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dimanche 3 mars 2024

Offenbach & Auber – Le Financier & Le Savetier ; Haÿdée – Les Bavards, Compiègne



Concept-troupe

La nouvelle troupe Les Bavards, issue de l'excellent ensemble amateur (de haut niveau) Oya Kephale, a un concept particulièrement séduisant : en format réduit (orchestre à un par partie, et un piano pour remplir un peu), ils proposent ainsi une opérette rare de cinquante minutes, dans une production scénique particulièrement vivante, qui tourne à travers divers lieux d'accès plus populaires à la culture (mairies du IIIe, du XIVe, du XVIIIe, mais aussi le Centre Paris Anim' Dunois dans le XIIIe), pour des représentations gratuites.

L'occasion d'élargir notre répertoire ! Je connaissais l'œuvre (il existe une très belle version discographique, pas très largement diffusée, avec les fulgurants Ghyslaine Raphanel et Éric Huchet !), mais l'avais trouvé peu marquante à l'écoute seule. La production de l'Opéra de Barie avait le mérite d'exister en ligne (et très bien chantée !), mais avec piano seulement, et une direction d'acteurs bien plus chiche. En salle, l'œuvre prend toute sa saveur dans cette version mise en scène de façon très animée par Thierry Mallet (un des fondateurs de la troupe ; également le Savetier).

La réalisation instrumentale n'est pas parfaite, mais chaleureuse et pertinente (ça vaut largement mieux que n'importe quel grand orchestre en pilotage automatique !), tout transpire l'amour de cette musique et de ce théâtre, sans s'excuser de jouer de la musique simple ou des plaisanteries du XIXe siècle. Et je suis très sensible aux couleurs avivées dans cette version pour orchestre réduit.
Les chanteurs sont en outre excellents – Audrey Maignan déjà admirée en Robin Luron du Roi Carotte au Conservatoire du XIIe et dans Les Brigands, Thierry Mallet applaudi dans Barbe-Bleue ou Les Brigands avec Oya Kephale, Thibaud Mercier, Paul Le Calvé.

L'occasion pour moi de remarquer quelques détails dans l'œuvre.

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Détails dans Le Financier & le Savetier

1) « En pincer » est déjà attesté, dans ce livret. Je n'aurais pas été certain que ça remonte si loin (1856).

2) La propension d'Offenbach à utiliser des fragments de mots répétés pour effet drolatique (et faciliter la mise en musique malgré la prosodie) réussit ici un très joli coup avec « Il faut qu'un Savetier save save save save son métier ».

3) Le meilleur moment musical, c'est l'exploitation, dans un court trio conclusif, de la musique de la chanson de la captivité de Richard Cœur de Lion (Sedaine / Grétry), un tube des années 1780 qui a été une sorte d'hymne officieux de résistance sous la Révolution et qui a repris en popularité – notamment comme « timbre », c'est-à-dire comme mélodie pour les textes des vaudevilles et des chansonniers – sous la Restauration.
Je parle de cette romance Une fièvre brûlante dans la notule consacrée au genre.

4) Dans les dialogues, « Je bois aux sultanes » évoque très fort le livret (de Scribe) d'Haÿdée d'Auber (1847), un grand succès de l'époque – dans la scène de somnambulisme de Lorédan (une des plus incroyables scènes de solo de tout le répertoire français), il livre cette réplique pendant son toast imaginaire, entre deux remords : « je bois à vos sultanes ». Une parole d'autant plus emblématique qu'elle sert de refrain et point culminant. (Merci, de ce fait, aux artistes d'avoir conservé les dialogues d'origine pour profiter de ces pépites.)
Le lien n'est pas tout à fait gratuit : le nœud de l'intrigue d'Haÿdée repose sur un jeu d'argent où l'on mise tout ce que l'on a – jusqu'à, comme dans ce Financier & Savetier, sa propre maison.

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Action de grâces

Une fois de plus, le salut provient des petites institutions, voire des amateurs : tandis que l'Opéra de Paris rejoue pour la millionième fois Giovanni et Traviata, ou l'inutile damnation, le répertoire est documenté par les compagnies qui auraient besoin de jouer des tubes pour vivre (œuvres suffisamment connues pour être appréciées même en version « dégradée » par rapport à nos disques préférés, de toute façon). Merci à ceux qui se livrent à ce sacerdoce – pour nous autres spectateurs tellement salutaire !

À cela s'ajoute l'excellent livret de salle (gratuit lui aussi) qui inclut l'argument, la Fable d'origine, l'équivalent monétaire des sommes évoquées, un récit de la création avec des citations de critiques d'époque, et enfin un glossaire très riche sur les expressions – « alêne » et « empeigne » pour l'artisanat chaussural, mais aussi « jeter du persil » pour exprimer l'idée d'empoisonner le voisin, lié à la toxicité supposée du persil sur les perroquets !

Vraiment, Les Bavards, vous avez fait carton plein !

Il reste deux dates, que vous retrouverez dans l'agenda officiel de Carnets sur sol.

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Retour à Haÿdée

Je lui ai déjà consacré une notule (où j'ai parlé de polytonalité, un peu hardiment, car l'effet est aussi dû au fait que Bruno Comparetti ne chante pas totalement juste en cette instance), mais en cherchant à vérifier l'exactitude de ma citation, j'ai rencontré par pure sérendipité la vidéo (le DVD est difficile à trouver), je ne disposais que de la bande prise par un spectateur à l'époque… et voilà qui m'a fatalement replongé dans l'intégralité de l'œuvre, que je trouve réussie musicalement – alors que beaucoup d'opéras d'Auber me paraissent dotés d'assez peu d'idées musicales. (Contrairement à son Quatuor à cordes en ut de jeunesse – 1799 – et bien sûr aux mirifiques Diamants de la Couronne.)

L'occasion, de même, de quelques remarques ponctuelles.

a) Je crois que l'histoire me touche parce qu'elle explore – certes de façon schématique vu qu'il s'agit d'un opéra comique du XIXe siècle qui doit contenir ses barcarolles, ses chants de guerre, ses romances, ses airs vocalisants, sa couleur locale maritime et vénitienne… – non pas un absolu, mais une nuance plus proche de la vie. Que se passe-t-il lorsque, vertueux, on n'a pas la force de se montrer exemplaire à un moment capital ? Le livret de Scribe, très stimulant, tourne autour de cette question de la culpabilité – Lorédan est un homme admirable, mais tourmenté par une faute qu'il aurait pu éviter. Voilà qui change des héros intrépides, mus seulement par l'amour ou la gloire, sans aucune consistance psychologique explicitée.
De même, certes on croise le poncif de l'esclave amoureuse de son maître (qui la traite respectueusement une fois que ses compagnons ont massacré sa famille…), mais le portrait est nourri de motivations qui peuvent s'entendre – l'estime pour le seul qui ne l'ait pas traitée comme monnaie d'échange, le besoin aussi de se trouver une nouvelle mission après cette catastrophe insurmontable…

b) À ce titre, je trouve les personnages principaux assez attendrissants (le jeune couple qui en personnage secondaire paraît bien plus stéréotypé et égoïste, ils s'aiment et font le nécessaire, basta). Petit indice assez élégant, Lorédan vouvoie son esclave, ce qui montre qu'elle n'est considérée ni comme une enfant déficiente, ni comme une amante dont il aurait consommé la chair.

c) Lors de la confrontation avec l'ennemi Malipieri qui a surpris la confession faite en rêve par Lorédan, je suppute que les insinuations sur le rêve qui révèle un crime constituent une réécriture, voire un clin d'œil (an Easter egg, dirait-on au cinéma) à quelques scènes célèbres de Shakespeare : le songe de Cassio surpris par Iago, mais peut-être tout autant la pièce de théâtre mise en place par Hamlet pour surprendre les émotions de son oncle homicide.

d) Je suis à nouveau frappé par les récitatifs, dont la véhémence fait quasiment plus penser à Weber et Marschner qu'à la grande école française – même si, bien évidemment, l'essentiel du langage est à apparenter au style meyerbeerien du grand opéra à la française.
Le somnambulisme de Lorédan est un peu, stylistiquement, l'équivalent français (et pour ténor, tessiture rarement pourvue de ce type de scène !) du grand récit du Vampire chez Marschner. Un moment où toute une histoire est racontée en solo, avec des récitatifs de qualité incroyable. Et quelle revélation haletante ! Révélée de façon tout à fait implicite de surcroît – « ah ! six et quatre ! », et c'est tout.

Pour le reste, je vous renvoie à la notule correspondante, et surtout à la vidéo (je vous la cale directement sur la scène de somnambulisme), chantée dans un français exceptionnelle – et, par contrat (!), sans aucun [r] roulé.

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Pierre Jourdan, tu nous manques.

Les Bavards et autres amateurs courageux (Calligrammes, Elektra…), vous nous sauvez.

lundi 6 novembre 2023

Les nouveautés précieuses de l'automne 2023


Parmi les brassées de nouveautés de ces dernières semaines, et le nombre important de celles que j'ai écoutées, quelques pépites que je vous recommande tout particulièrement – que ma consommation déraisonnable soit au moins utile.

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J'évite autant que possible de prendre du temps de notule pour des remarques un peu éphémères, mais cela vous évitera de rater l'essentiel !

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1. Disques incontournables : les œuvres

Violon solo de Matteis père, Pisendel, Guillemain (avec des paraphrases de la Passacaille d'Armide de LULLY et de la Sicilienne de Pirame & Thisbé de Francœur & Rebel !), Vilsmayr et Biber par Isabelle Faust. Des bijoux, et toujours interprétés avec cette probité musicologique et cette intelligence artistique.

Deux opéras comiques de Duni : Le Peintre amoureux de son modèle et surtout Les deux Chasseurs et la Laitière par les meilleurs spécialistes du genre (Orkester Nord / Martin Wåhlberg). J'ai évoqué le sous-texte leste du second dans cette notule. La musique en est de plus fort plaisante ; tandis que le Peintre me paraît beaucoup plus conventionnel et conforme à ce que je connaissais jusqu'ici de Duni, sans saillances particulières du livret ni de la musique. On a le plaisir d'y retrouver quelques voix idéales pour ce répertoire – Pauline Texier et Jean-Gabriel Saint-Martin, en particulier.

« Sturm und Drang, volume 3 », par The Mozartists. Du Mozart (Adagio & Fugue) et du Haydn (Symphonie n°44 « Funèbre »), mais surtout une scène dramatique d'Annibale in Torino de Paisiello, une trépidante symphonie de Koželuch, et une page totalement éperdue de l'Alceste (en allemand) d'Anton Schweitzer !  Une très belle découverte, je n'avais pas vu passer les précédents volumes chez Signum !

Troisième volume de la série consacrée aux ténors historiques de la tragédie en musique par A Nocte Temporis ; ici Joseph Legros à la fin du XVIIIe siècle : La Borde, Gluck, Piccinni, (Johann Christian) Bach, Grétry, Legros lui-même, Berton, Trial… !  Passionnant parcours dans lequel Reinoud Van Mechelen (dont la voix assez couverte n'incarne pas a priori l'idéal d'époque) se coule avec beaucoup de talent.

Les Quatuors pour harpe et cordes d'Eugène Godecharle, compositeur belge de la seconde moitié du XVIIIe siècle, révélés par le groupe Société Lunaire : des œuvres pleines d'esprit, dont la variété et l'intérêt sans cesse soutenu m'ont impressionné. À mettre au côté des Quatuors avec hautbois de Gassmann ou des duos de violons de Lombardini-Sirmen.

La Messe à double chœur de Rheinberger, un chef-d'œuvre rarement donné, voluptueusement enregistré par PentaTone, et servi par l'inhabituelle texture mate du toujours excellent Chœur de la Radio des Pays-Bas, jamais épais ni désagréablement tendu. Couplage avec de très beaux motets de Mendelssohn.

The Nutcracker and the Mouse King, un pot-pourri Tchaïkovski pour servir une nouvelle version de Casse-Noisette, non pas en ballet, mais pour accompagner le récit inspiré cette fois non de Dumas mais de Hoffmann !  Œuvres sélectionnées par John Mauceri (à partir d'œuvres moins célèbres : Hamlet, The Tempest, Snegourotchka, etc.), en créant des leitmotive, en choisissant les meilleures parties récitatives et dramatiques… ça paraît du bidouillage sur le principe, mais c'est totalement réussi !  Très belle narration aussi par Alan Cumming.

Les œuvres pour violon & piano de Mel Bonis (par Sandrine Cantoreggi & Sheila Arnold), dévoilant une part assez ambitieuse de son legs, du calibre de sa Sonate pour violoncelle et piano.

Coup de foudre pour deux albums Reger, une anthologie Warner (apparemment version abrégée d'une précédente anthologie) qui permet un panorama très complet dans de très belles interprétations, et révèle un Reger bien plus divers et coloré qu'on n'en a l'image.

Et en nouveauté, trois lieder orchestraux qui révèlent un Reger romantique, mais pas postromantique épais comme ses poèmes symphoniques, vraiment un Reger qui verse l'expression à grands flots, à la frontière du décadentisme. Parmi ses toutes plus belles œuvres, et d'un style que je ne lui connaissais pas. De surcroît, articulé avec netteté sur instruments anciens avec Spering, et énoncés par deux excellents spécialistes, Anke Vondung et Tobias Berndt.

Les chants a cappella de Samuel Coleridge-Taylor, un idéal d'élégance évocatrice dans ce répertoire, par l'excellent Chœur du King's College de Londres.

Pour la suite de la série consacrée au Brésilien Claudio Santoro chez Naxos, la Symphonie n°8 est couplée avec le Concerto pour violoncelle. J'y entends beaucoup l'influence de la musique soviétique, et ce n'est pas nécessairement le meilleur volume de la série, mais il y a… les dix minutes des Interactions Asymptotiques, et là l'inventivité et la chaleur des timbres et des strates me ravit absolument, un bijou à chérir.

Quatuors à cordes de compositeurs japonais
: Yashiro, Nishimura, Miyoshi, et les deux « tubes », les Landscape de Takemitsu et Hosokawa – plutôt les pièces les moins abouties et adaptées à la formation. Coup de cœur en particulier pour les Pulses of Light de Nishimura, de l'atonalité très dynamique et conforme à son projet d'évocation !



2. Disques incontournables : les interprétations

Le Requiem de Campra particulièrement frémissant dans cette nouvelle version du Concert d'Astrée (à mon sens la meilleure version discographique à ce jour).

Un Haendel qui est un tube (Dixit Dominus), mais ici exécuté avec mordant (Chœur de la Radio Flamande, Il Giardellino), incroyablement animé.

Encore une version de Scylla & Glaucus de Leclair (la quatrième, et la troisième en moins de 10 ans…), par Vashegyi, et il faut admettre que c'est une proposition tout à fait électrisante, l'Orfeo Orchestra est animé et coloré comme il ne l'avait pas été depuis longtemps, le plateau rayonne (Wanroij, Gens, Dubois qui sont dans un très bon jour, tous très en voix et très en mots). Et l'œuvre, évidemment, très séduisante instrumentalement dans ses nombreux divertissements, et particulièrement saisissante dans l'invocation infernale de l'acte IV et le final rageur de l'acte V. Je ne suis pas partisan de dépenser des subventions et du mécénat pour réenregistrer une œuvre dont on disposait déjà de trois autres excellentes versions, mais quitte à le faire, faites-le avec ce niveau de finition !

Petits ensembles de Mozart avec vents solos par l'électrisant Ensemble MidtVest (leur intégrale Gade est fabuleuse).

Quatuor à cordes n°10
de Beethoven par le Chiaroscuro SQ, d'une intensité rarement entendue, et dont les coloris font honneur au nom de baptême !  Peut-être la plus belle version de ce quatuor que j'aie pu écouter. Le n°13 en couplage (sans la Grande Fugue) est moins singulier et moins superlatif, quoique excellent bien sûr.

Des Impromptus de Schubert épurés, droits et finalement vraiment neufs par Ronald Brautigam (sur pianoforte). Suprême élégance sur les pianofortés cristallins de l'époque de Schubert ; les limites techniques des instruments (par rapport aux Graf des années 1820, comme ceux utilisés par Peter Serkin pour les dernières sonates de Beethoven, parfaitement fonctionnels) permettent très peu d'amplitude dynamique, et donnent l'impression que tout est joué assez fort, mais Brautigam ménage un élan et des phrasés magnifiques, qui renouvellent vraiment l’écoute… (Autre suggestions sur piano d'époque, mais plus ancienne, Dähler, grand coloriste, poète, rhéteur…)

Suite de l'intégrale des Symphonies pour cordes de Mendelssohn, très vive et affûtée (Dogma Chamber Orchestra dirigé par Gurewitsch chez Gold MDG) : le meilleur des deux mondes (tradi / informé). Tempi vifs, attaques tranchantes, plénitude du sostenuto des cordes, ces œuvres de prime jeunesse paraîtraient issues de la meilleure maturité d'un grand compositeur.

Réédition
des Debussy à quatre mains de J.-Ph. Collard et Béroff, lectures claires et ciselées, avec en prime des arrangements orchestraux pour quatre mains (Symphonie en si) ou deux pianos (le Faune, les formidables deux premiers numéros des Nocturnes…).

Feu et couleurs que je trouvais remarquables dans la Phantasie pour trio de Bridge (qui ne m'avait jamais paru aussi passionnant), et feu d'artifice hallucinant dans le pourtant très couru Premier Trio de Mendelssohn !  C'est à tel point que je ne suis pas sûr qu'on ait entendu mieux au disque. Trio Laetitia, avec Deljavan au piano – chez Artalinna.



3. Pépites isolées

Certaines pistes, indépendamment de la sélection ci-dessus, font dresser l'oreille et fascinent durablement.

Je pense par exemple au Thésée de LULLY par les Talens Lyriques (œuvre inégale, mais qui comporte quelques très hauts sommets, tout son acte I en particulier, et le premier enregistrement officiel de qualité qu'on en ait – « ô Minerve savante » assez extraordinaire), à l'arrangement des Variations Goldberg pour violon concertant imaginée par Chad Kelly (interprétation Rachel Podger), aux délicieuses Sonates pour violon & clavecin de Johann Ernst Bach (dont c'était l'anniversaire en 2022), à la transcription du début du III de Siegfried pour piano solo par Juliette Journaux (disque Wanderer chez Alpha, il nous faut davantage de transcriptions de ce calibre !), à l'Ouverture Ein feste Burg de Raff (sa première œuvre orchestrale à me convaincre, il s'y passe beaucoup plus qu'à l'accoutumée) par le Philharmonique de Slovaquie, au Quatuor à cordes Op.11 de Nicolaï Tchénépnine par le Quatuor Michelangelo, ou encore Aux Étoiles, le recueil d'ouvertures françaises fin XIXe publié par le National de Lyon chez Bru Zane (Guiraud, Bonis, Bruneau, Holmès, Sohy, Joncières, Rabaud, et quelques versions extrêmement réussies des tubes de Franck, Duparc, Chabrier, Chausson, Dukas et d'Indy).

On a aussi quelques documents importants qu'il fallait absolument publier, mais qui ne m'ont pas forcément intéressé autant qu'espéré, comme Das Lied von der Glocke d'Andreas Romberg à Duisbourg (important de l'entendre, mais il existait déjà un enregistrement, le chœur est amateur et surtout le compositeur n'a clairement pas le génie de son cousin Bernhard), Ariane de Massenet (il faudra que je réécoute, j'en ai retiré peu d'impressions), et autres belles choses comme La Princesse de Trébizonde d'Offenbach, belle œuvre et belle réussite de l'équipe, mais qui ne me paraît pas aussi incontournable que d'autres disques, puisqu'il s'agit ici d'opérer une sélection…



4. Le goût du sang

Parce que je sais que si vous venez lire une telle notule, c'est moins pour être informés que pour vous repaître de remarques assassines – voici quelques déceptions.

À la vérité, comme je choisis les disques qui m'intéressent, je n'ai pas croisé d'immense ratage, de proposition totalement inintéressante, d'œuvres nulles, d'immondices, ou pis, de Philip Glass.

Néanmoins, quelques propositions n'étaient pas tout à fait à la hauteur des attentes.

Difficile pour les ensembles et chanteurs non spécialistes du répertoire français de réussir à bien l'interpréter, et le nouvel Acis & Galatée de LULLY par l'excellent Sardelli connaît quelques raideurs et monochromies en conséquence – difficile de passer juste après la publication extraordinaire des Talens Lyriques cette même année ; j'y remarque surtout Jean-François Lombard, chanteur exceptionnel qu'on entend trop peu à l'opéra, et dont la technique très singulière (voix mixte, mais avec une forte proportion d'émission de tête) sonne un peu étrangement au disque et en contexte dramatique, il est vrai.

Toujours pas très convaincu par la voix très couverte de Lea Desandre, qui ne correspond (malgré toute sa science du style) pas bien au cahier des charges de l'air de cour (évidemment une nouvelle pour Le doux silence de nos bois est toujours une bénédiction, surtout aussi bien accompagnée).

Vraie déception pour la Belle Meunière de Samuel Hasselhorn, que je suis et admire depuis ses études au Conservatoire. Il a fait évoluer sa technique vers un aspect plus barytonnant… et cela lui permet peut-être davantage de stabilité dans les œuvres avec orchestre, mais éteint aussi la singularité qui faisait son charme. J'en parle plus en détail dans cette notule.

Douloureuse surprise, le disque du Gewandhauschor n'est pas vraiment un arrangement pour chœur (ce qui m'aurait passionné), mais une version du Winterreise pour soliste et accompagnement d'accordéon parfois renforcé de chœurs (qui sonnent assez kitsch, façon chœurs en « hou-hou » de la Fiancée de Cadix). De surcroît le chœur, audiblement amateur, n'est pas le meilleur d'Allemagne… Restent la belle diction de Tobias Berndt et quelques réussites comme « Das Wirtshaus », qui semble vraiment sur le papier le lied le plus conforme à une écriture chorale. Et ici, pas d'accordéon, chœur d'hommes, c'est très beau.

Barbara Hendricks (je fais partie de ceux qui l'ont beaucoup aimée, y compris dans ses emplois les moins attendus comme la mélodie et le lied) a toujours de la voix (bientôt 75 ans !), même si le centre de gravité s'est fortement abaissé. En revanche, manifestement pas de répétiteur de français pour ces cantates et mélodies orchestrales de Berlioz… ça pique, et ça manque de direction, c'est bien dommage. (Alors qu'elle a proposé des enregistrements magnifiques en français, sa Leïla des Pêcheurs de perles avec Plasson par exemple.)

Nouvelle version du Trio de Chausson par le Trio Metral mais… si j'aime assez le piano, je suis frustré par le son des cordes, très « international ». Ce sont de grands musiciens, mais je n'aime pas ce son ample, patiné, homogène pour le répertoire français, où je me sens plus à l'aise avec des attaques franches et un timbre un peu plus acide (du type Stéphanie Moraly, Philippe Koch, Saskia Lethiec, Émeline Concé, Aitor Hevia, Anne Robert…). C'est un peu comme pour l'orgue, j'écouterais très volontiers tout le répertoire avec ce son à la française. Mais au moins pour le répertoire français fin-de-siècle, déjà écrit de façon nébuleuse, j'ai besoin de franchise dans les articulations. Ce n'est donc même pas un jugement sur l'interprétation proprement dite, j'ai vraiment eu peine à entrer dans la proposition pour des affaires de goût – et autant pour la voix je peux argumenter qu'il y a des problèmes de projection, que ce n'est pas efficace pour la diction, autant ici, pas de problème, Nathan Mierdl sait jouer du violon, très clairement…

Deuxième Symphonie de Mahler par Rouvali avec le Philharmonia. Écouté sans doute un peu distraitement, mais dans cette (tout à fait bonne) version, je n'ai pas retrouvé la singularité de ses Sibelius (où les ponts semblaient devenir les thèmes et les thèmes devenir des transitions), et au sein de cette discographie d'une quantité excessive, cela rend évidemment la proposition moins essentielle.

Les Concertos de Jan Novák, pas très saillants… mais je pensais écouter Vítězslav Novák, le grand postromantique tchèque très inspiré, né en 1870, pas ce jeunot né en 1921 !  Je le découvre à l'occasion, mais je l'ai méjugé à l'aune de l'autre. (On voit surtout Novák en gros sur la pochette, ce qui est trompeur. Imaginez qu'on fasse pareil pour Johann Ernst Bach ou Isidore Stravinski !)

La Symphonie « Bretagne » de Didier Squiban, très agréable, mais un peu lisse et consonante sur la durée.

Pas de mauvais disque à signaler, donc. Et quantité d'autres bons disques qui m'ont moins intéressé.



Vous pouvez retrouver ma sélection dans cette playlist, et encore davantage de sélections thématiques sur mon profil Spotify. À bientôt pour de nouvelles découvertes !

vendredi 13 janvier 2023

[podcast opéra] – Épisode 6 : L’opéra est-il un art du passé ?


 
Hector Dufranne en Grand-Prêtre de Samson & Dalila de Saint-Saëns.
Sonya Yoncheva dans La Bohème (mise en scène Claus Guth).

Plusieurs amis m'ont fait remarquer qu’il n’existait manifestement pas de podcast de vulgarisation sur l’opéra. J'ai été en peine de leur faire des recommandations : je trouve que ce qui existe, y compris en vidéo, parle rarement des éléments constitutifs du genre de façon progressive, et propose plutôt des anecdotes, voire des résumés d'intrigues – ce qui à mon sens doit plutôt intéresser un public déjà informé. Et, en tout état de cause, je connais mal l'offre. À défaut de pouvoir conseiller, j'ai donc opéré un petit essai :  l’idée serait de poster une seule notion à la fois, moins entrelacée et développée que dans une notule, pour essayer de toutes les clarifier, les unes après les autres.

J'en ai réalisé 6 épisodes cette semaine. Vous pouvez vous abonner dans votre application habituelle avec ce lien RSS : https://anchor.fm/s/c6ebb4c0/podcast/rss .
Sinon, il se trouve ici sur Google Podcast, Spotify, Deezer, SoundCloud

Pour ceux qui n'aiment pas l'audio, j'en recopie le script ici. (Il manque quelques précisions faites à l'oral, évidemment, mais l'essentiel est là.)  Rien que les lecteurs de CSS ne sachent déjà, mais il est possible que vous découvriez des choses au fil de l'avancée de la série, j'essaierai d'explorer, autant que possible sans aucun prérequis, des notions un peu plus précises au fil des semaines – si la chose trouve son public. J'envisage également des séries un peu plus techniques, par exemple sur la musique ukrainienne, qui me prend beaucoup de temps en rédaction à cause du format un peu ambitieux des notules, et qui gagnerait sans doute en promptitude en le réalisant sous forme audio.
 
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Épisode 6 : L’opéra est-il un art du passé ?

Oui.

À la semaine prochaine !



Ah, vous voulez en savoir davantage ?

¶ L’opéra est un art créé pour des besoins spécifiques, à la toute fin du XVIe siècle (voyez l’épisode 3). Il s’agissait d’exalter la déclamation théâtrale grâce au chant. Puis on s’est fasciné pour l’agilité ou la puissance de l’organe vocal humain.
Les micros ont permis beaucoup d’autres possibilités pour chanter à fort volume sonore, toutes les émissions vocales sont devenues possibles, mais l’opéra a continué de chanter sans amplification – ce qui rend son impact physique très particulier. Cela se comprend, mais il aurait pu inclure des épisodes amplifiés, et ce n’est presque jamais le cas, alors que certains chanteurs lyriques maîtrisent à la perfection d’autres techniques propres aux musiques amplifiées.

Il n’est donc pas absurde du tout que l’opéra ait conservé ses qualités propres, mais c’est assurément un art qui tire ses logiques techniques du passé.

¶ L’opéra a pu être, au XVIIIe et au XIXe siècle, une sorte d’équivalent au cinéma : intrigues sommaires, énorme budget de décors, superstars, phénomènes de société qui créaient ou faisaient écho à de gigantesques débats.
Par exemple, en 1810, énormes débats sur la légitimité de représenter des héros issus des Saintes Écritures (en l’occurrence Caïn et Abel) sur la scène de l’Opéra, en modifiant la Genèse et en ridiculisant certains de ses personnages (la perruque blonde d’Abel a beaucoup fait jaser). Est-il légitime de produire une fiction à partir du Sacré le plus saint ?  Et sur une scène de mauvaise vie comme l’était l’Opéra, jouée par des acteurs dépravés ?
Ou encore, après 1870, beaucoup d’opéras exploraient les émotions de vaincus sublimes (les Gaulois, les Hébreux), l’idée de la souffrance des crimes de guerre, des invasions barbares, etc., parce que cela travaillait énormément la France d’après la défaite.

Aujourd’hui, le cinéma a endossé cette part de spectaculaire, de popularité, de vulgarité quelquefois, et les débats qui vont avec. On n’invite pas les chanteurs d’opéra des productions en cours, et encore moins les compositeurs, sur des plateaux de télévision pour faire leur promotion ou transmettre leur vision du monde.

¶ Surtout, le choix des programmateurs a écarté l’opéra contemporain des scènes lyriques. Aujourd’hui, l’opéra est devenu un musée : sur une saison de 5 à 20 titres, vous aurez au maximum une œuvre composée dans la décennie, et ça n’arrive pas tous les ans… On rejoue essentiellement les œuvres du passé, et de surcroît les mêmes.

Je ne blâme pas les programmateurs (enfin, en réalité si, mais tout n’est pas de leur faute) : un certain nombre de contraintes leur échappent. Pour commencer, tout simplement la nature du langage musicale qui s’est énormément complexifié à partir de la fin du XIXe siècle, jusqu’à atteindre des expérimentations assez extrêmes au XXe siècle (le dodécaphonisme sériel décrète l’égalité entre toutes les notes et l’interdiction de les répéter, avec pour résultat un langage qui n’est plus compris par les auditeurs). Cela influe de surcroît sur l’écriture vocale (avec des intervalles de hauteur de plus en plus grands entre les notes), ce qui entraîne une compréhension beaucoup plus difficile du texte. Les livrets aussi, parfois centrés sur la vie des artistes, ou nageant dans des réflexions métatextuelles difficilement accessibles, pas toujours réussie et en tout cas peu ludiques, n’ont pas aidé.

L’opéra est donc devenu une sorte de musée, reflet d’un temps passé, où l’on chante à l’ancienne des œuvres déjà bien vieilles.

Je crois que j’ai tout dit. À bientôt.



MAIS NON.

Vous saviez bien qu’il y aurait un MAIS.

Un petit MAIS, et cependant un MAIS important. Tout ce que j’ai dit reste vrai, toutefois je voudrais ajouter un petit quelque chose.

Depuis une trentaine d’années, la liberté de création (et notamment la liberté d’emprunter des langages du passé) a connu un regain de force, et on trouve aujourd’hui des styles incroyablement divers dans la musique classique et dans l’opéra. Des œuvres quasiment parlées à base de phonèmes, des œuvres atonales avec des sujets métaphoriques, mais aussi des œuvres écrites avec un langage sonore plus proche de la musique de film, pleine de références, et qui évoquent des sujets actuels et très divers.

Il est difficile, dans une baladodiffusion et sans disposer des droits, de faire entendre l’immensité de l’étendue de ces styles musicaux, mais je peux au moins vous donner une idée des sujets.
On peut y parler d'histoire récente (Rasputine, Anne Frank, Die Weiße Rose, JFK, Nixon, Marilyn Monroe, de l'homosexualité chez les maccarthystes), de grands classiques (Minotaure, Ovide, Hamlet, Richard III, Frankenstein, Maison Usher, Moby-Dick, Dracula, plusieurs Cyrano, Canterville, plusieurs Solaris, T. Williams, Beckett, Pagnol avec la trilogie marseillaise…), on trouve de la littérature de jeunesse (Chat Botté, Musiciens de Brême, Blanche-Neige, Gulliver, Lord of the Flies, la Locomotive par l’auteur de L’Histoire sans fin, beaucoup en Russie et en République Tchèque), de films (Sophie's Choice, Marnie de Hitchcock, Dead Man Walking, The Addams Family, Lost Highway de Lynch, même une version en lipdub de Hercules vs. Vampires de Bava), de bandes dessinées (Max et les Maximonstres), des polars, des intrigues mathématiques, de livres de psychiatrie (The Man Who Mistook his Wife for a Hat), des suites d'opéras du répertoire (de la trilogie de Figaro, d'Aida, de Gianni Schicchi…), de l'exploration de phénomènes sociétaux (alpinisme, regards sur l'homosexualité, Alzheimer, le nucléaire), des opéras érotiques (Opéraporno en tournée française, Powder her Face, Das Gehege – où une femme rêve, je n'invente rien, de se faire déchirer par un aigle)…
Vous en trouverez quelques descriptions dans cette notule, qui représente la moitié ou le tiers de ce que j'avais trouvé sur une seule saison d'opéra !

Donc vous le voyez, l’opéra reste globalement un genre du passé, MAIS malgré la faiblesse du nombre des commandes et des reprises, l’opéra d’aujourd’hui est d’une diversité extrême, couvrant un nombre de sujets qui combine ceux du film grand public, du film d’auteur et du documentaire, et encore au delà.

J’avais réalisé une petite série « 1 jour, 1 opéra » sur Twitter et Carnets sur sol, qui essayait de présenter les œuvres originales données ce jour-là dans le monde.

N’hésitez pas à explorer l’opéra : il existe forcément un sous-genre qui vous touchera. Et si ce n’est pas dans les genres du passé, ce sera sans aucun doute possible dans les innombrables genres du présent.

Slava opéraïni. À bientôt !

lundi 1 août 2022

Les meilleures nouveautés de la mi-2022




Estimés lecteurs,

Je m'apprête à prendre pour quelques jours congé de vous : je suis obligé, afin d'éviter la publicité pharmaceutique des automates russes et l'expression de l'absence de vie d'un troll récurrent ici, de ne pas publier les commentaires tout de suite, mais ils seront  lus avec attention et joie (et obtiendront évidemment une réponse) dès mon retour.

Pour les plus enragés / désœuvrés, je laisse ici un point d'étape sur les écoutes discographiques de l'année déjà pour plus de moitié écoulée. Cela permettra aussi de retrouver les références dans le moteur de recherche du site, plutôt que de devoir jongler avec un hébergeur extérieur (dont personne ne peut prévoir, au demeurant, la persistance).

Avec la sélection « rechercher dans la page », vous pouvez grâce à l'étiquetage retrouver les 79 écoutes du Cycle Ukraine, ainsi que toutes les nouveautés discographiques écoutées (il y en a 215). Vous pouvez aussi copier-coller les cœurs pour retrouver spécifiquement les disques à trois cœurs (le mien est large, il y a 176 disques concernés) ou à deux (319…).

Pour vous mettre en appétit, quelques disques ressentis à ♥♥♥, dont vous retrouverez les commentaires ci-après.



A. Nouveautés

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→ Cardoso, Messes par Simon Lloyd
→ Aumann, Musique de chambre par Letzbor
→ Campra, Le Destin du Nouveau Siècle par Bismuth
→ Schumann Quatuor piano-cordes en ut mineur par le Dvořák Piano Quartet
→ Offenbach, Le Voyage dans la Lune par Dumoussaud
→ Massenet, Mélodies orchestrales par Niquet
→ Saint-Saëns, Phryné par Niquet
→ Fauchard, Œuvres pour orgue, par Fiedhelm Flamme
→ Taneïev, chambre par Spectrum Concerts Berlin
→ Perosi, Trio à cordes n°2 par Roma Tre Orchestra
→ Marinuzzi, Palla de' Mozzi, Grazioli
→ Louis Andriessen, Smit, Pijper et piano à quatre mains du XXe néerlandais par les Jussen
→ Vladigerov, Orchestral Works 3 par Vladigerov
→ Alberga, Concertos pour violon par Swensen
→ Solos de violoncelle par Thibaut Reznicek




B. Nouvelles versions

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→ Haydn, Symphonies par le Basel Kammerorchester
→ Voříšek & Mozart 38 par Blomstedt
→ Beethoven, Symphonies par Le Concert des Nations
→ Schubert, Winterreise par Benjamin Appl
→ Ireland et Liszt, sonates par Tom Hicks
→ Brahms, Concerto pour violon par Degand & Rhorer
→ d'Indy, Chansons & Danses par le Polyphonia Ensemble Berlin
→ Debussy, Pelléas & Mélisande par Les Siècles
→ Sibelius, Symphonie n°7 par Nicholas Collon
→ « Mirages » par Roderick Williams



C. Découvertes personnelles

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→ Rode, Concertos pour violon par Friedemann Eichhorn
→ Dupuy, Ungdom og Galskab par Schønwandt
→ Röntgen, Concerto pour violon en la mineur par Ragin Wenk-Wolf
→ Alfvén par Alfvén
→ Kienzl, Quatuors (et trio) par le Thomas Christian Ensemble
→ Kienzl, Der Evangelimann & Der Kuhreigen
→ R. Strauss, Alpensinfonie par Shipway
→ Ornstein, Sonates par Janice Weber
→ Wirén, Quatuors par le Wirén SQ
→ Maria Bach, musique de chambre par Hülshoff & Triendl (et aussi le disque CPO)
→ Eben, Job par Titterington
→ Alberga, Quatuors



D. Doudous increvables

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→ Grétry, Raoul BB
→ Stenhammar, quatuors par les Gotland SQ, Fresk SQ et Copenhagen SQ
→ Nielsen, Saul og David par Neeme Järvi
→ Verdi, Il Trovatore par Muti 2000
→ Pejačević, Quatuor avec piano et Quintette par Triendl & Sine Nomine SQ
→ Saint-Saëns, Symphonie n°3 par Paul Paray



Cliquez ici pour ouvrir tous les commentaires sur les disques.

Suite de la notule.

dimanche 6 février 2022

Le défi 2022 des nouveautés – saison IV, épisode 1 – baroque autrichien, préromantiques danois, concertos surprenants et anniversaires…


lattès

Nouvelle saison !

Devant la quantité d'enregistrements écoutés, et sur lesquels j'écris pour moi-même, je m'interroge toujours sur le format pour les partager au mieux. Je sais que certains camarades ou lecteurs de passage aiment avoir un avis sur les nouveautés, ou des idées d'écoutes – et j'aime assez l'idée qu'au bout de quelques années, on puisse trouver, en cherchant sur le site, beaucoup d'éléments croisés sur beaucoup plus de compositeurs que les entrées habituelles, avec un nom par publication, ne me laisseront jamais aborder sérieusement.

Hélas, mettre en forme mes brouillons prend beaucoup de temps sur mes autres travaux pour CSS, et je cherche, depuis que j'ai débuté ce défi, un moyen de conjuguer la mise à disposition un minimum utilisable et attractive de ces notes… avec un temps raisonnable à y consacrer.

J'ai donc changé, pour cette année, mes notes qui étaient organisées en tableau difficilement exportable sur une page web, au profit d'un format brut qu'il suffit de mettre en couleur et de coller dans une notule. À voir à l'usage (pour vous, ce ne devrait visuellement pas changer grand'chose).



Cycles

Beaucoup de symphonies romantiques germaniques (Loewe, Gade…), un grand cycle danois (Kunzen, Kuhlau, Dupuy, Gade, Heise, Hamerik, Langgaard), un autre consacré à Grétry, beaucoup de Karg-Elert et un gros arrêt sur Kienzl, ce mois-ci. Mais aussi les chorals et le quatuor de Franck, les concertos pour violon de Röntgen, le baroque autrichien et tant d'autres petites choses à explorer.

Énorme coup de cœur en découvrant l'ensemble Ars Antiqua Austria et sa discographie consacrée au baroque et au classicisme autrichiens, avec une vitalité qui m'a immédiatement conquis, alors que la musique instrumentale baroque n'est a priori pas la matrice de mes plus grands frissons.

Et bien sûr ce qu'il faut pour préparer les notules anniversaires (Davaux, Dupuy, Graener, Alfvén, Perosi… mais ça ne réclame pas de se forcer beaucoup !).

J'ai aussi poursuivi à réécouter en boucle le motet Astra Cœli de Jean-Noël Hamal, en découvrant sans cesse de nouveaux détails qui concourent à l'exaltation ressentie à l'écoute. (Écriture orchestrale très précisément pensée pour mettre en valeur, sans y paraître, la tension de la ligne vocale.)



lattès


La légende

Pour gagner du temps, j'ai changé ma légende (au profit de symboles présents par défaut sur un clavier).

Je ne saurais insister assez, à nouveau, sur le fait qu'il ne s'agit en rien d'une note, ni même d'une évaluation de qualité des enregistrements. Ce sont simplement des repères, pour moi d'abord et pour mes lecteurs qui le souhaitent ensuite, pour guider vers ce qui doit être écouté ou réécouté en priorité. Ce sont des indications sur mon ressenti, mes émotions : il y a certains enregistrements techniquement hasardeux que je vais apprécier, et d'autres impeccables qui vont me laisser totalement froid, tout cela étant évidemment pondéré par mon tropisme personnel pour les œuvres jouées, la rareté de la proposition, l'humeur du moment, voire (pour ceux qui y croient) le matériel de reproduction sonore…

Comme mes repères globaux à trois niveaux n'étaient pas toujours parlants pour moi-même (œuvre fabuleuse mais interprétation terne, œuvre terne mais interprétation qui l'exalte…), j'ai conservé les repères à trois niveaux mais les ai répartis entre œuvre et interprétation.

Ce qui donne des symboles, en fin de titre, de ce type : !/+++ **.

! : Très bonnes œuvres.
!! : Œuvres fabuleuses.
!!! : Va changer votre vie.

+ : Très bonne interprétation.
++ : Interprétation particulièrement remarquable.
+++ : Va bouleverser vos perceptions.

* : Très bon disque, à écouter !
** : Disque formidable, à écouter d'urgence !
*** : Vous n'entendrez plus la musique de la même façon.

Il peut exister une décorrélation entre mon ressenti sur l'œuvre / l'interprétation et celui sur le disque en général, ce n'est pas forcément une erreur. Ce peut notamment être tempéré par l'offre discographique : une symphonie de Beethoven (à !!! sur l'œuvre, donc) avec une interprétation à ++, vu l'offre pléthorique, peut très bien avoir une opinion de * sur le disque.

Comme d'habitude, le fait même d'avoir une « récompense » signifie que je recommande le disque. Si je ne suis pas très touché, je mets un « . », ce qui ne veut pas dire que ce soit mauvais, mais que je ne vois pas de plus-value majeure à écouter l'œuvre, l'interprétation ou le disque en question. (Encore une fois, avis purement personnel, je peux tout à fait me tromper, ou simplement ne pas avoir les mêmes attentes que d'autres mélomanes tout aussi valeureux.)  Il existe quantité de disques parfaits, mais je réserve les « *** » pour ceux qui me paraissent changer notre perception, régler la question d'une discographie, faire découvrir un pan du répertoire génial et inexploré, etc. Sinon la plupart seraient à !!!/+++ *** et on ne serait pas très aidé pour choisir ses écoutes.

Si vraiment j'ai trouvé quelque chose de raté (le son sature tout le temps, les interprètes jouent faux, le disque inclut du Philip Glass), je mets ¤ (¤¤, ça n'arrive jamais, il faudrait vraiment que ce soit honteux comme une symphonie de Philip Glass).

En rouge, les nouveautés du mois. En gras, les disques que je recommande tout particulièrement.

Si jamais j'ai omis d'ôter les « ° », ce sont mes repères pour les disques que j'écoute pour la première fois ou pour les nouveautés.

Le tout est classé par genre, puis par ordre chronologique très approximatif (tantôt la génération des compositeurs, tantôt la composition des œuvres, quelquefois les groupes nationaux…) au sein de chaque catégorie, pour ménager une sorte de progression tout de même.




lattès
(Oui, vous aurez remarqué que ce n'est pas le mois des jolies-pochettes.)




La liste


OPÉRAS FRANÇAIS

Grétry – Céphale & Procris – van Waas (Ricercar) !!!/+++ ***

Grétry – L'Amant jaloux – Celeste Lazarenko, Alexandra Oomens, Jessica Aszodi, Ed Lyon, Andrew Goodwin, David Greco ; Pinchgut Opera, Melissa Farrow (Pinchgut Opera) !!/+ **
→ Compagnie sise à Sydney, qui fait du très beau travail, dont témoigne cette seule version CD de L'Amant jaloux depuis l'antique version Doneux avec Mesplé (disque qui ne rend pas du tout justice à l'écriture orchestrale et au rythme de la comédie, et discutable y compris sur le plan du chant).
→ Ici, les accents ne sont pas parfait, les voix féminines assez opaques et moches, mais l'orchestre dispose du style approprié (ainsi qu'Ed Lyon, bien sûr !), et le rythme tournoyant du drame est pleinement là, ainsi que toutes les beautés instrumentales disposées par Grétry.

Grétry – Raoul Barbe-Bleue – Wåhlberg (Aparté 2019) !!!/+++ ***

Grétry – Guillaume Tell – Opéra Royal de Wallonie, Scimone (Musiques en Wallonie) !!/++ **

Méhul – Uthal – Deshayes, Beuron, Bou ; Les Talens Lyriques, Rousset (Singulares) !!/+++ **

Spontini – Olimpie – Rhorer !/++ **

Hérold – Le Pré aux clercs – Gulbenkian SO, McCreesh !!/+ *

Halévy – La Reine de Chypre – Gens, Dubois, Dupuy ; OCP, Niquet (Singulares) !!/+++ **

F. David – Herculanum – Gens, Deshayes, Montvidas, Courjal (Singulares) !!/+++ **

F. David – Christophe Colomb – Santon, Behr ; Les Siècles, Roth (Singulares) !!/+++ **

Gounod – Le Tribut de Zamora – Holloway, Montvidas, Christoyannis (Singulares) !!/+++ **

Offenbach – La Vie parisienne (version restituée de 1866) – Christian Lacroix ; Devos, Buendia, Briand, Huchet, Mauillon, Leguérinel ; Musiciens du Louvre, Romain Dumas (Arte Concert 2022) !/++ *
→ La (première) mise en scène de Lacroix est peu élégante et peu lisible. Distribution remarquable, mais qui n'est pas dans son meilleur jour : Buendia, Briand, Huchet étrangement en retrait de leurs fulgurances habituelles ; mais Devos et Leguérinel brûlent les planches et chantent remarquablement, tout de même !  Et l'œuvre, malgré le rehaussement supposé par ces numéros perdus et restitués pour la spremière fois, reste tout de même enserrée dans ses trépidations un peu primaires et son livret à la fois peu lisible et peu profond.
→ Mais dans le cadre de ce qu'est La Vie parisienne, une version qui vaut la peine, en particulier pour la qualité des textures et de l'engagement des Musiciens du Louvre !

Massenet – Le Mage (acte I) – Hunold, Aldrich, Lombardo ./+ .

Saint-Saëns – Le Timbre d'argent – Les Siècles, Roth (Bru Zane) !!/+++ **

Debussy – Pelléas & Mélisande – Santoni, Behr, Duhamel, Teitgen ; Les Siècles, Roth (HM 2022) !!!/+++ ***
→ Très convaincu par la lecture orchestrale totalement renouvelée grâce aux instruments anciens, et à la science de gérer individuellement chaque pupitre par Roth. Très belle distribution également, Santoni très « vocale » mais au cordeau, Behr qui n'a jamais été aussi éloquent qu'ici (sans l'impression d'effort articulatoire énorme qui prévaut d'ordinaire chez lui). Un peu moins enthousiasmé par Duhamel, incarnation très homogène, uniment sombre, émission assez en arrière qui le limite dans ses éclats aigus ; mais le timbre reste très beau et l'artiste généreux.
→ Sur les représentations avec Santoni, Teitgen, Les Siècles, j'avais dit quelques mots ici :  https://twitter.com/carnetsol/status/1448542505704755200 .

Hahn – Ô mon bel inconnu – Gens, Dubruque, Dolié ; O Avignon-Provence, (Bru Zane) !/+ *

Lattès – Le Diable à Paris – Tassou, Dubroca, Frivolités Parisiennes (B Records 2021) !!!/+++ ***
→ Quelle merveille, farcie de tubes (essayez le compactage incroyable de moments de caractère dans le final de l'acte I), et interprétée absolument idéalement par des interprètes qui écoutent de couvrir leur voix comme des chanteurs d'opéra (tout en en ayant toute la robustesse !), et font vivre tous les frémissements de ce livret absolument loufoque. (Le Diable, convoqué par deux cheminots en mal de beauté ou d'argent, accepte de rendre les âmes contre un séjour à Paris pour échapper à sa femme.)
→ Nouveauté de l'année dernière dont j'avais déjà fait un autre petit commentaire, déjà très enthousiaste.

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OPÉRAS ITALIENS

(Pierantonio) TASCA –  A Santa Lucia – Derilova, Kapfhammer, Marschall, Paulsen, Wade ; Dessau Anhalt Theater Chorus, Dessau Anhalt Philharmonic, Markus L. Frank (CPO 2022) !!/+ **
→ Dans le goût sonore de Cavalleria Rusticana, une autre histoire terrible de jalousie féminine et d'hommes inconséquents, mais avec davantage de richesse dans la musique, même si la couleur en est très proche. Chanté avec des techniques qui ne sont pas au niveau de ce que nous ont laissé les générations précédentes, avec un italien très international et des voix parfois hululantes (le ténor est quand même très bon), ce reste une expérience réellement intéressante.

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OPÉRAS ALLEMANDS

Loewe – Die drei Wünsche – Klepper, (Jonas) Kaufmann, Hawlata, SWR Stuttgart, Peter Falk (Capriccio 1998) !!/++ **

Abert – Ekkehardt – Kaufmann, Gerhaher (Capriccio) !!/++ **

Kienzl – Der Evangelimann – Donath, Wenkel, Jerusalem, R. Herrmann, Moll ; Radio de Munich, Zagrosek (Warner) !!!/+++ ***
→ Écouté cinq fois ce mois-ci, quelle bien belle œuvre aux élans irrésistibles !  (et servie ici superlativement)

Kienzl – Don Quixote – Mohr (CPO) !!/++ **

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OPÉRAS ANGLAIS

Haendel – Semele – Labin, Skerath, Blondeel, Savinoya, Zazzo, Newlin, (Andreas) Wolf ; Chœur de Chambre de Namur, Millenium Orchestra, García Alarcón (Ricercar 2022) ./+ .
→ Une distribution qui promettait (en particulier Blondeel, Zazzo et A. Wolf), mais malgré l'animation sans reproche de García Alarcón, je trouve l'œuvre toujours assez pâle, et les émissions plutôt blanches et flasques des chanteuses n'aident pas à soutenir l'intérêt. En concert, avec la différenciation visuelle des attitudes physiques, ce devait bien fonctionner, mais disque, tout paraît un peu étale et égal, manquant de l'invention et des couleurs ordinairement dispensées par Alarcón… (Il se met à enregistrer des choses célèbres, rien ne va plus !)

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OPÉRAS SCANDINAVES

Kunzen – Holger Danske – Bonde-Hansen, Rørholm, Elming ; Schønwandt (Dacapo) !!!/++ ***
→ Déjà commenté dans de précédents épisodes, une sorte de Flûte enchantée romantisante en danois, partition assez exceptionnelle.
→ Bissé.

Dupuy – Ungdom Og Galskab (Youth and Folly) – Elming, Cold ; Collegium Musicum Copenhagen, Schønwandt (Dacapo 1997) !!!/+++ ***
→ x5.

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OPÉRAS RUSSES

Moussorgski – Sorochinskaya yarmarka (Sorochintsi Fair) (completed by V. Shebalin) – Ljubljana Opera, Hubad  (Naxos Historical, 1955, réédition ) !!/++ **

Moussorgski – Sorochinskaya yarmarka (Sorochintsi Fair) (completed by V. Shebalin) – Guennadi Troitzki, Antonina Kleschova, Ludmila Belobraguina , Alexei Ousamanov, Iouri Elnikov, Alexander Poliakov, Sergei Troukatchev  ; Choeurs De La Radio De L'U.R.S.S., Orchestre De La Radio De L'U.R.S.S., Yuri Aranovich (vinyle de 1969)
→ Version vraiment empesée...

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RÉCITALS D'OPÉRA

LULLY, Desmarest, Charpentier… – « Passion » – Gens, Les Surprises, Bestion de Camboulas (Alpha 2021) !!!/+++ ***
→ Déjà présenté précédemment. L'air-chaconne d'Astérie dans Circé de Desmarest, petite merveille.

A. Scarlatti, Haendel, Vivaldi, Sorro, Caldara – « A Baroque Tenor : Arias for Annibale Fabbri » – Marco Angioloni, Ensemble Il Groviglio, Stéphane Fuget (Pan classics 2022) !!/+ *
→ Concept habituel de l'album autour d'un interprète historique, ici « Balino ». Beau choix d'airs, vraiment prenants, et inhabituel pour célébrer un ténor dans le seria pré-1750, où ce sont rarement des tessitures mises en valeur.
→ L'accompagnement est remarquablement, plein d'esprit et de vivacité, mais une certaine interrogation concernant le soliste : la voix est belle, mais incomplètement formée (elle sonne encore en partie « parlée »), ainsi que nombre d'excellents étudiants qui doivent encore mûrir. Je m'interroge donc un peu sur la pertinence de graver ceci avec lui ou à ce moment de sa carrière : le disque, lui, ne va pas mûrir, et on est mis un peu mal à l'aise, par moment, par le timbre partiellement formé.

Mozart – airs de Lucio Silla, Mitridate et des Da Ponte « Mozart x 3 » – Elsa Dreisig, Basel KO, Langrée (Erato 2022) !!!/+++ **
→ Programme absolument pas original, mais réalisé avec une qualité de moelleux vocal, de coloration et d'expression tout à fait remarquables. (Voyez en particulier la façon expressive dont Dreisig mixe voix et de tête et de poitrine en descendant dans les médiums !)

Carafa – « Ah! Fermate … Raoul! … Perche non chiusi », acte II de Gabriella di Vergy – Yvonne Kenny, Doghan ; Geoffrey Mitchell Choir, Philharmonia Orchestra, David Parry (Opera Rara) !/+ *
Voir ici.

° Carafa – « Quell'aspetto … quegl'accenti ! », acte III de Gabriella di Vergy – Matteuzzi, B. Ford ; Academy of St. Martin in the Fields, David Parry (Opera rara) !/. *
Voir ici.

Carafa – « L'amica encor non torna » dans Le Nozze di Lammermoor – DiDonato Opéra de Lyon, Minasi (Virgin 2014) !/+ *
Voir ici.
 
Gade – extrait Elverskud (Elf-King's Daughter), Op. 30 – Lauritz Melchior, Studio orchestra (Danacord, publication 1987)
→ Bissé (parce qu'il ne m'en restait rien !).

Youmans, Beydts, Lattès, Hahn, Messager, Yvain, Caryll, Berger, Fourdrain, LeBoy, Hope Temple, Haydn Wood – « Tea for Two » – Decouture, Brocard, Frivol'Ensemble (Naxos 2018) !/. .
→ Deux chanteurs que j'aime beaucoup en concert, mais pour un récital au disque, cela s'avère manquer un peu de brillant. Les arrangements de Michard pour ensemble de chambre sont délicieux.

Corigliano – Air du Ver (des Ghosts of Versailles) – Graham Clark, Met (vidéodiffusion de la production) !!!/++ ***

Corigliano – Air du Ver (des Ghosts of Versailles) – Robert Brubaker, LA Opera, Conlon (DVD Bridge ?) !!!/++ **

Corigliano – Air du Ver (des Ghosts of Versailles) – Brenton Ryan, Jalisco PO, Plácido Domingo (vidéodiffusion d'Operalia, Guadalajara 2016) !!!/+++ ***

Corigliano – Air du Ver (des Ghosts of Versailles) – Tenor Adrian Dwyer, Kelvin Lim au piano (YT, Londres 2017) !!!/+ **

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MUSIQUES DE SCÈNE

Biber – Karneval in Kremsier – Ars Antiqua Austria, Gunar Letzbor (Pan Classics) !/++ *

Édouard Dupuy – Overture to «Youth and Folly» – Swiss Orchestra, Lena-Lisa Wüstendörfer (YT, capté en 2019 à la Tonhalle de Zürich) !!/+ **
https://www.youtube.com/watch?v=UkIfYOeQy4M

ADAM, A.: Jolie Fille de Gand (La) [Ballet] (Queensland Symphony, Mogrelia) (Naxos 2022) ./. .
→ Œuvre assez peu exaltante, vraiment du ploum-ploum bas de plafond pour jarrets ; et par l'orchestre jamais très beau du Queensland, la double peine d'une certaine façon.

Kuhlau & Gade (Elverhøj), Mikel (Les Lanciers), Lange-Müller – « DER ER ET YNDIGT LAND » – Inger Dam-Jensen, Poul Elming, Johannes Soe Hansen, Michael Kristensen ; Radiosymfonikerna du Danemark,  Schønwandt (Dacapo 2007) ./+ .
→ Beaucoup de danses légères dans cette anthologie, qui comporte l'intérêt d'inclure des extraits d'opéras qui ne sont pas disponibles au disque, comme la Petite Christine de Gade (chantée par Elming !) ou Il était une fois de Lange-Müller.

Thrane, Udbye, Haarklou, Ole Olsen, Apestrand, Elling, Borgstrøm, Eggen – « Ouvertures d'opéras norvégiens » – Opéra National de Norvège, Ingar Bergby (LAWO 2021) !!/+ **
→ Écume d'un patrimoine enfoui où se révèlent de véritables personnalités mélodiques et dramatiques (toutes sont de style romantique) – et enfin une seconde version de l'ouverture de Thora på Rimol, le chef-d'œuvre tétanisant de Borgstrøm !
→ Que ne rejoue-t-on cela sur les scènes de Norvège, puis partout ailleurs, fût-ce en traduction ! !!/++

TCHAIKOVSKY, P.I.: Snow Maiden (The) (Snegurochka) (Erasova, Archipov, Vassiliev, Russian State Chorus and Orchestra, Chistiakov) (Brilliant Classics, réédition sous licence 2018) !/++ *
→ Belle version incarnée et plutôt typée, d'une œuvre dans l'ensemble joliment décorative – mais les tourbillons de l'entracte du II restent franchement impressionnant !

Mussorgski – Extraits de La foire de Sorotchinski & La Khovanchtchina – Philharmonia Orchestra, Walter Susskind (réédition BNF)

ALFVEN, H.: Midsummer Vigil / Den forlorade sonen / Bergakungen / Festspel (Alfven, Westerberg) (1954-1957) (Swedish Society)
→ Direction pleine d'humour des danses du Fils prodigue par Alfvén lui-même !

 Lopez, Pitrès – Il était un petit navire, ballet pantomime – Orchestre Robert Lopez (BNF)
→ Musique de scène où la chanson est reprise à l'orchestre en mineur tourmenté !
→ En dématérialisé seulement : https://www.deezer.com/fr/album/13057310 .

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CANTATES PROFANES

Haendel – Apollo e Dafne, Armida Abbandonata – Kathryn Lewek, John Chest, Il Pomo d'Oro, Francesco Corti (PentaTone 2022) !/+ *
→ Armide fonctionne vraiment très bien, et l'accompagnement d'Il Pomo toujours aussi électrisant !  Vocalement, les voix (même John Chest que je trouve pourtant remarquable en salle !) sonnent un peu larges et amollies par rapport à la finesse des lignes écrites, mais tout le mondde tient très bien son rang.

Beethoven – Cantate sur la mort de l'empereur Joseph II, WoO 87 – Mullerova, Adlerová, Voraček, Chadima ; Prague Mixed Choir, South Bohemia Chamber PO, Jiří Petrdlík (Arcodiva) !!/. .
→ Des bouts de Fidelio (notamment la fin du II – hautbois amoureux et réjouissance). Chœur amateur à la technique vraiment sommaire (et pas toujours juste). Vu qu'il y a un peu de choix, autant éviter celle-ci.

Beethoven – Cantate sur la mort de l'empereur Joseph II, WoO 87 – Matthews, Mumford, Banks, Foster-Williams ; SFSO & Ch, Michael Tilson Thomas (SFSO) !!/+ *
→ Très bien.

Beethoven – Cantate sur la mort de l'empereur Joseph II, WoO 87 – Margiono, Verebely, (Ulrike) Helzel, (Clemens) Bieber, Shimell ; Deutsche Oper, Thielemann (DGG) !!/++ **
→ Contre toute attente, la version la plus vivante, d'assez loin. Shimell est particulièrement charismatique dans son grand récit.

Beethoven – Cantata on the accession of Emperor Leopold II – Ch. Schäfer, C. Bieber, von Halem ; Deutsche Oper, Thielemann (DGG) !/+ *

Gade – Erlkönigs Tochter – Junker, Weisser, Danish National Vocal Ensemble, Concerto Copenhagen, Mortensen (Dacapo 2018) !!!/+++ ***

Gade – Elverskud – Elmark, Dolberg, Paevatalu, Tivoli Concert Choir, Tivoli SO, Schønwandt (Dacapo) !!!/+ **

Gade – Elverskud, Échos d'Ossian, 5 mélodies – E. Johansson, Gjevang, Elming ; Danish NRSO, Kitayenko (Chandos) !!!/++ **

Gade – Korsfarerne (Les Croisés) – Rørholm, Westi, Cold ; Canzone Choir, The Camera Choir, Choir 72, Aarhus Music Students Chamber Choir, Aarhus SO, Frans Rasmussen (BIS 1990) !/+ *

Gade – Baldurs drøm, Fruhlings-Botschaft – Rørholm, Elming, Høyer ; Canzone Choir, Helsingborg SO, Rasmussen (Dacapo) !!/++ **

Bliss – Mary of Magdala + Meditations on a Theme by John Blow – Dame Sarah Connolly, James Platt ; BBC Symphony Chorus BBC Symphony Orchestra, Sir Andrew Davis (Chandos) ./+ .

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A CAPPELLA PROFANE

Alfvén – « Choral and Vocal Music » – Orphei Drängar, Robert Sund (BIS 1993) !/+ *
Voir ici.

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SACRÉ

Machaut – Messe de Notre-Dame – Organum, Pérès ./++ *
→ À la corse en effet…

(Manuel) Cardoso – Complete Masses, Vol. 1 – Choir Of The Carmelite Priory London, Simon Lloyd (Toccata Classics 2022) !!!/++ ***
→ Petit bijou de polyphonie Renaissance, particulièrement éloquent.

Pfleger – Sacred Cantatas (cantates latines) – Manfred Cordes (CPO) !!/++ **

Jeremiah Clarke : Ode on the Death of Henry Purcell / Purcell : Music for the Funeral of Queen Mary, Welcome to All the Pleasures… – album « Son of England » – Watson, Tamagna, Thompson, Buffière ; Les Cris de Paris, Le Poème Harmonique, Dumestre (Alpha 2017) !!/+++ **
→ La cantate de Clarke est une merveille de contrepoint souple et éloquent, très touchante !

Lalande – Dies iræ, Miserere, Veni Creator – Ensemble Correspondances, Daucé (HM 2022) !! / ++ **
→ Je n'ai pas vérifié les solistes. À l'oreille, je dirais Weynants, Richardot et Collardelle ?
→ Dommage, alors qu'il reste autant de motets inédits de Lalande, de réenregistrer toujours les mêmes – pas forcément les meilleurs au demeurant, témoin Jubilate Deo omnis terra, enregistré seulement sur un antique disque Erato avec la Grande Écurie dirigée par Colléaux, indisponible depuis des lustres alors que c'est une tuerie de bout en bout !
→ Une fois cette frustration exprimée, on ne peut que reconnaître les qualités de Daucé ici : il privilégie comme toujours la couleur et le climat de recueillement à la rhétorique verbale et au mouvement de danse. Je m'en plains quelquefois (ce n'est pas mon inclination), mais c'est ici superbement réalisé et très adéquat. Parmi les plus belles versions qu'on ait de ces motets, et le Veni Creator, qu'on entend moins souvent, est une petite merveille. On apprécie aussi ces solistes qui ne cherchent pas la singularité appuyée dans le timbre ou l'expression (sauf Richardot évidemment, mais elle se coule dans l'esprit général), comme s'ils faisaient un pas hors du chœur (ce qui est le cas, en réalité, même s'ils ont une carrière de soliste, ils chantent aussi leur partie chorale), ce qui procure une atmosphère d'humilité assez touchante.

Ramhaufski, Hochreither – « Festive Masses for Lambach Abbey » – St. Florianer Sängerknaben, Ars Antiqua Austria, Gunar Letzbor (Accent) !!/. *
→ Beaux contrepoints lents doublés aux sacqueboutes, même s'il faut supporter les petits braillards à l'autrichienne, pas les plus confortables à écouter !
→ Interprétation un peu discontinue (des 'blancs' entre les blocs orchestraux) et pas très dynamique, un peu déçu d'AAA ici !

Aumann – Requiem – Ars Antiqua Austria, Gunar Letzbor (Pan Classics 2011) !/++ *

Jean-Noël HAMAL – Motets – Scherzi Musicali, Achten (Musiques en Wallonie 2021) !!!/+++ ***
→ (En particulier « Ah! si langet cor » et surtout l'architube coloraturé et tuilé « Miles fortis ».)
→ x10.

Beethoven – Messe en ut – M. Marshall, Wulkopf, Dallapozza ; Radio Bavaroise, Wand (1982, édité par Hänssler Profil en 2007) !!/++ **
→ Seconde version disponible par Wand (il en existe aussi une autre, plus ancienne, de la Radio de Cologne).
→ Concert qui n'est pas le plus gracieux ou le plus précis, mais porté par une force souterraine impressionnante.
 
Beethoven – Messe en ut – Audrey Michael, Bizineche, M. Schäfer, Michel Brodard ; Gulbenkian de Lisbonne, Corboz (Erato, réédition 2006) !!/++ **
→ Toujours cette belle ferveur propre à Corboz, qui emporte l'auditeur.

Beethoven – Messe en ut – Palmer, Watts, Tear, Keyte ; St. John's College Choir Cambridge, Academy of St. Martin in the Fields Orchestra, George Guest (Decca) !!/+ *
→ Petits braillards inclus, effet très étrange.

Beethoven – Messe en ut – Margiono, C. Robbin, Kendall, Miles ; ORR, Gardiner (Archiv, réédition 2015) !!/++ *
→ Hélas prise de son un peu lointaine et bouchée, qui limite le plaisir des instruments anciens.

Beethoven – Messe en ut – van Kampen, Danz, K. Lewis, Michel Brodard – Stuttgart Gächinger Kantorei, Stuttgart Bach Collegium, Rilling (Hänssler) !!/++ *
Toujours très bien mené, beau discours, un peu lisse peut-être par rapport à la réussite absolue de son Christ au Mont des Oliviers (ou de ses oratorios de Mendelssohn).

Loewe – Die Auferweckung des Lazarus – Eva Kirchner, Kammerloher, WDR, Froschauer (Capriccio 1997) !/. *
→ Plus opératique (dans le goût de Genoveva de Schumann), mais difficile de juger de ses qualités dans cette exécution assez molle – très bien chantée en revanche.
→ Couplé avec des chœurs a cappella intéressants, mais là un peu trop mollement exécutés pour pouvoir disposer d'un avis éclairé.

Loewe – Das Sühnopfer des neuen Bundes (Oratorio de la Passion) – Mauch, Malotta, Poplutz, A. Burkhart ;  Arcis-Vocalisten Munich, L'Arpa Festante, Thomas Gropper (Oehms 2019) !!/+++ ***
→ En réalité une Passion, où l'on retrouve toutes les caractéristiques du genre :  Évangéliste en récitatifs, chorals, chœurs d'action, airs solos (très brefs ici), on entend très bien la parenté avec Bach (et les oratorios de Mendelssohn).
→ Très bien écrit dans l'ensemble, beau romantisme apaisé, avec une veine mélodique régulièrement inspirée. On peut aussi relever quelques fulgurances, comme le chœur de libération « Nicht dieser, sonder Barabban ! » ou l'air d'alto « Ach seht, der allen wohlgethan », où l'empreinte du meilleur Bach (chœurs d'action de la Saint-Jean, Es ist vollbracht…) se fait vraiment sentir, mais transcrit dans l'univers sonore de Mendelssohn.
→ Exécution formidable : sur instruments anciens, une couleur de cordes incroyable (l'impression d'une grande lyre à archet…), particulièrement vivant et habité dans son texte (très intelligible), ses situations, ses formules musicales.
→ Bissé.

F. David – Le Jugement Dernier / 6 Motets religieux – Ch Radio Flamande, Brussels PO, Niquet (Singulares) !/+++ *

Moniuszko – « Sacred Choral Music » : Messe en la, motets – Musica Sacra Warsaw-Praga Cathedral Choir, Łukaszewski (DUX) !/+ *

Perosi – La risurrezione di Lazzaro (+ Il gran sasso d'Italia)    – Gavarini, Popescu, Puddu, Camastra, Guidotti ; I Polifonici, Nuova Cameristica di Milano, Sacchetti (Bongiovanni) !/. *

Perosi – La Strage degli Innocenti – Fons Amoris Coro, Carlo Coccia Symphony, Sacchetti (Bongiovanni) !/+ *

Alfvén – Herrans bön (The Lord's Prayer), Op. 15 – Iwa Sörenson, Brigitta Svendén, Christer Solen, Rolf Leanderson ; Stockholm Motet Choir, Storkyrkans Kor, Norrköping SO, Gustaf Sjokvist (Bluebell 1989) !/. *
→ Sorte de vaste motet de 45 minutes.

Paray – Messe pour les 500 ans de la mort de Jeanne d'Arc (Mercury) !/++ *
→ Bissé.

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SYMPHONIES FRANÇAISES

F. David – Symphonie n°3, poèmes symphoniques – Brussels PO, Niquet !/++ *

MESSAGER, A.: Symphony in A major / FAURÉ, G.: Allegro symphonique / FRANCK, C.: Symphonic Variations (Ferey, Orchestre Symphonique du Mans, Gendille) (Skarbo 2001) !!/++ **

Saint-Saëns – Symphonie n°3 – Dupré, Detroit SO, Paray (Mercury) !!!/++ ***
→ Mainte fois.

Saint-Saëns – Symphonie n°3 – Latry, ONF Măcelaru (Erato 2021) !!/+++ **

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AUTRES SYMPHONIES ROMANES

Perosi – Orchestral Music (Suite Venezia) – Bellasi, F. Pavone, Nuova Cameristica di Milano, Orchestra Sinfonica Stabile di Alba, A. Sacchetti (Bongiovanni) !!/. **
→ Très belles œuvres instrumentales, calmes et raffinées, plus subtiles que ses oratorios davantage tournés vers une expression épurée de la foi.
→ Bissé.

Martinucci – Symphonie n°2 en fa – Philharmonia, d'Avalos

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SYMPHONIES GERMANIQUES

Aufschnaiter – Dulcis Fidium Harmonia: symphoniis ecclesiasticis concinnata - opus 4 M. DCC. III – Ars Antiqua Austria, Gunar Letzbor (Arcana 2019) !!!/+++ ***
→ Musique instrumentale jubilatoire, et jouée avec un allant irrésistible !

Haydn – « Haydn 2032, Vol.11 : Au goût parisien » Symphonies 2,24,82,87 – Kammerorchester Basel, Giovanni Antonini (Alpha 2022) !!/+++ ***
→ Oh les doublures de flûtes très grétrystes !  Très vivant et coloré, et la 24 est un délice méconnu !  Vivement recommandé.

Beethoven – Symphonies 6,7,8,9 – Le Concert des Nations, Jordi Savall (Alia Vox 2022) !!!/+++ ***
→ Du même niveau que le premier volume. Peut-être rien de très singulier ou surprenant, mais tout est porté à un tel niveau que c'est possiblement l'interprétation discographique la plus constante en termes de qualité superlative…
→ À distinguer en particulier : la précision et le timbre insolent des cordes (qui résonnent comme si tout était joué sur des cordes à vide, en particulier impressionnant dans les accords !), et le timbalier en furie (mais très musical, comme s'il jouait des thèmes).
→ J'apprécie aussi que malgré son caractère « musicologique » très affirmé, Savall ne cherche pas à remporter les records de vitesse façon Currentzis (ou, en concert, Rousset) : le final de la 7 est pris à un tempo qui permet d'entendre les volutes de cordes, la tension des progressions harmoniques du développement, les allègements poétiques du spectre… et ne se contente pas de faire sonner les accents de trompettes à chaque mesure (si l'on va trop près du tempo indiqué par Beethoven, c'est fatalement ce qui se produit).
→ Un vrai talent aussi, dans le détail, pour faire vraiment sonner les spécificités de texture et de couleur de chaque moment, Beethoven fait beaucoup alterner les masses, et Savall rend ces contrastes avec beaucoup de précision et de poésie.

Schubert – Fierrabras & Symphonie restituée – Venzago (2022) !/++ *
→ Pas une révélation, en particulier la symphonie restituée. Je n'ai pas encore lu les notes d'intention de Venzago pour voir si elles sont aussi fantaisistes de que sa narration fantasmagorique de la véritable Inachevée qui aurait été complète (il y a une notule sur le sujet…). Bonne exécution sinon, mais Venzago a fait mieux – dans l'Inachevée notamment !

Loewe – Symphonie n°1 en ré mineur – Philharmonie de Lorraine, Jacques Houtmann (UMG / DGG) !!/+ **

Gade – Symphonie n°3, Échos d'Ossian – Danish National, Hogwood (Chandos) (!!/++) **

Gade – Symphonies n°2 & 8, In the Highlands – Danish National, Hogwood (Chandos) (!/++) *

Mendelssohn, Meeresstille und glückliche Fahrt / Bruckner, Symphonie n°6 – MDR Leipzig, Rögner (Genuin, publication 2022) !!/+++ ***
→ Couplé avec l'Inachevée, la Pastorale et les Variations Mozart de Reger (tout cela me tente moins). Prise de son incroyable, on retrouve les qualités de fluidité, de clarté et de tension de Rögner, mais magnifiée par les timbres à la fois précis et typés de la Radio de Leipzig, et servie par une prise de son d'une vérité incroyable.

Brahms – Concerto pour violon, Symphonie n°1 – Degand, Cercle de l'Harmonie, Rhorer (NoMadMusic 2021) !!!/+++ ***
→ Formidables couleurs renouvelées, et dans le concerto, ce que tire Degand de cordes en boyaux est tout simplement hallucinant d'aisance et de musicalité. Versions majeures, et très différentes.

Mahler – Symphonie n°9 – Oslo PO, Jansons (Simax) !!!/++ **

Alfvén – Orchestral Music (Alfven Conducts Alfven 1932-1952) : Cantate pour les 500 ans du Parlement Suédois, Symphonies 3 & 4 – Royal Stockholm Philharmonic, Alfvén (Phono Suecia 1997) !!!/+++ ***
→ Versions par Alfvén lui-même, splendidement restaurées et publiées par Phono Suecia (on entend très bien le détail !), je crois qu'elles surpassent tout par leur caractère direct, net et emporté à la fois.
→ Sa longue vie nous permet de l'entendre diriger ses propres œuvres, et de profiter de l'humour avec lequel il dirige les danses du Fils prodigue, ou de la flamme qui habite son interprétation de sa cantate pour les 500 ans du Parlement Suédois, ce que vous trouverez chez lui de plus proche d'un opéra !  Il a aussi été capté dans ses symphonies (3 & 4) avec le Philharmonique Royal de Stockholm. Et je suis frappé de la vivacité de jeu, de la clarté du spectre, de l'exaltation du rebond et des références folkloriques dans la Troisième, avec une sorte d'emphase souriante et volontairement exagérée, comme un personnage d'opéra un peu grotesque qui chante sa chanson avec une pointe d'excès. Absolument délicieux, très différent, et réellement convaincant – probablement le compositeur à m'avoir le plus convaincu dans ses propres œuvres !  Quant à la Quatrième, très cursive (on croirait qu'il dirige Don Juan de R. Strauss, tant l'orchestre fulgure !), elle inclut la participation de la jeune… Birgit Nilsson !
→ Trissé.

Graener – Comedietta – Staatskapelle Berlin, Abendroth (Jube Classics) !!/++ **
Voir ici.

Graener – Œuvres orchestrales, vol.2 : Symphonie en ré mineur, Échos du royaume de Pan, Variations Prinz Eugen – Radiophilharmonie de Hanovre, W.A. Albert (CPO) !!!/+++ ***
Voir ici.
→ Bissé.
→ Prinz Eugen 7 fois.

Graener – Œuvres orchestrales, vol.3 : Comedietta, Variations sur un chant russe – Alun Francis (CPO) !!/++ **
Voir ici.

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SYMPHONIES DES ÎLES BRITANNIQUES

(William) Wordsworth – Symphonie n°7 (Orchestral Music, Vol. 4) – Liepaja SO (Toccata Classics 2022) ./+ .
→ Rien relevé de particulièrement remarquable lors de cette (première) écoute. Il faudrait réeessayer naturellement.

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SYMPHONIES SLAVES

(Moritz) Moszkowski – Orchestral Works, Vol. 3 – Sinfonia Varsovia, Ian Hobson (Toccata Classics 2022) !/++ *
→ Moins exaltant que les deux précédents volumes (que je recommande vivement aux amateurs de romantisme paisible).

Mosolov – Symphony No. 5 & Harp Concerto – Taylor Ann Fleshman, Moscou SO, Arthur Arnold (Naxos 2020) !!/++ **
→ Un délice tout particulier que ce concerto pour harpe très étrange, qui échappe totalement à l'esprit habituel de dialogue et de virtuosité apparente des concertos. J'y reviens souvent.

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SYMPHONIES NORD-AMÉRICAINES

Bernstein – Symphonie n°1 – Arctic PO, Ch. Lindberg (BIS)

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SYMPHONIES SUD-AMÉRICAINES

(Aurelio) Barrios y Morales – « Anthology of His Symphonies » – Orquesta Sinfónica de Coyoacán Nueva Era A.C., Rodrigo Elorduy (Sterling 2022) !!/++ **
→ Petite merveille d'un romantisme doux (et mexicain, mais absolument aucune couleur locale ici).
→ Bissé.

VILLA-LOBOS, H.: Symphonies Nos. 1 'O Imprevisto' and 2 'Ascenção' (São Paulo Symphony, Karabtchevsky) (Naxos 2017) !!/+ *
→ Quadrissé.

VILLA-LOBOS, H.: Symphonie No. 2 – SWR Stuttgart, St. Clair (CPO 2000) !!/+ *

VILLA-LOBOS, H.: Symphonies Nos. 3 'War' and 4 'Victory' (São Paulo Symphony, Karabtchevsky) (Naxos) !/+ *

VILLA-LOBOS, H.: Symphonies Nos. 6 & 7 (São Paulo Symphony, Karabtchevsky) (Naxos) ./+ .

VILLA-LOBOS, H.: Symphonies Nos. 8,9,11 (São Paulo Symphony, Karabtchevsky) (Naxos 2017) ./+ .

VILLA-LOBOS, H.: Symphonie No. 10 (São Paulo Symphony, Karabtchevsky) (Naxos) !!/+ .

VILLA-LOBOS, H.: Symphonie No. 10 – SWR Stuttgart, St. Clair (CPO 2000) !!/+ *

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AUTRES SYMPHONIES

Saygun – Symphonies 1 & 2 – Rheinland-Pfalz State Philharmonic Orchestra, Rasilainen (CPO) ./.  .
→ Toujours aussi peu discursif, vaste, errant, plat.

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POÈMES SYMPHONIQUES

Gade – « King Frederik IX Conducts the Danish National Radio Symphony » : Échos d'Ossian (Dacapo publication 2000)
→ Manque absolu d'entrain, ressemble à une marche militaire empesée, en fait de mystères battus par le vent des Hébrides…

Gade – Échos d'Ossian – Rheinland-Pfalz State Philharmonic Orchestra, Ole Schmidt (CPO 1995)
→ Sonneries très lentes, et équilibres de l'orchestre pas très beaux (ni timbres), mais beaucoup de vie dans les épisodes intermédiaires.

Gade – Échos d'Ossian – National de la Radio Danoise, Hogwood (Chandos) !!!/+++ ***

Arensky – Variations on a Theme of Tchaikovsky, Op. 35a (pour orchestre à cordes) – Moscow Symphony Orchestra, Kerry Stratton (Dorian Sono Luminus) ./. .

Dukas, L'apprenti Sorcier / Tchaïkovski, Casse-Noisette / Bach-Stokowski, Toccata & Fugue en rém – Bernard Herrmann (Decca) !/+ *

Novák – Toman et la Nymphe des bois – Hrůša (Supraphon) **

Novák – Nikotina – Brno PO, Jílek (Supraphon) !!!/++ ***

Ravel – La Valse, Le Tombeau de Couperin, Alborada del Gracioso, Une Barque sur l'Océan… – Stockholm RPO, Oramo (BIS 2022) !/+ *
→ Prise et jeu très clairs, mais je n'y trouve pas la plus-value spectaculaire des couleurs d'Oramo dans Elgar, Nielsen ou Sibelius, sans doute parce que Ravel est suffisamment précisément orchestré pour ne changer qu'à la marge d'une interprétation à l'autre.

Kienzl - Symphonic Variations on the Strassburglied (Zu Strassburg auf der Schanz) from the opera Der Kuhreigen op.109a (1925? pub. 1934) - Stuttgart Radio-sinfonieorchester,  Fritz Mareczek (archive YT)
→ Trissé.

Mantovani – Time Stretch – TM+, Cuniot (æon)

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CONCERTOS

Radolt – Concertos pour luth viennois – Hubert Hoffman, Ars Antiqua Austria, Gunar Letzbor (Challenge Classics 2008) !!/++ **

Telemann, Platti, Vivaldi & Geminiani – « Concerti all'arrabbiata » – Freiburger Barockorchester, Gottfried von der Goltz (Aparté 2011) ./. .
→ Écouté devant l'enthousiasme d'un compère ici présent, je n'ai à la vérité, comme je le redouté, pas perçu de différence notable avec les autres disques de ce genre : il y a même plus coloré, plus typé, plus virtuose… (Mais il faut dire que les Freiburger d'aujourd'hui, en particulier avec Goltz, me paraissent toujours assez lisses et léchés, pas vraiment ce que j'ai envie d'entendre dans des œuvres qui ne débordent déjà pas de surprises.)

Graupner – Ouvertures et Concertos pour chalumeaux – Ars Antiqua Austria, Gunar Letzbor (Challenge Classics) !/++ *

Dittersdorf – Harp Concerto in A Major – Andrea Vigh, Budapest Strings, Béla Bánfalvi !!/. .

Haendel, Boïeldieu – Concertos pour harpe – Marisa Robles, ASMF, Iona Brown (Decca) !!/. *

Haendel, Dittersdorf, Boïeldieu – Concertos pour harpe – Claudia Antonelli, Innsbrucker KO, Hans Ludwig Hirsch (Arts 2012) !!/+ **

Davaux – Symphonie concertante mêlée d'airs patriotiques – Concerto Köln (Capriccio 1989) !!/+++ **

Davaux – Symphonie concertante mêlée d'airs patriotiques – Le Concert de la Loge Olympique, Chauvin (Aparté) !!/++ **

Dupuy – Concerto pour flûte n°1 – Collegium Musicum Copenhagen, Schønwandt (Dacapo 1997) !!/+++ **
→ Quadrissé.

Dupuy – Concerto pour basson en la mineur – Christian Davidsson ; Sundsvall ChbO, Niklas Willén !/++ *

Dupuy – Concerto pour basson en ut mineur – Sambeek ; Orchestre du Sud des Pays-Bas, Spering (YT) !!!/++ **

Dupuy – Concerto pour basson en ut mineur – Sambeek ; Suède ChbO, Ogrintchouk (BIS 2019) !!!/+++ ***

Bernhard Romberg – Concerto pour flûte en si mineur, Quintette pour flûte et cordes  – John Wion */. .
→ Interprétation à l'ancienne.

Bernhard Romberg – Concertos pour violoncelle 2 & 6, Rondo capriccioso – Raphael Wallfisch, London Mozart Pleyers, (CPO 2022) !/+ *
→ Le meilleur de Romberg est à chercher dans ses duos et surtout dans ses symphonies. Ses concertos, vaillamment gravés les un après les autres par CPO, restent de jolies pièces de virtuosité un peu galante.

Bernhard & Andreas Romberg – Ouverture Mendoza (A.), Ouverture de concert (B.), Violin Concerto No. 3, Cello Concerto No. 2 – Yury Revich, Lionel Cottet, Hofer Symphoniker, Luca Bizzozero
→ Comme toujours, Bernhard deux crans au-dessus.

Brahms – Concerto pour violon, Symphonie n°1 – Degand, Cercle de l'Harmonie, Rhorer (NoMadMusic 2021) !!!/+++ ***
→ Formidables couleurs renouvelées, et dans le concerto, ce que tire Degand de cordes en boyaux est tout simplement hallucinant d'aisance et de musicalité. Versions majeures, et très différentes.

Brahms – Concerto pour piano n°2 – Magaloff, Den Haag, Otterloo (VOX)
→ Déçu, très figé, assez lent, véritables césures entre les phrases, comme si tout le monde se découvrait le jour même de l'enregistrement. J'attendais mieux de cet équipage qui n'a produit que des merveilles !

Brahms – Piano Concertos 1 & 2 – Garrick Ohlsson, Melbourne Symphony Orchestra, Tadaaki Otaka (ABC Classics / MSO Live 2013) !!!/++ *

Röntgen, Amanda Maier, Brahms – Concertos pour violon – Cecilia Zilliacus ; Malmö Symphony Orchestra, Västerås Sinfonietta, Kristiina Poska (dB Productions 2022) !!/++ **
→ Maier est nettement plus marquante dans le beau romantisme simple de ses œuvres de chambre qu'ici. Le concerto en fa dièse mineur de (son mari) Röntgen, dont c'est la seule gravure que je connaisse (il existe un autre très beau concerto, en la mineur, chez Centaur).

Röntgen, Hubay, Chausson – Concertos pour violon : en lam, n°3, poème – Ragin Wenk-Wolf (Centaur 2006) !!!/++ ***
→ Le concerto de Röntgen est en particulier une merveille de caractère, qui vaut bien les grands standards connus. Comme pour ses sonates avec violon, Röntgen se distingue particulièrement avec cet instrument (alors que les concertos pour violoncelle ressemblent à Dvořák en moins exaltant, que les concertos pour piano et surtout les symphonies sont assez plats…).

Tchaikovski – Andante & Finale Op. 79 (arr. S. Taneyev for piano and orchestra) – Hoteev, Tchaikovsky Symphony, Fedoseyev (Hänssler réédition 2021) !/+ *
→ Final vraiment lent, qui ne lui fait pas gagner en légèreté. Sinon, bien sûr très articulé avec du grain, mais vraiment moins grisant que Glemser-Wit.

Tchaikovski – Troisième Concerto, Andante & Finale Op. 79 (arr. S. Taneyev for piano and orchestra) – Glemser, Polish National O Katowice, Wit (Naxos 1996) !!/++ ***
→ Bissé le concerto, trissé l'Op.79.

Boïeldieu, Saint-Saëns, Pierné, Renié – « French Concertos for Harp » – Xavier de Maistre !!/++ *

Sibelius, Stenhammar, Nielsen, Svendsen, (Daniel) Nelson – Romances & danses pour violon & orchestre – Zilliacus, Västerås Sinfonietta, Koivula (Intim Music 2004) !/++ *
→ Pas des chefs-d'œuvre, mais plaisir d'entendre le suraigu qui tinte chez Zilliacus, dans ce répertoire peu couru.

Bruch, Bloch, Ravel, Korngold – Kol Nidrei, From Jewish Life, 2 Mélodies hébraïques, Concerto en ut – Edar Moreau (Erato 2022) !!/+++ **
→ Grande version de Kol Nidrei !  Et réussites partout ailleurs, dont le rare concerto de Korngold. Décidément Moreau, après Offenbach-Gulda, nous offre du neuf de grand intérêt !
→ Bissé.

Mosolov – Symphony No. 5 & Harp Concerto – Taylor Ann Fleshman, Moscou SO, Arthur Arnold (Naxos 2020) !!/++ **
→ Un délice tout particulier que ce concerto pour harpe très étrange, qui échappe totalement à l'esprit habituel de dialogue et de virtuosité apparente des concertos. J'y reviens souvent.


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CHAMBRE : VENTS ET CORDES

Schubert – Octuor + Quartettsatz – Edding SQ, Northernlight (Phi) !/++ *
→ Sur instruments anciens (issus de l'Orchestre des Champs-Élysées, vu le label ?), très vivant et fluide.

Spohr, Beethoven – Nonette, Septuor – Linos Ensemble (Capriccio 1993) !/++ *

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QUINTETTES À CORDES

Gade – Chambre vol.4 : Quatuor en fam, Quintette à cordes en fam, Novelettes clar pia – MidtVest Ensemble (CPO 2019) (!/+++) *

Brahms – Quintette à cordes 1 – Budapest SQ (Sony)

Taneïev – Intégrale des Quintettes – Martinů SQ, Olga Vinokur (Supraphon) !!!/++

Schillings – Quatuor & Quintette à cordes – (CPO) (!!!/+++) ***

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QUINTETTES PIANO-CORDES

Arensky – Quatuors 1 & 2, Quintette piano – Ying SQ (Dorian Sono Luminus) !!!/++ ***
→ Le final du 2 est fondé sur le même thème russe qui sert au couronnement de Boris Godounov et au final du Septième Quatuor de Beethoven. L'intégration de la thématique populaire dans les formes sonates, variations et fugatos est vraiment réjouissante chez Arenski !

TANEYEV, S.I.: Piano Quintet, Op. 30 / Piano Quartet, Op. 20 (Yudina, Beethoven Quartet) (1953-1957) (RCD) !!!/+++ ***
→ Versions très engagée comme on pouvait s'y attendre. En particulier dans les mouvements lents (l'adagio du quatuor, avec ses contrastes volubiles, tétanisants…).

Taneïev – Intégrale des Quintettes – Martinů SQ (Supraphon) !!!/+++ ***
→ Très belle version intense, et quelles œuvres !  La marche obstinée et poétique du quintette avec piano, le premier mouvement foisonnant du quintette à deux violoncelles, l'adagio expansif très intense du quintette à deux altos… !

TANEYEV, S.I.: Chamber Music - Piano Quintet / Piano Quartet / Piano Trio (Zassimova, Breuninger, Krznaric, Heichelbech, Lörcher) (CPO) !!!/++ **
→ Version très allemande, un peu sage mais avec de beaux timbres équilibrées, et non dénuée d'intensité. Œuvres très marquantes (les mouvements lents sont absolument extraordinaires), très au-dessus des quatuors ou des symphonies, à mon sens.

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AUTRES QUINTETTES

Andreas Romberg – 3 Quintettes à flûte, violon, 2 altos, violoncelle – Ardinghello Ensemble (MDG) !/+ *

Dupuy – Quintette pour basson et cordes et la mineur « A Bassoon in Stockholm... » – Agrell (BIS 2016) !/+ *
→ Couplé avec du Berwald.

Baermann, Rejcha – Quintettes avec clarinette – Karl Schlechta, Maggini SQ (SWR Classics Archive, publication 2017) !!/+ **

Brahms – Quintette clarinette & cordes – Budapest SQ (Sony) !!!/++ *

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QUATUORS À CORDES

Haydn – Quatuors Op.1 n°1,2,3,4 – Kodály SQ (Naxos) !!/++ **
Haydn – Quatuors Op.1 n°5,6 + Op.2 n°1,2 – Kodály SQ (Naxos) !!/++ **
Haydn (ou Hoffstetter) – Quatuors Op.2 n°2,5 + Op.3 n°1,2 – Kodály SQ (Naxos) !!!/++ **
Haydn (ou Hoffstetter) – Quatuors Op.3 n°3,4,5,6 – Kodály SQ (Naxos) !!!/++ **

Haydn – Quatuors Op.20 n°5, Op.33 n°5, Op.54 n°2, Op.76 n°6, etc. – Hanson SQ (Aparté 2019) !!/++ **

Haydn – Quatuors Op. 76 n°1,2,3,4,5,6 – Takács SQ (Decca 2004) !!!/+++ ***
→ Bissé.

WOLFL, J.: String Quartets Op.4 1-3 (Authentic SQ) !/+ *

WOLFL, J.: String Quartets, Op. 4, No. 3, Op. 10, Nos. 1 and 4 (Quatuor Mosaiques) (Paladino Music) !/++ *

Beethoven – Quatuor n°8 – Takács SQ (Decca) !!!/++ **

Schubert – Intégrale des  quatuors à cordes – Quatuor Modigliani (Mirare 2022) !!!/+++ ***
→ Beaux sons boisés, élancés au point qu'on croirait presque entendre des vents ; très allant, quatuors de jeunesse traités avec beaucoup de sérieux et d'investissement.
→ Les 14 et 15 sont d'une insolence insensée. Seul le 13 m'a paru sensiblement en deçà des meilleures propositions de la discographie. Le reste saisit. Intensément.
→ Voilà une intégrale qui rejoint, dans un goût plus chaleureux et tendu, la pointe-de-diamant des Diogenes, la lumière exaltée des Leipziger, la netteté des Verdi, parmi les grandes intégrales qui prennent ce corpus au sérieux…
→ Prise de son fantastique, on entend merveilleusement le fondu mais aussi chaque voix très distinctement, ce qui est très rare, même assis au premier rang. Mirare a en outre fait le choix d'une réverbération ample et agréable, avec un petit côté cathédrale qu'on n'a jamais dans une salle de spectacle !
→ Bissé.

Schumann – Quatuors – Modigliani SQ !!/++ **

Gade – Chambre vol.4 : Quatuor en fam, Quintette à cordes en fam, Novelettes clar pia – MidtVest Ensemble (CPO 2019) (!/+++) *

Franck – Quatuor en ré – Danel SQ (CPO) !/+ *

Franck – Quatuor en ré – Petersen SQ (Phoenix) !/+ *

Franck – Quatuor en ré – Zaïde SQ (NoMadMusic) !/. .

Franck – Quatuor en ré – Ysaÿe SQ (Ysaÿe) !/. .

Brahms – Quatuors à cordes 1,2,3 – Budapest SQ (Sony)

Dvořák – Quatuor 8 – Panocha SQ (Supraphon) !!/. .
→ Un peu déçu par la petite placidité et le son pas très typé.

Dvořák – Quatuors 8 & 10 – Albion Quartet (Signum) !!/*
→ Beaucoup de douceur et de musicalité, très réussi.

Dvořák – Quatuors 8 & 11 – Vlach SQ Prague (Naxos) !!/++ **
→ Dans ce qui sont (avec le 9 et le 10) les meilleurs quatuors Dvořák (à mon gré), en tout cas ceux dont les développements soutiennent le mieux l'intérêt et surprennent suffisamment pour ne pas paraître laborieux, très belle surprise que d'entendre, sur un Naxos de cette période, la meilleure maîtrise instrumentale et le son le plus typé de ce rapide parcours discographique !

Arensky – Quatuors 1 & 2, Quintette piano – Ying SQ (Dorian Sono Luminus) !!!/++ ***
→ Le final du 2 est fondé sur le même thème russe qui sert au couronnement de Boris Godounov et au final du Septième Quatuor de Beethoven. L'intégration de la thématique populaire dans les formes sonates, variations et fugatos est vraiment réjouissante chez Arenski !

Perosi – Quatuors à cordes 1 à 3 – Ensemble L. Perosi (Bongiovanni) !!/. **
→ Ça ne joue pas tout à fait juste, et on sent que les musiciens manquent un peu de liberté technique, mais interprétations tout à fait honorables de ce très beau corpus postromantique, riche et bien écrit !

Schillings – Quatuor & Quintette à cordes – (CPO) (!!!/+++) ***

Ginastera n°1, Halffter Ocho Tientos, Bartók n°2 – « Terra » – Cuarteto Quiroga (Cobra Records 2017) !!!/+++ ***

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CHAMBRE : QUATUORS PIANO-CORDES

TANEYEV, S.I.: Piano Quintet, Op. 30 / Piano Quartet, Op. 20 (Yudina, Beethoven Quartet) (1953-1957) (RCD) !!!/+++ ***
→ Versions très engagée comme on pouvait s'y attendre. En particulier dans les mouvements lents (l'adagio du quatuor, avec ses contrastes volubiles, tétanisants…).

TANEYEV, S.I.: Chamber Music - Piano Quintet / Piano Quartet / Piano Trio (Zassimova, Breuninger, Krznaric, Heichelbech, Lörcher) (CPO) !!!/+ *
→ Version très allemande, un peu sage mais avec de beaux timbres équilibrées, et non dénuée d'intensité. Œuvres très marquantes (les mouvements lents sont absolument extraordinaires), très au-dessus des quatuors ou des symphonies, à mon sens.

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TRIOS AVEC PIANO

Beethoven, Ries, Punto, Danzi – « Horn and Piano: A Cor Basse Recital » – Teunis Van Der Zwart, Alexander Melnikov (2022) !!/+++ **
→ Délicieux, entraînant, en particulier Ries et Danzi, avec le pianoforte particulièrement savoureux de Melnikov… Les timbres naturels se fondent remarquablement.

Reinecke – Trios piano-cordes – Trio Hyperion (CPO 2022) !/+ *
→ Assez brahmsiens, en moins aventureux dans la forme et les rythmes (m'a-t-il semblé en première écoute et à l'oreille seule). Le Premier est très beau.
→ Inclut un arrangement pour trio du Triple concerto de Beethoven… on ne perd pas beaucoup en supprimant l'orchestre de toute façon, mais l'œuvre ne se révèle pas plus dense pour autant.

Reinecke – Trios pour clarinette, alto & piano, 3 Phantasiestücke pour alto & piano – Carol Robinson, Pierre Lénert, Jeff Cohen !/+ *

Ernest Moeran – Chamber Music – Fidelio Trio (Resonus Classics 2022) !!/++ **
→ Très belles pièces, très marquées par Fauré et le jeune Debussy pour le Trio, par le Debussy de maturité pour la sonate violon-piano.

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CHAMBRE : PETITS ENSEMBLES BAROQUES

Bertali – Prothimia Suavissima (Sonates à 3 ou 4) – Ars Antiqua Austria, Gunar Letzbor (Arcana) !!/++ **

Aumann – Chamber Music in the Abbey of St. Florian – Ars Antiqua Austria, Gunar Letzbor (Challenge Classics 2022) !!/+++ ***
→ Du baroque viennois, assez différent de ce qu'on entend d'ordinaire, et tout à fait passionnant, dans une interprétation particulièrement vivifiante !

Biber – Sonatae Tam Aris Quam Aulis Servientes (Sonates à 5 ou 8) – Ars Antiqua Austria, Gunar Letzbor (Arcana) !/++ *

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CHAMBRE : TRIOS À CORDES

 Bernhard Romberg – Trio à cordes n°1 en mi mineur (1824) – par Christoph Dangel, Katya Polin, Stefan Preyer ./. .
→ Sur instruments d'époque.

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DUOS : FLÛTE-PIANO

Elfrida Andrée, Amanda Maier, Laura Netzel – « Breaking Waves - Flute Music by Swedish Women Composers » – Paula Gudmundson, Tracy Lipke-Perry (MSR Classics 2019) !!

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DUOS À CORDES

Polevá – Gulf Stream dans sa version alto-violoncelle – Катерина Супрун, Золтан Алмаши (YT 2012)
→ Mélange le Prélude de la Première Suite pour violoncelle de Bach avec l'Ave Maria de Gounod (prévu pour se fixer sur le Premier Prélude du Clavier bien tempéré), puis inverse les instruments (violoncelle en harmoniques pour faire l'aigu). Amusant et plaisant, mais la compositrice va autrement loin dans son quatuor piano-cordes paru l'an passé chez Naxos, et vanté ici même !

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DUOS : VIOLON-PIANO (ou continuo)

Pandolfi Mealli – Pandolfi Mealli: Sonate à violino solo (Opera terza) – Ars Antiqua Austria, Gunar Letzbor !/++ *

Koessler – Sonate violon-piano en mim, Airs hongrois… – Wallin, Smirnof (VMS Musical Treasures 2021) !!/++ **

Ernest Moeran – Chamber Music – Fidelio Trio (Resonus Classics 2022) !!/++ **
→ Très belles pièces, très marquées par Fauré et le jeune Debussy pour le Trio, par le Debussy de maturité pour la sonate violon-piano.

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DUOS : VIOLONCELLE-PIANO

Bernhard Romberg – The Complete Cello Sonatas – Hannah Holman, Réne Lecuona (Blue Griffin 2013) !!/++ **
→ Très proche de celles de Beethoven, avec une vituosité plus affichée et un sens mélodique plus séduisant (un peu plus souple, il faut dire qu'on est dans la génération d'après !).

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DUOS : 2 PIANOS

MAHLER, G.: Symphony No. 2 (arr. B. Walter for 2 pianos) (Maasa Nakazawa, Athavale) (Naxos 2016) ./. .
→ Pas grisé par la transcription (on entend le squelette, mais il manque beaucoup de détails et d'effets) ni par l'interprétation (attaques assez épaisses, un peu molles), ni par le résultat global – vraiment pas du tout le même frisson (et je ne suis pas suspect de ne pas donner crédit aux réductions !) que la symphonie d'origine.
→ Pour autant, très intéressant de l'entendre différemment, on y prend beaucoup de plaisir. Curieux d'entendre une transcription mieux faite et surtout une interprétation plus survoltée, plus engagée dans l'évocation symphonique.

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SOLOS : VIOLON

Bach – « Sei solo », 3 sonates & partitas pour violon – Kavakos (Sony 2022) !!!/+

Bach – Sonates & partitas pour violon, volume 1 – F.-P. Zimmermann (BIS 2022) !!!/++

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SOLOS : VIOLONCELLE & VIOLE DE GAMBE

Bach, Abel – Suites pour violoncelle sur viole – Lucile Boulanger (2022) !/++ *

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SOLOS : LUTH, THÉORBE, GUITARE…

R. Ballard – Premier livre de luth – Richard Kolb (Centaur 2019) !!!/+++ ***

J.S. Bach – Sonatas & Partitas For Lute – Hopkinson Smith

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SOLOS : ORGUE

ROSSI, M.: Toccate e correnti (Music for Organ and Harpsichord) (Castagnetti) (Brilliant 2015) !!/++ **
→ Folies chromatiques (et sur tempérament inégal, ça frotte !) des toccate 3 et surtout 7 !

Titelouze, Racquet, L. Couperin, Jullien, Grigny, Corrette – Œuvres pour orgue – Cathédrale de Rodez, Frédéric Muñoz !!!/+++ ***

°Pachelbel – Vol.1 : Musicalische Sterbens-Gedancken, Ciaccona in F Major (POP 15) – Christian Schmitt (CPO)

Pachelbel – Vol.2 : Chaconne en sol – Essl (CPO) !!!/+++ ***

Pachelbel – Vol.3 : 3 Ciaccone – Belotti, J.D. Christie (CPO) !!/+ *

Daquin, Dandrieu, Corrette… – Noëls français pour orgue (Aux grandes orgues de la cathédrale d'Auch) (Stereo Version) – Marie-Claire Alain (BNF) !!/++ **

Franck – 3 Chorals – M.-C. Alain (Erato 1976, réédition Apex) !!/++ **
→ Registration peu éclatante, mais très belle poussée constante, qui tient en haleine !

Franck – 3 Chorals – Saint-Ouen de Rouen, Lecaudey (Pavane Records) !!/+ *

Franck – 3 Chorals – Guillou (Dorian Sono Luminus) !!/++ **
→ Qualité de la registration qui permet une réelle progression marquante !

Franck – 3 Chorals – Latry (DGG) !!/++ **
→ Version aux timbres assez brillants, conduite avec ampleur mais véritable sens de la progression, de grandes respirations amples qui font impression.

Franck – 3 Chorals – Saint-Ouen de Rouen, Joris Verdin (Ricercar) !!/+ *
→ Vif, mais vraiment des fonds bouchés de Cavaillé-Coll, qui gâchent un peu tout…

Töpfer  – Sonate en ré mineur – Die Ladegast-Orgel der St. Johannis-Kirche zu Wernigerode, Reinhardt Menger (FSM 1992) ./¤ .
→ Me fut chaudement recommandé, mais pas beaucoup aimé. J'ai même plutôt détesté le premier mouvement. L'impression que les harmoniques sont beaucoup trop hautes dans les mutations du plein-jeu, pour commencer ?
→ Quant à l'écriture, ce ressemble vraiment à de l'orgue pour organiste, avec les grandes figures inspirées de JS ou CPE, mais lissées par un langage Mendelssohn-Merkel et une forme simple plutôt Dubois. Ça m'évoque assez ce que j'aime pas chez Bach (tous ces intervalles moches de seconde mineure), et vraiment ce que n'aime pas chez les imitateurs de Bach. Un côté pièce de démonstration pour facteur-accordeur.
→ Le mouvement lent est beau, joliment mélodique, entre Widor et Dubois, ni indigne ni très singulier.
→ Dans le dernier mouvement, mêmes problèmes que le premier (en plus je trouve l'ensemble joué très mollement, c'est pas toujours synchronisé entre les mains et les sections, ça bave un peu de partout) : l'instrument, les pseudo-bachismes, les unissons brucknériens mais moches, les résolutions téléphonées… Je retenterai, vraiment pas concluant cette fois !

°ANDRIESSEN, H.: Chorals Nos. 1-4 / Sonata da chiesa / A Quiet Introduction / Offertorio / Thema met variaties (Saunders) (Brilliant 2015) ./. .
→ Une seule pièce marquante, pas le meilleur Andriessen, comme souvent à l'orgue chez les compositeurs non spécialistes.

Karg-Elert – Intégrale de l'œuvre pour orgue vol.1 : Chorale Improvisations Op.65, Livre 6 – Stefan Engels (Proprius) !! **
→ Vraiment du choral retravaillé, très convaincant ! (Et chez certains, comme le n°39, du sacré contrepoint agité !)

Karg-Elert – Intégrale de l'œuvre pour orgue vol.11 : Chorale Improvisations Op.65, Livres 5 & 6 – Stefan Engels (Proprius) !! **
→ De petites merveilles organistiques, belles harmonies dans un style libre qui évoque en effet l'improvisation. Énormément de charme.

Karg-Elert – Intégrale de l'œuvre pour orgue vol.12 : 3 Impressions, Hommage à Haendel, Partita n°1 – Stefan Engels (Proprius 2021) !! **
→ Inclut les monumentales variations d'Hommage à Händel, qui se déploient lentement de façon assez spectaculaire.

Messiaen – Messe de la Pentecôte, Livre d'orgue (Intégrale pour orgue, vol.5) – Rudolf Innig (MDG) !!/+++ ***

Petr EBEN – Job – Howard Lee (récitant), David Titterington (orgue, David Titterington & Howard Lee (Multisonic 1992) !!!/+++ ***

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SOLOS : CLAVECIN

ROSSI, M.: Toccate e correnti – Vartolo (Naxos) !!/+ *

ROSSI, M.: Toccate e correnti (Music for Organ and Harpsichord) (Castagnetti) (Brilliant 2015) !!/ ++ **
→ Folies chromatiques (et sur tempérament inégal, ça frotte !) des toccate 3 et surtout 7 !

Haendel – Intégrale des Suites – Cuckston (Naxos) !/++ **

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SOLOS : PIANO

Beethoven – Sonate 14 (final) – Valentina Lisitsa (YT)

Moussorgski – Tableaux d'une exposition – Valentina Lisitsa (enregistrement 2019, publication YT 2021) !! / +++ ***
→ La façon de timbrer de façon symphonique, de gérer la nudité des grands accords de la Porte de Kiev, est proprement stupéfiante.

Messiaen, Takemitsu, Léon Milo – « … à Olivier Messiaen », pièces pour piano et interludes acousmatiques (« soundscapes ») – Suzanne Kessler (Oehms 2013)
→ Je n'ai pas adoré les interludes acousmatiques, mais la classe bidouillée de Messiaen autour de Pelléas était assez amusante (collages de sections qu'il joue, détournant le texte ; ou encore accord qui résonne à l'infini pendant le cours reprend…), et les trois Regards remarquablement joués !

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MÉLODIES

Mélodies populaires anonymes XVIIe-XIXe – Lefilliâtre, Goubioud, Buffière ; Poème Harmonique, Dumestre (concert Besançon, France Musique 2021) !!!/+++ ***
→ Même programme qu'Aux marches du palais, mais avec Buffière au lieu d'Horvat comme basse, ce qui change les équilibres de façon intéressante (j'aime beaucoup les deux !).

Bonis, Polignac, Holmès, Viardot, Chaminade, Folville, Béclard d'Harcourt, Faye-Jozin, Ferrari – « Ombres », Women Composers of La Belle Époque – Laetitia Grimaldi (BIS 2022) !/++ **

Hahn, Debussy – Mélodies & Chœurs (Études Latines, Damoiselle Élue) – Karg, Brower, Behle, Nazmi ; G. Huber, Chœur de la Radio Bavaroise, Howard Arman (BR Klassik 2022) !!/++ *

Fauré (Mirages), Caplet (5 ballades françaises), Debussy (Beau soir), Ravel (Don Quichotte), Honegger (Petit cours de morale, Saluste du Bartas), Poulenc (2 Apollinaire, Parisiana), Roderick Williams (Les ténèbres de l'amour) – Roderick Williams, Roger Vignoles (Champ Hill Records, 2022) !!/++ ***
→ Quel bouquet incroyable de cycles très rares !  Et de qualité. Et interprétés avec une précision d'intentions remarquable, pas simplement chantés à la volée. (L'œuvre de R. Williams est très convaincante et se fond très bien dans l'esthétique des autres cycles.)
→ Le répétiteur n'a pas bien bossé, il y a quelques mots faux (« qui g(i)eint, qui pleure »). Sinon le français est vraiment bon, et l'artiste toujours aussi marquant. (Le timbre est moins beau en français, je crois.)

Paul Delmet – Chansons – Enguerrand Dubroca, ténor ; Yuko Osawa, piano (émission France Musique 2022) !/+ *
→ Tiré d'une intégrale en cours des chansons de Paul Delmet, abordée d'un point de vue sérieux / lyrique, avec beaucoup de bonheur.

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LIEDER

Kienzl - Lieder - Dagmar Schellenberger, Peter Stamm (CPO 2000) !/++ *

Mélodies viennoises avec petit ensemble – Groissböck (Gramola 2022) !/+ *

Graener – 5 Lieder zu Gedichten von Borries von Munchhausen: No. 3. Der alte Herr – Heinrich Schlusnus, Sebastian Peschko (chez Documents, label japonais)

Graener – Der Rock (d'un cycle de Morgenstern) – Prey (DGG)

Graener – Neue Galgenlieder von Christian Morgenstern, Op. 43b – Herman Wallén, Kristjan Randalu (chez Antes)

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MÉLODIES D'AUTRES NATIONS

Carafa – Calipso (dans il salotto vol.2) – Enkelejda Shkosa, David Harper (Opera Rara)

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CHANSON

« Nénufar, t'as du r'tard » – (Marche officielle de l'Expo coloniale de 1931) !!/++ **
→ Le racisme le plus franc, mais dans sa version souriante, peut-être même pas conscient de lui-même. Au demeurant, j'aime beaucoup cette chanson musicalement, très entraînante (le chœur !)… fascinante aussi : chaque vers mènerait aujourd'hui à de la prison ferme (et non sans fondement !).

album « Germaine Montero chante, vol.1 : Béranger, Bruant, Ducreux » !!/++ **

« Te souviens-tu » – Éric Amado (BNF) ***

album Éric Amado, succès & raretés **

« Ulysses » de Cristina Branco !!/+++ ***

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FOLK

Simon & Garfunkel – « Live From New York City, 1967 » !/++ *
→ Beaux effets du chant à deux en homorythmie, sur accompagnement très sobre.

Bert Jansch – album Bert Jansch !/++ *
→ Sobre et plutôt mouvant et personnel.

Bruce Springsteen – Nebraska !/+ .
→ Un peu rauque et américain mainstream.

Anne Briggs – album Topic ./+
→ Belle voix typée et pincée, mais un peu homogène dans les accompagnements et répétitif. Parties a cappella un peu longues.

Comus – album First Utterance ./.

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ACOUSMATIQUE

Léon Milo, Messiaen, Takemitsu – « … à Olivier Messiaen », pièces pour piano et interludes acousmatiques (« soundscapes ») – Suzanne Kessler (Oehms 2013)
→ Je n'ai pas adoré les interludes acousmatiques, mais la classe bidouillée de Messiaen autour de Pelléas était assez amusante (collages de sections qu'il joue, détournant le texte ; ou encore accord qui résonne à l'infini pendant le cours reprend…), et les trois Regards remarquablement joués !

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lattès

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__Nouveautés à écouter :__
Shostakovich – String Quartets No. 3 & No. 8 – Novus Quartet (Aparté 2022)
philippe pierlot hume meditation
ancerl live
R. Strauss & Reger: Lieder mit und ohne Worte, Georg Michael Grau
Handel: Semele, Choeur de Chambre de Namur, alarcon
Gloria Dresdensis, Dresdner Barockorchester
D'Agincour: Pièces de clavecin, 1733 - Vol. 1, Stéphane Béchy
Araja: Capricci; Pellegrini: Sonatas ; Enrico Bissolo
Pohádka - Tales from Prague to Budapest ; Laura van der Heijden
Beethoven: Rondino & Wind Octet - Mozart: Serenade ; MIB Wind Ensemble
A London Symphony, Lynn Arnold (pour pianos 4M et orgue)
Chapí: String Quartets Nos. 3 & 4 ; Cuarteto Latinoamericano
Arcadelt: Sacred Works ; Josquin Capella
Baroque Christmas Cantatas from Central Germany II ; Anne Stadler
kenins symphonies

__À écouter :__
Ginastera mélodies Milena, Toccata terza de Michelangelo Rossi par francesco cera (tempéraments), Quiroga disco, karg elert piano, Sonate Op. 25 n° 2 (« Vent de nuit »)  de Medtner, Koechlin basson 3 pièces opus 34, dialogos dalmatica & josaphat, töpfer & merkel, rhorer brahms 1, hillborg beast sampler,
Martinů, Foerster & Novák: Cello Concertos par Jiri Barta, Jakub Hrusa, Prague Philharmonia
KODALY: String Quartets Nos. 1 and 2 Label    Hungaroton
chausson concert faust melnikov
- GADE: Echoes of Ossian / Hamlet Overture / A Summer's Day in the Country / Holbergiana Suite
- gade chœurs sacrés chandos 
- gade schiotz https://www.nml3.naxosmusiclibrary.com/catalogue/item.asp?cid=DACOCD456&workId=37665
- gade vilhelm herold https://www.nml3.naxosmusiclibrary.com/catalogue/item.asp?cid=NI7880&workId=37665
- Messe en ut : Beecham, Wand, Corboz, Marriner, Rilling, Tilson-Thomas, Hickox,  Gardiner, Chailly, Gielen…
- octuor schubert nvelles vsns : hoeprich, linos, nordic, Academy of Ancient Music Chamber Ensemble…
- wand
- elming, rorholm, cold, schonwandt, dausgaard…
- bliss marie magdala
- haendel cuckston
- kirchschlager heggie
- Ernst Bacon, Trio avec piano n°2 - Lincoln Trio
- intégrale lalande
- intégrale grétry (messe)
- disco zilliacus
- disco Ragin Wenk-Wolf

__À réécouter :__
- kuhlau, réécoutes Bru Zane, nielsen commotio flamme, toch, brahms quats, messiaen livre,
- SINIGAGLIA, L.: String Quartet Works (Complete), Vol. 1 - String Quartet, Op. 27 / Brahms Variations / Hora Mystica (Archos Quartet), Messiaen: Complete Organ Works Vol. 5
- gade symphs
https://www.nml3.naxosmusiclibrary.com/catalogue/item.asp?cid=CHAN9767&workId=148371
- gade comala
- ROMANTIC HARP CONCERTOS
- Harp Music - REINECKE, C. / SAINT-SAËNS, C. / GERVAISE, C. / PIERNÉ, G. (Middle Ages to the 20th Century) (Michel, Mildonian, Jamet, Storck, Polonska)
- lambert mauillon




lattès




Cette masse de belles parutions récentes ou anciennes devrait vous permettre de patienter quelques semaines avant une prochaine livraison de ce genre ! 

mardi 21 décembre 2021

Cap 2022 : l'agenda de tous les spectacles que vous n'espériez pas même voir (et qui seront de toute façon pour moitié annulés)


A. L'an 2022 (quoi de beau quoi de neuf)

        ► Vous êtes heureux d'avoir survécu à 2020 ?

        ► Extatiques d'avoir eu la permission de recommencer (un peu) à vivre en 2021 ?

        ►► Préparez-vous à exploser de bonheur : voici le programme des festivités en 2022 !

    Bien plus complet que Cadences (et mieux calibré pour vos goûts que l'Offi), voici le glorieux agenda de Carnets sur sol !

    Il sera enrichi au fil des semaines, mais les grandes salles et quelques chouchoutes (Athénée, conservatoires…) ont été remplies jusqu'à la mi-mars.

    Comme je suis seul à le constituer, le relevé est bien sûr partiel et subjectif (je relève en priorité ce qui peut m'intéresser…), mais tout de même assez vaste. De quoi vous donner, je n'en doute pas, grands fous que vous êtes, des idées à travers tout Paris – et quelquefois l'Île-de-France !  (Conseils randos / patrimoine afférents sur demande.)



B. Enfant, on a tout notre temps

    Les temps restant hautement incertains (on attend dès à présent le mutant combiné avec la variole et la fièvre hémorragique de Marburg pour relancer un peu la Saison 3), le relevé s'arrête un peu avant le printemps (mais j'ai d'ores et déjà mentionné quelques dates au delà).

    Comme promis, je reviens sur le format simplifié : je le trouve beaucoup plus commode, infiniment plus rapide (d'un facteur 3 à vue de nez…), on voit plus facilement jour par jour, et à charge ensuite à chacun de reporter dans son agenda personnel le concert pour telle date donnée. Il me permet aussi de le remplir tandis que je fais mes 3 à 6 heures de transports quotidiens, contrairement au format tableau, très fastidieux à manipuler sur téléphone.
    Mais je suis bien sûr preneur de retours, s'il y a des choses à ajuster ou des besoins à satisfaire. (Ou simplement des lauriers à jeter !)

    Le contenu sera progressivement complété au fil des prochaines semaines.




    TCE bernheim
La salle Jehan Alain du CRR de Paris, très bien représenté dans cette livraison.



C. Gratuit comme le soleil, l'amour, l'amitié

    Cette fois-ci, j'ai donc court-circuité la hiérarchie des salles pour relever en priorité le plus intéressant : les programmes des conservatoires, qui disposent d'avantages multiples comme la gratuité, l'engagement des interprètes et surtout l'originalité des répertoires. Le CRR de Paris, en particulier, fait vraiment l'effort, sous l'impulsion de ses professeurs, de documenter des pans entiers du répertoire français – de violon avec Stéphanie Moraly, de tragédie en musique et opéra comique avec Stéphane Fuget / Lisandro Nesis / Isabelle Poulenard / Howard Crook, de mélodie avec Philippe Biros, de musique de chambre avec Philippe Ferro, Marie-France Giret, Pascal Le Corre et Pascal Proust… et quelquefois même de la symphonie, avec cette saison Gaubert, Ibert, Murail…
    Quant au CNSM, c'est la garantie d'un niveau équivalent à celui que l'on entend dans les grandes salles parisiennes. Gratuitement. Depuis le premier rang. Dans des répertoires qu'on n'entend pas d'habitude.

    Les conservatoires d'arrondissement ou des communes franciliennes (Versailles, Cergy, Pantin, Saint-Maur, Choisy, Palaiseau…) méritent aussi la surveillance, de belles choses inédites s'y passent régulièrement. Le plus difficile est d'être suffisamment vigilant pour tout surveiller.
  
    (Et, souvent, des soirées plus marquantes que ce qu'on peut vivre au fond d'une grande salle avec des interprètes pour qui ce type de concert représente une forme d'habitude, et dans un répertoire que nous connaissons déjà tous par cœur.)



D. L'eau coule encore dessous le Pont-Neuf

Voici donc le fichier :
http://carnetsol.fr/agendacss.txt .

Si les caractères accentués sont déformés, n'hésitez pas à le télécharger et à l'ouvrir dans un bloc-note ou éditeur de texte. (Et à le signaler si le problème persiste.)

Je mets aussi le contenu en fin de notule, pour ceux qui rencontreraient des difficultés de ce genre, mais il ne sera pas mis à jour.



E. Chanter les mêmes chansons

    La signalétique reste la même que d'ordinaire :

*** capital, immanquable
** œuvre rare (et passionnante) et/ou interprétation qui fera date
* très intéressant
¤ intéressant, mais je n'ai pas prévu d'y aller (pas assez rare / trop cher / j'aime pas les interprètes, etc.)
(( début de série
)) fin de série
AV place à vendre
? programme inconnu
yy et ww sont des symboles personnels que je n'ai pas enlevés (j'ai une place / je dois acheter une place)

Les lignes débutent soit par l'horaire, soit par un tiret, afin que vous les repériez mieux. Le format texte rend l'ensemble moins immédiat qu'un tableau, mais si vous regardez simplement les jours dont vous avez besoin, c'est à mon sens encore plus pratique.



F. Le trajet Vénus-Junon-la Terre

    Comme je relève, dans l'immensité de l'offre, essentiellement ce qui me plaît pour moi-même, je vous fournis aussi la liste de salles dont je fais en général le tour (je ne puis le faire pour toutes à chaque fois !) avant de publier l'agenda.

Institutions lyriques :
Opéra de Paris, Opéra-Comique, Châtelet, Athénée, Opéra Royal de Versailles, Massy

Institutions symphoniques :
Philharmonie, Maison de la Radio, Théâtre des Champs-Élysées, Seine Musicale, Gaveau, Invalides, Colonne, Wagram

Institutions chambristes :
Cortot, Fondation Singher-Polignac, Auditorium du Louvre, Musée d'Orsay, La Scala Paris, Espace Bernanos, Espace Ararat (fermé pour 4 ans), Bal Blomet, Guimet (Les Pianissimes)

Conservatoires :
CNSM, CRR de Paris, PSPBB, CRR de Versailles, CRR de Cergy, Conservatoires du XVIIIe, de Choisy-le-Roi, Pantin, Saint-Maur…

Salles qui programment quelques opéras :
Bouffes du Nord, Marigny, BNF, Déjazet, Herblay, Saint-Quentin-en-Yvelines

Théâtres qui programment un peu de musique :
Théâtre Grévin, La Ferme du Buisson (Noisiel), Le Figuier Blanc (Argenteuil)

Festivals (hors été) :
Philippe Maillard, Festival Marin Marais, Jeunes Talents (Archives Nationales principalement), Concerts de la rue Bayard (fini), Forum Voix Étouffées, Les Concerts de Poche, Inventio, Les Pianissimes (Guimet principalement), Baroque de Pontoise, Royaumont, ProQuartet (Paris & 77)

Églises :
Église Américaine de Paris (chambre & vocal, souvent rare), The Scots Kirk (chambre rare, fini), Saint-Merry (symphonique, chambre, musiques du monde…), La Madeleine (concerts sacrés), Billettes, Val-de-Grâce (concerts thématiques « patriotiques »)

Orgues :
Oratoire du Louvre (avec écran !), Saint-Eustache, La Trinité, Saint-Louis de la Pitié-Salpêtrière, Temple de l'Étoile, Saint-Pierre-de-Montmartre, Saint-Gervais-Saint-Protais, La Madeleine, Saint-Sulpice, Saint-Roch, Saint-Antoine-des-Quinze-Vingts, Chapelle Royale de Versailles, Houdan, Brunoy, Mantes-la-Jolie, Orgue-en-France.org

Compagnies :
La Compagnie de L'Oiseleur, Les Frivolités Parisiennes, Orchestre de Chambre de Paris, Il Festino, Ensemble Poséidon, Faenza, Les Épopées, l'Orchestre d'Éric van Lauwe, Les Talens Lyriques, La Chanson Perpétuelle, Les Monts du Reuil, Ensemble Athénaïs…

Artistes :
Dagmar Šašková, Jean-Sébastien Bou, Marc Mauillon, Gérard Théruel, Claire-Élie Tenet, Sahy Ratianarinaivo, Kaëlig Boché, Trio Zeliha, Trio Zadig, Trio Sora, Cuarteto Quiroga, Quatuor Tchalik, Quatuor Akilone, Quatuor Hanson, Quatuor Arod, Le Consort, Patrick Cohën-Akenine, Sophie de Bardonnèche, Héloïse Luzzati, Gary Hoffman, Célia Oneto-Bensaid…

Autres styles :
La Huchette (comédie musicale), Sunside (jazz), Duc des Lombards (jazz), Quai Branly (musiques du monde)

Théâtre :
Comédie-Française, Odéon, Colline, Montansier, Gérard Philippe (Saint-Denis), Les Amandiers, L'Usine, L'Apostrophe

Auteurs :
Ibsen, Maeterlinck

Ballet :
Théâtre de la Ville, Chaillot

Sources transversales complémentaires :
Cadences.fr, Offi.fr, France-Orgue.fr


    (Rien qu'écrire la liste prend une heure… d'où la nécessité pour moi d'alléger le processus et de n'effectuer qu'un relevé sur un format rapide, du moins si vous voulez en profiter un peu en amont.)




G. Tu dors, je rêve éveillé

    Pour ceux qui se demandent d'où proviennent ces titres – d'une de mes chansons préférées. Suivez le lien.

    Voici pour l'une des dernières notules industrieuses de l'année, à l'heure où vous vous gobergez déjà – ne niez pas, on m'a tout dit.

    Profitez bien, protégez-vous, survivez, et revenez au concert pour la seconde partie de saison. Nous serons là – si nous avons survécu, ou si nous ne renonçons pas à revenir de notre province.

Suite de la notule.

dimanche 1 mars 2020

Opéra et concert classique : audace, fréquentation et zombies – (2/2)


2. L'opéra de l'avenir

Le pendant de la réflexion, plus amusant, sur l'austère remplissage du concert classique – et quelques pistes de formats alternatifs pour élargir un public qui restera, en toute hypothèse, sensible à la musique pure, donc jamais aussi large que la société elle-même –, porte sur l'opéra, dont la dimension narrative est immédiatement plus attractive (une fois habitué aux bizarreries de l'émission lyrique) pour une population plus vaste.

J'en ai déjà souvent parlé dans ces pages, que ce soit pour les opéras par des compositeurs de musiques de film, la nouvelle façon d'écrire par scènes closes et unités d'action, l'opéra Star Wars ou l'opéra de zombies… ou encore en parcourant l'étrange offre des premières mondiales.



Ces pensées ont été stimulées à nouveau en assistant aux Bains macabres de Guillaume Connesson. Le livret d'Olivier Bleys, sur un sujet neuf, ainsi que la plasticité de la science musicale de Connesson, créent une œuvre vive, enthousiasmante, toujours surprenante, et qui répond à beaucoup de critères du public d'aujourd'hui, biberonné au cinéma – action mobile, coups de théâtre, variété des atmosphères musicales…

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Cette création toute fraîche mérite, à mon sens, des reprises régulières au même titre que les grandes titres comiques du répertoire Le Barbier de Séville ou La Belle Hélène. L'intrigue saute d'un genre à l'autre (réalisme social, satire contemporaine, enquête policière, fantastique, onirique, bouffon…) de façon imprévisible, nous laissant toujours incertain de ses prochaines audaces – quelle fin !
Spoilers : Célia, jeune hôtesse d'un établissement thermal, est fort courtisée, mais passe ses soirées sur son ordinateur avec des images de son fiancée. Une enquête est ouverte pour morts suspectes aux bains. Depuis le ciel, le fiancé mort est envoyé sur terre pour vivre quelques heures auprès de sa bien-aimée. Pris dans le tourbillon de l'enquête bouffonne, il sert de spirite et convoque les esprits pour le compte de la police afin d'innocenter Célia.
Je ne révèle pas les événements en cascade de la fin.

La musique joue aussi des codes : figuralismes (mer, spectres), fox-trot balnéaires, leitmotive, lyrismes filmiques ou musique d'atmosphère, puisant à Debussy, Puccini ou Prokofiev tout en écrivant de la musique de son temps – avenante-tout-public mais riche et nourrissante.

Pour couronner le tout, Connesson a réussi le tour de force choral que j'appelais de mes vœurs pour un zombie opera, avec les masses organiques gluantes et tendues, comme des nuées dissonantes, dans l'épisode dans l'autre monde où se traînent les morts.

Ce petit bijou au rythme dramatique rapide, aux savoureuses surprises, à la musique accessible (globalement tonale-élargie) et variée mérite pour moi le titre de chef-d'œuvre, et démontre qu'il est possible de penser autrement la commande et la composition d'opéras.



Laissons de côté les cas caricaturaux de mise en opéra de bouts de poésie (L'Espace dernier de Matthias Pintscher), de méchantes paraphrases de Racine (Bérénice de Jarrell), des jeux phonématiques (Aperghis), des vies ennuyeuses d'artistes (Bacon, Akhmatova…), d'histoires sordides du XXe siècle (Adriana Mater, ou le projet de Jelinek & Neuwirth sur un médecin pédophile carinthien…).

En France et dans les pays à la pointe de l'art comme l'Allemagne ou l'Italie, les opéras ont souvent des sujets ambitieux et une certaine prétention littéraire / intellectuelle : même lorsqu'on commande un opéra sur un sujet filmique (Il Postino de Catán pour la partie rétro-gentille, The Secret of Brokeback Mountain de Wuorinen pour la veine atonale, et The Fly de Shore pour un entre-deux), le résultat demeure bel et bien un opéra. Dans le cas de Howard Shore lui-même, remarquable opéra écrit dans une langue ambitieuse qui a entendu les grandes tendances du XXe siècle, on se trouve face à une œuvre d'envergure schrekerienne, avec un orchestre tentaculaire, une temporalité assez lente.

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The Fly.

Le sujet en lui-même, fût-il issu de la culture commune (les divers Solaris ou Hugo, par exemple), ne garantit pas l'accessibilité du résultat : il faut que le livret soit bon (avec un minimum d'action ou de verve poétique, pas écrit par le compositeur ou un copain dans une langue pompeuse…), et surtout que le format lui-même ne cherche pas à singer de grandes fresques ambitieuses auxquelles les langages actuels, déjà complexes (et peu propices à l'intelligibilité vocale, avec leurs lignes mélodiques disjointes) ne font qu'ajouter les difficultés.



C'est pourquoi je m'imagine une scène spécialisée, ou au minimum une démarche, qui se fasse une mission de proposer des opéras nouveaux qui ne cherchent pas à remplir une commande prestigieuse, mais à entrer en résonance avec leur temps. Cela existe déjà : voyez comment Jack Heggie a tiré une fresque épique (qui n'est pas du néo-romantisme mais bien de la musique du XXIe siècle) de Moby-Dick, pour le public anglophone qui a été biberonné à ce quasi-mythe.

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Il faudrait également que le sujet influe le format musical : il ne s'agit pas de changer les noms comme on le faisait dans l'opéra seria en remplaçant Tarquin par Ferragus et Tancrède par Scævola, mais vraiment d'adapter toute sa structure et son langage musical.

Le but étant de créer un lien de confiance avec le public, qui pourrait venir vivre l'expérience rien que sur la foi du titre, sans se poser la question à triple détente « quel est le style du compositeur ?  qui est ce librettiste inconnu ?  est-ce que ça traîne ? ».

Imaginez…



Glotte of the Dead, l'opéra inspiré de la BD et / ou de la série de Robert Kirkman.

Le rideau se lève sur une route à l'aurore. La scène est baignée, depuis le fond, d'un jaune éclatant. Aplats d'accords majeurs sereins aux cordes. Progressivement apparaissent des frottements tandis que la lumière se voilent (des bouts de secondes qui se percutent). Le chœur, depuis la coulisse, entre pupitre par pupitre depuis le grave jusqu'à l'aigu, comme arrivant depuis la distance, en une sorte de masse compacte qui dissonne fortement. (C'est là où le compositeur doit tout de même trouver une tournure et un thème, ou du moins un geste, marquants.)

On pourrait imaginer un opéra, comparable à ses sources, qui ne chanterait pas beaucoup, surtout à base de fondus orchestraux évoquant tantôt les bruits de la nature, tantôt le vide des rues désertées, ou encore les quelques palpitations de la nuit, et puis les paroxysmes terribles de la panique lorsque le chœur de la horde intervient.

Ce serait en outre aisé à adapter dans toutes les langues, avec des dialogues du type :
– Watch out !
– Riiiiiiiiiiiiick !  Aaaaaaaaaaaaaaah !
– They are here / Sono qui / Ils sont là / Aquí están / De er her / הם כאן !
– Oh no !  Gleeeeeeeeeeeeeeeeeeeenn !
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Extrait du livret cosigné Kirkman-Le Marrec.

Et propre à quelques répliques-cultes :
– Are you bitten ?
– No.
– Are you sure ?  There ?
– Oh nooooo !
Je ne dis pas que ce convaincrait pour autant les jeunes passionnés de Damso, mais il y aurait de quoi amuser les jeunes adultes si la mise en scène joue le jeu du spectaculaire-gore inhabituel sur les scènes d'opéra (on a tout le matériel nécessaire pour faire des jets de framboise) et fait traverser incessamment la scène par une horde de choristes un peu préparés (ou même des acteurs-figurants tandis que le chœur est en coulisse).

Ce coûterait un peu cher à financer pour les nécessaires projections visuelles pour figurer les lieux, pour le chœur, mais on pourrait se passer de solistes dispendieux vu le peu à chanter – si vous voulez absolument faire un des motivational speeches incontournables des séries américaines, embauchez Gunther Groissböck ou John Relyea pour Rick Grimes, et contentez-vous de membres du chœur pour les rares solos des autres personnages.

Ce serait en tout cas, du point de vue de la composition, l'occasion de mettre à profit tout le savoir-faire du compositeur classique pour le temps long, le paysage musical, et de tenter une prosodie nouvelle pour figurer la Horde.



Star Wars, évidemment. Quelle matière se prêterait mieux au merveilleux d'opéra ?  On a des dialogues déjà économes et percutants, et surtout une musique tout en leitmotive, qui ne demanderait qu'à être exploitée à la façon de Wagner par un compositeur (ou un diplômé en écriture). Chacun connaissant très bien ces thèmes, ce serait en outre l'opéra à leitmotive le plus accessible de tous. Il y a là de quoi exalter une matière musicale qui, pour les besoins des films, n'est présente que par sections discontinues. Entendre les thèmes de la saga dans un format ininterrompu du type acte III de Parsifal me rend très curieux et enthousiaste.

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Mise en scène Peter Sellars bien sûr.
(Grand air à colorature de Darth Maugda : « Together we will rule the galaxééééé ».)


Les représentations seraient bien sûr déficitaires considérant la dîme prélevée par Disney, mais quelle publicité extraordinaire ce serait pour le théâtre qui l'organiserait, et pour le genre opéra dans son ensemble… !  On voit parfaitement les typologies vocales attendues : le ténor héroïque de Luke, le baryton central de Solo, le baryton dramatique de Vader, la basse profonde de l'Empereur, le ténor de caractère de Yoda… ce serait un panorama pédagogique, quasiment, de l'écriture d'opéra.

(On pourrait même imaginer différentes versions musicales de la saga : l'une écrite comme du Bellini, l'autre comme du Wagner, une autre comme du R. Strauss ou du Prokofiev, voire des tentatives baroqueuses ou atonales…)  L'entrée la plus intelligible possible pour les genres de l'opéra.

Dans le même registre, on pourrait reprendre  The Sea Hawk, Robin Hood, Vertigo et autres films-épopées pourvus de bonne musique, pour les redéployer au sein d'un format chanté et davantage continu.



Parmi les grandes fresques attendues, je ne m'explique pas que Les Misérables n'ait pas un opéra un peu réussi au répertoire… La bataille de Waterloo ?  Les personnages très typés ont vraiment de quoi nourrir un imaginaire sonore, et se couler dans les vocalités expansives de l'opéra néo-romantique.

Dans d'autres styles sonores, plus contemporains, on pourrait aussi imaginer un Quatrevingt-treize (l'incendie du château, quel moment !) ou un Homme qui rit  (on pourrait faire un oratorio rien qu'avec la scène du gibet…).

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Bien sûr, tout cela est soumis au choix des bons compositeurs : pas forcément des gens bien en cour, ni même des gens originaux, parfois pas même des compositeurs à proprement parler… mais avec des arangeurs sensibles au style d'origine, ou des artistes suffisamment ouverts et versatiles (ce que fait Connesson dans Les Bains Macabres laisse rêveur sur l'immensité des possibilités), on peut proposer des œuvres à la fois accessibles et marquantes, qui libèrent l'opéra contemporain de sa seule image intello & expérimentale – démarche qui a également toute sa place, bien sûr !



Pour les plus jeunes, je me figure qu'on pourrait écrire un Bambi bien tonal (doublage d'un dessin animé ?), ou bien une version condensée d'une saison de The version 2014 – le matériau musical de la série est pauvre, on pourrait partir d'autre chose, mais là aussi, pour suggérer la vitesse, le retour dans le passé, le caractère des méta-humains rencontrés (qui contrôlent les ultra-violets, l'électricité, les masses orageuses, etc.), il y aurait une galerie de portraits sonores incroyables à proposer, digne des sept portes de Kékszakállú !  Sans parler de l'intrigue qui pourrait être plus dense et mobile que les habituelles contemplations d'amours désuètes et de méditations artistiques standardisées.

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La qualité de la mise en scène serait bien sûr primordiale aussi, même sans spectaculaire particulier, pour permettre à l'ensemble de fonctionner.



À cela pourraient s'ajouter des formats originaux : l'opéra à entrées multiples, où le public pourrait voter pour un enchaînement de situations, qui changerait selon les soirs (si le spectacle est bon, le remplissage peut être stimulé !). Ou bien un opéra plus immersif, qui se déroulerait dans la salle (pourqoi pas une scène située sur les balcons, avec du public sur la grande scène, pour changer ?

Je suis persuadé qu'on pourrait, en se posant la question autrement – non plus de faire une création, ou de demander à Untel d'écrire un truc –, réellement renouveler le genre de la meilleure façon qui soit. Se poser la question de ce que veut le public, la question du format également (quoi de neuf ?), avant de chercher à faire écrire un opéra sur un sujet qui n'intéresse que le compositeur, avec un livret embrouillé, lent, prétentieux et maladroit.

Je n'invente rien, cette démarche existe déjà : on a des opéras très accessibles qui parlent d'histoire récente (Rasputine, Anne Frank, Die Weiße Rose, JFK, Nixon, Marilyn Monroe, de l'homosexualité chez les maccarthystes), de grands classiques (Minotaure, Ovide, Hamlet, Richard III, Frankenstein, Poe, Melville, Cyrano, Usher, Canterville, Solaris, T. Williams, Beckett…), de littérature de jeunesse (Chat Botté, Musiciens de Brême, Blanche-Neige, Gulliver, Lord of the Flies), de films (Sophie's Choice, Marnie, Dead Man Walking, The Addams Family), de bandes dessinées (Max et les Maximonstres), de livres de psychiatrie  (The Man Who Mistook his Wife for a Hat), des suites d'opéras du répertoire (de la trilogie de Figaro, d'Aida, de Gianni Schicchi…), de l'exploration de phénomènes sociétaux (alpinisme, regards sur l'homosexualité, Alzheimer, le nucléaire), des opéras érotiques (Opéraporno en tournée française, Powder her Face, Das Gehege – où une femme rêve, je n'invente rien, de se faire déchirer par un aigle)…

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Et même des choses encore plus étranges, un opéra « d'espionnage lyrique mathématique » (Atlas 101, où apparaissent pêle-mêle Hedy Lamarr, George Antheil, John Conway, Ganesh et sainte Rosalie…), ou Hercules vs. Vampires de Morganelli (un lipdub lyrique du péplum de Bava !).

En prenant le meilleur de ces expérimentations, voire en privilégiant les compositions accessibles, les dispositifs originaux et les thèmes les plus grand-public, je suis convaincu qu'une maison d'opéra pourrait se tailler une réputation et une relation de confiance avec un public fidèle, tout en bénéficiant à l'image du genre opéra, assez sérieuse / élitiste / ennuyeuse (et non sans cause, côté création contemporaine, à commencer par les livrets désastreux…), au profit de toutes les autres maisons !

Si vous possédez un opéra, avez de l'argent à dépenser et du prestige à acquérir, je me tiens à disposition pour fournir suggestions de titres / dispositifs / compositeurs / rédaction de livrets. Si j'étais assez bon en musique, je ferais bien mes propres tentatives…

lundi 1 juillet 2019

Saison 2018-2019 : bilan de l'année concertante & grande remise des Putti d'incarnat


La saison passée, après avoir passé de nombreuses heures à essayer de faire une jolie présentation, je n'en suis pas venu à bout et n'ai rien publié…
Cette saison-ci, du fait des… 193 spectacles vus depuis le 1er septembre (et cela se poursuit en juillet), j'adopte une autre stratégie : un grand tableau qui contient toutes les données statistiques, avec les distributions, les lieux, les époques, les remises de putti d'incarnat, le prix de revient…

Tant de beautés, parfois un peu secrètes, méritent un petit tour d'horizon, que voici.



1. Les putti d'incarnat

Voici donc venu l'instant de la grande remise annuelle de la récompense suprême pour tout artiste informé, le putto d'incarnat – qui est au diapason d'or ce qu'est la médaille olympique de lancer de poids à la compétition de pétanque de la félibrée.
Seule la rédaction de Carnets sur sol réunie en collège extraordinaire est habilitée à le décerner, ce qui garantit la clairvoyance de son attribution, et l'absence absolue de collusion maligne.

Hautement respecté, il se matérialise par un putto de van Dyck, remis directement à chaque lauréat sous forme d'un précieux carré de pixels.


les putti d'incarnat

Au delà du jeu des breloques, c'est aussi et surtout l'occasion de mettre en valeur des œuvres, concerts ou interprètes qui n'ont pas toujours été très exposés. Il est vrai que le travail de recherche de ces concerts est un poste de dépense, en temps, assez considérable à lui seul !



2. Spectacles vus

Tout a donc été placé et organisé dans ce grand tableau.

Quelques précisions utiles pour sa lecture :
♦ en gris, les découvertes personnelles ;
♦ l'astérisque sur un nom signifie que j'entends l'interprète pour la première fois en salle (deux astérisques, que je le découvre complètement) ;
♦ dans la colonne « recension », tw signifie Twitter (cliquez sur « lire la discussion » pour accéder au commentaire complet), clk Classik (forum de référence), CSS Carnets sur sol (évidemment). Certains concerts n'ont pas été commentés (ou ont pu l'être sans que je remplisse la case, d'ailleurs).

Après hésitation, j'ai conservé la cotation des spectacles, pour permettre de lire plus clairement. Elle est sur cinq et ne relève que ma propre satisfaction : elle ne mesure pas l'intérêt des œuvres, ni même le niveau ou l'engagement des artistes… simplement l'état de ma subjectivité (qui peut varier selon le moment évidemment). D'une certaine façon, la seule cotation objective possible : celle de mes émotions plutôt qu'une qualité générale hypothétiquement universalisable.
D'une manière générale, on peut tout de même remarquer que jouent très fortement la rareté des œuvres (et leur intérêt, bien sûr ; cependant plus il y a découverte, plus l'émotion est forte, par exemple une opérette inédite par rapport à Tosca qui est un coup de poing, mais dont on a l'habitude), ainsi que certains paramètres d'interprétation (engagement, plaisir de jouer, qualité linguistique notamment).

À la louche, il faut le lire comme suit :
* : très bonne exécution, mais je n'ai pas vraiment été emporté, pas sensible aux choix, ou j'étais dans un mauvais soir (Couperin par Jarry, Mahler 3 par l'Opéra de Paris)
** : très bien, mais pas forcément sensible aux œuvres (Manon, Concerto pour violon de Weill, The Rake's Progress…) ou joué de façon terne (Boccanegra) ;
(à partir de ***, on est vraiment très haut)
*** : excellente soirée, très intéressante, très bien jouée ;
****  : assez parfait (mais ce n'est pas rare, ou bien il m'est arrivé d'entendre mieux), ou proposition imparfaite mais extrêmement stimulante (Les Démons à Berthier…) ;
***** : bonheur absolu

Je me suis même réservé, pour les grands soirs qui marquent une vie de spectateur, d'excéder les *****.

Je le redis ici, il ne faut pas le lire comme une « note » /5, ce n'est pas l'esprit de la chose.

Trois spectacles seulement sur les 193 ont une note « négative », où je me suis permis de partager mes doutes.
Bérénice de Jarrell. Je n'ai jamais autant regardé ma montre au spectacle. Jarrell est un très grand compositeur, les interprètes étaient excellents… cette fois-ci ça n'a pas pris, le rapport à Racine, la prosodie, même la musique ne s'articulaient pas ensemble. Une production où tout le monde était de bonne foi, mais une œuvre ratée à mon sens. Cela arrive. Il faut réécouter son opéra Galilée, son mélodrame Cassandre et sa musique symphonique.
Pelléas avec piano à l'Opéra-Comique. Les interprètes (pourtant tous très valeureux) ne possédaient pas bien leur rôle (pas techniquement, mais il ne se passait rien dramatiquement) : proposer le résultat d'une semaine de travail sur une œuvre aussi spécifique que Pelléas, avec un plateau où tout le monde faisait sa prise de rôle, dans un contexte aussi solennel qu'une grande salle de spectacle (pour ce qui aurait dû se donner dans une salle de répétition entouré des proches), ça ne pouvait pas fonctionner. Fausse bonne idée – là encore, ce n'était pas vraiment la faute des artistes, et ça aurait pu fonctionner, vu leur niveau, avec n'importe quel autre opéra… mais pas celui-ci avec tout le monde le nez dans la partition à compter les temps. Et surtout pas vendu comme un vrai concert, à Paris où l'on a en moyenne un Pelléas extraordinaire par an.
Le Procès de Krystian Lupa d'après Kafka, le seul pour lequel je n'ai pas beaucoup d'indulgence : atrocement lent, mal ficelé, délibérément laid… Tout était plat, démonétisé… et j'ai été mis un peu de mauvaise humeur aussi par ce qu'on voyait sur scène (de longues minutes pendant lesquelles un homme nu se touchait), alors qu'aucun avertissement envers le jeune public n'avait été émis (beaucoup de lycéens dans la salle). Un mauvais spectacle, c'est une chose, mais un spectacle nuisible…

Tout le reste, même pour les * où je ne suis pas convaincu sur les choix opérés, était de haute volée. Avec quelques sommets à peine imaginables dont je parlerai.



3. Statistiques

a) Lieux

193 soirées dans 91 salles différentes, dont 50 jamais testées !
Plus d'1/4 de salles nouvelles, après dix ans de concerts à Paris, je suis plutôt content de moi.

Les lieux les plus visités ?  Ils ne surprendront pas les habitués.
1. Philharmonie
2. CNSM
3. TCE
4. Bastille
5. Favart / Château de Versailles
6. CRR de Paris
7. Athénée / Odéon / Garnier
8. Marigny

Détail des salles où je suis allé plusieurs fois cette saison :
total Philharmonie (47)
Philharmonie (36)
total CNSM (24)
total Opéra de Paris (13)
CNSM – Fleuret (11)
CiMu (10)
TCE (10)
Bastille (9)
CNSM – salle d'orgue (6)
Favart (6)
total Château de Versailles (6)
total CRR (5)
CNSM – Pfimlin (4)
Athénée (4)
total Odéon (4)
Garnier (4)
CRR – auditorium Landowski (3)
Opéra Royal (3)
Versailles, Grande Écuries (3)
Odéon (3)
total Marigny (3)
CRR – salle Alain (2)
Temple du Luxembourg (2)
Saint-Gervais (2)
Marigny grande salle (2)

--

b) Genres

Opéra (55), dont scénique (32) et concert (23)
Symphonique (39)
Sacré (20), dont oratorio (4)
Théâtre (18)
Musique de chambre (17)
Lieder & mélodies hors orchestre (13)
Instrument solo (7), dont piano solo (5)
Ciné-concert (5)
Chœur solo (8), dont a cappella (6)
Comédie musicale (4)
Théâtre & musique (4)
Orgue (4)
Cantates profanes (3)
Théâtre en langue étrangère (2)
Improvisation (2)
Airs de cour (2)
Traditionnel / Folklorique (2)
Ballet (2)
Récital d'airs d'opéras (2)
Chanson / Cabaret (1)

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c) Époques

Trop compliqué à compter, mais comme d'habitude, le déséquilibre de l'offre fait que triomphent très nettement les XIXe2 et XXe1, périodes que j'aime beaucoup, mais pas forcément à ce degré de différence.




4. Remise de prix

Les œuvres et interprètes remarquables sont déjà indiqués dans le fichier général, mais quelques précisions et éclairages.

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a) Accueil

On est bien accueilli en de multiples endroits, mais deux salles proposent une expérience extraordinaire, où vous êtes à chaque pas accueilli avec bienveillance ; on vous conseille même sur les prix moins chers (quand on ne vous accorde pas de réductions indues), on vous aide à vous replacer sans que vous ne demandiez rien, et toujours le sourire, le plaisir d'être au contact du public… Un plaisir d'y aller, rien que  pour se sentir bien.

Pour cela, L'Athénée à Paris (rue Boudreau) et le Théâtre Roger Barat d'Herblay.

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b) Lieux extraordinaires

Cette itinérance francilière m'a aussi permis d'accéder à des lieux incroyables. Il y a bien sûr les églises, avec les fresques XVIe du plein ceintre de Saint-Basile (Étampes), les culs-de-lampe drôles de Saint-Sévère (à Bourron-Marlotte), l'étrange cagibi qu'est la nouvelle Cathédrale orthodoxe de la Trinité à Paris, les splendides époques juxtaposées (XIe-XVIIe) de Saint-Aubin (Ennery).

Mais aussi d'autres lieux moins attendus, moins spécialisés : découvrir pour la première fois l'Orangerie de Sceaux, son volume et ses moulages, retrouver le grand théâtre de bois de l'amphi Richelieu de la Sorbonne (pour un programme Hensel-Wieck-Reverdy incroyable, de surcroît), être accueilli en invité dans les salons chamarrés du palais de la Fondation Polignac (très intimidant, l'impression d'entrer par effraction dans un monde parallèle), et sommet des sommets, la plus belle salle que j'aie vue sans doute, le Manège de la Grande Écurie face au château de Versailles, pour du LULLY ! – aux murs d'Hardouin-Mansart s'ajoutent les gradins et tourelles de bois de Patrick Buchain… ce lieu est d'une singularité et d'une poésie qui n'ont pas d'équivalent.

Quantité de théâtres charmants aussi (le Théâtre Michel par exemple), et des lieux qui, sans être toujours spectaculaires, marquent : la Fondation Pathé où les salles spécialisées peuvent accueillir de l'improvisation au piano devant les muets fraîchement restaurés, La Nouvelle Ève dans le quartier des cabarets, avec sa décoration totalement dépourvue de pudeur et de bon goût (ambiance lupanar avec des couloirs froides, déstabilisant), Les Rendez-vous d'ailleurs (un cabaret de quartier où les lavabos sont dans le m² de l'entrée, où le hall est aussi la salle… tout un théâtre de plain-pied contenu dans l'espace d'une grande salle à manger), La Passerelle (une sorte de microcantine-bibliothèque, un petit lieu de convivialité de quartier sous pierres apparentes, délicieux)…

Et bien sûr, souvenir particulier de la Salle du Dôme, grand demi-cercle au sommet du Conservatoire de Puteaux, où j'ai pu assister, tandis que le couchant embrasait Paris à travers les grandes baies panoramiques, à la répétition générale de Tarare de Salieri, littéralement contre les musiciens et chanteurs. Lieu fort beau, mais dont la jauge ne permet pas de donner de spectacles (nous étions quatre spectateurs).

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c) Opéra scénique

Les Huguenots : contre toute attente, une production de l'Opéra de Paris. La qualité de la partition est telle que, bien servie (j'ai attendu qu'on soit en place, en toute fin de série…), elle procure une jubilation ininterrompue assez incroyable… tant de qualité mélodique, de modulations de relance adroites, de tuilages et ensembles… le vertige.

Normandie de Misraki (La Nouvelle Ève) : festival de jeux de mots lestes, musique généreuse servie avec un entrain formidable. Production assez géniale de ce qui aurait dû être une aimable curiosité.

Into the Woods de Sondheim (Massy) : jubilatoire jeu de contes, peut-être aussi le Sondheim mélodiquement le plus irrésistible.

Rusalka de Dvořák (mise en scène Carsen) : le wagnérisme dans un creuset mélodique slave, et une mise en scène à la fois si belle et fine (peut-être ce que j'ai vu de mieux sur une scène d'opéra), vraiment fabuleux (musicalement, on baigne dans la plus belle des riches voluptés).

Et beaucoup d'autres moments fabuleux : la décantation de Iolanta, The Importance of Being Earnest (Gerald Barry) et sa fantaisie, Véronique de Messager (version quintette piano-cordes), Le Testament de la tante Caroline (Roussel !), Madame Favart (le meilleur Offenbach peut-être), Le Jugement de Midas de Grétry, Le Retour d'Ulysse d'Hervé, Donnerstag de Stockhausen (quelle poésie !)…

Aussi le plaisir de la découverte en salle d'ouvrages que je savais plus mineurs mais qui, en vrai, demeuraient charmants : Galuppi-Goldoni (Il Mondo alla roversa), Korngold (Die stumme Serenade), Loesser (Guys & Dolls), Berio-Monteverdi (Orfeo III) Sondheim (Marry Me A Little).

Quelques belles retrouvailles aussi : L'Elisir d'amore (ça ne manque jamais), Otello (Kurzak et Alagna époustouflants, on verra cette soirée avec nostalgie avant peu), Hamlet, Tristan (Serafin m'a beaucoup touché !), Ariadne auf Naxos…

Très peu de mauvaises surprises : j'ai trouvé Mam'zelle Nitouche faible, mais les artistes se donnaient ; je n'aime toujours pas Manon mais la production était remarquable en tout point ; reste surtout la frustration de ce Boccanegra à l'économie du côté mise en scène et orchestre, vraiment pas au niveau d'une telle maison ni de l'œuvre… mais le niveau vocal était suffisamment très-bon pour sortir content.

Étrangement, cette saison, plus d'opérette et de comédie musicale, revenant en force à Paris, que de baroque français !  Je ne m'en plains pas, j'ai fait bombance de ce genre alors que les autres étaient jusqu'ici un peu négligés.

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d) Opéra en concert

La Pskovitaine de Rimski-Korsakov : une œuvre d'une densité et d'un feu extraordinaire (le meilleur Rimski, à mon gré), alors servie par le Bolchoï, on crève de bonheur.

Paul & Virginie de Victor Massé : Massé n'est pas seulement l'immortel auteur des légers Les Noces de Jeannette ou Galathée, il a aussi donné dans le grand genre, et cet opéra est d'une richesse assez incroyable. Il comporte en ouvre de très grands morceaux de bravoure (un grand solo d'un quart d'heure pour le ténor, la lecture de la lettre de Virginie par Paul et son apparition fantomatique…), au service d'un roman qu'on ne considère plus guère et qui retrouve réadapté sans niaiserie, comme son modèle, au goût du second XIXe siècle. C'était en outre dans une distribution à crever de bonheur, que des très très grands : Sahy Ratianarinaivo (vous le retrouverez la saison prochaine dans plusieurs premiers rôles en France), Halidou Nombre, Tosca Rousseau, Qiaochu Li, L'Oiseleur des Longchamps (quel récitant hors de pair !), Guillemette Laurens…
Il faudrait vraiment d'une maison pourvue de moyens reprenne cela avec ou sans orchestre, et la même équipe.

Tarare de Salieri : je vous épargne pourquoi. Unique livret de Beaumarchais, une œuvre virevoltante et piquante, dans le langage français de l'époque mais plus riche, et écrit dans une continuité déjà wagnérienne… un hapax incroyablement jubilatoire, et par la meilleure équipe possible.

Léonore de Gaveaux : la source de Fidelio, dont beaucoup de l'esprit musical a été repris (et totalement transcendé) dans la partition de Beethoven. Un ravissement de fraîcheur, et non sans ambition, par de jeunes artistes de très, très haute volée (chefs de chant de la classe d'Erika Guiomar, et très grands chanteurs Ricart, Pouderoux, Poguet, Athanase…).

Le Roi Pausole d'Honegger : un des rares livrets loufoques réellement drôles. Récital d'examen (direction de chant) de Cécile Sagnier plein de vie.

Tristan und Isolde : un petit condensé Récital d'examen (direction de chant) de KIM Yedam. Avec Marion Gomar et Léo Vermot-Desroches, un duo d'amour incroyable, sur le tapis mouvement d'un orchestre enfermé dans un piano. Très, très grande lecture.

Tarass Boulba de Lysenko : le grand compositeur national ukrainien, contemporain de Tchaïkovski (et revenu à l'honneur dans l'Ouest du pays dernièrement, tandis qu'on joue La Fiancée du Tsar dans les opéras du Donbass – je n'invente rien !). De la musique très tranquillement consonante, dont les mélodies sont teintées de folklore. Passionnant de pouvoir le découvrir enfin en salle, dans de très bonnes conditions. Récital d'examen (direction de chant) d'Olga Dubynska.

Et beaucoup d'autres très grands moments : Idylle sur la Paix de LULLY (dans le style d'Armide), Arabella par l'Opéra de Munich, Salome (version piano condensée Théodore Lambert), Euridice de Peri (le premier opéra conservé, et dans une version expérimentale de recitar cantando), Candide de Bernstein (Rivenq en récitant dans un si bel anglais !)…

Par ailleurs, plaisir de découvrir Le Roi Pinard Ier de Déodat de Séverac (réputé perdu), l'étrange comédie tonale un peu sinueuse de Pierre Wissmer (Léonidas ou la torture mentale), Maître Péronilla d'Offenbach, d'être enfin convaincu par Isouard (Cendrillon par la Compagnie de L'Oiseleur), d'entendre enfin Issé de Destouches (même si déçu par la partition et l'interprétation). Et bien sûr, on ne se plaindra jamais de retrouver des doudous comme Serse (par Il Pomo d'oro en feu), Nabucco (Rustioni à fond et distribution folle), La Damnation (Antonacci, Vidal, Courjal, Roth !), Siegfried (avec Stikhina au sommet) et Götterdämmerung (Sergeyeva…) par le Mariinsky…


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… la suite un peu plus tard avec les remises de prix symphoniques, chambristes, d'oratorio, de mélolied… et les distinctions concernant les artistes (autant cajoler aussi les vivants).




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e) Musique symphonique

Sibelius 2 par l'orchestre Ut Cinquième, direction William Le Sage. Dans une église insupportablement glaciale (10°C, pas plus), la plus grande interprétation que j'aie entendue de cette symphonies. Bien qu'ensemble amateur, on est saisi par l'aisance et l'aplomb incroyable de cette formation, le plaisir évident de jouer aussi. William Le Sage (alors encore étudiant en direction au CNSM, il vient d'obtenir son prix il y a deux semaines !) parvient avec eux à sculpter la structure élusive des symphonies sibéliennes : l'impression de comprendre, comme jamais, les transmutations de la matière thématique, et avec quel relief et quelle gourmandise. Une expérience d'orchestre où les musiciens vous donnent l'impression de connaître si bien la composition que vous auriez pu l'écrire, un de ces voyages qui peuvent marquer une vie de mélomane.

Star Wars IV,V,VI,VII par l'ONDIF : musique géniale, du niveau des grands Wagner (en tout cas les IV & V), une forêt de leitmotive incroyables, habituellement couverts par les dialogues et bruitages, qui peuvent enfin, en condition de concert, s'épanouir (on entend mal sur les disques, qui ne sont d'ailleurs pas complets, et qui souffrent de manquer de l'ancrage de l'image évidemment, comme du Wagner écouté en fond…). A fortiori avec l'investissement toujours exceptionnel de l'ONDIF, qui n'a d'ailleurs rien mis à côté dans ces courses très intenses (où il faut absolument tenir le tempo) et malgré des traits d'orchestre absolument redoutables (et très exposés). Incroyablement jubilatoire en termes de musique pure, même indépendamment de l'intérêt des films.

Mendelssohn 3 par l'OCP et Boyd : À la fois charnue et acérée, la lecture la plus complète que je n'aurais pu rêver de cette symphonie… je découvre au moment de son départ que, tout en sobriété et finesse, Boyd est un très grand chef. Et l'engagement de l'OCP, comme d'habitude, combiné à leur hallucinant niveau individuel, a battu à plates coutures toutes mes références discographiques (Vienne-Dohnányi, HerasCasado-FreiburgerBO, Fey-Heidelberg…), émotionsubmergeante.

Bruckner 6 par l'OPRF et Chung (que j'entendais diriger pour la première fois, étrangement !). Je tenais la symphonie pour la plus faible de Bruckner – la seule que je n'aime pas vraiment, avec la 8 –, et j'ai au contraire été absolument passionné de bout en bout par cette lecture peut-être facialement traditionnelle, mais qui empoigne le matériau avec une telle intensité, une telle qualité d'articulation, que tout paraît, pour une musique aussi formelle et abstraite, incroyablement présent.

Polaris de Thomas Adès (Orchestre de Paris, Harding), pièce contemporaine au sujet astral, qui exploite l'espace d'une salle de concert de la façon la plus persuasive et agréable. Ce ne doit pas être très opérant au disque, mais c'est un ravissement en contexte.

Chostakovitch 5 par Toulouse et Sokhiev : Après avoir vénéré Chostakovitch et puis (très rare cas en ce qui me concerne) avoir réévalué mon intérêt sensiblement à la baisse ; après une mauvaise expérience en salle de cette symphonie (OPRF / Kuokman, vraiment pas un bon soir), l'une des rares que j'aime vraiment chez lui (avec la 10)… une révélation. Lecture ronde mais dense et intense, portée par l'engagement toujours sans faille de l'orchestre. La lumière douce et aveuglante à la fois du Largo m'a terrassé.

Quelques autres grandes expériences, comme le Beethoven (1,2,4) totalement ravivé et jubilatoire du Concert des Nations, ou Mendelssohn 4 & Schumann 2 par Leipzig (quel orchestre somptueux, charpenté à l'allemande mais d'une rare chaleur).

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f) Musique de chambre

Le Cuarteto Quiroga, mon chouchou de tous les quatuors en activité, dans un incroyable programme Turina (Oración del Torero), Ginastera 1, Helffter (Ocho Tientos), Chostakovitch 8 !  La fine acidité fruité du son, le feu, la lisibilité sont poussés à des degrés inégalés dans des pièces dont la rareté n'a d'égale que la richesse (les modulations de Turina, les danses folles de Ginastera…).

Quintette piano-cordes de Jean Cras (Sine Nomine, Ferey). Farci de folklore breton et de chants de marins, mais d'une sophistication digne de son goût postdebussyste, une œuvre considérable, rarissime au concert (il s'agissait de célébrer la parution d'un second enregistrement de ce quintette).

Trios piano-cordes de Mmes Mendelssohn-Hensel, Wieck-Schumannk, Reverdy et K.M. Murphy par le Trio Sōra (là aussi, dans le tout petit groupe des meilleurs trios du monde, avec avec les Zadig, les Grieg et les ATOS…). Œuvres de grand intérêt, de véritables bijoux structurés avec sérieux et mélodiques avec générosité, servies avec l'évidence de ces artistes de haute volée (qui font sonner, sans exagérer, Kagel comme s'il était aussi accessible et génial que Mozart).

Réentendre, à deux ans d'intervalle (!) l'immense Quintette piano-cordes de Koechlin, cette fois par Léo Marillier et ses spectaculaires amis. Un des sommets de toute la musique de chambre.

Mouvements tirés de Haydn 72-2, Schubert 14, Grieg, Fauré, et deux quatuors de Brahms (3, par les Voce) Leilei (figuralismes d'arbre) par les étudiants du Quatuor Voce dans le 93 (CRR Aubervilliers, CRD Courneuve, CRM Fontaine-sous-Bois…). Niveau quasiment professionnel, même pour les quatuors issus de conservatoires municipaux, une homogénéité de son, une aisance, et même une réelle maturité musicale… Les présents (très peu nombreux dans la Mairie du IVe) furent très impressionnés. Un vrai moment intime et très intense de musique de chambre.

Sonates anglaises violon-clavecin (rien que des opus 1 !) du premier XVIIIe, d'Eccles, Stanley, Shield, Gibbs, Festing… par Martin Davids & Davitt Moroney. Outre les talents exceptionnels de conteur (et en français !) de Moroney, très surpris par l'intérêt de ce répertoire (étant peu friand de musique de chambre baroque, en général surtout décorative), et découverte de Martin Davids, un violoniste qui joue avec la même facilité que s'il traçait négligemment un trait de crayon dans le spectre sonore…

Pièces avec flûte, notamment de Rolande Falcinelli. Découverte de la compositrice, encore une figure, comme Henriette Puig-Roget par exemple, qui représente avec beaucoup de valeur la succession de la grande tradition française du début du XXe, et que le disque, les concerts ont totalement occultée.

Et quantité d'autres grandes aventures… les Quatuors de Gasmann et Pleyel sur instruments d'époque (Quatuor Pleyel), l'arrangement de la Symphonie 104 de Haydn pour Quintette flûte-cordes, un après-midi consacré à Louis Aubert par Stéphanie Moraly, la Première Symphonie de Mendelssohn pour violon, violoncelle (Quatuor Akilone) et piano quatre mains, le même Turina pour quatre guitares, l'intégrale des Trios de Brahms par Capuçon-Moreau-Angelich, le beau quatuor de Jean-Paul Dessy (Quatuor Tana), du clavecin à quatre mains (avec même au menu Saint-Saëns et Dvořák !)… bombance !

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g) Musique solo

Franck, Saint-Saëns, Samuel Rousseau, Tournemire, Demessieux à la Madeleine par Matthew Searles. Quel programme de raretés !  Et exécutées avec une grande générosité, malgré l'instrument et l'acoustique vraiment difficiles. Les improvisations transcrites de Tournemire vous foudroient par l'ampleur des possibles qui s'ouvraient instantément sous les doigts de l'auteur des Préludes-Poèmes (on est plutôt dans cet esprit très complet, virtuose et nourrissant que dans les contemplations poétiques grégoriennes de l'Orgue Mystique).
Pas vu beaucoup de récitals d'orgue de cet intérêt et aussi bien soutenus !

Boyvin, Marchand & Bach sur le tout jeune orgue de Saint-Gilles d'Étampes (2018 !). Les deux Français splendides… en particulier Boyvin, lyrisme d'opéra si prégnant transposé (mais sans creux, répétitions ni longueurs, contrairement aux transcriptions d'opéras réels) dans le langage organistique. Si peu documenté au disque, et si persuasif.

Bach, Intégrale des Sonates & Partitas pour violon, Isabelle Faust. Comme le disque en témoigne, l'équilibre absolu entre les traditions, ni épaisseur du trait ni acidité du timbre, le meilleur de tous les mondes à la fois, tout en sobriété.

Beethoven, Sonates 6-14-16-31 par Daniel Barenboim. Autant j'ai de très grandes réserves sur le chef, autant le pianiste m'intéresse toujours. On pourrait trouver des petits jeunes encore plus fiables, mais il demeure bien préparé et très bien articulé comme toujours. Si ce concert m'a marqué (et davantage que celui avec les 7,13,21), c'est que j'ai redécouvert à l'occasion les sonates 6 et 16, de formidables bijoux d'invention qui ne m'avaient jamais autant frappé au disque.

Moi qui n'avais vu qu'un seul récital de piano solo en dix ans de concerts parisiens (et encore, un concert uniquement constitué de transcriptions d'opéras, d'oratorios et de symphonies par les élèves en direction de chant d'Erika Guiomar !), je les ai multipliés cette saison, avec la confirmation de l'évidence que les plus célèbres, même les artistes sérieux décantés par la carrière, ne sont pas nécessairement les plus intéressants.
Barenboim a tenu son rang, mais Pollini dépassé par des programmes que son âge ne lui permettent plus d'assumer, ou Zimerman excellent (mais pas virtuose ou singulier au point d'accéder aux demandes invraisemblables qu'il adresse à la Philharmonie pour accepter de venir) n'ont pas été mes plus grands moments d'éblouissement. Très agréable néanmoins, et belle expérience d'entendre tout ce monde en vrai, de se faire une représentation de la réalité de leur son (pareil pour Martha Argerich, que j'entendais pour la seconde fois – elle ne m'a pas déçu, absolument splendide et habitée dans le Concerto de Schumann, en revanche sa supériorité absolue me paraît une vue de l'esprit).

dimanche 2 décembre 2018

Indécent décembre


Encore une fois, sélection personnelle dont le ressort est souvent la rareté ou la bizarrerie. Pour une sélection plus transversale et moins triée, l'Offi et Cadences sont assez complets (tout en ratant certaines de mes propositions, considérant les recoins où je râcle des pépites et ma veille généralisée des clubs interlopes). Et bien sûr France Orgue pour les concerts de pouêt-pouêts à tuyaux, ce n'est pas exhaustif, mais de très loin ce qu'on trouve de plus complet !



1. Rétroviseur & remise de prix

Faute de temps, repoussé à une prochaine notule qui les rassemblera dès que possible, peut-être simultanément avec les concerts de décembre. La publication de cette notule ayant pris une semaine de retard par rapport aux prévisions, voici venu le temps des ris, des chants, de la… :



2. Sélection officielle

Cette fois, j'ai tout mis, plus commode pour vous je suppose, sur un PDF avec des pastilles de couleur.

En violet : immanquable.
En bleu : très rare et/ou prévisiblement exaltant.
En vert : tentant (distribution ou rareté).

Et comme je n'ai relevé que ce qui m'intéressait personnellement (et pas tout ce qui m'intéressait, d'ailleurs), le reste aussi est conseillé / conseillable. Comme d'habitude : issu de mon agenda personnel, n'hésitez pas à demander le
sens des abréviations ou les programmes complets.

http://operacritiques.free.fr/css/images/2018_decembre.pdf


26 (novembre)
Bacilly : second XVIIe, auteur d'un traité de chant. Le seul auteur dont nous soient parvenues, je crois, les diminutions écrites pour les reprises des airs. Et elles sont très abondantes et rapides, à un point qu'on n'imagine pas – il faut se figurer Bartoli qui aurait un peu trop forcé sur le Romanée Conti. Une notule lui avait été consacrée à l'occasion d'un précédent concert, en 2010 (un disque a paru depuis).


28 (novembre)
Tarare. Multiples notules, donc celle de mercredi. N'y revenons pas, mais allez-y.

29 (novembre)
Bernstein, Songfest. Recueil de mélodies orchestrales assez lyriques (un brin sirupeuses sans doute, très sympathiques). Couplage avec le Concerto pour violon n°1 de Martinů (pas aussi fondamental que son Premier Concerto pour violoncelle dans ses deux états, mais toujours du bel orchestre à entendre) et un peu de Barber.
Lotti, Giove in Argo. Mieux connu (si l'on peut dire) pour sa musique sacrée (un Requiem en majeur…), plus archaïsante et sophistiquée, c'est ici un opéra seria tendance pastorale. Cela ressemble à du Haendel pastoral ( donc pas le plus grand Haendel). Mais dirigé par García-Alarcón avec les chanteurs du CNSM, ce peut être très bien dans le cadre original du Grand-Palais. C'est gratuit mais ce doit être complet. (Sinon il vous reste la possibilité de solliciter mon intercession. Mandats cash international acceptés,  offres en nature envisageables.)

30 (novembre)
Les Leçons de Couperin par Lombard, Champion et Correas. Très rarement donné pour ténors, et par quels ténors, deux spécialistes, dont Jean-François Lombard, qui n'a pas d'égal dans la musique sacrée française – un vrai ténor, mais qui monte avec souplesse dans des registres habituellement tenus par des contre-ténors (comme s'il bâtissait sa voix pleine à partir du mécanisme léger et non l'inverse).
Déjà entendus dans un programme similaire (avec Poulenard à la place de Champion). C'est un peu loin, mais c'est l'occasion de visiter l'une des extraordinaires églises d'Étampes (même c'est c'est en priorité Notre-Dame et Saint-Basile qu'il faut voir, et qu'aucune église n'est ouverte à la visite le même jour !!).

1er
Musique baroque mexicaine : beaucoup de compositeurs espagnols, tels qu'ils ont pu être joués pour les festivités de l'inauguration de la cathédrale de Mexico en 1667.
→ Inspiré de la pièce d'origine, une version pour un seul acteur du Procès de Monsieur Banquet, dans le château d'Écouen. Gratuit sur réservation (ce doit être complet à présent, j'aurais dû prévenir le mois précédent).
→ Un peu cher pour une œuvre pas si rare (45€ en dernière catégorie, où l'on voit cependant fort bien), mais Pygmalion de Rameau est une merveille absolue, l'Atelier de Toronto de très bonne tenue, le metteur en scène Pynkoski fait de très belles choses avec peu de moyens. Si vous ne connaissez pas, ça se tente.

2
Symphonie n°1 de Zeegant « Chemin des Dames », également une Messe co-écrite avec Karol Kurpiński (dont on donne aussi un poème symphonique « varsovien »), diverses œuvres polonaises et françaises des XIXe & XXe très rares. Pas de la musique très saillante en revanche, de jolies choses très traditionnelles, malgré les sous-titres. Dans l'acoustique infâme de la cathédrale des Invalides, pas persuadé du caractère indispensable de l'expérience.
Marin Marais au théorbe seul. Buraglia a des difficultés de projection, mais c'est un fin musicien, et il n'y aura aucun enjeu de ce genre dans cette petite cave. Réservation indispensable en revanche, microscopique jauge (une trentaine de personnes musiciens compris).

4
Hofstetter fait des miracles hors des répertoires habituels de ce spécialiste du baroque : ses Verdi sont passionnants (très peu de rubato, droit au but, très fins), je suis très curieux de ses Haydn, en plus une symphonie peu donnée.

5
Bernstein & Copland. Très original, avec en particulier la Missa brevis de l'un, le Lincoln Portrait de l'autre (avec Lambert Wilson, qui excelle dans ces exercices de récitant, contrairement à la plupart des autres vedettes qui s'y frottent). Radio-France n'a vraiment pas proposé grand'chose d'original cette saison, mais pour Bernstein, les choses ont été faites très sérieusement.

6
Antigone en ukrainien & russe. Je me méfie assez du théâtre à l'Athénée, où je n'ai jamais eu de bonnes expériences (en général assez statique et expérimental), mais il y a là une réelle motivation à réentendre cette intrigue rebattue sous des apprêts sonores nouveaux !

7
Symphonie n°1 de Méhul par Insula Orchestra & l'Akademie für alte Musik Berlin, sans chef. (Couplé avec la Cinquième de Beethoven). Méhul est souvent désigné comme le Beethoven français, non sans fondement, même si le langage de ses symphonies demeure à la fois plus français (mélodies galantes, ruptures d'une logique plus dramatique que musicale) et plus typé classique. Rarissime en concert, des œuvres assez abouties et qui seront indubitablement très bien servies !
Extraits du Grand Macabre. Pas forcément avenant, discutable san sdoute, mais incontestablement original et déstabilisant.

12
Mélodies finlandaises (Kuula, O. Merikanto, Melartin, Sibelius !), par Galitzine et Dubé (excellents musiciens). Programme rodé depuis plus de six mois, troisième ou quatrième fois qu'il est donné dans cette salle au fil des mois.

13
Rilke-Lieder de Clemens Krauss, le chef d'orchestre créateur d'opéras de Richard Strauss, co-auteur du livret de Capriccio… Il écrivait donc aussi des lieder orchestraux. Certes, reste de programme plus traditionnel, et Petra Lang n'incarne pas forcément la grâce la plus absolue qu'on peut espérer dans ce type de page, mais comme j'ignorais même que cela existât jusqu'à la publication du programme, je me garderai bien de bouder (et j'irai !).
13 & 15
→ Programme de noëls espagnols (Guastavino, etc.) qui n'attire peut-être pas l'attention, mais par le Chœur Calligrammes, putto d'incarnat du meilleur concert deux saisons de suite (!), il faut faire confiance au goût musical très sûr des chefs pour le choix des pièces, ainsi qu'à la qualité de la réalisation des choristes.
13 au 16
Pratthana, spectacle de Toshiki Okada (auteur-metteur en scène de Five Days in March), en thaïlandais. Évocation de l'histoire de la Thaïlande au XXe siècle à travers des scènes sensuelles entre couples devisant. Assez intriguant, mais après avoir trouvé Five Days assez décevant sur l'arrière-plan censé transcender les détails du quotidien (certes, ça parlait de la guerre en Irak, mais juste parce qu'ils traversaient une manifestation pour aller jusqu'au train, sans s'y mêler). Par ailleurs, je trouve que le thaïlandais n'a pas l'empire immédiatement physique du japonais sur des corps d'acteurs, et les extraits disponibles laissent percevoir que ce n'est pas très impérieusement déclamé non plus. Pas sûr que ce soit bien, donc, mais avouer que c'est terriblement tentant.

14
Quintettes de Koechlin et de Caplet aux Invalides… mais à 12h15, donc réservé à ceux qui travaillent à proximité et ont des horaires flexibles, ou aux retraités, ou aux étudiants qui sèchent. Je me demande aussi si le programme copieux annoncé sous-entend l'exécution d'une partie seulement du Quintette du grand Charles.
Le Nozze di Figaro à Massy, par une équipe de jeunes chanteurs de qualité. Rien d'immanquable (pas de chouchous absolus hors Matthieu Lecroart, mais en Bartolo seulement), mais un beau spectacle en perspective. Il y a trois dates. Je n'ai pas vérifié, mais il me semble qu'il s'agit de la production de Saint-Céré, où les récitatifs sont remplacés par des dialogues issus de la pièce de Beaumarchais.
14 & 15
→ Sibelius 2 et Nuit sur le Mont Chauve par l'excellent orchestre Ut Cinquième.
14,15,16
→ « Carnaval baroque » à Versailles, par le duo de géniaux metteurs en scène Cécile Roussat et Julien Lubeck. Pot-pourri de musiques du XVIIe (italiennes surtout, je crois – au moment où cette notule a été préparée, il y a plus d'une semaine, je ne disposais pas d'informations précises sur le programme) par le Poème Harmonique.

15
Quatuor n°1 de Jadin (je n'ai pas noté lequel des deux, mais du classicisme sophistiqué, plutôt hardin, mérite le détour). L'Orchestre de Chambre de Paris est l'un des rares orchestres permanents (probablement le seul en France, en tout cas) à avoir une réelle culture de la musique de chambre, et à tenir son rang dans l'exercice extraordinairement exigeant du quatuor à cordes, très différent de la culture d'orchestre (j'ai toujours été très déçu, comparé à des formations considérées moyennes de quatuor, par le résultat vraiment global des quatuors issus d'orchestres, que ce soit l'Opéra, le National de France, l'Orchestre de Paris…).

16 à 27
Hamlet de Thomas. Chef-d'œuvre qui réussit la conversation d'un matériau spécifique (le drame emblématique de Shakespeare) en un opéra à la française très cohérent et réussi. Il existe une série autour de l'œuvre sur CSS, réunie dans ce chapitre. Distribution au cordeau, comme toujours à l'Opéra-Comique.

19
Cendrillon d'Isouard, suite de la série des contes lyriques explorés par la Compagnie de l'Oiseleur (Le petit Chaperon rouge de Boïeldieu, La Colombe de Bouddha de R. Hahn, Brocéliande de Bloch, La Belle au bois dormant de Lioncourt). Des découvertes fulgurantes (André Bloch !) et à chaque fois des surprises devant des œuvres qui changent notre perception de ce qui était réellement joué à une époque, et qui se limitent, même en sollicitant abondamment le disque, à quelques titres épars, pas forcément représentatifs – car on garde, évidemment, ceux qui sont parmi les meilleurs et/ou ont une certaine personnalité. En exhumant d'autres bijoux qui, pour diverses raisons (conditions de création défavorables, évolution du goût…) n'ont pas pu se maintenir à l'affiche jusqu'à nous, la Compagnie de L'Oiseleur effectue un travail salutaire, d'intérêt public.
    [Ils sont par ailleurs à la recherche de partenariats avec des collectivités, prêts à explorer le répertoire propre à une ville, à une région, à un auteur, à une thématiques… Ils ne bénéficient d'aucune subvention, donc tout contact, tout donateur permettrait, vu les miracles qu'ils font sans aucun financement, outre de vivre un peu plus décemment de leur art, de décupler leur potentiel de défrichage. Denk' es, o Seele.]
    Ce que j'ai entendu d'Isouard, le grand compositeur emblématique de Malte, ne m'a jamais paru jusqu'ici excéder l'ordinaire de l'opéra comique tardif… Mais je n'ai pas lu cette partition, et ce ne serait pas la première fois que je serais surpris par les trouvailles de L'Oiseleur (témoin le récent Massé, un coup de tonnerre dont je parlerai très prochainement, dès que j'aurai pu en enregistrer quelques extraits).
    Distribution de voix amples et sonores, assez différentes des voix plus fines présentes dans les dernières productions ; pas mon esthétique, mais enfin, de grandes professionnelles (Marie Kalinine !) à qui l'ont peut faire confiance pour la maîtrise technique… et évidemment l'engagement, toute cette entreprise philantropique étant largement, pour les interprètes, à fonds perdus.
Programme de Noël baroque français avec l'ensemble de Reinoud van Mechelen. Ce qui est un peu rond et homogène pour moi à l'opéra ou dans les cantates peut bien fonctionner, surtout dans l'acoustique diffuse de la Chapelle Royale. (N'hésitez pas à regarder les tarifs, Versailles n'est pas hors de prix – 25€ en dernière catégorie, qui reste décente, ici, et il existe même moins cher pour d'autres concerts.)

20
→ Aliénor Feix, voix peu ample mais très adroite dans le lied, dans un programme original et grisant : Donizetti, Tchaïkovski, Cilea, Zemlinsky, Hahn, Schreker, Lili Boulanger, Séverac, au milieu de choses plus traditionnelles, Mozart, Schubert, Duparc, Fauré, Poulenc… Le midi.
→ Déambulation dans Orsay avec des micro-concerts des lauréats de la Fondation Royaumont… des valeurs extrêmement sûres.
Les Fâcheux de Molière avec musique de scène à la Sorbonne.
→ Un nouveau concert du duo Gens-Manoff. Très, très hautement recommandable pour le programme comme l'interprétation – c'est en revanche un peu cher pour du récital de mélodies. Enfin, pas cher si on a l'habitude des premières catégories dans les grandes salles, mais cher si on a l'habitude de prendre de l'entrée de gamme… 35€ tarif unique.
20 jusqu'à janvier
Opérettte Azor de Gabaroche. De l'opérette très légère, avec accompagnement façon mickeymousing, ce devrait être parfait pour les fêtes de fin d'année.

21,22,23
Marivaux, Le Triomphe de l'Amour mis en scène par Podalydès. La recommandation tient au fait que c'est Christophe Coin qui assure la musique, et que ses montages dans La mort de Tintagiles étaient l'une des choses musiques les plus bouleversantes que j'aie entendues… Évidemment, ici, il ne pourra pas se reposer sur la beauté du répertoire Bartók-Kurtág pour violon-violoncelle, mais on peut lui faire confiance pour laisser beaucoup de place à la musique, et de façon intelligente.

4-5 janvier
Star Wars IV & V en ciné-concert, c'est-à-dire l'intégralité de la musique jouée, par l'ONDIF en plus !  L'occasion de s'immerger complètement dans les inspirations prokovio-richardstraussiennes de John Williams, et d'entendre enfin tous ces détails masqués par le bruit des dialogues et bruitages, et pas reproduits sur disque (enfin, cela dépend des épisodes). J'aurais bien signé pour une version avec le film en muet, craignant que la sono ne concurrence un peu trop l'orchestre – moi je serais venu, même et plus encore sans la projection !  Mais en attendant une proposition conforme à mes souhaits, une grande symphonie sur les motifs de Star Wars, voire un opéra, ou simplement des portions musicales qui excèdent les tubes et les Suites d'orchestre existantes… je m'en satisferai très bien.

… et toutes les autres choses qui apparaissent sur l'agenda. Remplissez votre fin d'année, ainsi qu'on en fait sur l'Avon, comme il vous plaira. 

dimanche 1 juillet 2018

Les opéras rares cette saison dans le monde – #8 : opéras contemporains et bizarreries (n°1)


Précédents épisodes :
 principe général du parcours ; 
#1 programmation en langues russe, ukrainienne, tatare, géorgienne ; 
#2 programmation en langues italienne et latine ;
#3 programmation en allemand ;
#4 programmation en français ;
#5 programmation en anglais ;
#6 programmation en polonais, tchèque, slovaque, slovène et croate ;
#7 programmation en espagnol, gaélique irlandais, danois, bokmål, suédois, estonien, hongrois.



A. Le bout du chemin

Ce dernier volet est probablement le plus intéressant ; depuis onze mois, je relève et écoute patiemment les opéras donnés cette saison, avec pour résultat un panorama de ce qui est réellement donné à l'échelle d'une année dans le monde.

Certes, considérant la quantité (et le fait que tous n'ont pas été captés et diffusés, même s'il existe aujourd'hui un choix immense et inattendu en la matière), j'ai dû faire des choix, et j'ai fait porter l'effort sur ceux dont j'estimais déjà les compositeurs ou dont le sujet me paraissait fécond ou simplement amusant. Ce ne constitue donc pas une étude méthodique.

En revanche, cette assez vaste exploration permet tout de même de constater des tendances contre-intuitives.

Considérant les dizaines de titres à décrire (et certains qui me restent encore à écouter, n'ayant été donnés ou captés pour la première fois que cette saison), je livre ici une première partie de la fournée : certaines entrées sont déjà bien remplies, d'autres, vous le verrez, encore assez vides. C'est en cours.

Inutile de vous immerger en une notule sur ce que j'ai exploré en un an (voire davantage pour les reprises…), voici déjà une première livraison.



B. Langues

Sans surprise, deux langues dominent clairement la création mondiale : l'anglais et l'allemand.

Plus étonnant, il existe un microclimat de création dans certaines parties du monde : 4 opéras contemporains à l'échelle de la République Tchèque (dont certains sont des œuvres pour enfants, certes), 8 dans les pays baltes (dont la plupart dans les langues locales) !



C. Styles

Autre fait dont on pouvait se douter, mais dont je ne mesurais personnellement pas l'ampleur : de même que pour les mises en scène, hors du cœur de l'Europe dominante (Allemagne, Autriche, France, Italie, Espagne, éventuellement Angleterre), la plupart des œuvres sont écrites dans une langue musicale encore tout à fait tonale, ou au minimum une atonalité très polarisée et traditioonnelle… Les opéras expérimentaux bizarres sur les livrets abscons ne sont absolument pas la norme à l'échelle du monde – contrairement à ce que je croyais, beaucoup de créations & reprises aux États-Unis… à ceci près que ce sont des créations dans une veine néo-tonale (post-Puccini, post-Barber, etc.), pas du tout dans l'innovation, beaucoup plus proche de l'esprit des musiques filmiques.

Et il se trouve que beaucoup d'entre elles ne m'ont pas paru fades ni conventionnelles, mais réellement personnelles (à défaut d'inventer quoi que ce soit, mais l'opéra n'est pas vraiment le bon vecteur pour cela). Plusieurs très belles découvertes dans des veines variées, des opéras que j'ai pris plaisir non seulement à découvrir, mais à réécouter, et sis sur des livrets qui fonctionnent sur une scène théâtrale et ne versent pas dans l'hystérie phonématique ni la verbosité philosophisante avinée.

Il existe donc encore (pas en France ni en Allemagne, il est vrai) des gens qui écrivent de l'opéra traditionnel, ils semblent être au moins aussi nombreux que les compositeurs officiels qui occupent les scènes de l' « Europe culturelle » et, plus étonnant, qui réussissent des propositions assez abouties. Je ne saurai trop vous engager à faire le test, même si vous n'aimez pas le contemporain : j'ai laissé, lorsque c'était possible, les liens vers les vidéos (beaucoup sont disponibles), et la plupart sont plus faciles d'approche de Berg / Chostakovitch / Prokofiev / Britten, je vous le garantis.

Pour ceux qui au contraire cherchent dans le contemporain le prolongement des langages du XXe siècle, il y a aussi de quoi s'amuser – j'ai été très impressionné par l'aboutissement d'Anne Frank de Frid, dont je n'attendais pourtant rien. Et on rejoue les quasi-classiques (créations ou reprises de compositeurs d'opéra contemporain emblématiques) de Reimann, Rihm, Hosokawa, Adams, Eötvös, Glass, Adès, Benjamin, on présente aussi des nouveautés très stimulantes de Dean et Battistelli…



D. Sujets

L'autre grand sujet d'émerveillement a été non seulement la diversité, mais aussi l'audace, la liberté des sujets, n'hésitant pas à enfreindre les règles tacites sur la dignité du genre.

On se permet de refaçonner l'histoire récente (JFK, Marilyn, Anne Frank), on ose toucher aux plus grands classiques (le Minotaure, Ovide, le nô, Hamlet, Richard III, FrankensteinCyrano, Dracula, The Importance of Being Earnest, Usher, Canterville, Moby Dick, Solaris, Fin de Partie, Streetcar), aux contes et à la littérature de jeunesse (Le Chat botté, Les Musiciens de Brême, Blanche-Neige, Gulliver, Lord of the Flies…), aux films aussi (Marnie, Hercules vs. Vampires, Dead Man Walking, The Addams Family), aux bandes dessinées (Max et les Maximonstres), aux livres de psychiatrie (The Man Who Mistook his Wife for a Hat), et on propose même des suites d'opéras (de la trilogie de Figaro, d'Aida ou de Gianni Schicchi), ou l'exploration d'aspects plus sociaux (alpinisme, homosexualité, Alzheimer, nucléaire), voire des opéras quasiment érotiques (en tout cas tout le sujet de la courtisane de Powder her Face, ou de Das Gehege – où une femme rêve, je n'invente rien, de se faire déchirer par un aigle)…

J'ai même mis sur lan main sur quelques grands exemples de drames lyrico-nawak : une œuvre tout en glossolalies (splendide d'ailleurs : Svadba), un lipdub opératique pour un film de Bava (dans le goût des Maciste, sauf que c'est Hercule, contre des vampires), et même, mon préféré, l'opéra « d'espionnage onirique mathématique » de Mancuso, qui convoque Hedy Lamarr, George Antheil, John Conway, Ganesh et sainte Rosalie. À part ça l'opéra c'est triste et conventionnel, hein, et on va voir les Avengers au cinéma pour être surpris. Mais bien sûr.

Certes, on n'a toujours pas l'opéra de zombies (mais pas mal de vampires, c'est déjà ça !) ni celui sur Star Wars que j'appelais de mes vœux, mais avouez qu'on s'en approche beaucoup.



Je vous souhaite une excellente balade dans cet univers étrange… étendez les frontières de votre univers lyrique, vous verrez, de belles surprises, en plus grand nombre et en plus haute intensité que j'aurais jamais cru !



E. Histoire

Adams, Girls of the Golden West (San Francisco, Dallas, Amsterdam)
→ Le dernier opéra d'Adams se fonde sur des lettres écrites par une femme au moment de la Ruée vers l'or. Il s'éloigne plus que jamais du minimalisme et touche même à une forme de folklorisme hypertonal [vidéo], voire d'opéra populaire, au langage extrêmement consonant, aux limites du sirupeux [vidéo].
→ Je n'ai pas l'impression que ce soit le plus grand Adams, plutôt une utilisation de ses talents au profit d'une œuvre réellement adressée à tous. Je suis cela dit convaincu que c'est cette veine un peu filmique qui peut réconcilier un vaste public avec la création, plutôt l'univers de Marius et Fanny de Cosma, d'Il Postino de Catán, de The Fly de Shore, de Fellow Travelers de Spears, voire mes souhaits d'opéra-Star Wars ou d'opéra-zombies, que les explorations « sérieuses » autour de collages de poèmes d'auteurs d'avant-garde d'il y a soixante ans, enfermés dans leur bureau avec leurs fantômes et les psychoses, sis sur des musiques défragmentées impossibles à apprivoiser en un soir. Indépendamment de la qualité, d'ailleurs : il faut un sujet accessible et une musique acessible si l'on veut intéresser le plus grand nombre (c'est-à-dire ceux qui n'ont pas passé des heures d'écoutes dans le maquis des écoles sonores contemporaines, ceux qui écoutent volontiers la musique en fond, etc.). Au demeurant, à l'opéra, je suis convaincu que le langage est plus contraint, car l'on associe depuis l'enfance des émotions à des enchaînements du système tonal, et aussi, plus simplement encore, parce que la prosodie a ses contraintes, plus compatibles avec les mélodies conjointes qu'avec les grands sauts d'intervalle.

(Jay) Reise, Rasputin (Helikon de Moscou) – traduit en russe
→ Autour de la figure politique intriguante de la fin de l'Empire, un opéra plutôt bien écrit (dans un langage intermédiaire), déjà donné dans une mise en scène olé-olé (défilé de nus…) typique du potentiel du Helikon. Doit assez bien fonctionner en vrai – pas seulement visuellement, je veux dire.



F. Histoire récente

U. Zimmermann
, Die Weiße Rose (Gera)
→ Un bel oratorio sur le destin de Sophie & Hans Scholl, miliants pacifistes dans l'Allemagne nazie (bien évidemment exécutés). Seulement deux voix, sur une écriture modale, presque tonale, très douce et méditative – rien de planant ni de néo-, c'est bien de la musique contemporaine, mais qui hérite finalement de l'esprit des oratorios méditatifs ou hymniques du XIXe siècle, façon Mendelssohn ou Dubois, l'intimité en sus. Finalement donné assez régulièrement dans les pays d'Europe où le répertoire est le plus étendu.
→ Il en existe plusieurs belles versions au disque (celle chez Berlin Classics est particulièrement réussie.)

(David) Little, JFK (Montréal)
→ Là aussi, reprise d'une commande pour Fort Worth et l'American Lyric Theater. Assez étrange matériau musical : des boucles d'arpèges en accompagnement (qui évoquent presque plus les musiques de séries DC Comics que l'influence minimaliste, d'ailleurs), et une écriture mélodique qui sent l'influence du musical, sans être particulièrement évidente. Toutefois, ça a l'air de fonctionner avec une certaine fluidité, en tout cas musicalement – je n'ai pas réussi à bien suivre en audio seul (et je n'ai pas le livret).

Adams
, Nixon in China (Würzburg)
→ Sans doute l'œuvre la plus jouée d'Adams, malgré le succès fulgurant (et la qualité supérieure, me semble-t-il) de Doctor Atomic. C'est aussi le plus purement minimaliste de ses opéras, et celui dont le style est le plus proche de Philip Glass ; certes, l'harmonie en est plus riche (et moins fautive), mais les boucles d'arpèges à l'infini peuvent légitimement irriter les ennemis de l'immobilité. Opéra à part, que je trouve physiquement difficile à écouter, mais qui n'est pas dépourvu d'intérêt comme tant de glasseries. (Et qui marque par l'originalité de son sujet, sa place dans l'histoire contemporaine de l'opéra, etc.)



G. Bio-ops / Vies d'artistes ou célébrités

Rihm, Jakob Lenz (Bielefeld)
→ Le deuxième opéra du jeune Rihm (il l'écrit pendant l'année de ses vingt-cinq ans) se ne fonde pas sur un texte très tendu ni même toujours clair, mais il demeure écrit dans une veine qui, quoique atonale, demeure toujours pulsée, et prompte aux références à la musique du passé. Ce n'est pas constamment passionnant, mais on y trouvera de très belles choses, surtout si l'on est sensible à ce jeu d'échos.
→ Publié au disque, et présenté plus en détail sur CSS à l'occasion d'une représentation en 2006.

(Avner) Dorman, Wahnfried (Detmold)
→ Opéra satirique protéiforme, tantôt atonal post-bergien, tantôt cabaret grinçant, qui met en scène l'univers domestique des Wagner. Chamberlain (le théoricien racialiste) y fait un discours sur fond de défilé de walkyries, et à l'exception du Maêêêêêtre, tous sont là : Cosima, Siegfried, Winifred, Isolde, Bakounine, Hermann Levi, l'Empereur… et même un Wagnerdämon !
→ Ce doit être du grand n'importe quoi (et un peu prêchi-prêcha, vu les personnalités en présence – difficile de présenter Chamberlain autrement qu'avec distance, à tout le moins), mais les extraits disponibles en ligne laissent penser que ce doit être assez amusant. Déjà donné ces derniers mois, au moins à Karlsruhe.

Frid, Das Tagebuch von Anne Frank
→ L'opéra d'une heure de Grigori Frid mélange de façon très étonnante les styles du XXe siècle… le Prélude est d'une atonalité acide, avec des stridences et des agrégats hostiles, tandis que le chant s'apparente bien davantage à l'univers des lieder de Max Reger, du jazz, en tout cas de la tradition. Tout cela se mélange, alterne, avec un résultat qui peut ressembler à du Berg de jeunesse comme à de l'atonalité libre du second XXe… assez séduisant en réalité, d'autant que dans la représentation que j'ai vue, Nina Maria Edelmann chante avec un timbre, une diction et une éloquence magnétisants. [vidéo]

Bryars, Marilyn Forever (San Francisco)
→ Créé à au Long Beach Opera il y a deux ans, je crois – en tout cas pas une création. Le projet est de montrer Monroe dans l'intimité plutôt que dans la gloire publique, et utilise des styles musicaux assez variés, ça se déhanche comme du jazz blanc, les voix ne sont pas toujours purement lyriques. Joli (malgré le sujet qui m'intéresse très peu), mais je n'en ai entendu que des extraits.



H. Littérature patrimoniale

(Alexander) Zhurbin, Métamorphose[s?] de l'Amour (Stanislavski de Moscou)
→ Adapté d'Ovide, je suppose.
→ De la tonalité errante typiquement soviétique (mais capable d'être authentiquement primesautier, chose rare dans cette génération – né en 1945) dans ses symphonies, mais aussi de véritables chansons… je suis plutôt curieux de ses opéras. [Les crochets sont de moi, je ne disposais que du titre traduit en anglais, où le pluriel est indécelable.]

Hosokawa, Matsukaze (Nouveau National de Tokyo)
→ Le sujet est tiré d'une pièce de nô de Zeami (fin du XIVe siècle) et, comme Hosokawa en a pris l'habitude, chanté dans une langue européenne influente – ici, l'allemand.
→ On y retrouve le sens des textures et des atmosphères propre au compositeur, sac et resac de la mer, tintement des clochettes des portiques sacrés… toujours beaucoup de poésie chez Hosokawa. (Des bandes enregistrées diffusent en outre les bruits de l'eau de l'Océan.)
→ Vocalement, il y a là sans doute moins d'intérêt, l'essentiel se trouvant plutôt dans le climat et l'évocation que dans le drame et l'élocution, mais le tout fonctionne très bien. (Lorsque ça a été créé à Bruxelles, il y avait néanmoins de quoi se remplir la glotte : Hannigan, Hellekant, Olsen, Vocalconsort Berlin… et c'était dirigé par Heras-Casado !)
→ À écouter ici.

(Brett) Dean, Hamlet (Glyndebourne)
→ Dean confirme son affinité avec l'opéra : un savoir-faire d'orchestre remarquable, pour commencer, avec une qualité de fondu et de cohésion rare dans les écritures contemporaines ; vocalement aussi, les lignes ont vraiment une direction, et ne s'opposent pas aux nécessités de la prosodie et de l'expression. Par ailleurs, le langage accessible (atonal, mais très polarisé et avenant) permet réellement de s'approprier ses œuvres. Il n'y a plus dans Hamlet l'aspect un peu expérimental de Bliss, belle réussite également, mais dont le geste ne paraissait pas à ce point assuré. Il est bon de constater qu'il reste des compositeurs d'opéra.
→ Court extrait vidéo de la production.

Battistelli, Richard III (Venise) – en anglais
→ Dans un langage quelque part entre l'atonalité polarisée et la tonalité élargie, Battistelli écrit dans une langue non dépourvue de lyrisme… Il fait un grand usage des chœurs, notamment dans la scène finale, où ils flottent en beaux agrégats, impalpables, au-dessus de la scène jonchée des cadavres que foule le nouveau roi. Mérite d'être entendu.
→ [extraits vidéos captés au Grand-Théâtre de Genève en 2012 : 1, 2]

Tamberg, Cyrano de Bergerac (Tallinn) – en estonien
→ Compositeur estonien contemporain (mort en 2010). Cyrano (1974) est écrit dans une langue sonore délibérément archaïsante, que je trouve assez irrésistiblement charmante – un peu à la façon du Henry VIIIde Saint-Saëns ou du Panurge de Massenet, pour situer. Cela sied si bien au ton à la fois lointain et badin, épique et familier qui parcourt l'ouvrage. Contrairement à Alfano (à mon sens plus loin de l'esprit, même si l'acte V est une merveille), ici Cyrano est baryton et non ténor – ce qui paraît beaucoup plus cohérent avec toute sa dimension d'anti-jeune-premier. 
→ L'écriture manque peut-être de contrastes (et les épisodes sont réellement très raccourcis, peu de discours !), mais elle recèle aussi de belles trouvailles, comme la délicieuse cavatine de Christian qui ouvre la pièce (tout l'acte I est supprimé étrangement, point de tirade du nez ni de ballade du duel, on débute au II avec les « ah ! » de l'aveu manqué). Le personnage de Roxane est remarquablement servi : Tamberg lui attache une harmonie plus archaïque et une orchestration spécifique (qui ne se limitent pas à son leitmotiv, mais accompagnent ses interventions tout au long de l'ouvrage), qui traduit de façon particulièrement persuasive l'empire et la fascination qu'elle exerce sur les protagonistes qui l'entourent.
→ [extraits vidéos] ; on peut aussi voir l'intégrale dans une production filmée que j'ai dénichée sur le replay de la télé estonienne (on a les passe-temps qu'on peut). L'opéra est aussi disponible chez le label ♥CPO !

(David) DiChiera, Cyrano à Charlotte (Caroline du Nord) – en français
→ Il s'agit du véritable texte (coupé et parfois arrangé – « hanap » devient « coupole »), mis en musique par David DiChiera (né en 1935) dans une langue complètement tonale, et simple (beaucoup d'aplats, pas particulièrement virtuose). L'accent porte évidemment davantage sur le texte (d'ailleurs les facéties de l'acte I sont conservées, pas seulement l'histoire d'amour), mais je trouve cependant le résultat moins prégnant musicalement que chez Tamberg, clairement.
→ Voyez par exemple la tirade du nez et le quintette des noces (production de Detroit 2008), très traditionnels.

Reimann, L'Invisible (Deutsche Oper de Berlin) – en allemand
→ L'opéra réunit trois courtes pièces de Maeterlinck, L'Intruse, Intérieur et La mort de Tintagiles ; on y retrouve la langue postberguienne de Reimann, peut-être moins aride que dans Lear. Je trouve personnellement la langue musicale de Reimann (à la fois grise et très dramatique) assez incompatible avec l'univers de Maeterlinck, mais les critiques ont été dithyrambiques. Il faut dire que la distribution, réunissant le délicieux Thomas Blondelle et la miraculeuse Rachel Harnisch, magnifie tout ce qui peut l'être dans cette partition.

(Jack) Heggie, Moby-Dick (Pittsburgh, Salt Lake City)
→ L'opéra de Jack Heggie est manifestement un succès (puisqu'il aussi été donné, ces dernières années, à San Francisco et Adelaide, au minimum), et il faut dire que sa veine tonale mais riche, lyrique mais variée ne manque pas de séduction. Le texte du livret, simple et sans façon, la place efficace des chœurs, permettent d'entrer aisément dans cette veine épique, très directe.
→ [extraits vidéos]

Kurtág
, Fin de partie (Milan)
Kurtág a déjà mis en musique les poèmes de Beckett, qui cadrent bien avec ses énoncés musicaux énigmatiques et son matériau raréfié. Dans les pièces plus longues, ou bien pour grand orchestre ou pour voix, je ne l'ai jamais trouvé convaincant, sa grâce fragile habituelle se dissout dans un langage et un discours difficiles à saisir, sans les pôles ou restes de folklore qui affleurent dans ses aphorismes weberniens accoutumés. Pour la voix, ce sont aussi les intervalles trop disjoints, qui s'éloignent vraiment de la parole tandis que la musique ne compense pas par une richesse accrue (comme c'est souvent le cas dans les opéras ambitieux, à partir de Wagner).
→ Je ne parie donc pas vraiment, structurellement, sur un succès, mais je suis tout de même curieux d'entendre cette œuvre (qui doit faire à elle seule la durée d'un tiers ou un quart de son catalogue…), de voir ce qui a pu pousser ce poète, qui n'a plus rien à prouver et qui ne cherche pas l'exposition superflue, à se lancer pour la première fois dans une aussi vaste et délicate entreprise. (C'est le texte qu'il lui fallait, en tout cas ! – même si j'aurais personnellement davantage aimé un Pilinszky.)
→ Repoussé à la saison prochaine.

Previn, A Streetcar Named Desire (Pforzheim en Bade-Wurtemberg, Boise dans l'Idaho)
→ Sur le texte littéral (bien sûr coupé) de la pièce de Tennessee Williams, un bijou absolu de conversion musicale à l'américaine : naturel du galbe des mots, aspect nonchalant de l'accompagnement discret mais mobile… l'atmosphère est très exactement campée, et les mots croqués avec gourmandise. Un Capriccio à l'américaine, en mieux.
→ Existe au disque (Fleming-Previn, chez DGG).



I. Contes et jeunesse

(Jonathan) Dove, Le monstre du labyrinthe
→ Livret assez didactique (et bavard sur les émotions), musique qui cherche à être accessible, mais qui n'est pas toujours très séduisante – on dirait que Dove prend garde à appauvrir son langage pour ressembler à de la comédie musicale plus qu'il n'en trouve les clefs grisantes (ça ne pulse ni ne mélodise guère). Pour autant, de la jolie musique tonale très accessible, pas très saillante certes, mais qui ne rebutera personne. Pensé pour le jeune public (parce qu'il y a des chœurs d'enfants très présents ?), mais vraiment sérieux et immobile pour cela.
→ Avait été diffusé en vidéo par Arte Concert.

(Jens) Joneleit, Schneewitte-
→ Théâtre musical. Mélanges étranges entre chuchotements conceptuels, longs textes parlés, bouts de ponctuations sonores, chant amplifié mi-mélodique mi-atonal… il faut plutôt le voir comme une musique de scène, vraiment un habillage sonore plutôt qu'un opéra.

(Efrem) Podgaits, Lord of the Flies (Théâtre Musical des Enfants de Moscou) – en russe
→ Joli sujet bien dramatique pour un opéra. Par ailleurs, Podgaits écrit remarquablement pour chœur (tonal mais avec beaucoup de notes étrangères et d'accords très riches), dans une tradition sophistiquée qui évoque plutôt les Scandinaves et les Baltes que les Russes. Très appétissant.



J. Fantastique

(Gordon) Getty, Usher House (Santa Monica en Californie)
→ Dans un langage qui évoque l'atonalité romantique (héritage revendiqué de Schönberg), un peu gris, mais avec un certain sentiment de naturel et de liberté, une variation autour de la nouvelle de Poe. Getty parle de la prévalence de sa propre nécessité intérieure sur le fait de faire de la nouveauté. (pour autant, cela ressemble bien à de l'opéra du second XXe)
→ Se trouve au disque chez PentaTone (2013) avec notamment Christian Elsner, Étienne Dupuis, Lawrence Foster.

(Gordon) Getty, The Canterville Ghost (Santa Monica en Californie)
→ Ce versant plus comique du legs de Wilde a aussi été capté chez PentaTone, avec le Gewandhaus de Leipzig (direction Foremny, le chef de la monographie Oskar Fried). La déclamation est évidemment plus à nu, sans être particulièrement savoureuse, mais cela s'écoute sans grand effort, même si l'absence de séduction particulière du langage renforce un peu le côté braillard inhérent à l'opéra post-1800 en général.

(Frank) Wildhorn, Dracula (Detmold)
→ Bien que référencé sur Operabase, il s'agit d'un musical (amplifié, émissions en belting, musique semi-synthétique, pulsation et harmonie caractéristiques), assez joli d'ailleurs. L'influence des Miz de Schoenberg est frappante, ce qui propose une bien belle fresque, très fluide et vivante, culminant dans de beaux ensembles ! 
→ L'intrigue suit de très près le roman, tout en en changeant l'end game : Dracula cherche ultimement à séduire Mina plutôt qu'à conquérir le monde, et l'ambiguïté érotique du vampirisme est beaucoup plus explicitement développée (de façon assez convaincante d'ailleurs).
Vidéo complète et sous-titrée en anglais.

(Victoria) Borisova-Ollas, Dracula, en suédois (Stockholm)
→ Un orchestre mahlérien à oiseaux et cloches, un souffle lyrique au parfum nordique, du chant aux mélodies conjointes pénétrantes, une petite merveille, qui puise à bien des influences, et s'organise comme une douce cantate, au service des douceurs de la langue suédoise.



K. Science-fiction

Fujikura
, Solaris (Augsburg)
→ Une des trois adaptations de Solaris de Lem présentées sur  les scènes d'opéra. En anglais, et mêlé de ballets et de doubles. Présentation de l'œuvre dans cette notule de 2015.



L. Cinéma

(Nico) Muhly, Marnie (ENO de Londres)
→ Adaptation du roman de Winston Graham, mais il est évidemment que la proposition, sans rien récupérer de la partition de Bernard Herrmann, compte sur la notoriété du film de Hitchcock.
→ Je n'ai pas réussi à trouver la bande complète (mais elle doit exister, ayant été jouée et filmée au Met)… on y entend manifestement un vrai lyrisme tonal, mâtiné d'influences adamsiennes, aussi bien dans les recherches harmoniques que dans les orchestrations à coups de boucles… Lorsque ce fut joué à New York, avec Isabel Leonard qui a un physique très actrice-des-fifties (outre le timbre splendide, bien sûr), ce devait être saisissant.



M. Suites ou échos d'opéras

Langer : Figaro Gets a Divorce (Poznań)
→ Le sujet, supposément la suite (un brin actualisée) de La Mère coupable, rate complètement son objectif. Texte sans saveur, sans humour, sis sur un langage sonore contemporain très standard (atonal gris indifférencié), sans le moindre esprit qui puisse cadrer avec les personnages, réussir les références à Rossini-Mozart-Milhaud, ni quoi que ce soit. Et quand, avec un sujet en or comme cela, on assiste à cet objet médiocre, il y a de quoi être grognon.
→ Avait été diffusé sur Arte Concert, doit encore se trouver. Mais à quoi bon ?

Ching, Buoso's Ghost (Wilmington au Delaware)
→ Une fois que Gianni Schicchi a dupé les cupides cousins de Buoso, ceux-ci tâchent de récupérer le bien de leur défunt parent. Schicchi découvre qu'ils avaient planifié l'empoisonnement de Buoso.
→ Musique assez sommaire (d'aimables ostinatos), mais agréable. Quelques citations de l'original, d'ailleurs (« Addio, Firenze »).
→ Un extrait vidéo avec accompagnement de piano, ici.

Eötvös, Radames (Neue Oper de Vienne)
→ Plus qu'une suite, c'est un « opéra des coulisses », comme l'Opera seria de Gassmann ou El dúo de La Africana de Fernández Caballero : en raisons de coupes budgétaires, le chef d'orchestre ne peut réunir que trois musiciens (saxophone soprano, cor, tuba, et lui-même au piano) ; il embauche un contre-ténor (qui peut tenir la tessiture sans coûter aussi cher) et qui fera à la fois Radames et Aida. Au bout des 35 minutes de l'œuvre, le contre-ténor (ainsi que tous les participants, si j'ai bien suivi) meurt, écrasé sous la pression de la production. L'œuvre suit les répétitions.
→ Une œuvre de 1975 (révisée en 1997), d'un jeune Eötvös, contient beaucoup de « bruit blanc » et de dialogues parlés, majoritairement en allemand. Musicalement, rien de très bouleversant, malgré des ensembles intéressants (mélangeant le chant du chanteur de l'intrigue et le chant de assistants de production, sur différents niveaux de rythme et de vgolume). Mais il n'est pas un secret que je n'ai jamais beaucoup estimé Eötvös compositeur (comme chef, c'est autre chose).
→ Quelques extraits sur sa page professionnelle.



O. Aspects de la société & actualité

Hosokawa, Stilles Meer (Hambourg)
→ Conçu comme un hommage au aux victimes de Fukushima, cet opéra explore plusieurs des facettes de Hosokawa (notamment son intérêt pour les percussions seules, dans la veine du très impressionnant taiko traditionnel japonais), avec un résultat très contemplatif (tout le monde est assis sur le bord d'une plate-forme et commente).
→ Je n'ai pas encore eu l'occasion de l'écouter en intégralité, ni surtout avec le livret du grand Hirata ; mais le tout est facile d'accès, puisque publié en DVD par EuroArts dans une belle distribution (Fujimura, B. Mehta, Nagano).

Adès, Powder Her Face (Magdebourg, Detmold, Brno)
→ Conçu pour un accompagnement alla jazz, la décadence d'une demi-mondaine ambitieuse dans la première moitié du XXe siècle. Pas exactement plaisant, vu le sujet (bien plus réaliste et sordide que Lulu), ni très joli musicalement, mais comme toujours avec Adès, accessible et très bien intégrée au théâtre. L'œuvre est d'ailleurs régulièrement reprise depuis sa création, ce qui est loin d'être la norme. [Pour ma part, c'est The Tempest que j'aime vraiment de lui, du Britten en plus animé.]

(Gregory) Spears, Fellow Travelers (Chicago)
→ Amours uranistes entre un jeune diplômé et un officiel sexagénaire du Département d'État, dans l'entourage de McCarthy et l'action anticommuniste américaine. Créé à Cincinnati, un beau succès ; il en existe même un disque, chez le label de l'orchestre, Fanfare Cincinnati.
→ Musique purement tonale, à l'accompagnement très étale, au matériau très simple (petites volutes de vent sur aplats de cordes…), avec des accords de quatre sons, la plupart du temps en tonalité majeure, qui permet de se dédier à la conversation en musique (très peu d'ambitus, on comprend tout sans livret !) sans être concurrencé par l'orchestre. Très belles atmosphères, le livret (plaisant sur l'univers administratif et militant) se situe quelque part entre Le Consul de Menotti et un épisode de The West Wing, la romance en prime ; la musique entre la simplicité du musical, Hahn (début de l'acte II de L'Île du Rêve, tout est écrit sur ce patron), Martinů (Juliette, Ariane, Jour de bonté), Barber (plutôt l'Adagio et les moments limpides de Vanessa), Damase (L'Héritière plutôt que Colombe), Adams (les parties les plus simplement mélodiques d'El Niño ou Doctor Atomic)… Beaucoup de formules régulièrement motoriques (façon petit train), de petits rebonds comme les accompagnements de Damase (doublure de piano permanente), et même une petite imitation du début de Rheingold dans le tableau à St. Peter.
→ À l'échelle de l'histoire de la musique, vraiment simplet – surtout en ce que les accompagnements sont repris lorsque revient une situation comparable ! (très beaufinal qui s'enrichit et s'irise légèrement, cela dit)
→ À l'échelle d'un opéra où l'on peut suivre le texte (pas mauvais d'ailleurs), un petit bijou, si l'on aime les couleurs claires, les climats apaisés. Vraiment rien de tourmenté là-dedans, tout est toujours joli. [Ça me parle énormément, mais je conçois très bien qu'on trouve que ça manque de corps.]
→ Quelques extraits, avec un aperçu de la multiplicité des lieux, sur un des interludes instrumentaux (on entend bien la nudité de cette musique apaisés, à défaut de pouvoir vérifier la qualité très réelle de la déclamation-conversationnelle).
→ Repris dans une [notule].

Dayer, Alzheim (Berne)
→ Comme l'indique son titre, l'évocation de la maladie autrefois décrite comme simple démence sénile.

Nyman
, The Man who Mistook his Wife for a Hat (Krefeld, Mönchengladbach)
→ D'après un livre à succès du neurologue Oliver Sacks, paru en 1985, décrivant les systèmes et symptômes les plus étranges croisés pendant sa carrière.
→ Musique typiquement répétitive, bien sûr. Je dois m'y plonger avant d'en parler sérieusement.



P. Langues minoritaires

(Jan) Gorjanc (né en 1993 !), Julka in Janez (Ljubljana) – en slovène
→  Du contemporain défragmenté, traversé de répétitions plus minimalistes et de bouts de tonalité, pour ce que j'ai pu en juger.
→  [très bref extrait vidéo]



Q. Zarby

(Ana) Sokolović, Svadba (Montréal)
→ Objet particulièrement étrange, donné à Aix-en-Provence en 2016. Un opéra sans texte, essentiellement des chants vocaliques qui miment un mariage, pour six voix de femmes, quasiment sans accompagnement. D'une imagination sonore et d'une virtuosité qui n'ont que peu d'exemple : déroutant et enchanteur, sur une durée d'une heure à peine.
→ [Capté en vidéo à Aix, cela se trouve en DVD me semble-t-il, et en tout cas en ligne – sur Arte, plus sûr que ça y soit. Extrait ici, mais cette étrangeté se goûte sur la longueur.]

(Patrick) Morganelli, Hercules vs. Vampires (Nashville, Tucson)
→ On est tenté de ricaner et d'insinuer qu'il ait en préparation un Maciste contro gli morti caminanti ou un Lannister ed i Argonauti… à ceci près que cet Hercule est bel et bien une adaptation d'un film de Bava !  Et davantage encore, une proposition de bande son, censée être jouée pendant le film, les chanteurs prenant la parole lorsqu'on les personnages sont dans le champ de la caméra (spoiler : le lip dub n'est pas parfait…). Un objet très étrange, commandé par l'Opéra de Portland, mais repris en plusieurs endroits depuis 2010.
→ Des bruitages ont été conservés, et le langage est traditionnel, plutôt proche d'une musique de film, en un peu plus planante, et au dramatisme accentué par le langage opéra ; très américain aussi, dans ses harmonies, on sent bien la nation de Barber là-dedans. Assez beau, même si la juxtaposition avec les images n'est pas parfaite. Malgré le débit par essence beaucoup plus lent, les chanteurs sont finalement beaucoup plus bavards que les acteurs du film !
Extrait ici.

Mancuso, Atlas 101 (Trévise)
→ Créé en novembre à Trévise sur une seule date, il se présente lui-même comme un « opéra d'espionnage onirique mathématique », où apparaissent, comme personnages chantés, Hedy Lamarr, George Antheil, John Conway, Ganesh et sainte Rosalie. Oui, voilà.
→ Je n'ai pas réussi à en entendre des extraits (pas sûr qu'il y ai eu une captation officielle sur si peu de dates, hors des archives du théâtre), mais ce semble à coup sûr bizarre.

Rihm, Das Gehege (Bruxelles, Stuttgart)
→ Il s'agit seulement d'un monodrame, commandé par l'Opéra de Bavière, écrit en 2004-2005, créé par Gabriele Schnaut (ouille). Mais on n'est pas si loin de l'opéra dans la mesure où l'Aigle dont il est question est incarné sur scène par un mime.
→ Le texte tiré de Botho Strauß : une femme rêve de se faire déchirer [sic] par un aigle, ouvre sa cage, mais constatant qu'il est vieux et impuissant, le tue. Deux lignes. Une heure. De sucroît la musique est tout sauf vénéneuse, tourmentée ou paroxystique, une atonalité douce assez poliment ennuyeuse à mon gré – sorte d'Erwartung délavé.
→ Vous pouvez en voir une représentation (sans Schnaut !) ici et même suivre la partition sur le site de l'éditeur.



Et pas encore présentés, mais à titre d'indication :



R. Opéras de compositeurs vivants, mais tchèques

Schiffauer, Zob, Zob, Zoban !!! – en tchèque (Ostrava, en Moravie)
Kubička
, Jakub Jan Ryba – en tchèque (Plzeň)
Acher, Sternenhoch – en tchèque (Prague)
Nejtek, Règles de bonnes manières dans le monde moderne, en tchèque (Brno)



S. Opéras de compositeurs vivants, mais baltes

Puur, The Colours of Clouds – quelle langue ? (Tallinn)
Lill, Dans le feu – en estonien (Tartu)
Liepiņš, Turaidas Roze – en letton (Riga)
Ešenvalds, The Immured – en anglais (Riga)
Mickis, Zuikis Puikis – en lituanien (Vilnius)
Šerkšnytė, Cinq Miracles de Marie – en lituanien (Vilnius)
Tamulionis, La petite Airelle – en lituanien (Vilnius)



Troublantes propositions, n'est-ce pas ?  À bientôt pour la suite !

(avec le bilan de ma propre saison francilienne dans l'intervalle… peut-être aussi quelques ténors verdiens et une histoire de la contrebasse, nous verrons)

(et je vous dois les images des jolis-théâtres pour cette notule ! ; leur collecte, leur mise en forme et leur commentaire vont me demander un couple d'heures que je n'ai pas présentement)

dimanche 18 février 2018

[Carnet d'écoutes n°119] – depuis novembre… I. Pleyel, Chopin, Herzogenberg, Stanford, Zemlinsky, Weingartner, Zhurbin, Connesson…


Quelques écoutes faites, impressions laissées çà et là depuis novembre. Image très partielle d'écoutes diverses, et commentaires parfaitement désinvoltes et informels. Si ce peut suciter des envies d'écoute…

(Rappel du code tartelettes : purement une mesure de mon intérêt personnel, sans prendre en compte les interprétations. 1 : agréable. 2 : à réécouter de temps à autre. 3 : à réécouter souvent. 4 : œuvre de chevet. 5 : parmi les grandes émotions. Et quand c'est meringué, c'est que je suis grognon.)

Hahn – Le Rossignol éperdu (II, Orient) – Ariagno
Hahn – Le Rossignol éperdu (III, Carnets de voyage) – Ariagno
Hahn – Le Rossignol éperdu (III, Carnets de voyage) – Eidi
Hahn – Le Rossignol éperdu (IV, Versailles) – Eidi
Deux lectures très différentes et complémentaires, Ariagno plus pédalée, Eidi plus sec (et il y a aussi Wild plus pianistique, ainsi qu'un quatrième que je n'ai pas encore testé). Les moments archaïsants (Noces de Joyeuse !) sont particulièrement délicieux, et d'une manière générale, on voyage sacrément dans ce cycle pudique mais ambitieux.

Ligeti – Études (livre I) – Banfield
Insupportablement métallique.
Ligeti – Études (livre I) – Aimard
Ligeti – Études (livre II) – Aimard
Rien à voir : un son très rond de soliste, une hiérarchisation des informations (là où tout était sur le même plan chez Banfield), mais aussi quelque chose de très éduqué et mesuré… pas très profusif ni débraillé pour du Ligeti. Finalement, Idil Biret reste ma référence ici.

Southam – Rivers (III-8) – Godlowska
Ça me lasse étonnamment cette fois-ci. Pourtant j'avais contre toute attente adoré ces boucles minimalistes et figuratives (accumulation de péchés mortels), lors de mes précédentes écoutes.


Charpentier – Messe de Minuit – Minkowski
Charpentier – Te Deum – Minkowski
Charpentier – Te Deum – Niquet
Qu'on ne me dise pas que j'ai des goûts inaccessibles après ça. Un peu de français gallican pêchu sur du 2-5-1, et je fonds comme Elphaba.

(Nicola) De Giosa – Don Checco (final) – San Carlo de Naples
Écrire du pré-Rossini en étant né après Verdi, c'est un peu honteux, mais ce n'est pas vilain non plus.

Nowowiejski – Legenda Bałtyku (air) – Beczała
Là aussi, au milieu du vingtième, ressemble à un opéra du milieu du dix-neuvième, glockenspiel en sus.

Sokolović – Svadba – bande d'Aix 2016
« Opéra » pour voix de femmes a cappella. Je n'ai pas trouvé la bande complète, mais j'ai adoré ça. Des frottements harmoniques très expressifs, ça évoque le meilleur de la musique chorale nordique.

Nowowiejski – Quo Vadis (scène III)
Bien mieux que la Légende balte, un romantisme bon teint tout à fait agréable.

Kuhlau Lulu (actes I & II)
Tiré du même conte de Weiland que la Flûte Enchantée (Lulu est le nom de « Tamino »), le grand opéra national danois ; on est du côté des opéras de Spohr et de Schubert, avec des tentations d'airs rossiniens, mais globalement tout palpite en grands dialogues avec chœurs et instruments, une petite merveille.

KuhlauLulu (actes II & III)
Ça baisse en intérêt dans la seconde moitié, mais tout de même remarquablement chouette, et puis cette fin avec mélodrame, puis chœur de réjouissances qui hésite entre Mozart et Hérold !

Kuhlau Elverhøj (trouvé que l'ouverture)
Son œuvre réputée la mieux accueillie, qui lui a ouvert les postes d'enseignement officiels (il n'était pas danois de naissance) ; comédie largement fondée sur des thèmes musicaux folkloriques, en réalité !

SokolovićSvadba – bande d'Aix 2016
Réécoute complète. Vraiment un petit bijou, et une œuvre vraiment différente (six femmes, pas de personnages, pas d'orchestre, que des glossolalies). C'est Machinations avec de la musique (façon chœurs nordiques).

¶ (Brett) DeanHamlet– Glyndebourne 2017
Très bien écrit.

¶ (Jay) ReiseRasputin – Helikon de Moscou
Version traduite en russe. Pas déplaisant, sans être très marquant non plus.

Vainberg – La Passagère – Francfort
Je ne l'avais jamais écouté en entier. Le dispositif double est vraiment intéressant ; dans le genre parlez-moi-des-camps-sur-mes-soirs-de-loisir, c'est autrement plus captivant que la Maison des morts de Janáček !

Tchaïkovski – Optritchnik – Provatorov
Vraiment l'un des tout plus beaux Tchaïkovski (je veux dire par là du niveau d'Onéguine et de Pikovaya Dama), qui décoiffe dans une veine plus typiquement russe !

Tous ces opéras (sauf Elverhøj) sont donnés quelque part cette saison ! 



Chopin – Valses – Ott
Comme dit dans le fil, pas du grand son, mais très finement habité, avec beaucoup de délicatesse, d'épure, d'élégance.

Chopin – Sonate n°1 – Magaloff
Chopin – Sonate n°2 – Magaloff
Chopin – Sonate n°3 – Magaloff
Chopin – Sonate n°3 – Mertanen
Chopin – Sonate n°3 – Pires
Chopin – Sonate n°1 – Magaloff
Chopin – Sonate n°2 – Magaloff
Chopin – Sonate n°3 – Magaloff
Mertanen est complètement invraisemblable de densité… Les autres aussi. J'adore les trois sonates de Chopin, finalement parmi ses œuvres auxquelles je reviens le plus désormais, peut-être aussi parce que ce sont les seules œuvres de Chopin (avec les pièces concertantes hors concertos) que je n'ai pas jouées.

Chopin – Scherzo n°1 – Magaloff (Philips)
Chopin – Scherzo n°2 – Magaloff (Philips)
Chopin – Scherzo n°3 – Magaloff (Philips)
Chopin – Scherzo n°4 – Magaloff (Philips)
Sacré corpus… et Magaloff réussit des plans et des irisations harmoniques assez incroyables.

Chopin – Rondeau à la Krakowiak – Mertanen, Turku PO, Telaranta (Ondine)
Chopin – Polonaise brillante – Mertanen, Turku PO, Telaranta (Ondine)
Chopin – Fantaisie sur des airs polonais – Mertanen, Turku PO, Telaranta (Ondine)
Chopin – Variations sur Là ci darem la mano – Mertanen, Turku PO, Telaranta (Ondine)
Remarquablement joué, mais les œuvres ne sont évidemment pas du même tonnel, même si j'aime beaucoup le joli rondeau !

Chopin – Études Op.10 – Magaloff
Chopin – Études Op.25 – Magaloff
Pareil que précédemment, quel massif et quels doigts !

Dupont – Les Heures dolentes– Lemelin
Dupont – La Maison dans les dunes – Kerdoncuff
Lemelin est un peu rond pour moi, Kerdoncuff, tranchant et étagé, parfait. J'aime énormément les tourments des heures de délire du malade, ou le le début lumineux et le final venteux de la Maison.

Zhurbin, Symphonie n°2 « Giocosa », Musica Viva ChbO, Ponkin
Du soviétisme, mais léger. La Première est sympa aussi, plein d'effets, assez linéaire et rhapsodique, mais pas sans charme.

Manoury, Kein Licht
Le livret n'est pas très édifiant, plutôt une pochade qu'autre chose, mais la musique est comme toujours très belle !

Mascagni, Iris (avec Mazzola-Gavazzeni et Cura)
Réputé son meilleur opéra, et une sacrée punition !

Casella, La Donna serpente, Noseda à Turin (2016)
Ça emprunte beaucoup à Boris Godounov et à Prokofiev, mais c'est assez plat.



Haendel – Silla – Biondi
Haendel – Serse – (Chandos)
Haendel – Giulio Cesare – Minkowski (Arkiv)
Haendel – Serse – Malgoire (Sony)

I. Pleyel – Quatuor Ben.337 – Pleyel SQ Köln (CPO)
I. Pleyel – Quatuor Ben.338 – Pleyel SQ Köln (CPO)
I. Pleyel – Quatuor Ben.339 – Pleyel SQ Köln (CPO)
Mérite vraiment le détour, et excellente interprétation des Pleyel de Cologne (il y a aussi un Quatuor du même nom, également sur instruments anciens, à Paris).

Mazzoni – Antigono – Onofri (Dynamic)
Du seria classique finissant, assez réussi ; pas mal de contiguïtés avec la Clémence de Titus, musicalement.
Rossini – La Donna del Lago – Zedda (Naxos)
Assez sympa quand même, dans son genre. Au moins il y a de l'action, c'est pas comme dans Semiramide où on décompte les heures qui séparent de la folie d'Assur…

Chopin – Études Op.10 – Geniušas (DUX)
Chopin – Études Op.25 – Geniušas (DUX)
Je découvre Geniušas. On en parle de plus en plus, et depuis assez longtemps ; par ailleurs il donne régulièrement des concerts du Čiurlionis ou du Szymanowski, il méritait donc l'essai.
Et je suis très impressionné, aussi bien techniquement (le legato absolu, la hiérarchisation des sons) que sur la construction générale, très sûre. Indéniablement des moyens et une personnalité qui sortent du rang – et pourtant, je venais de me les écouter par Magaloff, qui irise en même temps qu'il construit, mon horizon à peu près indépassable… et c'est à peu près aussi bien !

Herzogenberg – Geburt Christi – (chez CPO)
Herzogenberg – Geburt Christi – Grube (chez Hänssler)
Le chœur audiblement amateur chez CPO fait un peu mal, tandis que les petits braillards de Grube sont très aguerris et fonctionnent très bien dans une œuvre qui sent plus la liturgie que le chef-d'œuvre musical. Dans ce cadre, elle fonctionne très bien.

Herzogenberg – Liturgische Gesänge – Cantissimo, Utz (Carus)
Herzogenberg – Zum Totensonntag – Cantissimo, Utz (Carus)
Herzogenberg – 4 Motette – Cantissimo, Utz (Carus)
Quand un compagnon de Brahms se met à composer avec la ferveur de l'Obikhod russe. Hallucinant. Le disque de musique a cappella que je me suis le plus passé depuis un an.

Hahn – Quintette avec piano – Orchestre de Chambre de Paris
Les thèmes, les thèmes !  Rien que les pointés exaltant du premier…

Moeran – Symphonie en sol mineur – Lloyd-Jones (Naxos)

Weingartner – Symphonie n°1 – Symphonique de Bâle, Letonja (CPO)
Weingartner – Symphonie n°2 – Symphonique de Bâle, Letonja (CPO)
Weingartner – Symphonie n°3 – Symphonique de Bâle, Letonja (CPO)
Weingartner – Symphonie n°4 – Symphonique de Bâle, Letonja (CPO)
Weingartner – Symphonie n°5 – Symphonique de Bâle, Letonja (CPO)
Je dois dire que je suis moins enthousiaste au fil des réécoutes : quelque d'un chose d'un peu gentil. Je découvrais ce type de postromantisme alternatif à l'époque où j'ai été ébloui, mais maintenant que je peux plutôt écouter Atterberg 1 & 2 ou d'Albert, je suis sans doute moins sensible à Weingartner – qui se renouvelle très peu, j'ai eu l'impression d'entendre cinq fois le même esprit, pas loin de m'impatienter sur la Cinquième…

Vaughan Williams – Symphonie n°3 – Hallé O, Elder (label Hallé)
La prise de son est toujours spectaculaire pour ce label, mais peut-être un peu trop : on finit par profiter du molleux et des timbres, et le discours n'est pas aussi urgent. Pas du niveau des meilleurs volumes de la collection (dans les Sibelius et les Wagner, il y a des tueries).

Schulhoff – Cinq pièces pour quatuor – Orchestre de Chambre de Paris
Schulhoff – Quatuor n°2 – Orchestre de Chambre de Paris

Schmitt – Dionysiaques – Norwegian Wind Band

Scappucci – 3 Canti da Rilke
Compositeur vivant, protéiforme et d'une sensibilité très directe, quoique sophistiquée. Ici, du très bon richardstraussisme… ce n'est pas la face que j'aime le moins de lui.
https://www.youtube.com/watch?v=Xp0O_StS0e8

Scott – Symphonie n°3 – BBCPO, Brabbins (Chandos)


Nielsen – Symphonie n°2 – Festival de Pärnu, P. Järvi (YouTube)
Œuvre de chevet.
Bien mieux que sa version avec Francfort, d'ailleurs.

Martinů – Symphonie n°4 – Radio de Hesse, Ozrozco-Estrada (Chaîne officielle)
Grande version limpide et vive (les superpositions bois-piano si particulières !).

Mozart – Quintette n°3 – Berthaud, Voce SQ (Alpha)
Toujours pas trop compris l'intérêt du truc (mélodie pas très marquante accompagnée en batteries…), mais joué comme ça, avec ce grain et cette netteté, ça passe très bien.
Brahms – Quintette n°2 – Berthaud, Voce SQ (Alpha)

Stanford – Symphonie n°1 – Bournemouth SO, Lloyd-Jones (Naxos)
Stanford – Symphonie n°2 – Bournemouth SO, Lloyd-Jones (Naxos)
Stanford – Symphonie n°5 – Bournemouth SO, Lloyd-Jones (Naxos)
Quelle musique apaisée. Et puis un très beau scherzo dans la 1.

ფალიაშვილი (Paliaşvili), Daisi
Une sorte de Tchaïkovski géorgien… ça fonctionne vraiment très bien, un grand plaisir à tout écouter, mais j'ai l'impression que ça parle plutôt russe sur ma bande… C'est étiqueté Tbilissi, mais comme ça a aussi été donné à Odessa et Moscou, je m'interroge.


WilliamsSuite de Star Wars – Philharmonique de Bergen, Litton
La meilleure version de tous les temps.
Williams – Grande Suite de Star Wars (d'une heure, de I à VI) – Radio Danoise
Version très longue, avec beaucoup de suppléments rarement donnés en concert (Duel of the Fates, Anakin Theme, Love on the Balcony…).
Williams – Suite renouvelée de Star Wars (thème de Rey au lieu de Leïa) – Philharmonique de Bergen, Gardner
Prévu de consacrer une notule à ces bonnes adresses.

Tout ça se trouve en vidéo en ligne (Bachtrack pour le premier, YouTube pour les deux autres).

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Mahler, Symphonie n°3

Tennstedt avec le LPO, sur le vif en 1986 (ICA).
Très habité, évidemment, sans être non plus le Tennstedt le plus extraverti. Dans le dernier mouvement, par exemple, les temps sont beaucoup plus réguliers que d'ordinaire (où beaucoup de chefs allongent la levée du quatrième temps). Mais c'est une des très belles versions, où la tension se tient très bien, sans emphase d'ailleurs.

Levine avec Chicago (1975).
Probablement la version qui colle le mieux au programme : je n'avais jamais entendu les deux premiers mouvements sonner aussi joyeux, c'est assez déstabilisant.
Pour le reste, du vrai Levine : très direct, cuivres assez en avant, pas de circonvolutions, très net. Ce n'est pasle plus mystérieux, certes, mais pour ce qui est de la technique d'orchestre, on ne fait pas vraiment mieux, et tout coule de source.
Le dernier mouvement est une merveille de dosage… même les ruptures de tempo bâtissent la tension, tout paraît d'une telle évidence…

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Spears, Fellow Travelers, Cincinnati SO (Fanfare Cincinnati)
Coup de cœur, voir là : http://carnetsol.fr/css/index.php?2017/11/22/2978--opera-amours-uranistes-chez-mccarthy.
Spears, The Bear and the Dove, par Inscape (Dorian Sono Luminus)
Spears, Requiem, dirigé par le compositeur (New Amsterdam)
Un collage étonnant (ordinaire de la messe mélangé, un poème religieux français mis en musique par Le Jeune, stratifié, puis harmonisé comme du Whitacre…). Assez sympa.

Charpentier, David & Jonathas, Antipodes O & A. Walker, avec Dahlin (ABC)
Très belle version, fin remarquablement réussie. (Moins froid et « blanc » que les versions Christie.)

Debussy, Deux Danses, Nordmann & Debussy SQ (Timpani)
Caplet, Trois Prières, Masset, Nordmann & Debussy SQ (Timpani)
Caplet, Conte Fantastique, Nordmann & Debussy SQ (Timpani)

Zemlinsky, Sinfonietta (arrangement de chambre), Storgårds (Ondine)
Zemlinsky, Sinfonietta, Philharmonie Tchèque & Beaumont (Chandos)
Zemlinsky, Symphonie en si bémol, Philharmonie Tchèque & Beaumont (Chandos)
Zemlinsky, Psaume 23, Radio de Berlin & Chailly (Decca)
Zemlinsky, Symphonie en si bémol, Radio de Berlin & Chailly (Decca)

Ropartz, Petite Symphonie, Orchestre de Bretagne (Timpani)
Ropartz, Pastorales, Orchestre de Bretagne (Timpani)
Côté assez milhaldien dans tout ça, mais sympa.

¶ récital français d'Arquez avec l'ONBA
Plus chouette que ce que j'en avais vu avec piano en récital, sans doute plus longtemps mûri aussi.

Berlioz, Les Troyens, Nelson.
Référence assez absolue, à commencer par l'orchestre.

Duruflé, Danses pour orchestre, RTF.
Duruflé, Intégrale pour orgue, Flamme.
Beau renouvellement de l'image de Duruflé, pas uniquement contemplatif similigrégorianisant.

Charpentier, Pastorale de Noël, Christie.
C'est pour ça que ça m'avait peu marqué avant Daucé : vraiment moins atmosphérique, malgré la distribution très affriolante.

Kodály, Sonate Op.8 pour violoncelle seul, Weilerstein.
Très belle interprétation, toujours pas convaincu par l'aspect très surchargé (et long !) de ce patchwork d'airs folkloriques d'aspect très sombre.

Veress, Sonate pour violoncelle seul, Queyras.
J'aime bien Veress, mais ça j'aime pas. Assez pénible dans le genre violoncelle virtuose un peu creux.

Fried, Die verklärte Nacht, Foremny
Même si l'enregistrement ne les met pas très en valeur, j'écoute de plus en plus les détails d'orchestration – la prise de parole du ténor sur la seule section de vents, ce doit être assez extraordinaire en concert. Et il faudrait le jouer au moins deux fois, l'une pour l'ivresse des paroles, des voix, du poème, l'autre pour écouter toutes les petites finesses qui jalonnent la pièce.

Beethoven, Sonate n°28, Backhaus
Beethoven, Sonate n°29, Backhaus
Beethoven, Sonate n°30, Backhaus
Beethoven, Sonate n°32, Backhaus
Dans le genre un peu dur et sans aucun effet de manche une vraie valeur sûre véritable.

Berlioz, La Damnation de Faust, Ozawa
J'avais adoré la bande de Paris (2001, avec Larmore, Sabbatini et van Dam !), mais ici, malgré la qualité du détail, c'est un peu sérieux, et McIntyre en Méphisto, non, ce n'est pas possible : sérieux, uniforme, moche, ça ne fonctionne même pas à rebours comme son Golaud. Dommage, il y a Burrows en face (et Mathis).

Steffani, Duos de chambre, Stubbs & O'Dette (avec Baráth et Forsythe).
Steffani, Cantates, Fons Musicæ (avec Zanetti et Bertin).
Vraiment très personnel comme univers, surtout les duos, et ineffable. Le disque de duos de chambre de Curtis (avec Watkinson, Esswood, Elwes, etc.) est une tuerie d'une prégnance inestimable.
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Mahler, Symphonie n°8, Nagano.
Version attirante même si Nagano arrondit comme toujours les angles, un peu tranquille ; elle additionne Dawson dans des parties très instrumentales, Matthews, Roth dans de la belle déclamation, Rootering, le DSO Berlin et le Chœur de la Radio de Berlin…
… et j'écoute Gambill ruiner tout ça avec ça voix qui pleure (et pas toujours sur la note).
Au demeurant, ce n'est pas pire que bien des ténors dans cette partie impossible, même Jovanovich n'est pas à son aise ici !  (Finalement j'y aime bien le crâne Riegel !)

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Schumann, Symphonies 1-2-3, Gewandhaus, Chailly
Assez déçu à la réécoute… et vraiment, ce que fait Mahler, en « normalisant » Schumann, est tout à fait sans intérêt : c'est aussi mal orchestré qu'avant, mais ça correspond moins à l'équilibre général. Ce n'est plus bizarre ou défectif, juste mal fait.

Schumann, Symphonies 1 & 3, WDR, Vonk
Une des très grandes intégrales (comme Zinman, Barenboim-SkBerlin, Sawallisch, Rattle, Solti…), très vive, poétique, tendue vers son but. La Radio de Cologne a déjà atteint son niveau exceptionnel actuel.

Schoeck, œuvres chorales avec ou sans orchestre, MDR Leipzig
Grosse et magnifique surprise que ces bouts d'opéra (où de Mahler, comme ce Dithyrambe !).

Un peu de glotte : Ariodante de Haendel (« Dopo notte » par Hallenberg et Curtis, lors d'un concert roumain), Prince Igor de Borodine (l'air du Prince : Putilin au Mariinsky, Azizov au Bolshoï dans la récente version révisée de Liubimov).

Schoeck, Notturno, Rosamunde SQ, Gerhaher
Merveille, dans une version très parlée, très étonnante.

Protopopov, Sonate n°3, Fikret Amirov
Zaderatski, Sonate n°2, Fikret Amirov
J'aime davantage la Première de Popov. En revanche, dans le genre erratique mais familier, la 2 de Zaderatski est très réussie !

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Cihanov, Cälil, Opéra National Tatar de Kazan
→ Musa Cälil, poète kazakh, par ailleurs auteur d'un livret d'opéra, est fait prisonnier en Pologne en 1942. Il rejoint alors la « légion nationale » Volga-Tatar formée par les prisonniers des allemands pour combattre les soviétiques sur leur propre sol. Enrôlé sous un faux nom, il infiltre l'unité de propagande, utilise ses moyens pour diffuser des tracts séditieux, prépare la rébellion, jusqu'à ce que le premier bataillon tatar parte sur le front… et abatte tous ses officiers nazis. Les mutins sont arrêtés par la Gestapo en Biélorussie, et Cälil (âgé de 38 ans) et ses compagnons, non sans laisser des carnets (Le Serment de l'Artilleur), sont guillotinés à Berlin. Dans l'opéra, tout se passe dans un camp… à côté, la Passagère de Vainberg ou Ismaïlova de Chosta, c'est bigarré comme Pinder.
→ Musicalement, ce n'est vraiment pas bon : alternance de marches simplissimes, de danses folkloriques et de mélodies lyriques à couleur locale, le tout juxtaposé, de la grosse fanfare purement au service du sujet patriotique : le poète est d'abord torturé, puis maudit par les siens lorsqu'il feint de se nazifier, puis glorifié. Bref, rien à voir avec la superbe découverte de ფალიაშვილი (Paliaşvili), pour en rester dans le domaine d'influence russe sur des langues non indo-européennes.

Prévu de redire tout cela dans une notule à part (mais la présentation a déjà été postée d

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Boris Tichtchenko

Comme les concertos pour clarinette sont à peu près les seuls que j'aime vraiment, j'ai voulu écouter.

Trois œuvres sur le disque.

Concerto pour piano.
Épouvantable : du minimalisme à base d'accords martelés (au moins, Glass, ça plane). Et long en plus, cinq mouvements.

Concerto pour clarinette.
D'une délicatesse infinie. Un délice pastoral, il n'y en a pas beaucoup d'aussi beaux dans le répertoire.

Signes du Zodiaque, pour soprano et orchestre à cordes.
À tomber. Une beauté simple, une évidence mélodique sans façon, et pour ne rien gâcher Yana Ivanilova est assez miraculeuse.

Comme Gricha, voilà que je me mets à crier « Boris, Boris ! ».
(non, je ne parle pas des Bogdanov, grands nigauds que vous êtes)

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Grisélidis de Massenet. Peut-être le meilleur Massenet, en tout cas le plus naturellement dramatique (ce qui n'est pas peu dire !).

Tchaïkovski, la Sixième de Kampen & Concertgebouw. Il y a quand même eu mieux depuis (les cordes ne sont pas très agiles comparées aux standards d'aujourd'hui), mais terriblement intense, quoique assez vif (les râles des cordes graves, brrrrr).
Je me suis bissé l'Ouverture 1812 sur le même disque, d'une énergie et d'une précision d'articulation proprement inouïes.

¶ Puis poursuivi avec les limpides poèmes symphoniques par Oslo-Jansons (les trompettes acidulées à la norvégienne dans Roméo) et Royal Philharmonic-Ashkenazy (avec la rare Élégie à Samarine).

¶ Et puis tout de même, vous devez entendre ça, les Rückert de Mahler par Norman à son sommet, à se coller à son siège.

Massenet, Grisélidis, version de la RTF avec Moizan, Mallabrera, Betti, Depraz… Quelle merveille, oui, le meilleur Massenet, je maintiens (Thaïs et Amadis sont en embuscade derrière).

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Magnard, Symphonie n°1, Malmø SO, Th. Sanderling (chez BIS).
Vraiment le type de musique dont on ne se demande pas pourquoi ce n'est pas plus joué. Non pas que ce soit mauvais, mais si austère, si peu de mélodies saillantes, de moments ou d'effets qui accrochent l'oreille…

Magnard, Symphonie n°3, Malmø SO, Th. Sanderling (chez BIS).
Bien meilleure (la meilleure des quatre, m'a-t-il toujours semblé, mais j'aime bien aussi la lumière de la 2), un beau mouvement lent, de vrais effets de progression prenants, dans le final en particulier. Version vraiment pas mal d'ailleurs, merci Malmø d'alléger la pâte (car pas trop le genre de Th. Sanderling !).

Magnard, Chant Funèbre (et le reste du disque Timpani : Hymne à la Justice, à Vénus, terne Suite dans le style ancien…). Commence vraiment de façon simple, sinistre, répétitive, mais la façon dont le même motif obstiné s'illumine peu à peu, c'est saisissant !

À mon grand désarroi, je crois que j'aime désormais les Symphonies de Magnard.

La rhétorique de la 3, la lumière de la 2, le mouvement lent complètement épuré et rétro de la 4… il n'y que la 1 où je n'aie rien trouvé de saillant. Je me suis même bissé les 2 & 3 immédiatement après écoute.

Il faut dire que la version de Thomas Sanderling (pourtant pas un modèle de clarté dans ses jeunes années) avec Malmö enlève toute l'épaisseur superflue. C'est toujours assez massif et sévère, mais pour la première fois (après avoir testé pas mal de versions, assez régulièrement), j'en perçois les beautés… et je crois que j'aime beaucoup.

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d'Indy, Fervaal. Vraiment du Wagner partout, jusque dans le livret avec les blocs de narrations rétrospectives insupportables. (Et puis la malédiction de l'amour, les appels hors scène, etc.) Des bouts entier de la Walkyrie et de Siegfried là-dedans.
Mais musique ineffable (et très bien servie, en particulier par Sophie Fournier, Philippe Rouillon et le Symphonique de Berne).

¶ Beethoven – Chansons galloises, écossaises, irlandaises – Daneman, Agnew, Harvey, J. Hantaï… (Naïve)
Que c'est frais et réjouissant ! On devrait jouer ça tout le temps…

Mendelssohn – Symphonie n°3
Harnoncourt-COE, puis Jansons-BayRSO. Le second est vraiment impressionnant, plus proche du jeune Jansons en fait : clarté des plans, et souci de la danse (le mouvement final est ralenti pour pouvoir mieux rebondir dans les articulations de ce qui est, nous disent les indications, bel et bien une danse, ce qu'on perçoit rarement).

Connesson – Flammenschrift – Bruxelles PO, Denève (DGG)
Connesson – Concerto pour flûte – Bruxelles PO, Denève (DGG)
Connesson – È chiaro nella valle il fiume appare – Bruxelles PO, Denève (DGG)
Connesson – Maslenitsa – Bruxelles PO, Denève (DGG)
Merci à Benedictus d'avoir mentionné Flammenschrift, j'étais passé à côté du disque. Cette pièce-ci n'a pas grand intérêt (quel est le lien avec Beethoven ? sans lire la notice, pas vraiment évident), mais le reste du disque est assez formidable ; pour commencer le plus beau Concerto pour flûte du répertoire (il est vrai plutôt sinistré), et puis ce poème symphonique richardstraussien en mieux, È chiaro nella valle il fiume appare (sorte d'Alpestre en inspiré, à rapprocher d'Älven d'Atterberg).
Un délice que je me suis bissé.

Connesson – Aleph – Scottish RNO, Denève (Chandos)
Connesson – Une lueur dans l'âge sombre – Scottish RNO, Denève (Chandos)
Connesson – Supernova – Scottish RNO, Denève (Chandos)
Et puis j'ai passé le reste de mon temps d'écoute depuis à écouter du Connesson symphonique (encore déçu à la réécoute de Supernova, mais Aleph est superbe…).

Beethoven – Quatuor n°13 – Pražák SQ
Beethoven – Quatuor n°12 – Pražák SQ
Beethoven – Quatuor n°14 – Pražák SQ
D'assez bonnes œuvres plutôt bien interprétées. Like a Star @ heaven Like a Star @ heaven Like a Star @ heaven Like a Star @ heaven Like a Star @ heaven Like a Star @ heaven Like a Star @ heaven Like a Star @ heaven Like a Star @ heaven Like a Star @ heaven

Haendel – Concerto à double chœur n°1 – Freiburger Barockorchester
Haendel – Concerto à double chœur n°2 – Freiburger Barockorchester
Haendel – Concerto à double chœur n°3 – Freiburger Barockorchester
Nouveauté. Sympathique, en, particulier And the Glory of the Lord dans le 1 et Glory to God dans le 2, thèmes du Messiah. Trèsbelles couleurs, sinon.

Ruders –Haendel Variations – Aarhus SO, Andreas Delfs (Da Capo)
Ruders – Concerto pour alto – Lars Anders Tomter, Aarhus SO, Marc Soustrot (Da Capo)
Ruders – Bel Canto pour violon solo – Rune Tonsgaard Sørensen (Bridge)
Ruders – Serenade on the Shores of the Cosmic Ocean – Mikko Luoma (accordéon), iO SQ
Un thème court de Water Music très vite méconnaissable, mais vraiment agréablement écrit pour l'orchestre. Le concerto pour alto s'écoute très bien, de même que le solo de violon, sans que l'un ni l'autre ne soient non plus des sommets absolus ni des nouveautés particulières (le disque Da Capo vient cependant de sortir, et le volume 6 de l'édition Bridge ne doit pas être trop vieux non plus).
En revanche, l'Océan cosmique est une addition de stridences (certes calmes) de quatuor surmontées de celles de l'accordéon. Ça fait un peu bobo, malgré les plaisantes épigraphes qui citent du Darwin ou le nom botswanais de la Voie Lactée…).

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Gounod – Le Tribut de Zamora

Écouté hier sur la Radio Danoise P2 qui le diffusait. On peut le réécouter pendant quelque temps : https://www.dr.dk/radio/p2/p2-operaaften/p2-operaaften-zamoras-hyldest .

Pas pu attraper le début, mais ça m'a semblé du niveau de Roméo, meilleur que la Reine de Saba, un grand Gounod… veine mélodique pas aussi évidente que Faust (qui est à part pour le meilleur et pour le pire…), mais un lyrisme remarquable en revanche, peut-être son œuvre la plus lyrique d'ailleurs.

Et c'est vraiment un flux de beautés, sur une intrigue de serments trahis plutôt bien faite, quelque part entre la Force du Destin, les Pêcheurs de Perles et le Trouvère…

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Schoeck – Besuch in Urach
La version orchestrale est une tuerie de chatoyances verbales, vocales, orchestrales. On devrait interdire de faire des trucs aussi beaux, ce n'est pas chrétien.
Surtout qu'avec Rachel Harnisch et Venzago à la tête du Symphonique de Berne, rien ne manque à l'orgie transfiguratoire (car, oui, c'est encore une transfiguration que ça raconte).

mardi 16 janvier 2018

Les deux Psyché de LULLY


Psyché de LULLY constitue un cas intéressant à la fois historiquement et dramaturgiquement – un peu moins musicalement, j'y viens.

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Scène de l'enclume. Travaux des Cyclopes édifiant le palais de l'Amour pour Psyché
Version de Paul O'Dette & Stephen Stubbs chez CPO.




1. Isis ou l'Apocalypse

Lorsque LULLY et Quinault présentent leur dernière création en 1677, Isis, c'est la catastrophe : l'intrigue de la persécution de l'amante (Io, devenant par la suite Isis) de Jupiter – lequel finit, en guise de dénouement heureux, par promettre de renoncer à l'amour ! – est lue à la Cour comme la transposition mythologique de l'emprise prédatrice de la Montespan sur ses rivales.

L'interprétation est si répandue que l'œuvre est interdite et le librettiste Philippe Quinault forcé à l'exil – brièvement : en 1680, il donne Proserpine, seuls deux opéras de LULLY lui auront échappé !



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2. Genèse précipitée de Psyché II

Pour le nouvel opéra, composé à la hâte pour le remplacer (en trois semaines, semble-t-il !), on fait appel à Thomas Corneille (cadet de Pierre), qui réutilise le livret de Molière pour la tragédie-ballet Psyché de 1671 (écrite avec Quinault et Pierre Corneille pour LULLY). Cette première Psyché est antérieure à la première tragédie en musique, Cadmus (1673) ; ce n'est pas encore un opéra, plutôt une musique de scène, où des tableaux musicaux alternent avec les tirades parlées.

Le but est d'écrire un livret qui lie tous les divertissements déjà écrits par LULLY (plus de la moitié de la musique finale de cette seconde Psyché), ce qui explique le caractère moins affermi du style (qui évolue beaucoup entre Cadmus et Isis, entre Isis et Amadis), l'inclusion d'un divertissement italien, l'aspect plus décoratif des différents divertissements, nourrissant moins l'intrigue qu'ils ne s'y apposent.

Ainsi, de cette genèse compliquée provient sans doute le caractère moins serré de l'intrigue, entrecoupée de nombreux divertissements plus pittoresques que dramatiques, dont ce grand lamento italien du I, un hapax dans les tragédies en musique de LULLY.

Peut-être à cause de cela, du manque de variété des situations (Psyché est passive et victime de bout en bout), on ne peut pas y écrire les mêmes élans ni les mêmes dilemmes que chez un héros actif comme Cadmus, Admète, Thésée, Atys, Bellérophon, Cérès, Persée, Phaëton, Amadis, Angélique ou Armide… Seul Isis est ainsi fondé sur la victime principale, à ceci près que ses pérégrinations apportent beaucoup plus d'animation et de pittoresque.



psyché
Psyché ou la conspiration du fard.
Quoique les articulations de l'intrigue soient sensiblement identiques, le ton de l'opéra est complètement différent du roman de La Fontaine (et autrement sérieux), passant à côté de beaucoup des charmes du sujet.
Gravure de Raphaël Sanzio-Marc-Antoine (1939) pour le roman.



3. Synopsis

Prologue :
Cas très rare (unique dans LULLY) où le Prologue constitue non seulement une annonce directe (comme dans Atys, dont l'histoire est introduite par Melpomène en personne), mais tout de bon une partie de l'action. Flore, Vertumne et Palémon nous apprennent la jalousie de Vénus ; plus spectaculaire encore, celle-ci vient en personne annoncer son désir de se venger – seul cas que j'aie lu où un personnage du Prologue est aussi un personnage principal de l'intrigue.

Acte I :

Les sœurs de Psyché parlent du serpent qui ravage le royaume et des offrandes qu'est allé porter Psyché elle-même. On leur annonce l'oracle qui réclame le sacrifice de leur sœur. [Plainte d'un groupe en italien.] Elles se retirent sans oser l'en avertir. Malgré les plaintes de son père, Psyché se rend au sacrifice.

Acte II :

Le palais est en construction pour l'Amour qui a sauvé Psyché. Vulcain et les Cyclopes travaillent. Dispute conjugale sur la fidélité entre Vénus suspicieuse et Vulcain cornu. Psyché rencontre l'Amour, qui prend forme humaine (un chanteur ténor remplace alors la chanteuse qui chante, selon la tradition, l'Amour) tout en défendant à Psyché de chercher à le voir sous sa forme véritable.

Acte III :
Vénus tend son piège et propose la lampe fatale sous un déguisement, lampe avec laquelle Psyché, conformément au cœur du mythe, découvre l'apparence de l'Amour et le réveille par mégarde. Vénus revient se révéler et s'enorgueillir de sa victoire. Cependant, si Psyché ramène la boîte des secrets de beauté de Proserpine depuis les Enfers, elle sera pardonnée. Psyché veut se suicider dans le Fleuve, mais le dieu qui l'habite lui offre son aide pour pénétrer aux Enfers.

Acte IV :
Quoique tourmentée par démons et Furies, Psyché découvre que l'Amour a intercédé pour elle, et on lui remet le présent.

Acte V :
Psyché, soucieuse de raviver sa beauté, ouvre la boîte et s'évanouit. Vénus se moque à nouveau d'elle, mais Jupiter intervient, élevant Psyché au rang d'immortelle, ce qui satisfait soudain la déesse. Réjouissance générale.



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Persécution des Furies.



4. Implications sur le livret

Les personnages de la version de 1671 sont conservés et l'action sensiblement identique, en revanche les caractères se révèlent considérablement simplifiés ; les sœurs ne sont plus vaniteuses (ni drôles) ; le roi ne se répand plus en de nobles discours théoriques sur la douleur… tout est réduit à sa plus simple expression. On est passé du théâtre parlé au format beaucoup plus concis du livret d'opéra.

Ce caractère stéréotypé de l'expression théâtrale lyrique avait été théorisé par Quinault : il est indispensable de comprendre le texte, aussi, si un mot échappe, il faut que les expressions puisent dans des formules figées, faciles à retrouver même si la diction fait défaut.

Il est à noter que Fontenelle a ensuite, comme pour Bellérophon l'année suivante (où s'était en plus incrusté Boileau), revendiqué la paternité du livret délégué par son oncle Thomas Corneille après en avoir élaboré le plan. Il est un fait que l'œuvre n'a pas paru dans l'édition d'époque du théâtre complet de Th. Corneille, tandis que celle, plus tardive, forcément, de Fontenelle, les inclut.
[Au demeurant, ils peuvent bien se les disputer par postérité interposée : ce ne sont des livrets à la gloire ni de l'un ni de l'autre, surtout Psyché, considérant les chefs-d'œuvre qu'ils ont par ailleurs produits : Médée pour le premier, Énée & Lavinie pour le second…]



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5. Moments musicaux

Malgré l'atmosphère de plainte un peu uniforme, l'assemblage disparate des numéros musicaux (même s'il est abusif, pour le LULLY d'après Cadmus, de parler de numéros, les alternances entre récitatif et airs étant de plus en plus lissées), la qualité moindre de l'inspiration, Psyché a ses beaux moments :

► Acte I :
    ● Trio de plaintes « Pleurons » (les sœurs Aglaure & Cidippe, et Lycas, qui apporte la nouvelle), le plus bel ensemble de l'œuvre – pas le plus original de LULLY, mais très poétiquement réalisé sur une durée respectable.
    ● La longue plainte italienne (une femme affligée, et deux hommes affligés qui la rejoignent par moment). Je n'aime pas beaucoup ce passage très décoratif, mais ce fut un hit à l'époque (justement l'un des arguments de vente de Psyché tragédie en musique que cette reprise de l'un des succès de Psyché tragédie-ballet) ; par ailleurs son décalage avec la langue générale, sa durée le rendent très remarquable. Le seul import italien dans un opéra de LULLY (on en trouve plus tard – 1693 – dans Médée de Charpentier, en revanche).
    ● L'échange entre Psyché et le roi, qui lui annonce la nouvelle. À mon sens (mais les réguliers savent combien mon goût est déviant) le grand moment fort de l'œuvre, très bien écrit – la situation bien sûr, mais aussi les mots pudiques et intenses du père, le courage stoïque de Psyché –, et, également, le récitatif le plus animé, le plus mélodique de toute l'œuvre.

► Acte II :
    ● L'atelier des Cyclopes, avec ses figuralismes d'enclumes, un moment aussi unique dans le corpus que le fameux Chœur du Froid d'Isis.
    ● La scène de ménage la plus violente de LULLY : Vénus vient quereller Vulcain qui se met au service d'une autre femme, sa rivale, en lui bâtissant un palais alors qu'elle aurait dû mourir ; mais celui-ci lui jette à la figure qu'elle a beau jeu de se sentir lésée après l'avoir si souvent complaisamment cornufié. Ce dure un petit moment.
    ●● Il faut attendre les retrouvailles de Cham et de sa femme partie avec un ange déchu dans une nouvelle Sodome (!) dans Noé de Halévy & Bizet, ou le vingtième siècle, avec des situations réalistes de jalousie domestique, comme Intermezzo de R. Strauss ou Von Heute auf Morgen de Schönberg, pour rencontrer un tel emportement conjugal. [Il y a bien quelques maris vengeurs chez Martin y Soler ou Rossini, mais c'est dans un cadre plus formel de retour à l'ordre, et non pour goûter le simple plaisir de la vaisselle brisée – ici, rien n'est résolu, pur échange de noms d'oiseaux.]
    ●● Elle semble faire écho à celle d'Isis, où Mercure badine avec Iris pour la détourner de sa mission, causant tous deux à demi-mot d'amour avant de s'aviser du stratagème et d'en retourner à leurs devoirs concurrents, boudant. Néanmoins, contrairement à Isis, cette scène ne me paraît pas musicalement particulièrement marquante, ni même aussi savoureuse dans les mots.

► Acte III :
    ● De même que le monstre et le sauvetage de Psyché ont été étrangement abandonnés dans l'interstice entre les actes I et II (alors que la tragédie en musique est précisément conçue pour accueillir le merveilleux invraisemblable et le théâtre à machines !), la scène-clef de la lampe (et les doutes qui la précèdent) apparaît comme particulièrement peu spectaculaire, y compris dans son traitement musical.
    ● On retrouve cette confrontation mi-tragique mi-comique (elle existe aussi dans le dépit jaloux de Sangaride & Atys à l'acte IV d'Atys) dans la nique que fait Vénus à sa rivale, à la fin de l'acte III, avec des réponses non dénuées d'insolence chez Psyché, ce qui allège quelque peu la solennité du moment (elle tente de se suicider juste après, tout de même). Au demeurant, il ne se passe pas grand'chose musicalement ici.

► Acte IV :
    ● Le trio des Furies est très réussi, court, uniquement un numéro musical, mais écrit dans la meilleure veine des ensembles LULLYstes. LULLY a écrit une scène de ce genre infernal pour tous ses opéras, sous des formes diverses (remplacés par la malédiction de Mars à la fin du III de Cadmus). Celle-ci, à défaut d'être probante dramatiquement (collage assez maladroit d'une mission sans lien avec l'intrigue, rien que pour ménager un acte – très court d'ailleurs – dans les Enfers), se distingue musicalement.

► Acte V :
    ● Belle chaconne finale – uniquement instrumentale, mais déjà témoin du style de la maturité, non sans parenté avec celle à venir de Phaëton (1683).



psyché
Itinéraire bis suggéré par La Fontaine : au lieu du Fleuve, la barque de Charon.



6. Raisons d'une absence

On peut comprendre que, considérant qu'on ne disposait pas avant l'intégrale en cours de Rousset, culminant en 2010 par l'indispensable résurrection par Les Talens Lyriques de Bellérophon (qui n'avait pas été joué depuis 1911 à Rouen, semble-t-il !), ni avant les deux disques d'O'Dette & Stubbs (Thésée et Psyché II, donnés quelquefois, jamais gravés), de la totalité des opéras de LULLY, cette Psyché, probablement le moins bon opéra de LULLY, ait été négligée par les ensembles spécialistes. Thésée avait au moins pour lui d'être l'opéra le plus joué en France jusqu'au premier tiers du XVIIIe siècle – et de débuter de façon complètement extraordinaire (avant de devenir irrémédiablement ennuyeux pendant quatre actes, trouvé-je).

Les arguments pour monter Psyché, dans un secteur de niche où il y avait de toute façon beaucoup de chefs-d'œuvre à jouer, étaient raisonnablement moindres.

À ce jour, on n'a eu que Malgoire en 1987 à Aix (à une époque où Malgoire jouait le baroque français de façon que nous trouvons peu musicologique aujourd'hui), O'Dette & Stubbs à Boston en 2007 (d'où émane le disque CPO, avec tout de même Carolyn Sampson, Karina Gauvin, Mireille Lebel et Olivier Laquerre) et des extraits à l'église luthérienne Saint-Pierre à Paris en 2010 par l'ensemble semi-pro Les Muses s'aMusent (j'y étais !). Christie n'a joué, en 1999, que Psyché I. Il manquait donc vraiment une version complète contrairement aux Muses et un peu plus ardente qu'O'Dette & Stubbs.

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Adieux de Psyché.



7. Un projet et une représentation au CRR de Paris

Cette notule vient après avoir entendu, non pas le disque O'Dette / Stubbs (tout à fait valable et valeureux, mais assez peu incarné : déclamation peu mise en avant, voix banales, maintien raide des récitatifs, couleurs un peu grises), mais après une représentation donnée au CRR de Paris par des étudiants du CRR en chant et danse, avec un orchestre issu des CRR de Paris et Versailles, mais aussi du Pôle Supérieur de Boulogne-Billancourt et du Conservatoire Départemental d'Orsay – c'est-à-dire quelques-uns des meilleurs lieux de formation à cette musique (le CRR de Cergy et à plus petite échelle le Conservatoire d'arrondissement de Paris VIIe font aussi ce travail de spécialisation et de formation de la future élite baroque française).

Préparés par Patrick Cohën-Akenine, dirigés par Stéphane Fuget, avec mise en scène (Manuel Weber), chorégraphie (Sabine Ricou), gestuelle et prononciation restituées (Lisandro Nesis), c'était un travail très complet qui était offert. Mieux qu'un travail, une véritable représentation de niveau professionnel.

Double défi que celui de produire un travail de cette qualité, et de le mettre au service d'une œuvre par essence plus difficile. Avec les niveaux en présence, on pouvait s'assurer un succès facile avec un Giulio Cesare ou un Don Giovanni. Merci d'avoir été au bout de la démarche.



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Début du fugato de l'Ouverture – à cinq parties, caractéristique de l'écriture à la française, prévue pour les 5 familles de violon.



8. Moyens instrumentaux

Car c'est une immersion totale : les jeunes musiciens jouent sur les 24 Violons du Roy (d'où la présence capitale de Patrick Cohën-Akenine) prêtés par le CMBV, c'est-à-dire avec les 6 dessus, 4 hautes-contre, 4 tailles, 4 quintes et 6 basses de violon, tous différents des violons, altos et violoncelles actuels, avec une tenue par ailleurs plus basse de l'instrument comme des archets ; même les basses de violon voient leur prise d'archet avancée un peu plus vers le centre de la baguette. Avec cela, un continuo de 2 violes de gambe et 1 basse de violon, avec jusqu'à 4 théorbes dans les tutti (1 en temps de récitatif) et bien sûr clavecin et orgue positif.

Je n'aime pas trop ce dispositif, qui privilégie le fondu par rapport à l'instrumentarium traditionnel plus aéré, où les lignes paraissent plus indépendantes, mais ce trait n'était finalement que peu audible, eu égard à la qualité de l'exécution.



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Déploration de Lycas et des sœurs.



9. Moyens scéniques

Sur scène aussi, restitution : rhétorique gestuelle d'époque et, c'est plus frustrant, la prononciation restituée du français – autant j'aime beaucoup la discipline qu'elle implique dans la pensée de la langue parlée (je ne rechigne pas moi-même, on vous le dira, à réciter Saint-Amant en public en prononciation Louis XIII), autant dans la musique chantée, où le compositeur a déjà contraint le galbe de la parole, elle ajoute surtout à l'inintelligibilité, et conduit les voix à décentrer leur placement. Alors qu'on dispose de jeunes artistes francophones qui pourraient nous proposer un français limpide, le résultat est généralement un peu grimaçant, sauf chez quelques rares spécialistes.

Mais cette représentation est aussi l'aboutissement d'un parcours de formation : les instrumentistes pourront être amenés à jouer sur des copies d'instruments assez différents de leur cui-cui traditionnel et les chanteurs n'échapperont pas, un jour ou l'autre, à une production en restitué.

Plus gratifiant pour le public, véritable travail sur les agréments et ornements chez les chanteurs, très abouti, avec de véritables diminutions très belles et cohérentes, des accents expressifs maîtrisés comme chez les meilleurs spécialistes, bravo.
[Ayako Yukawa (Vénus) osait ainsi un chant presque parlé, représentatif de ce qu'on peut lire des écrits du temps sur la façon des Français de ne pas vraiment chanter.]



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Vulcain exhorte les Cyclopes au Palais d'Amour.



10. Quelques chanteurs

Autre point très positif : aucun chanteur médiocre (on avait un peu souffert précédemment avec des voix diversement abouties, dont un ténor pas du tout en maîtrise qui tenait les rôles exposés de haute-contre dans du Campra…), tous (issus pour la plupart des classes d'Isabelle Poulenard et Howard Crook, je suppose) maîtrisent les principes du chant, et un certain nombre que je vais saluer en particulier peuvent même espérer une très belle carrière, au moins dans ce répertoire !

        ∆ Claire-Élie Tenet (Psyché) était annoncée souffrante, et en effet, elle devait s'accommoder d'une émission voilée qui n'irradiait pas comme dans la récente Messe en si mineur de Lioncourt ; je crois néanmoins que la voix a des qualités a faire valoir dans un répertoire plus lyrique – ductile avant d'être déclamatoire. J'ai hâte de la réentendre dans son état

    ∆ Apolline Ray-Westphal (Vertumne et l'Amour), très finement focalisée, claire, sonore, bien incarnée dans le détail des mots, un régal et une voix déjà prête pour la carrière dans ce répertoire.

    ∆ Aussi remarqué Anaelle Le Goff (Cidippe, la seconde sœur), superbe halo vocal dans une tessiture pourtant très basse pour un soprano. Reste à affermir la déclamation (mais la diction est saine, en réalité, et parvenir à maintenant la liberté des voies aussi bas, chapeau).

    ∆ Je n'aime pas beaucoup l'interminable plainte italienne ; d'autant plus impressionné par la densité (du timbre, de l'expression) de Marie Théoleyre qui magnétise cette scène.

    ∆ Chez les Messieurs, trois basses assez exceptionnelles : le noble Fleuve de Guillaume Vicaire, l'Affligé et la Furie d'Antoine Amariutel (voix de basse complètement timbrée, il est prêt techniquement, on va se l'arracher, ces voix sont rares), le Roi d'Eudes Peyre, très sûr, mais avec un aigu allégé et éclairci, qui lui permet de phraser avec plus d'expression, idéal ici, dans ce récitatif – plus beau moment de tout l'opéra.
        On était loin des natures généreuses et mal domestiquées des habituels étudiants basses. Et vu la disette de ce type de voix dans ce répertoire… je me souhaite de les revoir.

    Enfin, Maxim Jermann, ténor prometteur pour ce répertoire : l'aigu, quoique facile, se pare de belles résonances pharyngées façon Auvity… Les notes (dans une tessiture haute très difficile) sont sans tension ; un véritable caractère vocal se dégage, c'est précieux (et rarissime chez les ténors).

J'espère les réentendre souvent – c'est qui est arrivé à Eugénie Lefebvre et Hasnaa Bennani peu de temps après une superbe production du Pouvoir de l'Amour (opéra-ballet de Royer) du CRR – où je les avais aussi distinguées.

Ce spectacle sera redonné à la salle des fêtes de Saint-Prix (Val d'Oise) dimanche 21 janvier. LULLYstes, allez-y.

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Adieux de Psyché.



11. Le son

Conclusion : il nous manquait une version pleinement représentative de cette œuvre non sans pièges –  que nous pouvons considérer avoir désormais (en dépit du raccourcissement de l'acte V, d'où disparaissent Mars, Mome, Silène et les Satyres !).

[C'est mal, j'en conviens mais je me suis fait une copie à fins personnelles, hors de question de ne pas pouvoir réécouter ça !]


Comme je n'ai pas eu de réponse des concernés pour diffusion d'extraits (dommage, tout à leur gloire) et que je n'aurai pas le temps avant quelques jours de les retirer et remplacer si jamais c'est le drame, ce seront des extraits du disque CPO. Il faudra donc vous déplacer pour entendre leurs voix.

Et merci à P. L. et Érik sans qui, malgré ma veille minutieuse, ce moment immanquable aurait échappé !



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Chez La Fontaine, Psyché – plus futée – apaise Cerbère pour entrer aux Enfers, dont la mythologie fait finalement un véritable moulin (Orphée y part en balade, Pollux va y faire son marché, sans parler d'Alcide qui y passe son temps libre pour une raison ou une autre).



12. Sur Carnets sur sol

Je vous invite bien sûr à vous replonger dans les notules LULLY, en particulier celle qui récapitule les caractéristiques dramaturgiques, les moments forts musicaux et les versions discographiques de tous ses opéras.

Il existe aussi deux entrées consacrées à d'autres Psyché : inédit d'Ambroise Thomas et ballet de César Franck.

vendredi 22 septembre 2017

Opéras 2017-2018 : raretés et beaux plateaux en Province


Comme chaque année, quantité de bijoux vont circuler à travers le territoire hexagonal (et étranger proche). En particulier à Bordeaux, Lyon, Tours ou Toulouse, mais pas seulement.

Cette année le centre du monde lyrique se trouve incontestablement à Bordeaux, dont toutes les productions suscitent le plus vif intérêt. J'y débute donc mon tour de France. Contrairement aux précédentes éditions, je me suis dit que le lieu était peut-être plus déterminant que les styles : on voyage plus volontiers dans une ville pas trop distante, quitte à étendre ses choix. Et cela procure aussi une visibilité sur les dominantes des différentes maisons. [Retours appréciés sur la question, si vous vous en servez / avez une opinion.]



N.B. : La cote en putti d'incarnat suit la cote « spectacle vivant » et non celle habituelle des disques.

Cote d'intérêt d'œuvre, si elle est rare, pour vous aider à vous déterminer (je ne vais pas me risquer à me prononcer sur les intérêts relatifs de la Flûte vs. Traviata vs. Lohengrin…).
un putto d'incarnat : dispensable
un putto d'incarnatun putto d'incarnat : intéressant (avec des réserves)
un putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnat : stimulant
un putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnat : grisant
un putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnat : depuis tout ce temps qu'on l'attendait !

Cote d'attente d'interprétation. Par essence, contrairement aux œuvres qui existent déjà, elle n'est qu'une projection de probabilités (subjectives de surcroît…).
un putto d'incarnat : ouille
un putto d'incarnatun putto d'incarnat : inégalement attirant
un putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnat : très appétissant
un putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnat : exceptionnel
un putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnat : potentiellement une référence à venir




En Province


Bordeaux :
Bellini – Il Pirata un putto d'incarnatun putto d'incarnat
Ce n'est pas l'œuvre du siècle, assez loin des grands aboutissements de Bellini (même de La Straniera et des Capuletti, voire de la Sonnambula), du belcanto assez pâle à mon gré (sans les petites finesses harmonies ou les joliesses d'orchestration dont il est coutumier par ailleurs). Mais c'est rare. De la distribution, je ne connais que René Barbera (excellent ténor spécialiste), et Adèle Charvet dans le petit rôle d'Adele. Si le reste est du même niveau, ce sera très beau.
Offenbach – La vie parisienne un putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnat
Pas l'œuvre majeure du répertoire, mais dirigé par Minkowski avec Gillet, M.-A. Henry, Extrémo, de Hys, Fouchécourt, Barrard, H. Deschamps. Uniquement des chouchous, et uniquement de grands interprètes.
Debussy – Pelléas et Mélisande un putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnat
Avec Minkowski, Skerath, Brunet, Barbeyrac, Duhamel et Varnier !  Quelle distribution éclatante, complètement francophone de surcroît – et de quelle façon !  Petite curiosité, la mise en scène est assurée par Philippe Béziat, qui avait tourné le documentaire autour de la création russe de Pelléas en juin 2007 – par Minkowski et Py.
R. Strauss – Elektra un putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnat
Avec Brimberg, M.-A. Henry, Palmer, Alvaro, Mortagne, Delunsch (dans les élans de la Cinquième Servante !), et dans les rôles minuscules Morel, Pasturaud, Legay, Tachdjian, Tréguier !  Même au disque et en studio, j'ai peu vu de distributions aussi exaltantes : le duo épique des sœurs, la Cinquième Servante, l'ultra-luxe de chaque petit rôle…
Henri Rabaud – Mârouf, savetier du Caire. un putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnat
Un opéra rare foisonnant, très riche et fantaisiste, qu'on peut conseiller à tous : beaucoup de matière musicale, beaucoup d'action, mise en scène traditionnelle (mais animée) très chatoyante pour les novices, et distribution de feu : Bou, Santoni, Teitgen, et puis dans la constellation de petits rôles importants Legay, Contaldo, Leguérinel, Peintre, Tachdjian, Yu Shao – toutes personnes dont l'éloge a déjà été fait dans ces pages.
Boesmans – Pinocchio un putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnat
La nouvelle production Boesmans-Pommerat, après le succès remarquable d'Au Monde (sorte de langage de Pelléas atonal placé dans l'univers théâtral désabusé d'aujourd'hui), prend à nouveau une distribution remarquable (Briot, Lhote, Auvity, Le Saux…), et va tourner en France. Intriguant et très attirant. La cotation n'exprime que l'attente, puisque personne ne l'a encore entendu !
Annoncé pour 2018 en Île-de-France (Athénée à l'automne ?).

◊ Seule production peu attirante, la Lucia de Donizetti avec Behr et Sempey, qui va agréger à peu près tout ce que je n'aime pas en chant – mais ce ne sera pas vilain non plus, loin s'en faut. Et il y aurai Thomas Bettinger (Arturo) et François Lis (Raimondo).


Toulouse :
d'Albert – Tiefland un putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnat / (un putto d'incarnatun putto d'incarnat)
Certes avec Schukoff, Brück et Flor, donc pas la fête de la glotte facile ni des baguettes élancées, mais tout de même, ce petit bijou de romantisme décadent – plaqué sur un livret réaliste, sorte de Wally allemande, à ceci près que la musique en est remarquable…
Puccini – La Rondine un putto d'incarnatun putto d'incarnat
De la conversation en musique dans le genre lyrique italien. Je ne suis pas un inconditionnel (ça sirupise beaucoup), dans le genre Wolf-Ferrari a beaucoup mieux réussi la juste mesure, à mon sens. Mais c'est peu donné.


Limoges :

Piazzolla – María de Buenos Aires
Je suppose que ce dépendra beaucoup du parti pris lyrique ou non. (Je me rends compte que je ne l'ai jamais écouté, alors que ça pique ma curiosité depuis lontemps !)
Bizet – Les Pêcheurs de perles un putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnat
Avec Guilmette, Dran et Duhamel. Là encore, du très bon francophone !  (Duhamel y était tout bonnement miraculeux il y a un peu plus d'un lustre. La voix a changé vers plus de noirceur, moins de clarté, d'impact et d'aisance en haut, il faut voir. Mais ce sera très beau de toute façon.)


Rennes :
Gounod – Le Médecin malgré lui un putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnat
Rare, et agréable.
Zemlinsky – Der Zwerg un putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnat
Un opéra court assez régulièrement donné en France (et la Tragédie florentine doit être dans le top 5 ou 10 des opéras du XXe montés en France…). L'intérêt réside particulièrement dans la prise de rôle de Mathias Vidal, le chanteur le plus éloquent en activité – jamais entendu en allemand pour ma part, en italien il est quasiment aussi excellent qu'en français. La voix a gagné en largeur, et il a démontré qu'il pouvait tenir, malgré sa nature de départ, de véritables rôles lyriques. Ici, on est à la frontière du très grand lyrique, voire du dramatique (surtout à l'échelle italienne !), mais l'orchestre ne concurrence pas trop, je suis très curieux d'entendre le résultat.


Angers-Nantes :

1 opéra-comique d'Hervé : Mam'zelle Nitouche
1 opérette de Messager : Les P'tites Michu
Haendel – Rinaldo un putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnat
Dirigé par B. Cuiller, avec Negri, Dolié et surtout Benos – le seul contre-ténor en activité, avec Bejun Mehta dans un genre plus héroïque, qui me paraisse vraiment doté d'un impact physique et d'une capacité de diction. Je n'aime pas faire de généralités abusives, mais vraiment, tous les autres altos masculins que j'ai entendus en salle, même ceux qui sonnent bien en retransmission et au disque (Fagioli, Čenčić…) n'ont aucun impact sonore, même de près, et s'expriment dans une certaine bouillie verbale. C'est très bien dans le répertoire sacré (en particulier dans les chœurs et les ensembles), mais pour tenir des solos dans des situations dramatiques, ça ne fonctionne vraiment pas bien. Sauf Benos, passionnant jusque dans le lied.
[Tournée à Quimper, Besançon, Saint-Louis, Compiègne, Dunkerque, Charleroi, Mâchon, La Rochelle.]
Berlioz – La Damnation de Faust un putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnat
Avec Hunold, Spyres, Alvaro. Ça vient de se terminer et c'était semble-t-il hautement satisfaisant.


Tours :
Gounod – Philémon et Baucis un putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnat
Pas le Gounod le plus saillant (un peu uniformément doux…), mais rarissime, à l'occasion de l'anniversaire.
Tchaïkovski – Iolanta un putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnat
Le dernier opéra de Tchaïkovski semble s'imposer durablement sur les scènes européennes. Pas du niveau constant de ses deux précédents, toujours au répertoire (Onéguine et Dame de Pique, sommets assez absolus du genre opéra), mais un joli conte aux couleurs plus françaises, moins prodigue en épanchements lyriques. J'aimerais bien qu'on nous donne aussi les premiers, qu'on ne joue jamais (L'Enchanteresse en particulier, mais je ne dirais pas non à Vakoula ou au Voïévode !).
Rimski-Korsakov – Mozart et Salieri un putto d'incarnatun putto d'incarnat
Mise en musique littérale de portions des saynètes de Pouchkine, sous une forme très récitative. Pas évident pour les non-russophones, et pas très chatoyant en tout état de cause, mais change de ce qu'on joue majoritairement.
Britten – A Midsummer Night's Dream un putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnat
Non sans longueurs, mais non sans charmes (les chœurs, les répliques de Puck !).


Caen :
Hervé – Les Chevaliers de la Table Ronde un putto d'incarnat / (un putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnat)
Vraiment pas grand intérêt musical ni scénique, sans être sublimé par l'interprétation pour ce dont j'ai pu juger par la retransmission (en tournée depuis deux ans).
Marais – Alcione un putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnat / (un putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnat)
Production de l'Opéra-Comique (Savall / L. Moaty).
Poulenc – Dialogues des Carmélites un putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnat
Production du théâtre des Champs-Élysées dans la belle mise en scène de Py, avec sa distribution affolante : Petibon-von Otter-Gens-Devieilhe-Koch-Barbeyrac-Cavallier (et Piolino, Hys et Lécroart dans les petits rôles !).


Rouen :
Cherubini – Médée un putto d'incarnatun putto d'incarnat
En version française, avec Hervé Niquet.


Lille :
Mozart – Così fan tutte un putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnat
Par Haïm et Honoré. Avec Azzaretti, Arduini et Rivenq qui seront excellents. Autres interprètes inconnus de moi (Mantashyan, Verrez, Giustiniani).
Offenbach – Le Roi Carotte un putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnat / (un putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnat)
Reprise de la production Pelly : Schnitzler, Mortagne, Beuron, H. Mas, Gay, Grappe, Briot…
Zemlinsky – Der Zwerg un putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnat
Un opéra court assez régulièrement donné en France (et la Tragédie florentine doit être dans le top 5 ou 10 des opéras du XXe montés en France…). L'intérêt réside particulièrement dans la prise de rôle de Mathias Vidal, le chanteur le plus éloquent en activité – jamais entendu en allemand pour ma part, en italien il est quasiment aussi excellent qu'en français. La voix a gagné en largeur, et il a démontré qu'il pouvait tenir, malgré sa nature de départ, de véritables rôles lyriques. Ici, on est à la frontière du très grand lyrique, voire du dramatique (surtout à l'échelle italienne !), mais l'orchestre ne concurrence pas trop, je suis très curieux d'entendre le résultat.

Tourcoing :
Debussy – Pelléas et Mélisande un putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnat
Très appétissante version : à la perspective intriguante d'écouter Malgoire diriger ce répertoire, s'ajoute une distribution où figurent uniquement (hors Andrieux, et Devieilhe et ses soirs) des diseurs baroqueux !  Devieilhe en alternance avec Reinhold (pas du tout les mêmes caractéristiques, ce serait étonnant de comparer !), Andrieux, et puis Buet, Haller, Delaigue, Faraon, Buffière !

Reims :
Grétry – Richard Cœur de Lion un putto d'incarnatun putto d'incarnat
Emblématique sans être majeur, on ne peut néanmoins considérer avoir vécu sans entendre « Ô Richard, ô mon roi » et bien sûr l'ariette de Laurette chantée de façon complètement désarticulée par la vieille Comtesse dans la Dame de Pique de Tchaïkovski.
Bizet – Les Pêcheurs de perles un putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnat
Avec Guilmette, Dran et Duhamel. Là encore, du très bon francophone !  (Duhamel y était tout bonnement miraculeux il y a un peu plus d'un lustre. La voix a changé vers plus de noirceur, moins de clarté, d'impact et d'aisance en haut, il faut voir. Mais ce sera très beau de toute façon.)


Metz :
Saint-Saëns – Samson et Dalila un putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnat
Avec Kamenica, Furlan, Duhamel, Bolleire !  Sans doute pas très intelligible chez Kamenica (mais quel fruité !), et francophones remarquables et vaillants pour les autres.
☼ (On annonce Sigurd de Reyer en début de saison prochaine !)


Nancy :
Massenet – Werther un putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnat
Avec Montvidas et d'Oustrac. Probablement pas totalement idoine, mais très intriguant assurément, et sans doute original et… différent !


Strasbourg :

■ Saison étrange, très peu de titres grand public, beaucoup d'arrangements et de contemporain.
Zandonai – Francesca da Rimini un putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnat
L'œuvre, langage italien de la mouvance pucciniste, est mâtinée d'aspects plus richardstraussiens, un beau mélange sonore, même si le livret est particulièrement immobile – une action par acte, dans un rythme dramatique qui n'excède pas de beaucoup Lohengrin (Parsifal, à côté, c'est The Naked Gun III). Après une assez longue éclipse dans tout le milieu du XXe siècle, elle semble être programmée à intervalles assez régulier en Europe ces dernières années (à un échelon moindre, un peu comme Hamlet de Thomas, Die tote Stadt de Korngold ou les Janáček).
Manoury – Kein Licht un putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnat
Manoury fait partie des rares compositeurs atonals en activité à être capable d'écrire réellement bien pour le drame et la voix. Très curieux de voir ça très bientôt à l'Opéra-Comique à Paris.


Dijon :
Mondonville – L'Amour et Psyché un putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnat
Un ballet en un acte qui n'a jamais été enregistré – style galant post-ramiste. En couplage avec le merveilleux Pygmalion Avec Bennani de Rameau., Léger, Sicard (et Mechelen Jr. dans Pygmalion), le Concert d'Astrée.

Verdi – Simone Boccanegra
Pas souvent donné en Province, j'ai l'impression.
Boesmans – Pinocchio un putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnat
La nouvelle production Boesmans-Pommerat, après le succès remarquable d'Au Monde (sorte de langage de Pelléas atonal placé dans l'univers théâtral désabusé d'aujourd'hui), prend à nouveau une distribution remarquable, différente de Bordeaux (Briot, Degout, Beuyron, Boulianne, Munger…), et va tourner en France. Intriguant et très attirant. La cotation n'exprime que l'attente, puisque personne ne l'a encore entendu !
Annoncé pour 2018 en Île-de-France (Athénée à l'automne ?).

Saint-Étienne :


■ Depuis l'expulsion de Campellone, qui vient désormais plus régulièrement à Paris pour combattre la pénurie de concerts (…), pour notre plus grand plaisir… Saint-Étienne n'est plus, hélas, le même centre d'exploration du répertoire massenetien et du XIXe français tardif.
Cilea – Adriana Lecouvreur un putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnat
Là aussi, peu donnée en France. Pour ma part, j'adore les parties comiques (début du I et du III), c'est-à-dire à peu près toutes les scènes de Michonnet, dans une veine archaïsante qui n'empêche pas la virtuosité ; beaucoup moins toute la partie sérieuse, où les gros motifs sont rabâchés à coups de doublure voix-orchestre, vraiment pas du grand raffinement. Et puis cette fin supposément pathétique (et tellement peu XVIIIe, malgré le sujet « réaliste ») qui vient conclure un vaudeville que je trouve plutôt fendard…


Lyon :

■ Pour la première fois depuis bien des années, Lyon n'est pas l'Opéra doté de la plus belle programmation de France – je mets de côté l'Opéra-Comique qui, en abandonnant le grand répertoire à Garnier, Bastille et Champs-Élysées, peut se spécialiser dans les répertoires qui me plaisent. Néanmoins, si Bordeaux fait carton plein, Lyon représente cette saison encore un très solide dauphin !
Mozart – Don Giovanni un putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnat
Avec Montanari, le très charismatique Sly (le rôle doit lui aller comme un gant), l'inaltérable Buratto, l'expressif Ketelsen – certes, il y a Julien Behr et ses limites, mais ce n'est pas non plus de quoi sortir fâché. Très prometteur.
Rossini – La Cenerentola un putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnat
Mise en scène de Herheim en coproduction avec Oslo, direction musicale du spécialiste Montanari (et Cyrille Dubois en Prince), de quoi rehausser la seule reprogrammation d'un classique.
Verdi – Attila un putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnat / (un putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnat)
Des longueurs assez peu exaltantes (les duos des amoureux, peu tourtereaux au demeurant), mais aussi des moments impressionnants comme les affrontements entre Attila et l'Ambassadeur de Rome, ou ses songes terrifiants. Avec T. Serjan, Markov, Ulyanov. Et visite à Paris ensuite.
Verdi – Don Carlos un putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnat
Version française de ce standard. Production d'Honoré, et belle distribution : S. Matthews, Romanovsky, Degout, Pertusi, Scandiuzzi, Bolleire.
Rimski-Korsakov – Mozart et Salieri un putto d'incarnatun putto d'incarnat
Mise en musique littérale de portions des saynètes de Pouchkine, sous une forme très récitative. Pas évident pour les non-russophones, et pas très chatoyant en tout état de cause, mais change de ce qu'on joue majoritairement.
Zemlinsky – Der Kreiderkreis un putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnat / (un putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnat)
Un des grands Zemlinsky les moins joués, servi par une brochette de spécialistes : L. Koenigs à la direction, Beller Carbone, G. Fassbender, (Lauri) Vasar et le miraculeux Rügamer. Mise en scène d'un excellent directeur d'acteurs chantants, Richard Brunel.
Respighi – La Belle au bois dormant un putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnat
Une charmante miniature ni hardie, ni totalement archaïsante. Très séduisant.

☼ Comme si cela ne suffisait pas, sept (!) soirées avec le War Requiem de Britten « mis en scène », avec rien de moins que Chtcherbatchenko, Groves et L. Vasar !

Avignon :

♦ Deux titres légers (Des Land des Lächelns de Lehár et Les Mousquetaires au couvent de Varney).

Montpellier :
Verdi – Nabucco un putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnat
Pas si souvent donné en France, et avec Jennifer Check en Abigaille – il y a quinze ans, elle chantait formidablement Rusalka… Ça fait a priori plutôt très envie, si la voix a évolué harmonieusement (j'ai pourtant tâché de la suivre, mais les bandes américaines circulent moins bien, et je ne crois pas qu'elle ait fait une carrière gigantesque).
Grieg – Peer Gynt un putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnat
Avec Philipe Estèphee, Norma Nahoun et Marie Kalinine, direction Schønwandt.
Bizet – Carmen un putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnat
Je ne connais pas Robert Watson en José, mais Anaïk Morel et Alexandre Duhamel, je n'aurais pas choisi mieux si on m'avait demandé mon avis (et Piolino en Remendado !).


Marseille :

Neuf titres du répertoire léger : 1 J. Strauß II, 2 Offenbach, 1 Messager, 1 O. Straus, 1 Yvain, 1 F. Loewe, 2 Lopez !
Rossini – Tancredi un putto d'incarnatun putto d'incarnat / (un putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnat)
Il faut aimer le seria romantique, avec ses livrets remarquablement immobiles en compensation de son agilité glottique spectaculaire, mais il sera servi par les meilleurs spécialistes : Carella, Barcellona, A. Massis, Bolleire…
Donizetti – La Favorite un putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnat / (un putto d'incarnatun putto d'incarnat)
Une des plus belles réussites de Donizetti, dont la veine mélodique semble mieux s'épanouir loin des contraintes de l'agilité démonstratives, et dont le sens dramatique, sis sur un bon livret mobile, surprend. Distribution contrastée : Courjal devrait être un pontife fulgurant, mais il faudra supporter en regard l'engorgement et la diction de Margaine, et l'élégance discutable de Fanale (que j'anticipe mal, peut-être à tort, dans les souplesses et demi-teintes du répertoire français).
Verdi – Ernani un putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnat / (un putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnat)
Un livret certes privé du sel de son modèle (la censure tudesque n'a pas voulu du Roi dans l'armoire !), et une langue musicale encore très belcantiste, mais aussi de très belles choses – l'air d'entrée d'Ernani, le duo et l'ensemble de la chambre… Avec Hui He, Meli, Tézier, Vinogradov, dirigés par Foster.
Massenet – Hérodiade un putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnat / (un putto d'incarnatun putto d'incarnat)
Pas le Massenet le plus subtil, enfilade d'airs à forte couleur locale (supposément antique, donc), et donc assez dépendant des qualités individuelles. Il y aura Nicolas Courjal pour le monologue des Astres, et Lapointe pour « Vision fugitive » ; pour le reste, Mula, Uria-Monzon et Laconi, sans être du tout indignes, ne promettent pas une exécutionde la première grâce (disons).
(David) Alagna – Le dernier jour d'un condamné un putto d'incarnatun putto d'incarnat / (un putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnat)
Pas le grand opéra de son temps, avec une musique oscillant entre les innovations du début du XXe (Debussy, R. Strauss) et une laque de sirop post-puccinien par-dessus, un livret qui ne brille pas par ses nuances ni par la sobriété d'un verbe hautement littéraire… Néanmoins, tout cela est assez agréable, et servi, outre Alagna, par des artistes francophones de grande qualité (Dudziak, Ghazarossina, Ermelier, Martin-Bonnet…) et dirigé par Ossonce.




Dans les Provinces


Liège :
Bellini – Norma un putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnat
Avec Silvia Dalla Benetta (capiteuse et ardente), Kunde, J-.M. Lo Monaco et dirigé par le très détaillé, net et animé Zanetti (sa Luisa Miller dans les mêmes lieux était un modèle).

Bruxelles :

♦ Dallapiccola – Il prigioniero un putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnat / (un putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnat)
Avec Blancas-Gulín, Graham-Hall et Nigl.
[Couplé avec Das Gehege de Rihm, monodrame.]
♦ Poulenc – Dialogues des Carmélites un putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnat
Mise en scène de Py, avec des variations de distribution réjouissantes dans la distribution B : Altinoglu, et Gillet en Blanche avec M.-A. Henry en Lidoine, Deshayes en Mère Marie, et bien sûr Saelens en Premier Commissaire. Toujours Barbeyrac et Cavallier ; Brunet en Croissy.

Anvers :
♦ Donizetti – Le Duc d'Albe un putto d'incarnatun putto d'incarnat
Un Donizetti français assez pâle, où on retrouve l'absence de veine mélodique qui caractérise un grand nombre de ses titres italiens – on retrouve bien le compositeur de Bolena, Stuarda, Devereux, Borgia, Pasquale, plus que celui de La Favorite, L'Elisir ou Lucia.
♦ Korngold – Der Wunder der Heliane
un putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnat
Musique comme livret, si le vocable décadent a un sens… il s'incarne ici. Assez peu donné, surtout à portée de français…
♦ Prokofiev – Le Joueur un putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnat
Quasiment pas d'opéra russe en France cette année, hors Onéguine (voire Iolanta), et encore moins des titres rares. Dirigé par Dmitri Jurowski.


Lausanne :
Menotti – Amahl et les visiteurs du soir un putto d'incarnatun putto d'incarnat
Conte de Noël. Pas vertigineux, mais c'est assurément rare.


Monaco :


■ Toujours des distributions très prestigieuses et au cordeau, avec en particulier :
Verdi – I Masnadieri un putto d'incarnatun putto d'incarnat / (un putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnat)
Pas le meilleur Verdi, mais de beaux ensembles. Et une distribution de gens très concernés et adroits : Giannattasio, Vargas, N. Alaimo.
Gounod – Faust un putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnat
Avec Campellone, Calleja, Rebeka, Lhote.
Offenbach – Les Contes d'Hoffmann un putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnat
Avec Lacombe, Peretyatko (quatre héroïnes), Flórez, Courjal, R. Briand (4 valets) !  Ce serait bien qu'il soit retransmis, celui-là : ce sera très différent de l'ordinaire (Flórez moins dramatique, Courjal plus basse, Brian sans nul doute épatant, Lacombe toujours parfait dans ces répertoires…). Et avec toutes ces vedettes (même Burshuladze en Crespel !), une excuse toute trouvée à la diffusion.
Britten – Peter Grimes un putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnat
Avec José Cura.


Barcelona :
Donizetti – Poliuto un putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnat / (un putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnat)
Avec Callegari, Radvanovsky, Kunde, Salsi.
Wagner – Tristan und Isolde un putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnat
Mise en scène Ollé, avec Theorin et Vinke !
Rubinstein – Le Démon un putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnat / (un putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnat)
Très bel opéra pas si russe (largement teinté de Marschner) dans une production (probablement hardie) importé du Helikon de Moscou. Particulièrement rare sous nos contrées, un livret très prenant et de la belle musique.


Bilbao :

♦ Bellini – Norma un putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnat
Avec Axentii reconvertie en soprano, et dans l'autre distribution Tro Santafé et Kunde.
Verdi – I Masnadieri un putto d'incarnatun putto d'incarnat / (un putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnatun putto d'incarnat)
Avec Giannattasio, Stoyanov, Kares.
Britten – War Requiem
Avec le meilleur diseur (allemand) actuel, Thomas E. Bauer.



Je consacrerai une notule complète à l'intention des grands voyageurs, autour des opéras vraiment rares, eux, à voir en Europe.

mardi 4 octobre 2016

Donner, habiller les deux Faust – Ferbers/Wilson/Grönemeyer


Beaucoup d'autres choses (potentiellement plus intéressantes) à dire et à faire que d'évoquer les spectacles en cours, mais il est difficile de ne pas toucher un mot des deux Faust de Jutta Ferbers, Bob Wilson et Herbert Grönemeyer avec le Berliner Ensemble… Il est en tournée européenne et ne ressemble à rien (ou plus exactement à trop de choses à la fois) – plutôt dans le meilleur possible. L'occasion de remettre en perspective les problèmes liés au texte de départ.


1. Monter Faust : entreprise infondée et stérile

Les deux Faust sont peu ou prou impossibles à monter : trop longs, énormément de personnages, une esthétique en courts tableaux à la fois onéreuse et périlleuse pour la scénographie, de grandes tirades peu opérantes sur scène, et surtout une expression verbale très abstraite. Que des fleurs babillent, ce n'est pas si complexe à réaliser avec l'amplification d'acteurs hors scène, des projections ou un peu de second degré ; mais le contenu du propos lui-même est souvent érudit, philosophisant, voire cryptique.
        La chose est en particulier saillante dans la seconde partie, entre la réflexion sur pouvoir et servilité (la bizarre relation à l'Empereur – et aux petits vieux de la cabane – d'un Faust supposément tout-puissant) et les longues élaborations (peu explicites) autour de l'Homunculus. Les échanges du Walpurgis classique ne manifestent pas tous non plus un lien très étroit avec l'intrigue elle-même. Et que dire des longues élaborations dans le Ciel sur la Grâce, d'une façon qui n'est même pas réellement en relation avec les doctrines existantes… Tout cela, qui peut nourrir la curiosité d'un lecteur, devient plus difficile à tenir sur scène, surtout s'il faut intéresser un spectateur – et au théâtre, on ne peut pas édifier l'ignorant à coups de notes de bas de page, il faut que le message soit limpide pour le docteur comme pour le philistin.

Cependant le caractère central dans la culture européenne de ces deux textes (d'économie assez différente) les conduit à être souvent mis à l'épreuve de la scène. Le premier Faust a été rebattu sous toutes ses formes dans des milliards d'adaptations diversement fidèles ; le second, plus élusif, moins dramatique, doté aussi d'affirmations éthiques plus difficiles à absorber pour le public d'aujourd'hui (culturellement comme idéologiquement), s'y prête moins et n'est abordé qu'en relation avec le premier (sauf pour la Huitième de Mahler, qui ne s'occupe que de la conclusion du second Faust, mais ce n'est vraiment pas une œuvre qu'on pourrait qualifier de théâtrale…).

Au théâtre, les productions sont très régulières (allemandes surtout, bien sûr, la langue représentant une bonne partie de l'intérêt d'une œuvre versifiée à ce niveau de soin…) et occupent tous les segments : Faust I seulement, ou les deux, ou une adaptation synthétique, ou encore des inspirations très libres…
    À l'opéra aussi :
Faust I (Gounod, avec des morceaux entiers de traduction ; Berlioz, assez littéralement identique, même si la fin est complètement inventée – il me semble que le second Faust n'avait pas encore été publié en français à l'époque de la composition),
Faust I & II (Schumann, sous forme de scènes isolées, mais tirées au deux tiers du volume II ; Boito, qui tâche d'embrasser l'essentiel des deux intrigues – l'opéra durait quatre ou cinq heures à l'origine, donc la version de deux heures jouée depuis l'échec de la première va nécessairement au plus simple),
♦ des bouts (Mahler dans la seconde partie de la Huitième Symphonie utilise la fin de Faust II),
♦ des recréations-adaptations (Faustus, the Last Night de Dusapin recrée les dialogues – sa source n'est pas Goethe cela dit, même si l'on sent une empreinte dans le caractère badin de Méphisto),
♦ des sources non-goethéennes (Spohr, Busoni regardent plutôt du côté de la tradition pour l'un, de Marlowe pour l'autre).
Je me suis limité à ceux qu'on trouve le plus aisément au disque, il y en a quelques bonnes pelletées de plus (Schnittke par exemple).

Rien de tout cela ne rend vraiment compte de ce qu'est l'objet de départ. Ce serait encore Schumann qui, avec son aspect partiel et dépareillé, ses grands tunnels de texte et son acceptation de l'abstration, en serait le meilleur miroir – mais de la structure seulement, car la musique, sobre et déclamatoire, est aux antipodes de la bigarrure théâtrale créée par les deux Faust.

Certes, vu le nombre de candidats à l'adaptation scénique, ce demeure l'aporie la plus féconde de l'histoire du théâtre… mais vouloir le monter sur scène est forcément voué à un échec partiel (à supposer que l'œuvre elle-même soit complètement réussie, ce dont on peut débattre).


faust wilson
Cliché : Lucie Jansch pour le Berliner Ensemble.


2.  Qui ?

→ Texte adapté par Jutta Ferbers – essentiellement le choix de scènes et les coupures (très importantes) à l'intérieur de chacun, de façon à couvrir le plus de champ possible. Certains extraits sont cependant ajoutés, soit des emprunts (la lettre de Hamlet « Doute de la lumière », le chant du harpiste de Wilhelm Meister…), soit des textes nouveaux (le dernier dialogue, d'amitié, entre Faust et Méphisto). Mais ils restent l'exception : l'essentiel est constitué des vers de Goethe.

→ Mise en scène de Bob Wilson où, si l'on retrouve le goût des visages bleus et des ombres, la créativité impressionnera ceux qui ne connaissent que son travail à l'Opéra (en général assez prévisible et très statique). Ici au contraire, en permanence virevoltant et bigarré.

→ La plus grande bizarerie réside dans la musique confié à Herbert Grönemeyer, figure majeure de la pop-rock allemande des années 80 ; la vision musicale de la pièce est donc tout sauf patrimoniale dans cette production.

→ La troupe est celle du Berliner Ensemble, héritière directe de celle de Brecht. Les objets théâtralement hybrides (mêlés de musique) et musicalement hybrides (entre classique et musiques amplifiées) sont leur spécialité – nombreuses production de Weill, par exemple.


faust wilson
Cliché : Lucie Jansch pour le Berliner Ensemble.


3.  Pour faire quoi ?

Bien sûr, on s'en doute, l'association des brechtiens et du Théâtre de la Ville (délocalisé au Châtelet pour travaux) produit un objet certainement plus branchouille que grand public : il est difficile de suivre, je crois, si l'on n'est pas déjà familier des principales storylines de la pièce, voire du contenu des différentes scènes – difficile de comprendre les scènes de l'Empereur (ou même de Marguerite au rouet ou dans la cathédrale) si l'on n'a pas déjà lu le contexte.
    Mais on peut raisonnablement supposer que c'était le cas, au moins pour tout ce qui entoure Gretchen, des spectateurs susceptibles d'acheter une place au Châtelet pour voir le Berliner Ensemble.

[En tout cas, c'était plus prudent : à cause des projecteurs, le surtitrage n'était pas lisible depuis les trois derniers étages – second balcon, paradis, amphithéâtre !  Pour un opéra seria, je veux bien que ce soit négligeable ; pour une comédie musicale du répertoire, je veux bien que ce soit facile ; mais pour le Faust de Goethe en VO, même avec un public averti, je soupçonne que ça aurait pu être utile. Pierre Poujade me glisse qu'il y a des gens qui sont payés pour disposer efficacement le matériel du théâtre.]

Car, autrement, le résultat a quelque chose de très direct et accessible, constitué de saynètes courtes, toutes marquantes visuellement, très animées, multipliant les effets, les gags (toucher le mamelon des anges fait clignoter le ciel, le sécateur de Dame Marthe change l'éclairage, etc.), les moyens – beaucoup de styles musicaux sont convoqués, du quatuor à cordes au musical grand public, en passant par le flamenco et le tap dancing

Il s'agit plus d'une comédie musicale (ou en tout cas d'un spectacle très musicalisé) que d'une pièce de théâtre : l'accompagnement musical est quasiment constant, la parole très précisément rythmée (et déclamée d'une façon ample, quasiment chantée), la continuité narrative le cède au sens de l'atmosphère.
    Le niveau d'amplification, aussi, est celui d'un spectacle musical : la musique passe constamment par les haut-parleurs, même le quatuor à cordes et le piano dans la fosse, et le texte n'est pas seulement renforcé, mais totalement porté par les baffles.


faust wilson
Cliché : Lucie Jansch pour le Berliner Ensemble.


4. Structure

Grâce aux grosses coupures et aux très nombreux changements de décors (peu opulents mais très adroits, ça change en un rien de temps, sans bruit, mais on sent immédiatement qu'on a changé de lieu), on retrouve tout le plaisir du bric-à-brac d'origine. Très peu d'explicitations (les personnages sont en général identifiés clairement par le texte vers la fin de leur intervention), et des costumes ou des multiplications qui ne rendent pas les rôles immédiatement clairs.

Dans la fosse, quatuor à cordes (tous des noms et des physiques coréens, je me suis demandé pourquoi), guitare (et guitare basse), piano, quelques percussions, et puis plusieurs claviers (synthétiseurs, claviers-maîtres, ordinateurs avec des sons électroniques ou retraités déjà prêts).

Les numéros les plus marquants tiennent de la pop : chœurs à l'unisson, boîte à rythmes, émissions de poitrine larynx haut, mélodies conjointes, formules récurrentes, irrégularités du beat, le tout dans diverses formes canoniques (chœurs de réjouissance typique du musical, nombreuses ballades, le slow du Rouet, etc.).
    Mais on y rencontre aussi énormément de citations diversement littérales et discrètes :
► un agrégat façon Toccata Efüganräminör,
► une étude de Chopin (en sons électroniques – Op.25 n°12, il m'a semblé),
► les rythmes des paysannes de la Damnation de Berlioz,
► le début du Trio de Tchaïkovski au piano pour Hélène,
► un pastiche très voisin de la Valse de la Seconde Suite de Jazz de Chostakovitch, du simili-flamenco pour Kathrinchen (sérénade de Méphisto),
► un pastiche égyptien caricatural pour la Nuit de Walpurgis classique,
► un extrait de musique de chambre que je n'ai pas eu le temps d'identifier au vol (j'aurais dit un Schumann)
► … et même, pour terminer le grand écart, des clins d'œil très populaires (n'était-ce pas quasiment le générique d'X-files qu'on entendait imiter pendant les recherches métaphysiques du vieux Faust, ou bien simplement une coïncidence entre les banques de son et les veines mélodiques ?) et le sommet de l'érudition – là, pas de doute, la ballade du Roi de Thulé était chantée sur la mélodie écrite par Carl Friedrich Zelter, le seul compositeur proche de Goethe !  Et le moins qu'on puisse dire est que les monographies Zelter n'encombrent pas les étals des disquaires. Pourtant, c'est fort bien, Zelter, mais son univers reste très strophique, difficile d'y rencontrer les mêmes explorations fascinantes (ni la même aisance mélodique) que chez Schubert. D'ailleurs, à l'oreille, on aurait pu penser, à s'y méprendre, qu'il s'agissait d'une composition de Grönemeyer imitant une sorte de berceuse archaïsante.


faust wilson
Cliché : Lucie Jansch pour le Berliner Ensemble.


5. Projet théâtral


L'originalité du spectacle ne se limite pas à ce style sonore grand public un peu décalé par rapport à la majesté du sujet et du vers : le visuel est beaucoup plus travaillé – production Théâtre de la Ville, on a vous a dit. Bien sûr, la mise en scène de Wilson (tout à fait débridé, rien à voir avec ses profils immobiles à l'Opéra, à quelques tropismes bleutés près), très mobile, fait également le choix d'une lecture très badine, peu métaphysique, où l'on joue avant tout avec Méphisto – pas vraiment de métaphysique, et encore moins de questions de Salut et de Rédemption.
    Non seulement il s'agit de l'orientation générale du propos, mais les quelques modifications (surtout vers le dénouement) y concourent grandement : Faust ne meurt pas d'extase devant son grand projet altruiste, mais s'accroche à l'instant qui passe lorsque le Souci le rend aveugle ; il n'est pas non plus accueilli dans le Ciel par la Vierge et Magna Peccatrix, mais fait ami-ami avec Méphisto vers de nouvelles aventures. La métaphysique ne s'en est toujours pas remise.

Les débuts de tableau mettent très souvent en avant un extrait du texte, répété en boucle (comme excédant sa propre dramaturgie, en monument qu'il est devenu…), et tout le premier Faust recourt à des incarnations multiples : 4 Faust simultanément sur scène, 3 Margot, 2 Valentin. Seul Méphisto est unique. Le tout est régulièrement scandé de facéties et pitreries (cf . §3), et déclamé assez lentement, en synchronie avec l'orchestre, un discours extrêmement musicalisé, bigarré, rempli de bruits de scène.

La première partie, très raccourcie, va à l'essentiel des différents épisodes du drame de Gretchen (la séduction n'est qu'effleurée, la cathédrale (déplacée) à peine ébauchée par une réplique devant rideau et un peu d'orgue, Walpurgis ne dure guère, la prison paraît un bref songe) – avec un goût pour les épisodes moins emblématiques, moins portés sur la romance (plus intéressants, à vrai dire…) : la quête initiale (plus sous son angle scientifique que métaphysique, la dimension religieuse en étant plutôt gommée), le quatuor bouffon du jardin… en 1h30.

La seconde partie, plus longue (2h), est aussi plus discutable dans sa sélection, son adaptation et sa hiérarchie. On finit par percevoir les coutures, ou en tout cas la facture (retour des mêmes musiques, des mêmes types d'introduction aux scènes, avec les paroles se répétant dans une semi-obscurité, des mêmes postures) ; beaucoup de scènes de transition non parlées qui paraissent un peu gratuites (le guépard en slow motion dépassé par la Cour de l'Empereur, les claquettes de Méphisto…).
    On visite néanmoins la plupart des grands jalons de Faust II : la Cour de l'Empereur, l'homunculus, Hélène, la nuit de Walpurgis classique… Mais ce ne sont pas les choses les plus intéressantes dramatiquement : la Cour de l'Empereur reste une énigme (pourquoi un homme pourvu du pouvoir suprême irait-il quémander des faveurs en courtisan ? – davantage relié à l'esprit du temps qu'à l'universalité, je le crains), Hélène est plutôt commune, Walpurgis II amusante mais éclatée (assez bien raccourcie par Ferbers), et l'homunculus très abstrait pour une représentation théâtrale (il prend davantage sens dans la durée de la lecture intégrale).
    La compromission de Faust avec la cabane des vieillards est traitée de façon assez complète, beaucoup moins le grand dessein final. À Minuit, trois fléaux (parmi les quatre) du texte laissent la place au Souci ; Faust n'arrête pas l'instant sublime où il sauve l'humanité des marais, mais s'agrippe aux derniers instants misérables et déclinants de son existence. La suite est complètement inventée pour les besoin du spectacle et prive l'œuvre de sa résolution ambitieuse : Faust et Méphisto deviennent de bons copains et vont vers de nouvelles aventures. Pas d'ascension, pas de Ciel, pas de retour de Dieu. On se contente de chanter la fin de l'œuvre (le fameux Alles Vergängliche, mis en chœurs tournoyants par Schumann et Mahler) à la façon des grosses récapitulations de fin d'acte de musical. Refus délibéré de la transcendance, qui pose un problème – déjà que le texte de départ est, lui-même, problématique…

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En fin de compte, le résultat est assez jubilatoire (direct et sophistiqué à la fois) dans la première partie, moins dans la seconde où la nature du texte de Goethe, la sélection opérée, la durée et la répétition des mêmes effets créent facilement une petite lassitude. Néanmoins, spectacle complètement fascinant d'un Bob Wilson déchaîné, servi par des acteurs hors du commun (comme tout le monde, je suis ébloui par Christopher Nell en Méphisto, capable de parler et chanter avec des voix multiples, de grimper, de tap dancer, toujours mobile et charismatique, et sans jouer des facilités du grave cravaté ou de l'aigu pincé) ; ce Faust presque pop fonctionne complètement malgré toutes les préventions qu'on pouvait étaler a priori.

Imparfait, forcément, déséquilibré comme son modèle (entre cette histoire d'amour un peu banale et ces esquisses philosophiques plutôt fumeuses…), mais tout à fait fascinant : il est possible de monter les deux Faust, en tout cas en les violentant, raisonnablement.

lundi 29 août 2016

2016-2017 : les opéras rares en France et en Europe


Cette année encore, petit tour d'horizon des œuvres plus rares qui passeront en France (et en Europe) dans la saison à venir. Classés par genre (chronologique et linguistique).
♥ Indique la cotation d'un spectacle vu.
♣ Indique la supposition personnelle de l'intérêt du spectacle.
(1 indique plutôt un conseil négatif, à partir de 2 le conseil est positif, et de 3 plutôt vivement conseillé.)


putti napoleon bibliotheque compiegne
CSS à la conquête de l'Europe.
Étranges putti sexués – dont l'un aux traits de l'impératrice ! – dans le décor de la bibliothèque de Napoléon à Compiègne. Sur les bagages, il est inscrit Buon viaggo in Cor… (« Bon voyage en Cor… ») et Posa piano (« Repose-toi bien »).



PREMIERS OPÉRAS

Rossi – Orfeo – Bordeaux, Caen, Versailles
Encore présente cette saison, la production déjà en tournée la saison passée. Œuvre historiquement incontournable, remarquable musicalement, et servie au firmament par les artistes (Ensemble Pygmalion, et Francesca Aspromonte en Euridice). [notule] → ♥♥♥♥♥

Cavalli – Eliogabalo – Garnier
Un Cavalli rare, avec García Alarcón (grandement pourvu pour ce style), Fagioli et Groves. → ♣♣♣♣

Cavalli – La Calisto – Strasbourg
Le Cavalli emblématique, dans un environnement surprenant de talentueux non spécialistes : Rousset, Tsallagova, Remigio, Genaux, de Mey. → ♣♣♣



OPERA SERIA

Haendel – Israel in Egypt – Reims
Bijou absolu de l'oratorio (surtout si la version retenue contient la déploration d'origine). Avec les Cris de Paris et les Siècles, très appétissant. (Direction Jourdain, avec notamment Redmond, Boden et Buffière). → ♣♣♣♣

Vivaldi – Arsilda, regina di Ponto – Caen
Un Vivaldi rare, avec le fulgurant Vaclav Luks. → ♣♣♣ (parce que je n'aime pas plus le seria que ça, mais sinon…)

Porpora – Il Trionfo della divina giustizia – Versailles
Oratorio virtuose, avec le fin du fin de l'école seria française : Staskiewicz, Galou, et en prime Negri. → ♣♣♣ (idem)



OPÉRA FRANÇAIS XVIIIe

Lalande-Destouches – Les Éléments – Louvre
Extraits (excellent interprétés) de cet opéra-ballet paré d'un grand succès en son temps. Le disque vient de paraître et vaut vraiment le détour. → ♥♥♥♥

Marais – Alcyone – Favart
Retour d'une œuvre qui n'a pas, je crois bien, été rejouée depuis Minkowski au début des années 90. Le livret de La Motte n'est pas bon, et ce n'est pas le meilleur titre de Marais, mais les danses sont belles (et la tempête légendaire). Ce sera joué par Savall, qui n'a pas toujours brillé dans ce répertoire (il ne faut pas se fier aux disques Alia Vox, fabuleusement captés et traités, qui ne reflètent pas la sècheresse réelle de l'ensemble) ; il semble néanmoins s'être amélioré, et s'être entouré ici d'excellents spécialistes. → ♣♣

Rameau – Zoroastre – Versailles
Suite des explorations de Pichon, avec ce titre splendide très peu joué. Avec Piau, Mechelen, Courjal, Immler. → ♣♣♣♣

Boismortier – Don Quichotte chez la Duchesse – Compiègne
L'une des œuvres les plus jubilatoires de tout le répertoire de l'opéra. Néanmoins la production des époux Benizio rend discontinu ce qui était au contraire d'une densité extraordinaire (les ariettes ne font pas une minute, tout n'est que de l'action !). → ♥♥♥ (l'œuvre vaut le maximum, mais le résultat est ce qu'il est… mitigé)

Sacchini – Chimène ou le Cid – Massy, Saint-Quentin-en-Yvelines
Au milieu d'une production très plate, de très loin le plus bel opéra de Sacchini, par Julien Chauvin et son nouveau Concert de la Loge Olympique. → ♣♣♣♣

Salieri – Les Horaces – Versailles
Le dernier opéra français de Salieri, après Les Danaïdes et Tarare, deux chefs-d'œuvre absolus. Les espoirs sont grands, a fortiori en considérant le sujet et les conditions de remise à l'honneur : Rousset, Wanroij, Lefebvre, Dran, Dubois, Bou, Foster-Williams, Lefebvre ! → ♣♣♣♣♣

Lemoyne – Phèdre – Bouffes du Nord, Caen
Recréation d'un opéra de la fin de la tragédie en musique. Véritable découverte. → ♣♣♣♣



BELCANTO ROMANTIQUE

Rossini – Elisabetta, regina d'Inghilterra – Versailles
L'un des plus mauvais Rossini, pauvre comme un mauvais Donizetti : l'impression d'entendre pendant des minutes entières de simples alternances dominante-tonique, sans parler des modulations à peu près absentes, le tout au service d'une virtuosité qui ne brille pas forcément par son sens mélodique.
Pour compenser, une direction nerveuse sur instruments anciens (Spinosi & Matheus) et une distribution constellée de quelques-uns des plus grands chanteurs en activité, Alexandra Deshorties (une des plus belles Fiordiligi qu'on ait eues), Norman Reinhardt (Kunde redevenu jeune !), Barry Banks… → ♣♣

Rossini – Ermione – Lyon, TCE
Tournée lyonnaise annuelle, cette fois sans Pidò. Avec Zedda, Meade, Spyres, Korchak, Bolleire.

Rossini – Il Turco in Italia – Toulouse
Le plus bel opéra de Rossini, de très loin : un livret remarquablement astucieux que Romani (avec une posture méta- très insolite pur l'époque) emprunte à Mazzolà (il existe donc un opéra de Franz Seydelmann sur le même sujet, que je suis en train de me jouer, j'en parlerai peut-être prochainement) ; la musique est du meilleur Rossini comique, avec des ensembles extraordinairement variés et virevoltant, mais elle s'articule surtout parfaitement à un drame finement conçu.
Avec Puértolas, Corbelli (Geronio) et Spagnoli (Selim). → ♣♣♣♣♣

Donizetti – Le convenienze ed inconvenienze teatrali – Lyon
Donizetti comique très peu donné, dans une mise en scène de Pelly, avec Ciofi et Naouri.

Verdi – Ernani – Toulouse
On n'est plus exactement dans le belcanto, même si Verdi en reprend alors encore largement les contours, mais c'est plus facile à classer comme ça, pardon. Très peu donné en France, celui-là ; un massacre de l'original (non voulu par Verdi, mais la censure lui a imposé de changer tout ce qui faisait la spécificité du texte d'Hugo… on se doute bien que le roi dans l'armoire, prévu par Verdi, faisait tordre le nez aux Autrichiens), donc il ne faut pas en attendre un livret marquant, mais il dispose musicalement de bien de jolies choses déjà très spécifiquement verdiennes, des airs très personnels et de superbes ensembles.
Avec Bilyy (miam) et Pertusi. → ♣♣♣



OPÉRA FRANÇAIS XIXe

Meyerbeer – Le Prophète – Toulouse
Depuis combien de temps n'avait-il pas été donné en France ?  Plus tardif, d'un sarcasme plus politique et moins badin que ses succès antérieurs (Robert et Les Huguenots), le Prophète dispose d'un livret à nouveau d'une audace exceptionnelle, où le pouvoir aristocratique signifie l'oppression (sans aucun recours !), où la religion est le cache-misère de toutes les ambitions et le refuge de tous les fanatiques, où la mère prend la place de l'amante, et où le héros, après avoir chanté sa pastorale, commet un crime de masse… Musicalement, moins de chatoyances que dans la période précédente, plus guère de belcanto non plus, mais la sophistication musicale et orchestrale reste assez hors du commun pour l'époque. À part Berlioz, Chopin, Schumann et Liszt, qui écrivait des choses pareilles dans les années 40, avant la révolution wagnérienne ?  On voit d'ailleurs tout ce que la déclamation continue et le travail de réminiscence a pu inspirer à Wagner, à qui Meyerbeer mit le pied à l'étrier pour la création parisienne de Tannhäuser – avec la gratitude qu'on connaît, c'est Wagner.
Peut-être pas très adéquatement dirigé par Flor, il faudra voir. Avec Gubanova, Osborn et Ivashchenko. → ♣♣♣

Halévy – La Reine de Chypre – TCE
Voilà un Halévy qui n'a guère été redonné. Assez différent de la Juive, si j'en crois mon exécution domestique il y a quelques années : des récitatifs bien prosodiés, beaucoup d'ensembles et de chœurs, mais un langage très simple, très mélodique, presque belcantiste, qui n'a pas du tout la même sophistication que Charles VI, La Magicienne, et bien sûr les plus complexes La Juive et Le Déluge. Mais exécution très prometteuse, par le Concert Spirituel, avec Gens, Laho, Dupuis, Huchet, Lavoie. → ♣♣♣

Halévy – La Juive – Strasbourg
Encore un grand succès du livret subversif (et pourtant très populaire) signé Scribe. La direction de Lacombe fait très envie, la reprise de la mise en scène de Konwitschny (que je n'ai pas vue, mais il me semble que ça a déjà été publié) m'inspire moins confiance, et le manque de grâce de Saccà (Éléazar) aussi. Mais il y aura Varnier en Brogni et même Cavallier en archer… → ♣♣♣

Adam – Le Chalet – Toulon
Pas grand'chose à se mettre sous la dent dans cette courte petite histoire, mais c'est très plaisant, et interprété par des grands : Tourniaire, Devos, Droy, Rabec. → ♣♣

Adam – Le Toréador – Rennes
Dirigé par Tingaud, le célèbre opéra à variations, très plaisant et payant. → ♣♣♣

Thomas – Hamlet – Marseille
J'hésite à le faire figurer dans la liste… l'œuvre est devenue (et à juste titre !) un véritable standard, il n'est pas de saison où on ne la joue en France, en Suisse ou en Belgique… Une série avait été proposée sur la transformation du matériau de Shakespeare aux débuts de CSS, et à l'époque où les prémices de la mode n'étaient pas encore une mode. Comme souvent, une superbe distribution : Ciofi, Brunet, R. Mathieu, Lapointe, Barrard, Bolleire, Delcour !  Moins enthousiaste sur Foster, qui défend généreusement ce répertoire, mais dont le style n'est en général ni soigneux, ni tout à fait adéquat. Néanmoins, ce sera très bien (mise en scène de Boussard qui devrait être bien). → ♣♣♣♣

Massenet – Don César de Bazan – Compiègne, Thaon-les-Vosges
Remarquable production de ce qui était quasiment le dernier opéra (en tout cas parmi ceux qui ne demeurent pas perdus) à être remonté de Massenet, longtemps cru brûlé. Superbement chanté (Dumora, Sarragosse), superbement accompagné (Les Frivolités Parisiennes, l'orchestre remporte un Putto d'incarnat cette année dans le bilan qui sera publié), mise en scène riche et avisée. L'œuvre en elle-même hésite entre un sinistre jeu de cache-cache avec la mort (qui vous rattrape parfois) et une transformation vaudevillesque du pourceau d'Épicure en mari soucieux du respect des usages. Musique plutôt légère, mais d'une finition remarquable. → ♥♥♥♥

Saint-Saëns – Le Timbre d'argent – Favart
Nouveauté chez Favart. Pas encore eu le temps de jouer la partition, mais forcément un bon a priori (opéra de Saint-Saëns + sélection Favart…). → ♣♣♣♣

Saint-Saëns – Proserpine – Versailles
Autre inédit, pour la tournée annuelle de la Radio de Munich (qui n'est pas la Radio Bavaroise, notez bien) en partenariat avec Bru Zane. Ulf Schirmer dirige, avec Gens, Marie-Adeline Henry, Vidal, Antoun, Lavoie, Foster-Williams, Teitgen !  → ♣♣♣♣♣

Offenbach – Geneviève de Brabant – Nancy
Un chouette Offenbach servi par une équipe épatante : l'habitué Schnitzler, Buendia (de l'Académie Favart, dans Cendrillon de Viardot et l'Écureuil Bleu de Dupin), R. Mathieu, Piolino, Huchet, Grappe, Ermelier… → ♣♣



MUSIQUE DE SCÈNE ROMANTIQUE

Grieg – Peer Gynt – Limoges
Dirigé par Chalvin, avec Kalinine en Anitra. (Chanté en VO, je ne peux pas dire comment sera le reste du dispositif, sans doute des résumés en français.)



SLAVES

Tchaïkovski – La Pucelle d'Orléans – Philharmonie de Paris
Très rare en France, et interprété non seulement pas de vrais russes, mais par la troupe du Bolshoï elle-même (dirigée par Sokhiev).→ ♣♣♣♣♣

Rimski-Korsakov – Snégourotchka – Bastille
Là aussi, rareté à peu près absolue sur le sol français. Tcherniakov en promet une relecture érotisante (propre à choquer le jeune public, précise l'avant-programme de l'Opéra…). Distribution bizarrement attelée (Garifullina dans le rôle-titre, mais aussi D'Intino et Vargas…). → ♣♣♣

Dvořák – Rusalka – Tours
Rusalka s'est pas mal imposée hors d'Europe centrale. Prélude, je l'espère, à l'importation d'autres titres de haute valeur (Armida, Dalibor, Libuše, Fiancée de Messine, Šárka…). Ici, c'est même avec une distribution étrange, très française, avec Manfrino et Cals (Princesse Étrangère !), ce qui m'effraie un rien, je dois dire. En revanche, l'excellent Micha Schelomianki en Ondin (rôle dont il est de plus très familier), et la voix n'est pas trop russe-ronde pour du tchèque.
L'œuvre est une merveille absolue qui se révèle encore mieux en salle. [livret, musique, discographie exhaustive] → ♣♣♣

Stravinski – The Rake's Progress – Caen, Rouen, Limoges, Reims
De jolies choses dans la distribution (Marie Arnet, excellente mélisande ; Isabelle Druet en Baba ; Stephan Loges en père Trulove), mais un opéra déjà faible dirigé avec la raideur de Deroyer, je ne suis pas complètement tenté. → ♣♣

Prokofiev – L'Ange de feu – Lyon
Si Guerre & Paix est le plus impressionnant scéniquement et dramatique (l'un des plus avenants mélodiquement aussi), L'Ange de feu est le plus impressionnant musicalement de toute la production lyrique de Prokofiev – c'est d'ailleurs la matière-première de sa Troisième Symphonie. Avec Ono, Syndyte, Efimov, Naouri. → ♣♣♣♣




XXe SIÈCLE DIVERS

… où l'on trouve énormément d'œuvres légères, en réalité.

Hindemith – Sancta Susanna – Bastille
Sujet mystico-érotique sur une musique très dense, du Hindemith très décadent, qui doit beaucoup plus à Salome que n'importe quelle autre de ses œuvres. Avec Antonacci, couplé avec Cavalleria Rusticana (avec Garanča), une assez chouette association. → ♣♣♣♣

Britten – Owen Wingrave – Amphi Bastille
… mais par l'Atelier Lyrique de l'Opéra, dont je n'aime pas du tout les choix de recrutement, ni les spectacles. Déjà donné pour leur Britten (Lucrèce), je passe.  → ♣♣

Sauguet – Tistou les pouces verts – Rouen
Sauguet n'est pas un immense compositeur, mais il a une fibre théâtrale, ce devrait être sympathique. → ♣♣♣

Rota – La notte di un nevrastenico – Montpellier
Avec Bruno Praticò et le formidable Bruno Taddia, œuvre comique que je n'ai pas testée. → ♣♣♣♣

Rota – Aladino e la lampada magica (traduit en français) – Saint-Étienne
Avec Larcher, Buffière, Tachdjian. Autre nouveauté pour moi, qui me rend bien curieux. → ♣♣♣

Menotti – The Telephone – Metz
Menotti – Amelia al Ballo – Metz
Le sommet du Menotti « conversationnel » (en version originale – il existe aussi une excellente version française), d'une fraîcheur jubilatoire, couplée avec son plus célèbre opus de type lyrique. Très beau choix, dirigé par Diederich, avec la jeune gloire Guillaume Andrieux.→ ♣♣♣♣



CONTEMPORAINS

Du côté des vivants à présent.

Gérard Pesson – La Double Coquette – Lille
Fin de la tournée. Bricolage des Troqueurs de Dauvergne avec des moyens « musicologiques » : Ensemble Amarillis, Poulenard (toujours étincelante), Villoutreys, Getchell. On peut le voir comme un moyen de toucher des droits à la façon du coucou, de remplir les quotas de musique contemporaine sans effrayer le public, ou bien comme une façon de rendre plus dense cette œuvre très légère qui a beaucoup vieilli et paraît peu consistante jouée seule, difficile de trancher. → ♥♥♥

Roland Auzet – HIP 127 – Limoges

Moneim Adwan – Kalîla wa Dimna – Lille
Joué à Aix cet été. Le principe du métissage avec le chant arabe classique est sympa, mais ça ne marche pas, et le livret, sa mise en scène, également statiques, ne sont pas bons non plus. → ♥

Lionel Ginoux – Vanda – Reims

Lucia Ronchetti – Pinocchio – Rouen
Pas très optimiste vu la tête de son Sonno di Atys, particulièrement peu intelligible (pourtant, le sommeil d'Atys n'est pas spécifique au mythe, ce doit être une référence à LULLY…), à l'opéra ce ne doit pas être un langage très compatible. → ♣♣

Ahmed Essya – Mririda – Strasbourg

Martín Matalon – L'Ombre de Venceslao – Toulouse, Avignon, Rennes, Clermont-Ferrand
Ici encore, pas un langage très prosodico-compatible à mon avis. Je n'ai pas été très convaincu par ce que j'ai entendu de Matalon jusqu'ici, mais le cahier des charges d'un ompéra étant forcément différent… → ♣♣

Violeta Cruz – La Princesse Légère – Compiègne

Marius Felix Lange – Schneewittchen – Colmar, Strasbourg, Mulhouse

Arthur Lavandier – Le premier meurtre – Lille
Tout jeune. Pas entendu.



OPÉRETTES ET COMÉDIES MUSICALES

J. Strauß – Eine Nacht in Venedig – Lyon
Lehár – Le Pays du sourire – Tours (Avec Philiponet, Droy, Dudziak)
Messager – L'Amour masqué – TM Lyon
Christiné – Dédé – Marseille
Lopez – Prince de Madrid – TM Lyon
Lopez – La Route fleurie – Marseille
Scotto – Violettes impériales – Marseille
Bernstein – Candide – Toulouse, Bordeaux
Sondheim – Sweeney Todd – Toulon
Mitch Leigh – L'homme de la Mancha – Tours
Jerry Bock – Un Violon sur le toit – Massy, Avignon

Un petit phénomène Luis Mariano semble-t-il, entre Lopez et Scotto !  Sinon, le jubilatoire Candide, la comédie musicale la plus opératique de Sondheim (pas sa meilleure), et la fameuse pièce de Leigh illustrée par Brel, chantée par Cavallier (pas de la grande musique, mais les basses aiment bien chanter ça semble-t-il Jérôme Varnier en donne aussi en récital). Dédé est à recommander avant tout pour le théâtre, avec une intrigue très vive et des caractères plaisants, tandis que la musique légère jazzy n'est pas ce qui frappe le plus l'attention.

Je ne m'avance pas sur des cotations ici, ça dépend tellement des inclinations de chacun… En ce qui me concerne, Sweeney Todd me laisse plutôt froid (mais est considéré comme une œuvre majeure de Sondheim), tandis que je n'ai rien contre Lopez et Scotto (particulièrement mal vus, mais en salle, ça coule très agréable)… Idem pour J. Strauß et Lehár, il faut être dans l'humeur adéquate (je n'en raffole pas personnellement, mais c'est musicalement plutôt bien tenu).




AILLEURS EN EUROPE

À part la création très inattendue d'un opéra de Kurtág à la Scala (Fin de partie, un choix moins surprenant), les raretés sont surtout des spécialités locales :
¶ les deux Erkel célèbres à Budapest (Bánk bán et Hunyadi László), plus le Ténor de Dohnányi (et la Reine de Saba de Goldmark),
¶ deux Dvořák semi-rares (célèbres mais à peu près jamais donnés hors des terres tchèques, Le Diable & Katia et Le Jacobin) à Prague,
Sakùntala d'Alfano à Catane,
Peer Gynt d'Egk à Vienne,
Doktor Faust de Busoni à Dresde,
Oberon de Weber & Die Gezeichneten de Schreker pour le festival munichois de juillet 2017.

Restent Rimski-Korsakov (Le Coq d'Or à Bruxelles) et Britten, Curlew River à Madrid et Death in Venice à la Deutsche Oper Berlin, moins congruents.




D'ici quelques jours devraient paraître à la fois le bilan de la saison écoulée (avec remise de breloques !) et la sélection de concerts du mois de septembre.

vendredi 25 mars 2016

Indiscrétions


Le réseau lutinant bruisse de nouvelles. En attendant la prochaine notule (des Passions bachiques bachéennes, de Beaumarchais-Salieri, de Don César de Bazan, du carnet d'écoutes discographique, du panorama de couverture vocale, qui sortira le premier ?), voici quelques annonces, estimé lecteur, qui retiendront peut-être votre attention quelques instants.

À la Philharmonie et dans quelques autres lieux.


BAROQUE

¶ Messe à huit chœurs de Benevoli par Niquet.

¶ (Une des) Brockes-Passion de Telemann.

Rodelinda de Haendel (TCE).


CLASSICISME

Armide de Gluck par Minkowski (Arquez, Barbeyrac).

Il Matrimono segreto de Cimarosa (CNSM).


ROMANTISME


Fidelio par l'Orchestre de Chambre de Paris avec mise en scène.

Il Signor Bruschino de Rossini (TCE).

Ermione de Rossini (TCE).

Le Comte Ory de Rossini avec Julie Fuchs. (Favart)

Norma sur instruments d'époque avec Bartoli (TCE).

La Reine de Chypre d'Halévy (TCE), avec Bru Zane. Pour l'avoir lue au piano il y a quelques années, pas l'œuvre du siècle, mais l'intrigue est plutôt animée et les ensembles agréables. Du Halévy, en somme ; ni plus, ni moins.

Elias de Mendelssohn par Pichon (avec le chœur Pygmalion, ce sera une tuerie).

¶ Des Scènes de Faust de Schumann qui promettent de figurer parmi les meilleures jamais données (Gerhaher, Selig, Chœur de l'Orchestre de Paris, Harding !).

Le Paradis et la Péri de Schumann par Harding (avec Karg, Royal, Staples, Goerne !).

¶ Œuvres d'après Ossian de Niels Gade par Équilbey et Rouen – très rare et intriguant, mais la musique danoise de cette époque, et Gade en particulier, n'est pas forcément la plus passionnante du legs scandinave.

Simone Boccanegra avec Radvanovsky et Tézier (TCE).

La Nonne sanglante de Gounod, bijou qui n'est servi que dans un français approximatif au disque, depuis peu (CPO). (Favart)

Deutsches Requiem de Brahms par Dohnányi et le Chœur de l'Orchestre de Paris (Karg, Nagy).

Hamlet de Thomas, avec Devieilhe et Degout. (Favart)

Offenbach, Fantasio. De l'Offenbach sérieux. Pas l'œuvre du siècle, mais plutôt bien faite dans l'ensemble, on doit passer un bon moment si le visuel est à la hauteur.

Les Pêcheurs de Perles avec Fuchs, Dubois, Sempey.

Carmen avec Lemieux et Spyres (profil inhabituel et très adéquat, très curieux de l'entendre, même si je ne tenterai vraisemblablement pas Carmen dans un théâtre onéreux à mauvaise visibilité saturé des glottophiles les plus purulents de la ville !).


ROMANTISME TARDIF


¶ Tchaïkovski, La Pucelle d'Orléans par Sokhiev et le Bolshoï !

Intégrale Bruckner (couplage concertos de Mozart) par Barenboim et la Staatskapelle Belin (Philharmonie). Et la Quatrième par Inbal et le Philharmonique de Radio-France !

Andrea Chénier avec Harteros et Kaufmann (TCE).

¶ Plein de Mahler, dont une Dixième complète (Cooke n°?) par Harding (la Deuxième aussi, intéressante pour le chœur !), et la Sixième par le LSO et Rattle.

¶ Saint-Saëns, Le Timbre d'argent, une rareté considérable !  (Favart)

¶ À nouveau Aladdin de Nielsen, cette fois par le Capitole de Toulouse et Sokhiev.


PREMIER VINGTIÈME

Pelléas avec Langrée, Petibon, Bou (TCE).

¶ Le Faune, Jeux et le Sacre (du Printemps) par Les Siècles et dans les chorégraphies d'origine !

Musique de chambre futuriste russe à l'amphithéâtre de la Cité de la Musique.

Uirapurú, le chef-d'œuvre de Villa-Lobos – quelque chose d'un équivalent au Sacre du Printemps avec de la douceur debussyste brésilienne. Astucieusement couplé avec Argerich, ce qui va compliquer la tâche des mélomanes de bonne volonté pour trouver des places abordables, en revanche.


CONTEMPORAIN

¶ Soirée Dutilleux : Métaboles, Mystères de l'Instant, L'Arbre des Songes, avec l'Orchestre National des Pays de Loire (pas une grande formation pour le son, mais en général très intéressante dans ce répertoire !).

Rothko Chapel de Feldman au milieu d'un programme hétéroclite.

El Niño d'Adams enfin de retour en France, ave le LSO dirigé par le compositeur.

¶ Sept Dernières Paroles du Christ en Croix de MacMillan.

Kein Licht de Manoury, nouvel opéra financé par le micro-mécénat façon crowdfunding. (Favart)

Geek Bagatelle de Cavanna, avec l'Orchestre de Picardie et le Chœur de Smartphones d'Abbeville.


LIED & MÉLODIE


Comme à chaque fois, entièrement concentré sur un week-end : Bauer dans le Schwanengesang, Schumann par Gerhaher, Omo Bello dans la Bonne Chanson, Immler dans les classiques, Nigl dans un programme de Monteverdi à Xenakis incluant percussions.


INTERPRÈTES

Martha Argerich, vu le nombre d'occurrences, doit désormais résider à Paris.  Un récital français de Sabine Devieilhe avec Les Siècles, un autre, plus rare, d'Amel Brahim-Djelloul avec Pasdeloup. Leonskaja dans le Cinquième Concerto de Beethoven.

Et pour le TCE, peu ou prou 100% des glottes à la mode : Yende, Kurzak, Fleming, DiDonato, Bartoli, Dessay, von Otter, Lemieux, Jaroussky, Fagioli, Flórez, Alagna, Kaufmann…
(Pas de voix graves, vous aurez remarqué : même les mezzos sont sopranisants !)


AUTRES

¶ Nombreux concerts participatifs (Bach, Carols de Britten…) avec ateliers afférents.

¶ Deux reprises de créations récentes (l'une d'Adwan que je trouve médiocre, l'autre de Czernowin qui sera créée quelques semaines auparavant à Amsterdam).

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Et ce n'est que le début de l'avalanche…  On pourra difficilement se plaindre de l'offre, tout de même – enfin, il y a toujours des répertoires (le lied…) plus mal servis que d'autres, mais en fouinant bien, sauf à exiger de l'opéra postromantique scandinave, on trouve pas mal de choses au fil de la saison dans de plus petites salles.

samedi 6 février 2016

Ibert-Honegger : le retour en grâce de L'AIGLON – Dervaux, Tamayo, Davin, Ossonce, Nagano…


aiglon séchaye
Carine Séchaye lors de la reprise de la production de Caurier & Leiser en 2013, voyageant à Lausanne et Tours.
(Tiré d'une photographie de Marc Vanappelghem.)

Legs majeur parmi le répertoire français, l'œuvre collective (I et V pour Ibert, II et IV pour Honegger, et collaboration plus intégrée au III, même si Honegger semble avoir été dominant dans cette partie) utilise le texte littéral de Rostand, adapté par Henri Cain – ce qui se limite essentiellement à des coupures pour une durée compatible avec le débit chanté, et ramené à cinq actes au lieu de six).

Déjà redonnée par Tamayo à Vaison-la-Romaine en 1987 dans une production de Pierre-Jean San Bartolomé (Greenawald, Lafont, Vassar), l'œuvre semble connaître un regain d'intérêt (circonstanciel ou structurel, le seuil critique n'est pas encore franchi pour l'affirmer), depuis la production de Caurier & Leiser à Marseille, dirigée par Davin en 2004 (Cousin, Vernhes, Barrard). Beau succès, retransmis à la radio, en extraits sur CSS, repris récemment à Lausanne & Tours sous la direction d'Ossonce en 2013 (Séchaye, Barrard, Pomponi), et à présent (février 2016) à nouveau à Marseille, avec Ossonce (d'Oustrac, Barrard, Pomponi).

Ce ne serait qu'une reprise assortie d'une courte tournée, si nous ne disposions pas, exactement dans le même temps, de cette version de concert (pour trois soirées !) mise en espace par Daniel Roussel l'an passé (2015) et dirigée à la Maison Symphonique de Montréal par Kent Nagano (Gillet, Barrard, É. Dupuis).

Et voilà que Decca sort, en mars, une intégrale de studio, issue du concert de Montréal (mais où Guilmette et Lemieux, plus célèbres, remplacent Fiset et Boulianne qui assuraient Thérèse de Longuet et Marie-Louise au concert).

aiglon nagano

Il s'agit d'un véritable retournement de situation, dans la mesure où le caractère accessible cet opéra, son sujet attirant, son texte célèbre (et de qualité particulièrement extraordinaire, sans même le considérer comme un livret d'opéra…), sa musique très variée et séduisante le prédisposent à rejoindre les standards – moins au sens large, un peu comme Hamlet, Jenůfa et Die tote Stadt, pas sifflotés dans les rues ni utilisés dans les pubes, mais régulièrement programmés au sein d'un répertoire assez peu présent sur les scènes.

Jusqu'ici, l'œuvre ne pouvait pas s'épanouir dans l'opinion des mélomanes, faute de témoignages disponibles : il n'y eut qu'un vinyle Bourg, très coupé, d'un enregistrement de la RTF en 1956, avec Boué, Despraz, Bourdin ; Dervaux dirige, et on y retrouve la fine fleur du temps : Berton, Disney, Peyron, Lovano… Indisponible depuis des lustres, et jamais réédité en CD de toute façon.

En mettant sur le marché, de surcroît chez un éditeur prestigieux et très présent dans les rayons, un studio (denrée désormais rare), on donne la possibilité aux mélomanes d'écouter, de réécouter, et de se déplacer lorsque l'œuvre sera donnée. Incitation pour les salles à ne plus se retenir – sans parler des directeurs de théâtre qui découvriront à cette occasion, eux aussi, ce pan du patrimoine.

aiglon dervaux bourg 1956 boué

L'œuvre explore des climats qui ne sont pas neufs en 1937, mais demeurent en revanche assez éloignés de ce qu'Ibert et Honegger ont par ailleurs produit : peu de rapport avec la légèreté (poétique ou sarcastique) d'Ibert, les expérimentations néoclassiques ou modernistes d'Honegger, la tragédie à la tonalité élargie Antigone, et bien sûr les bouffonneries et mystères de Jeanne, de la naïveté du Roi David… Il y a bien des moments où des points communs affleurent avec les couleurs harmoniques, voire certains gestes déclamatoires des Quatre Chansons de Don Quichotte d'Ibert, mais pour Honegger, il est assez difficile de trouver dans son catalogue des pièces à la fois aussi simples (de la vraie tonalité pas enrichie, la plupart du temps) et aussi lyriques ou mélodiques (le Honegger simple étant souvent un peu glaçant).

Au demeurant, le style, globalement celui d'une conversation en musique, varie beaucoup selon les épisodes, indépendamment même de qui compose le passage : on y croise des chansons traditionnelles, des poussées de fièvre martiales, des bals galants, du postromantisme généreux, de la quasi-polytonalité, de la déclamation parlée emphatique, du récitatif truculent, du lyrisme cinématographique… le tout avec une prosodie superbe, qui permet à la fois l'intelligibilité, de belles mélodies, et la mise en valeur du texte de Rostand. L'orchestre est aussi très expressif, exprimant toutes les couleurs des environnements successifs du duc de Reichstadt (salons de Schönbrunn, cabinets de travail, plaine venteuse de Wagram, chambre de malade…), avec un très beau sens des transitions – le contraste est tellement fort, pourtant, on pourrait s'attendre à une suite de vignettes, mais à l'instar de Rostand, les deux compositeurs bondissent avec adresse de trait en trait.

Le tout culmine spectaculairement dans ce second Wagram, où l'on croit entendre s'élever à nouveau les râles des soldats tombés pour l'Empereur, confus, misérables, progressivement menaçants, jusqu'à éclater en hymnes patriotiques (où se superposent le Chant du Départ et la Marseillaise !), tandis que le duc, égaré, déclame les paroles de sa propre immolation. Néanmoins, on trouve quantité d'autres sommets plus discrets, mais tout aussi bouleversants, dans quantité de répliques où cingle le verbe de Rostand, et où la musique transmute soudain, servant d'ailes à l'esprit.

aiglon lithographie
Une lithographie française de 1932. Beaucoup d'images ont circulé à l'occasion du centenaire de la mort du Duc, cinq ans avant la première représentation de l'opéra à Monte-Carlo (la maison était alors dirigée par le compositeur et traducteur Raoul Gunsbourg).

Avec un tel livret, une musique avenante mais sophistiquée, et une fusion de l'ensemble aussi exemplaire, on ne peut douter que ce ne soit déjà l'un des opéras qui me sont les plus chers dans tout le répertoire.

Et l'on peut déjà en entendre la première piste sur les sites de flux, en attendant le 4 mars !  C'est gratuit (voir là) sur Deezer et MusicMe ; elle y figure également si vous disposez déjà d'un abonnement chez Naxos ou Qobuz. Les cinq minutes que l'on y entend sont formidables : non seulement la distribution, comme l'on pouvait s'y attendre, brille (l'émission haute et le tranchant verbal de Gillet, incomparables !), mais Nagano semble fort à son aise avec le style, sans cette rondeur qui lui est habituelle et tend à émousser les angles (il se montre au contraire ici d'une souplesse très française), et la prise de son paraît extraordinaire, ample mais précise et colorée, à la fois digne des grandes réussites de l'histoire du label et des technologies les plus récentes. Il faut se préparer à l'un des grands disques de l'histoire du répertoire français, je crois.

Mise à jour du 5 mars : Rapide commentaire (comparé) du disque Nagano ci-dessous en commentaire.

Concernant l'épisode de Wagram, on peut se reporter à la notule écrite dès la deuxième année de Carnets sur sol, qui effectue une courte présentation et en propose le texte et la musique (Davin à Marseille en 2004).

jeudi 17 septembre 2015

[Carnet d'écoutes n°83] – Takemitsu pop, élections d'orchestres, 3e Scène, Invalides, Kaufmann & Puccini, Gerhaher & Mozart, Tino Rossi & Schubert…


Les travaux projetés se révélant plus gourmands que prévu (et le temps moins extensible aussi, malgré quelques reventes de places de concert), on se repaie la facilité d'un petit carnet d'écoutes.

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1. CHAMBRISMES

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Lekeu – intégrale pour quatuor à cordes (Timpani) / intégrale générale (Ricercar)

Il en existe deux, l'une par le Quatuor Camerata, l'autre par le Quatuor Debussy (légèrement plus complète sur le CD concerné). La seconde est particulièrement phénoménale, comme souvent – l'une des rares formations à faire autorité aussi bien dans les transcriptions improbables, comme la plus belle version de tous les temps du Requiem de Mozart (sans voix !), que dans le répertoire le plus rebattu, témoin leur Quatorzième de Schubert.

Je reviens inlassablement à cet album, paru chez Timpani. Il faut au moins écouter l'Adagio molto sempre cantate doloroso, une plainte d'une beauté insoutenable qui s'étend sur une dizaine de minute – encore plus impressionnant que son fameux Adagio pour quatuor d'orchestre.

À noter, Ricercar vient de publier en coffret l'intégrale Lekeu éditée au fil des ans (œuvres orchestrales par Bartholomée et le Philharmonique de Liège), dans d'excellentes interprétations en ce qui concerne la musique de chambre, et incluant jusqu'à Andromède, sa cantate saisissante (en réalité un opéra miniature dans le goût de d'Indy).

(La plupart de ces disques peuvent s'écouter sur Deezer, en principe.)

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Takemitsu : Gita no tame no juni no uta, douze chansons pour guitare

L'Internationale, Summertime, Somewhere Over the Rainbow, Secret Love, Yesterday, Michelle… Des tubes arrangés pour guitare solo avec un soin polyphonique (et des tensions harmoniques) tout particulier, assez enivrant.

Très exigeant à la guitare, mais en revanche facile à jouer pour des pianistes modestes ! Laissez-vous tenter, c'est autre chose que les réductions indigentes habituelles.

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2. GLOTTOLOGIES

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Récital Puccini de Jonas Kaufmann (Sony)… et quelques propositions alternatives

J'avais adoré le récital vériste de Kaufmann-Pappano, farci de raretés, et portant à leur plus haut degré d'incandescence les grands tubes. La voix a beau être à l'opposé de mes canons, ce qu'il en fait, aussi bien plastiquement que musicalement et expressivement, est toujours à couper le souffle.

Et ici, pour la première fois depuis longtemps, je reste un peu sur ma faim. Pourtant, il ne réenregistre pas les grands airs déjà faits par ailleurs (et republiés par Universal, son ancienne maison, dans un récital synthétisé exprès pour attraper les amateurs), et laisse donc la place à des titres moins courus que « Che gelida manina » ou « E lucevan le stelle ». On y trouve même Edgar et la grande scène des Villi que j'ai moi-même mainte fois appelée de mes vœux pour les récitals et concerts !

Pourtant, je trouve l'essentiel du disque un rien terne, même Le Villi. Le premier air de Tosca (« E lucevan le stelle » a déjà dû être gravé) et La Fanciulla del West fonctionnent très bien en revanche, peut-être parce qu'on n'y attend pas la même italianité, la même lumière que dans La Bohème, Manon Lescaut ou La Rondine – qui paraissent plus monochromes, plus étouffés ; en vrai, on sentirait l'élan et l'intensité indéniables du chanteur, mais au disque, je finis par me laisser bercer de façon plus passive.
Le « Nessun dorma » final est électrisant, tout de même ; pas uniformément vocal comme souvent, une véritable progression où chaque note est pesée – où l'on n'attend pas gentiment les aigus, en somme. (comme remarqué dans de précédentes notules, il bidouille la partition comme les copains)

Néanmoins, je crois surtout que la grande raison tient dans mon amour modéré de Puccini, et plus encore que ses airs me cassent vite les pieds. Ce sont des fragments (encore plus sirupeux que le reste, même s'ils sont musicalement souverainement écrits), qui n'ont même pas de vie propre comme de vrais airs de récital, des bouts de machin qui ne sont déjà pas les meilleurs moments de l'opéra, mais qui ne prennent pas sens non plus tout seuls.

D'ailleurs, c'est nul les airs, il faudrait vraiment se décider à publier des récitals de récitatifs ! Un récital Verdi de soprano avec les parties d'Annina, Ines, Tebaldo, Emilia et Meg, ça aurait une sacrée allure. Un peu plus ambitieux, un récital Wagner avec « Wie ? Welchen Handel », « Friedmund darf ich nicht heißen » et « Ich hab' eine Mutter »… Oh, un récital Loge-Mime-David, voilà qui serait grand !

Et puis, bien sûr, des récitals de baryton avec des bouts de Hamlet (comme celui, magnifique, de Shovhus) et du Vampyr (« Meinst du ? », le grand récit de son sort). Les (rares) récitals de baroque français sont bien obligés de s'y plier, considérant le caractère très court des airs (du moins avant Rameau).

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Christian Gerhaher, disque « Mozart Arias »

Accompagné (par le Freiburger Barockorchester) sur petit ensemble d'instruments anciens, dans un format chambriste inhabituel : ça crincrinne mais finement, j'aime beaucoup. Ça assume la dimension de récital en bonne compagnie, d'une certaine façon, plutôt que de jouer l'illusion du grand opéra.

Première chose qui frappe, ce n'est vraiment pas très italien (voix ronde plus que frontale, accent étrange, [r] roulés serrés très bavarois…) ; par ailleurs la voix est placée plus en arrière, couverte différemment par rapport au style italien. Néanmoins le résultat est totalement jubilatoire ; outre le petit orchestre, on bénéficie du style inimitable de Gerhaher, combinant sans cesse les rapports ouvert/couvert, voix pleine/voix mixte, résonance métallique/résonance « naturelle »… J'ai promis une notule à ce sujet, pour étudier les procédés en détail ; ce n'est pas pour tout de suite, mais cela viendra. Ce n'est pas seulement fascinant glottologiquement, c'est surtout d'une variété infinie, parcourue de détails très touchants.

Considérant sa bizarrerie, tout n'est certes pas une référence, mais son Figaro et son Guglielmo sont d'une saveur toute particulière. Recommandé !

Pour goûter Gerhaher à l'opéra dans toute sa gloire, vous pouvez écouter le Tannhäuser de Janowski ou son récital d'airs romantiques allemands avec Harding (où il grave Froila et Lysiart pour l'éternité). En voilà un qui aurait pu faire le grand récitatif du Vampyr avec brio !

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Christian Franz aujourd'hui

Je viens de me rendre compte (merci J.) qu'il avait chanté cette année (à Budapest) à la fois Loge et Siegfried !

Et pourtant, il enchaîne ses Siegfried depuis au moins quinze ans ; je l'ai entendu pour la première fois dans une retransmission de Bayreuth, en 2000… probablement pas une prise de rôle, donc ; il l'a même enregistré deux fois (avec Paternostro, puis Young), et la voix ne semble pas bouger. À part Windgassen, on n'a pas eu beaucoup de cas de ce genre depuis 1950 (avant, c'est plus difficile à documenter).

Il est vrai qu'en retransmission, la voix paraît grêle, pas toujours juste, l'élan incontestable mais un brin fruste. En salle, pourtant, la voix (sans être volumineuse) est très bien projetée et très audible, mais surtout le timbre se révèle très beau (doucement coloré), et perce une poésie des nuances qu'on ne soupçonne pas aussi bien perçu de près : vraiment un chant conçu pour s'épanouir dans l'espace.

Il a étrangement peu d'inconditionnels, mais voilà un des très grands chanteurs de notre temps – l'un des plus beaux Tristan jamais entendus, me concernant. Ce n'est pas Suthaus dans ses jeunes années, certes, mais on n'a pas souvent fait mieux que Ch. Franz depuis lors.

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La Belle Meunière par Tino Rossi

Huit lieder ont été adaptés (ce ne sont pas vraiment des traductions) et orchestrés pour le film de Marcel Pagnol. Quasiment la seule trace de l'exécution de Schubert en français (à part le justement fameux « Tilleul » de Thill, et considérant que Germaine Martinelli est vraiment inintelligible dans sa propre Meunière…), malgré l'existence de traductions (plus sérieuses) ; on a vu que c'était un sujet qui tenait à cœur aux lutins de céans.

Les nouveaux poèmes sont vraiment moyens ; plus seulement naïfs comme les originaux, mais très mièvres et assez stéréotypés. On perd la balourdise du meunier qui ne voit pas trop ce qui lui arrive, qui s'enflamme sur des détails, au profit du propos plus général d'un amoureux assez standard.

En revanche, les arrangements orchestraux, dans une veine très kitsch (ça ressemble assez à la version filmique de La Belle de Cadix), sont assez réussis. Ah, ces chœurs féminins extatiques en coulisse pour « Der Müller und der Bach », ce tutti avec trompettes pour « Der Neugierige » !

Et surtout, Tino Rossi plane sur ces textes français avec une grâce infinie : il mixe comme les meilleurs ténors d'opéra, mais se permet de moins couvrir ses sons, ce qui lui procure une clarté (sans danger, vu qu'il n'y a pas d'enjeu de projection) assez unique, assise sur une technique parfaite. Idéal pour le lied, fût-il bizarrement attifé.

Ça se trouve désormais dans certaines anthologies du chanteur (pas les mieux distribuées, certes).

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Stabat Mater de Pergolesi par Vincent Dumestre

Couplé avec des musiques mariales napolitaines, chantées avec des techniques très nasillardes, ouvertes et sonores, comme des musiques traditionnelles de plein air. Étrange.

Même le Stabat Mater surprend, répartissant les lignes soit à un chœur féminin, soit à deux petits braillards. Pas très convaincu, mais la surprise fait passer le temps dans une œuvres qui m'ennuie assez vite (tendant un peu trop sur le seria purement vocal), et qui regarde beaucoup moins du côté de l'opéra et de la virtuosité vocale, en privilégiant les atmosphères, fussent-elles déconcertantes.

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3. PROGRAMMATIONS

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Aux Invalides

Je me suis aperçu que je n'avais pas dépouillé proprement la saison musicale du Musée de l'Armée. Je pleure de dépit… des concerts inratables, conçus rien que pour moi, toujours le vendredi à 12h15 (tout le monde ne travaille pas dans le VIIe arrondissement tout en débauchant à midi pile !).

  • Un concert (avec harmonium et ténor, notamment…) incluant des œuvres de rien de moins que Schmitt, Halphen, Jongen et Casella (en prime, Karg-Elert et Kunc), dans des œuvres évoquant la guerre ! (heureusement, il y a un petit rattrapage avec un concert de Lafont le soir, chantant notamment Halphen, Février et Schreker !)
  • Les sonates pour alto et piano de Koechlin, Schmitt, Vaughan Williams et Hindemith.
  • Le Quatuor Arod dans Nielsen Op.13 et l'opus 76 n°1 de Haydn, deux des plus grands quatuors jamais écrits – parmi mes chouchous en tout cas. Et rarement donnés finalement, surtout Nielsen !
  • Le Quatuor Akilone dans Mozart (divertimento), Boutry (création) et le Sixième de Mendelssohn…
  • Pour couronner le tout, Raquel Camarinha vient me narguer avec La Bonne Chanson (Fauré, version avec quatuor), Les Histoires naturelles (Ravel, sa verve peut en tirer des merveilles !) et les Chantefleurs et Chantefables (Lutosławski).


Sérieusement, les gars, vous faites un programme pour moi et vous le balancez n'importe quand, vous me décevez grandement.

Les autres, précipitez-vous, ces petits vont vous donner du grand.

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3e Scène

L'Opéra de Paris vient d'ouvrir sa plate-forme numérique, considérée comme une troisième salle. Je me demandais si ça montrerait l'envers du décor, ou des œuvres courtes pas présentées dans leurs concerts, une sorte de documentaire d'art ou de piste bonus ; en réalité, ce sont des œuvres nouvelles, plus ou moins précisément reliées à l'Opéra de Paris. Ce peut être un danseur qui danse (sur de la musique électronique) dans les salles de répétition, une chanteuse (Barbara Hannigan !) dont on superpose les exercices d'échauffement… Le tout dans des montages artistiques.

C'est plutôt poétique, et j'ai lu beaucoup de bons retours là-dessus, mais de là à considérer ces jolies évocations comme une nouvelle salle, je suis dubitatif. (En plus, hébergé sur YouTube, ça ne fait pas très chic.)
Mais c'est assez dans la veine branchouille « les snobs parlent aux initiés » qui sera la marque de communication de ce mandat (et de quelques autres). Moi, tant qu'on me donne de bonnes choses à aller voir (et qu'on arrête d'augmenter les prix des places d'entrée de gamme !), je veux bien toute la parlotte qu'on voudra, de quelque nature qu'on voudra. Même si le patron n'a jamais écouté d'opéra.

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Élections d'orchestres

Le webzine Bachtrack, après avoir publié un palmarès (parfaitement arbitraire) établi par des critiques professionnels, propose à ses lecteurs de voter à leur tour pour le meilleur orchestre et le meilleur chef en exercice. Ce qui est amusant, c'est que le choix est étendu, j'ai même trouvé les miens.

En désigner un seul n'a pas grand sens de toute façon, il faudrait pouvoir citer un grand nombre de noms pour atterrir sur des convergences qui ne se limitent pas aux superstars (qui vaincront de toute façon, ne serait-ce que parce que personne n'a tout écouté, mais que chacun a forcément entendu Ozawa – bon candidat, tenez –, Haitink, Gergiev et Rattle).

Je n'ai pas voté, mais je me serais sans doute prononcé pour l'Orchestre Philharmonique de Slovénie (si l'on parle des orchestres entendus en vrai, sinon ce serait le Symphonique de Trondheim) et pour Günter Neuhold (bien sûr), choix partiel et arbitraire à son tour, mais sans doute le plus spontané et honnête que je puisse faire. Si vous voulez vous amuser pour sponsoriser vos chouchous, faites-vous plaisir.

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Derniers concerts vus

Il faudra prendre le temps d'en toucher un mot, mais à nouveau un Sibelius ultime par Paavo Järvi et l'Orchestre de Paris (la Cinquième Symphonie – j'ai vraiment hâte de voir l'intégrale publiée !), où les constructions les plus mystérieuses et les transitions les plus étirées font sens avec une générosité étonnante ; et un Freischütz passionnant par Hengelbrock (quelle précision de trait !) et la NDR, dont le grain sonore est étrangement comparable au disque : j'ai toujours cru que c'étaient les filtres appliqués aux bandes qui procuraient cet aspect légèrement élimé au son, pas du tout rond-à-l'allemande, mais non, le grain est aussi spécifique en vrain (pas déplaisant du tout !). Et on ne peut qu'admirer la rigueur absolue des pupitres, dont il n'est pas un cliché de dire qu'elle est distinctivement allemande…

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… Bacewicz et Wagner seront à nouveau pour une autre fois.

vendredi 24 avril 2015

[inédit] Boulez après les Folies Bergère : Agamemnon de Pierre Boulez




Le jeune Jean Rochefort déclamant sur du Boulez. Deux extraits choisis dans Agamemnon – avec notamment Jean-Louis Barrault (je n'ai pas trouvé la distribution intégrale).

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Grâce à Renaud Machard (et aux efforts de Flora Sternadel), on a pu redécouvrir récemment sur les ondes une heure de L'Orestie d'Eschyle par la compagnie des Renaud & Barrault, avec la musique de scène du jeune Boulez. Très intrigué par cet objet, on y a un peu regardé de plus près et on vous invite à suivre le voyage.

1. La force du destin

Le jeune Boulez, dont tout le monde loue les dons, doit faire bouillir la marmite. Aussi, parmi les rares ondistes (et très bon semble-t-il), il monnaie son talent… jusqu'aux Folies Bergère – j'ai lu que Martenot lui-même était fort satisfait de cette publicité grand public. Mais quand on voit comme Boulez parle des compositeurs de son temps, on peine à se figurer la frustration intérieure qui devait émaner de jouer de la musique d'orgue de barbarie pour viandes apprêtées. Jacques Barrault raconte que, lorsqu'il se mettait à parler, il jetait dans le caniveau jusqu'à Beethoven et Brahms, à peu près tous les classiques et romantiques…

Toujours est-il qu'en 1946, Madeleine Renaud et Jacques Barrault, précisément, quittent la Comédie-Française pour le Théâtre Marigny, où ils fondent leur propre compagnie. Le premier projet était celui d'un Hamlet dans la traduction d'André Gide, avec musique d'Arthur Honegger – pour cuivres, percussions et… ondes Martenot. Ce fut Honegger qui recommanda la perle rare, un étudiant en contrepoint qui avait une rare maîtrise de l'instrument lui-même peu fréquent (quoique grandement à la mode). Tout de suite séduits, les époux Renaud-Barrault lui proposèrent le rôle de directeur musical.

L'Opéra de Paris est plein de poussière et de détritus. N'y vont que les touristes, parce qu'il faut avoir vu l'Opéra de Paris. Il figure sur la liste des circuits touristiques, comme les Folies Bergère ou le dôme des Invalides, où se trouve le tombeau de Napoléon.

(tiré du fameux entretien du Spiegel de 1967, « Il faut brûler les maisons d'Opéra »)

2. Directeur musical

Bien que n'étant âgé que de vingt ans et n'ayant aucune expérience de la direction d'orchestre, Boulez est chargé de cet emploi, qui n'a pas de part décisionnelle (contrairement au directeur musical d'un orchestre ou d'un opéra, le chef permanent qui préside aussi à la programmation) et consiste en deux éléments principalement :

  1. mener depuis la fosse les parties musicales des représentations ;
  2. opérer des réductions des partitions jouées la dizaine ou la douzaine de musiciens présents.

Bien que cela nécessite d'être présent tous les soirs au théâtre, cela lui laissait aussi beaucoup de temps pour commencer à créer sa propre musique.

C'est un emploi bien valorisant pour un jeune qui n'a même pas encore fini ses études… mais cela l'a aussi conduit à diriger essentiellement les partitions théâtrales du temps, qui non seulement n'étaient pas de la musique pure, mais appartenaient aussi aux esthétiques qu'il méprisait le plus – essentiellement de la tonalité pas très hardie.

  • 1946 : Hamlet de William Shakespeare (musique d'Arthur Honegger)
  • 1946 : Baptiste, suite d'orchestre de Joseph Kosma tiré des Enfants du Paradis
  • 1947 : Amphitryon de Molière (musique de Francis Poulenc)
  • 1948 : L'État de siège d'Albert Camus (musique d'Arthur Honegger)
  • 1949 : La Fontaine de Jouvence, pantomime de Boris Kochno (musique de Georges Auric)
  • 1949 : Le Bossu de Paul Féval (musique de Georges Auric)
  • 1949 : Les Fourberies de Scapin (musique d'Henri Sauguet)
  • 1949 : Élisabeth d'Angleterre de Ferdinand Bruckner (musique d'Elsa Barraine)
  • 1950 : Malborough s'en va t'en guerre de Marcel Achard (musique de Georges Auric)
  • 1951 : On ne badine pas avec l'amour d'Alfred de Musset (musique d'Arthur Honegger)
  • 1953 : Le Livre de Christophe Colomb de Paul Claudel (musique de Darius Milhaud – est-ce la même que celle de l'opéra proprement dit ?)
  • 1954 : La Soirée des proverbes de Georges Schéhadé (musique de Maurice Ohana)
  • 1955 : Volpone de Ben Jonson, adapté par Stefan Zweig, lui-même traduit par Jules Romains (musique de Georges Auric)
  • 1955 : Intermezzo de Jean Giraudoux (musique de Francis Poulenc)


Honegger, Poulenc, Auric, Milhaud… on mesure mal à quel point Boulez a dû avoir l'impression d'agoniser chaque soir. Et renforcer sa mauvaise humeur – voir ci-après.

Toujours est-il que pour sa dernière année, les patrons lui confient la composition d'une musique pour L'Orestie d'Eschyle.

Le titre de directeur musical est plus impressionnant que le travail lui-même. La plupart du temps, j'arrangeais entre dix et douze minutes de musique — essentiellement des fanfares et pièces du même genre —, et quelquefois une demi-heure de pantomime. L'Orestie, la seule pièce que j'ai mise en musique pour Barrault, était un projet important musicalement, car c'était l'occasion d'introduire beaucoup de musique.

(retraduit depuis l'anglais)

3. Le projet de L'Orestie

Comme pour Le Livre de Christophe Colomb, les époux Renaud-Barrault souhaitent promouvoir une forme de théâtre total mettant largement à l'honneur la musique. Il s'agit d'un projet très sérieux : Barrault avait d'abord sollicité Paul Claudel pour utiliser son adaptation, mais devant la disparité des styles (Agamemnon ayant été fait bien avant les deux autres, à une autre époque de Claudel), devant aussi l'âge de Claudel qui ne lui permettait pas de travailler activement à une refonte ou même à des conseils actifs, les concepteurs du spectacle se tournent vers le Groupe de Théâtre Antique de la Sorbonne (à l'origine d'une version française des Perses, en 1936), qui lui recommande André Obey – son adaptation (en vue d'un raccourcissement significatif) est fondée sur la traduction (toujours de référence) de Paul Mazon, et vise à respecter autant la forme et l'esprit des originaux grecs que possible. De fait, il s'agissait de monter la trilogie dans sa continuité, si bien que les proportions devaient être considérablement plus courtes.
Mazon fut d'ailleurs invité à donner son avis, notamment sur les types de prosodie nécessaires selon les moments dramaturgiques de la pièce (dialogues libres, chœurs versifiés, moments d'exaltation psalmodiés…). Obey travailla, vers à vers, à trouver des équivalents prosodiques français aux vers grecs, un travail de grande précision, très fastidieux, qui prit plus d'un an.


On voit bien tout ce que le théâtre grec permet d'application pour un théâtre total, incluant fortement la musique. La mise en scène était, elle, plus inattendue, fondée sur une transposition parmi les rites traditionnels d'ascendance africaine au Brésil – et préparée par un voyage du couple en chef. Tout le principe était de renoncer à un classicisme compassé pour retrouver ce que la représentation grecque pouvait avoir de rituel… et les critiques du temps (de même que la bande sonore !) semblent attester que l'effet, à défaut d'avoir plu à tout le monde (à commencer par Barthes), était atteint.

À l'origine, Jean-Louis Barrault souhaitait même inclure des éléments des musiques de transe de candomblés et macumbas pour les Érinyes (il avait demandé à Boulez de repiquer les rythmes d'oreille). Comme on peut s'en douter, celui-ci a tout fait pour l'en dissuader. Tous deux ont écouté ensemble beaucoup de nô pour s'imprégner des climats possibles dans ce type de fusion texte-musique, à partir d'une tradition encore vivante. Boulez avait par ailleurs toute liberté dans son langage pour retranscrire les atmosphères grecques voulues.

Je m'intéressais à l'époque au théâtre Nô japonais et j'expérimentais avec cela à l'esprit.

(retraduit de l'anglais)

4. Les moyens et ajustements nécessaires

Pour ce faire, Boulez disposait d'un ensemble instrumental sans cordes (flûte, piccolo, hautbois, cor anglais, clarinette, trompette, harpe, glockenspiel, vibraphone, xylophone, cloches tubulaires, deux timbales et petites percussions – crotales, maracas…). Mais le chœur était constitué des acteurs.

Dans ses récits ultérieurs, le compositeur se montre très critique sur le réalisme du projet, qui tentait naïvement, en fin de compte, de reprendre les travaux infructueux de prosodie française comptée en quantités – Boulez cite même le modèle de Baïf au milieu du XVIe siècle, le plus fameux. À supposer que ce fût possible, il y avait beaucoup à faire, et les acteurs n'étaient pas formés pour acquérir en quelques semaines les notions solfégiques suffisantes pour différencier tous ces types de vers, de rythmes, d'appuis. De fait, il eut beaucoup de fil à retordre avec les acteurs, peu rompus à la musique, et même aux rythmes élémentaires. Même une fois les coupures faites pour faciliter le travail aux comédiens – et, par ailleurs, des rôles entiers, et même les Euménides complètes, vont disparaître pour des raisons de durée du spectacle –, il est très difficile de les faire chanter juste et ensemble. Pourtant, malgré le langage paraît-il dodécaphonique sériel, on est frappé par le nombre de notes répétées, par la simplicité des psalmodies (en tout cas des hauteurs, manifestement moins des rythmes), sans grands intervalles…


Mais vous pouvez l'entendre, sur la bande, on sent bien que les voix des acteurs (pourtant incroyablement saines et claironnantes, vues à l'aune d'aujourd'hui) peinent à trouver la bonne hauteur, à débuter et terminer les notes ensemble… Les sons très ouverts les empêchent de tenir les notes, notamment, et le défaut de solfège est évident. Boulez était tellement frustré que des récits ont surgi plus tard, racontant comment il jetait des chaises dans sa fureur, ou avait battu le rythme si fort sur le dos d'une comédienne qu'elle s'était évanouie ! Pierrot le fou.

Mais les acteurs n'étaient pas musiciens. Ils ne pouvaient exécuter un rythme simple. J'ai dû faire des changements et simplifier énormément.

(retraduit de l'anglais)

5. Et la musique ?

Car c'était un peu le sujet (elle ne devait, à l'origine, représenter qu'une mention au sein des carnets d'écoute…).

L'essentiel de la partition porte sur Agamemnon (les Choéphores comportent peu de musique, et Les Euménides furent supprimées dès la création bordelaire).

Elle était probablement assez neuve pour le public d'alors, mais pour nous qui avons entendu toutes les musiques de film et d'ambiance atonales, à base de contrebasses sourdes, de violons suraigus, d'aplats menaçants, elle paraît assez commune, et pas particulièrement évoluée. Elle atteint assez bien son but d'ambiance grecque, vu ce qu'on connaît désormais (et probablement guère alors) de la musique antique : sobre et peu mélodique, essentiellement constinuée par les interventions discrètes et finalées des timbales obstinées et d'un peu de flûte, à la façon de l'alliage aulos & percussions des origines. Quelquefois, les étranges aplats du vibraphone, mais elle n'est guère plus spectaculaire que cela.
J'aime assez, je dois dire, justement en raison de sa modestie : le chœur aussi, avec ses limites, rend bien la dimension archaïsante et incantatoire des stasima. La principale réserve réside dans le manque de variété – on a un peu l'impression d'entendre le même extrait d'accompagnement reproduit à l'infini.


Quelle ironie tout de même que Boulez, en fin de compte, atteigne le même effet (en moins bien, d'ailleurs) que Salamine de Maurice Emmanuel, Les Choéphores de Milhaud ou Les Perses de Prodromidès, des compositeurs issus de la tradition, très talentueux mais sans désir de renouveler fondamentalement le langage, qu'il devait mépriser de bien haut !

Quoi qu'il en soit, le résultat atmosphérique est assez beau. Et entendre les voix tonnantes des acteurs d'alors, capables de courbures mélodiques impressionnantes dans leur déclamation (du moins lorsqu'il ne s'agit pas de chanter !), est un délice – je suis frappé, d'ailleurs, comme leur grandiloquence sonne avec le plus grand naturel. De la grande expression pour du grand genre.

Toute la presse n'était pas aussi méchante, mais je ne peux résister au plaisir de vous reproduire le commentaire de Jean-Jacques Gautier, critique influent du Figaro (Prix Goncourt 1946), aux prémices d'une longue tradition dans la réception de Boulez et de ses pairs :

Suite de la notule.

samedi 20 décembre 2014

Pourquoi les amoureux sont-ils toujours une soprane et un ténor ?


Question (faussement) ingénue qui m'a été posée récemment… et dont la réponse, sans être particulièrement complexe, a de réels fondements qu'on peut détailler.

Alors embarquons.

1. Ce n'est pas vrai

D'abord, il faut préciser que cela ne concerne qu'une portion du répertoire.


André d'Arkor en gentil soldat colonial (amoureux) — costume de scène pour Gérald, dans Lakmé de Delibes.


[Rappel : on classe en général les voix, de l'aigu au grave, de la façon suivante. Soprano, mezzo-soprano (contr)alto pour les femmes ; ténor, baryton, basse pour les hommes. C'est-à-dire aigu, médium, grave.]

Au XVIIe siècle, il existe essentiellement quatre tessitures : voix de femme, alto (par un homme ou une femme), ténor (souvent dans une tessiture de baryton), basse. De ce fait, effectivement, les couples mettent en général en relation une femme (on va dire soprano, même si les tessitures sont basses) avec un ténor, que ce soit chez les premiers opéras italiens (Peri, Monteverdi, Cavalli) ou dans les tragédies en musique françaises — il n'existe pas vraiment, à de rares touches près, d'autres écoles d'opéra à cette époque.
Quelquefois la tessiture masculine est écrite pour un tessiture d'alto (Nerone dans L'Incoronazione de Monteverdi, typiquement), ce qui nécessite soit une voix particulière, soit le travestissement d'une chanteuse.
On a donc déjà la structure réunissant les deux voix aiguës de chaque catégorie, mais le nombre de combinaisons possibles est tellement réduit qu'il n'est pas réellement significatif. On peut simplement remarquer que la basse est en général réservée pour les rôles incarnant l'autorité (les dieux, les rois, les vieillards), ce qui est un choix arbitraire dont nous ressentons aujourd'hui encore le prestige dans notre vie quotidienne — une voix grave impressionne tout de suite. Les basses amoureuses existent (en France, on a Roland et Alcide…), mais elles incarnent en général une virilité guerrière, souvent malheureuse en amour.


Malin Hartelius (Melanto) et Bogusław Bidziński (Eurimaco), petits amants au début du Ritorno d'Ulisse in patria de Monteverdi — tiré de la version d'Harnoncourt à Zürich en 2002.


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Au XVIIIe siècle, le ténor reste le héros des tragédies en musique en France (avec des tessitures de plus en plus aiguës et virtuoses, censées incarner ses qualités surnaturelles, souvent d'essence divine), mais pour le reste de l'Europe qui utilise le modèle italien (quitte à le faire en allemand, en anglais ou en suédois), l'opéra seria triomphe. À ce moment charnière dans l'histoire de l'opéra, le texte n'est plus premier (c'était pour cela qu'on l'avait créé, pour recréer l'intensité théâtrale des représentations grecques de l'antiquité), la fascination pour les voix l'a emporté. Et, en Italie puis dans le reste de l'Europe, c'est l'agilité qui fascine, le fait de transformer une voix en instrument capable de rivaliser victorieusement avec un solo de violon, hautbois ou trompette dans les airs concertants.


Anna-Maria Panzarella (Aricie) et Mark Padmore (Hippolyte), amants – momentanément – fortunés à l'acte IV d'Hippolyte et Aricie de Rameau — tiré de la version studio de Christie.


Or, dans le seria, comme l'on utilise des castrats (en général alto, parfois soprano) ou, à défaut, les voix de femme correspondantes, la voix de ténor n'incarne pas cet aigu triomphant… Très souvent, le ténor est un rôle de comprimario (rôle d'utilité, secondaire) ou prend la place de la basse comme roi ou père, particulièrement à l'époque classique : Mitridate, Idomeneo et Tito, chez Mozart, en sont les exemples les plus célèbres, mais ne font pas figure d'exception. Le ténor, pour une fois, incarne donc la voix grave, par opposition à toutes les autres du plateau, et donc le pouvoir et l'âge ; ceci tout en permettant davantage d'agilité spectaculaire qu'une voix de basse. Ainsi, à part en France, les ténors amoureux du XVIIIe siècle sont des opposants dangereux pour les jeunes amants.


Giuseppe Sabbatini (Egisto, ténor), guerrier cruel qui impose sa loi aux époux Diana Damrau (Europa, soprano) et Genia Kühmeier (Asterio, rôle de castrat soprano), au début de l'Europa riconosciuta de Salieri.


Les sopranos restent en revanche les voix féminines privilégiées pour les amoureuses. En France, la distinction (dessus vs. bas-dessus) se faisait uniquement au niveau du timbre au XVIIe siècle (exactement les mêmes étendues vocales), mais au cours du XVIIIe les sopranes éprises développent de plus en plus d'extension aiguë et d'agilité dans leurs ariettes, tandis que les voix plus centrales et sombres vont se spécialiser dans les magiciennes. Toutefois le mouvement reste ténu. Dans le seria en revanche, les voix féminines graves étant souvent monopolisées pour les rôles travestis, et comme il y a toujours plus d'hommes que de femmes dans les intrigues héroïques… les voix aiguës sont en général réservées aux femmes véritables. Mais ce peuvent aussi bien être les jeunes premières que les magiciennes perfides (témoin Armida ou Alcina, chez Haendel).


Patricia Petibon (Aspasia), soprane et amante persécutée par un ténor roi et père de son amant dans Mitridate, re di Ponto de Mozart.


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Au XXe siècle, les frontières se brouillent. Le baryton remplace volontiers le ténor comme personnage principal, car il incarne l'homme du rang, et non plus l'aristocrate ou l'élu divin, le héros hors du commun. Lorsqu'on adapte Woyzeck ou 1984, le personnage principal ne peut pas être un vaillant ténor à contre-ut ni un limpide ténor léger, c'est l'évidence.
Les ténors deviennent alors des personnages veules ou faux, ceux dont l'éclat n'exprime que la vanité ou l'hypocrisie. On va ainsi souvent se retrouver à front renversé avec des héros faibles mais barytons, et des persécuteurs sadiques ténors.


Nancy Gustafson (Julia, soprano dramatique assez grave) et Simon Keenlyside (Winston Smith, baryton), amants sans pouvoir ni bravoure, trahis par l'agent double Richard Margison (O'Brien, ténor) dans la création de 1984 de Maazel.


Pour les sopranos aussi, le monopole disparaît : le goût, notamment promu par le cinéma et la télévision, des voix graves comme comble de la sensualité (valeur qui a en quelque sorte remplacé la « transcendantalité » aristocratique ou divine des voix aiguës) a permis, à la suite de Carmen, le mezzo-soprano comme voix de l'amoureuse. Et pas forcément la vénéneuse prédatrice ; on peut y rencontrer nombre d'ingénues dont la voix charnue traduit peut-être une nubilité précoce, mais pas nécessaire une conscience sensuelle forte — Erika dans Vanessa de Barber, par exemple. C'est moins le cas pour le contralto, car la voix est rare et souvent moins puissante, donc difficile à exploiter derrière un large orchestre du XXe siècle, et son extension aiguë est moins longue et éclatante, ses poitrinés sont moins spectaculaires. Il n'empêche qu'en ce début de XXIe siècle, la voix enregistrée qui fait le plus l'unanimité demeure peut-être celle de Kathleen Ferrier.


Rosalind Elias (la ci-devant ingénue Erika, mezzo-soprano) et sa confidente Regina Resnik (la Baronne, contralto) au début de l'acte II de Vanessa de Barber — studio de Mitropoulos.


Même si la colorature est devenue à son tour suspecte (attribut des reines folles, mais plus des amoureuses authentiques), le soprano n'a pas quitté pour autant sa place originelle, et les héroïnes demeurent, en assez nette majorité, écrites pour cette tessiture.


Grażyna Szklarecka (Sophie Scholl, soprano) et Frank Schiller (Hans Scholl, pour ténor ou baryton avec extension aiguë) dans la version révisée de Die Weiße Rose d'Udo Zimmermann (et non B.-A. Z.). Certes, ce n'est pas une amoureuse au sens classique, mais parmi les innombrables choix possibles, c'est l'occasion de faire entendre l'un des assez rares vrais duos contemporains réussis.


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2. … mais cela reste la norme dans le grand répertoire

En revanche, l'opéra le plus présent sur les scènes, et celui le plus familier du grand public, celui du XIXe siècle, reproduit très largement cette norme. Bien sûr, on trouvera des exceptions, avec des hommes travestis parce qu'on descend de l'opéra seria (I Capuletti e i Montecchi de Bellini hérite directement de la nomenclature de la fin du XVIIIe siècle) ou, plus tard, parce qu'on veut imiter Mozart (Chérubin de Massenet, Der Rosenkavalier de R. Strauss) ; ou bien des barytons héros pour bien souligner leur caractère tourmenté et finalement leur impossibilité d'accéder aux joies de l'amour (Hamlet de Thomas). Mais l'écrasante majorité demeure dans la nomenclature : soprano & ténor amants, et mezzo, baryton ou basse opposants.


Milada Šubrtová en gentille Nixe noyeuse d'hommes (amoureuse) — dans Rusalka de Dvořák.


Vu du XXIe siècle, rien n'est moins évident que les pouvoirs de séduction du ténor (petit et gros, dont la voix aiguë semble chercher à imiter les femmes) ou que la suprématie du soprano par rapport à une voix chaude et un rien voilée de mezzo qui invite à la confidence. Mais une fois expliqué les périodes précédentes, on peut facilement se représenter pourquoi il en fut ainsi.

Les Français, eux, ne changent pas vraiment : ils adoptent le style romantique après avoir adopté le style galant de la fin du baroque et le style classique, et les techniques vocales évoluent, mais les distributions demeurent les mêmes. Le ténor (aigu) reste le héros, la basse (très peu de barytons en France, ils deviennent à la mode tardivement) incarne l'autorité (ou le méchant). Du côté des femmes, on a surtout des sopranos (les mezzos sont introduits par la marge au fil du siècle) qui, comme du temps de Lully, s'opposent en soprano colorature (l'équivalent du dessus clair) et en soprano dramatique (l'équivalent du bas-dessus sombre) ; la différence est que la voix sombre peut être librement attribuée à l'amoureuse.


Annalisa Raspagliosi (Valentine de Saint-Bris, soprano dramatique) et Marcello Giordani (Raoul de Nangis, ténor avec grande extension aiguë, chantable avec ou sans ut de poitrine), dans la fin du tournoyant duo d'amour de l'acte IV des ''Huguenots'' de Meyerbeer — archive inédite, dirigée par Rumstadt en 2003.


Pour le reste de l'Europe, chaque nationalité adopte progressivement un style propre qui émerge à partir du style italien préexistant, mais largement dans le même sens (en ce qui concerne les tessitures). Les castrats tombent en désuétude, et on invente l'ut de poitrine à Naples, qui permet de chanter les aigus de ténor avec vaillance. Dans le même temps, les sujets plus tourmentés du romantisme, ainsi que le goût pour des affects plus débordants et moins élégants, favorisent l'expression plus sonore des désespoirs. De ce fait, c'est le ténor qui incarne la voix la plus aiguë parmi celles qui peuvent s'exprimer avec des éclats dramatiques. Il remplace donc les castrats ou les femmes travesties, mais dans la même logique : le goût de la voix poussée dans ses retranchements, où l'aigu campe symboliquement la force donnée par la naissance ou par la Grâce.
Pour les femmes, de même, on va exploiter les extrêmes, et en particulier les aigus, ce qui place les sopranos au premier plan… Les mezzos reviennent progressivement dans la fin du XIXe siècle siècle, pour varier les couleurs.


Soirée électrique de la parfaite distribution stéréotypée (soprano & ténor amoureux, mezzo sorcière, baryton râleur, basse vieille) : Gilda Cruz-Romo (Leonora, soprano), Richard Tucker (Manrico, ténor), Siegmund Nimsgern (il conte di Luna, baryton) dans le grand trio qui clôt l'acte I du Trouvère de Verdi. Le jeune Zubin Mehta, le seul à faire exécuter très exactement, dans cette œuvre, les valeurs pointées et/ou brèves à ses chanteurs, fouette le Philharmonique d'Israël en juillet 1973.


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De ce fait, si soprano et ténor deviennent systématiquement amants, c'est dans la pure continuité d'une tradition… où ce n'était pas le cas.

Suite de la notule.

mardi 2 septembre 2014

La minute glottophile — Operalia 2014


Ce n'est sans doute pas très nourrissant, mais en attendant l'achèvement de la prochaine notule un minimum informative (chaconne II, microtonalité, Révolution ou Roy-Destouches, on verra qui arrivera le premier – je vous renvoie à votre bookmaker habituel), quelques instants rassérénants pour vous, glottophiles de tous pays.

Vous pouvez ouvrir ceci dans un nouvel onglet pour accompagner votre lecture et confronter vos impressions à ce qui est écrit : vidéo de la finale 2014.

1. Recrutement

Operalia est un concours un peu particulier puisqu'il ne récompense que des artistes qui disposent déjà d'une carrière très établie. Tous les concours prestigieux sont un peu sujets à ce type de détournement (rien que les conservatoires, en première année, recrutent en général des musiciens déjà formés dans les disciplines et villes les plus demandées !), mais Operalia ne contribue pas au passage d'un début de carrière discret à des engagements réguliers ou d'un niveau supérieur : ce concours consacre le passage d'une véritable carrière vers la staritude, tout de bon.

Cette fois-ci, on pouvait trouver, parmi les 40 artistes admis au concours, rien qu'en s'en tenant à ceux disposant d'une belle saison comme soliste en France : Damien Pass (beaucoup de rôles secondaires dans de fastes productions – Opéra de Paris, Aix, Versailles…), Abdellah Lasri (rôle principal à l'Opéra de Paris, certes en distribution B), et même Alexandre Duhamel (Opéra de Paris, salle Pleyel… dans des premiers rôles et aux côtés des artistes les plus cotés). De même, parmi ceux qui font une carrière américaine, on trouve beaucoup de jeunes artistes en postformation par le Met, ou des doublures des plus grands. Rien que des voix tout à fait finies, en pleine maturité artistique, et déjà amplement lancées dans la carrière. L'étape suivante, c'est d'enregistrer des disques et de faire les couvertures des magazines, mais c'est vraiment tout ce qui reste ! Operalia est là pour y pourvoir.

Et ça fonctionne plutôt bien en général : José Cura, Elizabeth Futral, Rolando Villazón, Stéphane Degout, Nina Stemme, Hui He, Joseph Calleja, Erwin Schrott, Sonya Yoncheva, parmi d'autres, sont d'anciens lauréats. Et beaucoup d'autres font une belle carrière. Il est difficile de choisir entre la poule et l'œuf : ont-ils été starisés – ce qui, contrairement à une carrière de haut niveau, n'a plus de lien de proportionnalité direct avec la qualité – grâce à l'exposition d'Operalia, ou étaient-ils déjà dans une spirale de carrière fortement ascendante, que le concours n'a fait que sanctionner ?
C'est d'autant plus difficile à déterminer que les engagements ont plu, pour un certain nombre d'entre eux (en tout cas vrai pour Villazón, Degout, Calleja, Schrott ou Yoncheva), dans les mois qui ont suivi. Et que presque immédiatement (qu'on sache ou non qu'ils étaient passés par là), ils étaient à l'affiche des plus grandes maisons et surtout, pas supplémentaire, sur les couvertures des magazines.

Et concernant Operalia, la proportion de trains qui arrivent à l'heure est assez considérable (on trouve quasiment pour chaque cession une à deux très grandes carrières rien que parmi les finalistes).

2. Jury

Il faut dire que le jury d'Operalia est tourné vers l'efficacité plus que vers l'évaluation artistique (mieux vaut se tourner vers les diplômes d'institutions ou les concours spécialisés pour cela) : on y rencontre essentiellement des directeurs de théâtre ou des chefs du recrutement, plus un journaliste… et Mme Domingo, chargée je suppose d'incarner officiellement le bon goût du parrain.

James Conlon (Music Director: LA Opera, Ravinia Festival, Cincinnati May Festival)
Marta Domingo (Stage Director)
F. Paul Driscoll (Editor-in-Chief: Opera News)
Thierry Fouquet (General Director: Opéra National de Bordeaux, France)
Anthony Freud (General Director: Lyric Opera of Chicago)
Jonathan Friend (Artistic Administrator: Metropolitan Opera, New York)
Jean-Louis Grinda (General Director: Opéra de Monte Carlo, Monaco)
Ioan Holender (Artistic Advisor: Metropolitan Opera and Tokyo Spring Festival; Artistic Director: George Enescu Festival, Bucharest, Romania)
Peter Katona (Director of Casting: Royal Opera House, London, UK)
Christopher Koelsch (President and CEO: Los Angeles Opera)
Grégoire Legendre (General Director: Opéra de Québéc, Canada)
Joan Matabosch (Artistic Director: Teatro Real, Madrid, Spain)
Pål Moe (Casting Consultant: Bavarian State Opera, Munich, Germany; Glyndebourne Festival Opera, UK; Opéra de Lille, France; Norwegian Opera House, Oslo)
Andrés Rodriguez (General Director: Teatro Municipal de Santiago, Chile)
Helga Schmidt (Intendente: Palau de les Arts, Valencia, Spain)

Considérant que les directeurs de théâtre n'ont pas forcément la main sur les distributions (dire qu'on veut tel ou tel grand nom pour le rôle-titre, certes, mais les détails sont souvent confiés à un adjoint spécialisé – ou, dans certains cas, au chef d'orchestre), la composition du jury révèle sans ambiguïté l'intention non pas d'établir des certificats de vertu, mais d'assurer un réseau très avantageux pour les gens primés ou même simplement appréciés par les uns ou les autres.

3. Principe du concours

Les épreuves manifestent le même principe d'aller à l'essentiel : autant le choix de deux airs (sur quatre proposés) avec piano en quart de finale s'explique, autant un seul air avec piano en demi-finale et à nouveau un seul avec orchestre en finale (court pour faire une émission diffusable ?), c'est excessivement peu pour juger.
Je n'ai aucun élément sur le sujet, mais je me demande en conséquence quel est le poids du CV dans les discussions : préparer un air pendant deux ans et le chanter très bien ne réclame pas du tout les mêmes compétences qu'étudier en quelques semaines et chanter un opéra en entier sur scène, avec toutes les contraintes de solfège, d'expression et d'endurance afférentes. Si l'on voulait réellement être efficace, on devrait donner un opéra (dont il n'existe aucun enregistrement, pas de tricherie !) à étudier en deux à quatre mois, et les évaluer, en plus des airs, sur des extraits de récitatifs et d'ensembles, un peu comme pour les traits d'orchestre réclamés aux instrumentistes. Manière qu'on puisse les juger sur autre chose que sur un air bien léché.

C'est pourquoi, avec si peu de matière, on peut présumer que les juges se fondent sur un peu de littérature extérieure pour évualuer leurs futurs protégés.

Autre caractéristique du concours, plus attirante, le déroulement en parallèle d'un concours de zarzuela, qui met en valeur ce répertoire très peu pratiqué (marginal sur les grandes scènes même en Espagne, un peu comme le Grand Opéra en France – et de plus en plus l'opérette).

4. L'Orchestre hôte

Avant de parler des lauréats, un mot d'étonnement sur l'orchestre. Je me demande si j'ai jamais entendu l'orchestre de fosse de l'Opéra de Los Angeles dans les années récentes (MÀJ : et pourtant, si, quelques productions avec Conlon au moins, où je n'avais pas du tout perçu cela), parce qu'il sonne étonnamment maigre, manquant de cohésion timbrale, quelques centaines de coudées sous le niveau de celui de San Francisco, ou bien sûr du célèbre Philharmonique local. Je m'étais toujours figuré la vie musicale de Los Angeles comme importante en Amérique, et j'ai plutôt l'impression d'entendre l'orchestre d'une petite maison. Par ailleurs, ce ne sont pas des rigolos, ils jouent des partitions difficiles et la justesse ne se dérobe pas… mais cela ressemble à un orchestre de province en France plus qu'à une des grandes machines américaines. Ce serait l'opéra de Seattle ou de Nashville, qui n'ont pas de réputation internationale, je n'aurais pas été étonné, mais Los Angeles, tout de même, l'une des grandes métropoles du continent, et dans une de ses régions les plus « européennes »…

Il faut dire que le problème semble en grande partie provenir de Plácido Domingo à la baguette, dont j'ai en d'autres temps loué la direction (pour un quasi-dilettante, diriger aussi valeureusement une partition touffue comme The Fly de Shore, et son Ballo très lyrique du Met était très séduisant)… mais ce soir-là, l'orchestre se perd constamment en décalages et faux-départs – et je ne parle pas de détails de geeks (du genre de la deuxième clarinette qui entre un quart de soupir trop tard dans un tutti de R. Strauss), n'importe qui entendant les morceaux pour la première fois ne peut que remarquer que les premiers violons font plusieurs entrées pour la même note. Au début de l'arioso du Duc de Mantoue, il y a même une ou deux mesures entières où les violons ont une croche d'écart entre eux (on entend chaque note se répéter et se télescoper avec la suivante). Pas dans du Stockhausen… dans du Verdi ! N'importe quel orchestre professionnel (a fortiori permanent, et encore plus a fortiori de fosse) peut faire ça les yex fermés.

Mais Domingo ne semblait pas dans son assiette, en plus des très nombreuses imprécisions, tout était assez mou. On peut supposer, tout simplement, qu'avec son emploi du temps de chanteur, de directeur d'Opéra et de bien d'autres choses encore, il n'ait pas trop eu le temps de travailler chez lui, et encore moins de répéter longuement avec chaque interprète.
Il a souvent été dit (et cela s'entend assez bien), qu'il était en empathie et très attentif aux chanteurs, en tant que chef, mais ce soir-là, vraiment, il avait plutôt de quoi les affoler.

5. Lauréats et programme

Pour ne pas alourdir inutilement la page, vous pouvez consulter la liste des vainqueurs (et le montant respectable des récompenses) sur le site de l'Opéra de Los Angeles.

En revanche, le programme, avec les noms de chacun, est difficile à trouver (ni sur Medici.tv, ni sur le site d'Operalia), manière d'être sûr de qui chante quoi. On peut jouer au jeu des visages (voire des timbres nationaux), mais lorsqu'on a un ténor guatémaltèque avec un patronyme mandarin et un prénom italien, ou une mezzo-soprane au physique très ibérique mais à la voix profonde en gorge typiquement russe… on fait quoi ? Et puis on se sent toujours un peu coupable d'activer la centrifugeuse à préjugés.

Donc, pour vous épargner ces risques, voici :

Rachel Willis-Sørensen (soprano, USA, 30)
"Dich, teure Halle" from Richard Wagner's Tannhäuser

Andrey Nemzer (countertenor, Russia, 31)
"Chudny son zhivoy lubvi" from Mikhail Glinka's Ruslan and Lyudmila

Anaïs Constans (soprano, France, 26)
"O quante volte ti chiedo" from Vincenzo Bellini's I Capuleti e i Montecchi

Yi Li (tenor, China, 30)
"Pourquoi me réveiller" from Jules Massenet's Werther

Alisa Kolosova (mezzo-soprano, Russia, 27)
"Cruda sorte" from Gioachino Rossini's L’Italiana in Algeri

Mario Chang (tenor, Guatemala, 28)
"Ella mi fu rapita" from Giuseppe Verdi's Rigoletto

Mariangela Sicilia (soprano, Italy, 28)
"Amour, ranime mon courage" from Charles Gounod's Roméo et Juliette

Christina Poulitsi (soprano, Greece, 31)
"Ah, non credea mirarti" from Vincenzo Bellini's La Sonnambula

Abdellah Lasri (tenor, Morocco, 32)
"Ah ! Fuyez, douce image" from Jules Massenet's Manon

Carol Garcia (mezzo-soprano, Spain, 30)
"Nacqui all’affanno" from Gioachino Rossini's La Cenerentola

Joshua Guerrero (tenor, USA/Mexico, 31)
"Torna ai felici di" from Giacomo Puccini's Le Villi

Amanda Woodbury (soprano, USA, 26)
"A vos jeux, mes amis" from Ambroise Thomas' Hamlet

John Holiday (countertenor, USA, 29)
"Crude furie" from George Frideric Händel's Serse

Et en zarzuela :

Abdellah Lasri (tenor, Morocco, 32)
"Por el humo se sabe donde está el fuego" from Amadeo Vives' Doña Francisquita

Anaïs Constans (soprano, France, 26)
"De España vengo" from Pablo Luna's El niño judío

Mario Chang (tenor, Guatemala, 28)
"No puede ser" from Pablo Sorozábal's La tabernera del puerto

Rachel Willis-Sørensen (soprano, USA, 30)
"Tres horas antes del día" from Frederico Moreno Torroba's La marchenera

Joshua Guerrero (tenor, USA/Mexico, 31)
"De este apacible rincón de Madrid" from Frederico Moreno Torroba's Luisa Fernanda


6. Ce qu'il faut écouter

Comme vous l'avez sans nul doute senti (après patiente considération, je crois qu'il est finalement plus objectif d'afficher sa subjectivité et ses critères plutôt que de feindre une impossible objectivité sur ces matières, et c'est le pied sur lequel se place en général Carnets sur sol), le principe même de chanter un grand-air-du-répertoire (toujours les quelques mêmes, souvent la première moitié d'un diptyque, et sans récitatif…) hors de tout contexte, pour séduire des directeurs de théâtre et recruter de « grandes voix » pour les grandes scènes cosmopolites, mondialisées et conspirantes internationales n'a pas exactement ma faveur. On est loin du Concours Reine Elisabeth, pour citer un illustre concurrent, qui propose la constitution de programmes entiers, jugés par des professionnels du chant —concours qui, pourtant, dispose d'un palmarès bien moins impressionnant, et de concurrents pas forcément de meilleur niveau (en tout cas techniquement).

Et, effectivement, je ne suis pas fanatique de tout ce que j'entends. Les vainqueuses vainqrices victrices m'ont peu intéressé : elles chantent indubitablement très bien, et je serais heureux de les entendre, mais elles ne manifestent pas le supplément attendu lorsqu'on sélectionne l'élite chargée de faire la une des magazines. Du côté des hommes, je suis dubitatif sur Mario Chang, le vainqueur : la voix est déjà pleine de constrictions, tout est émis en force. Pas de mauvaise façon, mais tout de même, une voix déjà légèrement poussée à même pas trente ans, ce n'est pas rassurant pour la suite – d'autant qu'il semble arrivé un peu épuisé, même vocalement, à la fin de son air.
Après, il se passe peut-être quelque chose de particulier en salle que les micros ne captent pas (c'est même souvent ce qui fait la différence qu'on ne s'explique pas en écoutant bandes et disques), comme semble l'indiquer le prix du public, mais en l'état, je trouve qu'on a affaire à un très bon soliste, mais pas à un ténor starisable.

Mais plutôt que de se plaindre de ce qu'on pourrait avoir eu, autant se réjouir de ce que peut entendre de beau, et que je vous recommande d'aller entendre :

Carol García, beau mezzo profond (de couleur, mais avec une superbe tessiture aiguë), avec cette ouverture basse qu'on pourrait ne croire entendre que chez les slaves orientaux. Eh non.

Joshua Guerrero, remarquable ténor au timbre à la fois rond, plein et tendu, vraiment très séduisant – il n'y a qu'à partir du si bémol 3 que le timbre devient plus commun. Et pas de limites techniques notables, aucune constriction audible : en voilà un qui est promis à un radieux futur de salles en délire. Pour ne rien gâcher (et je vous assure que cela n'a pas de rapport avec mon appréciation), il a chanté cet air des Villi de Puccini dont je disais récemment, dans ces pages, qu'il mériterait vraiment les honneurs réguliers du récital ; la seule pièce originale du concert, avec l'extrait de Ruslan.

¶ Il faut aussi, pour le plaisir, entendre (et voir) le falstettiste John Holiday, qui semble disposer d'une belle projection pour sa catégorie, avec un son plutôt intense. Mais, outre le timbre vraiment beau et la maîtrise technique, j'aime beaucoup sa mine de poupon alors qu'il chante un air de fureur (il fait presque dix ans de moins que son état civil), on a envie de lui pincer les joues… et ce n'est pas du tout incompatible avec ce Xerxès largement ridicule dans cet opéra bouffe.

Les français peuvent aussi écouter Abdellah Lasri, pressenti (parmi d'autres) pour être le ténor B du Roi Arthus avec Alagna à Paris (personnellement, j'espère, même si je doute, que ce sera Jean-François Borras !). Sa prestation ce soir-là est un peu fébrile, mais la technique solide et la voix agréable, vraiment un bon ténor pour le grand répertoire, qui fait d'ailleurs depuis quelque temps les beaux jours de l'Opéra d'Essen.

… on remarquera aussi que, comme d'habitude, les voix graves, surtout masculines, ne sont pas très aimées de ce concours. Mais enfin, les falsettistes parviennent à y être récompensés, alors que perdurent ailleurs des situations d'apartheid sévère.

J'espère que cette petite balade aura agrémenté votre écoute, en attendant l'arrivée de notules plus nourrissantes.

samedi 23 août 2014

Une saison 2014-2015 en Île-de-France : ce que vous ne trouvez pas ailleurs


Car, ainsi que l'a dicté Tao-Lseu à ses disciples : la Vérité est ailleurs.

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Déjà, si vous n'êtes pas d'ici, vous pouvez trouver tous les conseils pour une magnifique saison là-bas (nous avons même ajouté ajourd'hui une nouvelle recommandation).

Pour la sixième année consécutive, voici le moment de lancer des suggestions de divertissement pour la saison prochaine. Une fois de plus, et comme pour à peu près tout ce qu'on trouve dans ces pages, nul désir d'exhaustivité. Je me contente de vous livrer mes relevés pour ma consommation personnelle : l'éventail reste très large, puisqu'il permet de choisir, mais ne contient pas absolument toute la programmation. De même pour mes gribouillages (§ indiquant ma motivation, le foncé ma prévision, et les astérisques des places déjà réservées), qui ne témoignent que de mon intérêt personnel — ça prenait trop de temps à retirer, donc vous saurez si j'ai plus envie de voir du Protopopov que du Roslavets le jeudi midi.
Pour un relevé généreux, je recommande Cadences, qui dispose désormais d'un site (les dates sont plus facile à lire sur le magazine en PDF que sur la base en ligne, mais les deux sont bienvenus). Clairement, la qualité de leur base rend assez caduque la mienne en tant que masse.
Néanmoins, ayant relevé manuellement les dates chez plusieurs dizaines de salles et associations, certaines n'apparaissent pas chez Cadences, et on trouve parfois, dans ces contrées interlopes, quelques petites pépites. J'essaierai, pendant la saison, de maintenir les annonces de concerts un peu atypiques, de façon à mettre en valeur ce que vous pourriez ne pas vous consoler de manquer.


Quelques petits cailloux ont déjà été semés : sur deux résurrections passionnantes et impatiemment attendues à l'Opéra-Comique, sur la saison tranquille de l'Opéra de Paris, sur les concepts de la Philharmonie de Paris, sa programmation et ses tarifs.

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Vous pouvez retrouver les précédentes saisons, chacune disposant en commentaires de liens renvoyant vers des échos des soirées vues :


Les spectacles vus seront cités en commentaires de cette notule, et diverses remarques sur la saison ajoutées sous cette étiquette.

En lice pour les putti d'incarnat, j'ai nommé :

Suite de la notule.

mercredi 2 juillet 2014

Hors du nombril du Monde : opéra en province et à l'étranger en 2014-2015

En tant que spectateur, on a sans doute tendance à faire trop confiance à ses goûts : j'étais déçu de la saison de l'Opéra de Paris (je vais même probablement faire le voyage à Lyon pour voir Rusalka, plutôt que la production locale !), mais en fin de compte, il y a tellement à faire qu'on est bien content que toutes les salles ne proposent pas la même densité que Versailles en chefs-d'œuvres incontournables ou que l'Athénée en dispositifs intrigants.

On se retrouve d'ailleurs face au choix d'explorer à fond un domaine qui nous plaît — dans ce cas, en voyageant un tout petit peu, rien qu'en France, on peut être comblé ! — ou de varier les plaisirs (dans ce cas, le temps manque rien qu'à Paris). Je suis plutôt dans la seconde perspective (il y aura donc Decaux, Menotti, Uthal, Amendoeira et Bobby & Sue), mais pour ceux qui souhaitent plutôt approfondir la première, voici de quoi vous occuper un peu l'année prochaine.

Comme l'an passé, en gras les œuvres peu données et particulièrement intéressantes, en souligné les distributions très alléchantes.

Suite de la notule.

jeudi 13 mars 2014

Victorin de Joncières : un autre critique compositeur


Alors que vient de paraître Dimitri sous l'égide du Palazzetto Bru Zane, un mot sur la symphonie de Victorin de Joncières, jouée dès avril 2011 et qui doit être publiée ultérieurement. Et quelques indications sur les prochains projets lyriques de la Fondation Bru Zane.

1. La « Symphonie Romantique » (1873)

Joncières est avant tout un critique musical (sous le nom de Jennius dans le journal La Liberté, pendant tout le dernier quart du XIXe siècle), wagnérien et franckiste, musicien amateur mais sérieusement formé. Ses œuvres scéniques (de l'opérette au grand opéra), quoique discutées, ont été plutôt bien accueillies en son temps.

Aujourd'hui, comme contemporain (1839-1903) de Bizet, Brahms et Tchaïkovski, il n'appartient pas à la phalange des compositeurs majeurs, mais Bru Zane l'a sélectionné, parmi tant d'autres choix possibles (dont beaucoup m'auraient paru plus judicieux) ; concernant la Symphonie Romantique, toutefois, cela s'explique assez bien : c'est un objet assez étrange, différent de ce qui s'écrivait à l'époque, très loin de tout style national.


Les deux derniers mouvements (scherzo et final) de la Symphonie romantique de Victorin de Joncières. Hervé Niquet et le Brussels Philharmonic en avril 2011 à la Scuola Drande di San Rocco.
Il faudra peut-être le réenregistrer pour le disque, parce que l'orchestre, capable pourtant de très belles choses dans un répertoire ultérieur plus exigeant techniquement, était en petite forme ce jour-là : bois très ternes, cordes pas très juste (manque d'habitude du non-vibrato ?). Le son et l'articulation évoquent davantage les formations de cacheton qu'une grande phalange européenne... avec une seconde session, le résultat pourrait avoir une tout autre allure. (Je retirerai la bande à ce moment-là... mais faute d'alternative, il est déjà merveilleux de pouvoir l'entendre !)


On y remarque le goût de Joncières pour les alliages, avec beaucoup de soli, d'essais de couleur (pas forcément fulgurants, mais la partition regorge de tentatives assez originales), de courts motifs très individualisés. L'œuvre ne constitue pas un monument incommensurable, mais les deux derniers mouvements sont intéressants, avec un scherzo d'atmosphère fantastique qui évoque Weber (danses du Freischütz), Czerny (Première Symphonie) et Mendelssohn (Songe d'une Nuit d'Été), qui culmine dans un climax orageux assez paroxystique, qui a peu d'équivalents. Le final est étonnant également, entièrement fondé sur un choral de vents accompagné par des descendes de cordes en trémolo, clairement inspiré de la procession de Tannhäuser (et, dans une moindre mesure, du final du Vaisseau Fantôme) ; musicalement, la substance du mouvement est simple, mais l'affirmation de sa simplicité diatonique et ses moyens d'orchestration amples le rendent très persuasifs.

À entendre, au moins une fois.

2. Les opéras

Outre quelques opérettes, l'ambition de ses titres sérieux ne laisse pas d'impressionner : musique de scène pour Hamlet, opéras sur Sardanapale, La Reine Berthe, Les Derniers Jours de Pompéi, Dimitri, son plus grand succès qui offre une autre vision de l'histoire de Boris Godounov et Grichka Otrepiev, et même un Lancelot du Lac, personnage finalement rare à l'opéra, toujours dans l'ombre d'Arthur. Un Lancelot composé par un critique wagnérien, créé (1900 !) exactement entre Fervaal de Vincent d'Indy (1897) et l'Arthus de Chausson (1903), même si les librettistes sont plus conventionnels (Louis Gallet et Édouard Blau, auteurs respectivement de Thaïs et Werther de Massenet), voilà qui intrigue.

Le 8 avril, on jouera à la Cité de la Musique des extraits du Dernier Jour de Pompéi. Couplage avec quelques-uns d'Herculanum de Félicien David, qui vient d'être joué à Versailles, où je ne l'ai pas entendu – mais la lecture de la partition ne m'avait vraiment pas ébloui, pas plus que l'écoute de la parution récente de Lalla-Roukh (Ryan Brown / Opera Lafayette) ni que ses œuvres plus célèbres de musique symphonique ou de chambre (même sans considérer qu'il s'agit de musique des années 1860, on ne peut pas dire que le manque d'audace soit compensé par une veine mélodique hors du commun).
Joncières est plus intrigant, mais à la lecture de la partition, les carrures rythmiques répétées à l'infini (et pas exactement sophistiquées, du type croche-croche-croche-croche) m'inquiètent un peu. Harmoniquement, la partition semble plus savoureuse que Dimitri qui ne m'a pas paru très aventureux. Mais je n'ai pas fini de lire l'un et l'autre, donc je réserve mon jugement après une lecture complète... et a fortiori après une écoute en action de ces musiques. Cela ressemble à du grand opéra pas très exaltant, mais parfaitement honnête, tout à fait de quoi se satisfaire lorsqu'on aime déjà le genre.

Dimitri, plus varié, semble aussi moins raffiné dans les couleurs. Mais j'en parlerai lorsque je l'aurai essayé au disque, dans les prochains jours.

3. Prospective et souhaits

Ce qui m'intéresserait le plus sort un peu des attributions romantiques de Bru Zane : pour en rester à ce que j'ai lu ou joué, Frédégonde de Saint-Saëns, La Dame de Monsoreau de Salvayre, les Bruneau inédits, Le Retour de Max d'Ollone, Hernani de Hirchmann, des Février, Ivan Le Terrible de Gunsbourg, L'Aigle de Nouguès...

Cependant il reste tout de même les premiers Reyer, Le Tribut de Zamora de Gounod (partition riche et trépidante, vraiment le bon côté de son auteur, et qui n'existe que sous le manteau avec accompagnement piano), Françoise de Rimini de Thomas (jouée à Metz il y a peu, mais qui mérite un enregistrement), Jeanne d'Arc de Mermet, Patrie ! de Paladilhe, et pas mal d'autres choses auxquelles je rêve... ou encore mieux, celles que je ne soupçonne même pas !

Je suppose que cela dépend aussi de compromis passés avec Hervé Niquet, qui est quasiment le seul collaborateur lyrique de leur entreprise.

À la lecture des partitions, ça ne me paraissait (de loin) pas le plus urgent, donc, mais je ne vais certainement pas cracher sur une véritable découverte en première mondiale.

4. Les projets de Bru Zane

Suite de la notule.

vendredi 20 décembre 2013

La brassée de vidéos lyriques qu'il faut voir (en ligne)


La saison des frimas peut-elle nous offrir
Les fleurs que nous voyons paraître ?
Quel dieu les fait renaître
Lorsque l'hiver les fait mourir ?

La période semble être propice à la publication très concentrée des grandes soirées lyriques du moment. Petit tour d'horizon pour que vous en manquiez le moins possible.

Musique baroque

Spectacle d'airs de cour par William Christie, donné à la Cité de la Musique ce vendredi, disponible en direct puis en différé.
http://www.citedelamusiquelive.tv/Concert/1012123/william-christie-les-arts-florissants.html

Niobé de Steffani, un opéra seria complet du dernier compositeur mis à l'honneur par le traditionnel album de fin d'année de Bartoli. Par les forces du Festival de Boston : O'Dette et Stubbs dirigent, tandis que Karina Gauvin, Philippe Jaroussky et Terry Wey chantent !
http://liveweb.arte.tv/fr/video/Niobe/

Musique de l'ère classique

Les Danaïdes à l'Opéra Royal de Versailles, un des plus hauts chefs-d'œuvre de Salieri et de la tragédie lyrique réformée. Une belle version qui tient assez bien ses promesses, sans les défauts qu'on pouvait redouter (mollesse de Rousset dans un opéra où la trépidance fait tout). Tassis Christoyannis n'a jamais été aussi électrique, vocalement et dramatiquement.
http://fr.medici.tv/#!/les-danaides-salieri-les-talens-lyriques-opera-royal-de-versailles

¶ Musique de chambre et vocale de Haydn, Mozart, Boccherini, Mendelssohn par des solistes du Cercle de l'Harmonie dirigés du violon par Julien Chauvin, avec Julie Fuchs en soprane.
http://liveweb.arte.tv/fr/video/Les_Salons_de_Musique___Julie_Fuchs__Julien_Chauvin_et_les_Solistes_du_Cercle_de_l_Harmonie/

Musique romantique

L'Africaine de Meyerbeer à la Fenice. L'exécution n'en est pas merveilleuse (français très moyen, voix très couvertes qui manquent de clarté et de fraîcheur pour ce répertoire), mais tout de même solide, plutôt meilleure que la moyenne des autres captations de l'œuvre. Ensuite, comme il s'agit du seul opéra français de Meyerbeer et d'une des très rares œuvres de Scribe sans une once d'humour, un côté choucroutisant affleure dangereusement, même s'il demeure plutôt à la pointe de son époque.
En l'absence d'édition critique et d'exécution non-post-brucknérienne, on peut avoir l'impression d'écouter le Klagendelied de Mahler ou les Gurrelieder de Schönberg : un truc assez moderne, contenant quelques bijoux, mais quand même à peu près inécoutable dans sa continuité. Par ailleurs, Kunde, qui promettait beaucoup, s'est manifestement abîmé sur d'autres œuvres lourdes et centrales : les harmoniques hautes ont disparu, donc il doit forcer pour monter et se faire entendre, ce qui engendre un gros vibrato très disgracieux et assez instable.
Néanmoins, l'objet est suffisamment rare pour mériter l'attention, en attendant la parution chez CPO d'une version (sans doute pas idéalement linguistiquement et stylistiquement) originale de l'œuvre, sous le titre Vasco de Gama.
http://www.medici.tv/#!/l-africaine-meyerbeer-opera-la-fenice

¶ Tous les milieux glottophiles bruissent des débats autour de La Traviata de Verdi, mise en scène par Dmitri Tcherniakov à La Scala – et, devant un public qui a ses habitudes, forcément conspuée. À vue de nez, considérant quelques brefs extraits, ça semble assez écoutable et regardable, mais je laisse les lecteurs de CSS m'informer sur le sujet... dans cette ample liste, ce n'est certainement pas la vidéo prioritaire.
http://liveweb.arte.tv/de/video/La_Traviata_in_der_Mailander_Scala/

¶ Par ailleurs, Arte Live Web a proposé, pendant toute l'année 2013, une intégrale vidéo des opéras de Verdi, à partir des productions les plus récentes (pour la plupart italiennes). Par nature, forcément inégale, mais c'est l'occasion inespérée de voir Un Giorno di Regno, Il Corsaro ou Alzira en vidéo, et plusieurs de ces titres sont remarquablement chantés : le Falstaff de Modène est complètement idéal, les Vespri Siciliani et le Stiffelio de Parme très bons, le Don Carlo de Modène et l'Aida de Parme tout à fait valables, et puis l'Otello de Salzbourg et le Trovatore de Parme très prestigieux. Il faut se presser un peu en revanche : les premières vidéos sont déjà hors ligne. Commencez donc par les plus anciennes...
http://www.arte.tv/sites/fr/verdi/

Hamlet de Thomas (liste des notules de la série de CSS) à la Monnaie, par Marc Minkowski et Olivier Py.
La distribution d'origine était tout simplement idéale : Stéphane Degout en alternane avec Franco Pomponi (Hamlet), Sonya Yoncheva en alternance avec Rachele Gilmore (Ophélie), Jennifer Larmore en alternance avec Sylvie Brunet (Gertrude), Bernard Richter en Laërte, et même Henk Neven en Horatio et premier fossoyeur ! Le pauvre Jérôme Varnier, grand phraseur et voix édifiante, qui pourrait tenir Claudius avec bonheur, se trouve encore cantonné dans les spectres aphoristiques... il faut dire que dans ces rôles-pivots, il est tellement bon, qu'il est un peu facile de l'appeler à la rescousse, tandis qu'on trouve plus facilement des basses nobles ou chantantes pour Claudius (en l'occurrence, un baryton-basse, Vincent Le Texier, a fait l'affaire). Il est vrai qu'en l'occurrence le déclin de la voix devient un peu audible, et que l'aigu s'est largement glacé, mais c'est un constat de sous-distribution qu'on peut faire pour toute sa carrière.
Mais Yoncheva a été remplacée par Lenneke Ruiten (la voix sonne sans doute un peu âgée pour Ophélie, mais le timbre évoque avec force le meilleur de la tradition française, d'Andrea Guiot à Ghyslaine Raphanel), et Bernard Richter par Rémy Mathieu – choix astucieux : une bonne diction, une voix mixée et pourvue des mêmes accents étranges, même si l'instrument n'est pas aussi glorieux.
La distribution proposée dans la vidéo, avec Degout et Brunet, est l'inverse de ce que j'aurais choisi (il est vrai cela dit que le statut médiatique et la différence de projection de Degout, ainsi que l'absence de documentation de Brunet, le justifient assez bien) ; mais faute d'avoir Yoncheva, je suis content d'entendre Ruiten plutôt que Gilmore – étant entendu que toutes les combinaisons faisaient envie, en fait.
http://culturebox.francetvinfo.fr/hamlet-au-theatre-royal-de-la-monnaie-146449
La mise en scène de Py est plutôt réussie (avec plein de réserves personnelles sur sa lecture, mais dans un ensemble cohérent et soigné), et la direction de Minkowski est remarquable, parmi ce qu'il a fait de mieux dans le répertoire du XIXe : animée, colorée, mais sans sècheresse comme ses Wagner ou ses premiers Meyerbeer, n'exaltant pas les coutures comme dans ses Huguenots, et ne refusant pas le lyrisme (« Doute de la lumière » s'épand sans retenue ni raideur, l'expansion d' « Ombre chère »). Les soli sont magnifiques (hautbois en particulier, un instrument qu'il met toujours en valeur comme personne), le sens de la texture dans les moments de mystère forcent l'admiration.
Plutôt agréablement surpris par Degout, Hamlet peu sympathique qui se défend assez bien, et qui semble sensiblement moins mûr ou métallique que j'aurais pu le craindre ; Ruiten, Brunet, Mathieu sont admirables, pour diverses raisons, mais tous bien dits, engagés, pourvus de timbres agréables... et d'une manière générale très congruents avec le style et leurs personnages. Grande version, à mettre aux côtés des réussites de Plasson (nombreuses distributions), Billy ou Langrée, notamment.

Après le romantisme

Suite de la notule.

mercredi 27 novembre 2013

À présent en décembre


Comme il est de tradition, une sélection personnelle. En gras, les concerts auxquels je devrais être. Souligné, les possibilités non tranchées.

Pour la plupart des dates, vous trouverez des liens qui vous renverront vers des notices présentant les œœuvres, les chanteurs, les notions... De quoi patienter en attendant la notule consacrée aux Da Vinci Chords.

Théâtre

- Jusqu'au 22 décembre : Regardez mais ne touchez pas de Gautier, un vaudeville dans un Moyen-Âge de pacotille ; les week-ends à la Comédie de la Passerelle.
- Jusqu'au 25 janvier : La Locandiera de Goldoni, au Théâtre de l'Atelier, dans une production prometteuse – même si Dominique Blanc paraît plutôt à bout de voix dans les extraits visibles en ligne.

Musique

1 - Garnier - Musique de chambre (notamment d'Elliott Carter).

2 - Pleyel - Symphonies 5 et 14 de Chostakovitch - LSO, Gergiev.

3 - Monnaie (Bruxelles) - Hamlet de Thomas par Minkowski, Py, Yoncheva, Larmore, Richter, Degout, Varnier, Neven (!).

4 - Temple du Luxembourg - Concert Augusta Holmès par L'Oiseleur des Longchamps. Compositions pas forcément révolutionnaires, mais de belle facture.

5 - Pleyel - Symphonie n°3 de Copland par Krystjan Järvi et l'Orchestre de Paris. ŒŒŒŒuvre d'une autre trempe que ses célèbres poèmes symphoniques.

6,8 - Versailles - Elena de Cavalli par [Leonardo García Alarcœón|http://operacritiques.free.fr/css/index.php?2013/04/04/2230]. Spectacle précédé d'une grosse réputation, avec des travers d'adaptation manifestement corrigés par rapport à ses disques les plus récents.

7 - Versailles - Caurroy, Requiem

8 - Ambassade de Roumanie - Très beau concert Anna de Noailles par L'Oiseleur des Longchamps, Sabine Revault d'Allonnes et, amis glottophiles... Viorica Cortez !

9 - TCE - Violoncelle et piano : Mendelssohn n°2, Grieg, Rachmaninov, Britten, par Demarquette & Berezovsky.

10 - Oratoire du Louvre - Chœœurs sacrés de Poulenc (possiblement le sommet de sa production) par Les Éléments, ensemble où, précisément, la clarté et la souplesse sont des qualités déterminantes. On a rarement l'occasion d'entendre Poulenc par de beaux timbres, et ici, ce seront même de très beaux timbres.
10 - TCE - Dialogues des Carmélites (dans une très belle distribution) mis en scène par Py.
10 - Opéra-Comique - La Sixième Symphonie de Sibelius par Dausgaard et le Philharmonique de Radio-France... mais dans un couplage bizarre (l'Inachevée de Schubert et le 22e concerto de Mozart). Comme l'œœuvre sera redonnée avec la Septième à Pleyel dans quelques semaines, autant patienter.

11 - TCE - The Messiah, Haïm (avec de jolies voix comme Crowe ou l'éclectique Purves).

12 - Orsay - Quatuors de Kodály, Ligeti (n°1, bartókien, farci de références, très facétieux), Bartók (4) et duos pour violon (qui sont à entendre absolument), par le grand Quatuor Keller.

13 - Versailles - The Messiah par Ton Koopman, avec notamment la délicate Johannette Zomer (excellente dans l'air de cour !), Jörg Dürmüller et le spécialiste de l'oratorio baroque Klaus Mertens (ses rares lieder sacrés de CPE Bach, qui inaugure quasiment le genre du poème voix-piano, sont à entendre). Si ce n'était pas loin du monde et un peu cher, ce serait vraiment à essayer, dans un style vraisemblablement très différent de l'habitude (entre la fougue organistique de Koopman et le caractère désincarné des chanteurs !).

14 - Opéra-Comique - Manfred complet de Schumann, avec Astrid Bas !

16 - Versailles - Airs de cour et airs à boire : Moulinié, Lambert, D'Ambruis, Lully, Le Camus, Charpentier et Couperin interprétés par Negri (1,2,3,4,5), Reinhold, Auvity (1,2,3,4), Mauillon (1,2,3,4), Abadie et les Arts Florissants dirigés par William Christie. Bon plan : malgré les réputations respectives de ces salles, moins cher à Versailles qu'à la Cité de la Musique (en dernière catégorie s'entend).
16 - Amphi Bastille - Mélodies de Debussy, Ravel et Lutosławski par les membres de l'Atelier Lyrique.
16 - Pleyel - L'Oiseau de feu (Suite de 1919), Le Chasseur Maudit, Stabat Mater de Poulenc, par Casadesus et l'ONF.

17 - Orsay (nef) - Le Prince de bois (suite d'orchestre) et Deux images pour orchestre de Bartók par le Philharmonique de Radio-France (Tito Ceccherini). D'ordinaire, ces concerts sont gratuits (heureusement, vu l'acoustique de... hall de gare), mais je n'en retrouve pas mention.
17 - Pleyel - Messe en si de Bach par Pichon, avec Eugénie Warnier, Damien Guillon, Daniel Behle et Benoît Arnould (1,2).
17 & 19 - Bastille - I Puritani, date avec René Barbera : autant Korchak (1,2) a ses limites d'élégance et de couleurs, autant Barbera, dans le cadre d'un format typiquement rossinien (étroit, harmoniques faciales très fortes, presques stridentes, en montant dans l'aigu), développe beaucoup de générosité, et un timbre particulièrement séduisant.

18 - Bastille - Quatrième Symphonie de Tchaïkovski, Suite de Roméo & Juliette de Prokofiev, Intégrales de Varèse par Alain Lombard et l'Orchestre de l'Opéra. Particulièrement tenté par la Quatrième par un chef formé aux lectures cursives et le potentiel de cet orchestre.
18 - TCE - La Favorite de Donizetti en version française et dirigée par le remarquable soutien du répertoire « décadent » Jacques Lacombe : on lui doit Colombe de Damase, L'Aiglon d'Ibert-Honegger, Le Cid de Massenet, Marius & Fanny de Cosma (1,2,3), Gisei – das Opfer d'Orff (1,2), Die Dorfschule de Weingartner, Oberst Chabert de Waltershausen (pas mentionné dans ces pages, mais digne d'intérêt)... ! En plus d'être à ce point zélote (et de maîtriser couramment tous les répertoires post-1800), c'est un chef admirable, capable d'insuffler ce fourmillement caractéristique qui fait les grandes soirées. Ce qui me dérange ici est davantage lié à la distribution : l'œœuvre est très belle, surtout dans sa version française, mais que deviendra le français, avec l'inintelligible Uria-Monzon (et son opacité de timbre assez loin de ce que suggère le style et le rôle), l'impavide Flórez (et son style très virtuose-italien) ? Lapointe et Cavallier promettent davantage de ce côté. Par ailleurs, curiosité, on retrouvera Alain Gabriel : peu gracieux, il fut utilement Gomez de Feria d'Henry VIII, il y a 22 ans, à Compiègne ; et dans le même lieu des Grieux dans la Manon Lescaut d'Auber, Wilhelm Meister dans Mignon et Shakespeare dans Le Songe d'une Nuit d'Été de Thomas ; dans les années 2000, il tient essentiellement des rôles dits « de caractère » (Gastone dans La Traviata-Paris-Tour de Mehta, Ajax dans La Belle Hélène de Minkowski, Népomuc dans La Grande Duchesse de la même équipe, Remendado dans le studio de Carmen [1,2,3,4,5,6,7,8] de Chung avec Bocelli...). Et dans le joli rôle d'Inès : Julia Novikova dont le potentiel est tout autre, et qui fait par ailleurs une belle carrière internationale –– mais semble un peu acculée dans les rôles de soprano léger colorature.

Suite de la notule.

dimanche 3 novembre 2013

Vae pauperibus – Aida et Olivier Py


Assisté hier à la nouvelle production d'Aida, attendue depuis des décennies à Paris, et dont la présence ne me fâche pas non plus.

Pour un mot sur l'œuvre et sa discutable exégèse (« Aida est en fait un opéra intimiste »), on peut se reporter à cette récente entrée.

Cette notule se justifie essentiellement par quelques remarques (méchantes) sur la mise en scène, mais d'abord...

1. Prolégomènes musicaux

Suite de la notule.

dimanche 22 septembre 2013

Opéras en province – saison 2013-2014


Petite sélection de raretés et autres friandises en France et dans le voisinage francophone pour la saison qui débute. En gras lorsque motivé par les œuvres, souligné lorsqu'il s'agit des distributions.

Quatre groupements : Renaissance, baroque & classique ; romantisme ; XXe siècle ; contemporain. Avec leurs commentaires pour aider au choix, et des renvois vers les notules contenant des informations.

Renaissance, baroque et classique

Suite de la notule.

samedi 14 septembre 2013

Une saison 2013-2014 en Île-de-France (et un peu ailleurs)


Suite à la demande croissante en coulisses (croyez-le ou non, j'ai dû embaucher une autre secrétaire, sans parler des gardes du corps pour me protéger des ardeurs des plus impatients), notre petite usine poulpiquette a accéléré ses cadences pour fournir l'authentique planning saisonnier de Carnets sur sol, en véritable html massif. Malgré tout le soin accordé à la confection de nos pixels, il est possible que des erreurs se soient glissées, en particulier dans les dates. Vérifiez toujours pour les concerts qui vous intéressent, car le bureau des réclamations a été fermé (pour financer la nouvelle secrétaire, évidemment), et le standard ne dispose pas encore d'interprète fluide en lutin-français.

Pour cette cinquième année, il n'est peut-être plus nécessaire de préciser que non seulement il est impossible d'être exhaustif, mais que de surcroît les choix opérés sont dus à mes seuls tropismes et inclinations ; beaucoup d'autres choses de premier intérêt figurent dans les programmes sans que j'aie pris ma vie pour les recopier. En revanche, dans la masse présélectionnée, il y a sans doute matière à découvrir des salles moins courues et des œuvres peu jouées, pour pas mal de gouts différents.

Si cela peut aider à hiérarchiser, je n'ai pas eu la patience de retirer le légendage personnel : le signe § indique le degré de prévision, le signe ¤ l'improbabilité de ma présence. Je n'ai pas conservé la couleur qui apparaît sur l'agenda pour la présélection, mais peu importe, on peut très bien naviguer sans. Les astériques sont sans importance (à part pour moi, puisque j'ai déjà les billets).

Vous pouvez retrouver les précédentes saisons, chacune disposant en commentaires de liens renvoyant vers des échos des soirées vues :


Les spectacles vus seront cités en commentaires de cette notule, et diverses remarques sur la saison ajoutées sous cette étiquette.

En lice pour les putti d'incarnat, on trouvera donc :

Suite de la notule.

mercredi 22 mai 2013

Louis DIETSCH - Le Vaisseau Fantôme ou le Maudit des Mers - l'esprit du siècle


(On met aussi Der Fliegende Holländer version parisienne dans la remorque. Tout cela est semble-t-il à venir chez Naïve !)

Le Palazzetto Bru Zane frappe encore une fois un grand coup. Profitant éhontément de ce soporifique anniversaire Verdi-Wagner (pourtant, ce n'étaient pas les noms qui manquaient), voici qu'est présenté au public cet opéra dans l'ombre de l'Histoire - qui ne s'est pas demandé, en lisant une biographie même sommaire de Wagner, ce qu'il était advenu de son livret une fois acheté par l'Opéra de Paris, qui s'en était chargé, à quoi cela ressemblait-il ?


Fin du duo Senta-Troïl, et grand trio final du mariage (modérément festif). Loin de représenter la diversité de l'oeuvre, mais assez révélateur de ce que peuvent être les grands moments de la partition.


La curiosité était d'autant plus grande qu'il était très difficile de trouver des partitions (en dehors d'arrangements de salon) de Dietsch, et même des renseignements un peu précis sur cet opéra - sans avoir non plus remué ciel et terre, je n'ai tout de même à peu près rien trouvé, ce qui est assez peu commun, y compris pour des compositeurs absents du disque.

D'où la question qui brûlait les lèvres : chef-d'oeuvre méconnu par préjugé face à Wagner, ou bien oeuvre médiocre que même la comparaison avec Wagner ne pouvait rendre écoutable ?

Depuis mardi (et très bientôt à Grenoble et Vienne), le public a sa réponse. Et Carnets sur sol, dans sa munificence proverbiale, va vous la donner.

1. (Pierre-)Louis Dietsch (1808-1865)

Comme de coutume, je ne vais pas m'étendre sur les données contextuelles : il existe désormais un peu de matériel critique sur Dietsch, et on trouve le minimum nécessaire sur la Toile pour situer le bonhomme. Ce qui n'est pas forcément disponible en revanche, c'est ce à quoi ressemblait factuellement l'oeuvre. Là, les lutins de CSS entrent en lice.

Il suffit de savoir qu'il a débuté contre contrebassiste, puis organiste, maître de chapelle à Paris (Saint-Paul-Saint-Louis, Saint-Eustache, plus tard la Madeleine), et, à partir de 1840, chef de chant à l'Opéra, poste privilégié pour observer les tendances du répertoire.

Deux choses sont, à mon sens, particulièrement révélatrices dans sa formation :

=> son parcours dans le versant "savant" de la musique vocale, où les compétences techniques en composition sont plus exigeantes qu'à l'Opéra où l'effet et la vocalité peuvent primer ;

=> sa Messe solennelle à quatre voix, choeur et orchestre de 1838, qui lui a valu la notoriété (et même une décoration par le roi de Prusse), était dédiée à Meyerbeer.

2. Qu'est-il advenu du synopsis de Wagner ?

Je ne dispose pas de détails privilégiés sur la question, n'ayant même pu accéder au livret (ces gros malins de Château-de-Versailles-Spectacles ne vendent pas de brochures à l'entracte, je cours après l'achat du programme de la saison depuis octobre...). Mais la structure et les profils diffèrent assez du Vaisseau que nous connaissons, vraisemblablement à cause des retouches ultérieures de Wagner pour son propre drame. En effet Wagner écrit son livret (en français, semble-t-il, comment se fait-il qu'on n'en trouve pas trace facilement ?) lors de son séjour misérable en France - sans emploi de chef, sans possibilité de faire jouer Rienzi, il copie des partitions et écrit des articles pour payer les dettes de son couple. Une audition à l'Opéra de Paris lui permet de vendre le texte ; la musique qu'il avait commencée (ballade de Senta et choeur festif des marins de l'acte III) n'est pas acceptée. Il compose après ce refus, pendant l'année 1841, sa propre musique, ce qui doit coïncider avec la genèse du propre Hollandais de Dietsch (création à l'automne 1842).
Il est possible - mais je n'ai d'élément précis sur cette question, et je me méfie des affirmations relayées de génération en génération sur des sources que je n'ai pas lues... on est souvent surpris - qu'il ait donc changé son livret à l'occasion de sa composition musicale.

En tout cas, dans le livret de Paul Foucher et Henri Révoil (retouches, arrangement, ou refonte complète à partir du sujet originel ?) pour Dietsch :

=> Tout commence au début de ce qui est l'acte II de Wagner, quasiment avec la romance de Minna (Senta), un procédé liminaire habituelle dans l'opéra français, qu'on retrouve massivement chez Hérold, Meyerbeer, Halévy, Auber... L'amoureux (Magnus) est aussi éconduit sans trop de ménagement, mais le signe distinctif du hollandais n'est pas la ressemblance au portrait, mais une blessure éternelle au bras (faite par le père de Magnus, tué lors de sa rébellion contre le pacte diabolique de son capitaine). Les psychologies entrent en interaction dans un ordre opposé au livret allemand : Minna tombe amoureuse de Troïl (également le nom du marin maudit dans le Schnabelewopski de Heine qui a inspiré Wagner) avant de découvrir son identité, et non à cause de celle-ci. Evidemment cela change complètement les places respectives de l'Idéal et de l'Amour.
Magnus-Erik a un rôle encore plus important de dévoilement, puisqu'en les mariant, il découvre la marque d'infamie.

=> Le livret ménage une suite de numéros et de tableaux de caractère (il est possible que des ballets aient été coupés, cependant il ne s'agit pas d'un format Grand Opéra), assez statique (une scène pour chaque action, entre chaque personnage, chacun avec son air...) alors même que la musique est construite de façon très moderne et continue. On est loin, littérairement parlant, de la poussée inexorable du drame dans la version allemande, où les personnages prennent de l'épaisseur, sans se dévoiler eux-mêmes, par leurs actes. Chez Dietsch, chacun vient bien traditionnellement dévoiler sa subjectivité dans "sa" scène.
Livret moyen, donc - alors que le Fliegende Holländer est le seul livret wagnérien de la maturité que je trouve sans faiblesse.

3. La musique de Dietsch

Il faut le dire, c'est un coup de théâtre. Que je ne m'explique pas bien.

=> D'abord parce que l'oeuvre utilise beaucoup de procédés assez caractéristiques du Vaisseau de Wagner : leitmotive (notamment un thème de la Rédemption par l'Amour !), usage de ponctuations avec instruments nus pour faire monter la tension lors des entrées, trémolos omniprésents, lyrisme orchestral de style comparable, clausule extatique avec harpe (chose que Wagner ajoute seulement dans sa seconde version du Vaisseau !)... Avec son style propre bien sûr, mais comme si Dietsch avait lu la partition et s'était inspiré, avec son style propre, des idées musicales - d'une partition que Wagner n'a apparemment jamais laissée à l'Opéra. Bref, une concordance de pensées troublantes.

=> Une oeuvre qui prend le meilleur de son époque : beaucoup de moments évoquent le langage d'Hérold (le style des mélodies en particulier !), mais les efforts d'orchestration ont beaucoup à voir avec Meyerbeer (on songe même, dans le grand duo central, au mouvement lent de la Symphonie en ut de Bizet !), les cantilènes se réfèrent au belcanto (ce style de chant ne se trouve pas en France avant les années 1810, voire 1820), les danses sont d'un folklorisme endiablé qui évoque le Freischütz (pour lequel il écrira d'ailleurs un ballet en 1846... il avait sûrement déjà fréquenté la partition en 1842 ; une des cabalettes évoque même celle d'Ännchen), le tout débute par une ouverture suspendue, pointée et menaçante dans le goût de Rigoletto (pas encore écrit), le récit chromatique de Magnus fait écho au style des lectures de lettres dans les opéras du temps et, plus précisément, au spectre d'Hamlet de Thomas (1868)...

=> De manière plus générale, musicalement, même si sa consonance est sans commune mesure avec les frottements et les quintes à vide du Holländer, on a affaire à une oeuvre de grande qualité, qui culmine, exactement comme Wagner, dans ses ensembles. Le duo Minna-Magnus (qui évoque les portions les plus lyriques du duo Senta-Holländer), le duo Minna-Troïl (dont la matière de la partie la plus tempêtueuse est extrêmement proche du trio de l'orage de Dinorah de Meyerbeer), le trio final sont très impressionnants, des poussées de fièvre musicales assez comparables à ce qui se passent dans l'oeuvre de Wagner.
Et avec cela, pas vraiment de parties faibles - même si ces trois dominent nettement.

Une très belle oeuvre qui méritait clairement d'être réentendue, et peut-être pas qu'une fois.

4. Les questions posées

Devant cet opéra qui n'avait pas laissé de trace dans la postérité, le seul proposé au public par Dietsch semble-t-il, on se prend à rêver.

Est-ce une coïncidence, et a-t-on laissé échapper ce petit bijou assez visionnaire, qui s'approprie manifestement avec un rare talent les leçons de style d'Hérold et les leçons d'orchestration de Meyerbeer, avec un peu de danses frénétiques de Weber ? Ou bien est-ce une oeuvre tout à fait normale, et nous gave-t-on d'Halévy et d'Auber en laissant le public dans l'ignorance d'une veine plus originale, dont beaucoup d'autres opéras seraient témoins ?

Je penche plutôt pour la première hypothèse, dans la mesure où je n'ai jamais lu de partition d'opéra avec ce genre d'ambition purement musicale à cette époque en France, en dehors de Meyerbeer. Mais considérant que Dietsch n'était pas vraiment accessible, sauf à être chercheur dans ce domaine, il est tout à fait possible qu'il en reste d'autres.

.5 Interprétations

Suite de la notule.

lundi 3 décembre 2012

Offenbach - Les Contes d'Hoffmann - aux sources du livret


Ce texte fait suite au point général sur la genèse et les multiples éditions de l'oeuvre. Il y a été dupliqué pour faciliter la lecture.

4. L'adroit fatras du livret

Car du côté du texte également, l'ouvrage ne se signale pas par la simplicité la plus pure.

Le livret des Contes provient directement (comme Faust de Gounod !) de la pièce de 1851 Jules Barbier et Michel Carré - qui se sont mainte fois signalés dans l'adaptation des grands standards littéraires : Goethe (Faust, Mignon), Hoffmann, Shakespeare (Roméo et Juliette, Hamlet), Molière (Le médecin malgré lui), Corneille (Polyeucte)...

Le principe de la pièce est discutable mais astucieux : une collection de personnages et de situations tirés des nouvelles d'Hoffmann, et reliés par l'unification du héros amoureux - devenu Hoffmann lui-même (pour des raisons de publicité, je suppose). Ce choix n'est pas totalement arbitraire, dans la mesure où les récits à la première personne, avec des héros empruntant certains traits à leur auteur, ne sont pas rares chez Hoffmann.

Les auteurs se sont néanmoins amusés, dans le cadre de cet usage un peu sauvage de trames et de personnages qui ont tout juste le temps d'être caractérisés (là où Hoffmann travaillait finement son art du climat), à glisser nombre de références, au delà des intrigues qui servent de support aux trois femmes.

Acte d'Olympia :
- Fondé sur « Der Sandmann » (« L'Homme au sable ») des Nachtstücke (Contes nocturnes, 1817), où le héros rencontre Spalanzani (physicien obsessif) et Coppelius (démiurge de l'optique).

Acte d'Antonia :
- Fondé sur « Rat Krespel » (« Le Conseiller Crespel », plus célèbre sous le titre « Le violon de Crémone »), l'une des nouvelles les plus célèbres d'Hoffmann, tirée de Die Serapionsbrüder (Les Frères Sérapion, 1819). Dans le texte original, l'interdit qui règne est bien plus subtil, et nimbé de mystère et de culpabilité pour le héros, le personnage de Crespel plus enthousiasmant aussi, mais l'objet final constitue en réalité une transposition adroite de la matière vers l'efficacité scénique d'un drame musical, avec ses moments suspendus.
- Cela se fait avec l'introduction de la figure très opératique du Docteur Miracle, inspiré du personnage d'Ottmar, en communication avec des régions mystérieuses dans « Der Magnetiseur » (1814, publié dans les Fantasiestücke in Callots Manier), qui permet de mettre en branle toute la machinerie tragique, de façon plus spectaculaire qu'avec le sobre récit postérieur de Crespel.
- La mort de trop chanter se trouve également dans le « Don Juan » du recueil Callot.

Suite de la notule.

dimanche 2 décembre 2012

Offenbach - Les Contes d'Hoffmann - la (nouvelle) nouvelle édition Keck


A l'occasion des représentations par Minkowski et les Musiciens du Louvre, un petit point sur cette partition, l'une des moins fixes de tout le répertoire.


Revoici l'extrait mis en ligne cet été pour CSS : Mireille Delunsch sous la direction de Marc Minkowski à Lausanne en 2003, précédente version Keck. En attendant un peu de la nouvelle.


1. La création

D'ordinaire, les musicologues se réfèrent au manuscrit original, au matériel de la création, ou à la dernière révision du compositeur (ou approuvée par celui-ci). Il est donc possible de fixer éventuellement plusieurs éditions, mais toutes cohérentes : l'oeuvre originale, l'oeuvre originale rectifiée par la scène, l'oeuvre remaniée...

Pour Les Contes d'Hoffmann, ce n'est pas possible.

En 1873, Offenbach contacte Jules Barbier (survivant du duo Barbier-Carré, célèbre pour ses succès notamment avec Meyerbeer et Gounod) pour qu'il adapte sa propre pièce de 1851. Le but pour Offenbach est de triompher à l'Opéra-Comique où il n'a connu que des succès mitigés, mais il prévoit également d'écrire des récitatifs pour remplacer les dialogues parlés typiques de la facture opéra-comique, et pouvoir exporter son opéra à Vienne et Londres.

Mais il advient revers sur revers, et tour à tour le changement de direction de l'Opéra-Comique, l'impossibilité au Théâtre-Lyrique, la faillite de la Gaîté-Lyrique en 1878 repoussent le projet. C'est finalement l'Opéra-Comique qui endosse définitivement la création (avec commande ferme de la version en récitatifs pour le Ringtheater de Vienne) ; mais son célèbre directeur Léon Carvalho demande en échange des changements dans les profils vocaux des personnages.
Hoffmann, à l'origine un baryton (promis à Jacques Bouhy, créateur d'Escamillo et de Don César de Bazan de Massenet), devient ténor pour Alexandre Talazac (après ses succès en Roméo de Gounod). Stella doit être confiée à Adèle Isaac, soprano colorature à large ambitus (alors que les quatre rôles étaient semble-t-il prévus pour une voix plus large et sombre), et le rôle d'alto de Nicklausse est offert à la jeune prodige Marguerite Ulgade, soprano léger (d'où les nombreux changements d'airs selon les sources).

Pendant les répétitions de 1880, l'oeuvre subit des ajustements de la main du compositeur, mais celui-ci meurt au début du mois d'octobre. Auguste, son fils, confie l'achèvement des retouches à Ernest Guiraud (qui composera également les récitatifs pour Vienne), et Carvalho, inquiet de la longueur de l'ouvrage, décide de couper l'acte de Venise, contre l'opinion de Jules Barbier - puisque cela déstabilise toute le concept même de l'ouvrage.

Excellent accueil néanmoins à la création de 1881.

En 1887, le théâtre brûle, avec le matériel d'orchestre de la création, irrémédiablement perdu.

Malgré les succès des Contes d'Hoffmann, il faut attendre qu'Albert Carré en programme une nouvelle procduction en 1911, dirigée par Albert Wolff, pour que l'ensemble des actes soient donnés.

2. Etats de la partition

Rien qu'en s'en tenant à l'époque de la création, on dispose donc de plusieurs sources partielles et contradictoires.

1) La partition d'origine pour piano et chant, avec Hoffmann baryton (1879).

2) La partition pour piano et chant avec les nouvelles tessitures (1880).

3) La partition pour piano et chant avec les ajustements de la création (1880), mais ajustements incomplets.

4) La partition avec les dernières mises au point de Guiraud (1881).

5) La partition avec récitatifs de Guiraud.

On ne dispose donc pas de l'orchestration originale. Tout ou partie de ces partitions ont été perdues, et parfois retrouvées au fil des ans (1970, 1984, 1993, 2004 !).

Par ailleurs, l'oeuvre finale comporte des ajouts, par exemple le superbe sextuor apocryphe de l'acte de Venise, dû à Raoul Gunsbourg (par ailleurs compositeur d'opéras, son Ivan le Terrible est réellement intéressant) qui l'introduisit lors de la création des Contes à l'Opéra de Monte-Carlo (1904) dont il était directeur.

Considérant que ces versions sont fragmentaires et mutuellement exclusives, il est compliqué, aussi bien pour les musicologues que pour les chefs d'orchestre, d'opérer des choix cohérents - d'autant qu'il existe plusieurs versions alternatives pour chaque section.

3. Les éditions du marché

=> L'éditeur Choudens a proposé plusieurs versions de l'oeuvre. Les premières ne contiennent pas l'acte de Venise, et sont assez fragmentaires aussi sur la musique que nous connaissons aujourd'hui.

=> La cinquième édition Choudens (1907) est celle qui fait référence, jouée partout dans le monde, sauf expériences musicologiques. Au fil des ans, elle s'enrichit des restitutions d'autres éditions, mais demeure la base de la plupart des représentations des Contes.
- L'acte de Venise y est placé comme la deuxième rencontre féminine (devenant une initiation de jeunesse et non plus la marque déliquescente d'un héros vieillissant comme dans le projet originel), et non en troisième position. Il est de plus en plus fréquent désormais que les actes soient remis dans leur ordre "légitime", même en utilisant cette édition. Les ajustements de Guiraud comprennent la réitération de la fameuse barcarolle empruntée aux Rheinnixen, avec en particulier un très beau mélodrame servant de support à la mort en duel de Schlémil.
- En cet état, le livret comporte plusieurs manques étranges et petites incohérences dans les références des répliques.
- Toutes les versions d'avant les années 70 l'utilisent, et un grand nombre par la suite (avec quelques amendements éventuels) - étant libre de droits et déjà acquise par les théâtres, la tentation est forte d'en rester là.

Suite de la notule.

samedi 16 avril 2011

Paul DUKAS - Ariane et Barbe-Bleue - Pleyel 2011, Radio-France, Deroyer : Karnéus, Haidan, Hill, Cavallier, Harnay, de Negri...


1. Un livret

Maeterlinck est surtout resté célèbre pour son Pelléas et Mélisande, grâce à la surface médiatique de Debussy, mais on associe souvent abusivement, de ce fait, sa poésie dramatique à un univers uniquement allusif.

Certes, le silence, les réseaux symboliques horizontaux, la puissance de l'imaginaire stimulé par les "blancs" dans ce que signifie le texte, tout cela y a le plus souvent sa part (si l'on excepte certaines pièces un peu hors de la norme comme son Oiseau bleu).


Néanmoins, dans d'autres pièces, et pour s'en tenir à l'opéra, dans les livrets pour Dukas et Février, il en va autrement. Le livret d'Ariane développe au contraire une succession d'actions et d'opinions très nettes, même si Maeterlinck ménage un assez grand nombre d'interstices. Il ne s'agit pas vraiment un poème dramatique chargé de représenter une vignette, une part de vie ou de réalité humaine, mais davantage d'un apologue plus ou moins clos pour lui même, qui amène une démonstration.
Evidemment, une démonstration façon Maeterlinck, avec tout ce que cela suppose de parentés avec les fromages savoyards.

Maeterlinck le considérait comme un libretto d'opéra féérique, sans prétention, et il est un fait que sa portée reste plus limitée que d'autres de ses ouvrages, malgré son très grand sens de l'atmosphère. Le titre complet nous renseigne au demeurant fort bien sur son caractère de fable : Ariane et Barbe-Bleue ou La Délivrance inutile. L'oeuvre a en effet tout d'une représentation, sur un mode à la fois allégorique et domestique, de la servitude-volontaire.


La différence serait encore plus flagrante avec Monna Vanna, puisqu'il y est question assez ouvertement de viol (l'épouse de Guido Colonna, gardien d'une place assiégée et clairement située géographiquement, dont se livrer nue sous un manteau au chef ennemi pour permettre de sauver la ville), et que les scènes d'amour ont quelque chose des bluettes sentimentales qu'on voyait sur les écrans en France dans les années trente, à coups de souvenirs nostalgiques d'enfances à la campagne.
Sans parler du final de transfiguration des amants : bref, la recette de Pelléas n'est pas unique chez Maeterlinck, même si plusieurs traits, en particulier dans l'expression verbale, perdurent.

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2. Une musique

Sans que je puisse m'expliquer tout à fait pourquoi, je rencontre toujours une grande difficulté à caractériser la musique de cette oeuvre, assez loin des habitudes de Dukas, et tout à fait singulière bien que parfaitement inscrite dans le courant des novateurs français de l'époque.

Le langage est tout à fait classable esthétiquement : on est dans ce postwagnérisme transcendé par le nouveau goût français, celui des opéras de Chausson, d'Indy, Lekeu, Debussy, Dupont, Fauré, Cras, Ropartz, Février... et dans un registre moins onirique (pour les sujets ou pour les musiques) les opéras de Bruneau, Lazzari, Magnard, G. Charpentier, Bloch, Hirchmann...

La lecture de la partition montre elle aussi beaucoup de similitudes avec Pelléas, montrant des alternances d'aplats - où tout passe par l'harmonie et l'orchestration - avec des tournures rythmiques plus complexes (notamment le goût pour les surpointés, les fusées qui ne démarrent pas sur le temps, et bien sûr l'alternance fréquente, voire la superposition, entre binaire et ternaire). Ici aussi, la déclamation est réinventée pour être la fois "vraie" prosodiquement (ce n'est pas tout à fait réussi) et liée à la musique, détachée des inflexions quotidiennes.

Pourtant, quelque chose (m')échappe dans cette oeuvre. Toujours tendue, continue, sombre, avec quelques rayons aveuglants de clarté (en symbiose impressionnante avec la question centrale du retour à la lumière dans le livret), mais si difficile à décrire : ça ne sonne pas comme du Wagner bien que ça hérite totalement de sa conception du drame (longues tirades, continuité absolue, prééminence de l'orchestre, "abstraction" de la prosodie avec des mélodies assez disjointes, invention continue de l'harmonie, expressivité majeure des timbres instrumentaux), ça ne sonne pas non plus comme du Debussy bien que ça en soit totalement parent (couleurs harmoniques, carures rythmiques, type mélodique, conception de l'orchestre, et même des citations de Pelléas [1]). C'est peut-être bien le versant français qui est le plus fuyant, plus difficile à organiser en critères vérifiables : au fond, on pourrait penser en en écoutant des extraits que cette musique est tout aussi bien allemande (pas si lointaine du Barbe-Bleue de Bartók non plus, dans l'invention et la chatoyance orchestre des ouvertures de portes).


Bref, la densité, la pesanteur de son ton ont quelque chose d'assez singulier, qui sonne homogène mais qui se trouve comme déchiré par différents moments toujours radieux et étonnants : l'ouverture des portes, l'amplification spectaculaire du chant des femmes prisonnières depuis le souterrain, quand la porte interdite est ouverte (un choeur toujours plus nombreux et toujours plus soutenu par l'orchestre), les apparitions de la lumière, l'entrée des paysans au III, et d'une façon générale l'ensemble de l'acte III (caractérisations de chaque épouse, ou encore la fin).

Une vraie personnalité là-dedans, même si, me concernant, j'avoue volontiers que cet opéra est, parmi la première partie de la liste (des postwagnériens "oniriques") que je proposais plus haut, bien moins prenant que la moyenne (au niveau de Pénélope de Fauré et d'Antar de Dupont, deux opéras dans lesquels je me laisse un brin moins transporter). Il me faut à chaque fois l'ensemble de l'acte I pour être réellement plongé dans l'oeuvre.

Mais il est vrai qu'ensuite, et à plus forte raison en salle, lorsqu'on débouche sur les folies musicales de cet acte III, nourri au demeurant par un livret qu'il épouse d'assez près... ce n'est pas une petite impression qui se ressent.

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3. Problèmes d'interprétation

D'abord, il faut dire le bonheur de tous les lutins du monde d'entendre cette musique en concert. Ceux qui s'y sont prêtés ne sauraient être assez remerciés.

Notes

[1] On entend bien sûr la citation du motif de Mélisande dans l'oeuvre de Debussy, dans la même orchestration, lorsqu'elle est présentée à Ariane, puis lors de l'éloge de ses cheveux, de façon plus ostentatoire aux cordes. On retrouve au passge quantité de liens dans le livret avec le traumatisme aquatique, le moment de midi... Mais on entend aussi à plusieurs reprises des motifs musicaux qui font songer aux entrées subites de Golaud aux actes III et IV, ou bien aux souterrains. La composition d'Ariane débute en réalité un an avant la création de Pelléas, commencé bien auparavant, d'où l'hommage évident et les influences sous-jacentes.

Suite de la notule.

mercredi 10 novembre 2010

Le Prix de Rome et ses Cantates - II - Une tentative de programme représentatif


(Voir épisode I.)

A l'auditorium du musée d'Orsay, donc, Bernard Tétu proposait, à la suite d'une conférence Cécile Reynaud sur l'académisme en musique (à laquelle les lutins n'ont pas assisté), un programme consacré à l'histoire du Prix de Rome.

Pour mémoire, le Prix de Rome est fondé en 1663, et permettait au Premier Grand Prix de vivre quatre ans, logé, nourri et rémunéré par le roi, au Palais Mancini à Rome, pour s'affiner et exercer en Italie, loin de toute contingence. La composition musicale n'est récompensée qu'à partir de 1803, date à laquelle le lieu de résidence devient la Villa Médicis. Depuis 1969, la récompense ne se fait plus sur concours mais sur dossier, ce qui a grandement ôté à la visibilité de la récompense - aucune oeuvre nouvelle n'est créée pour le prix de Rome.
D'autres pays proposent un Prix de Rome sur le modèle français, par ordre d'apparition chronologique : Pays-Bas, Belgique, Etats-Unis et Canada (ce dernier depuis... 1987 !).

2. Principe du concert

Le concert proposé entendait montrer une sélection représentative de ce qui se produisait (en musique vocale). Excellente initiative, mais qui souffrait de quelques biais qui ont rendu la soirée certes pas moins passionnante, mais un peu moins prenante musicalement :

  • le choix d'oeuvres délibérément faibles, pour montrer ce qu'est le prix de façon représentative, au lieu de mettre en valeur les réalisations de qualité, ce qui pouvait conduire l'auditeur ingénu (il n'y en avait certes pas beaucoup dans la salle !) à renforcer ses préjugés négatifs ;
  • la confrontation avec des oeuvres de maturité hors Prix de Rome, qui nous privait d'entendre de plus larges extraits tirés des musiques qu'on était venu entendre ;
  • le contraste parfois minime entre les oeuvres académiques et celles supposées libres, qui n'apportait donc rien au propos.


Et il est vrai que pour avoir écouté ou lu un certain nombre de cantates du Prix de Rome, celles qui ont été retenues n'étaient pas forcément les meilleures, aussi bien pour la musique... que pour le texte !

3. Participants

Au piano (tout était en version réduction piano pour d'évidentes questions de coûts !), le mythique Noël Lee, et Bernard Tétu dirigeait son ensemble vocal à géométrie variable, constitué de chanteurs solistes qui font pour beaucoup une belle carrière, avec ce soir :
=> Corinne Sertillanges, soprano I
=> Ingrid Perruche, soprano II
=> Louise Innès, alto I
=> Irina Gurevitch de Baghy, alto II
=> Svetli Chaumien, ténor I
=> Julien Behr, ténor II
=> Jean-Baptiste Dumora, basse I
=> Jacques Bona, basse II

4. Contenu du concert

Voici donc une vue d'ensemble du programme proposé :

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Joseph Zimmerman (1785-1853)
Dabit benignitatem pour six voix a cappella en contrepoint rigoureux, le prix du concours de 1821 pour la place de professeur de contrepoint et fugue au Conservatoire de Paris.

Une excellente initiative : cette oeuvre est une réelle surprise, qui sonne exactement comme de la musique de la Renaissance... tout juste si l'on perçoit quelques harmonies un peu plus romantiques. Véritablement un exercice d'imitation virtuosement réalisé, et avec quelque chose d'un peu plus charmant et direct que les polyphonies Renaissance. Très beau et convaincant, et impeccablement exécuté.

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Ferdinand Hérold (1791-1833)
Extrait de La Duchesse de la Vallière, Premier Prix de Rome 1812 sur le texte de L'Oeillard d'Avrigny.

Comme on pouvait s'en douter, une oeuvre académique de cette période présente des couleurs harmoniques sensiblement limitées. On demeure dans cette épure rossinienne à la française, avec une nudité d'opéra-comique. On est loin des beautés de Zampa ou même du Pré aux Clercs.

L'oeuvre est bien fade, et si la voix d'Ingrid Perruche se révèle bien plus puissante et riche en harmoniques du formant qu'on pouvait le soupçonner en retransmission, la voix est aussi bien moins belle, et la diction assez floue, si bien qu'on est assez peu facilement attiré dans cette galanterie sans envergure et chantée par un format inapproprié.

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Ambroise Thomas (1811-1896)
Extrait de Hermann et Ketty, Premier Prix de Rome en 1832 sur le texte de Pastoret.

Evidemment, c'est là un jeune Thomas, un Thomas de 1832 (donc à peine vingtenaire, écrivant à l'époque du dernier Hérold...). Néanmoins, malgré les restes rossiniens qu'on y trouve, on entend ici, sur un texte terriblement stéréotypé (une scène d'amour apaisé qui ne masque que temporairement la blessure mortelle du héros), avec des échanges parfois grotesques, une belle musique lyrique, avec un certain nombre de trouvailles orchestrales qu'on devine au piano. En l'état, l'oeuvre n'est pas bouleversante, mais avec orchestre, elle devait être assez belle, et la musique se sert de la situation pour la rendre émouvante, par-delà l'aspect laborieux du texte.

L'interprétation renforce ces impressions : le beau lyrique de Svetli Chaumien, lumineux et parfaitement dit, prête à Hermann une grande séduction, bien assortie avec Ingrid Perruche assez convaincante ici. Et le piano de Noël Lee, souffrant (et visiblement mécontent de sa prestation de la soirée), paraît très emprunté, d'un déchiffrage tiède. Joué avec plus de relief ou par un orchestre, l'oeuvre aurait des séductions, c'est certain, même si elle n'a pas l'envergure de Hamlet ou même Psyché. Ce sont des choses que l'habitué des réductions piano perçoit aisément, la probable profondeur d'une oeuvre une fois orchestrée, car les réductions conservent les techniques de son propres aux instruments de l'orchestre, si bien qu'on peut en partie rétablir mentalement l'original.

Ambroise Thomas (1811-1896)
Extraits du Requiem de maturité : Santus et Benedictus.

Censés montrer, d'après Bernard Tétu qui intervenait opportunément pour présenter les extraits, combien Thomas était sclérosé par le Prix de Rome (étrange démarche pour un concert censé le présenter...), ces extraits révèlent en réalité sensiblement la même facette lyrique et douce. Mais de façon moins convaincante à mon avis que dans la cantate, car sans le relief dramatique (même mauvais), si bien que cette oeuvre religieuse semblait plutôt une berceuse pour Vêpres...
Dix minutes qui auraient pu être économisées pour présenter des oeuvres plus proches du programme.

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Hector Berlioz (1803-1869)
Extraits de Sardanapale, cantate avec laquelle il obtint, à son cinquième essai, le Premier Grand Prix de Rome en 1830, sur le texte de Jean Baptiste Gail.

Volontairement détruite par le compositeur, il subsiste encore des extraits de cette cantate. Qui sont, il faut bien en convenir, particulièrement mauvais. Extrêmement consonant et plat, le pire de Berlioz.
Car Berlioz a toujours eu ces deux facettes : le novateur génial et le compositeur de musiquette de cinquième ordre. Et ici, on est dans le plus mauvais de la seconde facette. Des accords dignes d'une première année d'étude d'harmonie, d'une platitude absolument extraordinaire.

Julien Behr, qui officiait ici, présente de grandes similitudes avec Sébastien Guèze dans les harmoniques métalliques et la manière assez forcée d'émettre par la gorge. De plus, la voix n'est pas très agréablement engorgée, et chaque son semble lui coûter une grande énergie articulatoire - les aigus paraissent presque douloureux. Dommage, le matériau de départ n'est pas moche, mais cela handicape considérablement son aisance, sa diction, la beauté du timbre et bien sûr l'aigu (vraiment difficile à atteindre).

Hector Berlioz (1803-1869)
La Mort d'Ophélie pour choeur de femmes à deux voix.

Une très bonne surprise que cette version pour deux solistes, qui permet une transparence et une émotion bien plus directes. En revanche, était-il nécessaire de jouer les strophes répétitives de cette oeuvre "libre", qui s'écartait du programme et que tout le monde dans la salle avait dû souvent entendre ? Chacun a bien à l'esprit au minimum que Berlioz, c'est aussi la Symphonie Fantastique et certainement pas d'abord les platitudes de Sardanapale !

En revanche Louise Innès, la mezzo, présente une voix étrangement mal projetée, pas du tout "sur le souffle", à peine timbrée... des défauts de débutants, qu'on peine à s'expliquer à ce niveau, aux côtés de solistes prestigieux. Et la diction n'était pas spécialement belle. Peut-être une inflammation passagère qui empêchait l'accolement correct des cordes ?

Hector Berlioz (1803-1869)
Choeur d'ombres, extrait de Lelio ou Le retour à la vie

La première partie, consacrée au premier XIXe, s'achevait sur cet opus 2 rarement donné et totalement ébouriffant, avec ses figures virevoltantes et crépusculaires - une scène d'enfer qui a tout de la force d'évocation du Dante (pas si loin de Francesca Da Rimini de Rachmaninov...). Une belle démonstration de ce que pouvait produire Berlioz hors des formes figées qui semblent l'anesthésier aisément.

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Bilan de cette première partie :

Comme nous nous y attendions, la forme académique n'est pas propice à l'épanouissement musical à une époque où le langage harmonique est encore assez limité par une grammaire postclassique. Elle prend plus son prix lorsqu'elle impose un cadre à une palette de couleurs vaste, qu'elle domestique.

La seconde partie contenait donc, très logiquement, plus de chefs-d'oeuvre.

mardi 2 novembre 2010

Les amants fous, création d'Orianne Moretti


Un petit droit de suite après avoir annoncé et commenté dans ces pages le spectacle consacré à Clara Schumann par Orianne Moretti. La Compagnie Correspondances fondée par ce soprano propose un spectacle théâtral mêlé de musiques au Théâtre du Tambour Royal jusqu'au 18 novembre.

Côté musical, on pourra entendre ceci, chanté par Orianne Moretti et Till Fechner (un très bon baryton central, plutôt bon acteur), avec Patrick Langot au violoncelle et Anastasia Slojneva au piano.

A. Rachmaninov, lied, « Belle comme un midi »
A. Scriabine, prélude opus 11 n°24
G. Mahler, lied, « Ich hab’ ein glühend Messer », Chant d’un compagnon errant
R. Schumann, duo « In der Nacht »
D. Chostakovitch, lied der Ophelia, voix / violoncelle, Romanzen‐Suite
R. Strauss, drei Lieder der Ophelia
A. Rachmaninov, Sonate opus 19 piano / violoncelle, Andante
H. Berlioz, La mort d’Ophélie

Je ne m'y suis pas rendu, notez tout de même que les Strauss et Chostakovitch sont très rarement donnés. Et le duo In der Nacht, un pastiche d'aubade espagnole dans le Spanisches Liederspiel Op.74 de Schumann (en réalité des adaptations allemandes de textes réellement espagnols par Emanuel Geibel), est une pure merveille : la douce solennité de l'espérance semble déchirer la nuit et défier les jaloux, avec une fusion des voix assez extraordinaire - un des plus beaux lieder jamais écrits, rien de moins.
De beaux moments en perspective.

Le tout se superpose à la trame de Hamlet de Shakespeare, qui en sera la colonne vertébrale théâtrale - avec une mise en scène.

3, 4, 11, 12 et 18 novembre à 21h
Théâtre du Tambour Royal. 94 rue du Faubourg du Temple. 75011.
Métro Belleville. Parking au 83 rue du Fbg du Temple.
Réservation : 01.48.06.72.34

vendredi 9 juillet 2010

Première mondiale : Psyché d'Ambroise Thomas


En exclusivité sonore par le Lutin Chamber Ensemble.


Gravure de Raphaël Sanzio-Marc-Antoine (1939) pour le roman de La Fontaine, Les Amours de Psyché et Cupidon.
Une des premières illustrations de cette édition, mi-licencieuse mi-drolatique, assez dans le ton badin du texte lui-même.


Ambroise Thomas est trop souvent présenté comme un compositeur officiel, et en raison de sa fonction centrale de directeur du Conservatoire à Paris, il en effet était plus craint pour son influence que pour son talent. Il a néanmoins, hors Mignon qui a mal vieilli, laissé quelques oeuvres d'une qualité qui mérite considération, et en particulier Hamlet amplement vanté dans ces pages dès les premières années de CSS.



On a ajouté cette vidéo pour une perception plus visuelle de l'alternance des personnages, si jamais cela augmente votre confort...
Mais tout le texte et les commentaires demeurent ci-dessous.

Illustrations gracieusement fournies par Messieurs Luca Giordano, Francesco Albani, Edmé Bouchardon, Giovanni Da Bologna, Orazio Gentileschi, Claude Le Lorrain, Andrea Locatelli, Berthel Thorvaldsen, Jean-Baptiste Pigalle, Jean Siméon Chardin. Qu'ils soient chaleureusement remerciés pour leur coopération compréhensive et zélée.


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1. Un sujet

Vient à présent le tour de Psyché, mais ici, nous avons dû dépoussiérer la partition nous-mêmes, puisqu'il semble qu'il n'existe aucun fragment jamais enregistré - et je ne dispose pas non plus de référence de concerts radiodiffusés, même si, dans la masse, cela a tout à fait pu exister avec un air ou un extrait.
Bref, une première mondiale.

Il s'agit de la version révisée de 1878, avec ses récitatifs chantés. Car l'original de 1857 sur le même livret de Jules Barbier et Michel Carré était un opéra-comique, qui comportait des dialogues parlés entre les "numéros" chantés.

Loin de sombrer dans la sucrerie sentimentale qu'on aurait pu à bon droit craindre, Thomas traite le sujet avec le même type d'ironie compatissante sur les faiblesses de caractère de ses personnages et le même type de regard distancié sur les coutures visibles de sa propre histoire... qu'on pouvait rencontrer chez La Fontaine.

Et c'est cet esprit plaisant, avec sa Psyché coquette (une vraie Sémélé), son Eros un peu naïf et son Mercure bateleur, qui séduit tout d'abord. L'écriture musicale est en outre raffiné, avec pas mal de belles modulations que n'aurait pas reniées Meyerbeer (même si, à l'époque de Thomas, elles n'ont plus rien de subversif).


Psyché sur la barque de Charon.


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2. Un extrait

En voici l'enregistrement maison (vous pouvez aussi, pour plus de commodité, le télécharger au format mp3 ici). Le texte est égrené au fil de la notule.


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3. Scène : Prière et dialogue des soeurs

Ici, Psyché est en proie à des hommages d'erreur de la part du peuple - confusion vénusienne qu'elle semble fort goûter, en coquette patentée. C'est le choeur initial, joué au piano, et suivi d'un interlude d'abord lyrique en prolongeant l'harmonie du choeur, puis dansant tandis que l'assemblée se retire.

Les soeurs de Psyché restent, et récriminent.

LA PREMIERE
Eh bien, vous le voyez, on la traite en déesse !
C'est Vénus qui descend des cieux !

LA SECONDE
Sur ses pas la foule se presse Et d'elle seule attend l'indulgence des dieux !

LA PREMIERE
On la dit la plus belle !

LA SECONDE
.............................. On la croit sans égale !

LA PREMIERE
Patience ma soeur ; par un brusque retour Tant de gloire a parfois quelque suite fatale.

LA SECONDE
Ecoutez ! Des pêcheurs se dirigent vers nous. Sous cet ombrage épais fuyons les yeux jaloux !




La loquace tour de passage vers le royaume des morts où Psyché passe en quête du fard de Proserpine.


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4. Scène : Entrée d'Eros

Eros survient, accompagné par un choeur de tritons (!) à bouches fermées (au départ prévu a cappella, et après la petite tirade d'Eros complété par l'orchestre).

Au passage, il était déjà question de tritons chez La Fontaine (chez qui cependant toute intervention était proscrite) :

Psyché faisait alors des réflexions sur son aventure, ne sachant que conjecturer du dessein de son mari, ni à quelle mort se résoudre. A la fin, tirant de son coeur un profond soupir : Eh bien ! dit-elle, je finirai ma vie dans les eaux : veuillent seulement les Destins que ce supplice te soit agréable ! Aussitôt elle se précipita dans le fleuve [...]

Je ne vous assurerai pas si ce fleuve avait des Tritons et ne sais pas bien si c'est la coutume des fleuves que d'en avoir. Ce que je vous puis assurer c'est qu'aucun Triton n'approcha de notre héroïne. Les seules Naïades eurent cet honneur. Elles se pressaient si fort autour de la Belle que malaisément un Triton y eût trouvé place.

Et pour en revenir à Barbier & Carré :

EROS
O Neptune, dieu des mers !
(choeur à bouches fermées)
O Zéphyre, roi des airs !
(choeur à bouches fermées)
Sauvez des flots amers
Eros et sa fortune !
Et vous, ô tritons, sous l'onde endormis,
Guidez-nous vers ces bords amis !
(choeur à bouches fermées)

En danger sur sa barque, au son de ses invocations assez méditatives (et dans le grave pour le ténor), Eros est finalement conduit par le choeur de tritons sur la rive avec Mercure. Les voici qui descendent.


Psyché apaise Cerbère pour entrer aux Enfers, dont la mythologie fait finalement un véritable moulin (Orphée y part en balade, Pollux va y faire son marché, sans parler d'Hercule qui y passe son temps libre pour une raison ou une autre).


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5. Scène : Récitatif des deux émissaires

Une figure tournoyante et bondissante annonce Mercure.

MERCURE
Remerciez Zéphyre, Zéphyre et son haleine :
Nous sommes arrivés ! Voici devant nos pas
Et le temple et le bois d'oliviers et là-bas
Les blancs palais de Mitylène !

EROS
C'est là que vit Psyché !

MERCURE
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . L'insolente Psyché Dont Vénus veut punir la beauté criminelle.

EROS
Est-ce donc à ses yeux un crime d'être belle !

MERCURE
Le trait dont son coeur est touché
Nous atteint avec elle ;
Et votre mère mère peut s'en fier à mon zèle !

Mis à part le ton rêveur, déjà tout prêt à s'éprendre, de cet Eros romantique, qui s'exprime en écho d'un motif alangui, le ton général est vif et badin. L'orchestre se pose par touches, malicieusement, presque parodique dans ses tournures.

Et la petite montée en ailes de papillon ouvre l'air de Mercure.


Psyché ou la conspiration du fard.


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6. Air de caractère : Mercure, "Des dieux je suis le messager"

L'air débute par un exorde en récitatif qui contient déjà des éléments comiques, en particulier des montées grandiloquentes comiques sans doute prévues pour une voix de fausset (en décalage avec l'ambition de la présentation), et du figuralisme comme le trémolo pour le tonnerre.

MERCURE
Des dieux je suis le messager - je suis Mercure !
Souvent par une nuit obscure
Sur terre on m'a vu voyager
D'un pied léger !
Qu'il pleuve, qu'il vente ou qu'il tonne,
Rien ne m'émeut, rien ne m'étonne !
Des dieux je suis le messager - Mercure !

Arrive le thème A, une danse rieuse et un peu galante, tantôt bondissante, tantôt narrative, tantôt ornementée.

Ami du mystère
Des dieux indiscrets,
Je sais maint secret
Qu'il n'ont pas su taire !
D'Apollon confus
J'ai volé les armes ;
Ma voix par ses charmes
Endormit Argus.

Réexposition du thème A sur un nouveau texte. Où l'on voit que les attributs et pouvoirs de Mercure sont attachés à sa qualité de facilitateur d'amourettes (Jupiter étant "l'époux de Junon", donc avant tout désigné par sa qualité de conjoint).

Pour parler aux belles
Et plaire en son nom
L'époux de Junon
M'a donné des ailes !
C'est lui, c'est lui qui m'a donné des ailes !

Thème B, encore plus badin, avec des gammes fantaisiste et de petits accords (qu'on devine aux bois) qui pépient de façon moqueuse : Mercure, avoir égrené ses exploits, déverse une petite cascade de jeux de mots plus ou moins heureux. La section se termine sur un orchestre largement à l'unisson, et homophonique (mêmes rythmes à tous les pupitres), qui double la déclamation emphatique de Mercure sur Amphytrion.

Comme un valet de comédie
Quelquefois même il m'expédie
Chez quelque mortelle aux doux yeux,
Maîtresse du maître des dieux !
A ses exploits je m'associe
Et pour servir sa passion
J'emprunte les traits de sosie
Comme lui ceux d'Amphytrion !

Retour du thème A sur le même texte :

Pour parler aux belles
Et plaire en son nom
L'époux de Junon
M'a donné des ailes !
C'est lui, c'est lui qui m'a donné des ailes !

Déformation du thème A :

Pour parler aux belles
Et plaire en son nom
L'époux volage de Junon
M'a donné des ailes !

Reprise de la thématique du récitatif initial, mélangée avec les figures de bois attachées au thème B :

Des dieux, je suis le messager,
Des dieux, des dieux je suis le messager.
Mercure ! -
Des dieux je suis le messager !

La partition ménage par ailleurs quantité de possibilités d'interpolation pour ajouter ou ôter des aigus.


... et tout est bien qui finit bien.


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7. Un avis

Dans le genre de la scène et de l'air de caractère, cet opéra recèle de nombreux bijoux, dont cette section, dont le ton badin est assez réjouissant, et la démystification de la mythologie sans la violente déconstruction qu'on trouve chez Offenbach - Thomas le traite plutôt avec un tendresse sarcastique, en accentuant les défauts attribuables à tel ou tel dieu (ici, la duplicité et la forfanterie).

C'est un petit miracle de fraîcheur évidemment, mais aussi d'inspiration, avec une belle évidence thématique, de superbes climats très changeants, un grand sens de la danse hérité en droite de ligne de Rameau et Meyerbeer.

Bref, une oeuvre qu'on aimerait voir sur les scènes, d'autant qu'il y a de quoi faire briller, en plus d'un jeune baryton (on peut prendre une voix claire et souple, ça se trouve facilement et ça les changera des Almaviva), un ténor très facile à chanter (presque la tessiture d'un baryton, vraiment confortable), et une soprane de type lyrique léger un peu virtuose (elles existent et interprètent toujours les mêmes - belles - scies, ou des oeuvres faibles).

Parce qu'avec nos moyens actuels, on ne peut guère que donner des extraits sur CSS... C'est une invitation à la découverte, donc...

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Rappelons l'existence d'une catégorie entièrement consacrée à Ambroise Thomas, en particulier sous l'angle du parallèle (car un angle parallèle est un concept profondément intéressant) entre Shakespeare et Barbier & Carré dans Hamlet.

Par ailleurs, on a beaucoup parlé des drames de Jules Barbier et Michel Carré sur CSS, on pourra fouiner un peu aussi pour prolonger.

Enfin, il existe une catégorie qui regroupe les inédits ou raretés proposés par CSS avec les moyens de la maison.

Bonne écoute et bonne découverte à vous !

lundi 19 avril 2010

Patrie ! - Le portrait inversé de Don Carlos - [inédits d'Emile Paladilhe]


(Cette notule comprend des illustrations musicales inédites.)

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1. Un symbole

Emile Paladilhe (1844-1926) fait partie de ces compositeurs français de premier plan en leur temps précipités dans l'oubli par la prédominance mondiale des oeuvres germaniques (ou italiennes pour l'opéra), et des esthétiques qui leur son attenantes. Aussi, le 'goût français', pour le romantisme (et surtout pour la période suivante d'une puissance imaginative et qualitative qui n'a que peu d'équivalents), est-il désormais peu intégré par les musiciens et les auditeurs, qui les jouent et les jugent souvent à l'aune des canons germaniques.

On juge cette musique invertébrée formellement, on juge son goût du figuralisme et du 'programme' vulgaire. C'est évidemment se méprendre comme juger un opéra de Lully à l'audace harmonique ou un opéra de Verdi à la complexité orchestrale.
On l'a déjà abordé à propos du répertoire de piano français, totalement absent des salles de concert (à l'exception de Gaspard de la Nuit de Ravel et des Préludes et Images de Debussy - et encore, de façon assez peu fréquente) : la musique germanique privilégie la structure, l'invention purement musicale ; la musique italienne est d'abord sensible à l'évidence de la mélodie et la gloire des lignes vocales ; la musique française, elle, privilégie avant tout l'évocation et les climats. Il s'agit donc de suggérer des images poétiques, sans chercher nécessairement la cohérence, l'innovation ou la 'pureté'.

C'est aussi dans cette perspective qu'il faut considérer les opéras français, où le texte a souvent plus d'importance qu'ailleurs, jouant d'égal à égal avec la musique. Parce qu'on en attend des inventions musicales structurelles (il y en a pourtant, mais à un niveau de détail et moins dans la macrostructure peut-être) ou de l'osentation vocale, on peut en être déçu. Et le public qui n'a plus l'occasion d'y être exposé ne peut de toute façon que s'en détourner.

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2. Qui ?

Emile Paladilhe, à peu près oublié, dont il n'existe à peu près rien au disque (l'oratorio des Saintes-Maries de la Mer doit être à peu près la seule mono(disco)graphie consacrée à ce compositeur, réduit à une piste ici ou là) était pourtant une figure centrale de la musique française du dernier quart du XIXe siècle. Inité très tôt à l'orgue à Montpellier dont il était originaire, il se rend dès neuf ans à Paris et obtient (personne ne fit mieux) le Premier Prix de Rome à seize ans. On le signale aussi comme ami de Bizet. Tout cela trace le portrait, en dépit de tout ce que l'auditeur déconnecté des exigences stylistiques qui prévalaient alors pourra dire, d'un grand technicien de la composition.

Il est inutile de se répandre en détails superflus sur un catalogue qu'on ne peut de toute façon écouter. Signalons simplement qu'en tant que compositeur de prestige, Paladilhe composait essentiellement de la musique lyrique : opéras, oratorios, mélodies (dans des genres assez variés). Il a bien entendu écrit aussi de grands poèmes symphoniques et de la musique de chambre surtout destinée à l'exécution brillante en concours.

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3. Patrie !

Patrie (avec ou sans point d'exclamation) est l'oeuvre la plus célèbre de Paladilhe, la seule, à dire vrai, qui ait conservé un rien de présence dans l'esprit de la postérité. Ce fut son plus grand succès, un des opéras les plus populaires en France jusque pendant la première moitié du vingtième siècle. Créée en 1886 à l'Opéra de Paris, elle utilise le livret de deux grands littérateurs dramatiques de l'époque, Victorien Sardou (père premier de Tosca) et Louis Gallet (qui a bien réussi et bien raté, selon les cas [1]).

Dans Patrie, tout se fonde sur le modèle du Grand Opéra à la française : cinq actes, contexte historique, personnages nombreux, scènes de foule, numéros obligés, récitatifs très soignés créant une douce continuité entre des "numéros" très intégrés (souvent entrecoupés de récitatifs, peu isolables ou moins mémorables mélodiquement que les récitatifs), présence d'humour, etc. C'est un Grand Opéra moins malicieux, moins vocal, plus solennel que celui de Meyerbeer - on se situe à l'époque de Mermet, Salvayre et Reyer. Les ballets à cette époque sont aussi sensiblement réduits à néant.

Le sujet lui-même ne doit pas être pour rien dans le succès. Il conte à front renversé par rapport au Don Carlos de Schiller, du Locle, Méry et Verdi l'histoire de l'insurrection des Flandres espagnoles : cette fois-ci non vu depuis la puissance dominante (même si cette révolte était exaltée), mais de l'intérieur. Un groupe de gentilshommes flamands décide de restaurer une République pour les sauver de la cruauté de la loi martiale des reîtres d'Ibérie. Ils se réunissent dans l'ancien Hôtel de Ville, chez le sonneur Jonas (basse bouffe), sous l'impulsion du noble Rysoor (baryton héroïque), plein d'idéaux et de désintéressement (une sorte de Posa à l'âge mûr), incarnation du sublime et moteur de l'action tout à la fois.
Il découvre cependant que sa bien-aimée le trahit avec son compagnon d'armes Karloo (ténor lyrico-dramatique). Lors de la grande réunion de l'acte IV où ils font sonner les cloches, ils sont tous pris par le gouverneur (le duc d'Albe, basse noble), trahis par la seule qui savait. Rysoor fait alors jurer vengeance à Karloo (sauvé par la fille du gouverneur) qui a contracté cette immense dette morale à son égard.
Et tout ce que je puis préciser, c'est que Karloo est un garçon bien obéissant, qui nous procurera un final dans le goût du Trouvère, où l'exécution de ses amis concorde avec celle, hors de la place publique, de la femme traîtresse.

Après la défaite de 70, on peut imaginer quelles émotions pouvaient susciter à Paris la représentation d'une tentative d'affranchissement malheureuse.

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4. Extraits

Les gloires du chant du début du vingtième siècle ont cependant, comme pour Reyer, laissé quelques extraits fameux : l'air patriotique de Rysoor (extrait de la scène de préparation de la révolte, au début de l'acte IV), et la bénédiction du corps de Jonas par Rysoor à la fin du même acte, une fois tous prisonniers et voués à la mort.
Dans les extraits maison que je propose ici, on entendra la scène patriotique dans son entier (avec l'introduction orchestrale, les échanges entre personnages puis le grand arioso patriotique qui lance la révolte), ce qui est une première mondiale en enregistrement. Et on commence avec un extrait de l'acte I, lui aussi jamais enregistré, et même jamais rejoué depuis la dernière représentation de Patrie, il y a désormais... longtemps.

Le langage de Paladilhe est simple, il se caractérise par des lignes assez épurées, à la fois mélodiques et sobres, sans rengaines ostentatoires, et sans recherche de complexité. Le soin apporté au récitatif est constant, et les airs sont plutôt des ariosos fondus dans la continuité dramatique. Orchestralement, on imagine quelque chose de pas toujours délicat, mais les harmonies simples et expressives, et parfois discrètement raffinées, font vraiment du beau travail pour susciter l'adhésion (témoin le choral sans doute aux cuivres qui débute la scène patriotique présentée ci-après).

Comme de coutume, j'inclus un extrait de ce qui précède pour nous mettre dans l'atmosphère et ne pas créer l'illusion de "numéros fermés", même si cette scène a une cohérence propre.

Un ténor de caractère, La Trémoille, un français bien pimpant (dans le même registre d'autocaricature que ce qu'on trouve dans Le Roi malgré lui de Chabrier) est en visite aux Pays-Bas espagnols, à l'occasion du carnaval. (On entend un extrait de la fin de son air.) Il rencontre son ami Rysoor (baryton héroïque), noble néerlandais et patriote. Celui-ci lui propose alors un récit dont la parenté, aussi bien thématique (dans le texte) que musicale, est frappante avec la grande description de Rodrigue de Posa dans Don Carlos. Avant plus ample commentaire, en voici le texte :

RYSOOR
Oui, c'est le Carnaval ! Cette place où naguère
Retentissaient les chants joyeux, le choc des verres,
Est pleine de bandits - sûrs de l'impunité,
Et tels que des corbeaux dévorant la Cité !
Oui, l'Espagne triomphante,
Rorte des maux qu'elle enfante,
Prend racine à notre seuil,
On nous tue, on nous fusille,
Il n'est pas de famille
Que l'on n'ait mise en deuil.
Pour affirmer sa puissance,
La ruine est partout - et partout le gibet !
Tout soldat est bourreau, certain de la sentence :
Pourvu qu'il tue, il peut tuer comme il lui plaît !
Voilà la sanglante tuerie
Que promènent sur notre sol
Les oppresseurs de la patrie !
Voilà le Carnaval que nous fait l'Espagnol !

LA TREMOILLE
Quelle horreur !

Nous sommes ici au tout début de l'acte I (qui débute d'ailleurs sans Ouverture), et on repère d'emblée certaines références évidentes à Don Carlos. Rodrigue dit ainsi :

Cette paix ! La paix du cimetière !
...
Est-ce la paix que vous donnez au monde ?
Vos présents sont l'effroi, l'horreur profonde !
Tout prêtre est un bourreau, tout soldat un bandit !
Le peuple expire, il gémit en silence,
Et votre empire est un désert immense
Où le nom de Philippe est maudit ! Oui, maudit !

On décrit la même région (et Patrie est le côté "application pratique" de l'affaire), et on est presque littéralement dans les mêmes termes. Musicalement aussi, on retrouve le tumulte suggestif à l'orchestre, un peu moins moderne chez Paladilhe que dans la refonte du duo par Verdi après l'échec napolitain de 1871. Plus encore, le chromatisme descendant et ascendant est presque totalement identique, avec les trémolos en plus, au moment du bannissement d'Eboli par Elisabeth de Valois, à l'acte IV.

Par ailleurs, sur le langage de Paladilhe lui-même, voyez avec quel naturel de l'affirmation presque badine "Oui, c'est le Carnaval" on progresse vers les paroxysmes (avec des fa#3 [2] qui 'claquent' à répétition) - à la fois la montée de l'horreur de l'évocation et l'augmentation de l'indignation patriote de Rysoor. La déclamation respire toujours amplement, jusque dans les séquences les plus oppressantes, et l'éclat conserve toujours une certaine noblesse d'expression, quelque chose de presque hiératique. On est loin de l'expression très expansive et mélodique des Italiens, assurément. D'autant plus que l'orchestre ne fait pas qu'accompagner, mais ponctue vraiment de façon personnelle, colore aussi. Et l'harmonie change au fil des émotions : sans être révolutionnaire du tout, elle ne se laisse pas deviner, si bien que le tableau dressé par Rysoor laisse toujours en haleine. Un large récitatif qui est tout autant un morceau de bravoure que pourrait l'être un air.
Et tout l'opéra se tient à ce niveau.

Qu'on se rassure, on y rencontre aussi du cantabile [3], mais clairement pas autant que de la déclamation.
Notre séquence suivante est témoin de tout cela.

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Ici, avant la révolte (manquée), Rysoor rêve, en haut du beffroi où ils vont sonner l'heure fatale, au monde qui s'ouvre à eux. C'est le véritable héros de l'opéra puisque le ténor (Karloo) est terni par ses penchants séducteurs qui vont précisément trahir Rysoor - et les perdre tous deux à leur tour.
Après le choral énoncé dans le médium grave par les cuivres (et repris dans le médium aigu par les flûtes) - à en juger par l'écriture de la particelle (au piano seul, donc des déductions) -, les conspirateurs entrent sur une monodie [4], conduits par le sonneur Jonas, qui leur montre les lieux, et notamment la salle du Conseil où les figures de pierre de leurs aïeux ont été décapitées. Karloo survient, annonçant les derniers préparatifs ; Rysoor invite chacun à prendre courage, et contemplant les lieux, rêve au glorieux passé qui va se réveiller, avec pour signal les cloches : Cette cloche qui sonne, c'est l'appel déchirant d'une mère à ses fils !
La scène se clôt avec la dispersion feutrée et l'encouragement doucement protecteur de Rysoor, s'achevant sur la reprise du choral, sans doute s'éteignant aux cordes.
Un des très beaux moments de l'opéra.

En voici tout de suite le texte :

JONAS
Par ici ! Doucement !

UN NOBLE CONSPIRATEUR
. . . . . . . . . . . . Où sommes-nous ?

JONAS
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Chez moi !
Chez mes cloches ! Ici, l'escalier du beffroi ;
Là-haut, la salle où nos seigneurs de la commune
S'assemblaient autrefois. Sous ce rayon de lune,
Les voilà tous, voyez, là, couchés sur le sol -
Décapités par l'infâme espagnol !

CHOEUR DE CONSPIRATEURS
Quel abandon ! Quel funèbre silence !

RYSOOR
Mes amis, patience !
Un nouveau soleil va resplendir sur nos fronts !
Dormez, morts glorieux, dormez - nous vous éveillerons !

UN NOBLE CONSPIRATEUR
Qui va là ?

RYSOOR
. . . . . . . . . . C'est Karloo. Parle, quelles nouvelles ?

KARLOO
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Tout va bien. Dans Bruxelles
Dix mille hommes armés attendent notre appel.
J'ai prévenu Kornelis, Bakerseel.
Plus de chaînes, partout j'ai fait libre passage !

RYSOOR
Ainsi donc, l'heure est proche ! Ah, mes amis - courage !
[Récitatif introductif]
C'est ici le berceau de notre liberté ! [5]
Ici, nos pères ont fondé ces lois,
Que nous allons défendre !
Je crois les voir toujours et je crois les entendre
Dans ces lieux où battait le coeur de la cité.
[Arioso]
Plus sinistre est la nuit, plus joyeuse est l'aurore -
Oui, malgré l'espagnol, ce coeur palpite encore,
Ce cadavre est vivant aux créneaux du beffroi,
Spectre vengeur de la patrie, aux coups du tocsin [6]
Qui se dresse et crie : "O peuple flamand, lève-toi !"
Et vois : le peuple vient,
Sa grande âme frissonne,
Il vient, bravant tous les défis.
Il sait pour qui lutter : cette cloche qui sonne,
C'est l'appel déchirant d'une mère à ses fils !

CHOEUR DE CONSPIRATEURS
Aucun ne tremble !

RYSOOR
. . . . . . . . . . . . . . . Aucun ne tremble. [7]
Eh bien, allez, et debout tous :
Prévenez nos amis, et revenez ensemble,
Que pas un seul ne manque au rendez-vous.

Seul l'arioso avec son court récitatif introductif a été enregistré (il se trouve même dans des éditions modernes en séparé), de même que le court arioso Martyr obscur du même personnage au même acte. Tout ce qui précède C'est ici le berceau de notre liberté est donc un inédit absolu, qui permet de replacer cet air dans un contexte esthétique et dramatique - ce qui est toujours très précieux à mon avis.

Par ailleurs, je trouve, d'une façon plus personnelle, le style des enregistrements existants, pourtant par de très grands chanteurs que j'admire beaucoup (Arthur Endrèze, Ernest Blanc...), tout en force, pas très séduisants par rapport au personnage héroïque mais élégant de Rysoor. [Je concède tout à fait cependant que ma typologie vocale tire le rôle vers quelque chose de presque galant qui crée un déséquilibre dans l'autre sens, on pourra me le reprocher à bon droit - trop français, en quelque sorte.]

On voit d'emblée et d'un coup d'oeil la disymétrie très hétéroclite des vers utilisés, mais à la lecture, leur découpage en milieu de phrase et surtout leur rythme sont vraiment sujets à caution (certains ne riment avec rien, d'autres sont constitués de la répétition du même membre, d'autres enfin ont une syllabe de trop - on l'a indiqué en note lorsque nécessaire). Et dans le même temps, on respecte scrupuleusement ce qui n'était alors plus qu'une "rime pour l'oeil" (la concordance de la liaison supposée, même non prononcée, en fin de vers).
Il est probable que Paladilhe en ait retouché certains par commodité, mais au point de mutiler la régularité, cela est rare ; et quoi qu'il en soit, la maîtrise technique de la versification reste assez rudimentaire ici.
Par ailleurs, le résultat n'est pas vilain si on le considère comme de la prose, loin s'en faut - plutôt touchant, même. Et l'ensemble de l'oeuvre a beaucoup de rythme. Mais nous avons plus affaire à des spécialistes de la macrostructure dramaturgique qu'à des orfèvres du verbe...

Musicalement, le récitatif suspendu de la scène qui précède, où celui plus solennel, mais toujours doux, qui ouvre l'air, sont souverains, délicatement ciselés, chargés de climat mais avec une certaine distance presque optimiste ; quant à l'arioso avec son accompagnement plus agité, il remplit parfaitement sa fonction incantatoire, et son extinction murmurée à la voix plus aux cordes est un grand moment. Vraiment une très belle réussite.

Quant à l'interprétation, je rappelle simplement aux visiteurs de passage qu'il s'agit d'un enregistrement qui ne prétend pas fournir une version sérieuse de la partition ; c'est simplement une prise faite pendant un moment de loisir, où je dois tenir à la fois piano et chant (prise de son maison également), ce qui ne laisse pas la possibilité de fournir la finition d'un enregistrement du commerce. C'est simplement à titre indicatif, la possibilité offerte de découvrir une musique autrement inaccessible, et l'invitation pour ceux qui peuvent à ouvrir les partitions.

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5. Des conclusions ?

On espère tout d'abord que la balade a été à votre gré.

Ensuite, le résumé de cette petite exploration est simple : Patrie ! est quelque chose de bien chouette qui mériterait d'être remonté et enregistré. Son ton à la fois héroïque et badin pourrait tout à fait séduire, de même que les meilleurs Meyerbeer, le grand public, également les amateurs de Verdi et de Gounod, et peut-être plus généralement d'opéra français. C'est un ouvrage fort long, certes, et avec force personnages, mais il n'est pas si difficile techniquement pour orchestre et chanteurs. On ne se gêne pas à couper un tiers d'un acte des Gezeichneten pour économiser des salaires et assurer la liaison avec les derniers métros, quitte à saboter le propos esthétique de l'ouvrage entiers ; alors on peut tout à fait rogner un peu sur Patrie' qui n'aurait pas sa chance autrement.

Le reste de la production de Paladilhe n'est pas forcément du même intérêt : les mélodies sont assez aimables (comme chez Reyer en somme) et son oratorio des Saintes-Maries, également sur un poème dramatique de Louis Gallet, présente assez peu d'aspects saillants, tout dans une consonance agréable mais un peu molle qui ne me le fait pas vraiment recommander. Dans ce goût, Lazare et le Requiem de Bruneau, ou bien Marie-Magdeleine de Massenet (du même librettiste) touchent quand même occasionnellement (et même fréquemment pour le dernier exemple) à une forme de grâce qui me paraît plutôt absente de ce Paladilhe-là.
Dommage, puisqu'il s'agit de la seule intégrale disponible au disque et jouée de loin en loin... Mais en ce qui concerne les lutins, tant qu'à inviter à l'aventure, autant ne pas conseiller de la marchandise de seconde catégorie. Aussi en avons-nous fourni de la première à vos oreilles (bienheureusement, on l'espère) ébaubies.

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6. Poursuivre les explorations

En ce qui concerne le répertoire français, vous pouvez (notamment) consulter :

  • La catégorie consacrée aux concerts physiques ou virtuels de CSS. Vous y trouverez notamment du Wagner en français, du Reyer (Sigurd et Salammbô), du Cras et la Radio Farfadets.
  • Ingrédients et invariants du Grand Opéra à la française.
  • La Dame de Monsoreau de Gaston Salvayre.
  • Autour de Sigurd et Salammbô de Reyer : première mondiale d'un duo inédit de Sigurd, présentation de Salammbô et extrait en première mondiale (avant la recréation marseillaise).
  • Les différents (et très nombreux) états de la partition du Don Carlos de Verdi (commande parisienne en français - voir les autres Verdi sur le même patron).
  • Transmutation du Shakespeare en métal français : série sur Hamlet d'Ambroise Thomas (livret Jules Barbier & Michel Carré).
  • Les Robaiyat d'Omar Khayyâm par Jean Cras.
  • Etc.


Notes

[1] Le Roi de Lahore et Thaïs du côté des réussites, Le Cid et Le Rêve (Bruneau pour ce dernier) de l'autre côté. Mais il a aussi collaboré à beaucoup de Saint-Saëns : Le Déluge, La Princesse jaune, Etienne Marcel, Proserpine, Déjanire ; et aussi avec Gounod (Cinq-Mars) et Bizet (Djamileh).

[2] On ne peut pas exiger du baryton d'aller au delà du sol3, donc on se trouve bien en bout de tessiture, avec un effet de tension évident (et de volume sonore).

[3] Caractère de ce qui est lyrique, très conjoint et legato (lié) : typiquement la manière d'écrire et de chanter des Italiens dans les sections lentes.

[4] C'est-à-dire une ligne mélodique seule.

[5] Oui, la versification est bien étrange dans ces deux premiers vers... Est-ce de la prose, ou bien > Paladilhe a-t-il procédé à des modifications ? Des mètres irréguliers, pas de rimes...

[6] Alexandrin de treize syllabes...

[7] Voilà un vers qui n'a pas coûté trop cher à son auteur.

jeudi 4 février 2010

Les badinages publics de CSS - Une histoire de l'opéra (rare) français


En projet pour les prochaines semaines, CSS concocte un programme de concert chargé de présenter, à travers des pièces majoritairement peu jouées (voire totalement inédites, même au microsillon), une histoire sommaire de l'opéra français. Du moins jusqu'à l'époque où l'orchestre devient tellement raffiné qu'il me faudra un accompagnateur (ou accompagner un chanteur, peu importe) : pour faire vite, à partir de Pelléas.

Voici une ébauche de programme possible dans lequel il faudra sélectionner quelques titres.

L'astérique indique une oeuvre (ou un passage) qui n'est plus disponible au disque. La double astérique indique une oeuvre (ou un passage) jamais enregistrée.


1. Liste

Suite de la notule.

mercredi 23 décembre 2009

A la découverte de MEYERBEER - II - Raisons d'une mésestime


Un point sur le rejet ou l'ignorance vis-à-vis de Meyerbeer. Pour pouvoir mieux parler de son esthétique sans interférences dans la prochaine notule.

Suite de la notule.

jeudi 16 juillet 2009

Comte de vampire

Premier épisode ici, pour bénéficier du contexte culturel et générique, et d'une vue d'ensemble de la structure.

Au programme aujourdhui :
Rapports à la science et impossibilités théologiques, habiletés structurelles et réécriture spectaculaire. On ne se refuse rien, parfaitement.


Le début de l'opéra Der Vampyr de Heinrich Marschner sur le livret de Wilhelm August Wohlbrück d’après Polidori (développement de l’ébauche de Byron) notamment.
Ici, une version de chambre du Grachtenfestivalorkest (sous la direction de Peter Biloen), l’année dernière à Amsterdam. Vous entendez Henk Neven, remarque dans tous les répertoires, de la tragédie lyrique à Schreker, en Lord Ruthven (air d’entrée d’espoir dans sa mission puis d’éloge au sang ; duo avec Janthe, sa première victime ; « résurrection » au clair de lune grâce à son débiteur Edgar Aubry). Janthe : An De Ridder ; Aubry : Brad Cooper.
Vous pouvez également charger une version libre de droits (radio viennoise). Dans cette notule, on opère un pont avec Don Giovanni qui pourrait aussi se soutenir dans certains endroits de Dracula.


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4. Le fantastique et la science

On en était resté sur la classification difficile selon le genre fantastique : ici, pas d’hésitation entre naturel et surnaturel ; tout le roman, annoncé comme véridique par l’éditeur fictif qui aurait recueilli les documents (on ne sait pas véritablement qui ni pour en faire quoi, même si on peut imaginer un legs des héros destiné à éveiller la vigilance des hommes), est au contraire tendu vers la démonstration irréfutable de l’existence des vampires.
Il s’agirait donc plus d’un avatar néogothique du type « merveilleux horrifique », un récit épique où les fées ou les géants sont remplacées par des démons.

Cependant, l’esprit du fantastique n’est pas si loin. Précisément parce qu’il s’agit d’une démonstration.

Dans un récit merveilleux, on accepte, le temps de l’ouvrage, que les dragons existent, et qu’on les tue tout naturellement en leur perçant le coeur avec une épée reçue de la main des dieux. Siegfried ne paraît guère ému de rencontrer un hideux reptile au coin du chemin – ce n’est jamais qu’un dragon, on ne va pas non plus en faire un fromage.

Dans le Dracula de Stoker, au contraire, l’auteur, via les différents rédacteurs des lettres et journaux, effectue sans cesse un passage du doute à la certitude, du scepticisme méthodique à l’évidence empirique. En cela, et indépendamment du fait qu’au bout de l’oeuvre l’existence des vampires est formellement attestée par ces gens sympathiques et éclairés, il reste toute la démarche du fantastique : le balancement du doute. Longtemps, les choses ne sont pas nommées (il faut attendre plus de la moitié de l’oeuvre pour voir écrit le mot « vampire »).

Et alors que le merveilleux néglige la modernité, plante son décor dans d’autres mondes ou dans des époques reculées, ici au contraire toutes les innovations sont utilisées : on utilise un enregistreur audio pour écrire son journal, on sténographie, on tape à la machine, on télégraphie, on prend le train... Tout cet attirail scientifique n’empêche pas, et au contraire légitime, les superstitions des autres âges. Ainsi un professeur spécialiste des maladies mentales et même de la chirurgie du cerveau va, dans le secret, exploiter les connaissances intuitives des vieux grimoires sur les êtres de l’Autre monde (ou plutôt de l’entre-deux-mondes), et seule la tradition de l’ail et de l’hostie pourra protéger les aventuriers malgré eux. [Cela pose d’ailleurs d’autres problèmes de cohérence au sein du genre lui-même, on verra ça plus loin.]

Et cela cadre bien avec le fantastique, qui dans un monde dominé par des figures positivistes, souhaite tout simplement réhabiliter l’instinctif et le flou au sein de l’imaginaire humain – au moins le temps d’une lecture. Le professeur Van Helsing a bien souvent des mots durs sur les scientifiques qui à force de ne croire que ce qu’ils ont expérimenté, nient les vérités qui dépassent l’entendement humain. C’est presque le seul élément idéologique de l’oeuvre, qui reste avant tout un divertissement construit avec soin (malgré des manques évidents) : une défiance contre l’usage de la modernité déconnecté de la tradition.

Cela conduit cependant à quelques tensions insolubles – inhérentes à ce type de bidouillage supersticieux autour de l’âme, mais renforcées ici par une forme d’empirisme scientifique.

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5. Vampirisme et foi

Mon objet, en rendant compte de cette lecture insolite, n’est pas de dresser une dissertation sur les incompatibilités potentielles dans le triangle superstition / foi / raison. D’autant plus que c’est là une faiblesse du texte de Stoker : aucune perspective philosophique n’est tirée de la situation. On a la fable en trois étapes qu’on a rapidement retracée, et il faut s’en contenter.

Toutefois, la dimension pudiquement victorienne de ce roman amène quelques questions.


Les démons commandent aux nuées dans les Carpathes et au delà.


Tout ce qui peut rapprocher le vampire de sa signification dans la mythologie (la source que rappelle en partie Polidori et qu’appliquent Wohlbrück / Marschner) est tu. On se retrouve donc avec un être dont l’existence paraît bien arbitraire, malgré tous les efforts de raisonnement complaisant du lecteur.

A de rares exceptions près (vampirisation de Jonathan Harker et première vampirisation de Mina Harker), toute la volupté et toute la fascination qu’exerce la figure du vampire sont tues. Il parle peu, et n’apparaît guère que pour frapper – loin de Lord Ruthven et de ses stratagèmes mondains. Ainsi, toute la dimension prédatrice liée à la virilité de la figure du vampire disparaît ; la métaphore du séducteur qui ravit la chair en emportant l’âme, prêt à escalader n’importe quelle fenêtre et à laquelle il ne faut à aucun prix ouvrir, sous peine de ne plus résister à son pouvoir, par fascination ou par force – est à peu près totalement occultée. Certes, il s’agit là d’un conte de bonne femme qui réutilise à des fins morales une croyance plus ancienne et plus essentielle, liée aux frontières entre les mondes (les esprits errant sans sépulture, dès les Grecs, ne réclamant que l’accès à l’Enfer). Mais dans un cadre romanesque, on aurait gagner à donner plus d’épaisseur et pour tout dire de charme à une figure très schématique dans ce roman, uniquement moteur de l’intrigue.
Plusieurs autres explications culturelles existent, moins propres au romanesque, comme la pathologie porphyrique, qui peut faire prendre un aspect effrayant (nécrose de la lèvre qui découvre les dents, blanchissement du teint... exactement les symptômes cliniquement rapportés par Stoker... à ceci près que les dents et les ongles rougissent là où Dracula a un émail diamant gourmand) et a pu être assimilée à une possession.

Cependant, non content d’écarter cette épaisseur-là, Stoker met en relation ses damnés à lui avec un anglicanisme strict. Il commence très habilement par faire excuser son premier narrateur (Jonathan Harker, dans son journal transylvain) de prêter une importance magique païenne à des accessoires du culte (remis pour le protéger par les villageois qui le pleurent déjà). Mais par la suite, il se contente de mettre dans la bouche de ses personnages, et en particulier de la dernière victime Mrs Harker, des professions de foi renouvelées.

Cela pose un réel problème de foi, précisément. C’est un véritable désordre dans la Création, au point qu’écrire un tel livre mérite ni plus ni moins que l’excommunication. On dispose d’êtres en quelque sorte créés par le diable, et qui sont damnés sans avoir commis le moindre péché, ce qui va en contradiction manifeste non seulement avec l’échelle des valeurs chrétiennes (il n’est même pas question de Grâce, ni de près ni de loin dans le propos du roman...), mais surtout avec la nature même de Dieu, dont la miséricorde se trouve quelque peu mise à l’épreuve. Il ne s’agit plus de la théorie de la retraite du monde, laissé avec la liberté en apanage aux humains (ce qui pose déjà quelques problèmes logiques, puisque les maladies virales ou congénitales, par exemple, font partie du cadeau), qui serait en quelque sorte une épreuve avant la juste rétribution dans l’Autre monde ; ici, les créatures de Dieu sont laissées en pâture à d’autres forces qui leur piquent leur âme sans pacte, contrepartie ni péché.

C’est de la fantaisie pure, et ce qui pourrait finalement fonctionner dans un univers décléricalisé, est ici rendu absolument incohérent par la récurrence des prières ferventes : elles ne sauvent pas l’âme des croyants sincères et des hommes bons, et finalement les personnages s’en remettent à la miséricorde et, en dernière instance, à la volonté de Dieu, c’est-à-dire à être envoyé dans les Enfers pour prix de leur foi et de leur bonté terrestres. La présence de ces poussées de foi, même si elles ont quelque chose d’assez joli dans leur pathétique (même Dieu ne peut les sauver, ils doivent se débrouiller comme des grands tout seuls contre l’Enfer, et faute d’avoir une chance quelconque de réussir, il faut bien y aller quand même pour passer le temps qui reste), rendent facilement autant invraisemblable les récits de vampire que le raisonnement rationnel – contre lequel Stoker est plus appliqué.

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6. La première vertu : subtilités narratives

Ce qui sauve l’oeuvre, en fin de compte, et maintient le caractère agréable de sa lecture, se trouve plutôt dans une manière assez originale (bien que loin d’être révolutionnaire à cette date) et efficace.
On a déjà parlé de la structure même du récit, fondé sur l’entrelacement de sources différentes. Pourtant, loin de mettre à distance le lecteur, cette succession rapide de narrateurs distincts parvient à l’introduire de plus en plus avant dans l’histoire.


Certains se font retrouver dans des abbayes et non près des fontaines.


Le tout début demeure très extérieur : on se trouve face à un personnage nouveau, un peu peureux, une sorte de voyageur ingénu assez proverbial. Typique du début de récit de voyage extraordinaire, qu’on trouve par exemple dans le récit inséré du marquis de Las Cisternas dans le Monk dont il était question récemment.
Rien de très saillant ni de très personnel dans sa psychologie. Les notes de voyage accentuent cet effet : il existe un décalage manifeste entre le moment de la narration et le moment des actions. On n’écrit pas dans les cahots de la route le voyage qu’on n’a pas encore fait. Donc il sera suffisamment sain et sauf pour pouvoir écrire ensuite.

Au fil du séjour chez Dracula, beaucoup du texte concerne le fait même d’écrire, le moment choisi volé à la journée ou à la peur. C’est donc beaucoup plus une écriture instantanée, de plus en plus fréquemment dans les journées, et ce caractère immédiat va peu à peu se systématiser.

Dans le même temps, alors qu’il s’agissait d’un journal de voyage relativement banal dans sa forme (parfois négligée, comme ces dialogues sans marques typographiques), se glissent des éléments qui, l’air de rien, ne relèvent plus du tout du journal intime. « Tous ceux qui ont vécu cet instant me comprendront » peut encore être une formule qui s’adresse à soi, mais « Qu’on me permette d’exposer des faits – dans toute leur nudité, leur crudité, tels qu’on peut les vérifier dans les livres et dont il est impossible de douter. » (chapitre III, date du 12 mai), clairement, s’adresse à un auditoire plus vaste qu’à sa future épouse à qui il est susceptible de faire lire le journal.
Cette formule rhétorique, l’air de rien, en plus de rendre son récit moins distant, fait glisser sa position singulière vers une mission universelle, et surtout fait parler dans un présent (pas le temps verbal) très urgent : effectivement, il peut être fauché à tout moment, il écrit tous les faits sur le vif.

Presque imperceptiblement, le compte-rendu assez factuel et impersonnel des premières pages, presque sous forme de notes (beaucoup de phrases nominales), se met à utiliser un prétérit très narratif : Harker ne fait plus un compte-rendu de voyage, ils nous raconte... un roman.


Le château de Bran, où Vlad Ţepeş ne demeura que quelques jours, devenu un lieu touristique en raison de son aspect relativement conforme, vu depuis le bas de la falaise, avec celui du comte Dracula.


Le comble de la posture narrative intervient vers la fin du journal, où l’injonction « Hark ! » (« Ecoute(z) ! » ) ne cache même plus la mise en scène...

Je précise tout de même que j’ai lu, peut-être bien à tort, l’oeuvre dans une édition française, et que le développement de certaines expression fait perdre le style en densité – et accentue ces discordances. Ainsi « hark » se trouve traduit par « écoutez » et « let me » par « qu’on me permette », ce qui force un peu le glissement déjà présent dans le texte original.

Par ailleurs, cet poussée depuis le journal intime vers une narration romanesque demeure sensible, une fois acquise, dans le reste du roman. Très habile façon pour l’auteur de rendre crédible son dispositif initial, sans nuire en quoi que ce soit à la force d’illusion romanesque qu’il souhaite obtenir au bout du compte. Une jolie manière progressive d’atteindre le langage qu’il avait désiré, tout en lui conservant l’aspect extérieur qu’il prétend.

Cela n’empêche pas, au demeurant, un certain nombre de jeux, notamment avec des références (Mille et une nuits et Hamlet sont tout à fait explicites).

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7. Réécriture

Pour terminer, j’en viens au chapitre connu sous le nom de Dracula’s Guest, qui ne figurait pas dans l’édition originale, mais qui est peut-être une ébauche antérieure au roman. Dans un genre beaucoup plus narratif (et, il faut bien en convenir, beaucoup plus élégant et beaucoup plus prenant), un vrai récit assumé cette fois, à la première personne également, un personnage (qui n’est pas, comme on le lit parfois, Jonathan Harker) effectue une balade pédestre pendant la Nuit de Walpurgis sur le chemin du château de Dracula (mais on est encore dans la forêt... munichoise).


Des vallons roumains transylvains comparables à ce qu'on imagine, de jour, du paysage du village abandonné dans L'Invité de Dracula.


On se situe au moment même où débute l’oeuvre intégrale, mais il se passe autre chose. Il est étonnant de voir comme Stoker redéploie le même matériau de façon totalement différente.

On y retrouve la marche à pied interdite, les chiens hurlants tout autour, l’orage, le vers de la Lenore de Bürger, le flacon d’eau-de-vie, la neige prompte... mais d’un usage totalement différent. L’épaisseur du personnage (un gentilhomme, et brave, cette fois-ci) est nettement plus importante, avec un humour bienvenu (pour exprimer son calme : « Mon sang anglais me monta à la tête ») ; le mystère qui l’entoure bien plus grand, car mêlant de multiples choses mystérieuses, concrètes ou surnaturelles (alors que dans le texte définitif on finit facilement par comprendre que le « héros » est prisonnier d’un vampire, tout bêtement), et puis la morsure inexpliquée du loup à la gorge (mêmes symptômes que pour le vampirisme dans le texte intégral), le télégramme protecteur du comte Dracula, qui a prévu ses maux et a réussi à lui prodiguer des sauveteurs...

Peut-être Stoker a-t-il été quelque peu épouvanté par la richesse ambitieuse de ce premier chapitre (où déjà toutes les forces de l’enfer ont été visibles, plus encore que dans le roman tout entier), qui dévoilait trop, même sans expliquer, qui ouvrait trop de portes et d’enjeux. Toujours est-il que la lecture du roman paraît, après cette ébauche, assez chiche et mesurée (une aventure à la fois, surtout, ne nous dispersons pas...). Jusqu’à la langue, tout y est plus sec... et pendant toute l’oeuvre.
[Sans doute logiquement écrit avant (visiblement, les spécialistes ne sont pas décidés), ce chapitre isolé et abandonné paraît en fin de compte maîtriser infiniment mieux ses références et son pouvoir verbal.]

Mais pour qui voudrait simplement se faire une idée, la lecture du journal de Harker (quatre premiers chapitres), comparée à ce chapitre délaissé, permet de bien s’imprégner des tons distincts.

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Ce sera ici qu’on achèvera notre balade impromptue autour de cette oeuvre imprévue.

Et insolite pour les pacifiques lutins ascètes.

mercredi 13 mai 2009

Le baryton - IV - Une histoire sommaire (c)


On reprend où nous en étions restés.

Depuis le XIXe siècle, jusqu'à nos jours.

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Voici les précédents épisodes :



Caressez le crâne du baryton pour entrer dans sa (séduisante) cervelle de conteur.


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L'apparition du baryton standard

Le baryton, tel qu'il est identifié aujourd'hui, apparaît à l'orée du XIXe siècle. On l'a dit, les premiers rôles susceptibles d'être tenus aujourd'hui par des barytons sont des emplois de basse aiguës, surtout des basses bouffes : dès Elviro dans Serse de Haendel, mais surtout dans Rossini, les rôles de maris trompés ou d'amants éconduits (Don Bartolo, Messer Taddeo, Don Geronio...). Les effets comiques passent par une tessiture haute et des effets vocaux, moins loisibles à des voix de basse (A un dottor della mia sorte est ainsi condensé dans le haut de la voix). On trouve déjà quelques barytons authentiques, comme le Figaro du Barbier, qui n'est ni jeune premier, ni opposant imposant.

Car c'est encore dans l'interstice que se loge le baryton : il est la voix éclatante qui n'est pas celle du jeune premier ; il est la voix grave qui n'a rien de noble. Ce sera donc la voix de Figaro (l'aide brillant des amants, pas amant lui-même) ; ce sera aussi la voix de Lysiart (Euryanthe de Weber), l'ennemi, mais l'ennemi sans pouvoir, le traître insidieux.
Et bien sûr Faust chez Spohr (dès 1816) : Faust ne peut pas être le modèle de l'amoureux sans arrières-pensées, étant un vieil homme - certes visionnaire, mais aussi quelque peu lubrique. Par contraste avec la basse sépulcrale du démon, il fallait une voix intermédiaire. Les ténors sont alors les amoureux authentiques auxquels Faust fait barrage (Franz, le fiancé de Röschen). Schumann utilise ensuite la même catégorisation dans ses Scènes de Faust (1843-1853). [Le baryton-démiurge est une catégorie qui demeurera très usitée jusqu'à aujourd'hui, avec les créations récentes d' Et si Bacon de François Cattin, ou, plus intéressante, de Galilée de Michael Jarrell.]

Il va de soi que ces pistes ne sont pas des constantes, mais des tendances, chaque compositeur étant libre d'en faire à sa guise. Néanmoins, les codes et les attentes sont très forts, et il n'est pas possible, avant la seconde moitié, voire la fin du XIXe siècle, de distribuer un opéra sans proposer par exemple un ténor à aigus pour jouer le jeune premier.

Suite de la notule.

jeudi 30 avril 2009

Action de grâce - [Fiesque d'Edouard Lalo - Alain Altinoglu / Roberto Alagna]



Suite de la notule.

jeudi 9 avril 2009

[PRONONCIATION-DICTION] La qualité de la langue étrangère - quels critères ?


Pour en finir avec la subjectivité désordonnée.

Il est souvent question, sur Carnets sur sol, mais aussi dans de nombreuses autres circonstances , y compris professionnelles ou quotidiennes, de la qualité de la langue parlée. Pas seulement de la grammaire, mais aussi de la prononciation.

Or, on confond très souvent les critères, et on peut mélanger des choses différentes à l'importance très contrastée.

Le moment est venu pour nous d'opérer un tri pour plus de clarté pour nos lecteurs, en espérant qu'il ne se trouve pas dans nos notules endroits où, suivant une idée précise, nous n'avons pas respecté cette nomenclature a posteriori. Car les mots sont flous en la matière, et ce que nous proposons sont plus des entrées conceptuelles que des mots de vocabulaire, qui sont les nôtres et qu'on pourrait intervertir, sans doute, avec d'autres.

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Pour la qualité d'une langue parlée ou chantée, nous percevons quatre critères différents, du plus essentiel au moins essentiel (mais parallèlement du plus facile au plus difficile !). Les deux premiers concourent à l'intelligibilité, c'est-à-dire au caractère compréhensible de la parole, le deuxième et le troisième à l'idiomatisme, c'est-à-dire au respect de la langue, le quatrième étant plus de l'ordre de la coquetterie, falcultatif.

Pour plus de clarté dans nos explications, nous avons privilégié les textes en français, mais c'est évidemment valable pour toutes les langues - et au premier chef, à l'Opéra, pour l'italien, sévèrement massacré en tous lieux du monde.

Avec exemples précis et sonores, comportant comme invités : Joan Sutherland, Barbara Hendricks, Lorraine Hunt-Lieberson, Mireille Delunsch, Anna Netrebko, Charles Panzéra, Boris Christoff, Thomas Allen, Simon Keenlyside et Philip Addis.

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1. L'articulation

C'est-à-dire la clarté d'élocution. Toutes les voyelles et toutes les consonnes sont reconnaissables, ou du moins articulées de façon à ce que chacune soit identifiable au bout du compte.

C'est le plus important : être clair.

[On parle souvent d'intelligibilité sur CSS pour dire articulation, ce qui est peut-être un abus de langage, puisque l'intelligibilité dépend aussi grandement de l'accentuation. (Sinon même les Américains ne se comprendraient pas.)]

A l'Opéra, les voix placées en avant sont plus intelligibles (ce qui ne favorise pas toujours les francophones par rapport aux anglophones, mais c'est une autre histoire). On rencontre aussi des interprètes qui se font une spécialité de l'expressivité des consonnes détachées (particulièrement dans le lied), et, plus fort encore, des voyelles (Dietrich Fischer-Dieskau et Jérôme Corréas).

Bon point :
- Charles Panzéra, avec sa voix claire et placée très en avant, assez mixée aussi, représente un modèle absolu d'articulation.


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Invocation des follets chez Berlioz (Damnation de Faust).


Mauvais point :
- Lorraine Hunt-Lieberson, californienne, dispose d'une prononciation située très en arrière, ce qui rend, malgré une qualité de langue tout à fait honorable, un résultat très peu compréhensible. On ne reconnaît pas bien les consonnes et les voyelles qui se succèdent.


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Menaces à l'acte I de la Médée de Charpentier.


- Joan Sutherland, australienne. Ici aussi, mollesse des consonnes, mais le désir de posséder une voix égale, un legato parfait, une couleur homogène (jusqu'à la monochromie chez elle) tend à gommer les qualités propres de chaque timbre dans la langue d'origine. On lit d'ailleurs chez certains théoriciens du chant (la référence Miller, pour ne pas la nommer) qu'il faut procurer au [i] la quantité du [a]. Ce n'est pas forcément faux (dans une perspective issue de l'école italienne), mais le but de la manoeuvre, exercice à l'appui, est de faire sonner et résonner le [i], de façon puissante et agréable - alors qu'il est naturellement petit (tout le temps) et laid (chanté). Certains chanteurs cependant poussent la fantaisie jusqu'à émettre de façon très identiques les voyelles. On recommander aussi d'émettre un [o] dans l'aigu pour le [a], afin de ne pas ouvrir le son et de ne pas se fatiguer. Bref, autant de petits arrangements qui, appliqués avec parcimonie, peuvent débloquer des difficultés physiques, mais qui systématisés sans esprit de perspective, peuvent produire une bouillie linguistique assez rebutante pour qui n'est pas glottovore certifié.


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Le Tribut de Zamora de Gounod : « Ce sarrasin disait... »

Contrôle surprise : Que racontait la dame ?
[Sachant que c'est pire en italien.]
A force de rechercher la rondeur et la plénitude de timbre, l'individualité des couleurs naturelles de la langue disparaît, jusqu'à brouiller le message.

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2. Accentuation

Suite de la notule.

dimanche 5 avril 2009

Le retour des Fées : Paris-Châtelet 2009 - I - Le livret

[Lien sur la série 'lesfeesdewagner'.]


La troupe joyeuse des lutins, entre deux moments d'inconscience, a fait le déplacement dans la capitale passée et à venir du monde musical, et du monde tout court, pour l'événement : la meilleure oeuvre une très belle oeuvre négligée de Wagner dans une interprétation qui avait tout pour être réjouissante.

Elle ne fut pas déçue. Et elle ira même jusqu'à lever les préventions lues ici ou là et dont nous démontrerons, la plume hors du fourreau, qu'elles doivent plus à la méconnaissance des choses qu'aux hautes exigences de la lucidité.

Tremblez, glottophiles pénibles et wagnéropathes monomaniaquisants, le pouvoir de Gromarrec vous confondra !

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1. L'oeuvre

Il y a déjà longtemps (trois ans et demi), alors que Minkowski tenait encore en ses petites mains potelées son biberon basson et ignorait peut-être encore tout des Fées non grimmiques, CSS attirait déjà l'attention des amis des lutins sur cet ouvrage. Nous en discutions hier en précieuse compagnie, nous ne le dirions sans doute plus en ces termes (en particulier cette médisance énigmatique sur l'ouverture), mais certains traits de l'oeuvre sont déjà esquissés. C'était l'époque bénie et reculée où une notule était quelque chose de court.

Il est temps d'ajouter quelques précisions sur ce sujet, d'autant qu'il reste encore une représentation, le 9 avril.

Les lecteurs désireront peut-être se reporter au livret ou à la partition disponible sur IMSLP au cours de notre causerie.

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1.1. Le livret

1.1.1. Le livret et le conte

Suite de la notule.

dimanche 11 janvier 2009

Le disque du jour - XXV - Récital Bo Skovhus / James Conlon : le maître-étalon

Avec l'orchestre de l'ENO (English National Opera, où l'on joue le répertoire en anglais), qui prouve une fois de plus ses grandes qualités, en particulier ses cordes si rondes et une belle tranparence.

  • KORNGOLD, Die tote Stadt : air de Fritz (Mein Sehnen, mein Wähnen)
  • THOMAS, Hamlet : invocation au père (Spectre infernal), air à boire (O vin, dissipe la tristesse), monologue de l'essence (J'ai pu frapper le misérable), monologue du dernier acte (Comme une pâle fleur)
  • GOUNOD, Faust : air de Valentin (Avant de quitter ces lieux)
  • MASSENET, Werther : air de la traduction (Pourquoi me réveiller)
  • VERDI, Don Carlos : scène de la prison (C'est moi, Carlos)
  • BRITTEN, Billy Budd : air de la renonciation (And farewell, to ye, old Rights o' Man !)
  • WAGNER, Tannhäuser : chant du concours (Blick' ich umher in diesem edlen Kreise) et chant à l'Etoile du Soir (O du, mein holder Abendstern)
  • TCHAÏKOVSKY, Eugène Onéguine : arioso du refus, arioso du temps passé
  • TCHAÏKOVSKY, La Dame de Pique : air de Yeletsky


Un récital qui mérite d'être érigé en modèle.

  1. Eclectisme. Beaucoup de pans du répertoire sont parcourus, en quatre langues, avec une grande variété d'atmosphères. Il est vrai que le répertoire de baryton le permet plus que pour aucune autre catégorie masculine. Le tout n'est pas chiche, sur 71 minutes, le disque est plutôt bien rempli.
  2. Goût. Le choix très minutieux permet un équilibre entre bravoure, airs moins connus, versions alternatives (version originale de Don Carlos, Werther pour baryton).
  3. Agencement. La progression entre les tonalités et les atmosphères est admirablement conçue ; on glisse d'un univers à l'autre quasiment insensiblement. Grâce aussi à la délicatesse de l'accompagnement de Conlon, dont c'est peut-être le plus beau disque... Le programme est idéalement disposé, de l'élégiaque à l'élégiaque (dont c'est, de façon assez peu conventionnelle, la principale couleur du récital), avec un centre plus vaillant (mais toujours méditatif).
  4. Qualité linguistique. Les langues sont superbement maîtrisées ; même pour le francophone, l'accent est imperceptible. Il y a bien une petite raideur verbale ici ou là, mais moins que chez la plupart des chanteurs francophones. Pas d'accent, la couleur des voyelles est très bonne, l'accentuation au sein des phrases (le plus important...) absolument irréprochable. [On ne se prononce pas sur le russe, nous ne sommes pas assez bon juges ; tout est très nettement prononcé (de façon trop antérieure en fait), peut-être un peu lourdement mouillé et un peu insistant sur certaines finales, mais manifestement très soigneusement accentué.]
    • L'anglais roule dans la bouche (les 'r' lyriques anglais sont d'une gourmandise !), l'allemand se tend languissamment sur ses accents de phrase... Un naturel impressionnant. Surtout qu'il n'est rien de tout cela, mais danois, dont les tics de langage sont ici imperceptibles, excepté dans la rondeur de certaines articulations, mais uniquement (et agréablement) musicales.
  5. Style. Mais le plus ahurissant réside dans la pertinence stylistique absolue de chaque piste, avec une maturité pour chaque domaine qui laisse mal voir qu'il s'agit de séances d'enregistrement communes.
    • Dans Korngold, la voix s'étend sans vibrato, presque sans vie, sur les rêveries du Pierrot. Dans Thomas, volontiers vaillante, mais toujours pleine de clarté, elle parcourt avec fermeté la longue tessiture, avec une belle souplesse. Dans Massenet, la noirceur mélancolique l'emporte, avec une émission plus percutante, plus concentrée. (Si bien que l'arrangement maladroit pour baryton finit par se tenir.) Dans Britten, elle parcourt rondement, doucement les articulations d'un anglais devenu très net. Pour Wagner, la langue nue du concours de chant se met à claquer superbement, chaque mot est croqué, mis en relation avec le sens - véritablement éloquent, au point de changer cette platitude en petite merveille. Enfin, dans Tchaïkovsky, le lyrisme se fait plus généreux, le legato plus prégnant. L'exactitude du ton et de la parole est à chaque fois au rendez-vous.


Et côté accompagnement, ni absence, ni maladresse, ni prosaïsme ; rien de que de la douceur, mais sans la mollesse proverbiale de Conlon.

On couvre d'autant plus volontiers ce chanteur de louanges que sa carrière nous avait toujours laissé interrogatif ; le timbre est un peu mince, la voix légère vibre comme mal assurée : rien de chatoyant ni de percutant. Peut-être bien, et il est vrai que quoique très en forme ici, ce n'est pas la voix la plus séduisante du marché, loin s'en faut, même chez les chanteurs provinciaux... mais il a tout le reste pour lui, ce disque en témoigne. Dans un programme d'élégies dépourvues de toute uniformité plaintive.

Rien de la parade vocale qui est habituellement le lot des récitals, où le chanteur doit prouver dans des airs rebattus déjà niais et de surcroît privés de sens par leur isolement ses capacités techniques. Ici, le disque peut s'écouter souvent et longtemps.

Rarement on aura entendu programme si bien composé, si précisément maîtrisé et si pleinement habité.

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Ecouter

Suite de la notule.

vendredi 1 août 2008

[inédit] Gaston SALVAYRE - La Dame de Monsoreau

Né en 1847 à Toulouse, et mort dans ses environs en 1916. Egalement chef de choeur, chef d'orchestre et critique musical (notamment dans Gil Blas), Gaston Salvayre est l'auteur d'une dizaine d'oeuvres scéniques, largement concentrées dans le dernier quart du XIXe siècle.

Parmi elles, quatre ballets :

  • Les Amours du diable, 1874
  • Le Fandango, 1877 - sur un argument du couple Henri Meilhac / Ludovic Halévy
  • La Fontaine des fées, 1899
  • L'Odalisque, 1905


Et côté opéra :

  • Un opéra comique : Solange, 1909


Trois oeuvres de format Grand Opéra à la française :

  • Le Bravo, 1877, sur un livret d'Emile Blavet en quatre acte
  • Riccardo III, créé à Saint-Pétersbourg en 1883, sur un livret de Ludovic Halévy
  • La Dame de Monsoreau, sur laquelle nous allons nous attarder


Deux oeuvres lyriques moins conventionnelles :

  • un drame lyrique en quatre actes d'après Goethe, Egmont (1886, livret d'Albert Wolff et Albert Millaud)
  • Sainte Geneviève, une « fresque musicale » créé à Monte-Carlo en 1919.



La dédicace de l'opéra Le Bravo.
Source : MusiMem.com.


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Le compositeur

A notre connaissance, aucune oeuvre de Gaston Salvayre, fût-ce par extraits, n'a été gravée sur support sonore. Pour la petite histoire, il est repéré par Ambroise Thomas au conservatoire municipal de Toulouse, et part étudier à Paris, jusqu'à l'obtention du Grand Prix de Rome en 1872 avec sa cantate Calypso.

Son activité de compositeur, peut-être en raison d'inimités avivées par une carrière de critique pas toujours diplomatique, a été critiquée dès son vivant. Alors qu'il maîtrisait le piano (il avait même travaillé avec Liszt à la Villa Médicis), l'orgue et la direction d'orchestre et de choeur, il était perçu comme un laborieux.

Il est désormais considéré comme un académique, et si le jugement se conçoit en comparaison avec ses contemporains Debussy ou Koechlin, il se dément totalement à la lecture des partitions - mais encore faut-il les trouver et ne pas renâcler devant la confrontation, assis au piano, avec le texte musical lui-même.

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L'oeuvre

La Dame de Monsoreau se situe à la fin de sa période d'activité majeure dans le domaine scénique - elle fut créée le 30 janvier 1888 à Paris. Il s'agit explicitement d'un Grand Opéra en cinq actes. En effet, la durée doit en approcher les quatre heures, si nous en jugeons par notre déchiffrage de la première moitié de l'acte I (qui fait une généreuse demi-heure, certes en comprenant l'Ouverture...).

Le livret d'Auguste Macquet est constitué à partir de la pièce co-écrite par Alexandre Dumas et Auguste Macquet, sur la matière du roman historique du premier.

Après déchiffrage du début de l'oeuvre, nous pouvons en tirer quelques remarques. On découvre une oeuvre d'une assez grande richesse musicale, qui trace une filiation directe avec Meyerbeer (légèrement modernisé évidemment), extrêmement modulante, très mobile dramatiquement. Les numéros [1] disparaissent de plus en plus, et on se permet d'inverser les tessitures masculines habituelles [2], mais on retrouve les ingrédients obligés du Grand Opéra, avec beaucoup plus de fidélité que chez Thomas ou Reyer.

Ainsi cette première scène de l'acte I [3], d'emblée dans la tourmente de l'action la plus noire (et totalement ancrée historiquement), comprend en son centre un équivalent de la romance initiale habituelle au genre, mais ici extrêmement narrative, avec beaucoup de mobilité musicale, absolument pas une forme fixe.

Les ensembles s'enchaînent à une vitesse folle, avec beaucoup de scènes de caractère, comme le trio d'effroi (qui n'est pas sans rappeler celui du troisième acte de Don Carlos) qui entend la chasse du Duc se rapproche. Les nombreux seconds rôles grouillent, plus ou moins incarnés, mais tous pourvus d'une psychologie.

Le livret se montre d'une efficacité extrême (avec un suspense parfait), et musicalement Salvayre excelle à déployer des figures psychologiquement très opérationnelles, variées, et travaillées harmoniquement. Il s'en dégage tout à la fois la pesanteur du drame et la souplesse extrême de la manière. Dès la première lecture, il est incontestable qu'on se trouve ici en présence d'une oeuvre du niveau du meilleur Meyerbeer, mais de son temps, avec un enrichissement harmonique accru et une segmentation en numéros réduite - l'orchestre épousant sans doute un peu plus le texte et un peu moins la forme musicale.

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Premières impressions

L'oeuvre, finalement, lorgne plus vers Henri Hirchmann (même si Wagner et Debussy ne sont pas encore passés par là) que vers ses contemporains Ambroise Thomas, Ernest Reyer et Jules Massenet, bien plus stables dans la structure musicale à numéros et l'harmonie assez sages. Alors que, paradoxalement, Gaston Salvayre hérite avec beaucoup plus de minutie du format Grand Opéra.

Une réussite éclatante qui demande à être confirmée par la suite du déchiffrage, et qui dépasse de loin, en tout cas, les autres grands formats méconnus comme la Jeanne d'Arc de Mermet ou Patrie de Paladilhé. A vrai dire, nous nous attendions plus à ce dépouillement musical presque indigent. Rien que l'acte d'ouvrir la partition, de ce point de vue, représentait une surprise.

Si nous avons le loisir de les préparer correctement, on pourrait, pourquoi pas, proposer des extraits de la réduction piano, puisque cette fois-ci, l'Opéra de Marseille ne répondra pas nécessairement à nos voeux la saison prochaine. (L'oeuvre paraît bien plus intéressante de Salammbô, au demeurant, qui a surtout le mérite de permettre de prolonger la connaissance de l'auteur du Sigurd, qui intrigue à juste titre.)

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Mise à jour du 6 août 2008 : seconde scène du premier acte

La seconde scène du premier acte présente un riche mariage, redoutant la venue d'hommes terribles (de vrais Zampa !). La danse renaissante conçue avec des imitations majestueuses sur une harmonie simple, tantôt baroquisante, tantôt tout de bon classique (avec l'utilisation de l'accord de septième de dominante dont la quinte demeure tenue pour aboutir sur l'accord de tonique, typique des résolutions de mouvements lents classiques). En réalité, cette danse enjouée sur laquelle se greffent les dialogues, à la manière de l'Henry VIII de Saint-Saëns, se montre terriblement proche du bref ballet des Huguenots (première scène de l'acte V), ce qui atteste une fois de plus d'une filiation meyerbeerienne très attentive - mais ici, sa charge dramatique est encore supérieure, puisqu'en plus de l'effet d'attente de la catastrophe, le livret n'indique pas au juste la nature des événements à venir, et les dialogues inquiets des époux contrastent avec la joie ambiante (on peut aussi penser, très immédiatement antérieur à la période d'exercice de Salvayre, au premier acte du Don Carlos de Verdi).

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Anecdotes

On peut ajouter à l'attention de nos lecteurs quelques amusettes.

Lire la suite.

Notes

[1] Le numéro est une entité musicale indépendante, hérité de l'opéra seria. Des récitatifs destinés à faire avancer l'action encadrent des passages isolés plus lyriques pour soliste, ensemble de solistes ou choeur : des morceaux de bravoure musicale qu'on nomme "numéros" parce qu'ils étaient numérotés par les éditeurs. Et souvent distribués en feuillets séparés à l'usage des amateurs - qui avaient alors une très large place dans la vie musicale active.

[2] Le ténor est aussi judicieusement l'opposant dans l'Hernani d'Henri Hirchmann, entrant sans le savoir dans la filiation de Francoeur & Rebel. C'est plus troublant que la soprane à suraigus, diabolique, d'Isabeau de Bavière dans Charles VI d'Halévy - qui est à l'époque une configuration héritée du seria, donc datée : qu'on pense à Rinaldo, Europa Riconosciuta, Zauberflöte...

[3] Scène au sens opératique, c'est-à-dire le premier tableau de l'acte I, le second imposant un changement de décor. Une sorte de prologue, ici, en fin de compte, mais ce format n'est pas usuel dans le Grand Opéra.

Suite de la notule.

Nouvelles catégories

Les lecteurs de CSS auront peut-être noté les nouvelles catégories pour un accès plus commode :

mercredi 2 juillet 2008

[déchiffrage] Balade dans la musique pour piano française du premier XXe siècle

Après-midi de congé consacré au déchiffrage chez les lutins. D'une façon plus originale que de coutume : majoritairement autour du clavier solo (clavecin et piano).

L'occasion d'une petite introduction à ces oeuvres - triées sur le volet - pour les lecteurs de CSS. (Par ordre chronologique.)

Au programme : Anglebert, F. Couperin, Chopin, Thomas, Elgar, Dukas, Koechlin, Decaux, Vierne et Dupont.

Suite de la notule.

lundi 23 juin 2008

Ferdinand HEROLD - Zampa et le marbre, Don Juan et la pierre, la clarinette, la distribution

La suite promise samedi dernier.

[Code : ferdinandherold]

L'oeuvre recycle malicieusement, jusque dans son titre, le thème de Don Juan, en châtiant un impie et séducteur de femmes, par le pouvoir surnaturel d'une statue. On y rencontre jusqu'au défi au mort - non pas une invitation à dîner, mais une nouvelle promesse de fiançailles, pour une soirée.
Le personnage principal, tout de même séduisant vocalement, concentre cependant toute la charge réprobatrice de la morale ; son valet se montre vénal mais de bien meilleure volonté. A tout point de vue, il s'agit bien d'un avatar du mythe de Don Juan - sur le mode léger.
Avec tous les éléments, on l'a vu, de l'opéra comique, du pittoresque, du rocambolesque, une structure précise et des moments obligés, une forte dimension morale - l'opéra comique était alors un spectacle familial.


L'engloutissement de Zampa. Est-il nécessaire de lister les points communs ? Les trombones menaçants, la main glacée, la palpitation de tout l'orchestre en une fanfare infernale, le lieto fine en contraste immédiat... Jusque dans le texte et l'écriture musicale, on s'inspire de la version mozartienne du mythe. Clin d'oeil évident. Pour le reste, la fin dévote annonce plutôt, sinon l'apothéose de Tannhäuser, du moins Gounod (Faust et Mireille).

Musicalement, tout est de surcroît de premier choix, aussi bien les romances que les ensembles. On songe à certains des meilleurs moments de l'opéra français de l'époque. Le trio de la frayeur de Dandolo annonce déjà le l'air de terreur de Corentin et le duo de la défiance dans Dinorah (Le traître morbleu a lu dans mon jeu), et la quatuor est digne des meilleures scènes de pétrification de Rossini (Guillaume Tell) et Verdi (Vêpres Siciliennes, Don Carlos), avec une entrée décalée des personnages sur le même motif mélodique qui sera également retenue pour Nabucco.
La cavatine initiale, très rossinienne, la beuverie joyeuse (à la façon d'O vin, dissipe la tristesse d'Hamlet de Thomas pour le soliste, et de Bonheur de la table / Bonheur véritable des Huguenots de Meyerbeer pour le choeur), tout cela s'inscrit au carrefour des styles, comme une synthèse idéale des tons d'une époque.


Trio et quatuor et l'acte I. On note la proximité du personnage de Dandolo avec Corentin de Dinorah. Vous goûterez aussi la qualité exceptionnelle des dialogues parlés.

Suite de la notule.

samedi 21 juin 2008

Ce chef de réprouvés, ce monstre sorti de l'Etna, ce Zampa !

[Code : ferdinandherold]

1. Caractéristiques

La recréation à l'Opéra-Comique de Zampa ou la fiancée de marbre en constitue la seule trace sonore complète un tant soit peu satisfaisante depuis bien longtemps. Certes, l'ouverture en est (relativement) célèbre ; certes, la partition se trouve aisément chez les bouquinistes ; certes, on l'avait joué peu auparavant en Allemagne avec des dialogues traduits. Mais le compte n'y était pas, ni en termes de connaissance de l'oeuvre, ni en rayonnement, ni surtout en style.

L'initiative de la programmation de Jérôme Deschamps est donc une bénédiction, dont CSS a pu profiter par la marge grâce à la providentielle radiodiffusion de France Musique[s].

Petite évocation, avec extraits à l'appui : une reprise est prévue la saison prochaine (avec Jaël Azzaretti et Noël Lee à la place de Patricia Petibon et Bernard Richter).


Extrait de l'ouverture. William Christie dirige les Arts Florissants.

Suite de la notule.

samedi 8 mars 2008

Réorganisation

Nouveautés ergonomiques sur le site.

Suite de la notule.

samedi 23 février 2008

Le répertoire de CSS

Devant l'intérêt inespéré suscité par notre récent concert, les lutins ont saisi l'occasion pour me mettre un peu à jour la liste de notre répertoire dans le domaine du lied et de la mélodie.

Au cas où un lecteur se révèlerait intéressé par tel ou tel (bout de) programme.

Adresse simplifiée de la page pour accès direct : http://musicontempo.free.fr/repertoire.html .

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Par ordre alphabétique, puis classé par groupes et cycles. Avec les noms des poètes, comme il se doit.

Il était temps de mettre tout cela au clair, la liste devenait bien touffue...

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Il va de soi que cette liste constitue davantage un répertoire d'oeuvres abordées qu'une liste d'oeuvres prêtes à être jouées devant public. C'est une sorte de mesure du bain dans lequel trempent les lutins, pas plus.

Suite de la notule.

vendredi 5 octobre 2007

[Récital] Sandrine Piau et Suzanne Manoff dans des lieder et mélodies rares de R. Strauss, Zemlinsky, Schönberg, Chausson & Debussy

Nous avions oublié (ou est-il apparu tardivement ?) de citer un récital de premier intérêt.

Nous semblons également avoir omis Béatrice Uria-Monzon, le 21 octobre, mais la nature de cette voix et de cette diction nous font, d’expérience, recommander l’abstinence aux indécis. Œuvres peu originales, et beaucoup de transcriptions d’opéra au piano sont à craindre si elle renouvelle le format que nous connaissions.

Sandrine Piau propose le 24 mai prochain un programme thématique titré Evocation : « Mystère de femme, rêve de femme, fleur de femme » , aux résonances un peu naïves, mais pour un choix de pièces à la fois peu fréquentes et fascinantes.

Suite de la notule.

mardi 9 janvier 2007

Index thématique

Chocs esthétiques, Emerveillements et langue, Oeuvres et genres (Opéra), Oeuvres et traductions (Lied), Oeuvres (Musique intstrumentale), Oeuvres (Littérature), Oeuvres (Pictural), Portraits (Compositeurs), Portraits (Interprètes), Discographie, Comptes-rendus, etc.

On peut également se reporter à l'index alphabétique.

Complété petit à petit. N'est donc pas constamment à jour.

Suite de la notule.

vendredi 1 décembre 2006

Wolfgang RIHM - Jakob Lenz, opéra - une présentation - d'après la représentation du 14 novembre 2006 à Bordeaux


La dernière représentation, celle du 19 novembre, sera diffusée le 16 décembre sur France Musique[s], couplée avec la Florentinische Tragödie de Nancy (K. Karabits/V. Le Texier).


1. Wolfgang Rihm et Jakob Lenz


1.1. Wolfgang Rihm

Jakob Lenz
s'inspire de la folie du dramaturge, telle que mise en scène par Georg Büchner.

Il s'agit d'un opéra de chambre en 13 tableaux, créé à l'Opéra de Hambourg le 8 mars 1979, une pièce du jeune Wolfgang Rihm, depuis devenu une figure majeure et peu contestée de la musique contemporaine internationale[1], aussi bien du côté des radicaux qui goûtent sa personnalité et sa violence que de celui des tenants de la continuité musicale, qui y trouvent une musique pulsée, remplie de références, délimitée, intelligible.
C'est ce double aspect qui porte, précisément, tout l'intérêt du compositeur. Beaucoup de disques ont été publiés, je tâcherai, à l'occasion, de proposer une discographie sélective et commentée.

On reviendra plus loin sur les caractéristiques musicales de son écriture, par le truchement de Jakob Lenz.

Mais on ne peut que se réjouir de l'idée de faire vivre une pièce de qualité déjà créée, plutôt que de soutenir la fuite en avant des créations mortes-nées, parfois commandées au même créateur !  Même si, en l'occurrence, il s'agit plutôt d'éviter de creuser le gouffre déjà abyssal des finances de l'Opéra - l'oeuvre a déjà été payée, le matériel existe, et ne restent que les droits à acquitter.


1.2 Jakob Lenz

Le livret de Michael Fröhling s'appuie sur la pièce de Georg Büchner, et développe le cheminement vers la folie de Lenz.

Jakob Michael Reinhold LENZ (1751-1792) est assez peu connu en France, bien qu'il ait été l'un des fondateurs du Sturm und Drang et un grand artisan, avec Goethe, de la renaissance shakespearienne. Son oeuvre et sa vie se démarquent par une grande radicalité, que ce soit dans la dureté de la critique sociale, dans son individualisme revendiqué et absolu, dans son refus de transiger... Au lieu, comme bien d'autres, de suivre une évolution vers le classicisme, façon Goethe, vers un affinement des techniques après divers essais fiévreux, tel Schiller, Lenz reste toute sa vie attaché au même absolu, ce qui lui vaut bien entendu un rejet assez total, y compris en amour - et c'est tout cela qui le mène au délire de persécution qui fait l'objet de la pièce, puis de l'opéra.

A noter, l'opéra ne s'achève nullement avec la mort de Lenz, mais avec l'état irréversible de folie et l'éloignement des dernières âmes compatissantes. Historiquement parlant, au terme d'une douloureuse errance européenne, il fut retrouvé mort dans une rue de Moscou.


2. Distribution


Jakob Lenz (baryton dramatique) : Johannes M. Kösters
Père Oberlin (basse profonde) : Gregory Reinhart
Kaufmann (ténor de caractère) : Ian Caley

Orchestre National Bordeaux Aquitaine (ONBA),
Membres du Choeur de l'Opéra National de Bordeaux,
Jeune Académie Vocale d'Aquitaine issue de "Polifonia Eliane Lavail",
dirigés par
Olivier DEJOURS.

Mise en scène : Michel Deutsch (philosophe)
Décors, costumes : Roland Deville
Lumières : Hervé Audibert

Nouvelle coproduction, avec l'Opéra National de Nancy et de Lorraine.


3. La représentation

3.1. Texte et mise en scène

Le rideau s'ouvre, en silence, sur une scène nue, et l'on devine, en voyant entrer les enfants, combien la mise en scène sera pauvre, gauche et peut-être pénible. Si on échappe au troisième travers et aux provocations superflues, les deux premiers qualificatifs sont hélas bien justes.

Texte difficile à mettre en scène que celui qui développe l'observation d'un seul objet : la folie du personnage principal. Scéniquement, deux personnages se succèdent, les figures d'amis. Le père Oberlin, basse profonde, pasteur qui recueillit Lenz et toujours à sa recherche pour le ramener vers le sentier de la maison, de l'autre, de la vie. Et Kaufmann, plus cassant mais tout aussi compatissant, qui le sauve du suicide sans écarter une lecture cynique de l'état de décrépitude de l'ami ; c'est à lui qu'est confié le soin d'emporter Oberlin dans la lumière, loin de Lenz, disparaissant aux yeux de Lenz dans la ténèbre - pour mieux l'y abandonner.
Les autres incarnations scéniques, notamment la bien-aimée Friederike - partie intégrante des choeurs avec un seul court vrai solo -, ainsi que les choeurs mixtes (et, au moins partiellement, les choeurs d'enfants), relèvent de l'imaginaire de Lenz, se tenant ici à l'arrière de la scène, sur les côtés, et toujours séparés de lui par quelque accessoire (tronc, chaise, lit...).

Les costumes de Roland Deville campent un XVIIIe sobre, plutôt aisé pour Oberlin et surtout Kaufmann, et populaire pour les choeurs. Le plateau est nu à l'extrême, juste quelques acessoires pour marquer des pôles scéniques : le baquet, le tronc, le lit. Tout juste changera-t-on le lit de place dans les premiers tableaux. La direction d'acteur, elle aussi, est réduite autant que possible : les chanteurs, talentueux acteurs, sont fichés dans une partie du décor, et font usage de leur visage - et surtout de leur excellente diction. Le résultat scénique est tout de même décharné et figé. Qu'en faire d'autre, je ne sais, véritable gageure que de servir un tel texte, mais les couleurs complaisamment grisâtres des décors, les souillures aux vêtements de Lenz tiennent alors lieu de présence scénique. A choisir, une mise en espace sans costumes aurait été tout aussi agréable, surtout qu'on ne constate aucun jeu avec la lumière logiquement crue, mais fort peu variée.
Sans être grotesque, gauche ou indigne (en partie grâce à l'excellence des chanteurs acteurs, semble-t-il), cette mise en scène n'était ni très efficace, ni très esthétique, ni très signifiante. Encore une fois, la pièce n'était pas un cadeau pour un metteur en scène, qui a au moins le mérite d'éviter l'histrionisme gratuit et les relectures absconses, à défaut d'échapper tout à fait à un statisme pas très informatif.

Le livret reprend l'idée assez éculée, entre le dix-neuvième (vision esthétisante) et le vingtième (vision apocalyptique), du poète maudit, du créateur incompris qui sombre dans la folie, etc. Rien de bien neuf, et pour résultat une simple exposition d'états psychologiques contradictoires, sans lien logique - jusque là tout va 'bien', si j'ose dire - ni dramatique. C'est sur ce dernier point que le bât blesse.
La pièce, qui dure environ quatre-vingt minutes, se maintient jusqu'à l'heure dans une progression dramatique crédible, avec une folie qui se déploie, depuis l'égarement initial, les disparitions, puis les délires, jusqu'à l'impossibilité de vivre et le suicide empêché. Jusque là, tout fonctionne à peu près. La trame est plus que mince : Lenz se trouve déjà largement instable aux débuts de la pièce, et la fin l'abandonne avant même la mort. Mais une certaine progression, une logique, non pas à la folie, mais au drame, est sensible. Les vingt dernières minutes, en revanche, plongent dans l'incohérence la plus intégrale, entre rémissions dissimulées et crises incomprises. Le rideau tombe sur les cris répétés de Lenz : "Lo-gi-que ! ... Lo-gi-que ! ...", comme il aurait pu le faire un quart d'heure auparavant, un quart d'heure plus tard : une fois que la mort de Friederike avait été rêvé, il ne restait plus aucun mystère au spectateur, plus aucun enjeu psychologique à percer ou à suivre, si ce n'est le développement, incohérent, impénétrable, de la folie.

On peut trouver la sorte de nécessité qui pousse tout le drame de Wozzeck exagérée et artificielle, mais on peut également trouver ici le lien logique ténu. Et sans la virtuosité dans l'absurde d'un Aperghis.
D'autres que moi (enfin, un, celui dont il est question à la fin) ont trouvé la chose séduisante, et je les comprends aisément, si peu que la folie soit un objet de fascination ou d'intérêt. Je n'ai aucune idée de la fidélité du rendu psychologique, en revanche.


Montrer les poètes, les musiciens, les artistes, les philosophes au théâtre est à mon sens, à moins d'une solide intrigue (de type philosophique et autobiographique dans le Torquato Tasso de Goethe, de type imitatif et de construction presque vaudevillesque dans le Corregio d'Adam Oehlenschläger), d'une intrigue qui dépasse l'oeuvre, qui ait un intérêt en soi, une erreur. Quelle efficacité dramatique peut avoir la vie d'un poète qui fait ? Quel intérêt esthétique a-t-on a utiliser sa vie plutôt que son oeuvre ?  Cette espèce de narcissime, ou de philosophie à bon compte, est assez irritante lorsqu'on voit le résultat - et toujours autant à la mode, si j'en crois les programmations, on est censé venir voir Bacon comme on venait jadis voir les aventures Giulio Cesare. Sauf que, dans le cas de Bacon ou de Lenz, ce n'est pas un prétexte, mais vraiment une réflexion proche du solipsisme.

C'est en cela, qu'en somme, ce manteau dérisoire et souillé, principal outil de scène, tentative de rythmer les tableaux, s'insère très bien dans l'absurdité dramatique développée par le livret. Dans cette multitude de tableaux minuscules et contradictoires, de nature assez kurtágienne, en somme.
La seule image à retenir l'attention, qui frappe inévitablement, malgré sa démesure, est l'image du cri immense et assourdissant, sur tout l'horizon - le silence. Les dernières minutes, pesantes dans leur exposition forcenée d'un délire sans coordination dramatique, sont ainsi sauvées par le choc de cette formule, inversant de façon si terrifiante le monde réel.


On le voit, je ne saurais me prononcer au juste sur la valeur de ce texte et de cette mise en scène - et là n'est pas mon but, simplement d'en rendre compte. La langue en est très simple, tout à fait compréhensible pour les germanistes moyens même sans surtitres. Pour ne pas les voir, se placer au paradis vu le taux de remplissage à la première et les tarifs plus avantageux en cas d'opéra contemporain (c'est-à-dire sans public) demandait de toute façon une grande dose de bonne volonté. (sans compter d'autres charmants imprévus)

3.2. La musique de Rihm

Elle est la grande héroïne de la soirée. La crainte était, dans un ouvrage aussi ancien, d'avoir affaire à quelques expérimentations plus ou moins âpres, plus ou moins heureuses. On aurait pu rencontrer les masses hostiles de Hamletmaschine, aussi. Surtout sur ce texte plus que difficile. Il n'en est rien, et le langage est déjà aussi diversifié qu'aujourd'hui. Rien ici des déchaînements percussifs, de l'écriture vocale héroïque et stable, presque verdienne, du souffle épique des choeurs dans Die Eroberung von Mexico (« La Conquête du Mexique »), rien non plus de la folie des quatuors, du climat désolé, quasi 'winterreisien' de son trio Fremde Szenes, nous sommes dans un tout autre registre, plus proche de sa musique pour ensemble (comme Jagden und Formen, rendu célèbre par sa diffusion dans la collection « grand public » 20/21 de DG) et surtout des grandes pièces orchestrales ou, parfois, des Hölderlin-Fragmente (non enregistrés à ma connaissance).
La différence réside en réalité dans le degré de complexité, bien moindre ici que dans sa période plus récente, ou un contrepoint clair apparaît souvent.

Dans un moule formel plus traditionnel, en somme, mais avec les caractéristiques qui font toutes sa valeur, nous retrouvons ici Rihm. Avec une pièce parfaitement aboutie et style qu'il développera de façon encore plus impressionnante par la suite - mais qui ne souffre d'aucune verdeur dans Jakob Lenz

Die Eroberung von Mexico Jakob Lenz Wolfgang Rihm La Conquête du Mexique
Die Eroberung von Mexico, formidable opéra chez CPO.
[Attention, le livret n'est pas fourni, ce qui est plutôt fâcheux.]


Un des charmes de Rihm, outre la richesse de son langage, la beauté de ses textures, la force de son son, l'invention motivique et particulière rythmique, merveilleuse, est qu'il tient à employer une écriture pulsée. On dit souvent que la musique contemporaine est incompréhensible parce qu'elle n'est pas mélodique (le fameux 'argument' du sifflotement), voire parce qu'elle n'est pas harmonique (du moins dans le sens classique) - mais l'obstacle le plus réel n'est-il pas l'absence de repère pulsé ?  Après tout, la musique électronique populaire, qui connaît de grands succès auprès de populations pas nécessairement lyricophiles ou classicomanes, n'est elle non plus guère passionnante mélodiquement. De même, le minimalisme fascine surtout par son pouvoir rythmique - pour de bonnes ou de mauvaises raisons, et sur quels critères, c'est une autre affaire.
En tout cas, force est de constater que le repère rythmique - et c'est déjà le cas en partie chez Bruno Mantovani - donne une intelligibilité surprenante au propos, et procure indubitablement un véritable plaisir à l'écoute. Et ici, dans Jakob Lenz, la conduite du drame impose une simplification du langage qui le rend encore plus direct, peut-être moins raffiné, mais toujours immanquablement esthétique et efficace simultanément.
Tout y est pulsé, jusqu'au martellement. De longues séquences sont marquées sur chaque temps, aux timbales, sans effet d'emphase, mais comme un soutien à la compréhension, un repère instinctif sur lequel vient s'inscrire l'ensemble de l'écriture - tout de même pas si simple - de Rihm.

La composition de l'orchestre n'est guère excentrique, et son usage non plus : orchestre traditionnel, peu nombreux (le fosse de Bordeaux est de toute façon minuscule, mais elle ne débordait pas), avec un clavecin, et peu de percussions, hormis une cloche[2]. Les traditionnelles timbales sont utilisées, mais sans effets particuliers, les cordes sont largement utilisées non vibrato, les accents varésiens aux cuivres[3], peu de Flatterzunge et autres détournements sonores aux bois - tout cela concourt à donner une image plutôt classique, quasiment "contemporain-premier-vingtième" à cet orchestre.
L'écriture demeure fondée, comme si souvent, sur cette écriture boisée et dense, où les bois, puis les cuivres dominent le spectre sonore, lui donnent sa coloration si spécifique, une sorte de choral au milieu de l'orchestre. Souvent la progression se déroule par accidents, petits sauts, blocages ; le tremolo est souvent le moyen de la tension. Bref, des outils simples, directs, efficaces. Evidemment, le résultat est moins saisissant que le tellurique Eroberung von Mexico et ses pôles de percussions fous, le début manque un peu de nerf et d'urgence dramatique, mais force est de le reconnaître : la pièce est soutenue de bout en bout par cet orchestre attentif, cette musique intelligemment commentatrice et protagoniste. Une fois l'immersion réalisée (l'accroche est un peu douce), la fascination est sans partage, décidément.

L'écriture vocale, quant à elle, fait le choix, mais distinctement du lyrisme héroïque de l'Eroberung, de se tenir le plus près possible du texte. Des sauts d'intervalle étranges, mais jamais démesurés, toujours dans une tessiture où le spectre phonétique demeure aisément compréhensible - l'action est intelligible sans surtitres, grâce qui plus est au grand soin des interprètes. Bien entendu, on y trouve des effets - qui peuvent également évoquer Kurtág, mais que Rihm ne devait alors connaître - bien typique des expérimentations contemporaines, mais prévues (et réalisées) avec parcimonie et goût : tremblements, fausset, ribatuto, sprechgesang, mélodrame. Les tessitures sont beaucoup exploitées dans le grave, dans la partie naturellement exploitée par la voix parlée. De même, les merveilleux mélodrames[4] s'insèrent avec une grande simplicité, sans le moindre histrionisme expressionniste - simplement la parole à nu, lorsqu'on ne peut plus la chanter.
Tout cela, en somme, rappelle furieusement l'esthétique dépouillée, proche de l'aphasie, des Hölderlin-Fragmente[5]. Une grande simplicité dans les lignes, avec en ligne de mire l'esthétique du parlando, sans viser non plus l'ostensoir à braillements.
Une demie-teinte intelligemment pensée, qui donne le texte avec vie et gourmandise. Il ne faut pas y attendre un lyrisme développé ni un laboratoire vocal débridé, simplement un service du texte avec les moyens du temps, et la réussite en est fort belle.

La suite : références et échos dans la musique de Rihm, interprétation, autres remarques futiles. (Avec de jolies images de partitions malheriennes dedans, si vous êtes sages.)

Suite de la notule.

vendredi 24 novembre 2006

André MARKOWICZ, 23 novembre 2006

Assisté ce jeudi à la "table ronde" présidée par André Markowicz autour de la "lecture engagée que constitue la traduction".

L'occasion pour moi de recommander chaleureusement son travail.


1. La conférence.

La communication en question ne se voulait pas une démontration universitaire, mais plutôt un témoignage. Pas de thèse particulière, mais des considérations sur la traduction, sur sa pratique, sur ce qu'elle implique, met en jeu et, surtout, sur l'impérieux sens du détail.

André Markowicz, de langue maternelle russe, et est connu, par ici, pour avoir traduit en français tout le théâtre de Tchekov (en collaboration avec Françoise Morvan), tout Dostoïevski, tout le théâtre de Gogol, et à présent, entreprendre tout Shakespeare - sans compter l'incontournable Onéguine de Pouchkine. A ce qu'il en dit, il dispose de cinq ou six versions alternatives pour chaque intégrale, dont certaines publiées en doublon.

L'approche, dépourvue de plan, se faisait par digressions qu'il ne clôturait jamais, et s'achevait abruptement, sans conclusion ni retour sur les considérations antérieures. Un témoignage, simple, concret, vraiment pas une démonstration à thèse.

Mais un témoignage absolument confondant. D'abord par un vrai sens de conteur ; ensuite par un propos absolument passionnant.


2. Quelques axes du propos

Des choses tout à fait essentielles ont été abordées. Elles n'ont rien d'extraordinaire en soi, mais les réponses qui leur sont données par André Markowicz - et surtout leur manifestation concrète dans son travail - laissent plus qu'admiratif.

Quelques problèmes fondamentaux. Qu'est-ce qu'une traduction, quelle est sa visée ? Prenons un texte versifié, par exemple une pièce de Shakespeare.
Il n'est pas possible de la traduire en prose, on en perdrait toute la musicalité qui en fait la valeur. [Ces traductions, pour la plupart, sont en effet d'un commun terrible et ne conservent plus que la trame charmante des comédies. Toute la qualité de la langue disparaît.]
Il n'est pas possible de conserver le mètre original, le pentamètre iambique ici. Cette forme ne signifie rien aux oreilles françaises ! [En outre, je la crois assez difficile à mettre en place avec l'accentuation fixe française.] Aucun lien culturel ne peut être établi avec une telle forme pour les lecteurs.
Il n'est pas possible de le traduire en alexandrins, car le pentamètre iambique a été choisi par Shakespeare dans un esprit opposé à celui de l'alexandrin. C'est un vers heurté [souvent irrégulier chez lui, qui plus est], violent, découpé, tout le contraire d'un ronronnement à douze syllabes.
Il faut[1] donc versifier lorsqu'il y a versification sous peine de tomber dans la platitude, ne pas adopter le mètre original s'il n'a aucune signification dans la langue d'arrivée, et pour finir ne pas employer le mètre attendu dans la langue d'arrivée s'il n'est pas conforme à l'esprit du mètre original.

Le point fondamental est 'bien entendu' qu'il faut rendre au lecteur non pas un résultat le plus proche possible (André Markowicz récuse la notion morale de fidélité), non pas le plus beau possible, mais produire le même effet sur le lecteur que le texte original. Immense tâche, que, le plus souvent, il accomplit sans la moindre contorsion du sens...

La conférence prend toute sa valeur dans les exemples très précis qui émaillent son discours, sur le détail de la langue des auteurs et de la technique de rendu.

  • Les mille façons de demander le sel à sa mère, en russe.
  • La solution pour exprimer dans la phrase "le train est arrivé" l'attente du locuteur. Elle s'exprime par l'antéposition du train, en russe, mais en français. Avec la solution, en définitive "il est arrivé, ce train", qui présente tout de même une nuance familière à l'écrire absente du russe, mais qui offre une vraie porte de sortie. Et ce type d'interrogations sur chaque phrase.
  • Les grandes démonstrations sur les vers de Shakespeare : le seul vers faux de Hamlet, les très nombreux vers faux (pentamètres à six accents) d' Othello, la signification du décalage, depuis le microscopique, dans la langue, entre Hamlet et Macbeth - qu'il interprète comme un Hamlet à front renversé, où le Verbe, au lieu d'être incarné au théâtre dans le théâtre comme la parole divine, trompe sans cesse[2].

On parvient à l'issue de cette conférence avec l'impression que ce propos improvisé aurait aussi bien pu être tout autre, mais on le pressent tout aussi passionnant.


3. Lectures recommandées

Lire la suite

Notes

[1] André Markowicz a bien insisté sur le fait qu'il apporte un fonctionnement personnel et ne prétend en aucun cas le conseiller et encore moins l'imposer.

[2] On pourrait bien sûr en discuter à l'envi, puisque la parole est justement ce qui abuse Hamlet dans les propos choisis du spectre et saisit Claudius à tort ou à raison ; mais les raisons avancées sont étayées et fortes, et constituent une voie de lecture cohérente en elle-même.

Suite de la notule.

dimanche 13 août 2006

Eichendorff a écrit - I - La versification allemande

Dans la série Versifications du Monde, premier volet.

A propos du précédent billet.

Eichendorff traduit, la versification allemande révélée.

Suite de la notule.

mercredi 26 juillet 2006

Le disque du jour - V - Thora på Rimol de Hjalmar Borgstrøm

Thora på Rimol de Hjalmar Borgstrøm (1864-1925).



Ouverture.


Le sujet est la fin du paganisme et la christianisation de la Norvège, la chute de Håkon Jarl, protégé par son ancienne esclave abandonnée, Thora, terrassé par Olav Trygvason, assassiné par son propre écuyer Kark. Un sujet récurrent chez les dano-norvégiens. Excellent livret en bokmål de Borgstrøm.

On conserve encore une forme à numéros, mais assez libre. La déclamation est l’une des plus belles qu’on puisse trouver, et les interventions des solistes sont ponctuées, commentées par l’orchestre, laissant respirer le drame. Une œuvre incroyablement belle, à rapprocher du Hollandais Volant de Wagner (en plus appaisé, moins dramatique et plus poétique) ou du Weber d’ Euryanthe. Le final du I rappelle d’ailleurs l’ouverture des Meistersinger (Wagner). A mon sens, une œuvre lyrique majeure du répertoire "germanique".

Suite de la notule.

lundi 5 juin 2006

Le théâtre chanté chinois et l'opéra occidental - III - Les conventions théâtrales

Suites à des pressions par courrier, nous sommes dans l'obligation de publier ce soir un troisième épisode de cette série.

Avec pour ambition avouée de pulvériser le record du billet le moins lu. Titre très prometteur pour réaliser l'objectif. Qui s'intéresse aux conventions ? La subversion, depuis le dix-neuvième siècle, est devenue la norme morale de l'art.

Quoi qu'il en soit, manière de poursuivre la publication de ces quelques données sur le théâtre chinois, trop méconnu [il n'existe quasiment pas de pièces traduites en français, une demi-douzaine maximum - un peu en anglais, en revanche], poursuivons.

Une jolie image attend ceux qui liront le billet.

Suite de la notule.

samedi 11 mars 2006

Ludovic TEZIER - sa carrière, son dernier récital - Schumann, Fauré, Duparc, Ravel

Quelques indications sur Ludovic Tézier à l'occasion de son récital demain à Bordeaux. [Edit : Egalement publié sur Vocalises.net.]

Suite de la notule.

samedi 4 février 2006

De Hamlet à Hamlet VI

Les courtisans.

Suite de la notule.

mercredi 1 février 2006

De Hamlet à Hamlet V

Toujours Hamlet.

4. Changements par rapport à la source, suite.

Suite de la notule.

mercredi 14 septembre 2005

De Hamlet à Hamlet IV

Début de l'étude des dissemblances d'avec le texte-source. Ce qui demeure. Le statut du spectre.

Suite de la notule.

samedi 23 juillet 2005

De Hamlet à Hamlet, III

La relation à Ophélie.

Suite de la notule.

mercredi 6 juillet 2005

De Hamlet à Hamlet II

La suite : musiques de circonstance et leur usage.

Suite de la notule.

mardi 5 juillet 2005

De Hamlet à Hamlet I

Ou l'histoire d'une métamorphose.

Un texte baroque. Un opéra romantique.

Suite de la notule.

David Le Marrec

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