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Così fan tutte à Garnier : Schønwandt, reprise de Toffolutti, prise de rôle pour d'Oustrac.

Un bonheur de retrouver la mise en scène d'Ezio Toffolutti. L'apparence générale est très traditionnelle, mais un certain nombre de petits détails piquants avivent les contours des dialogues ou des personnages. Par ailleurs, le décor est astucieux, refusant résolument la symétrie, et se plaçant dans une Venise fantasmatique où les murs sont érodés par l'âge – de beaux effets d'éclairage à travers les ouvertures donnent contribuent aussi à cette atmosphère chaleureuse qui sent néanmoins le crépuscule. On nous donne à voir du XVIIIe, mais on ne nie pas que le temps a passé. C'est beau à l'œil, mais sobre, et pas dépourvu de subtilité.
Surpris de le voir aux saluts en revanche, car les chanteurs semblaient assez mal à l'aise sur scène, cherchant leurs gestes... et il ne semble pas qu'on les ait beaucoup contraint à se donner. Dommage, parce que la matière-première était là. Lors de la création de la production en 1996 (avec Chilcott, Graham, James, Trost, Keenlyside et Shimell), les rapports entre personnages étaient plus frémissants, moins empesés.

Musicalement, c'était aussi une grande bouffée de nostalgie. Dans un sens moins laudatif. Michael Schønwandt manque toujours d'angles, même dans son meilleur répertoire, mais à cela s'ajoutait, au lieu de ses beaux phrasés dans ses répertoires d'élection... une véritable indolence. N'était la musique merveilleuse, le navire aurait sombré par moment. Et tous les ensembles n'étaient pas en place. Sans doute un manque de répétitions ici aussi – pour une œuvre aussi solidement ancrée dans le répertoire, il y en a généralement peu –, mais surtout un problème de logique dans le recrutement, Schønwandt n'étant pas du tout admiré pour ce répertoire-là... et ressemble à ce qu'on pouvait craindre.

Vocalement, une belle soirée, mais ici encore, pas sans réserve en raison d'une conception assez « grand répertoire » dans la distribution des rôles.

Au chapitre des déceptions, Lorenzo Regazzo (don Alfonso). On pouvait supposer que ses belles noirceurs, obtenues assez en arrière de la bouche, n'étaient pas très résonantes, mais le soir du 22 octobre, tout était engorgé, la voix ne sortait pas, et j'ai même cru qu'il ne pourrait pas terminer la soirée et émettre les aigus du trio de la « leçon ». Avec métier, il parvient à bout, mais je me suis demandé la cause de cela – outre la technique peu sonore, était-il déclinant ? Temporairement souffrant ?
Pas beaucoup aimé David Bižić (Guglielmo) non plus, annoncé souffrant pour les deux représentations suivantes. Pas à cause de ses mérites propres, mais plutôt à cause du choix d'une voix aussi large, qui manque de netteté dans le trait, si précieuse pour les ensembles mozartiens – qu'il négocie parfaitement au demeurant. Au bout du compte une voix qui manque de souplesse et surtout d'expression, pas à cause du musicien, mais parce que le format n'est pas adapté à l'écriture musicale. Dans Bastille, ce serait très bien, mais pour Garnier, on peut très bien embaucher une basse courte (ou un baryton avec un peu de graves) dans ce rôle.

Pour Dmitry Korchak aussi (Ferrando), la question de la pertinence se pose – « Un'aura amorosa » est chanté tout en force, en montant dans l'aigu à l'aide d'harmoniques très antérieures, à la rossinienne (Korchak ne mixe jamais). Et ses habitudes belcantistes lui font oser quelques alanguissements dans le phrasé qui le font par moment sortir de la mesure tandis que l'orchestre continue... et le remet en selle (remarquablement d'ailleurs – on entend le retard que prend le chanteur, mais pas un accroc dans l'orchestre qui s'ajuste instantanément). Pourtant, sur la durée, ce Ferrando très sonore se fond avec bonheur dans les ensembles, où sa ligne est dessinée avec une fermeté inhabituelle, plutôt plaisante.
Pour Stéphanie d'Oustrac (Dorabella) aussi, l'entrée en scène n'est pas naturelle, avec le même syndrome que Bižić : la voix un peu trop large limite la souplesse de l'expression. Cela s'améliore en cours de soirée, mais ce répertoire ne flatte vraiment pas ses qualités : le timbre un peu épais ne sied pas bien à Mozart, et ses qualités déclamatoires ne sont pas mises en valeur. Ce doit être plus intéressant (à en juger par le principe et quelques extraits) en Sesto, mais je ne crois pas qu'il faille y voir son répertoire d'élection. Très loin de ses incarnations en langue française qui la placent au sommet de ce que le chant lyrique a produit.

Pour terminer, deux belles satisfactions, avec deux interprètes de Violetta Valéry qui se produisent essentiellement sur les plus grandes scènes européennes... mais pas en France. Bernarda Bobro (Despina), formidable dans les récitatifs acérés, perd de son tranchant (en fait, par coquetterie, elle retire le son « du nez ») dans les parties lyriques, ce qui diminue son impact. Une fois ce détail ajusté, elle serait vraiment merveilleuse dans le rôle : elle évoque à plusieurs reprises Ainhoa Garmendia, une référence dans le rôle.
Myrtò Papatanasiu (Fiordiligi) était également un beau cadeau, une belle voix homogène et délicate, peut-être un peu légère pour les éclats de vaillance (et faible en graves), mais toujours phrasée avec soin. Une très belle Fiordiligi dans la veine fragile – pas volontaire comme Vaness ou névrosée comme Delunsch, mais très belle dans son genre.

Je ne suis pas sûr de retenter souvent des reprises, si l'investissement général est à ce point moindre que pour les nouvelles productions, mais l'ensemble n'était pas sans charmes, à commencer par la réelle cause du déplacement, le plaisir d'entendre Così.


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