Eichendorff a écrit - I - La versification allemande
Par DavidLeMarrec, dimanche 13 août 2006 à :: Poésie, lied & lieder :: #352 :: rss
Dans la série Versifications du Monde, premier volet.
A propos du précédent billet.
Eichendorff traduit, la versification allemande révélée.
Je ne me mesure qu'en tremblant aux inégalables octosyllabes d'Eichendorff. Mais vous avez bien droit à une petite traduction du précédent billet. Surtout qu'il n'existe qu'une occurrence de ce texte (chez Emily Ezust, bien sûr)[1], non traduite, sur la Toile qui soit directement accessible par les moteurs de recherche.
A la réflexion, je n'ai pas eu toujours la même délicatesse envers le pauvre Joseph von Eichendorff. Il n'y a que le premier crime qui coûte.
1. Versification
Un petit préalable, puisque cette question n'a jamais été abordée ici, et pour mieux goûter ce texte. Comment versifie-t-on en allemand ?
La versification allemande se trouve à la croisée de deux systèmes : le vers français et le vers anglais. Arrêtons-nous sur l'octosyllabe.
1.1. La versification française ou la pensée en syllabes et en rimes
Il faut bien sûr avoir quelques notions de versification française pour avoir une bonne idée du parallèle.
On trouve quantité de traités de versification française tout à fait valables sur la Toile, inutile de perdre du temps à en ajouter un.
Très simple : http://www.chez.com/jardindenfants/versification.htm.
Simple : http://www.anthologie.free.fr/traite/traite.htm.
Plus technique et complet : http://www.unige.ch/lettres/framo/enseignements/methodes/versification/vrintegr.html (déconseillé pour une première approche)
Le vers allemand est lui aussi fondé sur une pensée syllabique et rimique, et notre octosyllabe comprendra huit syllabes pour les vers à rime masculine, neuf avec le "e" escamoté des vers à rimes féminines. Attention, la finale "-en", faible, est aussi féminine en allemand. L'alternance masculin-féminin n'est pas obligatoire chez les poètes allemands.
Exemple 1 :
Be-trüg-lich ist // der ir-re Klang
4 syllabes // 4 syllabes.
Vers à rime masculine. Vous noterez qu'il existe aussi une césure[2] très stricte dans ce vers, comme toujours chez Eichendorff, qui impressionne sans cesse par la densité de son expression et la force de son organisation rythmique.
Exemple 2 :
Mein Schatz ist in der Ferne
6 syllabes (hexasyllabe).
Il n'y a pas de césure dans l'hexasyllabe, mais on pourrait presque en faire une (après "Schatz" ou "in", syllabes accentuées), c'est dire le soin apporté par Eichendorff. Rime féminine. Le "e", quoique plus fort qu'en français, ce qui vaut toutes les - mauvaises - imitations de l'accent allemand, n'est pas accentué en allemand. Du coup, on ne le compte pas en fin de vers, après la dernière syllabe accentuée.
1.2. La versification anglaise ou le iambe blanc[3]
L'autre versant est donc la part comparable à la versification anglaise, puisque ce système allemand est mixte. Vous savez à présent le plus difficile, c'est-à-dire la part française (comme d'habitude).
1.2.1. Le pentamètre iambique anglais
Le vers anglais, si on se réfère au bon Hocheur de poire, tient de la versification antique simplifiée. Le plus célèbre vers (mais très loin d'être le seul !) est le vers blanc, un pentamètre iambique non rimé. La réalité est plus complexe, peut-être aurons-nous l'occasion d'y revenir un jour. Il faut juste savoir que ses entorses volontaires au principe iambique (le rendant irrégulier) sont nombreuses, parmi autres subtilités.
Le iambe est un pied, c'est-à-dire une unité rythmique comme dans les vers antiques. Le iambe se compose d'une syllabe brève suivie d'une longue. Le pentamètre iambique est donc un vers de 5 iambes, donc de dix syllabes. On n'y rencontre aussi clairement pas les exceptions nombreuses des vers antiques, aussi nous aurons une simple quintuple répétition de iambes.
Un exemple facile et sans ambiguïté, tiré d'un célèbre acte III pour ne pas trop vous bousculer.
That makes calamity of so long life
Bien sûr, "makes" se prononçant "meyks", il vaut une seule syllabe.
1.2.2. La synthèse allemande
Le vers allemand reprend, en plus des contraintes françaises des coupes syllabiques et des rimes, la contrainte de l'alternance faible/forte[4] (le français est décidément la seule langue[5] à ne pas avoir ce concept !).
On peut rencontrer un steigender Rhythmus (rythme ascendant), lorsque nous avons l'iambe pour pied (brève-longue) ou un fallender Rhythmus (rythme descendant) lorsque c'est le trochée (ou chorée, longue-brève) qui est le pied choisi.
J'ai proposé une traduction littérale, mais cette idée de rythme ascendant ou descendant correspond assez bien à la cadence majeure ou mineure du vers français. Cela n'a qu'un rapport très inexact avec la musique, rien à voir avec la tonalité. On parle ici de proportions qui vont grandissant (un octosyllabe qui ferait 2+2+4) ou diminuant (un décasyllabe qui ferait 4+3+2+1). Tout cela est censé donner un caractère majestueux ou, inversement, discret - ce qui est vraiment de la théorie plus ou moins appliquable.
Mais le parallèle est permis entre le seignender Rhythmus et la cadence majeure, équivalents bien qu'il ne s'agisse pas exactement de la même chose.
Reprenons nos deux exemples d'Eichendorff.
Exemple 1 :
Betrüglich ist // der irre Klang
Nous avons donc un octosyllabe, césuré, formé de quatre iambes et rimé ! Si ce n'est pas de la maîtrise technique... Le texte est très beau aussi, ce qui ne gâte rien.
Exemple 2 :
Mein Schatz ist in der Ferne
D'un point de vue expressif, on peut se permettre de ne pas accentuer le verbe, puisque l'accent porte principalement sur le nom Schatz ("trésor") et sur le lieu qui le reçoit : in et Ferne. Nous obtenons donc un hexasyllabe constitué de trois iambes, ce qui explique pourquoi une césure était possible après la deuxième ou la quatrième syllabe (et pas la troisième).
Je crois que l'essentiel a été dit. Tout devrait être à peu près clair. Si ce n'est pas exactement le cas, n'hésitez pas, on est là pour ça...
1.3. Conclusion
L'exercice est donc particulièrement périlleux, puisqu'il réclame la maîtrise à la fois d'un système syllabique centré sur le vers et d'un système rythmique à pieds. En outre, les vers brefs qu'emploie Eichendorff (octosyllabe principalement) rendent la tâche d'autant plus difficile. Surtout que les mots allemands ne sont pas précisément les plus courts du marché.
Admirez donc.
2. Une traduction
A présent, vous pourrez mieux profiter du texte.
Mais ce sera au prochain épisode, la note est suffisamment garnie.
Notes
[1] Je m'aperçois que l'on obtient un peu plus de résultats sans la coquille, mais pas de traduction tout de même.
[2] C'est-à-dire une coupure entre les deux moitiés du vers, indispensable en français pour les vers de plus de huit syllabes.
[3] En réalité, il faut écrire "l'iambe". Mais pourquoi se priver de la prononciation méridionale, qui rend les "e" caducs si aisés à scander ?
[4] Attention, l'amagame brève/longue = faible/forte n'est pas valable pour les Antiques.
[5] On pardonnera à Ma Méridionalité ce brin discret d'exagération.
Commentaires
1. Le vendredi 18 août 2006 à , par fitze Airlines
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3. Le vendredi 18 août 2006 à , par DavidLeMarrec
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5. Le samedi 19 août 2006 à , par fitze
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