Décor de la forêt enchantée de l'acte III, dessin à la plume, à l'encre noire et au lavis gris de Jean Berain (un peu de pierre noire et d'encre brune).
1. Retour
Petit événement ce jeudi à Versailles : depuis la production de 1986 de Malgoire et Penchenat (Aix, puis Châtenay-Malabry l'année suivante), on n'avait plus guère entendu Tancrède. Une autre version scénique à Tourcoing avec Malgoire en 2000, et une des nombreuses reprises de grands ouvrages français par Iakovos Pappas à Athènes en 2010.
Le grand public en est donc resté au disque (tout à fait épuisé, Erato oblige) pris pendant les représentations de la re-création. Disque pas totalement convaincant : à cette époque, la Grande Ecurie et la Chambre du Roy ne maîtrisaient pas complètement le style français. Le résultat reste infiniment supérieur à la redoutable Alceste parue chez Auvidis (pourtant ultérieure, et dans une distribution pourtant idéale sur le papier), et tout à fait écoutable, mais l'ensemble ne déploie pas beaucoup de séduction sonore et ne se départit pas toujours d'une certaine raideur - certes pour partie inhérente à l'écriture de Campra.
Cette audition avait donc pour vertu de faire réentendre, avec les acquis sonores stylistiques d'aujourd'hui, une oeuvre qui avait rencontré un immense succès en son temps.
2. Le livret de Danchet
Tancrède, créé en 1702 à l'Académie Royale, est une oeuvre singulière à plus d'un titre.
=> Son sujet est l'un des rares à ne pas être tiré de la mythologie antique, mais de l'imaginaire médiéval. Il n'est pas le premier, et suit en cela les modèles Amadis, Roland et Armide (1,2) de Quinault & Lully, les deux derniers étant respectivement tirés de l'Arioste et du Tasse. Un second pas est franchi avec [Scanderberg|http://operacritiques.free.fr/css/index.php?2009/05/25/1260-evolution-mentalites-scanderberg-antoine-houdar-de-la-motte-jean-louis-ignace-de-la-serre-sieur-de-langlade-sophie-arnould-jelyotte-jeliotte-jeliote de La Motte, La Serre, Francoeur et F. Rebel en 1765, qui traite d'événements récents, distants de trois siècles seulement.
Le sujet est donc déjà singulier, et Campra en tient compte dans sa mise en musique.
=> Son livret, dû à Antoine Danchet, avec lequel Campra avait déjà collaboré pour Hésione, beau succès en 1700, s'apparente aux sujets épiques, tels qu' Amadis, mais aussi Cadmus (Quinault) et Bellérophon (Th. Corneille, Fontenelle & Boileau) : malgré le tropisme habituel de la tragédie en musique (épisodes essentiellement galants et nombreuses interventions du merveilleux), son intrigue principale reste centrée autour du héros se débattant contre des forces surnaturelles. L'amour réciproque entre les deux amants principaux reste même assez largement éludé - Clorinde meurt hors scène, et Argant ne fait que révéler progressivement ce qui s'est passé.
Dans l'une des fins alternatives postérieurement ajoutées, Danchet permet cette rencontre finale entre Clorinde mortellement blessée et Tancrède désespéré, comme dans le Tasse.
=> Comme il est d'usage (à l'exception d'Amadis et de l'Alcide de Marais & Lully fils), les héros guerriers sont tenus par des voix graves (taille pour Cadmus, c'est-à-dire ténor grave ou baryton ; basse-taille pour Roland, pour Alcide dans Omphale, pour Pélops dans Hippodamie, pour Pyrrhus chez Royer...).
Cela reste néanmoins un cas minoritaire dans un théâtre qui exalte plutôt le côté surnaturel de l'aisance aiguë que le charisme des voix graves, limitées aux expressions de la majesté.
Cette remarque sur les voix graves vaut d'ailleurs pour la pugnace Clorinde, puisqu'il s'agit de la première fois qu'on entendait une voix de contralto (Mlle Maupin) sur la scène de langue française. Et de l'une des rares fois, depuis le début de la tragédie en musique (cela advient ensuite), où un bas-dessus est présenté comme une héroïne 'positive'.
=> Enfin, Tancrède ressortit au courant de la « tragédie noire » (1,2), avec ses sentiments extrêmement violents (techniquement, on pourrait parler de perversité) et ses dénouements qui n'évitent pas le vrai désespoir. Roland et Armide, c'était gentil parce que dans un cas le spectateur a surtout sympathisé avec les amoureux, dans l'autre l'enchanteresse récolte peu ou prou ce qu'elle a semé. Mais dans d'autres cas, on ne plaisante plus.
On trouve ce type de pièces très tôt, dès Quinault & Lully, avec Atys (1676) et Achille et Polyxène (1687), mais elles deviennent surtout fréquentes à partir de 1693, avec Médée de Charpentier et Didon de Desmarest. Suivent Céphale et Procris de Duché de Vancy & Jacquet de La Guerre (1694), Tancrède (1702), Philomèle (1,2, 3) de Roy & La Coste (1705), Hippodamie de Roy & Campra (1708), Idoménée de Danchet & Campra (1712), et plus tard Pyrame et Thisbé (1,2,3,4) de La Serre, Francoeur & F. Rebel (1726), Pyrrhus de Royer (1730), Scylla et Glaucus de Leclair (1746)...
Autour des figures de Danchet et Roy se dessine alors une petite période où, tandis que le goût du public plébiscite les opéras-ballets à intrigues esquissées, l'Académie produit aussi, sans grand succès la plupart du temps, des oeuvres terribles. Tancrède est l'une des rares oeuvres de ce ton qui furent bien accueillies à l'époque.
Projet de Jean Nicolas Servandoni pour deux "horizons" de toiles de fond à l'acte I, représentant des tombeaux. Préparé pour la reprise de 1729, à la plume, à l'encre brune et au lavis brun.
A cette sombre histoire d'amours impossibles déjà présente dans le Tasse (dans une façon moins mélodramatique), Danchet ajoute ce qu'il faut de vilains enchanteurs et de forêts magiques, assurant ainsi le succès de sa pièce.
Par l'Orchestre National de Lyon dirigé par Leonard Slatkin, la Maîtrise afférente et le Choeur Britten.
Dans une distribution de feu : Massis, Hébrard, Perruche, Pasturaud, Druet, Galou, Fouchécourt, Antoun, Lombardo, Barrard, Courjal !
Néanmoins pas tous au sommet de leur forme. Impressionnent surtout Julie Pasturaud (engagement formidable) et Nicolas Courjal (présence vocale toujours considérable, même si son Iñigo Gómez pourra mûrir verbalement). Isabelle Druet particulièrement en forme en Concepción, sans les sons aigres qu'elle dispense d'habitude, à engagement théâtral égal. Perruche un peu fatiguée (de plus en plus, j'ai l'impression, je me suis posé la question du déclin et non du surmenage) mais qui donne à entendre une fois de plus la plus belle voix parlée du circuit lyrique, Galou, Antoun, Barrard et Lombardo très bons, mais en deçà de l'admiration que j'ai pour eux. Annick Massis toujours assez prudente expressivement, en dehors des aigus toujours plus extraordinaires ; Fouchécourt "triche" avec adresse en contournant les contraintes d'un instrument usé qui ne répond plus dans l'aigu, mais les coutures sont nombreuses et le volume devenu vraiment confidentiel.
Frappé de constater que l'Heure espagnole (qui a tout particulièrement mes faveurs) fonctionne remarquablement au disque, mais beaucoup moins en version de concert, tant l'absence de visuel (que la fantaisie de chacun compense, à l'écoute seule) fait perdre de naturel au déroulement général.
Par ailleurs, la lecture de Leonard Slatkin, assez lyrique et continue, fonctionnait mieux dans L'Enfant et les Sortilèges, dont c'était une vision résolument non figuraliste, mais réussie. L'oeuvre, par sa succession de saynètes de bravoure presque closes, se prête très bien à la forme du concert.
Bien belle soirée.
Ce billet, écrit à par DavidLeMarrec dans la catégorie Saison 2012-2013 a suscité :
L'oeuvre, la représentation, les Arts Flo aujourd'hui, l'état général de la déclamation musicale baroque.
(Représentation du 18 janvier 2013 à l'Opéra-Comique.)
Dessin de Jean Berain (1699) figurant la tente de Marthésie, pour l'acte II de l'opéra de La Motte & Destouches, jamais redonné à ce jour. Dessin à la plume, à l'encre brune, au lavis gris et brun, et à l'aquarelle. Conservé aux Archives Nationales.
1. Préambule
Pour éclairer les impressions qui vont suivre, il faut d'emblée préciser que je n'aime pas beaucoup David et Jonathas - un des rares titres parmi les tragédies en musique qui me laisse assez froid. Parmi l'ensemble du répertoire que j'ai pu aborder (tout ce qui a été publié au disque, un grand nombre de captations radios et de partitions), il ne doit y avoir que cinq oeuvres dans ce cas (Alcide de Marais & Lully fils, Alcyone de Marais, Hippolyte et Aricie de Rameau, Jephté de Montéclair et ce David et Jonathas).
Toutes ont en commun une poétique assez sèche dans le récitatif, en général peu mélodique et surtout pourvu de courbes prosodiques assez plates, comme si la déclamation avait été négligée. Par ailleurs, malgré leur grand raffinement musical (ce sont globalement des oeuvres qui appartiennent au versant "novateur" de la tragédie à leurs époques respectives), quelque chose y manque d'évidence, de continuité, de chaleur. De beaux objets un peu froid, généralement desservis par des livrets assez atroces.
2. L'oeuvre
Et en effet, le livret du Père Bretonneau, conçu pour compléter la pièce de théâtre aujourd'hui perdue, développe des atmosphères plus que des actions. Même si les contemporains ont ressenti la musique de scène hypertrophiée de Charpentier comme un opéra (et elle s'y apparente grandement en effet), cette oeuvre fonctionne comme une sorte de divertissement géant à six entrées, où la cohérence de l'intrigue n'a pas la même nécessité ni (par conséquent) la même force que dans une tragédie en musique qui doit s'exprimer avec cohérence, seule. Chaque acte développe donc une situation, un sentiment, sans rechercher réellement l'unité ou l'urgence dramatique.
Dans ce cadre bancal pour nous qui ne disposons que de la pièce musicale, Charpentier écrit des choses réellement intéressantes, et plutôt rares à l'Académie Royale de Musique. [Car il s'agissait d'une commande du collège jésuite Louis-Le-Grand, avec ses contraintes spécifiques, et non d'une oeuvre destinée à l'Académie, où Charpentier n'a pu proposer que Médée en 1693, qui fut un échec du fait de radicalité et de son italianisme trop prononcé.] Il multiplie les scènes de déploration, avec des solos d'un format inhabituellement long (mais ce sera aussi le cas dans Médée, avec la très étendue mort de Créüse) : frustrations de Joadab à l'acte II, David se désespérant à l'acte I et à l'acte IV, Saül à l'acte III, Jonathas à l'acte IV, et la grande déploration sur la mort de Jonathas à l'acte V. Outre l'acte III, le seul à contenir un peu d'action (la folie de Saül) même si celle-ci ne change rien à la situation "immobile" qui prévaut pendant tout l'opéra, ces scènes d'affliction constituent les plus beaux moments de l'oeuvre, avec pour sommet l'acte V, d'une atmosphère funèbre et d'une virtuosité musicale qui a peu d'équivalents : c'est l'atmosphère d'Atys associée à la richesse harmonique et contrapuntique d'un grand motet.
Sur l'ensemble de l'oeuvre, malgré ces quelques beaux airs et une conduite générale plutôt convaincante de l'acte III, j'ai tendance à n'être réellement touché que par le dernier acte. L'écriture s'apparente beaucoup au Charpentier "sec", avare de mélodies et négligent en prosodie : celui qu'on trouve dans les petites formes dramatiques comme Judith ou même La Descente d'Orphée aux Enfers, et non le Charpentier expansif de Médée ou des motets (en particulier les grands motets). Dans Médée, la déclamation n'est pas extraordinairement soignée, mais le tout est compensé par une veine mélodique en permanence hors du commun ; dans le MagnificatH.73, la danse emporte tout sur son passage ; dans les Leçons de Ténèbres, l'absence de mélodie ou de déclamation fortes s'oublie grâce à la prégnance du coloris harmonique (et, dans une moindre mesure, à la variété des textures vocales) ; et le Te Deum H.146 a tout cela à la fois.
Globalement, David & Jonathas se trouve (à mon gré) sur le "mauvais" versant de Charpentier - hors Médée, il a surtout montré son talent en latin, et davantage pour des questions de couleur (Tenebrae factae sunt, Leçons de Ténèbres...) ou de virtuosité musicale (Assumpta est Maria, Magnificat H.73...) que pour ses talents déclamatoires.
Projet de Jean Nicolas Servandoni pour la conversion de saint Augustin. Dessin à la plume, à l'encre brune et au lavis brun. Réalisé en 1729 ou 1730. Archives Nationales.
3. La mise en scène d'Andreas Homoki
Reçue sans enthousiasme, mais globalement plutôt bien, elle m'a surpris par sa médiocrité. Un mot que je n'utilise pas d'ordinaire, mais :
1 => Le propos symbolique se limite à montrer des juifs en habits des années quarante et des arabes à fez, symbolisant chacun les Hébreux et les Philistins, avec un mélange dans les choeurs pas toujours facile à lire. Si c'est pour montrer que déjà à l'époque, Israël s'était fondé en s'installant sur des terres préalablement occupées, ce qui mène mécaniquement à des conflits sans fin, merci, on avait remarqué.
2 => Cette troupe, en plus d'être peu lisible, est fort mal dirigée, avec des groupes informes qui prennent de vagues de poses. Et ces costumes grisâtres sont de surcroît moches. Oui, les années quarante, c'est vieux, on avait remarqué aussi.
3 => Le concept des boîtes n'était pas inintéressant (même si Homoki en a fait depuis longtemps un gimmick), mais le fait de les faire se rétrécir systématiquement lorsque les personnages étaient malheureux finissait par devenir d'une platitude pénible. Par ailleurs, le fait de baisser systématiquement le rideau avant la fin des airs distrayait désagréablement de l'action et de la musique.
4 => Le tout était éclairé dans une lumière blanche uniforme, projetée en trois directions sur la scène (verticalement et latéralement), seule la mort de Jonathas a droit a un peu d'intimité bleutée. Conclusion, dans une minuscule boîte en sapin, avec des éclairages fixes et inexpressifs et du parasitage visuel, il devenait impossible d'adhérer vraiment à ce qui passait sur scène, qui nous renvoyait sans arrêt à l'artifice théâtral. Sans aucune contrepartie en matière de sens ou de profondeur.
5 => Le parti pris de déplacer le Prologue (Saül consultant les Enfers sur son destin) après l'acte III (folie de Saül) n'était pas nuisible, mais ici aussi, inutile. Dès les premiers actes, il est fait allusion à la jalousie et à la folie de Saül, le Prologue n'avait rien d'incompréhensible placé en tête d'oeuvre. Par ailleurs, sa véhémence produisait un effet saissant, alors que placé au milieu de l'oeuvre, il ne faisait que redire l'acte III, et créait un tunnel de parole consacré à Saül, qui semble soudainement devenir le personnage principal, avant de s'effacer à nouveau. Cela accentuait plutôt les faiblesses du livret, et les spectateurs étaient parfaitement capables de suivre sans ce changement.
6 => Les pantomimes remplaçant les ballets artificiels de fin d'acte ont toute ma sympathie. Le principe du flash-back était intéressant aussi : en exposant la jeunesse des deux amis, on donnait un peu d'épaisseur à leur caractère (qui n'est absolument pas défini dans le livret !). Néanmoins, la trivialité du propos (attaque cardiaque de la mère de Jonathas pendant que les enfants lui jouent un tour) jure assez fortement avec le ton de l'oeuvre. De même pour la scène des Enfers, amusante (multiplication des figures de la défunte, dont une est la Pythonisse), mais totalement en décalage avec l'esprit très sombre de la musique.
7 => La relation homosexuelle de David et Jonathas, dont l'ambiguïté n'était pas du tout évidente au XVIIe, mais qui l'est devenue clairement pour le public d'aujourd'hui (le livret abonde en déclarations d'amour), était soulignée avec une lourdeur (et une fadeur) assez décontenançante pour un homme de théâtre confirmé : on les laisse s'embrasser à un moment donné, et puis on est censé avoir exploré les enjeux de la chose ! Par ailleurs, j'incline à considérer que ce choix gomme précisément la spécificité de ces deux personnages, dans une relation affective "désintéressée".
Rien d'atroce, rien de scandaleux, mais pour faire moche, terne et aller plutôt dans le sens de l'affaiblissement de l'oeuvre, j'aurai volontiers échangé contre une version de concert. Le livret est déjà assez peu nourrissant sans que le metteur en scène le rende encore plus vide - à part les boîtes mouvantes, peu de choses se passent sur scène en matière expressive.
N'allons pas par quatre chemins : cette soirée était la plus attendue de la saison francilienne, et elle a tenu toutes ses promesses.
Ayant déjà beaucoup développé les enjeux de la « quatrième école » de tragédie en musique à propos d'Amadis de Gaule de Bach, d'Andromaque de Grétry et, très récemment, d'Atys de Piccinni, je ferai plus bref cette fois, ayant projet d'aborder d'autres sujets. D'autant que, s'il fallait énoncer toutes les beautés de ce Thésée, il y aurait fort à faire.
Début de l'acte I le soir du 13 novembre : transition avec l'Ouverture et premiers ensembles. Merci à mon fournisseur ! Bien que cela soit à mon sens tout à la gloire du compositeur et des interprètes, s'il y a objection à cette publication sauvage (les démarches étant un peu longues et complexes pour obtenir une autorisation formelle), elle sera retirée instamment.
1. Attentes
Pourquoi la plus attendue de la saison ?
D'abord, Gossec, il suffit d'en juger par ses oeuvres déjà disponibles, est un maître de l'écriture musicale pure. Ses symphonies et sa musique sacrée (Te Deum en particulier) font preuve d'une science du contrepoint permanent dont je ne vois pas vraiment d'équivalent dans la période classique.
Par ailleurs, comme le laissait déjà entendre sa musique vocale profane (Le Triomphe de la République a été publié depuis pas mal d'années à présent), son don pour l'écriture déclamatoire n'est pas moindre que celle de ses plus glorieux contemporains.
Il faut ajouter à cela que Guy van Waas avait déjà donné en concert, il y a six ou sept ans, un extrait de l'oeuvre (début de l'acte V, déjà proposé sur CSS : air de Médée et duo homicide avec Thésée), qui était extraordinairement appétissant, et faisait présager (n'ayant pas pu mettre la main sur la partition) une oeuvre majeure.
Par ailleurs, la distribution musicale était assez hallucinante : Virginie Pochon (un des plus beaux français du marché), Jennifer Borghi (voix délicate qui n'a rien de la furie bûcheronne, et spécialiste de ce style musical), Frédéric Antoun (un des plus grands maîtres actuels de la voix mixte), Tassis Christoyannis (voix glorieuse mais toujours nettement dite) et dans les petits rôles, des spécialistes parmi les meilleures de leur génération, Katia Velletaz, Caroline Weynants, Mélodie Ruvio.
Quant au Choeur de Chambre de Namur, l'un des tout meilleurs pour la tragédie lyrique, et aux Agrémens de Guy van Waas, ce sont précisément des spécialistes aguerris de cette esthétique de la quatrième école, les plus grands défricheurs en la matière.
Bref, tous les paramètres étaient au vert, si bien qu'on aurait pu se déplacer de la même façon si l'oeuvre était chantée par des étudiants, ou à l'inverse si les mêmes interprètes avaient donné Così fan tutte...
Soirée un peu tiède pour différentes raisons (à commencer peut-être par le contraste avec le langage de Der Ferne Klang quelques jours plus tôt !), mais très stimulante.
La version de Beaune (plus flatteuse, et avec Auvity dans sa forme normale) est toujours disponible en ligne via Arte Live Web en cliquant ci-dessus.
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1. Oeuvre singulière
Phaëton est un opus particulièrement original dans le corpus de Lully, plus encore dans celui de Quinault, et même dans le genre de la tragédie en musique tout entier. Il suffit d'observer la place de son rôle-titre, tenu par la haute-contre, mais exceptionnellement utilisée comme un personnage repoussoir. C'est la première fois (il s'agit de la dixième tragédie en musique de Lully) que cette configuration apparaît, et elle restera extrêmement rare dans la littérature musicale du siècle à venir. Et dans certains cas, de façon moins franche (Jason est-il réellement à considérer comme négatif, étant donné que son vis-à-vis est la barbare Médée ?).
De même, la musique y montre un renouvellement et un raffinement peu communs chez Lully. Son inégalité est d'ailleurs frappante : qu'on trouve son inspiration un peu terne (Thésée, Isis) ou au contraire magistrale (Atys, Armide), la plupart de ses oeuvres sont d'une qualité assez homogène. Or, Phaëton contient à la fois les plus hauts sommets du compositeur (les deux derniers tiers du Prologue, à peu près tout à partir de la seconde moitié de l'acte II) et des pages parmi les plus lisses et vides de sa production tragique (le reste). Un peu à l'image d'Amadis, à ceci près que le livret de Phaëton est aussi tendu et brillant que celui d'Amadis est indolent et répétitif.
Dans ses moments majeurs, on rencontre bon nombre d'effets inédits : la chaconne, l'air de rien, très retorse rythmiquement ; les duos tendres de Lybie et Epaphus, modèles de virtuosité dans l'alternance des mètres musicaux ; son inspiration mélodique très évidente et assez différente de ses habitudes ; les parties très aiguës du Soleil, mais sans le caractère de douceur des autres occurrences de ce type (Sommeil & Morphée dans Atys, Mercure versant le sommeil dans Persée) ; cette fin à la fois malheureuse et souhaitée (sans l'attachement qu'on peut avoir à la figure d'Armide) ; son caractère hautement spectaculaire. Pour cette dernière raison, on l'a nommé « l'opéra du peuple » (Atys étant « l'opéra du roi »), considérant les succès très vifs que les machines de l'acte V remportaient auprès du public parisien de l'Académie Royale de Musique.
Voici ce qu'il en était dit (plus spécifiquement à propos des récitatifs d'Epaphus dans une notule de 2011 :
Le naturel extrême de la déclamation (fondé sur des mesures dont les mètres sont très changeants), sa grande inspiration mélodique, l'ampleur sans grandiloquence du geste musical, le pathétique très attachant des personnages, la beauté des couleurs harmoniques (parmi les plus raffinées de tout Lully), la variété des carrures rythmiques bondissantes, le sens inexorable de la progression dramatique, les sommets contenus dans les duos qui terminent chaque entretien... tout cela témoigne combien Lully a ici livré sa meilleure inspiration, et l'un des moments les plus élevés de toute son oeuvre.
Par la même occasion, ces deux scènes constituent également un sommet de l'histoire du récitatif français.
A la relecture des partitions, j'ai sans doute un peu exagéré, Phaëton n'a jamais le relief harmonique des grands moments d'Atys et d'Armide, mais il maintient l'exigence à un niveau moyen d'une qualité assez rare chez Lully.
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2. Différences
Etrangement, je ne ressens pas vraiment la même chose en salle qu'en retransmission, et comme pour la Médéede Haïm, ce n'est pas à l'avantage de la musique en vrai.
Peut-être la proximité dans mes oreilles d'une oeuvre aussi dense musicalement que Der Ferne Klang a-t-elle un peu altéré mes repères auditifs (petite salle, orchestre très riche, décibels généreux), et de fait l'orchestre sonne mince dans les dynamiques les plus fortes.
L'ensemble de la soirée procure un étrange sentiment de mollesse, de distance même, s'alanguissant avec la même coquetterie terne que le Rousset du milieu des années 2000, celui du creux de la vague (avec, en ce qui concerne ce répertoire, les studios de Persée et de Roland). Attention, contrairement à Haïm, la musique fonctionne tout de même la plupart du temps - la logique de Rousset me paraît souvent néfaste aux oeuvres qu'il sert, mais il n'y a jamais l'impression de fragmentation qu'on pouvait ressentir avec Haïm.
Et cela voisine avec des moments d'inspiration extraordinaires. En particulier les danses (chaconne remarquable), absolument toutes les interventions chorales (le Choeur de Chambre de Namur est bien sûr magnifique, mais mieux dirigé que jamais), de très belles réalisations au théorbe et au clavecin (du type "ritournelle", qui invente des contrechants, des introductions, des réponses - encore meilleur pour Rousset que pour Stéphane Fuget), l'usage très heureux du positif dans certains récitatifs, un acte IV qui mêle poésie et tension. Sans parler de la trouvaille du final (reprise du choeur « Ô témérité malheureuse » en decrescendo tendre et funèbre, là où Minkowski renforçait l'éclat), tout à fait bouleversante, une de ces fins qui éclairent de façon très puissante tout ce qui précède.
Dans l'ensemble, on évite donc le côté cassant qu'on pouvait reprocher au studio de Minkowski, qui ne respire pas beaucoup, et qui se montre quelquefois brutal (l'esthétique de sa chaconne se rapproche assez de celle, martiale, de Goebel pour Armide). Mais Minkowski avait pour lui, outre une distribution (très) supérieurement préparée, un sens du drame sans comparaison : sa conception du continuo est certes plus verticale (beaucoup d'accords égrenés, moins de contrepoint), mais la gestion du temps de déclamation est idéale, on perçoit sans cesse l'urgence des situations et les quantités de la langue. Aussi, son disque se dévore, et malgré ses duretés, convainc de bout en bout.
Globalement, l'intérêt de la soirée suit de très près l'intérêt de la partition : lorsque celle-ci se dérobe, il n'y a réellement plus rien (première partie de soirée assez peu palpitante) ; lorsqu'elle déploit ses beautés, sans en tirer toujours pleinement parti, Rousset la sert avec soin. Du moins à l'orchestre.
Car, comme au TCE avec Haïm, le problème le plus frappant étant l'absence de travail sur la déclamation. Les chanteurs disent leur texte sans s'appuyer sur la couleur propre de chaque voyelle, sans croquer les consonnes, sans mettre en valeur les "quantités" fortes du vers. Je distingue même (non sans horreur) des traces de couverture ! Affadir le texte, avec une musique aussi simple, aussi liée à sa qualité verbale, c'est tout bonnement se faire seppuku.
(Mise à jour du 1er octobre : corrections et ajout des deux récitals de L'Oiseleur des Longchamps.)
En attendant que le Klariscope
quitte
son doux sommeil, le programme du mois.
Octobre particulièrement riche, comme
tous les ans : on est au plus fort de la saison du CMBV, du
démarrage sérieux des saisons des différentes scènes...
Heureusement, ce qui m'intéresse des pièces de théâtre et du
Festival d'Automne (pas trop palpitant cette année) se trouve un peu
plus tard.
L'astérique indique une certaine
détermination des lutins.
J'en
profite pour signaler que j'ai une, peut-être deux places à vendre
(30€ l'unité, il n'y a pas de tarif inférieur...) pour Renaud
de Sacchini à l'Opéra Royal de
Versailles, le 19 octobre.
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4 - répétition du Cantate
Dominode Bernier Au
continuo. Juste pour dire que ce soir-là est déjà pris.
5 - Mélodies de Massenet par L'Oiseleur des Longchamps au Temple de Pentémont
Ces mélodies ne sont pas le meilleur de la production de Massenet (un peu gentilles), mais vu le talent de L'Oiseleur comme chanteur et comme défricheur, je me serais vraiment laissé tenté par ce concert monographique dont je viens de découvrir la tenue. J'hésite à abandonner Szymanowski, qui est finalement un peu moins rare (mais musicalement plus intéressant, il est vrai).
5,6,7,8,9 - La Cité du rêve
d'après Kubin, Théâtre de la Ville
En revanche,
attention, même la « version courte » donnée le
week-end est très longue (quatre heures sans les entractes, comme
Peer
Gynt). Sans parler des cinq heures (sans les entractes) de la
version complète. Il est recommandé d'être dans l'humeur adéquate
(et l'endurance physique indispensable), ce soir-là.
*6 - Szymanowski 1, Brahms 1 et le
Premier Concerto pour Violon de Szymanowski à Pleyel (Jansen, LSO,
Gergiev)
Super concept de la double intégrale,
qui va obliger les fans de Brahms à se bouger un peu les oreilles.
Bravo. (En plus, la Première Symphonie de Szymanowski est
vraiment accessible en plus d'être très belle.)
Le cycle se poursuit le lendemain.
Quand on vous disait que l'Opéra de Massy, à défaut d'être chic, c'était cher :
Facéties typographiques mises à part, l'Opéra de Massy propose cette saison d'un choix de qualité (des oeuvres célèbres, mais de style divers et soigneusement distribuées), dans une salle extrêmement confortable visuellement et acoustiquement (on peut quasiment dit qu'on voit mieux et entendu mieux, à n'importe quel endroit, qu'en première catégorie dans n'importe quelle salle parisienne...), et a surtout le mérite... de donner à voir ce qu'est le théâtre non subventionné, financé essentiellement par la billetterie : dès qu'il s'agit de secteurs un peu plus confidentiels que le rock ou le théâtre, les prix les réservent clairement à une certaine élite sociale, qui s'ajoute au filtre de la peur de pousser la porte d'un Opéra pour les gens qui n'y ont pas été éduqués...
Les tarifs de l'Opéra de Massy attiédissent bien des ardeurs passionnées - dont les miennes, d'ailleurs.
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Dans la programmation de cette année, on remarque notamment :
=> Comme Cécile Achille (découverte étudiante en récital de mélodie au CNSM, et la saison prochaine à l'Académie de l'Opéra-Comique) et Hasnaa Bennani (découverte étudiante au CRR de Paris dans un opéra baroque, et présente la saison prochaine aux côtés des plus grands dans les plus grandes salles), Clémence Barrabé, remarquée par les lutins, débute une carrière de premier plan, avec une Adina dans L'Elisir d'amore de Donizetti. Une des voix (et des dictions !) les plus intéressantes de la génération montante, à mon sens. Et ce n'est pas en mauvaise compagnie, Franck Leguérinel sera Dulcamara.
1. Situation actuelle - 2. Le parallèle erroné du français "restitué" - 3. Le latin n'est pas le français - 4. Ce qu'est le latin - 5. Par l'exemple - 6. Bilan
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1. Situation actuelle
La prononciation gallicane du latin, plus encore qu'à la mode, semble s'être très largement imposée chez les ensembles de pointe en musique française sur instruments anciens. Les ensembles baroques moins spécialisés et les amateurs continuent généralement à employer la prononciation "d'église" (jamais la restituée enseignée aujourd'hui dans les cours de latin), plus ou moins dans sa version traditionnelle italianisante.
Bien sûr, cela ne concerne que le répertoire français, et celui à la fois concerné par cette prononciation et servi par ces ensembles (généralement issus du mouvement "baroqueux").
Même si le phénomène est bien plus répandu que le français classique "restitué", elle est souvent le fait des mêmes interprètes, et s'appuie sur les mêmes arguments : se rapprocher au maximum de la couleur d'époque que pouvait avoir cette musique.
Caligula delirante de Giovanni Maria PAGLIARDI à l'Athénée.
Concept amusant des pupi (siciliens...) pour cet opéra vénitien à marionnettes, effectivement très parent de l'Incoronazione di Poppea et de Cavalli (bien que composé sensiblement plus tard, en 1672). Evidemment, c'est lui qui a attiré une bonne partie du public.
L'intrigue de cour "circulaire" (celui qui est aimé aime un autre qui à son tour, dans le cadre clos d'une cour hostile) est celle qui prévaudra à l'époque du seria triomphant de la première moitié du XVIIIe siècle (Giulio Cesare, La Verità in Cimento, Motezuma...). Ce n'est pas une innovation pour autant, le livret de l'Artemisia de Cavalli est déjà complètement (et de la façon la plus réussie qui soit) dans ce schéma.
Musicalement, on retrouve une sècheresse semblable du récitatif, mais avec de beaux moments de lyrisme, sans qu'il soit facile, pour ce type d'oeuvre, de différencier le son de l'interprète (Vincent Dumestre et les membres du Poème Harmonique) de celui du compositeur (puisque les partitions n'indiquent qu'une basse, rarement chiffrée d'ailleurs, et quelques dessus). La comparaison avec la Poppée monteverdienne me semble tout à fait parlante.
L'oeuvre (et sa mise en scène avec marionnettes) porte une dimension assumée de stéréotype et de parodie (la résurrection de Caligula amuse beaucoup le public !), sans doute liée au contexte de création (le carnaval), mais je m'interroge sur la durée très brève de ses actes : y a-t-il eu deux tiers de coupures sur un opéra de trois heures, ou est-ce une oeuvre volontairement "légère" et courte ?
Car Vincent Dumestre est crédité à l' "adaptation" du livret... est-ce pour l'action sur son versant parodique, ou plutôt sur sa durée ?
Alors qu'il est rarissime que je me déplace à l'Opéra pour y assister à un titre déjà vu en salle (je ne l'ai fait, à ce jour, que pour le Vaisseau Fantôme et Atys...), j'ai lu un très grand nombre de critiques ou de témoignages signalant la faiblesse de la mise en scène d'Engel, en particulier par rapport à l'ancienne de Dodin.
Et il se trouve que j'ai remarqué l'inverse. D'où mon petit mot.
D'abord, le principe de faire alterner plusieurs productions d'une même oeuvre lorsqu'elles demeurent en état de marche, celle de Lev Dodin ayant déjà servi plusieurs fois dans la décennie, me paraît une initiative séduisante, quel qu'en soit le résultat.
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1. Scénographie
La scène unique se trouve, à rebours du livret, dans un endroit fermé, éclairé par l'ajourement de fenêtres à moucharabieh.
Néanmoins, il s'agit bel et bien d'un espace d' "extérieur", par opposition au palais : une sorte de grange ménagée sous des voûtes hautes, sans mobilier, et peut-être ouverte sur l'extérieur (côté public). C'est l'endroit où Hérode fait installer à même le sol une nappe et quelques victuailles.
L'endroit n'a pas la poésie lunaire si bien réussie par Dodin (bien plus séduisant visuellement), mais il propose quelque chose de différent, assez étouffant, car, ainsi que l'est finalement la terrasse, elle demeure un endroit dont l'accès et la sortie de sont pas libres. La mise en scène d'Engel ménage un certain nombre d'entrées et sorties, indépendamment des personnages chantants, qui matérialisent cette vie de palais et cette impression d'être enfermé et épié.
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2. Direction d'acteurs
Alors qu'on pouvait s'attendre, après avoir lu les commentaires, et faisant face à une reprise, à un peu de statisme, à des poses convenues, on pouvait au contraire assister à de jolies trouvailles, qui éclairaient assez bien le texte - alors que Dodin, pourtant d'ordinaire plus aventureux que Engel, s'en tenait bien plus, et avec un certain bonheur, à la lettre du texte.
Bien sûr, vu la longueur des tirades et la façon "classique" d'Engel, certains moments - par exemple le dialogue entre Salomé et Jean-Baptiste - se révèlent un peu en deçà du potentiel du texte, un peu figés ou convenus.
Mais par bien d'autres aspects, de la vie et de la nouveauté sont apportées. Le personnage de Salomé suit une véritable évolution, d'abord primesautière (elle joue quasiment à cache-cache quand Jokhanaan quitte sa citerne), puis progressivement prostrée, dévorée par cette première déception amoureuse. Ce n'est pas hallucinant de profondeur, mais assez exact et vraiment bien réalisé.
Ce qui a le plus suscité mon intérêt réside dans le traitement des personnages secondaires, en particulier l'étude du rapport entre Hérodiade et Hérode. D'habitude, ce sont des personnages de caractère, assez histrioniques, qui apportent de vives touches de couleur sur les plans aussi bien psychologique que musical.
Ici, Engel a ajouté un certain nombre de gestes qui racontent, avec beaucoup d'économie, toute une histoire de ce qui a pu se passer dans les années antérieures, entre ces deux époux qui ne s'estiment pas, mais qui ont conservé de leur union criminelle quelque chose d'une tendresse dictée par l'habitude. Le geste le plus fort de toute la soirée se trouve pendant ces quelques mots :
du, die schöner ist als alle Töchter Judäas ?
toi qui es la plus belle de toutes les filles de Judée ?
Hérode, tout en vantant Salomé, pose sa main sur Hérodiade, comme pour atténuer l'affront qu'il lui fait, un petit signe d'excuse : "ce n'est pas contre toi, tu as fait ton temps et elle est belle, mais je ne cherche pas à te comparer". De la même façon, Hérodiade s'empresse machinalement auprès d'Hérode lorsque celui-ci se demande s'il a froid - ce qui paraît a priori en décalage avec son statut de souveraine et ses paroles méprisantes, mais crée tout un arrière-plan de vie quotidienne moins conflictuelle derrière les deux personnages.
En somme, donc, sans rien de révolutionnaire, une mise en scène solide, avec de beaux détails (le vent surnaturel qui souffle du sable lors de l'ouverture de la citerne est assez joli !), parfois nourrissants. Et finalement plus de contenu que chez Dodin, que j'avais déjà beaucoup aimé, mais trouvé moins "instructif".
Seule la scène finale est assez vide, Salomé restant immobile dans son rond de lumière en front de scène, à genoux devant le plat.
Juste la reproduction d'un mot en commentaires sur le contenu des portées des partitions de Lully, et ce que les interprètes choisissent, inventent ou restituent.
Il faut d'abord préciser qu'il existe deux types de partitions originales, les complètes et les réductions. Les réductions que les imprimeurs destinent aux amateurs ne comportent pas les parties intermédiaires, qui n'étaient de toute façon pas écrites par Lully, mais par ses secrétaires. En particulier Pascal Collasse, qui a complété Achille & Polyxène à la mort de Lully et fait une belle carrière comme compositeur, avec beaucoup d'échecs, mais aussi l'un des plus beaux succès publics du répertoire, Les Noces de Thétis et de Pélée.
On y trouve donc les lignes vocales, la basse continue et la mélodie des dessus lorsque nécessaire. (Exemple : Armide publiée par Ballard en 1713.)
Dans ce qui suit, je parle des partitions intégrales. (Exemple : Armide publiée par Ballard en 1686.)
Massenet est, de tous les compositeurs d'opéra que j'ai croisés, celui qui se montre capable de changer le plus radicalement d'esthétique d'une oeuvre à l'autre. Dans Cendrillon, il les mêle même au sein du même ouvrage, des références archaïsantes aux danses galantes baroques jusqu'au pastiche de Tristan.
L'oeuvre ne cache pas ses beautés aux disque, mais son caractère léger et très atmosphérique réclame la scène pour porter pleinement son pouvoir d'évocation - à voir au moins une fois, donc, manière de bénéficier de cette mise en perspective qui accroît considérablement la portée de l'oeuvre.
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Trois extraits de la représentation du 9 mars 2011 : le départ pour le bal avec le choeur féérique, un extrait de l'apparition de la Marraine au second tableau de l'acte III (pour ses belles harmonies chaussonisantes), et la fin tristanienne de l'acte III.
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1. Livret
Le texte d'Henri Cain est assez singulier.
Il se fonde sur le conte traditionnel, dans la même configuration que chez Perrault (belle-mère et non beau-père comme chez Rossini), mais avec une dimension à la fois un peu distanciée et très concrète. Le merveilleux n'en étant pas exclu non plus, on se trouve régulièrement aux confins du fantastique.
En effet, même Cendrillon et le Prince Charmant porte quelque chose de délibérément un peu exagéré, caricatures volontaires - du Prince mélancolique (façon Amour des Trois Oranges), par exemple. Cendrillon réexploite même explicitement le conte en affirmant de façon répétée et empesée "vous êtes mon Prince charmant" - ce qui ne se fait pas dans les contes.
Les épousailles du prince, ordonnées par le Roi cinq minutes avant le bal pour la clôture de celui-ci, avec celle "qui lui fera le mieux tourner la tête" sont explicitement assumées comme exagérées et peu crédibles, même dans l'univers du conte.
La bouffonnerie ne se limite donc pas aux personnages de caractère comme Madame de la Haltière, exclusivement sur ce mode - jamais réellement menaçante, même si elle est la source de tous les maux de Lucette-Cendrillon.
Par ailleurs, l'ensemble du déroulement de l'histoire se montre bien plus concret que de coutume, surtout dans les motivations psychologiques, avec des acteurs assez rationnels, qui ne tiennent pas des archétypes habituels sur une scène d'opéra - une petite touche de prosaïsme ici et là, assez bizarre mais jamais maladroit. Une sorte de Cendrillon d'aujourd'hui, qui se déroulerait non pas dans une époque lointaine d'un pays imaginaire, mais ici et maintenant, dans la grande ville hostile que son père veut quitter.
La structure du livret est à l'opposé de ce qui caractérise habituellement le conte, et même pas forcément proche du livret d'opéra un peu traînard : Cain (et, partant, Massenet) développe des climats autour d'une situation. Alors même qu'il y a beaucoup de dialogues et de variété, les moments de bascule dans l'action ne sont pas le coeur du propos : on se délecte plutôt de la suspension des scènes (dans une musique superbe), et on laisse les coups de théâtre aux extrémités des actes, sans trop s'y attarder dans le texte ou la musique.
Même la fin heureuse est résolue de façon assez courte, avec cette clôture dans la plus pure métatextualité (le choeur : "la pièce est finie").
L'hésitation entre réalité et rêve n'est pas non plus complètement tranchée, et à ce titre, l'enchaînement acte III / acte IV se montre grandement déstabilisant, dans la meilleure part du terme.
En somme, un livret atypique mais assez réussi.
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2. Musique
Cette musique peut paraître d'essence légère au disque, mais elle recèle en réalité de véritables raffinements, qu'une écoute attentive ou une expérience sur scène peuvent révéler. Elle seconde l'action avec régulièrement des séquences dans un style baroque fantaisie (Madame de la Haltière, départ de Cendrillon, danses...) particulièrement charmant, et finalement assez personnel (on en trouve aussi des traces, moins heureuses, dans Manon).
Très proche du déroulement de l'histoire, la musique ne cherche pas à s'épanouir de façon autonome en de superbes mélodies, mais sert sans cesse l'expression des sentiments et des situations au plus près (sans mickeymousing non plus).
Dans cette perspective, elle utilise très fréquemment de beaux contrepoints, avec une mélodie indépendante à l'orchestre (souvent par un instrument solo, violon, violoncelle, hautbois, clarinette, cor anglais...) tandis que le chanteur exécute lui-même une ligne différente. Ce petit procédé inventé par le baroque italien (mais plutôt avec des mélodies en imitation, légèrement décalées), et abondamment utilisé en France par Campra ou Clérambault, se révèle ici avec un rare bonheur.
Il faut ajouter à cela un grand goût des couleurs orchestrales, auxquelles les instruments solos et les bois contribuent régulièrement, ainsi que la harpe. Chaque atmosphère reçoit ainsi sa caractérisation propre. Très fréquemment (notamment dans les moments liés au Prince), l'orchestre ne laisse parler qu'une poignée d'instruments, autour de la harpe, créant un chambrisme délicat assez étonnant.
Le ton évolue ainsi considérablement d'un acte à l'autre (avec une montée en intensité lyrique dans le second tableau de l'acte III et dans l'acte IV), et même d'une scène à l'autre, voire au coeur de la même scène, selon les événements. Cela s'étend donc depuis un baroque rêvé, jusqu'au pastiche de Tristan à la fin de l'acte III - on y retrouve les ponctuations régulières de bois qui accompagnent un duo vocal extatique, dans une nuit assez proche de l'acte II wagnérien, et apparentée de façon frappante à la propre orchestration de Wagner pour "Träume" des Wesendonck-Lieder (par moment, on peut songer aussi aux harmonies du Roi Arthus de Chausson).
L'essentiel de la partition, cela dit, est à rapprocher du style des Contes d'Hoffmann, ce qui explique sans doute grandement l'amour immodéré de Minkowski pour l'oeuvre.
Cette genèse est réellement sensible dans l'écriture du livret.
En effet, des sections de ton et qualité assez disparates se succèdent - sans que cela ne recoupe, d'ailleurs, la répartition précisée par Fontenelle...
La trame elle-même est assez simple :
Sténobée, veuve du roi d'Argos Prétus, aime Bellérophon. Celui-ci a repoussé son amour, et la reine a donc confié la vengeance à son gendre Iobate, le roi de Lycie. Ce fut en vain et Bellérophon a si bien surmonté tous les périls que Iobate décide de lui faire épouser sa fille, amante et aimée de Bellérophon.
Après cet acte I heureux de façon assez inhabituelle, l'acte II fait la place aux affrontements et aux enchantements : dispute entre Sténobée et Bellérophon, dispute entre Sténobée et Amisodar, enchantements d'Amisodar et naissance de la Chimère.
L'acte III prend acte de la dévastation causée par le monstre, et la consultation d'Apollon révèle que seul le fils de Neptune pourra tuer le monstre et épouser la princesse, ce qui écarte de fait Bellérophon, fils de Glaucus.
Tout l'acte IV montre le triste état du royaume de Lycie, et s'achève avec la détermination de Bellérophon de courir à sa mort en affrontant le monstre, sans espoir de victoire. Mais, secondé par Pallas, il triomphe de la Chimère.
Enfin, le dernier acte explique la victoire de Bellérophon (fils caché de Neptune) et voit la confession et le suicide par le poison de Sténobée.
La construction dramaturgique en est donc relativement bancale : un acte et demi de situation stable (seulement troublée par les récriminations de Sténobée), un acte III qui tient tout entier dans la rupture du mariage heureux et la consultation d'Apollon, un acte V qui redouble la fin du IV (la victoire sur le monstre est suivie de la victoire sur les forces maléfiques qui l'ont suscité).
2.2. Ecriture
Le style lui-même oscille entre des sentences, imitées de celles traditionnelles chez Quinault, mais formulées avec assez de maladresse ici (le public sourit souvent)... et des fulgurances poétiques dont on a peu d'exemple dans la tragédie lyrique. En effet, indépendamment d'un style un peu sec, loin des galanteries et mignardises de Quinault, on trouve à quelques reprises des pauses descriptives de toute beauté. En particulier lorsqu'Amisodar avertit Sténobée contre les conséquences meurtrières de ses désirs (II,5) :
AMISODAR
Je puis de la nuit infernale,
Faire sortir un Monstre furieux :
Mais vous mesme tremblez d'exercer en ces lieux
Une vangeance si fatale.
Preparez-vous à voir nos Peuples allarmez,
Et nos Villes tremblantes.
Le Monstre couvrira de torrents enflamez
Nos campagnes fumantes
Et nos champs ne serons semez
Que des restes affreux de Victimes sanglantes.
et lorsque les lyciens pleurent leur paix perdue (IV,4) :
Dieux des Bois
Les Forests sont en feu, le ravage s'augmente,
Ce n'est par tout qu'épouvante & qu'horreur.
Napée & Dryade
Du Monstre comme vous nous sentons la fureur,
Voyez cette Paline brûlante.
Dieux des Bois
Helas ! que sont-il dévenus
Ces Bois dont nous faisions nos retraites tranquilles ?
Napée & Dryade
Ces Eaux qui serpentoient dans ces plaines fertiles,
Ces Eaux, helas ! ne coulent plus.
Dieux des Bois
Que de tristes alarmes !
Napée & Dryade
Que de sujets de larmes !
Tous ensemble
Pour adoucir le Ciel qui voit tant de malheurs,
Joignons nos soûpirs & nos pleurs.
Ainsi, si globalement le livret laisse une impression assez mitigée, on y rencontre aussi des beautés qu'on serait en peine de retrouver dans une autre tragédie en musique...
Cette production, jadis entendue à la radio, vue à la télévision, a désormais été écoutée in vivo et in loco par les lutins facétieux de CSS.
On avait déjà décrit notre relative déception. On pourra grandement confirmer la chose, même s'il est toujours un bonheur d'entendre du Lully (de surcroît en version scénique !) dans une exécution de haut niveau.
On se contentera donc de préciser certaines choses, en particulier celles visibles en salle.
Le visuel
On peut commencer par la mise en scène de Benjamin Lazar. On ressent moins l'étroitesse du plateau qu'au visionnage télévisé ; il y a même de belles trouvailles dans les ballets chorégraphiés par Gudrun Skamletz (par exemple les espiègles masques africains, assez dans l'esprit de ce moment du drame où se bousculent les traits d'esprit). En partie à cause des lumières des issues de secours et de celles de l'orchestre, le caractère magnétique de la bougie est moins patent qu'en vidéo - mais il est vrai qu'Il sant'Alessio était bien plus impressionnant que Cadmus de ce point de vue. On y voit assez mal au départ, et l'alliance de coloris étant particulièrement moche la plupart du temps, on obtient un pastel de couleurs bigarrées qui tient plus d'un Gauguin mat que de l'imaginaire Grand Siècle, authenticité ou pas.
Par ailleurs, les couleurs naturelles de la bougie sont renforcées par moment (au minimum aux saluts, mais probablement auparavant) par des projecteurs orangés de faible intensité, ce qui pose un petit problème à propos de l'honnêteté de la communication sur le spectacle.
L'instrumental
Musicalement, Vincent Dumestre réussit assez bien son pari (simplement manifeste, pas de déclarations là-dessus) de tirer l'oeuvre vers ses origines italiennes archaïques, vers la déclamation de Peri et les couleurs de Cavalli. Les récitatifs sonnent très secs, les couleurs sont limitées mais très chaleureuses, la longueur de phrasé est assez courte. C'est clairement bien moins enthousiasmant que ce qu'avait choisi Christophe Rousset (Dijon 2001) dans l'optique "grand genre à la française", privilégiant l'urgence et la danse, proposant des récitatifs rapides et des "numéros" plus lyriques.
Mais la filiation des nombreux récitatifs (souvent comiques) de Cadmus avec l'école italienne apparaît ainsi de façon plus convaincante que par n'importe quelle démonstration savante. On peut trouver un peu de mollesse ici ou là, mais la grande chaconne de l'acte I est vraiment très réussie - c'est à la fois le sommet de la partition de Lully et celui de l'interprétation de Dumestre. L'instrumentation de l'air fameux Belle Hermione est également remarquable, s'achevant avec l'accompagnement de la voix à la reprise par seulement un archiluth et un théorbe... ineffable.
Le vocal
Si Dumestre, sans séduire complètement - on sent des longueurs alors que menée de façon plus serrée, cette écriture assez nue, -, convainc, on peut être un peu réservé sur l'équipe vocale. Le couple de jeunes premiers domine clairement par sa présence vocale : l'engorgement étrange (et les magnifiques ornementations) de Claire Lefilliâtre a toujours quelque chose d'aussi magnétique ; et André Morsch se révèle pourvu d'harmoniques plus sombres qu'en retransmission, un véritable baryton sans ce côté clair un peu flottant qu'on pouvait entendre. Dans le trop court rôle de Pallas, Eugénie Warnier était peut-être la seule dont le timbre doux et mélodieux, la belle posture verbale donnaient envie d'entendre plus. Romain Champion, en Premier Africain (son Envie est en revanche assez terne), se montre logiquement un véritable luxe (sa carrière n'était pas aussi prestigieuse lors de la première série, en 2008), assez bien projeté. On a aussi remarqué qu'Isabelle Druet, que les korrigans locaux n'ont jamais beaucoup aimée, sonnait avec une agréable rondeur, loin de la varnayisation qu'on pouvait redouter à l'écoute de ses extraits d'Armide en mai dernier.
Le reste du plateau, du moins depuis l'amphithéâtre de la salle Favart, où l'on entend toujours mal les voix malgré l'étroitesse de la salle (comme si les murs étaient faits d'ouate), rencontrait de réelles difficultés en termes de projection et de volume vocal, des formats minuscules qu'on aurait mieux appréciés dans la proximité d'un récital intimiste - et sans séduction particulière de timbre ou de diction. Personne n'a démérité cependant. Et Arnaud Marzorati compensait visuellement par un admirable jeu de jambes issu de la technique du ballet, émouvant à lui seul, et dont on se demandait comment l'énergie déployée (vraisemblablement considérable !) pouvait ne pas affecter le soutien vocal.
Le linguistique
Vient enfin la question de la prononciation restituée (suivant les principes de La Parole Baroque d'Eugène Green), sur laquelle nos farfadets n'ont pas de religion. L'avantage est une forme de recréation et plus d'intelligibilité grâce à l'articulation des finales devenues muettes (voire déjà muettes au XVIIe...). Le problème était en revanche multiple :
On laisse de côté ce que ces sons portent dans l'imaginaire aujourd'hui (la campagne reculée...), mais il ne faut pas négliger que pour une partie du public, cette gêne peut être longue à évacuer.
N'étant pas une langue usuelle, la plupart des chanteurs la prononcent assez mal : ils sont hésitants, les voyelles sont floues, l'accentuation moins naturelle. Alors qu'ils sont tous francophones, c'est un bien dommageable échange.
La mise en oeuvre en est assez anarchique : les infinitifs du premier groupe sont articulés [èr], alors qu'on dispose de témoignages (Molière lui-même...) les considérant comme terriblement provinciaux - par conséquent on les imagine mal prononcés ainsi à la Cour. Les chanteurs restituent un grand nombre de consonnes finales tout à fait inutiles en milieu de vers, et préjudiciables à la diction (les consonnes s'entrechoquent, rendant la prononciation difficile)... et escamotent les [e], qui eux sont absolument indispensables en revanche pour que le nombre de syllabes reste correct !
Enfin, alors que l'oeuvre est écrite en français, on met inutilement à distance les mots et l'action, et cela ne participe pas marginalement à l'impression de relative froideur qui se détache de ce spectacle très léché à tous les niveaux, mais aussi un peu lisse.
On reproduit un nôtre commentaire de la section "saison 2010-2011", qui constitue à la fois une information que nos aimables lecteurs ont peut-être manquée (dates, tarifs, lien du théâtre en fin de notule) et un rapide compte-rendu de l'exécution d'une oeuvre rarement donnée.
Concert 3 : Armide à Abou Ghraib (Théâtre de Genevilliers)
(Samedi 18 septembre.)
Le Mercury Baroque de Houston joue une version actualisée assez second degré de l'opéra de Lully. Dans la mise en scène de Pascal Rambert, Renaud est un GI un peu paumé ramassé par Armide, une égérie voilée à l'iranienne (voile noir et lunettes noires mais robe tout échancrée dans le dos) qui vient l'enlever en voiturette de golf après avoir renoncé à l'assassiner à coups de club.
Toute tasse bue, même si les idées sont absentes à partir de l'acte III, la transposition sauvage mais sans prétention se montre assez sympathique, plus qu'une imitation du Grand Siècle ratée.
L'exécution musicale est très valable. L'Ensemble Vocal Lumen de Lumine est d'un excellent niveau, avec de belles textures limpides et de très belles individualités (on y trouve même Mélodie Ruvio chez les alti, la Folie du Carnaval & La Folie de Destouches joué par Niquet à Ambronay il y a peu). Ce sont d'ailleurs ses membres qui se révèlent les meilleurs solistes de la soirée : Laurent Herbaut se montre un Aronte superbement mordant, Pascal Richardin un Artémidore gracieux, Laurent Bourdeaux un Ubalde plein d'autorité et de présence. Edmond Hurtrait, visiblement baryton, se tire très bien de la partie aiguë du Chevalier Danois.
Dans leur travail choral, on peut en revanche regretter des attaques pas assez franches et une petite mollesse, un manque d'abandon et d'engagement. Un rien transformerait leur prestation correcte et solide techniquement en quelque chose de superlatif : la fameuse "étincelle" de vie, pourtant pas compliquée à offrir à ce niveau de maîtrise et dans ce répertoire assez facile.
Le chef de choeur Dider Louis a là une voie de travail toute trouvée, parce que la clarté des plans, la qualité des timbres et la qualité de l'articulation verbale sont excellentes... Dommage de ne pas en tirer parti (car le modèle esthétique semble plus ou moins Les Elémens de Suhubiette).
Les 24 Violons du Roy en concert au Théâtre des Champs-Elysées, mercredi 26 mai 2010.
Patrick Cohën-Akenine, immense violoniste devant l'Eternel, est depuis longtemps chef d'ensemble, et à la Tête des Folies Françoises, il a quelque temps fait merveille, comme par exemple dans ce récital baroque français de Patricia Petibon.
Or, il s'est mis en tête de réaliser une courageuse résurrection des 24 Violons du Roy, l'ensemble qui jouait pour Louis XIV, en utilisant des recréations des instruments manquants de la famille du violon qui étaient alors utilisés.
Entre le dessus de violon toujours pratiqué et la basse de violon parfois réemployée dans les ensembles baroques, on a ainsi réintroduit la haute-contre de violon (assez comparable à l'alto), la taille et la quinte de violon. Cela produit visuellement un dégradé assez pittoresque, avec de gros violons qui pendent à de petits cous, touche en bas, comme ceci : (oui, leur enthousiasme semble limité).
Patrick Cohën-Akenine dispose ainsi d'un ensemble constitué de la façon suivante :
bien qu'appartenant à la famille des violons (contrairement à la contrebasse qui appartient à la famille de la viole, d'où leur son plaintif), les basses de violon disposent de frettes - c'est-à-dire de ces barres, comme sur les guitares, qui bloquent la corde à hauteur fixe en créant des "cases", de façon à assurer la justesse ; d'autant plus étrange que si les violes de gambe en disposent, les violoncelles baroques n'en disposent pas et les contrebasses n'en disposent plus (mais il faut là interroger les facteurs d'antan et non pas les malheureux instrumentistes exhumant...) ;
bois : 2 flûtes, 2 hautbois (le premier hautbois tenant les parties de flûte basse dans les trios), 1 basson français (au son si nasillard qu'il rappelle ici le cromorne !) ;
continuo : viole de gambe, violoncelle, clavecin, archiluth.
Cela se justifie très bien sur le papier. Lully était violoniste, il écrivait des dispositions qui n'étaient pas pensées pour le clavier comme le fera Rameau ou comme le faisaient déjà les Italiens (c'est-à-dire avec une basse isolée et les autres parties isolées dans l'aigu). Il utilisait une répartition beaucoup plus équilibrée au niveau des médiums, qui donne un certain fondu - et rend d'autant moins confortables à exécuter, quelquefois, les réductions pour piano du début du vingtième siècle (elles sont en réalité redéployées pour être 'claviérisables', y compris quand les parties intermédiaires originales subsistent).
Et cela se faisait avec l'instrumentarium restitué par le projet de Patrick Cohën-Akenine. Le but avoué était de retrouver la diversité des instruments, donc des couleurs originales, de la musique de Lully.
L'ensemble a beaucoup progressé depuis ses débuts, et déjà en 2009, il jouait tout à fait juste. Il est capable désormais de jouer certaines sections avec un beau tranchant. On a même pu observer, au cours de ce concert, quelques partis pris interprétatifs sensibles, même si l'on demeure très loin de ce qui pouvait être réalisé avec les Folies Françoises.
Néanmoins, le résultat immédiat de cette restitution est au contraire une plus grande homogénéité des timbres et une certaine mollesse d'articulation.
Et ce n'est pas si paradoxal : au lieu d'instruments divers, on décline les intermédiaires d'une même famille. Voilà pour l'homogénéité. Et pour l'articulation ? Il suffit d'observer la dimension des tailles et quintes de violon : les instruments sont retenus par des lanières discrètes, mais comme vu leur masse il ne doit pas être possible de les bloquer avec le cou, ils reposent en partie sur la main. Aussi, l'agilité en paraît fortement diminuée - n'imaginez même pas du vibrato, et encore moins un démanché, tout s'effondrerait ! Par ailleurs, pour qui a déjà joué un violon et un alto, la différence d'exigence physique en étant déjà assez considérable, on imagine la force nécessaire pour maintenir efficacement une corde de quinte de violon.
Bref, au final, on gagne en fondu, mais on perd une part déterminante de ce que le mouvement baroqueux a apporté : clarté et autonomie des strates, individualisation des timbres, incisivité des attaques, palette expressive nouvelle. Le projet est généreux, mais il me semble qu'il se heurte aux difficultés structurelles qui ont fait que l'on a abandonné ce type d'orchestre au profit de la disposition italienne : c'est intrinsèquement un ensemble moins virtuose et moins brillant.
Les Goûts Réunis proposent une formule originale : réunir un choeur amateur à un orchestre formé de musiciens en fin d'apprentissage et encadrés par quelques professionnels, afin de fournir à tous une expérience formatrice.
Avec une oeuvre par an, une fois sur deux assez originale, l'ensemble a l'occasion de fournir un vrai travail de qualité.
Ce spectacle sera redonné (sans la chorégraphie) le samedi 8 mai à 20h, Eglise de Pentemont dans le VIIe arrondissement de Paris (106, rue de Grenelle). (Tarif 15€, 10€ si réduction. Sans réservation.)
Pour 4€ (livret fourni), on pouvait ainsi assister samedi à la Maison de la Musique de Nanterre, dans une salle de quatre cents place tout à fait pleine, à un spectacle complet : une mise en espace entrecoupée de danses (pendant un divertissement sur deux) assurées par les Fêtes Galantes (une compagnie que dirige Béatrice Massin, chargée de recréer la chorégraphie de l'Atys de Villégier la saison prochaine).
J'ai été agréablement surpris de constater que les couleurs harmoniques de Marais me paraissaient décidément moins sinistre dans Sémélé que dans l'ensemble de ses autres oeuvres, même si l'on a perdu la dimension en principe souriante de cette oeuvre au fil de quelques coupures...
Evidemment, on ne pouvait pas exiger dans ces circonstances une réalisation musicale de qualité tout à fait professionnelle, et cependant le résultat était assez remarquable.
Evénement très attendu des lutins, ce concert présentait, outre quelques standards monteverdiens, une parodie de la foire italienne de 1639.
On connaît bien la Foire française (Foire Saint-Laurent et Foire Saint-Germain essentiellement), mais on entend moins deviser, du moins en France, autour de la Foire italienne. Il est vrai que de la Foire française a donné naissance, en parodiant l'opéra, à un genre autonome qui mettra 150 ans à refusionner avec lui : l'opéra-comique (voir aussi).
Cette soirée du Poème Harmonique donnait pour la première fois (au sens large, puisque la tournée a débuté en octobre à Besançon) à entendre la musique de ces foires italiennes. Enfin, pas au sens strict. Il s'agit en réalité d'un intermède comique (destiné à séparer les actes d'un opéra) qui décrit les bruits de foire, mais utilise des procédés, précisément, qui seront ceux du théâtre de la Foire (et probablement commandé pour le Carnaval de 1639)... Avec de l'humour facile, des parodies bien vues, et une musique diversement inspirée.
Bien entendu, comme pour l'ensemble de ces recréations par les ensembles pionniers, il est difficile (sauf lorsqu'un livret documente les détails de la restitution, et Dumestre le fait habituellement chez Alpha, mais il est douteux que cette Fiera paraisse au disque) de distinguer ce qui tient de l'écriture originale, ce qui tient de la restitution fidèle des modes de jeu, et ce qui est propre à l'imagination féconde et heureuse des interprètes 'restituteurs'.
On reviendra aussi sur l'instrumentarium original.
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La soirée débutait donc par du Monteverdi.
Il faut d'abord signaler que le programme de salle comprenait, selon les endroits, soit la distribution, soit le texte, mais pas toujours les deux. J'ai eu le bonheur d'avoir le texte, ce qui m'empêche cependant de donner avec exactitude les répartitions (je donne donc juste ceux dont j'ai reconnu le visage ou la voix).
Hor che'l ciel e la terra était interprété par cinq chanteurs (soprano, mezzo, ténor, baryton, basse), notamment, pour ceux identifiés : Claire Lefilliâtre, Isabelle Druet, Marc Mauillon et Benoît Arnould. Ce madrigal, comme du reste celui donné en bis (Sì, ch'io vorrei morire, un extrait du Quatrième Livre étrangement annoncé - ai-je bien entendu ? - comme du Cinquième), souffrait d'une certaine monotonie feutrée, presque indolente ; sans mollesse, mais sans grand relief, malgré la qualité de l'articulation des chanteurs.
Il faut dire que l'interprétation de ces pièces par une collection de solistes est forcément moins commode qu'avec un ensemble spécialiste constitué de façon permanente.
Un problème récurrent pendant toute la soirée sera l'effectif retenu par Vincent Dumestre : deux violons, viole de gambe, lirone, violoncelle, contrebasse, clavecin, archiluth et théorbe (de type chitarrone, apparemment). [Pour les définitions illustrées des instruments à cordes grattées, voir ici, et pour ceux à cordes pincées, là.]
Outre que le claveciniste arpégeait peu, ce qui produisait des sons durs (avec la couleur pas très chaleureuse de l'instrument présent), des entrées brutales de son, la présence de quatre instruments d'accompagnement à cordes frottées produisait un trop-plein harmonique, quelque chose d'épais et de lourd dans le grave. Par ailleurs, la viole de gambe et surtout le lirone (sorte de viole de gambe qui comporte beaucoup plus de cordes, pour faire vite) étant un peu lourds à manoeuvrer (l'archet se tient à l'envers, de façon plus souple mais moins incisive que pour le violoncelle, et le son est en lui-même peu propice aux attaques nettes), les ajouter produisait une sorte de mollesse élégiaque pas toujours adaptée aux situations, et en particulier aux madrigaux déjà bien remplis par les parties vocales, ainsi qu'aux élans concitati du Combattimento...
A noter : on entendait merveilleusement la différence entre l'archiluth (à l'aigu clair et tranchant) et le théorbe (au son plus moelleux et sombre).
Le Lamento della Ninfa était, lui, assez bondissant, à la limite du parodique, très habité. Vraiment réussi. Claire Lefilliâtre se révèle en salle assez sonore (par rapport à ce qu'on imagine au disque), bien projetée mais très engorgée, loin du charme qu'elle peut répandre en studio, peut-être ici contrainte par l'enjeu sérieux et l'italien ?
Le Combattimento di Tancredi e Clorinda laissait des sentiments plus mitigés. Quelques décalages (étonnants de la part d'ensembles spécialistes qui opèrent des tournées de six mois), et surtout un flottement persistant pendant toute la première moitié de la pièce, une sorte de fébrilité prudente qui se ressentait un peu. Rien de honteux cependant. La couleur choisie était la plus funèbre possible (avec même un beau postlude instrumental en guise de Requiem pour Clorinde, au passage totalement hors de l'esprit de ce qui se faisait alors - fins brèves et abruptes), avec beaucoup d'effets : grosses ruptures entre parties, au contraire fondu très poussé entre d'autres, accélérations nombreuses. Pas forcément ostentatoire comme l'Orfeo gravé récemment par Rinaldo Alessandrini, mais la justification de tout cela, la cohérence d'ensemble, à part de faire personnel, n'était pas toujours évidente, pour moi du moins.
Et ici, évidemment, la lourdeur du continuo de sept instrumentistes amollisait un peu l'ensemble, le rendait moins urgent.
La Clorinde d'Isabelle Druet était une très belle découverte, pour ainsi dire une référence. Son succès habituel me laisse très perplexe (on a parfois l'impression qu'on ne peut plus entendre un concert baroque sans elle) : la voix est dure (ancienne comédienne qui a gravi tous les échelons depuis le Conservatoire jusqu'à la célébrité en peu d'années, elle garde ses appuis parlés dans son chant), le timbre assez moche (dur, un peu mégère, avec quelques furtives nasalités acides qui permettent à la voix de mieux passer), et l'expression pas toujours si extraordinaire. Néanmoins, sa Clorinde réussit, en peu de mot, à donner une épaisseur tout à la fois farouche et extatique à son personnage, d'une façon assez impressionnante à vrai dire.
Son Tancrède (à identifier...) était tout à fait réussi.
Le Testo était interprété par Marc Mauillon. La voix est toujours aussi étrange. Pour reprendre un sujet de conversation d'après-spectacle, on peut distinguer, dans le chant lyrique, trois façons de se faire entendre :
La puissance est le volume sonore de la voix, mesurable en décibels, on parle aussi de largeur. Elle est liée à la nature de la voix et à la technique adoptée.
La projection est la concentration du faisceau sonore, qui permet à de petites voix de se faire très bien entendre.
Les harmoniques enfin permettent, soit parce qu'elles sont aiguës (cas des sopranos légers), soit parce qu'elles sont denses et concentrées dans une zone de fréquences que reçoit très bien l'oreille humaine (le fameux formant du chanteur) de passer un orchestre et de se faire entendre sans peine et sans forcer.
La plupart des chanteurs utilisent plusieurs de ces ressorts, mais Marc Mauillon semble n'utiliser que le dernier, ce qui donne cette voix étrange, râpeuse, métallique, peu sonore... mais pas du tout désagréable et toujours audible !
Une vraie bizarrerie, mais par ailleurs l'italien est bon : une petite erreur dans les ellisions poétiques, mais l'accentuation est bonne, le texte très audible aussi. Sa technique d'émission, assez en arrière, lui cause un petit moment de solitude dans le grand sillabando central, où il ne peut, physiquement, atteindre le tempo, mais l'ensemble est très habité, et très rapidement, la musicalité de ce texte suscite de grandes émotions. Je ne parle que du texte, parce qu'il s'agit quand même du premier intérêt du Combattimento, dont la musique fade n'a d'intérêt que parce qu'elle l'exalte ; et ce n'est en rien une hétérodoxie que de le prétendre, puisque c'est l'exact projet de la seconde Camerata d'où est né le genre opéra...
Moment enthousiasmant, donc, malgré tous les désaccords et toutes les réserves qu'on pourrait présenter.
Ce ne sera pas Vincent Dumestre (ni moi qui en rêvais et avais commencé à potasser la partition...), mais Christophe Rousset qui recréera la dernière tragédie lyrique de Lully à rester inédite.
On dispose d'ores et déjà de la distribution pour ce vendredi 17 décembre prochain, que voici ci-dessous.
Les Journées Campra, en revanche, seront un peu décevantes, puisque mis à part les nombreux concerts d'extraits très alléchants, on n'aura que l'opéra-ballet Le Carnaval de Venise en intégralité, en version de concert bien sûr, et rien de son fonds riche et passionnant en tragédie (alors que les deux publiées au disque, Tancrède et Idoménée, sont de moins en moins disponibles et qu'Hervé Niquet avait projeté une Iphigénie en Tauride coproduite avec Desmarest pour le Festival de Montpellier, finalement remplacée par... Don Giovanni).
Non, pas de panique, elle n'était pas partie bien loin, mais il se trouve que sur le site consacré au spectacle intimiste de début de saison auquel nous avions eu le bonheur d'assister, on trouve des extraits sonores captés par France Musique[s] à l'occasion d'une émission festivalière.
Le spectacle continue à tourner, et on peut entendre sur cette page trois chansons assez célèbres d'Etienne Moulinié, interprétées avec un bel esprit et une musicalité étourdissante, et aussi des extraits des poèmes (les trois sont de Saint-Amant) déclamés en prononciation restituée (Green sauce) par Julien Cigana. Un aperçu du délice.
Quelques mots sur l'Amadis qui se joue encore aujourd'hui à l'Opéra de Massy.
1. L'oeuvre
Le livret de Quinault est faible cette fois-ci :
Très lent : quasiment deux actes d'exposition, un troisième acte inutile, un cinquième acte tout entier pour les retrouvailles heureuses.
Des méchants caricaturaux et des gentils niais : deux vilains enchanteurs faits pour la haine, une gentille fée sans motivation.
Des enchaînements dramatiques sans aucune nécessité : uniquement dûs à la magie, ce qui dépasse largement l'intervention traditionnelle du deus ex machina appelé pour résoudre une situation insoluble.
Des personnages peu attachants : Oriane n'apparaît pas pendant les actes II et III, on l'a à peine vue qu'on doit attendre l'acte IV pour la prendre en compassion. Corisande et Florestan ne font que minauder leur amour constant sans aucune variation psychologique et aucune incidence dramatique. Tout juste mettent-ils en valeur les douceurs de la constance au I et les douleurs de l'emprisonnement au III, comme aurait pu le faire un soliste issu des choeurs...
La musique n'est pas toujours inspirée non plus, beaucoup d'ariosos de basses-tailles qui doublent simplement la basse, comme c'est d'usage certes, mais ici de façon très récurrente. Valeur mélodique souvent faible. Se détachent surtout l'air d'Amadis à l'acte I, et surtout tout l'acte IV, une orgie de beautés lullystes, parmi ce qu'il a écrit de plus inspiré, où s'enchaînent une variété de sentiment, une qualité de déclamation et une prégnance mélodique qui n'ont que peu d'équivalents dans ce répertoire. Il faut aussi mentionner la formidable chaconne finale, de dimensions très majestueuses, et dont le thème, moins mémorable que d'autres, est varié de façon plus qu'admirable.
En maint endroit, on peut y voir une préfiguration des trouvailles d'Armide :
Le choeur de séduction à l'acte II rappelle les enchantements aimables et les songes agréables de l'acte II d'Armide - la basse continue se tait, seules les cordes parlent, on entend comme quelque chose de suspendu dans le médium. La fin de l'acte IV, quant à elle, utilise un duo a cappella. Tout cela annonce la formidable audace (qui se sent mal au disque, mais paraît vertigineux dans la salle) des danses de l'acte II d'Armide, lorsque tout l'orchestre fait silence et que le choeur énonce Ah quelle erreur, quelle folie ! / De ne pas jouir de la vie.
L'entrée d'Arcalaüs dans le cachot d'Oriane (acte IV) s'apparente elle aussi, avec ses mouvements harmoniques emportés et majestueux de basse continue, celle d'Hidraot à l'acte I d'Armide.
La grande chaconne enfin et bien évidemment rappelle Armide par ses proportions et son organisation : grandes variations orchestrales (avec épisodes de flûtes seules, ici en quintette), interrompues par une grande scène avec solistes et choeurs. Dans Amadis, c'est quasiment une forme vaudeville avant l'heure où chaque personnage vient dire sa part de la moralité finale.
Il faut cependant se rappeler qu'Amadis est un coup d'essai : le premier opéra français à sujet non mythologique (voire le premier opéra sérieux non antique, toutes langues confondues), utilisant un sujet vieux de quelques siècles à peine, les quatorze tomes du vaste roman médiéval consacré à Amadis de Gaule. Si Roland l'année suivante puis Tancrède de Campra (avec une source encore plus proche dans le temps) poursuivent cette nouvelle localisation des sujets, il faudra attendre Scanderberg pour admettre l'histoire récente dans la tragédie lyrique (voir ici pour plus amples détails).
Et précisément, Tancrède de Campra sur un excellent livret de Danchet reprend amplement la structure d'Amadis : l'acte III se déroule dans une forêt aux enchantements qui cause la perte de Tancrède à cause de la jalousie de la princesse qui lui est promise (mais à laquelle, ici, il ne souhaite prétendre). Sombres forêts, l'air de sa captivité, est d'ailleurs d'un caractère musical tout à fait semblable à Bois épais, à ceci près que sa mélodie est plus marquante et ses modulations plus raffinées.
Bref, Amadis, à l'exception de son acte IV, n'est pas le chef-d'oeuvre de sa période ni de ses auteurs, mais prépare le terrain pour beaucoup de choses qui seront des sommets : Roland, Armide, Tancrède, Scanderberg...
A noter, une curiosité : c'est la seule tragédie lyrique de ma connaissance où le Prologue est tenu par un personnage du drame (qui n'est pas allégorique, ni un dieu avec des attributs définis par la tradition).
Outre les propres 'concerts commentés' de CSS, qui devraient reprendre dès le début de l'année si nos partenaires sont toujours intéressés, une activité de spectateur itinérant est à prévoir, peut-être plus nette que pour les saisons passées. (Rien du tout pendant des années, Ulysse de Rebel à la Cité de la Musique en juin 2007, et Bruckner / Herreweghe à Saintes en juillet 2008.)
Quelques spectacles ont retenu notre attention. Nos suggestions peuvent peut-être donner quelques idées aux lecteurs de CSS, qui sait.
En avant pour le prosélytisme. Tour d'horizon de quelques représentations françaises engageantes.
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