Carnets sur sol

   Écoutes (et nouveautés) | INDEX (très partiel) | Agenda concerts & comptes-rendus | Playlists & Podcasts | Instantanés (Diaire sur sol)


Résultats de votre recherche de vampyr marschner.

dimanche 3 mars 2024

Offenbach & Auber – Le Financier & Le Savetier ; Haÿdée – Les Bavards, Compiègne



Concept-troupe

La nouvelle troupe Les Bavards, issue de l'excellent ensemble amateur (de haut niveau) Oya Kephale, a un concept particulièrement séduisant : en format réduit (orchestre à un par partie, et un piano pour remplir un peu), ils proposent ainsi une opérette rare de cinquante minutes, dans une production scénique particulièrement vivante, qui tourne à travers divers lieux d'accès plus populaires à la culture (mairies du IIIe, du XIVe, du XVIIIe, mais aussi le Centre Paris Anim' Dunois dans le XIIIe), pour des représentations gratuites.

L'occasion d'élargir notre répertoire ! Je connaissais l'œuvre (il existe une très belle version discographique, pas très largement diffusée, avec les fulgurants Ghyslaine Raphanel et Éric Huchet !), mais l'avais trouvé peu marquante à l'écoute seule. La production de l'Opéra de Barie avait le mérite d'exister en ligne (et très bien chantée !), mais avec piano seulement, et une direction d'acteurs bien plus chiche. En salle, l'œuvre prend toute sa saveur dans cette version mise en scène de façon très animée par Thierry Mallet (un des fondateurs de la troupe ; également le Savetier).

La réalisation instrumentale n'est pas parfaite, mais chaleureuse et pertinente (ça vaut largement mieux que n'importe quel grand orchestre en pilotage automatique !), tout transpire l'amour de cette musique et de ce théâtre, sans s'excuser de jouer de la musique simple ou des plaisanteries du XIXe siècle. Et je suis très sensible aux couleurs avivées dans cette version pour orchestre réduit.
Les chanteurs sont en outre excellents – Audrey Maignan déjà admirée en Robin Luron du Roi Carotte au Conservatoire du XIIe et dans Les Brigands, Thierry Mallet applaudi dans Barbe-Bleue ou Les Brigands avec Oya Kephale, Thibaud Mercier, Paul Le Calvé.

L'occasion pour moi de remarquer quelques détails dans l'œuvre.

--

Détails dans Le Financier & le Savetier

1) « En pincer » est déjà attesté, dans ce livret. Je n'aurais pas été certain que ça remonte si loin (1856).

2) La propension d'Offenbach à utiliser des fragments de mots répétés pour effet drolatique (et faciliter la mise en musique malgré la prosodie) réussit ici un très joli coup avec « Il faut qu'un Savetier save save save save son métier ».

3) Le meilleur moment musical, c'est l'exploitation, dans un court trio conclusif, de la musique de la chanson de la captivité de Richard Cœur de Lion (Sedaine / Grétry), un tube des années 1780 qui a été une sorte d'hymne officieux de résistance sous la Révolution et qui a repris en popularité – notamment comme « timbre », c'est-à-dire comme mélodie pour les textes des vaudevilles et des chansonniers – sous la Restauration.
Je parle de cette romance Une fièvre brûlante dans la notule consacrée au genre.

4) Dans les dialogues, « Je bois aux sultanes » évoque très fort le livret (de Scribe) d'Haÿdée d'Auber (1847), un grand succès de l'époque – dans la scène de somnambulisme de Lorédan (une des plus incroyables scènes de solo de tout le répertoire français), il livre cette réplique pendant son toast imaginaire, entre deux remords : « je bois à vos sultanes ». Une parole d'autant plus emblématique qu'elle sert de refrain et point culminant. (Merci, de ce fait, aux artistes d'avoir conservé les dialogues d'origine pour profiter de ces pépites.)
Le lien n'est pas tout à fait gratuit : le nœud de l'intrigue d'Haÿdée repose sur un jeu d'argent où l'on mise tout ce que l'on a – jusqu'à, comme dans ce Financier & Savetier, sa propre maison.

--

Action de grâces

Une fois de plus, le salut provient des petites institutions, voire des amateurs : tandis que l'Opéra de Paris rejoue pour la millionième fois Giovanni et Traviata, ou l'inutile damnation, le répertoire est documenté par les compagnies qui auraient besoin de jouer des tubes pour vivre (œuvres suffisamment connues pour être appréciées même en version « dégradée » par rapport à nos disques préférés, de toute façon). Merci à ceux qui se livrent à ce sacerdoce – pour nous autres spectateurs tellement salutaire !

À cela s'ajoute l'excellent livret de salle (gratuit lui aussi) qui inclut l'argument, la Fable d'origine, l'équivalent monétaire des sommes évoquées, un récit de la création avec des citations de critiques d'époque, et enfin un glossaire très riche sur les expressions – « alêne » et « empeigne » pour l'artisanat chaussural, mais aussi « jeter du persil » pour exprimer l'idée d'empoisonner le voisin, lié à la toxicité supposée du persil sur les perroquets !

Vraiment, Les Bavards, vous avez fait carton plein !

Il reste deux dates, que vous retrouverez dans l'agenda officiel de Carnets sur sol.

--

Retour à Haÿdée

Je lui ai déjà consacré une notule (où j'ai parlé de polytonalité, un peu hardiment, car l'effet est aussi dû au fait que Bruno Comparetti ne chante pas totalement juste en cette instance), mais en cherchant à vérifier l'exactitude de ma citation, j'ai rencontré par pure sérendipité la vidéo (le DVD est difficile à trouver), je ne disposais que de la bande prise par un spectateur à l'époque… et voilà qui m'a fatalement replongé dans l'intégralité de l'œuvre, que je trouve réussie musicalement – alors que beaucoup d'opéras d'Auber me paraissent dotés d'assez peu d'idées musicales. (Contrairement à son Quatuor à cordes en ut de jeunesse – 1799 – et bien sûr aux mirifiques Diamants de la Couronne.)

L'occasion, de même, de quelques remarques ponctuelles.

a) Je crois que l'histoire me touche parce qu'elle explore – certes de façon schématique vu qu'il s'agit d'un opéra comique du XIXe siècle qui doit contenir ses barcarolles, ses chants de guerre, ses romances, ses airs vocalisants, sa couleur locale maritime et vénitienne… – non pas un absolu, mais une nuance plus proche de la vie. Que se passe-t-il lorsque, vertueux, on n'a pas la force de se montrer exemplaire à un moment capital ? Le livret de Scribe, très stimulant, tourne autour de cette question de la culpabilité – Lorédan est un homme admirable, mais tourmenté par une faute qu'il aurait pu éviter. Voilà qui change des héros intrépides, mus seulement par l'amour ou la gloire, sans aucune consistance psychologique explicitée.
De même, certes on croise le poncif de l'esclave amoureuse de son maître (qui la traite respectueusement une fois que ses compagnons ont massacré sa famille…), mais le portrait est nourri de motivations qui peuvent s'entendre – l'estime pour le seul qui ne l'ait pas traitée comme monnaie d'échange, le besoin aussi de se trouver une nouvelle mission après cette catastrophe insurmontable…

b) À ce titre, je trouve les personnages principaux assez attendrissants (le jeune couple qui en personnage secondaire paraît bien plus stéréotypé et égoïste, ils s'aiment et font le nécessaire, basta). Petit indice assez élégant, Lorédan vouvoie son esclave, ce qui montre qu'elle n'est considérée ni comme une enfant déficiente, ni comme une amante dont il aurait consommé la chair.

c) Lors de la confrontation avec l'ennemi Malipieri qui a surpris la confession faite en rêve par Lorédan, je suppute que les insinuations sur le rêve qui révèle un crime constituent une réécriture, voire un clin d'œil (an Easter egg, dirait-on au cinéma) à quelques scènes célèbres de Shakespeare : le songe de Cassio surpris par Iago, mais peut-être tout autant la pièce de théâtre mise en place par Hamlet pour surprendre les émotions de son oncle homicide.

d) Je suis à nouveau frappé par les récitatifs, dont la véhémence fait quasiment plus penser à Weber et Marschner qu'à la grande école française – même si, bien évidemment, l'essentiel du langage est à apparenter au style meyerbeerien du grand opéra à la française.
Le somnambulisme de Lorédan est un peu, stylistiquement, l'équivalent français (et pour ténor, tessiture rarement pourvue de ce type de scène !) du grand récit du Vampire chez Marschner. Un moment où toute une histoire est racontée en solo, avec des récitatifs de qualité incroyable. Et quelle revélation haletante ! Révélée de façon tout à fait implicite de surcroît – « ah ! six et quatre ! », et c'est tout.

Pour le reste, je vous renvoie à la notule correspondante, et surtout à la vidéo (je vous la cale directement sur la scène de somnambulisme), chantée dans un français exceptionnelle – et, par contrat (!), sans aucun [r] roulé.

--

Pierre Jourdan, tu nous manques.

Les Bavards et autres amateurs courageux (Calligrammes, Elektra…), vous nous sauvez.

dimanche 13 août 2023

Un jour, un opéra : les folies d'août 2023


Des châteaux suédois, des stations balnéaires bulgares,des festivals coréens, des spectres grotesques, des Républiques jésuitiques et bien d'autres surprises au menu de cette brassée de représentations : contrairement à ce qu'on pourrait penser vu de France (qui joue de l'opéra en août, à part Saint-Céré ?), les représentations continuent l'été en bien des endroits !

Je me suis remis à cette série, que je trouve particulièrement stimulante. Comme Twitter, où je la publie principalement ces miniatures, est désormais en vase clos, limité à la par la volonté de M. Zébulon Civette, j'essaie de faire l'effort de les retranscrire ici – c'est beaucoup moins commode à cause des images, plus longues à importer et insérer. J'essaie de me tenir à les publier en double sur Facebook, où la politique n'est pour l'instant pas identique, mais comme je reste soumis sur l'Internet propriétaire au caprice des hébergeurs, et que passé quelques semaines, il devient impossible de retrouver un contenu… le voici de façon permanente ici. Vous le verrez, pour cette moisson d'août, quantité de découvertes de lieux incroyables et d'opéras assez originaux.



Aucune description de photo disponible.

Aucune description de photo disponible. Peut être une image de Camogli et océan

🔵 Ce 6 août 2023, on donnait 𝑃𝘪𝑛𝘰𝑐𝘤ℎ𝘪𝑜 d'𝗔𝗹𝗲𝘅𝗮𝗻𝗱𝗲𝗿 𝗬𝗼𝘀𝗶𝗳𝗼𝘃 (1940-2016) à l'Opéra d'État de Bourgas.

Un des nombreux cas d'opéras écrits pour les enfants à l'Est de l'Europe, où la pratique est répandue (République Tchèque et Russie, notamment). Je vous fais grâce de l'histoire.

Yossifov (apparemment, c'est la translittération usuelle, même en anglais) était un compositeur bulgare, élève de mon cher Pancho Vladigerov, l'immense représentant du postromantisme bulgare, auteur de musique symphonique à l'élan assez irrésistible et à la finition remarquable – pour ce dernier, foncez sur la vaste anthologie Capriccio, c'est tellement généreux et bien écrit… !

Je n'ai pas pu entendre son Pinocchio, mais on trouve en ligne plusieurs concertos, dans un goût très tonal, peut-être plus marqué par le néoclassicisme et le jazz que le postromantisme comme son maître. Ici son concerto pour deux pianos et percussions.
Très accessible et plutôt bien fait en tout cas !

Je vous fais grâce de l'histoire.

Bourgas est une ville balnéaire située sur une petite péninsule sur la Mer Noire, 200.000 habitants aujourd'hui. Si l'on passe l'attentat-suicide de 2012 (du Hezbollah sur un car d'Israéliens), le lieu est désormais plutôt connu comme lieu de villégiature touristique : hivers enneigés mais étés méditerranéens.
L'agglomération a contenu de nombreux ports de pêche, avant de devenir principalement, à l'ère industrielle, un centre important de l'industrie chimique (transformation des huiles !) et, alentour, minier – mines de sel et de fer.

La compagnie est fondée en 1947 (Opéra, Ballet, orchestre philharmonique) – j'ai l'impression que c'est le même orchestre qui joue les productions à l'Opéra et les concerts à la Philharmonie. J'aime beaucoup l'architecture très originale du lieu – les petits « chapeaux » en tuiles vernies ?





Trois vues du château.

L'abbaye-hôtel et l'hôtel de ville.

🔵 Aujourd'hui, 8 août 2023, on donne, au festival d'été du château de V̳a̳l̳d̳s̳t̳e̳n̳a̳, 𝐴𝑛𝑑𝑒𝑓𝑎𝑏𝑟𝑖𝑘𝑒𝑛 (« L'usine à fantômes »), un nouvel opéra de 𝐃𝐚𝐧𝐢𝐞𝐥 𝐍𝐞𝐥𝐬𝐨𝐧, dont le livret – de Tuvalisa Rangström (une descendante de Ture, j'imagine) et Magnus Lindman – met en scène notamment Edison et Houdini autour des questions d'illusion, de mystique, de désir, de cupidité.

Je n'ai pas encore pu trouver d'échos sonores de l'opéra, mais d'ordinaire Daniel Nelson écrit une musique très accessible, volontiers bondissante et joueuse (ici, sa sonate hautbois-piano).

Tout cela représenté dans la salle des gardes du château, un des mieux conservés de Suède pour le style Gustav Vasa (XVIe siècle), pour un festival d'été qui se tient depuis 1964.
La petite ville (5000 habitants, la taille de Luzarches ou Tonnerre…), située sur le lac Vättern (au centre du Sud du pays) est aussi célèbre :
¶ pour la première abbaye de l'ordre de sainte Brigitte (1350), aujourd'hui un hôtel ;
¶ pour la plus vieille mairie de Suède !





🔵 Aujourd'hui, 9 août 2023, on représente 🌟 Pelléas et Mélisande 🌟 de Debussy au Santa Fé Opera, avec Huw Montague Rendall et Susan Graham (en Geneviève). 😮

Depuis 1957, représentations d'été en plein air dans ce paysage aride (terrible pour les cordes vocales, j'imagine), avec des tubes mais aussi des raretés, notamment de langue anglaise ; ce festival a servi de modèle pour le St Louis Opera – qui n'opère aussi que l'été, et dont j'avais déjà parlé dans la série :

[🏛️  L'Opera Theatre of Saint-Louis, contrairement à ce qu'on pourrait croire, n'est pas une salle mais un festival !
Depuis 1976, sur le modèle du Santa Fé Opera, il présente chaque été 4 opéras en langue anglaise, avec des titres souvent très originaux.]

Pelléas n'est d'ailleurs pas du tout aussi souvent joué aux USA qu'en Europe.



Peut être une image de nuage Peut être une image de le Parthénon
Aucune description de photo disponible. Peut être une image de éclairage
Aucune description de photo disponible. Aucune description de photo disponible.

🔵 Ce 9 août 2023, on reprend au 𝕄𝕖𝕥𝕣𝕠𝕡𝕠𝕝𝕚𝕥𝕒𝕟 𝕆𝕡𝕖𝕣𝕒 𝕕𝕖 𝕊𝕖𝕠𝕦𝕝 (aussi appelé « Opéra National de Corée ») 𝑀𝑜𝑧𝑎𝑟𝑡!, comédie musicale (1999, livret Michael Kunze) du Hongrois Sylvester 𝐋𝐞𝐯𝐚𝐲 (qui vit à Vienne, Munich et Los Ángeles), dans la traduction coréenne déjà représentée.

Lévay Szylveszter est l'une de ces petites mains de l'industrie musicale mondiale : arrangeur pour le film Scarface, compositeur pour Elton John, et dans la dernière partie de sa carrière compositeur de comédies musicales (une Rebecca que j'ai beaucoup vu tourner en Allemagne, une Marie-Antoinette, etc.).

Je reste toujours perplexe devant l'insistance à produire des op-pics d'artistes : leurs vies ne sont pas palpitantes, et en général on ne montre pas leurs toiles / on ne lit pas leurs poèmes… Celui-ci ne fait pas exception : la musique est celle de la comédie musicale mainstream (et pas aussi inspirée, je trouve, que le Dracula de Wildhorn, dans ce genre grand public) – rien à voir avec W.A. Mozart, on raconte simplement sa vie légendaire, avec Colloredo en supervillain façon Javert…

Les pensées de Constance (« on n'est pas obligés d'être mariés ») et autres platitudes sans aucun rapport avec une ambiance XVIIIe, pas de la très grande comédie musicale pour moi.
Mais ce fut un grand succès dès sa création en 1999 (mise en scène Kupfer).

Une idée en vidéo (version allemande).

419 représentations à Vienne (au Theater an der Wien !), 420 000 spectateurs, et puis en Allemagne, en Hongrie, plusieurs séries au fil des ans au Japon et en Corée, où est donc repris le titre ces jours-ci.



Aucune description de photo disponible. 
Peut être une image de 1 personne Peut être une image de 1 personne Peut être une image de 3 personnes et Monticello

🔵 Aujourd'hui, 10 août 2023, on joue 𝑅𝑢𝑑𝑑𝑖𝑔𝑜𝑟𝑒, 10e des 14 opéras de 𝐆𝐢𝐥𝐛𝐞𝐫𝐭 & 𝐒𝐮𝐥𝐥𝐢𝐯𝐚𝐧, à l'Oᴘᴇʀᴀ Hᴏʟʟᴀɴᴅ Pᴀʀᴋ, théâtre de plein air londonien situé dans le parc du même nom – celui situé juste à l'Ouest de Hyde Park et Kensington Palace.

Gilbert & Sullivan, c'est un peu Scribe & Auber à l'anglaise, le grand duo pourvoyeur d'opéras comiques à la fois précisément datés et toujours prisés du public. Mais G. & S. ne sont jamais, je crois, tombés en désuétude, et touchent un public plus large.

Il faut dire que les livrets adoptent souvent des sujets originaux, et Ruddigore (1887) n'échappe pas à la règle : dans une parodie de mélodrame et de fantastique, le baronnet de Murgatroyd (qui prend le prénom de Ruthven, imitant le Vampire de Byron-Polidori) doit commettre un crime atroce chaque jour (son ascendant a brûlé des sorcières, dont la malédiction pèse) – sous peine de mourir, comme chaque ancêtre qui y faillit, dans l'insupportables souffrances.
    Or, le baronnet actuel n'est pas à la hauteur : les fantômes débarquent alors pour lui reprocher ses crimes insuffisants. Contrefaire son propre testament et déshériter son fils pas encore né, ça ne compte pas !  Quant à frauder le fisc… « tout le monde fait ça – ce n'est pas une subversion – c'est attendu de vous »
    Bien sûr, mêlé d'une histoire d'amour qui inclut une héroïne simple et pieuse – grâce à laquelle j'ai remporté un concours de devinettes, mais c'est une autre histoire.

Musicalement, c'est du pur Sullivan : musique très consonante (ça ressemble à du post-Auber plus encore qu'à du post-Offenbach), soit un demi-siècle de « retard » sur le style parisien, toujours bien faite, alternant avec des dialogues. (Exemple vidéo dans une mise en scène tradi.)
Distribution prometteuse aussi, incluant notamment l'incroyable diseur Stephen Gadd. (Voyez comment il pèse et incarne chaque mot de « Pari siamo » dans Rigoletto, sans chercher l'éclat vocal.)

L'Opera Holland Park, financé par le borough (quartier, disons) de Kensington & Chelsea, est né de l'édification de cette canopée en 1988 (ici, une photo de la nouvelle canopée), pour des concerts de plein air de tout style…
… mais le résultat était trop bruyant tout autour, si bien que dès 1989, ce fut changé en festival d'opéra !
Actuellement, environ 6 productions par été, des tubes évidemment, mais aussi des œuvres plus rares (des véristes notamment : Iris de Mascagni, L'Arlesiana de Cilea…).

Charles Court Opera, la compagnie qui joue, a l'ensemble des opéras de Gilbert & Sullivan a son répertoire et tourne essentiellement, comme vous l'avez deviné, au Royaume-Uni.



Peut être une image de 5 personnes et rue  Aucune description de photo disponible.
Peut être une image de mur de briques et bâtiments Aucune description de photo disponible.

🔵 Aujourd'hui, 11 août 2023, on représente l'opéra sacré de chambre collectif 𝑆𝑎𝑛 𝐼𝑔𝑛𝑎𝑐𝑖𝑜 𝑑𝑒 𝐿𝑜𝑦𝑜𝑙𝑎, œuvre composée pour la 𝐑𝐞́𝐩𝐮𝐛𝐥𝐢𝐪𝐮𝐞 𝐣𝐞́𝐬𝐮𝐢𝐭𝐞 𝐝𝐮 𝐏𝐚𝐫𝐚𝐠𝐮𝐚𝐲, au G̳r̳i̳m̳e̳b̳o̳r̳n̳ ̳F̳e̳s̳t̳i̳v̳a̳l̳ (Arcola Theatre, East London).

L'œuvre est pensée comme un opéra, mais à sujet sacré (récent !).
Pourquoi Loyola ? Parce qu'il s'agit d'une démarche promotionnelle du pouvoir du Paraguay (en réalité une région qui comprend aussi de larges portions des pays limitrophes actuels) – de 1609 à 1768, les Jésuites gèrent le territoire avec un gouvernement de type à la fois théocratique et utopique : abolition de la peine de mort, journée de 6h (!), services publics, promotion du temps libre (prière, musique, danse, tir à l'arc !).
Le territoire guaraní est ainsi géré d'une façon qui contraste avec l'exploitation des gouvernorats alentour… et régi par des moines.

Dans ce cadre, un opéra à sujet religieux qui célèbre le saint patron de l'ordre n'est pas si fantaisiste. L'œuvre est courte, moins d'une heure, manifestement écrite par le jésuite Martin Schmid, à partir d'œuvres de Domenico Zipoli (le grand compositeur jésuite de la région), ainsi que de compositeurs anonymes (probablement guaranís).
Je n'ai pas bien compris si Zipoli, qui a bel et bien exercé dans les Reducciones jésuites, avait écrit expressément pour cet opéra ou si ses compositions ont été réutilisées à la manière du pasticcio – on prend des airs préexistants et on les ajuste à une nouvelle situation dramatique et au besoin à un nouveau texte.
Quoi qu'il en soit, le résultat (1762) évoque clairement le style de l'opéra seria qui prévaut à la génération précédente en Italie et ailleurs en Europe : airs ornés à l'écriture vocale très agile et quasiment instrumentale.

C'est l'audacieux Grimeborn Opera Festival qui le programme. Créé en 2007, le nom est un clin d'œil à Glyndebourne, « grime » désignant l'aspect brut de l'ancienne fabrique de textile où est installé l'Arcola Theatre (ouvert en 2000). La programmation met largement l'accent sur des opéras anglophones du XXe siècle et contemporains très rares (plusieurs par été) – à commencer par Cabildo d'Amy Beach et The Boatswain's Mate d'Ethel Smyth !
Mais aussi des opéras de Copland, Menotti, Turnage, Burstein, Phizmiz, Tim Benjamin, Ed Hughes, Aston, Venables, Crowe, Rouston, D.J. Moore, Le Gendre… Mêlé à quelques plus ou moins tubes (Verdi, mais aussi LULLY et Janáček…).

Le théâtre dispose aussi d'une scène de plein air. Et les prix ne sont vraiment pas glyndebournesques : £20 l'optima !

(Je vois que sur leur site ils annoncent une partition retrouvée, alors qu'il en existe déjà deux disques depuis les années 90, due à Zipoli et datant des années 1720… il y aurait une enquête à mener sur qui joue quoi, mais ce n'est pas l'objet de cette série pensée comme une séquence de ℎ𝑖𝑡 𝑎𝑛𝑑 𝑟𝑢𝑛 !)



Je trouve que ce passage en revue du répertoire et des lieux des opéras donnés sur les divers continents ouvre des frontières incroyables à l'appréhension de l'art et du monde… Le processus me réjouit (et m'instruit) en tout cas, c'est pourquoi je devrais peut-être faire l'effort d'en laisser plus souvent trace sur CSS.

À très vite pour de nouvelles aventures – beaucoup de podcasts à reporter ici, mais aussi la suite de séries déjà bien avancées et quelques nouveaux projets.

mardi 6 avril 2021

Le grand tour 2021 des nouveautés – épisode 4 : cycles Pfleger, Cherubini, Schubert 13, Kreutzer, Dupuy, jeune Verdi, meilleurs Offenbach, Mahler-Tennstedt, Tapiola, femmes, Polonais, concertos pour violon, duos de piano, quatuors avec harmonium…


Toujours la brève présentation des nouveautés (et autres écoutes et réécoutes) du mois écoulé. Je laisse une trace pour moi, autant vous donner des idées d'écoutes…

heise

Conseils

Opéra

Trois opéras très peu présents au disque :
Les Feſtes d'Hébé de Rameau dans leur version révisée de 1747 ;
Drot og marsk de Heise, généreux opéra romantique suédois ;
Constellations d'Efrain Amaya d'après la vie de Miró (2012).

Hors nouveautés, retour aux fondamentaux : Isis de LULLY, La mort d'Abel de Kreutzer (six fois…), les meilleurs Verdi de jeunesse dans leurs meilleures versions (Oberto, Nabucco, Alzira, Stiffelio et sa refonte Aroldo… ne manquait qu'Il Corsaro !), Tristan de Wagner dans une version ultime (C. Kleiber, Scala 1978), les deux meilleurs Offenbach comiques (Barbe-Bleue et Le roi Carotte), Barbe-Bleue de Bartók en japonais, Saint François d'Assise de Messiaen dans la souple version Nagano !


Récitals


♦ Romances, Ballades & Duos, parmi les œuvres les plus touchantes de Schumann, par les excellents spécialistes Metzer, Vondung, Bode et Eisenlohr.
♦ Un autre cycle de Jake Heggie : Songs for Murdered Sisters.
♦ Yoncheva – disque au répertoire très varié, culminant dans Dowland et surtout une chaconne vocale de Strozzi éblouissante.
♦ Piau – grands classiques du lied symphonique décadent (dont les R. Strauss).

Hors nouveautés : j'ai découvert le récital composite de Gerald Finley avec le LPO et Gardner, tout y est traduit en anglais.


Sacré

♦ Cantates de la vie de Jésus par Pfleger, objet musical (et textuel) très intriguant.
♦ Couplage de motets de M.Haydn et Bruckner par la MDR Leipzig.

Hors nouveautés : Motets latins de Pfleger (l'autre disque), motets latins de Danielis (merveilles à la française), Cherubini (Messe solennelle n°2 par Bernius, aussi l'étonnant Chant sur la mort de Hayndn qui annonce… Don Carlos !), Messe Solennelle de Berlioz (par Gardiner), Service de la Trinité et Psaumes de Stuttgart de Mantyjärvi.


Orchestral

Hors nouveautés : Cherubini (Symphonie en ré), Mahler par Tennstedt (intégrale EMI et prises sur le vif), Tapiola de Sibelius (par Kajanus, Ansermet, Garaguly, plusieurs Berglund…), Pejačević (Symphonie en fa dièse)


Concertant

Hors nouveautés : concertos pour violon de Kreutzer, Halvorsen, Moeran, Harris, Adams, Rihm, Dusapin, Mantovani. Concertos pour hautbois de Bach par Ogrintchouk. Concerto pour basson de Dupuy par van Sambeek.


Chambre

♦ Trios de Rimski et Borodine, volume 3 d'une anthologie du trio en Russie.
♦ Pour deux pianos : Nocturnes de Debussy et Tristan de Wagner arrangé par Reger.
♦ Meilleure version de ma connaissance pour le Quatuor pour la fin du Temps de Messiaen par le Left Coast Ensemble (musiciens de la région de San Francisco).

Hors nouveautés : Matteis (disque H. Schmitt et disque A. Bayer), Bach (violon-clavecin par Glodeanu & Haas, souplesse garantie), Rondo alla Krakowiak de Chopin avec Quintette à cordes, disques d'arrangements du Quatuor Romantique (avec harmonium !) absolument merveilleux, Messiaen (Quatuor pour la fin du Temps par Chamber Music Northwest).
Et pas mal de quatuors à cordes bien évidemment : d'Albert, Smyth (plus le Quintette à cordes), Weigl, Andreae, Korngold, Ginastera (intégrale des quatuors dans la meilleure version disponible)…


Solo

♦ Récital de piano : Samazeuilh, Decaux, Ferroux, L. Aubert par Aline Piboule.

Hors nouveautés : clavecin de 16 pieds de Buxtehude à C.P.E. Bach.


La légende
Du vert au violet, mes recommandations…
→ * Vert : réussi !
→ ** Bleu : jalon considérable.
→ *** Violet : écoute capitale.
→ ¤ Gris : pas convaincu.
(Les disques sans indication particulière sont à mon sens de très bons disques, simplement pas nécessairement prioritaires au sein de la profusion de l'offre.)


piboule

Liste brute suit :




Nouveautés : œuvres

Rameau – Les Feſtes d'Hébé (version de 1747) – Santon, Perbost, Mechelen, Estèphe, Orfeo Orchestra, Vashegyi (radio hongroise)
→ Premier enregistrement de la version remaniée de 1747, très vivement animée par Vashegyi (davantage tourné vers l'énergie cinétique que la couleur). Des réserves fortes sur Santon ici (vibrato vraiment trop large, instrument surdimensionné), en revanche Estèphe (mordant haut et verbe clair) exhibe l'un des instruments les mieux faits de toute la scène francophone.
Audible sur la radio hongroise avant parution CD dans quelques mois…

Rimski-Korsakov, Cui, Borodine – Trios piano-cordes (« Russian Trio History vol.3 ») – Brahms Piano Trio (Naxos 2021)
→ Élan formidable du Rimski. Très beau mouvement lent lyrique de Borodine.

Brahms, Sonate à deux pianos // Wagner-Reger, Prélude et mort d'Isolde // Debussy, Nocturnes – « Remixed » –  Grauschumacher Piano Duo (Neos 2021)
→ Splendides timbres, textures et couleurs du duo. Ainsi transcrits, Tristan et les Nocturnes constituent une approche originale, et marquante.

Koželuch : Concertos and Symphony par Sergio Azzolini, Camerata Rousseau, Leonardo Muzii (Sony 2021)
→ Avec un son de basson très terroir.

Pfleger – Cantates « The Life and Passion of the Christ » – Vox Nidrosiensis, Orkester Nord, Martin Wåhlberg (Aparté 2021)
→ Musique du Nord de l'Allemagne au milieu du XVIIe siècle. Œuvres inédites (seconde monographie seulement pour ce compositeur.
→ Plus ascétique que ses motets latins (disque CPO, plus expansif), je vous promets cependant de l'animation, avec ses solos de psaltérion, ses évangélistes qui fonctionnent toujours à deux voix, ses structures mouvantes qui annoncent l'esthétique des Méditations pour le Carême de Charpentier.
→ Par ailleurs, curiosité d'entendre des textes aussi composites (fragments des Évangiles mais aussi beaucoup d'Ancien Testament épars), ou encore de voir Dieu s'exprimer en empruntant les mots d'Ézéchiel et en émettant des notes très graves (mi 1 - ut 1) sur des membres de phrase entiers.
→ On y rencontre des épisodes peu représentés d'ordinaire dans les mises en musique – ainsi la rencontre d'Emmaüs, ou la Cananéenne dont la fille est possédée – écrits en entrelaçant les sources des Évangiles, des portions des livres prophétiques, les gloses du XVIIe et les chants populaires de dévolution luthériens, parfois réplique à réplique…
→ De quoi s'amuser aussi avec le contexte (je vous en touche un mot dans la notice de ma main), avec ces duels à l'épée entre maîtres de chapelle à la cour de Güstrow (le dissipé Danielis !), ou encore lorsque Pfleger écarte sèchement une demande du prince, parce que lui sert d'abord la gloire de la musique et de Dieu. (Ça pique.)
→ Et superbe réalisation, conduite élancée, voix splendides et éloquentes.

SCHUMANN, R.: Lied Edition, Vol. 10 - Romanzen und Balladen / Duets (Melzer, Vondung, Bode, Eisenlohr)
→ Superbe attelage pour les lieder en duo de Schumann, de petits bijoux trop peu pratiqués.

Michael Haydn, Bruckner – Motets – MDR Leipzig, Philipp Ahmann (PentaTone 2021)
→ La parenté entre les deux univers sonores (calmes homorythmies, harmonies simples) est frappante. La couleur « Requiem de Mozart » reste prégnante chez M. Haydn. Très beau chœur rond et tendre.

Monteverdi, Ferrabosco, Cavalli, Strozzi, Stradella, Gibbons, Dowland, Torrejón, Murcia, traditionnel bulgare… – « Rebirth » – Yoncheva, Cappella Medeiterranea, García Alarcón (Sony 2021)
→ La voix est certes devenue beaucoup plus ronde et moins focalisée, mais le style demeure de façon impressionnante, pas le moindre hors-style ici.
→ Accompagnement splendide de la Cappella Mediterranea, parcourant divers climats – l'aspect « ethnique » un peu carte postale de certaines pistes, façon Arpeggiata, étant probablement le moins réussi de l'ensemble.
→ Le disque culmine assurément dans l'ineffable chaconne de l'Eraclito amoroso de Mlle Strozzi, petite splendeur. . Come again de Dowland est aussi particulièrement frémissant (chaque verbe est coloré selon son sens)… !

Samazeuilh, Le Chant de la Mer // Decaux, Clairs de lune // Ferroud, Types // Aubert, Sillages – Aline Piboule (Printemps des Arts de Monte-Carlo 2021)
→ Déjà célébrée par deux fois dans des programmes français ambitieux chez Artalinna (Flothuis, Arrieu, Smit, Fauré, Prokofiev, Dutilleux !), grand retour du jeu plein d'angles d'Aline Piboule dans quatre cycles pianistiques français de très haute volée :
→ le chef-d'œuvre absolu de Decaux (exploration radicale et approche inédite de l'atonalité en 1900),
→ première gravure (?) du Ferroud toujours inscrit dans la ville,
→ lecture ravivée de Samazeuilh (qui m'avait moins impressionné dans la version ATMA), et
→ scintillements argentés, balancements et mélodies exotiques fabuleuses des Sillages de Louis Aubert  !
→ bissé

PÄRT, A.: Miserere + A Tribute to Cæsar + The Deer's Cry, etc. – BayRSO, œsterreichisches ensemble fuer neue musik, Howard Arman (BR-Klassik 2021)
→ Belle version de belles œuvres de Pärt – pas nécessairement le Balte le plus vertigineux en matière de musique chorale, mais sa célébrité permet de profiter souvent de ses très belles œuvres, servies ici par ce superbe chœur.

Michał BERGSON – Piano Concerto / Mazurkas, Polonaise héroïque, Polonia!, Il Ritorno,  Luisa di Montfort [Opera] (excerpts) – Jonathan Plowright au piano, Drygas, Kubas-Kruk ;  Poznan PO, Borowicz (DUX 2020)
→ Le père d'Henri – principale raison d'enregistrer ces œuvres pas majeures.
→ Concerto très chopinien (en beaucoup moins intéressant). La Grande Polonaise Héroïque, c'est même du pillage de certaines tournures de celle de Chopin… (en beaucoup, beaucoup moins singulier)
→ L'Introduction de Luisa di Montfort est écrite sur le thème « Vive Henri, vive ce roi galant », plus original et amusant. Mais ensuite : cabalette transcrite pour clarinette, on garde donc juste la musique belcantiste pas très riche et la virtuosité extérieure, sans le théâtre.
→ Il Ritorno, une petite pièce vocale en français, galanterie ornementale virtuose parfaitement banale de 4 minutes. Pas enthousiaste.
→ Première déception chez DUX !  (mais au moins c'est rarissime et plutôt bien joué… donc toujours une découverte agréable)

Efrain AMAYA – Constellations [2012] – Young, Kempson, Shafer ; Arts Crossing Chb O, Amaya (Albany 2020)
→ Très tonal, sur jolis ostinatos, déclamation sobre pour trois personnages, un opéra inspiré par la vie (et les opinions) de Joan Miró. Il y discute de ses ressentis d'artiste (sur Dieu, dans le premier tableau…)  avec sa femme, parfois en présence de sa fille silencieuse. Également quelques échanges avec un oiseau, muse du peintre (incarné par la chanteuse qui fait l'épouse), et entre l'épouse et l'esprit de la maison.
→ Même le final, lorsque la famille fuit tandis que les bombes se mettent à pleuvoir sur le village, sonne plutôt « oh, regarde la télé, c'est absolument dément ce qu'ils font, tu y crois toi ? ».
→ Ce n'est pas du drame très brûlant, mais tout ça est très joli et délicat, assez réussi. À tout prendre beaucoup plus satisfaisant que ces opéras qui, en voulait être simultanément un laboratoire musical ou poétique, ne sont tout simplement pas opérants prosodiquement et dramatiquement – devenant vite mortellement ennuyeux. Choix peu ambitieux ici, mais plutôt séduisant.

STANCHINSKY : Piano Music (A Journey Into the Abyss) (Witold Wilczek) (DUX 2021)
→ Impressionnant pianiste, très découpé et enveloppant à la fois !
→ Le corpus en est ravivé (pièces polyphoniques, nocturne, mazurkas). Mais le plus intéressant demeure les Fragments, absents ici.

STANCHINSKY : Piano Works (Peter Jablonski) (Ondine 2021)
→ A beaucoup écouté Chopin... Très similaire dans les figures et l'harmonie, à la rigueur augmenté de quelques effets retors typés premier Scriabine.
→ Les Fragments sont plus intéressants que les Sonates et Préludes ; beaucoup plus originaux et visionnaires, plus scriabiniens, voire futuristes.
→ Pianiste assez lisse.

HEISE, P.A.: Drot og marsk (Royal Danish Opera Chorus and Orchestra, Schønwandt) (Dacapo 2021)
→ Superbe drame romantique, dans la veine de Kuhlau, remarquablement chanté et joué. Tout est fluide, vivant, inspiré, œuvre à découvrir absolument !  (il en existait déjà une version pas trop ancienne chez Chandos)

HEGGIE, J.: Songs for Murdered Sisters (J. Hopkins, J. Heggie)
→ Toujours dans le style fluide et très bien pensé rhétoriquement de Heggie. Songs très bien chantées.



Nouveautés : versions

Bach: 'Meins Lebens Licht' - Cantatas BWV 45-198 & Motet BWV 118 – Collegium Vocale Gent, Philippe Herreweghe (Phi 2021)
→ Approche très douce et caressante, comme voilée… Agréable, mais on peut faire tellement plus de ce corpus !
→ (Déçu, j'ai beaucoup lu que c'était ultime…)

Messiaen – Quatuor pour la fin du Temps – Left Coast Ensemble (Avie 2021)
→ Captation proche et très vivante, interprétation très sensible à la danse et à la couleur, une merveille où la direction de l'harmonie, le sens du discours apparaissent avec une évidence rare !
+ Rohde:  One wing (Presler, Anna; Zivian, Eric)
→ Très plaisante piécette violon-piano, congruente avec Messiaen, écrite par l'altiste membre de cet ensemble centré autour de San Francisco.

R. Strauss, Berg, Zemlinsky – Lieder orchestraux : Vier letzte Lieder, Morgen, Frühe-Lieder, Waldesgespräch – Piau, O Franche-Comté, Verdier (Alpha 2021)
→ Beau grain de cordes (pas du tout un fondu « grand orchestre », j'aime beaucoup), cuivres moins élégants.
→ Piau se tire très bien de l'exercice, même si captée de près (et pour ce format de voix, j'aime une articulation verbale plus acérée), très élégante et frémissante.

Verdi – Falstaff – Raimondi, OR Liège, Arrivabeni (Dynamic)
→ Raimondi vieillissant et éraillé, mais toujours charismatique. En revanche, tout est capté (y compris le très bon orchestre) atrocement, comme rarement chez ce label pourtant remarquable par ses prises de son ratées : on entend tout comme depuis une boîte sous la fosse, les chanteurs sont trop loin l'orchestre étouffé, c'est un carnage.
→ À entendre pour la qualité des interprètes, mais très peu agréable à écouter.

Beethoven:  König Stephan (King Stephen), Op. 117 (revised spoken text by K. Weßler) – Czech Philharmonic Choir, Brno; Cappella Aquileia; Bosch, Marcus (CPO 2021)
+ ouvertures de Fidelio
→ Version très informée et sautillante, avec un récitant (à défaut du texte d'origine) ce qui est rarement le cas.


heise




Autres nouvelles écoutes : œuvres

Offenbach – Le roi Carotte – Pelly, Lyon (vidéo France 3)
→ Les sous-entendus grivois les plus osés que j'aie entendus sur une scène d'opéra… Formidable composition étonnamment libre pour du Offenbach, livret d'une ambition bigarrée assez folle, une petite merveille servie au plus haut niveau (Mortagne, Beuron, Bou !).
→ Grand concertato des armures qui évoque Bénédiction des Poignards, superbe quatuor suspendu d'arrivée à Pompéi, impressionnante figuration des chemins de fer…

Danielis – Motets – Ensemble Pierre Robert, Desenclos (Alpha)
→ Petites merveilles à la française de ce compositeur wallon ayant exercé en Allemagne du Nord, où – à Güstrow notamment – il s'est illustré par ses frasques, insultes, caprices, chantages au départ…
→ Interprétation à la française également, d'une sobre éloquence, comme toujours avec Desenclos.
→ Bissé.

Buxtehude, Böhm, Weckmann, J.S. Bach, C.Ph. Bach, W.F. Bach – Vom Stylus phantasticus zur freien Fantasie – Magdalena Hasibeder sur clavecin 16’ de Matthias Kramer (2006) d’après un clavecin hambourgois (vers 1750) (Raumklang 2013)
→ Impressionnante majesté du clavecin doté d'un jeu de seize pieds (au lieu du huit-pieds traditionnel), capté de façon un peu trouble. Mais la superbe articulation de M. Hasibeder compense assez bien ces limites. Un pont entre deux esthétiques de l'affect différentes, sur un rare modèle reconstitué.

Moeran – Concerto pour violon – (Lyrita)
→ Lyrique, atmosphérique, dansant, très réussi. Mouvements lents encadrant un mouvement rapide très entraînant et bondissant.
+ Rhapsodie en fa# avec piano (aux formules digitales très rachmaninoviennes)
+ Rhapsodie en mim pour orchestre, très belle rêverie !

Roy Harris & John Adams: Violin Concertos – Tamsin Waley-Cohen, BBC Symphony Orchestra, Andrew Litton (Signum)
→ Deux concertos très vivants et colorés, où l'orchestre jou sa part.
→ Bissé.

Halvorsen – Concerto pour violon  – Henning Kraggerud, Malmö SO (Naxos 2017)
→ Très violonistique, mais beaucoup des cadences simples et sens de la majesté qui apportent de grandes satisfactions immédiates.

Rihm, Gedicht des Malers – R. Capuçon, Wiener Symphoniker, Ph. Jordan
+ Dusapin, Aufgang – R. Capuçon, OPRF, Chung
+ Mantovani, Jeux d'eau  – R. Capuçon, Opéra de Paris, Ph. Jordan
→ Mantovani chatoyant et plein de naturel, Rihm lyrique et privilégiant l'ultrasolo et le suraigu, Dusapin plus élusif.

Svendsen: Violin Concerto in A major, Op. 6 / Symphony No. 1 in D major, Op. 4 – Arve Tellefsen, Oslo PO, Karsten Andersen (ccto), Miltiades Caridis (symph) (Universal 1988)
→ Timbre d'une qualité surnaturelle… Sinon belle plénitude paganino-mendelssohnienne, et plus d'atmosphères que d'épate.
→ Symphonie plus naïve, en bonne logique vu le langage.

Matteis – False Consonances of Melancholy – A. Bayer,  Gli Incogniti, A. Bayer (ZZT / Alpha 2009)
→ Très beau disque également, mais de consonance plus lisse.

Matteis – Ayrs for the Violin – Hélène Schmitt (Alpha 2009)
→ Œuvres magnifiques, déjà tout un art consommé de doubles cordes notamment, mais toujours avec poésie.

Saint-Saëns – Suite pour violoncelle et orchestre – Camille Thomas, ON Lille, A. Bloch (DGG 2017)
→ Suite d'inspiration archaïsante mais extrêmement romantisée, très réussie.
+ des Offenbach arrangés

Boccherini, Couperin-Bazelaire, Frescobaldi-Toister, Monn-Schönberg – Concertos pour violoncelleJian Wang, Camerata Salzburg (DGG 2003)
→ Boccherini G. 482 en si bémol, plein de vie. Le reste du corpus est moins marquant, surtout Monn, assez terne. Très belle interprétation tradi-informée.

PabstTrio piano-cordes (« Russian Trio History vol.2 ») – Brahms Piano Trio (Naxos)
→ Bissé. Beau Trio à la mémoire d'A. Rubinstein, bien fait, mais je n'ai pas été particulièrement saisi.

Dupuy:  Flute Concerto No. 1 in D Minor – Petrucci, Ginevra; Pomeriggi Musicali, I; Ciampi, Maurizio (Brilliant Classics 2015)
→ On y retrouve les belles harmonies contrastées et expressives propres à Dupuy, mais l'expression galante et primesautière induite par la flûte n'est pas passionnante.

Édouard Dupuy – Bassoon Concerto in A Major – van Sambeek, Sinfonia Rotterdam, Conrad van Alphen (Brilliant 2012)
→ Orchestre hélas tradi-mou. Belle œuvre qui mériterait mieux, quoique en deçà du gigantesque concerto en ut mineur…

KreutzerViolin Concerto No. 14 in E Major – Peter Sheppard Skærved, Philharmonie Slovaque de Košice ; Andrew Mogrelia (Naxos 2007)
→ Quelle grâce, on pense à Du Puy ! 
+ n°15, Davantage classicisme standard, mais interprétation très belle (quel son de violon, quelle délicatesse de cet orchestre tradi !) qui permet de se régaler dans les moments les plus lyriques.
(Arrêtez un peu de nous casser les pieds avec Saint-George et faites-nous entendre du Clément et du Kreutzer, les gars !)

Kreutzer:  42 Etudes ou caprices – Masayuki Kino (Exton 2010)
→ Vraiment des études de travail, certes plutôt musicales, mais rien de bien passionnant à l'écoute seule, si l'on n'est pas dans une perspective technique. Un disque pour se donner des objectifs plutôt que pour faire l'expérience de délices musicales…
→ (mieux qu'Aškin et E. Wallfisch, paraît vraiment difficile à timbrer)

Marschner ouv Vampyr, Korngold fantaisie Tote Stadt, R. Strauss Ariadne Fantaisie, Meyerbeer fantaisie Robert le Diable – « Opera Fantasias from the Shadowlands » – Le Quatuor Romantique (violon, violoncelle, piano, harmonium) (Ars Produktion 2010)
→ Arrangements passionnants qui ne se limitent pas aux moments instrumentaux les plus évidents mais parcourent l'œuvre (le pot-pourri d'Ariadne est particulièrement exaltant !), et dans un effectif typique de la musique privée de la fin du XIXe siècle, un ravissement – qui change radicalement des disques qu'on a l'habitude d'entendre.
→ Trissé.

Wagner – Wesendonck, extraits de Rienzi, Lohengrin, Meistersinger,  Parsifal – « Operatic Chamber Music » – Suzanne McLeod, Le Quatuor Romantique (violon, violoncelle, piano, harmonium) (Ars Produktion 2013)
→ À nouveau des arrangements qui (échappent un peu moins aux grands tubes mais) renouvellent les équilibres sans déformer l'esprit ni l'impact des œuvres. Très persuasif !

Tchaïkovski, Casse-Noisette (extraits), Waldteufel Patineurs, Humperdinck ouverture Hänsel & Noëls traditionnels allemands – « CHRISTMAS MUSIC - A Late Romantic Christmas Eve » – (Elena Fink, Le Quatuor Romantique) (Arsk Produktion 2010)
→ Encore un délice…

BRAHMS, J.: Piano Quintet become String Quintet, Op. 34 (reconstructed by S. Brown) / WEBER, J.M.: String Quintet in D Major (Divertimenti Ensemble) (Cello Classics 2007)
→ Belle œuvre de Weber (Joseph Miroslav).
→ Transformation réussie du Quintette avec piano en quintette à cordes, les contrastes et les effets rythmiques demeurent vraiment de façon convaincante – davantage que dans la version Sonate pour deux pianos, pourtant de la main de Brahms !

Mantyjärvi – Service de la Trinité, Psaumes de Stuttgart et autres motets – Trinity College Cambridge, Layton
→ Excellent exemple de la belle écriture chorale de la baltique, avec une progression harmonique simple, des accords riches, un rapport éttroit au texte, une lumière intense.

Smyth – Quatuor en mi mineur – Mannheim SQ (CPO)
+ quintette à cordes
→ Œuvres remarquablement bâties, avec une belle veine mélodico-harmonique de surcroît. Le Quintette (de jeunesse) plus marqué par une forme de folklore un peu rustique, le quatuor plus sophistiqué (peut-être encore meilleur).

Bosmans – Quatuor –
→ Bien bâti, particulièrement court.

Honneur à la patrie (Collection "Chansons de France") – Chants patriotiques – Thill, Lucien Lupi, Dens, Arlette Deguil, Legros, Roux, Michèle Dorlan… (Marianne Melodie 2011)

Cherubini, Galuppi, Clementi, Bonazzi, Busi, Canneti… – Sonatas for two organs – Luigi Celeghin, Bianka Pezić (Naxos 2004)
→ Cherubini avec des marches harmoniques alla Bach, Galuppi tout bondissant en basses d'Alberti… quelles étranges choses. Assez sinistre sur ces pleins-jeux blanchâtres (pourtant des orgues italiens de 1785), pièces pas passionnantes…   et l'effet de dialogue est complètement perdu au disque (la matière musicale seule ne paraît pas justifier l'emploi de deux organistes.
→ Seul Cherubini m'a un peu intéressé, par sa tenue et son décalage avec l'habitude. Sinon, l'arrangement par Francesco Canneti du grand concertato à la fin du Triomphe d'Aida est un peu divertissant et tuilé, à défaut de subtil.

CherubiniSciant gentes – Keohane, Maria; Oitzinger, Margot; Hobbs, Thomas; Noack, Sebastian; Stuttgart Chamber Choir; Hofkapelle Stuttgart; Bernius, Frieder (Carus 2013)
→ Gentil motet sans éclat particulier, bien joué sans électricité excessive non plus.

CherubiniChant sur la mort de Haydn, Symphonie en ré – Cappella Coloniensis, Gabriele Ferro (Phoenix 2009)
→ Début de la mort de Haydn contient pas mal d'éléments du début de l'acte V de Don Carlos !  Culture sacrée commune aux deux, ou souvenir de Verdi ?

Cherubini
Pimmalione – Adami, Berghi, Carturan, Ligabue, RAI Milano, Gerelli (libre de droits 1955)

Cherubini – Les Abencérages – Rinaldi, Dupouy, Mars ; RAI Milan, Maag (Arts)
→ Quelques variations (orchestrales !) sur la Follia en guise de danses de l'acte I.
→ Ne semble pas génialissime (récitatifs médiocres en particulier), mais joué ainsi à la tradi-mou avec une majorité de chanteurs à fort accent et plutôt capté, on ne se rend pas forcément compte des beautés réelles… M'a évoqué le Cherubini-eau-tiède d'Ali Baba et de Médée, eux aussi très mal servis au disque…

Cherubini – Messe Solennelle n°3 en mi (1818) // 9 Antifona sul canto fermo 8 tona // Nemo gaudeat  – Ziesak, Pizzolato, Lippert, Abdrazakov ; BayRSO, Muti (EMI)
→ Mollissime. Il y a l'air d'y avoir de jolies choses, mais Muti, pourtant sincère amoureux de cette musique, noie tout sous une mélasse hors style.
→ Quand même la très belle découverte du motet Nemo gaudeat, très belles figures chorale, curieux de réentendre cela en de meilleures circonstances…

Bartók, Le Château de Barbe-Bleue (en japonais) – Ito, Nakayama, NHK Symphony, Rosenstock (1957, édité par Naxos)
→ Pas très typé idiomatiquement en dehors du Prologue, mais très bien chanté et joué, beaucoup d'esprit !

Górecki:  String Quartet No. 3, Op. 67, "Pieśni śpiewają" ( … Songs Are Sung) – DAFÔ String Quartet (DUX 2017)
→ Aplats et répétitions, pas aussi détendant que son Miserere ou sa Troisième Symphonie, clairement, mais dans le même genre à temporalité lente et au matériau raréfié.
→ Premier mouvement un peu sombre, le deuxième est au contraire un largo en majeur, en grands accords lumineux et apathiques, les deux scherzos intermédiaires apportant un brin de vivacité, jusqu'au final largo, plus sérieux et prostré. Assez bel ensemble, plutôt bien fait (mais très long pour ce type de matière : 50 minutes !).

CHOPIN : Rondo alla Krakowiak (Paleczny, Prima Vista Quartet, Marynowski) (DUX 2015)
→ Réjouissante version accompagnée par un quintette à cordes, pleine de saveur et de tranchant par rapport aux versions orchestrales forcément plus étales et arrondies – et ce même du côté du piano !



Autres nouvelles écoutes : interprétations

Chabrier, ouverture de Gwendoline, España, Bourrée fantasque, Danse villageoise / Bizet, Suite de l'Arlésienne  / Lalo Ys ouverture / Berlioz extraits Romé / Debussy Faune / Franck Psyché extts / Pierné Cydalise extts, Ramuntcho extts, Giration, Sonata da Camera – Orchestre Colonne, Pierné (Malibran)
→ Quelle vivacité, quel élan !  Et le son est franchement bon pour son temps.

Berlioz – Messe Solennelle (Resurrexit) – ORR, Gardiner (vidéo 1993)
→ La folie pure.

Messiaen – Saint François d'Assise – Hallé O, Nagano (DGG)
→ Quel naturel par rapport à Ozawa !  On sent que la partition fait désormais partie du patrimoine et que son discours coule de source.

Walton – Concerto pour violon – Suwanai (Decca)
→ Toujours son très beau son, mais l'œuvre me laissant assez froid…

Mahler – Symphonie n°5 – LPO, Tennstedt  (EMI)
→ Tourbillon dément.  Même l'Adagietto est d'une tension à peine soutenable.

MONN, G.M.: Cello Concerto in G Minor (arr. A. Schoenberg) (Queyras, Freiburg Baroque Orchestra, Müllejans) (Harmonia Mundi)
→ Un peu aigre comme son d'orchestre pour du classicisme, serait sans doute très bien dans une œuvre intéressante mais ici…

Saint-Saëns, Berlioz – « French Showpieces (Concert Francais)  » – James Ehnes, Orchestre symphonique de Québec, Yoav Talmi (Analekta 2001)

Bach – Oboe Concertos – Alexei Ogrintchouk, Swedish ChbO (BIS 2010)
→ Quel son incroyable, et quel orchestre aussi…

Verdi Oberto (version originale), acte I – Guleghina, Stuart Neil, Ramey ; Saint-Martin-in-the-Fields, Marriner (Philips)
→ Tire beaucoup plus, joué ainsi, vers Norma et le belcanto plus traditionnel. Plus formel, moins stimulant.
→ Avec Marriner, les formules d'accompagnement restent de l'accompagnement. Et même Ramey semble un peu prudent, composé. (Manque d'habitude de ces rôles en scène, probablement aussi : la plupart n'ont dû faire que ce studio.)

Verdi – Oberto – Dimitrova, Bergonzi, Panerai ; Gardelli (Orfeo)
→ Grande inspiration mélodique et dramatique pour ce premier opéra. Distribution qui domine ses rôles !  Et des ensembles furibonds étourdissants !

♥  Verdi – Alzira – Cotrubas, Araiza, Bruson, Gardelli (Orfeo)
→ De très très beaux ensembles… Un des Verdi les moins joués, et vraiment sous-estimé.

Sibelius – Symphonie n°2 – Suisse Romande, Ansermet (Decca 1962)
→ Belle version pleine d'ardeur, avec des timbres toutefois très aigrelets. Tout ne fonctionne pas à égalité (le mouvement lent manque peut-être un peu de plénitude et de fondu ?), mais la toute fin est assez incroyable de généreuse intensité.

Sibelius – Tapiola – Helsinki PO, Berglund
→ Un peu rond, mais rapide et contrasté, extrêmement vivant !
+ Kajanus
→ Orchestre limité et problématique (justesse, disparité de timbres), mais élan irrésistible, conduite organique du tempo, saveur des timbres !

Messiaen – Quatuor pour la fin du Temps – Chamber Music Northwest (Delos 1986)

Messiaen – Quatuor pour la fin du Temps
– Jansen, Fröst, Thedéen, Debargue (Sony)
→ Très soliste, manque un peu de cette fièvre commune (trop facile pour eux ?). Même Thedéen, mon idole d'éloquence élégance dans Brahms, paraît un peu forcer son timbre.

Verdi – Nabucco (extraits en allemand) – Liane Synek, Lear, Kónya, Stewart, Talvela ; Deutsche Oper Berlin, H. Stein (DGG)
→ Version très bien chantée (en particulier le ferme mordant de Stewart et la tendreté de Lear).
→ Les extraits sont étrangement choisis (pas d'ensembles, pas d'Abigaille hors sa mort !).

Verdi – Aroldo – Vaness, Shicoff, Michaels-Moore ; Maggio Firenze, Luisi (Philips 2001)
→ Distribution, orchestre, captation de luxe pour  cette refonte de Stiffelio, dans le contexte plus consensuel des croisades. Les meilleurs morceaux (le grand ensemble du duel à l'acte II, l'air du père au début du III…)  sont cependant conservés, à l'exception du prêche final, hélas. (La version Aroldo de la fin Deest non seulement musicalement fade, mais aussi dramatiquement totalement ratée.)
→ Meilleure version disponible au disque pour Aroldo, à mon sens.
→ bissé

Schubert – Quatuor n°13 – Diogenes SQ
+ Engegård (plus vivant)
+ Ardeo (un peu gentil)
+ Takacs (vrai relief, son grand violon)
+ Terpsycorde réécoute (instruments anciens)
+ Mandelring (belle mélncolie)
+ Chilingirian SQ (autant leur Quintette est fabuleux, autant ce quatuor, épais et mou me déçoit de leur part)

Sibelius – Tapiola – Suisse Romande, Ansermet
→ Ce grain incroyable, cette verdeur, cette clarté des timbres et du discours !
(+ Davis LSO, très bien)
(+ Berglund Radio Finlandaise, contrastes incroyables !)

Cherubini – Medea acte I – Forte, Antonacci, Filianoti ; Regio Torino, Pidò
→ Toujours aussi mortellement ennuyeux… et malgré Pidò (il faut dire que la distribution n'aide guère…).

Debussy, œuvres à deux pianos  –  Grauschumacher Piano Duo (Neos 2021)

récital : Weber (Euryanthe), Wagner (Tannhäuser, Meistersinger), Verdi (Otello), Tchaïkovski (Iolanta), Bizet (Carmen), Adams (Doctor Atomic), Turnage (The Silver Tassie)… en anglaisFinley, LPO, Gardner (Chandos 2010)
→ Très beau récital très varié et original, splendidement chanté sur toute l'étendue des tessitures et des styles…
+ réécoute de l'air d'Adams avec BBCSO & Adams (Nonesuch 2018)
Quel tube immortel !

Haendel – Jephtha (disco comparée)
Gardiner, c'est plutôt un de ses disques tranquilles (mous). Pas du niveau de son Penseroso par exemple.
Biondi est très bien mais attention, il utilise un orchestre moderne, les cordes sont en synthétique et très ronde même si ça vibre peu, couleurs des vents plutôt blanches aussi, et on entend que les archets sont modernes, ça n'a pas le même tranchant à l'attaque : c'est très bien pour un orchestre pas du tout spécialiste, mais vu qu'on a du choix au disque, n'en attends pas un truc comparable à ses enregistrements de Vivaldi.
Budday sonne un peu écrasé, Grunert plutôt triste. Même Christophers n'est pas très électrique.
Creed reste un peu tranquille, mais un des plus animés et équilibrés en fin de compte.
Harnoncourt a un peu vieilli, mais ça a le grain extraordinaire et l'engagement du Concentus des débuts… Il faut voir sur la longueur ce que ça donne, mais l'effet Saül n'est pas à exclure !  En tout cas, c'est nettement la plus habitée, je trouve. (Avec Biondi, mais instruments modernes…)

Schumann – Szene aus Goethes Faust, « Mitternacht » – Jennifer, Vyvyan Fischer-Dieskau ;  ECO, Britten (Decca)
+ réécoute Harding-BayRSO <3
+ réécoute Abbado-Terfel
+ réécoute Wit-Kortekangas
+ réécoute Harnoncourt-Concertgebouw
(avec partition d'orchestre)

Smetana:  Má vlast – Bamberg SO, Hrůša (Tudor 2016)
→ Beaux cuivres serrés, superbes cordes, grand orchestre assurément et par la légèreté de touche d'un habitué du folklore. Ensuite, je trouve toujours cette œuvre aussi univoque, faite de grands aplats affirmatifs, sans discours très puissant, une suite de grands instantanés grandioses. À tout prendre, dans le domaine du mauvais goût pas toujours souverainement inspiré, l'Alpestre de Strauss m'amuse autrement !




Réécoutes : œuvres

LULLY – Isis (actes III, IV) – Rousset

Pierné – Cydalise & le Chèvre-pied – Luxembourg PO, Shallon (Timpani)
→ Très joli, dans le genre de Dapnis (en plus rond). Le sujet versaillais n'induit pas vraiment d'archaïsmes. Très beau ballet galant et apaisé.

Pierné – La Croisade des Enfants (en anglais) – Toronto SO, Walter Susskind
→ Un peu lisse, en tout cas joué / chanté ainsi.

Pierné – L'An Mil – Peintre, ON Lorraine, Mercier (Timpani)
→ Aplats vraiment pauvres des mouvements extrêmes, mais ce scherzo de la Fête des Fous et de l'Âne est absolument extraordinaire, et illustre de façon éclatante le génie orchestratoire de Pierné – certains éléments, comme l'usage des harmoniques de violon pour créer des résonances dynamiques, sont abondamment réutilisés dans L'Oiseau de feu de Stravinski…

Moulinié: Le Cantique de Moÿse – par les Arts Florissants, William Christie (HM)
→ Toujours pas convaincu par cet corpus qui regarde bien plus vers la Renaissance et la polyphonie assez austère que vers les talents extraordinaires de mélodiste que manifesta par ailleurs Moulinié.

Pfleger – Motets latins – CPO

Kreutzer – La mort d'Abel – Droy, Bou, Pruvot ; Les Agrémens, van Waas (Singulares 2012)
→ six fois

Édouard Dupuy – Concerto pour basson – van Sambeek, Swedish ChbO, Ogrintchouk (BIS 2020)
→ Un des disques les plus écoutés en 2020, pour ma part !  Le thème lyrique et mélismatique du premier mouvement est une splendeur rare. Et ces musiciens sont géniaux (meilleur bassoniste du monde, meilleur orchestre de chambre du monde, dirigés par le meilleur hautboïste du monde…).

Ginastera – Quatuors 1,2,3 – Cuarteto Latinoamericano (Brilliant)
→ Folklore et audace de l'harmonie, des figures… du Bartók à l'américaine (australe).

ANDREAE : String Quartets Nos. 1 and 2 / Divertimento (Locrian Ensemble) (Guild)

Weigl – Quatuors 7 & 8 – Johann Christian Ensemble (CPO)

d'Albert – Quatuors – Sarastro SQ (Christophorus)

Joni Mitchell – Blue (1975)
→ La parenté avec la pensée du lied schubertien me frappe à chaque fois…

PEJACEVIC, D.: Symphony in F-Sharp Minor, Op. 41 / Phantasie concertante (Banfield, Rheinland-Pfalz State Philharmonic, Rasilainen)
→ Symphonie expansive et persuasive, riche !  Pas du tout une musique galante.

Cherubini Messe solennelle n°2 en ré (1811) – Ziesak, Bauer ; Stuttgart Klassische Ph, Bernius (Carus)
Qui tollis a l'aspect de volutes du début du Songe d'Hérode chez Berlioz (source de sa parodie). Et puis marche harmonique très impressionnante.
→ Dans le Sanctus / Benedictus, Hosanna en contraste, façon Fauré, très réussi.
→ Spectre orchestral qui respire beaucoup, réussite de Bernius.

BACULEWSKI, K.: String Quartets Nos. 1-4 (Tana String Quartet) https://www.nml3.naxosmusiclibrary.com/catalogue/item.asp?cid=DUX1238

DOBRZYŃSKI, I.F.: String Quartet No. 1 / MONIUSZKO, S.: String Quartets Nos. 1 and 2 (Camerata Quartet) (DUX 2006)
→ Beau romantisme simple, où se distingue surtout le Premier de Moniuszko.



Réécoutes : versions

Offenbach – Barbe-Bleue (duos de l'assassinat au II, entrée et duel de BB au III)
versions Pelly (Beuron), Cariven (Sénéchal), (Legay), Campellone (Vidal), Harnoncourt
« Le ciel, c'est mon affaire » (Zampa)
« Non dans un vain tournoi, mais au combat mortel » (Robert Le Diable)
« Le ciel juge entre nous » (Les Huguenots)

Mahler – Symphonie n°3 – LPO, Tennstedt (Ica, concert de 1986)

Verdi – La Forza del Destino (adieux et duel de l'acte III) – Del Monaco, Bastianini, Santa Cecilia, Molinari-Pradelli (Decca)
→ Quel verbe, quelles voix, quel feu !
→ (bissé)

Bach – Sonates violon-clavecin – Glodeanu, Haas (Ambronay 2007)
→ Merveille de souplesse, d'éloquence, la pureté et la chair à la fois.

Mahler – Das Lied von der Erde – K. König, Baltsa, LPO, Tennstedt  (EMI)
→ Un peu plus terne, manque de cinétique, un peu décevant. Les couleurs mordorées de Baltsa sont un peu inhibées par son allemand qui paraît moins ardent que son italien ou son français.

Offenbach – Barbe-Bleue (acte III) – Collart, Sénéchal, Peyron… Cariven

Mahler – Symphonie n°2 – Soffel, LPO, Tennstedt  (EMI)
→ Très très bien, mais pas aussi singulier / tendu / abouti que le reste de l'intégrale. Quand même le plaisir de profiter des frémissements de Soffel dans un tempo d'Urlicht ultra-lent.
→ On entend tout de même remarquablement les détails, les doublures, l'ardeur individuelle aussi (quelles contrabasses !). Le chœur chante avec naturel aussi, voix assez droites qui sonnent à merveille ici.

Mahler – Symphonie n°1 – LPO, Tennstedt  (EMI)

Mahler – Symphonie n°4 – Popp, LPO, Tennstedt  (EMI)
→ Excellent aussi.

Mahler – Symphonie n°3 – Wenkel, LPO, Tennstedt  (EMI)
→ Tellement tendu de bout en bout, et très bien capté !

Verdi – Nabucco – Souliotis, Prevedi, Gobbi ; Opéra de Vienne, Gardelli (Decca)
→ Chœur superbement articulé. Splendide distribution. Pas l'accompagnement le plus ardent, mais un sens du pittoresque qui n'est pas dépourvu de délicatesse.

Verdi – Nabucco – Theodossiou, Chiuri, Ribeiro, Nucci, Zanellato ; Regio Parma, Mariotti (C Major)
→ La version moderne idéale de l'œuvre, fouettée et dansante à l'orchestre (vraiment conçue sèche comme un os, aucune raison d'empâter ces harmonies sommaires conçues pour le rebond), chantée avec un luxe et une personnalité très convaincants.

Verdi – Stiffelio – Regio Parma, Battistoni (C Major)
→ La version sans faute de ce bijou trop peu joué.  Comme Traviata, un drame de mœurs contemporain  (l'adultère de la femme d'un pasteur).

Rott  – Symphonie en mi – Radio de Francfort, P. Järvi (RCA)
→ La superposition des deux thèmes du I est vraiment génialissime… et que de traits qui tirent le meilleur de Bruckner et annoncent le meilleur de Mahler !

Korngold – Quatuor n°3 – Flesch SQ (ASV / Brilliant)
Korngold – Quatuor n°2 – Brodsky SQ ()
Korngold – Quatuor n°1 – Franz Schubert SQ (Nimbus)

Verdi:  Aida: Act II Scene 2: O re pei sacri numi (Il Re, Popolo) – Hillebrand, Nikolaus; Bavarian State Orchestra; Muti, Riccardo (Orfeo)

Wagner – Tristan, acte III – Ligendza, Baldani, Wenkoff, Nimsgern, Moll ; Kleiber Scala 1978 (MYTO)






Autres nouvelles parutions à écouter

Suite de la notule.

mardi 26 juin 2018

France – et le désert parisien


Présentation un peu différente de l'ordinaire : n'ayant pas moi-même opéré une sélection très large (comptant bien sur l'été pour voir un peu moins de concerts), je vous indique les lieux où chercher.

Je suis navré pour les amateurs d'opéra, de symphonique, de lied, même de baroque… il n'y a pas énormément de quoi se divertir. En revanche, pour la musique de chambre, juillet reste une très belle période, et on peut toujours trouver quelques choix de sortie en août.



0. Rétroviseur

Auparavant, les impressions de juin, rien vu de décevant, et beaucoup de choses très originales (la dernière œuvre de Debussy, inédite !), voire exaltantes (#113-122-123-125).

►#113 Gounod, La Nonne sanglante, à la fois sujet fantastique et forme de grand opéra, revient en France, et en version scénique, et dans de merveilleuses conditions musicales.
► #114 Haendel, The Messiah. Chœur La Fontenelle, orchestre ad hoc, direction Martin Robidoux. (avec Constantin Goubet et Nicolas Brooymans notamment)
► #115 Sibelius, Symphonie n°1 par le Philharmonique de Radio-France et l'impétueux mais méthodique Rouvali.
► #116 Pièces symphoniques françaises orientalisantes de d'Indy, Debussy, Koechlin, Roussel, Ravel, Schmitt. Orchestre de Paris, Fabien Gabel.
► #117 Double bill : Trouble in Tahiti de Bernstein, Manga-Café de Zavaro.
► #118 Suite de la Femme sans ombre de Strauss ; Second Concerto pour violon de Szymanowski ; Danses Symphoniques de Rachmaninov. Par Nicola Benedetti, l'Orchestre de Paris et Karina Canellakis.
► #119 La version originelle (putative) de Faust de Gounod, avec dialogues parlés, airs alternatifs, et quelques ajouts. Avec Véronique Gens, Benjamin Bernheim, Jean-Sébastien Bou,
► #120 Saint-Saëns, Samson & Dalila avec Lemieux, Alagna et Naouri.
► #121 Le Local Brass, quintette de cuivres dans Lutosławski, transcriptions depuis Granados (valses) et Debussy (La Fille aux cheveux de lin), pièces récentes de Derek Bourgeois et Gengembre.
► #122 Inédits de Caby, Ropartz, Ladmirault, Rohozinski, Cartan, Gaëtti, Durey, Serrette, Wiéner, les hilarants Lise Hirtz d'Auric, et la dernière œuvre de Debussy, l'Ode à la France qui propose le Noël des enfants qui n'ont plus de maison mais dans le style d'Usher. À la BNF avec le Chœur Fiat Cantus et Kaëlig Boché.
► #123 Chœurs a cappella de Lauridsen et Hersant, mais aussi les classiques Debussy-Ravel-Poulenc par le Chœur de l'Orchestre de Paris.
► #124 Rossini, L'Italiana in Algieri par l'Opéra de Bologne (direction Mariotti).
► #125 Cantates françaises inédites de Lefebvre (et Clérambault, Montéclair…) par Eva Zaïcik et Le Consort.

Quelques exemples de déambulations illustrées :
Une nuit dans la forêt de Carnelle : Château de Courcelles, trilithes néolithiques de la Pierre Turquaise, gisements de gypse, lacs de marne, fayards gigantesques, microcrapauds et autres rencontres surnaturelles.
Dessins de paysages d'étude et de commande sous Louis XIV : exposition Israël Silvestre au Louvre.
Du côté de Presles… la ville et les bois alentour.
La forêt d'Écouen et son Fort. (contient une vidéo d'écureuil roux)
Les chèvres de Villiers-le-Bel.



00. Manqué !

Parmi les choses que j'aurais dû voir, Erismena de Cavalli avec Francesca Aspromonte, qui se joue en ce moment même… mais n'étant que fort peu ému par Cavalli (contrairement à peu ou prou 100% de ses contemporains), j'ai craint que cet effort, au milieu de concerts si nombreux (et par ailleurs exaltants) ne nuise au plaisir et à la conviction que j'aurais pu y mettre en d'autres circonstances. Je suis volontiers preneur de retours, ce devait être vraiment très bien – si on tolère Cavalli.



A. Jeunes Talents : musique de chambre à l'Hôtel de Soubise

Le festival est moins varié que les années précédentes (pas de baroque, pas de lied, alors que le remplissage en était très satisfaisant ; les œuvres contemporaines aussi sont sensiblement les mêmes au fil des ans, Hersant / Connesson), mais multiplie les formations de musique de chambre, certaines insolites (formations de vents, duos marimba-piano, etc.), et propose d'assez nombreux concerts gratuits. Au demeurant, les payants, entre 10 et 15€ pour toutes les places, sont loin d'être ruineux. Comme pour la saison régulière, l'association recrute de jeunes musiciens (beaucoup sont issus des CNSM de Paris et Lyon), d'excellent niveau et très habités. On a ainsi pu y entendre les trios Sōra, Zadig, Karénine, les quatuors Akilone, Hanson, Zaïde, et d'autres ensembles formidables comme les Kapsber'girls… Je vous laisse remonter la piste, tous ces interprètes ont été plusieurs fois présentés (et loués !) dans les pages de Carnets sur sol.
Ce n'est pas follement original, mais l'acoustique est parfaite pour les petites formations dans la Cour de Guise où se tiennent les concerts (site historique des Archives Nationales), vraiment idéal pour une fin de journée, ou emmener des amis moins férus de musique mais qui seront sensible à l'atmosphère du lieu, voire aux interférences des mouettes.

Il y aura tout de même, outre les transcriptions pour marimba et piano, le Quintette de Franck & le Conte fantastique de Caplet (le 4), et quelques choses assez sympathiques à côté (comment refuser un sextuor de Tchaïkovski, une intégrale des trios de Brahms par Grimal, le Deuxième Quatuor avec piano de Brahms (le plus beau mais le plus long, donc rarement donné en concert hors intégrales)…

Le festival dure les trois premières semaines de juillet.




B. Concerts dans les cours du Marais par l'OCP

Les membres de l'Orchestre de Chambre de Paris continuent leur très joli concept, sur une période courte et en limitant le nombre de lieux différents, certes, mais ce sont peut-être les deux plus beaux endroits de Paris en cette saison… L'Hôtel de Beauvais, financé par le dépucelage de Louis XIV, dans un style classique plein d'angles harmonieux, tirant le plus de majesté qu'il est possible d'un espace assez réduit ; et l'Hôtel de Sully, où les oiseaux cachés dans la vigne vierge répondent, en fin de journée, aux concertos galants de Mozart. 10€ le concert, c'est vraiment un service public du bonheur qu'on vous offre.

Rien de rare ici (surtout du Mozart et Beethoven légers, même s'il y a un peu de Dohnányi – la Sérénade en trio, évidemment – et de Bartók), simplement le plaisir de musiques fraîches et simples dans des cadres délicieux. Par ailleurs, contrairement aux autres grands orchestres parisiens (Orchestre de Paris, Opéra, variable pour le National), l'OCP excelle dans la contrainte chambriste… ils jouent en petit effectif et sans vibrato toute l'année, ils se fondent donc très bien dans les exigences d'indépendance et de précision de la musique en petit comité.

Dépêchez-vous : les jauges sont petites et ça affiche à chaque fois complet.

Cinq jours début juillet.



C. Classique au vert, à Vincennes

Le Festival qui anime Paris, les week-ends de mi-août à début septembre. Pour le prix d'une entrée au Parc Floral de Vincennes (6€), on peut assister aux concerts donnés sous le kiosque (il y a des chaises en abondance). Les musiciens sont sonorisés, mais simplement en renfort, cela ne gêne pas du tout la perception directe du son – même pour de petites voix ou de la musique de chambre, j'ai testé.

Là aussi, la nouveauté n'est pas le propos, mais on aura tout de même Pelléas de Sibelius (le 1er septembre), Appaliachian Spring de Copland (couplage avec la Nuit transfigurée, le 2), ou encore le Trio Sōra (Mozart, Mendelssohn n°2, Hersant) le 16 août… De quoi patienter gentiment.



D. Fins saison ONP / Favart / CF

Il ne faut pas hésiter, évidemment, à profiter des queues de comète des grandes institutions : jusqu'à la mi-juillet, Bastille joue Il Trovatore dans des distributions assez exceptionnelles (Radvanovsky-Rachelishvili/Semenchuk-Álvarez/Eyvazof-Lučić/Bilyy-Kares !), Don Pasquale et la Fille mal gardée (Ashton-Lanchberry) à Garnier dans de beaux atours également, sans compter le récital Beczała le 8 ; Favart donne sa version réduite et en français (si j'ai bien suivi) de La Bohème de Puccini avec de jeunes chanteurs ; la Comédie-Française termine sa saison à la même période.

Par ailleurs, certains théâtres ne ferment pas : Comédiens ! (d'après I Pagliacci) sera donné à La Huchette jusqu'à début septembre, Edmond de Michalik au Palais-Royal ou les répétitions de Traviata vues par Sivadier à la MC93 de Bobigny (jusqu'à fin juillet) poursuivent aussi leur parcours.



E. Toison d'art

Comme toute l'année, l'association La Toison d'art continue de faire revenir les mêmes ensembles à Saint-Louis-en-l'Île… chants corses, orthodoxes russes, traditionnels russes, géorgiens… souvent de très bons chœurs au demeurant (testé certains de leurs Russes, excellents en effet). Lorsque Paris est désert, une petite injection d'obikhod ne fait jamais de mal. (Tarifs qu'on peut juger haut pour des ensembles de petite notoriété – comparé à ce qu'on trouve partout en haute saison –, mais l'acoustique est correcte même au fond et il n'y a pas de prix hauts – de 19€ au fond, 26€ devant, pour la plupart des spectacles.)




F. Isolés

Pour trouver d'autres idées, considérant que le magazine Cadences n'a pas sorti de sélection d'été, il vous reste à fouiner dans les sites de reventes de billets, Billetreduc.com, Concertclassic.com, Ticketac.com, Theatreonline.com, Ticketmaster.com, Classictic.com… rien que les quatre premiers sont très fournis (beaucoup de petits concerts difficiles à trouver qu'on peut relever par Billetreduc ou Concertclassic, et interface très agréable sur Theatreonline, plutôt pour le théâtre).

Vous y retrouverez pas mal de concerts d'église qui sont autrement difficiles à dénicher, sauf à aller vérifier sur place le programme de l'été. La Sainte-Chapelle joue traditionnellement en boucle une (bonne) version des Quatre Saisons de Vivaldi (alternant avec un peu de violoncelle de Bach et de choses du genre), je n'ai pas vérifié ce qu'il en était cette année.




G. … ou bien à l'étranger

Pour les voyageurs musicaux, plutôt que les festivals bien connus (chers et peu aventureux, sauf les baroques, mais Ambronay et Utrecht arrivent fort tard dans l'été), j'ai repété quelques titres très alléchants.

♦ jusqu'au 8 juillet, à Bonn – Waltershausen, Oberst Chabert. (Présentation et extraits ici. La distribution et la production ont changé, mais c'est encore Lacombe qui dirige. Un grand événément qui mérite d'aller faire un bisou à Ludwigchou !)

♦ 18,21 à Londres – Donizetti, L'Ange de Nisida. Plus qu'une création, je crois que ce sera une première mondiale, le Théâtre de la Renaissance ayant fait faillite durant les répétitions de l'ouvrage, dont je n'ai pas trouvé trace depuis. Une partie en est recyclée dans La Favorite (par la même équipe librettistes-compositeur). Présentation ici.

♦ 18,22,30 à Bregenz – Goldschmidt, Beatrice Cenci. Histoire atroce mise en musique par un compositeur davantage associé à un côté korngoldien/sucré à cause de son (très relativement) célèbre Concerto pour violon, mais tout de même furieusement décadent (et classé dégénéré par les nazis).

♦ 19,24,27 à Savonnlina – Tchaïkovski, La Dame de Pique. Avec Misha Didyk en Herman.

♦ 20,21 à Bampton – Isouard, Cinderella (en traduction anglais ?). Du classicisme finissant ; pas son plus grand représentant, mais un agréable compositeur d'œuvres françaises légères au tournant du XIXe siècle.

♦ 20,21,27,28,29 juillet,3,4 août au Château de Langenlois – Zeller, Der Vogelhändler. Une opérette des années 1890, par un excellent compositeur de lieder. Elle est précédée d'une jolie réputation, mais j'avoue ne jamais l'avoir entendue.

♦ 21 à Montpellier – Delibes, Kassya. Un opéra inédit de Delibes, nouvelle exhumation du Festival de Radio-France. Il s'agit d'une œuvre inachevée, orchestrée après sa mort par Massenet. Présentation par une conférencière ici.

♦ 21,22,27,28,29 à Neuburg – Marschner, Der Bäbu. Un opéra comique, mais sur un livret de Wohlbrück, le librettiste du Vampyr (présentations multiples là).

♦ jusqu'au 4 août au Château de Läckö (près d'un lac au Nord-Est de Stockholm) – Marschner, Vampyren. (En allemand ou dans une adaptation suédoise ?)  Tout sur Le Vampire de Byron-Polidori-Wohlbrück-Marschner.



Au cœur d'août, il devient sincèrement plus compliqué de trouver quelque chose qui ne tiennent pas du festival très grand public. L'occasion de se reposer d'une année de concerts, suggèrerai-je.

J'espère que vous trouverez ce compte dans cette liste qui, contrairement aux apparences, n'a pas pris si peu de temps à établir !

dimanche 6 mai 2018

La Ballade de Tomski en français – nouveau son


Je devais prendre le temps de mettre cette notule à jour depuis longtemps avec un nouvel enregistrement… fait en 2015. L'occasion de mentionner à nouveau l'entrée autour de cette traduction maison de la Dame de Pique.

Il existe également une version traduite (et chantée) du grand récit du Vampire de Marschner — où le héros de Byron/Polidori raconte comment l'on devient vampire et comment l'on dépèce sa propre famille, juste après une scène de séduction qui était pourtant un pastiche plutôt rigolard de Don Giovanni.

Je suis actuellement affairé à proposer une traduction de l'air de Boris Godounov (celle de Delines comme celle utilisée par Inghelbrecht ne me satisfaisant pas complètement), une notule verra le jour.

Par ailleurs, on peut retrouver les étapes du projet lied français dans le chapitre approprié – il ne reste plus que deux lieder pour publier l'ensemble du Winterreise, et la moitié de la Meunière est faite. Mais il faut bien partager avec le reste des sujets de CSS et la pratique musicale elle-même…

mercredi 15 novembre 2017

Les opéras rares cette saison dans le monde – #3 : en allemand





landestheater detmold
Le Landestheater de Detmold (Rhénanie du Nord – Westphalie, 73000 habitants, la taille de Cannes hors saison, moins peuplé que Champigny-sur-Marne ou Béziers…), où l'on jouera l'Élégie pour jeunes épris de Henze.
Comme il est d'usage dans les villes moyennes d'Allemagne, il existe non seulement un opéra (650 places…) mais aussi un orchestre permanent (Orchester des Landestheater Detmold, tout simplement) et une programmation assez ambitieuse : Henze, Adès, Wagner, et le Dracula de Wildhorn (dont je parlerai dans la notule sur les rassemblant les œuvres récentes). Bien sûr Mozart, Puccini et Kálmán, comme partout ailleurs.
Malgré son aspect XVIIIe-pragois, le théâtre, détruit par un incendie en 1912, a été conçu à partir de 1914 et inauguré en 1919 (oui, parfaitement, ça ravage la France et ça se contruit des théâtres néoclassiques).




Avant de lire cette notule :
principe général du parcours ;
¶ programmation en langues russe, ukrainienne, tatare, géorgienne ;
¶ programmation en langues italienne et latine.

Une surprise frappante, en observant la programmation du centre de l'Europe (et jusqu'aux franges les plus slaves comme la Bulgarie, l'Ukraine ou la Moldavie) : les opéras les plus donnés dans le monde, si l'on excepte la poignée d'ultra-tubes évidents (Don Giovanni, La Flûte enchantée, La Traviata, Carmen, La Bohème) sont manifestement Comtesse Maritza et Princesse Czardas de Kálmán !  Car l'opérette de langue allemande (éventuellement traduite) est réellement omniprésente à l'Est, de façon extrêmement massive, l'impression d'avoir lu ces titres dans tous les pays de cette région (jusqu'en Roumanie, en Moldavie, en Ukraine) !

Par ailleurs, cette saison est remarquablement riche en véritables raretés de très haute qualité, et l'avoir épluchée me donne moi-même quelques envies de voyage…

J'ai tâché d'ajouter des liens vers les œuvres, lorsque c'était possible, afin de satisfaire davantage votre immédiate curiosité.



landestheater detmold
Intérieur du Théâtre National Antonín Dvořák d'Ostrava, seconde ville de Moravie et troisième du pays. On y donnera Iphigénie en Aulide de Gluck, manifestement en allemand.



1. Opéras baroques et classiques

Telemann, Pimpinone (Opéra de Chambre de Moscou)
→ Intermezzo comique destiné à occuper l'entracte d'un opéra seria, comme c'était l'usage – et, selon la mode hambourgeoise, à la fois en italien et en allemand. Une intrigue de femme rouée qui veut se faire épouser par un riche vieillard, tout à fait standard. La musique n'en est pas vilaine, sans en être spectaculairement originale.
Extrait.

Gluck, Iphigénie en Aulide, en allemand (Ostrava en Moravie)
→ L'œuvre écrite pour Paris, la première présentée par Gluck. Dauvergne raconte dans ses mémoires qu'à la lecture de la partition, les directeurs étaient persuadés que, s'ils donnaient l'œuvre, ils allaient immédiatement ringardiser tout leur répertoire – ce qui advint, d'où la frénésie d'œuvres nouvelles et d'invitation de compositeurs italiens (Piccinni, Sacchini, Salieri, Cherubini…). C'est évidemment une vision rétrospective (et Gossec utilisait le même langage dans Sabinus donné quelques mois avant), mais elle marque bien l'importance de cet ouvrage dans l'esthétique lyrique française.
→ C'est la première partie de la légende d'Iphigénie (son sacrifice), la plus baroque-française des œuvres de Gluck, avec un aspect beaucoup plus galant, moins hiératique que ses tragédies ultérieures. Cela avait tellement touché la sensibilité du temps que les chroniqueurs rapportent que la salle était en pleurs pour les adieux d'Iphigénie (supposée aller épouser son fiancé Achille, mais que son père livre en réalité au sacrifice pour que les Grecs puissent retrouver des vents et partir pour Troie).
→ Il n'est pas inhabituel, même si moins fréquent qu'autrefois, de traduire Gluck en allemand, sans doute considérant ses origines linguistiques.

Mozart, Die Schuldigkeit des ersten Gebots (an der Wien)
Le Devoir du Premier Commandement, la première œuvre lyrique scénique de Mozart (D.35, à onze ans), est un « singspiel spirituel », c'est-à-dire une pièce de théâtre musical à sujet religieux, pas exactement un opéra.  Un oratorio allégorique où discutent l'Esprit du Christianisme, la Miséricorde et la Justice, occupés à secouer les chrétiens tièdes hors de l'Esprit du monde. Mozart n'a écrit que l'acte I, les deux autres – aujourd'hui perdus – étant confiés à (Michael) Haydn et Adlgasser, ses professeurs.
→ Je n'ai pas de données sur la quantité d'aide reçue de son père et de ses professeurs, mais il s'agit déjà de très belle musique, plutôt le haut du panier de son temps, avec déjà des couleurs harmoniques qui caractériseront Mozart toute sa vie. (Évidemment, musique très vocale et décorative, comme on peut s'y attendre avec le sujet et l'époque. Le Mozart dramaturge de génie n'éclot que plus tard.)

Mozart, La finta giardiniera, en allemand (Baden-Baden)
→ Déjà présenté dans la partie italienne, une œuvre qui revient à la mode, vraiment de la structure à numéro bien faite, mais très décorative. À tout prendre, j'aime davantage la Schuldigkeit !

Mozart & co., Der Stein der Weisen oder Die Zauberinsel (Innsbruck)
→ Œuvre collective (Henneberg largement, mais aussi Schak, Gerl et Schikaneder) sur un livret de Schikaneder, avec une équipe d'interprètes similaire à la Flûte. La partition a été retrouvée en 1996 et enregistrée pour la première fois en 1999.



landestheater detmold
Les Fées de Wagner seront seulement donnée, cette année dans le monde, au Théâtre d'État (bâti de 1879 à 1899) de Cassovie (Košice), deuxième ville de Slovaquie. Ici, la vue enchanteresse des parterres d'eau qui le séparent de la cathédrale.



2. Opéras romantiques

Spontini, Agnes von Hohenstaufen (Erfurt)
→ Rareté des raretés, un Spontini qui figure parmi ses plus importants, mais qui n'existe au disque, sauf erreur, que dans des versions italiennes (mal captées et très molles).
→ Manifestement assez influencé par le genre spectaculaire français pré-grand opéra (beaucoup de points communs avec l'économie d'Olympie), à la fois vocalisant et recourant aux effets dramatiques issus de l'héritage Gluck (trémolos de cordes), avec un goût pour les grands ensembles, les effets de foule, les trompettes solennelles, mais aussi de très beaux élans vocaux…
→ Lien vers la meilleure bande disponible à ce jour.

Weber, Oberon (Budapest)
→ Bien que Weber se soit mis à l'anglais pour pouvoir mettre en musique Oberon, on s'obstine à le donner encore assez souvent en allemand. (Je crois que c'est le cas pour cette production.) Sans hésitation son meilleur opéra de mon point de vue, avec un sens de l'évocation du merveilleux tout à fait remarquable, sensiblement moins bon enfant et formel que le conte du Freischütz. Le quatuor de l'embarquement (le thème le plus virevoltant de l'Ouverture) ou l'invocation des démons marins par Puck sont des moments qui n'ont pas réellement d'équivalent dans l'histoire de l'opéra.
→ Privilégiez le studio Gardiner plutôt que les vieilles versions visqueuses en allemand (ou, si vous la trouvez, la bande de Minkowski à Anvers !).

Schubert, Fierrabras (Milan)

→ Bien qu'on insiste surtout sur l'image d'un Schubert en butte aux échecs lyriques (et, de fait, il le fut – c'est même la source d'autres théories fantaisistes le concernant), Schubert n'était pas du tout un mauvais compositeur d'opéra, au contraire. Tous ses singspiele ne sont pas d'égal intérêt, mais l'opéra avec récitatifs musicaux Alfonso und Estrella (qui débute par l'un des plus beaux airs de baryton jamais écrits, et dont l'un des thèmes est repris dans le Winterreise – n°16, « Täuschung ») est un bijou absolu.
→ Il en va de même pour Fierrabras, véritable pépite : livret étrange mais original (les amours secrètes de la fille de Charlemagne d'une part ; ceux de Roland avec une mauresque dont le père l'a traîtreusement fait prisonnier d'autre part), où le personnage éponyme ne tient que les utilités. Et surtout, une musique qui déborde de beautés comme Schubert seul sait les concevoir, tel le chœur a cappella ineffable des chevaliers prisonniers, la cabalette sauvage de la mauresque courant sauver Roland, de superbes ensembles, plusieurs mélodrames trépidants (car oui, Schubert est un prince du ton épique )…
→ Pourtant, ses opéras sont finalement assez peu donnés (une production d'un d'entre eux de loin en loin…).

Marschner
, Der Vampyr (Budapest)
→ Une des grandes séries estivales de CSS explorait le détail de l'adaptation depuis les soirées littéraires de Byron jusqu'au livret de cet opéra. Musicalement, c'est une œuvre très marquante (Wagner en a décalqué à la fois l'Ouverture et la Ballade d'Emmy pour son Hollandais Volant), à la fois terrible (spoiler : beaucoup d'innocents meurent) et dotée d'étranges sections comiques (les buveurs persécutés par la matrone).
→ L'œuvre est rarement respectée (son mélodrame au clair de lune, où Ruthven guérit de sa blessure mortelle accompagné par une monodie de cor, est rarement donné avec le texte… certaines versions coupent le texte parlé, etc.), pas beaucoup bien jouée (Rieger et surtout Neuhold sont à écouter au disque), mais elle est à connaître, aussi bien pour son importance sur la scène lyrique du temps que pour ses sommets, dont certains inégalés : le grand récitatif où le vampire raconte son sort, comment il est revenu dévorer la petite dernière qui le suppliait (« Tu vois son visage innocent s'incliner, / Tu voudrais au loin fuir, tu ne peux l'épargner ! / Ton démon t'entraîne, ta soif te possède : / Tu dois verser ce trop cher sang ! »). D'un impact, musical comme théâtral, assez inégalé. Et quel texte au cordeau !

Flotow
, Martha à Annaberg (Saxe) et Innsbruck
→ Martha est restée un classique sur les scènes germanophones et, bien qu'on l'ait jouée en France en français, a surtout connu sa fortune là. Une partition assez riche sur un sujet à la Véronique, où une aristocrate joue à la servante ; l'harmonie n'en est pas pauvre, et les ensembles y sont omniprésents (même s'ils tendent à être écrits uniformément en homophonie, chacun débitant sa ligne de croches). Résultat plein de douceur, d'élégance et de jovialité, qui explique sans doute, avec son livret espiègle et familial, aux héros austeniens un peu tombés de leur piédestal.
→ La version Wallberg vaut le détour chez EMI, aisément disponible, superbement captée, belles rondeurs orchestrale et plateau vertigineux : Popp, Soffel, Jerusalem, Nimsgern, Ridderbusch. Que des chouchous. [ par exemple.]


Verdi, I Masnadieri (Volksoper de Vienne)
→ Également donné, en italien, à Monaco, Bilbao et Rome. Présenté dans la notule consacrée à la programmation italienne mondiale.

Wagner, Die Feen à Košice (Slovaquie)
→ Premier essai (achevé, du moins), et un bijou, qui puise à toutes les écoles du temps, aussi bien Weber que Bellini, avec un certain humour et un savoir-faire très impressionnant. Très beaux airs récitatifs ou quasiment belcantistes, superbes ensembles très densément écrits. J'y avais consacré une série au moment de son passage à Paris : place dans le catalogue, livret, influences musicales, innovations majeures, et la mise en scène d'Emilio Sagi.

Wagner, Rienzi (Innsbruck)
→ Le seul ratage lyrique de Wagner. On le décrit souvent comme du mauvais grand opéra, n'en croyez rien : Rienzi ressemble à un seria de Rossini, en deux fois plus long, et sans aucune mélodie (excepté la jolie Prière, mais ça fait pas bien long). Une sorte de pudding très vertical (n'y cherchez pas des trouvailles de contrepoint !), très long, très fade – mais aussi très lourd. Je ne le dirai pas souvent, mais je ne vois pas trop l'intérêt de se forcer à écouter ça.

Offenbach, Die Rheinnixen (Budapest)
→ Ouvrage sérieux en allemand complètement éclipé d'Offenbach, redevenu à la mode en vingt ans, et qui, sans être devenu un standard, est joué quasiment tous les ans quelque part (et plusieurs fois en France). C'est de là que provient la Barcarolle des Contes d'Hoffmann, certes, néanmoins le reste de l'ouvrage est également d'une très belle qualité (pas seulement mélodique).

Suppé, Die schöne Galathée (Plauen-Zwickau)
→ « Opéra comique mythologique » d'après le livret de Barbier & Carré pour la Galathée de Massé. Une jolie opérette.



landestheater detmold
Pour voir Tiefland d'Eugen d'Albert cette année, il faut aller au vaste Opéra de Budapest ou découvrir l'étonnant Opéra de Sarasota, sur la côte Ouest de la Floride. C'est un ancien théâtre de vaudeville, également utilisé comme cinéma, contruit en 1925 dans ce style néo-mexicain, très hacienda-La-Vega – de l'extérieur également.



3. Opéras postromantiques et « décadents »

Cornelius, Der Barbier von Bagdad (Plauen-Zwickau)
→ Toujours donné de loin en loin en Allemagne, même s'il n'est plus autant à la mode (je voix au moin six enregistrements, tous avant 1975 !), supposé dans la veine comique, mais très soigné musicalement, avec des effets orientalisants assez marqués. Pas sans points commun avec Mârouf de Rabaud, dans son genre plus lyrique et plus… allemand.
→ Une vieille version de référence par ici.

Wolf, Der Corregidor (Budapest)
→ Une sacrée rareté. La partition est foisonnante, abstraite, difficile comme du Wolf. Figurez-vous l'harmonie retorse du maître plongée dans un moule dramatique et contrapuntique plus wagnérien, où Wolf aurait mis toute son application. Comme la Pénélope de Fauré, je ne suis pas complètement sûr, à la lumière du seul enregistrement (ancien) trouvéet de la partition piano, que ce soit tout à fait digeste, mais c'est à coup sûr riche et fascinant. Et je ne crois pas que ça ait été donné depuis fort longtemps – ni que ce devienne jamais un hit européen.
→ Une gravure très attirante (Donath, Soffel, Fischer-Dieska) que je n'ai pas encore essayée.

d'Albert, Tiefland (Budapest, Sarasota en Floride)
→ Retour en grâce progressif pour Les Terres basses (même donné à Toulouse en début de saison !), d'un postromantisme aux élans irrésistibles – la descente vers les Terres Basses, c'est de l'ordre de celle chez les Hommes dans Die Frau ohne Schatten de Strauss, à ceci près que le livret est totalement réaliste / vériste, une histoire sordide de berger simplet envoyé épouser la maîtresse (plus ou moins forcée) du potentat local. [Évidemment, ça finit en La maîtresse du roi !  Tout leur sang et le mien ! en mode berger-tueur-de-loups-à-mains-nues.]
→ Plusieurs très belles versions au disque (Zanotelli, Schmitz, Janowski…), au moins dix de disponibles, dont un DVD. Présentation rapide par le passé dans cette notule. Le reste du legs d'Eugen d'Albert n'est pas à négliger, en particulier la formidable Symphonie en fa, qui n'est jamais exécutée en concert, mais a elle aussi été plusieurs fois gravée (au moins trois bonnes versions).

Janáček, Das schlaue Füchslein, version allemande de la Petite Renarde rusée (Aix-la-Chapelle, Hagen, Koblenz)
→ Le meilleur Janáček à mon sens (je ne suis pas le seul), d'assez loin. Probablement le plus coloré, assurément le plus poétique. Celui où l'on entend moins ce côté Puccini chic mais sans mélodies. Et une jolie histoire atypique, qui, issue de vignettes (plus ou moins une bande dessinée, me semble-t-il) parues dans la presse, interroge l'essence de la vie.
→ Assez fréquemment donné en tchèque (y compris sous forme de réductions et arrangements divers – versions de chambre, version en dessin animé…), plus rarement en allemand.

Schreker, Der ferne Klang (Lübeck)
Schreker, Die Gezeichneten (Munich, Komische de Berlin, Saint-Gall)
→ Deux œuvres centrées autour de paraboles artistiques, sur de très beaux livrets du compositeur (surtout la seconde, désormais régulièrement donnée, presque chaque saison, dans les trois principaux pays d'Europe germanophone) qui explorent des formules musicales très riches (contrepoint complexe permanent, superposition d'accords, modulations sophistiquées, etc.) tout en exaltantle détail du texte et sans refuser un lyrisme assez irrésistible. L'écho entre les différents niveaux de lecture et d'écoute les rend tout à fait passionnants, parmi les fleurons de leur époque (années 1910), et Schreker était ainsi perçu jusqu'à sa mise à l'écart par les nazis – qui goûtaient peu le trouble de sa musique et de ses livrets. Ses figures d'artistes errants, criminels et impuissants documentaient assez exactement la société amollie et dégénérée contre laquelle toute leur rhétorique était bâtie.
→ Ce sont ses deux meilleurs opéras. Die Gezeichneten est inapprochable, mais Der ferne Klang reste assez rarement donné, il faut en profiter.
→ Et il en est abondamment question dans le chapitre dédié de Carnets sur sol.

Busoni, Doktor Faust (Osnabrück)
→ Parmi les compositeurs innovants de sa génération, ce Doktor Faust fait partie des rares titres d'opéra à rester peu ou prou à l'affiche au fil des ans. Sans doute grâce au sujet, mais cette vision héritée de Marlowe sans passer par Goethe, sise sur une musique tonale mais qui sent le voisinage de Berg, cherchant de nouvelles possibilités musicales sans renverser la table (Busoni avait théorisé des développements possibles en microtonalité, allant jusqu'à proposer des schémas d'aménagement sur les pianos pour les rendre confcrètement réalisables), ne manque pas de matière ni de qualités. Son principal défaut et que le rythme dramatique n'est pas très effréné, évoluant dans un mystère qui évoque davantage les Scènes de Faust de Schumann que la tension théâtrale la plus spectaculaire du temps. Pour autant, dans ces couleurs ramassées, sombres et discrètes, il se passe réellement quelque chose.

Hubay, Anna Karenina (Bâle)
→ L'œuvre est originellement écrite en hongrois, mais il est très possible, comme cela se fait souvent dans les pays germanophones pour les œuvres rares tchèques ou hongroises (voire les opéras comiques français, pour lesquels il existe toujours une tradition vivace d'interprétation en traduction), qu'elle soit jouée en allemand.
→ HUBAY Jenő (né Eugen Huber) est surtout célèbre comme violoniste ; virtuose, ami de Vieuxtemps, pédagogue, la discographie le documente essentiellement comme compositeur de pièces pour crincrin. Néanmoins, cet opéra, fondé sur une pièce française (Edmond Guiraud), lorsqu'il est écrit en 1914 (mais représenté seulement en 1923), appartient plutôt à la frange moderne, d'un postromantisme assez tourmenté et rugueux. Très intéressante et intense.
→ Hubay a écrit neuf opéras, dont certain sur des livrets assez intriguants : Alienor en 1885 (traduction d'un livret d'Edmond Haraucourt), Le Luthier de Crémone en 1888 (traduction d'un livret de François Coppée et Henri Beauclair), La Vénus de Milo en 1909 (d'après Louis d'Assas et Paul Lindau) et plusieurs inspirés de contes et récits populaires hongrois.
→ Extrait de la version originale ici.

Řezníček, Benzin à Bielefeld (Westphalie)
→ Řezníček appartient à la mouvance des décadents mais sa musique s'apparente souvent à un postromantisme assez formel et opaque, pas très chaleureux. Benzin (pas été donné depuis 2010 à Chemnitz, me semble-t-il) échappe à cela, avec des couleurs orchestrales et des grincements plus caractéristiques, mais j'attends toujours d'être réellement saisi par ce grand représentant du temps, ami de R. Strauss, partagé entre sa formation à Graz et ses succès à Prague et à Berlin.
Court extrait de la production de Chemnitz.

Krása
, Brundibár (Sassari, Linz)
→ Opéra pour enfants (le protagoniste étant un chœur d'enfants), récrit dans les camps pour les prisonniers du camp, où est mis en scène une sorte de croquemitaine dérisoire, de tyranneau vaincu par l'union des enfants et des animaux. Plus simple que le Krása habituel, pas vraiment passionnant en soi, plutôt un témoignage culturel de l'art (et de l'humanité) qui pouvaient survivre dans les camps. La première version en 1938 exalte plus le patriotisme, ai-je lu, que la version de 1943 habituellement donnée, plus tournée vers le retour d'une forme de justice.

Waltershausen
, Oberst Chabert (Bonn)
→ Une merveille. Du postromantisme à la fois généreusement lyrique et très complexe ; très chantant et accompagné d'un orchestre très disert ; à la fois profusif et assez lumineux. Et tout à fait personnel : ce n'est ni du Strauss versant lyrique, ni du Schreker gentil, ni du Puccini germanisé… vraiment un équilibre que je n'ai pas entendu ailleurs, quelque part entre le commentaire orchestral wagnérien et une gestion beaucoup plus directe (italienne ?) de l'action, un lien plus évident entre mélodie vocale et déclamation.
→ Il existe un très beau disque CPO capté à la Deutsche Oper, merveilleusement dirigé par Jacques Lacombe et impeccablement chanté (M. Uhl, Very, Skovhus, tous trois dans un très bon jour) – extrait ici.

Hindemith, Mathis der Maler (Gelsenkirchen)
→ Resté très célèbre grâce à sa suite, une des œuvres les plus enregistrées de Hindemith, et toujours donné de temps à autre, Mathis trace le portrait de la société qui entoure un peintre (anachroniquement) visionnaire, forcément esseulé au milieu des enjeux de la politique – et même de l'amour. Le langage y est riche, mais homogène, sans recherche du spectaculaire, fondé essentiellement sur la recherche harmonique. Sans être complètement austère non plus, un opéra assez regerien, ce que ne dévoile pas complètement la Suite, qui en regroupe les passagesles plus chatoyants (pas forcément les meilleurs, au demeurant, l'opéra me paraît autrement intéressant !).
Hindemith, Cardillac (Florence, Salzbourg, Tallinn)
→ Mâtiné d'enquête policière, ici encore écrit dans une logique qui reste postromantique, un lyrisme réel mais peu expansif, et largement tourné vers la recherche harmonique interne. Déjà donné et même repris à Paris par Gérard Mortier qui avait vivement milité pour cette œuvre…
Hindemith, Neues vom Tage (Schwerin)
→ Opéra « joyeux » (lustige Oper) mettant en scène un couple qui (essaie de) divorcer. Créé en 1929 au Kroll-Oper de Berlin par Klemperer (les wagnériens de l'Âge d'Or seront intéressés de savoir la présence de Dezső Ernster dans la distribution), et retravaillé pour une première napolitaine en 1954 en italien, avec Giuseppe Valdengo dans le rôle du mari, mais aussi Plinio Clabassi… et qui faisait le Quatrième Chef de cuisine (c'est-à-dire le dernier des ténors chantant un chef de cuisine), à votre avis ?  Piero De Palma. Je n'invente rien.
→ L'œuvre est écrite dans un langage étrange, mélange de couleurs néoclassiques, de tonalité sans direction nette influencée par Schönberg… Elle s'ouvre par un magnifique échange de noms d'oiseaux (dans le sens le moins ornithologique possible).

Schoeck, Penthesilea (Bonn)
→ Le Schoeck le plus vindicatif qui soit. Un drame de 1925, d'une heure et quart, qui claque et qui tranche terriblement, très loin du Schoeck poétique des lieder ou des pièces orchestrales, un bel équivalent d'Elektra dans un langage plus intériorisé mais tout aussi dramatique. Un chef-d'œuvre bien connu des amateurs de musiques décadentes, et trop peu représenté sur les scènes.
→ À écouter ici.
Schoeck, Das Schloß Durande (Bonn)
→ Son dernier opéra, de 1943, fondé sur Eichendorff. Rarissime. Et il y a de ces poussées lyriques là-dedans, comme ce duo emblématique !  L'œuvre a peu été redonnée pour des raisons politiques/éthiques évidentes – son association (quoique purement artistique, semble-t-il) avec les artistes nazis avait été assez mal perçue dans sa Suisse natale.

Korngold, Der Ring des Polycrates (Dallas)
→ Premier opéra de Korngold (achevé en 1914, créé en 1916) – c'est-à-dire  avant Violanta et Die tote Stadt. On y entend déjà le lyrisme débordant et l'orchestration rutilante qui font sa marque, même dans cette virvoltante conversation en musique : glissandi de harpe et fonds de célesta et glockenspiel y sont la norme. Un bijou.
→ [Une seule version, chez CPO, superbement distribuée et interprétée par le DSO Berlin, qu'on peut préécouter ici.]
Korngold, Das Wunder der Heliane (Anvers, Berlin)
→ L'opéra qui suit La ville morte (et précède son dernier sérieux, Die Kathrin), nettement plus vénéneux, et au sujet parfaitement décadent, à base d'expériences cruelles, de nudité et de surnaturel. Beaucoup plus tourmenté, moins franchement lyrique que ses autres pièces. La série d'Anvers est finie à présent.
→ [Voyez ici une vidéo certes imparfaitement exécutée, mais mise gracieusement en ligne par le chef.]

Orff, Der Mond (Prague)
Orff, Die Kluge (Prague)
→ Quelle n'est pas la surprise lorsqu'on souhaite découvrir Orff, se disant qu'après tout il avait bien saisi une forme d'essence archaïsante dans ses chansons à boire de moines… et qu'on s'aperçoit qu'il a en réalité tout écrit dans le style des Carmina Burana !  Que ce soient des textes de Catulle ou des actions dramatiques, on y retrouve les mêmes mélodies naïves, les mêmes harmonies brutes, les mêmes grosses doublures orchestrales à coups de cors…
Der Mond (« La Lune ») laisse vraiment affleurer ces répétitions assez pauvres, quasiment pré-minimalistes (sans du tout le même projet de renouvellement, évidemment), tandis que Die Kluge (« La jeune fille avisée »), peut-être grâce à son sujet, réussit un peu plus de légèreté populaire, sans s'abstraire non plus de ces formules. [La jeune fille prévient son père de ne pas remettre le trésor au roi pour ne pas être emprisonné, répond à trois énigmes pour sauver sa propre vie, réussit un jugement de Salomon pour attribuer un petit âne et enferme finalement le roi qu'elle a épousé… Mais l'opéra n'est pas très mobile pour autant. Disons que la musique sied bien aux enfants.]
→ En principe, ce devrait être chanté en langue originale, comme c'est l'usage au Théâtre National de Prague ; néanmoins, je l'ai entendu, donné en ukrainien à Kharkiv en 2015… tout reste envisageable. On peut écouter ici et .


von Einem, Dantons Tod à Magdebourg et Vienne (Staatsoper)
von Einem, Der Besuch der alten Dame à Vienne (an der Wien)
→ Étrange chose que le legs de von Einem. Beaucoup de patrimoine littéraire, déjà  : son Proceß a déjà été remonté et capté, on pourrait faire de même avec Kabale und Liebe ou Jesu Hochzeit – Noces de Jésus avec la Mort (« Tödin »), si j'ai bien suivi, rien de trop blasphématoire.
→ Pour Der Besuch, Friedrich Dürrenmatt a lui-même adapté sa tragi-comédie restée très célèbre (toujours représentée, et il existe même une assez jolie comédie musicale dessus…) ; la musique en est assez conforme aux modèles de Gottfried von Einem (Bruckner et Reger, bien qu'on soit en 1971 !), plutôt traditionnelle mais assez grise – une sorte de Hindemith plus conservateur et plus lyrique.
Dantons Tod, son premier opéra et le plus représenté ou (à l'occasion) enregistré, se fonde (avec l'aide de Boris Blacher) sur le drame de Büchner, et est à mon sens plus réussi – mais encore plus troublant. Au Festival de Salzbourg de 1947, il propose ainsi cet opéra hindemithien, où l'on s'exprime par de grandes tirades lyriques (sur ce texte détaillant parfois la Constitution ou les formes juridiques du procès…) proche des véristes (les lignes vocales n'y sont pas si éloignées d'Umberto Giordano…), tandis que l'orchestre semble parfois partir en ponctuations modernistes autonomes, issues de l'écoute des dodécaphonistes. Certains endroits paraissent très traditionnels quoique peu chaleureux, d'autres touchent à une certaine grâce (le Prélude du procès, et d'une manière générale les interludes). Quelle bizarrerie, entendre des comptes-rendus de réunion du Parti Communiste chantés comme Turandot avec des accompagnements qui s'ébrouent comme du Schönberg dernière manière mais dans un langage qui reste fidèle à Reger !  [Sans parler de Robespierre tenu par un ténor de caractère, quelle fantaisie…]
→ Aucune des éditions que j'ai consultées ne contiennent de livret traduit (uniquement monolingue), aussi cette vidéo d'une mise en scène d'Otto Schenk (remarquablement dirigée par Leitner), qui comporte les sous-titres anglais, pourrait-elle sauver quelques-uns d'entre vous.



landestheater detmold
Le Schleswig-Holsteinisches Landestheater (théâtre du Land du Schleswig-Holstein) de Flensburg – une des villes majeures de la région, même si elle rayonne moins à l'international que Kiel ou Lübeck. Le seul endroit où sera donné Le Grand Macabre de Ligeti cette saison. Parmi les autres théâtres de la ville, il en existe notamment un spécialisé dans les pièces données en danois.



4. Opéras du second vingtième siècle

Menotti, The Consul en allemand (Bremerhaven, Goerlitz, Krefeld, Innsbruck)
→ Un sujet original, qui mêle le sort de la famille d'un opposant politique traqué et l'attente dans le consulat — qui est à la fois le lieu d'une indifférence cruelle, et le terrain propice à toutes les facéties librettistiques. Mélange musical de conversation en musique, de Puccini, de Britten et de plusieurs des veines de Poulenc…
→ Un opéra qui n'est pas majeur sans doute, mais très payant scéniquement. Plus de détail (et des sons) par ici.

B. A. Zimmermann
, Die Soldaten (Madrid, Cologne, Nuremberg)
→ Considéré comme le second Wozzeck du XXe siècle, pour un orchestre encore plus démesuré et un sujet tout aussi sordide, dans un langage similaire d'une atonalité à la fois apparemment sèche et extraordinairement riche en détails. Donné ponctuellement dans les pays d'Europe qui valorisent ce répertoire (de langue allemande essentiellement, en plus du microclimat madrilène, où fut tout de même donné l'autre Wozzeck, celui de Gurlitt).

Ligeti
, Le Grand Macabre à Flensburg (Schleswig-Holstein)
→ L'opéra où triomphent le burlesque et l'absurde. Ça rugit de partout. Grand classique dont l'impact dépend surtout, je crois, des affinités littéraires. Mais on ne fait pas plus vivant et bigarré, du véritable théâtre musical.

Henze, Das Floß der Medusa (Amsterdam)
Henze, Elegie für junge Liebende (Detmold)
Henze, Der junge Lord (Hanovre)
Henze, Pollicino (Cologne)
→ Trois opéras des années 60. Le Radeau de la Méduse (écoutez) explore une atonalité avec des pôles très audibles, comme les quatre premières symphonies du compositeur, beaucoup de parties parlées en sus. Très séduisant dans ce genre-là. L'Élégie (écoutez) s'en rapproche, mais surtout chanté, sans doute moins facile d'accès, et plus intéressé par les agrégats, les volutes vocales : moins direct et dramatique. Le Jeune Lord est écrit dans une atonalité plus libre, plus horizontale, avec des touches orchestrales qui évoquent le cabaret expressionniste – j'aime moins, mais c'est purement une affaire de goût individuel.
Pollicino, plus tardif (1980), est totalement différent, opéra pour enfants, sorte de patchwork alliant l'archaïsme baroqueux, le piano, le xylophone et le célesta.



 
landestheater detmold  landestheater detmold
Le Landtheater de Bremerhaven (le port en aval de Brême) propose seulement un immense parterre et un petit balcon, uniquement de face, dans une boîte capitonnée (qui doit être assez satisfaisante acoustiquement si les matériaux sont à la hauteur). On y jouera Le Consul de Menotti en allemand, tout comme à Krefeld (entre Düsseldorf et Duisburg), qui adopte le même principe, en moins luxueux. Ce patron semble avoir été assez en vogue en Allemagne – c'est aussi celui de la Volksbühne de Berlin, voyez vous-même.



Une saison germanophone extrêmement riche en découvertes, à la fois particulièrement rares et de qualité éprouvés, donc. Peut-être est-ce lié à des impulsions mémorielles pour mettre en valeur les artistes classés comme sous l'étiquette entartete, ou bien à l'abondance de l'offre (et au public, un des plus avertis au monde, il n'y a voir comme le moindre étudiant allemand devient konzertmeister dès qu'il atterrit dans un orchestre universitaire français…). En tout cas, de quoi goûter les plus hauts régals.

Il existe sans doute quantité d'opéras et oratorios baroques en langue allemande, donnés dans des salles qui ne sont pas spécialisées dans l'opéra (je n'ai regardé que les maisons d'opéra, quasiment pas les salles de concert symphoniques), ainsi que bien d'autres productions peut-être données en format radio… La liste des réjouissances était en tout cas fournie !

Une grande quantité d'opéras contemporains est écrite en allemand (l'autre langue massivement utilisée étant de plus en plus l'anglais). J'en parlerai dans la notule consacrée précisément aux œuvres (choisies, car nombreuses, et toutes rares par définition, puisque neuves) de compositeurs vivants. Il y a beaucoup à dire là-dessus, et cette liste est assez révélatrice des tendances à l'œuvre. À bientôt !

mardi 3 octobre 2017

Écouter Falstaff sans la glotte – quand Verdi écrit des leitmotive pour rire


Après une nouvelle écoute en salle – et l'impression d'y entendre les Meistersinger de Verdi –, l'envie de mettre en valeur quelques jolis détails, à coups d'extraits amoureusement découpés.



Économie globale

D'abord, sur le plan général, quelque chose de particulièrement jubilatoire : tout fuse de partout en permanence, le débit du texte, les mouvements scéniques, les idées mélodiques (très brèves), les effets d'orchestration exotiques (comique immédiat façon mickeymousing ou alliages inouïs), les transitions harmoniques très brusques (chaque court segment se clôt en général sur une relance ou une modulation plutôt que sur une résolution franche), et il y a simultanément tellement à écouter dans la musique même : la circulation des motifs, les citations, ou simplement les beaux détails orchestraux.

Tout le monde babille précipitamment, court sur scène, tandis que l'orchestre lui-même crépite de trouvailles assez indépendantes musicalement, et tout en nourrissant le sens des actions et des mots. C'est ce que Wagner aurait pu faire s'il avait eu le génie du comique.



Rythmes

La virtuosité des ensembles y est bien connue : tous les finals (la folie du II, la fugue du III), mais pas seulement. Le double ensemble du second tableau du premier acte – où les femmes sont présentées pour la première fois au spectateur et s'aperçoivent de la supercherie de la double lettre – présente la particularité de superposer (chose fréquente à l'orchestre, beaucoup moins dans des parties chantées, surtout dans le cadre d'une action scénique) des carrures binaires et ternaires.

[[]]
Version Giulini / Los Ángeles (DGG 1984). L'une des grandes références disponibles dans une discographie qui n'en manque pas – Giulini 55, Bernstein, Abbado, Haitink-Vick

Les hommes patauds chantent dans la rigidité d'un 2/2 (2 temps de 4 croches) tandis que les femmes madrées s'éploient en 6/8 (2 temps de 3 croches) : entre les appuis des temps, les attaques sont décalées entre les groupes, figurant l'imperméabilité des deux mondes (que suggère le livret : Alice ne communique guère avec Ford que dans l'affront jaloux du II et la révélation de son identité au III), en même temps que leurs identités propres (hommes ouvertement limités, femmes souplement rusées).

falstaff_ensemble_binaire_ternaire.png

Et, d'une manière générale, une écriture fragmentée beaucoup plus riche, avec des valeurs beaucoup plus disparates (là aussi, plus wagnériennes…) que dans l'opéra italien habituel, même celui de Verdi – déjà considérablement plus avancé que ses contemporains.



Écriture harmonique

Les transitions harmoniques sont aussi beaucoup plus surprenantes que pour le Verdi habituel : beaucoup des sections courtes, à l'intérieur de chaque scène, débouchent sur une modulation brutale vers la suivante, loin des formes closes habituelles avec résolution bien affirmées.

Les couleurs orchestrales et harmoniques m'ont même évoqué, par endroit dans le premier tableau… les symphonies de Nielsen.



Écriture orchestrale

En matière d'orchestration, il y aurait aussi beaucoup à dire. Le programme de salle citait judicieusement ce moment où Falstaff, mentionnant son – hypothétique – amaigrissement, est accompagné par un unisson à quatre octaves de distance entre piccolo et violoncelles.

[[]]

Mais on peut aussi mentionner la doublure cordes-flûtes (préludant à la Reine de Fées en III,2) qui crée un effet assez archaïsant (timbre de flûte à bec, sur une musique évoquant déjà le passé) – je ne trouve pas qu'on le perçoive bien au disque.

Ou encore l'accompagnement du récit de la légende du Chasseur Noir par Alice, accompagnée de quatre cors uniquement :

[[]]

Les timbres américains très colorés des cors de Los Ángeles donnent l'illusion de la présence de flûtes ou de bassons, mais non, quatre cors seulement.

Toute l'œuvre déborde de ce type d'explorations, un véritable laboratoire qui marque une rupture avec à peu près tout ce qui a pu être composé avant – voire après… beaucoup de ces essais n'ont jamais été reproduits, du moins dans les œuvres du répertoire. On perçoit très bien l'influence de Falstaff dans les œuvres comiques italiennes ultérieures (Gianni Schicchi…), mais rien qui corresponde à l'orchestration précise inventée ici. Hapax en réalité.



Motifs récurrents

Sans être aussi structurante que chez les Germains, c'est aussi la valse des motifs. Quand Alice flatte Falstaff, on entend le même caractère orchestral que lorsque Ford déguisé fait de même (« Voi siete un uom di guerra / Voi siete un uom di mondo »).

Le sommet se trouve dans l'air de Ford qui tisse des références au delà même de Falstaff.

[[]]
Leo Nucci dans la version Giulini / Los Ángeles 1984.

Ford tempête son désespoir, persuadé que sa femme Alice le trompe avec l'épicurien damné qu'est Falstaff.

Verdi y écrit un air très disparate (et fulgurant), mélange de récitatifs et d'envolées, sans thème récurrent, sans forme générale, suivant les idées de Ford comme une scène wagnérienne – le modèle formel serait plus les Adieux de Wotan que l'air de Philippe II : il y a bien des motifs qui y reviennent, mais de façon asymétrique, et souvent des références hors de l'air lui-même, voire hors de l'opéra.

--

D'abord, le ton général parodie ses propres tournures dramatiques. Ici, ce pourrait être un emportement de Gabriele Adorno (le ténor jaloux de Simone Boccanegra) ou d'Otello :

[[]]

Ou bien ces timbales soudaines à nu, qu'il utilise en particulier lorsque Posa s'oppose à Philippe II (« la pace è dei sepolcri ! ») ou lorsque Renato prête serment à Riccardo dans le Bal masqué (« Lo giuro ; e sarà. »)

[[]]

Mais il fait plus fort en se citant lui-même, ou du moins en évoquant avec malice ses propres chefs-d'œuvre :

[[]]

Ford dit en substance « le piège est tendu… tu es joué ! ».

Cet accompagnement de cor n'est certes pas particulièrement spécifique, mais assez identique à celui qui accompagne Philippe II… au moment où il explique ses nuits sans sommeil à cause de la peur d'être cocufié, et la crainte de trames contre lui. Pas une coïncidence à mon avis.

[[]]
Ruggero Raimondi, Opéra de Vienne, Karajan (publié chez Orfeo).

--

Il tisse aussi un grand nombre de liens avec le reste de l'opéra :

[[]]

La dernière phrase de l'air reprend ainsi la ligne mélodique exacte d'Alice à la fin de l'acte I, lorsque celle-ci relit sarcastiquement la dernière ligne de la double lettre de Falstaff : « Il viso mio su lui risplenderà » / « Mon [ton] visage sur lui [moi] resplendira ».

[[]]

Évidemment, Alice le fait en se moquant du lyrisme du chevalier capable dans le même temps des pires indélicatesses, et en préparant sa vengeance. Mais la reprise du même thème montre que Ford prend tous les préparatifs de sa femme au premier degré, comme autant de preuves de son infortune.

--

Cet air advient juste après l'entretien entre Falstaff et Ford (déguisé), venu lui demander de séduire Alice pour estimer ses intentions réelles. Falstaff se vante alors de sa réussite certaine : « te le cornifico, netto, netto » / « je te le cornifie tout net ».

[[]]

Tout le texte de l'air se consacre à l'obsession des cornes « Le corna !  Le corna ! » et tout l'imaginaire qui l'accompagne… et la musique fait de même.

[[]]

Vous l'entendez, aux cordes ?  Ford dit justement, sans le nommer : « Ce vilain mot se retourne dans mon cœur ! » (« Quelle bruta parole in cor mi torna ! »).

Et le motif circule, sans arrêt. Ici en sous-main aux bassons, puis aux clarinettes, puis aux violons :

[[]]

Verdi a même la malice d'en faire des marches harmoniques – c'est-à-dire qu'il reprend le motif et lui fait monter la gamme, comme en escalier, le modifie, le change de mode ou de tonalité… bref, de la matière première musicale, comme un véritable leitmotiv wagnérien !

[[]]

--

Mais le plus délicieux, je crois, c'est qu'au moment même où Ford décrit la certitude de son infortune – « l'heure est fixée… la trahison tramée » (Alice a déjà donné un rendez-vous au séducteur) –, et alors que sont cités les cors de Philippe II… Verdi juxtapose le motif dérisoire « dalle due alle tre » /  « de deux à trois » (l'heure d'absence quotidienne de Ford) !

Voici la scène où Mrs. Quickly donne cette information à Falstaff (un piège, en réalité), ensuite répétée en plusieurs endroits sur la même musique, en bon comique de répétition :

[[]]

Réécoutez à présent le passage des cors mélancoliques qui sont supposés évoquer le grand genre :

[[]]

Pas mal, n'est-ce pas ?  Verdi fait baigner Philippe II dans une sauce à la farce.

--

Et pour parachever son air, le seul véritable retour thématique interne se trouve dans le postlude, qui cite la première envolée du : « E poi diranno che un marito geloso è un insensato » / « Et après ça on dira qu'un mari jaloux est un fada ».

[[]]

Après la citation de la citation parodique d'Alice (vous suivez ?  vous venez de le lire, c'est juste au-dessus), l'air se finit sur une fanfare exaltée qui assène cette évidence de la légitimité jalouse :

[[]]

Vous notez au passage que l'air est enchaîné à la suite, vraiment du flux continu à la wagnérienne (ou alla pucciniana, certes).



Parodies

Ce ne sont au demeurant pas les seuls clins d'œil, vous en trouverez partout. Certains peuvent être discutés, intuition personnelle ou volonté délibérée : la description de Meg comme une créature céleste (avec des battements de cordes qui évoquent le final de Faust de Gounod « Anges purs, anges radieux »), l'annonce de l'arrivée de Meg lors du duo d'amour raté en forêt avec les mêmes mots (« Nella selva densa ») que le célèbre duo d'amour d'Otello (« Nella notte densa »). Je ne peux rien affirmer, mais une fois que l'esprit a été affûté par quantité de détail, on les remarques.

Celle qui est évidemment volontaire, c'est la parodie de Don Giovanni – il n'est pas le premier, voyez Marschner à la fin de l'acte I de son Vampire.
♦ Cerné par des puissances de l'autre monde, Falstaff ne se fait, lui, pas prier, et accorde immédiatement son repentir (mais la forme de l'injonction rappelle tellement la strette récitative avant la disparition finale du Commandeur !).
♦ Puis, là aussi à rebours de l'original, Falstaff part manger avec les autres. Dans le livret de Da Ponte, ce sont Zerlina et Masetto qui s'en vont dîner ensemble, et Leporello qui part chercher un nouveau maître à l'auberge – sans le libertin châtié bien évidemment.

Mais le plus drôle de tout, c'est le mini-chœur de ses compères Bardolfo et Pistola, pendant que Falstaff vante sa bedaine (« Ceci est mon royaume – je l'étendrai ! ») : « Immenso Falstaff ! ».

[[]]

Or, cet extrait ressemble beaucoup à un endroit très marquant du catalogue verdien, le grand chœur a cappella (14 lignes vocales distinctes !) qui précède la fin de Nabucco : « Immenso Jeovha ! ».

Oui, il a osé.

[[]]
Evgeny Nesterenko, avec Lucia Popp, Lucia Valentini-Terrani, Plácido Domingo, Piero Cappuccilli… dirigés par Giuseppe Sinopoli (studio DGG).



Surtout, en plus du drame sans cesse virevoltant, l'oreille est sans cesse sollicitée, à la fois par les belles mélodies vocales et par tous ces événements, ces accompagnements pittoresques, ces citations et clins d'œil à l'orchestre. Roboratif à écouter et aussi assez jubilatoire pour la cervelle, voilà un opéra qui s'écoute de toutes les façons qu'on veut, et qui perd beaucoup au disque – beaucoup de détails sont difficiles à saisir, on est obligé de faire des choix de prise de son, et les alliages fonctionnent moins bien que dans une salle.

Osez l'expérience, ce n'est pas comme si ce n'était jamais donné !  (pour une fois)

J'espère vous avoir fait repérer quelques pépites, et surtout incité à aller fureter par vous-même dans ce fort joli massif…

vendredi 30 juin 2017

[Édito] Les opéras rares en Île-de-France : 2016-2017-2018, deux saisons opposées


Entre celle qui s'achève et celle qui s'annonce, je ne puis me retenir de considérer que le contraste est brutal.


A. Pénurie de 2017-2018

    La saison prochaine, l'Opéra de Paris ne programme aucun opéra rare (déjà la tendance depuis l'arrivée de Lissner, mais vu sa connaissance du répertoire, on peut difficilement lui reprocher de vouloir découvrir les classiques), les Champs-Élysées se recentrent sur l'opéra italien grand public ou glotto-compatible (seria avec falsettistes, Rossini, Verdi), l'Athénée propose peu de grandes productions lyriques, Bru Zane ne finance qu'un Faust de Gounod (certes en version originale inédite, mais on ne peut pas parler de découverte vertigineuse d'une œuvre occulte d'un style nouveau !), et à Versailles le CMBV ne fait aucune grande recréation français comme c'était d'ordinaire le cas (je m'en étais ému à la parution du programme), se contentant de donner deux LULLY (la dernière production d'Alceste dans la région a dix ans, et encore moins pour Phaëton) – en revanche, Chateau de Versailles Spectacles programme aussi des Cavalli rares et très bien distribués (cela m'intéresse beaucoup moins que leurs F. Caccini ou Rossi, mais c'est incontestablement du neuf). Le CNSM, lui, proposera Giulio Cesare in Egitto pour sa grande production scénique annuelle.
    À cela s'ajoute que les maisons qui contribuaient à l'ouverture des horizons, comme Saint-Quentin-en-Yvelines (le Ring de poche de Dove-Vick, L'Élixir d'amour sur instruments anciens, Chimène de Sacchini…) ou Herblay (Vanessa de Barber, Zanetto de Mascagni, Abu Hassan de Weber, Falstaff de Salieri et dernièrement du seria inédit) ne proposent l'année prochaine, en opéra, que la production de l'ARCAL de… Dido and Æneas de Purcell, probablement l'œuvre la plus donnée de toutes (notamment dans les petites maisons), du fait de ses faibles coûts de production (que des petits rôles faciles à distribuer, un petit orchestre, une œuvre courte qui coûte moins à préparer, qui se vend mieux au public, un drame très ramassé et payant…). Ce n'est pas mal du tout, c'est une œuvre qui peut se voir de plein de façons, mais quand on comptait sur ces maisons, quitte à traverser toute l'Île-de-France au sortir d'une semaine de boulot (combien de fois ai-je joint les confins de l'Oise à Saint-Quentin…), c'est un peu en vain pour la saison qui s'annonce.

Reste l'Opéra-Comique, qui proposera la Nonne sanglante de Gounod, dont on ne dispose que d'un disque CPO (très bon, mais on peut faire plus précis linguistiquement et stylistiquement), et qu'on ne joue jamais. Mais c'est pour la saison (suivant désormais l'année civile) 2018, pas encore annoncée officiellement, et septembre à décembre, ce sera seulement Mozart, Rossini et la création de Manoury (miam, cela dit, mais la création pure répond encore à d'autres enjeux).



lupanar garnier
Lieu de toute évidence inspiré de l'atmosphère du Palais Garnier dans Twin Peaks.



B. Comparaison biaisée


À la décharge de toutes ces vénérables institutions, il est vrai que la saison qui vient de s'achever était particulièrement exceptionnelle en matière de recréations d'opéras (et pour la plupart en version scénique !) :
♦ Opéra de Paris : rien, mais Fleur de neige de Rimski-Korsakov n'avait plus été donnée depuis de l'époque de la troupe, et peut-être plutôt à la Radio qu'à l'Opéra, une véritable rareté en France ;
♦ Philharmonie : La Pucelle d'Orléans de Tchaïkovski, de même, pas une première absolue (encore que, en France, fut-ce déjà donné ?), mais un très réel dépaysement ;
♦ Champs-Élysées : La Reine de Chypre d'Halévy (Bru Zane) ;
♦ Opéra-Comique : Le Timbre d'argent de Saint-Saëns (et, jamais reprise en version scénique, Alcione de Marais) :
♦ Versailles : Les Horaces de Salieri (CMBV, Bru Zane), Proserpine de Saint-Saëns (Bru Zane) ;
♦ Athénée : L'Île du Rêve de R. Hahn, The Lighthouse de P.M. Davies (création française ?) ;
♦ Bouffes du Nord : Phèdre de Lemoyne (Bru Zane) ;
♦ Saint-Quentin / Herblay / Massy / ARCAL : Chimène de Sacchini ;
♦ CNSM : Il Matrimonio segreto de Cimarosa (pas redonné depuis Rousset il y a quinze ans, je crois) ;
♦ CRR : des extraits de Médée et Jason de Salomon, d'Axur re d'Ormuz de Salieri…

C'est-à-dire 3 tragédies en musique totalement inédites (dont Lemoyne dont on ne disposait de rien) ; 4 partitions romantiques assez ambitieuses, là aussi jamais remontées ; 2 fleurons du répertoire russe jamais entendus, dans une vie de spectateur du moins, en France.

Il est vrai que lorsque, dans la même semaine, il fallait enchaîner Les Horaces et Proserpine, ou encore Phèdre, Chypre et le Timbre, on ne pouvait qu'être frappé par l'étonnante surabondance (des œuvres de surcroît particulièrement abouties, et très adéquatement servies).



C. La totalité du tableau

Pour la saison prochaine, en matière d'opéra, il faudra donc se contenter de semi-raretés, souvent liées à une œuvre par ailleurs très bien connue : Leonore de Beethoven à la Philharmonie, Don Carlos de Verdi à l'Opéra Bastille, formes primitives à peu près jamais données en France d'œuvres qui y sont par ailleurs très fréquemment représentées. Beethoven par Jacobs suscite la curiosité évidemment, de même que Don Carlos dans une version qu'on espère assez complète (sans doute avec la déploration, peut-être aussi avec les Bûcherons et le ballet complet), servi par deux superbes distribution (au français encore incertain pour la seconde, avec Gerzmava, Černoch et Gubanova).

Mais, si on veut être tout à fait honnête, la saison apportera aussi son lot de raretés lyriques, certes plutôt du côté de l'oratorio (où c'était bombance à la Philharmonie, cette année déjà : Elias de Mendelssohn, Szenen aus Goethes Faust de Schumann, Le Paradis et la Péri du même, El Niño d'Adams…) : Elias à nouveau (avec les couleurs encore plus typées anciennes de Fribourg !), The Dream of Gerontius d'Elgar, la Messe de Bernstein, la Sinfonia de Berio, et surtout, celui-là hors de la Philharmonie, le bijou absolu (et très rare en France) Christus am Ölberge de Beethoven.

Par ailleurs, une bonne partie des inédits provient chaque saison d'associations moins officielles, comme les Frivolités Parisiennes dans le répertoire léger (pour la saison qui vient de s'achever : Ce qui plaît aux hommes de Delibes, Le Petit-Duc de Lecocq, Gosse de riche d'Yvain), ou la Compagnie de L'Oiseleur (avec accompagnements clavier assez extraordinaires), qui vient de révéler le Stabat Mater de Grandval, Le Passant de Paladilhe et surtout le legs d'André Bloch, avec Antigone (très belle cantate du prix de Rome) et l'incroyable opéra féerico-sarcastique Brocéliande même avec piano, une explosion de fantaisie et de couleurs, quelque chose de L'Enfant et les Sortilèges, mais avec un bon livret et une couleur musicale quelque part entre Massenet et Chausson.

Les Conservatoires aussi proposent quelquefois des titres imprévus, ou les ensembles amateurs. Il faut rester à l'affût. Mais, clairement, pour les exhumations à gros moyen et l'orientation des politiques des salles, ce seront un peu les vaches maigres pour les opéras, hors de Favart. Le Tribut de Zamora de Gounod, attendu depuis si longtemps, n'est redonné par Bru Zane qu'à Munich !

Je n'ai pas encore exploré l'offre en province pour la saison à venir (peut-être l'objet d'une notule à la rentrée, comme la saison dernière ?), mais c'est évidemment une alternative toujours possible pour les plus junkies d'entre nous.



hangar à bateau Bastille
Reproduction à l'échelle inférieure de la grande salle de l'Opéra de Paris.



D. Conclusions

Considérant la quantité d'offre, il y a largement de quoi s'occuper (même sans mentionner la possibilité d'aller écouter davantage de musique de chambre ou de faire davantage d'expositions…), ce n'est pas du tout un drame. Mais, pour la documentation du répertoire, la dynamique de fournir, chaque année, des nouveautés à un public motivé, tirées du patrimoine, c'est une saison peu ambitieuse.

C'est surtout agaçant lorsque les moyens financiers colossaux, comme à l'Opéra de Paris, permettraient aisément une prise de risque modérée (un italien moins célèbre, un Verdi rare, un baroque français hors Rameau ou un classique hors Gluck, un contemporain de Mozart, un Massenet moins couru, un thème vendeur comme Le Vampire de Marschner, Notre-Dame de Paris par Schmidt ou Giulietta e Romeo de Vaccai…) – je ne demande pas de monter dans la même saison Antar de Dupont, Thora på Rimol de Borgstrøm, Merry Mount de Hanson et Nikola Šubić Zrinski de Zajc.

Et pourtant, ce serait possible, considérant que l'attraction de la maison est telle que malgré des prix prohibitifs et un confort visuel et sonore spartiate dans les deux salles, le remplissage avoisine les 100%, raretés ou pas, dès que ce n'est pas un répertoire trop exigeant. Au contraire, l'ONP persiste à distribuer des gens qui ne parlent pas les langues des œuvres dans des titres peu originaux, alors que sa puissance financière et son prestige lui permettraient de faire un carton plein avec des ouvrages un peu moins rebattus que les Mozart, Rossini, Verdi, Wagner, Puccini les plus célèbres – qu'il faut aussi donner, bien sûr, mais pas à l'exclusion de tout autre patrimoine…

Certes, dans les deux hangars qui lui servent d'écrin, ce serait un peu du gâchis, mais au moins on aurait l'impression que la maison remplit une mission qui excède celle du musée pittoresque pour touristes ou du peep-show glottique international.

lundi 29 mai 2017

[Sursolscope] – programmes possibles de juin 2017


Puisque je n'ai pas le droit de m'en abstraire (oui, on m'a crié qu'on m'aime, et je bougonne, parfaitement), voici quelques petites recommandations pour le mois de juin à Paris et un peu au delà, avant de basculer dans l'univers assez différent des concerts d'été.

Cette fois encore, pour des raisons de praticité, je me limite à une petite expansion de ce que j'ai déjà collecté pour mon usage personnel, donc en région Île-de-France essentiellement. La sélection ne se limite pas à Paris ou, du moins, est faite après la lecture des programmes de la plupart des salles de la région – en musique en tout cas, puisque l'offre de théâtre est tellement incommensurable que je me limite à indiquer quelques-unes de mes marottes.

Je proposerai plus tard un retour sur les différents concerts vus en mai et non couverts par la dernière notule de bilan. C'est que je souhaite, comme déjà exposé, limiter le temps passé à la chronique du temps pour explorer plutôt les œuvres, comme fait récemment avec Alcione de Marais, le théâtre de marionnettes de Maeterlinck, les musiques de scène de Chausson ou le répertoire du triangle… Le temps d'écriture étant structurellement limité (ne serait-ce que par le temps passé à voir les spectacles, et à écouter les disques, à lire les partitions… et par tout le reste d'une vie), autant le faire porter sur des domaines où l'offre est moins abondante que le commentaire de spectacles.

En rouge figurent les concerts qui me paraissent particulièrement prometteurs – je n'irai pas nécessairement, mais je suis confiant sur l'intérêt des œuvres et/ou le résultat.





juin 2017
Ou bien, une autre possibilité d'activité en juin.
(Clairière française stéréotypique, presque caricaturale,
 trouvée à l'Est de Saint-Chéron –
pris le 13 mai dernier à 19h21, si vous êtes curieux.)






Baroque italien

☼ Madrigaux de Marenzio, Luzzaschi, Le Jeune, Monteverdi et Flecha pour le récital de fin d'études d'une chantre du CMBV (voix de dessus). Bibliothèque municipale de Versailles, le 21 à 19h.

☼ Vêpres de Monteverdi par Pichon le 11 à la Chapelle Royale de Versailles. En avant les couleurs !

☼ Concert de fin d'études d'un chantre du CMBV (haute-contre) dans des œuvres (rares) de Salomone Rossi et Louis Saladin. Hôtel des Menus-Plaisirs (Versailles), le 30 mai à 19h. Gratuit.





Baroque français

♥ Concert de fin d'études d'un chantre du CMBV (haute-contre) dans des œuvres (rares) de Salomone Rossi et Louis Saladin. Hôtel des Menus-Plaisirs (Versailles), le 30 mai à 19h. Gratuit.

Airs de cour Louis XIII par l'ensemble Correspondances : Constantin (l'un des compositeurs du Ballet de la Nuit), Boësset et Moulinié. Le 11 à 18h30, Maison de la Radio.

Airs de cour de Lambert et Charpentier par l'Yriade et son directeur musical Cyril Auvity. Opéra-Comique, le 16.

♥ Grands motets de Lalande à la Chapelle Royale les 30 et 31 mai. Pas les plus intéressants à mon sens, incluant notamment le fameux Te Deum, loin d'être son œuvre la plus rafinée comme le Confitebor ou surtout le miraculeux Jubilate Deo omnis Terra, enregistré une seule fois par Colléaux, jamais réédité ni réenregistré. Mais c'est le Poème Harmonique qui officie, et avec littéralement les meilleurs : Šašková, Negri, Auvity, Clayton, Morsch !

♥ Charpentier sacré aux Blancs-Manteaux le 1er : Messe des morts, Te Deum, Dixit Dominus, par le chœur amateur La Fontenelle, préparé toute l'année par l'excellent spécialiste Martin Robidoux. Seul obstacle : le prix, 20 à 25€ pour un chœur amateur (et des œuvres qui ne sont pas, hors du Dixit Dominus, si rares).

♥ Rattrapage possible pour Alcione de Marais, donnée à l'Opéra Royal de versailles le 9 et le 11.

♥ L'Ode de Fortune de Pancrace Royer par une basse-taille chantre du CMBV (récital de fin d'études) le 7 à 19h, à l'Hôtel de ville de Versailles. Gratuit.





XVIIIe siècle

Royer et Duphly, les aspects spectaculaires puis galants du clavecin du milieu du XVIIIe siècle par les élèves du Conservatoire du VIIe arrondissement, à l'Hôtel de Soubise, le 28.

□ Immanquable, la résurrection de la Phèdre de Lemoyne, l'un des grands succès de la période post-gluckiste, un compositeur dont on n'avait encore rien. Aux Bouffes-du-Nord, Julien Chauvin la remonte en version de chambre pour 4 chanteurs et 10 instruments. Sa dernière tentative dans ce genre, pour Atys de Piccinni (mais en plus seulement sous fortme d'extraits), était un enchantement. Du 8 au 11 juin, tarif unique de 30€.

□ Amandine Beyer et du pianoforte, dans Mozart et Dussek notamment. Seine Musicale, le 24 à 16h30.





Opéra romantique français

† La Princesse de Chypre d'Halévy le 7 au TCE (Gens, Niquet). L'œuvre (je l'ai jouée, il y a lontemps) n'est pas le plus grand Halévy, clairement, loin des fulgurantes, même ponctuelles, de La Juive ou de Charles VI (« jamais en France, jamais l'Anglais ne règnera »), mais les récitatifs sont fermement prosodiés et les ensembles nombreux. Ensuite, mélodiquement et harmoniquement, l'ensemble est un peu chiche : ça ne ressemble pas à du belcanto romantique, mais ce n'est pas forcément beaucoup plus complexe – les altérations, il faut les attendres. Comme l'action avance bien et que sa construction générale tend justement à exalter le naturel et le théâtre, ce devrait très bien fonctionner en salle.
J'y serai, mais je vends deux (bonnes) places au-dessous des prix du marché (25€ au lieu de 30).

† Airs d'opéra français par Brahim-Djelloul, Guèze, Sempey, pas forcément la fête vocale pour les deux derniers, mais une très belle sélection Rossini, Meyerbeer, Halévy, Thomas, Delibes, Chabrier, Reyer, Messager, Hahn, Saint-Saëns… Je bouillonne du détail de ce qu'on pourrait donner – même si je crains qu'une partie soit confisquée par des airs virtuoses plutôt que par des trios, surtout considérant l'intitulé diva et la conception co-confiée à Brahim-Djelloul (les autres étant décrits comme des compléments)… Accompagnement par Pasdeloup, le 11 à 16h30.
[Oh, mais je vois que Julien Dran remplace Sébastien Guèze, excellente nouvelle, même si je me demande ce qu'on pourra en entendre au fond de la Philharmonie – enfin, vu que les derniers « réglages » rendent les voix immenses, peut-être pas.]

† Récital d'opéra français pas trop fréquent (Chabrier notamment) par Arquez et Bou à l'Opéra-Comique, accompagnement au piano. Devrait être très intense par ceux-là.

Le Timbre d'argent de Saint-Saëns, que je n'ai jamais écouté ni lu (mais les opéras de Saint-Saëns sont tous excellents). Je l'ai déjà dit, j'attends beaucoup Frédégonde, qui a l'air très beau à la lecture, d'une richesse plutôt comparable aux Barbares, mais Agnès Terrier nous le survend comme l'un des meilleurs livrets de tous les temps, et comme une œuvre d'une densité musicale particulière, alors je tâche de ne pas trop lâcher la bride à mon exaltation et me contenterai d'être au rendez-vous la bave aux lèvres.





Musique de chambre romantique et postromantique

→ Les grands standards de la guitare : Weiss (transcrit, mais comme le luth s'écrit aussi en tierces et quartes, les doigtés demeurent comparables), Giuliani (dont la naïveté gracieuse ne manque pas de séduction), Albéniz, Piazzolla, Hôtel de Soubise le 17.

Le violoncelle français du XIXe siècle au château d'Écouen le 10. Franchomme & friends, je suppose, je n'ai pas encore le programme, mais c'est manifestement dans une perspective un peu érudite, par des musiciens du CNSM, ce devrait être intéressant. Gratuit sur réservation.

→ Festival Bru Zane de musique de chambre aux Bouffes du Nord. Très appétissant, mais cher pour de la musique de chambre (25€, c'est plutôt de l'entrée de gamme pour de l'opéra dans les grandes maisons), alors que l'offre est déjà riche dans la capitale, donc je ne recommande qu'avec mesure, même si les interprètes sont remarquables. Quintette de La Tombelle le 12, Trio de Gouy par le Trio Sōra le 15, récital Gens-Manoff le 16…
[Le Trio Sōra joue un quatuor de Gouvy, puis se mêle à d'autres musiciens pour des œuvres (un peu) moins rares : Lekeu, Chanson perpétuelle de Chausson. Dans le cadre du festival Bru Zane aux Bouffes du Nord – toujours le même problème du tarif élevé concernant les standards de la musique de chambre à Paris, mais ce sera magnifique.]

Variations de Bizet (impressionnantes), Appassionato de Saint-Saëns, Rhapsodies de Brahms et Prélude, Choral & Fugue de Franck par Oppitz salle Turenne le 16. Décidément, après Rzewski plus tôt dans la saison, le lieu de la virtuosité alternative au piano.

→ Quintettes de Brahms et Castillon au Musée d'Orsay le 13 à 12h30. Avec Heisser et le Quatuor Cambini Paris (sur instruments anciens, Julien Chauvin premier violon).

Quatuors de Beethoven (n°7) et Debussy par le Quatuor Akilone. Hôtel de Soubise, le 24.

→ Lucas Debargue, un des jeunes pianistes très intéressants même dans les répertoires rebattus, à la fois virtuose, exécutant très structuré et doté d'une réelle personnalité musicale, joue un programme Schubert-Szymanowski à l'église d'Auvers-sur-Oise, le 29 à 21h.

→ Concert de quatuor au musée Moreau (le 13) : Beethoven 10 et Bartók 5 – mais par des membres de l'Orchestre de Paris, c'est-à-dire avec une habitude (et un nombre de répétitions surtout !) moindre que chez les ensembles constitués, même de faible renom (j'avais été frustré par leur Schumann-Kurtág, mais ce reste valable pour la plupart des quatuors d'orchestre).





Lieder et mélodies

♪ Programme soprano-guitare avec Julia Jérosme à L'Isle-Adam (21h) le 22. Paganini, Giuliani, Mertz, Tarrega. (20€.)

Wagner (Wesendonck), Brahms, Gounod, Duparc, Chausson (Chanson perpétuelle), par Deshayes et Cassard salle Turenne, le 9.

Lieder de Weigl (un bon symphoniste post-romantique, assez spectaculaire) à la Maison de la Radio le 10 à 16h. Couplage (pour remplir, mais pas aussi utile), avec la Nuit transfigurée (celle de Schönberg, hélas).

♪ Pour ceux qui se se le demandaient, le programme d'Anja Harteros a enfin paru : Schubert, R. Strauss, Berg, pas que des scies au demeurant, mais mon pari insensé « comme son public est captif, elle va oser la confrontation Pfitzner / Schreker » était… un pari insensé. Je revends ma place, bien sûr. Ça partira très vite, faites vite signe si vous êtes intéressé.

Hölderlin-Fragmente et Winter Words de Britten par le duo Bostridge-Drake (qui jouera auparavant la première moitié du Winterreise, au musée d'Orsay le 1er. Probablement complet, mais ce devrait être bien dans ce petit espace.

Fabien Hyon propose une fois de plus un programme original et ambitieux. Au Petit-Palais à 12h30, le 15. Ohana, Falla, Turina, Granados, Canteloube, et les cocasses (pas musicalement…) Hermit Songs de Britten.

♪ L'inaltérable Françoise Masset dans un programme avec guitare à la Maison du Danemark le 14 à 19h.





Musiques chorales

♫ L'étrange cantate de Niels Gade autour d'Ossian est jouée par Laurence Équilbey avec l'Orchestre de l'Opéra de Rouen. On peut prévoir une exécution qui n'est pas la plus vive pour une œuvre qui n'est pas la plus saillante, mais le fait même de le donner attise immanquablement la curiosité – d'autant qu'un commentateur de céans affirmait, plus tôt dans la saison, que ce n'était pas si mal.

♫ La Maîtrise de Radio-France chante Britten et Cui (et Lauridsen en français le 20 à 19h à Bondy. Gratuit.

♫ Le formidable Chœur de l'Orchestre de Paris donne un programme pour la Fête de la musique le 21. Et tout l'après-midi se succèderont, dans la cour de l'Hôtel de Soubise, des concerts gratuits de formats très divers.





Autres spectacles bizarres


Concert du Prix de direction du CNSM à la Cité de la musique le 22 (programme peu original, je ne l'ai pas relevé). Gratuit.

« Symphonie en si mineur », reconstitution de fragments de Debussy par Colin Matthews (également orchestrateur des Préludes, me semble-t-il), à la Maison de la Radio le 16. Je préviens, ce n'est pas très bon : ça ne ressemble pas à du Debussy (même pas vraiment à celui de L'Enfant prodigue et du Gladiateur) et ce n'est pas de la grande musique. C'est surtout le plaisir de voir écrit sur le poème « symphonie de Debussy », ce qui m'amuse tout autant que les programmateurs, manifestement.

Un concert-installation soviétique au Centquatre, le 8.

Dracula de Pierre Henry à l'Athénée, les 2 et 3 juin. Je n'arrive pas à trouver d'informations précises sur l'œuvre : je me doute bien que ce ne doit pas être un arrangement servile de l'intrigue de Stoker, mais il doit y avoir Déserts de Varèse dedans (partie orchestre ou partie bande ? – la première est un bijou, la seconde… a vieilli), et aussi la présence du Balcon, ensemble instrumental spécialiste. Quelle est donc la part d'Henry ?  Le concept d'ensemble ?  Narratif, atmosphérique ?  J'aimerais bien pouvoir déterminer si c'est plutôt une économie générale façon Lighthouse ou façon Ismène.

Une création de Czernowin (enfin, déjà jouée aux Pays-Bas, me semble-t-il, et coproduite avec la Philharmonie) le 14 à la Cité de la Musique, mais de ce que j'ai entendu de sa musique vocale, c'est touffu, moche, sans ligne directrice perceptible et assez vain… mais d'autres aiment beaucoup.
En tout cas, ce n'est pas du contemporain qui trace le lien avec l'ancien monde, la tonalité, les pôles, plutôt du contemporain-bricoleur (s'il y a des amateurs, ça se rapprocherait plus d'une esthétique du genre des Nègres de Levinas, je dirais). Je m'étais promis d'écouter l'œuvre avant de dire des généralités négatives sur la compositrice (qui m'a tellement déplu que je l'ai peu écoutée, et peux donc me tromper lourdement à son sujet), mais on est en juin dès le milieu de la semaine et il faut bien que je publie l'agenda, alors je me limite à la transmission de mon sentiment – disons que j'ai pris la peine d'écouter sa musique, et que c'est toujours une première indication sur sa situation stylistique…

Diva de Rufus Wainwright – plutôt célèbre pour ses chansons, notamment sa reprise du Hallelujah de Leonard Cohen (dont il est le quasi-gendre, bref) dans une version de type ballade, alla Buckley. Une cantate pour chanteuse lyrique, censée être amusante, bien faite – consonante, certes, mais sans naïveté, il y a un réel métier derrière. Je l'ai écoutée (sans avoir le texte) lorsque le disque est sorti, ce n'est pas mal, si je n'avais pas plusieurs autres concerts plus urgents le même jour, j'y serais allé. Le 10 à la Philharmonie.

En théâtre, une Médée en néerlandais d'après Euripide qui se finit le 11. Je n'ai pas noté où. [Mais les relectures d'antiques m'effraient un peu, je ne crois toujours pas en avoir vu une bonne… entre les demi-teintes (Iphigénie en Tauride de Goethe) et les francs naufrages (Amphytrion de Kleist) des auteurs eux-mêmes, et toutes les errances possibles dans leurs réalisations (ces dernières années, Les Oiseaux à la Comédie-Française, ou Antigone en grec moderne à l'UNESCO), je suis devenu méfiant.





Les commentaires d'étape sur les spectacles déjà vus viendront ensuite : cette notule est garantie 100% préjugée, purement supputative.

jeudi 4 août 2016

Diagonale : la Marseillaise, Damase, Eugène Sue et l'Eurovision


A. Jean-Michel Damase à la Fête Nationale

Nous sommes le 14 juillet. Comme chaque année, je réécoute mon hymne national fétiche, la marche des Trois Couleurs de Jean-Michel Damase, tirée de son opérette (« feuilleton musical en deux actes ») Eugène le mystérieux (1963 ; création 1964). Les autres années, j'avais proposé la Marseillaise en hongrois (2011), m'étais interrogé sur les usages de l'hymne national en concert (2012), ou sur la semi-honte qui entoure la Marseillaise (2015).

Et donc, comme à chaque fois, je me pose des questions. En réécoutant le reste de la pièce, je m'interroge encore sur cette petite soprane qui a décidément une technique très différentes des voix d'opéra qui l'entourent. On l'entend très bien : le larynx haut, les voyelles ouvertes, à l'occasion un peu de souffle entre les cordes ; par ailleurs, si le timbre est éclairci et enfantin au maximum, elle chante plutôt en voix de poitrine (la voix de tête est réservée aux aigus, contrairement à la tradition lyrique)… un style (l'expression prime sur le legato) et une technique qui évoquent davantage l'univers de la chanson. Sans doute moins sonore que ses compères, elle est aussi manifestement captée de plus près.

[[]]
(Ariette des fleurs.)

[[]]
(Quatuor de la mauvaise éducation – avec Michel Cadiou en Rodolphe et Dominique Tirmont en Chourineur.)

[[]]
(Ariette de la déveine.)

Elle chante ici Fleur-de-Marie, héroïne des Mystères de Paris d'Eugène Sue, la source de cette opérette : air de présentation, trio de l'éducation, air de la malchance. Il est assez amusant que le texte de Marcel Achard (le librettiste), tout en refusant l'onomastique proposée par Sue, prenne autant la peine d'insister sur le fait qu'elle n'est qu'une petite fleuriste tandis que les autres filles vendent leur petite fleur, puisque c'est insister précisément sur ce qu'est, à l'origine, Fleur-de-Marie :

Par une anomalie étrange, les traits de la Goualeuse offrent un de ces types angéliques et candides qui conservent leur idéalité même au milieu de la dépravation, comme si la créature était impuissante à effacer par ses vices la noble empreinte que Dieu a mise au front de quelques êtres privilégiés.

La Goualeuse avait seize ans et demi.

[...]

La Goualeuse avait reçu un autre surnom, dû sans doute à la candeur virginale de ses traits… On l’appelait encore Fleur-de-Marie, mots qui en argot signifient la Vierge.

Pourrons-nous faire comprendre au lecteur notre singulière impression, lorsqu’au milieu de ce vocabulaire infâme, où les mots qui signifient le vol, le sang, le meurtre, sont encore plus hideux et plus effrayants que les hideuses et effrayantes choses qu’ils expriment, lorsque nous avons, disons-nous, surpris cette métaphore d’une poésie si douce, si tendrement pieuse : Fleur-de-Marie ?

[...]

— j’ai rencontré l’ogresse et une des vieilles qui étaient toujours après moi depuis ma sortie de prison… Je ne savais plus comment vivre… Elles m’ont emmenée… elles m’ont fait boire de l’eau-de-vie… Et voilà…

[...]

— Les habits que je porte appartiennent à l’ogresse ; je lui dois pour mon garni et pour ma nourriture… je ne puis bouger d’ici… elle me ferait arrêter comme voleuse… Je lui appartiens… il faut que je m’acquitte…
[Chapitre IV des Mystères de Paris de Sue.]

Même sans interpréter l'allusion aussi hardiment que je le suggère (néanmoins assez logique devant le récit croissant de ses malheurs, après avoir raconté le soulagement de la prison ou comment, enfant, on lui arrache une dent pour la vendre), on voit bien que Fleur-de-Marie n'est pas du genre à se poser en parangon moral, fût-elle irréprochable. L'opérette reprend le motif mais en le renversant, pour en faire un motif d'édification dans les familles, sans le même processus de réhabilitation que dans le [long] roman.

Pour plus ample balade, plusieurs notules ont été consacrées au roman (Sue & Dumas, mutations urbanistiques, style) ou à l'opéra comique (nomenclature de l'humour musical, Woyzeck le Chourineur, Fête Nationale).



Mais qui était-elle, cette soprane, pour qu'on lui confie ainsi un rôle dans du répertoire lyrique aux côtés d'un ténor institutionnel de la Radio comme Michel Cadiou – et titulaire de grands rôles sur les scènes prestigieuses ?  Sans doute une petit gloire du temps, me suis-je dit. D'autant que le rôle, qui utilise son vocabulaire propre, semble confectionné sur mesure pour une chanteuse de ton plus populaire.



B. Jacqueline Boyer à l'Eurovision

Vous serez peut-être effrayés en découvrant que lorsque je lus Jacqueline Boyer, ma réaction fut d'aller consulter mon imam Google, et de découvrir le pot aux roses. Pour commencer, c'est la fille de Jacques Pills, vieille gloire de la chansons française, plus tard mari d'Édith Piaf, et de Lucienne Boyer, dont la voix et le visage n'ont peut-être plus la même notoriété, mais dont les grands titres sont toujours connus de tous (Parlez-moi d'amour, Que reste-t-il de nos amours, Mon cœur est un violon, Bonne nuit mon amour mon amant). Elle raconte qu'elle fait ses débuts comme chanteuse à quinze ans, en partageant la scène avec Marlene Dietrich. Bref, plutôt préparée.

Et si bien que, un an seulement après que son propre père a fini dernier à l'Eurovision (sélection pourtant pour partie calamiteuse cette année-là), à l'âge de dix-huit ans, elle remporte la compétition de 1960 avec ceci :

[[]]

Assez irrésistible illustration du goût français, cette petite chanson en trois strophes est bâtie au cordeau. Un petit récit (de Pierre Cour) sur un personnage doté d'un nom pittoresque, organisé autour de chiffres (2 châteaux / 2 secrets / 1 défaut), avec un refrain varié, de petites surprises (« n'a qu'un défaut : [...] il est charmant, il a bon cœur, il est plein de vaillance ») et la pirouette finale qui dément tout ce qui a été précédemment dit.
Le balancement musical, très simple, est assez irrésistible, avec son alternance de couplets badins piqués et de refrain varié plus lyrique. Pour maintenir la tension, chaque nouveau couplet est élevé d'un demi-ton. L'orchestration (est-elle aussi due à André Popp ?) varie considérablement et multiplie les couleurs, les atmosphères, les contrechants de façon assez raffinée (on sent que le gars a étudié son Richard Strauss, et qu'il aurait pu être un camarade de Damase sur les bancs du Conservatoire).

Mélodie simple et prégnante, historiette amusante, et tout cela servi avec beaucoup de malice par Jacqueline Boyer : la façon dont l'aigu se décroche soudain en voix de tête pour la note la plus aiguë du refrain, ou les sourires qui passent dans la voix, les petits gestes qui colorent les sous-entendus, font de l'ensemble un petit bijou fragile délicat, assez addictif.

Comment en à peine vingt ans, est-on passé de ce type de ballade en version de concert accompagné par un orchestre symphonique aux rengaines chorégraphiées sur des boîtes à rythme ?  Parce que L'Oiseau et l'Enfant, qui remporte la palme en 1977, se situe quelque part entre du sous-Joan Baez et du sous-sous-André Popp, la kitschouillerie en sus ; et on est loin de ce qui a été produit de pire dans ce concours pendant les décennies suivantes.



C. Chanter en langues


En cette année 1960, on joue des chansons à l'ancienne, accompagnées par des orchestrations ambitieuses (avec, au besoin, des éléments jazz) ;  sans vouloir jouer de l'absurde hiérarchie, la densité musicale me semble beaucoup plus ambitieuse que dans les éditions récentes où le soin est d'abord porté sur le grain du son et sur la chorégraphie.

Par ailleurs, autre contrainte, l'usage d'une des langues officielles du pays concourant. Pour une émission qui se veut une célébration de l'esprit européen, entendre défiler toutes ces couleurs locales a quelque chose de particulièrement fascinant et émouvant. Le principe a beaucoup varié au fil des périodes, et restait respecté par tous, quoique implicite, dans les premières éditions, de 1956 à 1965.

Par qui le scandale est-il arrivé ?  Par un chanteur d'opéra, forcément.

En 1965, Ingvar Wixell, le grand verdien (Rigoletto et Amonasro restés des références absolues pour tous ceux qui aiment les voix claires, les timbres morbidi-moelleux et les émissions mixées-mixtes), y chantait avec sa technique d'opéra un chanson en anglais, pour le compte de sa Suède natale. La technique de chant lyrique était habituelle, beaucoup de chanteurs à la mode d'alors y recouraient, on l'entend très bien chez les concurrents de ces années – surtout chez les hommes (les femmes chantent en général la chanson en mécanisme de poitrine, alors que la voix de tête est utilisée par défaut dans le lyrique). Son usage n'est pas identique à celui fait à l'opéra, bien sûr (les tessitures sont plus courtes et basses, pour commencer), mais les fondements techniques sont très proches. Pour prendre deux exemples emblématiques :

[[]]

Dennis Morgan est un ténor évident, parfois qualifié comme tel par les biographes, et doté d'une émission très solide, avec une homogénéité parfaite et un passage totalement domestiqué, tout à fait inaudible, comme chez les plus grands.


[[]]
Mais quelle est donc cette pianiste qui chante si bien ?

Même dans le cas de Bill Crosby (qui, favorisant son grave, serait moins audible avec orchestre et sans amplification), on entend très bien la recherche d'auto-amplification et le goût du fondu, caractéristiques de la technique lyrique – même si, évidemment, il développe aussi d'autres caractéristiques, en privilégiant la qualité du timbre sur la puissance, étant amplifié.

Même chez Lucienne Boyer, la glorieuse mère de Jacqueline, on entend très bien cette charpente particulière, commune aux deux univers.

De fait, à l'écoute, Ingvar Wixell ne frappe pas particulièrement par sa singularité vocale par rapport aux concurrents. En revanche, il y eut force débat autour du dévoiement de l'esprit du concours, la Suède ayant présenté une chanson anglophone, Absent Friends.

[[]]

Dès l'année suivante, le règlement devint explicite : seules les langues officielles du pays concerné sont autorisées. Mais il y eut beaucoup d'atermoiements et de repentirs dans cette longue histoire : en 1973, on rend possible le choix de la langue, jusqu'à ce qu'en 1976, un tiers de chansons soient exécutées en anglais. Je me figure bien que ça favorisait, l'anglais étant familier de tous, les potentialités de victoire – rendant d'une certaine façon la compétition plus juste. Mais la tendance était telle que le retour à la langue officielle fut décidé pour 1977. Jusqu'en 1999, qui ouvre notre ère décadente où il est quasiment suicidaire de ne pas proposer de chanson en anglais : les langues sont à nouveau en libre choix. 
Donc beaucoup d'allers et retours, on voit bien pourquoi : les langues rares, même si les jurys ont des traductions sous les yeux (les ont-ils seulement ?) sont un handicap pour transmettre une émotion de même qualité que les langues les pratiquées ; mais dans le même temps, autoriser le choix de la langue, c'est précisément faire de l'Eurovision une banale compétition de chanson, qui n'a plus rien du charme d'un parcours à travers différentes cultures. La musique du concours n'a jamais été très variée, chaque période reproduisant d'assez près les modes, mais la langue pouvait au moins introduire une forme de couleur locale, une incitation à utiliser des références patrimoniales dans la forme générale, le thème du texte ou même simplement les couleurs modales ou instrumentales…

Pour mémoire, en 1965, c'est France Gall qui remporte la victoire pour le Luxembourg avec un grand succès débattu (car olé-olé), Poupée de cire, poupée de son, dû à Gainsbourg. Sur la vidéo d'origine, on l'entend très nettement se reposer sur l'originalité du texte et la modernité de la musique (le grand orchestre imitant les sons de danses à la mode) : elle remporte la victoire avec une voix toute grêle… et une intonation particulièrement approximative !  Le candidat italien de 59 chantait certes bien plus mal, mais pas aussi faux !
Tout l'inverse de Wixell : technique conçue pour les micros, cherchant la proximité ou l'effet, et pas du tout la projection dans une salle – au contraire, le naturel est mis en avant, et ces défaillances techniques sont assumées, avec leur effet d'émission enfantine, qui concourt au caractère troublant de la pièce.

[[]]


Je me suis beaucoup demandé qui étaient les orchestrateurs de toutes ces chansons : je ne suis pas persuadé que les spécialistes de la chanson, comme Popp ou Gainsbourg, aient ce degré de maîtrise de l'exercice (dans cette version de Tom Pillibi, en entend passer les astuces de beaucoup de grands maîtres…). Et même plus largement des arrangeurs, parce que les contrechants ne sont pas nécessairement prévus non plus. Mais ils ne sont pas crédités, et je suppose qu'il est de l'intérêt du système de ne pas les mettre en avant, pour exalter une figure reconnaissable. Déjà qu'on nomme les chansons par leur interprète, comme s'ils les avaient écrites (pas totalement illégitimement au demeurant : dans la chanson, ce peut être l'interprète qui apporte la touche décisive rendant une musique ou un texte mémorables).

Je projette de poursuivre mon exploration du patrimoine eurovu, je suis très curieux de sentir le moment de bascule (il y a déjà quelque chose, dans cette cohabitation baroque de 1965…) vers les accompagnements amplifiés et les musiques électroniques, vers le goût pour la chorégraphie et le spectacle qui oblitère l'importance de la chanson elle-même.
… et de découvrir de nouvelles pépites.

Pour le peu que j'aie pu en juger (c'est en réalité la première fois que je regarde le concours, au delà des quelques extraits qui font surface chaque année…), c'est un observatoire assez formidable des modes musicales, vocales et capillaires que j'entends débroussailler un peu.



D. Tom Pillibi après l'Eurovision

Tom Pillibi est un très grand succès. L'album (assez peu intéressant par ailleurs, trouvé-je) s'écoule généreusement (on peut l'écouter là), mais reste dans une veine très commune, vaguement teintée de jazz très blanchi, avec des textes parfaitement transparents ; et même vocalement et expressivement, on n'entend pas le même frémissement que lors de sa première exécution à l'Eurovision (elle le rechante après sa victoire, et c'est légèrement moins bien). Les aigus, en particulier, sont un peu durcis, alors qu'elle ose le passage en voix de tête sur scène ; et puis il manque les sourires dans la voix et les petits gestes qui parachèvent le tout.

La même année, Tohama reprend la chanson en belge, avec accompagnement de saxophones (qui réutilisent largement les contrechants d'origine) et sur un beat de fox-trot. Un quatrième couplet – placé en deuxième position –, à propos d'oiseaux fantaisistes, est ajouté par rapport aux versions de Jacqueline Boyer (a-t-il été écrit par Pierre Cour dès l'origine ?  commandé pour l'occasion ?  rédigé par un autre ?).


C'est sans doute la reprise la plus réussie de la chanson, qui malgré les changements (et le tempo rapide qui ne laisse pas aussi bien le temps de conter la ballade) en conserve grandement l'espièglerie.

S'ensuivent d'innombrables reprises

Les Riff pour chœur, avec des harmonies jazz (accords enrichis), où la narration cède le pas à la musique, mais avec beaucoup de saveur ;

Les Scarlet, pour petit chœur, beaucoup plus constamment sur le temps, et avec un ossia aigu, qui fait perdre du caractère mais permet de réduire la tessiture (à peine plus d'une octave au lieu d'une octave et demie) ;
Yvette Giraud, une voix très grave, presque un ténor, avec alternance de chœurs ;
dans un esprit plus exotique, Claudine Cereda, avec rythmes nonchalants et percussions des îles. Deux couplets seulement, le premier et le dernier.



Aujourd'hui encore, il s'agit, à défaut d'un tube intersidéral connu de tous, d'un standard régulièrement repris par les amateurs de chanson française traditionnelle. Témoin ce petit bouquet informel :

● concert donné en Slovénie dans la langue et l'accompagnement d'origine, par le Gimnazija Kranj Orchestra (soirée thématique de chansons parisiennes) ;
● avec guitare folk et piano par Laetitia [[vidéo]] ;

● avec accompagnement de synthétiseur (reprenant largement l'orchestration d'origine), par Fabienne Thibeault ;
● avec une réalisation de synthétiseur plus soignée (existe-t-il des disques d'accompagnement qui l'incluent ?), par Julie Rodriguez, en 2008 ;
● le même accompagnement, cette fois par Les Chanterels (solo avec petit chœur d'accompagnement) ;
● le visuel permet de mesurer la nature des représentations, vraiment des spectacles populaires, de petits groupes de chant amateurs, qui témoignent de la rémanence de la chanson dans le le fonds commun (Cercle Orbey, avec boîte à rythme et synthé sur le vif), ici avec le couplet supplémentaire introduit chez Tohama ;

● plus raffinée, une belle version pour chœur a cappella par l'ensemble La Villanelle.





Il en existe aussi de très nombreux arrangements dans tous les styles et pour tous les formats d'orchestre, chez les orchestres de divetissement. Liste très loin de l'exhaustivité :

♫ avec sifflets (et contrechant de cor !), vibraphone, glockenspiel, cordes lyriques… le grand jeu par l'orchestre de Franck Pourcel, qui reprend largement l'orchestration d'origine (contrechants de violons lyriques, la marche du deuxième couplet…) ;
♫ doublure de xylophone, vibraphone et de pizzicati par Paul Bonneau et son orchestre ;
♫ avec guitare électrique, saxophone et orchestre, très déhanché, par Gerry Mills et son orchestre ;
♫ avec Jacky Noguez (accordéon) et son orchestre ;

♫ plus franchouillardisant encore, mais avec une touche de Donizetti en sus, Jo La-Ré-Do (accordéon) et son orchestre, glissandi et diminutions attendues, et dialogues avec piano et saxo ténor !



et des versions solo :

♫ sur un orgue de barbarie de belle facture (il y avait donc des cartes poinçonnées pour ce tube !) ;
♫ à l'accordéon ;

♫ et bien sûr, au piano.



L'attrait est tel, qu'à la suite de la victoire de l'Eurovision, la chanson est traduite et enregistrée en mainte langue européenne.

♣ En néerlandais (la chanson atteint le 14e rang sur 100 dans les classements du pays, en 1960), gravée par une autre voix enfantine, Willeke Alberti.
♦ En 1994, à un âge plus mûr que les participants habituels, elle représente son pays à l'Eurovision avec Waard is de zon (« Où est le soleil ? »), une jolie ballade pas très originale, à l'exception de la métaphore stellaire (qui ne rebat pas non plus exactement les cartes de la poésie intersidérale) – et y termine 23e sur 25. Au demeurant, la chanson qui remporte le concours, Rock 'n' roll kids (par les émissaires irlandais Harrington & McGettigan), pour piano, guitare acoustique et deux voix, est aussi une ballade (mais clairement typée folk – et autrement plus prégnante).
♦ Vous remarquerez le petit changement mélodique du deuxième couplet, et bien sûr l'usage malicieux du présentatif français « Voilà Kleinzach Tom Pillibi ! ».

♣ En danois, chantée par Raquel Rastenni,
♦ autre participante, à la compétition de 1958, où elle propose Jeg rev et blad ud af min dagbog (« J'ai déchiré une page de mon journal »), dans lequel elle incarne un alter ego d'Elle de la Voix Humaine : une serpillère qui se repend de sa jalousie et conjure son homme de lui pardonner. Musicalement mignon, parfaitement dans le goût du temps, avec son tapis de cordes au portamento systématique et généreux. Elle obtient la 8e place sur 10. Cette année-là, André Claveau remporte la victoire pour la France avec l'autre tube parfaitement d'époque Dors, mon amour (autrement poignant, il est vrai), habilement adaptable à un enfant (il s'agit manifestement plutôt d'une amante, mais le texte se prête presque totalement à la berceuse).
♦ La traduction danoise, pour autant que j'en puisse juger (je ne dispose pas de la transcription, et considérant l'écart graphie-phonie dans cette langue-là, je ne veux pas donner de fausses garanties) reste proche de l'original de Pierre Cour, quoique utilisant le deuxième couplet comme chez Tohama. On insiste peut-être un rien plus sur la dimension séduisante de Tom Pillibi, mais l'essentiel de l'intérêt demeure porté à la chimère. 

♣ Également interprétée en Espagne (où la chanson fut première au cours de l'année 1960 – en quelle langue ? –, alors qu'elle n'était que 2e en France et 4e en Belgique), et même en espagnol, dont voici une interprétation (non officielle), par Juan Aznar.
♦ La traduction reste très proche de l'original français. C'est essentiellement l'entrée en matière qui diffère, présentant Tom Pillibi de façon plus solennelle et biographique (« Tom Pillibi est parvenu à l'état d'homme puissant »), tout le reste étant très proche de l'esprit comme de la lettre.

♣ En allemand, la chanson est portée par Jacqueline Boyer elle-même ; la chanson n'atteint jamais que la 21e place dans les classements, mais le succès est suffisant pour que Boyer fasse une bonne partie de sa carrière en Allemagne, où elle rechante régulièrement Tom Pillibi jusqu'à un stade avancé de sa carrière.
♦ La traduction marque néanmoins une inflexion : le refrain évoque immédiatement le motif de l'imagination (« Denn er hat Phantasie, unser Tom Pillibi »), les couplets, tout en conservant la même structure, insistent progressivement sur sa qualité de séducteur. Le deuxième couplet le nomme ainsi « der Frauenheld » (« le héros de ces dames »), ce qui n'était qu'implicite dans la version française, où l'on pouvait se figurer qu'il était admiré presque malgré lui [encore Damase !] – Frauenheld désigne déjà une typologie.
Le dernier couplet est encore plus explicite, puisque, au lieu d'annoncer ce seul défaut (avec la liste contradictoire de qualités), il est essentiellement consacré à son talent de séducteur (« ist sehr charmant », « ist als Galant allen im Land bekannt » – « connu comme un galant dans tout le pays »), et ne dévoile le caractère d'affabulateur, déjà largement introduit par le refrain, qu'à la fin du quatrain.
L'ami qui raconte cela n'est pas nécessairement une femme ni une amante, surtout considérant la complaisance avec laquelle ses exploits sont rapportés (dès le début, la chanson avait été prévue pour Marcel Amont, donc les questions de vraisemblance sexuelle, comme pour le lied, ne constituent pas un obstacle).
♦ D'une manière générale, cette traduction-adaptation tire Pillibi vers le mauvais sujet : on raconte le portrait d'un garçon haut en couleurs, le séducteur et gentil fanfaron du canton, et on ne voit plus forcément la nécessité de raconter cette histoire (privée de la chute initiale).

♦ Je dispose aussi d'une autre version, par un homme, avec accordéon, petit ensemble et même quelque voix. (Tony Westen, Golgowsky-Quartett, Orchester Will Glahé).

♣ En anglais, chantée par Jacqueline Boyer (avec un beau naturel !) au Royaume-Uni (33e selon le UK Singles Chart de 1960) et plus célèbre dans sa reprise par Julie Andrews.
♦ Dans la traduction, il existe quatre couplets : Boyer en chante trois, Andrews deux, dont le premier en commun.
♦♦ Dans les couplets de Boyer, le décor change beaucoup : d'emblée, c'est une amante qui parle, et il est tout de suite question du potentiel de séduction de Tom Pillibi, nullement de ses occupations. Plus rien de fantasmagorique, le conte, le récit merveilleux ont disparu. Chaque quatrain, assez redondant, explore la même idée : il s'avère que ce garçon timide cache en réalité quelqu'un de plus rompu à l'art de la séduction. Et s'il ment (révélé dès le deuxième couplet, ce n'est plus une chute), c'est par fausse modestie, ou peut-être par stratégie.
♦♦ Dans le second couplet d'Andrews, on nous décrit même un maître de la manipulation des jeunes filles, feignant de demander la permission pour ce qu'il obtient d'emblée…
♦♦ En outre, dans les deux cas il est question de « sortir avec » Tom Pillibi, donc l'univers n'est plus du tout intemporel, voire médiévalisant (les vaisseaux, la fille du roi…), mais très ancré dans le quotidien du milieu du XXe siècle. Et plus encore, les temps utilisés (prétérit) suggèrent que l'histoire est finie, qu'il s'agit d'un souvenir d'expérience amoureuse légère, beaucoup plus du côté des contingences de la vie amoureuse réelle que de la petite fable française avec chute.
♦♦ La véritable chute se situe plutôt dans le refrain, qui joue avec l'expression traditionnelle « don't judge a book by its cover » (l'habit ne fait pas le moine) : So with a lover, as with a book / Don't trust the cover, or you might will be hooked (« Il en va des amants comme des livres / Ne vous fiez pas à la couverture, ne mordez pas à l'hameçon »). Pas tout à fait hilarant quand même. Beaucoup du charme d'origine est à mon avis laissé en chemin
Jacqueline Boyer s'adapte remarquablement à la langue, avec une diction traditionnelle (les « -ed » finaux sont pleinement articulés,comme pour des cantiques ou du Haendel !), et même de beaux [t] plus en arrière sur les alvéoles (le [tʰ] expiré typiquement britannique), très naturels. La voix reste au demeurant placée au même endroit qu'en français, avec la même couleur à la fois légère, franche et brillante. Très séduisant, je dois dire.

Julie Andrews adopte une posture un peu différente ; d'abord, l'accompagnement orchestral diffère (moins symphonique, plus musical theatre – et très rapide, une chansonnette qui termine en lalala plutôt qu'une ballade) ; ensuite, la voix elle-même est plus ronde et lisse, et même l'accent, malgré (et grâce à) ses origines parfaitement anglaises, est d'une certaine façon moins pur, s'américanisant délibérément (le traitement des « a » est flagrant). 

Si les traductions en langues « rares » se font assez près du texte d'origine, la version allemande infléchit la chanson du côté du (gentil) mauvais garçon, et la version anglaise, parfaitement infidèle au projet d'origine, en fait un récit de relation amoureuse – pas très éloigné, finalement, de toutes ces chansons américaines sur l'amour de vilains tatoués. C'est tirer Tom Pillibi vers Big Fat Lie – autre doudou personnel, mais pas exactement le même univers !



E. Tom Pillibi et Jacqueline Boyer

Après avoir remporté le concours, généreusement vendu l'album en Europe, enregistré une version anglaise et régulièrement chanté en allemand le titre, l'engouement s'est poursuivi, jusqu'à nos jours.

La voici par exemple en 1981 dans un festival de l'Østfold (Sud-Est de la Norvège).



Sa technique, très en bouche, moins lyrique que celle de sa mère, explique la petite tension ou déconnexion dans l'aigu dès les débuts, et peut-être aussi le déclin progressif de l'instrument, mais j'y entends surtout un changement d'époque, avec une émission, plus chaude, feulée, en phase avec l'évolution du goût de la chanson (qui n'est pas à mon gré, mais tout est possible avec l'amplification, il n'y a plus d'impératif technique, le reste est affaire de goût) – et il me semble aussi, ce qui doit être vérifiable, y déceler les effets du tabac (accolement imparfait des cordes due à une irritation chronique).
Quoi qu'il en soit, Jacqueline Boyer n'a jamais mal chanté, même dans les bandes les plus récentes où, à l'âge de 74 ans, elle fait valoir une voix certes ternie, mais en rien effondrée.



Ces deux exemples permettent de mesurer l'adaptation de la chanson, par l'artiste elle-même, à toutes les modes d'accompagnement, acceptant des transcriptions très simplifiées par rapport à l'orchestre symphonique de l'Eurovision. On sent bien que très vite, par rapport à la première soirée, une certaine routine s'installe, et que Boyer raconte moins qu'elle ne chante, mais il reste la place pour quelques variantes intéressantes, dont celle-ci, qui m'a un peu intrigué.
[Vous noterez au passage les syncopes systématiques pour faire sonner plus jazz – elles n'étaient que ponctuelles, et expressives, dansla version originale –, ainsi que l'accompagnement à l'avenant.]


C'est le plus proche, chronologiquement, de la création d'Eugène le Mystérieux, et cela s'entend : voix très étroite et franche, remarquablement calibrée pour la chanson, une espièglerie charmante. Avec la vidéo, je m'interroge précisément jusqu'où celle-ci peut aller : au moment de faire le geste d'entrain pour « il est plein de vaillance » (1'52), on la voit réprimer un sourire – croise-t-elle un regard ? est-elle amusée de la naïveté de la posture ?  ou bien perçoit-elle, l'espace d'un instant, un double sens (qui paraît en effet assez évident après « il est charmant, il a bon cœur », s'il n'était désarmé par ce geste badin), qui ne cadre pas avec le format de l'émission ?

Au demeurant, il s'agit d'une pièce difficile, il est rare que les chansons couvrent aussi une octave et demi, ce qui explique la transposition du la grave à l'octave supérieure (effet mélodique très commun, mais beaucoup plus chantable, en tout cas pour le public).



F. Rétroviseur et prémonitions

Quelle traversée, de la Fête Nationale à l'Eurovision des débuts, en passant par l'opérette et les transmutations d'un même titre… Il y avait de quoi, en continuant de dévider l'écheveau, s'amuser encore longtemps, mais je crois qu'il y a là matière à vous occuper pour quelques jours.

Si ce n'était pas le cas, vous pouvez toujours vous reporter aux autres séries de l'été de Carnets sur sol, en général (à partir de 2009 en tout cas) l'occasion d'explorer des pans de la culture populaire commune (découverte de l'eau chaude, ce peutêtre amusant) :

● 2005 : mini-série György Kurtág 0,0.75,1,2,3,4,5,6
● 2006 : le mythe de Médée (1,2,3,4) ;
● 2006 : panorama Takemitsu (biographie, économie, corpus discographique, discographie commentée, catalogue alphabétique, catalogue générique, catalogue chronologique personnel commenté, mode d'emploi)
● 2006 : théâtre chanté chinois
● 2009 : Le Moine de Lewis (le Juif errant et le Hollandais volant, adaptation d'Artaud)
● 2009 : Retour aux sources de Carmen : variantes depuis Mérimée (1,2,3,4)
● 2009 : Eugène Sue et Les Mystères de Paris : citations, citations et Damase, motivations du lecteur et Damase, le Chourineur et Woyzeck, l'hymne de Damase.
● 2009 : Vampires, de Byron à Dracula.
● 2010 : Washington Square adapté pour le théâtre (plutôt grand public) par les époux Goetz, à partir de quoi il est parti au cinéma (Wyler), mais aussi « retourné » à l'opéra (Ducreux-Damase).
● 2010 : Random Harvest, un best-seller britannique de 1941, très révélateur de l'évolution du style populaire.
● 2011 : Calamity Jane et son mythe (1).
● 2011 : Wicked, prequel réorientée du Magicien d'Oz (1,2). Je n'ai jamais parlé du roman de Maguire, parce qu'il est mauvais.
● 2012 :  Zorro et ses mythes (le roman surtout ; pas eu le temps de parler des mutations filmiques, après les avoir tous regardés tout de même, ni de parler de la formidable musique de William Lava pour la série Disney).
● 2012 : La Marquise d'O, Kleist et Rohmer.
● 2013 : Le grand roman sentimental féminin anglophone : Radcliffe, Austen (1), Brontë (1), Gaskell (1), G. Eliot, Wharton…
● 2013 : Ordalie Siegfried.
● 2014 : Pas grand'chose n'en a paru sur CSS. Plongée stakhanoviste dans les Meistersinger et Parsifal, partition au poing ; et puis pas mal de choses en fonctions d'onde / relativité / physique quantique / astrophysique, qui n'avaient pas forcément leur place ici non plus (sujets sur lesquels il y a déjà de la vulgarisation abondante, et par sensiblement plus qualifiés).
● 2015 : désolé, c'était plutôt ambiance balades.
● 2016 : Eurovision, donc. Une notule, mais beaucoup de défrichage. Quelques frayeurs et de très jolies choses, sans parler de la méditation sur l'évolution vocale, de Wixell à aujourd'hui…
● 2016 : Comics emblématiques redevenus à la mode. Là, non plus, c'est pas bon, mais la mutation des figures est intéressante, elle révèle des choses sur nous (de même, la mise à l'épreuve de mon incompréhension de l'attrait pour les superhéros). Mon éducation en la matière culminait (mais se limitait aussi largement) à Don Rosa. 

Bel été aux lecteurs fidèles et de passage ! 
aux autres aussi, je ne suis pas rancunier

jeudi 17 septembre 2015

[Carnet d'écoutes n°83] – Takemitsu pop, élections d'orchestres, 3e Scène, Invalides, Kaufmann & Puccini, Gerhaher & Mozart, Tino Rossi & Schubert…


Les travaux projetés se révélant plus gourmands que prévu (et le temps moins extensible aussi, malgré quelques reventes de places de concert), on se repaie la facilité d'un petit carnet d'écoutes.

--

1. CHAMBRISMES

--

Lekeu – intégrale pour quatuor à cordes (Timpani) / intégrale générale (Ricercar)

Il en existe deux, l'une par le Quatuor Camerata, l'autre par le Quatuor Debussy (légèrement plus complète sur le CD concerné). La seconde est particulièrement phénoménale, comme souvent – l'une des rares formations à faire autorité aussi bien dans les transcriptions improbables, comme la plus belle version de tous les temps du Requiem de Mozart (sans voix !), que dans le répertoire le plus rebattu, témoin leur Quatorzième de Schubert.

Je reviens inlassablement à cet album, paru chez Timpani. Il faut au moins écouter l'Adagio molto sempre cantate doloroso, une plainte d'une beauté insoutenable qui s'étend sur une dizaine de minute – encore plus impressionnant que son fameux Adagio pour quatuor d'orchestre.

À noter, Ricercar vient de publier en coffret l'intégrale Lekeu éditée au fil des ans (œuvres orchestrales par Bartholomée et le Philharmonique de Liège), dans d'excellentes interprétations en ce qui concerne la musique de chambre, et incluant jusqu'à Andromède, sa cantate saisissante (en réalité un opéra miniature dans le goût de d'Indy).

(La plupart de ces disques peuvent s'écouter sur Deezer, en principe.)

--

Takemitsu : Gita no tame no juni no uta, douze chansons pour guitare

L'Internationale, Summertime, Somewhere Over the Rainbow, Secret Love, Yesterday, Michelle… Des tubes arrangés pour guitare solo avec un soin polyphonique (et des tensions harmoniques) tout particulier, assez enivrant.

Très exigeant à la guitare, mais en revanche facile à jouer pour des pianistes modestes ! Laissez-vous tenter, c'est autre chose que les réductions indigentes habituelles.

--

2. GLOTTOLOGIES

--

Récital Puccini de Jonas Kaufmann (Sony)… et quelques propositions alternatives

J'avais adoré le récital vériste de Kaufmann-Pappano, farci de raretés, et portant à leur plus haut degré d'incandescence les grands tubes. La voix a beau être à l'opposé de mes canons, ce qu'il en fait, aussi bien plastiquement que musicalement et expressivement, est toujours à couper le souffle.

Et ici, pour la première fois depuis longtemps, je reste un peu sur ma faim. Pourtant, il ne réenregistre pas les grands airs déjà faits par ailleurs (et republiés par Universal, son ancienne maison, dans un récital synthétisé exprès pour attraper les amateurs), et laisse donc la place à des titres moins courus que « Che gelida manina » ou « E lucevan le stelle ». On y trouve même Edgar et la grande scène des Villi que j'ai moi-même mainte fois appelée de mes vœux pour les récitals et concerts !

Pourtant, je trouve l'essentiel du disque un rien terne, même Le Villi. Le premier air de Tosca (« E lucevan le stelle » a déjà dû être gravé) et La Fanciulla del West fonctionnent très bien en revanche, peut-être parce qu'on n'y attend pas la même italianité, la même lumière que dans La Bohème, Manon Lescaut ou La Rondine – qui paraissent plus monochromes, plus étouffés ; en vrai, on sentirait l'élan et l'intensité indéniables du chanteur, mais au disque, je finis par me laisser bercer de façon plus passive.
Le « Nessun dorma » final est électrisant, tout de même ; pas uniformément vocal comme souvent, une véritable progression où chaque note est pesée – où l'on n'attend pas gentiment les aigus, en somme. (comme remarqué dans de précédentes notules, il bidouille la partition comme les copains)

Néanmoins, je crois surtout que la grande raison tient dans mon amour modéré de Puccini, et plus encore que ses airs me cassent vite les pieds. Ce sont des fragments (encore plus sirupeux que le reste, même s'ils sont musicalement souverainement écrits), qui n'ont même pas de vie propre comme de vrais airs de récital, des bouts de machin qui ne sont déjà pas les meilleurs moments de l'opéra, mais qui ne prennent pas sens non plus tout seuls.

D'ailleurs, c'est nul les airs, il faudrait vraiment se décider à publier des récitals de récitatifs ! Un récital Verdi de soprano avec les parties d'Annina, Ines, Tebaldo, Emilia et Meg, ça aurait une sacrée allure. Un peu plus ambitieux, un récital Wagner avec « Wie ? Welchen Handel », « Friedmund darf ich nicht heißen » et « Ich hab' eine Mutter »… Oh, un récital Loge-Mime-David, voilà qui serait grand !

Et puis, bien sûr, des récitals de baryton avec des bouts de Hamlet (comme celui, magnifique, de Shovhus) et du Vampyr (« Meinst du ? », le grand récit de son sort). Les (rares) récitals de baroque français sont bien obligés de s'y plier, considérant le caractère très court des airs (du moins avant Rameau).

--

Christian Gerhaher, disque « Mozart Arias »

Accompagné (par le Freiburger Barockorchester) sur petit ensemble d'instruments anciens, dans un format chambriste inhabituel : ça crincrinne mais finement, j'aime beaucoup. Ça assume la dimension de récital en bonne compagnie, d'une certaine façon, plutôt que de jouer l'illusion du grand opéra.

Première chose qui frappe, ce n'est vraiment pas très italien (voix ronde plus que frontale, accent étrange, [r] roulés serrés très bavarois…) ; par ailleurs la voix est placée plus en arrière, couverte différemment par rapport au style italien. Néanmoins le résultat est totalement jubilatoire ; outre le petit orchestre, on bénéficie du style inimitable de Gerhaher, combinant sans cesse les rapports ouvert/couvert, voix pleine/voix mixte, résonance métallique/résonance « naturelle »… J'ai promis une notule à ce sujet, pour étudier les procédés en détail ; ce n'est pas pour tout de suite, mais cela viendra. Ce n'est pas seulement fascinant glottologiquement, c'est surtout d'une variété infinie, parcourue de détails très touchants.

Considérant sa bizarrerie, tout n'est certes pas une référence, mais son Figaro et son Guglielmo sont d'une saveur toute particulière. Recommandé !

Pour goûter Gerhaher à l'opéra dans toute sa gloire, vous pouvez écouter le Tannhäuser de Janowski ou son récital d'airs romantiques allemands avec Harding (où il grave Froila et Lysiart pour l'éternité). En voilà un qui aurait pu faire le grand récitatif du Vampyr avec brio !

--

Christian Franz aujourd'hui

Je viens de me rendre compte (merci J.) qu'il avait chanté cette année (à Budapest) à la fois Loge et Siegfried !

Et pourtant, il enchaîne ses Siegfried depuis au moins quinze ans ; je l'ai entendu pour la première fois dans une retransmission de Bayreuth, en 2000… probablement pas une prise de rôle, donc ; il l'a même enregistré deux fois (avec Paternostro, puis Young), et la voix ne semble pas bouger. À part Windgassen, on n'a pas eu beaucoup de cas de ce genre depuis 1950 (avant, c'est plus difficile à documenter).

Il est vrai qu'en retransmission, la voix paraît grêle, pas toujours juste, l'élan incontestable mais un brin fruste. En salle, pourtant, la voix (sans être volumineuse) est très bien projetée et très audible, mais surtout le timbre se révèle très beau (doucement coloré), et perce une poésie des nuances qu'on ne soupçonne pas aussi bien perçu de près : vraiment un chant conçu pour s'épanouir dans l'espace.

Il a étrangement peu d'inconditionnels, mais voilà un des très grands chanteurs de notre temps – l'un des plus beaux Tristan jamais entendus, me concernant. Ce n'est pas Suthaus dans ses jeunes années, certes, mais on n'a pas souvent fait mieux que Ch. Franz depuis lors.

--

La Belle Meunière par Tino Rossi

Huit lieder ont été adaptés (ce ne sont pas vraiment des traductions) et orchestrés pour le film de Marcel Pagnol. Quasiment la seule trace de l'exécution de Schubert en français (à part le justement fameux « Tilleul » de Thill, et considérant que Germaine Martinelli est vraiment inintelligible dans sa propre Meunière…), malgré l'existence de traductions (plus sérieuses) ; on a vu que c'était un sujet qui tenait à cœur aux lutins de céans.

Les nouveaux poèmes sont vraiment moyens ; plus seulement naïfs comme les originaux, mais très mièvres et assez stéréotypés. On perd la balourdise du meunier qui ne voit pas trop ce qui lui arrive, qui s'enflamme sur des détails, au profit du propos plus général d'un amoureux assez standard.

En revanche, les arrangements orchestraux, dans une veine très kitsch (ça ressemble assez à la version filmique de La Belle de Cadix), sont assez réussis. Ah, ces chœurs féminins extatiques en coulisse pour « Der Müller und der Bach », ce tutti avec trompettes pour « Der Neugierige » !

Et surtout, Tino Rossi plane sur ces textes français avec une grâce infinie : il mixe comme les meilleurs ténors d'opéra, mais se permet de moins couvrir ses sons, ce qui lui procure une clarté (sans danger, vu qu'il n'y a pas d'enjeu de projection) assez unique, assise sur une technique parfaite. Idéal pour le lied, fût-il bizarrement attifé.

Ça se trouve désormais dans certaines anthologies du chanteur (pas les mieux distribuées, certes).

--

Stabat Mater de Pergolesi par Vincent Dumestre

Couplé avec des musiques mariales napolitaines, chantées avec des techniques très nasillardes, ouvertes et sonores, comme des musiques traditionnelles de plein air. Étrange.

Même le Stabat Mater surprend, répartissant les lignes soit à un chœur féminin, soit à deux petits braillards. Pas très convaincu, mais la surprise fait passer le temps dans une œuvres qui m'ennuie assez vite (tendant un peu trop sur le seria purement vocal), et qui regarde beaucoup moins du côté de l'opéra et de la virtuosité vocale, en privilégiant les atmosphères, fussent-elles déconcertantes.

--

3. PROGRAMMATIONS

--

Aux Invalides

Je me suis aperçu que je n'avais pas dépouillé proprement la saison musicale du Musée de l'Armée. Je pleure de dépit… des concerts inratables, conçus rien que pour moi, toujours le vendredi à 12h15 (tout le monde ne travaille pas dans le VIIe arrondissement tout en débauchant à midi pile !).

  • Un concert (avec harmonium et ténor, notamment…) incluant des œuvres de rien de moins que Schmitt, Halphen, Jongen et Casella (en prime, Karg-Elert et Kunc), dans des œuvres évoquant la guerre ! (heureusement, il y a un petit rattrapage avec un concert de Lafont le soir, chantant notamment Halphen, Février et Schreker !)
  • Les sonates pour alto et piano de Koechlin, Schmitt, Vaughan Williams et Hindemith.
  • Le Quatuor Arod dans Nielsen Op.13 et l'opus 76 n°1 de Haydn, deux des plus grands quatuors jamais écrits – parmi mes chouchous en tout cas. Et rarement donnés finalement, surtout Nielsen !
  • Le Quatuor Akilone dans Mozart (divertimento), Boutry (création) et le Sixième de Mendelssohn…
  • Pour couronner le tout, Raquel Camarinha vient me narguer avec La Bonne Chanson (Fauré, version avec quatuor), Les Histoires naturelles (Ravel, sa verve peut en tirer des merveilles !) et les Chantefleurs et Chantefables (Lutosławski).


Sérieusement, les gars, vous faites un programme pour moi et vous le balancez n'importe quand, vous me décevez grandement.

Les autres, précipitez-vous, ces petits vont vous donner du grand.

--

3e Scène

L'Opéra de Paris vient d'ouvrir sa plate-forme numérique, considérée comme une troisième salle. Je me demandais si ça montrerait l'envers du décor, ou des œuvres courtes pas présentées dans leurs concerts, une sorte de documentaire d'art ou de piste bonus ; en réalité, ce sont des œuvres nouvelles, plus ou moins précisément reliées à l'Opéra de Paris. Ce peut être un danseur qui danse (sur de la musique électronique) dans les salles de répétition, une chanteuse (Barbara Hannigan !) dont on superpose les exercices d'échauffement… Le tout dans des montages artistiques.

C'est plutôt poétique, et j'ai lu beaucoup de bons retours là-dessus, mais de là à considérer ces jolies évocations comme une nouvelle salle, je suis dubitatif. (En plus, hébergé sur YouTube, ça ne fait pas très chic.)
Mais c'est assez dans la veine branchouille « les snobs parlent aux initiés » qui sera la marque de communication de ce mandat (et de quelques autres). Moi, tant qu'on me donne de bonnes choses à aller voir (et qu'on arrête d'augmenter les prix des places d'entrée de gamme !), je veux bien toute la parlotte qu'on voudra, de quelque nature qu'on voudra. Même si le patron n'a jamais écouté d'opéra.

--

Élections d'orchestres

Le webzine Bachtrack, après avoir publié un palmarès (parfaitement arbitraire) établi par des critiques professionnels, propose à ses lecteurs de voter à leur tour pour le meilleur orchestre et le meilleur chef en exercice. Ce qui est amusant, c'est que le choix est étendu, j'ai même trouvé les miens.

En désigner un seul n'a pas grand sens de toute façon, il faudrait pouvoir citer un grand nombre de noms pour atterrir sur des convergences qui ne se limitent pas aux superstars (qui vaincront de toute façon, ne serait-ce que parce que personne n'a tout écouté, mais que chacun a forcément entendu Ozawa – bon candidat, tenez –, Haitink, Gergiev et Rattle).

Je n'ai pas voté, mais je me serais sans doute prononcé pour l'Orchestre Philharmonique de Slovénie (si l'on parle des orchestres entendus en vrai, sinon ce serait le Symphonique de Trondheim) et pour Günter Neuhold (bien sûr), choix partiel et arbitraire à son tour, mais sans doute le plus spontané et honnête que je puisse faire. Si vous voulez vous amuser pour sponsoriser vos chouchous, faites-vous plaisir.

--

Derniers concerts vus

Il faudra prendre le temps d'en toucher un mot, mais à nouveau un Sibelius ultime par Paavo Järvi et l'Orchestre de Paris (la Cinquième Symphonie – j'ai vraiment hâte de voir l'intégrale publiée !), où les constructions les plus mystérieuses et les transitions les plus étirées font sens avec une générosité étonnante ; et un Freischütz passionnant par Hengelbrock (quelle précision de trait !) et la NDR, dont le grain sonore est étrangement comparable au disque : j'ai toujours cru que c'étaient les filtres appliqués aux bandes qui procuraient cet aspect légèrement élimé au son, pas du tout rond-à-l'allemande, mais non, le grain est aussi spécifique en vrain (pas déplaisant du tout !). Et on ne peut qu'admirer la rigueur absolue des pupitres, dont il n'est pas un cliché de dire qu'elle est distinctivement allemande…

--

… Bacewicz et Wagner seront à nouveau pour une autre fois.

mercredi 6 mai 2015

Marscher-Wohlbrück – Der Vampyr : Le récit de Ruthven en version (chantable) française



1. Choix

La vaste tirade de Lord Ruthven (le vampire de l'histoire, emprunté à Byron-Polidori) représente l'un des moments les plus saisissants de tout l'opéra romantique, un de ces moments de liberté qui ne se limitent pas à la souplesse du récitatif, et font vraiment fusionner texte et musique. Le monologue du Hollandais chez Wagner (composé plus d'une décennie plus tard : Der Vampyr est créé en 1828, Der Fliegende Holländer est composé en 1840), qui, comme l'Ouverture, est clairement issu du modèle du Vampire, paraît en comparaison beaucoup plus formel (récitatif, cantilène dramatique, cabalette, avec une petite prière insérée), avec des sections souples mias bien identifiées, là où Marschner propose le flux d'une série de vignettes expressives, très bien concaténées mais pas du tout réductibles à une forme générale.

Musicalement aussi, sans que le langage soit totalement neuf, Marschner utilise les moyens à la pointe de son temps dans cette section, naviguant entre les tonalités et les caractères au gré de ses besoins.
Surtout, au moins aussi important tout cela, la situation et le contenu du texte (servis par une prosodie musicale quasiment sans exemple !) sont tout à fait saisissants : le vampire rapporte à son ancien ami qui veut révéler sa véritable nature (pour éviter que sa bien-aimée ne se fasse dévorer) ce qu'il adviendra de lui s'il se parjure, et ce que c'est que d'être vampire. Et les détails sont bien plus terrifiants que ce que colportent les plus célèbres récits de chiroptères humanoïdes.

C'est un des rares moments de récitatifs suffisamment longs pour fournir matière à un air autonome, et l'un des plus beaux de tous les temps pour ne rien gâcher. Aussi, comme il n'en existe à ma connaissance aucune version française, en voici une réalisée par nos soins, à destination des chanteurs francophones et du public non-germanophone.


2. Méthode & objectifs

Le principe est donc de fournir une version traduite :

  • qui respecte dans le détail le sens et les inflexions du texte allemand (du fait de l'intérêt du contenu d'origine, précisément) ;
  • qui fonctionne avec le plus de naturel possible en français (vocabulaire, prosodie…).


C'est ce qui a été fait : le sens est très proche de l'original, et la place même des mots assez comparable, de façon à ne pas trahir les accents et les effets voulus par Marschner.

Le choix des vers et de leur nature a déjà été détaillé à de très nombreuses reprises dans la section consacrée au projet lied français : la musique prend déjà en charge le rythme, et déforme nécessairement celui imposé par la métrique du vers – s'imposer un mètre précis n'a pas d'efficacité. Sans parler de l'impossibilité de s'adapter à un texte en prose, ou dont les vers seraient écrits selon un système à accents, comme l'anglais ou allemand, où le nombre de syllabes peut varier au sein d'un même mètre. Si l'on veut rester proche de l'original, c'est vraiment s'imposer une rigidité superflue.
Les repères rimiques en revanche (alliés dans le reste du « vers » à un vocabulaire adéquat, surtout pas trop précieux, technique ou abstrait) fournissent un repère « timbral » très utile, permettant de délimiter le vers et donc les unités d'idée et de mise en musique. Ce n'est donc pas un texte conçu pour être lu (mettre des rimes sur des vers libres, c'est plutôt du mirlitonnage), mais bien pour être chanté et entendu.

Vous remarquerez l'absence de rimes en certains points : la traduction étant issue d'une commande (qui devait être réalisée en une semaine), j'ai manqué de temps pour résoudre certaines difficultés. Mais, en y revenant pour publier cette notule, j'ai fait le choix de privilégier (a fortiori pour du récitatif) l'exactitude du lexique et de l'intention : l'emportement général et la force du propos suppléent très bien quelques vers orphelins, glutôt que de gauchir l'ensemble pour privilégier la rime. Par exemple, « Qui plus que tous t'aimaient et t'honoraient » (mesure 68) est musicalement mis à nu, sans accompagnement, sans résolution, une parole jetée seule et glaçante… on se passe très bien de rime dans ce cadre. Dans la mesure où le texte est conçu pour être entendu, sa régularité n'est pas capitale comme elle le serait pour une traduction destinée à la lecture.
Pour la même raison de précipitation initiale, les couples de rimes n'ont pas suivi le schéma de Marschner. D'ordinaire, c'est un effort que je fais, mais en l'occurrence, je ne suis pas persuadé que ce soit une distorsion très grave, vu où se porte l'attention de la scène – ce serait de la poésie, ce serait déjà différent.

En quelques endroits, il n'était pas possible de respecter la prosodie française (par exemple mesure 105 « Sie lallet » est non seulement très court, mais en plus différemment accentué). Selon chaque cas particulier, j'ai pu faire le choix :
¶ de conserver une petite étrangeté qui n'était pas incompatible avec le caractère d'origine (« épargnée », mesure 8, accentué sur l'avant-dernière syllabe, pour éviter l'exagération de la séparation d'avec le [ə] caduc ; « t'honoraient », mesure 68, accentué sur l'avant-dernière syllabe mais s'achevant sur la syllabe forte, dans un endroit où l'agitation extrême rend possible des accentuations secondaires) ;
¶ ou à l'inverse d'adapter la ligne musicale,
¶¶ par exemple en modifiant une durée étrange en français (« serment », mesure 71, à l'origine deux noires do sib, ce qui créait un accent très long sur la première syllabe, tranformé en trois croches do do-sib avec port de voix, en déplaçant donc la tension de l'appoggiature sur la syllabe finale forte),
¶¶ ou en ajustant quelques rythmes ou hauteurs pour conserver le galbe propre au français (mesure 24, ajout d'une anacrouse pour attaquer correctement la note principale ; mesures 99 et suivantes, tout n'est pas exactement au même endroit, tout en respectant les symétries rythmiques suggérées par Marschner, de façon ne pas rendre bancale la mélodie, par exemple en 112-113),
¶¶ ou encore en travaillant avec les appoggiatures pour donner du ressort à la prosodie (mesure 110, extension de celle prévue par Marschner, afin d'éviter l'aplatissement de la ligne, à cause du relief moins vif des syllabes faibles du français – le seul détail où je sois un peu intervenu dans la composition proprement dite).

Sans fausse pudeur, j'avouerai aussi des expédients moins glorieux : « Et babille » (mesure 116) est une bonne traduction, mais elle s'insère avec un naturel discutable dans la mesure, quel qu'en soit l'ajustement rythmique ; les triolets (mesures 37 et 130) ne sont pas impossibles dans la grammaire marschnerienne, et fonctionnent à mon sens très bien pour le rythme français, mais demeurent des aveux implicite d'impuissance (insérer un triolet, c'est faire une mise en valeur, ici plus contrainte que délibérée) ; en revanche, à la révision (ce que vous n'entendrez pas sur la version audio, antérieure), les rythmes récurrents blanche+croche liée ont été respectés, de façon à reproduire les équilibres de l'original et à ne pas créer de soudaine impression bancale (mesure 27 par exemple, la croche liée avait été exploitée pour gagner une syllabe, ce qui causait un déséquilibre désagréable).

Mais il y a aussi les cas où les valeurs écrites laissent entrer le français avec une facilité déconcertante (mesures 131-133, mesure 137 !).


Vous remarquerez que j'ai explicité en plusieurs endroits l'articulation des [ə] caducs (mesures 52, 55, 57, 140) : il ne faut pas voir les rythmes écrits comme une prescription exacte… ils sont là pour bien rappeler (aux francophones du Nord) que ces syllabes en « e » doivent être clairement prononcées ; la valeur exacte du rythme obéira surtout au naturel (on peut penser l'ensemble des deux syllabes finales comme une seule croche, tant qu'on les entend). Dans le cas de la mesure 140, néanmoins, j'ai le sentiment le rythme pointé donne de l'élan à cette fin, et peut être articulé comme tel.

Ce n'est donc pas une version définitive ou parfaite… Mais il me semble que sa prise en compte de ces contraintes la rend exploitable – et, à l'usage, elle m'a paru un reflet plutôt honnête de l'aspect de la version allemande, en tout cas suffisamment pour la proposer à un public non germanophone, et lui permettre d'approcher de façon plus complète la beauté furieuse de cette page.
Je l'espère en tout cas, et les regards affûtés des nos aimables lecteurs devraient relever en un rien de temps tout ce qui y ferait obstacle.

3. Partition, son et texte bilingue

Suite de la notule.

mercredi 12 novembre 2014

[Vidéo] — König Stephan de Beethoven, Kampf und Sieg de Weber… Requiem de Mozart — Insula Orchestra, Équilbey


En réalité, l'actualité est surtout l'occasion de mentionner deux très belles œuvres de Beethoven et Weber qu'on n'entend jamais (alors que vu le taux de ressassement dans les salles, on pourrait croire que le catalogue est tout entier usé).

Un disque pour un tube

Par l'Insula Orchestra, le disque tout récent du Requiem de Mozart (écoutable ) est très décevant, je ne comptais pas en parler : à quoi bon convoquer un orchestre spécialiste sur instruments d'époque pour produire un résultat plus pâteux et indolent que la plupart des orchestres traditionnels ? Une des versions les moins intéressantes de celles qui m'aient été donné d'entendre, même en allant chercher des ensembles modestes et des époques plus reculées.

C'est le début de l'ensemble, peut-être qu'il évoluera favorablement — mais à ce jour, autant j'admire complètement la référence ultime qu'est devenue Accentus dans beaucoup de répertoires, autant Équilbey comme chef d'orchestre reste tout de même très peu efficace (souvent mou et peu habité, justement, alors même que les programmes sont souvent très intéressants).

Un concert vidéo de raretés précieuses

Néanmoins, et c'était plutôt là mon sujet, je voulais signaler la vidéo disponible d'un concert au très beau programme, par les mêmes :
http://www.citedelamusiquelive.tv/Concert/1022328/4.html.

König Stephan, Ungarns erster Wohltäter (« Le roi Étienne, premier bienfaiteur de la Hongrie) est l'une des plus belles musiques de scène de Beethoven — bien supérieure aux Créatures de Prométhée, par exemple, assez peu passionnantes hors contexte. Étrangement, jusqu'ici, il semble qu'il soit toujours impossible d'en entendre l'intégralité au disque. La version Tilson-Thomas avec le LSO (chez BMG) est la plus complète, me semble-t-il (la plupart des autres se limitant à quelques fragments), mais il manque tout de même les mélodrames (dont un très vaste, avec beaucoup de belle musique derrière !). Or, le mélodrame, c'est quand même la plus-value de la musique de scène (quand on la donne hors contexte, je veux dire), ce qui lui donne vie au lieu d'en rester à des bouts d'atmosphère éparpillés.
Dans ma partition, il existe même une version courte du texte théâtral, on pourrait vraiment enregistrer le tout sur un disque d'une heure... Mais manifestement, pas le moindre pékin sur le créneau, alors qu'il s'agit tout de même de Beethoven de maturité (1811) !

La pièce, comme Die Ruinen von Athen, est due à Kotzebue, et devait de même inaugurer le nouveau Théâtre Allemand de Pest, avec la musique de Beethoven — une œuvre de commande très officielle, approuvée par l'Empereur. Il faut au moins écouter la Geistlischer Marsch (vers 17' ou 18' sur la vidéo), dans la veine du Ringraziamento du Quintième Quatuor, un petit moment de grâce suspendue. Et puis le final assez délirant, dans le genre de la Fantaisie chorale (et donc un peu de la Neuvième et de Fidelio).

En revanche, contrairement à ce que pourrait laisser croire le programme (qui mentionne les extraits sélectionnés chez Weber, mais nomme toutes les entrées de ce Beethoven), seule une fraction de l'œuvre est jouée… et pas les mélodrames ! Partie remise une fois de plus.

Puis venaient des extraits de la cantate Kampf und Sieg de Weber, écrite pour célébrer la victoire de… Waterloo. Très loin du figuralisme très anecdotique de la Bataille de Wellington par Beethoven, c'est une réelle cantate dans la veine sacrée, pour ne pas dire un court oratorio : les récits, les personnages allégoriques, les moments médiatifs ou narratifs s'entrecroisent. Encore plus rare que König Stephan (je ne suis même pas sûr que l'œuvre ait déjà été publiée au disque), l'œuvre est pourtant du meilleur Weber, dans la contemplation (« Brüderlich », le trio de la Foi, l'Espérance et l'Amour — étrangement chanté à quatre dans ce concert, la partie de baryton, la Foi, étant doublée —, suspendu sur son solo de violoncelle, dans la couleur harmonique des airs d'Agathe) comme dans l'épopée (la bataille symphonique ayant beaucoup de traits en commun avec la Gorge du Loup).
Et, bien sûr, les clins d'œil charmants des airs militaires, où « Ah, ça ira » gonflant terriblement dans l'orchestre est commenté par les paroles pieuses et horrifiées des soldats germaniques.

Notez que le texte de la cantate est dû à Johann Gottfried Wohlbrück, le père de Wilhelm August Wohlbrück, librettiste majeur pour Marschner, notamment à l'origine de Der Templer und die Jüdin et bien sûr Der Vampyr d'après Polidori, auquel CSS a déjà consacré une série, s'attachant en particulier au redéploiement astucieux de la matière-première par Wohlbrück Jr.

Suite de la notule.

mercredi 23 octobre 2013

Gaspare SPONTINI – La Vestale – II : premières occurrences romantiques


Après s'être promené du côté du contexte général (Spontini de son temps et aujourd'hui) et du livret, il est temps de parler plus précisément de la musique.

Au passage, l'occasion faisant le ladre, vous pourrez voir l'œuvre dans la production actuelle du Théâtre des Champs-Élysées ce soir en direct, à 19h30, sur quatre sites :


L'occasion de vérifier les pistes proposées dans cette notule.


4. Une musique médiocre, mais partiellement nouvelle : entre tragédie lyrique et seria

Dans ce cadre peu allant, Spontini écrit une musique qui descend pour partie de la tragédie gluckiste (avec sa simplicité hiératique), mais à laquelle s'ajoute un tropisme italien évident (avec sa simplicité au service de la voix). Les airs en particulier, comparés à la tradition française, sont longs et très lyriques, confinant au belcantisme malgré des sections très dramatiques et déclamatoires. On dispose ainsi de deux traditions conjointes qui convergent vers une certaine nudité, d'où l'impression sans doute de quasi-dénuement.

Leur influence peut être simultanée, comme dans « Toi que j'implore avec effroi », l'air de Julia à l'acte II : les longues lignes destinées à flatter la voix alternent avec des éclats purement récitatifs, et la forme générale de l'air est assez mouvante, organisée par épisode – on peut le rapprocher de l'air de Philippe II dans Don Carlos de Verdi, par exemple. À l'inverse, l'air de Cinna « Ce n'est plus le temps d'écouter / Les vains conseils de la prudence » est formé sur le patron du seria de l'air classique ; on y entend un peu de vocalisation (rare en France à cette époque, pour un grand air), et des couleurs harmoniques très proches du Mozart de La Clémence de Titus ou du Grétry de Céphale et Procris.

Entre mélange et segmentation, les influences contradictoires parcourent tout l'ouvrage – sans donner une impression globale de disparité néanmoins, car le style de Spontini est formé de ces contraires qui se rejoignent dans le dépouillement.

5. Moments forts

Cela étant, il n'y a pas de véritable enrichissement des styles précédents : l'aspect général est un peu renouvelé, mais rien de profondément neuf n'affleure. J'ai déjà dit mon peu de conviction pour cette musique, aussi, au lieu d'insister sur ses manquements, je voudrais relever quelques beaux moments.

=> D'abord les airs de Julia , surtout les deux premiers (« Ô d'un pouvoir funeste... Licinius je vais donc te revoir » à l'acte I et « Toi que j'implore avec effroi » à l'acte II). Les deux suivants (« Ô des infortunés déesse tutélaire », à la fin de l'acte II, ancien hit célèbre dans sa version italienne « O nume tutelar » ; et « Un peuple entier... Toi que je laisse sur la terre » à l'acte III) sont davantage uniformément belcantistes, et m'intéressent un peu moins. Dans ces deux premiers airs, la beauté des mélodies discrètes et le geste dramatique forcent l'admiration, particuièrement dans celui qui ouvre l'acte II, grande scène qui pourrait quasiment tenir lieu de cantate.

=> À peu près tous les finals de foule (en particulier au I et au II) sont remarquablement réussis, avec plusieurs strates d'expression simultanées, une façon de faire qui est assez neuve, surtout pendant des durées aussi étendues. On en trouve des prémices dans le premier acte du Thésée de Gossec (cf. extrait sonore), mais il s'agit d'une musique ponctuelle, à usage dramatique (superposition de l'en-scène et du hors-scène), et non d'une forme musicale complète comme l'est le final. Côté italien, la chose existe depuis plus longtemps (voir les finals dans les Da Ponte de Mozart), mais ce final de foule tel que réalisé par Spontini, avec geste ample et chœurs obligés, sera l'une des caractéristiques de l'opéra romantique.
Plus étonnant encore, le début du final du I évoque l'écriture virevoltante des ensembles du Cellini de Berlioz, même si son modèle doit plutôt être à chercher du côté du buffo italien.
Les ballets qui terminent chaque acte, sans être de la grande musique, ne sont pas mauvais non plus, et remplissent très agréablement leur fonction divertissante.

=> Enfin, j'aime beaucoup l'introduction orchestrale méditative de l'acte II, qu'on sent très soignée, qui cherche vraiment une couleur spécifique, évoquant la nuit et le mystère mystique – très loin des atmosphères stéréotypées de l'opéra italien, ou même des formules récurrentes de la tragédie en musique.

Les chœurs sont en général assez soignés, avec de jolies appoggiatures (petits frottements qui anticipent les accords suivants), parfois sur plusieurs accords de suite – autre trait dont l'audace se développe à l'ère romantique.

En revanche, les récitatifs ne sont pas meilleurs en vrai, toujours aussi fades, massifs et empesés. Ils ne sont sans doute pas étrangers à l'impression de longueur générale.

6. Premiers effets romantiques...

J'aurais du mal à étiqueter la Vestale stylistiquement : par tradition, on l'assimile au romantisme, et c'est peut-être la couleur qui domine... mais il reste tellement de ce qui précède, et l'ouvrage est finalement si peu différent des tragédies en musique de la fin du XVIIIe... On se trouve réellement sur la charnière, au même titre que pour les opere buffe de Rossini qui nous paraissent romantiques, mais construits et écrits très largement comme du Mozart...

À défaut de trancher un débat qui ne porte que sur des étiquettes – il y a forcément des transitions, et nous sommes totalement dedans, Fernand Cortez est déjà beaucoup plus décidément romantique, jusque dans son sujet –, je propose d'aller regarder un peu ce qui change dans La Vestale et annonce les procédés romantiques à venir.

=> Des bouts de crescendos rossiniens dans les finals. Des formules cycliques ou des marches harmoniques (même musique qui remonte la gamme par crans), peut-être prévues (les chefs le font, mais ce n'est pas noté explicitement) pour être amplifiées progressivement. Certaines sont assez longues. [Pour mémoire, Rossini a quinze ans lors de la création de La Vestale en 1807, et ne commence sa carrière scénique qu'en 1810.]

=> Beaucoup de réponses en imitation dans les ensembles, d'une façon qui n'est plus seulement classique (question-réponse, écho...), mais simultanée, superposée, beaucoup plus proche de ce qu'en font les romantiques. On en trouve un peu dans le final de l'acte I de La Clemenza di Tito (version Mozart), mais tel qu'utilisé par Spontini, il est davantage parent des Huguenots de Meyerbeer.

=> Et puis par moment, comme dans le grand duo d'amour de l'acte II, on entend des phrases parentes de Hérold (scènes amoureuses de Zampa), de Bellini (duos Norma-Adalgisa), ou même de Marschner (cantilène de l'air d'Aubry dans Der Vampyr). Plus fort encore, à la fin du II, on entend soudain du Mendelssohn (final de la Quatrième Symphonie).



Mais il y a plus significatif :

a) Solos de harpe, et non pas comme une évocation de la lyre, mais de façon purement décorative, musicale, atmosphérique – dans les ballets de fin d'acte. Là aussi, le grand opéra romantique en fera grand usage.

b) La multiplication des strates et des rythmes complexes. Le fait est particulièrement spectaculaire dans le final de l'acte II.



En rouge, des figures très asymétriques répétées pour donner l'impression d'élan, voire de frénésie : triple croche - croche pointée. C'est un rapport très inhabituel (de 1 à 6), alors que le rapport standard est de 1 à 2 (croche - noire) ou de 1 à 3 (double croche - croche pointée), très resserré et assez violent, comme une acciaccature ; par ailleurs, le rapport est généralement présenté dans le sens inverse (la longue avant la brève, pour créer une attraction vers le temps fort suivant), même si cela n'est pas absent des classiques. Ce type de figure, rarement sous forme d'un rapport aussi extrême, se trouve davantage chez les romantiques (introduction du chœur gaulois qui demande des explications à Norma, à la fin de l'opéra).
En vert, des figures de ponctuation très dynamiques, mais qui ne se trouvent pas sur le temps le plus fort (premier temps). Là aussi, un décalage peu fréquent chez les classiques.
En violet, insertions de triolets, mais qui débutent de façon syncopée (pas sur le temps), là aussi un raffinement rare.
En indigo, les parties du chœur sont totalement en quinconces, de façon ici encore très excessive par rapport à la norme.

Et la mélodie dansante et très lyrique qui apparaît sonne également très romantique. [Sans parler de l'impression rythmique générale, qui a de toute évidence fortement imprégné Rossini pour le final du premier acte de son Barbiere di Siviglia (1816).]

c) Le crescendo-decrescendo, effet typiquement romantique, dont on croise l'une des premières notations explicites, me semble-t-il – même dans Fidelio, cela se limite au crescendo, et au cours d'une mesure, pas sur un seul accord.



Vous remarquerez au passage l'entrée progressive des pupitres, même ceux considérés comme remplissant simplement l'harmonie : altos et seconds violons ont leur propre entrée solo. Il arrivait fréquemment qu'ils soient différenciés rythmiquement (chez les bons auteurs, et comme dans le final ci-dessus), moins souvent qu'ils aient un rôle autonome comme ici.

d) Des figures d'accompagnement caractéristiques, qui s'inspirent des tournures gluckistes mais les adaptent avec un aspect résolument XIXe, par exemple les fusées descendantes.



Les fusées montantes étaient fréquentes, mais les descendantes (sans être le miroir d'ascendantes) beaucoup plus rares, et l'on retrouve ici les rythmes raffinés avec le contraste vigoureux des valeurs (noire pointée couplée avec des triples croches, soit un rapport de 12 à 1 !), ainsi que l'effet syncopé. Et à l'oreille, pas de doute, on incline dangereusement vers le romantisme.

Bref, encore plus que pour le livret*, la musique, même si elle n'est globalement pas enivrante, franchit un pas très important vers le romantisme, auquel elle appartient déjà pour large part.
En cela, l'écoute de cet opéra, quelle que soit sa qualité, est passionnante.

* dont le sujet était pourtant tiré d'une pièce du milieu du XVIIIe siècle


Suite de la notule.

mardi 1 octobre 2013

Fake



En faisant mes devoirs autour de quelques standards (semi-)populaires de la littérature mondiale (1,2,3,4,5), je démasque bravement les impostures.

Suite de la notule.

dimanche 28 juillet 2013

Occhietto(ne) & Big Blink



Jane Austen abuse souvent du discours indirect ou narrativisé, avec des phrases parfois excessivement longues et empesées, où se bousculent des conversations entières :

Far from comprehending him or his sister in their father's misconduct, Mrs. Morland had been always kindly disposed towards each, and instantly, pleased by his appearance, received him with the simple professions of unaffected benevolence ; thanking him for such an attention to her daughter, assuring him that the friends of her children were always welcome there, and entreating him to say not another word of the past.

Ce qui veut plus ou moins dire :

Loin de le blâmer pour l'inconduite de son père, Mme Morland avait toujours été de nature bienveillante, et dans l'instant, séduite par sa contenance, le reçut avec les simples apprêts d'une bonté sans affectation, le remerciant pour sa prévenance envers sa fille, l'assurant que les amis de ses enfants étaient toujours les bienvenus, et le suppliant de ne plus ajouter un mot sur le passé.

Ça se bouscule un peu ; je ne préconiserais pas d'en fait une page de dialogue, toutefois une segmentation en deux ou trois phrases n'aurait pas été de refus, surtout au sein d'un paragraphe et d'un chapitre où le procédé est fréquent.

Avec des procédés similaires, Elizabeth Gaskell obtient davantage d'équilibre –€ la génération n'est pas la même, et les longues incises sont moins de mise.



Mais ce peut avoir des contreparties précieuses (que ne propose pas forcément Gaskell) :

They began their walk, and Mrs. Morland was not entirely mistaken in his object in wishing it. Some explanation on his father's account he had to give ; but his first purpose was to explain himself, and before they reached Mr. Allen's grounds he had done it so well that Catherine did not think it could ever be repeated too often.

Ils débutèrent leur promenade, et Mme Morland ne s'était pas complètement abusée sur son motif. Car il avait à expliquer la conduite de son père ; mais son principal sujet était de s'expliquer lui-même, et avant qu'ils aient atteint la propriété de M. Allen, il l'avait fait si bien que Catherine ne croyait pas qu'il dût jamais trop souvent le répéter.

C'est ce genre d'allusions un peu narquoises (et plus particulièrement encore dans le très taquin Northanger Abbey) qui fait le sel des romans d'Austen – sans quoi la langue n'est tout de même pas vertigineuse.



Il n'en demeure pas moins que si on sait se repaître de malices légères dans ce genre, on peut en trouver de pleins cartons, particulièrement dans ce roman-là. Juste après les citations précédentes, par exemple :

I must confess that his affection originated in nothing better than gratitude, or, in other words, that a persuasion of her partiality for him had been the only cause of giving her a serious thought. It is a new circumstance in romance, I acknowledge, and dreadfully derogatory of an heroine's dignity; but if it be as new in common life, the credit of a wild imagination will at least be all my own.

Je dois avouer que son inclination provenait seulement d'un sentiment de gratitude, autrement dit que l'évidence des sentiments de Catherine avait été le seul motif pour y penser à son tour. C'est une situation nouvelle dans un roman, je le reconnais, et terriblement dérogatoire à la dignité d'une héroïne ; mais si elle est tout aussi neuve dans la vie réelle, j'aurai au moins en partage le crédit d'une imagination débridée.

Ce sont les contreparties d'un ton de conteuse, pas forcément propre à créer l'urgence du récit, mais pas dépourvues de consolations pour autant.



Comme chaque été, CSS explore un pan des mythes et littératures populaires. (Cette année, c'est un peu plus chic avec la littérature féminine du début du XIXe, puisqu'à part Austen – qui n'est de plus pas véritablement un standard en France comme il l'est outre-Manche –, la région ne déborde pas d'œuvres universellement familières.)

Vous pouvez retrouver les traces de quelques-unes de ces excursions :


lundi 15 avril 2013

Verdi, rupture épistémologique ?


Récemment, je disais deux mots de Nabucco (1841) sur Diaire sur sol.

Alors qu'il ne s'agit que de son troisième opéra (et faisant suite à l'échec d'un opéra bouffe de style Rossini - mais sans grande personnalité), on y sent déjà ce qui fait la spécificité Verdi.

J'ai beau voler d'enregistrement en enregistrement, la partition exige des écarts de dynamique qui passent assez mal au disque. Et de façon un peu systématique.

En revanche, la variété de l'orchestration (soli, associations vents-cordes pour changer la couleur, fanfares hors-scène, figuralismes) et l'usage de procédés harmoniques peu ordinaires dans la musique italienne de l'époque (marches harmoniques notamment) ont sans doute sonné comme une déflagration dans le paysage sonore d'alors. Il suffit de comparer avec n'importe quel autre opéra italien entre 1800 et 1850 : en dehors de Norma de Bellini et du Diluvio Universale de Donizetti (et tous deux bien en deçà), les autres ouvrages se situent à des années-lumières des explorations de Nabucco, même si elles peuvent paraître (et elles le sont !) tapageuses et schématiques.

Plus tard Macbeth (1847), Stiffelio (1850), et surtout Rigoletto (1851) représenteront de nouvelles ruptures dans la façon de construire un opéra en Italie. J'avais observé les choses un peu plus concrètement pour Rigoletto.

Et à chaque fois que je reviens à Verdi, ou que je lui cherche des contemporains intéressants, je suis très frappé par son caractère quasiment révolutionnaire. A l'échelle de la musique italienne, Verdi opère une rupture sans doute plus fondamentale que Wagner en Allemagne : les contrées germaniques pratiquaient déjà l'opéra à flux continu (Euryanthe de Weber, dès 1823), et avec une certaine prétention littéraire (voir le Vampire de Marschner, en 1828, dont le livret de Wohlbrück explore d'assez près l'original de Polidori-pseudo-Byron). Evidemment, la profondeur de l'apport musical de Wagner est sans comparaison avec celui de Verdi - Wagner transforme et conditionne peu ou prou toute la musique du XXe siècle. Mais il ne fait somme toute que franchir un (gigantesque) seuil au sein du drame allemand qui recherche déjà la continuité musicale et la prégnance dramatique.

Verdi, en revanche, change totalement le paradigme de l'opéra italien. Depuis le début du XVIIIe siècle, celui-ci se consacre exclusivement à faire briller les voix, les intrigues standardisées n'empruntant les oripeaux de grandes légendes que pour des raisons de prestige - alors qu'on n'y écrit guère mieux que du vaudeville assez peu varié. Les poèmes dramatiques s'enferrent sans fin dans les mêmes métaphores attendues ; la musique, simplifiant de plus en plus ses harmonies et ses rythmes, au fil des ères classique puis romantique, semble chercher à chasser toujours davantage l'originalité, pour permettre aux grands interprètes de briller en improvisant sur des canevas fixes.

Verdi, lui, écrit des récitatifs qui portent à eux seuls la plus grande part de musique et d'émotion, prévoit des accents à contre-temps (pour rendre les phrases, musicales ou verbales, expressives), multiplie les procédés rythmiques, les coquetteries harmoniques... les ruptures propices au drame deviennent le maître-étalon de l'écriture de ses opéras. Aussi, ce n'est pas tant la technique d'écriture (déjà très différente) que le projet même de l'opéra qui a totalement changé. En cela, sa révolution est (à l'échelle nationale) la plus profonde d'Europe.


Les six violoncelles (presque) contrapuntiques dans « Vieni, o Levita », prière du deuxième acte de Nabucco. Rare, même s'il existe déjà un modèle (plus consonant) dans l'Ouverture du Guillaume Tell de Rossini.
Au passage, le thème principal de ladite prière évoque assez l'air de Koutouzov dans Guerre & Paix de Prokofiev. Si ce n'est pas de la modernité...


Wagner a mis davantage de musique dans l'opéra allemand, Verdi a changé l'opéra italien en vrai théâtre musical. Wagner est en quelque sorte le degré ultime de l'opéra romantique allemand (arrivé soudainement, presque sans transitions) ; Verdi invente un nouveau projet pour l'opéra italien, aux antipodes du précédent même s'il en conserve le goût pour la voix - qui a aussi fait beaucoup pour son succès.

Mais, contrairement aux idées reçues, j'ai bien le sentiment que Verdi écrit avant tout pour le drame, et que cette condition préexiste à la voix, contrairement à tous ceux qui l'ont précédé, depuis les dernières années du XVIIe siècle.

Suite de la notule.

samedi 24 novembre 2012

Nosferatu de Jarzyna : Dracula en terrasse


Les ateliers Berthier proposaient pendant une semaine une tournée d'une production du Théâtre National de Varsovie. Une adaptation de Dracula de Bram Stoker par Grzegorz Jarzyna (à prononcer "Gjègoch Yana"), et jouée en polonais.


Il s'agissait d'un véritable défi : condenser en deux heures une matière assez abondante, puisque le roman se déroule en plusieurs phases assez identifiables et développées (voyage de Jonathan Harker, maladie de Lucy, libération de l'âme de Lucy, enquête, poursuite de Dracula...). Il fallait donc choisir entre trois options : faire long (une pièce de quatre heures, ou plusieurs pièces), faire très dense et allusif, ou choisir des épisodes.

Jarzyna fait le choix le plus sage : se limiter à certains épisodes - en l'occurrence essentiellement le destin de Lucy Westenra, le passage le plus dramatique et peut-être le plus réussi du roman.

La scénographie sert remarquablement ce choix, avec un décor dans lequel on pénètre par trois grandes baies en plein cintre, voilées par de lourds rideaux bleu nuit à revers écarlate, où la lumière ou le vent percent lorsque les personnages entrent ou sortent. Mobilier vieille angleterre, miroir latéral, murs hauts, grande pièce de bois marqueté figurant l'entrée intérieur de la chambre... très atmosphérique. De même pour les éclairages, pas toujours subtils (des verts et bien sûr des rouges uniformes, parfois bizarrement utilisés hors contexte fantastique), mais assez opérants.


Le problème provient en réalité de la pièce elle-même, pour trois raisons.

La plus vénielle tient dans le goût de l'anachronisme, assez banal aujourd'hui, mais qui paraît réellement gratuit. Pourquoi un spectacle sans entracte (idéal pour créer du climat), pourquoi tous ces efforts en matière visuelle, pour finalement briser sans cesse l'illusion par des détails tels que l'usage de smartphones, sans lien avec l'action ? Le personnage est même censé être préoccupé à ce moment-là, donc le fait de sortir son engin seulement pour permettre une transition avec le fondu au noir qui précède (quelle audace, quelle modernité !) tient vraiment de la coquetterie sans objet.

La deuxième est déjà plus gênante. Jarzyna fait le choix d'exploiter essentiellement le potentiel érotique du roman de Stoker. Ici encore, on est peut-être un peu en décalage avec les choix scénographiques qui se prêtaient davantage à la dimension fantastique, mais le choix est défendable dans l'absolu. Lucy est donc présentée comme assez délurée, sans qu'on puisse déterminer s'il s'agit de l'influence du vampire, où si au contraire l'incarnation du vampire (qui apparaît après ses premiers symptômes, mais il en va de même dans le roman) matérialise ses désirs préexistants. Toute la représentation de ses nuits agitées fonctionne plutôt bien, puisqu'elle maintient l'équivoque entre naturel "refoulé" et surnaturel.

En revanche, la complaisance (censée être semi-érotique ?) de la scène d'autopsie me paraît d'une nécessité et d'un goût discutables. Et effectivement, dans cette seconde moitié, l'adaptation commence à sombrer dans un n'importe-quoi dépareillé, comme si la fin de la pièce avait été écrite à la hâte en essayant de coller les morceaux d'idées pas encore mûries. Ainsi Mina Harker (séparée de Jonathan, qui ne dit à peu près rien) se laisse-t-elle séduire par le promis de Lucy (il s'agit plus exactement de mains voyageuses), avec une représentation scénique d'une élégance toute relative, et dont le ramage m'évoque plus des films de fin de soirée à petit budget pour messieurs. Même l' « idéologie », si on peut mettre ce grand mot sur cette petite chose, en paraît décalquée, avec l'idée que toutes les femmes attendent finalement d'être violées avec un minimum de douceur.

Les interactions entre personnages ne fonctionnent que partiellement, parce que ce ballet de prétendants semble obéir à une logique tout à fait aléatoire, même pas celle de la fantaisie ou du désir, mais plutôt comme au gré des pauvres idées de l'adaptateur (franchement, les dialogues de la scène Mina-Arthur, je mettrai longtemps à m'en remettre).

Et pour couronner le tout, van Helsing ligote Mina, ce qui donne toute opportunité à Dracula de se promener dans les parages - étrangement, il n'en est pas tiré tant de parti que cela, alors qu'avec ce qui précédait, on pouvait craindre le recyclage de poncifs qu'on ne doit plus utiliser que dans les parodies désormais.

Néanmoins, à l'exception des quelques sorties de route mentionnées, le principe pouvait se défendre et n'était pas tout le temps rédhibitoire.

Le problème capital résidait en fin de compte dans la faiblesse extrême des psychologies et de l'enchaînement des situations. A force de nous présenter des personnages mis à distance, qui tiennent toujours un discours un peu décalé, mais jamais le même, il finit par ne plus se dégager aucun affect, aucune constante, aucune direction dans les personnages. Aucune interaction entre Mina et Arthur, et soudain ils tombent dans les bras l'un de l'autre (enfin, pas dans les bras, mais j'en resterai là) ; aucune information sur Dracula, à part que c'est un voisin invité à dîner qui fait un ou deux jeux de mots (adressés au public) sur son état, et soudain on le retrouve dans une sorte de dispute amoureuse avec le fantôme de Lucy (qui bien que damnée, choisit d'aller voir ailleurs s'il y est), et plus tard avec van Helsing pour discuter tranquillement si le chasseur de vampire peut tuer le vampire.

Le dernier tableau en particulier, de la mort de Dracula, paraît collé là uniquement pour faire fin, avec des dialogues extrêmement brefs, sans justification de ce qui précède ou suit. Dracula dit à van Helsing qu'en fin de compte il résoudrait mieux les problèmes de sa psyché en le rejoignant, celui-ci hésite, et puis finalement le premier se suicide en sortant dehors par grand jour. Rien ne prépare ni ne conclut cela, mais c'est la fin de la pièce.

Bref, l'impression d'un texte qui n'a pas intégré les rudiments de ce qu'est une construction dramatique. On n'est même pas dans l'expérimental, on est simplement dans le mal écrit : suite de vignettes mal connectées, où les personnages n'ont pas de personnalité propre, où les actions ne sont pas soumises à une logique (sans pour autant non plus paraître gratuites ou "ouvertes", elles sont seulement mal expliquées), où la direction du propos s'éclate en plusieurs sous-voies (distanciation, érotisme, aphorisme), sans jamais en explorer aucune.


La musique de John Zorn n'était

Suite de la notule.

vendredi 19 octobre 2012

Novembre à Paris


Vu la fin de mois impossible qui s'annonce, voici dès à présent les réjouissances (presque aussi insoutenables) de novembre.

Comme toujours, octobre et novembre sont les deux mois les plus denses de la programmation musicale de l'année. Je ne m'explique pas pourquoi, mais il en va toujours ainsi, les productions de raretés (en particulier les lyriques baroques et classiques) se concentrent à ce moment.

Voici donc une vaste sélection de choses à entendre. Avec quelques renvois vers des notules connexes sur CSS.

--

Du 30 octobre au 17 novembre : Les Estivants de Gorki au Théâtre de la Bastille (programmation Festival d'Automne).

2 : Cité de la Musique. Schumann, Symphonies 1 & 4, concerto pour violoncelle (Nézet-Séguin / COE).

3 : Cité de la Musique. Schumann, Symphonie 3, Ouverture Manfred, Concerto pour violon (Nézet-Séguin / COE).
Le concert le plus attirant des trois à cause des couplages, la roborative et irrésistible Ouverture de Manfred, et le très étrange concerto aphoristique pour violon (une des oeuvres les plus personnelles de Schumann, mais aussi du genre tout entier).

4 : Cité de la Musique. Schumann, Symphonie 2, Ouverture de Genoveva, Concerto pour piano (Nézet-Séguin / COE).

8 : Cité de la Musique. Schubert, Symphonies 3 et 9 par Minkowski.

9 & 10 : Théâtre des Champs-Elysées. Medeamaterial de Dusapin.
De loin l'opéra le moins abouti de Dusapin, du fait du texte plus "expérimental", et du caractère sensiblement moins lyrique que dans ses autres opus. Néanmoins une oeuvre pas dénuée d'intérêt ; si j'avais le temps, j'irais !

10 : Amphithéâtre Bastille. Quators de Grieg et Delius, Quintette de Schumann (Quatuor Danel et Nelson Goerner).

Suite de la notule.

mercredi 15 août 2012

Un récit de Ruthven - (Marschner & Wohlbrück)


Version très réussie du récit de Ruthven (Der Vampyr) proposée ici :

Suite de la notule.

dimanche 8 juillet 2012

Meilleur que le roman - I, Zorro - 1 : Mythe et méthode


Comme chaque année, l'été est l'occasion d'une petite série :


Depuis 2009, il semble que, de façon non délibérée, l'été soit propice à l'investigation autour de sujets de la culture populaire (ou du moins de la culture commune).

  • En 2009, c'était autour du Moine de Gregory Lewis, de ses relations avec les mythes populaires, de ses adaptations. La même année, il avait aussi, en matière de culture semi-populaire, le retour aux sources de la figure de Carmen.
  • En 2010, une vaste exploration autour des figures du vampire, en particulier Ruthven et Dracula.
  • En 2011, c'était la linguistique de Tolkien qui était à l'honneur. Rien ne parut sur CSS, le sujet étant déjà saturé d'exégèses en ligne, et je ne le maîtrise guère - de surcroît, je trouve le cycle The Lord of the Rings très platement écrit. En revanche, les processus de création linguistique, et la façon de les envelopper ensuite d'une mythologie cohérente, est assez fascinant - plus les articles de méthode que les récits eux-mêmes, en somme.


Cette année, je m'étais interrogé pour une série Pouchkine, mais je vais plutôt commencer par la figure de Zorro, dont j'ai exploré les emplois depuis quelques mois. Je n'ai bien sûr pas épuisé, loin s'en faut, la multitude d'adaptations (livres pour la jeunesse ou films d'action), mais en se concentrant sur un petit nombre de productions, des traits particuliers assez intéressants se révèlent.
En particulier, les raisons du succès d'un roman-feuilleton pas particulièrement brillant.

--

Simultanément, je me propose ici d'ouvrir une nouvelle série, consacrée à ces cas rares mais remarquables où les adaptations dépassent les originaux. On en a quelquefois parlé à propos de traductions ou adaptations d'opéras, plus rarement en matière romanesque, que ce soit pour la scène ou l'écran.

Ce sont des cas singulièrement fascinants, ceux où le génie semble échapper à l'auteur pour se loger ailleurs, dans la réception et la transmission de ses humbles adaptateurs, une sorte de prescience collective du potentiel de certains récits sans grande épaisseur à l'origine.

jeudi 8 mars 2012

Trait commun

It was Captain Ramón's office into which he looked. He saw the comandante sitting before a table reading a letter which, it appeared, he had just finished writing. Captain Ramón was talking to himself, as does many an evil man.

Soit :

C'était le bureau du Capitaine Ramón qu'il observait. Il aperçut le comandante à sa table de travail, lisant une lettre qu'il avait, à ce qu'il semblait, à peine achevée. Le Capitaine Ramón se parlait à lui-même, comme le font bien des méchants.

Suite de la notule.

samedi 27 août 2011

Charles-Simon CATEL - Sémiramis (et son temps) - recréation Niquet Montpellier 2011


A l'écoute, je suis frappé par le caractère encore une fois singulier d'une oeuvre (1802) dans ce secteur si peu exploré par le disque et la scène...

Certes, on entend bien le pont entre Andromaque de Grétry (1780) et Fernand Cortès de Spontini (1809), les liens aussi avec les Danaïdes de Salieri (1784), bref un chaînon manquant de plus dans une époque encore mal documentée.
On peut aussi y relever des tournures (en particulier conclusives, ou pendant les duos d'amours) apparentées au style mozartien : duo de l'acte I avec La Clemenza di Tito (1791), duo de l'acte II avec Don Giovanni (1787 ; des traits communs avec "Fuggi crudele", qui n'est pourtant pas banal).

Mais le plus étonnant, c'est que l'ouverture et certains moments du premier acte m'évoquent fortement... Alfonso und Estrella de Schubert (1821) !

Toute une époque qui passe en revue, et on entend ici parfaitement l'emplacement chronologique de Sémiramis.

--

Il y reste beaucoup de traits de la tragédie lyrique de la "quatrième école", en particulier les récitatifs, très proches de l'Iphigénie en Tauride de Piccinni, des Danaïdes et de Tarare de Salieri, de Guillaume Tell de Grétry... L'invocation de l'oracle sous forme de choeur mystérieux évoque d'ailleurs beaucoup le précédent de Callirhoé de Destouches (1712, refonte 1743). Et les trombones dramatiques sont du pur Gluck du point de vue du matériau, mais utilisés d'une façon dramatique qui évoque quasiment le goût de Berlioz. [En fait, ça ressemble furieusement à la toute fin de l'air d'Aubry à l'acte II du Vampyr de Marschner (1828).]

Les récitatifs sont écrits avec une belle véhémence, sans atteindre la puissance des plus belles pages de Grétry, Salieri ou Gossec (pour Thésée). En revanche, cette Sémiramis peut, en termes de matière musicale, rivaliser sans peine avec Gluck, Piccinni et Sacchini (et surpasser la majorité de leur production aujourd'hui publiée). Le lien avec ce dernier est d'autant plus évident qu'on a déjà parlé des parentés de Chimène ou Le Cid avec Don Giovanni...

--

J'y reviendrai sans doute, et je laisse donc les éloges sur l'exécution de Niquet pour plus tard. Mathias Vidal est particulièrement épanoui, comme d'habitude, dans la tragédie lyrique "mature" des troisième et quatrième écoles, mais ici, il rayonne tout particulièrement.

jeudi 30 juin 2011

Les plus beaux récitatifs - I - Récit d'Aronte (Armide de Lully)


Liste indicative. Extrait sonore. Commentaire.

(Pour une introduction à l'histoire du récitatif, voir au préalable.)

Suite de la notule.

mercredi 25 mai 2011

Atmosphères - II - Jubilation cosmique


Dans la série déjà amorcée autour des atmosphères musicales, voici une petite liste d'oeuvres qui peuvent transmettre la sensation d'une exultation très positive, brillante et sans frein. Bien sûr, j'ai dû en laisser beaucoup, et il y a bien des cas limites (nul doute que certains seront plus hystérisés par un final d'un opéra Rossini que par ceux des Sonates de Koechlin...). Néanmoins, quelques titres dans la liste pourraient être de belles découvertes si vous ne les avez pas testés !

Je signale prudemment que cette sélection est purement affiliée à ma subjectivité, et sera donc considéré à bon droit lacunaire ou abusif pour tel ou tel titre. [Je m'attends par exemple à des réclamations sur l'absence du final de Neuvième de Beethoven, qui n'entre pas pour moi dans le cadre d'une exultation sans frein, vu ses fréquents "paliers".]
Pour plus de clarté, j'ai mis en gras les flacons qui me paraissent particulièrement puissants (sans qu'il y ait hiérarchie de valeur, au demeurant).

Liste susceptible de s'agrandir, évidemment.

... et les listes personnelles des lecteurs de CSS sont bien sûr chaleureusement accueillies.

Suite de la notule.

mercredi 19 janvier 2011

Quelles raretés manquent sur scène ?


On souhaite souvent, sur Carnets sur sol, que des raretés soient jouées. Mais de quoi parlez-vous, à la fin ?

Voici une petite liste de souhaits, limitée au domaine de l'opéra (sinon, c'était la mort du petit cheval) ; loin d'être exhaustive évidemment, mais elle peut donner une idée de certains pans totalement négligés du répertoire, alors même qu'on ne joue que quelques titres dans une période ou un style.

Les lutins locaux sont évidemment tout disposés à préciser la raison de leurs choix aux habitués comme aux visiteurs de passage.

LEGENDE :
| * : disponible au disque
| ** : il existe des enregistrements, hors commerce, auxquels j'ai eu accès
| *** : je n'ai aucun enregistrement, mais j'ai lu ou joué la partition
| **** : totalement indisponible, bandes sonores comme partitions (j'ai en revanche pu lire le livret dans certains cas)

Evidemment, il est toujours possible que la disponibilité d'enregistrements nous ait échappé... On peut opportunément nous le préciser en commentaire ou par courriel.

Suite de la notule.

mercredi 29 décembre 2010

Histoire de l'opéra allemand : essai (raté) de schéma


Contrairement aux développements de genres et styles parallèles dans l'histoire de l'opéra français ou aux ruptures dans l'histoire de l'opéra italien, l'opéra allemand suit en réalité un chemin assez linéaire, qui ne se complexifie qu'à l'orée du XXe siècle.

Toutefois, à cette date, les courants et les langages deviennent si riches, si complexes, s'entrecroisant et se contredisant jusque chez un même compositeur, et quelquefois menant deux courants idéologiquement antagonistes à des résultats sonores similaires... qu'il est assez difficile de proposer cela sous forme synthétique. On serait incomplet, ou bien allusif et obscur, ou au contraire trop détaillé.

En l'occurrence, le résultat sera trop touffu pour les lecteurs plus néophytes.

Bref, le résultat de cette tentative n'est pas satisfaisant, mais on le livre tout de même, à titre de repère (un tiens valant mieux...)

--

1. Exception hambourgeoise : un seria local

L'opéra allemand n'existe pas au XVIIe siècle en tant que genre. Il existe peut-être des partitions expérimentales enfouies, mais je n'en ai jamais vu, et elles resteraient de toute façon marginales.
On cite une Dafne de Schütz (1627), dont seul le livret subsiste, mais rien qui puisse permettre de documenter un genre en tout cas.

Il faut attendre le XVIIIe siècle pour voir apparaître des exceptions locales. On jouait alors l'opéra italien partout en Europe, sauf en France, et plus précisément cet opéra seria. Ce genre opératique était né en Italie de la fascination croissante pour la voix comme instrument, au détriment du projet original d'exalter un poème dramatique par la musique. On y trouvait des airs clos (dits "à da capo", c'est-à-dire de forme ABA') très virtuoses, entre lesquels l'action avançait rapidement par des "récitatifs secs" (une écriture rapide et peu mélodique, calquée sur la prosodie italienne et uniquement accompagnée par la basse continue).

Il a cependant existé, pendant des périodes plus ou moins restreintes, des exceptions locales en Europe (cour de Suède par exemple), et spécialement dans certaines villes d'Allemagne. On y écrivait aussi du seria, avec les mêmes recettes... mais en langue allemande.

Quelques compositeurs célèbres se produisirent à Hambourg : Haendel (son premier opéra, Almira, Königin von Kastilien, était en allemand sur un livret adapté de l'italien) et Telemann, mais aussi Reinhard Keiser, qui produisit près de 70 opéras, et quasiment tous pour Hambourg. On trouve aussi mention de Philipp Heinrich Erlebach, Georg Caspar Schürmann ou Johann Christian Schieferdecker, dont certaines oeuvres sont disponibles au disque, mais qui n'ont pas, aujourd'hui encore, de grande renommée.
L'Orpheus de Telemann, comble du syncrétisme, mêle même des airs en italien et des choeurs en français, selon le caractère recherché, à une trame allemande.

L'opéra hambourgeois est un opéra virtuose, bien écrit, qui adopte certaines tournures harmoniques spécifiquement germaniques, et dont les récitatifs sont par la force des choses assez différents des italiens... mais il ne s'agit que d'une adaptation limitée géographiquement d'un genre qui vient de l'étranger. On est très loin d'un opéra proprement national.

2. Le Singspiel, première forme originale

Au milieu du XVIIIe siècle, apparaît une forme nouvelle, une version comique de l'opéra, qui s'apparente à l'opéra comique français : des "numéros" musicaux (airs, ensembles, parfois pièces d'orchestre...) clos sont entrecoupés de dialogues parlés, le tout étant en langue allemande.

La forme trouve probablement son origine avec les miracles du XVIIe siècle, mais on considère que ses "inventeurs" sont Hiller & Weisse, qui collaboraient ensemble vers le milieu XVIIIe siècle.

C'est le genre dans lequel sont écrits les opéras allemands de Mozart : Bastien und Bastienne, Die Entführung aus dem Serail, Die Zauberflöte. Peu d'oeuvres d'autres compositeurs de l'époque sont disponibles au disque : Holzbauer par exemple, qui est extrêmement intéressant ; ou (Paul) Wranitzky dont l'Oberon, König der Elfen (1789) est un bijou déjà très romantique, bien plus moderne que la Flûte Enchantée (1791) par exemple.

Ainsi, la naissance d'un opéra réellement attaché à la langue allemande se fait sous la forme comique et hybride du parlé et du chanté. Ce qui n'aura pas une conséquence durable sur son évolution.

3. Développement sérieux du Singspiel

Suite de la notule.

dimanche 26 septembre 2010

Wohl kenn' ich dich ! - Le Vaisseau Fantôme de Wagner et sa représentation - [Schneider, Paris Bastille, septembre 2010]


Vous trouverez dans cette notule beaucoup de liens vers des développements autours des sujets ici abordés (sur les oeuvres et sur la technique vocale).

A partir de la représentation du mardi 21 septembre 2010, sous le haut patronage de R. D.-W.

--

Il est toujours difficile de revenir sur une oeuvre particulièrement chère et riche. On peut se contenter, donc, de rappeler que le Hollandais Volant constitue une prolongation de l'esthétique du premier romantisme. Si vous écoutez l'Ouverture du Vampire de Marschner, antérieure d'une dizaine d'années, vous serez frappé non seulement de la construction thématique identique (ouverture pot-pourri brillante, alternance comme dans l'ouverture française du Grand Opéra ou chez Weber et même chez certains italiens, comme le Nabucco de Verdi, de thèmes lents et vifs tirés de l'opéra, et s'achevant dans une cavalcade assez spectaculaire et jubilatoire), mais également des parentés mélodiques et harmoniques, la couleur d'ensemble étant profondément identique. Le fantastique des deux sujets n'est pas sans lien non plus avec un goût d'époque (Der Freischütz, Robert le Diable, Der Vampyr, Hans Heiling...), et certaines figures qui paraissent peut-être audacieuses si l'on a écouté que Weber sont en réalité déjà présentes chez Marschner, en particulier les orages.
[Si vous pouvez écouter Günter Neuhold dans cette oeuvre, c'est lui qui rend le mieux cette filiation. Elle était néanmoins assez audible mardi soir chez Schneider, très grand interprète de Fidelio.]

Mais cette oeuvre ne peut être résumée à ses origines allemandes, on y entend aussi certains traits italiens, en particulier son goût du lyrisme (les doublures de violoncelles dans le duo Senta / Hollandais), et surtout les deux airs d'Eric, de véritables cantilènes belcantistes, avec gruppetti, longues lignes, accompagnements en arpèges brisés.
[Pour s'en convaincre, l'enregistrement de Woldemar Nelsson est idéal, la filiation italienne est poussée assez loin avec beaucoup de bonheur.]

Et cependant, comme déjà Les Fées, mais à un degré infiniment supérieur, la partition dépasse de loin tout cela. Bien sûr, elle continue à adopter une intégration musicale des récitatifs (et non pas des dialogues comme dans le Vampyr), mais ce n'est plus sous forme de récitatif assez sec et dépouillé, servile prosodiquement. Ce sont de véritables ariosos, au moins aussi performants que les récitatifs de Meyerbeer, et même encore plus intégrés et musicaux. La frontière entre "numéros" et récitatifs devient ainsi très ténue.

L'usage des motifs lui aussi se révèle profondément novateur. Grétry utilisait déjà la caractérisation instrumentale (le trio de flûtes attaché aux récitatifs du personnage d'Andromaque) ; pour les personnages Meyerbeer a été l'un des premiers à utiliser des motifs récurrents très nets, avec leur orchestration attachée (pizz et timbales sur un accord majeur égrené pour Bertram dans Robert le Diable). Wagner pousse la chose plus loin : le motif devient structurant pour l'ensemble de la musique. Certes pas avec la plasticité et la complexité qu'il acquerra dès Tristan, mais à un degré finalement supérieur à Tannhäuser et Lohengrin. Le motifs ne s'attachent plus véritablement à des personnages, plutôt à des entités ou des idées (le vaisseau fantôme, la Rédemption...). Et c'est sans cesse que l'on entend les appels du vaisseau, qui émergent d'autres musiques (la fin de la chanson du Pilote, le choeur des marins fêtards à l'acte III). Le motif n'est pas simplement cité, il imprègne la musique dans son ensemble.

D'une façon plus générale, le raffinement musical, le spectaculaire très réussi des figuralismes maritimes (mais très denses musicalement, leur intérêt ne se limite pas du tout à de l'imitation de la nature), les surprises se rencontrent ici à un degré assez rarement atteint par n'importe quel autre compositeur d'opéra à cette époque - Meyerbeer y compris.
[La version Böhm exalte beaucoup cet aspect innovant en donnant à la partition une dimension qui excède largement l'opéra romantique germanique.]

Enfin, la tension continue du livret et son équilibre rendent le résultat totalement enthousiasmant, et en permanence - où sont les tunnels ?
Un exemple est assez frappant : ses scènes de genre sont à la fois pittoresques, amusantes et très reliées au drame. Les fileuses faussement anecdotiques mettent ainsi en avant la singularité de Senta et son attente d'un autre genre, plus sombre et inquiète.

--

La soirée a de toute façon été merveilleuse en entendant une oeuvre de ce calibre servie à haut niveau. Je suis par ailleurs en désaccord avec la plupart des commentaires que j'ai pu lire, parfois le fruit de souhaits un peu épidermiques ou alors plongés de considérations assez idéologiques (quand un vieux chanteur doit se retirer, par exemple).

Je vais donc tâcher de m'en tenir à ce qu'on pouvait constater, et non pas à ce que l'on aurait pu souhaiter : si on m'avait confié la distribution, clairement, je n'aurais pas embauché les interprètes des trois rôles principaux et sans doute aurais-je même choisi un autre chef - il est toujours possible (et naturel) de rêver mieux que l'excellence qu'on a déjà.

Suite de la notule.

vendredi 20 août 2010

Meyerbeer Strikes Back : Fortune de Robert le Diable

(Alors un des côtés de la pierre se soulève lentement, entraînant ses remblantes attaches de lierre, laissant pendre des cheveux d'herbe, et, de l'ombre humide du trou de Robinson, on voit sortir à demi un Flambeau mystérieux et cocasse, l'uniforme verdi, les moustaches pleines de brindilles, le nez terreux, l'oeil gai.)

FLAMBEAU, tout en soulevant la pierre, entonnant d'une voix
sépulcrale le grand air du dernier succès de l'Opéra

Nonnes !...

Edmond ROSTAND, L'Aiglon (IV,10)

--

Plus que les Huguenots, c'est Robert, le premier opéra français de Meyerbeer, qui est resté dans les mémoires. Pourquoi diable, et où cela, au juste ?


Retour sur le contenu, mais aussi sur le contexte de Robert et de l'oeuvre de Meyerbeer.

--

1. Les Huguenots, le chef-d'oeuvre de Meyerbeer

Bien que Robert ait eu le prestige, Les Huguenots est cependant son oeuvre qui a été la plus jouée et enregistrée, avec justice d'ailleurs : de tous ses ouvrages, c'est celui où l'inspiration musicale est la plus variée et la plus constante, absolument aucune baisse de tension et un livret qui est sans doute aussi le chef-d'oeuvre d'Eugène Scribe. Un sens de la danse permanente, partout des modulations (ce qui est alors fort rare), des formes à "numéros" [1] toujours ponctuées d'ensembles et très bien intégrées aux récitatifs, ces récitatifs étant extrêmement mélodiques et cependant parfaitement justes prosodiquement, du lyrisme non dépourvu d'humour... Chaque acte a sa couleur propre (festif au I, bucolique au II, pieux et tempêtueux au III, éclatant et lyrique au IV, sombre et menaçant au V), ce qui est également très rare à cette époque. Et même très rare en règle générale : les compositeurs les plus doués parviennent à varier leur coloris d'une oeuvre à l'autre (le champion absolu en étant Massenet), mais on a rarement vu des actes aussi finement "typés".


Les Huguenots sont tout simplement, ne serait-ce qu'eu égard à leur date, un jalon majeur de l'histoire de l'opéra, par leur originalité et leurs richesses. Et cela, quoi qu'on puisse lire par ailleurs sur le prétendu pompiérisme ou la vacuité de la partition : ce sont des affirmations qui attestent souvent, pour l'une qu'on n'a pas perçu les audaces musicales ni l'humour, pour l'autre qu'on n'a jamais lu la partition et pas souvent entendu de Rossini, de Verdi ou de Gounod.
[Evidemment, il va sans dire qu'on peut tout à fait légitimement ne pas aimer Meyerbeer, mais ces procès sont souvent commis par des gens qui ne l'ont guère écouté ou qui s'appuient sur des arguments plus politiques - un symbole bourgeois...]

Dans les autres oeuvres majeures de Meyerbeer en français (Robert, Le Prophète, Dinorah ou Le Pardon de Ploërmel [2]), on rencontre de grandes fulgurances, mais aussi des moments plus convenus ou plus plats musicalement. Clairement, Les Huguenots mérite sa fortune scénique et discographique.


--

2. Mais dans la culture commune ?

En dépit de tout ce que nous avons dit, c'est Robert le Diable qui hante les mémoires. Il y a plusieurs raisons à cela.

Première étape allemande

Meyerbeer était à l'origine un pianiste doué et admiré dès le jeune âge (des concerts à sept ans), formé notamment par Muzio Clementi, puis en puis en composition par Carl Friedrich Zelter (la parenté est réellement intéressante...). A l'âge de vingt ans (1811), il commence à présenter ses quatre premières oeuvres lyriques (en allemand : un oratorio, un opéra deux sinspiele), mais elles n'obtiennent aucun succès malgré ses voyages (après Berlin, Vienne, Paris, Londres...).

La strate italienne

Il se rend finalement en Italie (possiblement sur les conseils du bon Salieri). C'est là qu'il entend Tancredi de Rossini, une révélation pour lui. Il écrit alors force ouvrages dans le genre de l'opera seria romantique (six opéras), avec ses formes closes (récitatif totalement utilitaire et airs très développés) et sa vocalisation d'agilità e di forza ("agile et puissante"), qui contraste avec les moirures certes virtuoses du XVIIIe siècle. Clairement de la littérature pyrotechnique, dont l'intérêt n'est pas toujours très élevé [3].

Néanmoins, il otient un véritable succès en 1826 avec son Crociato in Egitto ("Le Croisé en Egypte"), qui le voit joué partout en Europe.


L'aboutissement parisien

Rossini quittant l'Italie pour venir composer à Paris, Meyerbeer profite de sa propre programmation au Théatre-Italien en 1827 pour suivre les pas de son modèle.

A l'exception de la parenthèse 1842-1847 où il est appelé à diriger l'Opéra de Berlin (nommé directeur général de la musique de Prusse !), composant un singspiel (Ein Feldlager in Schlesien : "Un camp en Silésie") et programmant Wagner (Rienzi et Der Fliegende Holländer), Meyerbeer demeure à Paris et élabore très longuement ses ouvrages. Qu'on en juge : 1826-1831 pour Robert le Diable, 1832-1836 pour Les Huguenots, 1835-1849 pour Le Prophète, 1849-1854 pour L'Etoile du Nord (version française du Feldlager écrit en 1843-1844), 1854-1859 pour Le Pardon de Ploërmel (renommé Dinorah lors de la première révision, incluant des récitatifs à la place des dialogues parlés - pour Londres) et 1837-1864 pour L'Africaine ! Un rythme très inhabituel pour un compositeur professionnel, mais ses succès parisiens étaient tels qu'il pouvait se permettre ce soin sans risquer l'indigence (avec seulement deux opéras-comiques, dont un adapté d'un singspiel précédemment composé et l'autre révisé en comédie lyrique ; et quatre "Grands Opéras").

Conséquences

Robert le Diable est donc le premier jalon d'une période de triomphe qui n'a que peu d'équivalents dans l'histoire de la musique. C'est sans doute pour cela qu'il frappa tellement l'imagination.


L'Apothéose de Meyerbeer, entouré des personnages de ses quatre drames sérieux pour Paris : Nélusko et Sélika pour L'Africaine, Robert et Bertram dans Robert le Diable, en train de boire à l'acte I(Alice en Jeanne d'Arc derrière ?), Jean de Leyde et les trois anabaptistes (Jonas, Zacharie et Mathisen) dans Le Prophète, enfin Valentine et Raoul qui semblent dans la seconde moitié de l'acte IV des Huguenots, mais Marcel l'épée au repos laisse penser qu'il s'agit du mariage informel de l'acte V.
Si ce n'est pas de la vénération, peindre un tel tableau !


Par ailleurs, cette première pièce française du compositeur remporte en elle-même un triomphe dont les auteurs rapportent qu'il n'eut guère d'équivalent dans l'histoire du spectacle lyrique.

Il n'est pas douteux non plus que la matière elle-même a impressionné fortement les contemporains, avec son sujet non plus seulement historique, mais aussi fantastique - et pas du merveilleux biblique, mais plutôt du fantastique moyenâgeux, assuré non pas par la main salvatrice de Dieu (comme dans Moïse et Pharaon de Rossini en 1827 d'après la version italienne de 1818 ou Nabucco de Verdi en 1842), mais pas les démons contre les hommes. Si le sort de Robert reste incertain, celui de Raimbaud, parti gaîment se damner à l'acte III, n'est tout simplement pas traité, et laisse craindre le pire.

Causes endogènes

Comme ce sera plus tard le cas de façon encore plus saisissante pour Les Huguenots, chaque acte dans Robert a sa couleur propre (ce qui est nouveau et qu'on retrouvera moins nettement dans ses drames ultérieurs). Les actes impairs sont dévolus à la question de l'enfer et du salut (actes de Bertram), les actes pairs à l'amour (actes d'Isabelle).

  • I : Scène de jeu dans un camp médiéval, avec ses allures dansantes et babillardes, ses défis, ses exactions.
  • II : L'espérance d'un amour malheureux.
  • III : Scènes infernales.
  • IV : L'amour forcé.
  • V : Victoire des forces angéliques.


Chaque acte est donc extrêmement typé. Mais les liens d'unité restent forts, car Meyerbeer utilise quelques motifs récurrents. Certains n'ont rien de spécialement nouveau, ils servent d'écho (Bertram reprend des thèmes pour rappeler des souvenirs à Robert). En revanche, on y trouve des choses qui annoncent le leitmotiv, et donc c'est, à titre personnel, la première occurrence que j'aie rencontré dans le répertoire que j'ai pu parcourir.
Il n'apporte pas encore de sens comme ce sera le cas à partir du Wagner de la maturité (qui est le premier à lui faire jouer un rôle de complément indispensable au livret - c'est peu le cas avant Tristan et Rheingold), mais contrairement aux échos thématiques qui pouvaient exister ponctuellement chez les compositeurs antérieurs (on trouve de ces citations déjà dans les récitatifs de Serse de Haendel, en 1738 !), Meyerbeer attribue à ce motif :

  • un lien avec un personnage : Bertram a son motif très reconnaissable (allers-retours d'arpège en majeur), qui accompagne chacun de ses mauvais conseils à Robert ;
  • une orchestration précise : cordes en pizzicato [4] et timbales, ce qui procure une impression d'étrangeté assez saisissante (le procédé est furieusement original à cette date, et même Berlioz osera peu ce genre de nudités, cet espèce de squelette sonore) ;
  • une récurrence forte, sur plusieurs actes ;
  • une irradiation de toute l'oeuvre : dans le grand air de l'acte V (Je t'ai trompé, je fus coupable), on réentend ces figures de pizzicato mêlés à des arpèges majeurs, sans que le motif soit textuellement cité.

On ne tire pas un sens profond de cela, mais cette identité musicale marque la première pierre du leitmotiv.
Par ailleurs, Meyerbeer est un très grand orchestrateur, l'un des tout premiers à utiliser les couleurs (et textures, témoin l'alliance pizz / timbales !) instrumentales pour soutenir le drame. Ce n'est plus simplement un solo de violon, de trompette, de hautbois ou de clarinette, comme on en trouvait au XVIIIe siècle, pour dialoguer avec le soliste vocal, mais réellement une recherche de couleur, de climat. C'est très perceptible par exemple à l'arrivée d'Alice à l'acte III, où les bois seuls parlent, sans réelle assise grave, donnant l'impression du frémissement de la forêt et du silence relatif qui entoure la fiancée abandonnée. Et ce sera encore plus vrai avec l'usage de la clarinette basse, instrument sans doute pour la première fois soliste, seule dans tout l'orchestre pendant cinq bonnes minutes au dernier acte des Huguenots !
A part les ébouriffantes Variations sur la Follia d'Espagne de Salieri (1815), je ne vois pas d'exemple semblable, à cette date, d'usage de l'orchestre comme une ressource de coloris brut.

Les figures rythmiques aussi caractérisent fortement, sous forme de danses imaginaires ou stylisées, les différences sections (valse infernale, figures lancinantes dans le grave des menaces de Bertram à Alice...). C'est l'une des forces de Meyerbeer, son drame bondit toujours, y compris physiquement.

Le tout culmine évidemment à l'acte III, avec son alignement de morceaux de bravoure et son atmosphère incroyable. En 1831, qui était préparé à entendre cela ! Ceux qui avaient un peu fréquenté l'opéra allemand, certainement (dès 1821, le Freischütz de Weber utilise des recettes fantastiques semblables, puis bien sûr le Vampyr de Marschner en 1828). Les amateurs d'opéra-comique et d'opéra italien, sans doute pas du tout.
On trouvera donc dans cet acte :

  • Un duo bouffe entre le fiancé d'Alice et le démon de l'histoire.
  • Valse infernale et air de Bertram (le démon révèle alors être le père de Robert), avec vocalisation et aigus spectaculaires, suivi d'un interlude en forme d'orage (très belles harmonies).
  • Un air élégiaque d'Alice, suivi d'un duo avec Bertram puis d'un trio attacca [5] avec Robert. C'est un peu la partie molle de l'acte, plus contemplative et statique, moins riche musicalement.
  • Un duo patriotique exaltant où Bertram pousse Robert à dérober une relique magique.
  • Invocation des nonnes damnées par Bertram. Puis levée des spectres : sans voix, tout est fondé sur le rythme deux croches / blanche, avec des pizzicati aux cordes graves et entrecoupés de duos de bassons solos. Enfin intervient le ballet des nonnes damnées, assez joyeux, mais plutôt mystérieux, une sorte d'exultation infernale, auquel se mêle la pantomime de Robert, tour à tour courageux, effrayé et enfin séduit par la danseuse principale, jusqu'à commettre le sacrilège. Enfin le choeur infernal en coulisse hurle sa joie.


C'est ce dernier ensemble qui a le plus fortement marqué l'imaginaire, on en voit bien la dimension spectaculaire.

--

3. Qu'en reste-t-il ?
Représentations intégrales

Robert, plus encore que les Huguenots remontés très épisodiquement, a totalement disparu des scènes depuis le milieu du XXe siècle, avec l'internationalisation du répertoire (qui supposait bien évidemment la disparition de certains titres "locaux"). On pourra bien citer quelques exceptions, comme ses exécutions au Festival de Martina Franca (2000) et au Staatsoper de Berlin (2001), mais globalement, plus rien depuis très longtemps.

Il faut dire qu'en plus de la mauvaise réputation de ces oeuvres, renforcée par la malignité de certains envieux (à commencer par le proverbialement ingrat Wagner), cela coûte cher puisqu'il faut beaucoup de décors, beaucoup de personnages, beaucoup de répétitions - et que la majorité du public rechigne à des spectacles trop longs (parce qu'il faut alors débuter avant le repas ou finir après les derniers bus). De leur côté, les "experts" (selon les cas, on peut ou non y inclure la critique) tempêteront si on leur coupe telle ou telle partie qu'ils jugent importante.
Beaucoup d'investissement pour un retour un peu hypothétique, donc. Mais on a déjà exposé plus en détail tout cela.

Discographie

Autant la discographie des Huguenots, parsemée d'intégrales indisponibles, existe, autant celle de Robert est des plus réduites.

  • Sanzogno 1968 : Version en italien, bien chantée, mais archicoupée (et en dépit du bon sens, y compris des moments très valorisants et "faciles").
  • Fulton 1985 : Tiré des représentations de Garnier, avec une splendide distribution (Anderson, Lagrange, Vanzo, Ramey). Joué avec esprit et une grande exactitude dans le style et les couleurs d'un répertoire dont Fulton était un brillant spécialiste. Soirées électriques, dont il existe aussi un témoignage, assez différent mais tout aussi intéressant, avec Rockwell Blake (alternant avec Alain Vanzo). Souvent épuisé et souvent réédité chez divers labels plus ou moins officiels (en ce moment, c'est Gala qui est disponible).
  • Palumbo 2000 : Les représentations de Martina Franca. Plutôt bien chanté dans l'ensemble, malgré un Robert pas très élégant (Warren Mok), mais l'orchestre n'est pas un premier choix et la captation en plein air rend tout un peu sec. Tout à fait convenable, mais pas très exaltant : on perd beaucoup du climat, on entend tout d'un peu loin.


Il existe aussi une captation des représentations berlinoises de 2001 (Minkowski), mais elle est uniquement publiée par des labels pirates en ligne qui ne reversent pas de droits aux interprètes, je le crains - et aussi je m'abstiendrai de les indiquer. De toute façon, elles sont correctes mais un rien tièdes.

On constate aisément l'état de délabrement avancé (et d'accessibilité toute relative) de l'héritage. Dans le commerce, on ne trouve couramment que Palumbo en fin de compte, qui ne rend pas tout à fait justice aux beautés d'écriture de la partition.

Souvenirs visuels

Ce qui nous reste, c'est donc, déjà, l'image. Car si vous feuilletez un ouvrage qui parle de Meyerbeer ou effectuez une recherche en ligne, vous serez immédiatement confronté à la célèbre gravure du ballet du troisième acte de Robert qui se trouve également... au frontispice de Carnets sur sol ! (Les lutins l'ont simplement inversée pour des raisons esthétiques et un peu retouchée.)


C'est même une image qu'on emploie souvent pour évoquer l'Opéra de Paris au XIXe siècle (alors situé salle Le Peletier). Il faut admettre qu'elle a une certaine allure, qu'elle a souvent été reproduite, qu'elle évoque un épisode important, et qu'elle évoque toute une esthétique à elle seule.

(Il existe aussi un tableau de Camille Roqueplan, plus anecdotique, représentant la seconde partie de l'acte IV des Huguenots, on a dû le mettre en illustration d'une autre notule. Le voici.)

Souvenirs littéraires

Ce succès rend Robert quasiment proverbial, au même titre que Rachel-quand-du-Seigneur se substitue chez Proust au prénom seul sous l'influence du succès de La Juive d'Halévy.

Ensuite ils prièrent [Mme Bordin] de leur désigner un morceau.

Le choix l’embarrassait. Elle n’avait vu que trois pièces : Robert le Diable dans la capitale, le Jeune Mari à Rouen, et une autre à Falaise qui était bien amusante et qu’on appelait la Brouette du Vinaigrier.

Gustave Flaubert, Bouvard et Pécuchet (1881), chapitre V (celui dévolu à la littérature).

Dans le village de Chavignolles, cette veuve, propriétaire de terres, qui ne songe qu'à obtenir la parcelle des Écalles par tous les moyens, n'a vu qu'une seule pièce de théâtre "sérieuse" et à Paris : Robert le Diable (nous sommes dans les années quarante du XIXe siècle, elle a donc dû assister à une représentation des premières années). Moment éclairant sur l'aspect absolument central de cette oeuvre dans la culture lyrique, musicale et théâtrale française.

La juxtaposition saugrenue avec le commentaire positive sur La Brouette du Vinaigrier ne fait qu'accentuer l'impression que cette oeuvre appartenait à la culture commune, et que chacun, du moins au delà d'une certaine élévation sociale, était susceptible de la voir, quand bien même il n'aurait eu aucune idée des règles et enjeux qui y sont mis en oeuvre.

Plus encore, Mme Bordin découvre juste avant ces lignes Phèdre de Racine, et affirme immédiatement après notre extrait « on sait ce qu'est un Tartuffe » - sans avoir, manifestement, lu la pièce. Aussi, Robert (avec tout ce que cela peut contenir de moqueur évidemment) constitue ici la seule référence littéraire, et de façon plausible, dans le domaine du théâtre de prestige. Voilà qui est frappant (à défaut de prouver quoi que ce soit) sur sa place singulière - les auteurs utilisent récurremment Robert comme le type même de la pièce à succès que tout le monde va voir. Et c'est rarement fait avec une grande tendresse, d'abord pour les besoins des oeuvres (l'opéra n'y étant qu'un lieu ou une référence qui sert de support à l'intrigue), mais aussi en raison du statut de référence académique de Meyerbeer, déjà considéré de son vivant (et malgré son succès démentiel) avec circonspection, représentant l'ordre établi (alors même que les livrets de Scribe sont assez subversifs par certains aspects) - ce qui n'est jamais très sympathique à des romantiques.

Bref, une citation qui confirme, l'air de rien, la place singulière de Robert dans l'imaginaire collectif.

Au passage, les ressources de la recherche numérisée permettraient d'opérer, d'une façon peu coûteuse en temps, une recherche à large échelle pour mesurer la façon dont l'oeuvre resurgit dans les textes du temps et d'après.

De plus, son imaginaire fantastique prête plus aisément au trouble du romanesque que l'Histoire-fantaisie des Huguenots.

On a déjà vu comment Georges Rodenbach dans Bruges-la-Morte (1892) fait naître le trouble à partir d'une ballerine qui interprète Hélène, l'abbesse damnée qui entraîne Robert au sacrilège. On perçoit d'emblée, et plus encore à la lecture, tout l'intérêt symbolique que peut en retirer un romancier.

Cependant l'orchestre venait d'entamer l'ouverture de l'œuvre qu'on allait représenter. Il avait lu, sur le programme de son voisin, le titre en gros caractère: Robert le Diable, un de ces opéras de vieille mode dont se compose presque infailliblement le spectacle en province. Les violons déroulaient maintenant les premières mesures.
Hugues se sentit plus troublé encore. Depuis la mort de sa femme, il n'avait entendu aucune musique. Il avait peur du chant des instruments. Même un accordéon dans les rues, avec son petit concert asthmatique et acidulé, lui tirait des larmes. Et aussi les orgues, à Notre-Dame et à Sainte-Walburge, le dimanche, quand ils semblaient draper par-dessus les fidèles des velours noirs et des catafalques de sons.
La musique de l'opéra maintenant lui noyait les méninges; les archets lui jouaient sur les nerfs. Un picotement lui vint aux yeux. S'il allait pleurer encore? Il songeait à partir quand une pensée étrange lui traversa l'esprit: la femme de tantôt qu'il avait, comme dans un coup de folie et pour je baume de sa ressemblance, suivie jusqu'en cette salle, ne s'y trouvait pas, il en était sûr. Pourtant elle était entrée au théâtre, presque sous ses yeux. Mais si elle ne se trouvait pas dans la salle, peut-être allait-elle apparaître sur la scène ?
Profanation qui, d'avance, lui déchirait toute l'âme. Le visage identique, le visage de l'Épouse elle-même dans l'évidence de la rampe et souligné de maquillages. Si cette femme, suivie ainsi et disparue brusquement sans doute par quelque porte de service, était une actrice et qu'il allait la voir surgir, gesticulant et chantant? Ah! sa voix? serait-ce aussi la même voix, pour continuer la diabolique ressemblance – cette voix de métal grave, comme d'argent avec un peu de bronze, qu'il n'avait plus jamais entendue, jamais ?
Hugues se sentit tout bouleversé, rien que par la possibilité d'un hasard qui pourrait bien aller jusqu'au bout; et plein d'angoisser il attendit, avec une sorte de pressentiment qu'il avait soupçonné juste.
Les actes s'écoulèrent, sans rien lui apprendre. Ii ne la reconnut pas parmi les chanteuses, ni non plus parmi les choristes, fardées et peintes comme des poupées de bois. Inattentif, pour le reste, au spectacle, il était décidément résolu à partir après la scène des Nonnes, dont le décor de cimetière le ramenait à toutes ses pensées mortuaires. Mais tout à coup, au récitatif d'évocation, quand les ballerines, figurant les Sœurs du cloître réveillées de la mort, processionnent en longue file, quand Helena s'anime sur son tombeau et, rejetant linceul et froc, ressuscite, Hugues éprouva une commotion, comme un homme sorti d'un rêve noir qui entre dans une salle de fête dont la lumière vacille aux balances trébuchantes de ses yeux.
Oui! c'était elle ! Elle était danseuse ! Mais il n'y songea même pas une minute. C'était vraiment la morte descendue de la pierre de son sépulcre, c'était sa morte qui maintenant souriait là-bas, s'avançait, tendait les bras.
Et plus ressemblante ainsi, ressemblante à en pleurer, avec ses yeux dont le bistre accentuait le crépuscule, avec ses cheveux apparents, d'un or unique comme l'autre...
Saisissante apparition, toute fugitive, sur laquelle bientôt le rideau tomba.
Hugues, la tête en feu, bouleversé et rayonnant, s'en retourna au long des quais, comme halluciné encore par la vision persistante qui ouvrait toujours devant lui, même dans la nuit noire, son cadre de lumière... Ainsi le docteur Faust, acharné après le miroir magique où la céleste image de femme se dévoile !

(Fin du troisième chapitre.)

Et puis on trouve aussi ce même moment-culte dans cette parodie de l'invocation des nonnes damnées qu'on citait pour commenncer. L'ancien grognard Flambeau, agent de conspirateurs français pour faire revenir un Napoléon sur le trône impérial, cherche à faire fuir le duc de Reichstadt. Lors du bal, il s'est dissimulé dans une infractuosité du jardin autrichien dont il avait été question aux actes précédent. Il y parle donc depuis "sous terre", avant de ressusciter comme l'abbesse Hélène, d'où la charmante plaisanterie.

Il se trouve que l'épisode est parfaitement en situation, puisque Robert est créé en 1831, et que le Duc meurt de la tuberculose en 1832 (et sa mort se produit peu de temps après sa tentative d'évasion). Pour plus ample propos sur cette pièce, on peut se reporter à cette notule.


Mais de quel air parlez-vous ?

Précisément, cet air est celui qui survécut à l'oubli, et aujourd'hui encore, les jeunes basses le chantent en récital et les chanteurs célèbres l'enregistrent. Il faut dire que c'est facile, spectaculaire et très valorisant. Pour mémoire, le voici par les forces du Lutin Chamber Ensemble, il nous avait servi à tester l'incorporation de vidéos sur le service YouTube.


Oui, il figure plusieurs fois à la suite, pas nécessaire de tout vous infliger. C'est dommage, j'ai coupé la suite avec la procession des Nonnes, cela vous obligera à aller jeter une oreille au disque.

Non ? Vous êtes trop épuisés par cette longue notule ? Alors voici (oui, je suis très gentil, on me le dit souvent).


Thomas Fulton dirige l'Orchestre de l'Opéra de Paris en 1985.


C'est ce passage aussi (Invocation et Procession) qui est parodié par Korngold, en en explosant le matériau dans un bref instant de Die Tote Stadt, opéra inspiré du roman de Rodenbach. On en avait détaillé le procédé ici, avec tous les exemples musicaux nécessaires.

--

4. Ebauche de conclusion

Avec cela, vous avez déjà un petit panorama et une explication de la fortune de Robert le Diable, premier opéra français de Meyerbeer, aux qualités musicales inédites, au sujet assez saisissant. Sa place chronologique et son caractère onirique expliquent pourquoi, alors qu'il n'est plus guère joué, et pas forcément le plus estimable des Meyerbeer, il demeure très présent dans un certain imaginaire collectif, essentiellement au travers de la fin spectaculaire de son acte III.

Et on espère que la balade, suscitée par l'envie de partager ces quelques métamorphoses (et de lire, pour une fois, du bien de Meyerbeer, quitte à l'écrire soi-même...) vous aura diverti.

--

5. Prolongements internes

Quelques autres entrées autour de Meyerbeer sur CSS :




Et, d'une façon générale, beaucoup de correspondances avec les autres Grand Opéras étudiés dans la catégorie appropriée.

Notes

[1] Les moments musicaux forts, qui s'opposent aux récitatifs plus sobres pour faire avancer l'action. Ce sont les airs, duos, trios, quatuors, choeurs censés communiquer des émotions ou faire briller les solistes. On les numérotait sur les partitions (et on les vendait ensuite en fascicules séparés), d'où leur nom.

[2] L'Etoile du Nord est assez faible et L'Africaine souffre d'un esprit de sérieux assez pénible, sans que la musique, certes assez recherchée, soit tout à fait la hauteur. Quitte à faire prétentieux, Wagner soutient son projet. Par ailleurs, Meyerbeer n'ayant pas pu retoucher son oeuvre après les représentations, les tunnels ou faiblesses auraient peut-être, comme il l'avait toujours fait, été rectifiées à l'épreuve de la scène, avant impression.

[3] A ce propos, je précise cependant que je pense quasiment la même chose de certains Rossini de la même esthétique, et qu'il faut donc relativiser, peut-être, mon sentiment à ce sujet. Toutefois Il Crociato est assez loin d'une certaine forme de grâce et de mélancolie présentes dans La Donna del Lago, on est plus proche de la glottolalie monumentale de Semiramide, sans le moment extraordinaire du songe d'Assur.

[4] Pizzicato : Pincement avec les doigts d'une corde d'instrument à archet.

[5] Attacca : Enchaîné sans pause. C'est-à-dire qu'ici Robert survient dans le duo sans que celui-ci ne se soit interrompu.

vendredi 2 juillet 2010

Pizarro le vampire


Simplement pour signaler une mise à jour dans la notule consacrée à la réécriture de Polidori par Marschner : à l'acte II, outre le pastiche évident de Don Giovanni au premier tableau, on trouve un clin d'oeil, plus discret, au Fidelio de Beethoven dans le second tableau.

L'occasion aussi de rappeler le panorama dressé autour de la question du vampire par CSS : Polidori, Wohlbrück, Marschner, Stocker et autres êtres démoniaques par Lewis et Artaud... tout cela se trouve classé dans cette notule.

mercredi 9 juin 2010

Robert Schumann - GENOVEVA - une oeuvre et une représentation (Salle Pleyel, Märkl, Schwanewilms, Goerne)


Au pas saccadé de son cheval, Golo, plein d’un affreux dessein, sortait de la petite forêt triangulaire qui veloutait d’un vert sombre la pente d’une colline, et s’avançait en tressautant vers le château de la pauvre Geneviève de Brabant. Ce château était coupé selon une ligne courbe qui n’était guère que la limite d’un des ovales de verre ménagés dans le châssis qu’on glissait entre les coulisses de la lanterne. Ce n’était qu’un pan de château, et il avait devant lui une lande où rêvait Geneviève, qui portait une ceinture bleue. Le château et la lande étaient jaunes, et je n’avais pas attendu de les voir pour connaître leur couleur, car, avant les verres du châssis, la sonorité mordorée du nom de Brabant me l’avait montrée avec évidence. Golo s’arrêtait un instant pour écouter avec tristesse le boniment lu à haute voix par ma grand’tante, et qu’il avait l’air de comprendre parfaitement, conformant son attitude, avec une docilité qui n’excluait pas une certaine majesté, aux indications du texte ; puis il s’éloignait du même pas saccadé. Et rien ne pouvait arrêter sa lente chevauchée. Si on bougeait la lanterne, je distinguais le cheval de Golo qui continuait à s’avancer sur les rideaux de la fenêtre, se bombant de leurs plis, descendant dans leurs fentes. Le corps de Golo lui-même, d’une essence aussi surnaturelle que celui de sa monture, s’arrangeait de tout obstacle matériel, de tout objet gênant qu’il rencontrait en le prenant comme ossature et en se le rendant intérieur, fût-ce le bouton de la porte sur lequel s’adaptait aussitôt et surnageait invinciblement sa robe rouge ou sa figure pâle toujours aussi noble et aussi mélancolique, mais qui ne laissait paraître aucun trouble de cette transvertébration.


Un événement très attendu de notre saison, Genoveva était supposée transcender son caractère un peu figé au disque avec. Il faut dire que cela faisait longtemps que les lutins n'avaient pas remis la main sur le disque Masur, et que Harnoncourt ou Patané (version radiophonique inédite avec Popp) ne les satisfaisaient pas pleinement. Avec une telle distribution, un bel orchestre dont on aime beaucoup le travail avec ce chef, tout était réuni pour de la belle ouvrage.

Le résultat a étrangement été contraire à ce qu'on pouvait en attendre. Il fallait souvent convoquer la valeur qu'on avait remarqué dans cet ouvrage pour ne pas le considérer comme mineur, ou bien se délecter de sa rareté plus vivement que de son contenu.

--

1. Rédemption remise

La raison principale se trouve dans l'Orchestre National de Lyon lui-même, et dans la direction de Jun Märkl. On dispose de très belles cordes soyeuses, mais les flûtes étaient vraiment terribles (un son perçant émanait du piccolo, à faire regretter le son plein de souffle de l'ONBA ou les piaillements de l'ORTF) et souvent pas très justes, les cors un peu fébriles au début, et surtout la direction cachait les bois en tenant l'habituel discours du Schumann massif et opaque.

S'agissant d'une oeuvre un peu figée, la jouer avec une forme de retenue un peu molle est assez fatal. La moitié des gens qui sortaient prendre l'air à l'entracte (sans exagérer, nous nous trouvions tout près de la distribution des jetons de sortie...) ne revenaient pas - alors qu'il restait déjà 400 places invendues. Mais présentée comme cela, et malgré le surtitrage, si l'on n'avait pas comme certains lutins le livret original sur les genoux pour se délecter des extraits de lieder, on risquait fort de trouver le temps un peu distendu.
Et il faut reconnaître que malgré la qualité de la musique et des chanteurs, on a connu assez peu de moments d'exaltation intense. C'était une délicieuse soirée, mais avec cette matière première, il y avait de quoi réhabiliter pleinement l'oeuvre. Or, ici, on confirmerait plutôt les préjugés négatifs qui l'accompagnent usuellement.

--

2. Une construction injustement méprisée

On lit toujours que l'oeuvre sombre à cause d'un livret extrêmement médiocre : le programme de salle évoque par exemple des invraisemblances (à propos d'allusions tout à fait intelligibles) ou, plus avant dans le comique, convoque Wagner mon parler de la faiblesse dramatique du livret. Wagner, le prince du ressassement librettistique, au rang d'expert en efficacité dramaturgique !

En réalité, malgré ses naïvetés (Deus ex machina dès l'avant-dernier acte, une méchante sorcière, le pouvoir radieux de Dieu qui récompense les justes à travers l'humiliation volontaire des méchants envieux), le livret de Robert Reinick (et Schumann) comporte beaucoup d'actions assez prestement enchaînées, et couronnées par des airs délibératifs longs et assez détaillés psychologiquement.
C'est finalement, avec une langue relativement banale, d'assez bonne facture. Assez proche de l'esthétique lyrique germanique du temps, avec ses saynètes tendant à la fois vers un flux continu, et très typées. L'abondance d'actions aussi ressortit à ce genre. On peut songer à Oberon de Weber par exemple - y compris musicalement, d'ailleurs.

Schumann a même inséré au début du premier air de Genoveva O weh des Scheidens, das er tat le premier vers d'un poème de Rückert mis en musique par sa femme (et plus tard Max Reger, mais c'est une autre histoire). Il a aussi réutilisé plus tard dans l'opéra le texte de Wenn ich ein Vöglein wär, un texte de chanson populaire qu'il avait déjà mis en musique dans son opus 43 n°1 (mais pour soprano et alto, et non soprano et ténor) - Genoveva représentant l'opus 80.

Bref, une organisation dramatique peut-être déséquilibrée, mais non dépourvue de charmes.

--

3. Références

Comme d'habitude, on se divertit à observer les parentés. Et cela en dit toujours long sur l'ambition d'une oeuvre.

Elles frappent à plusieurs endroit ; dans la fièvre de certaines inflexions, le séducteur désespéré Golo rappelle (oui, c'est composé après) les appels éperdus d'Erik dans le dernier trio du Hollandais de Wagner ; et surtout, les bois sautillants, leurs scintillements aussi, au tout début du final du I (entrée de Margaretha), est vraiment dans le ton des oeuvres lyriques merveilleuses du premier romantisme : c'est l'invocation de Puck aux esprits des mers dans Oberon de Weber, c'est bien sûr le Scherzo du Songe d'une Nuit d'Eté de Mendelssohn, ce n'est pas loin non plus du scherzo de l'enchanteresse Première Symphonie de Czerny ou de la bondissante "cabalette" de Florinda dans Fierrabras de Schubert__, avec ses gestes larges.
Et on songe déjà, bien entendu, aux trois fléaux des Scènes du Faust de Goethe de Schumann, au début de la section Mitternacht, avec leur crépitement boisé et leurs piccolos perçants.

Du côté du livret, bien entendu, le martyre de la miséricordieuse Genoveva, n'osant maudire qui que ce soit, et sa 'salvation' alors qu'elle est pour ainsi dire morte, portent quelque chose de très évidemment christique, surtout après sa profession de foi - et c'est encore plus fort que Gethsémani, elle ne doute pas dans un jardin, elle se résigne dans un désert de rochers !
Et puis cette apparition du spectre de Drago qui, invité par une parole malheureuse de la sorcière, vient lui remettre les ordres de la Divinité à laquelle elle s'est toujours soustraite, avant de prononcer la sentence - et de promettre le bûcher - a tout d'un écho du Don Juan mozartien. A la même époque (enfin, une douzaine d'années auparavant tout de même, mais on reste dans le même mouvement stylistique), Marschner introduisait un pastiche de Don Giovanni dans son Vampyr.

Ce personnage du fidèle Drago, vertueux mais oublié lors d'un lieto fine délirant, pourrait figurer dans notre liste des malheureux teneurs de chandelle.

--

4. Musique

Musicalement, l'oeuvre est construite dans un flux continu (sans dialogues parlés), et la base du langage semble d'ailleurs le récitatif de type un peu 'arioso' : les récitatifs restent plus mélodiques que prosodiques, et les airs sont finalement assez peu virtuoses ou mémorables.

Suite de la notule.

vendredi 30 avril 2010

Zampa ou la fiancée de marbre : comique mais ambitieux


Passionnés depuis longtemps, comme en témoignent ces pages, par Zampa, les lutins qui peuplent ces augustes lieux se sont enfin plongés, tout récemment, dans la partition.


Le final de l'acte II (dont nous allons tirer beaucoup d'exemples) dans son entier, afin de juger sur pièces.


Mais tout d'abord, qu'on se rappelle :

  • Structure de Zampa.
  • La place de la clarinette dans la partition et la parodie de Don Giovanni. (On en avait déjà observé une dans le Vampire de Marschner, voir à l'acte IIa.)
  • L'humour dans cette parodie.


Et, à la lecture, donc, on est frappé par maint détail. Non pas que l'oeuvre soit novatrice évidemment, mais elle témoigne d'un raffinement véritablement rare à cette époque, qui la rapproche grandement de l'esprit de Meyerbeer, son contemporain (1831 pour Zampa).

--

1. Le livret

La gentille dérision du librettiste Mélesville sur ses personnages, bien sûr, en particulier le jeune premier (chose fréquente chez Scribe), qui a toujours quelque chose d'un peu maladroit, de presque gracieux par sa candeur malhabile. C'est ici difficile à justifier par le livret, c'est plus en sentiment diffus que pour Raoul qui se ridiculise devant la reine ou Jean de Leyde qui s'égare dans ses engagements politiques ; mais tout de même, le malheureux Alphonse qui se méprend sur l'amour qu'on lui porte et insiste comme un niais en acculant l'aimée à l'aveu bien franc, manière de compenser l'incapacité absolue de son amant à décrypter des allusions limpides - c'est assez amusant. Et dans un contexte qui n'est pas tragique comme dans Callirhoé (où Agénor semble aussi quelque peu enrhumé du cerveau), on en sourit gentiment ici, ainsi qu'en quelques autres occasions, surtout si les dialogues parlés favorisent un peu la bonne humeur.


Camille Roqueplan (1803-1855), Valentine et Raoul, représentation du duo de l'acte IV. Conservé au Musée des Beaux-Arts de Bordeaux, mais je n'ai étrangement jamais pu le voir... Autant dire que ce chef-d'oeuvre n'est pas vraiment l'image de marque la plus prestigieuse qui puisse être.


--

2. Rythmes, harmonies, orchestration

Et surtout la qualité d'écriture musicale. Hérold écrit une musique très modulante et expressive. Les carrures rythmiques régulières n'empêche pas d'oser, comme chez Mozart, des choses un peu décalées, du procurent du rebond ou du caractère aux différentes sections : un certain nombre de figures ne débutent pas sur le temps par exemple.
Et plus que tout, de pair avec l'évolution des sentiments, Hérold ménage sans cesse des modulations (c'est-à-dire des changements de tonalité de référence, donc de couleur), ce qui n'était pas utilisé à l'époque à ce rythme effréné. Cela explique la variété de ce que l'on entend, et qui ne lasse pas comme peuvent le faire d'autres oeuvres du même caractère, mais beaucoup plus linéaires (on en trouve chez Grétry, Spontini, Rossini, Cherubini notamment).

On allie ainsi le rythme virevoltant à la progression émotive, ce qui est très exaltant à l'arrivée.

En tout cela, on rejoint grandement le souci d'écriture de Meyerbeer. Le Pré aux clercs, le seul autre opéra de Hérold à peu près disponible (au moins en partitions, on en trouve facilement en occasion - parce que pour les disques, c'est franchement une autre histoire), dispose de qualités semblables et d'un soin tout particulier au climat des accompagnements à l'orchestration pourtant excessivement simple, mais n'a pas l'envergure musicale, il me semble, de l'écriture de Zampa (qui, précisément, est plus complexe dans ses figures d'accompagnement et plus soigné dans le choix des couleurs orchestrales).

--

3. La bizarrerie de l'orgue

L'acte II se termine par une longue séquence d'orgue (une à deux minutes), seul, des accords ad libitum et sans mesure mais de plus en plus brefs, avec des couleurs harmoniques assez étonnantes, pas vraiment consonantes, vraiment menaçant comme peut l'être l'union d'une jeune amante forcée au mariage par le terrible corsaire. L'orchestre se contente de conclure très brièvement ensuite.

Ce passage solo constitue une rupture assez inacoutumée. Autant Verdi pourra trente ans plus tard lui faire débuter un acte dans La Force du Destin, autant lui faire conclure brutalement un acte, et avec ce degré d'instabilité dans le discours musical, c'est vraiment étonnant.



Cela entre de toute façon dans la logique d'une imbrication assez meyerbeerienne des différents "numéros" normalement bien isolés. La structure des morceaux canoniques (l'air de Zampa du début de l'acte II par exemple) est d'ailleurs assez fantaisiste, avec beaucoup de sous-parties et d'évolutions, sans nécessairement les habituelles reprises destinées à équilibrer le tout.

--

4. La voix de Zampa

Enfin, l'écriture même du rôle-titre a quelque chose de très surprenant, que je ne crois pas avoir vu dans aucun autre opéra. Selon les moments, et au sein du même "numéro" si nécessaire, la portée peut être en clef de sol (pour ténor, donc jouée à l'octave inférieure) ou en clef de fa !


Où l'on voit que Zampa, dans cet opéra où les quatre rôles masculins importants sont tous ténors, peut tenir la ligne qui est harmoniquement la basse de l'accord. Tout cela pourrait pourtant être noté aisément en clef de sol. Pour les lignes les plus basses, Hérold prévoit qu'un choriste peut tenir dans certains ensembles réduits le rôle d'un Corsaire basse.



On peut même rencontrer ces changements de clef pour des airs, comme ici à la fin de l'acte I.


Le rôle lui-même est extrêmement exigeant, évoluant du sol grave (sol 1, la limite basse pour un baryton), au contre-ut (ut 4, la limite haute pour un ténor, à part formats vraiment léger), et un contre-ut qui doit être aisé, exécuté au fil d'une vocalise. On trouve même deux mesures contiguës où les deux notes extrêmes sont sollicitées !



A l'acte II.


Ce n'est donc pas un baryténor (le ténor grave de Licinius dans la Vestale, chantable par un baryton), mais bien un véritable ténor avec une extention grave hors du commun - beaucoup de moments expressifs se trouvent sous l'ut 2 (la limite basse pour un ténor est le si bémol 1, et l'ut 2 est déjà peu audible en règle générale).

Mais la démarche d'alterner les clefs est vraiment surprenante, signe d'une réflexion plus que superficielle sur la composition - c'est une initiative que les aligneurs de notes n'auraient pas forcément songer à appliquer.

Bref, ceux qui ont sifflé Richard Troxell lors des premières représentations de la production à l'Opéra-Comique, parce que son timbre était un peu métallique et pas celui d'un oiselet bellâtre (ce qui était, on l'aura compris, aussi absurde dramatiquement qu'impossible vu la typologie du rôle), ceux-là étaient non seulement des goujats, mais en plus des imbéciles.

--

En somme, la lecture de la partition réservait encore quelques surprises très favorables sur le soin d'écriture de ce petit bijou. Il faudra bien un jour publier un disque de cela, tout de même. Lorsqu'on songe qu'on a quelques Adam pas tous prioritaires, tellement de Messager en doublon, et toujours pas un Hérold ! (Je ne vais même pas parler des intégrales des Sonates pour piano de Beethoven, ce serait déloyal.)

N.B. : Bien que nous disposions de plusieurs versions, pour des raisons pratiques tous les extraits sont tirés de la version Christie radiodiffusée lors de la première série (mars 2008) de représentations à l'Opéra-Comique, dont voici la distribution commentée. (Une seconde série, avec Jaël Azzaretti remplaçant Patricia Petibon et Noël Lee remplaçant Bernard Richter, a eu lieu au même endroit en décembre 2008, mais n'a pas été captée pour la radio.)
C'est en tout état de cause une version superlative, ce qui ne nous laisse pas trop de regrets sur ce choix dicté par la logistique.

mercredi 3 mars 2010

Le niveau monte - II - (Retour sur l'Age d'Or vocal)


Bien, déjà il faudra distinguer entre les âges d'or. Pour la musique instrumentale, tout le monde reconnaît que le niveau, au moins technique, a considérablement monté, et qu'il y a toujours de grands chefs, violonistes, etc.

Il en va de même pour les chanteurs, qui parviennent à présent à chanter Wagner en rythme - alors qu'auparavant, même pour Verdi, on pouvait parler d'exploit, ou à tout le moins de rigueur inaccoutumée.

A mon avis, l'Age d'Or est un leurre, et j'ai même déjà dit sur CSS qu'en ce qui concerne le lied, le véritable âge d'or se déroulait sous nos oreilles, en ce moment (répertoire, style, expressivité).

Mais il existe cependant, pour le chant lyrique de façon plus générale, quelques raisons de croire qu'il y a eu un Age d'Or. La plupart sont des effets d'optique, mais pas toutes. On vous en propose quatre, un peu argumentées.

Suite de la notule.

lundi 17 août 2009

Le mystère de la 文革 à l'Opéra

0. Avant-propos

文革, Morloch vous le dira, c'est-à-dire Révolution Culturelle. Au sens métaphorique s'entend.

On a beau s'interroger, on patauge sur ce sujet.

Le mystère de l'histoire des représentations lyriques est fort épais sur ce point, et pourtant il y a à peine cinquante ans que tout a eu lieu.

On se propose de faire un petit panorama de la langue originale à l'Opéra. Avec un gros point d'interrogation.


Certains interprètes généreusement militants ont toujours tenu à tout chanter en langue étrangère.


--

1. Un mystère épais

Comment se peut-il qu'en seulement 10 ans, la majorité des maisons d'Opéra du monde aient définitivement adopté la langue originale de l'oeuvre représentée comme un dogme, alors que c'était précisément l'attitude inverse qui prévalait partout dans les années 40 ? Au cours des années 50, la révolution s'effectue à une vitesse vertigineuse.

On pourrait objecter une prise de conscience - mais, précisément, ce changement prête à débat, et on imagine que le public a dû, même minoritairement, s'émouvoir de ce changement radical de ses habitudes, qui va bien au delà d'un petit contre-emploi ou d'une mise en scène un peu audacieuse.

--

2. Histoire sommaire de la vocation de l'opéra et de son positionnement idiomatique

Il convient tout d'abord de planter le décor et de distinguer.

L'opéra était initialement composé pour le public d'un pays donné ; mieux, à l'origine [1], il était censé couvrir la fonction d'un spectacle d'élite, exaltant plus fort encore les vertus théâtrales. Lorsqu'il s'est popularisé, c'est-à-dire étendu au peuple des grandes villes (et encore, peuple, même si plus large que la seule bourgeoisie, ne recouvrait pas tout), il s'adressait également à un public avant tout local. On composait donc pour un lieu donné, une oeuvre donnée.
Il y avait à cela deux raisons assez simples :
- on ne concevait pas l'opéra comme un patrimoine muséal ainsi qu'il en va aujourd'hui, donc les oeuvres anciennes n'étaient pas souvent reprises et on ne jouait guère que du nouveau, dans le goût actuel, ou bien on remettait largement au goût du jour [2] ; - dans le même temps, les oeuvres ne circulaient guère de ville à ville.

De ce fait, on écrivait simplement dans la langue du public pour le public du théâtre qui avait commandé l'oeuvre, ni plus, ni moins. Les compositeurs étrangers devaient adopter le cahier des charges local. Cet état de fait perdure jusqu'au XIXe siècle : chaque nation, et même chaque ville représente ses propres opéras, adaptés à son caractère.

--

3. Le contre-exemple : les premières tournées internationales

Il existait cependant des exceptions intéressantes, dès la période la plus ancienne : les tournées. C'est même ainsi que Louis XIV a eu envie d'un théâtre à machines et à danses, comme l'Ercole Amante de Cavalli (où Lully ajoutait déjà les divertissements), mais qui soit dans sa propre langue et adapté à son goût. De la même façon, on allait voir à Paris des spectacles de Commedia dell'Arte ou des castrats apportés par Mazarin, même sans comprendre l'italien, simplement pour les situations visuelles, les gestes, la musique. Le peuple qui n'était pourtant pas polyglotte pouvait se presser à ce genre de spectacle.

Et jusque dans les années 50-60, on retrouvera ce principe.
Ainsi, la fleur du chant wagnérien allemand venait-elle interpréter, en allemand, un Ring à Bordeaux dans les années 50 sous la direction de Knappertsbusch, en important chanteurs, langue et même orchestre. Il fallait donc connaître son Wagner, être bon en allemand ou... se préparer à être surpris. Car il faut le rappeler, certains titres de Wagner ont été représentés fort tard en France, et le surtitrage est un dispositif technique très récent.

C'était alors un spectacle de prestige, un peu exceptionnel, une ambassade stylistique, qui pouvait parfois supplanter le goût local, comme par exemple lors de la Querelle des Bouffons en France. [3]


Hilde Konetzni, Wiener Kammersängerin et Maréchale à Bordeaux au tout début des années 60. C'était notamment la Sieglinde et la Gutrune du Ring scaligère de Furtwängler en 1950.
(image Cantabile-Subito)


--

4. Situation opératicolinguistique dans les nations lyricophiles

Jusqu'aux années 50, on se trouvait ainsi dans une configuration où des chanteurs pour l'immense majorité natifs ou résidents depuis très longtemps chantaient dans la langue du pays pour des spectateurs de ce pays.

C'était fonction des traditions d'opéra nationales, cela dit :

  • En Italie, en Allemagne, en France, on chantait tout dans la langue locale.
  • En Tchécoslovaquie, on chantait bien sûr en tchèque, mais on pouvait tout à fait absorber le répertoire allemand. Il existait différentes institutions : à l'Opéra National de Prague, on chantait tout en tchèque, à l'Opéra d'Etat, c'était plutôt la culture allemande qui prévalait. Pour la radio, on trouve trace de choses fabuleuses, en tchèque s'il vous plaît : Fidelio de Beethoven, Der Freischütz de Weber, Il Trovatore de Verdi, La Dame de Pique de Tchaïkovsky...
    • A ce propos, vous pouvez lire un petit récapitulatif sur les forces musicales pragoises ici et chercher quelques-uns de ces enregistrements de radio dans notre catégorie 'Domaine public' (c'est en plus remarquablement interprété).
  • Dans les pays à plus faible rayonnement linguistique, on pouvait faire cohabiter la production locale, qui apparaît au cours du XIXe siècle, et sans aucune prétention au renouvellement esthétique, avec des oeuvres dans une langue largement maîtrisée par la population (au XIXe, les oeuvres peuvent circuler de théâtre à théâtre et même de pays à pays, moyennant contrats) : allemand pour les scandinaves par exemple.
  • En Russie, on ne chante qu'en russe (à quelques exceptions extraordinaires près comme la commande de la version originale de La Forza del Destino de Verdi pour Saint-Petersbourg [4]), et essentiellement du répertoire russe. Lorsqu'on importe des compositeurs furieusement exotiques comme Wagner, on le fait en traduction russe (le très beau Lohengrin dirigé par Samosud en 1949 en témoigne). Aujourd'hui encore, la Russie est extrêmement enclavée culturellement.
  • Pour les pays hispanohablantes du Nouveau Monde, n'ayant pas de culture linguistique forte à l'Opéra (bien qu'il existe des traces d'oeuvres mythologico-morales composées dans les missions à l'ère baroque), c'est généralement la culture italienne (surtout, on s'en doute, en Argentine) qui est adoptée, mais on ne traduira pas les autres langues comme le feraient les Italiens. On accueille beaucoup d'artistes européens, il faut dire, au Teatro Colón de Buenos Aires...
  • En Amérique du Nord, ne disposant pas de tradition lyrique anglophone, les théâtres utilisent déjà, au début du vingtième siècle, la langue originale des oeuvres abordées. Fait remarquable, la tradition wagnérienne y est si fortement ancrée que la propagande pour la Seconde guerre mondiale n'entame pas la régularité des représentations, en allemand et avec des allemands...
    • On n'y trouve pas de Britten ni de Ralph Vaughan Williams, parce que les langages audacieux d'Europe du début du vingtième y étaient (et y sont encore !) fortement répulsifs - quand on dit audacieux, c'est tout ce qui excède Debussy, Ravel est déjà suspect. Il faut par exemple attendre le 5 mars 1959 pour voir créer Wozzeck de Berg (1925), avec ce qui se fait de meilleur (Karl Böhm, Eleanor Steber, Hermann Uhde !), mais, afin de faire passer la pilule... en anglais. Pilule qui n'est au demeurant toujours pas passée. On trouvera en revanche quelques oeuvres écrites par des compositeurs américains, dans un style néoromantique qui n'a pas énormément évolué depuis lors (où c'était déjà plus que l'arrière-garde) jusqu'à aujourd'hui. Qu'on compare Emperor Jones de Louis Gruenberg avec A Streetcar named Desire d'André Previn et à présent An American Tragedy de Tobias Picker... l'évolution est lente.


Tout cela résulte de mon observation personnelle, mais il y aurait sans doute à affiner en consultant les archives de chaque théâtre, au moins pour les capitales, ce qui révèlerait sans nul doute des phénomènes masqués par la postérité.


Lawrence Tibbett en Brutus Jones dans The Emperor Jones de Gruenberg.
(image Cantabile-Subito)


--

5. Le triomphe du respect

Cependant, tout à coup, on change du tout au tout : la langue originale prévaut.

Cela se fait rapidement et, surtout, partout. Ou du moins, simultanément dans les trois grandes nations opératiques : Italie, Allemagne / Autriche et France.

En l'absence de données sur la question, que nous attendons en vain de trouver, on pourrait penser que la lumière s'est fait jour, et que, tout simplement, l'évidence l'a emporté : on a écrit une oeuvre et il s'agit de la respecter dans sa totalité, le compositeur plaçant ses intentions sur un mot précis, avec toutes ses connotations, écrivant pour le galbe de phrasées données.
Après tout, le refus des coupures, et du côté des baroqueux le retour à la partition allaient bientôt (quelques dizaines d'années tout de même !) se manifester. Signe des temps de respect envers les compositeurs.

Cela se pourrait, de la même façon qu'on a ensuite unanimement applaudit le surtitrage... A la bonne heure.

Mais il reste une question assez considérable, pour ne pas dire énorme : pourquoi cette unanimité si prompte, et surtout pourquoi cette absence de fronde des publics (en tout cas l'absence de fronde célèbre relatée) ? Car il ne s'agit pas d'un ajustement à la marge, cela change tout de bon la nature du spectacle.

--

6. L'Opéra au vingtième siècle, l'histoire d'un retour aux sources

Il est vrai que les attentes vis-à-vis de l'opéra et le public varient considérablement au cours de l'Histoire.

D'annexe du genre littéraire, l'opéra va devenir le lieu de la fascination pour la voix (avec pour sommet le belcanto de l'opéra seria, puis celui, à peine moins extrême, de l'opéra romantique italien préverdien). Le genre est traité en musique pure jusqu'à la date assez récente (années 70) de l'arrivée des grands metteurs en scène, qui proposent des lectures personnelles et surtout mobiles des pièces mises en musique. On arrête de placer des pâtisseries sur le dos et la tête des chanteurs et de les planter en avant-scène pendant trois heures, et on commence à faire du théâtre. Chose qui, scéniquement parlant, est une première dans l'histoire de l'opéra en même temps qu'un retour aux sources du genre, le recitar cantando (« déclamation chantée »). On retourne donc à une place importante du texte, perdue depuis la troisième école de tragédie lyrique, c'est-à-dire vers 1730-1750 - sachant que les Français ont été les plus longs à résister dans leur attachement au texte.

Paradoxalement, c'est ce respect qui va justifier qu'on le donne en langue étrangère...

Ensuite, le public. Initialement aristocratique et choisi, il va vite répandre sa fascination dans les autres couches sociales, de pair avec le goût des voix en Italie et le goût des machines en France. Le public mêlé de l'Opéra de la fin du XVIIIe, puis du XIXe venait assister à un divertissement complet, où l'on mêlait histoires morales (l'opéra-comique sur les livrets de Favart était le divertissement familial par excellence), décors fastueux, récits merveilleux et musiques plaisantes à danser (l'architecture de l'Opéra Garnier à Paris est tout entière pensée pour le corps de ballet... et ses rencontres avec les protecteurs).
Le cinéma va prendre au vingtième siècle le relais du divertissement grand public, avec ses codes fixes [5] et sa morale. Dès lors, l'Opéra devient un divertissement d'esthète, tout cela en parallèle avec l'autonomisation des langages : depuis le romantisme, le créateur est de plus en plus libre de produire ce qui lui plaît, sans que le public ait son mot à dire. Ce qui produit concomitamment une situation où le divertissement de masse change de support tandis que l'exigence du genre Opéra devient de plus en plus sévère.

On peut donc aussi relier cette quête de la langue originale à un changement du public, qui devient une sorte d'élite culturelle, et peut donc maîtriser plusieurs langues - ou souhaite faire croire qu'il les maîtrise totalement. Cette recherche de pureté et d'exactitude concorderait, en tout cas.


Le Palazzo Dandolo avait été racheté par les Mocenigo. En 1630, pour célébrer le mariage de sa fille, Girolamo Mocenigo commande à Monteverdi une Proserpina, sur un livret de Giulio Strozzi. Perdue pour nous, mais qui fut effectivement exécutée dans les appartement des Mocenigo.
Le Palazzo Dandolo est aujourd'hui occupé par le célèbre hôtel Danieli de Venise.


--

7. Conséquences majeures

Mais tout cela n'explique pas, en réalité, l'absence à peu près totale de résistance dans le processus.

Il faut bien concevoir que cette imposition de la langue originale était une révolution profonde. Pour les chanteurs, cela signifiera de plus en plus chanter devant un public étranger une langue étrangère à soi aussi bien qu'au public.

Et, surtout, le surtitrage n'existant pas encore, cela supposait que le public connaisse bien l'oeuvre avant qu'elle soit représentée, ou bien accepte de ne rien comprendre à l'affaire ! Cela à l'époque où la mise en scène sérieuse allait naître - quel intérêt d'assister à une oeuvre bien mise en scène mais incompréhensible ? Qu'on imagine, si l'on peut, si en 2019 tous les films devaient être passés dans les salles en VO non sous-titrée ! Et encore, la majorité des films et des publics ayant en commun l'anglais, on pourrait s'en sortir plus commodément, mais on imagine aisément la fureur générale, tournée contre ces quelques oligarques décérébrés qui veulent gâcher le meilleur des divertissements !

Alors qu'auparavant, on avait, et chanté de façon intelligible en plus [6], tous les opéras dans sa propre langue, avec par conséquent une force incroyable, quelque chose de direct, sans médiation.
Certes, les chanteurs n'en profitaient pas forcément pour interpréter, mais il faut bien songer que lorsqu'on a retiré les traductions de la circulation, les metteurs en scène inspirés et les chanteurs-acteurs ne sont pas apparus du jour au lendemain ! [7]

Bref, comment se fait-il qu'un grand débat n'ait pas eu lieu, et avec des politiques très contrastées selon les aires culturelles et même les théâtres à l'intérieur de chacune d'entre elles ? Les conséquences étaient majeures !

--

8. Interrogation résiduelle et position de Carnets sur sol

Aujourd'hui encore, le débat nous paraît entier, et à défaut de pouvoir assurer à chaque fois des distributions alternées, on pourrait jouer des oeuvres dans la langue du public pour certains opéras difficiles d'accès ou pour changer l'approche de certains standards. C'est toujours un plaisir différent, mais un vrai plaisir. Quitte à refaire la traduction si elle est trop datée ou biaisée. Car même avec le surtitrage, l'interstice entre ce qui est dit et qui est perçu est assez ample en réalité. [8]

L'English National Opera (ENO) le fait d'ailleurs à Londres, avec des standards uniquement, et publie chez Chandos des intégrales anglophones de toute première valeur (souvent des références, même...). Dans la plupart des pays cependant, cela paraît désormais une coutume très marginale et exotique ; tout au plus peut-on y investir pour de l'anglais, qui peut se vendre à échelle planétaire.

En somme, il nous reste toujours l'interrogation majeure : comment cette posture de la langue originale, qui est vraiment un choix idéologique qui ne vaut ni plus ni moins que l'autre (les deux peuvent être mis au service du théâtre, soit pour qu'il soit exact, soit pour qu'il soit direct...), a-t-elle si promptement triomphé, et sans réplique ? Plus personne ne réclame le retour de la période ancienne dans les publics, et depuis longtemps, alors qu'il y a toujours des nostalgiques de l'Algérie française par exemple (et qu'on sait bien que l'Algérie n'est pas recolonisable, alors qu'on pourrait tout à fait changer une coutume aussi récente, dans les théâtres) - pour un même écart temporel. Et l'Opéra a plus longtemps été en langue vernaculaire que l'Algérie n'a appartenu à la France (et c'était qui plus est sans protestation d'aucune sorte, personne n'y pensait tout simplement).

Disposant à présent des fonds immenses de la seconde ville du monde, nous pourrons peut-être tirer de documents plus précis les réponses que nous cherchons. Mais, décidément, quelle singulière occultation !

Notes

[1] Qu'on songe aux cours de Florence et de Mantoue ou au règne de Louis XIV...

[2] Dans le domaine de la tragédie lyrique, les meilleurs titres étaient souvent rhabillés sur le même livret, en réécrivant en particulier les divertissement et en conservant simplement l'action telle qu'écrite par le premier compositeur, parce que le récitatif demeurait efficace.

[3] Durant la Querelle des Bouffons, les partisans de la tragédie lyrique, genre qui laissait une part de choix au beau texte, se réunissaient autour du Coin du Roi, côté jardin (à gauche en regardant la scène), menés par Madame de Pompadour. En face, le Coin de la Reine, rassemblant les farouches partisans des Italiens, qui voulaient de la musique avant tout, qui reprochaient sans cesse aux chanteurs français de brailler, qui raillaient le vieux style... mené, c'est là la drolerie, par des littérateurs : Grimm, Diderot, et bien sûr Rousseau. C'est la victoire du goût Italien qui permettra que Grétry succède à Rameau, à moins que la réforme ascétique de Gluck y ait aussi sa part, ou tout simplement l'imposition tardive en musique d'un goût classique.

[4] Elle n'est plus jouée, mais on la trouve très bien interprétée au disque sous la direction de Valery Gergiev (Philips), avec l'équipe du Mariinsky.

[5] On peut voir les codes fixes du Grand Opéra notamment ici et ceux du cinéma .

[6] Je défends l'idée que la nécessité de chanter dans plusieurs langues accroît les difficultés, et que le creux des années 70 et 80 dans l'intelligibilité, heureusement amélioré par la vague baroqueuse, tenait pour grande partie à la nécessité d'apprendre à chanter dans des tas de langues, sans que les professeurs n'aient appris comment on faisait cohabiter une technique avec plusieurs phonations différentes...

[7] Oui, encore et toujours l'Age d'Or actuel du chant et de la programmation...

[8] Et l'on dit cela tout en rappelant que rien ne nous enthousiasme plus qu'une langue étrangère bellement dite...

mardi 28 juillet 2009

Escapade permanente

Ceux qui savent lire et écouter connaissent déjà notre sort. Appelés par le service glorieux de la Nation sur les fronts menacés de la République, la troupe joyeuse des lutins va prochainement prendre son essor, en une nuée de tapis volants bigarrés, vers d'autres cieux chargés de périls. Là-bas, l'épreuve est vaste - là-bas, la gloire est immense.

Suite de la notule.

Der Vampyr (« Le Vampire ») de Marschner sur 'Carnets sur sol'


Pour naviguer plus aisément, voici un petit rappel à l'issue de cette série (la dernière étape a paru aujourd'hui).

Tout d'abord, vu la quantité et l'interpénétration des notules, les lutins ont créé une catégorie spécifique autour du sujet, afin de facilité le repérage des lecteurs. Mais cette catégorie ne contiendra pas les oeuvres littéraires fantastiques abordées cet été. Donc, un petit mode d'emploi.

--

A. Sources

Le texte original de John William Polidori ou bien la traduction d'Henri Faber : http://fr.wikisource.org/wiki/Le_Vampire_(Polidori) (texte non vérifié, il comporte donc encore quelques coquilles, et notamment quelques confusions entre passé simple et subjonctif imparfait à la troisième personne du singulier - amplement lisible cela dit !).

Le livret en bilingue allemand / espagnol (même pour les francophones stricts, c'est relativement lisible).

B. Série de Polidori à Marschner

1. La genèse improbable du texte de Polidori, premier texte emblématique autour de la figure du vampire : à cause d'une éruption indonésienne.
2. Les enjeux fondamentaux de la préface du Vampire de John Polidori.
3. Le découpage en motifs de la nouvelle.
4. Le réagencement des motifs dans l'opéra.

C. Autres entrées sur Marschner

=> Le mélodrame du I dans la discographie du Vampire.
=> Une version audio libre de droits (mp3).
=> Quelques mots sur d'autres oeuvres de Marschner.
=> Pensez à consulter la catégorie opéra romantique allemand, dans laquelle il est souvent dressé des parallèles avec cet opéra.

D. Sujets connexes : fantastique et vampires

=> Les deux notules autour du roman Dracula de Bram Stoker, acte de naissance du phénix des vampires : contexte et structure ; complexités et réécriture. On y aborde notamment la question de la notion de fantastique, qui évolue entre le début du XIXe et la fin du même siècle.
=> Par ailleurs, par extension, on fait aussi appel de temps au Moine de Lewis, que nous avions commenté en son temps , jusqu'à regarder d'un peu plus près la réécriture d'Antonin Artaud.

--

Bonne lecture !

Le Vampire de Byron / Polidori à Marschner / Wohlbrück - IV - Réagencement des motifs chez Marschner, et conséquences


Avant de poursuivre avec Marschner, ajoutons peut-être deux mots sur le texte de Polidori lui-même.

  • On perçoit bien que ce qui donne de l'intérêt à ce récit, en fin de compte, est bien le ressort du passage de l'incrédulité à l'adhésion - typique des histoires de vampires. Même la préface rationnalisante ne l'atténue pas, au bout du compte. Une fois pris dans l'illusion romanesque, même assez peu vigoureuse comme ici, le lecteur se laisse dériver rapidement vers l'adhésion aux thèses impossibles qui conduisent le récit - sinon, de toute façon, on ferme le livre et on part marcher en forêt à la place.
  • Concernant plus précisément Aubrey, son sort est quasiment une fable sur les dangers de la curiosité (sa motivation principale, à moins que cette fascination, comme les tuteurs le lui écrivent à Rome, ne soit le fait de l'art vampiresque). Puis lié à l'imprudent d'un serment trop absolu à un mourant suspect (le cas typique où l'auteur cherche à faire crier le lecteur d'indignation devant la crédulité fatale du personnage). Ensuite, la débilité qui s'empare de lui, alternant avec des crises plus vigoureuses, une folie de douleur devant le sort possible de sa soeur, mais qui décribilise par avance son propos devant tuteurs et médecins... Et celui-ci n'est pas prêt, on ne sait trop pourquoi, à rompre ce serment inique. Ce héros trop romantique, comme nous le dit d'emblée Polidori, réagit par l'abattement rêveur face au danger, et abandonne de ce fait sa soeur. Si bien qu'on peut se demander, quelque part, si Aubrey a bien vu ce qu'il a vu, considérant sa faiblesse mentale...


N.B. : Plusieurs liens peuvent être utiles si des allusions sont faites dans cette notule.

  1. Le texte original de John William Polidori ou bien la traduction d'Henri Faber : http://fr.wikisource.org/wiki/Le_Vampire_(Polidori) (texte non vérifié, il comporte donc encore quelques coquilles, et notamment quelques confusions entre passé simple et subjonctif imparfait à la troisième personne du singulier - amplement lisible cela dit !).
  2. La genèse improbable du texte de Polidori, premier texte emblématique autour de la figure du vampire : à cause d'une éruption indonésienne.
  3. Les enjeux fondamentaux de la préface du Vampire de John Polidori.
  4. Le découpage en motifs de la nouvelle.
  5. Les deux notules autour du roman Dracula de Bram Stoker, acte de naissance du phénix des vampires : contexte et structure ; complexités et réécriture.


--

5. Le livret de Wohlbrück

A présent, observons le livret utilisé par Marschner. On reprendra les numéros de situations pour établir les correspondances.


Heinrich (August) Marschner.


Suite de la notule.

lundi 27 juillet 2009

De Byron / Polidori à Marschner / Wohlbrück - III - Déroulement et motifs de la nouvelle de Polidori

On aura aussi vite fait de le lire, mais pour les lecteurs qui souhaitent juste remonter le fil depuis Marschner, un petit synopsis. Surtout, nous marquons les jalons de ce qui va se retrouver dans le livret de Wohlbrück. Dès que nous publierons la suite, nous utiliserons ces repères pour identifier les motifs qui ont été réutilisés mais changés de place.


John William Polidori, médecin personnel de Lord Byron, présent lors de la fameuse soirée.


Comme le résultat sera par la force des choses long à lire, on permet aux lecteurs de CSS de s'avancer un peu en s'imprégnant déjà des structures importantes de Polidori. Cette notule n'a donc pas d'intérêt en soi que de constituer l'introduction indispensable à ce qui va suivre.

--

N.B. : Plusieurs liens peuvent être utiles si des allusions sont faites dans cette notule.

  1. Le texte de John William Polidori dans la traduction d'Henri Faber : http://fr.wikisource.org/wiki/Le_Vampire_(Polidori) (texte non vérifié, il comporte donc encore quelques coquilles, et notamment quelques confusions entre passé simple et subjonctif imparfait à la troisième personne du singulier - amplement lisible cela dit !).
  2. La genèse improbable du texte de Polidori, premier texte emblématique autour de la figure du vampire : à cause d'une éruption indonésienne.
  3. Les enjeux fondamentaux de la préface du Vampire de John Polidori.
  4. Les deux notules autour du roman Dracula de Bram Stoker, acte de naissance du phénix des vampires : contexte et structure ; complexités et réécriture.


--

4. Le récit de Polidori

Suite de la notule.

samedi 25 juillet 2009

De Byron / Polidori à Marschner / Wohlbrück - II - Préface et enjeux du Vampire original



Arrivée d'Aubry priant, puis menaçant Lord Ruthven sur le point d'épouser à sa place sa fiancée pour se repaître de son sang. Ruthven lui fait la réponse terrifiante qu'on peut lire ci-dessous.


N.B. : Plusieurs liens peuvent être utiles si des allusions sont faites dans cette notule.

  1. Le texte de John William Polidori dans la traduction d'Henri Faber : [http://fr.wikisource.org/wiki/Le_Vampire_(Polidori)] (texte non vérifié, il comporte donc encore quelques coquilles, et notamment quelques confusions entre passé simple et subjonctif imparfait à la troisième personne du singulier - amplement lisible cela dit !).
  2. La genèse improbable du texte de Polidori, premier texte emblématique autour de la figure du vampire : à cause d'une éruption indonésienne.
  3. Les deux notules autour du roman Dracula de Bram Stoker, acte de naissance du phénix des vampires : contexte et structure ; complexités et réécriture.



Combat du Giaour et du Pacha d'Eugène Delacroix.
Huile sur toile, 73 x 61 cm.
Musée du Petit-Palais, Paris.
Voir plus bas la citation correspondante : ce tableau de 1835 est directement inspiré du poème de Byron de 1814, cité par la préface de Polidori.


On le mentionnait précédemment, le plus intéressant dans la nouvelle Le Vampire de John William Polidori, tirée de l'ébauche de Lord Byron, est bien son Introduction. En plus de rattacher le vampire à l'univers de la superstition, cette préface le caractérise avant tout par son injustice effroyable : le châtiment peut frapper l'innocent, et le conduire à torturer, impuissant mais en toute conscience, les êtres qu'il a le mieux aimés.

--

1. Superstition

Polidori rappelle ainsi les origines orientales immémoriales, les superstitions de la Grèce chrétienne (le rite latin empêchant prétendûment la décomposition des corps), puis en Europe Centrale. Il en décrit même les variantes ; celle d'Europe Centrale correspond précisément au vampirisme de Stoker : le monstre ne tue pas ses victimes d'un seul coup, mais les affaiblit nuit après nuit.
Il pousse la documentation (et la mise à distance avant même de débuter son récit !) jusqu'à citer la Gazette de Londres de 1732, et à relater l'histoire d'Arnold Paul, assailli par un vampire en Hongrie, et malgré les rites, devenu vampire à son tour. On retrouve les caractéristiques bien connues : absence de corruption du corps inhumé, rejet d'un sang pur jusque par les pores. Pour régler la cause, épieu, décapitation, immolation, cris horribles du mort, on voit de quel coin Stoker avait tenu son corpus superstitieux.

Dans une préface destinée à introduire une nouvelle brève et épouvantable, on fait mieux pour la mise en condition du lecteur. Ici, on lui fournit toutes les clefs pour se défendre de l'impression qu'elle pourrait lui faire.

--

2. Véridique

Cependant cette parole rationnelle, et l'accumulation de ses sources, dont certaines hautement qualifiées de véridiques (les Voyages de Tournefort), donnent du crédit à celui qui va raconter cette histoire. On avait déjà vu le procédé, précisément, chez Stoker : mobiliser la science pour bien montrer qu'on ne peut pas expliquer le phénomène, qu'il la dépasse.

Polidori me paraît toutefois dans une démarche beaucoup plus saine d'information de son lecteur, lui procurant amplement les moyens de faire résistance aux assauts qu'on va porter contre son incrédulité.

De son propre aveu, il fournit les renseignements « nécessaires à l'intelligence de la Nouvelle qui suit », c'est-à-dire que le but affiché est tout simplement d'instruire le lecteur - si bien qu'il achève son introduction par un catalogue de vocables équivalents au terme retenu de « vampire ».

--

3. Un but littéraire

(Et Giaour.)

Suite de la notule.

mercredi 22 juillet 2009

Marschner / Wohlbrück - DER VAMPYR : une histoire des sources depuis Byron-Polidori

Il faut peut-être débuter cette balade par l'Indonésie, lorsqu'en 1815, le Mont Tambora entra en éruption. Il s'agit de la plus forte éruption connue depuis l'an 186, sur le degré 7 de l'échelle de Chris Newhall (baptisée Volcanic Explosivity Index). Le seul degré restant, le huitième, remonte à 26500 années.
Pour donner une idée simple : chaque degré suppose une multiplication par 10 de la force de l'éruption. La vulgarisation s'arrête généralement au degré 3 ou 4, baptisé péléen, et qui correspond à l'explosion de la Montagne Pelée en 1902. Au dessus, le cas du Mont St. Helens est bien connu, car assez récent (1980), ayant décapité la montagne, et dont le seul bruit, devenu onde de choc, pouvait aisément tuer. On est là au degré 5.
C'est-à-dire que l'éruption du Tambora a été 100 fois plus violente, propulsant 100 km³ de matière.

On comprend aisément que, l'été qui suivit, le soleil, masqué autour du globe par les poussières expulsées du volcan, n'a guère été au rendez-vous. Il était de plus, paraît-il, assez pluvieux.

Toujours est-il qu'en 1816, lorsque Mary Wollstonecraft Godwin, accompagnée de son futur mari (dont elle avait déjà décidé de porter le nom), frappe à la grille de la Villa Diodati, sur le Lac Léman, le ciel est couvert et l'atmosphère particulièrement fraîche.


L'entrée de la Villa Diodati, de nos jours.


Aussi leur hôte, un Lord dont l'Histoire a conservé quelque souvenir, convient-il avec eux de renoncer à leurs activités de plein air pour rentrer causer. On sait notamment que la conversation a abordé, à travers le galvanisme, la possibilité de ramener un corps - ou des morceaux de corps - à la vie. On a même débattu d'Erasmus Darwin, à qui on attribuait l'animation de cadavres. Puis on lut des histoires germaniques de fantômes (tiens, tiens), et le maître de maison proposa que chacun écrive, pour prolonger leur conversation, une nouvelle.

Mary Godwin prépara sa nouvelle, mais, sur les encouragements de son accompagnateur, Percy Bysshe Shelley, finit par livrer à la postérité Frankenstein ou le Prométhée moderne. Bien qu'étant à l'origine du projet, Lord Byron fut moins disert : il proposa une ébauche de conte de vampire, largement inspirée de récits qu'il avait entendus en Europe Centrale et dans les Balkans.

Cependant le médecin personnel de Byron assistait à la soirée. Il reprit l'histoire et la développa un peu dans une nouvelle cohérente, précédée d'une introduction, en réalité plus intéressante que le récit lui-même, dans laquelle l'origine du mythe et ses états dans l'Europe Centrale sont rappelés. Le récit paraît en 1819, et il s'agit du premier récit de vampire de langue anglaise. Le nom de Byron, plus prestigieux, est conservé pour la publication originale, mais aujourd'hui, on s'accorde généralement pour reconnaître que, si la matière est bien de Byron (ou plutôt recueillie par lui...), les mots sont du docteur John William Polidori.

--

Les sources de Marschner

Heinrich August Marschner, maillon manquant de l'opéra romantique allemand entre Weber et Wagner, a particulièrement aimé les sujets habités par un surnaturel inquiétant, ou à tout le moins baignant dans une atmosphère historique pesante. Parmi les plus célèbres, outre Le Templier et la Juive, il y a le sombre Hans Heiling au royaume des fées (le contexte n'est pas sans rappeler le premier opéra de Wagner), mais aussi Das Schloß am Ätna (« Le Château au bord de l'Etna »), Adolf von Nassau ou encore Sangskönig Hiarne und das Tyrfingschwert (qui évoque l'épée Hervararkviða - Tyrfing en allemand - de la saga Hervarar dans l'Edda). Jusque dans ses assez nombreuses pièces comiques, la veine moyen-âgeuse est exploitée, à défaut de - témoin Des Falkners Braut (« La Fiancée du fauconnier »).

Sa veine favorite, à l'instar de Weber au demeurant, mais en plus sombre, se situe donc aux confins du Moyen-Age... et du fantastique gothique. [1]

Le Vampire de Marschner (1828) se situe en réalité à la croisée de sources extrêmement nombreuses et significatives de son époque. Le rôle-titre porte le nom du personnage de Byron / Polidori (1819) : Lord Ruthven, personnage froid et séducteur, s'exerçant exclusivement sur les femmes. La dimension que nous trouvions défaillante chez Bram Stoker (voir l'entrée '5.') est ici, non pas développée, mais tout à fait suggérée. La psychanalyse de comptoir parlerait volontiers de couple Eros-Thanatos, et c'est effectivement peu ou prou l'idée qui s'attache à la figure du vampire dans ce qu'elle peut avoir de plus riche.
A noter qu'un autre opéra allemand (Peter Josef von Lindpaintner sur un livret de Cäsar Max Heigel), écrit l'année des représentations du Marschner, fait porter le nom d'Aubri - Aubrey chez Polidori, Aubry chez Wohlbrück / Marschner - au vampire, c'est-à-dire celui, à l'origine, du principal opposant de Ruthven...

Le nom de Ruthven lui-même apparaît dès 1816 dans le roman Glenarvon, de type gothique, de Lady Caroline Lamb - paru anonymement. Il correspond à Byron, qu'elle a quitté à cause de la passion dévorante et dangereuse (y compris pour son mariage avec Lord William Lamb), et le portrait n'est pas flatteur. Mais il ne s'agit pas d'un vampire. Il a fallu sans doute une certaine dose d'autodérision à Byron pour réemployer ce nom non pas trois ans plus tard (date de publication de la nouvelle de Polidori), mais la même année (date du défi avec Mary Shelley) !

Dès février 1820, le personnage, d'après Polidori, est prolongé par Cyprien Bérard, directeur du Théâtre de Vaudeville (et publié par Charles Nodier, à qui on attribue souvent à tort, Wikipedia en tête [2], la paternité du récit - décidément, que d'usurpateurs dans cette histoire !), dans Lord Ruthwen ou les Vampires.
Et voilà une adaptation pour le théâtre (toujours le même titre : Le Vampire), sous forme de mélodrame (pas au sens musical [3] du terme, même s'il y avait peut-être de la musique dans l'affaire), par Pierre François Adolphe Carmouche, Charles Nodier lui-même et Achille François Eléonore Marquis de Jouffroy d'Abbans [4]. C'est la première source directe de Marschner, et aussi celle de la pièce homonyme d'Alexandre Dumas père (1851), qui avait précisément rencontré Nodier en 1823 à l'occasion d'une reprise de ce Vampire.

La seconde source directe est elle aussi tirée de Polidori : il s'agit du drame allemand de Heinrich Ludwig Ritter : Der Vampir oder Die Totenbraut (1821).

Tout cela est adapté par le très méconnu Wilhelm August Wohlbrück pour l'opéra.

--

Bref, on voit le profit qu'il y a à se reporter à cette pierre angulaire qu'est le court récit de Polidori, aussi bien pour comprendre l'origine et les propriétés de l'adaptation de l'opéra que pour affiner la perception du vampire qu'on a déjà débutée presque malgré nous.

On sait donc ce qu'il nous reste à aborder...

Notes

[1] Je préfère parler de merveilleux horrifique, parce que le fantastique est également une catégorie, à partir du la fin du XIXe, qui joue de l'hésitation sur l'interprétation d'événements inexplicables. Mais on peut fort bien s'entendre sur le fait que, s'agissant du début du siècle, il ne s'agit pas de débattre de la véracité des faits présentés : dans le cadre d'une fiction épouvantable, on accepte comme aussi naturel le vampire ou le royaume des Fées qu'on le fait pour le dragon ou la mélusine dans la littérature médiévale.

[2] Qu'on se rassénère promptement : c'est corrigé.

[3] Un mélodrame, on l'a souvent indiqué, est un moment musical dans lequel le texte est déclamé en voix parlée tandis que des instruments accompagnent et ponctuent la récitation. Le principe est issu du théâtre grec antique.

[4] La même année, on compte pas moins de trois pièces à vampire, dont une parodie, Cadet Bouteux ou le Vampire, qui raille notamment les prétentions d'authenticité avec les faux-nez d'éditeurs bien connus depuis un siècle. Polidori ne joue d'ailleurs pas du tout sur cette corde, bien au contraire démystifiant par avance ce qu'il qualifie lui-même de superstition.

jeudi 16 juillet 2009

Comte de vampire

Premier épisode ici, pour bénéficier du contexte culturel et générique, et d'une vue d'ensemble de la structure.

Au programme aujourdhui :
Rapports à la science et impossibilités théologiques, habiletés structurelles et réécriture spectaculaire. On ne se refuse rien, parfaitement.


Le début de l'opéra Der Vampyr de Heinrich Marschner sur le livret de Wilhelm August Wohlbrück d’après Polidori (développement de l’ébauche de Byron) notamment.
Ici, une version de chambre du Grachtenfestivalorkest (sous la direction de Peter Biloen), l’année dernière à Amsterdam. Vous entendez Henk Neven, remarque dans tous les répertoires, de la tragédie lyrique à Schreker, en Lord Ruthven (air d’entrée d’espoir dans sa mission puis d’éloge au sang ; duo avec Janthe, sa première victime ; « résurrection » au clair de lune grâce à son débiteur Edgar Aubry). Janthe : An De Ridder ; Aubry : Brad Cooper.
Vous pouvez également charger une version libre de droits (radio viennoise). Dans cette notule, on opère un pont avec Don Giovanni qui pourrait aussi se soutenir dans certains endroits de Dracula.


--

4. Le fantastique et la science

On en était resté sur la classification difficile selon le genre fantastique : ici, pas d’hésitation entre naturel et surnaturel ; tout le roman, annoncé comme véridique par l’éditeur fictif qui aurait recueilli les documents (on ne sait pas véritablement qui ni pour en faire quoi, même si on peut imaginer un legs des héros destiné à éveiller la vigilance des hommes), est au contraire tendu vers la démonstration irréfutable de l’existence des vampires.
Il s’agirait donc plus d’un avatar néogothique du type « merveilleux horrifique », un récit épique où les fées ou les géants sont remplacées par des démons.

Cependant, l’esprit du fantastique n’est pas si loin. Précisément parce qu’il s’agit d’une démonstration.

Dans un récit merveilleux, on accepte, le temps de l’ouvrage, que les dragons existent, et qu’on les tue tout naturellement en leur perçant le coeur avec une épée reçue de la main des dieux. Siegfried ne paraît guère ému de rencontrer un hideux reptile au coin du chemin – ce n’est jamais qu’un dragon, on ne va pas non plus en faire un fromage.

Dans le Dracula de Stoker, au contraire, l’auteur, via les différents rédacteurs des lettres et journaux, effectue sans cesse un passage du doute à la certitude, du scepticisme méthodique à l’évidence empirique. En cela, et indépendamment du fait qu’au bout de l’oeuvre l’existence des vampires est formellement attestée par ces gens sympathiques et éclairés, il reste toute la démarche du fantastique : le balancement du doute. Longtemps, les choses ne sont pas nommées (il faut attendre plus de la moitié de l’oeuvre pour voir écrit le mot « vampire »).

Et alors que le merveilleux néglige la modernité, plante son décor dans d’autres mondes ou dans des époques reculées, ici au contraire toutes les innovations sont utilisées : on utilise un enregistreur audio pour écrire son journal, on sténographie, on tape à la machine, on télégraphie, on prend le train... Tout cet attirail scientifique n’empêche pas, et au contraire légitime, les superstitions des autres âges. Ainsi un professeur spécialiste des maladies mentales et même de la chirurgie du cerveau va, dans le secret, exploiter les connaissances intuitives des vieux grimoires sur les êtres de l’Autre monde (ou plutôt de l’entre-deux-mondes), et seule la tradition de l’ail et de l’hostie pourra protéger les aventuriers malgré eux. [Cela pose d’ailleurs d’autres problèmes de cohérence au sein du genre lui-même, on verra ça plus loin.]

Et cela cadre bien avec le fantastique, qui dans un monde dominé par des figures positivistes, souhaite tout simplement réhabiliter l’instinctif et le flou au sein de l’imaginaire humain – au moins le temps d’une lecture. Le professeur Van Helsing a bien souvent des mots durs sur les scientifiques qui à force de ne croire que ce qu’ils ont expérimenté, nient les vérités qui dépassent l’entendement humain. C’est presque le seul élément idéologique de l’oeuvre, qui reste avant tout un divertissement construit avec soin (malgré des manques évidents) : une défiance contre l’usage de la modernité déconnecté de la tradition.

Cela conduit cependant à quelques tensions insolubles – inhérentes à ce type de bidouillage supersticieux autour de l’âme, mais renforcées ici par une forme d’empirisme scientifique.

--

5. Vampirisme et foi

Mon objet, en rendant compte de cette lecture insolite, n’est pas de dresser une dissertation sur les incompatibilités potentielles dans le triangle superstition / foi / raison. D’autant plus que c’est là une faiblesse du texte de Stoker : aucune perspective philosophique n’est tirée de la situation. On a la fable en trois étapes qu’on a rapidement retracée, et il faut s’en contenter.

Toutefois, la dimension pudiquement victorienne de ce roman amène quelques questions.


Les démons commandent aux nuées dans les Carpathes et au delà.


Tout ce qui peut rapprocher le vampire de sa signification dans la mythologie (la source que rappelle en partie Polidori et qu’appliquent Wohlbrück / Marschner) est tu. On se retrouve donc avec un être dont l’existence paraît bien arbitraire, malgré tous les efforts de raisonnement complaisant du lecteur.

A de rares exceptions près (vampirisation de Jonathan Harker et première vampirisation de Mina Harker), toute la volupté et toute la fascination qu’exerce la figure du vampire sont tues. Il parle peu, et n’apparaît guère que pour frapper – loin de Lord Ruthven et de ses stratagèmes mondains. Ainsi, toute la dimension prédatrice liée à la virilité de la figure du vampire disparaît ; la métaphore du séducteur qui ravit la chair en emportant l’âme, prêt à escalader n’importe quelle fenêtre et à laquelle il ne faut à aucun prix ouvrir, sous peine de ne plus résister à son pouvoir, par fascination ou par force – est à peu près totalement occultée. Certes, il s’agit là d’un conte de bonne femme qui réutilise à des fins morales une croyance plus ancienne et plus essentielle, liée aux frontières entre les mondes (les esprits errant sans sépulture, dès les Grecs, ne réclamant que l’accès à l’Enfer). Mais dans un cadre romanesque, on aurait gagner à donner plus d’épaisseur et pour tout dire de charme à une figure très schématique dans ce roman, uniquement moteur de l’intrigue.
Plusieurs autres explications culturelles existent, moins propres au romanesque, comme la pathologie porphyrique, qui peut faire prendre un aspect effrayant (nécrose de la lèvre qui découvre les dents, blanchissement du teint... exactement les symptômes cliniquement rapportés par Stoker... à ceci près que les dents et les ongles rougissent là où Dracula a un émail diamant gourmand) et a pu être assimilée à une possession.

Cependant, non content d’écarter cette épaisseur-là, Stoker met en relation ses damnés à lui avec un anglicanisme strict. Il commence très habilement par faire excuser son premier narrateur (Jonathan Harker, dans son journal transylvain) de prêter une importance magique païenne à des accessoires du culte (remis pour le protéger par les villageois qui le pleurent déjà). Mais par la suite, il se contente de mettre dans la bouche de ses personnages, et en particulier de la dernière victime Mrs Harker, des professions de foi renouvelées.

Cela pose un réel problème de foi, précisément. C’est un véritable désordre dans la Création, au point qu’écrire un tel livre mérite ni plus ni moins que l’excommunication. On dispose d’êtres en quelque sorte créés par le diable, et qui sont damnés sans avoir commis le moindre péché, ce qui va en contradiction manifeste non seulement avec l’échelle des valeurs chrétiennes (il n’est même pas question de Grâce, ni de près ni de loin dans le propos du roman...), mais surtout avec la nature même de Dieu, dont la miséricorde se trouve quelque peu mise à l’épreuve. Il ne s’agit plus de la théorie de la retraite du monde, laissé avec la liberté en apanage aux humains (ce qui pose déjà quelques problèmes logiques, puisque les maladies virales ou congénitales, par exemple, font partie du cadeau), qui serait en quelque sorte une épreuve avant la juste rétribution dans l’Autre monde ; ici, les créatures de Dieu sont laissées en pâture à d’autres forces qui leur piquent leur âme sans pacte, contrepartie ni péché.

C’est de la fantaisie pure, et ce qui pourrait finalement fonctionner dans un univers décléricalisé, est ici rendu absolument incohérent par la récurrence des prières ferventes : elles ne sauvent pas l’âme des croyants sincères et des hommes bons, et finalement les personnages s’en remettent à la miséricorde et, en dernière instance, à la volonté de Dieu, c’est-à-dire à être envoyé dans les Enfers pour prix de leur foi et de leur bonté terrestres. La présence de ces poussées de foi, même si elles ont quelque chose d’assez joli dans leur pathétique (même Dieu ne peut les sauver, ils doivent se débrouiller comme des grands tout seuls contre l’Enfer, et faute d’avoir une chance quelconque de réussir, il faut bien y aller quand même pour passer le temps qui reste), rendent facilement autant invraisemblable les récits de vampire que le raisonnement rationnel – contre lequel Stoker est plus appliqué.

--

6. La première vertu : subtilités narratives

Ce qui sauve l’oeuvre, en fin de compte, et maintient le caractère agréable de sa lecture, se trouve plutôt dans une manière assez originale (bien que loin d’être révolutionnaire à cette date) et efficace.
On a déjà parlé de la structure même du récit, fondé sur l’entrelacement de sources différentes. Pourtant, loin de mettre à distance le lecteur, cette succession rapide de narrateurs distincts parvient à l’introduire de plus en plus avant dans l’histoire.


Certains se font retrouver dans des abbayes et non près des fontaines.


Le tout début demeure très extérieur : on se trouve face à un personnage nouveau, un peu peureux, une sorte de voyageur ingénu assez proverbial. Typique du début de récit de voyage extraordinaire, qu’on trouve par exemple dans le récit inséré du marquis de Las Cisternas dans le Monk dont il était question récemment.
Rien de très saillant ni de très personnel dans sa psychologie. Les notes de voyage accentuent cet effet : il existe un décalage manifeste entre le moment de la narration et le moment des actions. On n’écrit pas dans les cahots de la route le voyage qu’on n’a pas encore fait. Donc il sera suffisamment sain et sauf pour pouvoir écrire ensuite.

Au fil du séjour chez Dracula, beaucoup du texte concerne le fait même d’écrire, le moment choisi volé à la journée ou à la peur. C’est donc beaucoup plus une écriture instantanée, de plus en plus fréquemment dans les journées, et ce caractère immédiat va peu à peu se systématiser.

Dans le même temps, alors qu’il s’agissait d’un journal de voyage relativement banal dans sa forme (parfois négligée, comme ces dialogues sans marques typographiques), se glissent des éléments qui, l’air de rien, ne relèvent plus du tout du journal intime. « Tous ceux qui ont vécu cet instant me comprendront » peut encore être une formule qui s’adresse à soi, mais « Qu’on me permette d’exposer des faits – dans toute leur nudité, leur crudité, tels qu’on peut les vérifier dans les livres et dont il est impossible de douter. » (chapitre III, date du 12 mai), clairement, s’adresse à un auditoire plus vaste qu’à sa future épouse à qui il est susceptible de faire lire le journal.
Cette formule rhétorique, l’air de rien, en plus de rendre son récit moins distant, fait glisser sa position singulière vers une mission universelle, et surtout fait parler dans un présent (pas le temps verbal) très urgent : effectivement, il peut être fauché à tout moment, il écrit tous les faits sur le vif.

Presque imperceptiblement, le compte-rendu assez factuel et impersonnel des premières pages, presque sous forme de notes (beaucoup de phrases nominales), se met à utiliser un prétérit très narratif : Harker ne fait plus un compte-rendu de voyage, ils nous raconte... un roman.


Le château de Bran, où Vlad Ţepeş ne demeura que quelques jours, devenu un lieu touristique en raison de son aspect relativement conforme, vu depuis le bas de la falaise, avec celui du comte Dracula.


Le comble de la posture narrative intervient vers la fin du journal, où l’injonction « Hark ! » (« Ecoute(z) ! » ) ne cache même plus la mise en scène...

Je précise tout de même que j’ai lu, peut-être bien à tort, l’oeuvre dans une édition française, et que le développement de certaines expression fait perdre le style en densité – et accentue ces discordances. Ainsi « hark » se trouve traduit par « écoutez » et « let me » par « qu’on me permette », ce qui force un peu le glissement déjà présent dans le texte original.

Par ailleurs, cet poussée depuis le journal intime vers une narration romanesque demeure sensible, une fois acquise, dans le reste du roman. Très habile façon pour l’auteur de rendre crédible son dispositif initial, sans nuire en quoi que ce soit à la force d’illusion romanesque qu’il souhaite obtenir au bout du compte. Une jolie manière progressive d’atteindre le langage qu’il avait désiré, tout en lui conservant l’aspect extérieur qu’il prétend.

Cela n’empêche pas, au demeurant, un certain nombre de jeux, notamment avec des références (Mille et une nuits et Hamlet sont tout à fait explicites).

--

7. Réécriture

Pour terminer, j’en viens au chapitre connu sous le nom de Dracula’s Guest, qui ne figurait pas dans l’édition originale, mais qui est peut-être une ébauche antérieure au roman. Dans un genre beaucoup plus narratif (et, il faut bien en convenir, beaucoup plus élégant et beaucoup plus prenant), un vrai récit assumé cette fois, à la première personne également, un personnage (qui n’est pas, comme on le lit parfois, Jonathan Harker) effectue une balade pédestre pendant la Nuit de Walpurgis sur le chemin du château de Dracula (mais on est encore dans la forêt... munichoise).


Des vallons roumains transylvains comparables à ce qu'on imagine, de jour, du paysage du village abandonné dans L'Invité de Dracula.


On se situe au moment même où débute l’oeuvre intégrale, mais il se passe autre chose. Il est étonnant de voir comme Stoker redéploie le même matériau de façon totalement différente.

On y retrouve la marche à pied interdite, les chiens hurlants tout autour, l’orage, le vers de la Lenore de Bürger, le flacon d’eau-de-vie, la neige prompte... mais d’un usage totalement différent. L’épaisseur du personnage (un gentilhomme, et brave, cette fois-ci) est nettement plus importante, avec un humour bienvenu (pour exprimer son calme : « Mon sang anglais me monta à la tête ») ; le mystère qui l’entoure bien plus grand, car mêlant de multiples choses mystérieuses, concrètes ou surnaturelles (alors que dans le texte définitif on finit facilement par comprendre que le « héros » est prisonnier d’un vampire, tout bêtement), et puis la morsure inexpliquée du loup à la gorge (mêmes symptômes que pour le vampirisme dans le texte intégral), le télégramme protecteur du comte Dracula, qui a prévu ses maux et a réussi à lui prodiguer des sauveteurs...

Peut-être Stoker a-t-il été quelque peu épouvanté par la richesse ambitieuse de ce premier chapitre (où déjà toutes les forces de l’enfer ont été visibles, plus encore que dans le roman tout entier), qui dévoilait trop, même sans expliquer, qui ouvrait trop de portes et d’enjeux. Toujours est-il que la lecture du roman paraît, après cette ébauche, assez chiche et mesurée (une aventure à la fois, surtout, ne nous dispersons pas...). Jusqu’à la langue, tout y est plus sec... et pendant toute l’oeuvre.
[Sans doute logiquement écrit avant (visiblement, les spécialistes ne sont pas décidés), ce chapitre isolé et abandonné paraît en fin de compte maîtriser infiniment mieux ses références et son pouvoir verbal.]

Mais pour qui voudrait simplement se faire une idée, la lecture du journal de Harker (quatre premiers chapitres), comparée à ce chapitre délaissé, permet de bien s’imprégner des tons distincts.

--

Ce sera ici qu’on achèvera notre balade impromptue autour de cette oeuvre imprévue.

Et insolite pour les pacifiques lutins ascètes.

jeudi 2 juillet 2009

Le moine juif volant


Mise à jour : cette notule comporte de nombreuses citations et de nombreux extraits musicaux.


--

1. Un extrait

Il cita des gens qui avaient cessé d’exister depuis plusieurs siècles, et qu’il paraissait avoir connus personnellement. Je ne pouvais pas nommer un pays si éloigné qu’il ne l’eût visité, et je ne me lassais pas d’admirer l’étendue et la variété de son instruction. Je lui fis la remarque qu’il devait avoir eu un plaisir infini à tant voyager. Il secoua tristement la tête.

— Personne, répondit-il, n’est à même de connaître la misère de mon lot ! Le destin m’oblige d’être constamment en mouvement ; il ne m’est pas permis de passer plus de deux semaines dans le même endroit. Je n’ai pas d’amis dans le monde, et cet état d’agitation perpétuelle m’empêche d’en avoir. Je voudrais bien déposer le fardeau de ma déplorable existence, car j’envie ceux qui jouissent du repos de la tombe ; mais la mort m’échappe et fuit mes embrassements. En vain, je me jette au-devant du danger : je plonge dans l’océan, et les vagues me rejettent avec horreur sur le rivage ; je m’élance dans le feu, et les flammes reculent à mon approche ; je m’expose à la fureur des brigands, et leurs armes s’émoussent et se brisent sur mon sein ; le tigre affamé tremble à ma vue, et l’alligator s’enfuit devant un monstre plus affreux que lui. Dieu m’a scellé de son sceau, et toutes ses créatures respectent cette marque fatale. Je suis condamné à inspirer la terreur et l’aversion à tous ceux qui me voient ; déjà vous sentez l’influence du charme, et d’instants en instants vous la sentirez davantage.

Non, ce n'est pas une version romancée du Fliegende Holländer de Wagner.

Pourtant, la proximité est grande. Jugez-en vous-même avec cette version bilingue.

Cet extrait est tiré

Suite de la notule.

samedi 11 avril 2009

Le retour des Fées : Paris-Châtelet 2009 - III - des innovations majeures


[Voir le reste de la série sur 'lesfeesdewagner'.]

1.2.2. Les préfigurations


Malgré le caractère de creuset qu'on a observé dans l'épisode précédent, Les Fées préfigurent, ou plutôt présentent déjà plusieurs caractéristiques du Wagner de la maturité.

Evidemment, on ne peut que songer à ses trois premiers opéras « de la maturité » à plusieurs reprises : grandes poussées de lyrisme qui rappellent Tannhäuser, en particulier vers la fin de l'acte III, lors de la victoire finale (sans parler de l'usage très littéral et pas très heureux de la harpe solo pour figurer la lyre, sans réelle stylisation, également en vigueur dans cet opéra), choeurs tuilés extraordinaires qui sont parents de Lohengrin... Plus que tout, la parenté de certains thèmes avec le Fliegende Holländer est frappante. On entend ainsi la dernière partie du duo entre Senta et le Hollandais dès l'Ouverture, avec son rebond très spécifique :
;;
Fin de l'Ouverture des Fées (Jun Märkl, Radio munichoise).
;;
Duo du Vaisseau Fantôme avec Gwyneth Jones et Thomas Stewart (Böhm, Bayreuth, DGG).

Et, sans doute plus anecdotique, on entend que Wagner fait déjà joujou avec le motif qui deviendra le motif récurrent de la colère de Wotan à partir de Walküre. Il semble être content de lui et bien le regarder en action, en empilant sa répétition d'un seul coup.
;;

On a déjà évoqué les questions récurrentes de rédemption, en particulier par le sacrifice de la femme, et on en retrouve ici des composantes dans le livret, de même que la force terrible du mot - qui porte tout pouvoir, mais qui n'est pas maîtrisé par le héros en quête. Même Isolde et Tristan, faute de pouvoir exprimer avec justesse le contenu de leurs émotions, se hâtent vers leur perte. Le motif (textuel) du pacte rompu et du blasphème maladroit est même la figure décisive de l'acte II (la malédiction).

Inutile d'évoquer la délivrance de la vierge surnaturelle inanimée, le metteur en scène l'a fait pour nous en un sympathique clin d'oeil qui nous a fait agréablement sourire - un anneau couleur braise descend sur Ada lors de sa pétrification.

--

1.2.3. Les trouvailles

Suite de la notule.

mercredi 8 avril 2009

Le retour des Fées : Paris-Châtelet 2009 - II - Influences musicales


[Lien sur la série 'lesfeesdewagner'.]

1.2. La musique

1.2.1. Les influences

De nombreuses références se tissent à l'écoute de l'oeuvre d'un jeune homme de vingt ans. On lit souvent que Bellini a influencé Wagner, et, de même que pour Auber, cela est sans doute tout ce qu'il y a de plus exact, mais ne s'entend guère, dans les faits. A ceci près qu'il s'agit d'une oeuvre d'apparent calme harmonique, mais plutôt modulante à la lecture de la partition. Le seul moment qui ait pu nous rappeler la manière catanaise se trouve au moment le plus élégiaque de la folie, où un concert délicat de bois lyriques se trouve soutenu par des cordes en pizzicato, une manière d'orchestrer assez caractéristique chez ce compositeur.
De même que dans les symphonies, on décèle très aisément l'ombre d'un Mozart romantisé derrière certaines tournures un peu naïves. Un ensemble du troisième acte, pendant la lutte conquérante d'Arindal, laisse même entendre des échos furtifs de Così fan tutte (final du I).

De façon plus récurrente, le souvenir de Schubert s'impose, en particulier dans les choeurs (mixtes, de type opéra). Cependant Wagner ne conçoit pas le choeur comme un bloc, et ses « tuilages » très  séduisants et intensément poétiques préfigurent à plus d'une reprise l'accomplissement de Lohengrin (on pourrait même considérer qu'il est le premier, voire le seul avant le second vingtième siècle, à procurer cet épanouissement orchestral au choeur). La couleur harmonique elle-même s'apparente par moment à Fierrabras et Alfonso und Estrella, et certaines ponctuations orchestrales, en particulier ces coups très véhéments dans la dernière scène de l'acte I, rappellent la manière du Schubert héroïque (voir l'air de type cabalette Die Brust, gebeugt von Sorgen de Florinda).


Cheryl Studer (Florinda), Claudio Abbado, Chamber Orchestra of Europe. (Disque DG.)

Qui plus est, ces oscillations se retrouvent par ailleurs sous forme de ponctuation grave aux alti et violoncelles dans la ballade de Gernot :


Martin Hausberg (Gernot), Jun Märkl, Orchestre de la Radio munichoise. (Radiodiffusion de 2003.)

Cela dit, cette impression de concert nous a peut-être abusé sur l'origine réelle de ce motif. En effet :


Début de l'Ouverture du Vampyr de Marschner.
Fritz Rieger, Orchestre de la Radio (Disque Opera d'Oro d'après une prise sur le vif de 1974.) [En cas de saturation, écouter directement ici.]


Evidemment, le Wagner de vingt ans (1833 pour les Fées) utilise son harmonie et ses figures de façon moins accomplie que l'aîné Schubert, et l'on sent même ici ou là de petites platitudes dans l'accompagnement - ou plutôt des traits un peu impersonnels, utilisés sans être véritablement reliés à un langage personnel.

Surtout, l'attitude face au texte et aux ponctuations de l'accompagnement sont celles de Schubert, en particulier dans les grandes fresques récitatives comme Der Taucher, Die Nacht ou Lodas Gespenst : le traitement prosodique est extrêmement fidèle, proche des inflexions de l'expression parlée, et l'accompagnement est extrêmement attentif, soulignant chaque idée, quitte à paraître servile ou décousu. Evidemment, les lutins aiment beaucoup cette manière tout entière vouée au service du texte : c'est en quelque sorte l'idéal de la Camerata Bardi, celui qui préside à la naissance de l'Opéra, mais avec des moyens musicaux infiniment plus variés et mobiles que ceux d'alors.

[N.B. : Il n'est pas certain du tout que Wagner ait étudié ni même admiré les opéras de Schubert, on relève simplement la parenté d'un type de musique, le parfum d'un temps.]

En revanche, la langue de Weber, et dans une moindre mesure de Marschner (il faudra attendre le Vaisseau pour cela) semble totalement assimilée. L'Ouverture, à l'exemple du Hollandais fondé sur le patron de celle du Vampyr (1828), semble tout droit issue d'Oberon (1826), jusque dans ses thématiques vives - par exemple celle tirée de la cabalette d'Ada, et qui s'apparente aussi au Freischütz.
L'air de déploration de Lora (assez remarquable), quant à lui, répond très exactement à la définition de l'air weberien, lyrique, mélancolique, ample et agile, un faux parfaitement réalisé. Et sa gamme de sentiment est également tout à fait de son temps (on y retrouve aussi un peu du Schubert opératique).

Petite comparaison chronologique par date de création (en omettant l'origine de 3-Leonore-1-Fidelio, la première du genre) :

Suite de la notule.

jeudi 12 mars 2009

Urna fatale del mio destino...

Révélation du contenu... et déjà une écoute possible !


Egalement l'occasion de faire un point sur toute une époque...

1) Les Urnes - 2) Libre de droits ou pas ? - 3) Contenu général - 4) La norme interprétative - 5) Oeuvres intéressantes - 6) Interprètes intéressants ou... - 7) Fortune historique - 8) Ecouter en entier

Suite de la notule.

samedi 28 février 2009

Musique, domaine public - XLIII - Heinrich MARSCHNER, un gros bouquet de lieder

Même si les sites d'écoute gratuite et légale en flux, parfois très bien servis comme MusicMe.com, Jiwa.fr ou Deezer.com rendent un peu caduque l'entreprise de la bibliothèque libre de droits et a quelque peu freiné nos efforts, il est des situations qui rendent indispensables la mise à disposition du public. (Ainsi que son commentaire...)

En l'occurrence, les lieder de Marschner ne disposant d'aucune monographie au disque, il n'était pas possible de passer outre.

Vous pouvez télécharger directement l'ensemble d'enregistrements historiques à partir de notre compte :

Suite de la notule.

lundi 18 août 2008

Appétits (suite)

Suite des appétits de la saison, à l'international, publiée ici en commentaire, sous l'article dédié à la France :

Suite de la notule.

jeudi 1 mai 2008

Les mystères du chant - les débuts du chanteur et la langue étrangère

L'enseignement du chant constitue régulièrement un sujet de rogne plus ou moins in petto pour CSS. Pour de nombreuses raisons, et notamment l'oubli parfois dangereux pour l'élève de prérogatives simples

  • comme s'enregistrer pour toujours contrôler l'application des méthodes, avec le meilleur rapport beauté de timbre / fatigue possible ;
  • l'incitation à l'acquisition d'une culture musicale solide, indispensable pour que ce contrôle ait un sens ;
  • les précautions à prendre y compris pendant les échauffement, qui fatiguent souvent les élèves ;
  • la pratique quotidienne de la quantité exacte d'une voyelle, l'essai de nouvelles postures vocales - à tout moment, gentiment, en faisant le ménage, en cuisinant, en marchant (ce qui fait gagner énormément de temps).


Bien sûr, certains professeurs font tout ou partie de cela, ou bien le compensent par d'autres moyens. Et la responsabilité est également à imputer aux élèves dépourvus de culture musicale qui pensent pouvoir trouver un instrument au moindre effort (ce qui n'est pas faux, au demeurant) ; ou même à la difficulté inhérente à toute compétence non pas en direction d'un objet, mais de son propre corps. Un grand nombre de paramètres entrent alors en jeu et apportent leur lot de difficultés propres.

Néanmoins, il est point sur lequel le péché est à peu près unanime.

La question de la langue.

--

Lorsqu'un étudiant débute, on commence par lui donner des exercices - ce sur quoi CSS est déjà très modérément convaincu, mais comme tous les professionnels en sont passés par là, bien malin qui pourrait démontrer le caractère facultatif de cette pratique. Tout dépend des profils, très certainement.
Puis, plus ou moins rapidement selon les enseignants, vient le moment béni du premier morceaux. Un baptême, en quelque sorte. Dont la liturgie est en latin, si ce n'est tout de bon en barbaresque.

Suite de la notule.

lundi 31 mars 2008

Retour sur Ibsen (Hedda Gabler)

A l'occasion de la tournée française du spectacle mis en scène par Thomas Ostermeier, Carnets sur sol revient aux sources, après deux années assez largement consacrées à Ibsen - et singulièrement à sa frange la plus épique, celle qui hérite d'Adam Oehlenschläger.

L'occasion de replacer l'oeuvre dans la production théâtrale d'Ibsen et ses caractéristiques singulières. L'occasion aussi de s'interroger sur les ressorts du théâtre tout entier - le plaisir doit-il réellement avoir lieu pendant la représentation ?

--

Les soirées

A Bordeaux les 28 et 29 mars derniers, la production s'est promenée à Marseille en septembre dernier, et sera du 2 au 4 avril tout prochains à Rennes (Théâtre National de Bretagne).

Les lutins de CSS s'y trouvaient, tout émoustillés à la promesse du texte en allemand surtitré - à défaut du norvégien bokmål de l'original. Une expérience qui peut être très excitante - l'adaptation de Guerre et paix par Piotr Fomenko représente sans doute, opéra compris, l'une de nos plus exaltantes expériences théâtrales.

Le verdict sera sans surprise. On se souvient de Brand qui avait fourni, voici bientôt trois ans, l'une des toutes premières notes de Carnets sur sol. Sans représenter un choc comparable, bien évidemment, les propriétés théâtrales en sont, malgré les sujets et les formats fort divergents, assez comparables.

--

De Brand à Hedda Gabler

Brand était un lesedrama, et par conséquent absolument pas destiné à être représenté. Une scène entre fjord et fjeld à imaginer. Hedda Gabler, a l'inverse, appartient au théâtre domestique de l'Ibsen dernière manière, extrêmement économe de paroles, facile à porter au théâtre. Avec de longs silences, cette représentation de deux heures parvenait donc tout juste à la moitié de la durée de Brand mis en scène par Braunschweig (sans traîner ostensiblement). Il faut cependant préciser que les représentation de Gabler contenaient des coupures (nullement annoncées, comme il se doit [1]).

Brand succède immédiatement, dans le catalogue d'Ibsen, aux Kongs-Emnerne (« Les Prétendants à la Couronne »), formés sur un patron totalement emprunté à Hakon Jarl hin Rige (« Hakon Jarl le Puissant ») d’Oehlenschläger (la confrontation des deux textes offre de vraies surprises !). C'est-à-dire à la période de la veine historique d'Ibsen, dont il ne restera plus guère que Kejser og Galilæer (« Empereur et Galiléen »), un drame à la portée plus philosophique autour de la personne de Julien l'Apostat - dont la dimension historique n'est perçue qu'au travers d'un cadre assez strictement domestique, malgré les changements très généreux de lieux. Brand amorce déjà une préoccupation portée à la relation intrafamiliale, aux tragédies du foyer.

En cela, Hedda Gabler, débarrassée de tout le folklore des paysages de Brand, de tout ce que cette situation et ce personnage avaient de singulier, prolonge et radicalise cette conception d'un théâtre intime, où les grands sentiments se manifestent (en franchement miniature) dans des êtres ordinaires, des situations quotidiennes, des lieux banals.

--

La gêne

Notes

[1] Eternelle récrimination de CSS. Par le moteur de recherche de la colonne de droite, vous pouvez retrouver nos réflexions sur les coupures dans la tragédie lyrique, dans le Vampyr de Marschner, dans le Sigurd de Reyer, chez Richard Strauss, dans les Gezeichneten de Schreker...

Suite de la notule.

dimanche 20 janvier 2008

Discographie choisie - Franz SCHUBERT, Die Schöne Müllerin (La Belle Meunière)

Devant l'ampleur imprévue de cette note préparée pour Diaire sur sol, on la publie ici, bien que ce ne soit pas tout à fait conforme à la religion de CSS. On s'est efforcé d'ajouter quelques considérations plus générales, afin de rendre la pratique moins vaine.

--

Puisqu'il n'y a plus de contrainte formelle d'être un peu constructif, sur Diaire sur sol, on tente l'exercice stérile (mais plaisant et potentiellement utile pour quelques lecteurs) de la discographie, auquel nous nous refusions sans raison sérieuse et suffisante sur CSS.

Quelles versions pour Die Schöne Müllerin ?

Pour nous, deux dominent. Jean-Paul Fouchécourt avec Alain Planès en 2004, qui saisissent pleinement la nature populaire qui revendique le lied, et qui se révèle particulièrement dans ce cycle. De la naïveté, de la simplicité - tout est énoncé avec l'évidence de la chanson. Pour ceux qui n'apprécient guère Fouchécourt d'ordinaire, ajoutons que l'allemand est tout à fait bon, et le résultat sans la moindre niaiserie. Malheureusement, ce concert n'a pas été publié (et ne le sera pas).
L'autre est celle réunissant Matthias Goerne et Eric Schneider (2002), publiée chez Decca, dont on va parler.

Voici donc un petit tour d'horizon.

Suite de la notule.

mardi 11 décembre 2007

Heinrich August MARSCHNER - Hans Heiling - Joseph Keilberth (avec Hermann Prey) ; Grand Trio n°7 ; Der König in Thule (Bär / Deutsch)

Ce soir à partir de 19 heures, soirée Marschner sur France Vivace.

Non que ce soit une programmation plus excitante que le tout-venant de Vivace, toujours très stimulant, mais il en avait été question sur CSS - ce sera l'occasion de prolonger.

Les deux autres opéras les plus célèbres de Marschner, Hans Heiling (version Keilberth, avec Hermann Prey), et l'Ouverture de Der Templer und die Jüdin (« Le Templier et la Juive »). Le Grand Trio n°7 (Op. 167). Et deux lieder, dont un Roi de Thulé (par Olaf Bär et Helmut Deutsch).

Le livret de Hans Heiling est disponible sur la Toile, mais sans traduction :

Un montage avec Babelfish est toujours possible, mais jamais très probant...




Pour ceux qui ne seraient à l'écoute en temps et en heure pour Hans Heiling (qui n'est ni le plus rare, ni le plus piquant, ni le mieux exécuté de cette soirée), le rattrapage est possible à tout moment grâce à Opera Today qui propose en permanence la même version. [Lisible avec Winamp sur PC, ou VLC pour tous systèmes d'exploitation.]




En revanche, toujours dans la veine fantastique, CSS avait proposé au téléchargement son opéra le plus célèbre, Der Vampyr, mais avec bien entendu la possibilité de consulter un livret bilingue germanique / roman.

Auparavant, nous avions brièvement commenté cet opéra par la marge.

samedi 6 octobre 2007

Enregistrements, domaine public - XXI - Richard WAGNER, Der Fliegende Holländer (Le Vaisseau Fantôme) - Schüchter, NDR Hambourg 1951 - Werth, Hotter, Böhme, Aldenhoff

Nous poursuivons la série wagnérienne avec ce bijou.

Adresse(s) du livret bilingue :
- en italien
- en espagnol
- en anglais

Pour les râleurs (il s'en trouve toujours beaucoup dans ces cas-là), il est théoriquement possible d'obtenir copie PDF des livrets sur demande au site d'EMI. Or la version Klemperer éditée par EMI contient une version française du livret.

Suite de la notule.

dimanche 30 septembre 2007

Enregistrements, domaine public - XX - Jules Massenet, Werther - Cohen 1931 (Thill, Vallin)

Voici les vivres de la semaine, le légendaire enregistrement de Werther par Georges Thill et Ninon Vallin. Sous la direction d'Elie Cohen, à la Tête de l'Orchestre du Théâtre Nation de l'Opéra-Comique (choeurs d'enfants de la Cantoria), enregistré en mars 1931. (Le son en est tout à fait bon.)

On y entendra des réflexes interprétatifs qui diffèrent des standards actuels, et toujours cet étrange décalage entre la diction parfaite et une certaine réserve interprétative (on ne considérait pas l'opéra sous l'angle intellectuel qui prévaut aujourd'hui). [1]

Une version en tout état de cause assez fascinante.

Notes

[1] On peut se reporter à notre réflexion précédente sur le sujet.

Suite de la notule.

dimanche 3 juin 2007

Saison Opéra de Bordeaux 2007-2008

Présentation et analyse de la saison par notre comité de rédaction [et ses nombreux lutins].

On y présente notamment des compositeurs, des chanteurs, des oeuvres au programme. Avec de nombreux liens pour expliciter certains points si nécessaire. Un petit carnet de route.

Suite de la notule.

samedi 21 avril 2007

Enregistrements, domaine public - VI - Heinrich MARSCHNER, Der Vampyr (Kurt Tenner, Radio de Vienne, 1951)

L'opéra intégral libre de droits.

Et les commentaires afférents, naturellement.

Suite de la notule.

lundi 2 avril 2007

Siegmund NIMSGERN

J'admire depuis toujours ce chanteur à la fort mauvaise réputation, et je l'admire sans nul doute pour de mauvaises raisons.

Une technique fort peu orthodoxe, avec des notes qui s'aplatissent, un peu acides ; pourtant, plusieurs choses me réjouissent hautement chez lui.

D'abord son engagement total dans chacun de ses rôles, incarné de bout en bout. Mais aussi son timbre de méchant d'opéra de seconde catégorie, quel que soit le rôle abordé : toujours grimaçant, prêt à mordre (beau mordant aussi), d'une façon que je trouve infiniment attendrissante.
A son écoute, je suis toujours partagé entre l'électrique de la prestation, l'amusement de l'incongruité et le sourire attendri. Et, sans doute, la volupté avec laquelle on l'entend croquer les mots.

C'est donc à sa gloire que je vous propose cette petite liste commentée de rôles et d'enregistrements, ainsi que ces quelques extraits jamais publiés.

Suite de la notule.

samedi 17 mars 2007

Entsetzlich ! Entsetzlich !

Trahison suprême.
[Der Vampyr, Heinrich Marschner]

Et état comparé du chant de jadis et d'aujourd'hui. Paradoxes et enjeux.

Suite de la notule.

mardi 30 mai 2006

Werther à Bordeaux - I

Représentation du 29 mai. Compte-rendu coupé en deux. Ce qui a sauvé la soirée.

Suite de la notule.

David Le Marrec

Bienvenue !

Cet aimable bac
à sable accueille
divers badinages :
opéra, lied,
théâtres & musiques
interlopes,
questions de langue
ou de voix...
en discrètes notules,
parfois constituées
en séries.

Beaucoup de requêtes de moteur de recherche aboutissent ici à propos de questions pas encore traitées. N'hésitez pas à réclamer.



Invitations à lire :

1 => L'italianisme dans la France baroque
2 => Le livre et la Toile, l'aventure de deux hiérarchies
3 => Leçons des Morts & Leçons de Ténèbres
4 => Arabelle et Didon
5 => Woyzeck le Chourineur
6 => Nasal ou engorgé ?
7 => Voix de poitrine, de tête & mixte
8 => Les trois vertus cardinales de la mise en scène
9 => Feuilleton sériel




Recueil de notes :
Diaire sur sol


Musique, domaine public

Les astuces de CSS

Répertoire des contributions (index)


Mentions légales

Tribune libre

Contact

Liens


Chapitres

Archives

Calendrier

« mars 2024
lunmarmerjeuvensamdim
123
45678910
11121314151617
18192021222324
25262728293031