Carnets sur sol

   Écoutes (et nouveautés) | INDEX (très partiel) | Agenda concerts & comptes-rendus | Playlists & Podcasts | Instantanés (Diaire sur sol)


Le pari de Nectaire


Comme annoncé, Leendert de Jonge, meilleur interprète des Chants de Nectaire de Koechlin à ce jour, se produisait en clôture du Salon d'Automne à Paris – où ont été données, de leur vivant, des œuvres de Koechlin, Roussel (une des sonates avec violon), les quatuors de Debussy et Ravel...

Premier plaisir, me rendre compte que les notules de CSS peuvent servir de contes pour les enfants. Flatté.

Je ne reviens pas sur l'œuvre, déjà présentée dans ces pages ; il s'agit pour moi d'un absolu de la musique de chambre, un de ces moments aux confins du silence où quelque chose semble dépasser ce qui est écrit ; sont-ce les harmonies sous-entendues, est-ce l'imagination de l'auditeur... peu importe, la puissance d'évocation de ces pièces est particulièrement impressionnante.
En les entendant enfin en vrai, j'ai été frappé par l'impression de cohérence, avec des lignes mélodiques très logiques, utilisant manifestement toujours les mêmes modes, mais de façon impermanente, et avec des contours impossibles à prédire ; un mélange de profonde familiarité et de surprise permanente.

Néanmoins, cela avait tout du pari, et s'est révélé, en définitive, un vrai petit monument de l'incongruité, quasiment un happening où la musique n'avait pas forcément la meilleure part. Placé au fond de la dernière tente, le flûtiste seul, dans une acoustique hypersèche, largement couvert par les discussions des visiteurs, devait se débattre devant un public sans cesse changeant – il faut dire qu'après l'annonce initiale, aucun programme n'étant disponible (à part la petite mention laconique Jonge + Koechlin à la fin du flyer), il était à peu impossible de se représenter exactement ce qu'on écoutait, œuvre du répertoire, contemporaine, improvisation ?

Prise dans les rugissements des moteurs, qui dévorent l'espace sonore des champs élyséens auxquels nous sommes adossés, ce n'est d'abord plus le calme lumineux de l'atmosphère « pure » et réverbérée du disque, mais plutôt une voix tourmentée qui s'élève des orages. Et puis, peu à peu, on lâche prise, le détail (de toute façon imprévisible) n'importe plus... comme au disque. C'est davantage une atmosphère qui nous enveloppe qu'une suite de moments de bravoure attendus. Une musique de fond, peut-être, mais qui nourrit profondément. Une très belle expérience, du moins en fermant les yeux pour se départir du décor surchargé, des lumières crues et des silhouettes mouvantes.

Dans ce contexte, une œuvre plus folklorique ou dansante, avec un effectif plus sonore (pourquoi pas le final de la Sonate pour violon ou celui du Quintette avec piano ?), aurait sans doute davantage intéressé le public, largement présent par hasard (et pressé, à l'heure de la fermeture !). Mais les fidèles du Culte de la Vraie Foi étaient là, bien sagement.

Il faut saluer le courage à toute épreuvre de Leendert de Jonge, venu pour trois quarts d'heure de récital dans des conditions impossibles ; il m'a fallu plusieurs minutes pour retrouver le petit halo caractéristique de son timbre, largement absorbé par le volume parasite d'un environnement indifférent. Sa motivation ? L'amour de Koechlin, littéralement, de son propre aveu.
Non seulement courageux, mais grisant, au moins pour la poignée de fidèles venus l'entendre, et qui auraient volontiers payé leur place et voyagé un peu pour le faire. Merci pour eux ! \o/


--

Autres notules

Index classé (partiel) de Carnets sur sol.

--

Trackbacks

Aucun rétrolien.

Pour proposer un rétrolien sur ce billet : http://operacritiques.free.fr/css/tb.php?id=2336

Commentaires

1. Le mardi 22 octobre 2013 à , par Palimpseste

Bonjour David,

Merci pour ces commentaires. Un peu de Koechlin, c'est toujours bienvenu (même si moi je le "sens" plus au printemps qu'à l'automne).

Je n'ai jamais eu le courage de me mettre à ces Chants de Nectaire. J'aime la flûte et Koechlin mais quand même... c'est 3h de solo, non?

J'en profite pour recommander ses pièces pour bois et ensemble: avant tout les merveilleux Paysages et Marines (version supérieure à celle plus enregistrée pour piano seul) et les sonatines pour hautbois d'amour et ensemble.

2. Le mercredi 23 octobre 2013 à , par Xavier

Par De Jonge c'est même 4 heures... mais on n'est pas obligé de tout écouter d'une traite!

3. Le mercredi 23 octobre 2013 à , par DavidLeMarrec

Bonjour tous les deux !

Effectivement, comme le dit Xavier, j'écoute plutôt ça par demi-heure ou heure. C'est de toute façon écrit sous la forme de trois cycles (le premier d'1h30, faisant explicitement référence à Anatole France, le deuxième d'1h30, le troisième d'1h... du moins dans les tempi lents de Jonge), donc pas conçu pour s'enchaîner en un happening feldmanien.

Complètement d'accord, Koechlin est un des compositeurs les plus liés au printemps, et l'un des rares à cette période, il reste quelque chose d'une fraîcheur vernale, d'une floraison timide qui sont pour beaucoup dans sa séduction : les mélodies paraissent tellement évidentes, malgré leur modestie et leur impossible anticipation...

Pour ce qui est des Nectaire : je n'aime pas particulièrement la flûte, je suis prudent sur les œuvres purement monodiques... mais on ne parle pas d'une œuvre banale, c'est un vrai petit miracle. Le ton est très homogène mais le langage se renouvelle finalement beaucoup à l'intérieur même des pièces (emprunts à différents modes dans un même morceau), ça s'écoute vraiment très bien.
Le ton est très différent des œuvres pour ensemble que tu cites (extrêmement printanières en effet, de même que le quintette avec vents et harpe). D'accord pour Paysages et Marines, une œuvre très marquante dans sa version pour (tout) petit ensemble.

4. Le jeudi 24 octobre 2013 à , par Amis-Charles :: site

Bonjour David,
Chapeau bas pour ce commentaire !
Et merci pour Leendert pour qui cela n'a pas dû être facile (un euphémisme).
Ça fait vraiment chaud au cœur de lire si bien exprimé ce qu'on a soi-même ressenti lors des différentes occasions où l'on a entendu Les Chants de Nectaire interprétés par Leendert de Jonge (en extraits, par série ou en intégrale...) !

5. Le vendredi 25 octobre 2013 à , par Amis-Charles :: site

Le texte d'introduction de Leendert de Jonge était-il disponible ?
Sinon, on peut le transcrire ici ?

6. Le vendredi 25 octobre 2013 à , par Amis-Charles :: site

En fait je voulais dire :
Chapeau bas pour Leendert de Jonge pour qui cela n'a pas dû être facile (un euphémisme) !
Et merci pour ce commentaire...

7. Le vendredi 25 octobre 2013 à , par DavidLeMarrec

Bonjour Amis-Charles !

Oui, c'est plus ordonné ainsi. Son dévouement à la cause est vraiment admirable, parce que je doute que le cachet ait été à la hauteur du dérangement, et que l'accueil du public (une dizaine de secondes d'applaudissements) était plus à la mesure d'un dimanche dans le métro que du grand soliste qu'il est... Il faut vraiment vouloir promouvoir ces pièces et aimer les jouer pour faire ce genre d'expédition-suicide.

Non, le texte de Leendert de Jonge n'était pas disponible ; c'est même pire que cela, à part une discrète mention tout en bas du flyer disponible à l'entrée du salon, il n'y avait rien : Chants de Nectaire de Koechlin, pas plus. Ni date, ni contexte. Et même pas de désannonce à la fin du concert, si bien que personne n'avait conscience de ce qu'il écoutait, à part la quinzaine de spectateurs restés pendant tout le concert.

S'il n'y voit pas d'inconvénient, bien sûr, vous pouvez le transcrire ici !

Merci pour ces réactions.

8. Le vendredi 25 octobre 2013 à , par Amis-Charles :: site

Salon d’Automne 2013
Programmation culturelle

Dimanche 20 octobre 2013, 16 h 00

Concert Leendert de Jonge : Charles Koechlin - Les Chants de Nectaire (sélection)


La musique que vous allez entendre aujourd'hui dans cet espace temporaire paraît simple.
Presque naïve.
En réalité, c’est tout le contraire.
Derrière cette simplicité se cache un monde complexe.

Le compositeur français Charles Koechlin (1867-1950) a écrit en 1944 un vaste ensemble de monodies, ses opus 198, 199 et 200.
Cette œuvre, intitulée Les Chants de Nectaire, comprend 96 monodies, en trois séries de 32 pièces.
Elle peut être considérée comme l’homologue monodique de la composition polyphonique de Jean-Sébastien Bach L’Art de la fugue.

L’œuvre est inspirée du roman La Révolte des anges d'Anatole France.
Le vieux jardinier Nectaire y joue un rôle important avec sa flûte : il offre un réconfort à ses amis découragés en développant une méditation sur la vie humaine.

Cette composition est à nulle autre pareille ; la musique y est le plus souvent très douce et en grand contraste avec « le brouhaha de la vie ».
Aujourd'hui, le bruit ambiant est celui de l'Avenue des Champs-Élysées ;
pour Charles Koechlin, c’était le grondement de la guerre.
En prêtant une oreille attentive, vous allez pouvoir faire une expérience d'écoute « vers l'intérieur ».

Souple, plus douce, plus souple, un son de flûte unique, si proche de la voix humaine.

Il faut aussi savoir qu'un grand nombre de ces pièces sont jouées aujourd’hui en public pour la première fois en France.

Leendert de Jonge joue à partir d'une reproduction du manuscrit de Charles Koechlin.

Et, selon Henri Sauguet :
“L’art et la personnalité de Charles Koechlin est une des plus curieuses, des plus surprenantes, des plus riches, des plus mystérieuses, des plus souveraines de notre temps”.

Pour toute information sur les concerts avec cette œuvre ou sur le coffret de son intégrale en 5 CD :
leendert.dejonge @ kpnmail.nl

9. Le vendredi 25 octobre 2013 à , par DavidLeMarrec

Merci.

C'est assez exactement le mot qu'il a dit (mais sans le lire !) au début du concert. Mais comme très peu de monde est resté parmi les présents... les autres n'ont rien eu ! Dans ces conditions d'information minimales, je suis assez persuadé que beaucoup de gens devaient croire à une improvisation ou à une composition du flûtiste...

Ajouter un commentaire

Le code HTML dans le commentaire sera affiché comme du texte.
Vous pouvez en revanche employer la syntaxe BBcode.

.
David Le Marrec

Bienvenue !

Cet aimable bac
à sable accueille
divers badinages :
opéra, lied,
théâtres & musiques
interlopes,
questions de langue
ou de voix...
en discrètes notules,
parfois constituées
en séries.

Beaucoup de requêtes de moteur de recherche aboutissent ici à propos de questions pas encore traitées. N'hésitez pas à réclamer.



Invitations à lire :

1 => L'italianisme dans la France baroque
2 => Le livre et la Toile, l'aventure de deux hiérarchies
3 => Leçons des Morts & Leçons de Ténèbres
4 => Arabelle et Didon
5 => Woyzeck le Chourineur
6 => Nasal ou engorgé ?
7 => Voix de poitrine, de tête & mixte
8 => Les trois vertus cardinales de la mise en scène
9 => Feuilleton sériel




Recueil de notes :
Diaire sur sol


Musique, domaine public

Les astuces de CSS

Répertoire des contributions (index)


Mentions légales

Tribune libre

Contact

Liens


Antiquités

(6/5/2008)

Chapitres

Archives

Calendrier

« octobre 2013 »
lunmarmerjeuvensamdim
123456
78910111213
14151617181920
21222324252627
28293031