Les 24 Violons du Roy de Patrick Cohën-Akenine au TCE - Le pari perdu de l'authenticité ?
Par DavidLeMarrec, mercredi 2 juin 2010 à :: Baroque français et tragédie lyrique - Discourir - Saison 2009-2010 :: #1550 :: rss
Les 24 Violons du Roy en concert au Théâtre des Champs-Elysées, mercredi 26 mai 2010.
Patrick Cohën-Akenine, immense violoniste devant l'Eternel, est depuis longtemps chef d'ensemble, et à la Tête des Folies Françoises, il a quelque temps fait merveille, comme par exemple dans ce récital baroque français de Patricia Petibon.
Or, il s'est mis en tête de réaliser une courageuse résurrection des 24 Violons du Roy, l'ensemble qui jouait pour Louis XIV, en utilisant des recréations des instruments manquants de la famille du violon qui étaient alors utilisés.
On en a déjà parlé par trois fois sur CSS :
- octobre 2008 ;
- novembre 2008 ;
- et un peu plus longuement en décembre 2009.
Entre le dessus de violon toujours pratiqué et la basse de violon parfois réemployée dans les ensembles baroques, on a ainsi réintroduit la haute-contre de violon (assez comparable à l'alto), la taille et la quinte de violon. Cela produit visuellement un dégradé assez pittoresque, avec de gros violons qui pendent à de petits cous, touche en bas, comme ceci : (oui, leur enthousiasme semble limité).
Patrick Cohën-Akenine dispose ainsi d'un ensemble constitué de la façon suivante :
- violons : 4 dessus, 2 hautes-contre, 2 tailles, 2 quintes, 2 basses ;
- bien qu'appartenant à la famille des violons (contrairement à la contrebasse qui appartient à la famille de la viole, d'où leur son plaintif), les basses de violon disposent de frettes - c'est-à -dire de ces barres, comme sur les guitares, qui bloquent la corde à hauteur fixe en créant des "cases", de façon à assurer la justesse ; d'autant plus étrange que si les violes de gambe en disposent, les violoncelles baroques n'en disposent pas et les contrebasses n'en disposent plus (mais il faut là interroger les facteurs d'antan et non pas les malheureux instrumentistes exhumant...) ;
- bois : 2 flûtes, 2 hautbois (le premier hautbois tenant les parties de flûte basse dans les trios), 1 basson français (au son si nasillard qu'il rappelle ici le cromorne !) ;
- continuo : viole de gambe, violoncelle, clavecin, archiluth.
Cela se justifie très bien sur le papier. Lully était violoniste, il écrivait des dispositions qui n'étaient pas pensées pour le clavier comme le fera Rameau ou comme le faisaient déjà les Italiens (c'est-à -dire avec une basse isolée et les autres parties isolées dans l'aigu). Il utilisait une répartition beaucoup plus équilibrée au niveau des médiums, qui donne un certain fondu - et rend d'autant moins confortables à exécuter, quelquefois, les réductions pour piano du début du vingtième siècle (elles sont en réalité redéployées pour être 'claviérisables', y compris quand les parties intermédiaires originales subsistent).
Et cela se faisait avec l'instrumentarium restitué par le projet de Patrick Cohën-Akenine. Le but avoué était de retrouver la diversité des instruments, donc des couleurs originales, de la musique de Lully.
L'ensemble a beaucoup progressé depuis ses débuts, et déjà en 2009, il jouait tout à fait juste. Il est capable désormais de jouer certaines sections avec un beau tranchant. On a même pu observer, au cours de ce concert, quelques partis pris interprétatifs sensibles, même si l'on demeure très loin de ce qui pouvait être réalisé avec les Folies Françoises.
Néanmoins, le résultat immédiat de cette restitution est au contraire une plus grande homogénéité des timbres et une certaine mollesse d'articulation.
Et ce n'est pas si paradoxal : au lieu d'instruments divers, on décline les intermédiaires d'une même famille. Voilà pour l'homogénéité. Et pour l'articulation ? Il suffit d'observer la dimension des tailles et quintes de violon : les instruments sont retenus par des lanières discrètes, mais comme vu leur masse il ne doit pas être possible de les bloquer avec le cou, ils reposent en partie sur la main. Aussi, l'agilité en paraît fortement diminuée - n'imaginez même pas du vibrato, et encore moins un démanché, tout s'effondrerait ! Par ailleurs, pour qui a déjà joué un violon et un alto, la différence d'exigence physique en étant déjà assez considérable, on imagine la force nécessaire pour maintenir efficacement une corde de quinte de violon.
Bref, au final, on gagne en fondu, mais on perd une part déterminante de ce que le mouvement baroqueux a apporté : clarté et autonomie des strates, individualisation des timbres, incisivité des attaques, palette expressive nouvelle. Le projet est généreux, mais il me semble qu'il se heurte aux difficultés structurelles qui ont fait que l'on a abandonné ce type d'orchestre au profit de la disposition italienne : c'est intrinsèquement un ensemble moins virtuose et moins brillant.
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Et le concert ?
Très beau, mais il avait aussi ses limites.
A commencer par le programme. Sublime : les moments de bravoure des trois dernières tragédies lyriques (Amadis de Gaule, Roland, Armide) et de larges extraits de la pastorale Acis et Galatée.
Mais ce n'est pas une surprise : Lully en tranches fonctionne mal. Ces airs de bravoure, même s'ils ne ressortissent pas à la même partie du canevas (on n'a pas eu trois chaconnes, qu'on se rassure), sonnent assez pauvres, ainsi isolés. Tout cela semble toujours la même chose, un joli archaïsme qui servait autrefois de hors-d'oeuvre dans les récitals de chant.
En revanche, la Pastorale, certes très coupée, mais donnée dans sa continuité, est beaucoup plus captivante, alors même que la substance littéraire et musicale en est sensiblement moindre. C'est aussi là qu'on entend les plus belles trouvailles orchestrales (si Cohën-Akenine maîtrise Armide depuis longtemps, ses Amadis et Roland semblaient bien sous-exploités...).
Côté interprètes vocaux, Lisandro Abadie est une basse-taille typique de ce que l'on produit aujourd'hui : des barytons un peu tassés (ce qui est tout à fait légitime, c'est ainsi que les rôles sont écrits), qui exaltent leur bas-médium et leurs couleurs sombres. Typiquement les emplois de Laurent Naouri, Jérôme Corréas, Bertrand Chuberre, Thomas Dolié... Dans ce registre, il réussit très bien sa tâche, la voix est belle, l'articulation verbale impeccable, et les graves tout à fait honorablement sonores. En Roland, il manque peut-être de panache (il faut dire qu'il doit débuter à froid le concert par une scène d'amour trompé puis une scène de folie...), mais en Polyphème, il mêle la présence intimidante à une certaine noblesse - le Cyclope est d'une vieille et illustre famille, après tout - qu'on ne trouvait pas dans les effets de Naouri au disque (conjugué à ceux tout aussi histrioniques de l'orchestre de Minkowski).
L'explosion extraordinaire d'Isabelle Druet, venue du théâtre, qui a fait tout son cursus vocal en deux ans (m'a-t-on assuré de source interne à son conservatoire), qui est passée en deux ans d'inconnue à solide comprimaria (et récompensée au Concours Reine Elisabeth), et en deux ans supplémentaires de quasi-troupière à prima donna dans un certain nombre de concerts baroques ou de récitals de mélodies. Pas à Garnier, certes, mais pas dans de petites salles de cinquième catégorie (l'Opéra-Comique ou l'Athénée, tout de même !).
J'en serais ravi si je n'avais de la peine à distinguer ses mérites propres. La voix est très bien projetée, mais au moyen d'harmoniques de nez assez désagréables - non pas que la voix en elle-même soit nasale, mais elle semble accrocher les résonateurs faciaux assez haut et tout en force. Je songe souvent, en l'écoutant, aux techniques Astrid Varnay et de Birgit Nilsson, qui ont ces caractéristiques, avec un formant extrêmement vigoureux. En descendant au parterre à l'entracte dans la salle aux deux tiers vide, la voix sonnait beaucoup mieux qu'au premier balcon, cela dit - un mystère vocal de plus, qu'on ne remarque pas avec les autres instruments...
En Armide, j'ai été très gêné par la lourdeur de ses appuis (elle semble avoir conservé ceux de sa voix parlée), la raucité du timbre, et tout cela sans être suivi d'une véritable implication dramatique - même si le cadre du concert est moins désinhibant que la représentation, la fin d'Armide est tout de même un extrait en or ! Et alors qu'elle est en décalage (d'une croche à peu près) avec l'orchestre (qui, pourtant, dans ce passage, articule plutôt vigoureusement), insensible aux gestes que le chef lui adresse désespérément, elle poursuit sa route et fini en bordure de piste, comme si elle n'écoutait rien autour. Et comme cet orchestre un peu indolent n'a pas la réactivité d'une autre formation - et qu'aucun musicien ne regardait le chef -, rien n'a été rattrapé, pendant d'assez longues secondes.
En revanche, en Galatée, allégeant son timbre (comme Nilsson en Elsa, en somme), avec un aspect plus 'mixte', jouant des regards et de l'ironie, elle séduit beaucoup plus, et je me suis pris à trouver son incarnation, sans doute aidée par la scène au lieu du studio, beaucoup plus vraie que celle sublime de Véronique Gens, qui se montrait moins sensible à tout le second degré du livret.
Enfin, le bonheur d'entendre enfin Sébastien Droy hors des retransmissions. La voix est toujours aussi particulière, joliment appuyée sur l'arrière, comme adossée au timbre, assez vibrée pour du baroque (il chante aussi beaucoup de rôles de lyrique léger du répertoire français, tel l'Armand de Colombe de Damase). Ses interventions, même dans les mièvreries d'Amadis, mais bien plus, comme tout trois, pour Acis dans la pastorale, sont toujours très prégnantes, avec quelque chose de toujours intense dans la manière de dire. Un chanteur que je suis toujours avec beaucoup d'attention, mais à qui son disque le plus prestigieux, l'Adonis-titre de la pastorale de Desmarest avec Rousset, ne rend pas justice (abîmé aussi par la direction terriblement lente et surtout terne).
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Autrement dit, un concert très beau, assez fortement intéressant, mais qui révèle un concept qui, à mon humble avis, représente une voie sans issue, car structurellement défavorisé par rapport à n'importe quel autre orchestre plus banal.
Commentaires
1. Le samedi 30 avril 2011 à , par florence_leroy :: site
2. Le dimanche 1 mai 2011 à , par DavidLeMarrec
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