Henrik IBSEN - Rosmersholm (1886) par Stéphane Braunschweig (Théâtre de la Colline)
Par DavidLeMarrec, dimanche 22 novembre 2009 à :: Saison 2009-2010 - Littérature - D'Oehlenschläger à Ibsen :: #1415 :: rss
Vu aujourd'hui.
Les thèmes brassés et les façons convient à une expérience du même ordre que Brand mais avec un texte et une réalisation scénique plus fins encore, s'il est possible.
On y retrouve les questions obsédantes d'Ibsen : la pureté est indispensable à la réussite, et la conservation de cette pureté implique tous les sacrifices, jusqu'à la destruction de l'individu (qui ne peut donc plus réussir). Ici, ce n'est plus l'esprit fanatique d'un pasteur idéaliste, mais un jeu entre plusieurs personnages autour d'un ancien pasteur veuf, dont on ne parviendra jamais véritablement à démêler qui manipule qui, et avec quel degré de conscience.
Le poids de l'ascendance et du Nord du pays sont toujours écrasants.
On y retrouve aussi les questionnements politiques d'Ibsen : la nouveauté et la réforme sont admirées par leur panache, mais elles sont toujours erronées. Elles perdent aussi, mais la société conservatrice, qui a raison sans doute dans son analyse du monde, est elle laide, désabusée et corrompue. De ce fait Ibsen semble épouser aussi bien l'aspiration à l'amélioration du monde que l'affirmation que le changement est forcément insensé et mauvais, l'oeuvre de fanatiques. On voit bien cette plongée dans l'absurde du règne de Julien l'Apostat dans Empereur et Galiléen.
Mais dans Rosmersholm, on atteint un faîte dans la finesse psychologique. Ces théories qui se bousculent, formulées avec sincérité mais pour se mentir à soi-même, ces contradictions crédibles mais non résolues restent à la fois ouvertes et pleinement cohérentes. Chez Ibsen, ce sont les contradictions de discours qui brossent le mieux le portrait des personnages. Ils se révèlent par où ils se fissurent à l'épreuve de la vie.
La traduction est toujours la nouvelle d'Eloi Recoing pour Actes Sud.
Même si Maud Le Grevellec (Rebekka West) fait entendre une déclamation qui sonne comme du théâtre pensé, qui manque un brin de naturel initialement, on finit par adhérer totalement à sa présence scénique, une façon d'occuper l'espace très réussie - les indications de Braunschweig sont très bien servies. La voix, émise dans un médium grave à la fois légèrement rauque à la mode du théâtre et douce, est d'une très belle étoffe.
Claude Duparfait (Johannes Rosmer) compose lui aussi un personnage assez complet, presque claudicant sous le poids de ses incertitudes bipolaires, un intellectuel dont l'esprit semble boîter. Christophe Brault (Kroll) impose de beaux moyens de basse brillante avec un plaisir évident à jouer les sentencieux, et une grande justesse de ton. Annie Mercier (Mme Helseth) joue les gouvernantes dans la belle tradition de l'opéra, où elles étaient tenues par des voix de ténor (Arnalta dans l'Incoronazione de Monteverdi, Cadmus de Lully, une vieille dans la musique de scène de Charpentier pour le Malade imaginaire...) - son timbre presque masculin sert sa truculence discrète, qui procure juste ce qu'il faut d'allègement, sans jamais aller chercher les rires.
La mise en scène de Braunschweig est comme toujours une admirable réussite scénographique et scénique. Le décor se concentre essentiellement sur un intérieur oppressant, un mur de marbre noir, comme zébré de légères blancheurs, un noir sans opacité, et présenté en coin - Braunschweig crée toujours des espaces très dynamiques en évitant avec résolution les parallélismes visuels. On est ainsi d'emblée plongé dans un intérieur présent, dans la profondeur de la scène, et les murs s'écartent comme pour contenir le spectateur.
Les costumes sont à son habitude sans âge, et on échappe même au petit pull gris habituel. Le blanc radieux de Rebekka West est extrêmement magnétique dans cet univers sombre.
Avec sa gestique simple mais intense, son refus de l'entracte (2h30 d'une traite), il nous plonge durablement dans une atmosphère, où ne figurent que les accessoires essentiels (le nombre de chaises strictement nécessaire, une porte-fenête, quelques portraits d'ancêtres, des vases près de la porte).
--
Une fois qu'on en a pris l'habitude, c'est moins éprouvant, mais il vaut mieux prévenir que cette puissance-là se prend en pleine figure. Ne pas compter sur une soirée de divertissement, mais plutôt d'introspection...
Il n'empêche que c'est magnifique visuellement et dramatiquement et que nous le recommandons chaleureusement, un très grand moment de théâtre. Il faut juste y être préparé et ne pas y aller n'importe quand. Le public réagit souvent avec tiédeur, d'ailleurs, parce qu'il est dérangé ou accablé par ce qu'il a subi.
Ca se joue jusqu'au 20 décembre environ, le mercredi, le vendredi et le week-end, dans le même temps que la Maison de poupées que nous n'avons pas (encore) vue, et qui se joue un peu partout à Paris cette saison. Néanmoins, s'il faut aller chercher quelqu'un qui serve au mieux cette esthétique, c'est Braunschweig qui faut aller voir, à n'en pas douter.
Vivement qu'il nous monte Les Prétendants à la Couronne, je rêve de voir l'évêque Nicolas sur scène. Mais ce drame de jeunesse écrit sur le patron évident de Hakon hin Rige d'Oehlenschläger ne doit pas être trop en cour malheureusement.
- Ibsen sur Carnets sur sol.
- Braunschweig sur Carnets sur sol.
Commentaires
1. Le mardi 24 novembre 2009 à , par thelxinoe
2. Le mardi 24 novembre 2009 à , par DavidLeMarrec :: site
3. Le dimanche 20 décembre 2009 à , par Agnès
4. Le lundi 21 décembre 2009 à , par DavidLeMarrec :: site
5. Le lundi 21 décembre 2009 à , par DavidLeMarrec :: site
6. Le vendredi 19 novembre 2010 à , par Jimbowww
7. Le samedi 20 novembre 2010 à , par DavidLeMarrec
Ajouter un commentaire