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dimanche 5 mars 2023

Le grand bilan Ibsen


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À l'occasion de la Dame de la Mer à la Comédie-Française, je commets pour vous égayer un petit bilan des pièces d'Ibsen vues à partir de la période de maturité – les autres ne sont jamais données, sauf au Théâtre du Nord-Ouest).

[Petite digression sur le Théâtre du Nord-Ouest : ils font des intégrales des grands auteurs, c'est formidable en soi, une sorte de phalanstère où les comédies autogèrent le théâtre pour l'amour de l'art. Cependant : les pièces sont lourdement coupées, à ce qu'on m'a dit le texte n'est pas toujours bien maîtrisé, et surtout, comme le ménage aussi est autogéré – et fait, à ce que m'ont répondu les responsables, à la fin de chaque session, c'est-à-dire tous les six mois –, j'ai frôlé le choc anaphylactique tellement l'air était rendu solide par les particules de poussière, piquant les yeux, le nez, la gorge… J'ai dû quitter précipitamment la salle – en passant par la scène, seule issue possible – au bout de dix minutes. Bref : on peut y entendre tout Ibsen, mais soyez prudents.]

J'ai commencé Ibsen en 2005 en voyant le Brand de Braunschweig en tournée – choc absolu qui m'avait laissé KO pendant plusieurs jours, et ce fut l'une des toutes premières notules postées sur Carnets sur sol. Avec un peu de patience et en vivant en Île-de-France depuis 2009, j'ai pu voir quasiment tous les drames de maturité.

J'avais tenté une nomenclature de ses pièces par matière, puis par logique dramaturgique de ses drames dans cette notule, mais je vous propose cette-fois un petit palmarès de ce qu'on pouvait voir et aimer ces vingt dernières années.



Les pièces de maturité

1863 – Kongs-Emnerne / Les Prétendants à la Couronne
Description :Une merveille à lire, l'une de ses pièces les plus fortes (sorte de relecture beaucoup plus complexe de Macbeth et de l'histoire royale de Norvège, avec les processus de dévoilement intérieurs propres à Ibsen). Hélas, ça n'a été donné en France qu'une fois au cours des années 80, apparemment (je ne savais même pas encore lire…).
→ Une notule partielle.

1866 – Brand
Production : Braunschweig et le Théâtre de Strasbourg en tournée, vu au TNBA de Bordeaux (2005).
Description : Un pasteur charismatique  postule que le moindre péché, la moindre hésitation vouent à l'Enfer. Sa vie d'absolu devient logiquement intenable dans le village du Nord norgévien où il s'installe. (Son acte II est la source de l'opéra L'Étranger de Vincent d'Indy.)
→ La courte notule d'impressions, les présentations de l'opéra de d'Indy et du drame symphonique de Schjelderup.

1867 Peer Gynt
Production : Au Grand-Palais dans un dispositif bifrontal par les comédiens-français, avec Hervé Pierre (qui en profité pour me bousculer délibérément, mais c'est une autre histoire). Très long (4h30 sans entracte), et très discontinu… des moments de grâce, mais aussi beaucoup d'autres énigmatiques, clairement pas sa meilleure pièce pour moi. Bien sûr, on n'a pas eu le temps d'y mettre la musique de Grieg en sus.(2012)
→ Notule sur la pièce et notule sur la musique de scène.

1869 – De unges Forbund / La Ligue de la jeunesse
Jamais vu, et pas lu, car j'espère qu'il sera monté un jour et que je pourrai me prendre la gifle en salle.

1873 – Kejser og Galilæer / Empereur et Galiléen
Description : Drame mystique atypique autour de la figure de Julien l'Apostat, un peu dans l'esprit de la Tentation de saint Antoine, mais sans du tout la même verve. Beaucoup de références historiques et religieuses, très long, énormément de lieux, ça paraît difficile à monter (ou alors avec des coupes et des choix radicaux). Ce ne serait pas très accessible, et ce n'est pas son œuvre majeure de toute façon.

1877 – Samfundets Støtter / Les Piliers de la Société
Production : Par les étudiants du CRR de Paris, au Théâtre de l'Aquarium (2011). Formidable représentation, pas du tout d'un niveau « étudiant ».
Description : Une œuvre qui n'est pas la plus célèbre de son auteur, mais qui offre pourtant un concentré des thématiques d'Ibsen : la société d'une petite ville qui se regarde elle-même, avec les questions de révélations, de chute, de déchéance et en arrière-plan la possibilité d'un départ pour les Amériques avec un bateau qui accoste. Une de ses meilleures pièces pour moi.
La notule.

1879 – Et Dukkehjem / Une Maison de poupée
Production : Stéphane Braunschweig, au Théâtre de la Colline (2009).
Description : Étonnant manifeste pour la liberté de la femme, autour d'une cachotterie qui devient existentielle. De loin sa pièce la plus jouée (et par des actrices célèbres, je me souviens par exemple des affiches avec Audrey Tautou au faîte de sa gloire), probablement à cause d'une thématique qui fait écho à notre présent, mais pas celle où la structure est la plus richement polyphonique.
→ Notule sur la représentation et notule sur l'œuvre.

1881 – Gengangere / Les Revenants
Production : Thomas Ostermeier (sa seconde version, en français), aux Amandiers de Nanterre (2013).
Description : Une pièce autour de… la syphillis. Pas celle qui m'a le plus passionnée : on est d'emblée dans l'impossibilité franche de quoi que ce soit, aussi la chute n'est-elle pas aussi révélatrice d'enjeux profonds que dans les autres pièces. Il faut dire que je n'aime pas du tout les propositions d'Ostermeier, qui abîment mon sens le texte en l'habillant d'actualisations ou d'artifices (cet affreux bruit blanc à fond pendant les changements de tableau…). Je suis un peu seul à le penser, mais cela peut aussi expliquer que je n'aie pas été autant séduit par cette pièce.
La notule.

1882 – En Folkefiende / Un Ennemi du peuple
Production : Jean-François Sivadier, à l'Odéon (2019).
Description : Sujet là encore étonnant, autour de l'écologie en réalité. Comme les deux présentes, une pièce thématique, avec moins d'entrelacs que ses meilleures pièces, mais très convaincante. Elle est reprise ce mois-ci (les 9 et 10 mars) au Théâtre de Clamart.
La notule.

1884 – Vildanden / La cane sauvage
Production : Stéphane Braunschweig, au Théâtre de la Colline (2014).
Description : Drame familial typique d'Ibsen et très touchant.
La notule.

1886 – Rosmersholm / La maison Rosmer
Production 1 : Stéphane Braunschweig, au Théâtre de la Colline (2009. L'une de mes plus grandes expériences théâtrales (ce serait même un solide second après La mort de Tintagiles de Maeterlinck, mise en scène de Podalydès).
Production 2 : Julie Timmermann, au Centre Malraux du Kremlin-Bicêtre. Beaucoup plus sommairement réalisé.
Description : En termes de progressions et de sentiments contradictoires inextricables, Rosmersholm se place tout en haut du corpus. (Je crois que les spécialistes la tiennent aussi en fort bonne grâce.)
→ Notule sur l'œuvre et la première production, notule de compléments à partir de la seconde production.

1888 – Fruen fra Havet / La Dame de la Mer
Production 1 : Claude Baqué, aux Bouffes du Nord (2012).
Production 2 : Géraldine Martineau au Vieux Colombier (2023).
Description : Une femme mariée rêve, terrifiée, du retour de son premier fiancé – un marin.
→ Notule sur l'œuvre et la première production, compléments en commentaire à partir de la seconde production.

1890 – Hedda Gabler
Production 1 : Thomas Ostermeier, au TNBA de Bordeaux (2008). En allemand. (Comme toujours, pas convaincu par la proposition.)
Production 2 : Paolo Taccardo à l'Usine d'Éragny (2017). Version directe, pas hors du commun, mais efficace.
Description : Tentative désespérée d'une épouse de cacher un secret. Pas énormément d'arrières-plans, mais une mécanique terrifiante de la dissimulation et du dévoilement implacable, quand la vérité détruit toujours davantage.
→ La notule sur l'œuvre et la première production. Impressions sur la seconde production au sein de cette notule.

1892 – Bygmester Solness / Solness le constructeur
Production : Stéphane Brauschweing, à la Colline (2013).
Description : Semi-romance entre un vieil architecte et une jeune femme, remplie de vastes questions.
La notule. Et un clin d'œil.

1894 – Lille Eyolf / Petit Eyolf
Production : Julie Bérès, au Théâtre de la Ville (2015).
Description : Le couple après le deuil d'un enfant. Moins de révélations qu'à l'ordinaire, mais le contexte les rend d'autant plus terribles.
La notule.

1896 – John Gabriel Borkman
Production : Claudine Gabay, au Théâtre de Ménilmontant (2015).
Description : La chute d'un banquier.
La notule.

1899 – Når vi døde vaagner / Quand nous nous réveillons d'entre les morts
Description : Uniquement lu. Dialogue d'un couple qui se retrouve longtemps après le temps de leur première idylle. Assez ascétique et quelque part énigmatique. J'espère le voir sur scène pour démêler tout cela.



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Les meilleures pièces

Et à présent, la sélection que vous attendiez tous.

¶ Les pièces extraordinaires (dans cet ordre approximativement) : Rosmersholm, Les Prétendants à la Couronne, La Dame de la mer, Brand, Les Piliers de la Société, La Cane sauvage, Une Maison de poupée, Un Ennemi du peuple.

¶ Les autres très bonnes pièces (un peu plus unidimensionnelles) : Solness, Borkman, Petit Eyolf.

¶ Les bonnes pièces moins essentielles : Gabler, Les Revenants, Peer Gynt.

¶ (Et clairement, catégorie spéciale pour Empereur & Galiléen, il faudrait vraiment un bon metteur en scène et une très bonne équipe pour réussir ça !)


Et vous, quelles sont vos belles expériences Ibsen ?

dimanche 13 novembre 2022

Franz SCHREKER – Der Schatzgräber en création française


[Opéra du Rhin] Schreker, Der Schatzgräber, Loy & Letonja

#ConcertSurSol n°22

(Opéra de Strasbourg)
Schreker – Der Schatzgräber – Loy ; Blondelle, Juntunen ; Philharmonique de Strasbourg, Letonja

Franz Schreker est l’un des princes de l’opéra de la République de Weimar : les années 1910 et 1920 voient ses grands succès naître à Francfort et dans mainte autre ville allemande, voire germanique (Das Spielwerk und die Prinzessin est même créé à Vienne). Ses intrigues vénéneuses fondées sur la quête d’absolu de l’artiste, la puissance du désir et la chute inéluctable sont un peu le paragon du mouvement qu’on peut appeler (que j’appelle, en tout cas) les décadents, reprenant à la fois les thématiques du romantisme (l’art et l’amour absolus), de la psychanalyse, des doutes du XXe siècle. Musicalement aussi, il se situe entre le lyrisme postromantique des poèmes symphoniques de Richard Strauss et l’ultrachromatisme postwagnérien, naviguant très vite d’une tonalité à une autre, usant d’accords enrichis et même quelquefois de polytonalité !  Œuvres sophistiquées sans doute adressées à une élite intellectuelle capable de saisir l’écart entre la forme du conte qu’il adapte souvent et sa réalisation tourmentée.
Voyez ce recueil de notules de CSS.

Le Chasseur de trésor, écrit entre Die Gezeichneten (ou plus exactement la refonte du Spielwerk) et Irrelohe, reprend bien sûr la thématique de la quête absolue – et impossible – de l’artiste, de sa descente aux enfers dans un monde trop laid, qui parcourt toute l’œuvre librettistique de Schreker. Mais ici, l’accent porte plutôt sur des questions relationnelles et sociales, avec une histoire d’amour au centre (ce qui n’est général que formellement le cas, rarement l’enjeu profond et principal), et une figure de femme fatale typique de son temps, de la trempe des Mélisande, Salomé et des Lulu : tout à la fois pure, victime de la concupiscence des hommes, et manipulatrice, mortifère, source involontaire de tous les malheurs. L’action culmine dans la succession de coups de théâtre de l’acte IV, avec l’empilement de suspicion contre le ménestrel, de sa réponse allégorique, de ses blasphèmes, de la révélation du Bailli, qui font à chaque fois changer l’action de direction… en un quart d’heure, la tête tourne – un peu comme à la fin des Brigands de Schiller. Tant de fins possibles sont à peine esquissées !  L’Épilogue final, en revanche, avec sa laborieuse mort d’héroïne comme on en retrouve dans maint opéra du temps, d’Adriana Lecouvreur à Pelléas… paraît renouer avec une conception très normée et plate, c’est assez dommage, alors que le Prologue est plutôt très intriguant et bien pensé.
Toute cette fantaisie se fonde en réalité sur une expérience personnelle de Schreker, assistant à une servante d’auberge qui, costumée, joue du luth… image qui l’avait vivement frappé.

La mise en scène de Christof Loy a le grand mérite d’animer tout le temps le plateau – alors que le livret prend son temps pour laisser au compositeur le loisir de travailler ses progressions sonores. En revanche, après discussion avec les camarades, pour ceux qui ne connaissaient pas déjà l’œuvre, le décor unique (qui se défend pour des raisons économiques) n’était pas assez explicité (par de petits accessoires ?) pour permettre de comprendre les lieux de l’acte, ce qui pouvait réellement prêter à confusion.

Musicalement, on retrouve tout l’attirail schrekerien des harmonies sophistiquées, des tissus superposés – avec beaucoup moins de mélodies évidentes que dans Der ferne Klang ou bien sûr Die Gezeichneten – à la fois abstrait et sensuel, complexe et immédiatement séduisant. Chaque fin d’acte est un moment fort : duo entre les amants  Els (la servante d’auberge) et Elis (le ménestrel) à la fin du I, et la délibération d’Elis à la fin du II, notamment ; mais parmi les grands moments, on a aussi le duo du Bouffon et d’Els au début du II, et les deux grands climax de l’œuvre. La scène d’amour d’abord, qui occupe l’essentiel de l’acte III (où Els, parée des colliers volés, offre sa vierge nudité au ménestrel magique déchu) et culmine dans un long interlude symphonique suggestif, d’un élan irrésistible. Et bien sûr l’éclat d’Elis à l’acte IV, lorsque, emporté par son propre récit et par ses souvenirs, il s’engage dans un blasphème exalté, montant sans cesse d’un cran en intensité vocale – un côté très Tannhäuser de ce point de vue, livret comme musique (en beaucoup, beaucoup plus complexe).

Un ravissement permanent, tout cela est très prenant grâce au livret étrange (beaucoup de zones troubles qui donnent de quoi s’occuper l’esprit) et à la musique profusive et variée.

La production était musicalement absolument exemplaire… en ayant écouté l’œuvre au disque dans les années précédentes, puis à mon retour, je n’y ai pas du tout retrouvé le même frisson. Marko Letonja, qui connaît bien les décadents (intégrale des symphonies de Weingartner avec Bâle, chez CPO…) officiait déjà pour Der ferne Klang en 2012 dans ces murs (avec, déjà, Juntunen incandescente !), et le Philharmonique de Strasbourg se montre d’une concentration remarquable, ne relâchant jamais la tension, ne paraissant jamais basculer en pilote automatique – sur une musique aussi difficile et qui réclame autant de présence, pas évident d’habiter chaque recoin !

Côté chanteurs, on est aussi à la fête : de très bons seconds rôles, voix solides et bien faites, bons diseurs, Derek Welton en Roi, Kay Stiefermann en Bailli charismatique ; de même pour Paul Schweinester en Bouffon. Seule déception, James Newby en gentilhomme-troisième-fiancé : j’avais adoré ses talents de diseur dans les Songs of Travel au disque, et j’ai trouvé la voix étrangement terne et inefficace en salle. Retrouvailles avec Helena Juntunen, qui se joue toujours des difficultés insurmontables de ces rôles avec une facilité et un moelleux impressionnants.

Et surtout, totalement tétanisé par Thomas Blondelle, dont je n’avais pas trop vu évoluer la carrière depuis le Concours Reine Élisabeth, la voix s’est énormément embellie depuis, mais on retrouve l’acteur !) dont il avait été finaliste-lauréat il y a bien dix ans – un disque de mélodies de Poulenc, et puis une carrière surtout dans les pays germaniques (Wiesbaden et Deutsche Oper surtout – en troupe ? –, mais aussi Komische Oper, Dresde, Braunschweig, Luxembourg, Bach Ischl…). Pour une voix qui ne paraît pas d’essence dramatique, mais pourvue d’un beau médium très solide (il a toujours eu un côté presque-baryton), quel aboutissement !  Mais en réalité, en vérifiant, sa carrière est en réalité largement consacrée à ce type de format : Idomeneo, Tito, Erik, Loge, Stolzing, Parsifal, Herodes, Elemer, Matteo !  Impressionnant pour un ténor de cet âge, a fortiori considérant qu’il ne fatigue jamais : il chante pourtant sans retenue, mais appuyé sur une émission saine, assez personnelle, mais sans jamais forcer, si bien qu’il peut se permettre, dans la dernière scène, de tout lâcher – et c’est hallucinant d'insolence, de tension surmontée. De surcroît, sensible au style (il n’hésite pas à émettre en mécanisme allégé lorsque c’est pertinent) et un acteur habité, possédé même, et pas seulement dans l’éclat : toute l’allure dégingandée qu’il arbore en permanence pendant toute l’œuvre, comme ivre de son luth magique, façonne réellement ce personnage singulier à la fois hors du monde et malgré tout sensible et vulnérable par les honneurs et par la chair.
Une des plus grandes incarnations, chant comme jeu, vues dans ma vie de spectateur.

Il joue Manru de Paderewski à Nancy en mai, ça fait envie (l’œuvre n’est pas le sommet de son temps, mais plaisante !) – et puis Herodes et Elemer à Berlin, où ce doit être extraordinaire aussi, mais plus ambitieux à organiser.

Avec ces circonstances particulièrement favorables, la salle était remplie, le public particulièrement attentif et enthousiaste : l’Opéra du Rhin poursuit sa démonstration qu’il est possible de faire ambitieux, neuf, exaltant… tout en rencontrant son public. À cela, ajoutez l’accueil très bienveillant en billetterie, dans les étages (chaque billet est associé à un porte-manteau, les ouvreuses sont particulièrement affables et attentives au confort de chacun…), l’expérience est totale. Prenez-en de la graine les autres.

La production continue : 27 et 29 novembre avec les mêmes chanteurs à Mulhouse. (Je ne sais pas si elle retournera ensuite à nouveau à la Deutsche Oper, mais la distribution y était nettement moins bonne de toute façon.)

jeudi 13 mai 2021

Exclusivité : saison lyrique 2021-2022 du Théâtre des Champs-Élysées


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Pour tous les optimistes qui y croient (ou les junkies qui sont ouverts à toutes les propositions), le Théâtre des Champs-Élysées a commencé envoyer ses brochures, une semaine avant l'annonce de la saison.

Le boss de l'excellent et incontournable forum Classik l'a entre les mains et livre la liste des titres et quelques détails très engageants.

→ Monteverdi, Il Ritorno d'Ulisse in Patria
→ Marais, Bacchus & Ariane (enfin !)
→ Haendel, Radamisto
→ Haendel, Giulio Cesare (scénique)
→ Haendel, Theodora
→ Vivaldi, L'Olimpiade
→ Mozart, Così fan tutte (scénique, Pelly).
→ Spontini, La Vestale
→ Donizetti, L'Elisir d'amore
→ Donizetti, Anna Bolena (lol)
→ Verdi, Rigoletto (scénique jeune public)
→ Wagner, Das Rheingold (Rotterdam)
→ Offenbach, La Vie parisienne (scénique)
→ Franck, Hulda
→ Tchaïkovski, Eugène Onéguine (scénique, Braunschweig)
→ Massenet, Manon
→ Massenet, Thaïs
→ Debussy, Pelléas & Mélisande (scénique, Ruf)
→ Janáček, La petite Renarde rusée

Et quelques compléments :

¶ Charpentier, Te Deum
¶ Bach, Passion selon saint Jean
¶ Haendel, The Messiah
¶ Pergolesi, Stabat Mater
¶ Verdi, Requiem
¶ Dvořák, Stabat Mater
¶ Fauré, Requiem
¶ Puccini, Messa di Gloria


Quelques précisions

Oui, Janáček est l'opéra le plus tardif de la saison apparemment. (Il faut dire que cette année, la création nous est passée sous le nez durant le printemps…)

Les distributions dont on dispose sont assez affolantes.

Così avec Santoni, Arquez, Aglatova (la Susanna de la dernière fois), Dubois, Sempey, Naouri. Sur instruments anciens, avec Le Concert d'Astrée et Haïm. Étonnant de ne pas avoir bouclé le cycle avec Rhorer, que j'avais trouvé absolument renversant, mais je serai ravi d'entendre Haïm également.

Rheingold : Nézet-Séguin vient avec Rotterdam, pour un concert qui réunit quelques-uns des meilleurs titulaires actuels : Karg (Freia), Cargill (Fricka), Graves (Erda), Siegel (Loge), Samuel Youn (Alberich), Volle (Wotan), Milling (Fasolt), Mikhaïl Petrenko (Fafner)… !

Onéguine qui semble avoir été distribué pour moi : Santoni, Kolosova, Borras, Bou… et même Delunsch en prime (qui fait toutes les scènes depuis longtemps en Larina… mais il y a de dix ans que je n'ai pas entendu sa voix !). Ils auraient presque pu prendre une traduction française vu la distribution (Kolosova a souvent invitée au TCE, à Bastille, et dans les salles de concert Philharmonie et / ou Radio-France, elle parle peut-être bien français), Michel Delines a peut-être fait cette traduction – son Boris et sa Dame de Pique sont remarquables.
Quoi qu'il en soit, extrêmement prometteur, a fortiori avec Canellakis qui avait fait de superbes Danses symphoniques de Rachmaninov avec l'Orchestre de Paris, et avec le National de France qui m'avait ébloui dans la Première de Tchaïkovski il y a quelques années – certes, c'était avant le passage à vide de l'ère Krivine, avant le renouvellement récent des premières chaises et il y avait Gardiner aux manettes !
Très intéressé aussi par la proposition de Braunschweig, qu'on peut pronostiquer davantage sensible aux idées de pression sociale, de tension infra-verbale qu'à la couleur locale ou à la subversion gratuite.

Pelléas avec Petibon, Barbeyrac, Keenlyside, reprise de l'excellente mise en scène de Ruf. Et en prime avec Les Siècles et Roth, qui ont vraiment apporté un éclairage totalement neuf, à la fois chaleureusement coloré et très cru (ces accords de cordes peu vibrés dans les ponctuations, lumineux et glaçants !), lors de leur récente production lilloise diffusée en ligne (et probablement toujours disponible.

Bacchus & Ariane de Marais, le CRR de Paris l'a donné en vidéo il y a quelques semaines (et, hélas, en prononciation restituée avec des résultats peu probants), ravi de pouvoir enfin voir en vrai le seul opéra de Marais qui restait à remettre à l'honneur (après Alcide à Versailles et Sémélé en tournée et au disque). Souvent annoncé, souvent déprogrammé, c'était devenu un serpent de mer – que nous serons fort aise, nous les LULLYstes, de pouvoir attraper !

Quant à Hulda, pour en avoir joué quelques pages par curiosité il y a quelques années, je n'ai pas conservé le souvenir d'une œuvre particulièrement audacieuse, mais au contraire, comme le Stradella du même Franck, marqué par l'influence italienne, certes moins uniment mélodique que ses confrères, mais amoindrissant ses tendances au chromatisme pour se couler dans l'esprit d'un langage opéra un peu plus « standard ». Je n'ai pas assez insisté pour déterminer s'il s'agit d'une œuvre mineure ou si de réelles fulgurances s'en dégagent. J'en serai donc.

Je vous recommande chaleureusement, également, la Messa di Gloria de Puccini, qui met essentiellement en valeur le chœur (les solistes chantent très très peau) et culmine dans ce Gloria de vingt minutes assez jubilatoire. Écriture chorale assez massive, mais l'orchestration, les doublures, les harmonies sont vraiment typiquement pucciniennes, avec un dépouillement dont nous sommes peu accoutumés. Un bijou qu'il faudra aller entendre, je vous assure.



Très varié, intriguant et assez exaltant, pour les premiers échos, donc !

Vous pouvez suivre en temps réel les nouvelles informations données par Xavier sur Classik.

Sans réel rapport, mais pour votre propre bien, je vous signale également la parution d'une liste à peu près exhaustive des expositions de France qui réouvrent dès le 19 mai, due à Guillaume Giraudon – qui l'a agencée sous forme d'un PDF très commode.

(À très bientôt pour quelques considérations un peu plus pérennes que le mois prochains, mais avec tout ce que vous avez enduré, vous méritiez de savoir, n'est-ce pas ?)

samedi 3 novembre 2018

Innovant novembre




Encore une fois, sélection personnelle dont le ressort est souvent la rareté ou la bizarrerie. Pour une sélection plus transversale et moins triée, l'Offi et Cadences sont assez complets (tout en ratant certaines de mes propositions, considérant les recoins où je râcle des pépites et ma veille généralisée des clubs interlopes). Et bien sûr France Orgue pour les concerts de pouêt-pouêts à tuyaux, ce n'est pas exhaustif, mais de très loin ce qu'on trouve de plus complet !



1. Rétroviseur

En cliquant sur les liens, mon avis (égrené en général sur le fil Twitter de CSS dans les heures suivant le spectacle, voire dès l'entracte) apparaît. Je m'efforce autant que possible de remettre aussi les œuvres en perspective et de poser des questions plus larges que le bon / pas bon du soir donné, aussi j'espère que les retardataires et les absents y trouveront quelques satisfactions tout de même.

Les ♥ mesurent mon émotion (depuis « ça va, c'est joli » jusqu'à l'extase), non la qualité des spectacles. Des spectacles que j'ai trouvés remarquables m'ont touché avec modération, tandis que d'autres plus bancals ou moins exceptionnels m'ont bouleversé. C'est ainsi.
Quant à ♠ : j'ai pas du tout aimé.

♥ Agréable, mais je ne suis pas entré dans le spectacle.
♥♥ Intéressant.
♥♥♥ Excellent.
♥♥♥♥ Merveilleux.
♥♥♥♥♥ Événément marquant dans une vie de spectateur.

♠ J'aime pas.
♠♠ Je déteste.
♠♠♠ C'est scandaleux !  (encore jamais attribué)
♠♠♠♠ J'ai hué le metteur en scène et vais lui défoncer sa race à la sortie.

► #12 Extraits de tragédies en musique (LULLY, Charpentier, Destouches, Rameau) pour soprano (Eugénie Lefebvre) et deux clavecins, dans la merveilleuse église (juxtapositions XIe-XVIe) d'Ennery. Un délice d'éloquence et de contrepoints : grand, grand concert. ♥♥♥♥♥
► #13 Révélation de Léonora Miano (pièce mythologique évoquant les traites négrières) mis en scène par Satoshi Miyagi en japonais à la Colline, avec un orchestre de 11 percussionnistes. Un univers très étonnant. (avec des morceaux de mythologie et d'onomastique dans mon commentaire) ♥♥♥
► #14 Rarissime exécution en concert du Quintette piano-cordes de Jean Cras, les chants de marin les plus modulants que l'on puisse rêver !  (avec quelques extraits de partition) ♥♥♥♥♥
► #15 Bérénice de Michael Jarrell à Garnier. Grande déception – je n'y retrouve ni le sens dramatique de Cassandre (qui n'était certes pas un opéra), ni le contrepoint lyrique de Galileo (qui n'était certes pas sis sur des alexandrins français).  ♠
► #16 Symphonie n°7 de Stanford (et Concerto pour clarinette), Éric van Lauwe. Très belle interprétation, œuvres pas au faîte du catalogue de Stanford. ♥♥
► #17 Tristan und Isolde : Serafin, Schager, Gubanova, Goerne, Pape ; Viola, Sellars, ONP, Jordan. ♥♥♥ (ça en mérite davantage, mais je connais tellement l'œuvre que l'effet de surprise n'est pas le même, et du fond de Bastille…)
► #18 Grétry, Le Jugement de Midas. CRR de Paris. ♥♥♥♥
► #19 Destouches, Issé. Wanroij, Santon, E. Lefebvre, Vidal, Collardelle, Lecroart, Dolié, Barolz ; Chantres, Les Surprises, Camboulas. ♥♥ (parce que c'est une nouveauté… mais pas palpitant, la faute au livret, et sans doute aussi un biais d'interprétation défavorable au drame, à la danse, à la déclamation)
► #20 Orgue à la Madeleine par Matthew Searles : Franck, (Samuel) Rousseau, Saint-Saëns, Tournemire, Demessieux… Programme français assez incroyable, autour des chorals et de l'improvisation transcrite (celles de Saint-Saëns et Tournemire sont incroyables !). ♥♥♥♥♥
► #21 Quatuor a cappella Bonelli, dans Josquin, Palestrina, Victorian, Mendelssohn, Sullivan, bruckner, Debussy, Peterson-Berger, Duruglé, Kodály, Poulenc, gospels… à un par partie !  Fulgurant, la technique parfaite, et jusque dans les langues !  ♥♥♥♥♥
► #22 Maeterlinck, La Princesse Maleine, Pascal Kirsch. ♥♥♥♥♥
► #23 Bernstein, Candide. Swanson, Devieilhe, Rivenq, Amiel, Saint-Martin, Courcier, Koch. Opéra de Marseille, Robert Tuohy. ♥♥♥♥
► #24 Toshiki Okada, Five Days in March (en japonais). ♥♥
► #25 Meyerbeer, Les Huguenots. Oropesa, Jaho, Kang, Testé… Kriegenburg, ONP, Mariotti. ♥♥♥♥♥
► #26 Berlioz, La Mort de Cléopâtre (Richardot), Symphonie fantastique, ORR, Gardiner. ♥♥♥♥
► #27 Debussy, Pelléas et Mélisande, version piano. Lanièce, Dominguez, Degout, Dear… Martin Surot. ♠ (c'est terrible, encéphalogramme plat… vraiment dangereux à présenter après si peu de répétitions… et pas du tout aimé ce que faisaient les chanteurs, alors même que j'ai adoré Lanièce jusqu'ici, mais il change sa voix, et beaucoup aimé Dear, mais dans des rôles plus opératiques…)
► #28 Haendel, Serse. Fagioli, Kalna, Genaux, Aspromonte, Galou, Andreas Wolf, Biagio Pizzuti. Il Pomo d'oro, Emelyanychev. ♥♥♥♥ (interprété comme cela, quel plaisir !)
► #29 Baroque viennois (Kerll, Fux, Conti, Schmelzer) par le Consort Musica Vera. Une brassée de découvertes ! ♥♥♥♥
► #30 Emond de Michalik. ♥♥♥♥♥ (en cours de commentaire, revenez plus tard)
► #31 Magnard, Hymne à la Justice, par les Clés d'Euphonia. (Et Ravel main gauche, Strauss Tod und Verklärung.) ♥♥ (Magnard passionnant et très réussi, j'étais dans de moins bonnes dispositions pour écouter le reste du programme.)

Et quelques déambulations illustrées d'octobre :
☼ La Forêt de Rambouillet traversée du Sud au Nord, du Palais du Roi de Rome jusqu'aux Étangs de Hollande.
☼ La Forêt d'Armainvilliers, ses arbres remarquables et vestiges archéologiques.
☼ Baillet-en-France, Chauvry, Béthemont, Villiers-Adam… villages autour de la Forêt de l'Isle-Adam

Château de Rambouillet.
Palais du Roi de Rome.

† Église XIIe-XVIe d'Ennery, premier gothique et flamboyances prolychromes.
† Cathédrale Saint-Maclou de Pontoise.
Église Saint-Lubin de Rambouillet (avec vidéo-test d'acoustique).
† Cathédrale Saint-Louis de Versailles.
Sainte-Marie des Batignolles.
† Saint-Joseph-Artisan.
† Saint-Nicolas-des-Champs
† Temple de Port-Royal.

Expo Miró au Grand-Palais

Pour ceux qui ne sont pas mis en lien, vous les trouverez épars sur cette page.



2. Distinctions

Quelques statistiques :
● 20 concerts en octobre (oui, c'est beaucoup) dans 18 lieux différents dont 6 où je n'avais jamais mis les pieds. C'est plutôt bien d'y parvenir encore, après dix ans de loyaux services dans la région.

putto incarnat
Quelques ovations musicales :
Putto d'incarnat de l'exhumation : Consort Musica Vera pour le Requiem de Kerll, Ferey & Sine Qua Non pour le Quintette piano-cordes de Cras, Matthew Searles pour l'ensemble de son programme.
Putto d'incarnat œuvre : Les Huguenots de Meyerbeer, Callirhoé (extraits) de Destouches, Requiem de Kerll, Quintette de Cras, Médée (extraits) de Charpentier.
Putto d'incarnat claviers : Clément Geoffroy (à deux clavecins + continuo Issé), Matthew Searles (registration et souplesse).
Putto d'incarnat orchestre : Orchestre Révolutionnaire et Romantique (couleurs et cohésion dans Berlioz), CRR de Paris et environnants pour Grétry (quel engagement !).
Putto d'incarnat direction : Mariotti (animer ainsi cet orchestre, et rattraper l'air de rien les décalages des chanteurs dans les grands ensembles des Huguenots, du grand art), Ph. Jordan (Tristan).
● Une belle moisson de chanteurs exceptionnels (et je pèse mes mots) : Morgane Collomb (Kerll), Fanny Soyer (quatuor a cappella), Eugénie Lefebvre (Médée, Callirhoé, Amélite, Hespéride d'Issé), Marion Vergez-Pascal (quatuor a cappella), Bo Skovhus (Bérénice), Mathieu Lecroart (Issé), Biagio Pizzuti (Serse), Andreas Wolf (Serse), Adrien Fournaison (quatuor a cappella)… auxquels nous décernons volontiers un putto d'incarnat 2018.
● et les Putti d'incarnat de l'injustice critique, pas forcément adorés comme ceux choisis précédemment, mais réellement admirés, excellents, au-dessus de la désapprobation et que j'ai pu lire ou entendre de façon récurrente à leur encontre : Ermonela Jaho, Martina Serafin, Yosep Kang, Il Pomo d'oro… Courage les petits, vous êtes des grands !

putto incarnat
Quelques saluts théâtraux :
Putto d'incarnat théâtre : Maleine de Maeterlinck (pour le texte et sa vie sur scène, pas pour la mise en scène qui l'abîme en certains endroits), Edmond de Michalik (une sorte de vaudeville à références littéraires, très accessible et tout à fait jubilatoire à chaque instant).
Putto d'incarnat acteurs : Haruyo Suzuki (voix d'Inyi dans Révélation), Bénédicte Cerutti (la Reine étrangère dans Maleine), Cécile Coustillac (la Nourrice semi-comique dans Maleine), Nicolas Rivenq (quel anglais remarquable en narrateur-Pangloss de Candide).

Autant dire que je ne suis pas assuré que novembre soit du même tonnel…



3. Sélection des raretés et événements

En rouge, les interprètes qui méritent le déplacement.
En gras, les œuvres rares.
Et donc combiné : œuvres rares et tentantes (déjà écoutées, ou quelquefois simplement significatives / prometteuses).

Vendredi 2
→ Auditorium de Vincennes : Hymne à la Justice de Magnard (+ Tod & Verklärung, Ravel gauche). Les Clefs d'Euphonia. Libre participation.
→ Gaveau : Schütz, Erlebach, Theile, Ritter, Tunder par l'Arpeggiata.

Samedi 3
→ 16h, Saint-Gervais. Intégrale des motets de Couperin #4 par l'Ensemble Marguerite Louise (Gaëtan Jarry). Libre participation.
→ 18h, Royaumont, Masterclass Immler & Deutsch avec Garnier & Oneto-Bensaid (putto d'incarnat novembre 2017), Boché (putto d'incarnat mai 2018 et juin 2018) & Vallée… 18h, sur inscription.
→ Saint-Merry, violoncelle roumain & français.
→ Maison de la Radio, Esther de Racine avec la musique de scène d'origine de Moreau.
→ Auditorium de Vincennes : Hymne à la Justice de Magnard (+ Tod & Verklärung, Ravel gauche). Les Clefs d'Euphonia. Libre participation.

Dimanche 4
→ 14h30, Péniche Over the Rainbow : des succès de comédie musicale sous la direction de l'ancien grand chanteur-baroque-français Luc Coadou.
→ 15h, Saint-Germain-des-Prés : Concert baroque & musique ancienne coréenne.
→ 16h, Auditorium de Vincennes : Hymne à la Justice de Magnard (+ Tod & Verklärung, Ravel gauche). Les Clefs d'Euphonia. Libre participation.
→ 17h Temple Saint-Pierre (Paris XIX), Reincken au clavecin et Pachelbel à l'orgue par Clément Geoffroy (putto d'incarnat de septembre 2018 et octobre 2018). 55 rue Manin, gratuit.

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Lundi 5
→ Philharmonie, création de CHEN Qigang, Capitole, Sokhiev.

Mardi 6
→ 12h30 puis 19h, CNSM : ECMA, Académie de Musique de Chambre Européenne, le lieu chaque année de mes grands coups de cœur et de mes nouveaux chouchous !  J'y ai découvert avant tout le monde les Akilone, Hanson, Arod, Sōra, Zadig, lorsqu'ils étaient encore élèves…
→ 12h30, Orsay, masterclass de la Fondation Royaumont, cf 3 novembre.
→ Opéra de Versailles, Berlioz, Damnation de Faust. Antonacci, Vidal, Courjal, Les Siècles, Roth. Alerte glottique !  Mathias Vidal a remplacé en catimini (le déjà très bon) Bryan Register. On se retrouve donc avec le plus beau plateau jamais réuni pour cette œuvre. Hélas, il ne reste plus que des places à 80€, car tout était déjà parti…

Mercredi 7
→ Temple du Luxembourg : Massé, Paul & Virginie ; Compagnie de L'Oiseleur. T. Rousseau, G. Laurens, Ratianarinaivo, Qiaochu Li… Massé n'a pas écrit que les pièces légères Les Noces de Jeannette (grand succès d'alors) ou Galathée (qui a bénéficié, il y a longtemps, des rares honneurs du disque) ; voici un de ses drames plus sérieux, qui met en relation ces héros emblématiques de la littérature française avec leurs lecteurs, avec de beaux
ensembles consonants mais riches. Hâte d'entendre cela en action !  Libre participation.
→ Philharmonie : Tippett, A Child of Our Time ; Connolly, Padmore, Relyea, OP, Adès. Oratorio très réussi (style brittenien en mieux), son œuvre emblématique.
→ Philharmonie : Armand Couperin, Dandrieu… par Béatrice Martin, Olivier Baumont, Claire Antonini, et Julien Cigana à la déclamation en français restitué (il n'y a pas plus savoureux que lui !).
→ Odéon : Début des Femmes Savantes mises en scène par Braunschweig.

Jeudi 8
L'une des journées les plus riches de l'année !
→ 18h, Musée d'Orsay : Lauréats de la Fondation Royaumont (dont les membres de la masterclass du 3 novembre) répartis dans le musée !
→ 19h, CNSM : Ouverture du Fliegende Holländer, Concerto pour violon et orchestre à vents de Weill, Concerto pour violon n°2 de Bartók. Orchestre des Lauréats du Conservatoire. Gratuit.
→ Mairie du IIIe : Quintette piano-cordes de Durosoir (et celui de Franck) par l'Ensemble Syntonia (putto d'incarnat 2017). Gratuit ?
→ Philharmonie : Tippett, A Child of Our Time ; Connolly, Padmore, Relyea, OP, Adès. Oratorio très réussi (style brittenien en mieux), son œuvre emblématique.
→ Orsay : Immler-Deutsch dans Schreker, Grosz, Gál, Wolf, Berg. Rarissime et exaltant mais cher pour un récital de lied (35€).
→ Invalides : Requiem de Farr, Élégie pour cordes et harpe de Kelly. Pas des chefs-d'œuvre intersidéraux, mais plaisants et rarissimes.
→ Seine Musicale : Haydn, Symphonie n°102, une Symphonie de CPE Bach, Concerto pour piano n°20 de Mozart. Insula Orchestra, Christian Zacharias.
→ Philharmonie : Louis & François Couperin par Rousset.
→ CRR de Paris : Debussy, Pelléas ; la formation n'est pas claire, j'avais compris Pascal Le Corre au piano, mais je vois qu'à présent des élèves instrumentistes sont crédités. Gratuit.
→ Ivry : Les Justes de Camus.

Vendredi 9
→ TCE : Verdi, Nabucco ;  Opéra de Lyon avec Anna Pirozzi, Leo Nucci… Les meilleurs titulaires d'aujourd'hui, pour un opéra d'un accomplissement remarquable, certes un tube, mais guère donné en France.
→ Chapelle Royale de Versailles : Moulinié, Cantique de Moÿse & Requiem, motets Louis XIII de Formé et Bouzignac. 18€.
→ Philharmonie : Durosoir, Amoyel, Britten, Debussy, Bach sur une copie du violoncelle de fortune de Maurice Maréchal, dans les tranchées. Par Emmanuelle Bertrand.
→ CRR de Paris : Debussy, Pelléas ; la formation n'est pas claire, j'avais compris Pascal Le Corre au piano, mais je vois qu'à présent des élèves instrumentistes sont crédités. Gratuit.
→ Massy : Samson & Dalila, production de Metz (Kamenica, Furlan, Duhamel).
→ Chelles : Sopro, pièce de Tiago Rodrigues en portugais, autour de la figure d'une souffleuse (réellement souffleuse). Donné également jusqu'à mi-décembre au Théâtre de la Bastille, dépêchez-vous, la plupart des dates sont complètes.

Samedi 10
→ 15h, Cortot : Septuor de Saint-Saëns (OCP)
→ 18h, Gargenville (aux Maisonnettes, l'ancienne maison de Nadia & Lili Boulanger), concert viole de gambe / clavecin. 8€.
→ 20h, Église écossaise : violon-piano de Janáček, Sonate pimpante de Rodrigo, Beethoven 9.
→ 20h30, La Chapelle-Gaillard : Lambert, Jacquet, Marais, Dandrieu, etc. Entrée libre. Réservation conseillée.
→ Début de Nel paese d'inverno (en italien) de Silvia Costa, plasticienne qui a été l'assistante de Castellucci.

Dimanche 11
→ Ivry : Les Justes de Camus.
→ 21h, Philharmonie : Chœurs de Caplet (Messe à 3), Reger, Schönberg, Ravel, Poulenc, Fujikura. Chœur de Chambre du Québec, Sequenza 9.3, Chœurs de l'Armée Française. Déplacé à 21h pour cause d'Armistice. Complet mais vérifiez sur la Bourse aux Billets (ou demandez-moi, je risque de revendre ma place…).

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Lundi 12
→ CNSM : programme de chambre au Salon Vinteuil du BDE.
→ Athénée : Mirianashvili.
→ 21h, Théâtre de la Bastille : Sopro, pièce de Tiago Rodrigues en portugais, autour de la figure d'une souffleuse (réellement souffleuse).Jusqu'à mi-décembre,la plupart des dates sont complètes.

Mardi 13
→ Toute la journée : masterclass de Gary Hoffman (violoncelle) au CNSM.
→ 14h, CRR : masterclass publique sur les vaudevilles du XVIIIe siècle.
→ 18h, CNSM : pièces du compositeur récemment disparu Nguên Thiên Dao.
→ 20h, Colline : début du Lazare de Castellucci.
Chœur Calligrammes (putto d'incarnat du concert de l'année en 2017 et 2018 !), programme « Noël espagnol des trois Amériques » : Guastavino, Susa, Galindez, Valera, Corona (pardon, en vérifiant le lieu, je vois que c'est évidemment en décembre)

Mercredi 14
→ 14h, CRR : masterclass publique sur les vaudevilles du XVIIIe siècle.
→ 19h, CNSM : concert de thèse, Paganini au piano. Liszt, Busoni, Michael Zadora, Ignaz Friedman.

Jeudi 15
→ 18h30, Favart : Stockhausen, Donnerstag aus Licht. L'opéra totalisant qui regroupe une large part de sa production sera (partiellement) donné cette année : Jeudi à l'Opéra-Comique, et plus tard dans la saison Samedi à la Philharmonie !  Ici, c'est avec mise en scène, une expérience qui vous convaincra diversement (ensemble très hétéroclite, mais atonal bien sûr), à ne pas rater, au moins pour connaître cet objet étrange.
→ 19h, CNSM : cours public d'improvisation de musique indienne
→ Orsay : pièces à thématiques circassiennes de Satie (Parade !), Stravinski, Rota, Debussy (orchestrations de Children's Corner) etc., par le Secession Orchestra dirigé par Clément Mao-Takacs.
Chœur Calligrammes (putto d'incarnat du concert de l'année en 2017 et 2018 !), programme « Noël espagnol des trois Amériques » : Guastavino, Susa, Galindez, Valera, Corona (pardon, en vérifiant le lieu, je vois que c'est évidemment en décembre)
→ Philharmonie : Monologues de Jedermann de Frank Martin par Goerne, un des grands cycles vocaux du XXe siècle (assez récitatif et dramatique, comme les Vier dramatische Gesänge de Gurlitt ou les Häxorna de Rangström). Couplé avec la Dante-Symphonie de Liszt, fameuse et très enregistrée mais peu donnée en concert.

Vendredi 16
→ Invalides (salon) : pièces à deux pianistes de Saint-Saëns, Debussy, Rachmaninov, Chostakovitch. Avec Jean-Philippe Collard.
→ Philharmonie : Vivier, Grisey (Les Chants du Seuil), EIC, Louledjian (très remarquée la saison dernière dans la Damoiselle Élue – quelle diction, quelle présence !).

Samedi 17
→ 16h30 Épinay-sous-Sénart : baroque des Andes.
→ 18h, Écouen : Jodelle, Cléopâtre captive. Rare représentation de cette pièce fondamentale du patrimoine français. Gratuit sur réservation, dans le cadre merveilleux du château !
→ 18h30, Favart : Stockhausen, Donnerstag aus Licht. Voir jeudi pour commentaires.

Dimanche 18
→ 16h, Maison de la Radio : Chœurs de Schubert, Mendelssohn, Brahms par le Chœur de Radio-France. Ma dernière expérience, il y a près de dix ans, avait été très peu concluante (techniques lourdes qui s'accommodent mal de cette forme délicate), mais Sofi Jeannin (et désormais Martina Batič ?) les a beaucoup assouplis pendant son bref intérim.

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Lundi 19
→ Toute la journée au CNSM : masterclasses du Quatuor Ébène. Gratuit.
→ 19h, CNSM : Symphonies 1 de Beethoven et 9 de Schubert, par les Lauréats du Conservatoire (multi-putto d'incarnat ces dernières années). Gratuit sur réservation.
→ 20h, Villette : début des représentations de l'épisode du Mahābhārata vu par Miyagi, avec son orchestre de percussions (et en japonais), gros succès à Avignon…

Mardi 20
→ 19h, Bondy : Chansons de Bord de Dutilleux (bijoux !), Chansons de la Pointe de Manac'h, Kodály, Ligeti, Fujiwara, par la Maîtrise de Radio-France. Gratuit.
→ 19h, CNSM : Concertos baroques de Jiranek, Heinichen, Reichenauer, Bentner et Zelenka ! Gratuit.

Mercredi 21
→ 20h30, Bal Blomet : pièces d'Anthiome, Berlioz, Saint-Saëns, Fauré. Ambroisine Bré et l'Ensemble Contraste. 22€.

Jeudi 22
→ 12h30 Petit-Palais : récital de lied & mélodie par Kaëlig Boché (double putto d'incarnat au dernier semestre !) et Jeanne Vallée.
→ 20h, Invalides : Programme varié très étonnant. Pièces héroïques pour orgue et cuivres de Widor et Dupré, extraits de Janáček (Glagolitique, Tass Boulba), Bartók, Pärt, Nilović, Eötvös, Rhapsodie pour clarinette et orchestre de Debussy… !
→ 20h, Opéra Royal de Versailles : Salieri, Tarare. Un des plus hauts chefs-d'œuvre de l'histoire de l'opéra, l'un des plus grands succès de l'Opéra de Paris également. J'en avais présenté le livret et le contexte ici. Équipe de dingue menée par Dubois, Bou, Rousset… Donné également à la Cité de la Musique.
→ 20h, Maison de la Radio : Bernstein, Divertimento, Halil, Riffs ; Dusapin, Morning in Long Island. ONF, Sirvend.
→ 20h, Fondation Singer-Polignac : Lauréats du prix Boulanger. Est-ce public ?  (souvent, non, mais je n'ai pas vérifié ici, étant déjà pris…)
→ 20h, T2G : Début des représentations de la pièce de Hideto Iwaï (en français).
→ Maison du Japon : « Jetons les livres ». Théâtre en japonais, viol / pop / onirique / trash. Pas pour moi, mais doit être assez surprenant.
→ 20h30, Philharmonie : Koechlin, Vers la Voûte étoilée (très jolie pièce, pas son chef-d'œuvre, mais on ne le joue jamais, c'est déjà bien…) et autres programmes stellaires d'Adès, Holst, Ives, R. Strauss. Orchestre de Paris, Pierre Bleuse (absolument formidable dans le récent album d'airs français de Julien Behr).
→ 21h, Théâtre de Saint-Louis-en-L'Île : mélodies de Kuula, O. Merikanto, Sibelius, Melartin, par Sophie Galitzine (une bonne voix) et Jean Dubé (oui, le Jean Dubé !). Programme déjà rodé au moins depuis le début d'année.

Vendredi 23
→ 19h, CRR de Paris : Orchestre d'harmonie de la Région Centre dans Roger Boutry (Concerto pour violoncelle et ensemble à vent), et arrangements : Lili Boulanger (D'un matin de printemps), Debussy (Fêtes des Nocturnes) et Bernstein (Suite de Candide). Gratuit.
→ 20h30 : Début de La Naissance de la tragédie de Kuvers.

Samedi 24
→ 15h, Cortot : quatuor à vent. Français, Villa-Lobos, Rossini, Beethoven, Poulenc, Jolivet
→ Tout l'après-midi, MAHJ  : Intégrale des Quatuors avec piano de Mendelssohn (œuvres de prime jeunesse, pas le plus grand Mendelssohn, mais déjà très belles et jamais données) avec le Trio Sōra, Mathieu Herzog, et culminant en fin de journée dans une transcription de la Première Symphonie avec le Quatuor Akilone (et un piano) !
→ 20h30, Saint-Joseph-Artisan : Automn de Delius, première audition française de ce mouvement de suite symphonique. Programme un peu moins aventureux que d'ordinaire (après un tout-Stanford !). Couplage avec le Second Concerto de Brahms. Excellent orchestre d'Éric van Lauwe. Libre participation.

Dimanche 25
→ 12h, Garnier : Quatuors de compositeurs d'opéra. Grétry n°3, Verdi, Meyerbeer Quintette avec clarinette.
→ 16h, Saint-Joseph-Artisan : Automn de Delius, première audition française de ce mouvement de suite symphonique. Programme un peu moins aventureux que d'ordinaire (après un tout-Stanford !). Couplage avec le Second Concerto de Brahms. Excellent orchestre d'Éric van Lauwe. Libre participation.
→ 16h, Chapelle royale de Versailles : Couperin, extraits de la Messe pour les Couvents par Desenclos, et motets par l'Ensemble Marguerite Louise.
→ 17h, Le Pecq : Garnier & Oneto-Bensaid (laquelle fut multi-putto d'incarnat et vient de sortir son premier disque, entièrement des transcriptions de sa main ! ♥) Dans Schubert, Duparc, Poulenc…

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Lundi 26
→ Toute la journée, CNSM : masterclasses du Quatuor Modigliani. Gratuit.

Mardi 27
→ Uniquement des événements déjà cités.

Mercredi 28
→ 19h, CNSM : Concert (de chambre) de l'Association de musique Sainte-Cécile, sorte de remise de prix organisée par d'anciens du CNSM, une des plus anciennes associations culturelles de France. Je ne dispose pas du programme, mais en principe ce sont des gens plutôt bons –  et c'est dans ces murs que je vis régulièrement mes plus belles expériences de musique de chambre !
→ 20h30, Philharmonie : Salieri, Tarare. Un des plus hauts chefs-d'œuvre de l'histoire de l'opéra, l'un des plus grands succès de l'Opéra de Paris également. J'en avais présenté le livret et le contexte ici. Équipe de dingue menée par Dubois, Bou, Rousset… Donné également à Versailles la semaine précédente.
→ 20h30, Philharmonie : Intégrale des airs de cour de Couperin (très peu donnés, même pas sûr d'en avoir déjà entendu !) + divertissements, Sempé.

Jeudi 29
→ 19h, CNSM : orgue de Reger, Escaich, Bach.
→ 20h, Maison de la Radio : Martinů (Concerto pour violon n°1), Bernstein (Songfest, une grande cantate assez réussie), Barber (Adagio & ouverture pour The School for Scandal). ONF.
→ 20h30, Grand-Palais : Lotti, Giove in Argo, étudiants du CNSM, García-Alarcón. Gratuit sur réservation. On dispose de très peu de choses de ce compositeur vénitien (et essentiellement de la musique sacrée, très bien faite). On est à (1718) à l'époque du premier seria, mais on peut parier pour que ce soit plutôt du haut de gamme musical, avec peut-être une forme plus libre, que de la pure ostentation vocale. Mais c'est pur pari de ma part…

Vendredi 30
→ Fin de l'exposition des étonnantes gravures de Georges Focus à l'École des Beaux-Arts.
→ 20h, Maison de la Radio : Symphonie n°2 de Bernstein, OPRF, Vasily Petrenko. Je trouve personnellement cette symphonie particulièrement sinistre et insipide, mais elle est incontestablement rarement donnée.
→ 20h, Opéra Royal de Versailles : première des trois représentations d'Actéon de Charpentier et Pygmalion de Rameau, par l'Atelier Tafelmusik de Toronto. Mise en scène toujours adroite avec peu de moyens de Pynkoski.
→ 20h30, Philharmonie de Paris : Manfred de Tchaïkovski. Orchestre des Jeunes de Roumanie, Mandeal. Très peu joué en France et difficile à réussir, alors par de petits jeunes enthousiastes, c'est tentant !

Samedi 1er décembre
→ 17h30, Écouen, Le Procès de Monsieur Banquet (théâtre). Aménagement d'une pièce allégorique du XVIe siècle, interprété par un seul comédien.

Dimanche 2 décembre
→ 17h, Invalides : Jacques Alphone de Zeegant et Karoł Kurpinski, une Messe, et une Symphonie Chemin des Dames !



Mon agenda étant déjà totalement occupé, je n'ai pas vérifié les récitals d'orgue, mais si vous êtes intéressés, France Orgue fait une grande partie du travail pour vous !

Courage pour vivre votre (meilleure) vie au milieu de toutes ces tentations afférentes !

mardi 17 octobre 2017

Les opéras rares cette saison dans le monde – #1 : slaves orientaux (et voisinage)


Pour le principe de cette exploration, voir la première notule de la série.
◊ Les opéras sont d'abord classés par langue (quels que soient le lieu de la représentation, la langue d'origine du compositeur – ou même de l'œuvre), puis par âge des compositeurs ; les villes par ordre supposé d'accessibilité depuis la France.
En rouge, les titres qui donnent bien l'envie de s'engouffrer dans un avion. Avis personnel.

J'ai la fantaisie de débuter avec les Russes.

Ils sont assez nombreux en raison du choix d'inclure les titres peu donnés en France, voire en Europe centrale et occidentale ; à l'échelle de la Russie, les Glinka et Rimski sont tout à fait habituels.

Le reste du répertoire y est extrêmement conventionnel – opéras romantiques italiens surtout (et célèbres), mais j'ai été surpris de remarquer une assez grande présence de créations de compositeurs vivants (certes, uniquement à Saint-Pétersbourg et Moscou).

Beaucoup de concerts ou représentations sont donnés avec une date unique, surtout dans les villes moyennes (enfin, les grandes villes de Russie, mais pas les deux grandes). Même à Saint-Pétersbourg, les raretés du Mariinsky sont en général données un seul soir, en version de concert.
 



opera_yoshkar-ola.jpg
Opéra de Yoshkar-Ola.




1. Opéras romantiques composés en russe

Glinka, Rouslan et Loudmila (Perm)
Glinka, Une vie pour le Tsar (Frankfurt-am-Main, Saint-Pétersbourg, Novgorod, Saratov)
→ Encore très marqués par les modèles européens, et en particulier italien, les opéras de Glinka ont la réputation d'inaugurer le genre – en réalité, il existe même des opéras de type seria au XVIIIe siècle écrits en langue russe. Mais Glinka a la particularité d'inventer un équilibre nouveau, et malgré le langage musical très dépouillé (un peu nu à mon gré, on n'est pas si loin des récitatifs italiens « blancs » ajoutés à la Médée de Cherubini), de donner une coloration locale forte à ses œuvres.
→ Le résultat a quelque chose du durchkomponiert de Weber (même si le climat n'est pas le même, la comparaison structurelle aec Euryanthe ne me paraît pas absurde). En tout cas une écriture assez continue, pas forcément très saillante, mais qui a fait école dans la façon très souple qu'on eu les Russes de traiter leurs « numéros » : même les grands mélodistes s'arrêtent peu pour écrire de grands airs.
→ À noter, à Francfort, l'opéra Une vie pour le Tsar est donné sous le titre préféré par les Soviétiques, Ivan Soussanine (pour exalter le sacrifice individuel pour le bien commun, plutôt que la religiosité tsariste, évidemment), mais je ne crois pas qu'il y ait de divergences musicales significatives entre ces versions.

Dargomyzhsky, Le Convive de pierre (Bolchoï de Moscou)
→ L'opéra est très populaire en Russie, souvent donné (même capté en studio pour la télévision à l'époque soviétique) : il reprend littéralement la pièce de Pouchkine, et se compose surtout de récitatifs austères, ponctués de quelques numéros musicaux plus galants. Une belle œuvre qui place le verbe au premier plan, et qu'on ne donne guère hors du pays. [Quant à sa Rusalka là aussi pouchkinienne, on ne la donne plus guère, même en Russie, malgré ses qualités.]
→ Don Juan est ici pour la première fois sincèrement et fidèlement amoureux, mais c'est de Donna Anna en pleurs sur la tombe du Commandeur.
→ La version usuellement donnée est celle de 1903 (créée en 1907), achevée par César Cui, réorchestrée par Rimski-Korsakov – et partiellement remaniée par le même, notamment avec l'ajout du Prélude.

Rubinstein, Le Démon (Barcelone)
→ Moins russisant que ses camarades de la même génération (années 1830-40), Rubinstein propose un opéra qui combine une forme de lyrisme mélodique russe à une violence dramatique qui évoque plutôt les Allemands (Marschner en particulier, sujet fantastique aidant). Un démon veut triompher d'une femme vertueuse. Et c'est compliqué.

Borodine, Le Prince Igor (Saint-Pétersbourg, Novaya Opera de Moscou, Rostov, Saratov)
→ Le grand classique inachevé, d'un patriotisme assez simple (le Prince trahit sa parole envers ses ravisseurs pour sauver l'Empire), toujours à la mode en Occident pour ses danses barbares polovstiennes (dont je n'ai jamais trop saisi la force, je l'admets). Complété par ses potes du Groupe des Cinq, il contient de belles choses, mais on demeure dans cette première manière de l'opéra russe, assez hiératique. Il y a tout de même le merveilleux air du Prince captif, une mélodie envoûtante, un récit poignant, dans le même esprit que le grand air deBoris sur le pouvoir (dans la révision de 1872) – on pourrait le donner plus fréquemment en récital.

Moussorgski, La Khovanchtchina (Saint-Pétersbourg, Stanislavski de Moscou)
→ Fréquent en Russie, plus rare ailleurs, même s'il est quelquefois donné dans les maisons d'Europe et des États-Unis. Grande fresque bien connue sur les bouleversements politiques russes, là aussi inachevée, disposant de multiples adaptations, et se répandant en longues scènes closes très impressionnantes.

Tchaïkovski, Opritchnik (Saint-Pétersbourg)
→ Il n'en existe que peu de versions discographiques, toutes anciennes (pas forcément des prises officielles, pas forcément disponibles non plus), et aucune avec livret. Pourtant, une vaste œuvre de 2h40, de TCHAÏKOVSKI, pas du neveu de ma belle-sœur… Une de ses partitions les plus russes, pourtant, très contrastée et intense – dont l'atmosphère culmine dans un grand chœur masculin a cappella suivie dans une grande scène emportée de ténor avec choral de cuivres… Une merveille qui s'élève au niveau d'Onéguine et de la Dame de Pique, expansive dramatiquement, foisonnante musicalement, et regorgeant de mélodies merveilleuses.
→ Sensiblement aussi incompréhensible pour moi reste l'absence de L'Enchanteresse (dont j'ai peiné à trouver le livret – russe seulement – et la partition), musique remarquable (du Tchaïkovski très romantique, tout simplement), livret très exploitable, qu'on ne joue jamais, pas même en Russie (au disque, deux enregistrements, sans livret). Et Vakoula le Forgeron (version originale des Souliers de la reine), dont il n'existe RIEN au disque.

Tchaïkovski, Mazeppa à Gera (Thuringe), Saint-Pétersbourg (Mariinsky), Moscou (Helikon), Kharkiv (Ukraine Nord-Est) et Novgorod.
Tchaïkovski, La Pucelle d'Orléans (Leberec en Tchéquie septentrionale, Ufa en Russie centrale)
Mazeppa a un peu été donné en Europe, la Pucelle très peu. Le premier est dans un langage romantique très sobre, avec beaucoup de scènes champêtres, d'ensembles assez simples… l'œuvre regarde plutôt du côté de Glinka. La Pucelle est plus étrange, bidouillant l'histoire-historique très au delà de la vie intime des protagonistes ; assez disparate musicalement aussi, mais pourvue de réelles beautés d'un style assez inédit.

Rimski-Korsakov, Snegourotchka (Saint-Pétersbourg, Bolchoï de Moscou, Novaya Opera de Moscou)
Rimski-Korsakov, Sadko (Saint-Pétersbourg, Krasnoïarsk)
Rimski-Korsakov, Mozart et Salieri (Helikon de Moscou, Théâtre Musical des Enfants à Moscou)
Rimski-Korsakov, La Fiancée du Tsar à Kaunas (Lituanie), Minsk (Biélorussie), Donetsk (Est de l'Ukraine, voyage pas recommandé), Rostov, Bolchoï de Moscou, Novaya Opera de Moscou, Ekaterinburg, Tcheliabinsk (Russie, au Nord du Kazakhstan), Novgorod?
Rimski-Korsakov, Tsar Saltan (Staatsoperette de Dresde – quelle langue ?, Saint-Pétersbourg, Stanislavski de Moscou, Tel Aviv)
Rimski-Korsakov, Servilia (Opéra de Chambre de Moscou)
Rimski-Korsakov, Kastcheï l'Immortel à Minsk (Biélorussie) et Yoshkar-Ola (Russie)
Rimski-Korsakov, Kitège (Saint-Pétersbourg)
Rimski-Korsakov, Le Coq d'or (Staatsoperette de Dresde – quelle langue ?, Saint-Péterbourg)
→ On ne joue que ponctuellement Rimski hors de Russie, mais en Russie, son répertoire y tourne assez bien, même si l'ensemble de ses opéras n'y sont pas forcément joués. Par rapport à l'état du legs de César Cui (dont on attend une remise au jour de Mateo Falcone, pour commencer !), c'est vraiment la gloire intersidérale.
→ Le catalogue comporte des œuvres très diverses, entre le récitatif très brut de Mozart et Salieri, les saynètes de contes bigarrés (Sadko, Saltan) ou plus lyriques (La Fille de Neige), voire ténébreux (le Coq), les grands opéras historiques (la Fiancée) ou féeriques (Kitège)… J'aime particulièrement pour ma part le caractère très direct de l'harmonie, le galbe de la parole dans la Fiancée, mais c'est pure inclination personnelle, le reste est remarquable aussi.
→ Ladite fiancée est régulièrement jouée, certes, mais tout de bon plébiscitée cette année dans la zone d'influence, et ce n'est pas sans implication géopolitique, j'en parlerai.

Taneïev
, Oresteïa (Saratov)
→ Dans L'Orestie, Taneïev présente plutôt le jour paisible et assez académique de ses quatuors à cordes ou de ses symphonies, même si les trouvailles y sont plus saillantes. Il ne faut pas nécessairement en espérer les moments de grace de ses trio avec piano, quatuor avec piano, quintettes à cordes ou avec piano… Pour autant, c'est peu donné, et pas du tout dénué d'intérêt.





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Opéra d'Ekaterinburg.





2. Opéras des écoles du XXe siècle composés en russe

Rachmaninov, Aleko (Kiel, Glasgow)
Rachmaninov, Francesca da Rimini (Kiel, Glasgow, Saint-Pétersbourg)
→ Deux bijoux absolus, qui sont assez régulièrement donnés en Europe occidentale ces dernières années (Paris en concert pour Rimini, Nancy, Bruxelles…).
Aleko, à défaut d'intrigue complexe, propose une sorte de quintessence de l'épanchement russe – dans une veine post-Rimski plutôt que réellement rachmaninovienne, et réellement calibrée pour l'opéra. Quant à Francesca, elle demeure une expérience proprement hallucinatoire en salle, avec l'effet tournoyant de son chœur de damnés qui mime les premiers cercles des enfers dantesques.
(Pas de Chevalier ladre cette année sur Terre.)

Stravinski, Mavra (Opéra de Chambre de Moscou)
Stravinski, Le Rossignol (Saint-Pétersbourg)
→ Encore une fois un choix varié, entre l'opéra comique Mavra et la féerie ineffable du Rossignol, sorte de parent vocal de l'Oiseau de feu, mais creusant déjà des univers beaucoup plus modernes et sophistiqués, moins mélodiques aussi.

Prokofiev, Le Joueur (Anvers, Bâle, Staatsoper de Vienne, Saint-Pétersbourg)
Prokofiev, L'Ange de feu (Glasgow, Varsovie)
Prokofiev, Semyon Kotko (Saint-Pétersbourg)
Prokofiev, Les Fiançailles au couvent (Mariinsky de Saint-Pétersbourg, Opéra de Chambre de Saint-Pétersbourg, Stanislavski de Moscou)
Prokofiev, Velikan, pièce pour enfant (Mikhaïlovski de Saint-Pétersbourg)
→ Sans surprise, l'Amour des trois Oranges est le plus joué dans le monde, et un peu partout (donc absent de la sélection). Pour le reste, le plus impressionnant reste bien sûr L'Ange de feu, d'un expressionnisme flamboyant et redoutable, composé sur près d'une décennie, et qui fournit l'essentiel de la matière thématique de la Troisième Symphonie : l'atmosphère en est saisissante, même si ce n'est pas, en ce qui me concerne, mon langage d'élection.
Les Fiançailles au couvent sont une comédie assez chargée musicalement (donc intéressante) et pas vraiment drôle ; quant à Kotko, vraiment peu donné, c'est un opéra autour d'un soldat de retour du front (mais le père de sa bien-aimée est contre-révolutionnaire), du véritable réalisme soviétique (1939 !) avant l'Homme véritable, et dont la matière dramatique et musicale m'a toujours paru un peu mince, mais c'est peut-être trop loin de mes inclinations pour que j'en saisisse toute la portée. [Je ne connais personne qui aime ça très fort, cela dit.]

Chostakovitch, Moscou, Quartier des cerises à Braunschweig (Basse-Saxe) et Gelsenkirchen (Ruhr).
→ Opéra léger charmant, qui ne contient pas de matière musique de première classe, mais qui n'est pas dépourvu d'attraits. Plutôt le Chosta des Suites de jazz, mais plus du côté de la chansonnette que du sirop.
Chostakovitch, Les Joueurs (Saint-Pétersbourg)
→ Opéra inachevé qui laisse voir de très belles choses, en particulier des ensembles intéressants.

Vainberg / Weinberg, La Passagère à Frankfurt (Hesse), Aarhus (Danemark), Saint-Péterbourg, Moscou (Novaya Opera), Ekaterinburg.
→ Véritable hit européen inattendu, cette saison, après une résurrection assez récente (première exécution complètement scénique en 2010 !) – et une renommée certes flatteuse du compositeur, mais pour autant loin d'occuper les saisons symphoniques ou chambristes européennes.
→ Il faut dire que le sujet a tout pour séduire la communication d'un opéra européen : le pitch inclut à la fois les PTSD (Syndromes post-traumatiques) et les Camps de la mort. Cela dit, force est d'admettre que Vainberg réussit remarquablement son affaire.
→ Car le livret repose sur un dispositif double : la Passagère sur un bateau de croisière, croit reconnaître une prisonnière, ancienne détenue au camp d'Auschwitz (où elle exerçait comme garde, ce qu'ignore son mari). La prisonnière est morte, en principe, mais cela donne l'occasion de faire dialoguer le « présent » sur le pont supérieur avec la vie du camp représentée sur le pont inférieur.
→ Musicalement, on reste dans l'univers soviétique, mais avec une douceur inhabituelle : rien de mélodique ni de suave, bien sûr, mais pas de paroxysmes ni de grincements non plus, une évocation assez subtile, qui épargne aussi, musicalement, la complaisance lugubre.
Vainberg / Weinberg, L'Idiot (Saint-Pétersbourg)
→ Beaucoup plus tardif (1985), pas encore testé : très rare, contrairement à la Passagère qui a été captée en vidéo et a parcouru l'Europe ces dernières années.

Chtchédrine, Les Âmes mortes (Saint-Pétersbourg)
Chtchédrine, Un Conte de Noël (Saint-Pétersbourg)
Chtchédrine, Le Gaucher (Saint-Pétersbourg)
Chtchédrine, Pas seulement de l'amour (Saint-Pétersbourg)
(ou Shchedrin)
→ Compositeur toujours vivant mais emblématique et patrimonial depuis longtemps (l'auteur de la Suite balletistique de Carmen pour cordes et percussions, à l'intention de son épouse Maria Plissetskaïa !), pas forcément le plus fascinant en musique instrumentale, mais extraordinairement à l'aise avec la scène, auteur de multiples ballets et opéras. J'avais mentionné dans une notule certains détails du Vagabond ensorcelé.
→ Je n'ai entendu aucun des quatre (sont-ils seulement disponibles ?), mais l'adaptation de Gogol rend très curieux !

Butsko, Nuits blanches (Saint-Pétersbourg)
→ Le langage de Yuri Butsko est très consonant et tonal – voire un brin pépère, mais joliment atmosphérique – dans ses symphonies, mais je n'ai pas essayé ses opéras, c'est là le genre de défaut qui peut être très utile pour écrire de la musique dramatique.





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Théâtre académique musical Stanislavsky de Moscou.





3. Opéras traduits en russe

Wagner
, www.nibelungopera.ru – adaptation en russe ? (Helikon de Moscou)
→ Compositeur allemand, contemporain exact de Dargomyzhsky, assez connu dans les pays germanophones semble-t-il. Le titre du spectacle est aussi l'adresse d'un site réel, cliquez dessus pour apprécier le sens esthétique russe. Je suppose qu'il doit s'agir d'une version réduite (et probablement russe, vu le nom de domaine ?) du Ring, un pluri-opéra assez long à base de folklore scandinave qui a fait la réputation de son auteur.

Rota
, Aladin et la lampe magique – en russe (Stanislavski de Moscou)
→ Compositeur d'opéras délicieusement consonants et rétro, ici traduit en russe. Quelle curiosité piquante !

Menotti, The Telephone – probablement en russe (Helikon de Moscou)
→ Un des titres les plus charmants de tout le répertoire, musique très accessible (mais plus en conversationnel qu'en sirop flonflonnisant), une saynète sur l'intrusion des technologies dans la vie sociale et amoureuse. Il est souvent traduit en langue vernaculaire (je l'ai vu sur scène en français il y a quelques années, et il est donné cette saison en suédois à Göteborg), un moment délicieux dont je me sens encore tout imprégné.





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Opéra Helikon de Moscou.





4. Opéras en russe de compositeurs vivants

(Sergueï) Banevich, L'Histoire de Kai et Gerda (Saint-Pétersbourg, Bolchoï de Moscou)
→ Je ne connais que son œuvre pour piano. Très consonante et même naïve – du Chopin simplifié.

(Alexander) Zhurbin, Métamorphose[s?] de l'Amour (Stanislavski de Moscou)
→ De la tonalité errante typiquement soviétique (mais capable d'être primesautier, chose rare dans cette génération – né en 1945) dans ses symphonies, mais aussi de véritables chansons… je suis plutôt curieux de ses opéras. [Les crochets sont de moi, je ne disposais que du titre traduit en anglais, où le pluriel est indécelable.]

(Efrem) Podgaits, Sa Majesté des Mouches (Théâtre Musical des Enfants de Moscou)
→ Joli sujet bien dramatique pour un opéra. Par ailleurs, Podgaits écrit remarquablement pour chœur (tonal mais avec beaucoup de notes étrangères et d'accords très riches), dans une tradition sophistiquée qui évoque plutôt les Scandinaves et les Baltes que lesRusses. Très appétissant.

(Jay) Reise, Rasputin – traduit en russe (Helikon de Moscou)
→ Autour de la figure politique intriguante de la fin de l'Empire, un opéra plutôt bien écrit (dans un langage intermédiaire), déjà donné dans une mise en scène olé-olé (défilé de nus…) typique du potentiel du Helikon. Doit assez bien fonctionner en vrai – pas seulement visuellement, je veux dire.

(Alexander) Manotskov, Chaadsky (Helikon de Moscou)
→ Alexander Manotskov écrit ses opéras dans un mélange pas forcément tonal mais très polarisé, naviguant entre le post-varésien très édulcoré et le folklorisme d'unissons dans une veine plus Carmina Burana slave, avec beaucoup de langages intermédiaires (accords de piano minimalistes aussi bien que simili-Britten, par exemple). Particulièrement versatile et varié, sans être toujours excellent dans chaque exercice. Je n'en ai pas assez écouté jusqu'ici pour déterminer si c'est plaisant ou irritant en fin de compte.

(Alexander) Tchaïkovski, Motiy et Saveloy (Théâtre Musical des Enfants à Moscou)
→ Plusieurs opéras de lui (manifestement pour enfants, je ne les ai pas mentionnés) au programme. A. Tchaïkovski aime beaucoup les ostinati, sa musique est assez planante, sans refuser les frottements – un peu dans la veine de Silvestrov, si l'on veut, mais un Silvestrov davantage dans le ressassement et moins dans la contemplation étale. Pas sûr que ça sonne très bien à l'opéra, mais ce n'est pas désagréable du tout en instrumental, à défaut d'être toujours nourrissant.





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Opéra de Lviv.





5. Opéras en ukrainien

Lysenko, Natalka Poltavka (Kiev, Lviv à l'Extrême-Ouest)
→ Contemporain de Tchaïkovski et Rimski-Korsakov (né en 1842, mort en 1912), ethnomusicologue, on ne fait pas plus emblématique d'un patrimoine.
→ Par ailleurs, l'œuvre n'a pas été conçue comme un opéra, mais comme une musique de scène pour la pièce d'Ivan Kotlyarevsky, qui raconte une histoire d'amour constant. Natalka attend son fiancé parti travailler à l'étranger plutôt que d'épouser le riche prétendant du coin – un peu l'histoire des enfants que les primatologues testent pour vérifier s'ils attendent de manger leur bonbon lorsqu'on leur en promet un second. La version de Lysenko (ébauchée en 1864 mais présentée en 1889 !) n'est qu'un habillage musical étendu des chansons folkloriques qui émaillaient déjà les représentations de la pièe : accompagnement orchestral, ajout de numéros musicaux.
→ Le langage musical de Mykola Lysenko est celui d'un compositeur centre-européen du temps, dans la veine de Gade, Smetana, Hamerik… Rien de spectaculairement inspiré néanmoins (je n'ai pas écouté Poltavka cela dit !), mais de la musique romantique bien faite.
→ Je ne sais pas si l'on joue toujours à Kiev la révision de 2007 qui avait ajoué des instruments folkloriques et n'avait pas suscité l'enthousiasme. À Lviv, en principe, c'est la version d'origine de Lysenko qu'on joue – et dans un coin tranquille de l'Ukraine.

(Je ne connais quasiment rien en ukrainien, mais les Polonais la décrivent en général comme une langue extrêmement proche, plus que du russe… Pourtant, la création, en 1889, eut lieu à Odessa, en langue russe.)





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Opéra de Kazan.
(Je n'avais pas été très impressionné par leur orchestre… ni leurs décors carton-pâte.)






6. Opéras en tatar

Langue du groupe turc, peuple répandu sur toute la frontière Sud de la Russie, aux extrémités Est et Ouest du Kazakhstan, nombreux en Crimée et à l'Ouest de la Biélorussie…

Cihanov (russisé en Zhiganov), Cälil (ou Jalil) – à Kazan (en Russie, capitale de la République du Tatarstan – c'est-à-dire le long d'un coude de Volga)
→ Ce que je connais de Näcip Cihanov (Nazib Zhiganov, né en 1911) n'est pas le raffinement même – plutôt les grosses fanfares avec cuivres en fffff toutes percussions dehors et les cordes en unisson qui débouchent sur de grands climax filmiques éclairés par les zébrures des fifres ! –, mais dans un opéra exaltant un minimum patriotique, ce doit pouvoir très bien fonctionner.
→ Il faut dire que le sujet s'y prête particulièrement : Musa Cälil, poète kazakh, par ailleurs auteur d'un livret d'opéra, est fait prisonnier en Pologne en 1942. Il rejoint alors la « légion nationale » Volga-Tatar formée par les prisonniers des allemands pour combattre les soviétiques sur leur propre sol. Enrôlé sous un faux nom, il infiltre l'unité de propagande, utilise ses moyens pour diffuser des tracts séditieux, prépare la rébellion, jusqu'à ce que le premier bataillon tatar parte sur le front… et abatte tous ses officiers nazis. Les mutins sont arrêtés par la Gestapo en Biélorussie, et Cälil (âgé de 38 ans) et ses compagnons, non sans laisser des carnets (Le Serment de l'Artilleur), sont guillotinés à Berlin.





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Opéra de Tbilissi.





7. Opéras en géorgien

Même aire culturelle, mais le géorgien appartient à une branche isolée (langues kartvéliennes) qui n'est ni indo-européenne, ni même forcément reliée à la grande famille eurasiatique – jusque dans la théorie non validée des langues nostratiques, tous les linguistes n'incluent pas le géorgien dans ce groupe pourtant immense.

Paliaşvili (/ Paliashvili / ფალიაშვილი), Abesalom da Eteri (Tbilissi)
→ D'allure très folklorisante, l'œuvre de Zakaria Paliaşvili, d'une tonalité très confortable (né en 1871), met en valeur la danse locale, quelque part entre Le Prince Igor, Carmen et Aladdin (de Nielsen). Vocalement, on est plutôt du côté d'Aida et de la Dame de Pique. Vraiment pas vilain !





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Opéra de Donetsk.





8. Remarques générales

Saint-Pétersbourg. Vous aurez remarqué la quantité de titres (fussent-ils à date unique) qui circulent au Mariinsky (un seul des opéras relevés est au Mikhaïlovski). La plupart des raretés mentionnées y sont, et le grand répertoire y est tout autant représenté !

Petit détail qui m'a frappé en parcourant toutes ces saisons. À Kiev (et Lviv, tout à l'Ouest, proche de la Pologne), on joue l'opéra de Lysenko en ukrainien, une composition de la fin du XIXe siècle sur une pièce locale du début du XIXe siècle, débordant de chansons empruntées au folklore. Dans le même temps, à Donietsk, on joue La Fiancée du Tsar, pilier du répertoire russe – certes, le Tsar y est méchant (on parle d'Ivan le Terrible enlevant ses femmes…), ce n'est pas Ivan Soussanine non plus… mais tout de même, un fleuron de la culture russe, et le Tsar.
Ce n'est évidemment pas anodin : même dans un lieu aussi peu déterminant sur les consciences politiques que l'opéra, la guerre s'insinue et dicte les commandes ou les envies artistiques. Frappant d'y être replongé au détour de cette promenade virtuelle festive.





À bientôt pour la solide centaine d'autres opéras rares au programme cette saison, quelque part sur Terre !

mercredi 30 août 2017

Saison 2016-2017 : bilan de l'année concertante & grande remise des Putti d'incarnat


Voici juillet, le moment d'un retour sur une saison musicale bien remplie.
139 spectacles dans 69 lieux (dont 31 nouveaux) – 134 si je ne compte pas, ainsi que c'était l'usage, l'été.

Ce sera aussi l'occasion de la grande remise annuelle de la récompense suprême pour tout artiste informé, le putto d'incarnat – qui est au diapason d'or ce qu'est la médaille olympique de lancer de poids à la compétition de pétanque de la félibrée.
Seule la rédaction de Carnets sur sol, réunie en collège extraordinaire, est habilitée à le décerner, ce qui garantit la clairvoyance de son attribution, et l'absence absolue de collusion maligne.

Hautement respecté, il se matérialise par un putto de van Dyck, remis directement à chaque lauréat sous forme d'un précieux carré de pixels.

Au delà du jeu des breloques, c'est aussi et surtout l'occasion de mettre en valeur des œuvres, concerts ou interprètes qui n'ont pas toujours été très exposés. Il est vrai que le travail de recherche de ces concerts est un poste de dépense, en temps, assez considérable à lui seul !



En fin de saison 2015-2016, nous promettions :

Nous songeons à louer une salle pour la cérémonie de l'an prochain, avec retransmission en mondiovision et partenariat avec Medici.tv. Kim Jong-eun a déjà proposé de prêter le Salon Kim Il-sung de l'aile Ouest du Mémorial du Juche, mais nous voudrions accueillir un public nombreux et cherchons une adresse un peu moins enclavée en transports (on travaille le lendemain). Toute proposition sérieuse acceptée.

Pour de dérisoires questions de visa et d'anéantissement imminent du monde, le lieu de tenue de remise des prix sera le même que celui de l'an passé, ici même, chez vous. En vous remerciant chaleureusement de votre accueil.




1. Liste des spectacles vus

Concerts, opéras, théâtre… En voici la liste, dans l'ordre de la saison. Beaucoup ont été commentés, et quelques-uns ont servi de présentation à une œuvre, un genre, une problématique transversale…

Hors décompte : août 2016. Ordinairement non inclus dans les précédents relevés.

a) Comédie Nation – Marivaux, Les Sincères (avec musique de scène a cappella) – collectif Les Sincères
b) La Huchette – La Poupée sanglante, comédie musicale d'après G. Leroux

Puis, de septembre à juin :

1. Philharmonie – Bruckner, Symphonie n°7 – Staatskapelle Berlin, Barenboim
2. Champs-Élysées – Tchaïkovski, Symphonie n°5 / R. Strauss, Vier letzte Lieder – Damrau, Bayerisches Staatsorchester, K. Petrenko
3. Maison de la Radio – Schmitt, Salomé / Ravel, Shéhérazade – d'Oustrac, National de France, Denève
4. Philharmonie – Schumann, Szenen aus Goethes Faust – H.-E. Müller, Staples, Gerhaher, Selig, Orchestre de Paris, Harding
5. Hôtel de Castries – Jazz vocal
6. Hôtel de Béhague – œuvres pour violon et piano d'Enescu, Bobescu
7. Maison de la Radio – Poulenc, Les Biches / Milhaud, La Création du Monde – National de France, Denève
8. Châtelet – Faust I & II de Goethe – Ferbers, R. Wilson, Berliner Ensemble, Grönemeyer [notule]
9. Garnier – Cavalli, Eliogabalo – García-Alarcón
10. La Commune – Kleist, Amphitryon – Sébastien Derrey
11. Louvre – programme Cœur du Poème Harmonique – Zaïcik, Le Levreur, Goubioud, Mauillon, Dumestre
12. Foyer de l'Âme – Motets de Charpentier, Pietkin… – Ensemble Athénaïs
13. Temple du Port-Royal – Haydn, Sept dernières Paroles pour clarinette d'époque, clarinette d'amour et cors de basset
14. Saint-Louis-en-l-Île – Programme Venise 1610 – Vox Luminis, Capriccio Stravagante, Skip Sempé
15. Opéra Royal – Saint-Saëns, Proserpine – Gens, M.-A. Henry, Antoun, Vidal, Foster-Williams, Teitgen, Müncher Rundfunkorchester, Schirmer
16. Champs-Élysées – Bellini, Norma – Caurier & Leiser, Rebeca Olvera, Bartoli, Norman Reinhardt, I Barrochisti, Gianluca Capuano
17. Opéra Royal – Salieri, Les Horaces – Wanroij, Bou, Talens Lyriques, Rousset
18. Champs-Élysées – Brahms, Deutsches Requiem – Collegium Vocale, Champs-Élysées, Herreweghe
19. Champs-Élysées – Verdi, Requiem – Santoni, Kolosova, Borras, D'Arcangelo, National de France, Rhorer
20. Philharmonie – Debussy, Faune / Debussy, Jeux / Stravinski, Sacre du Printemps – Nijinski restitué (ou réinventé), Les Siècles, Roth
21. Salle d'orgue du CNSM – Académie Européenne de Musique de Chambre (ECMA) – Trio Sōra dans Kagel, Quatuor Bergen dans Chostakovitch…
22. Salle d'orgue du CNSM – Académie Européenne de Musique de Chambre (ECMA) – Trio Zadig dans Schumann, Quatuor Akilone dans Chostakovitch…
23. Athénée (rénové) – Strindberg, Danse macabre (en italien) – Desplechin
24. Maison de la Radio – 20 ans de l'ADAMI – Barrabé, Duhamel, Scoffoni…
25. Sainte-Élisabeth-de-Hongrie – Messe d'Innocent Boutry – Le Vaisseau d'or, Robidoux
26. Gennevilliers – Hirata, Gens de Séoul 1909 (en japonais et coréen)
27. Maison de la Radio – Tchaïkovski, Symphonie n°6 / Sibelius, Symphonie n°2 – Phiharmonique de Radio-France, M. Franck
28. Gennevilliers – Hirata, Gens de Séoul 1919 (en japonais et coréen, avec chants coréens)
29. Amphi Cité de la Musique – Soutenance musicale de l'enseignement du violon en France au XIXe siècle – pièces pour violon et piano (d'époque) d'Hérold, Alkan et Godard
30. Bastille – Les Contes d'Hoffmann – Vargas, d'Oustrac, Jaho, Aldrich…
31. Salle d'orgue du CNSM – Hommage à Roland-Manuel : piano et mélodies – Cécile Madelin…
32. Théâtre 71 (Malakoff) – Lü Bu et Diao Chan (opéra chinois) – troupe agréée par le Ministère
33. Salle d'orgue du CNSM – Hommage à Puig-Roget : piano et mélodies – Edwin Fardini…
34. Hôtel de Soubise – Airs et canzoni de Kapsberger, Merula, Strozzi… – les Kapsber'girls
35. Abbesses – Goethe, Iphigénie en Tauride – Jean-Pierre Vincent
36. Maison de la Radio – Sibelius, Symphonie n°5 / Brahms, Concerto pour piano n°1 – Lugansky, National de France, Slobodeniuk
37. Maison de la Radio – Nielsen, Symphonie n°4 – Philharmonique de Radio-France, Vänskä
38. Philharmonie – Mendelssohn, Elias – Kleiter, A. Morel, Tritschler, Degout, Ensemble Pygmalion, Pichon
39. Salon Vinteuil du CNSM – Mahler, Kindertotenlieder (et présentation musicologique) – Edwin Fardini au chant
40. Salle Cortot – Beethoven, Quatuor n°7  – Quatuor Hanson
41. Athénée – Hahn, L'Île du Rêve – Dhénin, Tassou, Pancrazi, de Hys, Debois, Orchestre du festival Musiques au Pays de Pierre Loti, Masmondet
42. Philharmonie – Adams, El Niño – Joelle Harvey, Bubeck, N. Medley, Tines, LSO, Adams
43. Salle Turenne – Bertali, Lo Strage degl'Innocenti / Motets de Froberger – membres du CNSM (Madelin, Benos…)
44. Salle Dukas du CNSM – masterclass de Gabriel Le Magadure (violon II du Quatuor Ébène) – Trio de Chausson par le Trio Sōra
45. Champs-Élysées – Mozart, Don Giovanni – Braunschweig, Bou, Gleadow, Humes, le Cercle de l'Harmonie, Rhorer
46. Hôtel de Béhague – Mélodies orientalisantes (Louis Aubert, etc.) – Compagnie de L'Oiseleur
47. Bastille – Mascagni, Cavalleria Rusticana / Hindemith, Sancta Susanna – Martone, Garanča, Antonacci, Rizzi
48. Studio de la Philharmonie – Schumann, Märchenerählungen / Kurtág, Trio et Microludes – membres de l'EIC et de l'OP
49. Champs-Élysées – Haendel, The Messiah – Piau, Pichanik, Charlesworth, Gleadow, le Concert Spirituel, Niquet
50. Garnier – Gluck, Iphigénie en Tauride – Warlikowski, Gens, Barbeyrac, Dupuis, Billy
51. Temple du Luxembourg – André Bloch, Antigone / Brocéliande – Compagnie de L'Oiseleur
52. Philharmonie – Schumann, Das Paradies und die Peri – Karg, Goerne, OP, Harding
53. Châtelet – H. Warren, 42nd Street – G. Champion, troupe ad hoc
54. Auditorium Landowski du CRR de Paris – Audition de la classe de chant baroque
55. Salle d'art lyrique du CNSM – Schumann, Symphonie n°2 / Mozart, Concerto pour piano n°9 – Classe de direction
56. Salle d'orgue du CNSM – Vierne, cycle Les Angélus pour soprano et orgue – Harmonie Deschamps
57. Saint-Quentin-en-Yvelines – Sacchini, Chimène ou Le Cid – Le Concerto de la Loge Olympique, Chauvin
58. Auditorium Landowski du CRR de Paris – de Mendelssohn à Aboulker, chœurs oniriques d'enfants
59. L'Usine (Éragny) – Ibsen, Hedda Gabler – Paolo Taccardo
60. Studio 104 – Quatuors : n°4 Stenhammar, n°2 Szymanowski – Royal Quartet
61. Salle d'orgue du CNSM – Cours public sur le premier des Trois Chorals de Franck – M. Bouvard, Latry et leurs élèves
62. Philharmonie – Tchaïkovski, Symphonie n°5 – ONDIF, Mazzola
63. Auditorium Landowski du CRR de Paris – Sonates avec violon : Debussy, Ropartz n°2 – Stéphanie Moraly
64. Amphi de la Cité de la Musique – Schubert, Der Schwanengesang – Bauer, Immerseel
65. Cité de la Musique – Schumann, Liederkreis Op.24 – Gerhaher, Huber
66. Auditorium Landowski du CRR de Paris – Salomon, Médée et Jason, acte II
67. Athénée – Strindberg, Danse Macabre (en italien) – Desplechin
68. Champs-Élysées – Bizet, Carmen – Lemieux, Spyres, Bou, National de France, S. Young
69. Salle d'art lyrique du CNSM – Durey, Œuvres pour harmonie – Harmonie des Gardiens de la Paix
70. Champs-Élysées – Schubert, Die schöne Müllerin – Goerne, Andsnes
71. Bastille – Wagner, Lohengrin – Guth, M. Serafin, Schuster, Skelton, Konieczny, Ph. Jordan
72. Garnier – Mozart, Così fan tutte – Keersmaeker, Losier, Antoun, Sly, Szot
73. Temple du Luxembourg – Paladilhe, Le Passant – Compagnie de L'Oiseleur
74. Châtelet – Offenbach, Fantasio – Jolly, Philharmonique de Radio-France, Campellone
75. Temple de Pentemont – Motets de Campra et Bernier, Troisième Leçon de Couperin  – Le Vaisseau d'or, Robidoux
76. Trianon de Paris – Lecocq, Le Petit Duc – Les Frivolités Parisiennes
77. Le Passage vers les Étoiles – Méhul, Stratonice – Les Emportés, Margollé
78. Studio-Théâtre du Carrousel du Louvre – Maeterlinck, Intérieur – comédiens-français
79. Temple du Saint-Esprit – Motets de Charpentier, Morin et Campra pour petits braillards – Pages du CMBV, musiciens du CRR de Paris, Schneebeli
80. Amphi de la Cité de la Musique – Chambre de Usvolskaya, mélodies de Vainberg, Chostakovitch, Prokofiev – Prudenskaya, Bashkirova
81. Salle d'art lyrique du CNSM – Cimarosa, Il Matrimonio segreto – H. Deschamps, Perbost, McGown, Rantoanina, Lanièce, Worms, Orchestre du CNSM
82. Salle des Concerts du Conservatoire – Haydn, Les Saisons dans la version de sa création française – Palais-Royal, Sarcos
83. Conservatoire de Puteaux – Chansons à boire de Moulinié et LULLY, poèmes de Saint-Amant – Cigana, Šašková, Il Festino, de Grange
84. Salle Maurice Fleuret du CNSM – Schmitt, La Tragédie de Salomé version originale – Orchestre du CNSM, étudiants de la classe de direction d'A. Altinoglu
85. Philharmonie – Mozart, Symphonie n°38 (et spectacle afférent) – Orchestre de Paris
86. Oratoire du Louvre – Vêpres de Monteverdi, Suite de danses de LULLY, Concerto grosso de Noël de Corelli, Soupers du comte d'Artois de Francœur – Collegium de l'OJIF
87. Champs-Élysées – Beethoven, Symphonies 1-4-7 – Orchestre des CÉ, Herreweghe
88. Philharmonie – Tchaïkovski, La Pucelle d'Orléans – Chœurs et Orchestre du Bolchoï, Sokhiev
89. Maison de la Radio – Nielsen, Symphonie n°2 – National de France, Storgårds
90. Odéon – T. Williams, Suddenly Last Summer – Braunschweig
91. Champs-Élysées – Berlioz, Nuits d'Été, Schönberg, 5 pièces, Schumann, Symphonie n°2 – Gerhaher, Jeunes Gustav Mahler, Harding
92. Bastille – Mendelssohn, A Midsummer Night's Dream, Ouvertures, Symphonie pour cordes n°9 – Balanchine, Orchestre de l'Opéra, Hewett
93. Salle d'orgue du CNSM – Concert lauréats Fondation de France : La Maison dans les Dunes de Dupont, Ophelia-Lieder de R. Strauss
94. Champs-Élysées – Brahms, Vier ernste Gesänge et  Deutsches Requiem – Orchestre des CÉ, Herreweghe
95. Oratoire du Louvre – Leçons de Ténèbres pour basse de Charpentier – MacLeod, Les Ambassadeurs, Kossenko
96. Philharmonie – Mahler, Wunderhorn ; Bruckner, Symphonie n°4 – Gubanova, D. Henschel, OPRF, Inbal
97. Conservatoire de Boulogne-Billancourt – Mendelssohn, Octuor ; Schönberg, Kammersymphonie n°2 ; Poulenc, Sinfonietta – OJIF, Molard
98. Salle Saint-Thomas d'Aquin – airs à une ou plusieurs parties de Lambert, Le Camus… – Š€ašková, Kusa, Il Festino, de Grange
99. Athénée – Maxwell Davies, The Lighthouse – Le Balcon
100. Hôtel de Soubise – Trios de Tchaïkovski et Chostakovitch (n°2) – Trio Zadig
101. Richelieu – Marivaux, Le Petit-Maître corrigé – Hervieu-Léger, comédiens-français
102. Salle Maurice Fleuret du CNSM – Spectacle théâtral et chanté autour de la domesticité – élèves de la classe d'E. Cordoliani
103. Favart – Marais, Alcione – L. Moaty, Concert des Nations, Savall
104. Hôtel de Soubise – Cantates de Clérambault et Montéclair – Zaičik, Taylor Consort
105. Menus-Plaisirs – Écosse baroque, concert de soutenance – Clémence Carry & Consort
106. Salle d'orgue du CNSM – Programme de lieder et mélodrames d'Eisler – classe d'accompagnement d'Erika Guiomar
107. Athénée – Rítsos, Ismène (musiques de scène d'Aperghis) – Marianne Pousseur
108. Saint-Germain-l'Auxerrois – Motets baroques portugais – ensemble Calisto
109. Salle Maurice Fleuret du CNSM – Pelléas, L'Étoile, Cendrillon de Massenet – classe d'ensembles vocaux (Bré, Lanièce…)
110. Salle d'orgue du CNSM – lieder de Schubert, Nuits Persanes de Saint-Saëns, Caplet – (Gourdy, Ratianarinaivo…)
111. Champs-Élysées – Les Pêcheurs de Perles de Bizet – Fuchs, Dubois, Sempey, National de Lille, A. Bloch
112. Champs-Élysées – Pelléas de Debussy – Ruf, Petibon, Bou, Ketelsen, Teitgen, National de France, Langrée
113. Bibliothèque Marmottan – L.-A. Piccinni, musiques de scène (La Tour de Nesle, Lucrèce Borgia) – conclusion du colloque sur la musique de scène en France
114. Bastille – Eugène Onéguine – Decker, Netrebko, Černoch, Mattei, Orchestre de l'Opéra, Gardner
115. Philharmonie – Aladdin de Nielsen, Sept Voiles, Shéhérazade de Ravel, Suite de L'Oiseau de feu – Capitole, Sokhiev
116. Cathédrale des Invalides – Jensen, Rheinberger, J.-B. Faure… mélodies et lieder commémoratifs de la Grande Guerre – classe d'accompagnement d'Anne Le Bozec
117. Philharmonie – Symphonie n°2 de Mahler – Orchestre de Paris, Harding
118. Saint-Saturnin d'Antony – Motets de Buxtehude, Telemann et Bernier – Françoise Masset
119. Saint-Louis de la Pitié-Salpêtrière – du Mage, Clérambault et pièces pour saxophone & orgue
120. Athénée – Déserts de Varèse et Dracula de Pierre Henry réarrangé avec instruments acoustiques – Le Balcon, M. Pascal
121. Salle Fauré du CRR de Paris – Études Latines de Hahn, Liebhabers Ständchen de Schumann… – étudiants du CRR
122. Champs-Élysées – Halévy, La Reine de Chypre – Gens, Droy, É. Dupuis, Chambre de Paris, Niquet
123. Bouffes-du-Nord – Lemoyne, Phèdre – Wanroij, Axentii, de Hys, Dolié, Loge Olympique, Chauvin
124. Favart – récital français en duo : Gluck, Chabrier, Bizet… – Arquez, Bou, Pordoy
125. Studio 104 – Motets de Guédron, Boësset, Constantin, Moulinié – Correspondances, Daucé
126. Maison du Danemark – Contes d'Andersen et leurs mises en musique – Françoise Masset (accompagnée sur guitares début XIXe)
127. Saint-Eustache – Funérailles de Purcell, Reger, Totentanz de Distler – Chœur de l'Orchestre de Paris, Sow
128. Sainte-Jeanne-de-Chantal – Haendel, The Ways of Zion Do Mourn – Le Palais-Royal, Sarcos
129. Favart – Saint-Saëns, Le Timbre d'argent – Devos, Montvidas, Christoyannis, Les Siècles, Roth
130. Temple de Passy – Chœurs de Bonis, Sibelius, Aboulker, Wennäkoski… – échange franco-finlandais de chœurs amateurs
131. Cité de la Musique – Gade, grande cantate Comala – Opéra de Rouen, Équilbey
132. Petit-Palais – Couperin et Bach (suite française) pour clavecin
133. Petit-Palais – Airs et duos de LULLY et Desmarest – Pancrazi, Debieuvre
134. Hôtel de Soubise – Quatuors de Beethoven n°7 et Debussy – Quatuor Akilone
135. Notre-Dame-du-Liban – Chœurs d'inspiration populaire de Saint-Saëns, d'Indy, Schmitt et Poulenc – Chœur Calligrammes
136. Salle des Fêtes de la Mairie du IVe arrondissement – Quintettes à vent de Debussy, Arnold, Barber, Ligeti – Chambre de Paris
137. Cour de Guise – Trios avec piano de Schubert n°2 et Ravel – Trio Zadig
138. Saint-Croix-des-Arméniens – Canzoni de Kapsberger, Strozzi, et Lamento della Pazza de Giramo – Kapsber'girls
139. Collégiale de Mantes-la-Jolie – Pièces pour orgue de Buxtehude, Mendelssohn, Franck et Vierne – Michel Reynard




2. Liste des spectacles non vus

Ce pourrait paraître déraisonnablement rempli, et pourtant, il a fallu renoncer à quantité de spectacles qui paraissaient à peu près aussi appétissants (vie professionnelle ou personnelle, simultanéités de concerts, envie d'autre chose, tarifs, concerts complets, etc.) :

→ musique de chambre de Cartan & Lekeu,
→ les Cantates de Jacquet de La Guerre par La Rêveuse,
→ les chœurs de Franck et Daniel-Lesur,
→ le Philharmonia dirigé par Salonen (Beethoven 3, Sibelius 5),
→ les extraits des Éléments de Destouches,
Dichterliebe avec harpe,
→ Charpentier par les étudiants du Conservatoire de Palerme,
→ cours public de cor ou de direction,
→ trio de Gouvy par le Trio Sōra aux Bouffes-du-Nord,
→ le Second Trio de Mendelssohn par le Trio Sōra à Soubise,
→ le Trio de Tchaïkovski par le Trio Sōra à la cour de Guise,
→ le Trio de Chausson par le Trio Sōra au musée Henner puis à Villecerf (décidément !),
→ Leyla McCalla au violoncelle dans de la musique haïtienne,
→ Ariadne auf Naxos au CNSM,
→ la Neuvième de Mahler par Harding,
→ mélodies de L. Boulanger et Berkeley,
→ musique sacrée de Frémart-Bouzignac-Moulinié par Schneebeli,
→ Neuvième de Beethoven par le Philharmoniue de Bruxelles,
→ récital folk de Weyes,
→ Saint-Cécile de Chausson et le Septuor de Caplet à Notre-Dame,
→ Fidelio par la Chambre de Paris,
→ les monumentales variations de Rzewski sur El Pueblo unido salle Turenne,
→ les musiques de scène de Molière par Lombard, Dumora et Correas.
→ le Quinzième Quatuor de Beethoven par le Quatuor Arod,
→ Rameau par Kožená,
Hänsel und Gretel arrangé pour cuivres et récitant,
Musique pour cuivres et cordes de Hindemith par van Lauwe,
→ récital Desandre-Cochard,
→ trios de Chaminade et Bonis,
→ programme Guy Sacre et Boisgallais,
→ programme d'orgue Letton à la Maison de la Radio,
→ le Songe d'une Nuit d'Été de Thomas par la Compagnie de L'Oiseleur,
The Tempest Songbook de Saariaho par l'Orchestre Baroque de Finlande,
Les Aveugles de Maeterlinck à Vitry-sur-Seine,
Tafelmusik de Telemann au château d' Écouen,
Ce qui plaît aux hommes de Delibes par les Frivolités Parisiennes au Théâtre Trévise,
→ la BBC Wales dans Sibelius 5 à la Seine Musicale,
→ programme Lalo-Dukas-Ravel par Les SIècles,
Médée de Charpentier par Tafelmusik de Toronto et Pynkosky,
→ mélodies de Vierne, Podlowski et Koster par Lièvre-Picard,
Ascension de Messiaen et Widor 6 à Saint-Sulpice,
→ récital Louis Saladin et Salomone Rossi aux Menus-Plaisirs,
Musicalische Exequien de Schütz et motets de la familel Bach par Vox Luminis,
→ Lura dans de la musique du Cap-Vert à l'Espace Cardin,
→ grands motets de Lalande à Versailles,
→ demi-Winterreise de Bostridge & Drake au musée d'Orsay,
→ motets de Charpentier par La Chanterelle,
→ lieder de Weigl à la Maison de la Radio,
→ legs pédagogique du violoncelle français (Franchomme, etc.) au château d'Écouen,
Diva de Wainwright,
→ Cécile Madelin dans des extraits d'Atys au Petit-Palais,
Snegourotchka de Rimski-Korsakov à Bastille (la seule rareté de l'année à Bastille, hors le demi-Hindemith !),
→ récital d'opéra Meyerbeer-Février à la Philharmonie,
→ l'Yriade dans les Stances du Cid à Favart,
Il Signor Bruschino aux Champs-Élysées,
→ piano de Bizet, Saint-Saëns et Brahms par Oppitz,
→ « symphonie en si mineur » de Debussy à la Maison de la Radio,
→ récitals de mélodie Gens-Manoff,
Elisir d'amore avec Poulakis et Lanièce au Théâtre des Variétés,
→ spectacle Les Madelon (Fontenay-le-Fleuyr),
→ Dvořak 9 au piano solo par Mařatka,
La Double Inconstance de Marivaux à Richelieu,
→ madrigaux de Marenzio et Lejeune à la Bibliothèque de Versailles,
→ concert de la Fête de la Musique du Chœurs de l'Orchestre de Paris,
→ deux concerts de musique de chambre incluant Koechlin, au Conservatoire de Bourg-la-Reine,
→ pièces symphoniques de Nováček, Warlock et Delius par van Lauwe,
Rigoletto avec Grigolo et Lučić à Bastille,
Nozze di Figaro avec la Chambre de Paris
→ quatuors de Kodály, Bella et Tansman par le Quatuor Airis au Centre Culturel Tchèque,
→ Tableaux d'une exposition pour quintette à vent à Soubise,
Hippolyte de Garnier au Studio-Théâtre,
L'Écume des jours à la Huchette…
→ et bien d'autres.

Certains font mal à relire, mais je n'avais pas toujours le choix (ni l'envie de vivre aussi reclus qu'en conclave, contrairement aux apparences les spectacles ne sont pas du tout mon activité prioritaire).

Et je ne parle que de l'Île-de-France : on voit la difficulté pour donner, malgré tout, un avis global sur la saison. Il faudrait être beaucoup plus centré sur un répertoire précis, voire s'y mettre à plusieurs, or en cette matière comme en beaucoup d'autres, je ne suis que ma fantaisie…





3. Bilan général et comptes-rendus de concert

    La plupart de ces concerts ont été commentés, je n'ai pas la patience d'aller récupérer plus de cent liens, comme les autres années, mais ils se retrouvent facilement en entrant les mots-clefs dans la boîte de recherche à droite, ou, pour beaucoup, en regardant dans le chapitre « Saison 2016-2017 » (les notules les plus complètes ne sont pas classées là, mais il y a déjà une certaine masse à parcourir).

    En revanche, je commence la remise de prix par le plus important : les œuvres révélées, les plus beaux spectacles de la saison, les compagnies à suivre.



3a. Œuvres découvertes

Je vous renvoie d'abord vers la notule-éditorial de la prochaine saison, qui énumère les nombreux opéras rares remontés cette saison (§B). Saison faste, donc.

les putti d'incarnat L'arrêt des Putti d'incarnat les putti d'incarnat

Suite de la notule.

lundi 5 juin 2017

Échos de mai


Note de service

Les commentaires sur la première partie du mois d'avril-mai se trouvent ici.

Je tente une nouvelle forme, plus économe en temps. Je me suis essayé à de rapides esquisses à la sortie des concerts – non plus globales, mais attachées à quelques détails, assez la philosophie que je peux me faire du commentaire de spectacle, une collection de petits événements, d'évidences jusque là masquées… (plutôt que d'établir si le chef est un génie / un imposteur / un routinier ou si la soprane a un bon professeur de chant)

Depuis le printemps, je publie donc en temps réel (pendant les ouvertures à l'italienne ou les arias à colorature, ça fait passer le temps[1]) une poignée d'impressions après le concert, via le compte Twitter attaché à Carnets sur sol. Et je me dis que c'est au moins aussi intéressant que les impressions globales que je donnais, en résumé global : le format et les circonstances en rendent la rédaction moins soignée, mais ce sont des détails plus précis qui affleurent, sans chercher à parler de tout. Je retrouve la philosophie des tentatives, jusqu'ici toujours un peu frustrantes, d'écrire des instantanés sous le calendrier annuel de septembre, ou bien de nourrir aléatoirement Diaire sur sol.

Par ailleurs (et surtout), comme ces babillages sont déjà écrits, ils me libèrent du temps pour préparer des notules sur des sujets moins éphémères et superficiels, s'il est possible, que mes impressions de spectateur.

Je n'hésiterai pas à ajouter des précisions avec de petites flèches. → Oui, de très petites flèches ! 

Essayons. Comme pour le planning du mois, les avis sur l'intérêt du format sont appréciés.

--

[1] Avant de recevoir des messages d'insultes de visiteurs de passage, je précise l'absence de sérieux de la pointe. Et je dois reprendre (très doucement, c'est toujours suffisant) de plus en plus souvent mes voisins qui traitent leur messagerie pendant les concerts… il faudra vraiment que les salles se mettent à faire des annonces là-dessus.



A. Disques et bandes

Sur le modèle des Carnets d'écoutes, une petite liste succincte d'enregistrements écoutés au fil des jours (très loin d'être exhaustive, juste au gré de ma fantaisie), comme je n'ai plus le temps d'en faire proprement pour CSS. Ça peut toujours donner des idées ou des envies.

Ça se trouve ici.



B. Concerts et représentations


18 mai
Hugo / Dumas : musiques de scène de Louis-Alexandre Piccinni.
Bibliothèque Marmottan à Boulogne-Billancourt.

Le fil complet sur Twitter.

♦ Une arrivée tout juste à temps à la bibliothèque Marmottan de Boulogne pour La Tour de Nesle d' A. Dumas et Lucrèce Borgia de V. Hugo avec leurs musiques de scène !

♦ Longtemps crues perdues, tout juste retrouvées, les musiques de Louis-Alexandre Piccinni, petit-fils illégitime de Niccolò, en réduction :
♦ Flûte, violon, violoncelle, piano. Écrit à l'origine pour un orchestre complet.
♦ Ce sont des ponctuation très courtes, destinées à appuyer un moment de théâtre, sans être non plus spectaculaires (du mode majeur inoffensif).
♦ C'est agréable, mais témoigne une fois de plus du retard constant de la musique sur les esthétiques littéraires :
♦ le Werther de Pugnani fait du Haydn, les mélodrames de Dumas et Hugo du Beethoven de jeunesse, de même Baudelaire par Godard ou Duparc…
→ Voyez la notule consacrée au Werther de Pugnani, musique écrite au XVIIIe siècle !

♦ Sur scène, la démesure et les coïncidences hénaurmes des situations font sourire, mais finissent par fonctionner.
♦ L'équivalent de ces gros films spectaculaires auxquels on finit par adhérer contre toute raison.

♦ Tout cela dans le cadre d'un colloque co-organisé par le @cmb_v sur les musiques de scène.

♦ J'en ai profité pour discuter avec deux doctorants et les interroger sur l'absence de scandale de Meyerbeer
→ en 1830, voir un héros fils du démon culbuter une abbesse damnée sur l'autel d'une sainte tout en dérobant une relique, ça me paraissait raisonnablement suffisant pour susciter une réaction, au moins dans la presse catholique. Et pourtant, que des éloges sur la hardiesse des décors, le pathétique de la situation, la variété de la musique, la prégnance des atmosphères… rien sur la moralité de l'exercice.
♦ Même en province, l'accueil à Robert le Diable fut triomphal, sans beaucoup de réserves morales.
♦ D'après mes interlocuteurs, c'est que la masse critique de jeunes romantiques était déjà suffisante pour peser sur l'accueil des autres.
♦ Je ne suis pas complétement satisfait par la proposition, mais c'est une autre piste qui s'ajoute aux miennes, pas si nombreuses à être satisfaisantes (et sans nul doute moins étayées).
→ Voir la notule détaillée sur la question.

♦ Tout cela confirme que 1) Dumas c'est rigolo (admirable, il ne faut pas pousser) ; 2) décidément pas fanatique des Hugo en prose.
♦ Le grand affrontement avec d'Este est une accumulation minutieuse de toutes les ignominies, c'est l'interminable gibet de L'Homme qui rit.

♦ Pour une version restituée, remarquez que les comédiens voulaient garantir l'accent italien des noms et prononçaient donc… Férraré.



19 mai
Tchaïkovski – Eugène Onéguine – Decker, Netrebko, Abrahamyan, Schwarz, Manistina, R.Gímenez, Černoch, Mattei, Tsymbalyuk.
Opéra Bastille.


Fils Twitter sur l'œuvre et sur l'interprétation


♦ Retour d'Onéguine : que de détails subtils qui fourmillent dans cette parition et qu'on n'entend vraiment qu'en salle !

♦ C'est le paradoxe Tchaïkovski, tellement simple à écouter et tellement sophistiqué à la lecture.
→ Ce serait un autre sujet de notule…

♦ Rien que le début, et tous ces thèmes folklorisants très intuitifs sont en réalité farcis de chromatismes et modulations.

♦ En salle, c'est l'occasion de relever certains détails comme les alliages de bois à l'unisson dont il raffole :
♦ dans les symphonies, c'est plutôt clarinette-basson (profondeur), ici hautbois-clarinette, ce qui procure un halo vibrant au hautbois.
→ Voyez par exemple ce commentaire pour la Sixième Symphonie.

♦ Autre détail, lorsque Tatiana indique Onéguine sans le nommer (он) dans le tableau de la lettre (I,2),
♦ apparaît le motif de son refus (нет! нет!) dans le dernier tableau.

♦ Ou la jalousie de Lenski, exprimée par un court motif hautbois puis cor, qui revient lors de la supplication d'Olga en cor puis hautbois.
→ (acte II, tableau 1 – l'anniversaire de Tania)

♦ Pour le fil sur l'œuvre, c'est là : twitter.com/carnetsol/stat… Pour la soirée de Bastille, c'est ici (y étaient également quelques compères…).
Laupéra ;
Polyeucte-Erik (je veux le même prénom !) ;
ThéâToile (pas pour ThéâToile, mais on ne va pas chipoter).
notes

♦ Je veux Edward Gardner comme directeur musical ! Déjà formidable dans la Première Symphonie avec le @nationaldefce ou au disque dans Walton,
♦ il imprime ici une palpitation et une intensité permanentes, sans jamais se départir d'une forme de maîtrise et de hauteur. \o/
♦ Vraiment un enchantement de tous les instants dans une œuvre aussi riche orchestralement ;
♦ dans l'acoustique exceptionnelle de Bastille pour les orchestres, on ne s'alarme plus trop des petits sémaphores vaguement sonores là-bas.
♦ Fort bons d'ailleurs, Mattei sonne très bien, avec de beaux graves (les sol 1 de son ensemble d'entrée !) et une superbe stature scénique.
♦ Quel contraste avec Tézier qui grommelait ses sons magnifiques dans son coin ; Mattei charismatique, ardent et distant comme son personnage.
♦ La voix de Netrebko est devenue large et très assurée pour un rôle d'innocente timide (sans parler du bronzage glorieux quand le livret la décrit récurremment comme notablement pâle), mais les aigus s'illuminent remarquablement,
♦ et comme la diction de tous est inaudible dans le hangar à bateau, ça passe très bien dans ces conditions. (On ne la dirait pas russe…)
♦ Mon chouchou Černoch paraissait contraint, pas du tout radieux comme dans Rusalka dans les mêmes lieux, j'étais un brin déçu.

♦ Et quelques autres petits plaisirs, les quatre bois solos magnifiques (et un basson à la française aux aigus de cor anglais !),
♦ Gardner qui laisse claquer les timbales avec des têtes dures, de très beaux ralentissements en connivence avec Netrebko…



20 mai
Nielsen, R. Strauss, Ravel, Stravinski par le Capitole, Crebassa et Sokhiev.
Philharmonie de Paris.

Le fil se trouve ici.

♦ En route pour la musique de scène d'Aladdin de Nielsen, pour l'une des pièces majeures d'Oehlenschläger, le grand dramaturge danois.
♦ C'est lui qui transcrit dans le paysage danois, en quelque sorte, l'esprit des Schlegel et de Goethe. @philharmonie
♦ Surpris, à la lecture, de constater qu'Ibsen a beaucoup emprunté à son Håkon Jarl pour sa meilleure pièce, Les Prétendants à la couronne.
♦ Auteur aussi d'une belle pièce sur le Corrège.
♦ Outre Ibsen, on dit qu'il a influencé Scribe ; je n'ai jamais pu vérifier si Hugo l'a lu, mais indéniablement une parenté d'aspirations.
♦ Il est très peu joué et quasiment pas traduit, mais une fréquentation de qualité, à laquelle la musique de scène de Nielsen rend hommage.
♦ La musique de scène complète, enregistrée par Rozhdestvensky (chez Chandos), n'est pas extraordinaire, la Suite fait l'affaire (mais c'est mieux lorsqu'elle est donnée avec chœur ad libitum).

♦ Quelques grands moments bien sûr : le dialogue hautbois-basson de la Danse hindoue qui évoque la Symphonie n°4, la dévastation des prisonniers façon n°5, et l'extraordinaire marché persan polytonal.

♦ Je me suis demandé pourquoi, @ONCT_Toulouse, dans le final de l'Oiseau, les altos et violoncelles en homophonie tiraient-tiraient
♦ pour les uns et tiraient-poussaient pour les autres. Vu le niveau hallucinant, pas une simple divergence des chefs de pupitre ?

Pour le reste, toujours cet engagement impressionnant chez cet orchestre. Pourtant je n'ai pas tout à fait sombré dans la douce hystérie de l'extase musicale, justement parce que cette perfection un peu « internationale » n'a pas autant de saveur pour moi que les petites tensions, les petits accidents d'une formation plus modeste, ou que des couleurs très typées. C'était magnifique néanmoins.

J'en avais aussi touché un mot sur Classik :

Je ne suis pas étonné que Xavier n'aime pas Aladdin, et j'ai trouvé plus de limites à la pièce en vrai qu'au disque, j'en conviens (notamment à cause des basses toujours un peu épaisses chez Nielsen, contrebasses très mobiles mais ça manque d'assise au bout du compte). Néanmoins c'est une très belle œuvre, tirée d'une musique de scène pour Oehlenschläger, le passeur de Goethe au Danemark et le modèle du jeune Ibsen – qui s'est servi du Håkon hin Rige comme de canevas pour ses Prétendants à la Couronne, une de ses meilleures pièces à mon avis. Bref, il faut le voir comme de la musique scénique, et dans ce cadre, je trouve que son pouvoir évocateur est assez puissant.

Par ailleurs, il y a quelques moments de bravoure comme le marché polymodal, même s'il manquait le chœur ad libitum (et j'ai trouvé, ici comme à plusieurs reprises dans le concert, que les trombettes-trombones-tuba écrasaient un peu le reste du spectre, par moment, surtout dans une salle où les cordes sont statutairement défavorisées). C'est quand même remarquablement consistant pour un hors-d'œuvre, par rapport aux jolies ouvertures qu'on nous sert parfois.

Pour l'amplification, je m'empresse de préciser que Marianne Crebassa n'en a absolument pas besoin, et que du même endroit, on l'entendait très bien auparavant. Mais là, ce son très global qui semblait sortir des murs du parterre (simultanément à l'émission du son) était très suspect.
J'étais apparemment assez seul à l'avoir remarqué (en revanche, un autre spectateur m'a dit qu'il y avait eu de la sonorisation manifeste pour l'Orfeo des Arts Florissants…), et la Philharmonie m'a répondu catégoriquement que non, seuls les récitants étaient sonorisés.

C'est étrange, dans la mesure où les instruments traditionnels du concert Savall avait aussi été sonorisés, et où j'avais entendu entendu Crebassa, même salle, mêmes places, de façon très projetée, mais sans cette impression qu'elle a des bouches dans les murs. Vous voyez, vous voyez, je parle déjà comme Maeterlinck… Je ne suis pas pleinement convaincu (et ça m'a vraiment gêné, pas à cause de la sonorisation, mais du résultat moins net qu'auparavant), mais je ne veux compromettre la réputation de personne, donc je ne conteste pas leur réponse (avant plus ample mesure, du moins).



27 avril
Qui a tué la bonne à la tâche ?
Spectacle de la classe théâtrale (Emmanuelle Cordoliani) des étudiants en chant du CNSM.
Salle Maurice Fleuret.


Épatant spectacle au @CnsmdParis autour de la domesticité : beaucoup de très beaux ensembles rares (Le Docteur Miracle de Bizet, Reigen & Miss Julie de Boesmans…),

♦ .@CnsmdParis avec certains de mes chouchous (la subtile M. Davost, le tellurique E. Fardini), et de très belles découvertes (les mezzos !).
→ Je vois au passage, dans le nouveau programme de l'Athénée, qu'Edwin Fardini obtient un récital entier, au même titre que Marianne Crebassa ou Stanislas de Barbeyrac, j'avais confiance en son avenir (les voix graves aussi maîtrisées, et aussi sonores, sont rares !), mais je suis enchanté de le voir se concrétiser aussi vite.

♦ Déjà vu A. Charvet en photo, mais pour les deux autres, je vais mener l'enquête, il manque un nom dans le programme. Bientôt sur CSS.
→ Après enquête : j'avais donc particulièrement aimé le tempérament d'Ambroisine Bré. La voix est un peu douce, pas forcément très grande projection, mais un scène de la scène évident et une très belle musicalité.

♦ Deux heures sans entracte habitées de bout en bout, dans une exploration littéraire et musicale suggestive et très complète ! @CnsmdParis

♦ Ah oui, et c'est redonné aujourd'hui : conservatoiredeparis.fr/voir-et-entend… , à 19h. Deux heures d'explorations réjouissantes !




28 avril
Marais – Alcione – Moaty, Desandre, Auvity, Mauillon, Savall
Salle Favart.

J'ai déjà évoqué les sources et les logiques du livret, l'italianité et le préramisme de la musique, mais pas encore sa tendance au drame continu romantique ni les représentations elles-mêmes.

Sur Twitter :

♦ Jamais vu de chœur au Concert des Nations de Savall (l'Orfeo ne compte pas vraiment). Apparemment ad hoc, excellent français !

♦ Une des choses étonnantes, à Alcione, était que Jordi Savall, qui bat sur le temps, dirigeait aussi tous les récitatifs. Inhabituel.

♦ La Marche des Marins d'Alcione de Marais a vraiment des parentés étonnantes avec Auprès de ma blonde (exactement la même époque).

Au chapitre des surprises, les solistes (Hasnaa Bennani et Marc Mauillon, du moins), chantaient dans les chœurs. Quelle surprise fulgurante que d'entendre la partie de Mauillon (partie de taille, naturellement moins exposée dans les chœurs que les dessus et basses…) faire tonner les contrechants des chœurs infernaux, à l'acte II !

Sinon, globalement, un spectacle qui ne m'a pas démesurément enthousiasmé : la salle de l'Opéra-Comique n'a pas la meilleure acoustique du monde (un peu étouffée) et surtout la scène sans cadre choisie par Louise Moaty laissait les voix se perdre… Cyril Auvity ou Sebastian Monti étaient inhabituellement fluets vocalement, alors que ce soit d'excellentes techniques assez glorieuses pour ce répertoire. Metteurs en scène, vraiment, avoir un mur de renvoi n'est pas un accessoires, ça change tout pour faire porter la voix, et donc l'émotion, des interprètes. Et sans doute pour leur confort vocal – donc pour leur liberté scénique.

Néanmoins, alors qu'il s'agit de l'une des tragédies en musique d'avant-Gluck que j'aime le moins, d'assez loin, je ne me suis pas ennuyé un seul instant et y ai enfin trouvé des clefs d'écoute.



9 mai
Récital de la classe d'ensemble d'ensembles vocaux du CNSM : Pelléas, Chabrier, les Cendrilon.
Salle Maurice Fleuret.


Voir le fil.
♦ Ce soir au : ensembles vocaux tirés des Cendrillon d'Isouard, Viardot, Massenet (duo et scènes du premier tableau du III), plus Pelléas (fontaine et souterrains !) et L'Étoile de Chabrier (quatuor des baisers).

♦ Vous avez eu tort de ne pas venir… Je suis encore tout secoué de ce Pelléas de Marie Perbost, Jean-Christophe Lanièce et Guilhem Worms… au disque, le piano paraît mince,

♦ .@CnsmdParis mais dans une petite salle, le piano de Damien Lehman en révèle toutes les aspérités rythmiques et harmoniques… quel voyage !

♦ (et puis le plaisir plus superficiellement narcissique d'avoir eu raison contre un prof du CNSM sur une question de chronologie)



11 mai
Récital de la classe de lied et de mélodie de Jeff Cohen au CNSM
Salle d'orgue.


Rituel annuel pour moi, l'événement qui m'a rendu indéfectiblement fidèle au CNSM… entendre d'excellents techniciens vocaux pas encore abîmés par les violences de la scène, accompagnés par de vrais accompagnateurs inspirés (et pas leur chef de chant perso ou le pianiste soliste à la mode), dans des programmes variés et souvent originaux. Pour le lied et la mélodie, c'est très rare.

♦ Et puis ce sera @CnsmdParis. Pas de ce soir (et un nouveau venu), mais quel programme !  Nuits persanes de Saint-Saëns, Fables de La Fontaine de Caplet, Songs of Travel de Ralph Vaughan Williams
programme 1programme 2

♦ Superbe découverte d'Olivier Gourdy, les Nuits Persanes incluaient les mélodrames de Renaud, et Pierre Thibout (1,2) toujours aussi prégnant !
→ Les Nuits persanes sont une orchestration / réorganisation des Mélodies persanes de Saint-Saëns, son plus bel ensemble de mélodies. Ici jouées avec piano, mais dans l'ordre du poème symphonique, et avec les parties déclamées sur la musique et les interludes (réduits pour piano).


Olivier Gourdy est un enchantement : une voix grave radieuse et maîtrisée, pas du tout ces beaux naturels frustes qu'on rencontre si souvent dans ces tessitures (l'aigu est très bien bâti, ici). Ses extraits du Winterreise étaient assez forts, et assez exactement calibrés pour ses qualités expressives.



12 mai
Bizet – Les Pêcheurs de Perles – Fuchs, Dubois, Sempey, ON Lille, Alexandre Bloch
Au TCE.


C'était le rendez-vous du tout-glotto parisien – ce qui, en raison de mes mauvaises fréquentations, ne m'a que fort peu laissé le loisir de rédiger quoi que ce soit.

J'ai été tout à fait enthousiasmé par la direction d'Alexandre Bloch : chaque récitatif est ardent, l'accompagnement pas du tout global et un peu mou, mais au contraire calqué sur le drame, tranchant, expansif. Et une gestion des libertés rythmiques des chanteurs qui montre un grand talent de fosse. Le National de Lille n'est pas l'orchestre le plus joliment coloré du monde (toujours un peu gris), mais il compense totalement par cette énergie, en faisant des Pêcheurs un drame palpitant plutôt qu'une jolie carte postale (extrême-)orientalisante.

Côté glottologie :
Julie Fuchs gère remarquablement l'élargissement de sa voix, sans sacrifier la diction ni la couleur, avec beaucoup de naturel – je ne me figure pas le travail gigantesque que ce doit être pour passer aussi promptement des coloratures les plus légers à de vrais lyriques.
Cyrille Dubois est un peu limité par la puissance, mais la qualité de la diction est, là aussi, très bonne. Je trouve qu'il ajoute un peu de patine à sa voix, la projette moins franchement, pour semble un peu plus lyrique, mais rien de bien méchant. Et les glottophiles purulents (pourtant très nombreux dans la salle) ont grandement acclamé son air malgré la nette rupture vers le fausset de sa dernière phrase. Si même les glottophiles-héroïques se mettent à s'intéresser à l'essentiel, le monde peut peut-être être sauvé.
¶ Agréable surprise chez Florian Sempey, dont j'ai déjà eu l'occasion de dire qu'il incarnait assez exactement une façon de (bien) chanter que je n'aime pas, du tout : voix trop couverte (ce qui abîme la diction, aplanit son expression et limite sa projection), une seule couleur vocale, nuances dynamiques très limitée (du mezzo-piano au forte, pas beaucoup plus), postures de fier-baryton assez univoques… Pourtant, dans le rôle payant de Zurga, qui a depuis toujours – comme en atteste ceci, gribouillé alors que je n'avais pas dépassé ma vingtième année… – attiré mon plus grand intérêt, je remarque au contraire qu'il fait l'effort de moins couvrir le haut de la tessiture, ce qui réinsuffle de la couleur et limite les aigus. D'une manière générale, le personnage, sans disposer d'une gamme de nuances infinies, fonctionne bien, pas du tout de frustration cette fois-ci, même si je pourrais citer des dizaines d'autres titulaires plus à mon gré (et moins chers).

Schadenfreude assumé : Sempey fait une grosse contre-note (à vue d'oreille un la, un si bémol, quelque chose comme ça, d'un peu exceptionnel pour un baryton) à la fin d'une pièce collective (il faut que je réécoute la bande pour redire laquelle)… il prend la pose et attend les applaudissements… tandis que le public, qui n'est pas sûr de devoir applaudir à chaque numéro, hésite et ne se décide pas. C'était cruel, parce qu'il réalisait vraiment un joli exploit, mais j'avoue que j'étais assez content qu'il ne soit pas récompensé pour étaler de la glotte pure. (Très beau succès aux saluts au demeurant, et assez mérité.)

    Très belle soirée, et en réécoutant cette œuvre (celle que j'ai le plus vue sur scène, je m'aperçois, à égalité avec le Vaisseau fantôme et Così fan tutte !), je suis une fois de plus saisie par l'absence absolue de superflu : tout est marquant, intense, inspiré, pas une seconde ne paraît un pont simplement nécessaire, un petit remplissage statutaire. Peu d'œuvre ont cette densité en mélodies incroyable, cette variété de climats, tous superlatifs, qui s'enchaînent. Même dans les airs, souvent le point faible en la matière, rien à moquer – « Me voilà seule dans la nuit » est même à placer au firmament de tous ceux écrits. C'est encore le duo d'amour que je trouve le moins renouvelé.
    Elle est revenue en grâce, j'ai l'impression, après une éclipse dans les années 70 à 2000 avec l'internationalisation du répertoire, et cette fois-ci en grâce à l'échelle du monde… Ce n'est que justice, je ne vois pas beaucoup d'opéras français du XIXe siècle de cette constance – que ce soient les tubes comme Faust ou les gros chefs-d'œuvre comme Les Huguenots. Et particulièrement accessible avec ça.



15 mai
Debussy – Pelléas et Mélisande – Ruf, ONF, Langrée
Au TCE, avec Petibon, Bou, Ketelsen – et Courcier, Brunet, Teitgen.



● Réaction sans ambiguïté sur Autour de la musique classique
DavidLeMarrec a écrit :
Pour l'instant, étrangement, ça ne m'a toujours pas bouleversé en salle… [...] Non, même Braunschweig, c'est vraiment l'œuvre qui ne prend pas. Au piano (alors que je n'aime pas Pelléas au piano d'ordinaire) ça passait bien mieux lors d'extraits entendus mardi au CNSM… c'est assez étrange. 

Je tâcherai de me placer au-dessus de la fosse pour profiter de l'orchestre, au TCE, on verra si ça change quelque chose.
En effet. Je suis sorti complètement euphorisé de l'expérience, chantant les répliques des cinq actes dans le désordre dans les rues parisiennes… Rolling Eyes

Distribution vraiment parfaite pour les six principaux, orchestre incroyablement intense, mise en scène sobre, adaptée au lieu (angles de vue réduits), pas mal vue… et puis la musique et le texte, toujours immenses.

C'était une orgie du début à la fin. Je ne veux plus jamais écouter de musique, voilà, c'est fini.

La conversation se poursuit :

● [Bou]
J'étais étonné qu'il chante encore Pelléas à ce stade de sa carrière, alors qu'il fait beaucoup de rôles de barytons graves, voire de basses baroques. Donc j'étais enchanté de l'entendre : et le côté très mâle de la voix est compensé sur scène par son allure juvénile – j'ai totalement acheté le côté postadolescent.

Pour les aigus, c'est vrai, c'est étonnant, la voix est magnifique et extraordinairement épanouie dans les aigus, jusqu'au sol 3, très facile, sans aucune fatigue… mais les sol dièses sont difficiles, presque escamotés, et les la 3 ratés en effet. Mais honnêtement, je m'en moque… ces la ne sont pas forcément des points culminants, et le second, amené par une phrase entière en fausset, s'intègre très honnêtement au reste.

● [Ketelsen]
La voix perd en impact lorsqu'il chante fort, se plaçant plus en arrière et couvrant beaucoup, mais sinon, c'est vraiment du cordeau. Hier soir, un mot manquant (pas le seul, pas mal de décalages, Petibon et Teitgen, surtout – quelques-uns vraiment évident, mais sinon, difficile de faire autrement, sur scène dans cette œuvre) et un déterminant changé (« le » au lieu de « mon », quelque chose comme ça…), c'est tout. Diction immaculée, vraiment digne d'un francophone, voix franche… un peu sombre pour mon goût personnel, mais vraiment au-dessus de tout reproche, et très convaincant, même physiquement dans son rapport à la mise en scène.

● [Petibon]
J'aurais cru que tu n'aimerais pas ces sons droits (à un moment, elle fait même un son droit qui remonte, à la manière des « ah ! »
de la tragédie lyrique Very Happy ), mais oui, tout est très maîtrisé. J'aime moins la voix que Vourc'h, mais en salle, elle m'a plus intéressé, comme plus libre – possiblement parce que j'étais beaucoup plus près.

C'est vrai qu'elle chante le rôle depuis longtemps, en plus (j'ai une bande au NYCO au début des années 2000, avec piano). Elle a beaucoup mûri sa voix et son personnage (pas aussi intéressant à l'origine, évidemment).


 Pour moi, on peut déjà considérer, si on ne regarde pas aux quelques notes manquantes chez Bou ou décalées chez les autres, qu'on est dans la perfection, si on considère le résultat. Souvent, il y a un chanteur un peu moins bon (ici, c'était Arnaud Richard en berger et médecin, ce n'était pas bien grave), quelque chose qui ne prend pas. Non, vraiment pas ici. Et l'orchestre était l'un des plus beaux que j'aie entendus dans l'œuvre, peut-être même le plus beau, le plus intense, le plus détaillé.


Ou sur Twitter, avec peu de détail mais une petite #PelléasBattle avec plein de citations.

♦ Ce soir. Pelléas. @TCEOPERA. Ce n'est pas ma fauuuuute ! (C'est quelque chose qui est plus fort que moi.)
♦ « Et la joie, la joie… on n'en a pas tous les jours. » @TCEOPERA  

♦ Mais tout est sauvé ce soir. Quelle musique, quel texte, quel orchestre formidable ( @nationaldefce ), quel plateau parfait !
♦ Même la mise en scène de Ruf, très sobre, bien conçue pour ce théâtre, fonctionne parfaitement. Et Langrée respire l'expérience partout.
♦ Assez hystérisé ce soir ; et déjà une demi-douzaine de notules en vue sur plein de détails. \o/

♦ Complètement euphorisé, je chante les répliques des cinq actes dans le désordre dans les rues de Paris…

Yniold exceptionnel, déjà, et tous les autres aussi, à commencer par l'orchestre. Ce hautbois solo, ce cor anglais, ces cors, ces altos !
@OlivierLalane @ChrisRadena L'illusion était remarquable : à côté, même Julie Mathevet, c'est Obraztsova !
@guillaume_mbr Il faut dire que le V est toujours un peu tue-l'amour, et que Langrée réussit paradoxalement plus de continuité dans lII,4 que le IV,2 !

♦ Mais même au V, la séquence de Golaud insoutenable, et cet ut dièse majeur final dont on voudrait qu'il ne finît jamais !

♦ Hou-là, hier soir, le compte du @TCEOPERA ressemblait à mon journal intime !
pic.twipic.twitter.com/bwcfK5Pr9R

♦ Pelléas, c'est un comme les épisodes de Star Wars, farci d'Easter eggs pour les fans… le nombre d'autoréférences discrètes, incroyable.
♦ Et les fans sont tout aussi fanatisés, bien sûr. Avec raison. (Pas comme avec le poète du dimanche Wagner.)

♦ Bien, je vous laisse, je dois arranger mes cheveux pour la nuit. (Pourquoi avez-vous l'air si étonnés ?)



24 mai
Mahler, Symphonie n°2, Orchestre de Paris, Daniel Harding.
À la Philharmonie de Paris
.

Une conversation a eu lieu sur Classik :

Au chapitre des anecdotes, A. Cazalet a couaqué, pané et pigné tout ce qu'on voudra, comme quoi être méchant n'est pas gage de qualité artistique. (Je dis ça je dis rien.)

Après Cologne, passage par la Philharmonie, donc. J'ai beaucoup aimé la conception de Harding, des cordes très mordantes (j'aime beaucoup dans l'absolu, mais c'est véritablement salutaire dans cette salle où elle sont statutairement défavorisée), des détails très lisibles, une battue bien régulière et un tempo rapide. C'était même un peu droit à la fin, sans ruptures de métrique spectaculairement audibles, mais très beau néanmoins sur l'ensemble du parcours – de loin le plus beau premier mouvement que j'aie entendu, peut-être même en incluant disques et bandes.

Seule petite frustration très évitable : l'orgue distrait trop à la fin, et couvre le chœur, ça enlève l'impression d'apothéose patiemment bâtie et se fond mal avec le reste. Par ailleurs trop fort, pas adroitement registré, ça ne fonctionnait pas et empêchait de s'intéresser simpement à la fin – un peu comme ces percussions exotiques que tout le monde regarde au lieu d'écouter la musique…

Mais enfin, c'était excellent, le moelleux des trombones (et du tuba, on n'a pas tous les jours de beaux tubas !), le hautbois solo très présent, les fusées de cordes extraordinairement nettes, l'impression d'un ensemble vraiment engagé, d'une progression permanente… J'ai trouvé l'orchestre encore meilleur que sous Järvi.

Et l'œuvre, je n'en dis rien parce que ceux qui vont poster dans ce fil ou le lire l'ont tous dans l'oreille, mais c'est bien beau tout ça.


Sur l'orgue spécifiquement :

J'ai trouvé ça étonnant aussi, mais à mon avis c'est difficile à régler dans cette salle (sur le côté du second balcon de face, j'entendais clairement plus l'orgue d'une oreille que d'une autre), et surtout ça tient à l'instrument de type néoclassique : il n'y a pas l'épaisseur d'un bon Cavaillé-Coll, c'est tout de suite translucide, des sons blancs qui traversent l'orchestre et se fondent mal.

D'une manière générale, de toute façon, je n'aime pas ces ajouts d'orgue dans les finals : ça détourne l'attention, et ça prive finalement de l'essentiel (pour quelques pauvres accords plaqués qui figurent déjà dans l'orchestre et le chœur…). Le moment où l'humanité du chœur advient, on nous met une grosse bouse au timbre complètement distinct par-dessus, et entrecoupée de silence, difficile de rester dans la musique.

Donc ce n'est pas tant la faute de Harding à mon avis, mais ce n'est pas pire que si mon voisin avait un peu gigoté à ce moment, ça ne ruine pas non plus un concert.



25 mai
Motets de Buxtehude, Bernier et Telemann par Françoise Masset.
À Saint-Saturnin d'Antony


♦ Mission Françoise Masset <3 cet après-midi, avec Bernier, Buxtehude (un motet-chaconne) et Telemann, à Antony.
→ Avec les deux violonistes du quatuor Pleyel.

♦ Nous sommes 3 spectateurs dans la salle et ça commence dans un quart d'heure. #oh

♦ J'aime beaucoup le tout jeune gothique de Saint-Saturnin.

♦ Finalement s'est rempli au dernier moment, plutôt bien. Diction toujours incroyable et l'aigu toujours aussi lumineux. <3

♦ Motet de Bernier qui mélange les sources liturgiques, traitement très virtuose et italien, pas le Bernier que j'aime le plus.


♦ En revanche, Telemann extraordinairement expressif, et Buxtehude débridé (une chaconne à quatre temps en feu d'artifice !).



C'est épatant : Françoise Masset a toujours eu un timbre avec une belle clarté sur une sorte d'appui blanchi, comme une voix mûrissante, et il n'a pas bougé d'un pouce depuis ses débuts. Et toujours ce sens particulier de la diction.



28 mai
Orgue baroque français, contemporain français, et improvisations saxophone-orgue.
Chapelle Saint-Louis de la Pitié-Salpêtrière.

Concert du Mage / Clérambault et improvisations saxophone-orgue à Saint-Louis de la Pitié-Salpêtrière.

♦ Orgue vraiment difficile (un peu grêle, plusieurs jeux à réharmoniser),


♦ et on sent (inégalité et agréments) que ce n'est pas le répertoire premier de l'organiste. Néanmoins chouette alternance !

♦ Pas adoré la pièce d'Yves Arques : Décroissance ne figure guère son programme (économique !), et n'apporte pas grande substance musicale.
En revanche, Noire Acmé de Tom Georgel, sorte de rondeau modernisé, est immédiatement opérant, et très agréable.

♦ Malgré ses appuis nettement écrits, la Chaconne de Buxtehude flotte comme un canevas harmonique brahmsien ; pas évident de jouer sur cet orgue.
♦ Les tuilages de la Canzone de Bach, est-ce une question de pratique, sont beaucoup plus nets et mieux registrés.

♦ Dans ce plan en étoile un brin labyrinthique, on trouve aussi un orgue de chœur dans un coin (mais pas d'antiphonie possible).

Ultima latet – la dernière heure t'est cachée. La maxime oklm dans un hoſpital.


Et d'autres remarques sur l'iconographie du lieu dans le fil Twitter correspondant.



2 juin
Déserts de Varèse et Dracula de Pierre Henry.
Le second dans une version ré-instrumentalisée (à partir des bandes magnétiques d'origine)
.

À nouveau tiré du fil Twitter :

♦ Si vous devinez dans quel théâtre je suis ce soir, je vous respecte. pic.twipic.twipic.twipic.twitter.com/2e2vVMfoIQ


♦ C'était donc le @theatreathenee, au détour d'une issue de secours qui n'est manifestement destinée qu'au péril imminent. Quel dépaysement !

♦ Toujours aussi indifférent à la partie bande de Déserts de Varèse. La partie instrumentale, tant copiée depuis, très impressionnante.
♦ En revanche je la trouve plus agréable en retransmission que dans un petit théâtre (toujours fort volume !).
♦ C'est aussi le risque de monotonie avec les pièces sans discours harmonique repérable (malgré les échos de strates / motifs / timbres).
♦ Néanmoins, je suis très content, je voulais découvrir l'œuvre en salle depuis longtemps et ça fonctionne plutôt bien.

♦ Je suis à présent en train d'écouter l'arrangement pour ensemble de Dracula de Pierre Henry… à l'extérieur de la salle !


♦ Tuba contrebasse à fond, grosse caisse permanente, et surtout le son blanc des haut-parleurs. Même derrière les portes, ça fait mal !
♦ J'avais été avisé de me placer à l'écart, je n'ai pas été piégé !
♦ Et puis ce n'est pas comme si je perdais la subtilité extraordinaire de la musique d'Henry :
♦ serviles ressassements des préludes de Siegfried et Walküre, avec ajouts de petits bruits d'oiseaux ou de clochettes,
♦ saturation permanente de l'espace sonore… cela manque tout simplement d'esprit, un comble quand on utilise Wagner.
♦ On croirait qu'Henry s'est arrêté aux disques d'ouverture et n'a jamais vraiment écouté Wagner pour jouer les mêmes scies très peu variées !
♦ Seul micro-moment de grâce, la fin de l'orage de la Walkyrie, où « Wes Herd dies auch sei » est esquissé par un piou-piou. Sourire.
♦ Je ne quitte *jamais* un spectacle avant terme, hors contraintes physiques majeures,mais devoir écouter la fin de l'extérieur, jamais fait !
♦ Voilà que c'est pareil pour le Crépuscule, on dirait qu'il n'a écouté que le début du Prélude du Prologue. |:-|
♦ Et je commente en direct le concert à la manière des événements sportifs, une première aussi ! :o
♦ En attendant la fin – comment peut-on rendre Wagner si gras et si trivial ? (la réponse pourrait contenir le mot tubas) –
♦ Comble de pied-de-nez, la pièce s'achève juste avant un moment parfait pour ces nombreux cuivres,
♦ sur un accord non résolu, celui qui précède l'éclatement du thème du Walhall dans Rheingold.



22 mai
Récital de la classe d'accompagnement vocal d'Anne Le Bozec.
À la
cathédrale Saint-Louis des Invalides.


Le fil Twitter peut en être suivi ici.

♦ Invalides : récital de lied (classe d'accompagnement A. Le Bozec @CnsmdParis) déplacé dans la cathédrale pour cause de courses automobiles !

♦ Étonnant, quantité de gens « importants » (musiciens, journalistes célèbres) dans l'assistance, pour un récital d'accompagnement du CNSM.
♦ (quand ce n'est pas aux Invalides, la nature de l'auditoire est assez différente)

♦ Saint-Louis-des-Invalides

♦ Putti au cimier.

♦ Autoportrait à ma mesure.


♦ Programme incroyable aux Invalides, donc, avec les petits du @CnsmdParis : lieder-mélodies de Rheinberger, Jensen, Saint-Saëns, Chausson…
→ [Lien vers le programme : pic.twipic.twipic.twitter.com/ueP72L13zC]
♦ Des Wagner en français, des pièces de circonstance évoquant la défaite de 70… et tout cela remarquablement joué.
♦ Même la pièce de J.-B. Faure n'est pas son tube Les Rameaux (mais tout aussi simple et persuasif !).


Un programme épatant : mélodies et lieder de Liszt, deux Wagner en français, Cornelius, Jensen, Rheinberger, Saint-Saëns, Bizet, Massenet, Duparc, d'Indy, Chausson… à quoi s'ajoutaient les Souvenirs de Bayreuth de Fauré & Messager (sans reprises, mais intégraux, joué comme de la grande musique par Jean-Michel Kim et Simon Carrey !) et, sommet de l'ensemble, cette chanson de Jean-Baptiste Faure – grand baryton, et compositeur simple et efficace dont on a beaucoup joué (moi inclus) sa mélodie sur Les Rameaux (une faveur qui se poursuit chez les anglophones). Ici, Pauvre France !, une évocation cruelle de la défaite de 1870, avec sa Marseillaise en lambeaux.

Outre mes chouchous vocaux (le glorieux Edwin Fardini, la délicate Cécile Madelin, la prometteuse Makeda Monnet, le moelleux de Brenda Poupard…) dont j'ai eu plusieurs fois l'occasion de parler, l'occasion d'apprécier les accompagnateurs, tous excellents sans exception. Quelle différence avec les sous-pianistes de jadis, qui n'exprimaient rien d'autre que la terreur de couvrir la voix du soliste.

Parmi cette excellente troupe, de belles choses à signaler plus particulièrement : ainsi Jeanne Vallée manifeste une précision miraculeuse dans l'accompagnement, toujours exactement au même endroit que sa chanteuse, même dans les parties librement déclamées ; ou bien Cécile Sagnier, pour de belles constructions sonores – un beau crescendo enveloppant dans le « Tournoiement » des Mélodies persanes (encore !) de Saint-Saëns.

Et surtout Célia Oneto Bensaid, déjà une très grande : des traits (et ces petites anticipations de basse caractéristiques) dignes des pianistes solistes dans le Liszt virtuose de Die drei Zigeuner, qui n'empêchent nullement une transparence très articulée, jusque dans l'insignifiant accompagnement harpé de la Romance de Mignon de Duparc où la transparence absolue et la finesse de l'articulation forcent le respect… le tout déposé sur un son d'une très grande classe. Un accompagnement de cette qualité dispense quasiment de disposer de bons chanteurs, rien que l'écouter nous raconte tous les mots du poème.




C. Absences

Pour être encore un peu plus long, je mentionne que je n'ai pas pu tout faire : j'aurais voulu voir Tafelmusik à Écouen par des membres du CNSM, Ce qui plaît aux hommes de Delibes au Théâtre Trévise par les Frivolités Parisiennes, la Cinquième Symphonie de Sibelius par la BBC Wales à la Seine Musicale, le programme Lalo-Dukas-Ravel des siècles, la Médée de Charpentier par Pynkosky et Toronto, le programme Vierne-Podlowski-Koster de Vincent Lièvre-Picard au Conservatoire de Fresnes, l'Ascension de Messiaen et la Sixième Symphonie de Widor à Saint-Sulpice, Louis Saladin et Salomone Rossi par un chantre du CMBV aux Menus-Plaisirs, l'Exquien de Schütz et des motets de la famille Bach par Vox Luminis, Lura à l'Espace Cardin, les grands motets de Lalande par Dumestre et Šašková à la Chapelle Royale, le demi-Winterreise de Bostridge-Drake avec du Britten au Musée d'Orsay, Charpentier par La Chanterelle et Martin Robidoux, entendre enfin l'ensemble vocal explorateur Stella Maris…

J'avais même prévu de marcher 15km aller (et autant retour) pour voir le trio chouchou Sōra dans Chausson (et Kagel et Ravel) à Villecerf, loin de tout réseau hors transport scolaire, mais par les premières grosses chaleurs (30°C ce jour-là, et sur terrain découvert), ce n'était pas raisonnable.

Mais, pour des raisons de simultanéité / prix / disponibilité professionnelle / circonstances / envie, j'ai dû me contenter du (déjà trop large) contenu exposé ci-dessus.



D. Balades

Enfin, puisque la saison s'y prête, j'ai aussi mené quelques périples sylvestres (souvent nocturnes) dont certains commentés : la rencontre de Jeanne Poisson en forêt de Sénart, le bois des Roches de Saint-Chéron (avec un bout d'Exposition Universelle), la voie Louis XIII en forêt de Verrières, ou encore dans les champs de blé de la plaine de France, seul au milieu des sangliers (périple complet)…



Voici pour ces points d'étape. À bientôt pour de nouvelles aventures !

lundi 27 mars 2017

Le défilé d'Avril


Tradition de toujours. Bilan du mois écoulé. Et quelques recommandations pour ne pas manquer tous ces beaux concerts cachés d'avril.
Cette fois encore, pour des raisons de praticité, je me limite à une petite expansion de ce que j'ai déjà collecté pour mon usage personnel, donc en région Île-de-France essentiellement. La sélection ne se limite pas à Paris ou, du moins, est faite après la lecture des programmes de la plupart des théâtres de la région – en musique en tout cas, puisque l'offre de théâtre est tellement incommensurable que je me limite à indiquer quelques-unes de mes marottes.



mars 2017
Diagonale de putti dans les loges de l'Oratoire du Louvre, sous les tribunes.



1. Les combats de mars

Quelques aventures sont encore prévues pour la dernière semaine du mois, mais il faut bien effectuer un bilan avant le 1er avril pour annoncer les concerts dignes d'intérêt…

Les renoncements sont toujours inévitables, et j'ai dû abandonner, pour raisons tantôt personnelles, tantôt professionnelles (tantôt envie de faire autre chose que des concerts, aussi…) :
Le jeune Sage et le vieux Fou de Méhul (certes un de ses opéras comiques un peu légers) à la BNF (tellement bien annoncé que je l'ai découvert une heure avant le concert), étant déjà accompagné pour la Tragédie de Salomé intégrale de Florent Schmitt (ce qui est au demeurant un choix très défendable) ;
– le Retour d'Ulysse de Monteverdi dans une fulgurante distribution ;
– le Boccanegra luxueux en diable de Monte-Carlo (Radvanovsky, Vargas, Tézier, Kowaljow…) ;
– le concert Copland-Barber-Bernstein de l'ONDIF, que j'irai plutôt voir à Montereau (qu'il est beau de voyager, dit-on dans cet opéra) ;
– enfin et surtout, la grande rétrospective de la création contemporaine officielle depuis 50 ans, à la Cité de la Musique (avec de très beaux choix de programme par l'EIC) ; mais le même soir que la Jehanne de Tchaïkovski, je n'avais guère de choix en réalité.

Ne croyez donc pas que je les aie boudés par mépris.

Par ailleurs, il y avait déjà de quoi s'occuper, avec 11 soirées rien qu'entre le 2 et le 25 mars.



♣ Pas toujours des inédits mondiaux, mais des choses qui ne passent que très exceptionnellement en France (voire dans le monde…) :

♣♣ La Pucelle d'Orléans de Tchaïkovski. Par le Bolchoï de surcroît : orchestre, chœur et troupe de solistes !  L'opéra n'est à peu près jamais donné hors de Russie (où il n'est pas exactement un standard non plus), et le disque n'en documente que deux versions, assez anciennes (la plus récente date des années 70). C'est une étrangeté, puisque composée juste après Onéguine, elle marque, comme Mazeppa écrit juste après (et contrairement à l'Enchanteresse, à la Dame de Pique et à Iolanta qui achèvent sa carrière lyrique), une sorte de retour vers un genre plus formel du grand opéra historique, même musicalement. Les récitatifs y sont en effet assez rigides, les airs et numéros assez longs, pas du tout effleurés comme dans Onéguine (où Tchaïkovski a vraiment épousé au plus près son sujet !). Néanmoins, plusieurs grands moments de grâce, en particulier les grands ensembles et les scènes de foule, et surtout les préludes de chaque tableau, où l'on retrouve toute la virtuosité purement musicale (harmonie, orchestrtion) de Tchaïkovski.
♣♣♣♣ L'opéra s'écarte évidemment des sources historiques, puisque Jehanne y vit une histoire d'amour qui, dans une lecture assez mystique (façon Samson) et décadente, consume ses forces et lui fait perdre sa légitimité. C'est à Chinon, lors de la présentation de Jeanne, qu'on annonce le siège compromis d'Orléans, et c'est son propre père qui la maudit ;  marchant ensuite à peu près seule (avec son semi-amant) dans le forêt, elle se fait capturer par les Anglais. Chaque acte développe un lieu différent de façon assez habile : Domrémy, Chinon, Reims, Rouen.
♣♣♣♣ L'Orchestre du Bolchoï n'est plus très typé (hors les remarquables cors translucides assez caractéristiques), la différence passe, à tout prendre, plutôt par le style du portamento (ports de voix) des violons dans les phrasés lyriques. Le Chœur, lui, est à couper le souffle : n'importe quel choriste pourrait chanter à Bastille demain – les volumes et la perfection des voix, sans jamais sembler désagréablement écrasants comme d'autres chœurs de quasi-solistes (Chœur de Radio-France, la plupart des chœurs d'opéra de France et d'Italie…). Côté troupe, Anna Smirnova révèle à quel point la tessiture très centrale du rôle-titre, recouverte par l'orchestre, doit être un problème insurmontable pour le distribuer à tout autre qu'elle ; Bogdan Volkov (Raymond, son soupirant de Domrémy) comme toujours très élégant, Oleg Dolgov (Charles VII), autre ténor limpide et élancé à la russe (toujours ces dégradés de couleurs), superbe Anna Nechaeva (Agnès Sorel), très charismatique dans un rôle très court… et par-dessus tout Stanislav Trofimov (l'Archevêque), une voix quelque part entre Kurt Moll et Martti Talvela, à la fois noire et lumineuse, profonde et pure, grave et très aisée dans l'aigu. Mon chouchou personnel, l'Ange de Marta Danusevich : une voix de soprano dont le timbre très fruité paraît celui d'un mezzo lyrique, avec une richesse de coloris rare chez les voix hautes. Et qui surmonte le chœur sans la moindre peine.

♣♣ La Deuxième Symphonie de Nielsen (voir présentation) par l'ONF et le spécialiste (parmi la poignée des tout meilleurs) John Storgårds. L'une des plus belles symphonies de tout les temps, aussi considérable que la Quatrième à mon sens (quoique moins complexe). En tout cas dans mon TOP 5 du premier vingtième (il y aurait aussi van Gilse 2, Schmidt 2, Sibelius 7, Walton 1 – pour le top 10, Atterberg 1, Alfvén 4 et Madetoja 2, assurément). Chaque mouvement est à la fois fascinant et exaltant, culminant dans la reprise en climax du thème du mouvement lent…
♣♣♣♣ Ce soir-là, le grain naturel et tranchant des cordes de l'ONF des grands jours en faisait le meilleur orchestre du monde. Et pour ne rien gâcher, nous eûmes le plaisir d'entendre en vrai Fanny Clamagirand que j'admire depuis longtemps – pas un gros son, mais une beauté de timbre et un goût parfaits. La création d'Édith Canat de Chizy n'était pas pénible que son ordinaire, à défaut d'imprimer le moindre début de sentiment de nécessité – la suite d'effets traditionnels, sans propos thématique / structurel / climatique identifiable. En n'essayant pas trop de s'intéresser au propos fuyant, le temps passe sans douleur. En bis, une splendide sarabande de Bach (comme après chaque concerto pour violon, certes).
♣♣♣♣ Accueil toujours aussi catastrophique à Radio-France : sécurité peu respectueuse (tout le contenu du sac retourné sans ménagement et sans demander l'autorisation – en principe, on enseigne l'inverse aux agents), replacement de force du public, même si les places d'arrivée sont moins bonnes (alors qu'en principe, on propose ce genre de chose). Toujours l'impression, donc, d'être à peine toléré alors qu'on a payé sa place et qu'on voudrait juste ne pas être traité comme un délinquant pour vouloir entrer dans la salle puis s'asseoir à sa place.
♣♣♣♣ Salle remplie au quart (uniquement les parties de face, et pas en entier, sur deux étages des trois) : entre les artistes formidables mais peu célèbres, Nielsen 2 qui n'est pas encore dans les habitudes du public symphonique, et la création de Canat de Chizy, trop bien connue, il est vrai qu'on avait cumulé les paramètres de désaffection (il aurait fallu un concerto de Tchaïkovski avec Jansen en première partie, et mettre Clamagirand-Chizy dans un concert avec Mahler 4 ou Beethoven 5 en seconde partie…).

♣♣ La Tragédie de Salomé de Florent Schmitt, dans sa version originelle et intégrale pour petit orchestre (bois par 1). Un superbe cadeau d'Alain Altinoglu pour sa classe de direction d'orchestre au CNSM… Présentation de l'œuvre (et éloge des musiciens) faite tout récemment.



♪ D'autres raretés, peut-être pas majeures, mais très intéressantes.

Il Matrimonio segreto de Domenico Cimarosa, un opéra bouffe sur sujet domestique, succès immense et emblématique à son époque – dès la création, bien avant la vénération bruyante de Stendhal. Il m'est difficile, je l'avoue, de m'immerger totalement dans une œuvre théâtrale aussi fragmentée (discontinuité maximale entre de jolis airs très mélodiques qui évoluent peu, et les récitatifs secs), et les coupures réalisées par Patrick Davin, pour une fois, se défendent – sans quoi le spectacle aurait été très long, et pas forcément plus riche (ce n'est pas comme couper du Richard Strauss d'une heure et demie). Surtout, Cécile Roussat et Julien Lubek, une fois encore (témoin leur Dido and Æneas de Rouen) montrent qu'ils sont les metteurs en scène actuels les plus capables d'animer une scène, même conçue comme immobile. Quoi qu'on pense de la musique et du livret (de Giovanni Bertati, celui qui invente la mort liminaire du Commandeur dans les multiples refontes de Don Juan), le résultat était un grand moment de théâtre. La principale réserve tient au style de l'Orchestre du CNSM, que Patrick Davin fait sonner comme le studio Sanzogno… donc peu sensible aux « nouveaux » apports musicologiques des soixante dernières années, disons.
♫♫ Les jeunes chanteurs, bien connus de nos services, sont remarquables, en particulier Harmonie Deschamps, Marie Perbost (mainte fois louées en ces lieux), et par-dessus tout Jean-Christophe Lanièce qui révèle, en plus de ses talents connus de chanteur et diseur, un charisme d'acteur phénoménal. Par ailleurs, la voix paraît différente en italien, moins centrée sur la couleur et davantage sur l'éclat, s'adaptant ainsi idéalement au répertoire.

Les Saisons de Haydn dans la version (en français) de leur création française (selon le vœu d'adaptation vernaculaire de Haydn). Musiciens du Palais-Royal dirigés par Jean-Philippe Sarcos dans la salle néo-égyptienne de l'antique Conservatoire de Paris. Il y a quelque chose de particulier à entendre cette musique dans la salle où l'on joua pour la première fois les Symphonies parisiennes de Haydn, la Fantastique de Berlioz, et où l'on donna pour la première fois Beethoven en France… de quoi méditer sur le son des origines (acoustique assez sèche, lieu d'où l'on entend bien partout, atmosphère assez intime, et même une certaine promiscuité dans les loges).
♫♫ Pour le reste, je ne suis pas un inconditionnel des oratorios de Haydn : de très belles choses, mais l'ensemble me touche peu. La plus-value du français n'était pas aussi bien mise en valeur que pour la Création, si bien que mon intérêt s'est un peu émoussé, je dois l'avouer, sans que l'œuvre soit en cause.
♫♫ J'ai trouvé le français des interprètes (même Clémence Barrabé !) et du chœur très correct, mais assez peu généreux vu le projet (Sébastien Obrecht, ayant travaillé la partition en 48h, étant plus expansif que ses compères). Alors que pour la Création, la limpidité du chœur (mais il n'était pas constitué des mêmes personnes, quoique portant le même nom…) et les couleurs de l'orchestre m'avaient ravi, j'ai trouvé cette fois l'orchestre plus limité (par rapport à la concurrence superlative en tout cas) et le chœur plus indifférent au paramètre linguistique. Pour finir, Aimery Lefèvre devrait vraiment s'interroger : en chantant aussi engorgé, il est inintelligible, la voix ne porte pas du tout, et ses aigus sont difficiles (ce qui, pour un baryton aussi jeune, est quand même peu rassurant). C'était déjà une tendance dans David et Jonathas il y a trois ou quatre ans, mais la voix commence vraiment à en souffrir désormais.




♥ Des tubes personnels :

♥♥ In Taverna avec l'ensemble Il Festino – et Dagmar Šašková, la meilleure chanteuse du monde. Programme entendu en septembre 2009, et que je cherchais absolument à entendre : des airs à boire de Moulinié et LULLY, entrecoupés de déclamation en prononciation restituée (par le virtuose Julien Cigana) d'extraits d'éloges du jus de la treille par La Fontaine, Rabelais, Saint-Amant ou Scarron !
De quoi se mettre en train le dimanche à 10h du matin. L'heure a sans doute un peu brouillé les cordes de la chanteuse, moins à son faîte que de coutume, mais ce programme est simplement grisant, à tout point de vue, l'une de mes grandes expériences de spectateur. (Il fallait pour cela se déplacer au Conservatoire de Puteaux un dimanche matin assez tôt, mais qui peut mettre un prix sur le bonheur ?)

♥♥ Le Concerto pour la Nuit de Noël de Corelli (par Karajan ou par les meilleurs baroqueux, toujours bouleversant, là où tout le reste de Corelli paraît tellement plus décoratif…), une Suite tirée d'Atys de LULLY. Et puis des extraits des Vêpres de la Vierge de Monteverdi et la musique pour les Soupers du comte d'Artois de Francœur. C'était le concert d'inauguration de la section musique ancienne du tout récent OJIF (Orchestre des Jeunes d'Île-de-France), censé être une formation de haut niveau auto-professionnalisante, créée au printemps dernier. Très bien exécuté (plein d'éloges et de petites réserves à émettre, bien sûr), mais les conditions climatiques extrêmes laissaient peu le loisir d'être ému : la porte largement ouverte sur la rue a vidé l'Oratoire du Louvre de toute sa chaleur… un concert assis immobile à 10°C, c'est plus pénible qu'exaltant, clairement. Un peu comme écouter Mozart pendant qu'on vous arrache les ongles. Ou comme écouter du Glass dans un jacuzzi avec une authentique glace italienne à la main sous le soleil toscan. Difficile de se départir de la douleur.



♠ Oserai-je le confesser ?  J'ai aussi assisté à des concerts d'un conformisme vertigineux – et passé un excellent moment.

♠♠ Symphonie n°38 de Mozart par l'Orchestre de Paris à la Philharmonie. (Certes, parce que je n'ai pas réussi à revendre ma place, je croyais que c'était la seule œuvre au programme, et que Zacharias dirigeait…) Inséré au sein d'un bizarre spectacle racontant vaguement la relation de W.A. avec Leopold.
♠♠♠♠ Outre que la (magnifique) symphonie était assez bien jouée (je l'aime avec plus de tranchant, mais ce n'était nullement mou) et que le tarif était ridiculement attractif (20€ pour toutes les places), expérience très intéressante pour observer un public vraiment différent. Les gens ont systématiquement applaudi entre les mouvements, et personne ne leur a dit chut ! – voilà une excellente preuve qu'il ne s'agit pas d'initiés. Et ils ont hésité en réclamant le bis, je crois qu'ils attendaient une conclusion (moi aussi, à vrai dire), puisque Mozart et son père s'asseoient pour regarder la symphonie (et le tout durait à peine plus d'une heure), on pourrait attendre une petite fin théâtrale… Le violon solo Philippe Aïche, dans son élégance habituelle, se lève alors et entraîne l'orchestre avec un geste qui semble dire vous avez pas assez applaudi, tant pis pour vous – on dit toujours qu'on veut s'ouvrir, mais on préfère quand même traiter avec ses semblables, pas avec les bouseux qui découvrent le concert.
♠♠♠♠ J'essaierai de produire une notule pour explorer cette question des codes du concert et plus largement de la compréhension de la musique classique – y a-t-il des limites à ce qu'on peut faire aimer à un auditeur occasionnel ?  Perçoit-on réellement l'essence des œuvres quand on n'est pas musicien / mélomane aguerri ?  Sujet passionnant (et inconfortable).

♠♠ Symphonies 1, 4 et 7 de Beethoven par l'Orchestre des Champs-Élysées et Herreweghe. Enfin pu entendre la Première en vrai… du niveau des plus grandes. Et la dernière notule traite justement de la Quatrième. Herreweghe ne cherche pas l'effet, tout est joué avec simplicité, une sorte d'exécution-type sur instruments anciens, et cette musique est déjà si forte que c'est assez parfait – en tout cas ce que je cherchais ce soir-là. Étrangement, la 7 (pourtant à peine plus entendue que la 1 sur ma platine…) m'a moins fortement touché – peut-être parce que j'entendais la 1 pour la première fois (la 7 que pour la seconde, cela dit, et à 15 ans d'intervalle…), et que je me convertissais enfin résolument à la 4.

♠♠ Les Nuits d'Été de Berlioz dans sa version (originale) pour baryton, par Christian Gerhaher… la franchise du texte (il ose de ces sons ouverts !) est exceptionnelle, et le caractère plus « parlé » d'un timbre de baryton tire l'œuvre hors des évocations vaporeuses habituelles vers du texte brut – Théophile Gautier en paraît presque sauvage et échevelé !  Par ailleurs les Pièces opus 16 de Schönberg, que j'aime beaucoup, mais qui en concert manquent justement de direction, de propos continu. D'éphémères belles associations de timbre. Et pour finir, la Deuxième Symphonie de Schumann dirigée par Daniel Harding : le public a trouvé le Mahler Jugendesorchester formidable, et il l'est d'ordinaire… pourtant, je lui ai (i.e. nous lui avons, un contributeur de CSS y était aussi…) trouvé un petit manque de tranchant, une superposition des timbres pas toujours parfaite, quelques flottements (et même un trait de violons vilainement raté) : les moments les plus rapides leur imposaient la performance, et ils étaient alors remarquables, mais le reste du temps, il manquait un rien d'abandon ou d'intensité, difficile à définir. Considérant leur âge visiblement très tendre, c'est probablement le début d'une session, et on entendait surtout la différence avec les orchestres permanents qui jouent ensemble depuis des décennies.
♠♠♠♠ En tout cas, contrairement à ce qu'on peut supposer (le Jugendesorchester, parrainé par Abbado, à sélection internationale, multi-enregistré), les élèves du CNSM, entendus en janvier dans la même œuvre, était deux coudées au-dessus (au niveau des plus grands), aussi bien en matière de précision que d'enthousiasme palpable.
♠♠♠♠ Il faudra bientôt songer à imposer des quotas paritaires dans les cordes : trois hommes (dont le violoncelle solo, certes, et deux dernières chaises en violon). Tout le reste constitué de jeunes filles (toutes blanches, ouf, on peut encore travailler à diversifier le recrutement).



♦ Pour finir, du théâtre :

♦♦ Suddenly Last Summer de Tennessee Williams, à l'Odéon. Braunschweig y retrouve les lents dévoilements des pièces d'Ibsen, tout étant centré autour du récit du souvenir indicible de la mort de celui dont tout le monde parle… à la différence que le dévoilement est ici souhaité (et clôt la pièce, en sauvant peut-être les personnages), et non vu avec effroi comme inévitable et destructeur. Belle pièce néanmoins, plutôt bien dite, dans un jardin en plastique pas très élégant et une mise en scène pas très mobile mais fluide, où l'on ne retrouve pas les tropismes de Braunschweig pour les pull gris et les murs en noir et blanc.
♦♦♦♦ Les comédiens sont lourdement sonorisés, mais peut-il en aller autrement dans la salle de 1819, très vaste, et en tout cas très haute ?  Pourtant, c'était le siège du Second Théâtre-Français, là où Berlioz connut ses émois shakespeariens, là où Sarah Bernhardt jouait Racine…  Voilà qui repose grandement la question de notre acceptation du son qui n'immerge pas, ou, plus grave, de la technique vocale des comédiens d'aujourd'hui. Vastes sujets.



Il est temps à présent d'interroger avril.



avril 2017
Putti-atlantes dans la salle de 1819 de l'Odéon, sous le regard du mascaron.



2. La pelote d'Avril

Les vacances scolaires de la zone C font toujours décroître (pour une raison inconnue) l'offre francilienne. Il y a néanmoins de quoi s'occuper. Parmi tout ce qu'on peut voir, quelques soirées dont vous avez peut-être raté l'annonce.
(Organisé plus ou moins par ordre de composition à l'intérieur par catégorie.)


► Lieder et autres monodies vocales :
■ Le 29, Hôtel de Soubise, Eva Zaïcik chante Léandre et Héro de Clérambault, la Deuxième Leçon de Ténèbres de Couperin et une cantate pastorale de Montéclair. Générosité et grande expression au programme avec elle !
■ À la Cité de la Musique, Lehmkuhl et Barbeyrac chantent des lieder de Schubert orchestrés. Avec Accentus et Insula Orchestra, le 27.
■ Lieder de Clara & Robert Schumann, de Brahms aussi, le 20 midi par Adèle Charvet (Orsay ou Petit-Palais).
■ Lieder de Liszt, Wagner, Brahms, Weill, Stolz, Zeira… et Viardot, par la mezzo Hagar Sharvit, aux Abbesses le 23.
■ Pot-pourri des Lunaisiens avec Isabelle Druet, salle Turenne le 21.


► Opéra :
■ Je signale en passant qu'à Rennes, le 6, l'ensemble Azur donnera des chœurs tirés des Noces de Thétis et Pélée de Collasse, l'un des ouvrages les plus repris de la tragédie en musique, et qui attend toujours d'être intégralement remonté de nos jours.
■ Bien sûr Alcyone de Marais à l'Opéra-Comique ) : à partir du 26, Jordi Savall y rejoue l'œuvre qu'on n'a guère dû entendre depuis l'ère disque Minkowski, au début des années 1990. Je ne trouve pas tout à fait mon compte dans les opéras de Marais, plus un musicien sophistiqué qu'un maître du récitatif et de l'expression verbale fine, mais il faut admettre qu'Alcyone, malgré le risible livret du redoutable Houdar de La Motte, a ses moments spectaculaires, dont la tempête dont le figuralisme et les moyens nouveaux (pour partie italiens, mais pas seulement) firent date. Même si Savall m'a plutôt effrayé lorsque je l'ai entendu (il y a près de quinze ans) en jouer la Suite de danses (que c'était sec !), l'équipe dont il s'entoure plaide pour le sérieux de l'entreprise (quelle distribution vertigineuse !).
La Fille des Neiges de Rimski-Korsakov à Bastille, évidemment, même si la relecture sexu(alis)ée de Tcherniakov ne sera pas forcément propice à la découverte candide, disons.
■ Une opérette mal connue de Maurice Yvain, Gosse de riche, au Théâtre Trévise (L'inverse par les Frivolités Parisiennes, les 12 et 19 ; de la musique légère, mais qui sera encore une fois servie au plus haut niveau, jouée avec la rigueur d'un Wagner mais l'entrain de jeunes passionnés. d'un ballet joué par l'Orchestre de l'Opéra, donc.)
■ Des extraits de Licht, le méga-opéra de Stockhausen présentés pour tous publics à 10h et 14h dans la semaine du 24, à l'Opéra-Comique. Cela reprend aussi en septembre. Très intriguant (d'autant qu'il y a vraiment de tout dans cet opéra, du récitatif de musical jusqu'aux œuvres instrumentales les plus expérimentales…).
The Lighthouse de Peter Maxwell Davies à l'Athénée à partir du 21, un opéra-thriller assez terrifiant, dans le goût du Tour d'écrou : les marins d'un bateau de ravitaillement pénètrent dans un phare dont les gardiens semblent avoir disparu. Musicalement pas toujours séduisant (mais accessible et en rien rebutant, simplement une forme de Britten atonal, quelques jolis effets instruments de type cors bouchés en sus), mais très prenant, et ce doit être encore plus fort sur scène !
Trompe-la-mort de Francesconi se joue toujours à Garnier. Je ne l'ai pas encore vu, mais de ce que je peux déduire de la musique habituelle de Francesconi, il y aura de belles couleurs et de belles textures ; leur adaptation à une structure dramatique et aux contraintes d'une claire prosodie me laissent plus réservé, il faut tester – j'ai lu tout et son contraire à ce sujet, excepté sur la mise en scène de Guy Cassiers qui semble être partout louée.


► Sacré & oratorio :
Odes de Purcell par Niquet à Massy le 22.
■ Un office musical à Paris en 1675, sur la musique de Charpentier, par Le Vaisseau d'or (Sainte-Élisabeth-de-Hongrie, le 1er, libre participation).
Leçons de Ténèbres de Charpentier (plus austères que les fameuses Couperin) par les excellents Ambassadeurs de Kossenko, avec la basse Stephan MacLeod, probablement l'homme au monde a avoir le plus chanté ces œuvres… Oratoire du Louvre, le 5.
Leçons de Ténèbres de Couperin par l'Ensemble Desmarest, Maïlys de Villoutreys et Anaïs Bertrand, rien que d'excellents spécialistes (et une de nos protégées du CNSM, qui a déjà de très beaux engagements).
Une Passion de Telemann à la Cité de la Musique le 15 à 16h30… je n'ai pas vérifié laquelle, il en a écrit quelques dizaines (je n'exagère pas), et dans des styles assez divers, italianisantes ou plus ambitieuses musicalement, dont certaines valent bien les Bach – et d'autres pas grand'chose. C'est assez tentant néanmoins, on n'en entend jamais, toujours les Bach – et quelquefois Keiser, sans doute parce qu'on l'a d'abord attribué par erreur à son collègue lipsien.
■ Le Repas des Apôtres de Wagner, sorte de longue choucroute homophonique qui ressemblerait à du Bruckner sans aucune inspiration – le Wagner de Rienzi, en somme. Mais c'est très rare (et pour cause). Peut-être qu'en vrai, on en sent mieux la nécessité ?  Couplé avec le Second Concerto pour piano de Brahms et la Symphonie en ut de Bizet, joués par la Garde Républicaine… amateurs de cohérence programmatique et de belles notes d'intention s'abstenir.
■ Les Sept Dernières Paroles, un des chefs-d'œuvre du spécialiste de musique chorale sacré James MacMillan. Couplé avec celles de Haydn, d'abord écrites sans voix puis, devant le succès, réadaptées en oratorio. Par l'Orchestre de Chambre de Paris à la Cité de la Musique, le 15.


► Symphonique :
■ Un héros d'avril a dit : « ce que tu as à faire, fais-le vite ». C'est étrange, je vais lui obéir (a dit un autre héros de séans). Je me contente donc de signaler la Quatrième Symphonie de Bruckner, pas du tout rare, mais l'association Eliahu Inbal-Philharmonique de Radio-France produit toujorus de très grands moments de musique – et particulièrement concernant Bruckner, j'attends toujours de trouver l'équivalent de leurs Deuxième et Neuvième, entendues à Pleyel et à la Philharmonie.


► Chambrismes :
■ Les dimanches à 17h, au club du 38 Riv', si vous aimez la viole de gambe solo ou avec clavecin, il y aura trois concerts qui parcourront assez bien ce répertoire. Je ne garantis pas l'excellence, ça dépend des soirs pour l'Association Caix d'Hervelois qui les organise…
■ Les Sept Dernières Paroles de Haydn pour quatuor, avec texte déclamé, à l'Amphi de la Cité de la Musique, le 14.
Nos chouchous du Trio Zadig joueront Tchaïkovski et Chostakovitch n°2 à l'Hôtel de Soubise le 22.
Œuvres et arrangements pour harpe à l'Hôtel de Soubise le 8 :  Villa-Lobos (études), Fauré (impromptu), Mendelssohn (romances), Bach (fantaisie Chromatique), Schüker. Par Pauline Haas.
Piano original le midi au Musée d'Orsay le 25 : Mompou, Takemitsu, Granados, Satie, et parce qu'il faut bien vivre, Chopin, Debussy et Ravel, par Guillaume Coppola.
L'Octuor de Mendelssohn, la Seconde Symphonie de chambre de Schönberg et la Sinfonietta de Poulenc seront données au CRR de Boulogne-Billancourt et au Centre Événementiel de Courbevoie les 13 et 14. Gratuit.
■ Extraits des quatuors de Walton (final) et Bowen (mouvement lent), Phantasy pour hautbois et trio à cordes de Britten, ses Métamorphoses pour hautbois solo, Lachrimæ de Dowland, création d'un élève du CNSM… Salle Cortot, le 1er, à 15h.
Menotti pour deux violoncelles, et puis Bruch (Kol Nidrei), Tchaïkovski et Schubert (Arpeggione) à l'Auditorium du Louvre, le 28.
■ À Herblay, les Percussions clavier de Lyon, le 28.
■ Pour finir, des cours publics du Quatuor Ébène dans les salles les plus intimes du CNSM, une expérience extraordinaire de se mêler aux étudiants en plein travail, la dernière fois, nous étions seuls, la partition sur les genoux, en train de suivre l'évolution du Trio de Chausson. Magique. 10h à 19h les 26 et 27, si vous le pouvez. C'est gratuit.


► Théâtre, ce que j'ai prévu pour ma conso personnelle, rien que du patrimoine pas très original :
■ Marivaux – L'Épreuve – Théâtre Essaion
■ Marivaux – Le Petit-Maître corrigé – salle Richelieu
■ Kleist – La Cruche cassée – salle Richelieu
■ Odéon – Soudain l'été dernier – Odéon. Fait pour ma part (cf. commentaire supra).
■ d'après Zweig – La Peur – Théâtre Michel
■ d'après Renoir – La Règle du jeu – salle Richelieu


avril 2017
Dans la salle de l'ancien Conservatoire, au centre des médaillons des grands dramaturges et musiciens figurent, sur le même plan, Eschyle et… Orphée.



3. L'avenir de l'agenda de CSS

J'avoue éprouver une relative lassitude dans la confection de ces programmes. Ils prennent pas mal de temps à élaborer, tandis que j'aurais plutôt envie de parler de choses plus précisément étayées et plus généralement musicales, moins liées à l'offre francilienne : des bouts d'œuvre avec des extraits, des questions de structure musicale ou de technique vocale, plutôt que d'empiler les commentaires sur des concerts qui n'ont pas encore eu lieu, avant le premier du mois suivant…

Ces notules ne paraissent par ailleurs pas spécifiquement plus lues que les autres – je laisse de côté les cas, hors concours, où je parle de Callas, Carmen, des fuites dans les saisons parisiennes, ou des quelques occurrences où je suis en tête de Google (opéra contemporain, conseils aux jeunes chanteurs). Je me sens un peu le responsabilité, puisque cette base de données existe, de promouvoir les ensembles qui font l'effort et prennent le risque de proposer un répertoire renouvelé, mais ce n'est pas un office particulièrement exaltant à réaliser.

D'où cette question : y trouvez-vous un intérêt ?  Vous en servez-vous ?

Si cette notule reçoit moins d'une centaine d'éloges éloquents dans les commentaires ci-dessous, je ne suis pas sûr de poursuivre ce format-ci dans l'avenir. Du temps supplémentaire pour des notules de fond – il y a La Tempête, musique de scène de Chausson écrite pour marionnettes, un opéra d'un Prix de Rome où Georges Thill tenait le rôle d'une grenouille amoureuse, et quelques autres sujets qui sont, comme vous pouvez vous le figurer, un peu plus amusants à préparer qu'un relevé fastidieux.



Quoi qu'il en soit, les bons soirs, vous pourrez toujours effleurer la réverbération de ma voix cristalline dans les coursives étroites des salles louches cachées au fond des impasses borgnes.

mercredi 4 janvier 2017

Les épris de janvier


Après un décembre de folie, temps du bilan et du prochain planning. (Celui pour le mois en cours figure ici.)



1. Bilan de décembre

17 concerts en trois semaines (du 1er au 22), et 11 concerts en dix jours du 8 au 17. Sans être près du tout d'épuiser l'offre, mais décembre était richement doté cette année.

J'avais arrêté le dernier bilan, lors de la précédente notule d'annonce, au 20 octobre. Encore une fois, je pourrais lister tout ce à quoi j'ai renoncé (Charpentier par Kožená, Histoire du lied par la Compagnie de L'Oiseleur, Čiurlionis & Naujalis aux Invalides, et quelques concerts de chouchous, Beethoven 15 par le Quatuor Arod, Mendelssohn 1 par le Trio Zadig…), mais la récolte fut plutôt bonne néanmoins.


♥ Des inédits absolus, ou peu s'en faut :
    ♥♥ Un oratorio d'Antonio Bertali (La Strage degl'Innocenti) dans l'esthétique intermédiaire entre Monteverdi et le seria, sans doute une première française ; et deux motets de Jakob Froberger, d'une italianité un peu raidement germanisante, mais qui documente un pan de son œuvre que je n'avais jamais pu dégoter au disque !
    Par les étudiants du CNSM, Cécile Madelin et Paul-Antoine Benos (qui éblouit encore une fois par sa gloire sonore et sa diction, un falsettiste pourtant !) en tête. Il reste pour beaucoup des jeunes chanteurs (sauf Pablo García !) encore un gros travail de déclamation italienne à faire pour soutenir des œuvres aussi nues, qui réclament une intervention rhétorique majeure de l'interprète.

    ♥♥ L'Île du Rêve, premier opéra de Reynaldo Hahn, certes pas son meilleur, mais regorgeant de grâces, évoquées dans une notule à part avec extraits sonores (distribution entièrement francophone et rompue à l'art de la belle diction !).

    ♥♥ Programme de mélodies évoquant l'Orient de l'infatigable Compagnie de L'Oiseleur… énormément de découvertes ; les plus belles propositions sont celles, sans réelle surprise, de Louis Aubert (le cycle complet existe chez Maguelone) et Roland-Manuel (qui vit une année faste !).

    ♥♥ Cantate du Prix de Rome Antigone et opéra Brocéliande d'André Bloch (pas Ernest) par la Compagnie de L'Oiseleur. Un grand choc !  Antigone est une excellente cantate pour le Prix, et Brocéliande est un petit bijou, quelque part entre Cendrillon de Massenet mais aussi Duparc, Pelléas… Et tout cela servi par Mary Olivon (dans le rôle de l'orchestre) à son sommet, et deux découvertes vocales majeures, Marion Gomar et Georges Wanis, deux formats dramatiques aguerris que les grandes scènes ne devraient pas tarder à s'arracher.


♣ D'autres œuvres peu fréquentes :
    ♣♣ Iphigénie en Tauride de Goethe. La pièce est un décalque d'Euripide, qui met néanmoins l'accent sur des thématiques propres aux Lumières, telle  l'émancipation (y compris de la femme). C'est un peu long sur scène, mais fonctionne bien, malgré la mise en scène assez vide de Jean-Pierre Vincent (et la diction de Cécile Garcia Fogel, caricature de l'artificialité théâtrale, sans que je puisse déterminer ce qui est délibéré et ce qui est faussé), sans jamais accepter totalement le décalage comique non plus. Faire dire placement ce qui devrait être intense, pourquoi pas, mais à un moment, il faut l'accepter comme principe ; au contraire, j'ai l'impression que les artistes espèrent malgré tout nous saisir par l'intensité du texte. C'est surtout le décor de Jean-Paul Chambas qui remplit bien son office… Heureusement que la pièce était de qualité décente. (Je ne m'explique pas comment on peut présenter quelque chose d'aussi peu abouti sur une scène subventionnée prestigieuse, qui pourrait sélectionner n'importe qui parmi les meilleurs.)

    ♣♣ Elias de Mendelssohn par l'Ensemble Pygmalion. Fréquent en Allemagne, très rare en France, peut-être le sommet de l'oratorio romantique, malgré toutes ses références à Bach et Haendel. Très belle inteprétation sur instruments anciens, où se distinguaient en outre deux solistes formidables : Anaïk Morel (quelle autorité pleine de simplicité !) et Robin Tritschler (clair mais très projeté). Une notule a été consacrée à l'œuvre, à ses sources bibliques composites, à sa discographie.

    ♣♣ Le Paradis et la Péri de Schumann a souffert auprès du public de la comparaison avec les Scènes de Faust et Élie, donnés dans le même trimestre, mais j'étais content de l'entendre en vrai, remarquablement servi de surcroît (Christianne Karg, Kate Royal, Andrew Staples, Matthias Goerne, et le Chœur de l'Orchestre de Paris par-dessus tout). Repéré quelques détails touchants (l'attente syncopée aux cordes de la bien-aimée qui redescend dans la vallée empestée, alors que son fiancé la croit en sécurité, et que le texte ne nous l'a pas encore révélé !), et d'une manière générale une bien belle œuvre, malgré son livret sans intérêt et son orchestration très terne.
   
    ♣♣ Sancta Susanna de Hindemith. La partition est un bijou de thèmes récurrents triturés, sans cesse mutants, d'essais de couleurs harmoniques successives. Dramatiquement, en revanche, c'est un peu court (surtout après une Cavalleria rusticana qui n'a rien à voir psychologiquement et musicalement) pour pouvoir s'immerger dans le langage et l'esprit, surtout avec ce livret très abrupt et fort peu explicite (ou alors, pas dans ce sens-là !). Je suis resté à la porte, alors que j'étais familier du livret et que j'adore me jouer la partition au piano, voire improviser à ma guise sur la matière. Le public semblait très content – il faut dire que glottologiquement parlant, Anna-Caterina Antonacci n'a jamais aussi bien chanté, avec des aigus qu'on ne lui avait jamais connus !

    ♣♣ El Niño, un des tout meilleurs Adams, jamais rejoué en France depuis sa création en 2000 au Châtelet. Autour de textes inspirés par la Nativité (essentiellement des textes canoniques, plus des poèmes de langue espagnole), une suite de tableaux sonores assez prégnants et spectaculaires. J'aime beaucoup le dispositif de la basse qui relaie la colère et le doute, ou la relecture très poétique du Magnificat. Au disque, on peut trouver les sonorités artificielles, certaines sections un peu bavardes. En salle, rien, c'est formidable de bout en bout. J'aimerais d'autant plus entendre Doctor Atomic (qui devrait en plus bien remplir…) à l'Opéra… Amsterdam et Strasbourg l'ont donné, une petite coproduction me ferait plaisir, merci. (Veuillez noter, estimés programmateurs, si vous me donnez en échange Satyagraha ou même Nixon, ma malédiction pèsera longuement sur vous et vos infâmes rejetons.)


♪ Quelques-uns de mes interprètes chouchous :
    ♫ Quatuor n°7 de Beethoven par le Quatuor Hanson. Une pureté d'exécution très intéressante, qui laisse l'œuvre respirer à nu. Pas de gros son ici !  [notule de présentation]
   
    ♫ Kindertotenlieder de Mahler au CNSM, avec la voix incroyablement physique du baryton-basse Edwin Fardini. L'aspect pédagogique de la présentation était, comme d'habitude, moins réussi – l'étudiante n'a pas eu autant de pratique qu'en instrument, tout simplement. Rien d'indigne non plus, très court et assez intéressant ; il manquait surtout le sentiment d'un but (et c'était aussi assez peu accessible sans être déjà bien familier des pièces). Considérant qu'il s'agit d'entraînements dans le cadre intimiste du Salon Vinteuil, c'était très bien. [deux notules sur le cycle : présentation générale et style]

    ♫ Le Trio de Chausson (ou du moins son premier mouvement) par le Trio Sōra, d'une intensité exceptionnelle, qui ne se relâche jamais… Je ne suis pas un inconditionnel de l'œuvre (belle mais répétitive, et d'un lyrisme jamais lumineux), pourtant ici, j'ai cru voir la lumière – à la réécoute des meilleurs disques, non, c'était juste ce que nous appellerons désormais l'effet Sōra. J'ai de l'admiration pour Gabriel Le Magadure (second violon du Quatuor Ébène, réparti pour donner des masterclasses) qui a trouvé des remarques intéressantes à faire – en débusquant tout ce qui n'avait pas été interrogé. (Même si, à mon avis, la première proposition était plus intéressante que le surinvestissement d'effets dans une musique déjà chargée, il est très utile d'ouvrir ce type de possibilité pour un jeune ensemble qui n'a pas encore éclusé le répertoire courant – à supposer qu'on puisse qualifier ainsi le Trio de Chausson !)
    L'intimité était aussi un plaisir : nous n'étions que deux, côte à côte dans la salle Dukas, à nous ébahir, partition de main, de la beauté fulgurante de cette séance de travail. Le CNSM est aussi l'eldorado du mélomane.


♠ Et, parce que la chair est faible, quelques quasi-scies orchestrales et autres célébrations de la Glotte triomphante :
    ♠♠ Symphonie n°5 de Sibelius par l'ONF et Slobodeniuk. Après un (premier) concerto de Brahms complètement étouffé, une belle Cinquième, très russe (les pizz assez legato du mouvement lent évoquent assez Tchaïkovski) – tout juste un petit manque d'exaltation dans le final à mon gré.
   
    ♠♠ Symphonie n°4 de Nielsen par le Philharmonique de Radio-France et Osmo Vänskä. Je projetais (et ferai peut-être) une notule dessus, avec extraits sonores. Car Vänskä, comme dans son intégrale discographique avec le BBCSO, peut-être la meilleure de toutes celles parues, d'un équilibre et d'une poésie admirables, évite tous les écueils de l'écriture orchestrale de Nielsen (en plus de produire quelque chose de beau). En particulier les contrebasses très thématiques, qui peuvent donner l'impression d'un manque d'assise rythmique sur les temps forts (occupées à phraser des mélodies plutôt qu'à jouer avec la pulsation) ; ici, Vänskä laisse toujours très sensible la trame rythmique et l'élan d'ensemble. Une magnifique Quatrième, du niveau des meilleures (dont la sienne) au disque. [Vraiment supérieur à ses Sibelius, bons mais pas ultimes comme ses Nielsen.]
    En ouverture de programme, la Suite des Comédiens de Kabalevksi, très plaisante, mais assez au delà de la simple suite néo-classique vaguement grinçante qu'on aurait pu attendre.
   
    ♠♠ Musique de chambre de Schumann (Märchenerzählungen, Quatuor n°3) et Kurtág (Trio d'hommage à R. Sch. et Microludes pour quatuor) par des musiciens de l'Ensemble Intercontemporain et de l'Orchestre de Paris. Programme jubilatoire, mais un brin déçu par l'exécution, pour des raisons que j'aimerais détailler à l'occasion (voir la notule correspondante) : je ne suis pas persuadé qu'il soit raisonnable d'aller voir des quatuors d'orchestre, même lorsqu'ils jouent des œuvres rares. À chaque fois (Opéra de Paris dans Magnard, National de France dans Saint-Saëns, Orchestre de Paris dans Schumann et Kurtág), l'impression d'un manque de cohésion, voire d'implication. On le perçoit très bien dans la comparaison entre le violon solo de l'Intercontemporain, d'une netteté incroyable (premier violon dans les Microludes, second dans le Schumann où on ne l'a jamais aussi bien entendu !), tandis que les musiciens de l'Orchestre de Paris étaient (et c'est logique, vu leur pratique d'orchestre), beaucoup moins dans l'exactitude de l'attaque, plus dans une sorte de flux général… Ils ont eu peu de répétitions, et en tout cas rien de comparable avec un ensemble constitué qui répète tous les jours la demi-douzaine de mêmes œuvres pendant un trimestre !  (Quant au niveau requis pour intégrer l'Interco, c'est tout de bon un autre monde.) Bien que je les croie parfaitement de bonne volonté (je doute qu'on fasse ces concerts supplémentaires par obligation), il n'y a pas vraiment d'intérêt à écouter des quatuors par des ensembles éphémères, dès lors qu'on a le choix de l'offre – et les Microludes comme le Troisième de Schumann sont programmés assez fréquemment.
   
    ♠♠ The Messiah de Haendel par le Concert Spirituel. Toujours une délectation intense d'entendre ce bijou. S'il y a bien une œuvre vocale qui justifie sans difficulté son omniprésence… En plus, le livret syncrétique y est très réussi.
    Pas forcément convaincu par les partis pris de Niquet : tempo assez homogène comme toujours, mais pas mal d'effets discutables pour se différencier. Pourquoi faire le mordant He Trusted in God (le chœur des moqueries de la foule « que son Dieu le délivre ! ») et le triomphal Hallelujah complètement susurrés ?  Faire différent, soit, mais cela va tellement à rebours du texte et même de la musique (le contrepoint râpeux du premier, les trompettes et l'harmonie simple du second)… Par ailleurs, alors qu'il contient quantité de mes chouchous (Agathe Boudet bien sûr, Édwige Parat, Jean-Christophe Lanièce, Igor Bouin…), je trouve le chœur un brin terne, pas particulièrement baroque, ni anglais, ni français. Peut-être lié à l'impermanence des participations (et au grand nombre), mais d'autres parviennent bien mieux à typer des formations vocales très éphémères. À part Sandrine Piau dont l'anglais était assez éprouvant (et la voix très opaque, sans doute faute d'habitude), très beau plateau, où j'ai beaucoup aimé la tendance à sous-chanter sur des voix voluptueuses, chez Anthea Pichanik et Robert Gleadow : mettre ainsi en valeur le texte lorsqu'on a tant d'atouts purement vocaux à faire valoir, quel plaisir !
   
    ♠♠ Iphigénie en Tauride, de loin le meilleur opéra de Gluck (ce n'est pas comme s'il y en avait beaucoup de réellement bons), dans la mise en scène (réaménagée) de Krzysztof Warlikowski. Je la voyais pour la première fois, et outre son absence de réel rapport avec l'intrigue, j'ai surtout été frappé par un vilain paradoxe dans la gestion de l'espace, rapportée aux déclarations du metteur en scène.
    Musicalement, plateau superbe et (outre Stanislas de Barbeyrac, glorieux) différent de ce qui était attendu : Véronique Gens, désormais habituée du répertoire XIXe où elle ne connaît pas d'égale, était plus vaporeuse que d'ordinaire (splendide néanmoins, mais la diction pas du tout ciselée comme à l'ordinaire) ; Étienne Dupuis, dont la voix paraît sombre et un brin tassée en retransmission, et se révélant au contraire en salle claire, libre et sonore !  En revanche, que l'Opéra de Paris ne puisse pas recruter un Scythe (deux phrases à dire) capable d'articuler un vague français et de chanter en rythme dans un timbre pas trop désagréable paraît à peine concevable – et cela repose la question des critères de l'Atelier Lyrique, notamment. Sans être du tout au même degré, Thomas Johannes Mayer était une fausse bonne idée : il n'a pas dû auditionner, et lui qui est audible dans Wagner à Bastille, le voilà, en (mauvais) français, tout corseté de partout… la voix surdimensionnée et le grand diseur constituaient un bon point de départ, qu'il aurait été avisé de vérifier.
    Contrairement à la création de la production, où les Musiciens du Louvre officiaient, l'Orchestre de l'Opéra était cette fois dans la fosse, avec Bertrand de Billy qui joue souvent (et assez bien, d'ailleurs) cette œuvre dans les plus vénérables maisons. Mais le manque d'habitude ainsi que d'investissement, sans être du tout infâme, finit dans une certaine mollesse – l'acte I fonctionne bien, mais dans l'acte II plus contemplatif, l'entrain semble avoir définitivement déserté les rangs.

    ♠♠ Don Giovanni au Théâtre des Champs-Élysées. Pas prévu initialement, et seulement tenté pour entendre Jean-Sébastien Bou et voir la mise en scène de Braunschweig autrement qu'en retransmission. Et grande mandale : Don Giovanni n'est pas Don Giovanni pour rien ! Comme tout y est fin, sophistiqué, juste, très au delà de tous les opéras du temps (à quelques exceptions près dont j'ai souvent parlé, comme les Salieri et Vranický d'avant-garde). Et l'entendre, le nez dans la fosse musicologiquement informée du Cercle de l'Harmonie, avec la finesse de la direction d'acteurs de Braunschweig – tout le contraire des metteurs en scène à concept et dispositif, rien de visible quasiment, tout est dans la façon de faire mouvoir les acteurs, réplique après réplique… un grand choc. En outre, Bou, Boulianne et Gleadow (dont la voix a une remarquable présence en vrai) sont d'admirables acteurs. Assez sensible notamment à l'épisode où l'imposture de Leporello est consommée avec Elvira, qui crée ou éclaire le malaise sous-jacent des scènes suivantes. Et par-dessus tout, l'ivresse communicative de cette musique ; même les airs décoratifs secondaires (comme ceux de Zerline ou Ottavio) sont joués avec une conviction qui les rend passionnants. L'impression de venir à l'Opéra pour la première fois, à regarder les instruments avec des yeux ébaubis.


Missions accomplies, donc : un décembre de jouissances… et la preuve ultime de la clairvoyance de mes conseils. Tenez-le vous pour dit, voici les suivants qui arrivent !



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En avant pour de nouvelles aventures !
Atelier marseillais d'après Jean MATHIAS.
(Musée du Louvre.)



2. Un janvier sobre

Malgré un emploi du temps assez libre en début de mois, difficile de trouver (en dehors du théâtre et des expositions qui débordent en permanence) beaucoup de concerts un peu originaux en cette période. Voici tout de même les quelques perles que j'ai relevé pour mon usage personnel.

► Œuvres rares, programmes originaux → airs de cour, lieder
Airs de cour et pièces de Strozzi, Byrd, Hume, Purcell… (Révillion, le 18 à 12h30). Gratuit.
Airs de cour de Le Camus et ceux célèbres de Lambert et Charpentier ; pièces pour clavecin de d'Anglebert et (Louis) Couperin. Léa Desandre (du Jardin des Voix) et Violaine Cochard, à l'Hôtel de Soubise, le dimanche 8 à 12h30. Gratuit.
Airs de cour et musiques de Caccini, Strozzi, Carissimi Humphrey, Lambert, Purcell au 38 Riv'. 15€.
Mélodies de Guy Sacre (avec Billy Eidi, grand spécialiste du piano français du premier XXe siècle, qui en a publié il y a peu un second volume chez Timpani). Un compositeur vivant qui écrit dans le goût du Groupe des Six, avec sa couleur propre, vraiment à découvrir. Et c'est gratuit, au CRR rue de Madrid (le 14 à 16h30).
Programme transversal de Georg Nigl comme chaque année à la Cité de la Musique : de Monteverdi à Xenakis, avec du pianoforte, du théorbe… Le 28 à 20h30.

► Œuvres rares, programmes originaux → opéra et théâtre musical
■ Recréation de Chimène ou le Cid de Sacchini. Les Nouveaux Caractères en avaient donné des extraits, et j'en avais même tracé les points communs avec Don Giovanni dans une notule déjà ancienne. À Saint-Quentin les 13 et 14, et plus tard à Massy et Herblay, par le jeune Concert de la Loge Olympique.
Le Songe d'une nuit d'été d'Ambroise Thomas par l'insatiable Compagnie de L'Oiseleur. Pas le plus grand Thomas, mais un bel opéra comique encore un peu belcantiste et tourné vers Auber, et qui parle en réalité de Shakespeare et d'Élisabeth Ière (Temple du Luxembourg, le 18). Au chapeau.
Hänsel und Gretel de Humperdinck au Conservatoire Régional de Boulogne-Billancourt (le 7 à 17h), dans une transcription pour neuf cuivres, percussions et récitant. Ce doivent essentiellement être des extraits, et il n'y a pas de chanteurs, ce devrait être très amusant (prévu pour le jeune public, conseillé de réserver). 10€ l'entrée, je crois.

► Œuvres rares, programmes originaux → musique pour grands ensembles (orchestraux et choraux)
■ Pièces pour violon et orchestre d'Ysaÿe, Hersant (et manifestement un arrangement d'une mélodie de Fauré) au CRR de Paris. Gratuit. Ça ne me paraît pas très tentant (et le niveau n'est pas forcément professionnel), mais c'est assurément rare !
■ La Musique pour cordes et cuivres de Hindemith, couplée avec la Cinquième Symphonie de chambre de Milhaud, par Éric van Lauwe et ses musiciens (le 7 à 20h30, Sainte-Croix-des-Arméniens). Gratuit ou au chapeau.
Programme pour chœur très varié au CRR de Paris : Mendelssohn, Ravel, Lutosławski, Kabalevski, Rutter, Aboulker, Kocsár…
Chœurs d'Alfvén, Tormis, Sandström, Rautavaara, Sallinen et Salonen par le Chœur de Radio-France le 22 à 16h.

► Œuvres rares, programmes originaux → musique de chambre et solos
■ La Symphonie n°3 de Beethoven (premier mouvement) dans la transcription pour quatuor avec piano de son contemporain Ferdinand Ries. Couplé avec le Troisième Quatuor avec piano de Brahms, par les musiciens de l'OCP (salle Cortot, le 21 à 15h). 15€.
Mendelssohn, le rare (et remarquable) Sextuor avec piano et contrebasse. Coeytaux & membres de l'ONF Le 28 à 16h, 18€.
Trios de Chaminade, Bonis et Debussy au musée Henner (le 12 à 19h15). Ce n'est pas le meilleur de chacun de ces compositeurs (sauf pour Chaminade, qui n'est pas forcément une grande compositrice d'ordinaire et tient ici très bien son rang), mais c'est assurément rare. Gratuit ou pas cher, à vérifier.
■ Les meilleurs quatuors de Stenhammar (4), Szymanowski (2) et Chostakovitch (7) par le Royal SQ. (le 21 à 16h, Maison de la Radio, 15€).
Programme poèmes et piano, mettant en relation les poètes français avec les nuits agitées des Heures Dolentes de Dupont ou de La Fille aux cheveux de lin – enragée de Kurtág… CRR de Paris, le 25. Gratuit.
■ Programme de pièces françaises pour violon et piano : Vieuxtemps, Ysaÿe, Caplet, Satie, Honegger, L. Boulanger, Milhaud… Par les étudiants du CRR de Paris, le 26 (à 18h).
Sonates pour violon et piano : Debussy, n°2 de Ropartz, et une pièce de Lili Boulanger, avec ♥Stéphanie Moraly. Le 26 à 20h au CRR de Paris, et ce doit être gratuit.
■ Concert de quintette à vent dans Ligeti, Briccialdi et Tomasi (faculté de médecine de Bobigny).
■ Pièces pour orgue des grands lettons Ešenvalds, Kalējs, Kalniņš, Vasks et des estoniens Pärt et Tüür. Dommage que ce soit sur l'orgue de la Maison de la Radio (grêle et moche).

► Interprètes et ensembles parrainés.
■ Le formidable Trio Zadig jouera le 8 à Marly-le-Roi, le 11 à l'hôpital Brousse, le 13 à Bagneux, le 15 à Villethierry. Je n'ai pas encore vérifié le détail des programmes.
■ L'ONDIF, exceptionnel dans la musique russe, joue la Cinquième de Tchaïkovski le 24.
■ Je n'ai jamais pris le temps d'écouter Lukas Geniušas (bien classé au Concours Chopin de Varsovie, il y a quelques années), dont tout le monde dit des merveilles – il faut dire qu'il joue essentiellement les standards du piano, dans lesquelles le besoin pressent de nouvelles références ne se fait pas forcément sentir, vu les centaines de gravures déjà largement satisfaisantes qui préexistent (et puis, au piano, j'aime surtout d'autres choses). L'occasion d'aller lui faire coucou, puisqu'il jouera (outre Chopin…) Szymanowski et Čiurlionis le 22 à la Maison de la Radio.

► Cours publics.
Cours public de Svetlin Roussev (violon) au CNSM (le 19 à 19h).
Cours public de hautbois au CNSM (le 20 à 19h).

► Autres concerts gratuits.
Audition de chant baroque au CRR de Paris (le 9 à 19h).
Deuxième Symphonie de Schumann et Concerto Jeunehomme de Mozart par l'Orchestre des Lauréats du Conservatoire (classe de direction d'orchestre, le 10 à 19h). Réservation conseillée.
Audition des jeunes chanteurs du CRR de Paris (le 12 à 19h). Attention, le niveau peut aussi bien être professionnel (Hasnaa Bennani était embauchée par les Talens Lyriques et la Chambre du Roy avant même d'en être sortie !) que très intermédiaire (quelquefois des voix pas bien sorties) : il faut y aller en humeur exploratoire, pas pour avoir un récital d'opéra à l'œil – contrairement aux plans de musique de chambre du CNSM (en outre meilleurs, comme je le répète régulièrement, que la vaste majorité des récitals payants).
Audition de flûte du CRR de Paris (le 19 à 19h).

► Concerts participatifs.
■ Airs d'opérette, à la Philharmonie avec F.-X. Roth.

► Théâtre.
Hedda Gabler d'Ibsen à Éragny.
Danse macabre de Strindberg, en italien à l'Athénée.
La Peur (Zweig) au Théâtre Michel.

► Conseil négatif.
■ Ne vous désespérez pas trop si vous n'avez pas de place pour les Bruckner de Barenboim. Même si on n'entend jamais la Première hors des intégrales (ce qui est fort injuste, et pire encore pour la Nullte !).

► À vendre !
■ Parce que j'ai d'autres projets / trouvé des places moins chères / un ami empêché / changé d'avis, je revends quelques places, à prix doux et bonne visibilité, pour quelques concerts de janvier et d'après : notamment le Cinquième de Beethoven par Leonskaja & la Petite Sirène de Zemlinsky, puis Paul Lewis & Daniel Harding dans le Premier Concerto pour piano de Brahms, tout ça à la Philharmonie. Carmen au Théâtre des Champs-Élysées (Lemieux-Spyres-Bou), aussi.

Et plein d'autres choses à n'en pas douter. Si vous êtes curieux de ma sélection personnelle, elle apparaît en couleur dans le planning en fin de notule.



putti câlins
Auguste RODIN, Merci CSS !
Bronze, 1893-1894
Musée Rodin de Paris.





3. Expositions

Ça n'a pas énormément changé depuis la dernière fois, laissez-moi gagner un peu de temps de ce côté-là en vous recommandant le remarquable Exponaute (et son tri par date de fin !) ou la très utile sélection mensuelle de Sortir à Paris.



4. Programme synoptique téléchargeable

Comme les dernières fois :
Les codes couleurs ne vous concernent pas davantage que d'ordinaire, j'ai simplement autre chose à faire que de les retirer de mon relevé personnel, en plus des entrées sur mes activités suspectes et complots universels à rejoindre. Néanmoins, pour plus de clarté :
◊ violet : prévu d'y aller
◊ bleu : souhaite y aller
◊ vert : incertain
◊ **** : place déjà achetée
◊ § : intéressé, mais n'irai probablement pas
◊ ¤ : n'irai pas, noté à titre de documentation
◊ (( : début de série
◊ )) : fin de série
◊ jaune : événement particulier
◊ rouge : à vendre

janvier 2017

Les bons soirs, vous pourrez toujours distinguer ma démarche gracile le long d'une ombre furtive, dans les couloirs décidément les mieux fréquentés de la capitale.

Cliquez sur l'image pour faire apparaître le calendrier (téléchargeable, d'ailleurs, il suffit d'enregistrer la page html) dans une nouvelle fenêtre, avec tous les détails.

Toutes les illustrations picturales de cette notule sont tirées de photographies du Fonds Řaděná pour l'Art Puttien, disponibles sous Licence Creative Commons CC BY 3.0 FR.


Non, décidément, avec le planning (et les putti) de CSS, on peut raffiner l'or et moissonner les épis de janvier !

dimanche 13 décembre 2015

Orgye – (Lully, Tchaïkovski, Dvořák, Koechlin, Clyne)


La semaine écoulée semble avoir été confectionnée à mon intention :

¶ Trois fétiches personnels : Armide de Lully, La Damnation de Faust et la Sonate pour violon et piano de Koechlin, dans des distributions éclatantes.

¶ Deux œuvres que je révère et n'espérais pas entendre un jour en salle : Prometeo de Nono et la Sonate pour violon et piano de Koechlin (celle de Hahn non plus).

¶ Un inédit d'un compositeur qui m'est éminemment sympathique : la Messe de Domrémy de Büsser, couplée avec de la liturgie de guerre de Kodály et Bernstein ! (Cathédrale des Invalides)

Si cela ne suffisait pas, on pouvait aussi aller voir un peu de musical à Saint-Quentin, du belcanto mis en scène par Braunschweig, un superbe programme de guitare solo aux Bouffes du Nord, du Saint-Simon (Théâtre de l'Île Saint-Louis), du Ibsen (Peer Gynt), du Goldoni, Stridberg et du Lorca à la Comédie-Française, des cantates de Buxtehude, le Requiem de Rautavaara ou la messe basse de Fauré à la Maison de la Radio…

Et la semaine prochaine, programme liturgique Araujo-Rubino (la chaconne à quatre temps des Vêpres du Stellario de Palerme !) et musique sacrée de Mendelssohn (Psaumes), encore des hits persos.

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Rapide bilan de tout cela. Déjà fait pour Prometeo et la Damnation.

Pour Armide par Rousset, l'expérience était si intense que je ne voulais pas applaudir (je ne suis pas un sauvage, j'ai fini par me forcer), et que je n'ai pas forcément envie d'en parler. Il y aura un disque de toute façon, sur lequel il faudra se jeter : troisième très grande version officielle pour Armide, avec Herreweghe II chez HM et le DVD Carsen-Christie (ce qui n'est pas mal, sur cinq dont quatre seulement de disponibles). Des retouches sont prévues dans les prochains jours, bienvenues : les femmes, remarquables (Henry, Wanroij, Chappuis), ont eu un temps d'adaptation à la salle.

Le concert Ravel (sonate posthume) / Koechlin / Hahn / Emmanuel (Suite sur des airs populaires grecs) / Fauré (l'Andante, proposé en bis), donné à la Cité des Arts par Stéphanie Moraly (violon) et Romain David (piano) était capital, fulgurant : non seulement le programme, très rare (et de très haute volée, à commencer par la Sonate de Koechlin, le sommet de sa production avec le Quintette pour piano et cordes), mais aussi l'exécution. Dans une petite salle, hors des réseaux habituels, mal annoncée, avec une entrée à 5€, on avait, malgré l'acoustique très précise et impitoyable, une interprétation d'une précision extraordinaire (même chez les très bons, une telle justesse d'intonation chez un violoniste, sur un programme aussi long et technique, c'est rare) et travaillée dans ses moindres recoins : il est facile d'être un peu décontenancé et mécanique dans les contrepoints du Koechlin, par exemple, mais ici on sentait au contraire (et plus encore lorsqu'on a l'habitude de l'écouter, le lire ou le jouer) un soin apporté à chaque section. Pas de camouflage à la pédale au piano, pas de régularité négligente, au contraire chaque phrasé semble avoir été patiemment pensé.
Pour ne rien gâter, Stéphanie Moraly présentait très brièvement chaque pièce avec chaleur, aisance, un sens de l'anecdote qui aide à entrer dans les œuvres (les annotations de caractère de Koechlin, le moteur puissant décrit par le scherzo de Hahn…), un ton très direct, comme on s'adresserait à des enfants – et une très jolie voix, souple et mélodieuse. Moment confidentiel, mais d'exception.

Je n'ai pas parlé de quelques grands moments précédents, comme la Deuxième Symphonie de Tchaïkovski par l'Orchestre National d'Île-de-France et Enrique Mazzolà, d'une jubilation ininterrompue – l'orchestre n'est pas le meilleur de tous les temps (bois et cors un peu limités, en particulier), mais l'engagement de tous (et en particulier des cordes, à commencer par les altos, violoncelles et contrebasses) est exceptionnel, si bien que tout paraît tendu et important, en permanence. Je n'avais jamais vu un orchestre aussi concerné par ce qu'il joue (à part le Capitole de Toulouse dans la Damnation de Faust, avec Sokhiev), et ça change tout : toute considération de niveau est caduque, l'enthousiasme se communique immédiatement au public. J'échange sans ciller contre les plus grands orchestres du monde, et ce n'est pas une exagération.
À cela s'ajoute la création d'Anna Clyne (The Midnight Hour ; elle est par ailleurs compositrice en résidence de l'orchestre – son petit pas timide lorsqu'elle vient saluer est délicieux), très persuasive, pas du tout abstraite ni exigeante, sans facilité non plus, une sorte de Mandarin merveilleux bienveillant ; ce n'est pas si souvent qu'une création pourrait s'introduire au répertoire en évitant les écueils de l'effet périssable ou du néo compassé. L'ONDIF en propose assez souvent, les choix de Mazzola sont assez clairvoyant en la matière ; et ses présentations, sortes de stand-up informatifs, toujours utiles et amusantes.

De même pour le récital d'airs de cour de Lambert & Charpentier et d'ensembles tirés d'opéras de Lully, donnés par les étudiants du CNSM sous la houlette d'Emmanuelle Haïm. De très belles choses, des pièces peu courues (pas les airs de cour les plus célèbres – mais pas les moins bons ! –, de même pour les duos de Lully). Et avec cela, de belles découvertes vocales :

  • Cécile Madelin (soprano), petite voix avec voyelles assez ouvertes et larynx assez haut, pas forcément utilisable dans d'autres répertoires, mais une perfection ici. Une fraîcheur, une éloquence incroyables (en particulier dans la dispute d'Atys), on y retrouve des accents de Mellon, avec une voix plus légère, brillante et mordante. Une future très grande de ce répertoire. Et, même sans directives de scène, déjà une actrice capable de beaucoup d'abandon et de conviction.
  • Fabien Hyon, avec des habitudes de couverture plutôt propres au XIXe siècle, chante toujours avec beaucoup de simplicité et beaucoup de persuasion. Une belle voix, qui ne cherche pas du tout l'hypertophie ou le gros son, et qui se projette avec facilité – pourrait parfaitement prendre la suite des emplois occupés par Beuron, par exemple.
  • Paul-Antoine Benos (contré-ténor) dans les Stances du Cid de Charpentier : très bien projeté, il ressemble à un ténor mixé à l'envers (comme un fausset qui tire vers la voix de poitrine), ce qui lui offre à la fois l'aisance dans la tessiture très haute du rôle et les possibilités de diction et de déclamation interdites à un falsettiste standard. Très impressionnant, je comptais même faire une notule sur le sujet.


Ces concerts ont même été l'occasion de quelques changements d'avis, comme sur la Septième Symphonie de Dvořák que j'aimais, certes (avec la Huitième, celle que je réécoute assez régulièrement chez lui), mais dont l'écoute en salle par Dohnányi a révélé une qualité de construction thématique et une ardeur qui m'ont radicalement envoyé du côté des enthousiastes. Je suis curieux de constater sur une écoute (dans des conditions comparables) de la Neuvième, dont je suis moins partisan, aurait des effets similaires.

La semaine prochaine, j'exercerai peut-être mon droit de repos contre le concert Araujo, vu que le Rubino semble avoir été retiré du programme (qui reprend celui, remarquable d'ailleurs, du récent disque Carmina Latina).

dimanche 29 novembre 2015

Henrik IBSEN – John Gabriel Borkman – Compagnie du Tourtour


ibsen borkman
La joie naïve de Foldal, dans l'édition originale.

1. Le projet

Poursuivant l'exploration intégrale des Ibsen – de maturité, car j'abandonne peu à peu l'espérance de voir, je ne dis même pas Catilina ou Le Tertre des Guerriers, œuvres de prime jeunesse, mais un haut chef-d'œuvre comme Les Prétendants à la Couronne, sorte de pastiche du Hakon hin Rige d'Oehlenschläger, mais posant les questions de dévoilement et d'identité propres à Ibsen –, je saute sur l'opportunité de voir à la scène John Gabriel Borkman, son drame pénultième.

Vous pouvez retrouver quelques pistes de lecture autour du redéploiement des thèmes principaux d'Ibsen dans ses diverses pièces de Hærmædene paa Helgeland (1858) à Når vi døde vaagner (1899)  dans le chapitre qui y est consacré (pour les plus anciennes, il faut les parcourir par mois, en bas de la colonne de droite). Beaucoup de choses y sont déjà dites, auxquelles il sera fait référence, ne pouvant tout redévelopper à chaque nouvelle entrée.


2. Un emplacement

Je vois deux façons commodes de classer la production d'Ibsen.

Par matière.

D'abord historique, légendaire, épique. Par exemple  :
  • Catilina (1850) ;
  • Le Tertre des Guerriers (1850) ;
  • Les Guerriers à Helgeland (1858), qui met en scène Sigurd le Fort ;
  • Les Prétendants à la Couronne (1863), pastiche d'Oehlenschläger et un quasi-Macbeth norvégien
  • Peer Gynt (1867), qui marque une inflexion vers la fable ;
  • Empereur et Galiléen (1873), très libre réinterprétation de Julien l'Apostat (dans un goût assez proche de la Tentation de saint Antoine).
Dans un second temps, tournée vers l'espace domestique (toutes ses pièces à partir de 1877, sans exception) :
  • Les Pilliers de la société (1877) ;
  • Une Maison de poupée (1879) ;
  • Les Revenants (1881), qui ne sont pas des fantômes (même si le titre norvégien Gengangere peut le suggérer) mais des « retournants » au sein du foyer ;
  • Un Ennemi du Peuple (1882) ;
  • Le Canard sauvage (1884) ;
  • Rosmersholm / La Maison Rosmer (1886) ;
  • La Dame de la mer (1888), avec une figure certes étrange, évidente référence à une sorte de Hollandais volant qui fait retour, mais qui n'est que le cœur d'une intrigue familiale et domestique ;
  • Hedda Gabler (1890) ;
  • Solness le constructeur (1892) ;
  • Petit Eyolf (1894) ;
  • John Gabriel Borkman (1896) ;
  • Quand nous nous réveillerons d'entre les morts (1899), simple dialogue d'un couple, sorte de bilan d'une relation.
Entre les deux groupes, Brand (1866) fait la jointure, drame domestique ouvert sur l'extérieur avec la figure du prêcheur, aux accents très épiques.


¶ Plus intéressant à mon sens, par logique dramaturgique – et si la segmentation n'est plus aussi nette, on sent bien les lignes de force qui évoluent au fil du temps.

Drames profusifs, multipliant les lieux, les personnages, les effets :
  • Les Guerriers à Helgeland (1858) ;
  • Les Prétendants à la Couronne (1863), où l'on parcourt la Norvège en compagnie de souverains historiques de la Norvège ; 
  • Brand (1866), où l'on se rend dans le grand Nord en multipliant les cadres : les étendues neigeuses, la traversée de fleuves, la demeure de Brand, le village dans le fjord, le sommet du fjeld… C'est d'ailleurs, comme Peer Gynt, un lesedrama, qui contient de nombreux événéments difficiles à représenter (la foule des partisans, l'ascension du fjeld…). Le tout dans un ton hautement épique, malgré des scènes d'une grande intimité (le terrible acte III, l'un des plus éprouvants de tout Ibsen) ; 
  • Peer Gynt (1867), l'exemple le plus frappant de l'explosion des lieux, des scènes, des personnages impossibles (le Courbe !), un Faust à la norvégienne ;
  • Empereur et Galiléen (1873), se déroulant aussi dans de très nombreux lieux, mettant en scène des personnages historiques, des apparitions mystiques…
Drames sociétaux, qui mêlent les grandes interrogations d'Ibsen de façon très dense, multipliant les enjeux sans que le propos, la direction de l'ensemble soit clairement explicitée :
  • Brand (1866), la foi, la faute, l'absolu, la vérité, la famille et même l'au-delà ;
  • Les Piliers de la société (1877), respectabilité et artifice, dissimulation et révélation, famille, responsabilité et absolution, enfermement et mondes nouveaux ;
  • Une Maison de poupée (1879), dissimulation et révélation, loyauté et identité, famille et individu ;
  • La Maison Rosmer (1886), dissimulation et révélation, enthousiasme et illusion, morale et vérité, mensonge et authenticité, abattement et accomplissement ; 
  • La Dame de la mer (1888), amour, attente, transaction, maladie, engagement.
Drames familiaux, sortes de microdrames, sous-catégorie des drames sociétaux où l'accent est mis sur un ou deux aspects plus précis, où toute la vie n'est pas embrassée en un seul drame, où le propos est plus lisible.
  • Les Revenants (1881) : syphilis, inceste et suicide assisté (évidemment, ça a un peu fait scandale) ;
  • Le Canard sauvage (1884) : secrets de famille ;
  • Hedda Gabler (1890) : secrets de couple ;
  • Solness le constructeur (1892) : ambition et accomplissement ;
  • Petit Eyolf (1894) : handicap et deuil d'un enfant, culpabilité des parents ; 
  • John Gabriel Borkman (1896) : le vieil âge, le déshonneur, l'abandon par ses enfants ;
  • Quand nous nous réveillerons d'entre les morts (1899, littéralement « Quand morts nous nous éveillons ») : bilan désabusé d'un couple.
Pour ma part, à l'exception de Kongs-Emnerne (Les Prétendants, qui contient déjà beaucoup de ces aspects ultérieurs), c'est la partie centrale des drames psychologiques étendus (« drames sociétaux ») qui contient les œuvres qui me touchent le plus : ce pourrait aussi bien être la liste de mes goûts.

John Gabriel Borkman entre donc dans la catégorie des derniers drames d'Ibsen, plus ascétiques, plus prévisibles, qui explorent plus en détail un aspect de thématiques déjà familières.


3. Lignes de forces dans
John Gabriel Borkman

3.1. Récurrences

On retrouve à plusieurs niveaux des invariants du théâtre d'Ibsen, bien sûr.

3.1.1 Récurrences de décors

Parmi les nombreux éléments de décor communs, on retrouve en particulier les questions de climat (le climat hostile du Nord est déjà décisif dans Brand, et largement évoqué par touches dans nombre de pièces) et de santé (ici, la nourrice mourante revient récupérer son fils adoptif ; ailleurs, par exemple dans La Dame de la Mer, la maladie devient partie intégrante d'une personnalité et justifie ses attentes, voire son chantage).

Le Sud paraît toujours (et pas seulement le vrai Sud comme dans Peer Gynt ou l'Amérique extraordinairement moderne comme dans Rosmersholm ou Les Piliers de la Société, le Sud de la Norvège suffit, comme pour Brand ou La Dame de la Mer) comme un lieu infiniment accueillant, vu par contraste avec le Nord stérile, un lieu de culture et de douceur de vivre, loin de l'autarcie rugueuse et vaine du Nord – où se passe pourtant l'essentiel de ses pièces.

3.1.2 Récurrences psychologiques

Ibsen aime mettre en lumière des relations asymétriques, ici matérialisé par le mépris de Borkman envers l'ami qu'il a ruiné et qui continue de lui vouer un culte (au prix de quelques compliments insincères sur sa tragédie de jeunesse). Inévitablement, pour cette relation comme pour les autres à l'intérieur de la famille Borkman, les comptes se règlent, sorte de façon mélancolique de mettre à distance son passé.

De même pour les chantages affectifs odieux (ici un trio d'accapareurs, voulant chacun gouverner l'âme du fils, chargé de donner un sens aux échecs de chacun de ses trois parents – la question du sens donné est capitale pour les personnages d'Ibsen) et les volontés soudaines, les délires d'invincibilité qui précèdent les ailes brisées, la réalité de la médiocrité et de l'impuissance, et que chaque (anti-)héros d'Ibsen vit à son tour : Skule (Les Prétendant à la Couronne), Brand, Peer Gynt, Julien l'Apostat (Empereur et Galiléen), Karsten Bernick (Les Piliers de la Société), Oswald Alving (Les Revenants), Hjalmar Ekdal (Le Canard sauvage), Rosmer, Ulrik Brendel (Rosmersholm), Hedda Gabler, Solness, ou bien des personnages moins centraux comme Dr Rank (Une Maison de poupée), Lyngstrand (La Dame de la Mer)…
Ces changements brutaux d'humeur peuvent être liés à un complexe enfoui (Solness), à un projet bancal (le prêcheur intransigeant Brand, le photographe Ekdal, le philosophe Brendel, l'épouse Gabler) ou quelquefois, comme pour Rank ou Alving, aux maladies vénériennes (du père, pour Rank !). 

Borkman, lui, du fond de l'étage de sa maison où sa femme même ne lui adresse plus la parole (après la faillite provoquée par des placements faits sur des fonds non autorisés, tout s'effondrant une fois la révélation faite), attend le jour où il sera rappelé car indispensable, et où l'on reconnaîtra sa pénétration visionnaire de la finance. La découverte de la réalité le conduit au même délire posé cette fois sur la personne de son fils.

3.1.3 Récurrences de formules

L'exposition, de forme très classique (questions-réponses, même si habillées d'une touche d'animosité entre les deux vieilles jumelles), contient d'emblée les paroles magiques de l'univers d'Ibsen : si on fait une chose, le fait-on « de plein gré, tout entier » ?  Et alors que tout s'exprime à l'aune de l'individu (« il me semble » est une formule assez caractéristique également), les décisions doivent être prises « indissolublement, irrévocablement, de plein gré » – et cela ne se limite pas au mariage prochain du fils. Ce processus d'absolu, sorte d'écho mal digéré de lectures religieuses, répercuté sans fin à l'intérieur de personnalités obsessionnelles, est très minutieusement approfondi dans Brand (jusqu'au crime impensable d'un père), mais se retrouve partout, aussi bien sous forme de pactes (les rencontres dans Empereur et Galiléen, les chantages de La Maison de poupée, l'engagement politique ou la mort dans Rosmersholm, les liens de l'amour et du sang dans Les Revenants, l'attente dans La Dame de la mer) que de recherche personnelle (la folie de la vérité qui saisit Skule dans Les Prétendants à la Couronne, l'absurde fascination pour le canard sauvage, l'état du mariage dans Quand morts nous nous éveillons).

À chaque moment, l'absolu, le besoin de pousser un acte, voire un simple principe abstrait, jusqu'à son terme, dévore les personnages, qui doivent se jeter dans l'abîme pour vérifier son existence ou sa possibilité. 

L'amour délaissé d'Ella et le choix de vie d'Erhart vont laisser, dans Borkman, libre cours à ce genre d'élaborations.

3.1.4 Récurrences de structures

Même si Borkman est moins nettement un drame du dévoilement que la plupart des autres pièces d'Ibsen, où le cheminement irrésistible vers la vérité aboutit à la révélation de l'impuissance et à la déchéance, une bonne partie de l'action reste tout de même liée à l'exhumation du passé – les relations véritables entre Ella et John, la rupture avec Foldal (la vérité les rendant immédiatement ennemis).

Au milieu de pactes (liés aux formules précédemment mentionnées), Ibsen explore des spirales de responsabilités – la déchéance du banquier tient de ses agissements, certes, mais la révélation (avant, pense Borkman, la réussite de son entreprise, qui aurait profité même aux épargnants d'abord volés) de son forfait provient d'un amant éconduit pour son bénéfice. Aussi, la tentation d'effectuer la généalogie des événements et de reporter ailleurs le blâme surgit sans fin chez les trois protagonistes mûrs (Borkman, son épouse et la jumelle de celle-ci).

Ibsen a d'ailleurs une façon bien particulière de traiter les discours de ses personnages : leurs argumentations ne répondent jamais directement aux questions posées, mais partent ailleurs soulever d'autres préoccupations, si bien que les mécaniques argumentatives ne sont jamais prévisibles, jamais achevées, mais s'échappent sans cesse pour soulever de nouveaux sujets, de nouveaux aspects. En cela John Gabriel Borkman est bien au centre de sa pièce.

3.2. Particularités

Comme les autres drames tardifs, John Gabriel Borkman, au lieu d'embrasser tout l'univers d'Ibsen, explore une dominante précise. En effet, contrairement à tous les autres drames qui explorent la trajectoire d'un homme seul ou d'un couple, jeune ou encore dans la force de l'âge, Borkman s'intéresse en priorité aux ascendants et à la vieillesse. Ce n'est plus tant la question du dévoilement que de l'aveuglement, de l'enfermement dans ses propres projets, même lorsqu'ils ont rendu l'âme depuis longtemps : une épouse qui souhaite réparer son nom en se reposant sur le sacrifice de son fils, un escroc déchu qui attend d'être supplié pour revenir à son poste, une mourante qui espère que son fils adoptif qu'elle n'a plus vu depuis des années sacrifiera sa jeunesse pour accompagner ses derniers mois…

Le tout s'achève dans une déchéance assez joyeuse et soulagée, qui n'est pas la norme non plus (Rosmerholm en est l'exemple le plus spectaculaire).

Le plus étonnant et réussi réside dans la triple fin : tout pourrait s'arrêter après que le fils s'envole vers le Sud, lieu lumineux de culture, contre l'étouffement terrible de leur maison coincée dans un village du Nord. Mais deux autres épisodes viennent à leur tour clore l'histoire. Le suicide des vieilles gens au froid n'est pas particulièrement réussi (et parcouru de délires un peu sententieux, qui évoquent ceux de Skule dans Kongs-Emnerne, mais semble vraiment chercher à énoncer une leçon, ce qui est non seulement toujours un peu décevant, mais surtout absurde venant de telles gens), en revanche l'épisode qui précède, le retour de Foldal, l'ami ruiné puis rejeté par son propre bourreau, est un petit bijou d'ironie qui devrait être amère mais apporte une clarté inattendue, une forme de joie dénuée de fondement dans cet univers glacé. Quasiment renversé par la voiture qui lui enlève sa fille, partie étudier dans le Sud, blessé sans que les occupants ne s'arrêtent, il continue à s'extasier de la grâce qu'on lui a fait de lui passer dessus dans un si bel équipage, et pour aller réussir dans les hauts lieux de la civilisation. Cet épisode cruel est comme illuminé par la simplicité béate du personnage, au demeurant le seul de tout le plateau qui ne soit pas un repoussoir – même s'il est bien un peu naïf.

Le perdant bienheureux Foldal est, comme Lyngstrand (le jeune malade sophistiqué de Fruen fra Havet), l'une des créations les plus drôles et attachantes du théâtre d'Ibsen.

Borkman n'est donc pas, et de très loin, le drame le plus complet ni le plus touchant d'Ibsen, mais il apporte un angle différent, davantage centré sur le destin d'une famille après le vieillissement des déchus.


4. Dernières représentations

Représentations en octobre au Théâtre de Ménilmontant par la Compagnie du Tourtour (dirigée depuis sa création en 1986 par Claudine Gabay, qui signe également la mise en scène).

Les conditions n'étaient pas idéales : dix personnes dans la salle (je n'exagère pas, j'ai compté, cela m'inclut) – dont le metteur en scène, un retardataire et un dormeur. 
Scéniquement non plus : ce n'est pas un problème de décor (il n'y en a pas vraiment, seulement quelques meubles absolument pas typés), mais plutôt de direction d'acteurs. L'exposition est réalisée sur un rythme totalement égal, qui rend les questions mécaniques et exalte les coutures de ce qui n'est déjà pas l'entrée en matière la plus fine d'Ibsen. De même pour le trio d'accapareurs, scène suspendue digne d'un opéra rossinien, où chaque personnage tient simultanément un discours parfaitement idiosyncrasique.

Côté acteurs, les mérites étaient très disparates.

Mme Borkman => Martine Grinberg, doit l'état de la voix, très ternie et abaissée, empêche toute variation expressive. Tonalité adéquate à cette épouse et cette mère fort peu sensible, au demeurant. Mais en l'absence de direction forte, la monotonie primait.
Ella Rentheim, sa sœur jumelle => Julie Vion-Broussailles, dont l'intonation trahissait régulièrement la récitation, ce qui n'est jamais plaisant.
John Gabriel Borkman => Jean-Louis Besnard. Rien que le visage raconte tellement d'avanies, l'expression est fascinante à regarder, quoi qu'il dise.
Erhart, fils de Borkman => Antoine Perez. Convaincu et allant, ces jeunes premiers ne sont pas si faciles à camper pourtant.
Vilhelm Foldal, ami ruiné de Borkman  => Michel Milkovitch. Son fort accent slave (serbe ?) et sa voix ronde concourent au caractère dérisoire du personnage avec bonheur : peut-être n'en irait-il pas ainsi dans un autre rôle, mais la concomitance se révèle parfaitement adéquate.
La jeune veuve Wilton => Julia Sauveur. Très impressionnante : voix d'une fermeté remarquable, mais au grain de velours… Sa composition de la jeune veuve très décidée, peut-être passionnée mais surtout d'une grande conscience d'elle-même et de ses projets, est remarquable. C'est bien le portrait qui ressort du texte, vis-à-vis d'un personnage qui a peu l'occasion de laisser percevoir ses émotions, et qui mêle la séduction un peu inquiétante d'une femme capable de priver une mère de son fils à une apparence sociale un peu opaque, quelque part entre le parfum de scandale qu'apporte la liberté d'une jeune veuve autonome et la beauté naïve d'une jeune femme qui va découvrir le monde avec celui qu'elle aime.
La femme de chambre et Frida Foldal => Outre que Pénélope Driant joue très bien du violon (habilement intégré aux épisodes où il est question de la jeune fille, qui a peu l'occasion de parle), ses compositions de Bécassine belge, puis la pupille ingénue, font preuve d'une réelle virtuosité en quelques mots – l'illusion est complète à chaque fois.

En somme, l'impression de petits moyens, pas forcément dérisoires d'ailleurs, mais qui se justifient par le petit public… C'est un peu dommage, il y a fort à parier que les ibsenomanes ont manqué l'annonce d'une pièce rare – ou que ledit club contient trop de snobs, ce qui serait mal.

--

Vous trouverez d'autres considérations en parcourant les autres entrées consacrées à Ibsen (liens directs placés dans les listes en début de notule). Un chapitre de CSS y est même consacré (notules ayant pour sujet Ibsen), et l'on peut retrouver toutes les allusions et jeux divers par ici.

dimanche 22 mars 2015

[indiscrétions II] — programmation Théâtre des Champs-Élysées 2015-2016


Suite à demande expresse, des éléments du programme du TCE pour la saison à venir, avec un événement majeur : Olympie de Spontini !

Suite de la notule.

samedi 5 juillet 2014

Saison 2013-2014 – Bilan statistique et subjectif


Comme chaque année à cette période, il est temps de faire un petit bilan sur la saison passée – cette année exclusivement francilienne, mais pour autant loin de se limiter à Paris.

Vous pouvez retrouver les précédentes saisons, chacune disposant en commentaires de liens renvoyant vers des échos des soirées vues :


A. Liste des spectacles vus

Indiqués par ordre chronologique, avec les liens qui renvoient vers les commentaires sur chacun :

1. Gluck – Alceste – Py, Minkowski (Garnier)
2. Janáček – Věc Makropulos – Warlikowski, Mälkki (Bastille)
3. Grabbe – Hannibal – Sobel (Gennevilliers)
4. Spontini – La Vestale – Lacascade, Rhorer (TCE)
5. Hahn – Prométhée, mélodies – L'Oiseleur des Longchamps (Temple du Luxembourg)
6. Koechlin – Les Chants de Nectaire – Leendert de Jonge (Tentes du Salon d'Automne)
7. Mozart – Così fan tutte – Toffolutti, Schønwandt (Garnier)
8. Mozart, Stravinski, Pintscher – Concerto pour piano n°20, L'Oiseau de feu, Chute d'étoiles – Ph. Jordan (Bastille)
9. Verdi – AidaPy, Ph. Jordan (Bastille)
10. R. Strauss – Elektra – Carsen, Ph. Jordan (Bastille)
11. Corneille – Pompée – Jaques-Wajeman (Abbesses)
12. Lili Boulanger – Mélodies et chœurs – C. Dubois, Les Cris de Paris, Le Bozec (Amphi Bastille)
13. Gouvy, Ravel, Durosoir – Trios avec piano – Trio Hoboken (Invalides)
14. Corneille – Sophonisbe – Jaques-Wajeman (Abbesses)
15. Márquez, Aragão, Costa, Copland par l'Orchestre de Paris et Kristjan Järvi (Pleyel)
16. Poulenc – Chœurs profanes & sacrés – Les Éléments, Suhubiette (Oratoire du Louvre)
17. Goldoni – La Locandiera – Paquien (Théâtre de l'Atelier)
18. Schumann – Manfred – C. Bene, A. Bas, La Chambre Philharmonique, Krivine (Opéra-Comique)
19. Lambert, La Barre, d'Ambruis, Couperin et Charpentier – Airs de cour – Christie (Versailles)
20. Poulenc – Dialogues des Carmélites – Py, Philharmonia, Rhorer (TCE)
21. Mahler – Symphonie n°2 – Ph. Jordan (Bastille)
22. Tchaïkovski – La Belle au bois dormant – Petipa-Noureïev, Karoui (Bastille)
23. Hahn – La Colombe de Bouddha – L'Oiseleur des Longchamps (Temple du Luxembourg)
24. Britten – The Rape of Lucretia – Atelier Lyrique, Le Balcon, M. Pascal (Athénée)
25. Ibsen – Rosmersholm – Timmerman (Kremlin-Bicêtre)
26. Delibes – Lakmé – Les Siècles, F.-X. Roth (Opéra-Comique)
27. Brahms – Chœurs avec orchestre, Symphonie n°2 – Orchestre de Paris, Blomstedt (Pleyel)
28. R. Strauss, Schönberg – Danse des Sept Voiles, Don Juan, Pierrot Lunaire – Sukowa, OPRF, M. Franck (Pleyel)
29. Haydn, Mozart, Sibelius – Symphonie n°82, Concerto n°23, Symphonies 6 & 7 – Pressler, Orchestre de Paris, P. Järvi (Pleyel)
30. Pouchkine – Eugène Onéguine – Vakhtangov, Tuminas (MC93)
31. Ibsen – Vildanden (« Le Canard sauvage ») – Braunschweig (Colline)
32. Debussy – Pelléas et Mélisande – Braunschweig, Orchestre des Champs-Élysées, Langrée (Opéra-Comique)
33. Puccini – Le Villi & airs véristes – ONF, Carignani (TCE)
34. M. Gould, Rangström – Fall River Legend, Fröken Julie – Orchestre Colonne, Kessels (Garnier)
35. Gershwin-Ives-Antheil-Bernstein – Ouverture cubaine, Symphonie n°4, Suite de jazz, Danses symphoniques de West Side Story – Orchestre de Paris, Metzmacher (Pleyel)
36. Rameau – Castor & Pollux (version 1754) – Pichon (Opéra-Comique)
37. Rameau – Platée – Carsen, Christie (Opéra-Comique)
38. Hahn – La Carmélite – CNSM, Molénat (Maurice Fleuret)
39. Monteverdi – L'Orfeo – Mutel, d'Hérin (Massy)
40. Schubert – Die schöne Müllerin – Breslik, Katz (Amphi Bastille)
41. Sondheim – Into the Woods – Blakeley, OCP, Abell (Châtelet)
42. Landi – Airs profanes et sacrés – Šašková, Il Festino (Centre Culturel Tchèque)
43. Rossi, Carissimi, Charpentier, La Guerre, Campra, Charpentier, Couperin – Cantates sacrées, Motets et Sonates pour violon – CNSM, Conservatoire de Palerme (Istituto Italiano di Cultura)
44. Obikhod et chansons traditionnelles russes – Chœur de jeunes filles de Saint-Pétersbourg, Soutchkov (Saint-Louis-en-l'Île)
45. Mompou, Tippett, MacMillan, Connesson, Ingari – Œuvres chorales, Psaume 23 – CNSM (Maurice Fleuret)
46. Campra – Tancrède – Tavernier, Les Temps Présents, Schneebeli (Versailles)
47. Tchekhov – Tри сестры (« Trois sœurs »), en russe – Maly Drama, Dodin (MC93)
48. Classe de lied & mélodie de Jeff Cohen : Marianne Croux, Enguerrand de Hys (Maurice Fleuret)
49. Classe de lied & mélodie de Jeff Cohen : Marthe Davost, Marina Ruiz (Salle d'orgue du CNSM)
50. Schiller – Kabale und Liebe, en russe – Maly Drama, Dodin (MC93)
51. Lecocq – Ali-Baba – Arnaud Meunier, Opéra de Rouen, J.-P. Haeck (Opéra-Comique)
52. Martinů, Kaprálová, Poulenc – Mélodies tchèques et extraits des Banalités – Dagmar Šašková, Vendula Urbanová (Centre Culturel Tchèque)
53. Chopin – L'intégrale des mélodies, dans une nouvelle traduction – L'Oiseleur des Longchamps, Humeau (Temple du Luxembourg)
54. Maeterlinck – Aglavaine et Sélysette – Pauthe (Colline)
55. Bizet, Ravel – Symphonie en ut, Daphnis et Chloé – Balanchine, Millepied, Ph. Jordan (Bastille)
56. Sophocle – Antigone (en grec moderne) – Triantaphylli (Grande salle de l'UNESCO)
57. Œuvres chorales du monde entier – Premier programme de l'ensemble Mångata, avec la partition de Claire Besson (Notre-Dame de Bon Secours)
58. Mendelssohn, Bruckner – Motets – Maîtrise de Notre-Dame de Paris, Chœur de l'Orchestre de Paris, Sow (Notre-Dame de Paris)


B. Commentaires manquants

On pourrait commencer par les spectacles qu'on n'a pas pu voir, pour diverses raisons : Danaïdes de Salieri, Kunqu, Christus am Ölberge de Beethoven avec Toby Spence, Wyschnegradsky, Kabuki, Octuor à vent de Florent Schmitt, les deux concerts Dupont à Pleyel et à l'Amphi Bastille, le concert belcantiste de Diamantine Zirah, Hernani avec mon chouchou Bruno Raffaelli (en Silva), La Chute d'après Camus au Théâtre Darius Milhaud, Pan Tadeusz en biélorusse...

Et puis il y a les quelques spectacles qui n'ont pas été commentés ci-dessus... certains parce que leur richesse programmatique et leur intensité émotionnelle les rend difficiles à présenter.

¶ Les deux concerts de Šašková (42 & 52), fulgurants, avec cette voix toujours focalisée, ce timbre si familier, cette expression raffinée... l'artiste de l'année, comme à chaque fois que je l'entends. En plus, le programme tchèque était d'une originalité et d'une beauté assez suffocantes.

¶ Le concert dédié à l'Obikhod (44), mêlant différentes strates traditionnelles, compositeurs établis, compositeurs de musique sacrée récents, d'une densité spirituelle assez remarquable, et servie par de très jeunes filles (probablement même pas majeures) aux voix accomplies, avec notamment un pupitre grave étonnant.

¶ Les deux concerts de la classe de Jeff Cohen (48 & 49) étaient très intéressants. Pas convaincu (pour diverses raisons) par Marianne Croux, qui m'a semblé peu adaptée à ce répertoire, mais Marthe Davost offrait une maîtrise délicate du genre, et surtout Enguerrand de Hys et Marina Ruiz, tous deux manifestant des qualités hors du commun, certes adaptées au lied, mais qui, si elles sont disciplinées (pour elle, car lui c'est déjà fait) pourront les emmener loin. Parmi des accompagnateurs tous dignes d'éloges se distinguait en particulier Bianca Chillemi, d'une facilité et d'une musicalité assez hors du commun.

¶ Je n'ai pas eu très envie de commenter Ali-Baba de Lecocq, tout simplement parce que ce spectacle transmet du bonheur : habilement et facétieusement transposé, sans longueurs, belle veine mélodique, équilibre dramatique plaisant, d'une écriture musicale toujours plaisante, jamais superficielle... Il n'y a pas forcément beaucoup à en dire (sauf que c'était en plus superbement chanté et très bien interprété sur scène) sur le plan de l'érudition : c'était simplement un excellent moment, à saisir à pleines mains. J'ai vu qu'on trouvait en ligne la bande radio de la RTF (et peut-être aussi la captation de France Mu), n'hésitez pas à jeter une oreille au chœur de présentation des Quarante Voleurs, très savoureux.

¶ C'est un peu l'inverse pour Aglavaine et Sélysette de Maeterlinck : je me le réserve pour en parler un peu longuement, car l'œuvre aussi bien que les choix d'interprétation, ont beaucoup d'aspects qui méritent considération. Une notule est donc à venir. C'est quand même l'une des rares œuvres du répertoire où l'on puisse être simultanément hilare d'incrédulité et assez séduit, voire ému, par ce qui se passe sur scène.

¶ Enfin, dernier spectacle de la saison si je ne parviens à voir ni Hernani ni Psyché de Franck, les motets de Mendelssohn (pas très bien choisis) et de Bruckner (les plus beaux) par la Maîtrise de Notre-Dame et le Chœur de l'Orchestre de Paris, sous la direction de leur chef commun Lionel Sow.
Bruckner suprêmement interprétés, mais dans un contexte peu favorable l'acoustique de Notre-Dame est peu physique, et reste à l'état de sons un peu lointains (sans être flous, cela dit : ce n'est pas Saint-Sulpice non plus). Et, surtout, l'atmosphère de la Fête de la Musique était vraiment peu propice à ce type d'émotion extatique : gens qui circulent en permanence, se plantent debout au milieu en disputant ceux qui leur font discrètement signe, maniaques des photos avec des bruits permanents d'obturation pendant les ppppp...
Franchement, j'ai trouvé moins difficile de s'imprégner de flûte solo sur les Champs-Élysées, c'est dire.

C. Statistiques : lieux fréquentés

(La mention en gras signifie qu'il s'agissait d'une premier visite comme auditeur. Pour 58 dates, 28 lieux, dont 11 nouveaux. Ce n'est pas si mal, considérant qu'il s'agit d'une cinquième saison dans la région.)

Opéra Bastille IIIII II
Salle Favart IIIII I
Salle Pleyel IIIII
Total salles CNSM IIIII
Palais Garnier III
Théâtre des Champs-Élysées III
MC93, Maison de la Culture de Bobigny III
Temple du Luxembourg III
Espace Maurice Fleuret (CNSM) III
Opéra Royal de Versailles II
Amphithéâtre Bastille II
Théâtre de la Colline II
Théâtre des Abbesses II
Salle Janáček (Centre Culturel Tchèque) II
Châtelet I
Athénée I
Opéra de Massy I
Théâtre de Gennevilliers I
Oratoire du Louvre I
Grand Salon des Invalides I
Centre André Malraux du Kremlin-Bicêtre I
Théâtre de l'Atelier I
Salle d'orgue (CNSM) I
Saint-Louis-en-L'Île I
Hôtel Galliffet (Istituto Italiano di Cultura di Parigi) I
Notre-Dame de Bon Secours I
Tentes du Salon d'Automne I
Grande salle de l'UNESCO I
Notre-Dame de Paris I

Toujours une nette prédominance de l'Opéra de Paris, de l'Opéra-Comique, de Pleyel — normal, les concerts les plus ambitieux ont généralement lieu là, en assez grande quantité. De surcroît, les programmes musicaux très motivants des ballets, cette saison, ont gonflé les scores de l'ONP.

Parmi les changements importants, la disparition totale de la Cité de la Musique (cinq dates l'an passé !) — la faute à des programmes trop disparates, et à l'absence de beaux programmes de lied. Seulement deux concerts à Versailles, parce que, sans mentionner la distance, je ne goûte pas vraiment l'acoustique de l'Opéra Royal ; cela va changer la saison prochaine, vu la richesse et l'audace hallucinantes de la programmation. Cinq dates sont prévues (Les Boréades, Glaucus de Leclair, Cinq-Mars de Gounod, Don Quichotte de Boismortier, Uthal de Méhul !).

Et au contraire l'apparition en force de la MC93 grâce à des programmes linguistiquement audacieux (une épopée russe adaptée en russe, un pièce russe jouée en russe, une pièce allemande jouée en russe, une épopée polonaise adaptée en biélorusse !), ainsi que la part fortement croissante des programmations très motivantes du CNSM, en divers lieux.

Et, comme d'habitude, plusieurs lieux plus ou moins insolites.

La saison prochaine, à part l'Opéra-Comique, Pleyel et la Philharmonie, ce sera le pouvoir à Versailles et aux petites salles : deux à quatre dates à l'Opéra de Paris, deux à quatre dates à la Maison de la Radio, une à deux dates au TCE, une seule date à la Cité de la Musique, peu de choses prévues au Châtelet.

D. Statistiques : genres écoutés

Suite de la notule.

mardi 18 février 2014

Debussy – Pelléas & Mélisande en (petite) scène – Braunschweig, Langrée


Redécouvrir Pelléas : après avoir écouté 42 des 46 versions officielles, plus une quinzaine de témoignages radio, je m'étais réservé depuis longtemps, pour une première approche sur scène dans des conditions idéales. L'œœuvre est tellement particulière, tellement suggestive et délicate, que je ne voulais pas laisser ternir cette occasion par une interprétation pataude ni surtout une mise en scène systématique, forcée ou prosaïque. Non pas que Pelléas ne soit pas souvent donné, ni avec soin, mais je voulais être sûr de sortir satisfait ; chacun ses caprices.

La production de l'Opéra-Comique (complète lors de la première série en 2010) offrait ces garanties. L'expérience est intéressante, parce qu'elle fait porter un autre regard sur l'économie générale de l'œœuvre et ses équilibres.


L'interlude de l'acte IV ce lundi.


1. Éphiphanies

¶ On se rend compte, avec les baissers de rideau systématiques de Braunschweig : alors que la musique paraît très continue, même d'un acte à l'autre, le drame est extrêmement fragmenté, en très courts tableaux d'une quinzaine de minutes. C'est plutôt un point faible à la scène par rapport au disque, mais évité dans la plupart des mises en scène par le décor unique ou, grâce à l'ingénierie actuelle, les changements à vue. Je me suis d'ailleurs demandé pourquoi Braunschweig, qui maîtrise son sujet, avait besoin de ces délais, et même de précipités entre les actes, parfois pour ajouter quelques meubles... Car mis à part le phare qu'il faut mettre ou enlever de l'élément de décor principal, le reste s'escamote facilement dans la plupart des mises en scène actuelles. Il y a sans doute une raison (peut-être la volonté de laisser la musique parler dans les interludes... mais les précipités ?).
Pour ma part, j'aurais attendu, de la part d'un grand metteur un scène, des interludes habités scéniquement, qui permettent de développer les sous-entendus et d'effectuer les transitions, voire d'ajouter des éléments nouveaux.


¶ Le rapport des dynamiques est étonnant aussi : toujours douces, ce qui est accentué par l'effectif limité et les instruments d'époque. Les chanteurs peuvent murmurer, l'orchestre bruisse plus qu'il n'accompagne. C'est aussi un choix musical, parce que même dans les interludes, on n'a pas toujours l'impression que la musique prenne la parole. Mais l'équilibre entre les voix et un orchestre aussi généreux est passionnant : malgré sa chatoyance, les voix n'ont jamais besoin de rivaliser avec lui, ce qui autorise des tessitures basses, des timbres plus naturelles, et une infinité de nuances dans les couleurs vocales et les détails textuels.

¶ Dans le détail, la scène est l'occasion de remarquer telle ou telle allusion – et j'en ai thésaurisé quelques-unes pour compléter la série. Je cite simplement celle-ci, en lien avec la présence physique dans la salle de spectacle : je me suis toujours demandé la raison de cette citation particulièrement audible de la marche de Montsalvat tirée de Parsifal ; le lever de rideau (indiqué juste après dans la partition, ce qui explique sans doute que je ne l'aie pas remarqué jusqu'ici) le rattache à l'atmosphère du sombre château d'Arkel. Et, de fait, cette marche sied parfaitement à la description de l'atmosphère simili-médiévale qui y règne... la parenté wagnérienne s'éloigne d'autant plus d'une possible coïncidence, évidemment.

Suite de la notule.

mercredi 12 février 2014

Henrik IBSEN –– Vildanden, Le canard sauvage (1884) –– Recoing, Braunschweig


Ce titre incongru qui tombe si bien en français (avec toute la distinction de l'état sauvage, opposé à ce grenier où se recrée l'artifice de la nature) est l'exact équivalent du titre bokmœål : Vildanden — « vild- » (sauvage), « -and- » (canard), « -en » (article défini).

1. Une pièce d'Ibsen...

Écrite en pleine maturité, entre Un ennemi du peuple et La Maison Rosmer, on y retrouve les habituels invariants d'Ibsen, avec le processus de dévoilement inévitable en guise d'intrigue, qui finit par assigner à chacun son identité authentique, mais provoque aussi l'effondrement de toute la cellule familiale, voire de la société tout entière. La question du sacrifice, et même de son caractère désirable et joyeux (le mot est martelé à la fin de Rosmersholm), en guise d'expiation, est aussi au centre des enjeux.


La révélation finale du sacrifice, avant le dénouement – dans l'édition originale de 1885.


En cela, Le canard sauvage a beaucoup de points communs avec Brand : choix délibéré du chemin le plus difficile et le plus destructeur, sacrifice de l'enfant, vengeance de la nature (sans raison explicite). Écho inversé, car ce qui était (peut-être) exalté dans Brand, et qui paraît sublime dans la plupart des pièces d'Ibsen est ici tourné en dérision (dans un sarcasme glaçant). Le doute vertigineux sur la paternité, en revanche, est plutôt celui des Prétendants à la Couronne (qui semble moins prisé des metteurs en scène du fait de son historicité, mais qu'il faut vraiment songer à créer en France !), rendant l'univers entier alternativement exemplaire et d'une injustice qui oblitère jusqu'à la possibilité de l'existence de Dieu, dans une oscillation de la morale proprement quantique.
Par ailleurs, son personnage féminin principal, coupable d'une faute largement balancée par son dévouement conjugal, mais calme et impavide face aux reproches d'un mari, noue une forme parenté avec Nora de la Maison de poupée.

2. ... à front renversé

Si l'intrigue partage les mêmes fondements que la plupart des autres pièces d'Ibsen, elle présente toutefois plusieurs contradictions qui la rendent singulière.

Le sujet de la révélation est prévisible (dans Solness, le point d'arrivée est prédictible, mais pas nécessairement la forme et la nature des dévoilements), si bien qu'Ibsen l'effectue hors scène, entre les actes III et IV – alors que sa dramaturgie culmine généralement dans les instants qui suivent ces épiphanies.
Il faut dire que tout annonce le dénouement ; l'exposition, à défaut de montrer immédiatement les personnages les plus présents, aborde immédiatement le cœur du problème et de la « mission morale ».

Car, ici, la révélation n'est pas dictée par des événements, mais par la volonté d'une personne seule, qui prend le parti de faire voir la cruelle vérité à son ami, contre son gré. Aussi, le propos du dramaturge, qui paraît ailleurs séduit, comme les écrivains romantiques, par le choix de la destruction, semble cette fois assez sévère sur le dévoilement, en lui opposant le mensonge nécessaire à la vie, et une réalité tellement plus absurde et insensée que le mensonge.

L'idéaliste solitaire et sa victime sont même ouvertement tournés en ridicule (le public plus qu'à l'accoutumée, en effet la distanciation est patente), en particulier le père de famille scandalisé mais velléitaire, tranquillement infantilisé par sa femme à coups de propositions de petit déjeuner et d'aide ménagère, renonçant finalement à sa colère par flemme de faire ses valises.

Le cadre varie lui aussi : pour une fois, le lieu n'est pas relié à la nature (même lorsque les intrigues se passent en ville, les personnages vont et viennent, notamment par la mer, comme dans Samfundets Støtter et bien sûr Fruen fra havet), qui réapparaît à travers l'étrange récurrence de la phrase du vieil Ekdal : « Skogen hævner » (Elle se venge, la forêt). L'allégorie du canard sauvage – on pourrait dire du canard boiteux, puisque c'est de cela qu'il s'agit – appliquable tantôt au mari englué dans son univers de mensonge, tantôt à son épouse dissimulatrice, tantôt à l'enfant peut-être illégitime, relie ainsi la logique interne de l'intrigue à une forme de punition supérieure : ce mensonge destructeur est le reflet de la vie artificieuse de ces citadins qui croient retrouver la nature dans leur grenier. Et tôt ou tard, la forêt se venge.

La forêt comme substitut de la vérité... Mêlé à certaines répliques anodines, on croirait réellement se retrouver chez Maeterlinck.

Étrangement, cette pièce aux rouages dramaturgiques sommaires est l'une des mieux écrites d'Ibsen, où les finesses et les allusions abondent, où la dissection maladive des micro-expressions des interlocuteurs annonce quasiment les angoisses méta-verbales de Sarraute. Elle n'est pas la plus forte émotionnellement, mais sa langue y est moins banale : sans être plus sophistiquée, elle ménage quantité de subtilités très plaisantes – inférieure dans la macrostructure, supérieure dans le détail.

3. Sur la Colline

Peut-être grâce à la substance même délivrée par Ibsen, la traduction d'Éloi Recoing me paraît plus réussie qu'à l'accoutumée, et sonne parfaitement en français, comme si elle venait d'être écrite – sans s'éloigner pour autant de la lettre et de l'esprit de l'original.

Suite de la notule.

samedi 1 février 2014

[Sursolscope] Quelques raretés de février


Il y a trop de choses qui se passent en ce début d'année pour mentionner tout ce qui sera joué. Donc simplement quelques raretés.

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dimanche 19 janvier 2014

Henrik IBSEN – Rosmersholm – Idiomécanic Théâtre, Julie Timmerman


Comme déjà précisé, Rosmersholm est sans doute la pièce d'Ibsen qui synthétise le mieux les ressorts de son univers : la dramaturgie repose entièrement sur un processus de dévoilement, refusé et subi par les personnages, dont l'univers s'effondre tandis qu'ils deviennent authentiques. Dans ce cheminement vers l'exposition publique et l'expiation, à travers les vertiges des révélations sur autrui (et par là même, sur les propres piliers de sa vie), Rosmersholm ajoute l'impossible détermination des influences : de la gouvernante manipulatrice, de l'ancien pasteur admiré de tous, ou de la femme défunte, on a peine à décider qui a mené vers la décision finale – un gâchis absurde, mais qui se justifie implacablement par la progression rhétorique du drame.

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mercredi 1 mai 2013

Mai


Sélection de spectacles en mai en Ile-de-France (et un peu au delà). Outre les grandes salles parisiennes, on pourra se balader au Temple du Luxembourg, à l'Athénée, au Musée d'Orsay, à Versailles, à Herblay, et même à Cologne...
Il y a tellement à faire que je n'ai pas osé ouvrir Cadences à la page fatale qui alourdit immanquablement mon agenda d'un ou deux spectacles dans le mois... Mais si vous souhaitez le faire, il y a sans doute de petits récitals de lied ou de petits concerts de musique sacrée qui m'ont échappé. Le Requiem de Ropartz était donné sur une assez longue période en Île-de-France, par exemple.

En gras, mes choix, si jamais vous désirez m'offrir un macaron (comestible ou solide, selon votre appréciation de ces pages) à l'entracte...

2 mai - Richelieu - Shakespeare, Troilus & Cressida
J'y espère le même succès que pour les Commères d'Andrés Lima, même si je suis en général un peu moins intéressé par le (bon !) travail de Ruf.

4 mai - Bastille - Mahler, Symphonie n°3, chorégraphie Neumeier
Je ne suis pas convaincu par ces principes en général, mais la Troisième me paraît très bien se prêter à l'exercice visuel et en particulier chorégraphique - indépendamment du programme originel qui ne me passionne pas particulièrement.

5 mai - Cologne (Mülheim) - Schreker, Die Gezeichneten
Les extraits vidéos qui circulent ont l'air engageants - Stefan Vinke n'a jamais chanté comme cela, ce qu'on entend là est fantastique ! Vu les minutages, un compère pronostique une version intégrale ou peu s'en faudra.
Une catégorie entière est dévolue à cette oeuvre sur CSS.

7 mai - TCE - Mozart, Don Giovanni, Rhorer, Braunschweig
Vu que l'a Mezzo enregistré et diffusé, je vais sans doute m'abstenir de me déplacer dans un théâtre malcommode (salutations à mon voisin du dessus qui s'est samedi essuyé trois fois les pieds sur mes cheveux !) et vraisemblablement complet. Don Giovanni n'est de toute façon vraiment pas l'oeuvre qui sied le plus au style de Braunschweig. Les extraits entendus rappellent que Rhorer, qu'on entend beaucoup désormais dans le répertoire romantique (avec un intérêt variable), s'est fait un nom avec sa langue maternelle : Mozart (et Salieri).

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jeudi 11 avril 2013

Henrik IBSEN - Solness le constructeur (Vittoz, Françon, Colline 2013)


Le théâtre de la Colline poursuit sa mise à l'honneur des pièces de maturité d'Ibsen, cette fois sans Stéphane Braunschweig.

1. Curiosités

Bygmester Solness est représenté en 1892 ; après Hedda Gabler (qui fait suite à Fruen fra HavetLa Dame de la Mer), avant Lille Eyolf (qui est son avant-dernière pièce).

Fait notable, le personnage central se nomme Hilde Wangel (les traductions anglaises et françaises proposent souvent "Hilda", mais c'est bien Hilde dans le texte original), de même qu'un personnage secondaire dans La Dame de la Mer ; néanmoins, malgré leurs parentés de caractère (exaltation intense, et au besoin cynique), les deux personnages ne font pas sens ensemble (trop jeune pour songer au mariage et pas du tout mélancolique avant Solness ; après Solness, le retour dans la maison paternelle paraît improbable). La Hilde de Solness m'évoque davantage le délire mystique et fatal de Gerd (qui pourrait être Hilde après Solness) dans Brand que son homonyme dans la Dame de la Mer.

2. Particularités du texte

Solness diffère un peu du ressort habituel des drames d'Ibsen : ici, le processus du dévoilement est relativement mineur dans la construction d'ensemble. L'originalité de Solness est précisément que la tension ne repose pas sur un mensonge qui refuse de rester enseveli, sur une cheminement destructeur vers la vérité. Les révélations prouvent plutôt la bonne volonté des personnages.

Cependant, comme jouant avec leur propre matière, les protagonistes s'emparent de cette innocence et en font le moteur principal de l'intrigue (si l'on peut réellement parler d'intrigue pour cette observation de l'évolution inexorable d'une famille brisée). En effet, la question du libre arbitre ne s'en pose que plus douloureusement, à travers la croyance surnaturelle que les accidents de la vie peuvent être sollicités par une aide surnaturelle qui naît de la volonté. Nourrissant la culpabilité, on retrouve ainsi les interrogations habituelles sur le prix, la légitimité et le sens du bonheur individuel, toutes interrogations fortement agitées. Et qui aboutissent, dans les hypothèses de Solness, à l'interrogation sur un éventuel dessein égoïste de Dieu, secondant les malheurs souhaités par les hommes si cela peut in fine servir Sa gloire.

Solness n'est cependant pas l'oeuvre d'Ibsen la plus propre à ébranler les esprits - avec un développement beaucoup plus linéaire que de coutume, un nombre de personnages réduit, et une ligne d'horizon assez facile à saisir (caractère cyclique de l'ascension de la tour). Il n'empêche que l'ensemble demeure construit avec une habileté certaine :

  • exposition un peu mouvante, qui laisse le sujet difficile à appréhender pendant les premières minutes, avant d'apprivoiser les personnages et situations ;
  • usage de la parole informelle et de l'humour (pas forcément gai) ;
  • système de répliques courtes, refus des grands épanchements apologétiques (les personnages ne voient jamais tout à fait clair en eux-mêmes) ;
  • retour d'expressions qui structurent l'ensemble : « Å Gud » (« Ô Dieu ») pour Aline Solness, et bien sûr le « bygmester » (« constructeur ») qui sert le plus souvent d'apostrophe à Hilde, qui n'appelle jamais Halvard Solness autrement que « bygmester » ou « bygmester Solness », de façon très révélatrice - et tout à fait rituelle.



HILDA
Et tous ces livres, les lisez-vous aussi ?
SOLNESS
Je m'y suis essayé un temps. Lisez-vous ?
HILDE
Non, jamais ! Autrefois – plus maintenant. Car je n'y peux trouver aucun intérêt.
SOLNESS
C'est exactement où j'en suis.


3. Sources

La matière-première de Bygmester Solness provient pour partie de la biographie de l'auteur : enfant, il était monté en haut de la tour de l'église de Skien, d'où un veilleur de nuit était tombé au moment du passage à l'année nouvelle, un 31 décembre. Sa mère lui avait fait signe avant de défaillir. La relation entre Hilde et Solness, fondée sur le sentiment d'une promesse de bonheur qui n'a jamais pu se concrétiser, doit beaucoup aussi à la rencontre d'Emilie Bardach, une viennoise de dix-huit ans qu'Ibsen avait croisée au Tyrol (accompagné de sa femme et de leur fils). Il semble qu'il n'y ait pas eu beaucoup d'audace dans leur rencontre (le degré d'effronterie de la petite varie selon les "chroniqueurs"), mais cette image d'un bonheur virtuel qui revient hanter l'homme mûr (ou la femme mûre, pour La Dame de la Mer, écrite avant la rencontre !) était déjà un thème important de l'oeuvre d'Ibsen, et prend dans Solness une tournure puissamment comparable à ce qu'a pu vivre l'auteur - la tentation de quitter un foyer qui ne promet plus, pour une jeunesse exaltante et tellement plus valorisante. Tout cela à travers les voiles de l'impossibilité, qui rendent la promesse inaboutie à la fois tragique et désirable.

Cet histoire de nouvel Icare est parcourue de nombreux symboles, notamment solaires (et cela ne se limite pas à l'onomastique). Par exemple, si l'on observe les dates, l'action se déroule les 19 et 20 septembre, si bien que [attention spoiler] Solness meurt la veille de l'équinoxe d'automne [fin spoiler], c'est-à-dire à un moment qui marque à la fois une apothéose astrale et le début du chemin vers la désolation hivernale.

Dans le même goût, les propositions voilées de Hilde à Solness, lui offrant en substance de reprendre leurs travaux après le baiser interrompu, innervent toutes les remarques - implicitement, « Luftslotte » (les « châteaux dans les airs ») évoque, à la fin de la pièce, le projet de refonder une famille avec une femme fertile. Sans que cela ne soit jamais explicité, l'ensemble des jalons laissés conduit le spectateur / lecteur inévitablement vers cette interprétation.

Suite de la notule.

dimanche 7 avril 2013

Pleyel, Champs-Elysées, Cité de la Musique, Opéra-Comique en 2013-2014 : tendances


En qualité de râcleur de fond de tiroir, ayant dû lire attentivement l'intégralité de ces brochures, je propose un petit mot sur les tendances actuelles qui se dégagent de la programmation des grandes salles parisiennes.

Suite de la notule.

mercredi 27 mars 2013

Programme d'avril


Petite sélection mensuelle.

A Lyon :

Ont lieu (entrée libre) les épreuves et le concert des lauréats du IXe Concours International de Musique de Chambre de Lyon (consacré cette année au lied et à la mélodie), du 22 au 28 avril, où l'on entendra notamment Brahms, Dubois, Gounod, Massenet, Paladilhe, Schubert, Schumann, Wolf, Ravel Debussy, Poulenc, Fauré, Satie, Bacri, Britten, Liszt, Strauss, Boulanger, Schubert, Falla... !

J'en avais un peu plus précisément touché un mot en début de saison.

A Paris :
Théâtre

Troilus & Cressida se poursuit à la Comédie-Française.

De même pour le Songe d'une Nuit d'été au Théâtre de la Porte Saint-Martin, et pour Occupe-toi d'Amélie au théâtre de la Michodière.

Pour faire bonne mesure, la MC93 de Bobigny propose une version psychédélique de The Tempest avec la musique de scène de Purcell (manifestement remixée façon « musiques amplifiées ») - le tout en portugais, sinon ce ne serait pas drôle.

Plus sérieux, Les Amandiers de Nanterre mettent en valeur le patrimoine rare de deux grands auteurs dramatiques : Goethe avec Torquato Tasso (une oeuvre pas extraordinaire cela dit, qui paraît assez conventionnelle et mesurée aujourd'hui, dans le registre artiste sensible et maudit), Ibsen avec Les Revenants.

Enfin, La Colline joue aussi Ibsen, avec Solness le Constructeur par Braunschweig, la gourmandise théâtrale de l'année !

Musique

(En gras, les dates personnellement prévues. Attention, les autographes ne sont jamais signés avant le concert.)

3 avril - Opéra-Comique - Falvetti, Il Diluvio Universale. Comme les oeuvres de Legrenzi, le Déluge est témoin de la mutation esthétique entre la déclamation sèche de la naissance de l'opéra et la vocalisation abstraite de l'opera seria du XVIIIe siècle. Un âge d'or dans l'opéra italien, à la fois raffiné musicalement et généreux vocalement, qu'on ne retrouvera pas avant Verdi - et qui ne sera pas à nouveau généralisé avant la génération Catalani-Leoncavallo-Mascagni-Puccini.

5 avril - Théâtre de Saint-Maur - Wieland Kuijken en solo
5 avril - Salle Pleyel - Sibelius, Symphonie n°2 par Mikko Franck et le Philharmonique de Radio-France

6 avril - Cité de la Musique (14h30) - Variations Goldberg par Blandine Rannou. Lecture très étrange (et abondamment ornementé), assez fascinante.
6 avril - Cité de la Musique - Bach, Motets & Cantates célèbres par Gardiner. Répétition générale publique dès 18h30.

Suite de la notule.

dimanche 24 février 2013

[Sursolscope] Le mois de mars à Paris


Sélection d'événements, avec un petit mot pour aider à choisir.

=> 1er, Amphithéâtre Bastille : Notturno de Schoeck par Eröd et le Quatuor Aron, couplé avec le Quatrième Quatuor de Zemlinsky.
Programme très original, avec des oeuvres qui sont d'authentiques chefs-d'oeuvre, au sens le plus complet : des sommets représentatifs de leurs périodes. Le Notturno de Schoeck s'apparente beaucoup au Deuxième Quatuor de Schönberg, aussi bien dans les couleurs harmoniques (proches de celles du premier mouvement) que dans l'ambiguïté formelle entre quatuor et lied. En un flux unique sur près de quarante minutes, on traverse les textes de Lenau et Keller. Raison de plus pour venir : les textes sont toujours fournis à l'Amphi !
Quant au Quatrième Quatuor de Zemlinsky, il se situe sensiblement dans le même univers, mais plus tardif et tourmenté - quelque part entre le Deuxième et le Troisième de Schönberg. Autre chef-d'oeuvre.
Adrian Eröd ayant déjà fait ses preuves comme liedersänger, c'est un moment assez incontournable si on s'intéresse aux décadents.

=> 1er, Cité de la Musique : Berlin dans des oeuvres de chambre avec vents de Brahms, Debussy et Ravel.

=> 4, Pleyel : Requiem de Verdi avec le Choeur Philharmonique Tchèque de Brno (superbe ensemble). Et l'Orchestre National de Lille.

=> 5, Amphithéâtre Bastille : Conférence d'Hervé Lacombe sur Wagner & les Français.
Sujet passionnant très prisé de CSS (je vous laisse fouiner dans CSS à propos de Reyer, d'Indy, Chausson ou Ropartz, par exemple).

=> 7, Amphithéâtre Bastille : Lemieux, Blumenthal et les Psophos dans Schindler-Mahler, Lekeu et Elgar.
J'aurais aimé une autre chanteuse (Lemieux, c'est vraiment pâteux), mais les autres artistes sont enthousiasmant, et le programme à la fois original et décadent ne peut que faire très envie. (Dommage en revanche que ce soit toujours la première série de Schindler qui soit jouée, alors que les autres sont encore plus puissamment personnelles. Et qu'on ne les entend jamais - même au disque, on a très souvent la série de 1910.)

=> 8, Amphithéâtre Bastille : Merbeth dans R. Strauss, Zemlinsky, Schreker, Schönberg, Korngold, Webern.
Ici aussi, je redoute une voix un peu large et durcie pour le lied et la salle, mais Merbeth est une artiste capable, je crois, d'adapter finement son style à ce genre d'exercice. Et le répertoire concerné peut souffrir une lecture un peu ample. Il ne manquait plus que Gurlitt, et nous avions la quintessance du lied décadent germanique réuni en deux jours à l'Amphi.

=> 18, Châtelet : Carousel de Rodgers & Hammerstein II.
Les raretés du Châtelet en matière de Musical ne m'ont pas toujours totalement convaincu, en revanche ils ont montré à plus d'une reprise leur habileté à monter les standards à leur plus haut niveau, soit en invitant comme pour les Miz, sont en faisant eux-mêmes leurs productions. Je n'ai pas pu voir sur place The Sound of Music, My Fair Lady et Sweeney Todd, mais au delà de la réception critique très favorables, les échos publiés en ligne par le théâtre parlent d'eux-même sur la très grande qualité de ces soirées.
Pour information, l'essentiel du recrutement se fait auprès de chanteurs lyriques (anglais courant exigé, pas seulement les vagues prononciations opératiques) qui maîtrisent les deux styles.

Suite de la notule.

dimanche 28 octobre 2012

Lully - Phaëton à Pleyel (Rousset 2012)


Soirée un peu tiède pour différentes raisons (à commencer peut-être par le contraste avec le langage de Der Ferne Klang quelques jours plus tôt !), mais très stimulante.



La version de Beaune (plus flatteuse, et avec Auvity dans sa forme normale) est toujours disponible en ligne via Arte Live Web en cliquant ci-dessus.


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1. Oeuvre singulière

Phaëton est un opus particulièrement original dans le corpus de Lully, plus encore dans celui de Quinault, et même dans le genre de la tragédie en musique tout entier. Il suffit d'observer la place de son rôle-titre, tenu par la haute-contre, mais exceptionnellement utilisée comme un personnage repoussoir. C'est la première fois (il s'agit de la dixième tragédie en musique de Lully) que cette configuration apparaît, et elle restera extrêmement rare dans la littérature musicale du siècle à venir. Et dans certains cas, de façon moins franche (Jason est-il réellement à considérer comme négatif, étant donné que son vis-à-vis est la barbare Médée ?).

De même, la musique y montre un renouvellement et un raffinement peu communs chez Lully. Son inégalité est d'ailleurs frappante : qu'on trouve son inspiration un peu terne (Thésée, Isis) ou au contraire magistrale (Atys, Armide), la plupart de ses oeuvres sont d'une qualité assez homogène. Or, Phaëton contient à la fois les plus hauts sommets du compositeur (les deux derniers tiers du Prologue, à peu près tout à partir de la seconde moitié de l'acte II) et des pages parmi les plus lisses et vides de sa production tragique (le reste). Un peu à l'image d'Amadis, à ceci près que le livret de Phaëton est aussi tendu et brillant que celui d'Amadis est indolent et répétitif.

Dans ses moments majeurs, on rencontre bon nombre d'effets inédits : la chaconne, l'air de rien, très retorse rythmiquement ; les duos tendres de Lybie et Epaphus, modèles de virtuosité dans l'alternance des mètres musicaux ; son inspiration mélodique très évidente et assez différente de ses habitudes ; les parties très aiguës du Soleil, mais sans le caractère de douceur des autres occurrences de ce type (Sommeil & Morphée dans Atys, Mercure versant le sommeil dans Persée) ; cette fin à la fois malheureuse et souhaitée (sans l'attachement qu'on peut avoir à la figure d'Armide) ; son caractère hautement spectaculaire. Pour cette dernière raison, on l'a nommé « l'opéra du peuple » (Atys étant « l'opéra du roi »), considérant les succès très vifs que les machines de l'acte V remportaient auprès du public parisien de l'Académie Royale de Musique.

Voici ce qu'il en était dit (plus spécifiquement à propos des récitatifs d'Epaphus dans une notule de 2011 :

Le naturel extrême de la déclamation (fondé sur des mesures dont les mètres sont très changeants), sa grande inspiration mélodique, l'ampleur sans grandiloquence du geste musical, le pathétique très attachant des personnages, la beauté des couleurs harmoniques (parmi les plus raffinées de tout Lully), la variété des carrures rythmiques bondissantes, le sens inexorable de la progression dramatique, les sommets contenus dans les duos qui terminent chaque entretien... tout cela témoigne combien Lully a ici livré sa meilleure inspiration, et l'un des moments les plus élevés de toute son oeuvre.
Par la même occasion, ces deux scènes constituent également un sommet de l'histoire du récitatif français.

A la relecture des partitions, j'ai sans doute un peu exagéré, Phaëton n'a jamais le relief harmonique des grands moments d'Atys et d'Armide, mais il maintient l'exigence à un niveau moyen d'une qualité assez rare chez Lully.

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2. Différences

Etrangement, je ne ressens pas vraiment la même chose en salle qu'en retransmission, et comme pour la Médée de Haïm, ce n'est pas à l'avantage de la musique en vrai.
Peut-être la proximité dans mes oreilles d'une oeuvre aussi dense musicalement que Der Ferne Klang a-t-elle un peu altéré mes repères auditifs (petite salle, orchestre très riche, décibels généreux), et de fait l'orchestre sonne mince dans les dynamiques les plus fortes.

L'ensemble de la soirée procure un étrange sentiment de mollesse, de distance même, s'alanguissant avec la même coquetterie terne que le Rousset du milieu des années 2000, celui du creux de la vague (avec, en ce qui concerne ce répertoire, les studios de Persée et de Roland). Attention, contrairement à Haïm, la musique fonctionne tout de même la plupart du temps - la logique de Rousset me paraît souvent néfaste aux oeuvres qu'il sert, mais il n'y a jamais l'impression de fragmentation qu'on pouvait ressentir avec Haïm.

Et cela voisine avec des moments d'inspiration extraordinaires. En particulier les danses (chaconne remarquable), absolument toutes les interventions chorales (le Choeur de Chambre de Namur est bien sûr magnifique, mais mieux dirigé que jamais), de très belles réalisations au théorbe et au clavecin (du type "ritournelle", qui invente des contrechants, des introductions, des réponses - encore meilleur pour Rousset que pour Stéphane Fuget), l'usage très heureux du positif dans certains récitatifs, un acte IV qui mêle poésie et tension. Sans parler de la trouvaille du final (reprise du choeur « Ô témérité malheureuse » en decrescendo tendre et funèbre, là où Minkowski renforçait l'éclat), tout à fait bouleversante, une de ces fins qui éclairent de façon très puissante tout ce qui précède.

Dans l'ensemble, on évite donc le côté cassant qu'on pouvait reprocher au studio de Minkowski, qui ne respire pas beaucoup, et qui se montre quelquefois brutal (l'esthétique de sa chaconne se rapproche assez de celle, martiale, de Goebel pour Armide). Mais Minkowski avait pour lui, outre une distribution (très) supérieurement préparée, un sens du drame sans comparaison : sa conception du continuo est certes plus verticale (beaucoup d'accords égrenés, moins de contrepoint), mais la gestion du temps de déclamation est idéale, on perçoit sans cesse l'urgence des situations et les quantités de la langue. Aussi, son disque se dévore, et malgré ses duretés, convainc de bout en bout.


Extrait de l'acte V dans le studio de Minkowski : second entretien entre Libye (Véronique Gens) et Epaphus (Gérard Théruel, le plus grand baryton de tous les temps).


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3. Esthétique générale

Globalement, l'intérêt de la soirée suit de très près l'intérêt de la partition : lorsque celle-ci se dérobe, il n'y a réellement plus rien (première partie de soirée assez peu palpitante) ; lorsqu'elle déploit ses beautés, sans en tirer toujours pleinement parti, Rousset la sert avec soin. Du moins à l'orchestre.

Car, comme au TCE avec Haïm, le problème le plus frappant étant l'absence de travail sur la déclamation. Les chanteurs disent leur texte sans s'appuyer sur la couleur propre de chaque voyelle, sans croquer les consonnes, sans mettre en valeur les "quantités" fortes du vers. Je distingue même (non sans horreur) des traces de couverture ! Affadir le texte, avec une musique aussi simple, aussi liée à sa qualité verbale, c'est tout bonnement se faire seppuku.

J'y vois plusieurs explications possibles :

Suite de la notule.

mercredi 24 octobre 2012

Franz SCHREKER, Der Ferne Klang sur scène : Braunschweig, Letonja, Strasbourg-Mulhouse 2012


La mise au répertoire de l'Opéra du Rhin de Der Ferne Klang (la première française, il me semble) constitue l'occasion, jamais saisie alors qu'on s'est beaucoup attardé ici sur les Gezeichneten, voire sur la Symphonie de Chambre, de présenter un autre chef-d'oeuvre au sein d'une production très inégale.

En fin de présentation, un mot sur les représentations strasbourgeoises (pas dépourvues de réserves bien sûr, mais en réalité assez idéales). Et un bref bilan discographique (trois versions officielles à ce jour).

Avec extraits sonores.

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L'interlude de l'acte III, dit Nachtstück, la partie la plus célèbre de l'oeuvre et l'une des plus originales, parfois présentée de façon autonome au concert, comme ici - Karl Anton Rickenbacher dirige le Radio-Symphonie-Orchester Berlin, ex-Radio de Berlin-Est, dans un disque Orfeo partagé avec Michael Gielen, et qui contient les trois meilleures pièces symphoniques de Schreker dans des interprétations de premier plan.
Des extraits des représentations strasbourgeoises sont à venir, plus loin.


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1. Création

Son premier opus, Flammen (1901-1902), est le seul dont il n'ait pas écrit le livret. La tâche était alors assurée par Dora Pollak (sous le pseudonyme de Dora Leen), fille du médecin personnel de Ferdinand von Saar - ami et mentor de Schreker, auteur majeur du naturalisme germanophone (ce qui n'est pas sans faire écho à certains traits de Ferne Klang). Dès ce coup d'essai (un seul acte, de soixante-quinze minutes), Schreker fait valoir un orchestre luxuriant, assez indépendant (rythmiquement et mélodiquement) du chant, et disposant de couleurs orchestrales et harmoniques singulières.
Il faut bien voir qu'en 1901, Pelléas n'était pas encore créé, et que le premier opéra allemand décadent d'importance (du moins tel que documenté à ce jour, car il peut tout à fait y avoir des surprises dans les bibliothèques !) n'a pas encore été créé : Salomé de Richard Strauss, en 1904 - qui s'inspire de la matière musicale de Cassandra de Gnecchi, mais avec une modernité, une densité et une puissance sans commune mesure. De ce fait, ce premier opéra de Schreker peut quasiment être considéré, jusqu'à plus ample informé, comme le point de départ du mouvement lyrique décadent (essai de segmentation ici).

Et ce premier livret est déjà centré sur les questions de création, de vie de l'artiste, de sacrifice féminin (notion très wagnérienne, n'est-ce pas), qui seront complètement récurrentes dans les livrets de la main de Schreker.

L'opéra qui nous occupe, Der Ferne Klang (Le son lointain), est le deuxième opéra de son auteur, le premier de cette envergure (deux heures et demie). Il est intéressant de noter que sa composition débute également avant la création de Salomé (1903-1910), même si sa création est sensiblement plus tardive (1912, à Francfort-sur-le-Main). Malgré son vif succès à l'époque - Schreker représentant, jusqu'à son interdiction par les nazis, l'un des compositeurs les plus en vue de la République de Weimar -, l'oeuvre arrivait donc après les paroxysmes d'Elektra, et n'a certes pas le même impact - ni, à mon sens.
Néanmoins, elle demeure à la pointe de la modernité, et très singulière, vraiment différente du ton des Strauss ou de la palanquée de post-wagnériens (parfois très séduisants, comme Humperdinck, Pfitzner ou Siegfried Wagner).

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2. Synopsis

Nécessaire pour suivre la logique de ce qui suit si l'on n'a pas déjà lu le livret, voici les quelques articulations importantes de l'intrigue.

Acte I, tableau 1. Grete et Fritz s'aiment en secret, mais Fritz part à la recherche du soin lointain qu'il entend sans cesse - un sacrifice que Grete accepte avec générosité. Mais celle-ci découvre soudain que son père, ivrogne perclus de dettes au cabaret d'en face, vient de la jouer (et la perdre) pour un tonneau de vin. Désespérée, elle finit par accepter l'offre du cabaretier (qui lui offre, une fois mariés, de prendre des amants à son gré). Mais, une fois seule, elle se sent incapable de tenir sa parole et s'enfuit pour retrouver Fritz.

Acte I, tableau 2. Grete est désespérée de sa quête infructueuse, mais émerveillée des beautés de la forêt. Elle songe à se noyer dans le lac, mais la Vieille Femme (qui la persiflait au premier tableau) reparaît, et lui propose de retrouver l'équivalent de Fritz.

Acte II, tableau unique. Ile vénitienne qui sert de luxueux lupanar. Grete, à la fois flattée dans sa vanité par l'idolâtrie des hommes, et mélancolique sur le souvenir de son premier amour perdu, écoute le concours de contes qu'elle a lancé - et dont elle est le prix. Le Chevalier galant fait dans le badin ; le Comte, qui soupire en vain pour Grete (à qui il rappelle trop Fritz), épris contrairement aux autres, propose une sombre ballade germanique. Grete rejette sa proposition d'enlèvement pour une vie décente.
Fritz paraît, et reconnaissant tardivement Grete, lui raconte sa recherche égoïste qu'il déplore. Celle-ci lui accorde le prix, mais alors qu'il compte partir, elle lui fait entendre qu'il s'agit d'une nuit voluptueuse, très loin de leurs entretiens naguère. Horrifié, Fritz s'enfuit ; Grete accepte la proposition du Comte.

Acte III, tableau 1. Au café en face de l'Opéra. Remords du docteur Vigelius, à l'origine de la « vente » de Grete, et qui s'accuse de sa disparition. Les artistes, sortant du théâtre, font écho au grand succès de l'oeuvre, avant la chute terrible de l'acte III. Grete, devenue une prostituée de rue, a fait un malaise pendant la représentation, et tandis qu'elle se remet, se fait importuner par un homme connu antérieurement et mépriser par la compagnie. Néanmoins le manège attire l'attention de Vigelius qui l'identifie. Devant l'échec de la pièce et l'annonce de la maladie du compositeur, Grete décide de voler au devant de Fritz pour le consoler.

Acte III, tableau 2. Chez Fritz. Désespoir du compositeur déchu. Vigelius, forçant sa porte, lui parle sans être entendu, alors qu'il lui révèle la présence de Grete, à laquelle Fritz pense en se reprochant son abandon à Venise, lorsqu'elle était dans la fange. Finalement, apparition de Grete, fugace moment de joie, avant que chacun ne se mette à délirer simultanément, Grete sur sa dévotion à Fritz (avec des réflexes assez « physiques »), Fritz sur le son lointain toujours plus présent. Finalement, mort de Fritz.

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3. Le premier livret de Schreker
Rémanences thématiques

On retrouve dans cette oeuvre un nombre important de motifs communs à beaucoup d'autres livrets de Schreker. Rien qu'au niveau de l'histoire racontée : la figure de l'artiste (d'une façon ou d'une autre maudit), le départ pour une quête surnaturelle, l'auberge sordide, la vie misérable à la campagne, la question du désir évoquée sans détour (mais toujours connectée à l'égarement moral et à l'expiation).

Il est frappant de constater à quel point, aux côtés d'une musique très moderne, d'une écriture tonale très souple (et parfois, comme au milieu du III, complètement floue), volontiers ironique et grinçante (musique de scène de l'acte II), le propos littéraire de Schreker demeure profondément marqué par le romantisme. Et pas seulement de pair avec les grands épanchements lyriques assez extraordinaires dont, comme Strauss, il est maître : tout le drame est innervé par des représentations morales typiquement romantiques.
On y retrouve cette fascination pour la pureté (l'amour doit être unique), ce goût paradoxal pour la passion destructrice (dont, comme chez les romantiques "classiques", on ne parvient jamais à savoir si elle est plutôt modèle ou plutôt repoussoir, vu les résultats obtenus), cette exaltation de la femme et de la rédemption terrestre.

Mais à tout cela s'ajoute une atmosphère sulfureuse [1] et fortement sexuée. Sans les crudités de Wozzeck, Lulu ou Lady Macbeth de Mtsensk, bien sûr, mais à défaut de consommation, le désir sous sa forme la plus écarlate y est évoqué sans détour.

Et précisément, on sent un trouble très palpable autour de ces éléments, car on ne parvient jamais à distinguer entre fascination et condamnation ; d'un côté, Schreker ose le sujet, exalte le pouvoir de la femme, confie à ces moments de superbes pages musicales et ses tirades les plus soignées ; de l'autre, il décrit une forme de déchéance (sous divers aspects selon les oeuvres, mais très évidente), de punition immanente pour celui qui s'égare dans ces absolus trompeurs.

Ainsi, de même que la culpabilité judéo-chrétienne subsiste, mais avec une possibilité de la verbaliser, de même l'artiste romantique demeure, avec l'adjonction de son aspect maudit très fin-de-siècle. Schreker ne bouleverse pas les paradigmes, mais il les rend plus complexes et contradictoires.

D'une certaine façon, si Der Ferne Klang n'est pas l'oeuvre la plus aboutie de Schreker, elle peut en être la plus représentative.

Matière autobiographique

Et le compositeur y a ajouté une dimension encore plus personnelle :

Notes

[1] Déjà en germe chez les premiers romantiques, il suffit de voir comment dans Le Roi s'amuse de Hugo, Blanche sort de la chambre du roi, ce qui était d'une transparence plutôt scandaleuse.

Suite de la notule.

dimanche 30 septembre 2012

[Sursolscope] Planning de spectacles pour octobre



(Mise à jour du 1er octobre : corrections et ajout des deux récitals de L'Oiseleur des Longchamps.)

En attendant que le Klariscope quitte son doux sommeil, le programme du mois.

Octobre particulièrement riche, comme tous les ans : on est au plus fort de la saison du CMBV, du démarrage sérieux des saisons des différentes scènes... Heureusement, ce qui m'intéresse des pièces de théâtre et du Festival d'Automne (pas trop palpitant cette année) se trouve un peu plus tard.

L'astérique indique une certaine détermination des lutins.

J'en profite pour signaler que j'ai une, peut-être deux places à vendre (30€ l'unité, il n'y a pas de tarif inférieur...) pour Renaud de Sacchini à l'Opéra Royal de Versailles, le 19 octobre.

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4 - répétition du Cantate Domino de Bernier
Au continuo. Juste pour dire que ce soir-là est déjà pris.

5 - Mélodies de Massenet par L'Oiseleur des Longchamps au Temple de Pentémont
Ces mélodies ne sont pas le meilleur de la production de Massenet (un peu gentilles), mais vu le talent de L'Oiseleur comme chanteur et comme défricheur, je me serais vraiment laissé tenté par ce concert monographique dont je viens de découvrir la tenue. J'hésite à abandonner Szymanowski, qui est finalement un peu moins rare (mais musicalement plus intéressant, il est vrai).

5,6,7,8,9 - La Cité du rêve d'après Kubin, Théâtre de la Ville
En revanche, attention, même la « version courte » donnée le week-end est très longue (quatre heures sans les entractes, comme Peer Gynt). Sans parler des cinq heures (sans les entractes) de la version complète. Il est recommandé d'être dans l'humeur adéquate (et l'endurance physique indispensable), ce soir-là.

*6 - Szymanowski 1, Brahms 1 et le Premier Concerto pour Violon de Szymanowski à Pleyel (Jansen, LSO, Gergiev)
Super concept de la double intégrale, qui va obliger les fans de Brahms à se bouger un peu les oreilles. Bravo. (En plus, la Première Symphonie de Szymanowski est vraiment accessible en plus d'être très belle.)
Le cycle se poursuit le lendemain.

Suite de la notule.

samedi 25 août 2012

Une saison 2012-2013 (Paris et vaste monde)


Pour la quatrième année consécutive, je publie mon planning de concerts. Ayant regardé un assez grand nombre de salles, il est possible que vous repériez l'une ou l'autre soirée que vous n'aviez pas relevée auparavant. N'ayant pas obtenu de dérogation d'ubiquité (malgré une demande chaque année renouvelée au Ministère des Cultes, mais l'attente semble plus longue qu'à Bayreuth), je me contente essentiellement d'évoquer l'Ile-de-France, malgré une escapade prévue à Strasbourg pour Der Ferne Klang de Schreker.

Comme je suppose que dans la masse proposée, on a besoin d'un peu de hiérarchie, j'explique la légende que j'utilise pour mon compte (et que je n'ai pas d'intérêt à ôter) : le signe § indique le degré de prévision, le signe ¤ l'improbabilité de ma présence. Pour ceux où j'ai d'ores et déjà décidé de me rendre, la ligne est en couleur. Ceux dont j'ai déjà acheté les billets sont précédés d'astérisques.

Vous pouvez retrouver les précédentes saisons, chacune disposant en commentaires de liens renvoyant vers des échos des soirées vues :


Par ailleurs, un certain nombre d'informations sont déjà disponibles dans la catégorie consacrée à 2012-2013

Voici donc le programme des folles festivités des farfadets facétieux :

Suite de la notule.

samedi 5 mai 2012

Le Son distant (de 399 Km)


La saison de l'Opéra du Rhin est à présent officialisée, avec de très belles choses.

La très grande nouvelle, c'est la confirmation de Der Ferne Klang de Franz Schreker, et dans les meilleures conditions du monde : outre une distribution assez prometteuse (Helena Juntunen, Stanislas de Barbeyrac...), la direction musicale sera assurée par Marko Letonja, le merveilleux maître-d'oeuvre de l'intégrale des symphonies de Felix Weingartner chez CPO, et la mise en scène sera confiée à Stéphane Braunschweig, dont l'esthétique devrait (à la féerie près) très bien correspondre à l'univers de Schreker.

L'enthousiasme à entendre cette oeuvre n'est pas à mettre sur le compte de la vénération du compositeur : assez irrégulier, et particulièrement à l'Opéra (Der Spielwerk, Irrelohe ou Der Schatzgräber accusent de très grandes baisses de tension au sein de livrets discutablement tenus). Il s'agit bel et bien de l'autre chef-d'oeuvre scénique de Schreker, avec les Gezeichneten. Et très rarement donné, il n'est même pas sûr qu'on l'ait déjà entendu en France. Vraiment un événement, en tout cas dans le domaine de l'opéra décadent.

Suite de la notule.

mercredi 28 mars 2012

La Dame de la Mer - Ibsen tendance lumineuse


Le Théâtre des Bouffes du Nord proposait une pièce d'Ibsen assez rare sur scène : Fruen fra Havet (« La Dame de la Mer »), écrite en 1888, entre Rosmersholm et Hedda Gabler.

Le dispositif proposé faisait usage de plusieurs originalités, dont un immense plan d'eau et un certain nombre de créations musicales - justifiées par la présence de la chanteuse Camille, au centre du projet.

L'occasion de revenir sur les ressorts (déjà partiellement parcourus) du théâtre d'Ibsen et sur les spécificités de ce titre précis.

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1. Les Bouffes

Le lieu lui-même est une expérience, avec ses tribunes à l'italiennes exiguës et complètement en bois - vu l'étroitesse et le petit nombre d'issues, un cauchemar en matière de sécurité... Le tout enserrant une grande coupole ecclésiale, le plateau s'en évandant par une très vaste ouverture rectangulaire (fond du plateau et coulisses).


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2. Constance d'Ibsen

On y retrouve largement la construction dramaturgique (et la vision de la vie) fulgurante d'Ibsen :

=> Une exposition lâche. Les personnages échappent tellement à l'identification, ici, que l'on peut croire que le peintre à tout faire, , sera central (alors qu'il n'apparaît que dans la première scène), et qu'on peut supposer pendant le premier quart d'heure (au moins) que Bolette sera le personnage principal - alors qu'elle n'a qu'un rôle, comme sa soeur Hille, de coloration de "caractère".

=> Les personnages sont essentiellement mus par la recherche d'une vérité intérieure, qui puise dans des secrets passés. Ceux-ci, une fois exprimés ouvertement par l'effet des remords ou des circonstances, deviennent irrémédiablement destructeurs pour le présent. Dans le cas de cette pièce, c'est le passé amoureux de la seconde épouse de Wengel, Ellida, dans le cadre d'une relation pourtant plus franche qu'à l'accoutumée chez Ibsen - le secret était déjà connu, seuls les détails vont faie surface.

=> La question du libre arbitre est violemment posée. Ici, c'est sous forme d'une exigence de liberté absolue chez l'héroïne, pour pouvoir rejeter sans contrainte la tentation du bonheur (puisque le noeud de l'intrigue tient dans la rémanence du pouvoir, par-delà les années et la séparation, par-delà d'un premier amour). L'exigence aux dimensions assez infinies (souvent sous la forme plus négative d'une fuite en avant) est en ce sens assez régulière chez les personnages d'Ibsen.

=> La lutte des préséances morales revêt toujours un caractère assez vertigineux et insoluble. Souvent, les garants moraux qui pourraient guider les actions (notables, religieux) sont fragiles, corrompus, liés par des compromissions passées ou par le sens de leur intérêt égoïste caché. La société est présentée sous un jour moins sinistre dans La Dame de la Mer, toutefois les héros (et le spectateur) se trouvent dans une situation tout aussi impossible, celle de choisir entre des valeurs également absolues : ici, pour faire simple, une promesse donnée s'oppose au devoir, chacun ayant ses droits nobles et absolus.
Le talent bouleversant d'Ibsen est de donner vie de façon très fidèle et subtile à toutes les micro-implications psychologiques de chacun de ces postulats. Et le personnage, tout en n'étant pas libre, ne peut que choisir seul.

=> Récurrente aussi, la mention de personnages revenant d'Amérique, une contrée étrange, moderne, délurée, menaçante. Comme souvent, il est impossible de trancher entre la fascination réelle d'Ibsen pour ceux qui en sont issus (finalement des personnages plus francs que les autres) et son effroi face à leur capacité à ébranler la société (avec des attitudes pas très civilisées).

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3. Couleur propre de la Dame de la Mer

=> Le schéma de l'intrigue est fondé essentiellement sur les appréhensions de l'héroïne, Ellida Wengel, vis-à-vis du retour de son premier fiancé, un marin inquiétant jadis accusé de meurtre et noyé en mer. Au fil de son déroulement, l'ombre de l'absent se fait plus pesant tandis que les événements cachés rejaillissent avec violence. En bout de course, Ellida doit faire un choix.
En somme, la couleur générale tient beaucoup du mythe du Hollandais Volant vu par Heine [1], avec la tentation de suivre un fantôme magnétique au détriment d'une vie heureuse mais sans exaltation.

=> [spoiler warning] La Dame de la Mer est surtout l'un des rares drames d'Ibsen a disposer d'une fin, et surtout d'une couleur globale qui soit assez lumineuse, malgré tous les doutes et tourments qui lui sont habituels. Non seulement la fin est heureuse (en tout cas apaisée, même si le choix raisonnable façon Kitty Foyle peut frustrer les amateurs de fins romantiques - à tous les sens du terme - traditionnelles), mais l'ensemble de l'oeuvre, tout en évoquant longuement la mort, l'évite résolument dans l'action représentée. [fin du spoiler] Ainsi, même le personnage potentiellement ridicule de Lyngstrand, narcissique et d'une fragilité affectée, alors qu'il fascine la cadette Hilde par l'imminence probable de son trépas, reste tout au long de la pièce très actif et courtisé.

=> Par ailleurs, l'intrigue aussi est beaucoup plus simple et directe, ici, plus traditionnelle aussi (dilemme d'amour) que la plupart des autres pièces d'Ibsen où l'état de faussaire, le sentiment de culpabilité sont généralement des moteurs bien plus puissants.
Et elle peut se résoudre sans trop cabosser l'identité des personnages, d'ordinaire transfigurés (et rarement en bien !).

=> Tout cela se matérialise notamment dans des personnages étonnamment positifs dans l'univers d'Ibsen, d'ordinaire bien plus mêlés, et assez peu glorieux. [another spoiler] Ainsi le précepteur Arnholm, bien qu'éconduit, maintient-il l'offre généreuse de financement des voyages de Bolette (ce qui amène une inclination admirative de la jeune fille en retour), et surtout le mari magnifique accepte-t-il de rendre sa liberté à son épouse désorientée, de parler la même langue qu'elle (rompre le "contrat", le "pacte" de ce qu'il considérait comme un mariage d'amour) - une véritable résurgence du rôle de Turc généreux, même si la fin lui est ici un peu plus favorable. [end of spoiler]
D'ordinaire, les personnages qui attirent la sympathie chez Ibsen sont des victimes (souvent de leurs propres forfaitures), rarement des amoureux à la conscience irréprochable, et encore moins des altruistes - Ellida, toute attachante qu'elle est, reste au demeurant tout l'inverse d'une altruiste.

=> Autre façon de mesurer ce caractère atypique, la présence de deux couples secondaires (les filles du premier lit de Wengel), avec des soupirants improbables et peu attirants, qui créent autant de scènes de caractère autour de l'intrigue principale, avec un aspect symétrique très rare dans ce type de théâtre (presque de la comédie XVIIIe !).

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4. Le projet des Bouffes

Ce qui a été fait aux Bouffes du Nord n'est pas inintéressant, aussi je vais en toucher un mot.

Notes

[1] En I,VII de Die Memoiren des Herrn von Schnabelewopski, Heine ajoute la dimension féminine du mythe, reprise avec beaucoup d'exactitude par Wagner.

Suite de la notule.

mercredi 31 août 2011

Une saison parisienne (3) : 2011-2012 au théâtre et au concert


A la veille de septembre, voici donc le plan de bataille des lutins. Comme j'ai pris la peine d'éplucher jour par jour le programme d'une solide cinquantaine de salles à Paris et environs (bien au delà du contingent du néanmoins excellent Musique-Maestro), j'en fournis le résultat aux lecteurs de CSS. Bien sûr, la sélection ne reflète que mon goût personnel, mais elle est suffisamment vaste pour faire remarquer à la volée telle rareté dans telle église ou telle salle pas trop fréquentée.

J'invite vraiment les lecteurs curieux à parcourir la sélection : la saison est particulièrement riche en raretés en tout genre pour peu qu'on diversifie les salles, et fait mesurer l'étendue du privilège de ceux qui ont accès à cette offre...

Suite de la notule.

mercredi 20 juillet 2011

[La mise en scène aujourd'hui] Mettre en scène la Dame de Pique


1. Les nations et les traditions

La portion des nations qui représentent l'opéra avec une certaine diversité des oeuvres (périodes, langues, styles...), on l'a déjà souligné ici, est très restreinte. Le phénomène se limite essentiellement à l'Europe occidentale : Allemagne en tout premier lieu (le lieu le plus lyrique et le plus original du monde), Suisse, Pays-Bas, Autriche, Finlande, Suède, Danemark, Norvège, France, Belgique, Espagne, Portugal, Italie, Royaume-Uni.
Ensuite, on voit certes bien plus large que dans les pays où l'opéra n'est pas une tradition (et où l'on ne joue que les Mozart, Rossini et Verdi célèbres, même dans un pays aussi proche que la Turquie), mais on se limite souvent à un répertoire plus local, en particulier dans les pays slaves (+ Hongrie et Roumanie), ou alors à un répertoire assez grand public et pas très renouvelé, comme en Amérique du Nord.

Parmi les pays de tradition lyrique, donc, ceux qui qui innovent sont une minorité ; et parmi ceux-là, ceux qui ont adopté une démarche créatrice façon Regietheater [1] vis-à-vis de la mise en scène sont plus réduits encore, même si le phénomène s'étend.


Mise en scène typiquement traditionnelle de la Dame de Pique de Tchaïkovsky à Santiago.


Les pays germaniques, le Bénélux, la Scandinavie, la France, l'Italie, à présent l'Espagne, et de plus en plus la Russie (qui n'était pas dans le groupe du répertoire le plus original, tandis que le le Royaume-Uni se caractérise plutôt par des mises en scène assez respectueuses et traditionnelles - mais souvent de haut niveau pour Covent Garden). L'Allemagne est le seul pays où il est quelquefois difficile dans les grandes capitales culturelles de voir une mise en scène respectueuse... Mais dans les petites villes de province, très souvent dotées d'un Opéra (avec une programmation audacieuse et souvent de meilleur niveau d'exécution que dans les capitales environnantes, Paris compris), la norme est bien davantage le conservatisme absolu en matière de mise en scène.

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2. La place du Regietheater

Le phénomène de relecture radicale des oeuvres reste donc assez marginal, en quantité (chacun des pays nommés conservant une large part de mises en scène traditionnelles, au moins sur les petites scènes). Leur plus-value est discutable, dans la mesure où elles rendent l'oeuvre, en déformant la lettre du livret, et même l'intrigue, plus difficile d'accès aux candides (contrairement à ce qu'elles prétendent) ; et surtout, leur apport se trouve essentiellement dans la direction d'acteurs (souvent bien plus fouillée), qui peut aussi bien être utilisée dans un décor traditionnel.

En ce qui me concerne, j'accepte beaucoup (aussi bien le kitsch poussiéreux que le dynamitage méchant), si la direction d'acteurs permet de faire sens. Mais l'idéal reste, de mon point de vue, une mise en scène qui ne soit pas en contradiction avec le livret (sinon, je ne suis pas contre la modification pure et simple du livret, mais qu'on soit cohérent), et si possible agréable à l'oeil : donc pas trop littérale et chargée, mais en contexte si possible.

Sur ce chapitre, chacun ses goûts et je ne vais pas m'y étendre. On peut se reporter à cette notule pour une exposition des trois paramètres principaux de réussite d'une mise en scène, et pour une vidéo illustrative des goûts marresques.

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3. Les trois paramètres

A titre indicatif, on les rappelle :

1) Le plaisir esthétique auquel les néophytes et les conservateurs la réduisent parfois, la « mise en décors », le fait que le plateau soit agréable à contempler.

2) L'animation du plateau, le fait que la direction d'acteurs ne laisse pas de place à l'ennui, rende la pièce vivante et fasse sentir la différence avec une lecture pour le théâtre parlé et une version de concert pour le théâtre chanté.

3) Le sens apporté par les choix du metteur en scène, qui éclairent d'une façon subtile ou inédite l'explicite écrit par le dramaturge ou le librettiste.

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4. Les types de mise en scène

Pour être clair, voici un classement (totalement indicatif et empirique) des types de mises en scène. Bien entendu, les frontières sont poreuses, mes définitions parfois contestables, et surtout chez un même metteur en scène, on peut varier de catégorie d'une oeuvre à l'autre ! Lorsque je ne cite le metteur en scène que pour certaines productions isolées, je le précise.

A. Littéral conservateur
Décors exacts, riches si possibles (robes larges, mobilier de style, velours, dorures, bibelots), qui doivent porter une partie de l'émotion par le seul visuel (on applaudit encore quelquefois les décors dans les productions grand public), faire voyager. Direction d'acteurs pauvre : les artistes sont en front de scène, ne bougent pas pendant leur air, ne font pas plus que ce qui est inscrit dans le livret (voire moins). Le seul type de mise en scène qui existait avant les années soixante-dix.
Type Strehler, Schenk, Del Monaco, Stein, Zeffirelli...

B. Traditionnel inventif
Décors exacts, mais le soin se porte sur la direction d'acteurs, et le but est l'efficacité théâtrale, ce qui peut inclure ponctuellement des audaces, des imprévus ou du second degré. On pourrait inclure dans cette catégorie les transpositions mineures - c'est-à-dire les transpositions dans un univers qui paraît également distant au spectateur d'aujourd'hui : La Clémence de Titus au XVIIIe siècle, les Contes d'Hoffmann dans le Paris de 1900, etc.
Type McVicar, Hytner, Sharon Thomas, Savary, Dunlop, Lehnhoff (Frosch, Elektra), Jourdan (Dinorah, Noé), Mussbach (Arabella), Villégier, Marelli...

C. Epuré
Le cadre contexte et spatio-temporel est gommé : peu de décors, on laisse l'action dans une époque indéterminée (éventuellement plus proche du présent que celle du livret) et en se concentrant (en principe, car tout le monde ne le fait pas !) sur la direction d'acteurs.
Type Frigeni, Braunschweig, Decker... ou plus idiosyncrasique, Freyer et Wilson, à cheval avec la catégorie suivante.

D. Transpositeurs / Novateurs
On change le cadre de l'histoire, on en modifie des détails, des dispositifs, mais sans changer le propos.
Type Kupfer, Guth, Fura del Baus, Bieito, Wieler & Morabito, Kušej, Freyer, Wilson... (les deux derniers entrant aussi dans la caégorie "épure")

E. Regietheater versant dynamiteur :
On déforme l'oeuvre telle qu'elle est écrite pour faire passer des messages ou raconter sa propre histoire.
Type Alden (Rinaldo), Konwitschny, Warlikowski, Schligensief, Tcherniakov, Neuenfels...

On trouve des choses réellement intéressantes dans les cinq catégories, même si, à mon sens, les trois centrales sont dans l'écrasante majorité des cas plus efficaces que les deux autres sur le plan théâtral.

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5. Et la Dame de Pique ?

Notes

[1] On appelle Regietheater, dans le milieu lyrique, les productions où le metteur en scène est tout-puissant et transpose le cadre de l'oeuvre, modifie l'intrigue, introduit des éléments subversifs, impose éventuellement des changements à la partition. Le phénomène est stimulant, mais souvent excessif et très contesté par le public - très minoritairement intéressé, concernant surtout les amateurs de théâtre "moderne", qui ne sont vraiment pas la majorité à l'Opéra.

Suite de la notule.

vendredi 23 juillet 2010

Saison 2009-2010 : moments choisis


Après le bilan statistique, voici une ébauche de bilan subjectif.

Suite de la notule.

dimanche 18 juillet 2010

Saison 2009-2010 : Bilan statistique


Pour le plaisir de la statistique et de la remise en perspective.

Un rapide bilan de la saison écoulée, tout à l'ivresse des prodigalités de la capitale. Genres fréquentés, époques, salles, et pour finir la liste et les liens avec les comptes-rendus.

Suite de la notule.

jeudi 15 juillet 2010

Richard Wagner - Die Walküre (La Walkyrie) - Jordan / Krämer (Paris Bastille, 26 juin 2010)


Malgré toutes les tiédeurs plus ou moins complaisantes qu'on a pu lire ici ou là, on avait affaire à des soirées pleinement exceptionnelles.

Je commence tout de suite par la concession, à savoir la mise en scène du premier acte, assez statique et bien peu poétique, avec de surcroît le choix cohérent mais appauvrissant pour l'intensité dramatique de placer sur le plateau la troupe que commande Hunding. Cela dit, il est très difficile à réussir, et mis à part Stéphane Braunschweig, je ne crois pas avoir été déjà enthousiasmé par quelque mise en scène que ce soit ici. Cet acte semblait également assez mou (et pas très bien en place côté vents) pour l'orchestre.

Chose intéressante d'ailleurs, je n'ai pas adoré la direction de Phlippe Jordan, pas très précise, pas très expressive, marquée par quelques problèmes de gestion des blocs de l'orchestre (avec des départs de groupes trop audibles) - néanmoins amplement satisfaisant. Or, lors de la radiodiffusion de la représentation, j'ai au contraire été émerveillé par la justesse de l'expression, la puissance émotive et la finesse de l'agencement des timbres.
Il est probable que dans cette grande salle, ce travail trop fin (et très attentif à ne pas couvrir les chanteurs) se soit perdu, et qu'il y ait, à côté d'une très grande hauteur de vue, un petit manque de technique qui empêche le chef de faire pleinement communiquer ses intentions à la salle.
Bref, une grande leçon de prudence et d'humilité pour qui voudrait s'arroger la posture du juge. (Il existe aussi des choses similaires avec les voix, plus ou moins phonogéniques, et même des chanteurs qui peuvent sembler chanter faux selon l'endroit du théâtre, parce que les partiels harmoniques du son qui parviennent au spectateur diffèrent... )

J'ai beaucoup aimé la mise en scène de Günter Krämer, particulièrement les deux scènes de l'acte II. Dans la première, on se retrouve du côté opposé de la forteresse bâtie lors de Rheingold, et avec un miroir qui permet pleinement de profiler du dénivellement spectaculaire. Le renversement d'une partie du plateau par Wotan lors de sa fureur désespérée est particulièrement inattendu et grandiose : la tentation de destruction du monde qu'il évoque à l'acte III devient pleinement crédible grâce à ce bref saccage du Walhalla.
La seconde scène en a laissé perplexe plus d'un, à cause des pommes que Brünnhilde aligne en cercle pendant l'Annonce de la mort. J'y vois au contraire un réseau symbolique assez dense, et bien trouvé :

  • Elles sont la charge de Freia, déesse de la jeunesse, et leur consommation maintient les dieux jeunes : il s'agit donc d'une métaphore de la vie.
  • Au début de l'acte, les walkyries jouent avec les pommes, elles symbolisent à la fois leur jeunesse éternelle, la vie des héros qu'elles protègent puis ramènent au Walhall, et aussi les jeux de leur enfance.
  • Le retour de ces pommes alignées en cercle pour circonscrire Siegmund marque bien évidemment le terme de son destin, le souvenir des jeux des soeurs de Brünnhilde au moment où celle-ci va se séparer de son sort de walkyrie, la fin aussi de l'innocence de Brünnhilde.
  • ... et à plus forte raison que dans l'imaginaire collectif, la pomme est aussi le fruit de la tentation, lié, pour des raisons d'interprétation très discutables et néanmoins ancrées dans la culture populaire, à la consommation du péché charnel. Autrement dit, ce fruit-là laisse aussi planer une fragrance, ou plutôt une saveur amoureuse ; sans rien expliciter, il renforce les indices de l'admiration amoureuse de Brünnhilde pour Siegmund, l'insolent généreux.


Côté chant,

Suite de la notule.

jeudi 4 février 2010

Les Ibsen de Braunschweig en vidéo


J'avais déjà signalé la publication par le Théâtre National de Strasbourg de certaines mises en scène de Braunschweig, dont son mémorable Brand.

Cette fois-ci, c'est Arte LiveWeb qui le propose... et c'est gratuit.

Pour Une maison de poupée (deux notules et vidéo) et surtout Rosmersholm (notule et vidéo) à voir impérativement.

Et toutes nos notules autour d'Ibsen.

jeudi 24 décembre 2009

Henrik IBSEN - Une maison de poupée - II - Constantes du théâtre d'Ibsen et traits particuliers dans 'Une maison de poupée'


Après la présentation de la soirée (mise à jour ce soir), on part un peu plus en profondeur dans l'oeuvre d'Ibsen.

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Moment de la tarentelle frénétique : incantatoire mais impuissante à apporter protection tutélaire et miracle. Dans l'admirable réalisation scénique de Stéphane Braunschweig et Chloé Réjon.


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4. Une pièce d'Ibsen

On retrouve dans Une maison de poupée la préoccupation d'Ibsen, sans cesse reformulée en pièce en pièce sous des structures très différentes.

En effet, l'ensemble de ses pièces posent de façon centrale la question de la volonté et des valeurs.
Le cadre est posé dans un contexte relationnel où le mensonge, aux autres comme à soi-même, est très présent, et va se fissurer pour entraîner des changements radicaux dans la conception de la vie et dans l'existence concrète des protagonistes. Cet 'éveil' se produit par des rencontres, qui vont mettre à l'épreuve le cadre initial, que l'hypocrisie ou l'aveuglement rendaient cohérent. Tout le drame consiste dans la révélation de parcelles de vérité, qui vont se montrer déterminantes.

Tout cela serait assez banal si on n'y ajoutait deux caractéristiques fortes du théâtre d'Ibsen.

Suite de la notule.

Henrik IBSEN - Une maison de poupée (Braunschweig, Théâtre de la Colline 2009) - I - Représentation


1. Un programme

Dimanche passé, les lutins étaient donc en force (avec du recrutement de grande valeur dans leurs rangs) au Théâtre de la Colline pour assister à la dernière réalisation en date de Stéphane Braunschweig dans le domaine d'Ibsen, avec au programme Une maison de poupée, très régulièrement donnée contrairement aux précédentes pièces qu'il a pu monter de l'auteur.
La raison tient sans doute plutôt dans le propos nettement plus téléologique qu'à l'habitude (où justement c'est tout le contraire), et qui convient si bien à l'air du temps : on aime les causes subversives ET gagnées d'avance, et celle de l'émancipation féminine est alors idéale. On pouvait d'ailleurs lire dans diverses prétentations de saison le manifeste qualitatif comme quoi c'était bien d'une pièce féministe très moderne pour son époque qu'il s'agissait, comme si l'essentiel en allant au théâtre était de se bercer de l'ivresse justicière de combats d'arrière-garde. Ibsen propose au contraire, la plupart du temps, tout l'inverse, puisque son théâtre met en scène, de ses premières à ses dernières pièces, la crise des valeurs.

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L'héroïsme caché du séjour en Italie n'existe, dans les yeux du mari, que sous la forme de cette tarentelle de pacotille (dont on voit ici le costume). Nora s'y jette à corps perdu comme pour implorer protection... Protection et miracle.
Les photographies rendent bien compte du travail de Braunschweig parce qu'elles révèlent des choses qu'on ne perçoit pas dans la version animée du spectacle, et montrent combien l'espace est habité par les décors, les couleurs, les gestes, les accessoires, tout faisant puissamment sens.


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2. Mise en scène

Le choix d'aller voir Braunschweig s'est une fois de plus révélé payant. Un décor extrêmement nu, dans une sorte de présent intermporel, qui ressemble à notre quotidien, mais qui n'est pas résolument daté (ni des années 2000, ni des années 70...). Ce choix ne rabaisse jamais l'oeuvre, parce que les accessoires sont toujours réduits au plus pur minimum, et forcément chargés de sens. Pas de décor qui puis permettre de s'échapper à ce qui se joue, ni pour le spectateur, ni pour les personnages : seules les consciences qui se débattent sont présentes dans la maison.
On est en particulier admiratif de plusieurs très beaux effets qui sont extrêmement plats à décrire, voire évidents lors de la lecture ou du déroulement de la pièce, mais réalisés avec une mesure et une poésie parfaites. Ainsi le feu éteint du docteur Rank, qui s'échappe vers la mort qui l'attend - et cette chaise vide, évoquée deux actes plus tôt, qui se balance sinistrement en rappelant l'absent.

Suite de la notule.

dimanche 22 novembre 2009

Henrik IBSEN - Rosmersholm (1886) par Stéphane Braunschweig (Théâtre de la Colline)

Vu aujourd'hui.

Les thèmes brassés et les façons convient à une expérience du même ordre que Brand mais avec un texte et une réalisation scénique plus fins encore, s'il est possible.

On y retrouve les questions obsédantes d'Ibsen : la pureté est indispensable à la réussite, et la conservation de cette pureté implique tous les sacrifices, jusqu'à la destruction de l'individu (qui ne peut donc plus réussir). Ici, ce n'est plus l'esprit fanatique d'un pasteur idéaliste, mais un jeu entre plusieurs personnages autour d'un ancien pasteur veuf, dont on ne parviendra jamais véritablement à démêler qui manipule qui, et avec quel degré de conscience.
Le poids de l'ascendance et du Nord du pays sont toujours écrasants.

On y retrouve aussi les questionnements politiques d'Ibsen : la nouveauté et la réforme sont admirées par leur panache, mais elles sont toujours erronées. Elles perdent aussi, mais la société conservatrice, qui a raison sans doute dans son analyse du monde, est elle laide, désabusée et corrompue. De ce fait Ibsen semble épouser aussi bien l'aspiration à l'amélioration du monde que l'affirmation que le changement est forcément insensé et mauvais, l'oeuvre de fanatiques. On voit bien cette plongée dans l'absurde du règne de Julien l'Apostat dans Empereur et Galiléen.

Mais dans Rosmersholm, on atteint un faîte dans la finesse psychologique. Ces théories qui se bousculent, formulées avec sincérité mais pour se mentir à soi-même, ces contradictions crédibles mais non résolues restent à la fois ouvertes et pleinement cohérentes. Chez Ibsen, ce sont les contradictions de discours qui brossent le mieux le portrait des personnages. Ils se révèlent par où ils se fissurent à l'épreuve de la vie.

La traduction est toujours la nouvelle d'Eloi Recoing pour Actes Sud.

Suite de la notule.

vendredi 24 juillet 2009

Grosse fatigue

Quand on vous dit qu'il ne faut pas lire les revues musicales, et qu'un interprète est payé pour faire et non pour commenter... il faut croire son interlocuteur, sans plus discuter.

Dans un entretien paru dans le mensuel Classica (article disponible en ligne sur un site aux manières cavalières que nous ne citerons donc pas), Bertrand Dermoncourt et Franck Mallet ont interrogé (Sir) Simon Rattle à propos de son Götterdämmerung d'Aix-en-Provence, cette année, mis en scène par Stéphane Braunschweig (en toute petite forme pour ce dernier volet).

Traduction défaillante dans un sens ou l'autre, ou gros coup de bambou chez l'intéressé, on ne saurait dire, mais il y a comme du sable dans les rouages, en tout cas.

Suite de la notule.

mercredi 3 septembre 2008

Wagner - Die Walküre (La Walkyrie), acte I - Daniel Barenboim et West-Eastern Divan Orchestra : de Madrid à Paris

Les lutins, mis dans le secret des dieux du Walhall par Frère Elustaphe (oui, comme Hakon, un vil renégat), ont pu entendre quelques extraits du concert madrilène de la Plaza mayor et du concert parisien à Pleyel (le premier et le dernier de la tournée).

Le Prélude de Daniel Barenboim est saisissant côté cordes, d'une vigueur assez inusitée, en faisant ressortir à sa guise le motif, quasiment en démiurge. L'orchestre se montre effectivement limité (cuivres faiblement sonores et pas toujours très justes, cordes agiles mais un peu légères et, à de rares moments, moins justes), mais le travail en équipe et l'enthousiasme compensent largement, surtout qu'il s'agit d'un très jeune orchestre (pour ses membres, et plus encore pour sa constitution...). Et que le critère de recrutement n'est pas d'abord l'excellence en faisant abstraction de l'origine, mais l'excellence sur un territoire relativement restreint, et où le classique n'est pas nécessairement la culture musicale sans partage.

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Angela Denoke (Sieglinde), à Madrid, est d'une intensité qu'on imagine à peine dans ce rôle, qui ne serait comparable qu'avec Mödl (disponible sur CSS), mais avec une maîtrise, une finition, une expressivité extrêmement précises. Les mots claquent, les consonnes tintent, et les affects du personnage semblent couler de source d'un attirail technique pourtant fort complexe, avec l'usage de sons plus ou moins altérés, plus ou moins vibrés, etc.
Meier, en comparaison, en paraîtrait globale ! Il est vrai qu'il existe une différence de nature entre les deux tempéraments - celui de Meier étant d'une certaine façon plus "vocal", le timbre participant largement à la séduction (même si celui de Denoke est splendide, plein, incarnant une sorte de perfection, il est nettement moins personnel), et l'interprétation transpire plus par la conviction, le frémissement musical que par une articulation excessive des mots. Tout cela en comparant bien sûr. Et dans les deux cas, l'interprète fait mouche au delà de ce qu'on peut souhaiter ou même espérer.

Suite de la notule.

lundi 31 mars 2008

Retour sur Ibsen (Hedda Gabler)

A l'occasion de la tournée française du spectacle mis en scène par Thomas Ostermeier, Carnets sur sol revient aux sources, après deux années assez largement consacrées à Ibsen - et singulièrement à sa frange la plus épique, celle qui hérite d'Adam Oehlenschläger.

L'occasion de replacer l'oeuvre dans la production théâtrale d'Ibsen et ses caractéristiques singulières. L'occasion aussi de s'interroger sur les ressorts du théâtre tout entier - le plaisir doit-il réellement avoir lieu pendant la représentation ?

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Les soirées

A Bordeaux les 28 et 29 mars derniers, la production s'est promenée à Marseille en septembre dernier, et sera du 2 au 4 avril tout prochains à Rennes (Théâtre National de Bretagne).

Les lutins de CSS s'y trouvaient, tout émoustillés à la promesse du texte en allemand surtitré - à défaut du norvégien bokmål de l'original. Une expérience qui peut être très excitante - l'adaptation de Guerre et paix par Piotr Fomenko représente sans doute, opéra compris, l'une de nos plus exaltantes expériences théâtrales.

Le verdict sera sans surprise. On se souvient de Brand qui avait fourni, voici bientôt trois ans, l'une des toutes premières notes de Carnets sur sol. Sans représenter un choc comparable, bien évidemment, les propriétés théâtrales en sont, malgré les sujets et les formats fort divergents, assez comparables.

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De Brand à Hedda Gabler

Brand était un lesedrama, et par conséquent absolument pas destiné à être représenté. Une scène entre fjord et fjeld à imaginer. Hedda Gabler, a l'inverse, appartient au théâtre domestique de l'Ibsen dernière manière, extrêmement économe de paroles, facile à porter au théâtre. Avec de longs silences, cette représentation de deux heures parvenait donc tout juste à la moitié de la durée de Brand mis en scène par Braunschweig (sans traîner ostensiblement). Il faut cependant préciser que les représentation de Gabler contenaient des coupures (nullement annoncées, comme il se doit [1]).

Brand succède immédiatement, dans le catalogue d'Ibsen, aux Kongs-Emnerne (« Les Prétendants à la Couronne »), formés sur un patron totalement emprunté à Hakon Jarl hin Rige (« Hakon Jarl le Puissant ») d’Oehlenschläger (la confrontation des deux textes offre de vraies surprises !). C'est-à-dire à la période de la veine historique d'Ibsen, dont il ne restera plus guère que Kejser og Galilæer (« Empereur et Galiléen »), un drame à la portée plus philosophique autour de la personne de Julien l'Apostat - dont la dimension historique n'est perçue qu'au travers d'un cadre assez strictement domestique, malgré les changements très généreux de lieux. Brand amorce déjà une préoccupation portée à la relation intrafamiliale, aux tragédies du foyer.

En cela, Hedda Gabler, débarrassée de tout le folklore des paysages de Brand, de tout ce que cette situation et ce personnage avaient de singulier, prolonge et radicalise cette conception d'un théâtre intime, où les grands sentiments se manifestent (en franchement miniature) dans des êtres ordinaires, des situations quotidiennes, des lieux banals.

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La gêne

Notes

[1] Eternelle récrimination de CSS. Par le moteur de recherche de la colonne de droite, vous pouvez retrouver nos réflexions sur les coupures dans la tragédie lyrique, dans le Vampyr de Marschner, dans le Sigurd de Reyer, chez Richard Strauss, dans les Gezeichneten de Schreker...

Suite de la notule.

jeudi 23 août 2007

Richard WAGNER - Die Walküre (La Walkyrie) - Rattle/Berlin, Aix-en-Provence 2007 (et l'esthétique éloquente de Braunschweig)

CSS a donc découvert cette production dont on avait fait tant de bruit. Jadis, nous avions été très séduits par le Rheingold de Baden-Baden (repris au Royal Albert Hall) où Simon Rattle dirigeait l'Orchestre de l'Age des Lumières. Un résultat sonore saisissant, d'une limpidité inouïe, d'où émergeaient l'éloquence lumineuse de Kate Royal (en Woglinde !) et la sobriété profonde de Willard White en Wotan.

Ici, le Philharmonique de Berlin est à l'oeuvre, et nous avons malheureusement manqué, l'an passé, le premier volet qui voyait Mireille Delunsch en Freia.

On évoque bien sûr l'interprétation musicale, mais d'abord les recettes théâtrales de Stéphane Braunschweig, qui ont plus que tout attiré notre attention - et expliqué notre présence devant un téléviseur.

Suite de la notule.

mardi 9 janvier 2007

Index alphabétique

Répertoire alphabétique des principaux noms propres et sujets abordés.

La fonction recherche en haut à droite du carnet (opérationnelle pour les billets seulement, pas pour les commentaires) permet ensuite de retrouver aisément l'article recherché (patronyme + mots-clefs de la note).

Pour une classification plus chronologique, on peut se reporter à l'index thématique.

Encore incomplet.

Suite de la notule.

Index thématique

Chocs esthétiques, Emerveillements et langue, Oeuvres et genres (Opéra), Oeuvres et traductions (Lied), Oeuvres (Musique intstrumentale), Oeuvres (Littérature), Oeuvres (Pictural), Portraits (Compositeurs), Portraits (Interprètes), Discographie, Comptes-rendus, etc.

On peut également se reporter à l'index alphabétique.

Complété petit à petit. N'est donc pas constamment à jour.

Suite de la notule.

David Le Marrec

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