A la découverte de Pelléas & Mélisande de Debussy/Maeterlinck - II - Des influences insolites
Par DavidLeMarrec, mercredi 19 juillet 2006 à :: Autour de Pelléas et Mélisande :: #306 :: rss
2. Influences plus ou moins sérieuses, sensibles dans Pelléas et Mélisande
Il se trouve que Debussy a été très impressionné par Wagner et a influencé Messiaen ou Takemitsu, c'est un fait. Mais il y a plus amusant encore : ce paragon de modernité ouvre son unique opéra, un de ses meilleurs ouvrages, par un thème emprunté (ou du moins identique) à celui d'une séquence très secondaire d'un opéra de Meyerbeer._______________________________
Dans les Huguenots, à l'acte III, le complot qui se trame pour assassiner le jeune huguenot Raoul de Nangis - afin de venger l'affront fait à la famille catholique des Saint-Bris - est interrompu, de façon très efficace (à la fois car on évite des détails fastidieux et car on sollicite simultanément l'attente du spectateur). Un archer paraît et, bon veilleur de nuit, fait rentrer la foule qui vient de terminer son ballet bohémien frénétique (invariablement coupé à la scène), pour l'heure du couvre-feu.
Rentrez, habitants de Paris,
Tenez-vous clos en vos logis ;
Que tout bruit meure,
Quittez ces lieux
Car voici l'heure,
L'heure du couvre-feu.
Il s'agit là d'une séquence secondaire des Huguenots. Sachant le succès planétaire de Meyerbeer à Paris et la présence de ses ouvrages au répertoire jusque dans la première moitié du vingtième siècle (jusqu'à la mondialisation des programmations, en fait), on peut s'amuser de cette coïncidence troublante en écoutant la séquence qui a l'honneur d'ouvrir le chef-d'oeuvre intergalactique de Debussy :
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Troublant, n'est-il pas ?
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Plus logique, l'influence refoulée de Parsifal. Entre la marche obsédante de la présentation du Graal (particulièrement dans la musique de transformation) :
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et l'interlude des scènes 1 et 2 de l'acte II de Pelléas, la parenté rythmique et même harmonique paraît évidente, même si la structure, la couleur d'ensemble et l'usage de ces deux formules les rendent parfaitement distinctes :
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On note notamment le rythme obsessionnel, sans cesse retravaillé (surtout chez Debussy), la montée exaltée chez l'un, opprimée chez l'autre (mais dotées du même élan et d'une hamonie semblable). Le plus significative est peut-être cette subite retombée dans des atmosphères lourdes comme une rosée de plomb, des harmonies épaisses comme une pâte empoisonnée[1].
On reviendra aussi sur la question des leitmotivs dans Pelléas et Mélisande (de pair avec les métaphores diachroniques, transversales de Maeterlinck).
On sait le complexe fascination/répulsion, chez Debussy, vis-à -vis de Wagner. Ce traitement « antiparsifalien » d'un même matériau montre bien à quel point ces considérations ne tiennent pas nécessairement de la vaine élucubration.
Mais je conçois fort bien que, pour des oreilles peu familières à l'une ou l'autre de ces oeuvres, la parenté ne soit pas aussi éclatante que dans l'exemple qui va suivre et terminer cette note.
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Celle-ci coule de source. Debussy a été très impressionné, on le sait, lors de l'Exposition Universelle, par la musique de Java. Et il était attiré par la musique extrême-orientale en règle générale. Voici un extrait du début de Tree Line de TAKEMITSU Tôru, entièrement fondé sur un même motif.
Ce motif simple que vous entendez est fondé sur la Japanese dark scale (littéralement « la gamme japonaise sombre », mais je n'en connais pas la traduction exacte). Mais en entendant l'interlude qui relie les scènes 1 et 2 de l'acte III de Pelléas, on peut se poser la question si l'origine de ce motif chez Takemitsu n'est pas à chercher chez Debussy.
Est-ce parce que Debussy était orientalisant, ou parce que Takemitsu était très influencé par Debussy ? Sans doute les deux, puisque Takemitsu, se saisissant d'une gamme japonaise, paraphrase spontanément Pelléas !
Vraiment étonnant.
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Notes
[1] Citation de Pelléas à la scène 3 de l'acte III, un exemple assez rare de métaphores synchroniques - c'est-à -dire qui prennent leur valeur au moment où elles sont énoncées -, très peu sollicitées dans ce livret de Pelléas.Crédits
* MEYERBEER, Les Huguenots. Guido-Johannes Rumstadt à la tête de l'Orchestre de l'Opéra de Francfort (2002).* WAGNER, Parsifal. Pierre Boulez, orchestre du festival de Bayreuth (2004). On entend aussi brièvement Endrik Wottrich et Robert Holl.
* DEBUSSY, Pelléas et Mélisande. Simon Rattle, Orchestre Philharmonique de Berlin (8 avril 2006). On entend brièvement Simon Keenlyside (Pelléas) et José van Dam (Golaud).
* TAKEMITSU, Tree Line. Paul Méfano, Ensemble 2e2m. Très brève séquence tirée du disque ASSAI (parution 2001).
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