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Paris insensé, II - Turqueries de Mozart à Auber (31 janvier 2009)

Dans l'acoustique excellente - proche, naturelle et confortable comme dans l'ensemble de ces petits théâtres à l'italienne - de l'Opéra-Comique se tenait une initiative qui doit être saluée comme il se doit, peut-être bien - mais il ne faut pas le répéter - l'étape la plus intéressante de ces quatre concerts.

Un concert commenté d'une heure à 14h30, au tarif unique de douze euros, dans la grande salle. Sur une heure, il y avait certes au moins la moitié de commentaires, mais précisément, ces commentaires écrits et dits par Agnès Terrier (qui aurait fort bien pu se passer du micro, apparemment, disposant d'une bonne technique théâtrale) faisaient tout le sel du concert. S'adressant à un public de l'après-midi, jeune ou ingénu, peut-être aussi aux touristes venus découvrir l'Opéra-Comique pour quelques sous, ils présentaient à loisir les différentes catégories d'instruments ; mais dans le même temps, c'est un flot de données factuelles solidement documentées, aux antipodes des phrases creuses que tel aurait pu redouter, qui se déployait pour remettre en perspective les pièces entre. Car d'un programme au thème un peu pauvre (peu ou prou : ouvertures et marches orientalisantes de 1780 à 1840...), Agnès Terrier fait un ensemble cohérent, mieux : une page d'histoire. On bénéficiait en outre de commentaires, plus littéraires que musicaux, assez bien sentis - ce qui constitue un exercice toujours périlleux dans le cadre cultuel du concert -, en échappant totalement à l'écueil de l'enthousiasme hagiographique.

Le jeune ensemble de jeunes OstinatO, dirigé par le jeune Jean-Luc Tingaud, présentait les caractéristiques habituelles de ces ensembles constitués de jeunes pas encore intégrés au système : son un peu grêle, quelques erreurs d'intonation, décalages en début de phrase fréquents, cornistes désespérés. On sentait beaucoup de fébrilité chez ces jeunes, manifestement très émus du lieu qui leur était prêté à eux seuls. Par ailleurs, il s'agit aussi d'une structure-atelier, censée servir de tremplin plus que d'aboutissement. Est-ce convaincant, on ne sait. Mais dans le cadre d'un programme d'essence légère, et en parallèle avec des explications, la chose était tout à fait satisfaisante.
Le son paraissait assez emprunté aux ensembles sur instruments d'époque.


Au programme :

  • Mozart, Ouverture de l'Enlèvement au Sérail
    • Commentaire sur la confrontation de deux civilisations dans cette musique, et aussi sur la symbolique de l'enfermement (ce qui est plus discutable puisque l'oeuvre débute attacca sur la reprise du thème B, cette fois en majeur).
  • Beethoven, Marche turque des Ruines d'Athènes
    • On a peut-être un peu regretté que notre passage fétiche, la danse totalement délirante des derviches, même sans choeur, en arrangeant un peu les parties chantées (avec des cuivres par exemple, pour rester dans le volume sonore du concert), ne soit pas proposée. C'est certes un tout petit peu moins une turquerie. Mais un tout petit peu seulement !
    • Commentaire sur les avatars génériques de l'oeuvre, sur le contexte historique et ses implications politiques (s'agissant d'un thème Auber, cela se justifie pleinement), avec l'arrivée puis l'extinction de cette musique turque en Grèce.
  • Boïeldieu, Ouverture du Calife de Bagdad
    • Une oeuvre que nous aimons beaucoup ici, fraîche, ingénue, prévisible mais délicieuse. Comme toujours chez Boïeldieu, le langage, quoique simple, est d'un ton très raffiné - il y a quelque chose, toutes proportions gardées, de Mozart dans cette simplicité si éloquente. L'Ouverture en est le morceau le plus musical.
    • Commentaire sur la situation de l'oeuvre au moment de l'Ouverture et après.
    • L'oeuvre était assez bien jouée, surtout par rapport à la concurrence discographique pas si terrible.
  • Rossini, Ouverture du Turc en Italie
    • Commentaire sur les inclusions de percussions des janissaires dans l'orchestre occidental et sur les deux turqueries symétriques de Rossini.
    • Très belle réussite orchestrale (avec des difficultés pour le solo très exposé de cor), très bien dans le ton, avec beaucoup de détails réussis. Sans doute la pièce la mieux jouée du concert.
  • Auber, orchestration de la Marche Turque de Mozart
    • Le clou du spectacle, assurément, et qui faisait prendre toute sa saveur à ce concept étrange (certes, Auber vénérait Mozart...). Auber assume pleinement le sous-titre du dernier mouvement de la sonate K.331 : avec une orchestration bien plus riche et florissante, infiniment plus soignée et spirituelle que dans ses opéras, il fait de cette pièce de caractère une authentique turquerie, déhanchée et colorée, avec des ornementations boisées en folie. Même le thème B, accompagné de façon très nue au piano, sonne formidablement. La pièce se montrait tellement sincère dans ses outrances pittoresques qu'on a ri franchement dans le même temps qu'on la goûtait.
    • Une belle réussite de l'orchestre, bien plus en confiance à ce moment-là.
  • Berlioz, Marche Marocaine (orchestration d'une marche pour piano de Leopold Meyer, avec coda de Berlioz)
    • Une orgie invraisemblable de tapage militaire sur un motif de quatre mesures obstiné. Certes, la timbalière peut s'en donner à coeur joie... Une sorte de glorieux hyménée du bruit et du mauvais goût. D'un certain côté, fascinant.
    • Commentaire sur le contexte historique, l'orchestration de Berlioz et la parenté de la coda avec la Marche Hongroise de La Damnation de Faust (ce qui est parfaitement exact, et de loin la seule part un peu intéressante du morceau).
  • Berlioz, Marche d'Isly (pièce absolument jamais jouée, orchestration d'une marche pour piano de Leopold Meyer)
    • Encore pire, s'il se peut, que la Marche Marocaine : du tapage creux qui tourne à vide, mais sans la démesure (involontairement) grotesque de la précédente. Toujours étonnant comme auprès de quelques très grands chefs-d'oeuvre, qui font de Berlioz, avec Chopin [1], le plus moderne et sans doute, qu'on aime ou non, assez incontestablement le plus génial de son époque, on trouve quantité d'oeuvres extrêmement fades et convenues, à peu près sans aucun intérêt.
    • Commentaire sur l'exhumation, que je vous livre : Berlioz avait envoyé l'orchestration à Meyer, elle s'est perdue. C'est une version du copiste de Berlioz qu'on a retrouvée, mais Berlioz ne l'a jamais jouée en concert.


Contrairement à nos pressentiments, La Marche Turque revisitée n'a pas remporté un succès démesuré. En revanche, la Marche Marocaine, étrangement rejouée en bis (au lieu de quelque chose plus en phase avec le thème du concert), a remporté un petit triomphe auprès d'un public assez familial, ou amateur de musique légère et de pompièreries. Il est vrai que malgré la faiblesse de cette musique, on n'a pas boudé notre plaisir non plus - dans le pire des cas, ce n'était pas ennuyeux, puisque c'était drôle et attendrissant par sa laideur même.

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Un excellent concept en tout cas, à saluer comme il se doit, en particulier pour le travail de mise en cohérence et de documentation fourni par Agnès Terrier.

Notes

[1] Dans une bien moindre mesure et sans rupture, Meyerbeer est aussi très original dans les années 30, aussi bien pour l'orchestration que pour l'écriture musicale proprement dite, sans même parler bien sûr de sa conception du théâtre lyrique qui permet à Scribe de se dépasser. Puis, dans les années quarante, arrive le dernier Schumann. Qu'on les aime ou non, ces trois-là plus, de façon annexe, Meyerbeer, sont clairement les plus avancés de leur temps, tous pays confondus, dans la recherche musicale.


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Commentaires

1. Le samedi 7 février 2009 à , par vartan

Finalement, je crois que ça m'aurait beaucoup plu. (Avec les pompiers et sans Sergueï).

2. Le dimanche 8 février 2009 à , par Ouf1er

Pas encore tout lu. Mais précision : ce n'est PAS une mise scène du coupe Makaieff / Deschamps, mais bien de Deschamps tout seul. Ce qui révèle une ENORME différence....

3. Le dimanche 8 février 2009 à , par Ouf1er

Oups : mon commentaire précédent est à recaser, EVIDEMMENT, dans la critique du Fra Diavolo....

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David Le Marrec

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