Le niveau monte - II - (Retour sur l'Age d'Or vocal)
Par DavidLeMarrec, mercredi 3 mars 2010 à :: Discourir :: #1493 :: rss
Bien, déjà il faudra distinguer entre les âges d'or. Pour la musique instrumentale, tout le monde reconnaît que le niveau, au moins technique, a considérablement monté, et qu'il y a toujours de grands chefs, violonistes, etc.
Il en va de même pour les chanteurs, qui parviennent à présent à chanter Wagner en rythme - alors qu'auparavant, même pour Verdi, on pouvait parler d'exploit, ou à tout le moins de rigueur inaccoutumée.
A mon avis, l'Age d'Or est un leurre, et j'ai même déjà dit sur CSS qu'en ce qui concerne le lied, le véritable âge d'or se déroulait sous nos oreilles, en ce moment (répertoire, style, expressivité).
Mais il existe cependant, pour le chant lyrique de façon plus générale, quelques raisons de croire qu'il y a eu un Age d'Or. La plupart sont des effets d'optique, mais pas toutes. On vous en propose quatre, un peu argumentées.
1) Les chanteurs d'autrefois chantaient tout dans leur langue. C'est-à-dire qu'il n'y avait qu'un seul placement à apprendre, naturel, sain. De nos jours, il faut chanter quantité de langues qui ne peuvent pas toutes être pleinement maîtrisées (lorsqu'on chante une fois de temps en temps le Château de Barbe-Bleue de Bartok, on n'a pas le loisir d'apprendre un hongrois parfait), et de toute façon ces oeuvres en langue originale sont exécutées devant des publics qui ne les comprennent pas non plus. Ce fait nuit considérablement au placement vocal, qui est à réapprendre pour chaque nouvelle langue (et qui déforme les équilibres sains), et cela explique sans doute, je pense, le gros passage à vide des années 70-80 en termes de beauté vocale.
On a déjà un peu détaillé cette question dans cette notule notamment (et un peu ici aussi, §4).
Ce paramètre est moins vrai aujourd'hui, où le soin linguistique est très important, où l'on ne tolère plus les dictions boîteuses et les couleurs de voyelles déformées, où les chanteurs parlent souvent plusieurs langues et maîtrisent très bien le chant de celles qui sont leur spécialité. Le retour du baroque a aussi permis de former des chanteurs de type plus léger, à qui l'on pouvait exiger une articulation beaucoup plus performante.
--
2) Le disque ne capte que le grattin d'une époque. Aussi, à l'écoute de l'époque où les enregistrements n'étaient que des extraits de bravoure, des récitals, voire des oeuvres isolées, parfaitement maîtrisés, on peut nourrir l'impression d'une technique globale bien meilleure. Alors que sur scène, on pouvait bien sûr être couvert par l'orchestre, fatigué par la soirée précédente, rencontrer des difficultés vocales, etc. Illusion d'optique sur ce point.
--
3) La technique a changé. Les chanteurs d'autrefois, d'après ce que j'ai pu observer, chantaient de façon légèrement plus nasale (ce qui favorise les résonances fortes) et légèrement plus mixée (ce qui permet de monter plus facilement) qu'aujourd'hui.
Par voie de conséquence, certains chanteurs au format très large manifestaient une souplesse et une aisance qui, en effet, n'existent plus aujourd'hui. Ce qui fait que, devant cette technique très différente (voix comme 'aplaties', plus claires, plus vaillantes, peu de vibrato), on peut tout à fait légitimement trouver plus à son goût les Anciens. Mais ce n'est pas forcément un gage de supériorité, puisque de nouvelles écoles de chant (baroque en particulier) sont apparues dans le même temps où la technique du 'grand répertoire' se mondialisait, et qu'il y a donc plus de choix aujourd'hui, avec des qualités et des faiblesses tout simplement... différentes.
Ce qu'il y a de vrai en tout cas, c'est qu'entre les années vingt et les années deux mille, on ne peut pas dire que ce soit la même chose !
--
4) Les contraintes se sont multipliées. Et quand bien même on chanterait plus mal aujourd'hui, ce qui n'est vraiment pas le cas à mon avis (par goût, je trouve l'époque qui s'ouvre, pour faire simple, avec les années 90 est suprêmement intéressante), on y trouverait quelques raisons. Outre le changement de langue. Les diapasons d'orchestre ont parfois continué à monter. Les chanteurs doivent suivre des impératifs de mise en scène (et sont souvent très motivés par le fait de bien jouer), et obéir à des chefs qui ne sont plus majoritairement des suiveurs. Les salles sont devenues immenses, et souvent mal faites pour la voix.
--
Bref, la vie est devenue moins facile pour les chanteurs dont on n'attend plus de pousser des sons sur un répertoire sans cesse rebattu, immobiles sur une scène en carton-pâte. Et pourtant, au goût des lutins de CSS, ce qui se fait actuellement est aussi beau, et surtout beaucoup plus investi musicalement. On a souvent souligné dans ces pages le paradoxe étonnant de l'articulation parfaite de naguère, pour n'exprimer que peu. L'opéra n'a jamais été un genre aussi complet que désormais.
--
Pour prolonger, quelques articles connexes :
- L'Age d'Or instrumental
- L'Age d'Or du lied
- Le chanteur débutant et la langue étrangère (précisions ici au §4)
- Paradoxe de la diction d'autrefois (seconde partie de notule)
- Critères de bonne diction dans une langue étrangère : articulation, accentuation, aperture et accent.
Bonne soirée !
Commentaires
1. Le vendredi 5 mars 2010 à , par Algernon
2. Le vendredi 5 mars 2010 à , par DavidLeMarrec
3. Le samedi 6 mars 2010 à , par Inconnu
4. Le samedi 6 mars 2010 à , par DavidLeMarrec
5. Le samedi 6 mars 2010 à , par Inconnu
6. Le samedi 6 mars 2010 à , par DavidLeMarrec
7. Le samedi 6 mars 2010 à , par Inconnu
8. Le samedi 6 mars 2010 à , par DavidLeMarrec
9. Le dimanche 7 mars 2010 à , par Inconnu
10. Le dimanche 7 mars 2010 à , par DavidLeMarrec
Ajouter un commentaire